LA RÉPUBLIQUE EN DORDOGNE...

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La république en Dordogne [1880-1914] 1 LA RÉPUBLIQUE EN DORDOGNE [1880-1914] Dès 1870, les fondateurs de la III ème République veulent gagner à la République, les paysans, principal soutien de l’Empire sous Napoléon III. Se souvenant de l’expérience de 1848, les républicains savent que dans un régime de suffrage universel, le ralliement des masses rurales est indispensable pour enraciner le régime. Dès lors, les républicains vont œuvrer à diffuser dans les campagnes les valeurs et les symboles qui fondent la culture politique républicaine. Problématique : Comment la culture républicaine s’enracine-t-elle en Dordogne entre 1880 et 1914 ? Document N° 1 - Le 14 juillet 1889 à Ribérac . Article de l’Avenir de la Dordogne du 19 juillet 1889. [Archives départementales de la Dordogne : PRE 1/48.] « Favorisée par un temps splendide, la fête du 14 juillet a été ce qu’elle promettait d’être à Ribérac, c’est -à-dire magnifique. L’inauguration de la colonne commémorative de 1789 par la municipalité et les autorités de la ville a eu un plein succès. Elle s’est faîte en présence d’une foule considérable […]. Au lever du voile qui recouvre la colonne, M. Serbat, conseiller municipal, doyen de la démocratie ribéracoise et président de la commission chargée d’élever ce monument à la gloire de nos aïeux de 1789, en fait la remise […]. M. Duteuil, maire de Ribérac et conseiller d’arrondissement, […], prononce les paroles suivantes […] : « Notre ville est heureuse de voir sur sa plus large place la colonne élevée, par les hommes de 1889, à la gloire de nos aïeux dont la généreuse audace proclama, il y a cent ans, à la face de la royauté surprise et du monde ébloui, les principes immortels de liberté, d’égalité, de fraternité, retracés sur le piédestal de notre colonne […] Sans doute ces principes n’étaient pas nouveaux : bien des siècles avant 1789, le Christ avait remué le monde ; avec leur formule, les philosophes et les écrivains en avaient rempli leur livres et fait pénétrer l’espoir dans les âmes. Mais un état social dont nous avons peine à comprendre aujourd’hui l’existence et la durée, dont il serait impie de rêver le retour, dressait alors à leur encontre le fait brutal de la royauté absolue, d’une noblesse oppressive et d’une France partagée entre des ordres privilégiés au-dessus du peuple taillable et corvéable à merci. Il était réservé aux élus de 1789, à ce tiers qui n’était rien et qui devait être tout. De nous faire citoyens libres, de se proclamer assemblée nationale, de dresser la Charte des droits de l’homme et de faire la véritable unité de la nation en relevant ou en abaissant tous les fronts, sous la seule autorité des lois, au niveau d’une égalité qui a fait de tous les français des citoyens égaux, libres et frères d’une même patrie. Voilà le grand souvenir que doit perpétuer cette colonne […]. A cette grande œuvre devait s’ajouter bientôt sur les débris, sur la poussière des obstacles follement accumulés, le couronnement nécessaire de la liberté la République proclamée plus tard […]. Heureux héritiers des conquêtes de nos ancêtres, […] conservons-les à nos successeurs ; poursuivons le pacifique développement des progrès dont nos devanciers nous ont tracé les grandes lignes, marchons en avant, mais sans criminel recul. Sous l’égide de la République, dont je suis heureux de saluer la grande image au sommet de notre colonne commémorative, citoyens libres, égaux, fils de notre France bien aimée, unissons-nous dans le souvenir reconnaissant des hommes de 1789 et n’ayons qu’un cœur et qu’une âme au service de la République et de la patrie » […] Cette partie de la fête s’est terminée aux accents de la marseillaise, exécutée avec un véritable entrain par notre vaillante société musicale […]. A 8 heures du soir, non contente d’avoir joué toute la journée, notre excellente société musicale, sous la conduite de son sympathique M. Chazeau, donne un magnifique concert, récompensé par des bravos sans fins. Un superbe feu d’artifice, suivi d’un grand bal populaire, ont terminé cette fête sans précédent à Ribérac et dont chacun conservera le plus agréable souvenir ».

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La république en Dordogne [1880-1914] 1

LA RÉPUBLIQUE EN DORDOGNE

[1880-1914]

Dès 1870, les fondateurs de la IIIème République veulent gagner à la République, les paysans, principal soutien de l’Empire sous Napoléon III. Se souvenant de l’expérience de 1848, les républicains savent que dans un régime de suffrage universel, le ralliement des masses rurales est indispensable pour enraciner le régime. Dès lors, les républicains vont œuvrer à diffuser dans les campagnes les valeurs et les symboles qui fondent la culture politique républicaine.

Problématique : Comment la culture républicaine s’enracine-t-elle en Dordogne entre 1880 et 1914 ?

Document N° 1 - Le 14 juillet 1889 à Ribérac. Article de l’Avenir de la Dordogne du 19 juillet 1889. [Archives départementales de la Dordogne : PRE 1/48.]

« Favorisée par un temps splendide, la fête du 14 juillet a été ce qu’elle promettait d’être à Ribérac, c’est-à-dire

magnifique. L’inauguration de la colonne commémorative de 1789 par la municipalité et les autorités de la ville a eu un plein succès. Elle s’est faîte en présence d’une foule considérable […]. Au lever du voile qui recouvre la colonne, M.

Serbat, conseiller municipal, doyen de la démocratie ribéracoise et président de la commission chargée d’élever ce monument à la gloire de nos aïeux de 1789, en fait la remise […]. M. Duteuil, maire de Ribérac et conseiller d’arrondissement, […], prononce les paroles suivantes […] :

« Notre ville est heureuse de voir sur sa plus large place la colonne élevée, par les hommes de 1889, à la gloire de nos aïeux dont la généreuse audace proclama, il y a cent ans, à la face de la royauté surprise et du monde ébloui, les

principes immortels de liberté, d’égalité, de fraternité, retracés sur le piédestal de notre colonne […] Sans doute ces principes n’étaient pas nouveaux : bien des siècles avant 1789, le Christ avait remué le monde ; avec leur formule, les

philosophes et les écrivains en avaient rempli leur livres et fait pénétrer l’espoir dans les âmes. Mais un état social dont nous avons peine à comprendre aujourd’hui l’existence et la durée, dont il serait impie de rêver le retour, dressait alors à

leur encontre le fait brutal de la royauté absolue, d’une noblesse oppressive et d’une France partagée entre des ordres privilégiés au-dessus du peuple taillable et corvéable à merci. Il était réservé aux élus de 1789, à ce tiers qui n’était rien et qui devait être tout. De nous faire citoyens libres, de se proclamer assemblée nationale, de dresser la Charte des droits de l’homme et de faire la véritable unité de la nation en relevant ou en abaissant tous les fronts, sous la seule autorité des lois, au niveau d’une égalité qui a fait de tous les français des citoyens égaux, libres et frères d’une même patrie.

Voilà le grand souvenir que doit perpétuer cette colonne […]. A cette grande œuvre devait s’ajouter bientôt sur les débris, sur la poussière des obstacles follement accumulés, le couronnement nécessaire de la liberté – la République

proclamée plus tard […]. Heureux héritiers des conquêtes de nos ancêtres, […] conservons-les à nos successeurs ; poursuivons le pacifique développement des progrès dont nos devanciers nous ont tracé les grandes lignes, marchons en

avant, mais sans criminel recul. Sous l’égide de la République, dont je suis heureux de saluer la grande image au sommet de notre colonne commémorative, citoyens libres, égaux, fils de notre France bien aimée, unissons-nous dans le souvenir

reconnaissant des hommes de 1789 et n’ayons qu’un cœur et qu’une âme au service de la République et de la patrie » […]

Cette partie de la fête s’est terminée aux accents de la marseillaise, exécutée avec un véritable entrain par notre vaillante société musicale […]. A 8 heures du soir, non contente d’avoir joué toute la journée, notre excellente société musicale, sous la conduite de son sympathique M. Chazeau, donne un magnifique concert, récompensé par des bravos

sans fins. Un superbe feu d’artifice, suivi d’un grand bal populaire, ont terminé cette fête sans précédent à Ribérac et dont chacun conservera le plus agréable souvenir ».

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Document N° 2 - La colonne commémorative du centenaire de la Révolution française de 1789. Ville de Ribérac (Dordogne). Cliché D. Charbonnel, juin 2005.

La colonne est surmontée d’une représentation allégorique en bronze de Marianne, œuvre de Jacques France et Charles

Gauthier, qui deviendra en 1891, le buste officiel de la République. La figure est posée sur une colonne en pierre de taille dont le socle est en bronze est sur lequel sont inscrits en latin les mots : « PAX » (la paix), « LEX » (la loi), « JUS » (la justice) et « LUX » (la lumière),

ainsi que la formule latine « Nepotes Gloriae Avorum ». Elle se trouve aujourd’hui localisée dans un jardin public de la ville.

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Document N° 3 - Rapport confidentiel du Sous-préfet de l’arrondissement de Ribérac au Préfet du département

de la Dordogne, 12 octobre 1894. [Archives départementales de la Dordogne : 1 M 81.]

J’ai l’honneur de vous adresser le rapport confidentiel que vous avez bien voulu me demander le 9 courant sur la

situation politique de l’arrondissement de Ribérac […]. Je puis vous affirmer sans crainte que l’esprit général de l’arrondissement est bon et que la situation politique,

satisfaisante, s’améliore de jour en jour. Pendant de longues années et sauf durant une courte période (1885-1889 scrutin de liste) cet arrondissement a été l’un des fiefs du parti réactionnaire ; M. de Fortoul y régnait en maître absolu. Le

parti républicain d’alors ne s’est cependant pas découragé et, à force de persévérance, s’est emparé de la majorité dans 57 conseils municipaux sur 87 ; il possède aujourd’hui 5 représentants sur 7 au conseil général et 6 sur 9 au conseil d’arrondissement. Enfin les dernières élections législatives ont affirmé ses progrès, sa vitalité et sa puissance, il a

définitivement conquis sa place au Parlement. En résumé depuis 23 ans, malgré la période boulangiste durant laquelle une partie des forces républicaines se sont un instant égarées, le parti gouvernemental a vu chaque jour croître le nombre de

ses partisans […]. Le gouvernement peut donc compter dans l’arrondissement de Ribérac sur la majorité des populations et,

particulièrement dans la lutte contre le socialisme, sur presque la totalité. En effet, la totalité pour ainsi dire des habitants de l’arrondissement se compose d’agriculteurs et de petits propriétaires qui, attachés à leur champ, ne se sont point laissé

séduire par les utopies socialistes. Républicains ou réactionnaires, les questions de clocher sont pour eux les plus importantes, les seules même qui les passionnent. Le gouvernement trouvera donc en eux soit un appui soit peut être

parfois de l’indifférence mais pas d’hostilité. L’indifférence que ces populations manifestent souvent pour les choses de la politique ou même pour les

questions d’ordre économique qui ne paraissent pas devoir les intéresser directement, vient en grande partie de

l’ignorance dans laquelle elles sont de ces questions, et de la pénurie des moyens dont ils disposent pour se pénétrer de leur importance, se faire d’elles une idée juste et raisonnable. Les journaux manquent et les conseils leur font défaut. Je

suis persuadé que s’il était possible de répandre dans chaque commune gratuitement, un certain nombre d’exemplaires d’un journal bien inspiré, la politique gouvernemental y trouverait grand profit. En outre les conférences attrayantes à la

portée des auditeurs, faites de temps en temps le dimanche par l’instituteur dans la salle de classe ou à la mairie, traitant des sujets qui touchent l’intérêt direct des paysans, faisant ressortir l’effort considérable fait par la République depuis 20

ans, montrant les résultats obtenus, les tenant au courant des travaux des pouvoirs publics et du parlement si souvent dénaturés par les ennemis de la République, donneraient je crois des résultats de nature à fortifier dans les campagnes l’idée républicaine et à augmenter le nombre de ses partisans[…]. »

DOCUMENT N° 4 - La mairie et le groupe solaire de Montcaret, arrondissement de Bergerac (Dordogne)

Le bâtiment scolaire et la mairie ont été construits en 1894 à l’initiative de la municipalité. [Archives Départementales de la Dordogne : 2 Fi carte postale de l’entre-deux guerres.]

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DOCUMENT N° 5 - Profession de foi du candidat républicain Aurélien Brugère1 aux élections législatives de

1889. [Archives Départementales de la Dordogne : 3 M 66.]

Vous direz à la France, par votre vote […] si vous voulez continuer à vivre sous un régime qui vous donne la liberté sous toutes ses formes, qui a couvert ce pays de chemins de fer, de routes, de canaux, de maisons d’école ;

Qui n’a dépensé d’argent que dans l’intérêt du peuple ; Qui a reconstitué la défense nationale sur un pied qui vous permet d’envisager sans crainte les menaces de nos voisins ;

Qui par une juste protection des intérêts des producteurs et des consommateurs, a fait cesser l’avilissement du blé sans le laisser s’élever jusqu’au pain cher ; Qui vous a donné l’égalité de l’impôt du sang par une loi militaire qui réduit le service à trois ans et le rend obligatoire

pour tous les citoyens, quelle que soit la couleur de leur habit […]. J’ai foi dans votre bon sens.

Vous ne voudrez pas faire reculer votre pays d’un siècle et vous ne voterez pas pour un royaliste. Vous voudrez au contraire avec moi, toujours marcher dans la voie du progrès ; après l’égalité de l’impôt du sang, vous

voudrez l’égalité des charges de l’impôt pécuniaire, que la République peut seule vous donner.

Vous voudrez poursuivre avec moi la réforme de notre système fiscal, du Code de procédure, qui rend la justice si chère ; la création de l’Assistance publique dans les campagnes ; en un mot, toutes les œuvres attendues par la

démocratie française. D’un côté, un drapeau masqué porté par un royaliste.

De l’autre, un drapeau largement déployé, avec sa devise : Liberté, Egalité, Fraternité. C’est celui avec lequel je me présente devant vous. VIVE LA RÉPUBLIQUE ! 1 - Aurélien Brugère (1841-1922) député républicain de la Dordogne de 1881 à 1889, conseiller général et maire de Montpon, Il était franc-maçon avec le grade de maître depuis 1881, vénérable depuis 1885, de la loge La Ruche des Patriotes de Ribérac, et membre de la loge des vrais frères de Bergerac. Il fut battu aux élections législatives de 1889, par le candidat conservateur, Oscar Bardi de Fourtou (1836-1897), ancien ministre de

l’intérieur au moment de la crise du 16 mai 1877.

________________________________________ QUESTIONNEMENT

GROUPE 1 – Documents 1, 2, 3 et 5 – Sur quelles références idéologiques et historiques repose l’idéologie

républicaine ?

GROUPE 2 – Documents 1 et 5 – À quel régime la république s’oppose-t-elle ?

GROUPE 3 – Documents 1, 3, 4 et 5 – Vers quel projet de société doit conduire la République ?

GROUPE 4 – Documents 1, 2, 3 et 4 – Par quels moyens, symboles et manifestations les républicains

diffusent-ils leur modèle politique ?