La relation client/designer graphique

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1 L A RELATION E N T R E L E C L I E N T & L E DESIGNER G R A P H I Q U E Mémoire professionnel universitaire 2014 | Marion Phelebon

description

La relation est le lien qui unit au moins deux personnes. Ce lien peut être de nature sentimentale ou contractuelle, comme lors d’une relation professionnelle, notamment entre un client et son prestataire de service. Or, les prestataires du domaine artistique, comme les architectes, écrivains ou les designers graphique notamment, ne bénéficient pas de la même qualité de relation et de confiance que ceux d’autres domaines. Les témoignages recueillis décrivent une relation déséquilibrée et un problème de communication et de confiance qui impacte de façon négative la relation entre les deux acteurs d’un projet partagé. Client et designer graphique ne se comprennent pas, ne se connaissent pas, et ignorent chacun ce qui fait la particularité de l’autre. À partir de ce constat, il est nécessaire de comprendre les origines du problème, qui sont à la fois sociétales (pas d’instances représentatives, des stéréotypes véhiculés par la société), culturelles (dénigrement de la pratique artistique au profit du marketing, « rejet » du graphisme dans les musées) et professionnelles (mode de communication, jargon professionnel et enseignement différents). Ces divergences peuvent alors nuire au projet, de différentes manières, à différents stades, et doivent être prises au sérieux sous peine de le retarder, d’en réduire la qualité, voire d’aboutir à une rupture de contrat. Adopter une approche emphatique, centrée sur les attentes, et surtout l’écoute de l’autre, faire appel à un médiateur, adopter de nouvelles méthodes de management ou s’initier à la conception (par la pratique ou l’enseignement) sont autant de ponts entre le client et le designer graphique, pour retrouver une meilleure compréhension et bonne qualité de la relation entre les deux acteurs.

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L A

R E L A T I O N

E N T R E

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C L I E N T

&

L E

D E S I G N E R

G R A P H I Q U E

Mémoire professionnel universitaire 2014 | Marion Phelebon

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LA RELATION ENTRE LE CLIENT

& LE DESIGNER GRAPHIQUE

Mémoire professionnel universitaire septembre 2014

Marion Phelebon

Université de Paris-EstMarne-la-Vallée

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Remerciements

Introduction

Préambule

Partie 1 Client et designer graphique : deux acteurs, aux visions

très différentes, qui doivent collaborer sur un projet commun

1.1 Deux métiers, deux cultures, deux histoires

1.2 Des méthodes de travail singulièrement différentes

1.3 Quand la mésentente entre les deux acteurs

impacte le management du projet

Partie 2 Comment améliorer la relation

entre client et designer graphique

2.1 Différentes techniques sociologiques et managériales pour

améliorer la communication et la confiance de la relation

2.2 Lorsque conception et management se rencontrent

Conclusion

Notes

Bibliographies

Table des annexes

Annexe I

Annexe II

Annexe III

Annexe IV

Annexe V

Annexe VI

Annexe VII

Table des figures

S O M M A I R E

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Je souhaite remercier les professionnels du secteur design qui ont bien voulu m’accorder de précieux entretiens, me permettant d’étayer mes propos : Pierre Bernard, Camille Boidron, Élodie Boyer, Mathieu Chévara, Stéphane Darricau, Geoffrey Dorne, Véronique Marrier, Patrick Paleta, Étienne Robial et Mélanie Seraidarian. Je leur suis particulièrement reconnaissante de m’avoir consacré du temps afin de répondre à mes questions et des pistes ainsi fournies pour nourrir ma réflexion.

Je souhaite remercier Clément Gault et Luc Benazet, qui se sont montrés dispo-nibles par email interposé et m’ont notamment indiqué des sources pri-mordiales en matière de recherche en design, et en collaboration/conflit en situation de travail.

Je remercie mon tuteur, Axel Corjon, qui a toujours été disponible et à l’écoute pour me conseiller, et a bien voulu m’accorder le temps nécessaire afin de rencontrer et interviewer les professionnels du design, ainsi que pour par-ticiper à une journée table-ronde organisée par le CNAP. Je lui sais gré de m’avoir fait part de son point de vue, de son expérience et de m’avoir li-vré des témoignages sur le métier.

Je tiens également à remercier l’équipe pédagogique du Master 2 MITIC de l’Uni-versité de Paris-Est Marne-la-Vallée, en les personnes de Laurence Bouveresse, Philippe Boyer-Nardon, Sherazade Gatfaoui, Rola Hussant, Annie Roussey et Michael Zartarian, qui ont accompagné ce mémoire, depuis sa genèse et tout au long de son évolution et m’ont donné de nombreux conseils au fil de son écriture.

Enfin, j’ai une pensée particulière pour Lydie et Clément qui ont relu mon mé-moire à la recherche de coquilles, m’ont parfois donné des conseils de ré-daction et surtout m’ont soutenue, allant jusqu’à supporter mes sautes d’humeur durant les deux derniers mois d’écriture de ce mémoire.

ColophonLes textes et les images ont été placés par Clément Valette,

sous la commande de Marion Phelebon.Le texte est essentiellement composé en Antique Regent,

à laquelle s’ajoute l’Austin, l’Helvetica Neue, la Pitch, la Typewriter et la Verdana..

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« Les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux ». Cette citation de l’histo-rien britannique Arnold Toynbee (1955) souligne, à elle seule, l’importance des relations qui unissent les hommes et composent notre société. Le terme de « relation » vient du latin relatio qui signifie « rapport » ; ce lien qui unit au moins deux personnes, peut être d’ordre sentimental (basé sur la solidarité, la confiance, l’amitié, etc.) ou institutionnel ( juridique, contractuel, etc.).

Certaines entreprises sont parfois amenées à externaliser ou à colla-borer avec des professionnels extérieurs, car elles ne maîtrisent pas toutes les compétences métiers qui leur sont nécessaires. Elles font alors appel à des prestataires de services, qui, pendant une période donnée, vont échanger leurs compétences métiers pour produire un service à destina-tion de l’entreprise. Il se noue alors une relation contractuelle entre les deux acteurs, basée sur la confiance et l’attente de résultats. Or il est inté-ressant de remarquer que certaines professions relatives à l’Art, comme l’architecture ou le graphisme, rencontrent systématiquement des pro-blèmes importants dans la construction de cette relation avec leur client !

Dans le domaine du design graphique, le problème de la relation avec le client est mal vécu par la plupart des designers graphiques, qu’ils soient auto-entrepreneurs, enregistrés à la MDA (Maison des Artistes) ou qu’ils travaillent dans des agences (TPE/ PME/ grandes entreprises). Ainsi, se-lon une étude de la DGCIS (APCI 2012), en France, 80 % des designers gra-phiques interrogés estiment « manquer de communication, d’écoute et de confiance de la part du client ». La nature de la relation qui unit le client et le designer graphique n’a jamais été étudiée, ou très peu, et les deux partis qui sont amenés à collaborer ensemble sur le projet n’ont à ce jour pas de solutions à adopter pour améliorer leur relation. Or cette situation problématique tend à se développer puisqu’aujourd’hui, le design gra-phique est un outil de communication et de différenciation qui fait par-tie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Aussi, toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leur cible et leurs produits, font appel à des designers graphiques pour les aider à se positionner, à vendre leur pro-duit, et à se différencier de la concurrence. Au final, la communication semble bloquée entre le client et le designer graphique, ce qui a un im-pact négatif à la fois sur les acteurs, mais également sur le déroulement du projet et sa viabilité.

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Les normes, la culture, la position sociale, les préjugés et stéréotypes sont autant de facteurs sociaux, organisationnels et culturels qui impac-tent cette relation, et entraînent tensions et conflits. Par l’analyse de ces facteurs qui empêchent la bonne relation et donc une bonne communi-cation entre le client et le designer graphique, nous cherchons à répondre à la question suivante :

Cette problématique trouve sa justification à la fois dans la pratique professionnelle, culturelle et théorique. C’est une question d’actualité, qui est vécue par l’ensemble des graphistes, quels que soient leur origine, leur statut et la taille de leur entreprise. Enfin, la question de la relation entre les acteurs d’un projet est au cœur du management (quel que soit le champ d’études) et de l’enseignement dispensé dans notre formation MITIC, et ce travail constituerait alors une nouvelle approche de la nature de la re-lation avec son client, avec un focus sur le design, qui pourrait se révéler exportable, duplicable, et ajustable à d’autres professions.

La première partie de ce mémoire visera à mettre en lumière et à ex-pliquer les facteurs de divergences entre le client et le designer graphique (qu’ils soient d’origine culturels, sociétaux, politiques, techniques ou managériaux), et comment ils peuvent interférer sur la gestion et le ma-nagement du projet partagé. La seconde partie nous amènera, tout na-turellement, à envisager des solutions sociologiques, institutionnelles et managériales, afin de rééquilibrer et aplanir ces différences et rétablir ainsi la confiance et la bonne communication indispensables à la réalisa-tion du projet.

« Dans quelle mesure la relation entre client et designer

graphique peut-elle impacterle management d’un projet ? »

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Avant toute chose, il est important de clarifier la notion de « design » pour bien comprendre ce dont il s’agit, et l’objet de ce mémoire.

Contrairement aux idées reçues, le « design » n’est ni une activité nouvelle, ni un mot anglais « à la mode ». Le terme design trouve son étymologie dans le latin designare qui signifie « marquer d’un signe, dessiner, indi-quer », et son évolution italienne disegno, qui renferme les deux notions que sont le dessein (l’intention d’un projet, le processus, la conception) et le dessin (la représentation graphique, composition visuelle) (DICI de-sign, 2011). Pour emprunter l’expression utilisée par l’agence graphique Grapheine sur son blog 1, on pourrait donc résumer comme suit : « Designer, c’est dessiner à dessein ».

Le design possède plusieurs spécialités dont les plus connues sont le design pro-duit ou design industriel, le design de packaging, le design d’identité vi-suelle et de communication, et le design d’espace. L’étude de ce mémoire porte principalement sur le design graphique (ou graphisme, le design d’identité visuelle et de communication) qui regroupe autant d’activités créatives telles que le dessin de caractères (typographie), la mise en page, la création d’identité visuelle (logotype), de signalétique, de générique de film (motion et 3D), ou webdesign (habillage d’un site internet, voire d’ap-plication mobile). Le design revêt ainsi de multiples formes, afin de ré-pondre au mieux au besoin initial exprimé.

En français, on utilise plus communément l’appellation « graphiste », pour dési-gner celui qui conçoit une identité visuelle ; mais c’est un terme que peu de gens identifient directement, qui parait vague et qui ne semble pas bien décrire la profession qui se cache derrière. Aussi, l’expression « designer graphique » est-elle employée de plus en plus souvent en remplacement ; elle sera d’ailleurs utilisée tout au long de ce mémoire. Cette nouvelle for-mulation n’est pas une aberration : Alain Rey, dans son dictionnaire histo-rique de la Langue française, explique que le mot design n’est pas un an-glicisme, mais qu’il s’agit d’un mot de « conception internationale » (Rey, 2006). L’utilisation de cette appellation de designer graphique appa-raît donc plutôt comme le choix d’un retour aux sources, vers le vrai sens du mot design (et sa double signification : design = dessin + dessein).

A Étymologie du design

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Il n’existe pas de définition précise et reconnue de design, mais plutôt des défi-nitions de ce qu’est le design et ce qu’implique la profession de designer. De très nombreuses définitions du design ont été données, et chaque de-signer interrogé sur son métier pourra fournir autant de réponses diffé-rentes, selon sa vision de la discipline, son pays d’origine et son époque.

Pour Debbie Millman (2007), « le design est une pratique visant à résoudre

un problème en recourant à la créativité ».

Pour Stefan Sagmeister (Millman, 2007, p.59), le design est « la combinaison visuelle et écrite, l’expression

d’une idée, un processus et système qui vise l’amélioration, dans l’intérêt du client ».

Selon Jean-Charles Gaté (1998), le designer est un « professionnel de la création au service de l’entreprise

et de la marque […] qui allie intuition et expérience pour innover et formuler des solutions concrètes ».

Pour Catherine De Smet (2012), « Aujourd’hui, on parle de design pour exprimer les signes

visuels émis par les marques. Il permet à la marque de s’incarner, d’exister sur le plan matériel à travers un

produit, un logotype, un packaging. Le design représente la marque, il en est le moyen

de reconnaissance par les clients […] ».

B Définition du design

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La diversité des réponses recensées ci-dessus montre d’une part que le design est un terme polysémique et que d’autre part, chacun a son idée sur le sujet. Il n’existe pas de définition unique du terme design en France. Brigitte Borja de Mozota (2002), chercheur en sciences de gestion, reconnue pour ses travaux sur le design management, décrit le design comme un proces-sus à quatre caractéristiques essentielles, nommées les « 4 C du design », (par analogie avec les « 4 P du marketing ») :

« - Créativité, car le design vise à créer quelque chose qui n’existait pas auparavant ; - Complexité, car le design implique des décisions sur un grand nombre de variables ; - Compromis, car le design implique la recherche d’un équilibre entre des objectifs et des besoins contra-dictoires (coût et performance, esthétique et facilité d’usage, matériaux et durabilité) ; - Choix, enfin, car le design implique des choix entre de nombreuses solutions possibles à un problème que ce soit au niveau du concept ou du plus petit détail de couleur ou de forme ».

L’étude menée par la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité, de l’Indus-trie et des Services), en 2013 propose la définition suivante : le design est une « discipline qui vise à analyser et à représenter concrète-ment, une pensée, un concept ou une intention en tenant compte des contraintes fonctionnelles, structurelles, esthétiques, tech-niques et productives. À partir de la prise en compte de l’utili-sateur et de l’entreprise productrice, le design a pour but de pro-poser des produits, services ou espaces qui génèrent un attrait pour le consommateur et donc un acte d’achat ».

Cette définition que nous prendrons comme point de départ est plus précise, voire moins poétique que celles proposées par les designers précités, mais elle permet de révéler le point important de notre étude : le desi-gner effectue un travail de recherche et de conception afin de résoudre une problématique, posée par un client dans le cadre d’une commande, qui répond aux besoins du marché et devra plaire au consommateur. C’est notamment ce point important, la relation entre le client et le de-signer graphique, que nous souhaitons développer dans ce travail de recherche.

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Même si la notion de design ne parle pas encore au grand public, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à en comprendre le rôle, et l’intérêt qu’elles pourraient en tirer en l’utilisant comme valeur ajoutée à leur production. Élodie Boyer, consultante en identité visuelle, explique que la situation et la mentalité des entreprises ont beaucoup évolué depuis les années 90, où un professionnel du design était alors « contraint de réitérer les pro-pos pédagogiques à l’adresse des responsables de communication et des cadres dirigeants pour expliquer de quoi il s’agissait, à quoi il servait, pourquoi il était important pour l’entreprise » (Boyer, Patrin-Leclère, 2010). Aujourd’hui, toutes les entreprises investissent dans un logo, et ont conscience de l’intérêt d’une charte graphique pour mieux s’imposer et se différencier sur un marché concurrentiel. Aussi depuis 2008, le ministère de l’Industrie a consacré plus de 12 millions d’euros à la poli-tique de soutien au design, et pour 2010, le chiffre d’affaires total du secteur du design est estimé entre 1,9 et 3,4 milliards d’euros, pour environ 44 000 designers graphiques en France (dont 19 000 artistes-auteurs et 20 000 sala-riés du secteur commercial) (DGCIS, 2013).

En effet, le design, utilisé au bon moment et avec les bonnes ressources, est un fac-teur déterminant dans la croissance des entreprises. Il aide au développe-ment de l’image de marque, de la notoriété de l’entreprise, et il permet la différenciation vis-à-vis de la concurrence (DICI Design, 2011). À terme, le design a pour objectif d’augmenter les marges réalisées sur les ventes de l’entreprise (hausse des quantités vendues, augmentation du prix de vente, mais pas du coût de revient, rationalisation des coûts de production, etc.). Par exemple, la France et le Royaume-Uni ont mené des études pour mesu-rer l’impact du design sur l’activité de leurs entreprises, et les résultats an-noncés démontrent une réelle implication du design sur leurs performances économiques (près de 75 % des entreprises françaises qui ont eu recours au design notent une augmentation réelle de leur chiffre d’affaires, et la moi-tié affirme avoir ressenti une hausse de leur valeur financière).

Cependant, bien que le rôle catalyseur du design soit profitable à l’entreprise qui y recourt, un rapport gouvernemental exprime de profondes incompatibi-lités au sujet des relations qu’entretiennent les designers et les entreprises qui font appel à leurs savoir-faire : le design et ses métiers restent mal connus (APCI et al, 2012).

C Le rôle du client dans le design

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La méthodologie de recherche de ce mémoire a consisté en trois étapes qui ont permis de poser les bases de l’étude : une première approche préparatoire, une confrontation sur le terrain et enfin une phase analytique axée sur le rapprochement des données récoltées, et de la littérature professionnelle et universitaire (fig.1). La démarche méthodologique empruntée est à la fois qualitative et quantitative, et les sources proviennent de la littérature et du terrain.

1 Phase préparatoire : À partir d’une problématique rencontrée dans ma pratique professionnelle (ANNEXE 1), j’ai cherché des pistes de réflexions et d’explications dans la littérature de recherche (ouvrages et revues uni-versitaires), dans les articles et blogs professionnels et dans les études gou-vernementales et Européennes.

2 Phase opérationnelle : Afin de confronter ces recherches théoriques à la pratique actuelle, j’ai souhaité recueillir des témoignages profession-nels auprès des acteurs concernés : les clients et les designers graphiques. J’ai assisté à une table ronde organisée par le CNAP (Centre National d’Arts Plastique) sur le thème de la relation entre le client et le designer graphique, une web-conférence organisée par Kea Partners sur le sujet de la relation client, j’ai visionné plusieurs conférences via la plateforme TEDx, et j’ai mené une série d’entretiens auprès de dix professionnels du secteur graphique, afin de valider mes recherches, et obtenir des réponses plus concrètes.

La technique semi-directive a été retenue afin de recueillir le discours des pro-fessionnels (designer, médiateur, enseignant ou client). La grille d’entre-tien établie portait sur la relation du designer avec le client, les enjeux et conséquences de cette relation, et les solutions à développer pour amélio-rer la nature de cette relation. Ces entretiens, d’une durée approximative de 45 min à plus de deux heures, ont été réalisés suivant un guide d’entre-tien commun (ANNEXE 2) ; ils ont fait l’objet d’une prise de notes et d’une retranscription des verbatim, 24 heures au maximum après qu’ils aient été menés. Les dix professionnels (ANNEXE 3) qui ont accepté de parti-ciper à cette recherche ont été sélectionnés afin de représenter un panel

D Méthodologie de la recherche

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d’acteurs en relation avec le thème de recherche de ce mémoire : la rela-tion client-designer graphique.

• Ce panel est constitué de 3 designers graphiques (identité visuelle, packaging, édition, typographie, webdesign, habillage télé, etc.), 4 designers graphiques également enseignants dans le secondaire et 3 clients ou médiateurs.

• Parmi les designers graphiques 2 exercent depuis plus de trente ans, 1 exerce de-puis plus de 15 ans, 4 exercent depuis moins de dix ans, certains travaillent à l’international. Ce panel a donc permis de rassembler des témoignages divers et variés, afin de représenter au mieux la pratique actuelle.

3 Phase analytique : La dernière partie de ce travail a consisté à confron-ter les données théoriques, les données professionnelles, et les témoignages directement recueillis auprès des parties prenantes. Les verbatim et cita-tions recueillis ont fait office de témoignages, et ont été intégrés dans le corps du mémoire, afin d’enrichir les approches théoriques et de les an-crer dans la pratique professionnelle actuelle.

littérature de recherche

Idée

Phase préparatoire Phase opérationnelle Phase analytique

Résultat

séminaires & tables rondes

analyse des résultats

articles professionnels

web conférences

comparaison avec la pratique professionnelle

études gouvernementales

interviews

rapprochement avec la littérature

théorique & professionnelle

Figure 1 : Schéma représentatif de la méthodologie de recherche appliquée

Source : illustration personnelle

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Partie 1

Client et designer graphique :

deux acteurs aux visions différentes qui doivent

collaborer surun projet commun.

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1.1 – Deux métiers, deux cultures, deux histoires

Lorsqu’on leur demande comment se passe la relation avec le client, tous les de-signers interrogés répondent qu’il y a un problème de communication et que le client ne comprend pas, voire « ne comprend rien » à leur métier. De nombreux blogs et images satiriques ont fleuri sur Internet pour dé-noncer ce mal-être (Gratuiste.tumblr.com, Clients from Hell, Mon maçon, Pomme-Q, etc.). Ces blogs recensent, jour après jour, les témoignages et anecdotes, parfois amers, de designers graphiques qui dénoncent les re-marques qu’ils reçoivent de leurs clients (concernant les plannings, les formats, la facturation, les projets, etc.).

Même si ces blogs peuvent parfois prêter à sourire, ils sont surtout la preuve qu’il y a bel et bien un problème propre à la profession, à résoudre. Bien souvent, les designers graphiques annoncent que « c’est la faute du client, qui n’a pas de culture graphique », et ne peut donc pas les comprendre. Or, en vérité, le problème est beaucoup plus complexe : chacun son mé-tier, chacun sa culture.

On s’aperçoit alors que ce problème de communication qui mine la relation client/ designer graphique repose sur trois incompréhensions : la confu-sion entre prestation de service classique et conception graphique, la mé-connaissance du métier du designer graphique, et surtout la spécificité d’un vocabulaire qui n’est pas partagé et qui créé, dès les premiers échanges, des barrières dans la communication et la relation. Il est important de comprendre ces freins, afin de les débloquer et d’avancer ensemble dans la relation.

1.1.1 - La différence majeure entre la prestation de service classique et la création

Au cours d’un entretien téléphonique, Élodie Boyer met en garde, dès la pre-mière minute, « il n’y a ni victimes, ni coupables. » Le problème de communication entre designer graphique et client n’est pas propre à la France, ni aux secteurs publics ou privés, car tous les secteurs sont tou-chés par ce problème de relation difficile. Il s’agit avant tout d’un problème structurel, notamment le fait que le client sait qu’il a besoin d’un designer graphique pour effectuer telle ou telle tâche, mais qu’il ne sait pas réelle-ment ce qu’est un designer graphique et la valeur ajoutée qu’il pourrait concrètement apporter à son entreprise. À partir de cette constatation, il est plus aisé de comprendre l’un des freins de la communication entre le client et le designer graphique.

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A Le paradoxe du graphiste

Au cours d’entretiens menés auprès de plusieurs graphistes, les notions de « presta-tion de service » et de « design graphique » sont ressorties comme étant dia-métralement opposées, et absolument inconciliables. Le droit civil français ne définit pas la notion de « prestation de services », mais le code de la consom-mation définit ainsi la notion de prestation de service : « tout contrat, autre qu’un contrat de vente, en vertu duquel le professionnel fournit ou s’engage à fournir un service au consommateur et le consomma-teur paie ou s’engage à payer le prix de celui-ci ».2

Le philosophe Jean-François Lyotard exprime dans un texte « Intriguer ou le para-doxe du graphiste » (Lyotard, 1990), cette notion d’ambivalence qui sépare et différencie le designer graphique du prestataire de service classique. « L’affiche du spectacle ne remplit pas son office si elle ne fait pas la passant aller au spectacle. C’est pourquoi je vous répète que les graphistes sont coincés. Artistes, mais promoteurs. Ils ont à pro-poser et leur œuvre et autre chose que leur œuvre, la chose ». L’œuvre (car on parle bien de création pour la production d’un designer graphique) doit être à la fois esthétique (plaisir de voir) et rhétorique (pouvoir de per-suasion et de croyance). Les designers graphiques sont à la fois « artistes, av-ocats, témoins, historiographes et juges. Parce qu’ils interprètent ». Au final, l’objet du designer graphique doit « intriguer, persuader, convaincre, surprendre, communiquer, informer, promouvoir, ques-tionner, tout en relevant aussi de l’art visuel ». Le graphiste est à la fois un communicant et un artiste, qui doit s’oublier au profit de la commande qu’il a reçue. Ce paradoxe nous amène donc à penser qu’un designer gra-phique ne peut être ni considéré, ni traité comme un prestataire de service classique, il est plus que ça.

Plus près de nous, Brigitte Borja de Mozota (2002), souligne également que « les sa-voirs du design dépassent les seules compétences d’origine artisa-nale pour englober les qualités humaines du designer ». On parle alors de qualités et savoirs tels que l’imagination, le sens du détail, la qualité de dia-logue, le sens du matériau, la qualité de perception, la capacité d’écoute et l’esprit de synthèse, par exemple.

La conception graphique est plus qu’une activité altruiste ou artistique ; il s’agit de formaliser, d’aider le client à exprimer un message, et de l’interpréter d’une manière appropriée et originale, grâce à des compétences qui relèvent à la fois de la gestion, des relations interpersonnelles et des compétences tech-niques (Millman, 2007, p. 128). Plus que de la création, le designer doit avant tout identifier un problème et le résoudre, via un processus logique de concep-tion en six étapes : investigation, recherche, exploration, développement, réa-lisation et évaluation (Borja de Mozota, 2002). Ce processus de conception n’est pas donné à tout le monde, et relève d’un savoir-faire appris et répété, qui correspond à une technique, et non à un talent mystérieux.

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Au cours d’un entretien, Mathieu Chevara explique que, selon lui, le graphisme est un domaine à la fois sensible et intime, pour le designer qui va le trai-ter de manière subjective, mais également technique et professionnel, d’après une méthode de conception unique, d’où la singularité du travail et l’incompréhension du client vis-à-vis de ce professionnel qui est plus proche de sa production qu’un autre prestataire de service classique. Il y a un problème de démarche entre la « prestation de service » (exécutant, en retrait, travail plus standard) et le « designer » (exigence dans la forme, haute création), et cette frontière n’est pas toujours perçue par le client.

B L’atout du designer graphique

La profession de designer graphique combine plusieurs atouts que l’on ne re-trouve pas forcément dans d’autres métiers et qui en font une profession particulièrement riche que l’on ne peut pas réduire à la prestation de ser-vice classique dans le sens de sa définition.

Blair Enns, spécialiste international en développement des entreprises de design 3, rapproche le profil du designer de celui du chercheur. Il met en avant la capacité de conception et de création du designer pour qui « l’inconnu d’un projet excite sa créativité et son esprit de recherche » contrai-rement à d’autres professions qui seront paralysées devant l’inconnu (ges-tionnaire, comptable, marketeur), et l’atout qu’il représente pour une en-treprise dans une démarche d’innovation. À la différence des marketeurs, les designers ont la capacité de concevoir de nouveaux process, de concré-tiser des idées et d’accompagner la conception et la matérialisation.

Le design possède une dimension qui dépasse le projet pour lequel il a été man-daté. Le duo de designer formé par Emily Oberman & Bonnie Siegler (Millman, 2007, p.102), exprime le fait d’aimer travailler et produire « quelque chose qui change la façon dont les gens pensent (…), qui aide les gens (…) » ainsi que le fait que cette profession leur permet d’ap-prendre, chaque jour, de nouvelles choses. Alice Rawsthorn, design critic, s’exprime sur le sujet avec des mots plus forts encore 4 : la conception est « l’une des forces les plus puissantes dans nos vies », elle est telle-ment omniprésente qu’elle détermine comment nous nous sentons et ce que nous faisons, souvent sans que nous nous en apercevions. Alice Rawsthorn évoque même le fait de « devoir public », pour résoudre cer-tains de nos problèmes environnementaux, technologiques et sociaux les plus pressants, et pour améliorer la qualité de la vie quotidienne pour tout le monde. Plus qu’un simple projet, ou une démarche de prestation de ser-vice, il y a finalement une certaine responsabilité sociale attendue dans la production du designer.

Le rapport de la DGCIS (2013) souligne le fait que « la démarche design est une approche globale et transversale qui allie méthodologie, des-

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sin, intégration de l’objet et approche économique » et que sa pra-tique n’est pas seulement la conception de quelque chose de « joli », mais un ensemble de pratiques : veille technique et graphique, analyse des nou-veaux usages, organisation des données, identification de pistes de re-cherches, expérimentation, expertise, formalisation et conception d’une solution, scénarisation du projet, coordination et pilotage des intervenants extérieurs, déclinaison sur d’autres supports, rédaction du cahier des charges, transmission des spécifications techniques, observation critique et ajustement sur le produit final si besoin...

La conception graphique implique une culture visuelle, mais également tech-nique, et un esprit de curiosité qui conduit à se tenir au courant de l’évo-lution des supports et médias sur lesquels il travaille. C’est, au final, un tra-vail pluridisciplinaire, où le designer se révèle à la fois conseiller, stratège, manager, concepteur et technicien.

C Lutter contre les idées reçues et les stéréotypes

À la décharge de l’entreprise qui fait appel à un designer graphique, bien souvent, le client ne connaît pas ce métier, il sait simplement qu’il a besoin de « quelqu’un » pour faire un « beau » logo. Cette profession véhicule idées re-çues et stéréotypes qu’il faut, dans un premier temps, balayer. Selon Stéphane Vial 5, « La France est un pays où règne en maître le callocentrisme. Par là, il faut entendre la tendance contemplative de la pensée à privilégier le Beau et le ravissement artistique (...) ». Le plus sou-vent le client s’adresse donc à un designer, à la recherche d’un bel objet, sans connaître le travail de conception qui prévaut dans la pratique de la profes-sion. De même, habitué à la prestation de service, le client n’est pas vraiment conscient du travail sur mesure que lui conçoit un designer professionnel. Le mythe de « l’artiste créatif » galvaude ce métier, mais être créatif n’est pas un don, c’est un travail ! Au final, beaucoup de clients font appel à un desi-gner graphique pour le côté technique (utilisation de Photoshop) qu’ils ne maîtrisent pas, sans pour autant connaître le véritable sens de ce métier.

L’étude sur les clés du design (DICI design, 2011) précise clairement que pour que la relation qui s’instaure entre un designer et une entreprise cliente soit ef-ficace, il faut éviter « de considérer le designer comme un simple four-nisseur (par fournisseur, il faut entendre « prestataire interchan-geable » qui sera uniquement sélectionné sur le critère prix ) ».

En conclusion, le designer graphique remplit une fonction de médiateur entre le monde industriel et technologique, où il créer un pont entre science et art, « la technique du design concilie l’aspect logique de la démarche scientifique et la démarche intuitive et créatrice ». (Borja de Mozota, 2002). Pour cette raison, le designer graphique est un concepteur et, en tant que tel, ne peut être jugé comme un prestataire de service classique.

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1.1.2- Un problème de considération du domaine artistique en France

Il ne s’agit pas, dans ce mémoire, de faire un plaidoyer sur la place du graphisme en France et sa considération ou non, mais plutôt de recenser et d’expli-quer les freins et les raisons qui empêchent la bonne communication dans la relation client/ designer graphique.

Avant d’être une entreprise qui fait appel à un professionnel, le client est un ci-toyen qui vit et grandit dans un pays et s’imprègne de sa culture et des mo-dèles qui sont transmis. Or, on s’aperçoit assez rapidement que le design tient une toute petite place dans le paysage français, qu’il est assez peu pré-sent dans le domaine de la culture artistique et qu’il n’a même pas sa place au musée. Aussi, comment reprocher au client son « manque de culture graphique » et sa méconnaissance du métier, quand personne ne lui a don-né les clés de compréhension nécessaires au dialogue avec le designer ?

A Les freins au développement de la culture du design

Comme vu dans le chapitre précédent, le design n’a pas une, mais plusieurs défi-nitions ; ce terme est d’ailleurs assez mal connu du grand public. En France, la majorité des gens, responsables politiques, hauts fonctionnaires, chefs d’entreprise, cadres dirigeants et la grande majorité des médias associent le design au stylisme ou à la création d’objets et de meubles. C’est même devenu un adjectif signifiant (à tord) « beau » et « à la mode », voire « cher ». Le design dans son ensemble, et plus particulièrement, certaines branches comme le design graphique, souffre d’un déficit de reconnaissance en gé-néral (DICI Design, 2011). Selon l’Alliance française des designers (associa-tion/syndicat unique du design en France) « même si il y a eu quelques progrès au cours des dernières années, sa place demeure assez mar-ginale et son rôle est souvent mal compris, sa valeur sous-esti-mée dans les sphères décisionnaires, aussi bien publiques que pri-vées. » 6. Cette vision est partagée par les sondages issus de l’étude de l’APCI et al (2012), qui recense les freins de développement du design par les en-treprises (fig.2). En premier lieu, 27 % des entreprises interrogées estiment ne pas recourir au design par « manque de culture design », et 21 % par peur « des coûts liés au design ». Les designers interrogés vont égale-ment dans ce sens, ils sont 84 % à penser que c’est la méconnaissance de leur métier et 77 % que c’est le coût du design, qui sont les plus gros freins au développement de la culture du design en France dans les entreprises. En second lieux, 30 % des entreprises interrogées évoquent aussi « l’exis-tence d’une mauvaise expérience antérieure », et 27 % évoquent des « éléments liés à la culture de l’entreprise ».

En résumé, les clients eux-mêmes reconnaissent que leur méconnaissance du mé-tier et leur manque de culture graphique sont des freins au développement du design dans leurs entreprises.

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B Un métier opaque et mal connu

À la défense du client, la profession de designer graphique n’est pas très bien identifiée au sein même de la profession. Le rapport de l’APCI de 2012, liste les principales causes qui entretiennent une opacité autour du métier du designer graphique.

• Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas de réelle définition, la pro-fession est très mal référencée au sein même de l’INSEE, et les différentes nomenclatures qui la caractérisent sont peu ou mal utilisées (seulement 25 % des structures sont répertoriées avec le code 74.101 – réservé aux acti-vités spécialisées de design - en vigueur depuis janvier 2008).

• Les étudiants diplômés sortent actuellement des écoles de design avec des dé-nominations extrêmement variées et « Designer » n’est pas une appella-tion reconnue : la profession n’a ni titre, ni ordre spécifique, et ce malgré des études supérieures en cours de certification au niveau I ou II (Bac + 4 ou Bac + 5). « Designer » ne correspond à aucun métier, au sens adminis-tratif du terme.

• Lorsqu’on s’interroge sur les prix pratiqués, il n’y a pas de fourchette de réfé-rence, pas de tarifs affichés, les pratiques varient (tarif à la journée ou au forfait). Sur quelles bases le client peut-il s’appuyer lorsqu’il est à la re-cherche d’un designer graphique pour la première fois ?

Question aux entreprises : « Quels sont selon vous les freins à l’utilisation du design par les entreprises ? »

Des éléments liés au marché.

Des éléments liés à la culture de l’entreprise.

Des éléments liés aux compétences

Des éléments liés aux couts

Le fait que vous innovez peu.

Pas du tout En partie Très largement Ne sais pas / ne se prononce pas

52 %

42 %

64 %

25 %

76 %

36 %

27 %

23 %

46 %

8 %

27 %

5 %

21 %

4 %

4 %

4 %

9 %

7 %

20 %

Figure 2 :Les freins à l’utilisation du design selon les entreprises françaises

Source : APCI et al, 2012

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• La profession est assez diversifiée : on trouve des indépendants, ou freelances, des collectifs de création, des studios de création, des petites agences, et des grosses entreprises. L’émergence de toutes ces structures favorise l’ac-croissement des relations de sous-traitance entre agences, mais entretient également le flou autour de la profession.

• Les structures sont très largement polyvalentes et ne se tiennent pas à une seule activité : seuls 18 % se consacrent à une seule activité de design, et 65 % de ces structures exercent trois activités différentes ou plus. Dans ce dernier cas, laquelle choisir et comment savoir si elle est compétente dans tous les domaines qu’elle propose ?

C Une image faussée du métier de designer

Lorsqu’on évoque la « méconnaissance du métier » de designer, ce terme géné-rique regroupe en fait de nombreux éléments qui touchent très précisé-ment au fondement du travail du designer graphique.

1Méconnaissance ou mauvaise foi ?

Il n’est pas rare qu’une entreprise demande des « tests » ou « maquettes » gra-tuits, à un designer graphique sans intention de le payer (fig.3). Il est mal-heureusement, également fréquent de voir des appels d’offres ou des concours où seul le meilleur projet sera rémunéré. Parfois, on propose aussi au designer de ne le payer que si le résultat plaît...Toutes ces réali-tés permettent d’illustrer assez simplement et rapidement l’image que le client se fait du métier.

Le problème principal est double : d’une part, le designer est trop souvent confon-du avec le stéréotype de l’artiste, qui vit de sa passion et passe ses journées à dessiner (ce que les clients ne considèrent pas comme un métier, et qui n’a donc pas besoin d’être rémunéré). D’autre part, tous les clients ne sont pas conscients de la valeur ajoutée du design, et ne veulent donc pas inves-tir et rétribuer un designer graphique pour son travail et sa production.

Une analogie, qui revient assez souvent, est développée par le blog Mon Maçon. Un client se permet-il d’expliquer à son boulanger comment faire son pain, ou à son médecin quelle prescription lui donner, à son garagiste quelle clé utiliser, ou encore à son maçon comment construire une mai-son ? Non. Et pourtant, tout comme le designer graphique, ce sont des experts dans leur domaine, qu’on consulte et dont on respecte les conseils et préconisations. Alors, pourquoi ne pas appliquer la même démarche au design graphique ?

Le problème se situe très certainement dans la hiérarchie des valeurs de notre so-ciété, où nous préférons élever des ingénieurs plutôt que des créatifs (le combat sciences dures, sciences molles). Le cliché de « l’artiste raté » a la

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vie dure, et il se situe en France « tout en bas de la chaîne de valeur , car il ne rapporte rien » selon Étienne Robial, graphiste, créateur de l’identité de Canal+.

2L’évolution des techniques de travail

Le travail du designer graphique a énormément évolué depuis ses dernières an-nées, et l’apparition du numérique, sensé simplifier et accélérer le travail du designer graphique, n’est pas toujours en sa faveur. Véronique Marrier, chargée de mission design graphique au CNAP, explique que lorsqu’un maquettiste mettait toute une journée à composer à la main une plaque d’impression avec des caractères de plomb avant de la faire imprimer (le travail était alors quasiment palpable, quantifiable et visible), aujourd’hui, le designer graphique passera autant de temps sur son ordinateur à conce-voir un fichier, déterminer une maquette, faire des essais de textes, caler la typographie, les interlettrages, et interlignages, etc., sauf que ce travail n’est plus aussi physique, visible et semble donc plus simple. Il y a finale-ment tout un processus caché, que le client ne soupçonne pas, qui fait cette différence entre le coût et la valeur du travail du designer graphique, et la perception, ou ce que croit savoir le client. Il faut mieux définir les plannings et détailler les tâches, le nombre d’heures nécessaires et leur coût, expliquer le processus au client, afin qu’il se rende compte de la somme d’heures de travail qui est en jeux.

Figure 3 : Clichés illustrés de la professiondu designer graphique sur le blog « Mon maçon »

Source : Monmaçon.tumblr.com

«… grand concours pour réaliser l’affiche/flyer/logo de notre…»

«…Par contre, nous n’avons pas un gros budget…»

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3 Les outils de PAO et le problème du crowdsourcing

Le crowdsourcing, est une pratique nouvelle, de plus en plus en vogue, qui tend à décrédibiliser le métier du designer graphique et à instaurer un « faux standard » au niveau des prix pratiqués (Creads, Eyeka ou Wilogo parmi les plus connues). Le principe est simple : il s’agit de réunir un groupe im-portant de personnes/d’internautes, pour s’appuyer sur leurs compétences afin de créer du contenu. Une plateforme en ligne met en concurrence des centaines de personnes sur un même projet, et le client choisit une pro-position finale parmi les centaines reçues, et ce, à un prix défiant toute concurrence. D’une part, cette pratique est déloyale, car elle ne rétribue que le gagnant (les 99 autres personnes qui ont « planché » sur le projet ne touchent rien pour le travail fourni), on peut même parler de travail dissimulé. Et d’autre part, le client a choisi parmi 100 propositions, mais rien ne garantit que son choix se soit porté sur un travail de qualité. En effet, il n’y aucun échange entre le client et les graphistes, aussi le travail produit n’est pas fait sur-mesure, et n’est donc pas forcément bien adapté à la demande du client (il y a également des problèmes de plagiat sur ces plateformes où tout le monde peut proposer n’importe quoi...). Le crowd-sourcing est un problème pour la profession, car il véhicule une fausse image : un métier qui ne serait pas cher, où le designer fait de multiples propositions finales ; en d’autres termes, un métier « low-cost » (pas cher, rapide, en quantité), ce qui est tout le contraire du métier de designer comme nous l’avons défini précédemment. Le client n’a alors plus de re-pères concernant l’impact du message délivré, le temps qui y est consacré (le nombre d’heures de travail nécessaires), ni ce que ça vaut réellement (le prix réel de ce travail de conception).

Les participations massives à ce genre de pratique sont facilitées par l’accès dé-mocratisé aux outils de PAO (Publication assistée par ordinateur), logi-ciels de mise en page et de retouche d’image tels que Photoshop. N’importe qui ayant ce logiciel sur son ordinateur, peut se prendre pour un graphiste, parce qu’il a retouché une image, ajouté une typographie, modifié une couleur, etc. Aussi, pourquoi rétribuer quelqu’un alors que son neveu, sa fille, sa voisine… peut faire la « même » chose ? Cette accessibilité immo-dérée et facilitée à ces outils a profondément modifié le regard des poten-tielles entreprises clientes sur la profession des designers graphiques.

Une autre pratique déviante, qui fausse l’image du métier, est la proposition, faite par des éditeurs (comme Pyramyd 7), de formations « graphiques » aux en-treprises. Que l’on soit secrétaire, chargé de ressources humaines ou de marketing, on peut être initié en quelques jours à la pratique de Photoshop ou d’Indesign. Cela participe à la dépréciation du métier, puisque n’im-porte qui peut alors mettre dans son CV qu’il est graphiste, après s’être familiarisé pendant quelques jours avec Indesign ou Photoshop... Il existe

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ainsi une vraie confusion entre la pratique du design, qui est un métier, et la possession et l’utilisation de ces logiciels permis à tout le monde.

Les trois points évoqués participent à véhiculer une fausse image de la profes-sion, et peuvent expliquer, en partie, pourquoi les relations entre desi-gner graphique et client sont parfois tendues.

1.1.3– La représentation du design graphique en France

Finalement, toutes ces pratiques qui tendent à dévaloriser le travail du designer graphique, prolifèrent, car il n’y a pas de repère « légal », qui constituerait un point de comparaison sérieux sur ce qu’est le graphisme expliqué à un quidam lambda. Ce qui participerait à véhiculer une bonne culture (on entend par là correcte) du graphisme n’existe pas ou peu. Pour cela, trois exemples marquants :

• Le Gouvernement, censé garantir et donner l’exemple, ne respecte pas les bonnes pratiques du design, et participe, malgré lui, à répandre les préjugés sur la profession du designer graphique ;

• Contrairement à certaines formes d’Art qui ont fait scandale avant d’intégrer les musées (l’art moderne ou l’expressionnisme), le design graphique, lui n’a toujours pas de musée pour le présenter au public ;

• Enfin, même si aujourd’hui beaucoup d’entreprises ont conscience qu’elles doi-vent faire appel à un professionnel pour la conception d’un logo d’un point de vue technique, elles ne sont pas toujours convaincues de l’impact de ce logo sur leurs futures ventes ou sur la valeur ajoutée pour l’entreprise.

En d’autres termes, pour la majorité de la population, et donc le client : le design graphique n’a pas fait ses preuves !

A Les instances représentatives

1Les syndicats

Qui peut se vanter de représenter le graphisme aujourd’hui ? Le SNG (Syndicat National des Graphistes), qui avait la charge de promouvoir cette filière, a disparu en 2001. Il a été « remplacé » par l’Alliance Française des Designers (AFD), syndicat professionnel des designers, toutes disciplines confondues, qui a fusionné avec les syndicats des secteurs environne-ment, textile et industriel, en 2003. l’AFD accueille une centaine de nou-veaux membres par an, et en compte ainsi aujourd’hui 1700, parmi les dizaines de milliers de designers professionnels qui exercent en France, tous secteurs confondus. On peut donc affirmer que l’AFD n’a pas fait ses preuves malgré ses onze années d’existence 8. L’APCI (Agence pour la promotion de la création industrielle) se targue « d’accompagner, va-loriser et promouvoir le design et ses secteurs » auprès de la popu-

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lation française, mais n’a visiblement pas les compétences et les moyens de prendre tous les champs du design sous son aile (aucune action de grande envergure réalisée ces dernières années).

2 Les musées

La galerie Anatome, bien connue des Parisiens, a été pendant douze ans le seul lieu permanent en France dédié au graphisme sous toutes ses formes (galerie d’exposition et librairie spécialisée), mais elle a fermé ses portes courant 2012... De même, le projet de construction d’un Centre National du Design (l’identité a même été réalisée par le studio Chevalvert), a été « enterré ». Un second projet de musée, le Centre international du gra-phisme, débuté en 2010 devrait voir le jour, à Chaumont, en 2015. En at-tendant, très peu d’informations sont disponibles sur Internet pour suivre l’avancée des travaux... De plus, le choix de cette ville d’accueil reste étrange : bien que Chaumont soit une ville emblématique pour le design graphique (elle accueille depuis maintenant plus de vingt ans le Festival International de l’Affiche), elle compte moins de 30 000 habitants. En comparaison de villes comme Paris, Marseille, Lyon, ou Bordeaux, auraient pu accueillir le musée et avoir un impact plus fort sur la popu-lation ; ce choix n’est pas très judicieux dans l’optique d’une démocrati-sation du graphisme.

Concernant les grands musées nationaux, certaines expositions temporaires ou rétrospectives présentent parfois des productions issues du design graphique. Pourtant, le Centre Georges Pompidou et le Musée des Arts Décoratifs ont théoriquement le « Design » dans leurs prérogatives… mais comme le relève très bien Vincent Perrotet « on peut aussi se deman-der pourquoi, dans les collections du centre Pompidou, il n’y a aucune acquisition en design graphique » 9…. À la décharge des mu-sées, il faut quand même reconnaître que l’affiche tient une belle place dans les collections de certains grands musées, tels que la BNF (qui dé-tient la réserve la plus importante, avec environ un million d’affiches), la Ville de Lyon, la bibliothèque Forney, le musée de la Publicité, le centre de l’Affiche de Toulouse, le conservatoire de l’Affiche de Bretagne, la Maison du livre et de l’affiche de Chaumont 10. Mais cela n’est pas suffi-sant, car d’après Michel Wlassikoff, si l’affiche a constitué pendant long-temps un support de représentation du design graphique français (Jules Cherret,Cassandre, Grapus, etc.), les formes ont changé, évolué, se sont diversifiées 11. Le design éditorial, l’affiche, la typographie et l’identité vi-suelle, par exemple sont encore sous-représentés et donc sous-exposés dans les musées.

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3Les événements et festivals

Plusieurs événements consacrés au graphisme sont régulièrement à l’honneur en France, mais ils ne touchent qu’un public très limité, et surtout, aver-ti, alors qu’il faudrait plutôt s’adresser à l’ensemble de la population fran-çaise pour lui faire découvrir cette profession. Les Festivals de l’Affiche de Chaumont (depuis 1989), Le mois du graphisme d’Échirolles (depuis 1990), ou plus récemment Une saison graphique au Havre (depuis 2009) parti-cipent à la diffusion du graphisme, quelques mois par an. Le CNAP édite, depuis 1995, « Graphisme en France » une revue annuelle qui met à l’hon-neur les designers graphiques et leur production. Cette revue fête cette année ses vingt ans, et c’est l’occasion d’organiser partout en France, des événements et expositions exceptionnels répartis sur toute l’année (la commande d’un nouveau caractère d’imprimerie proposé en libre-service, des cycles de conférences, un colloque international, des tables rondes entre designers et commanditaires, des guides imprimés sur la commande graphique, etc.). Tout cela, afin de fêter et démocratiser le graphisme au-près de l’ensemble de la population, pas seulement de la profession.

Cependant, Michel Wlassikov tempère ces événements « En plus de dix an-nées d’existence, ces manifestations n’ont pas réussi à mobili-ser les foules au plan national, même si régionalement la presse et un large public ont ainsi découvert le graphisme » 11.

Aussi, dans ces conditions, comment s’étonner que le client « manque de culture graphique », si elle est sous-représentée et si peu accessible en France ? L’absence de lieux dédiés au Design rend impossible une véritable connais-sance de ses formes multiples, de son histoire et de son rôle social, envi-ronnemental et économique.

B La pratique du design par le gouvernement

Les appels d’offres ou concours sont monnaie courante dans la pratique du design. Cependant, d’après l’AFD 12, la majorité des appels d’offres de design n’offre pas de réelle « égalité des chances » (travail gratuit, exploitation de sta-giaires…), ne permettent pas à la « libre concurrence » de s’exercer (les grosses structures sont avantagées au détriment des plus petites), et encourage une utilisation « déficiente des compétences du designer » (vendre, ce n’est pas concevoir). Toujours selon l’AFD, « La législation française, et en particulier le code des marchés publics, tord le cou à la création et aux fondements mêmes de notre profession ». Le sentiment de l’AFD est le suivant : le gouvernement français a une pratique irrespectueuse du métier de designer graphique et participe à répandre une image faussée de la profession. Leurs préconisations ont été recensées dans une charte de bonnes pratiques à l’usage des designers et des commanditaires (ANNEXE 4).

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Une dérive a été constatée dans le domaine des offres des marchés publics. L’instauration de procédures d’appels d’offres publiques tend à impo-ser des règles jugées irrecevables vis-à-vis de la profession. En effet, les pratiques des agences publicitaires, de faire appel à des offres de créa-tion sans aucune contrepartie financière, se sont peu à peu imposées dans l’univers des appels d’offres publics, et se sont étendues à toutes les disciplines du design. Or, répondre à un appel d’offres exige un in-vestissement-temps important : avant de commencer quoi que ce soit, une demi-journée est souvent nécessaire pour le décrypter. Ensuite, il faut bien compter une semaine de travail pour élaborer une réponse adéquate et performante en créativité. D’autre part, toujours selon l’AFD, la rédaction du Code des marchés publics « cherche, en priori-té, à protéger l’acheteur en faisant l’impasse sur l’aspect travail et in-vestissement de la part du challenger de l’appel d’offres ». Aussi, la pro-fession a vu peu à peu se transformer le Code des marchés publics (qui a été modifié à deux reprises), vers une utilisation qui désavantage les graphistes participants.

Un exemple flagrant de ce problème a éclaté en 2013, suite à l’appel d’offres lancé par le gouvernement, pour réaliser l’affiche de la Fête de la Musique. Ce « coup de gueule » a largement été repris dans les médias et la presse et relayé sur les sites et blogs spécialisés : à l’origine, un malaise entre les conditions de l’appel d’offre, et les designers graphiques mandatés sur le projet. « On nous propose parfois 500 euros pour une étude d’identité graphique qui va, au minimum, nécessiter dix jours. À des gens ayant fait au moins cinq années d’études, complétées de formations post-diplômes et de stages à l’étranger, on de-mande de travailler quasiment pour rien, ou à des prix infé-rieurs au montant horaire payés en usine. » explique Vincent Perrottet 13. Pour rappel, le tarif moyen constaté d’un atelier de création graphique est de 70 à 75 euros de l’heure, soit 500 à 750 euros la jour-née... L’AFD a envoyé une lettre à ce sujet à Aurélie Filippetti, la mi-nistre de la Culture, qui est restée à ce jour sans réponse. Au final, la conception de l’affiche a été confiée à une agence de communication (et non de design graphique).

C Le design n’a pas encore clairement apporté la preuve de sa valeur ajoutée

L’objectif d’une entreprise est de vendre, que ce soit des produits ou des ser-vices. Cependant, hormis dans certains cas où le design est devenu une nécessité intimement liée aux produits (automobiles, téléphones por-tables), le design n’est que rarement perçu comme tel.

L’étude de l’APCI et al (2012) recense que « 60% des entreprises interrogées expriment leur doute vis-à-vis de la valeur ajoutée du design à

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leur entreprise », elles sont en attente de « preuves chiffrées de la rentabilité de cet investissement ». De même, l’augmentation du chiffre d’affaires et l’évolution de la valeur financière d’une entreprise restent les principales évaluations de la compétitivité du design. L’entreprise s’appuie sur la perception du client, pour mesurer la per-formance de ses produits ou services. Et le retour sur investissement du design n’est pas calculé pour la plupart des entreprises (toutes les entreprises ne peuvent pas investir du temps pour calculer ce retour sur investissement de manière rigoureuse). Pourtant, le design parti-cipe aussi à un positionnement stratégique de différenciation et à la construction d’un avantage concurrentiel.

L’étude a également conclu que « le retour sur investissement du design était généralement apprécié de façon intuitive, sans utiliser d’indicateurs ou de ratios ». Il est estimé en fonction de la notoriété que le design apporte à l’entreprise, à sa capacité à améliorer l’image de l’entreprise et de ses produits. Dans ce cas, on peut facilement com-prendre qu’il est difficile d’investir pour une entreprise dans un projet de design, en se basant sur des sentiments intuitifs, sans études chif-frées qui rassurent et garantissent un certain succès à la démarche. Les entreprises n’ont pas de temps à perdre pour calculer un retour sur in-vestissement de manière rigoureuse comme elles le feraient pour d’autres activités. Il faut donc encore apporter la preuve que le graphisme a une incidence sur les ventes. Les entreprises voient combien ça coûte, pas combien ça peut rapporter : le client confond souvent le coût du de-sign et le ROI (return on investment) ! Manuel Warosz commente ain-si ce résultat : « les gens pensent que notre travail graphique n’a pas de valeur « économique » puisqu’il n’a pas de valeur mar-chande. » (CNAP, 2010)

Selon la Revue du Design 14, les entreprises sont bien conscientes qu’on ne les « choisit pas pour (leur) service comptabilité, pour (leur) capa-cité à mener de la R&D, mais bel et bien pour les produits ou les services qu’elles proposent aux consommateurs ». Le design peut donc apporter une différenciation, et perception de qualité.

Même si, aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont conscience qu’elles doivent faire appel à un professionnel pour leur designer un logo d’un point de vue technique, elles ne sont pas toujours convaincues de l’impact de ce logo sur leurs futures ventes, ou de la valeur ajoutée pour leur entreprise. Il faut apporter la preuve chiffrée qu’il s’agit là d’un investissement ren-table et non pas d’une dépense superflue. À la différence du marketing, qui donne son « aura » au produit et a prouvé qu’il a une forte incidence sur les ventes, le designer graphique doit prouver que faire du graphisme de qualité aura une incidence sur les ventes, car il n’y a pas d’exemple, de science ou de méthodes précises pour le calculer et le prévoir. Au fi-nal, il manque une formule magique pour sécuriser le client !

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Stéphane Darricau, graphiste indépendant et enseignant en BTS Communciation Visuelle, cite volontiers le seul exemple à sa connaissance où le design a eu une réelle incidence sur les ventes, de manière incontestable. La collection de livres philosophiques « Great Ideas » de l’éditeur Pinguin, designé par David Pearson, a connu un succès retentissant une fois la jaquette des livres revisitée (fig.4). Ces textes philosophiques et politiques qui ont changé le monde, ont été remis au goût du jour via une collection, dont les couver-tures typographiques célèbrent le pouvoir des mots (allusion à l’époque, avec le choix de la typographie de couverture). Résultat : 1 million de livres ont été vendus en 4 semaines, ce qui est un véritable exploit pour des livres rassemblant des textes difficiles à appréhender et s’adressant à un public averti. La collection qui, à l’origine, contenait une vingtaine de livres est progressivement passée à cent références. Tout cela sans modifier l’empla-cement des livres (qui ont toujours été présentés près des caisses), leurs prix, et sans communication à grande échelle dans la presse. Ce succès po-pulaire est donc uniquement dû au redesign de la collection.

Figure 4 : Collection Great Ideas, revisitée par David Pearson pour Pinguin BookSource : typeasimage.com/greatideasone.html

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Élodie Boyer apporte également deux témoignages qui abondent dans ce sens. Pour le projet « Thello » (nouvelle compagnie ferroviaire qui assure la liaison Paris-Venise, association de Veolia Transport Transdev et Trenitalia), le client a pris conscience du rôle, du travail effectué par le designer, et il a reconnu que « l’investissement initial du projet est finale-ment une goutte d’eau, qui a un impact très fort ». Le design est une forte plus-value dans un projet : il apporte de la lisibilité à la marque, c’est une pièce maîtresse dans la réussite et la visibilité recherchée par un client ou une marque (fig.5).

Mathieu Chevara a, quant à lui, souhaité s’exprimer sur ce qu’apporte « de plus » le design. Au-delà d’un ROI pour l’entreprise, le design a d’autres valeurs ajoutées que l’économie. Le graphisme peut modifier le comportement de l’entreprise, la notion de fierté et d’appartenance des employés. Il peut mo-difier l’aspect commercial, l’adéquation et la motivation des RH, impacter la curiosité des clients et privilégier la reconnaissance de l’entreprise par rapport à la concurrence. C’est un peu le principe « d’une pierre, dix coups », où le designer graphique est capable d’apporter une réponse qui aura dix impacts, mais pas forcément tous financiers. Cela permet de re-découvrir, voire de valoriser des métiers, c’est un réel travail et une valeur ajoutée de bien-être pour les entreprises et les salariés de la société. Mais encore une fois, tout ceci n’est pas quantifiable, et c’est malheureusement ce que recherche une entreprise...

Figure 5 : Identité visuelle et déclinaison de Thello, par Élodie Boyer Source : elodieboyer.com

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1.1.4 - Une différence de langage et de vocabulaire qui ne facilite pas la communication

Comme nous l’avons vu, de nombreux freins institutionnels et culturels expli-quent l’attitude étrange que peut adopter un client face à un designer. Ces freins sont d’ordre extérieur, et nous pouvons dire que le client baigne, malgré lui, dans cette atmosphère et qu’il n’a pas toujours conscience de son attitude irrespectueuse envers la profession. Cependant, il reste un dernier frein, l’un des plus importants et plus difficile à cerner. Avant de travailler ensemble, de se comprendre, le client et le designer graphique ont besoin de disposer d’un vocabulaire commun, de pouvoir échanger souvent et de comprendre les prérogatives et le territoire de chacun. La pratique montre les difficultés du dialogue entre client et designer (Minvielle, 2006).

A Un vocabulaire qui induit en erreur

Dans le design graphique, le mot que l’on retrouve le plus souvent est celui de « commanditaire », soit la personne qui passe commande, en d’autres termes le client. Or, comme le souligne Étienne Robial, lors du salon Graphique organisé par le CNAP en mai dernier, « c’est le terme même de ‹ commande › qui pose problème, car les clients ont des manques, des besoins, et cela n’a pas de sens de dire que l’on puisse commander ce dont on manque quand on ne sait pas ce que c’est ». Le mot même de « commanditaire » implique un rapport de force qui n’est pas justifié, et place les deux acteurs dans une relation dé-séquilibrée. De plus, le terme de commanditaire est une utilisation dé-formée du mot qui, à la base, s’applique à l’immobilier, et n’a absolument pas de rapport avec le design graphique. C’est un « Associé d’une so-ciété en commandite, qui n’est tenu des dettes de celle-ci qu’à concurrence de ses apports » ou, « Bailleur de fonds d’une entre-prise ou d’un groupement » (Petit Larousse). Nous préférons donc utiliser ici le terme de « client », qui implique une relation dont on com-prend le tenant et les aboutissants entre les deux acteurs. De plus, bien souvent, le client n’a effectivement pas conscience de ce dont il a besoin, et ne peut donc pas se placer dans une position de « commande ». Le de-signer graphique est un spécialiste qui propose ses compétences et ser-vices à des clients qui ont des problèmes graphiques dont ils ignorent la nature exacte, et le designer graphique est là pour les aider à mieux cer-ner le problème et donc à le résoudre.

Un deuxième problème découle de cette dualité « commanditaire/client » qui existe à l’intérieur même de la profession. Selon Stéphane Darricau, le terme de commanditaire est attribué d’emblée par les designers gra-phiques à la commande institutionnelle, celle qui est liée à la culture

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(identité de musées, institutions, expositions, etc.), et qui « implique des affinités symboliques, politiques et culturelles ». C’est un travail considéré comme noble, où il y a un réel besoin de synergie, le « Saint Graal » de la profession. En comparaison, le « client » représente le domaine du privé, du commercial, qui ne nécessite pas d’affinité par-ticulière. C’est l’une des idées structurantes dans le champ du graphisme français, et les designers graphiques font d’autant plus la différence entre les deux types de graphisme qu’ils utilisent des noms différents pour désigner la même personne, celle qui va les employer à résoudre un problème, le client/commanditaire.

Enfin, une troisième incohérence se retrouve au niveau du titre du designer graphique. Le terme le plus commun est celui de « graphiste », mais c’est un terme jugé trop vague par Stéphane Darricau, d’où la transfor-mation qui s’effectue depuis quelque temps en « designer graphique », qui fait plus professionnel. Ce changement de vocabulaire permet de relier la profession au champ plus large du design, qui est plus connu, et ainsi de mieux définir le métier. Étienne Robial souligne également le fait que lorsqu’on pose la question à un designer graphique, « à sa-voir quel est son métier ? », la réponse peut surprendre : graphiste, Directeur artistique junior, Directeur artistique senior (DA), Directeur de Création (DC), etc. Plus que des métiers, ce sont des statuts hiérar-chiques qui sont donnés par les RH lorsqu’un designer intègre une en-treprise (nécessité de hiérarchisation de la profession pour les grilles de salaires). Mais à la base, son métier est bien celui de designer gra-phique. Il y a donc un mélange, un amalgame entre le métier et la fonc-tion réelle. C’est important de bien resituer chacun à sa place pour com-prendre leur relation et leur positionnement. Face à cette confusion des mots et des notions, les problèmes de compréhension entre desi-gner graphique et client sont donc plus facilement identifiables et compréhensibles.

B Le designer est aussi traducteur

Mathieu Chevara rappelle que « La technique, les codes de la profession, le processus et le vocabulaire ne sont pas perceptibles pour le grand public et les clients », et comme toute profession, le designer graphique a son jargon et ses manies qui ne sont pas communes aux clients avec qui il est amené à traiter. Pour arriver à un certain niveau de dialogue et de compréhension, il est alors nécessaire d’utiliser « le seul langage commun aux deux acteurs », qui est le verbe pour « parler des choses » et bien intégrer et comprendre les problèmes des deux acteurs. Il est nécessaire de tout reformuler, car la pensée du client, et les clés de compréhension du designer graphique ne sont pas les mêmes, afin d’éviter les erreurs et incompréhensions.

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Par exemple, le client confond souvent la formulation du problème et la solu-tion, il n’exprime pas toujours très bien ce qu’il attend, et le travail de reformulation est donc très important pour décrypter le problème ini-tial. Ainsi, cas classique, sur une affiche, le client va demander de « gros-sir le logo ». Cela ne veut pas dire littéralement que le logo est trop pe-tit et que le designer doit en changer la taille, mais plutôt qu’il y a un déséquilibre dans l’espace, qu’il faut réorganiser les pleins et les vides de l’affiche dans la composition globale ( jouer avec les éléments, les pavés de textes, le titre et le logo). Le client a sans doute perçu dès le départ un problème dans la production du designer, mais il ne parvient pas à le nommer correctement, ou tout du moins, pas avec le même vocabu-laire que celui du designer graphique. Quelque part, le designer gra-phique, en plus du rôle de créateur, a également une fonction de conseiller et de traducteur. De même, le projet de rebranding d’AG2R La Mondiale (ANNEXE 5), mené par Chevalvert, est également un exemple de « tra-duction ». L’assureur souhaitait changer la charte graphique afin de ren-forcer l’idée de “bienveillance”. Cette notion générale doit être traduite en concepts graphiques pour être reproduite et diffusée sur les supports tels que les affiches, PLV, dépliants, dossiers, etc.

Figure 6 : Schéma récapitulatif

de la profession, à destination du client

Source : Cabinet d’Architecture

IAM - Toulouse

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Le site internet Clients from Hell15 (en anglais) recense chaque jour les demandes farfelues que les designers graphiques, ou autres créatifs, reçoivent de la part de leur client. Les quelques exemples qui suivent expriment bien ce problème de vocabulaire, et l’incompréhension qui peut naître de cette différence d’usage.

• ‘ client: Is there a way to view the HTML

without seeing all the coding? ’•

‘ client: Can you make the globe look flat and expanded to show all countries? We want people

to know that we don’t just work with this half of the world - we work for the entire world!

Graphic designer : So you’d like a map?client: No. Just our logo and the globe,

but a flat and expanded globe. ’ •

‘graphic designer: Can I get you to make me a visual palette of colors you’d like, so I can have a better idea of what to work off of?

client: Golden-orangey, black-like blue, purplish-blue,berry purple, dusky gray-purple.’

• ‘client : Can we make it sound more green?

Graphic designer: You mean, like, environmentally friendly?client: No, like the colour’.

• ‘client: Can you make it less black, like half black?

Graphic designer: Do you mean grey?client: No. Less black.

Graphic designer: Well there’s black or there’s no black.client We want black, we just want the black to be less black.

Like half ’.

Pour un designer graphique, ces remarques n’ont « ni queues, ni têtes ». Mais si le client les formule, ce n’est pas qu’il ne comprend pas, c’est juste qu’il a une idée, mais ne sait pas l’exprimer dans le même langage que le de-signer graphique. Cela peut prêter à rire, mais c’est le lot quotidien du designer graphique, il se doit donc d’écouter, de traduire, et de com-prendre, les demandes sous-jacentes de son client, afin que l’échange se passe pour le mieux entre les deux acteurs, dans la perspective, toujours, d’améliorer le projet. À ce sujet, un schéma « explicatif » a été réalisé, afin de faire prendre conscience au client, que toutes ces demandes ne sont pas toujours réalisables (fig.6).

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1.2– Des méthodes de travail singulièrement différentes

La culture du client provient de ses environnements citoyen, culturel, mais éga-lement professionnel. Or, un second problème intervient dans la relation entre designer graphique et client : leur apprentissage du métier. D’un côté, le designer graphique obéit à des règles de création qui peuvent sembler extrêmement « laxistes » et aléatoires au client. De l’autre, le client qui est dans une recherche de rentabilité et de production rigoureuse, apparaît comme extrêmement directif et donc peu ouvert d’esprit au designer gra-phique. Non seulement ces deux acteurs ne bénéficient pas de la même exposition dans la société, mais ils ne partagent pas les mêmes codes, ne sortent pas des mêmes écoles, n’ont pas suivi les mêmes enseignements, et n’ont pas les mêmes méthodes de travail. Ces différences jouent un rôle important dans l’explication des incohérences rencontrées dans la rela-tion des deux acteurs. L’une des premières différences est l’opposition entre la « création » et le « marketing », mais également l’attente antago-niste qui existe entre le client et le designer graphique, et le nombre d’in-termédiaires qui peuvent être impliqués dans un projet, et font ainsi bar-rière à la bonne relation entre le client et le designer graphique.

1.2.1.- La culture du marketing du client s’oppose à la culture de l’image du graphiste

A Ce qui oppose le marketing et le design graphique

Dans l’imaginaire collectif des designers graphiques, le « marketing » re-présenté par le client s’oppose à l’activité créatrice du designer graphique. Le marketing, ou le domaine de la publicité est en opposition constante avec la production du designer graphique. Pierre Bernard explique qu’en France, le graphisme a une histoire riche, qui « s’est marginalisée de-puis les années 1970 » à cause de la montée en puissance de la publici-té dans les médias de masse. « La France est soumise à la domination de l’industrie publicitaire la plus puissante d’Europe. C’est le marketing qui décide, y compris dans la majorité des institu-tions » 16. Véronique Vienne, directrice artistique, critique et écrivain, confirme cette impression « Il est clair que souvent, nous voyons des affiches dans la rue, d’énormes 4×3 dénués de structure, avec un graphisme absent ou laissé pour compte. Parce que les gens n’ont pas le temps, parce que le principal c’est de faire passer un mes-sage en 2 ou 3 secondes » 17. Le message doit passer, il doit être compris rapidement par la cible pour être efficace, mais d’un autre côté, proposer des concepts qui sortent du cadre classique reste compliqué. Du coup, tout se ressemble, tout est identique, c’est la théorie du moindre effort. D’après Pierre Bernard, « Changer, innover, choquer, interpeller sont

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l’essence même du graphisme », tandis que les équipes marketing au-ront plutôt tendance à aller droit au but, avec des messages courts, limi-tés, directs. Le seul domaine qui affiche aujourd’hui une attitude décalée reste le luxe (Kenzo, Dior, Chanel), où une vision différente est réellement mise en avant pour séduire des clients toujours en quête de nouveauté.

D’après Geoffrey Dorne, designer graphique indépendant et auteur du blog Graphism.fr, il y a un fort problème de clivage en France entre le marke-ting, centré sur la vente, et le design graphique, plutôt axé sur l’utilisateur. Les deux visions sont différentes : le client va s’interroger sur le prix et le nombre d’exemplaires d’un livre par exemple (donc sur ce que ça va lui rapporter), alors que le designer graphique fera plus attention à sa com-position et à sa lisibilité, qu’il soit agréable à lire (intérêt de l’expérience vécue). On a donc deux chemins différents pour une même vision, il y a forcément des divergences d’opinions et des tensions dans un projet. Élodie Boyer va plus loin encore lorsqu’elle explique que « le marketing a abî-mé le design : le design doit être meilleur et plus convaincant que le marketing ». Marketing et design graphique ont finalement le même rôle, le design ne doit pas seulement être une décoration, mais ser-vir les intérêts du marketing : tout le monde va dans la même direction et veut le même but, « servir la même cause », mais reste encore à trouver comment concilier les deux univers qui n’ont pas les mêmes exigences...

B Des champs de connaissances singulièrement différents

La revue du Design révèle une réalité rarement évoquée : designers graphiques et clients n’ont pas les mêmes profils professionnels, ne sont pas passés par les mêmes écoles (écoles de commerces ou de marketing pour l’un, école d’Art ou de design pour l’autre), et n’ont pas les mêmes références culturelles et historiques. À partir de ce constat, il est donc évident qu’ils ont du mal à se comprendre et à communiquer, et que la relation de force qui s’établit entre eux n’est pas facile à équilibrer. La première chose qui ressort d’une discussion avec un designer, lorsqu’on évoque sa relation avec son client, est « le manque de culture graphique » de ce dernier. Ce qui peut poser problème, car comme le fait remarquer Élodie Boyer, forte de son expérience de consultante auprès de nombreux clients, ce sont les dirigeants des entreprises, qui sortent d’écoles où ils n’ont pas été sensibilisés à cette culture ni à ces questions de communication graphiques, qui sont amenés à valider les propositions du designer gra-phique. Dirk Béhage partage le même avis, « En France, les dirigeants ne comprennent pas la différence entre la publicité, la commu-nication et le graphisme. Les graphistes reçoivent un enseigne-ment supérieur, mais se retrouvent dans la vie face à des inter-locuteurs ignorants de ce qu’ils savent faire ». (CNAP, 2010).

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Le rapport de DICI Design (2011) révèle ainsi que pour la prise de décision (vali-dation), le design graphique est rattaché à plusieurs directions : la direction générale pour 72 % des cas, la direction marketing pour 50 %, et le départe-ment de R&D dans 20% des cas. Ces résultats montrent donc que les déci-sions concernant le design sont prises prioritairement par les dirigeants et que dans ce domaine, le marketing a un pouvoir décisionnaire important. Élodie Boyer explique : « Ce sont eux qui valident, pourtant ils n’ont pas les clés de compréhension nécessaires à cette prise de déci-sion ». Il y a alors un problème de compréhension et de validation, car « ceux qui sont sensé toujours tout savoir, et incarner la connais-sance, ne savent pas et ne vont pas afficher qu’ils ne savent pas ».

La Revue du Design explique que contrairement aux écoles de commerce qui « de-puis quelques années maintenant, commencent à donner des cours de design », les écoles de design sont encore à la traîne, et il n’y a, par exemple, aucun cours qui prépare les étudiants, futurs professionnels, à traiter avec le client 18. Frédéric Gervais, ancien directeur artistique au sein de Publicis Groupe témoigne « La formation des directeurs artis-tiques manque en particulier d’une dimension marketing : com-ment communiquer avec les clients, comment comprendre et ana-lyser leurs problèmes ? ». « En école de design, il n’y a actuellement quasiment jamais de cours de RH, ou de cours d’introduction à la finance qui permettraient, par exemple, de dire quelle est la va-leur du design, la profitabilité d’un projet, etc ». (Gervais, 2009). La Revue du Design va plus loin en expliquant que les formations en écoles de designers ne dispensent pas de cours de marketing, alors que ces étu-diants seront au final « souvent intégrés dans ce type de services » en entreprise 18. De même, selon Adrian Shaughnessy (2005), « Le meilleur moyen de devenir un meilleur designer est de devenir un client. Si nous voulons éduquer nos clients sur le design, nous devrions commencer par nous éduquer nous-mêmes sur nos clients ». Autrement dit, pour être mieux préparé face aux demandes des clients, un designer se doit de le connaître et de s’intéresser à son monde et son mode de fonctionnement.

Pour combler ce manque, il n’est pas rare alors de voir des designers reprendre leurs études en Mastère Gestion de projet ou Innovation, « pour d’avan-tage légitimer leur position au sein de l’entreprise, mais aussi pour maîtriser davantage les différents aspects du projet ». Stéphane Darricau partage cette opinion « Le graphiste doit apprendre à com-muniquer avec le client, à parler son langage, à comprendre son réel objectif final. Il faut être ambitieux d’un point de vue cultu-rel, mais aussi d’un point de vue pragmatique : faire un appren-tissage des deux. Le graphiste doit apprendre la stratégie com-merciale, et le client doit s’intéresser à la culture de l’image ». Dans cette optique de découverte de l’autre, Étienne Robial, a tenté une approche

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vers le marketing. Dans une démarche pédagogique pour casser les clivages entre marketing et design graphique, il a étudié pour avoir le « même lan-gage qu’eux », et il a enseigné à HEC « pour les former ». Ce qui selon lui s’est révélé une erreur « car au lieu de devenir les alliés des graphistes, ils sont devenus meilleurs, quitte à mettre en danger les travaux proposés ». Ce qui démontre ici une recherche de domination, et non de conciliation, du marketing vis-à-vis du design...

De plus, une analyse poussée des programmes des écoles de marketing révèle un autre face cachée 19. « La quasi totalité des cours proposés ont une approche analytique très poussée qui vise à définir le plus rapi-dement quelles sont les meilleures options pour répondre à une problématique donnée. Par comparaison, les designers auront tendance à reposer les questions, et donc à augmenter les possi-bilités futures de travail, au lieu de tenter tout de suite de fer-mer les portes ». De plus, la pensée enseignée dans les écoles de com-merces et très linéaire, pas du tout itérative comme peut l’être le processus de conception chez un designer. Ceci démontre bien le chemin qu’il reste à parcourir dans l’enseignement entre les « marketeux » et les designers qu’ils seront amenés à côtoyer.

C Design graphique et marketing, vers une intégration des deux champs

Jean-Pierre Gaté considère quant à lui que le design, bien que différent du mar-keting, doit s’intégrer à ce dernier (Gaté, 1998, in Borja de Mozota, 2002). « La technique du design implique d’innover, de créer de l’esthé-tique (...) Cette dimension culturelle et prospective du design re-joint la dimension stratégique de l’entreprise par son aspect vi-sionnaire, mais aussi par ses liens avec la construction de l’identité de l’organisation ». Le designer est un « metteur en forme », tributaire de plusieurs contraintes imposées par le client (contraintes économiques, esthétiques, technologiques, commerciales, etc.). Sa production est dictée par des impératifs préétablis par d’autres professionnels : « le design agit en renfort et s’efforce de démulti-plier les capacités de la technique et du marketing dont il est le partenaire créatif » (Gaté, 1998, in Borja de Mozota, 2002).

Le rapport de la DGCIS (2013) préconise une intégration du design au marke-ting dès le début du projet. Afin de mieux intégrer marketing et design, il est impératif d’inclure le design dans l’ensemble du processus et au niveau de la stratégie même de l’entreprise. Frédéric Gervais, témoigne ainsi « Les créatifs sont réticents face à un planning stratégique qui leur apporte des idées sans les consulter. Ils ne sont généralement sol-licités qu’en bout de chaîne, pour habiller une stratégie qui a déjà été définie par le planning stratégique et vendue aux clients par

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les commerciaux. Pourtant, ce sont bien les créatifs qui sont ju-gés responsables du succès ou de l’échec d’une opération. Ils es-timent donc avoir voix au chapitre » (Gervais, 2009). En étant inté-gré à la direction marketing dès le départ du projet, le designer peut produire une réponse satisfaisante à tous les niveaux : identité, ergono-mie, performance, prix, technique, etc. « Si le designer n’intervient qu’en cours de développement, il répondra à une architecture produit déjà figée ou à un cahier des charges déjà défini. Dans ce cas, il lui sera très difficile de remettre en cause les données d’entrée (...), il se limitera à apporter des réponses en termes d’ha-billage ou de carénage, en intervenant strictement sur l’aspect formel du produit. La force de la démarche design est de pouvoir anticiper certaines caractéristiques en amont ». (DGCIS, 2013). Aussi la solution proposée est la suivante : intégrer le designer graphique dès le début du projet, afin que ces préconisations et son avis soient pris en compte au même titre que ceux des équipes marketing.

1.2.2- Des attentes antagonistes

Nous avons vu que le client, bien qu’il fasse appel à un designer, n’est pas tou-jours au courant de la réelle plus-value que celui-ci peut lui apporter, ni des méthodes de travail et de conception par lesquelles il passe. De même, faute d’enseignement lors de leurs études, les designers graphiques ne sont pas toujours très bien armés pour répondre aux attentes du client qu’elles soient d’ordre professionnel ou touchant aux relations humaines.

En effet, lors de la relation entre le client et le designer, le contrat ne porte pas seulement sur la prestation et la réalisation graphique/ technique d’un projet, mais bien sûr la valeur de cet échange sur l’échelle de la relation humaine. On s’aperçoit alors qu’entre les attentes du client et du designer graphique, les priorités ne sont absolument pas les mêmes.

A Les attentes complexes du client

La web conférence organisée par Kea & Partners sur le thème « Bâtir une rela-tion client de qualité partagée entre commanditaires et prestataires » le 15 avril 2014 20, évoquait les difficultés pour les deux acteurs de se com-prendre, quand ni l’un ni l’autre n’ont les mêmes attentes. Jean-Marc Humbert, président de Kea & Partners, a présenté les résultats d’une en-quête effectuée conjointement auprès de clients et de leurs prestataires. D’après les résultats obtenus, une relation saine entre un client et un pres-tataire se base sur six points cruciaux :1/ connaître le client et son profil (avoir une vision à 360°) ;2 / comprendre toutes ses attentes (avoir la capacité de se charger du pro-blème dans sa globalité) ;

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3/ respecter la commande initiale ;4/ gérer les relations sans avoir à fournir d’effort supplémentaire ;5/ accéder simplement et rapidement aux informations concernant le projet (référent unique tout au long du parcours) ;6/ pouvoir se tourner vers un référent projet en cas de problème ;

De cette enquête, sont également ressortis trois FCS (facteurs clés de succès) importants : la confiance, la compétence, et le bien-être.Des désaccords ont également émergé. Lorsque chacun des deux acteurs doit

évoquer le point le plus et le moins important de sa relation avec l’autre, les résultats sont totalement contradictoires. Le prix n’est pas toujours le facteur primordial pour le client : ce qui prévaut à une bonne relation avec son prestataire, c’est la qualité du service et du bien-être (le « sou-ci du client »), alors que pour le prestataire, le plus important est la com-pétence métier/technique de sa profession. Il y a donc une mésentente, dès le début de la relation, dans les attentes des deux partis. On a d’un côté un client qui recherche de l’attention et de l’écoute, et de l’autre, un prestataire technique et professionnel, plus « froid ».

Lorsque le client passe une commande auprès d’un prestataire, il y a finalement deux aspects : le point de vue technique de la mission et l’aspect relation-nel et humain. Le prix est une donnée pour un service, mais il est aussi lié à des services additionnels qui vont « magnifier » la prestation au client. Le prix n’est pas le seul critère qui caractérise la qualité du ser-vice. La vraie valeur à associer au service proposé repose sur la relation client, l’entente et la confiance. Or le client, s’il est déçu par la prestation, d’un point de vue relationnel et social, ne voudra pas payer le service, qui n’aura qu’en partie répondu à ses attentes (implicites).

Par manque de temps, peut-être de savoir-être, mais aussi par désintérêt, le de-signer graphique n’est pas toujours capable de répondre à la demande d’attention qu’exige son client. Il faut aussi reconnaître que lorsque le pro-jet est payé « au lance-pierre », chaque heure compte, et le designer gra-phique aura tendance à privilégier le temps de travail passé sur les ma-quettes, qui est son cœur de métier, plutôt que le temps passé au téléphone à écouter et rassurer le client, ou aller à sa rencontre lors de réunions à l’importance relative. Personne n’a tort ou raison, les acteurs font ici tous les deux, preuve d’un défaut de professionnalisme, vis-à-vis des attentes de l’autre. Le designer se doit d’être à l’écoute de son client et celui-ci se doit de comprendre le mode de fonctionnement du designer graphique.

B La profession de designer, des codes de travail inhabituel pour le client

Habitué à travailler avec des prestataires de services ou d’autres entreprises, un client peut être dérouté par le mode de travail et de fonctionnement

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du graphiste, notamment sur trois points : le coût de son travail, la quan-tité de travail produite, et ses méthodes de conception.

1 Le prix

Lorsqu’un client prend contact avec un designer, la première question qu’il pose est souvent « Combien cela va t’il me coûter ? ». La réponse du designer graphique sera toujours la même, « Envoyez-moi un brief sérieux ou un cahier des charges, et je pourrai vous faire une première estimation ». Chaque projet est unique. Il est donc impossible de donner le prix de but en blanc au client, contrairement à d’autres prestataires qui ont des grilles de tarifs ou des fourchettes pour chacune de leur prestation. Ce « flou » peut dérouter un client habitué à travailler avec des estimations et devis donnés dans la minute. Le design graphique reste une création « sur-me-sure », et non de la « vente au détail », car chaque client a des besoins et des objectifs différents. Par exemple, chez Creaktif, le prix pour la réali-sation d’un site Internet peut passer du simple au double, en fonction de la quantité d’information à afficher (nombre de pages), de la technologie choisie, de la complexité des animations, de la présence ou non d’un back-office (CMS, système de gestion de contenu), des délais du planning, de la lisibilité sur les mobiles et tablettes, etc.

2 Le choix

De même, un client voudra avoir le choix. Par principe, parce qu’il est habi-tué à pouvoir choisir, à donner son avis, à trancher, que ce soit en choi-sissant la marque de ses vêtements dans un magasin, la marque de sa sauce tomate dans le rayon, ou la chaîne qu’il veut regarder à la télévi-sion. Le client a toujours le choix, aussi veut-il avoir le dernier mot pour une commande graphique. Lucille Tenazab raconte cette anecdote (Millman, 2007, p.166-167). Jeune graphiste, elle est, un jour, appelée à travailler sur le logo d’une grosse entreprise américaine. Elle fournit de très nombreuses propositions, sachant qu’une seule est originale et répond vraiment au projet du client. Pourtant, quelques semaines plus tard, lors d’une réunion organisée entre l’équipe de création et le client, tout le travail qu’elle a fourni, toutes ses ébauches de logos sont affi-chées dans la salle. En vérité, ce stratagème n’a qu’un seul but, « dé-tourner l’attention et donner au client la valeur de son argent ». Cette anecdote illustre parfaitement la manière de travailler et les at-tentes du client : alors que le designer évolue selon un processus sélec-tif, il produit une sélection, voir un seul logo, celui qui répond le mieux à la demande du client (une demande = une solution graphique), le

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client, lui, souhaite voir tout le processus créatif, non pas pour le com-prendre, mais pour mesurer le travail qui a été fait et visualiser ainsi ce qu’il a investi.

Cette différence de perception entre la quantité, le choix et la qualité a été évo-quée par deux chercheurs lors de conférences TEDx. Sheenah Iyengar, évoque la notion de « surcharge de choix » dans notre quotidien (elle prend l’exemple des supermarchés et des milliers de références produits proposées). Une expérience très simple a démontré que la surcharge de choix affecte notre capacité à bien choisir (le choix entraîne le doute) 21. En résumé, en réduisant le nombre de possibilités proposées, les décisions sont plus efficaces, c’est ce que Barry Schwartz appelle le « paradoxe du choix » 22 , et qui est malheureusement contraire aux attentes du client, qui exige « d’avoir le choix », par peur de se tromper, par doute, et par besoin de me-surer le travail produit (il veut « en avoir pour son argent »).

3La gestion du temps de travail

Enfin, le processus créatif tend vers une gestion du temps qui peut surprendre les clients, habitués au management et aux règles de travail rigoureuses dans leur entreprise. Selon Rachel Cazadamont, directrice artistique chez H5, « La hiérarchie gêne le travail du graphiste. Ces couches sont imperméables ». En vérité, il ne s’agit pas tant de la hiérarchie que des méthodes de travail et de management imposées par le client. Jason Fried explique ainsi que « le travail ne se fait pas au travail » 23. Une entre-prise demandera au designer graphique freelance de venir travailler là où elle peut le « surveiller » et ainsi être sûre qu’il est « vraiment en train de travailler ». Le designer préférera travailler là où il se sent bien, chez lui, dans un espace de coworking, dans un bureau partagé, peu importe, un endroit où il garde sa liberté de travailler. Un client souhaitera pouvoir manager les horaires de son designer et qu’il soit disponible pour lui toute la journée. Or, un designer s’occupe de plusieurs projets à la fois, et ne consacre pas ses journées complètes à un seul projet, donc à un seul client. De plus, la journée de travail d’un designer graphique n’est pas unique-ment faite de production, mais également de pauses et de recherche d’ins-piration (surf sur internet, exposition, conférence, lectures, etc.), ce qui peut sembler être du temps de loisir volé aux heures de travail payées, par le client, mais qui participe pourtant au processus de conception.

Dans nos sociétés modernes, la notion de productivité est intrinsèquement liée à la gestion efficace des ressources humaines ; or, un créatif a besoin de s’ennuyer pour être productif. Pour toutes ces raisons, le client ne com-prend pas toujours le mode de fonctionnement du designer graphique, à l’opposé de la manière dont il a l’habitude de traiter ses propres employés et la productivité de son entreprise.

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1.2.3 - La présence des nombreux intermédiaires dans le processus de validation

La relation qui s’établit entre le designer graphique et le client n’est pas une re-lation entre deux personnes. En général, que ce soit du côté du designer graphique ou du client, chaque acteur est en fait une équipe. Le designer graphique, ou l’équipe qui traitera le projet, peut être composée de plu-sieurs personnes (directeur artistique, directeur de création, graphiste, chef de projet, etc.), et le client, une entreprise, peut être représenté par des chargés de projet, chargé de clientèle, etc. Selon Brigitte Borja de Mozota (2002), le design se retrouve continuellement mêlé à trois autres fonctions de l’entreprise : l’ingénierie, la communication/marketing et la gestion (fig.7). La zone de « rencontre de compétences et gestion plu-rielle » est d’autant plus compliquée que les équipes sont nombreuses. Un projet est rarement l’affaire de deux intervenants, mais de plusieurs personnes, voire plusieurs services. Or, plus le nombre d’intermédiaires grandit, plus cela engendre des problèmes de communication, de com-préhension, de prise de décisions contradictoires, de blocage et de valida-tion finale. La multiplication du nombre d’acteurs, au sein d’un même pro-jet, le complexifie souvent plus que de raison.

Figure 7 : Place du design dans l’entreprise et gestion

plurielle des projetsSource : D’après Brigitte Borja de Mozota (2002)

Design

Communication Marketing

Zone de rencontre des compétences et de gestion plurielle de projets

Ingénierie Gestion

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A Le statut du designer graphique au sein d’une équipe pluridisciplinaire

Les entreprises peuvent recourir aux services de design, selon trois possibili-tés : recourir à un designer indépendant communément appelé freelance, faire appel à des consultants externes regroupés en agences de design, ou embaucher un designer dans l’entreprise (généralement nommé « de-signer intégré »).

Chaque option dépend de la stratégie, des enjeux et des moyens de l’entreprise et comporte avantages et inconvénients. Le freelance apporte une exper-tise et des idées nouvelles, mais n’aura ni la connaissance, ni la culture de l’entreprise. L’agence de design aura l’avantage de proposer un ensemble de compétences pour une même mission, ce qui peut être pratique lorsqu’un projet demande à la fois compétences graphiques et techniques (création et développement d’un site web par exemple). Enfin, le designer intégré connaîtra la culture de l’entreprise, mais pourra être un peu bri-dé par la charte graphique de celle-ci et donc moins créatif.

Le designer doit faire sa place au sein d’équipes pluridisciplinaires (ingénieurs et techniciens de bureaux d’études, gestionnaires de projets, équipe du marketing, commerciaux, etc.). De même, le coût du design ne sera pas le même, entre les tarifs d’une agence (qui fournit un ensemble de services et donc un tarif plus élevé en fonction du nombre d’employés travaillant sur le projet), d’un freelance (qui est son propre patron et a des charges et taxes à payer), et un designer intégré, qui reçoit un salaire régulier de son entreprise. La revue du design se pose également la question de la lé-gitimité du designer intégré à l’entreprise 24. En faisant appel à un desi-gner indépendant ou une agence graphique, l’entreprise reconnaît qu’il y a un problème et qu’elle a besoin d’un expert qui mettra tout le monde d’accord, qui rassemblera les opinions divergentes, « formalisera l’ADN de la société », et servira d’arbitre ou de référence en quelque sorte. Avec un designer intégré, apparaissant dans l’organigramme en tant que sala-rié, aussi expert soit-il, sa place et son rôle sont définis et il aura peut-être plus de mal à fédérer les différents services (marketing, design, ingénie-rie). Dans un projet où plusieurs personnes doivent collaborer et prendre des décisions, il doit être capable de créer, au sein de l’entreprise, des liens qui sortent des circuits classiques et permettent de pousser les projets. Travail qui sera particulièrement difficile si les designers ne sont pas en mesure de développer leur légitimité au sein même de leur entreprise.

Le rapport de la DGCIS (2013) nous donne quelques chiffres à ce sujet : 52 % des réalisations commandées par les entreprises sont effectuées par des agences de design. 19 % des réalisations mobilisent exclusivement le savoir-faire de designers intégré, et 29 % des réalisations combinent des ressources de de-sign internes et externes. Enfin, une dernière réalité est la sous-traitance d’agence de communication auprès d’indépendants ou de petits studios

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graphiques (plutôt que de recruter), ce qui permet plus de flexibilité, de compétences, et de marge. Pour les studios de création de petite taille, l’avantage réside dans la possibilité de travailler pour un gros client qu’elle n’aurait pas pu approcher autrement (ce qui est notamment le cas de Creaktif, qui travaillent dans 75 % des cas avec des agences de communi-cation en sous-traitance, et non pas avec le client direct (ANNEXE 1).

B Savoir demander, savoir accepter, savoir rester à sa place

Tous ces échanges et transactions ne sont pas un problème, excepté que dans la majorité des cas, les personnes qui sont censées échanger et communi-quer sur un projet n’ont ni les mêmes intérêts, ni la même connaissance du sujet. C’est ce qui se passe quand un designer doit traiter avec un char-gé de communication, ou un chargé de projet qui n’est pas spécialisé dans le design, mais dans le marketing. Ou alors quand une agence importante qui traite pour un gros client, n’a pas toutes les clés en main pour répondre aux questions du petit studio de création avec qui il sous-traite, et se voit refuser la possibilité de questionner directement un employé compétent chez le client. Les statuts de sous-traitance ne sont pas toujours très clairs, et ces rapports « cachés » se font parfois au détriment du projet. Patrick Paleta, du studio Chevalvert, raconte que parfois les tensions naissent, car le client et le graphiste se retrouvent dans une relation sans issue où « l’in-termédiaire a un pouvoir suffisant pour dire non, mais pas as-sez pour dire oui ». S’ensuit alors une situation qui stagne, et le projet n’avance pas. Ces échanges génèrent une vraie perte de temps pour tous. Chaque personne qui désire alors implanter une nouvelle idée se heurte aux réticences du système établi, et des peurs des autres intervenants.

Il n’est pas toujours facile de faire accepter certaines idées ou choix graphiques peu conventionnels. « Non, ce n’est pas possible », « Non, nous n’avons ja-mais fait ça avant », « Ce n’est pas ce qui a été validé dans les maquettes par la cliente », etc. Pour contourner ces obstacles, il faut faire preuve de pugnacité, mais aussi essayer de s’adresser au client final, le « décideur clé ». Les personnes qui dressent des barrières aux idées novatrices le font gé-néralement par souci du maintien de l’ordre établi, en tâchant de se mettre à la place du preneur de décision. Ainsi, Massimo Vignelli annonce qu’il « ne travaille jamais avec des cadres intermédiaires », car selon lui, « les gestionnaires sont dominés par la crainte de perdre leurs emplois, et par conséquent, ils n’ont pas le sens du risque ». Aussi préfère-t-il travailler directement avec le président ou le proprié-taire d’une entreprise, car « Seule la personne au sommet peut prendre des risques, situation à laquelle il est souvent confron-té » (Millman, 2007, p.219-220). Stefan Sagmeister expose également un projet dans lequel il a dépensé beaucoup d’énergie jusqu’à être lassé de ce processus où on ne sait plus qui écouter et qui décide. Après sept an-

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nées passées à travailler dans le domaine de la musique, il a tout simple-ment pris une année sabbatique, fatigué et frustré de devoir traiter avec « trois clients : la maison de disque, les managers et gestionnaires du groupe, et le groupe de musique », et d’être « le plus souvent la petite balle qui a été jetée entre ces trois grandes entités » (Millman, 2007, p.61).

Parfois, quand trop de personnes travaillent sur un même projet, plusieurs pro-blèmes peuvent en découler : personne ne se sent vraiment responsable du projet, ou alors n’est vraiment disposé à fournir telle ou telle pièce manquante, un autre pourrait s’en charger, mais il est absent, ou alors en réunion... et le projet n’avance pas. De même, dans une boucle de mails, les interlocuteurs sont parfois si nombreux, qu’on ne sait plus à qui les envoyer. Il est impératif d’avoir un interlocuteur qui est capable de mener le projet côté client, de le représenter le plus fidèlement possible, de prendre des risques et de valider, de dire oui si le projet l’a convaincu, et ne pas d’attendre une énième validation qui retardera d’autant le projet. Patrick Paleta conclut que la qualité et les compétences de la personne en charge du dossier côté client sont très importantes pour les bonnes relations et le dialogue : « il faut que chacun reste à sa place et fasse son mé-tier », il ne doit pas y avoir d’inversion des rôles entre le client (marke-ting) et le graphiste (design). Il est donc primordial, pour toutes ces rai-sons, pour conserver l’originalité et le caractère du projet, qu’une personne dans l’équipe soit le « porteur de vision », afin d’assurer la communication au reste de l’équipe, la cohérence du produit conçu, et éviter ainsi l’écueil des intermédiaires inutiles.

C Les problèmes d’ego et de paternité partagés

Dans une interview au magazine de design Designboom, Michael Bierut, graphiste et associé chez Pentagram, célèbre agence de design américain, relate une anecdote sur ces premiers pas de designer 25. « Quand j’ai commencé, je pensais que j’étais le public, et l’objectif était de me faire plai-sir. Puis je me suis rendu compte au cours de ma pratique que le (véritable) client était le public, et l’objectif était de lui faire plaisir ». Ce que révèle ici cette anecdote, c’est que le processus de concep-tion, autant que celui de commande, est extrêmement égocentrique. D’un côté le designer graphique va réaliser un projet qu’on lui a commandé, mais ne pourra s’empêcher d’y mettre un peu de sa personnalité, de ses émotions, de sa vision des choses. D’un autre côté, le client a établi un besoin, il a fait appel à « quelqu’un » pour lui donner forme, mais cela reste sa commande, son projet, ce dont il a besoin, qu’il finance, et donc lui appartient. On re-trouve ici une « bataille d’ego » ou chacun des acteurs pense pouvoir do-miner l’autre par ses arguments et avoir raison quant à sa « paternité » sur le projet commun. Car rappelons que l’un sans l’autre, le projet n’exis-

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terait pas. Il a besoin d’un contenu, donné par le client, et d’une forme, don-née par le designer. Par exemple, Camille Boidron, webdesigner indépen-dant, évoque le « combat de coqs » et les « maquettes Frankenstein », lorsqu’au cours d’un projet, les différents interlocuteurs côté client, vont tour à tour donner « leur » avis, et finir par complètement dénaturer la ma-quette initiale. Certes, chacun aura donné son idée et participé à la concep-tion, mais à quel prix ? La validation d’une maquette dénaturée, qui aura perdu sa qualité et son discours initial.

Pierre Bernard évoque alors l’importance de la mesure et d’un certain équilibre, pour contrebalancer le problème d’ego qui peut être rencontré au cours d’un projet. D’une part, le choix du graphiste est important : « la relation se passe mieux quand le client vient te chercher », et d’autre part, si la relation s’établit à plus ou moins long terme. Tous les projets de Pierre Bernard qui ont cumulé ces deux notions ont garanti un projet qui s’est bien déroulé pour les deux acteurs, le graphiste et son client. Avec le temps et les projets récurrents, chacun des deux partenaires apprend à faire confiance et à se reposer sur les succès des projets précédents, ainsi la rela-tion devient-elle plus sereine. De même, lorsqu’un designer graphique est « choisi » pour son style, ses références, ses projets, le client sait à quoi s’at-tendre, il a déjà une première approche de ce que peut apporter le designer à son projet, ce qui a pour effet de le rassurer. Cette relation de confiance résultant du choix du designer graphique est notamment traitée dans l’AN-NEXE 6, avec l’exemple du projet mené par H5 pour la campagne munici-pale d’Anne Hidalgo, à la mairie de Paris.

Dans le cas contraire, si le désir du client est trop fort, et le designer graphique trop fermé aux recommandations et explications du client, que la com-mande de départ n’est pas assez claire, ou que les conditions de travail (ré-munération) ne sont pas satisfaisantes, le projet ne peut pas aboutir à une bonne production, et la relation de travail sera forcément dégradée entre graphiste et client. Dans ces cas-là, il vaut mieux stopper le projet et cette relation qui ne peut que devenir toxique à la longue.

1.3 – Quand la mésentente entre les deux acteurs impacte le management du projet

Face à toutes ces différences (culturelles et structurelles) qui opposent designers graphiques et clients, le projet est parfois ralenti, voire stoppé, et sa qualité peut en être fortement impactée. On peut citer quatre étapes sensibles , qui constituent autant d’obstacles à surmonter dans la gestion du projet : le brief de départ ou cahier des charges, les méthodes de communication et de ges-tion entre les équipes des deux acteurs, le management du projet, et la phase paiement/facturation. À cela s’ajoute la possibilité de rupture de contrat lorsqu’aucun des acteurs ne parvient à comprendre et à communiquer avec l’autre. Ces étapes qui jalonnent un projet peuvent toutes générer incompré-

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hensions et désaccords entre les deux acteurs, pouvant entraîner des diffé-rends insurmontables et donc l’impossibilité de livrer le projet attendu.

1.3.1- Le travail délicat de la rédaction du cahier des charges

L’un des plus gros problèmes et principale source de discorde entre le client et le designer graphique est sans aucun doute le cahier des charges (ou brief). Il sert à définir le cadre du projet, la problématique du client. Il est le point de départ de la relation entre les deux acteurs, c’est la pierre angulaire. Il est nécessaire dans tout projet de conception, et garantit une ligne de conduite et une traçabilité de la demande. Grâce à sa version écrite (do-cument rédigé et imprimable), il fixe d’une part la demande initiale du projet (pour vérifier que le projet fourni est bien celui qui avait été com-mandé) et il sécurise le designer graphique, afin de faire valoir ses droits si jamais le client n’est pas satisfait du résultat, ou tend à modifier de ma-nière importante le projet en cours de route. Le cahier des charges décrit le problème posé ou le travail demandé par l’e client ; il doit être synthé-tique, précis et opérationnel. Plus le brief est complet, plus le designer aura de matière sur laquelle s’appuyer pour proposer des solutions créa-tives et pertinentes.

Selon Brigitte Borja de Mozota (2002), un bon « design brief » comprend trois rubriques principales : « L’objectif du projet, les informations sur l’entreprise, et les informations sur le projet. Une dernière par-tie réunit les différentes phases du projet et leurs délais succes-sifs : analyse, création et industrialisation ». Ce qui permet alors à chacun des partenaires de réagir avant de commencer à produire. Véronique Marrier, du CNAP, ajoute que « le cahier des charges est l’élément de communication le plus important entre le designer graphique et son client, et qu’il ne peut pas être un copié-collé », car il va indiquer et spécifier tous les aspects du projet : le contexte, le pu-blic visé, l’esprit de création, le coeur de la collaboration, ce qu’on attend, vers quoi on tend, le rétroplanning, le nombre de déclinaisons et modifi-cations, les coûts et délais, le recettage, etc. Au final, le cahier des charges est une sorte de contrat technique et graphique, qui donne la voie à suivre par les deux acteurs. C’est donc un document extrêmement important pour les deux parties (ANNEXE 7).

Historiquement, l’élaboration du cahier des charges est liée à la commande pu-blique, où ce document particulièrement technique est imposé aux enti-tés publiques en raison des contraintes légales de mise en concurrence (code des marchés publics). Or, dans le secteur privé, il n’existe aucune obligation légale relative au cahier des charges et aux procédures de mise en concurrence. Les entreprises privées sont donc parfaitement libres de recourir directement au service d’un designer graphique pour travailler sur un projet, sans passer par une mise en concurrence préalable. Aussi,

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nul besoin de cahier des charges légalement parlant... Et force est de consta-ter que la plupart du temps, soit il est inexistant, soit le diagnostic posé par le client a été mal fait et est donc faussé, soit le cahier des charges est un carcan trop contraignant pour la création du designer.

• Premier cas vécu : le projet est « urgent », il faut le livrer en peu de temps, aussi personne n’a pris le temps d’en rédiger un, car il faut avancer sur la production effective du projet. Ce genre de justification est extrême-ment fréquente, mais la problématique qui se pose est alors la suivante : projet urgent, peu de temps de création, pas d’indications au départ, et donc projet bancal à l’arrivée, ou qui exigera de multiples retours et modifications, et donc des heures supplémentaires de travail (voir les exemples vécus chez Creaktif et cités en ANNEXE 1). Au final, per-sonne n’est gagnant, ni le client insatisfait du projet livré, ni le designer qui a passé énormément de temps à modifier au fur et à mesure, par petite touche, ses maquettes, ce qui est chronophage et épuisant.

• Autre raison possible, le client ne sait pas vraiment ce qu’il veut, il n’a aucune idée de ce qu’il souhaite et laisse donc « carte blanche » au designer gra-phique. Le terme même de « carte blanche » est l’ennemi de la création. Christelle Mozzati, graphiste à Lyon, explique sur son blog « Les idées naissent d’un ensemble de contraintes, qui sont du pain béni pour un designer, un projet sans contraintes est souvent un pro-jet difficilement abordable, puisque trop vague. Comment don-ner une réponse s’il n’y a pas de problématique ? Le brief permet de cadrer, de donner une structure au projet, c’est son point de départ » 26. En croyant ouvrir les possibilités, on ne fait que laisser dans le vague et le flou le plus total le designer. Dans ce cas-là, comment exi-ger un projet qui se tient, qui a un discours et un but, si la demande ini-tiale n’est absolument pas définie. Le designer graphique est là pour conseiller le client, mais il n’arrivera probablement pas à comprendre ce qu’il a précisément en tête. La production sera forcément subjective, et il y a alors peu de chance que le client soit satisfait.

• Autre cas possible : le cahier des charges qui n’en est pas vraiment un, dans le-quel il manque des éléments, où la demande est floue, ou mal identifiée par le client. Il ne faut pas oublier que parfois, client et designer graphique ont une vision différente de la situation et ne parle pas le même langage, aussi il peut arriver que le client, qui connaît bien son entreprise, ait une vision déformée ou incomplète de la situation. Le designer graphique, dans un rôle de conseil, se doit de lui apporter son expérience et de le réorien-ter vers une problématique ou solution plus adaptée à son réel besoin. Mathieu Chevara témoigne. Il a eu l’occasion de travailler pour une entre-prise de déménageur i2t, qui cherchait à refaire son identité. Ce type de demande est très fréquente, parce que le client s’imagine qu’un logo est

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ce qu’il y a de plus représentatif d’une société. Or tout dépend de l’activi-té de l’entreprise. En l’occurrence, pour une compagnie de déménagement, ce qui est le plus visible... ce sont les cartons et le camion de transport. Mathieu Chévara a donc proposé une refonte de la communication de cette entreprise, en travaillant sur d’autres supports et moyens de com-munication auxquels le client n’avait pas pensé (les supports choisis sont ainsi plus adaptés qu’une identité type carte de visite et papeterie). La com-munication, ainsi pensée, jouait sur l’audacieux et l’espiègle, avec un lan-gage et un discours très différents de la concurrence, qui invite au dialo-gue et éveille la curiosité des clients potentiels (fig.8).

• Enfin, troisième cas rencontré : lorsque le cahier des charges a été particulièrement bien rédigé, et beaucoup de soins apportés à toutes les étapes (valeur et po-sitionnement de la marque, concurrence, précisions sur la charte graphique, public cible et attentes, problématiques et objectifs, dispositifs existants et historiques, contraintes techniques, graphiques, éditoriaux, budgétaires, planning et livrables exigés), il arrive que le designer graphique ne soit plus concepteur, mais simple exécutant. Le cahier des charges ayant été validé par le client, le designer graphique se retrouve sans possibilité d’intervenir, de donner son avis, ses conseils et préconisations, et il n’a plus de marge de ma-noeuvre dans le projet. Parfois, le client fixe des objectifs impossibles à réa-liser d’un point de vue technique. Ainsi, lorsque la contrainte trop impor-tante ne peut être contournée, ni le client, ni le designer graphique ne sont satisfaits, ce qui entraîne des tensions dans la réalisation du projet. Creaktif a déjà été confronté à ce type de problème : un client international du do-maine de l’alimentation exigeait dans son cahier des charges « des jeux dé-veloppés en HTML5 (pas de flash) afin d’être compatibles sur les mo-biles ». Or ce type de mini jeu est extrêmement compliqué à développer en HTML5, particulièrement sur de petit format comme les mobiles et tablettes (responsive design, le jeu doit pouvoir s’adapter à la taille de l’écran). Le client a refusé d’écouter les préconisations techniques de l’agence. Cela a entraîné de nombreux bugs particulièrement longs à stabiliser, ce qui n’avait été pré-vu ni dans le planning de développement, ni dans le budget du client.

Figure 8 : Identité visuelle et déclinaison de i2t par Mathieu ChévaraSource : Book annuel de Mathieu Chévara « En long, en marge, en travers », 2013

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Dans tous les cas, il n’y a pas de situation idéale. Un bon compromis serait d’or-ganiser une première rencontre entre le client et le designer afin qu’ils dis-cutent ensemble du brief, puis de rédiger à quatre mains, équipe client et designer graphique, un cahier des charges. Il faudrait plusieurs aller-re-tour, jusqu’à ce que chacun soit satisfait des contraintes énoncées et des solutions proposées. Élodie Boyer, qui a l’habitude de traiter avec les clients et les équipes de designer graphique, approuve. « Le brief doit être tra-vaillé et retravaillé sans cesse, pour bien comprendre, il doit être décodé, pour faciliter le dialogue. Il faut être vigilant, cher-cher le travail à faire, fouiller et comprendre ce qui gêne, ce qui ne va pas et pourquoi ».

Le client doit rester à l’initiative du projet, car c’est lui qui a identifié une problé-matique. Cependant, il a besoin du designer graphique et de son équipe pour développer la solution, et il se doit donc d’être à son écoute. Client et designer construisent ensemble le projet, un bon cahier des charges doit donc être rédigé ensemble afin que chacun des partis y trouve son compte, dans l’intérêt du projet.

1.3.2- Une mauvaise communication qui désorganise les méthodes de travail des deux acteurs

La notion de communication est au centre du processus relationnel. Nous parlerons ici des méthodes de communication, d’un point de vue tech-nique et managérial, qui peuvent être à l’origine de désorganisation dans le projet.

Comme cela a été rappelé au début de ce mémoire, designers graphiques et clients sont issus de formations opposées, travaillant et s’exprimant de manière dif-férente. Bien souvent, les deux partis doivent faire des concessions et ap-prendre à travailler ensemble, d’une manière qui leur est inhabituelle. Selon Adrian Shaughnessy (2005), « pour les designers, avoir des compétences en communication est aussi important qu’avoir des compétences en graphisme, et la plupart des idées échouent, pas parce que ce sont de mauvaises idées, mais parce qu’elles sont mal présentées ». La plu-part des problèmes arrivent à ce moment précis, quand personne n’a établi les règles claires qu’il faudra suivre durant toute la conduite du projet.

Valérie Hauch (1998) explique que la communication est particulièrement sen-sible dans les cas de projet inter oganisationnel, ce qui est le cas pour un projet partagé entre le client et le designer graphique. « Les projets in-ter organisationnels, en imposant une redéfinition des réseaux interpersonnels et de communication, présentent des enjeux re-lationnels élevés. En effet, non seulement les acteurs se trouvent dans l’obligation de se redéfinir par rapport à leurs nouveaux collaborateurs, mais en plus ils sont confrontés à deux logiques parfois contradictoires ». La redéfinition des normes de communica-

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tion est un élément hautement perturbateur au niveau organisationnel et humain, puisqu’il remet en cause des habitudes de communication éta-blie et déstabilise les acteurs avec des logiques parfois antagonistes (Midler, 1993). Les logiques des deux organisations doivent donc être conciliées et assimilées par les acteurs, et il faut donc combiner les compétences de chacun afin d’éviter les mauvaises communications qui peuvent débou-cher sur des incompréhensions (Giard & Midler, 1996).

Il est important de se rencontrer en personne, afin que tous les acteurs prennent possession des mêmes informations, et puissent poser des questions, si besoin est. Pour bien comprendre une problématique, la confrontation physique est plus efficace que les emails ou les conversations télépho-niques. Une fois passée cette phase d’appropriation, chaque équipe tra-vaillera de son côté, avec des méthodes qui lui sont propres, et commu-niquera via différents moyens : email, téléphone, conférences Skype, application et logiciels de suivis de projet, etc. Or tous ces moyens de com-munication, au lieu d’être des atouts, peuvent devenir des contraintes, car trop nombreux, ils sont souvent mal utilisés.

Entre les appels téléphoniques, les emails sur les boites professionnelles, les SMS, les messages sur les logiciels de suivi de projet (Basecamp par exemple), les Dropbox partagés (dépôt et partage de fichiers), on ne sait plus où trouver les informations et les dernières versions validées des documents. De même, entre les designers qui vont faire du recettage (vérification du projet) sur le Basecamp, et le client qui fera de même de son côté (et donc créera des doublons, sur des documents, Word, PowerPoint et Excel), cela nécessite du temps et de la ressource, sans oublier de la patience, pour compiler toutes les informations et obtenir un résultat clair vraiment ex-ploitable. Plus le nombre de personnes travaillant sur un projet est impor-tant, plus le nombre d’incohérences et de problèmes de communication augmentent. Gérard Herniaux (1998) fait état du dilemme de la commu-nication, qui permet à la fois de progresser sur le projet par l’échange d’in-formations (la concourance), mais également de perdre ou gaspiller ce temps si la communication est déviée de sa fonction première.

Ces défauts de communication entraînent un problème de productivité pour les équipes, mais également du stress. D’après une étude menée par SIS International Research 27 auprès de 513 employés, dans différents pays (Allemagne, Brésil, États-Unis, France, Inde, Italie, etc.), « Les soucis de communication sont à l’origine d’une perte de productivité ». Une seconde étude menée par Siemens Enterprise Communications (SEN) ré-vèle que « pour 70 % des salariés de PME, ce sont 17,5 heures par se-maine qui sont perdues. Cela équivaut à 40 % de leur temps pro-ductif, soit une perte de plus de 3 900 euros par salarié chaque année ». Ces données rapportées à notre domaine d’application augmen-tent, car il s’agit de deux secteurs d’activité extrêmement différents qui doivent communiquer ensemble...

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Quatre points importants vont impacter, plus ou moins fortement, le bon dérou-lement du projet, la relation client/ designer et donc, à terme, la livraison :

• L’inefficacité de la coordination : l’étude du SIS International Research 27 révèle que « 70 % des salariés interrogés reconnaissent avoir des pro-blèmes pour coordonner la communication entre les membres de leur équipe, ce qui les empêche de répondre rapidement aux de-mandes les plus urgentes des clients ». Appliqué à notre domaine, lorsque la coordination ne se fait pas, ou mal, cela peut avoir des consé-quences importantes sur le projet. Par exemple, un changement de texte ou de wireframe (maquette simplifiée du projet) non pris en compte peut entraîner un oubli au niveau de la conception graphique et du dévelop-pement technique. Au final, à la livraison, le client ne verra pas la version qu’il a validée, et le projet sera incomplet. Cela entraînera un supplément de travail pour le designer.

• Le retard sur les informations : l’étude du SIS International Research déclare que parmi les personnes interrogées, « 68 % estiment avoir pris du retard en tentant de joindre des collaborateurs pour leur demander des informations ». Il est parfois indispensable de joindre le client pour obte-nir une précision ou pour lui soumettre une idée, dont dépend la poursuite du projet. Le client n’est pas toujours disponible dans l’immédiat (en réu-nion, en déplacement, en vacances, etc.). Le designer graphique est alors dans l’attente d’une validation, et s’il prend le parti de mettre en place son idée, il risque de passer du temps sur une solution, qui ne sera pas validée par la suite. Ce temps « perdu » ne se rattrapera pas.

• Les appels non sollicités : l’étude du SIS International Research annonce que « 77 % des collaborateurs sondés déclarent avoir été dérangés par des com-munications téléphoniques non attendues (y compris celles de moindre importance et les messageries vocales) ». Cette donnée rejoint le discours de Jason Fried 23 qui explique qu’à force d’être dérangé pour assis-ter à des réunions, répondre au téléphone, faire une recherche, répondre à un email, ces taches chronophages distraient et coupent la dynamique de l’activi-té initiale. Au final, il faut plus de motivation, et plus de temps pour se replon-ger dans son travail et mener à bien la tâche initialement prévue. De plus, les retards ainsi générés sur les plannings sont facteur de stress. Creaktif a connu cette situation en travaillant pour une grosse entreprise spécialisée dans l’ali-mentaire : l’équipe chargée du projet côté client demandait systématiquement, après chaque conversation téléphonique, une confirmation écrite par mail, de ce qui avait été décidé. Cette double tâche, inutile pour les designers graphiques, a affecté les plannings de création, puisqu’au lieu de consacrer une heure au design, trente minutes supplémentaires devaient être consacrées à ce compte-rendu, ce qui, au final, amputait sérieusement le temps de création global. De même, à chaque test, dès qu’il y avait le moindre souci ou bug détecté, ce bug était reporté plusieurs fois, sur différentes plateformes, provoquant une véri-table saturation des équipes de création et de développement.

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• Une collaboration freinée : enfin, l’étude du SIS International Research dévoile que « 61 % des employés rencontrent des difficultés pour organiser des réunions avec leurs collègues ». Ces résultats appliqués au monde du de-sign sont d’autant plus vrais en ce qui concerne les horaires et le lieu de réu-nions avec le client. Sans tomber dans le cliché, les agences de création fonc-tionnent en général selon des horaires décalés (10h-20h, voire plus tard en temps de ‹ charrette ›), ce qui n’est pas le cas des entreprises clientes. Aussi or-ganiser une réunion n’est pas toujours évident, car cela cassera forcement le planning de l’autre (trop tôt, ou en plein après-midi pour le designer, ou trop tard et hors des horaires classiques pour le client), ce qui oblige chacun à faire, une nouvelle fois, des concessions. Concernant le lieu, bien souvent le designer est amené à se déplacer chez le client, ce qui empiète sur le temps de création. Une réunion d’une heure chez le client impliquera un déplace-ment, temps qui n’est, bien souvent, pas comptabilisé dans le planning de li-vraison du projet. Il est parfois arrivé chez Creaktif, que l’équipe se déplace à Boulogne chez le client, pour une réunion de 30 min, après avoir fait une heure de trajet aller et une heure de trajet retour, ce qui est clairement du temps perdu (une réunion Skype aurait été plus appropriée...).

Un autre grand dilemme concerne principalement les designers indépendants : la clarification du planning et des jours travaillés. Il peut arriver que des designers indépendants, travaillant à domicile, se voient demander de tra-vailler le week-end, soit sept jours d’affilés, sans repos. De même, en agence de design, il n’est pas rare de voir des corrections ou des éléments impor-tants concernant la conception du projet arriver par email à 19h passées, et demander à ce qu’elles soient intégrées pour le lendemain matin, voire le vendredi soir pour le lundi matin. Cela est bien souvent dû à une mé-connaissance du métier de la part du client (qui pense qu’une correction est assez rapide à mettre en place), ou alors il s’agit tout simplement de mépris pour la profession en général. Les tensions qui peuvent ainsi être créées par ces demandes inappropriées (non-respect des temps de travail et de repos) peuvent alors engendrer des complications (fatigue, ressen-timent, retard non prévu, etc.). Pour éviter ces frictions, le plus simple est encore de bien définir sur le planning, les horaires et jours travaillés, dès le début du projet, notamment, en les incluant dans le cahier des charges et lors de la gestion du planning de production.

1.3.3- Echanger ensemble, convaincre et expliquer, pour éviter les temps improductifs

Une fois le cahier des charges établi et partagé entre les acteurs, le projet peut commencer... et des tensions apparaître, car il y a souvent un problème de management dans les équipes, en raison d’une mauvaise communica-tion, d’erreurs personnelles, d’incompréhensions, ou de l’idée que chacun se fait du projet.

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A La gestion des projets de design

Les designers ne sont pas des salariés comme les autres, qui s’adaptent facile-ment au management d’entreprise ; « créer une équipe design et ten-ter de la gérer de manière ‹ conventionnelle › peut s’avérer beau-coup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord ».

Cet exemple est très bien illustré par l’article de Nicolas Minvielle (2006), qui étudie le cas d’une commande d’une entreprise cliente à une équipe de de-signers : un nouveau design de cuillère (le cas traite du design d’objet, mais est tout à fait transposable à la commande graphique). Le projet ne se dé-roule pas comme convenu, et l’article analyse les différentes étapes qui ont manqué, ou qui ont fait dévier le projet, d’un côté comme de l’autre, au fur et à mesure des rendez-vous. Au final, voici le bilan qui est dressé :

1Le problème des « a priori » :

Le projet ne peut être validé, car l’entreprise cliente « n’a pas fait valoir cer-taines contraintes, considérées a priori comme tellement évi-dentes qu’elle n’avait pas jugé nécessaire de les mentionner ». Ici on trouve un premier problème, c’est celui de considérer l’autre comme son égal en termes de connaissance technique. Les deux acteurs ont des formations, des spécialités, des champs de connaissances et des méthodes de travail différentes. Pour la réussite du projet commun, aucun des deux ne peut se permettre de se baser sur des a priori, tout doit être spécifié. Il n’y a pas de mauvaises questions, ni de mauvaises réponses.

2Le problème des « habitudes » :

L’équipe de designer a fonctionné comme à son habitude, et a designé, en plus de la demande initiale, toute une série d’objets en lien avec la commande, « Par ailleurs, les choses n’ayant pas été précisées lors du pre-mier rendez-vous, les designers ont été jusqu’au bout de leur lo-gique en développant des produits qui, au final, n’intéressent pas la société : plats, verres, etc. ». Dans ce cas-là, la société refuse les produits, et n’a pas l’obligation de rémunérer le travail de recherche qui a été produit, puisque cela ne fait pas partie de la commande initiale. L’erreur provient des designers, mais dans une démarche logique d’iden-tité du service de table, ils n’ont pas pensé à vérifier l’intitulé exact et les conditions de la commande du client.

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3Le problème des contraintes de productivité :

L’exigence du client a dû être revue à la baisse, cette fois-ci pour des raisons tech-niques qui n’avaient pas été prises en compte au départ : « pour renta-biliser un moule, le nombre de pièces produites doit être très im-portant et les contraintes de la productivité conduisent à simplifier les formes pour pouvoir produire à cadence élevée les cuillères ». Aussi la nouvelle forme originale des cuillères est revue et corrigée, ce qui les transforme en des produits plus banals que ce qui avait été envisagé, à cause des contraintes techniques de productivité. Ici l’er-reur produite a été de considérer le produit comme une oeuvre ou objet unique, et non comme un objet usuel, produit en série, et forcément sou-mis à des contraintes techniques et matérielles.

4Le problème de la négligence des contraintes :

Autre point de divergence, un détail qui n’en est pas un, les cuillères dessinées sont trop grandes de quelques millimètres et ne rentrent pas dans les sa-chets d’emballage utilisés pour les protéger. Le problème est ici technique et culturel : les designers ont négligé une contrainte qui leur a paru être un détail, ils ont privilégié l’aspect esthétique, car ils n’étaient sans doute pas au courant de l’ensemble du process de l’entreprise cliente.

5Le problème de l’image de marque :

Enfin, une fois face aux prototypes fournis par les usines, « c’est alors au tour de l’équipe design de faire valoir ses remarques, car l’on se re-trouve alors bien loin du projet initial ». Le résultat est jugé déce-vant par l’équipe de designer, qui ne reconnaît pas son travail ni même son « style », ce pour quoi l’équipe a été engagée. Le projet est commun et ce doit donc d’être une réussite pour les deux acteurs. Or face à une cuillère améliorée, mais au design banal, les designers ne sont ici pas satisfaits du travail produit, qui pourrait porter préjudice à leurs projets futurs (mau-vaise image de la qualité de leur production).

Les réclamations et justifications où chacun pense avoir raison ne servent à rien. Le projet est arrivé à un stade où aucun des acteurs ne se reconnaît par rapport au projet initial, mais qui donne un nouveau projet basé sur des contraintes techniques, matérielles, fonctionnelles ou économiques, et c’est cela la réalité, pas le projet que chacun des acteurs a eu en tête au dé-but du contrat. La situation n’a pas vraiment d’issue puisque chacun des partenaires a ici des idéaux contradictoires : la recherche de la rentabilité

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d’un côté (production en série, amortissement des frais de production, maximisation des profits) et l’originalité et l’esthétique pour l’autre équipe.

Beaucoup de temps, d’argent, d’efforts et de déceptions auraient pu être évités si chacune des équipes avait vraiment été à l’écoute de l’autre (contraintes techniques, budgétaires, esthétiques) et avait communiqué les informa-tions en sa possession. Ces problèmes rencontrés en cours de projet auraient pu être évités avec l’existence d’une équipe de gestion de projet plurielle (meilleure communication des deux métiers dans l’intérêt du projet commun).

Laurent Desmontier, consultant web va également dans ce sens, sur son blog où il évoque le sujet du management du design 28. « On est bien loin du stu-dio de création dont l’objectif premier est de créer de la valeur ajoutée par le design et l’innovation. On est bien loin également des préceptes du Design Management, ce courant managérial im-pulsé dans les années 50/60 qui propose d’appréhender le produit ou le service dans sa globalité ». Selon lui, la majorité des employeurs sont aujourd’hui davantage tournés vers la rentabilité à très court terme grâce à l’application de technique managériale inadaptée au métier (fi-nance, marketing, ressources humaines, etc.). Du point de vue de l’impli-cation des designers dans leur production, il n’est donc pas possible de manager le design comme n’importe quelle entreprise, sans considération pour l’humain, la créativité et l’innovation.

B Les huit points possibles de discorde

Comme nous l’avons vu précédemment, un projet va réunir deux équipes aux méthodes de travail différentes, et lorsqu’un problème sera rencontré, cha-cune des équipes va naturellement tenter de se disculper ou de trouver des excuses. Voici la liste des huit problématiques les plus souvent ren-contrées lors d’une relation client/ designer graphique 29.

• le contrat : La première règle à respecter est d’obtenir, de la part de l’entreprise, un contrat signé qui engage les deux partis sur le projet commun, avec les tenants et aboutissants à livrer, ainsi que la rémunération prévue pour le travail. À défaut, un devis et un bon de commande signés ont valeur de contrat, et symbolisent le début du projet. Patrick Paleta annonce la règle de base de toute relation, « Il ne faut pas commencer à travailler sans un contrat signé, il vaut mieux dire non pour se faire respecter ». Véronique Marrier, du CNAP, complète qu’« il ne faut jamais commen-cer une commande avant d’avoir signé un contrat, il faut apprendre à dire non et à résister », car cela prouve qu’on respecte son travail, et qu’on ne veut pas travailler dans de mauvaises conditions. Les deux parties prenantes doivent y trouver leur compte et des intérêts communs. Pourtant, à la demande du client, de très nombreuses missions « urgentes » commen-

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cent sans qu’aucun contrat ou bon de commande ne soit signé, ce qui laisse le designer dans une position délicate en cas de rupture du contrat.

• Les délais ou deadlines : Il est important de fixer, dès le départ, des délais pour jalonner l’avancée et la livraison du projet. Dans la majorité des cas, les dates sont fixées dans le planning, mais le projet commence avec du re-tard... Pourtant la livraison n’est pas toujours repoussée. Or, la création n’est pas compressible : si une évaluation de dix jours est nécessaire pour fournir un travail de qualité, il est difficile de produire la même chose avec moitié moins de temps. Ce qui est logique, mais pas toujours accepté par le client. C’est donc à ce moment qu’interviennent le plus souvent les ten-sions, car les retards peuvent s’accumuler par rapport à la date de livrai-son initialement fixée, et côté designer, il faut produire, vite et bien, en peu de temps. De plus, un projet qui prend du retard peut entraîner un décalage dans les projets suivants.

• Le choix graphique : C’est la plus fréquente des configurations et certaine-ment la plus éprouvante pour un designer, lorsque le produit livré est conforme au cahier des charges validé par le client, mais que le client n’arrive pas à se décider et à valider le projet. La force de persuasion est alors vraiment nécessaire pour aider le client à se projeter et à ad-hérer au projet, il faut relativiser sur des concepts clairs et simples qui sont irréfutables, afin que ne puissent pas intervenir les goûts person-nels du client, par exemple.

Le choix du graphisme est lié au choix du designer graphique. Cet aspect est bien souvent négligé, au profit d’un « non-choix », basé sur des aspects financiers (sélection du designer qui a proposé un tarif plus bas, ou une réalisation dans des délais plus courts que ses concurrents) ou de méconnaissance (où trouver le « bon » designer, il n’y a pas d’annuaire, ou d’organisme représentatif, contrairement aux agences de pub qui ont pignon sur rue, avec la presse, les pub TV, etc.).

La notion de choix du designer est primordiale à deux niveaux : effectuer un choix sur la base du style graphique (portfolio) du designer garantit une certaine tranquillité d’esprit, et un gain de temps dans le projet pour le client. Par exemple, on peut difficilement attendre d’un designer spécia-lisé dans le design corporate (site de banque, assurance, etc.), d’être très compétent et innovant sur une illustration jeunesse. Pour Véronique Marrier, « Trouver une affinité intellectuelle ou esthétique per-met d’entamer la relation par l’établissement d’un cahier de références partagées, de trouver un terrain de jeux (de mots, graphiques, etc.) et d’entente ». Le designer graphique est alors consi-déré comme un accompagnant à part entière, il y a moins de conflits, car le client sait à quoi s’attendre.

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• l’explication graphique : comme nous l’avons déjà vu, le projet est parfois porté par plusieurs équipes, et plusieurs agences, dans une relation de sous-traitance où tous les acteurs ne se connaissent pas et ne sont pas censés se rencontrer. Aussi, lors des présentations aux clients, ce n’est pas toujours le designer graphique qui a l’occasion d’argumenter ses choix afin de convaincre. Parfois, l’explication n’a pas le temps d’être transmise ou pré-parée, ou le discours qui accompagne le projet de conception n’est pas à la hauteur. L’importance d’accompagner la livraison des compositions graphiques par une explication de la démarche de création est certaine, mais souvent négligée, au risque de générer incompréhension et modifi-cations qui n’auraient pas eu lieu d’être si le projet avait été présenté avec le bon discours argumentatif.

• Les contraintes techniques du projet : avec l’évolution des technologies, notam-ment dans le domaine du web, il est particulièrement important de se te-nir au courant et de s’entourer de partenaires compétents qui sauront trai-ter les éventuels problèmes techniques et répondre à la commande du client. Les problèmes techniques apparaissent lors d’une « erreur de cas-ting » (designer sélectionné pour de mauvaises raisons), ou d’un cahier des charges qui a évolué et où tous les points techniques n’étaient pas préci-sés dès le départ. Creaktif a connu cette situation en travaillant avec un client international du domaine alimentaire. Il n’était pas précisé que le site produit devrait répondre à des critères de sécurité extrêmement ri-goureux, pour éviter le piratage. Cela a donc donné lieu à un travail de re-cherche très pointu et spécialisé pour répondre aux exigences de sécuri-té du client, entraîné des retards sur la date de livraison, des recherches supplémentaires sur le plan technique et surtout, beaucoup de stress pour les deux acteurs, client et équipe de designer.

• Le texte : Un projet ne peut pas commencer sans contenu. D’une part, il va struc-turer la forme à produire (par exemple dans la maquette d’un livre ou d’un magazine, les jeux graphiques possibles dépendent de la quantité de texte de chaque paragraphe). D’autre part, c’est une aide indispensable pour com-mencer à structurer le projet. Un designer n’est pas un copywriter, il n’a pas la capacité ni la connaissance du projet pour rédiger le contenu que le client attend ! Or, le client, bien souvent, n’a pas préparé le texte, base de tout pro-jet graphique, qu’il s’agisse d’un site internet, d’une affiche ou d’un livre. Ces textes peuvent arriver en cours de projet, et le designer est bien obligé de se débrouiller sans lorsqu’il commence, ce qui peut donner lieu à des incohé-rences entre la production du designer et le texte fourni. Ainsi, si la maquette prévoit un texte de 500 caractères, et que le client fournit un texte de 750 ca-ractères, il y aura forcément trop de textes, donc des modifications supplé-mentaires à envisager. Les aller-retour successifs entre les deux acteurs peu-vent être source de grandes tensions et d’erreur sur le produit final livré.

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• Les corrections : De même, les textes ne sont pas toujours bien rédigés ou or-thographiés, et si le client ne fait pas attention à bien relire, le copier-col-ler du designer reproduira ces mêmes erreurs sur les documents finaux (ce qui est très gênant lorsqu’il s’agit un document imprimé en plusieurs milliers d’exemplaires, comme la mauvaise orthographe d’un nom sur une couverture de livre par exemple, mésaventure qu’a vécue Stéphane Darricau). Le designer doit être prudent, prévoyant et attentif pour évi-ter de dénaturer son propre travail. De même, les envois successifs et ré-pétés de mails ou de documents pour apporter une correction par-ci par-là sont généralement à l’origine d’erreurs sur les maquettes. Il est donc préférable de centraliser les corrections au maximum.

• Les aléas du client : Parfois, un mauvais brief de départ a été fourni, la concep-tion a démarré, mais les besoins du client ont évolué, rendant ainsi obso-lètes les maquettes déjà produites. Cette situation est la plus conflictuelle, car du temps de travail a été engagé, le planning est donc faussé, et comme cela ne répond plus aux besoins du client, il ne souhaite pas toujours ré-munérer le designer pour ce travail (qui correspond pourtant bien au ca-hier des charges initial). Dans ce genre de situation, il est important de trouver un terrain d’entente, d’entamer une négociation fonctionnelle et budgétaire. On est alors dans le domaine de la gestion de projet et non plus du design.

Toutes ces étapes du projet sont autant de possibilités de créer des tensions et de provoquer incompréhensions et discorde au sein de la relation client/designer graphique.

1.3.4- Les phases de facturation et de paiement

Une autre source de conflit et de désaccord pèse sur tout projet : la facturation et le payement effectif du projet une fois celui-ci achevé et livré. Chaque projet possède un système de facturation particulier, ce qui peut être plus ou moins lourd à gérer et à accepter pour l’entreprise cliente. De plus, les règles et délais de paiement en vigueur ne sont pas toujours à l’avantage des designers. Cette partie du projet n’est pas toujours prise en considé-ration, elle en fait pourtant partie intégrante et les conséquences de sa mauvaise gestion peuvent être très lourdes, notamment en cas d’impayé.

A Rémunération et types de facturation

La rémunération du designer fait partie du projet. Elle est parfois une vraie épreuve de négociation. Concernant la facturation, comme nous l’avons déjà vu, cela reste un sujet « flou » pour le client, vu qu’il n’y a pas de grille tarifaire affi-chée, et il faut alors se prêter à la négociation. Le prix demandé peut varier en fonction de l’expérience dans le métier, de la créativité et de la qualité

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du service proposé, et, bien sûr, du temps passé sur le projet. Christophe Chaptal de Chanteloup (2011), directeur de cabinet en stratégie, ajoute à cela trois notions à prendre en compte : les honoraires qui représentent le travail d’analyse, de conseil, de création, soit les heures de travail d’une prestation intellectuelle, les droits liés à la propriété intellectuelle et l’amor-tissement des frais techniques c’est-à-dire les moyens utilisés par le desi-gner pour conduire le projet (déplacements, frais juridiques, impressions, maquettes, prototypes, etc.).

Comme nous l’avons déjà abordé, la valeur ajoutée du travail du designer gra-phiste doit encore faire ses preuves, et dans l’inconscient collectif, beau-coup confondent le travail de conception du designer et l’artiste qui des-sine par plaisir. Aussi la phase de négociation de la rémunération n’est pas toujours aisée entre le designer graphique et le client. Les témoignages de designers sont légion à ce sujet : bien souvent, ils ne sont pas choisis pour leurs références graphiques (portfolio), leur style ou leur expérience, mais pour les prix qu’ils proposent. Élodie Boyer nous fait part de son expé-rience de consultante, conseillant de ne pas « se rabaisser, ne pas se coucher face à un client et à ses conditions, il faut être ferme et à l’écoute ». Elle ajoute qu’elle n’a « jamais eu autant de clients de-puis qu’elle dit non ». Le travail du designer est du sur-mesure, ce n’est pas du bas de gamme, et tout a un prix, « ça ne se fait pas en trois se-condes ». Il faut faire le choix de la qualité et expliquer les raisons du coût et des délais au client.

Étienne Robial évoque également ce problème auquel tout designer est confron-té, quelque soient son statut et sa renommée : la valorisation du travail. Il est donc nécessaire de se poser la question de « combien vaut mon tra-vail ? » et de « pour combien suis-je prêt à le céder ? ». On peut faire « cadeaux de la valeur de la prestation, du montant de ce que ça vaut (la valeur ajoutée et l’expérience), mais pas de la valeur tem-porelle », car « si ça vaut zéro, alors ça ne vaut rien » ! Il faut relati-viser pour lutter en faveur d’une reconnaissance du travail, même s’il n’y a pas de budget côté client. Au final, bien souvent le problème du tarif est lié au problème de reconnaissance du métier, cela dépend des clients, de leurs intentions et de leurs budgets. Étienne Robial conclut avec une anec-dote qu’il a vécue, suite à la conception qu’il a réalisée pour le Théâtre de Marigny, dirigé par Pierre Lescure, un ami proche. Étienne Robial a signi-fié sur la facture le prix réel du projet, assorti d’une remise de 50 % sur la facture finale, « pour cause de relation d’amitié ». C’est le choix du de-signer, mais surtout, le devis mentionne cette remise, car il est important que le client soit conscient de la valeur réelle du travail, cela doit rester exceptionnel et ne pas indiquer une dévaluation des prix pratiqués. Les négociations sont importantes pour faire respecter et valoriser son tra-vail, il faut savoir dire non.

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B Délais de paiement et impayés

Le délai de paiement peut devenir très problématique et source de tension dans la relation, car il impacte toute l’entreprise, et non pas seulement le projet. Pour Étienne Robial, le problème principal se situe autour de la notion d’intangible qui entoure la profession. La conception n’est pas matérialisable, aussi il est plus facile de ne pas payer le designer, que l’imprimeur qui a lui utilisé de la matière première, livré un projet concret, matériel, « le graphiste est tou-jours le dernier à être payé ».

D’un point de vue légal « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours nets à compter de la date d’émission de la facture » 30

Or le problème des délais de paiement a été révélé dans le rapport 2006 de l’Obser vatoire des délais de paiement : « la France est clairement en re-tard sur les autres pays, car la pratique des paiements 60 jours fin de mois, voire 90 jours, perdure bien souvent » 31. Ces retards de paye-ment, voire d’impayés, introduisent une réelle fragilité pour le designer ou l’agence de designer qui a livré le projet en temps et en heure. Pierre Maurin (2009) parle du risque client , qui correspond à « l’ensemble des coûts po-tentiels générés par des retards de paiement et/ou des impayés réalisés par certains clients ». Ce risque peut avoir des conséquences financières très lourdes, dans le cas où son coût serait sous-estimé ou ignoré, car « chaque facture non réglée correspond à une quote-part de bénéfice non encaissée », ce qui signifie une perte sèche pour l’entreprise, en cas d’impayé définitivement irrécouvrable ou irrécupérable.

Selon le blog du Gouvernement 32, un grand nombre d’entreprises gardent l’habi-tude de différer les paiements (peu importe leur taille et leur trésorerie...). Ces conséquences sont toujours les mêmes : une insuffisance de trésorerie notable pour le designer ; or le flux de trésorerie est le moteur de l’entreprise. Les petites entreprises sont évidemment plus vulnérables (designer indépen-dant, studio de création, etc.) : une défaillance de trésorerie entraîne un manque pour les charges diverses à payer, et les petites structures n’ont pas toujours le temps et les compétences pour engager une procédure de recouvrement.

Aussi, pour éviter d’être payé trop tard (passé 90 jours), ou pas du tout, de nom-breux designers ont recours à l’avoir, ou payement partiel, qui représente 20 à 30 % de la facture finale, versé dès le début du projet, et participe à appuyer le projet dans des conditions « réelles ». Le client ayant déjà payé une partie du travail a donc tout intérêt à aller jusqu’au bout du projet ; le designer ayant reçu une partie du paiement peut s’engager plus sereinement dans sa réali-sation. Il existe également les pénalités de retard, mais dans la très grande majorité des cas, bien que rendues récemment obligatoires par la loi, plus de 80 % d’entreprises ne les appliquent pas dans la pratique, et lorsque le chèque de payement est enfin expédié, les designers préfèrent l’encaisser et passer à autre chose, plutôt que continuer à se battre pour récupérer des miettes...

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1.3.5 – La rupture de la relation client/designer graphique

Il arrive que la relation entre le client et le designer atteigne un point de non-retour qui aboutisse à la rupture du contrat. Cela est relativement rare, puisque chaque partie s’engage en début de projet au vu de ses com-pétences et du temps qu’elle peut consacrer au projet. L’aspect finan-cier peut-être assez important, et une fois que du temps a été consa-cré à un projet, il vaut mieux le terminer afin que ce temps travaillé soit payé et donc rentabilisé. Il est important de satisfaire son client, afin de garder de bons rapports en vue de future collaboration, voire une bonne réputation pour en toucher d’autres via le bouche-à-oreille par exemple. Cette relation est basée sur le respect, il est donc impor-tant d’aller jusqu’au bout, que l’on soit client ou designer, et dans le cas contraire, tout travail engagé devrait être payé, ou indemnisé.

Toute relation est considérée comme un processus, qui s’achève soit par un heureux dénouement, soit par une rupture (Gammoudi, 2009), car qui dit relation signifie échanges et donc risques de difficultés. On parle alors de détérioration de la relation, ou de rupture du contrat.

• La détérioration de la relation intervient en général de manière progressive, suite à certains manquements dans le fonctionnement normal de la rela-tion d’échange (erreur, non-respects des droits de l’autre, etc.). La rupture apparaît alors comme la meilleure solution « afin d’éviter la déperdi-tion ou l’affaiblissement de la relation ». Certains témoignages amè-nent à penser que certains projets n’ont pas d’autres solutions que de se terminer de manière négative, par une rupture de contrat. Il n’est parfois pas possible d’avancer ensemble sur un projet, ou alors la situation est to-talement bloquée, sans issue positive envisageable. Pour reprendre le té-moignage de Patrick Paleta du studio Chevalvert, « Il vaut parfois mieux arrêter un projet, car cela créé du stress, de la déception et du temps de perdu. Mieux vaut alors changer d’agence sinon on se retrouve avec un fort décalage qu’il est difficile de corriger quand le projet avance ».

• La rupture peut apparaître à n’importe quel moment du processus, être partielle ou totale, voulue par les deux partenaires, ou subie par l’un d’eux. Par exemple, après avoir travaillé sur un appel d’offres pour une grande marque de beurre, Creaktif a finalement choisi de ne pas continuer la deuxième partie du contrat, car la relation avec le client n’était pas très favorable (pas assez d’écoute et de discussion, des délais trop serrés, pas de respect du tra-vail effectué). La rupture peut également intervenir quand l’un des deux partenaires est défaillant pour des raisons budgétaires ou temporelles (par exemple, projet du client reporté à une date ultérieure (non connue), l’en-veloppe budgétaire initialement prévue est revue à la baisse et ne permet plus d’honorer la commande initiale). Le contrat est alors annulé.

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Cependant, avant d’envisager une rupture de contrat, il est important que chacun des acteurs s’interroge sur le coût de la perte du client. Selon Gilles Barouch (2009) « Un client perdu, c’est d’abord une perte d’image pour votre entreprise : on dit qu’un client mécontent en parle à dix personnes, un client satisfait à trois ». Cette maxime illustre bien la situation : l’entreprise doit réfléchir au coût du projet, et à ce que la fin de ce projet peut lui coûter sur ses projets futurs. De même, ces pertes peuvent se répercuter sur du temps à investir dans la recherche de nouveaux clients (dépense supplémentaire en temps et argent. Il faut prendre en compte le coût de l’insatisfaction client (coût des retours, des reprises du travail, des remises, coûts de ges-tion des réclamations, des conflits, des procès, etc.). L’enjeu écono-mique et financier de la satisfaction des clients est donc considérable, et doit être pris en compte comme une priorité.

Afin d’éviter la rupture de contrat et la perte d’un client, trois étapes peuvent être respectées par le designer. Ce sera tout bénéfice pour l’entreprise et le client : aucun des deux ne se fourvoiera dans une mauvaise relation :

• Établir un devis et un cahier des charges le plus précis possible ;

• Discuter longuement et à plusieurs reprises pour bien cerner le client, sa personnalité, et le projet. Certaines relations ne peuvent pas aboutir, car les caractères et personnalités des acteurs sont opposés ou trop forts, la relation ne mène alors nulle part. Patrick Paleta témoigne à propos d’un de ses projets, suspendu en cours de route. Le client cher-chait un logo pour le représenter. Malgré les propositions et amélio-rations demandées, il ne parvenait pas à être satisfait des propositions du designer. Le client attendait un projet extrêmement personnel qu’il avait confié à une autre personne. Aussi, après un certain temps de travail et la situation n’évoluant pas, Patrick Paleta a décidé de stop-per la relation, devinant que ce qu’attendait le client ne pouvait pas être réalisé par une autre personne que lui-même.

• Identifier et hiérarchiser les besoins du client afin de prioriser les actions en fonction de ses attentes, pour coller au mieux au projet. La classi-fication par ordre d’importance peut aider à temporiser un projet lorsque la relation tend à se détériorer. Cela permet de poser des bases objectives pour faire coïncider le travail du designer graphique et les attentes du client.

En conclusion, nous pourrions également évoquer le CRM (Customer Relationship Management ou gestion de la relation client), un logiciel basé sur la connaissance du client, partagé par tous les collaborateurs.

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Il s’agit d’une sorte de base de données très bien organisée, mémoire collective des transactions avec tous les clients de l’entreprise, et qui permet de gérer au mieux les échanges, documents, historiques des contacts et coordonnées, prise de notes, etc. et qui centralise, au même endroit, toutes les informations nécessaires à l’écoute et à la connais-sance du client. Bien que cet outil s’adresse en priorité aux grandes entreprises, mais également à la PME, il faut reconnaître qu’il est en-core loin des usages requis par un designer. Le CRM pourrait être un vrai plus sur un projet de longue durée faisant interagir de nombreux intermédiaires, mais dans ce cas là, le logiciel serait plus utile à la ges-tion du projet qu’à la gestion du client. De plus, en l’état, le designer indépendant, ou les toutes petites agences constituées de moins de dix personnes, travaillent de manière assez privilégiée avec leurs clients (contact direct, relativement peu d’intervenants), et n’ont donc pas be-soin d’utiliser ce type d’outils, ou tout au moins, pas dans leur forme actuelle.

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Partie 2

Comment améliorer la relation

entre client et designer graphique

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La première partie de ce mémoire professionnel était consacrée aux raisons des divergences existant dans la relation client/ designer graphique. Nous avons vu qu’elles étaient nombreuses, d’ordre culturel, managérial, et sociétal. Nous avons également détaillé les différentes conséquences que cette mauvaise relation peut entraîner dans la gestion d’un projet, sur les quatre axes principaux que sont la rédaction du cahier des charges, les moyens de communication, le management du projet et la phase de facturation/ payement. Tous ces éléments permettent de mieux cerner le problème de ces deux acteurs qui ne parlant pas le même langage, ne se comprennent pas toujours, mais doivent cependant œuvrer sur un projet commun.

La seconde partie de ce travail de recherche est axée sur les solutions pouvant être mises en place afin d’améliorer la relation entre les deux acteurs, d’un point de vue du management, de la communication, et de la confiance : d’une part en surpassant le problème de management, en améliorant l’as-pect sociologique et humain de la relation, notamment en jouant sur l’em-pathie et la présence de médiateurs, d’autre part, en dispensant des ensei-gnements permettant aux deux acteurs de mieux appréhender l’univers de l’autre voire déboucher sur de nouvelles méthodes de management pro-venant de l’univers particulier de la conception.

2.1 – Différentes techniques sociologiques et managériales pour améliorer la communication

Notre société est régie par un code du travail et des relations qui ne facilite pas les relations horizontales et le travail collaboratif. De nouvelles notions, telles que le coworking, le crowdfounding, et les livings-labs, dans les-quelles la hiérarchie est abrogée au profit de la collaboration, sont en vo-gue, mais elles n’ont pas encore fait leur apparition dans les entreprises comme celles des clients des designers.

Quatre approches peuvent être envisagées pour résoudre la mauvaise commu-nication entre client et designer : la collaboration horizontale, le dévelop-pement de la confiance, l’usage de l’empathie, et l’aide d’un médiateur ou AMO (Assistance à Maitrise d’Ouvrage).

2.1.1 – Reconsidérer l’Homme comme un collaborateur et non un subordonné

Faire appel à un designer revient à travailler avec une personne externe à l’en-treprise ou à l’équipe du client. Même si des clauses contractuelles défi-nissent une relation de partenariat entre les acteurs, cette notion est sou-vent galvaudée, mal perçue, et les notions de transparence, confiance,

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collaboration disparaissent au profit d’une idée de prestation et de subor-dination, « je paye, donc je décide ». Il y a un vrai travail d’éducation et de mentalité à faire du côté du client, plutôt habitué à des relations hié-rarchiques au sein de son entreprise et dans son rapport avec ses parte-naires commerciaux (Up-down et bottom-up, de Montmayeul et Llory). Élodie Boyer témoigne ainsi « Le problème n’est pas que français, ni public ou privé : tout le secteur est touché par ce problème de re-lation difficile entre le graphiste et le client : c’est avant tout un problème structurel, mais c’est aussi la raison d’être de la pro-fession ». Il est donc important pour que la relation se passe dans de bonnes conditions et avec un vrai échange, que les deux partenaires soient à égalité face à la mission, qu’ils apprennent à s’écouter et se considèrent comme deux professionnels travaillant ensemble, dans un but commun.

A La théorie de l’agence

Cette relation verticale entre le client et le designer est définie par la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976). Toute organisation est constituée d’un ensemble de contrats qui déterminent les relations des acteurs. Parmi celles-ci, les deux auteurs distinguent les « relations d’agence », dans les-quelles il y a un mandant qui délègue une tâche quelconque à un manda-taire qui, lui, exécute l’action. Cela implique une délégation de nature dé-cisionnelle à l’agent.

Pour qu’il y ait relation d’agence (ou client/designer graphique), trois conditions doivent être réunies :

• Une asymétrie informationnelle : la connaissance technique et culturelle du de-signer fait que le client (ou son équipe projet) est dépendant de ses conseils et préconisations pour la réussite du projet.

• Une incertitude sur l’attribution des résultats : jusqu’à la fin du projet, l’équipe projet du client ignore ce que vaut le travail du designer, puisqu’il s’agit d’un acte de création reposant principalement sur des critères subjectifs. On peut aimer ou être déçu par l’objet produit, même s’il répond parfai-tement au cahier des charges établi en début de projet. Le projet peut donc être vécu comme un échec ou une réussite, selon que l’on se place du côté du designer ou du client, en fonction de la subjectivité de chacun.

• La disparité des rôles : Le mandant oblige le mandataire à mener son action dans le sens qu’il lui a fixé, tandis que le mandataire jouit d’une (petite) marge de manœuvre par rapport au mandant. Dans tous les cas, le client aura le dernier mot sur la validation du projet, au détriment parfois de l’avis et de l’expérience du designer. Cette théorie de l’agence, appliquée au domaine étudié, révèle donc une grande asymétrie des rôles.

Cependant, selon Leroux et Pupion (2007), la théorie de l’agence appliquée à la prestation de service (catégorie légale du design dans le code norme NAF) entraîne une relation d’agence singulière. La relation entre les deux ac-

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teurs, étant gouvernée par un contrat signé des deux parties (avec notifi-cation des attentes et rétribution), diffère d’une relation classique d’auto-rité. On parle alors de « dyade », ou de relation dyadique, qui nécessite la coopération des deux parties, « chaque partie ayant une influence sur la performance atteinte par l’autre. Les obligations sont, a priori, réciproques et les acteurs délimitent conjointement les tâches à accomplir puisqu’ils ont besoin de mutualiser des res-sources pour monter un projet intéressant les différentes parties ».

B La dichotomie du design

Paula Scher explique que la « dichotomie inhérente à la conception gra-phique » est l’une des choses qui lui plaît le plus, mais qui est aussi la plus difficile à gérer (Millman, 2007, p.128) : d’un côté, le client, qui exprime un besoin et rémunère le designer pour la solution qu’il va lui apporter, et de l’autre le designer qui va aider le client à exprimer un message de manière appropriée et /ou originale. Le projet est donc autant une pro-duction du client que du designer, c’est un projet dont la paternité est par-tagée : les deux acteurs devraient donc être sur un pied d’égalité. L’un, sans l’autre, ne peut donner naissance au projet final, ils doivent travailler en-semble, main dans la main, pas l’un « au-dessus » de l’autre. Pour Paula Scher, cette dichotomie peut provoquer des tensions liées au projet :

D’après Pierre Bernard, le problème de l’attitude et de la communication n’existe pas seulement entre le graphiste et le client, mais entre les personnes, de manière plus générale, quels que soient leur rôle et leur fonction : les gens ne savent plus communiquer et s’écouter les uns les autres. Le second pro-blème rapporté est celui de la structure dans notre société : le client se pose en tant que « dominant », qui paye, et donne les ordres, alors que le graphiste est en position de « dominé » et d’exécutant. Les deux acteurs sont bloqués dans un modèle stéréotypé où la vente prédomine (schéma de l’offre et de la demande qui régit tous nos échanges commerciaux).

Il est donc nécessaire de parvenir à un vrai changement, pour une communica-tion non plus verticale (pyramidale), mais horizontale (d’égal à égal), comme c’est déjà le cas en Suisse ou en Hollande, car c’est une pratique socialement acquise. Ces problèmes relationnels ne sont pas seulement culturels, mais bien sociaux, et différents selon les pays.

C Le principe de coopération

Un autre axe intéressant à développer dans la recherche d’une meilleure relation entre client et designer est la notion de coopération en situation de tra-vail, développée par Christophe Desjours (1993). Voici la définition don-née par le chercheur « La coopération : ce sont les liens que construi-

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sent entre eux des agents en vue de réaliser, volontairement, une œuvre commune ». Les liens signifient ici la relation d’interdépendance et d’obligation que les acteurs ont l’un envers l’autre. Le verbe construire est à comprendre comme une volonté réelle (construction humaine) éma-nant des acteurs, et qui n’est pas déterminée par l’environnement ou le fruit d’une contrainte extérieure sur les agents (comme un contrat par exemple). En d’autres termes, la notion de coopération doit être une ini-tiative, et non une obligation, un libre-choix dicté par une volonté et la conscience de l’engagement.

Cette notion de coopération n’est pas facile à appliquer pour deux raisons : l’or-ganisation du travail et le management visent à la répartition des tâches entre les acteurs. L’entreprise s’arrange avant tout à diviser, et non à syn-thétiser, à mettre en commun. « En France, l’organisation du travail insiste davantage sur les relations de discipline et de pouvoir, sur les limites des domaines de compétence que sur les liens de coopération, donc sur ce qui divise plutôt que sur ce qui unit ». L’organisation du travail fixe essentiellement les relations entre fonctions. Plusieurs éléments permettent cependant d’aider à la coopération et à rap-procher des acteurs pour qu’ils travaillent mieux et collaborent ensemble : la culture de l’entreprise, les expériences communes, les langages et jar-gons professionnels (la règle langagière - Cru, 1985, p.48-55). Or de par leur relation inter-entreprise, les deux acteurs ne partagent pas du tout ces no-tions qui pourraient favoriser la coopération (il n’ont ni culture ni expé-rience commune, et comme nous l’avons déjà vu, pas la même manière de s’exprimer ni le même vocabulaire).

D La collaboration horizontale

Aussi, afin de parer aux problèmes engendrés par cette asymétrie informa-tionnelle, l’incertitude et la disparité des rôles, et glisser vers le concept de dyade développé par Leroux et Pupion (2007), la collaboration ho-rizontale prônée par Pierre Bernard pourrait être une première solu-tion. Les deux acteurs ont tout à y gagner.

Dominique Turcq appelle à une prise de conscience 33. La hiérarchie verticale renvoie aux objectifs individuels (produire, vendre, exécuter les ordres…), tandis que la hiérarchie horizontale implique la contribu-tion de chacun au collectif. Nos organisations sont structurées par des hiérarchies verticales, mais la collaboration rend possible l’apparition d’une autre dimension qui ne respecte ni les silos, ni les matrices. Les individus peuvent se connecter, échanger du savoir, se motiver les uns les autres et collaborer, ce qui leur permet d’avancer plus efficacement et plus rapidement, ensemble, sur un projet. Tout le monde est finale-ment gagnant puisque grâce à ce système de hiérarchie horizontale, le coût des transactions est considérablement réduit, la productivité aug-

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mentée, l’engagement renforcé et l’innovation accélérée. C’est donc une évolution plutôt positive pour le projet. Cette nouvelle vision du mode projet apporte ainsi plusieurs avantages et a un fort potentiel. Par exemple, Frank Ostroff, auteur de « L’Organisation horizontale » (Ostroff, 2000) estime que les entreprises migrent vers une structure plus hori-zontale que verticale, car elles sont à la recherche de gain de temps et d’un meilleur service à fournir à leurs clients, ce qui est facilité dans les relations horizontales. Il ne s’agit pas vraiment d’abandonner une structure pour une autre, mais plutôt de mettre en œuvre « le meilleur des deux mondes ».

Trent Walton démontre le bien-fondé d’une organisation horizontale plutôt que verticale 34. Dans le cas d’une conception pour un projet de webde-sign par exemple, trois équipes se succèdent : les planificateurs (l’équipe marketing, l’équipe client), les concepteurs (designers) et les déve-loppeurs (dirigé par l’équipe client ou le designer). Dans ce type de projet, on passe successivement de la stratégie à l’exécution. Or cela ne fonctionne pas bien, car il y a une nécessité de synergie et d’une coo-pération entre les acteurs, il y a un besoin d’échange au cours du pro-jet. Ce type d’organisation successif n’est pas efficace et fait perdre beaucoup de temps aux trois acteurs. Le cloisonnement des postes est un réel problème dû à la hiérarchisation et à la conduite de projet (top-down). Idéalement, chaque rôle contribue à la stratégie du projet, aus-si chaque acteur doit avancer ensemble sur une ligne horizontale. Des domaines tels que la compatibilité des périphériques et la « dette tech-nique » (relevant généralement des développeurs et souvent négligée jusqu’à la dernière partie du projet) devraient constituer une partie es-sentielle de la planification stratégique.

Une autre option consiste à mettre en place une équipe plus tactique, qui per-mettra l’itération et l’avancée du projet avec plusieurs cycles de plani-fication, de conception et de code, rapidement et de façon indépen-dante (fig.9). Plusieurs structures sont possibles en fonction du besoin du projet : l’idée est de réunir des équipes aux rôles complémentaires, de manière véritablement collaborative. Lorsque différents ensembles de compétences sont combinés de cette façon, les gens apprennent les uns des autres. Il y a donc partage de compétences et échange de sa-voirs faire.

Une telle gestion de projet peut être rapprochée d’un management basé sur l’holacratie (ou holacracy), prônant une nouvelle génération d’organi-sations plus égalitaires, intégrant agilité, transversalité, intelligence collective, réunions efficaces au-delà des ego, leadership distribué et structure organique 35.L’holacratie est un système organisationnel de gouvernance qui permet de disséminer les mécanismes de prise de dé-cision au travers d’une organisation fractale d’équipes auto-organisées, ce qui diffère d’une hiérarchie classique ou d’un fonctionnement top-

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down. Le concept est né en 2007, lorsque Brian Robertson, l’éditeur de logiciel américain Ternary Software, a défini une nouvelle forme de management au sein de son organisation. L’holacratie (du grec Holon, le « tout ») peut s’apparenter aux cellules d’un organisme, à la fois au-tonomes et dépendantes de celui-ci, qu’elles contribuent à édifier. De nombreuses entreprises ont déjà adopté ce modèle, aux États-Unis, en France, Royaume-Uni, Allemagne, Nouvelle-Zélande, etc. L’holacratie permet aux organisations qui y ont recours de bénéficier du savoir-faire de leurs équipes, de fonctionner avec davantage de transparence et de susciter plus de motivation de la part des travailleurs.

Figure 9 : schéma de répartition des rôles au sein d’une équipe projetSource : http://trentwalton.com

A : répartition actuelle : équipes successives

Plan Design Code

Team 1 Team 2 Team 3

B : répartition préconisée : équipes mixées

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2.1.2– L’importance d’établir une relation de confiance entre les deux acteurs

Pour établir une bonne relation entre les acteurs d’un projet, il est impératif que la confiance soit partagée : elle facilite les échanges et permet la création de relations durables entre les partenaires. Elle constitue la clé et le ciment des relations interentreprises. Le concept de la confiance a largement été étudié dans divers domaines comme la psychologie, la sociologie, l’éco-nomie, ou même le marketing. Il est polysémique et n’a pas de définition générale, puisqu’il varie en fonction du contexte dans lequel il est étudié (Guibert, 1999). Ses applications sont très utiles lors de relations interen-treprises, comme entre client et designer graphique.

Cette confiance se construit pas à pas, au fur et à mesure de la multiplication des transactions. La vision à long terme ainsi que la transparence dans les échanges entre les acteurs constituent deux facteurs clés de succès. Quels que soient les contextes et les domaines de recherche étudiés, il est communément ad-mis qu’elle contribue largement à la formation, au maintien et à l’améliora-tion des relations entre les partenaires. Elle empêche les dysfonctionnements au sein d’un groupe, procure une satisfaction certaine dans le travail et dans les décisions, accroît l’implication du salarié dans la performance et crée une meilleure cohésion de l’organisation. (Cherif-Benmiled, 2012).

A La construction de la confiance

Christophe Desjours définit la confiance comme suit « La confiance est une relation entre deux personnes (ou davantage), caractérisée par la connaissance que chacun a des principes éthiques qui organi-sent les conduites de l’autre. En d’autres termes, la confiance est ce grâce à quoi je peux prévoir la régularité des conduites de l’autre » (Desjours, 1993). La confiance favorise le sentiment de sécurité qui peut exister dans une relation où plusieurs acteurs qui ne se connais-sent pas, qui ne partagent pas les mêmes codes, la même culture, sont amenés à travailler ensemble. La confiance est donc en partie fondée sur l’observation et la connaissance des conduites de l’autre, et sur la concor-dance entre ses actions et sa parole.

Selon Donada et Nogatchewsky (2007), « avoir confiance en quelqu’un, c’est croire qu’il peut et veut agir de façon positive ». Cette croyance re-pose sur deux arguments : un argument technique qui lie la confiance aux compétences des partenaires, c’est-à-dire, la croyance dans les capacités de l’autre à réaliser la tâche (sa crédibilité) et l’argument moral qui met l’accent sur l’honnêteté et la bonne volonté des partenaires (croyance dans l’engagement moral de l’autre à agir de façon positive en cas d’imprévu, la bienveillance du partenaire). Dès lors, la confiance se fonde sur la répu-tation des partenaires et sur leurs expériences passées.

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Selon Mangematin (2009), « La confiance existe, mais ne préexiste pas a priori », elle se construit au fur et à mesure du temps et de la relation. La confiance se mérite et n’est pas accordée dès le premier abord. Sa na-ture et ses caractéristiques dépendent de son mode de construction. La confiance se développe rarement instantanément, et peut même dispa-raître (Rousseau et al., 1998, in Delerue et Berard, 2007 ). C’est un senti-ment difficile à contrôler, qui va croître progressivement, grâce à un pro-cessus volontaire : plus on travaille ensemble, plus on se fait confiance et mieux on s’adapte aux circonstances. Enfin, la relation de confiance ne peut exister que si l’autre personne fait de même. Si vous mettez votre confiance dans un client, ce dernier doit faire de même, sinon rien ne peut se créer. Il faut que cela soit bilatéral.

Plusieurs variables peuvent interagir pour créer, maintenir ou réduire la confiance (Mangematin, 2009) :

• dans le cas où deux personnes ne se connaissent pas, elle peut être générée par les garanties légales qui réunissent les deux acteurs : le contrat ou le ca-hier des charges par exemple qui est partagé ;

• les échanges passés entre les deux acteurs vont aider à maintenir un bon rapport et renforcer la confiance qu’ils ont commencé à développer : c’est l’expé-rience de la relation (voir la partie « la confiance dans le temps » ci-après) ;

• le partage d’une culture/ routine commune aide également à construire et main-tenir la relation de confiance, le fait de communiquer avec un « pair », qui comprend et se base sur la même culture, une vision du monde similaire, une expérience passée partagée.

B Les différents types de confiance

La confiance peut revêtir de multiples formes. Dans certains cas, elle peut se li-miter à des relations institutionnelles (au sein de l’entreprise, avec la hié-rarchie), des relations interpersonnelles (entre les acteurs du projet), ou des relations inter organisationnelles (entre deux institutions).

La difficulté particulière de notre sujet est le suivant : il s’agit de trouver une ap-proche de confiance sur un double terrain, à la fois la relation inter orga-nisationnelle (deux entreprises, celle du client et celle du designer) et d’une relation interpersonnelle, entre le designer et l’équipe projet du client. Le niveau est complexe, car il mélange, sur un même plan, plusieurs critères qu’il faut pouvoir valider ensemble.

Au sein de la relation interpersonnelle, la confiance revêt plusieurs formes et concepts qui diffèrent en fonction des acteurs. Langlet (2006) en a, par exemple, identifié deux types :

• la confiance inspirée de la personnalité (character based) repose sur le caractère et la culture de l’autre, sur la croyance selon laquelle la personne en qui on place sa confiance ne va pas exploiter la situation et se comportera comme on s’y attend (idée d’intégrité et de fiabilité, de prévisibilité des actions) ;

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• la confiance basée sur les compétences (competence based), axée plutôt sur la prestation du partenaire, sa capacité à accomplir une tâche de manière sérieuse et professionnelle, grâce à son expérience et sa pratique.

Virginie Langlet conclue ainsi, « La confiance entre un prestataire et son client s’attache en résumé à ces deux perspectives : la confiance en des intentions et la confiance en un résultat attendu ».

La confiance inter-organisationnelle peut s’appuyer sur trois niveaux d’antécé-dents qui vont aider, ou accélérer, sa création entre les équipes partenaires (Donada et Nogatchewsky, 2007) :

• la confiance est directement liée à l’entreprise partenaire, et à ses caractéris-tiques intrinsèques au sein de son environnement (réputation, taille, per-formance, etc.) ;

• la dyade (relation entre les deux entreprises) est également mesurée : l’interdé-pendance des partenaires, l’équilibre de leurs pouvoirs, le partage de leurs valeurs, l’ancienneté de leur relation, etc.

• la mesure de l’échange consiste à évaluer la relation entre les personnes respon-sables de l’échange : le déroulement de la coopération (comportements coopératifs, opportunisme, conflit), la qualité des interactions (commu-nication, fréquence des contacts) et les affinités entre les individus impli-qués dans l’échange (sympathie, similitude, satisfaction dans l’échange).

Selon Mangematin (2009), « une fois que les principes généraux ont été ar-rêtés et que la coopération donne lieu à un travail en commun, la confiance change de nature et de rôle : d’inter organisationnel, elle devient interpersonnelle ». Cela montre bien qu’à travers la ges-tion d’un projet, deux types de relations de confiance sont noués, ce qui complique davantage la relation entre les acteurs du projet.

C La confiance dans le temps

La relation de confiance se construit dans le temps. Elle peut avoir un impact sur le contrat actuel, mais également sur les contrats à venir (implications en termes d’engagement, de continuité ou d’orientation de long terme). De plus, elle évolue avec le temps, en fonction des différentes expériences des acteurs. Ainsi, elle émerge de liens d’alliance répétés avec le même parte-naire (Gulati, 1995). Deux firmes ayant déjà travaillé ensemble se feront naturellement confiance (Ring et Van de Ven, 1994).

Pour Véronique Marrier, la notion de temps est très importante dans la relation du client et du designer graphique. La collaboration avec le Théâtre des Amandiers de Nanterre en est un bel exemple. Il existait un problème de confiance entre le client et le graphiste. Le renouvellement des contrats, au fil des saisons, a permis aux deux acteurs de mieux se connaître, de se comprendre, d’apprendre à se faire confiance, et d’établir un contrat mo-ral sur de bonnes bases qui permettent à tous de vivre cette relation de manière très sereine. Michael Bierut témoigne ainsi de la relation de

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confiance (de fidélité) qu’il a pu entretenir avec certains de ses clients 36. « Lorsque l’un d’eux revient, avec un nouveau projet, qu’il pense in-téressant pour moi, c’est toujours très, très agréable de sentir que j’ai ce genre de relations sur le long terme. Je finis par apprendre beaucoup, de gens qui sont intelligents et font des choses intéres-santes et qui me feront découvrir des mondes auxquels je n’aurais pas accès, seulement après être allé dans une école de design ».

La confiance dans le temps facilite aussi l’apprentissage de la relation, c’est un moyen de s’apprivoiser, d’écouter et d’apprendre de l’autre, de se décou-vrir des valeurs communes, de réduire les conflits, et surtout, de minimi-ser la fuite de compétences. Au final, un contrat (ou une expérience) re-nouvelé permet de travailler avec une personne qui connait déjà les codes de l’entreprise (norme et charte graphique, intervenants, culture de l’en-treprise, etc.), cela représente donc un gain de temps sur le projet. C’est alors un cercle vertueux, puisqu’une première relation positive entre client et prestataire (le designer) contribue à la confiance, à une fidélité accrue et à une intention de continuer la relation, et cette confiance accordée amène se tourner à nouveau vers ce même prestataire dans une relation future (Bories, 2007).

D Le rôle de la confiance dans une relation client / designer

La confiance est un sentiment qui ne se commande pas, on ne peut pas la forcer, elle n’est pas facile à développer, mais elle apporte, lorsqu’elle existe de nom-breux avantages dans un travail d’équipe. Elle contribue au développement de la relation, à sa flexibilité, réduit la possibilité de conflits, et facilite le transfert de connaissances. Ses principaux bénéfices se font ressentir à deux niveaux : celui de la relation entre les acteurs, et celui de la performance. La confiance apparaît comme étant la « clé du succès de la relation » (Ring et Van de Ven, 1994).

Selon Delerue et Bérard (2007), la confiance entraîne une meilleure performance économique et opérationnelle des partenaires, car elle leur permet de se projeter, ensemble, dans le futur avec moins de peur et d’incertitudes, la peur étant souvent le frein d’une bonne coopération. De même, la confiance aide à « casser » les barrières générées, au premier abord, par une relation contractuelle, pour se transformer en une relation plus flexible et naturelle, moins contraignante (on parle alors de gouvernance relationnelle). Ce chan-gement dans la relation entraîne quant à lui plusieurs effets positifs, comme le partage facilité d’informations et une meilleure communication favori-sant une coopération fructueuse et durable entre les acteurs.

En ce qui concerne la performance, les effets de la confiance se font ressentir dans l’attitude des acteurs (Langlet, 2006). La confiance aide à réduire « la per-ception du risque associé aux comportements opportunistes et diminue leur probabilité d’apparition », elle augmente l’assurance

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des acteurs vis-à-vis de difficultés qui pourraient être rencontrées, et elle leur permet de s’assurer qu’en cas d’évènements imprévus, une adapta-tion ad hoc sera mise en place sans la nécessité d’un nouveau contrat écrit.

Au final, la confiance naît et évolue au fur et à mesure d’une relation, grâce à l’ex-périence antérieure, à la pratique des règles sociales et à la connaissance progressivement accumulée. Le climat de confiance favorise l’inventivité, l’initiative personnelle et l’esprit d’entreprise, et joue un grand rôle dans le succès d’un projet entre plusieurs acteurs aussi différents que le desi-gner et son client.

2.1.3 – L’approche sociologique, ou la nécessité de faire preuve d’empathie

Établir une relation forte avec ses clients est le secret de toute entreprise souhai-tant développer son chiffre d’affaires. La relation humaine entre le com-manditaire et le designer est un facteur de réussite pour tout projet : son bon déroulement et la livraison d’un travail de qualité nécessitent une bonne compréhension, une communication claire et l’instauration d’une relation de confiance entre créatifs et client.

Trois points importants peuvent être travaillés par le designer et son client, afin d’être plus à l’écoute l’un de l’autre, et améliorer ainsi leur relation et donc le management du projet. D’une part, il est impératif que le designer fasse preuve d’empathie, qu’il se mette à la place de son client, qu’il comprenne son besoin. Le dialogue et l’écoute sont fondamentaux dans ce type de re-lation ; et pourtant, de nombreux designers ne prennent pas la peine de le rencontrer par manque de temps, ou d’intérêt pour le projet. Enfin, re-donner confiance dans les concepts créatifs, et rassurer le client, étouffer ses craintes, peuvent être des pistes à suivre pour rapprocher designer et client et aider à la compréhension de ce dernier.

A Adopter une démarche pédagogique et faire preuve d’empathie

Voici un mantra aperçu sur les forums graphiques, « Il n’y a pas de clients difficiles, il n’y a que des designers qui ne savent pas les gérer ». Cela révèle deux choses. La première c’est que le designer reste respon-sable du travail et de la qualité de ce qu’il produit, la seconde c’est que le client a besoin d’être guidé par le designer, afin de comprendre et d’ap-précier la qualité du travail présenté. Massimo Vignelli compare le travail du designer à celui d’un médecin présent pour son client, et attentif à son projet, comme un médecin le serait pour les symptômes décrits par son patient. « The client comes with a problem, which is the same way we go to a doctor with a problem. The doctor analyzes you and gives you a diagnosis of the situation and then a cure to make you better. We do the same thing. We try to eliminate everything that is wrong in the same way a doctor does.

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He can see the symptoms of your disease. That’s what we do. We see the symp-toms of the client’s disease, and we correct it ». (Millman, 2007, p.217-218)

Aussi, développer une démarche pédagogique avec le client (renseigner, infor-mer, expliquer, accompagner) permet d’anticiper ses questions, de limi-ter son incompréhension et donc certaines tensions liées au projet. Pierre Bernard confie « Quand un projet marche, c’est qu’il y a une appro-priation totale par le client ». Le client devient le créateur du projet et oublie le rôle du designer qu’il a pourtant commissionné. L’acceptation est alors totale et il n’y a pas de raison de remettre en question le projet achevé, la relation se passe « bien ».

L’empathie est liée à la pédagogie. Tandis que la pédagogie est un accompagne-ment par l’apprentissage (du grec paidagogia, mener l’enfant), l’empathie symbolise le partage par la souffrance (du latin pathos, la souffrance, ce qui est éprouvé), ou plus généralement, l’idée de « se mettre à la place de », de ressentir et de mieux comprendre l’autre. La pédagogie tout comme l’empathie sont deux composantes indispensables au design, afin de faire comprendre son idée, mais également de comprendre l’idée ou le but pour-suivi par l’autre. Cette dualité se retrouve dans tous les projets où le client doit cohabiter avec le designer.

Le scientifique Joël de Rosnay explique le principe du flux empathique 37. C’est une recherche de la dynamique de paix pour organiser les relations hu-maines de manière différente, plus juste et plus équilibrée : se mettre à la place de l’autre pour comprendre ses émotions et ses sentiments (à la dif-férence de la force qui conduit au conflit, à l’affrontement). Cette pratique raisonnée des flux peut conduire au partage et à la collaboration. Il fau-drait donc oublier et quitter les rapports de forces (fondement de notre société, politique, économique, hiérarchique, religieuse, etc.). Il y a un vrai problème dans notre société, où on nous apprend à gagner, à être le meilleur, à avoir les meilleures notes, être le premier, etc. Mais dans l’in-térêt de tous, les rapports de flux peuvent remplacer progressivement les rapports de forces :• échange de flux complémentaires qui s’ajustent l’un à l’autre (constante, pas statique) ;• adaptation des f lux grâce à l’information (ajustement constant à l’environnement).

En fait, l’information multidimensionnelle est essentielle à la pratique de la ges-tion des flux. Elle peut également être utilisée pour déstabiliser un rap-port de forces. Cela permet alors de mieux comprendre la complexité du monde qui nous entoure (à la différence des rapports de forces qui iso-lent), et d’amener à une vision différente des autres, qui ouvre à la diver-sité et à l’écoute des autres. En conclusion, si on sait bien les utiliser, les flux empathiques permettent de construire une meilleure relation, et le monde de demain.

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Michael Bierut confirme le besoin d’adopter cette approche empathique dans la relation avec le client 38 : « En fait, quand je vois un mauvais design, ce n’est pas parce que le client n’a pas été instruit. C’est parce que le designer n’a pas été instruit par le client. Je ne veux pas prendre les commandes d’un client, je veux véritablement faire preuve d’empathie et m’intéresser à ce que le client veut me com-muniquer, ce qui les rend intéressants et spéciaux ».

B Recourir au dialogue et à l’échange, le secret d’une relation sereine

Bien souvent, le client oublie qu’un projet graphique ne peut pas être géré comme n’importe quel projet de l’entreprise : sa construction dépend principalement du dialogue entre l’entreprise cliente et le designer gra-phique. Le projet avance grâce à la discussion, aux échanges, à l’écoute mutuelle et à la négociation entre les acteurs.

Les différents intervenants que j’ai eu l’opportunité de rencontrer et d’inter-viewer ont tous tenu le même discours : le dialogue et l’échange sont primordiaux dans la réussite de la relation entre le client et le designer graphique !

Pour Élodie Boyer, « un bon designer doit savoir communiquer ses idées, que ce soit à travers une affiche, ou dans un dialogue avec le client : il doit convaincre, donc communiquer et adapter son discours a son public, peu importe qui il est, son rapport avec lui, et la ma-nière de communiquer ! » Il s’agit d’un travail commun nécessaire pour choisir et sélectionner ce qui compose l’identité visuelle. Pour le designer, la tâche n’est pas toujours aisée, le commanditaire peut être une petite structure avec un interlocuteur unique ou une grande société aux mul-tiples protagonistes, avec des avis souvent divergents, voire « réfractaires au changement ». Il faut donc toujours expliquer pourquoi le designer a fait tel ou tel choix, avec de vrais arguments, et se mettre au niveau du client, faire des démonstrations et utiliser la pédagogie. Petit à petit, un lien se tissera ; ce cheminement devient une histoire autant person-nelle que collective, qui amène un équilibre dans la relation et fait évo-luer le projet. Le designer devient alors un coach dans le projet : il faut trouver le problème, le reformuler, réconforter le client, lui donner confiance, de l’énergie, le booster, c’est un vrai travail de coaching. Il faut disséquer le problème pour en trouver la cause, comprendre le vocabu-laire, discuter. C’est un management des interlocuteurs. Il faut y consa-crer du temps, prouver son savoir-faire et apporter une solution. L’expérience profession-nelle aide à être convaincant et à mieux cerner les clients et leurs problématiques.

Véronique Marrier tient le même discours, « Il y a une vraie nécessité de discuter et d’échanger, la conversation et l’échange sont primor-

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diaux dans la réussite d’un projet. Il faut expliquer au client ses choix graphiques. Le client veut comprendre, il veut faire par-tie du projet, le graphiste est un conseiller, il y a une responsa-bilisation, un transfert du projet, il faut rassurer le client ».

Dans la relation, tout se joue lors du premier rendez-vous, lors de la rencontre entre le client et le designer graphique. Il est de bon ton d’écouter, de laisser le client s’exprimer lors du premier échange, car cela permet, d’une part de cerner sa personnalité, mais également de comprendre sa demande, le problème qu’il a identifié dans son entreprise, et com-prendre pourquoi il a fait appel à un designer. Stéphane Darricau conseille de « fermer sa gueule lors du premier rendez-vous », et Mathieu Chévara affirme qu’« il faut se donner les moyens de se ren-contrer », et conseille au designer d’« aller chez lui (le client), s’installer à sa place, de formuler, comprendre et exprimer ses problèmes : il faut épouser les contours du client. » Pour Geoffroy Dorne, « Il est important de cerner le client, de le faire parler pendant plusieurs heures afin de séparer l’image qu’il se fait du projet, de ce qu’il attend vraiment. Sinon, il y a un risque de non-choix, de baisse ou de perte de la qualité du projet. Il est aussi important de savoir qui finance (le projet), car cela donne une indication sur la direction que peut prendre le projet ».

En ce qui concerne le projet, il est également très important de partager ses réflexions avec le client. Mathieu Chévara est catégorique, « on ne peut pas imposer à quelqu’un ce qu’il ne comprend pas, on ne peut pas laisser le client dans l’ignorance : il faut partager avec lui. Il faut aller vers lui, avant de lui demander d’aller vers le de-signer ». De plus, si on ne peut pas demander au client d’avoir une culture de l’image, on peut créer un contexte pour lui faire comprendre le projet. C’est le manque d’explications, lorsque le noyau du projet est mal défini et mal compris par les deux acteurs, qui créé des crispations et des tensions générales. Paula Scher fait une analogie à ce propos, entre la démonstration d’un théorème de géométrie et la présentation d’une conception graphique (Millman, 2007, p.47-48). De la même ma-nière qu’il est nécessaire de démontrer toute une série de calculs ou de théorèmes, pour résoudre une équation mathématique, apporter la preuve de la solution, il est nécessaire d’expliquer et de démontrer un concept au client, avant de lui présenter la solution graphique qui en résulte. De cette manière, le client peut comprendre et raisonner, et il peut être convaincu et rassuré que la solution trouvée est la bonne, la plus logique, la plus adaptée à son projet. Ce type de démonstration permet également d’éviter les jugements personnels et subjectifs sur le projet (du type, « je n’aime pas cette couleur », etc.).

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C Rassurer et surmonter les craintes du client

Michael Bierut s’est beaucoup interrogé sur la relation entre le client et le desi-gner, et plusieurs de ses réflexions sont éditées dans son livre « Seventy-nine shorts essays on client ». Il affirme notamment qu’il faut prendre le temps de rassurer le client 39.

« Les clients ont surtout peur que vous partiez et conceviez quelque chose, sans vraiment avoir écouté leurs besoins en premier ». Il faut donc soutenir le client et l’aider à faire face à l’insécurité des pers-pectives créées par le designer. Pour Michael Bierut, les clients ont juste besoin d’être rassurés du fait qu’ils ne prennent pas la mauvaise déci-sion. Bien souvent, ils ne connaissent pas du tout le domaine du design, n’ont aucune expérience de travail avec des designers, ils sont donc mal à l’aise face à la nouveauté, dans un sentiment d’insécurité, auquel ils ne sont pas habitués.

Michael Bierut évoque un paradoxe dans la manière dont les designers se pré-sentent parfois, face à leur client 39. « La plupart des concepteurs, quand ils vont en pitcher un nouveau client, se sont préparés très, très attentivement. Ils ont choisi le portfolio qu’ils veulent montrer, ont travaillé les points de discussion qu’ils veulent aborder, ils ont peut-être même fait des recherches sur le client à l’avance, et veulent déjà démontrer au client leurs connaissances et les conclusions qu’ils ont tiré sur leur entreprise ». Mais cette manière d’aborder le client (montrer trop de confiance en soi, ne pas s’ouvrir au discours) n’est absolument pas la bonne méthode, car au terme de la conver-sation, au lieu d’être rassuré, la crainte du client de ne pas être écouté et de voir livrer un projet sans rapport avec son problème est renforcée !

Pour Stéphane Darricau, « le client n’a pas les bons critères pour évaluer, donc il hésite ». Il arrive parfois vers le designer en lui demandant de re-produire une chose qu’il a vue, et qui a bien marché pour une autre marque. Il y a une relation confuse entre esthétisme et succès commercial, et il faut arriver à le rassurer, et à lui faire comprendre qu’on peut produire la même qualité de travail, mais avec un résultat graphique différent. De plus, se-lon David E. Kelley, le client a peur d’être jugé, d’échouer, de se tromper, d’où ce besoin de reproduire ce qu’il voit, ce qu’il connait, ce qui a déjà bien marché et a eu du succès 40. L’habitude le réconforte tandis que la nouveauté l’effraie. Kelley fait référence aux recherches du psychologue canadien Albert Bandura, qui a démontré scientifiquement qu’on pouvait faire de grands changements et aider les gens à surmonter leurs craintes de la nouveauté, grâce à la « maîtrise guidée » (guided mastry). Ce prin-cipe a notamment été appliqué dans la guérison de phobies, grâce à une succession de petits succès. Ce type de théorie permettrait alors de sen-sibiliser certaines catégories de personnes (des dirigeants, par exemple) à des actions qu’elles ne sont culturellement pas capables de faire (un choix

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graphique), car elles n’y ont jamais été confrontées auparavant (et qu’elles en ont peur). C’est finalement l’inconnu qui bloque souvent la situation, la peur de faire le mauvais choix.

Plusieurs témoignages amènent toutefois à penser qu’il est possible de dépasser cette peur dans deux cas précis : lorsque le client a les moyens (financiers) de tenter quelque chose de nouveau (dans le luxe, par exemple), car c’est alors un moyen de se démarquer. Ou bien lorsqu’il est acculé et n’a pas d’autre solution qu’innover. Pierre Bernard témoigne du changement ra-dical qui s’est opéré dans les années 80, dans la société avec l’arrivée des socialistes au pouvoir (suite à l’élection de François Mitterrand). Ces deux conditions montrent que le client (que ce soit un parti politique ou une entreprise dans le secteur du luxe) est prêt à casser les codes, n’a pas peur de se démarquer, car « il a envie d’essayer quelque chose de diffé-rent, parce qu’il est soit acculé par la situation (nécessité de sur-vie, pour la politique), soit parce qu’il a les moyens financiers de se relever en cas d’échec commercial ». La peur de se tromper ou d’oser est alors contrebalancée par une nécessité plus grande, le besoin de survivre, ou de se démarquer (voir les deux études de cas développées dans les ANNEXES 4 et 5).

Une autre technique d’autosuggestion, la programmation neurolinguistique (PNL), consiste à adapter son cadre de référence en fonction de la situa-tion à venir. « Chaque personne développe sa propre représentation de la réalité en fonction de son éducation, ses expériences, son milieu socioculturel. La première étape est donc d’être conscient de son cadre de référence personnel pour pouvoir en sortir. Ainsi, dégagé de ses a priori, on est plus en mesure de comprendre l’autre et de s’adapter à lui » 41, ce qui est particulièrement important lors de la rencontre de deux mondes aussi différents que celui du designer et de son client. Faire appel à la calibration (le fait d’écouter avant de juger) ou à la synchronisation (le fait d’adapter son attitude à l’état d’esprit de son interlocuteur) peut aider à débloquer une situation et éviter les malenten-dus. Une troisième technique, appelée métamodèle (ou reformulation), consiste à aider le client à reformuler son idée de manière plus précise concernant ses attentes et intérêts (parfois cachés ou inavoués). Cela per-met alors de mieux comprendre le projet et de ne pas partir sur une fausse piste. Cette technique rejoint le besoin de communication et la nécessité d’être attentif lors du premier rendez-vous, lorsque le projet est exposé pour la première fois.

2.1.4– Le rôle du médiateur, traducteur et garant des intérêts des deux acteurs

Malgré les différentes solutions envisagées pour améliorer la relation entre le client et le designer (la relation horizontale, la confiance, la pédagogie et l’empa-

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thie), il arrive parfois qu’aucun des acteurs ne parvienne à comprendre et à écouter l’autre. Afin d’éviter le conflit, la rupture de contrat, il peut être utile de faire appel à un médiateur ou AMO (Assistance à la Maitrise d’Ou-vrage), qui sera responsable de l’avancée du projet et jouera le rôle d’inter-médiaire entre les deux équipes (du client, et du designer).

Le médiateur est un tiers indépendant et impartial, professionnel formé à la mé-diation et respectant le code déontologique de la profession. Le rôle du médiateur est d’identifier les missions du projet, les problèmes qui exis-tent entre les deux équipes, de poser les règles de fonctionnement et de valider leur adhésion au processus. L’intervention de ce professionnel per-met alors de trouver, ensemble, une solution conforme aux intérêts des deux parties, en mettant fin aux tensions. Le médiateur a donc un rôle im-portant : tisser un lien entre les acteurs, dans un processus de compréhen-sion et d’interactions mutuelles, parvenir à un consensus acceptable pour le client et le designer.

A Le médiateur intermédiaire

À l’origine, le travail de médiateur consiste à résoudre un conflit avéré et à réta-blir une relation plus harmonieuse entre les collaborateurs de l’entreprise. Cependant, on peut aller plus loin et utiliser le concept du médiateur comme un intermédiaire qui va empêcher l’apparition du conflit au sein d’une équipe qui cumule de forts antécédents.

Selon Mathieu Chévara, « La capacité à faire comprendre et à expliquer n’est pas donnée à tout le monde – certains graphistes ne sont intéressés que par la forme et pas par le dialogue avec le client ». Or comme nous l’avons déjà vu, le graphiste se doit de communiquer avec le client, de lui expliquer sa démarche, de faire la preuve du concept et de la création proposés. Afin d’éviter les tensions et les incompréhen-sions à ce niveau, il est possible de faire appel à un médiateur qui servi-ra d’intermédiaire.

Élodie Boyer en a fait son métier ! Depuis 2002, elle dispense ses conseils et re-commandations aux marques qui font appel à elle pour jouer le rôle de médiateur et assurer ainsi la réussite d’un projet graphique. D’après Élodie Boyer, le client s’en remet à elle « car il sait qu’il ne sait pas s’y prendre », et préfère donc bénéficier des conseils et de l’accompagnement d’un professionnel dont c’est le métier, pour écrire le brief à sa place, choi-sir l’équipe de designers avec qui travailler, etc. Le médiateur ne prend pas parti pour l’un ou l’autre des acteurs, il joue à la fois le rôle de traduc-teur (de la demande, du vocabulaire, explication du projet et des choix graphiques) et veille aux intérêts des deux acteurs. Le travail qui a été mené par Élodie Boyer, entre AG2R La mondiale et le studio Dumbar est une belle illustration du rôle et des résultats de la médiation dans un pro-jet graphique (ANNEXE 5).

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Les travaux de Elangovan (1995, in Stimec, 2008) caractérisent le rôle du média-teur, par trois critères : renoncer à l’essentiel du pouvoir de décision, être très présent sur le processus d’accompagnement du dialogue ou de la né-gociation, et jouer le rôle d’interface (et non « en face à face »). L’intérêt de faire appel à un médiateur est triple : d’une part il devient l’unique inter-locuteur entre le client et le graphiste, il n’y a donc plus le problème de multiples intervenants au sein du projet, et le risque de mauvaise compré-hension, de goût personnel et de problème de validation. D’autre part le médiateur, professionnel du domaine appliqué, connait les codes, la ma-nière d’être, de penser, et le vocabulaire propre à chaque partie, il joue donc très bien le rôle de traducteur entre le client et le designer graphique. Enfin, le dernier atout est sa connaissance globale des deux métiers, qui lui permet de gérer, grâce à son carnet d’adresses, les besoins du projet, et de solliciter d’autres professionnels (rédacteur, sound designer, traduc-teur, photographe, imprimeur, etc.). Cette bonne connaissance du métier lui permet également de seconder le client dans sa demande de base, à sa-voir la rédaction du brief, la définition du problème, etc., mission qui n’est pas toujours aisée pour un client n’ayant aucune connaissance graphique, et qui parfois définit mal son besoin.

B Le rôle de l’AMO (Assistance à Maîtrise d’Ouvrage)

Arnaud Stimec (2008) révèle que la pratique de la médiation, bien que courante et largement pratiquée en Amérique du Nord, et dans certains pays d’Eu-rope (Royaume-Unis, Allemagne, Espagne), n’est pas vraiment reconnue en France et est perçue de façon plutôt ambigüe. Le processus de média-tion n’est pas toujours facile à accepter, car il implique de nombreux ac-teurs (le demandeur, le médiateur, le prescripteur, le financeur, des tiers, etc.) et qu’il n’est pas toujours aisé de parvenir à un accord de tous quant au rôle de la médiation dans le projet. Et s’il y a consentement, rien ne ga-rantira pour autant une adhésion totale des acteurs à ce processus, ni son succès dans le projet. De la même manière que la confiance se construit entre les acteurs du projet, il faut que le médiateur bénéficie de la confiance des deux parties, client et designer, ce qui n’est pas toujours évident et complexifie les relations.

L’enquête produite par Stimec (2008) révèle que la France considère le proces-sus de médiation comme une « pratique inexistante et donc sans enjeu ». Lors d’une enquête sur la résolution des litiges en entreprises, il est apparu que les managers interrogés avaient plutôt recours à la voie hiérarchique qu’à l’intervention d’un médiateur. 28 % des cadres interro-gés indiquaient que leur principal litige ou conflit de l’année avait été trai-té par un cadre interne agissant en qualité de médiateur. Il semblerait donc qu’en entreprise, le rôle de médiateur ne soit pas une fonction, mais une qualité pouvant être propre à tout un chacun. Visiblement, tout le monde

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peut pratiquer la médiation (la recherche d’un consensus), sans s’en rendre compte, jouer un rôle de « facilitateur », de « catalyseur » ou de « go between ». La médiation n’est donc pas seulement un acte de résolution de conflit, mais également un accompagnement, une aide à la compréhension et à la discussion.

Ce résultat de l’enquête soulève cependant un autre problème : l’intervention d’une personne qui n’est pas un médiateur professionnel (n’ayant suivi ni formation, ni initiation à cette pratique) n’a pas de réelle légitimité, et s’en retrouve fragilisée. La solution consiste alors à faire appel à un AMO, terme qui apparaît très proche de celui de médiateur, mais qui a l’avantage d’être mieux accepté dans les entreprises françaises ! Le consultant AMO (Assistance à la Maitrise d’ Ouvrage) peut apporter son concours et ses conseils sur la gestion d’un projet, et sert d’interface entre les acteurs 42. Ces deux notions ne sont pas opposées, puisqu’Élodie Boyer se définit elle-même comme « consultante », « médiatrice » et propose une expertise « d’AMO ». L’AMO exerce un rôle fonctionnel, mais se doit d’avoir des connaissances techniques sur le sujet. Il aide le client à définir ses besoins en amont, s’assure du caractère réaliste de la demande, et veille à la conduite du projet (respect du budget, du planning et de la qualité). Il est égale-ment chargé de désamorcer les éventuels conflits entre les acteurs du pro-jet : son sens du relationnel et son expertise sont donc un vrai support dans ses relations avec les deux parties.

Cette définition du rôle du consultant AMO est finalement extrêmement proche de celle du médiateur comme nous l’avons définie dans le paragraphe pré-cédent. Il ne s’agit ici que d’un problème de dénomination de fonctions, qui sont plus ou moins bien accueillies suivant les cultures de l’entreprise.

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2.2 – Lorsque conception et management se rencontrent

Il n’est pas toujours facile de combiner deux mondes très différents comme le sont l’univers créatif et conceptuel du designer, et celui plus « terre à terre » et pragmatique du client, davantage centré sur les chiffres et les résultats. Cette différenciation provient probablement d’un héritage qui pousse les étudiants vers les filières scientifiques, les sciences de l’ingénieur, plutôt que vers les pratiques artistiques, considérées comme des loisirs et passe-temps, sans réelle ambition professionnelle.

Afin d’améliorer les relations, et surtout apprivoiser l’autre, il est peut-être temps de reconsidérer le domaine du design dans son ensemble, et de voir ce qu’il peut apporter plus largement aux sociétés, notamment aux entre-prises de ses clients. En effet, le design est avant tout une technique de conception, une vision ou méthode comment résoudre un problème. Appliqués les techniques de conception du design à d’autres entreprises, notamment au niveau managérial, pourrait créer un pont entre les deux acteurs, qui seraient alors plus à même de se connaitre, et surtout, de se comprendre.

2.2.1– La transmission d’une « culture design »

A La place du design et de la créativité dans l’enseignement

Le design est avant tout la conception d’une idée, d’une solution, qui peut prendre plusieurs formes (graphique, objet, décoration d’intérieur, etc.).

À ce jour, la conception n’a pas vraiment trouvé sa place, tout du moins dans l’enseignement français. Elle est plutôt associée (à tort) aux programmes des écoles d’Art (alors que c’est de la conception appliquée et non de l’Art), et elle n’est pas spécialement enseignée dans les écoles de marketing et management, lorsqu’elle pourrait tout à fait y trouver sa place en tant que manière de solutionner un problème. Perdu entre ces deux notions, le do-maine de la conception a du mal à s’affirmer et à faire valoir sa légitimité, autant auprès du public que des clients potentiels. Par exemple, Véronique Vienne, directrice artistique et éditorialiste spécialisée dans le design an-nonce cette vérité « À ce jour, avant de pouvoir être admis dans la plupart des programmes de conception graphique dans les meilleures écoles d’art françaises, vous devez apprendre à des-siner. Si vous ne pouvez pas rendre une assez bonne image de la Vénus de Milo, ce n’est pas la peine » 43. Victor Margolin partage ce point de vue (in Béltran, 2000) « Il y a encore peu de compréhension par les administrateurs des universités et écoles d’art, de la va-leur de l’histoire du design graphique ou une histoire plus large de la conception (…) En fait, l’histoire, la théorie et la critique de la conception n’ont jamais été aussi importantes ou pertinentes

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que dans l’éducation. Ce fait est reconnu dans quelques endroits comme la Jan Van Eyck Akademie aux Pays-Bas qui abrite la théo-rie et la critique des cours postuniversitaires en art et design. »

Selon le rapport de l’EACEA (Commission Européenne), « Le système éducatif peut être considéré comme un moyen de préparer les enfants au rôle qu’ils sont appelés à jouer dans un monde de plus en plus in-certain. Il incombe aux établissements scolaires d’aider les jeunes à développer leur confiance en eux, en tant qu’individus et membres de divers groupes au sein de la société. Il lui revient également d’encourager les jeunes à développer un large éventail de compé-tences et d’intérêts, d’identifier et de favoriser leur potentiel et d’encourager la créativité ». Des études, menées au sein de l’Union Européenne, ont révélé que les programmes culturels, centrés sur la pra-tique artistique telle que la danse, le théâtre, la musique ou les arts plastiques, qui favorisent l’expression individuelle, la conception, l’interaction, l’esprit d’équipe, et plus largement la confiance et l’estime de soi, ont tendance à être relégués au rang de « matière secondaire », voire optionnelle, arrivés à un certain niveau d’apprentissage (dans le secondaire, passé 14 ans).

De plus, les études menées par Bamford (2006) révèlent que d’une part, le temps consacré à ces programmes dits culturels n’est pas suffisant au regard des objectifs pédagogiques visés (cités ci-dessus), que les enseignants qui les pratiquent ne sont pas toujours aussi bien formés qu’ils le devraient (ils sont pour la plupart enseignants d’une matière générale), et que la ma-nière d’évaluer ses matières n’est ni assez ciblée, ni assez claire pour être prise au sérieux. De même, il est étonnant d’apprendre que « les artistes professionnels sont rarement autorisés à enseigner leur( s ) art( s ) dans les établissements scolaires, s’ils ne possèdent pas les qua-lifications d’enseignant appropriées », ce qui continue à décrédibi-liser la pratique d’enseignements culturels à l’école.

Face à si peu d’engouement pour les matières qui visent l’expression de soi et la créativité, il est plus aisé de comprendre le gap entre le designer, concep-teur créatif qui apporte une solution créative à un cas d’entreprise, et le client qui n’a jamais été formé ou initié à ce type de pensée, puisqu’elle n’est pas vraiment développée par l’éducation Nationale. Cette différence de pensée et de conception est donc typiquement enseignée aux designers une fois l’enseignement primaire ou secondaire quitté, dans leur cursus professionnel (type BTS, Licence, Master, DSA, ou autre école spécialisée dans la conception), auquel n’a pas du tout accès un client qui a, lui, plu-tôt suivi un cursus de management, finance, marketing, voir droit ou autre.

B Enseigner la conception, une approche innovante et utile

La société tout entière est tournée vers l’innovation. Or, l’innovation provient de la conception. Sans concepteur, ou tout du moins, avec si peu de concep-

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teurs, la société a du mal à innover et à se renouveler. Le programme d’étude proposé par Uday Gajendar, « Interaction Designer » (2003) tend à répondre à cette problématique : où dénicher les futurs concepteurs de demain, et comment les aider à se découvrir ?

Ce programme, en cours d’élaboration aux États-Unis, semble plutôt prometteur quant à l’ouverture d’esprit et aux techniques de conception qu’il propose d’enseigner. Les étudiants qui l’intègrent ne sont pas de futurs designers, mais plutôt des concepteurs, qui peuvent ensuite choisir de travailler dans des branches aussi diverses que l’ingénierie, le marketing, la finance, le droit, etc. La conception reste une pratique intellectuelle, une gymnastique de l’esprit utile à tous les métiers, afin de faire face, parfois, à des cas com-plexes. Ce type de programme qui sert à démocratiser la conception ne peut qu’être bénéfique et jouer en faveur d’une meilleure communication entre les clients et le designer graphique, puisque chacun aura connais-sance des mêmes bases et du même langage, celui de la conception !

Ce programme universitaire, encore en cours d’élaboration, propose donc de « préparer les étudiants à des compétences et des problèmes cen-traux de la pratique, organisés autour de quatre thèmes : la culture, le leadership, la stratégie, et l’innovation (fig.10). Le but est d’amé-liorer l’offre actuelle, pour les élèves à accroître leur potentiel d’influence dans des contextes dynamiques, pluridisciplinaires ». Le modèle proposé par Uday Gajendar prévoit également une application directe de la conception à la vie de l’entreprise, pour une pratique plus ancrée dans le réel, plus opérationnel et pragmatique, avec de vrais en-jeux de collaboration entre les disciplines ; par exemple, via des jeux de rôle, des travaux d’équipe, des débats, des entraînements à la gestion des conflits, la rencontre avec des professionnels, etc. « En conséquence, le modèle devrait préparer les élèves à devenir d’efficaces diri-geants, capables de comprendre et de communiquer la valeur de la conception à des équipes inter fonctionnelles, de naviguer dans le milieu des affaires, et d’analyser les problèmes au milieu de priorités contradictoires ».

Figure 10 : Schéma synthétique du programme proposé par Uday Gajendar

Source : Gajendar (2003)

Culture

Leadership

Strategy

Innovation

Business Design

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Le programme ainsi établi prévoit un apprentissage successif de quinze semaines (un semestre), à destination d’étudiants en université (Licence ou Master), ou alors deux mini-sessions de cours (sept semaines étalées sur deux ans) avec un dernier cours unificateur. Au final, le modèle propose de favori-ser la compréhension du processus de conception et comment les concep-teurs peuvent, à leur tour, influencer et répandre ces pratiques dans le monde de l’entreprise.

C La gestion des connaissances entre designer graphique & clients

Parmi les questions fondamentales de la relation client/designer, celle de la ges-tion des connaissances est, pour l’instant, assez critique. Il y a finalement très peu d’interactions entre les deux acteurs, chacun évoluant dans son coin, en dehors des réunions d’équipe ou des call téléphoniques pour faire le point sur l’avancée du projet. IDEO propose un processus créatif qui pourrait faire le lien entre les deux acteurs, de manière à garantir le suc-cès du projet 44. L’un des exemples cités concerne le moodboard (ou planche tendance, planche d’inspirations), qui permet de verbaliser une intuition commune, tout en la partageant avec le client. La production d’un objet intermédiaire auquel seraient attachées des connaissances communes per-mettrait, à la fin d’un projet, de conserver une trace de la démarche utili-sée, et donc de capitaliser sur l’avance et la connaissance qui ont été faites.

Une autre démarche a été effectuée dans ce sens au Canada, avec l’édition d’un document officiel, écrit par l’Association des agences de publicité du Québec (AAPQ) (2013), qui vise à expliquer de manière simple et formelle aux clients potentiels, comment se comporter avec le designer, et aux designers, comment se comporter avec le client. Une étude, réalisée par la firme CROP en 2013, a mis en lumière le fait que les agences et les annonceurs s’enten-dent généralement sur « ce que sont les meilleures et les pires pra-tiques observées lors du processus d’appel de propositions », mais aucun document ne l’avait jusqu’à présent formulé. Ce type de document peut sembler basique, mais il relate de manière simple et pratique la bonne attitude à avoir, les questions à poser, les garanties à demander au démar-rage d’un projet. Ce document élaboré par les agences de communication du Québec permet de centraliser sur un point, les connaissances de cha-cun des acteurs et de répondre à leurs questions principales.

Le partage de connaissances pourrait ainsi être l’une des clés de compréhension vers une meilleure relation entre les deux acteurs.

2.2.2 – Faire participer le client au processus de création

Un autre aspect du problème consisterait sans doute à « éduquer le client ». L’idée ne serait pas de lui demander d’avoir une grande culture du graphisme, mais plutôt de l’aider à comprendre ce qu’est le graphisme, de le faire par-

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ticiper à la création, qu’il comprenne le processus de la réflexion du desi-gner graphique. Il est bien sûr utopique et injuste de demander au client de posséder une culture graphique qui n’est pas la sienne, ou d’attendre de lui qu’il réfléchisse de la même manière qu’un designer, qui a appris à le faire au cours de plusieurs années d’études et de pratique profession-nelle. Par contre, il n’est pas impossible de commencer avec lui une sorte de nouvelle pédagogie qui s’inscrirait dans la pratique et qui revêtirait plusieurs formes, afin de l’amener de manière simple et fluide à une meilleure compréhension du métier de designer graphique. Selon Mathieu Chévara, le designer oublie parfois qu’il partage la paternité du projet avec le client, et que « le graphisme du projet est intimement lié à son client, sa vision, son but, sa personnalité, sa projection ». À partir de ce point de vue, autant essayer de faire participer le client au processus de création, ce qui contribuerait à créer une nouvelle relation de confiance avec le client.

A « Faire voir » : démontrer ce qu’est le design graphique

Au cours des entretiens que j’ai menés avec des designers graphiques, chacun m’a proposé un exercice qu’il pense facile à mettre en place avec le client pour l’initier à la pratique de la conception graphique (ou qu’il met déjà en pra-tique et qui porte peu à peu ses fruits). Les visions sont nombreuses et d’au-tant plus riches, ce qui laisse à penser qu’une solution pourrait être propo-sée pour chaque type de client, en fonction de sa personnalité, de son recul par rapport à la question et de sa sensibilité pour le design graphique.

Alice Rawsthorn (2013), évoque le fait que pour comprendre et intégrer quelque chose, cela doit se faire dès le plus jeune âge : « Cela se règle dès l’en-fance avec une leçon de choses et les éveiller par des cours de de-sign. C’est l’une des missions proposées et en projet dans les an-nées à venir. Il faut vaincre cette problématique de diffusion. C’est par l’éveil et le questionnement sur les objets, les formes et la juste fonction que le message passera ». L’idée est d’habituer à la vue d’objets bien conçus, et de faire prendre conscience, dès les premières années de la vie, de ce qu’est le design. Élodie Boyer, qui assume ne pas avoir suivi de cursus artistique, explique que, pour sa part, l’idée de for-mer les jeunes enfants à la typographie dès l’école maternelle, n’est pas une idée absurde, à l’âge où les enfants apprennent les formes et emma-gasinent tout ce qu’ils voient « Ce qui fait la différence, c’est la qua-lité visuelle du livre et la culture visuelle. Ça doit commencer quand on est tout petit ».

Pierre Bernard est plus mesuré et estime que la culture graphique peut se faire à travers les environnements urbain et culturel. « C’est un cercle ver-tueux. Par exemple, les affiches populaires sont produites avec un grand soin apporté au graphisme, et elles font partie du pay-

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sage quotidien de la population, aussi cette population est cultu-rellement plus attentive et plus ouverte à la problématique du design, fortement ancré dans leur quotidien depuis toujours ». Il évoque l’exemple des affiches de chemins de fer aux Pays-Bas ou même les timbres hollandais. « Ces objets graphiques baignent des généra-tions et le développement du graphisme pour communiquer dans les sociétés est un réflexe acquis, qui est même devenu un réflexe citoyen, ce qui n’a plus rien à voir avec une stratégie commer-ciale. Le design devient naturel ». Au final, le design graphique doit faire partie de l’éducation de tous, pas seulement du client et devrait se faire à travers les programmes scolaires, mais également via l’affichage ci-toyen, en étant exposé à la vue de tous.

Une autre solution pourrait être d’aider le client à se positionner grâce aux pro-ductions spécialisées des designers graphiques, notamment les éditions publiées régulièrement qui vont dans ce sens.

Mathieu Chévara applique ce principe dans son atelier Marge Design, depuis longtemps. Chaque année, il s’isole une semaine, seul au sein de son ate-lier, et choisit avec soin les projets qui ont marqué sa production annuelle. Cette sélection est mise en page, présentée sous la forme d’une petite édi-tion (fig.11), distribuée à ses clients (actuels, anciens, potentiels), mise en ligne gratuitement et téléchargeable sur son site internet. C’est donc à la fois une démarche d’introspection, assez intime, mais également à visée collaborative, qui vise à être partagée avec les autres. Cette démarche de création d’un « book annuel » est pour lui nécessaire, pour trois raisons.

• Elle lui permet de faire un bilan de son année, de prendre du recul, à travers sa sélec-tion de projets : vérifier sa progression, s’il y a eu des tendances ou des répéti-tions, un certain renouvellement, des découvertes, de nouvelles pratiques, etc.

• Chaque cas est expliqué en images, mais également détaillé au niveau du pro-cessus de conception. Cela permet donc de trouver un angle d’explication sur la démarche pour communiquer auprès des autres. Au final, ces pe-tits livrets d’une centaine de pages sont un condensé de culture graphique, appliquée au client, puisque ce sont ses projets, qu’ils proviennent d’une commande réelle, répondant à un problème particulier.

• Enfin, la production de ces books annuels permet de créer un lien, une com-munauté avec des clients ou futurs clients, en suscitant la curiosité. Mathieu Chévara conclu ainsi « c’est un outil de prospection, de développement de la culture graphique et de conscience du métier. C’est à la fois un plai-doyer et une psychanalyse du travail livré dans l’année écoulée ».

Élodie Boyer a également entamé une démarche qui se veut similaire, avec sa maison d’édition « Les Editions non-standards » 45. « Lettres du Havre : Identités réelles et missives imaginaires », publié en 2012, est un très bel ouvrage de plus de 800 pages, qui fait découvrir la ville du Havre, au riche

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passé historique et architectural, à travers des photos de la ville (typogra-phies, enseignes signalétiques) accompagnées de missives imaginaires. Cet ouvrage qui se veut un hommage à la ville du Havre, est également une présentation de ce qu’est le design graphique au sein de l’environne-ment urbain. Élodie Boyer a conçu ce livre à destination d’un public en particulier : elle utilise la littérature (les missives écrites par Jean Segui) pour toucher les dirigeants (les décideurs), et les images pour les initier en quelque sorte à une certaine culture du design graphique. Cet ouvrage imprimé et composé avec soin, numéroté (2000 exemplaires) a reçu la Médaille d’Or dans la catégorie Design de Livre au European Design Award en 2013, ce qui en fait un ouvrage d’exception, qui non seulement pro-meut le design par son contenu, mais constitue un objet de culture (fig.12).

Figure 12 : Lettres du Havre, des Éditions non-standardsSource : editions-non-standard.com/books/lettres-du-havre

Figure 11 : Les books annuels « En long, En marge,

En travers » de Mathieu Chévara

Source : photographie personnelle - Books annuels : 2008 à 2013

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Geoffrey Dorne a, quant à lui, initié deux projets, davantage basés sur les nou-velles technologies, qui permettent ainsi de toucher un plus large pu-blic grâce à Internet. Initié en 2008, son blog graphism.fr diffuse quoti-diennement un condensé de savoirs sur le design, les nouvelles technologies, les tendances et les enjeux de la communication, sous toutes ces formes. Ce blog remporte un franc succès et d’après Geoffrey Dorne, « c’est une nouvelle manière de communiquer, et de par-ticiper à la diffusion de la culture graphique, ça participe à la démocratisation du design ». En 2012, il a initié un second projet Graphisme.tv, qui rassemble des vidéos, interview et conférences sur le design, (Designers, graphistes, sociologues, chercheurs, philosophes, sé-mioticiens, etc.) afin de diffuser et populariser la pensée design.

Ces projets, qu’ils soient publiés sous forme de book annuel, de livres ou de billets sur un blog, constituent une nouvelle manière de communiquer et de sensibiliser un public (le client) qui ne connait pas les codes du design. Mettre à sa disposition ce type de documentation permet certes de le sen-sibiliser au métier, mais surtout lui donne des clés de compréhension pour être plus à l’aise avec la production du designer qui travaillera avec lui.

B « Faire faire » : participer à la conception

Un autre type de réflexion propose l’organisation de workshop, ou atelier créa-tif, pour montrer au client ce qu’est la conception graphique. L’échange, la conversation, la démonstration, participent à créer une connivence, une confiance, qui peut transformer le client en « complice », et réduit l’incer-titude. En d’autres termes, faire participer le client à la conception, ou tout du moins lui donner des clés de compréhension peut aider à une meilleure relation au sein du projet. De plus, le processus de création, ac-compagné d’explications, participe à la culture du client. Le fait de pro-poser une sorte de jeu pour détendre les attentes et comprendre le raison-nement du commanditaire ne peut qu’être bénéfique pour les deux parties et la poursuite du projet.

Tim Brown, CEO et président d’IDEO, l’une des sociétés les plus innovantes au monde, s’exprime ainsi : « (il faut) toujours être sûr que chaque em-ployé comprend, apprécie, et a la possibilité de contribuer à la vision globale de l’objectif » (Brown, 2009). Car participer à un works-hop avec un designer aide le client à se sentir impliqué dans le projet, à comprendre la démarche et à ne pas se sentir perdu face à un processus dont il n’a pas l’habitude. Véronique Marrier va dans ce sens en expliquant que « Le client doit avoir un droit de regard sur le travail du gra-phiste », et qu’il « doit participer au processus de création dans une certaine mesure ». Pour Étienne Robial, cela revient finalement à travailler « AVEC le client, et non pas POUR lui, dans un esprit de collaboration, avancer ensemble sur le projet ». L’organisation de

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workshop est alors l’occasion d’entamer un vrai dialogue, par la pratique, l’action pas seulement l’échange (parfois abstrait), c’est une implication beaucoup plus personnelle de la part des deux acteurs, qui nécessite du temps, mais peut être très bénéfique pour la suite du projet.

Autre solution actuellement préconisée pour continuer à attiser la curiosité en-vers le secteur du graphisme : le développement d’initiatives pour le « mettre en spectacle » et en relation avec la population, avec la multipli-cation d’expositions sur le sujet. Mais pour Pierre Bernard, l’organisa-tion de workshop a également un autre intérêt, celui d’être directement en contact avec le designer, contrairement à l’organisation d’expositions ou de tables rondes, qui se veulent des étendards pour démocratiser le design auprès du public, mais qui n’ont malheureusement pas toujours l’impact escompté auprès des clients. Le fait de réaliser des ateliers ou workshop est une bonne chose pour ouvrir le client à la culture du gra-phisme, de plus ça permet de cerner sa personnalité et sa sensibilité, de poser des limites à ce qu’il est capable d’accepter ou non dans la com-mande que le graphiste doit lui livrer. Au contraire, il est un peu uto-pique de faire des tables rondes qui nécessitent trop de temps, et qui ne sont, en fait, que des discussions sans démonstration. Il est important de bousculer les habitudes pour innover, démocratiser le graphisme, faire connaître ses « créateurs de l’ombre » présents dans tous les aspects de la vie quotidienne, et cependant encore non reconnus.

En conclusion, « le client doit apprendre quelque chose pour qu’à son tour il diffuse et essaime ces manières de travailler qui sont plus bien-veillantes vis-à-vis de la profession et du travail du graphiste ». Cependant, comme le fait remarquer Geoffrey Dorne, « la sensibilisa-tion ne doit pas être prise pour un acquis, le client ne doit pas pen-ser qu’il est ‹ devenu un designer › parce qu’il a eu une initiation pendant quelques heures, ça reste la pratique d’un professionnel, acquise au bout de plusieurs années d’étude et d’expérience ».

C Lorsque le client devient militant en faveur du design graphique

Tim Brown, explique « Une histoire a besoin d’être répétée de nombreuses fois avant que les personnes commencent à comprendre comment elle s’applique à eux, et encore plein de fois avant qu’elle puisse changer leur comportement ». (Brown, 2009). Cela implique qu’au cours du projet, voire des projets, s’ils sont répétés par une collaboration, les équipes sont amenées à évoluer l’une au contact de l’autre. Rien n’est figé.

L’enquête effectuée auprès des professionnels du secteur (APCI et al, 2012) confirme cette impression. Au premier abord, « l’appel au design est toujours l’expression d’une volonté du dirigeant. Il s’agit souvent d’une décision qui, la première fois surtout, va considérablement per-turber le fonctionnement de l’entreprise, et qui, bien au-delà des

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seuls bureaux d’études, va obliger chacun à prendre en considé-ration un autre regard et une autre perspective que ceux avec lesquels il avait jusqu’alors coutume de travailler et de s’en-tendre ». Autrement dit, le design a souvent besoin d’en ambassadeur au sein de l’entreprise, pour aider l’équipe de travail à surmonter cette pé-riode d’adaptation.

Il est aussi intéressant de constater que parfois, le design réussit le pari de convaincre et séduire le client au-delà de sa mission principale (la réussite du projet). Ainsi, Amélie Seraidarian, responsable communication pour AG2R La Mondiale, a eu l’occasion de travailler avec le studio Chevalvert durant trois années (2011-2014), lors de la refonte de l’identité visuelle du groupe d’assurance (ANNEXE 5). Située côté client, Amélie Seraidarian n’a jamais suivi de formation ou d’initiation au design ou à l’image, mais une formation marketing. Cependant, au fur et à mesure de l’avancée de cette collaboration « intelligente », elle a acquis une expérience et une édu-cation progressive au graphisme grâce à l’expérience et aux relations qu’elle a entretenues avec des personnes du métier. Cette différence est devenue une force qu’elle applique au quotidien en tant que professeur au CELSA (École des hautes études en sciences de l’information et de la communication). Elle souhaite transmettre la connaissance, mais surtout l’expérience du travail transversal acquise, dans un esprit de respect et de bonne entente des acteurs dont ce sera le futur métier. La transmission de ce type de témoignage et d’expériences professionnelles permet alors d’ou-vrir les esprits des « marketeux » et de les préparer à une future collabo-ration avec un designer. Amélie Seraidarian représente un bon exemple des modifications internes qui peuvent subvenir au sein d’un groupe pro-jet composé de multiples cultures.

2.2.3 – Les nouvelles approches de management liées au design

Depuis quelques années, un nouveau courant de pensée, relatif à la fois au do-maine de la conception, du design, mais également au management, a fait son apparition. Ce type d’approche, développé principalement aux États-Unis, afin de favoriser en premier lieu l’innovation, permettrait donc de relier la conception (propre aux designers) au management (propre au client). Ces programmes en plein essor (présentés lors de conférences, pu-bliés dans des ouvrages de recherches et la presse professionnelle, repris sur des blogs, etc.) donnent à penser qu’un pont est possible entre ces deux acteurs qui ont aujourd’hui tant de mal à communiquer, ou tout du moins à entretenir une relation de confiance.

Trois solutions particulièrement intéressantes seront décrites ci-après : le concept du design management, l’utilisation de la matrice du Double Diamant (déve-loppée par le City Council of London) et enfin, le concept de design thinking, développé par David E. Kelley et Tim Brown, fondateurs de la société IDEO.

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A Le design management

Dans les termes, rappelons que le design management n’est pas le management du design, mais le management de la conception, puisque la signification du mot design n’est pas la même en français et en anglais (cf. PART.I, pré-ambule). Pour Brigitte Borja de Mozota 46, « La France n’est pas encore à l’aise avec cette association design et business. On voit cepen-dant émerger des signes de plus en visibles d’un lien entre de-sign et compétitivité, d’un design considéré comme un outil de performance des organisations. Il devient un outil de gestion au même titre que les services marketing, ressources humaines ». Le design management vise en fait à changer le contexte dans lequel on ap-plique les compétences propres aux designers. « L’objectif est que le designer soit un coordinateur, un acteur du changement des or-ganisations et qu’il prenne en compte des contraintes informa-tiques, d’usages, esthétiques… et donne forme au final à un ob-jet ou un service » 46. Le design n’est donc plus considéré comme une finalité (esthétique et communicationnelle), mais plutôt comme un pro-cessus de conception : il ne relève plus exclusivement du domaine artis-tique, mais devient « un outil de gestion, d’innovation, de perfor-mance et de création de la valeur ». Un travail de recherche est actuellement mené sur de nouveaux modèles « Designence »™, « pour don-ner des outils aux designers, développer des indicateurs de per-formance qui permettent aux entreprises de se classer, de se si-tuer par niveau dans l’avancée d’un processus design et gérer la courbe d’apprentissage » (en cours d’expérimentation chez EDF et Carrefour) 46.

Selon Kathryn Best (2010, in Gallen et Pantin-Sohier, 2014), le design management est « une démarche globale, stratégique et d’organisation qui met en relation la réponse aux besoins du consommateur, la perfec-tion de l’offre et le mode d’organisation de l’entreprise pour conce-voir, développer et commercialiser l’offre ». C’est donc avant tout une méthode de conception de stratégie, centrée sur l’utilisateur, dans une démarche d’innovation de rupture, de différenciation, sur une vision à plus long terme que la démarche marketing. Un autre point important à retenir est la fonction du design, qui ne doit plus être considéré comme un attrait esthétique qui peut séduire le consommateur, un outil au ser-vice du marketing, mais comme un mode de management. Le design de-vient alors un élément moteur au sein de l’entreprise, qui doit collaborer avec les autres services clés tels que le marketing, R&D, fabrication, qua-lité, communication, distribution, etc. Il apporte de la valeur ajoutée et doit s’appuyer sur le savoir-faire des autres services, il ne peut préexister seul. L’idée de base est donc « comment faire autrement, ce que l’entre-prise sait déjà faire », grâce au design management. Le designer, concepteur,

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apparaît ici comme un stratège, fédérateur de l’ensemble des services de l’entreprise, il s’agit donc bien de management.

Cependant, afin de pouvoir appliquer correctement et efficacement cette nou-velle méthode de management, il est important de respecter certains cri-tères, que nous avons déjà évoqués lors de la relation entre le designer gra-phique et le client. Selon Chaptal de Canteloup (2011, in Gallen et Pantin-Sohier, 2014), la mise en place du design management implique de considérer trois aspects : la vision stratégique de l’entreprise, son contexte et son mode d’organisation.

• Afin que le design soit utilisé de manière stratégique au bénéfice de l’entreprise, il doit être managé par des personnes ayant une vision précise des besoins auxquels l’entreprise doit répondre. Le design n’aime pas le flou, de la même manière qu’un designer graphique doit travailler sur un brief concis ou un cahier des charges qui vise un but précis.

• De plus, « le design est en effet un vecteur de différenciation et un gé-nérateur de valeur à la condition qu’il légitime sa place dans l’or-ganisation », il doit donc être reconnu par les autres services de l’entre-prise, et être capable d’interagir avec eux. Cela nous ramène au sujet de la pédagogie, de la communication et du vocabulaire, déjà évoqué dans la PART.I. Le designer doit se faire comprendre, mais également com-prendre les manières de s’exprimer des autres services avec qui il est ap-pelé à collaborer (ingénieurs, production, marketing, etc.).

• Enfin, la démarche de design doit être communiquée dans l’entreprise afin de rendre visible et crédible son existence aux yeux des acteurs du projet (par un communiqué, une formation auprès des autres services, des ate-liers de conceptions, etc.). Cette démarche de démonstration rappelle la problématique du partage de connaissance et de l’appropriation de la créa-tion par le client déjà évoquée dans la partie précédente.

B La matrice du double diamant

La matrice du double diamant (Double Diamond Model), créée en 2005 par le UK Design Council of London est un modèle de conception qui permet de trouver les failles dans un process et de progresser de manière itéra-tive (sans revenir en arrière, ce qui remettrait tout le processus et les dé-cisions en question) 47. La matrice du double diamant permet de mieux comprendre sur quoi on travaille, pourquoi, comment, et ce qu’on laisse de côté. Ce type de modèle de conception peut être très utile, notamment dans la création d’un brief ou cahier des charges, afin que designer et client, sur un pied d’égalité, puissent produire ensemble un document de quali-té, qui garantisse ainsi la réussite du projet. La matrice du double diamant peut également être utilisée pour du développement produit / service, elle n’est pas spécifique au domaine de la conception.

A l’origine, la matrice du double diamant est une recherche comparative du dé-

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partement conception effectuée sur onze entreprises, leaders mondiaux dans leur domaine (Alessi, BskyB, BT, Lego, Microsoft, Sony, Starbucks, Virgin Atlantic Airways, Whirlpool, Xerox, Yahoo!), renommées pour leurs méthodes de conception et obtenant de très bons résultats en terme d’innovation et de différenciation sur le marché (secteur du produit et du service). L’étude menée par le Design Council en a tiré un schéma synthé-tique qui pourrait être applicable à d’autres sociétés.

L’étude a, par exemple, porté sur la façon dont la conception était utilisée dans ces entreprises, comment les concepteurs travaillaient avec le personnel des autres secteurs de l’entreprise et comment le processus de conception était géré. La comparaison des résultats a permis de tirer des similitudes et des caractéristiques clés qui sont synthétisées dans cette matrice. La matrice du double diamant est donc une sorte de cartographie de la concep-tion, prête à appliquer à tout domaine, à toute entreprise.

La matrice du double diamant fonctionne sur le principe de divergence (ou-verture) et de convergence (fermeture). Elle est divisée en deux phases : la première consiste à déterminer le rôle du design dans la stratégie (phase de définition : Discover, Define – what? And why?), la seconde per-met de concevoir la réponse à apporter (phase d’exécution : Develop, Deliver – how?). À la jointure des deux diamants, doit normalement ap-paraitre la définition du problème. Chaque « pic » est une étape impor-tante à valider. (fig.13)

DiscoverBehaviour-led design research

DefineCreative workshops and idea generation

DevelopReview ideas through culture thinking and design

DeliverPrototyping selection and mentoring

Figure 13 : Modèle du Double Diamant, d’après le Design Council of London

Source : thecreativeindustries.co.uk/

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1Discover :

Le point de départ du projet est une idée, qui marque le début d’une phase de découverte. L’objectif de cette première étape est d’ouvrir la pensée (phase di-vergente) où les concepteurs et les autres membres de l’équipe de projet expri-ment leurs points de vue et génèrent ainsi un panel d’idées différentes. Il faut alors poser une hypothèse, ou un problème, en se basant sur des données comme l’analyse du marché, l’étude de la cible, les tendances sociales ou environnemen-tales, la concurrence, etc.

2Define :

La phase de définition suppose de mieux cerner le projet et les besoins (dévelop-pement et gestion du projet, etc.), à la manière d’un filtre, pour sélectionner et rejeter les idées émises à la première étape (phase convergente). Les résultats sont analysés et affinés, et des solutions sont envisagées et prototypées. Cela per-met de trouver une définition claire du problème et un plan pour savoir com-ment y remédier, via la création d’un produit ou service.

3Develop :

La période de développement est à nouveau une phase divergente qui recherche plusieurs solutions de conception pour résoudre le problème trouvé à la phase précédente. Une fois définies, ces solutions de conception sont testées et proto-typées pour mener à bien cette phase d’expérimentation (ingénieurs, déve-loppeurs, programmeurs, marketing, etc.). Cette étape est réellement un travail multidisciplinaire qui fait appel à toutes les compétences des équipes de travail de l’entreprise

4Deliver :

la dernière phase représente le stade de livraison (phase de convergence), où le produit /service est finalisé et prêt à être lancé sur le marché (test final, appro-bation, commercialisation ou lancement). Cette phase se conclut également par une évaluation, qui permettra d’analyser le résultat, et qui sera utilisée pour les prochaines réflexions en terme de feedback ou REX (Retour sur Expérience), de manière à rendre plus efficace la prochaine conception avec la matrice du double diamant.

Le modèle du double diamant n’est pas le seul modèle du processus de concep-tion. Mais il reste un modèle combinant plusieurs valeurs intéressantes (phase de divergence/ convergence), qui se base sur la pratique et le succès de nom-breuses entreprises multinationales, qui a déjà fait ses preuves, et peut être uti-lisé par n’importe quelle entreprise pour lancer n’importe quel type de produit, peu importe le secteur d’activité (banque, assurance, architecture, nouvelle tech-nologie, produit, etc.)

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C Le design thinking

Tim Brown, co-fondateur du mouvement du design thinking le définit comme suit sur son blog : « Le Design Thinking est une discipline qui uti-lise la sensibilité, les outils et méthodes des designers pour per-mettre à des équipes multidisciplinaires d’innover en mettant en correspondance attentes des utilisateurs, faisabilité et via-bilité économique » 48. Plus particulièrement, le Design Thinking est une méthode de management de l’innovation et de résolution des problèmes qui s’appuie sur un processus de co-créativité avec l’utilisateur final (fig.14).

Cette méthodologie a été popularisée dans les années 2000 par la société IDEO mais elle est expérimentée par les designers depuis les années 50 (voir les travaux de Dieter Rams pour Braun). IDEO est une société de design, re-nommée pour être parmi les 10 sociétés les plus innovantes de la planète (enquête mondiale par le Boston Consulting Group). Elle a développé et ap-plique aujourd’hui dans ses projets, le Design Thinking, une approche cen-trée sur l’innovation et l’utilisateur. Tim Brown en est aujourd’hui le CEO, après avoir pris la relève de David E. Kelley, chef de file du mouvement Design Thinking 49. IDEO se positionne comme une société de conseil des nouvelles entreprises et des marques, pour les aider à concevoir des pro-duits, des services, des espaces et des expériences interactives innovantes, mais également pour transformer et améliorer leur culture créative et sys-tème de management. Cette approche permet également aux employés qui n’ont pas suivi de formation de conception d’utiliser des outils créatifs pour répondre à une vaste gamme de défis. D’après Tim Brown, « penser comme

Ideate

Test

Prototype

Synthesize

Define

Figure 14 : Les 5 étapes du Design Thinking selon Tim Brown

Source : trendemic.net/etapesdesign-thinking.html

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un designer peut transformer la façon dont les organisations déve-loppent des produits, services, processus, et de la stratégie ».

Le Design Thinking est une méthode de conception basée sur l’empathie, qui vise à concilier les partenaires qui vont collaborer, peu importe leur secteur d’ac-tivité. Les résultats obtenus, même avec un conglomérat d’acteurs venant de secteurs aussi différents que l’ingénierie, le marketing, le droit ou la science, ont donné des résultats plus novateurs que tout ce qu’ils pourraient pro-duire par leurs propres moyens 50. Tim Brown explique également que l’em-pathie permet à la fois de se mettre à la place du consommateur, donc de créer un produit qui lui convient, mais également d’avoir des perspectives originales sur le monde, et de mieux travailler avec ses collaborateurs 51.

L’autre principal avantage de cette technique de conception est qu’elle est simple à comprendre et facile à mettre en place et à adapter : il suffit de suivre les étapes (il faut faire plusieurs cycles pour un bon résultat). Le cycle de concep-tion peut être défini selon 7, 5 ou 3 étapes.

Aussi cette nouvelle conception de l’innovation basée sur les techniques des desi-gners, a donné naissance à plusieurs écoles, les « d.school » à travers le monde ; la plus célèbre est l’Université de Stanford en Californie, qui a ouvert son cours de Design Thinking en 2004. Des cours de design thinking sont égale-ment enseignés dans de nombreuses universités, dont plusieurs en France, et une école baptisée « Paris-Est d.school », dirigée par Véronique Hillen, ou-vrira à Marne-la-Vallée à la rentrée 2014 52.

La d.school ne tend pas à distribuer des diplômes, mais permet une approche de la conception : elle enseigne cet outil ou technique à qui est intéressé (peu importe son secteur d’activité) dans le but de la répandre et qu’elle soit ex-ploitée. David E. Kelley explique ainsi « Vous étiez un homme d’affaires qui n’a jamais compris la conception ; maintenant vous êtes un homme d’affaires et vous êtes intime avec la puissance de la conception et ce que la pensée de conception peut faire » 53.

En conclusion, le design dans sa globalité, en tant que méthode de conception, est une source d’inspiration pour tous les secteurs et tous les types d’entreprise. Nous avons ici proposé trois types de méthodes de management ou outils qui peuvent être adoptés dans une entreprise, dans le but de favoriser la créativité (les idées) des équipes, peu importe leur poste, l’innovation et la différenciation sur le marché. Mais il ne s’agit là que de trois exemples par-mi tant d’autres : la collection de Hugh Dubberly intitulée ‘How do you de-sign?’ présente plus d’une centaine de ‘descriptions of design and develop-ment processes’ appliquées à un large panel de disciplines 54. Considérée sous cet aspect, la pratique des entreprises n’est pas si éloignée du travail du de-signer, et les designers ont beaucoup à enseigner aux entreprises et à leurs clients. Le design se révèle donc à la fois une science appliquée et une mé-thode de management, très loin de l’idée de départ qui considère le design comme une pratique purement « artistique et décorative » .

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Conclusion

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Le design bénéficie aujourd’hui d’une exposition de plus en plus forte, auprès du grand public, mais il n’en demeure pas moins mal compris et catalo-gué dans le « beau », ce qui n’est pas sa fonction principale. Les différents champs du design, comme le design graphique, ne bénéficient pas de la même exposition et souffrent d’une mauvaise image auprès des citoyens, mais plus particulièrement auprès des clients qui lorsqu’ils font appel à un graphiste professionnel ne savent pas vraiment en quoi consiste son métier et la valeur ajoutée qu’il peut apporter au projet.

Il n’existe pas de réel accès au design en France, et il y a donc à la fois un pro-blème de culture et d’intelligibilité. Le design est avant tout un processus de conception, qui répond à un problème donné, ce n’est en aucun cas une pratique qui vise l’esthétique au détriment du sens, et cette vision de la profession est très souvent méconnue. Aussi cette relation déséquili-brée qui se créé entre les attentes du client (recherche du moindre coût, non-choix du prestataire, méconnaissance du métier, délais d’exécution restreints, etc.) et le designer graphique, entraîne des problèmes de com-munication, de confiance et peut impacter le management du projet, voire en empêcher la réalisation.

Le fait que le design graphique n’ait pas vraiment d’instance représentative, qu’il soit peu présent dans les musées, et surtout qu’il n’ait pas encore vraiment apporté la preuve de sa valeur ajoutée (comparé au marketing) ne contri-bue pas à sa reconnaissance par le client. De plus, le problème communi-cationnel provient principalement d’une incompréhension, générée par une culture, un vocabulaire et une manière de penser et de travailler sin-gulièrement différents entre les deux acteurs. De même, le travail de coor-dination entre le client et son équipe, et le designer professionnel et son studio peut donner lieu à des relations ambigües du fait de trop nombreux intermédiaires dans le projet, et de l’ego des intervenants, ce qui apparaît souvent dans un projet de création où chacun recherche une paternité. Ces problèmes de communication peuvent alors impacter le projet de plu-sieurs manières, à différents stades, et doivent être pris au sérieux sous peine de le retarder, d’en diminuer la qualité, voire d’aboutir à une rup-ture de contrat dans les cas extrêmes.

Il est cependant possible de surmonter ces différences et de renouer le dialogue pour retrouver une relation sereine entre le client et le designer graphique. Il est par exemple possible, en adoptant de nouvelles approches, comme la pédagogie, l’empathie, la coopération ou la collaboration horizontale, d’améliorer la relation entre les deux acteurs. De même, les théories sur la confiance trouvent ici leur place et permettent d’expliquer les craintes et les attentes réelles du client, qui ne sont pas toujours prises en compte par le designer graphique au cours du projet. Une autre solution plus com-munément rencontrée (surtout dans les projets de grande envergure, ou projets internationaux) est la pratique du médiateur, qui va servir d’inter-médiaire entre les deux acteurs, faciliter le dialogue et donc la réussite du

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projet. L’initiation à la pratique graphique, via des workshops, des dé-monstrations, et la diffusion de documents spécialement conçus pour les clients (book annuel, belle édition, blog, etc.), peuvent également abou-tir à des résultats surprenants, qui démontrent une communication pos-sible et une relation plus équilibrée entre les deux parties.

Enfin, les nouveaux courants de pensée tendent à penser qu’un enseignement de la conception comme matière à part entière, dispensé dans le secon-daire et dans les études supérieures, générerait une meilleure approche du métier. L’idée n’est pas, bien sûr, de transformer le client en un desi-gner, mais plutôt de l’initier au mode de conception et de pensée propre aux designers, ce qui est une nouvelle approche du management et peut être appliqué à toutes les entreprises, quels que soient leur taille ou leur secteur. La matrice du double diamant, développée par le Design Council of London, le design management ou encore le design thinking, qui emprun-tent les méthodologies du designer, préconisent de nouvelles manières de travailler, de manager, de concevoir, vers plus de coopération et de prise en compte de « l’autre ». Au final, l’adoption de ces concepts issus du de-sign est à la fois une nouvelle approche de l’entreprise et du métier du de-signer ce qui aboutit à une meilleure compréhension du rôle de chacun, une coopération plus complète, qui va dans le sens du management du projet et participerait à sa réussite.

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1 grapheine.com/divers/designer-mode-emploi-1 consulté le 07/07/2014 ; blog de l’agence Grapheine, article sur « qu’est-ce qu’un designer ? ».

2 cssf, nouvelle directive du 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs

3 vimeo.com/22276725 consulté le 07/07/2014 ; conférence de Blair Enns, « Win without pitching » Manifesto.

4 terryjohal.com/2013/04/24/video-lecture-design-and-society-by-alice-rawsthorn consulté le 07/06/2014 ; conférence de Alice Rawsthorn sur le rôle du design dans la société.

5 larevuedudesign.com/2013/06/05/design-et-episteme consulté – le 07/07/2014 ; article sur la culture design en France.

6 alliance-francaise-des-designers.org/pour-un-titre-de-designer.html consulté le 07/07/2014 ; site officiel de l’AFD, article sur la reconnaissance du titre de designer.

7 pyramyd-formation.com/

8 alliance-francaise-des-designers.org/membres-et-donateurs.html consulté le 07/07/2014 ; site officiel de l’AFD, informations sur la structure et ses membres.

9 grapheine.com/divers/designer-mode-emploi-3 consulté – le 07/07/2014 ; blog de l’agence Grapheine, article sur « qu’est-ce qu’un designer ? ».

10 -mgd.efonderie.com/blog/le-graphisme-en-voie-dune-reconnaissance-metierconsulté le 07/07/2014 ; article sur la culture graphique en France.

11 cnap.fr/forger-une-culture-graphique consulté

le 07/07/2014 ; site officiel du CNAP, article sur la culture graphique en France.

12 alliance-francaise-des-designers.org/pour-un-titre-de-designer.html consulté le 07/07/2014 ; site officiel de l’AFD, article sur la reconnaissance du titre de designer.

13 telerama.fr/scenes/graphistes-en-colere-pourquoi-ils-ne-veulent-plus-fermer-leur-gueule,99666.php consulté le 07/07/2014 ; article de Télérama sur la révolte des graphistes.

14 larevuedudesign.com/2011/11/22/design-en-entreprises-les-pratiques-de-gestion-du-design/ consulté le 08/07/2014 ; article sur la gestion du design.

15 clientsfromhell.netconsulté le 07/07/2014 ; blog recensant les réactions de clients de graphistes.

16 telerama.fr/scenes/graphistes-en-colere-pourquoi-ils-ne-veulent-plus-fermer-leur-gueule,99666.php. consulté le 07/07/2014 ; article de Télérama sur la révolte des graphistes.

17 aiga.org/french-graphic-design-a-contradiction-in-terms/.consulté le 07/07/2014 ; article de Véronique Vienne sur la considération du design en France.

18 larevuedudesign.com/2011/11/22/design-en-entreprises-les-pratiques-de-gestion-du-design/ consulté le 08/07/2014 ; article sur la gestion du design.

19 design-blog.info/opinions/et-si-les-managers-apprenaient-a-penser-comme-les-designers-c11p207.htm) consulté le 08/07/2014 ; blog de Nicolas Minvielle, article sur la « pensée design ».

Notes

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1 10

1 1 1

20 webcast.viewontv.com/webcast_keapartners_20140415.htmlconsulté le 15/04/2014 ; web-conférence Kea Partners sur la relation de confiance.

21 ted.com/talks/sheena_iyengar_choosing_what_to_choose?language=fr consulté le 16/05/2014 ; conférence de Sheena Iyengar sur le pouvoir du choix, TEDx.

22 ted.com/talks/barry_schwartz_on_the_paradox_of_choice?language=fr consulté le 08/05/2014 ; conférence de Barry Schwartz sur le paradoxe du choix, TEDx.

23 ted.com/talks/jason_fried_why_work_doesn_t_happen_at_work?language=fr#t-288946consulté le 28/05/2014 ; conférence de Jason Fried sur le travail, TEDx.

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39 thesherwoodgroup.com/interviews/interview-with-michael-bierut/#.U53KWY15OlBconsulté le 06/08/2014 ; interview de Michael Bierut (Pentagram design).

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Table des annexes

ANNEXE ICreaktif, présentation de l’entreprise d’accueil

P. 116

ANNEXE IIGuide d’entretien

P. 119

ANNEXE IIIPrésentation des participants

P. 120

ANNEXE IVÉtude de cas, AG2R La Mondiale / Chevalvert

P. 122

ANNEXE VÉtude de cas, H5 / Anne Hidalgo.

P. 126

ANNEXE VIRègles d’un appel d’offres « équitable » selon l’AFD

P. 127

ANNEXE VIIContenu d’un cahier des charges valide

P. 128

Page 116: La relation client/designer graphique

1 16ANNEXE I

Creaktif, présentation de l’entreprise d’accueil

• Creaktif est un studio parisien de création digitale (code NAF 7410Z), formé en 2010, qui réunit des passionnés de design, multimédia et nouvelles tech-nologies. Axel Corjon en est le fondateur et gérant. Il est Directeur Artistique Sénior et bénéficie de 8 années d’expérience dans le domaine en tant que Directeur de créations pour des grandes agences de commu-nication et en tant que DA freelance pour divers clients.

Creaktif est une PME de 5 employés : un directeur de créations sénior, un direc-teur artistique/motion designer, un directeur artistique junior, un chef de projet junior et un développeur. Cette polyvalence de métier au sein du studio lui permet de répondre aux projets soumis dans leur globalité et de livrer un projet clé en main, pensé de sa conception à son développe-ment technique. Chaque dossier fait l’objet d’une attention soutenue pour une création « sur mesure ».

• Avec une expérience acquise dans la conception de sites Internet, nous nous appliquons à concevoir dans différents domaines tels que les jeux, les ap-plications Facebook et tactiles (smartphone et tablette), les animations motion et 3D, ou encore des installations et objets interactifs ; et ce, quelles que soient l’importance du client et la taille du budget. Nos clients sont très divers et appartiennent à différents domaines : Canal+, Nestlé, Opel, Volkswagen, Microsoft, SNCF, Coca-Cola, Orange, Sony, Pathé, France Télévision, etc. Nous travaillons assez peu en direct avec l’annonceur, mais davantage via un contrat de prestation pour l’agence de communication en relation avec la marque.

• Le studio travaille en collaboration avec des clients récurrents (sous-traitance pour des agences de création ou directement avec le client), et également sur des appels d’offres ou compétitions pour remporter un contrat et agrandir ain-si son portefeuille client.

Dans certains cas, le studio fait appel à des prestataires extérieurs (freelance) pour le soutenir dans ses commandes (copy-writer, sound-designer, développeur, etc.). Creaktif est reconnu dans son secteur d’activité, avec plusieurs prix et distinctions à son actif (7e studio le plus récompensé en France) et des pu-blications de ses projets dans de nombreux magazines et blogs spécialisés.

• Creaktif explore également des projets plus personnels, comme le plugin ty-pographique Fontface Ninja publié en juillet 2014 (www.fontface.ninja), un projet photographique, une application et une installation artistique (projets en cours de développement). Ces projets internes et auto-amor-cés nous permettent d’une part de prendre le temps de concevoir, de cher-cher et de tester les nouvelles technologies, et d’autre part, de créer des interfaces plus proches de nos idées, sans contraintes graphiques, puisque nous sommes notre propre client.

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1 16

1 17

• Employée chez Creaktif depuis septembre 2012, en qualité de chef de projet ju-nior, je suis principalement chargée du suivi des projets : prise de brief chez le client, rédaction du cahier des charges si besoin, établissement et respect du planning, gestion du projet, prototypage, recettage, accompagnement du client, livraison, etc. En ce qui concerne les projets dont j’ai la charge, je suis l’intermédiaire principal entre le client ou l’agence de communication, et l’équipe graphique (directeur artistique sénior, junior, et développeur).

Au cours de ma seconde année d’alternance, j’ai eu l’occasion de manager plusieurs projets ou d’être associée à leur suivi ; chacun de ces projets s’est retrouvé complexifié par l’attitude du client, ou de l’équipe de gestion du projet côté client. Cela pouvait toucher au planning, au budget, à la gestion du projet en elle-même, à la création ou encore à la manière de communiquer entre les équipes.

La problématique de mon mémoire professionnel s’est donc imposée d’elle-même : comprendre pourquoi un tel gap existait entre le client (ou son équipe projet) et l’équipe de création de Creaktif (problème de communication, de confiance, de vocabulaire, de stéréotypes, etc.). Je me suis également aperçue, à travers des conversations avec des professionnels du domaine, que cette situation était vécue par tous les graphistes, quels que soient leur statut et leur structure d’accueil (indépendant, employé de PME ou grands groupes). Répondre à cette problématique relève donc à la fois d’une démarche qui sera utile à mon entreprise, mais également à l’en-semble de la profession.

Voici un aperçu de 15 projets qui se sont déroulés durant l’année écoulée (sep-tembre 2013-2014), et les sujets de discordes qui ont opposé client et l’équipe graphique de Creaktif:

Radio Xtrack (site web) Client direct Budget et planning non approprié face aux demandes répétitives de modifications du client (non prévues dans le cahier des charges).

Burn x Formule 1 (site web) Agence (client Coca-Cola) Facture payée plus de 90 jours après la livraison du projet.

Opel Carte de voeux 2014 (site web) Agence (Client Opel) Planning modifié en cours de projet (réduction de 10 jours), pour une livraison un jour férié.

Les purs Kiffs Lion 2014 (site web) Agence (client Nestlé) Problème du nombre d’intermédiaire et de la validation des étapes dans le projet, textes changeants sans cesse, problème de communication et de redondance d’informations (recettage).

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1 18

Qila Qila (site web) Agence (client Qila Qila) Problème de brief mal définis, changement d’intermédiaire en cours de projet, planification non respectée (délais de livraison reporté)

Destination Terroir (site web- wordpress) Client direct Budget et planning non approprié face aux demandes répétitives de modifications du client (non prévues dans le cahier des charges).

Le mystère de Grimouville (site web - webdoc) Agence (client direct) Problèmes de textes et de crédits changeants sans cesse.

Ballsao (installation & site web) Agence (client Ballantines) Problème de création : perte de la qualité au cours de la réalisation.

Showerbox (site web) Agence (client Canal Play) Problème de création : perte de la qualité au cours de la réalisation.

Microsoft La Défense (installation & motion) Agence (client Microsoft) Problème de brief mal définis, changement d’intermédiaire en cours de projet.

DxO (motion) Agence (client DxO) Problème de brief mal définis.

Pro avec vous (motion) Agence (client Coca-cola) Planification non respectée (délais de livraison reporté)

lntercité- Deauville (site web) Agence (client CSNF) planification non-respectée (modifiée en cours de projet), problème de création : perte de la qualité en cours de la réalisation.

Data-visualisation Sony (illustration) Agence (client Sony) planification non-respectée (délais de livraison reporté), problème de création : perte de la qualité en cours de la réalisation.

Screen-it (site web- wordpress) Client direct problème de brief mal définis, problème de communication avec le client, facture payée plus de 60 jours après la livraison du projet.

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ANNEXE II

Guide d’entretien

Les entretiens ont été menés selon un modèle semi-directif, afin de le diriger, tout en laissant la discussion ouverte à d’autres sujets que les participants sou-haiteraient aborder, ou afin de pouvoir rebondir sur des remarques émises lors de l’entretien. Trois parties ont permis de structurer le guide d’entre-tien (15 questions) :

1 Etablir un constat de la profession (comprendre les sources du problème) ;2 Quels en sont les enjeux et conséquences ;3 Quelles solutions pourraient être développées. Partie 1 : le constat de la profession1 Que pensez-vous de la relation qui existe entre le client et le designer gra-

phique (ou graphiste) ?2 D’après vous, est-ce un problème de culture, d’attentes antagonistes, de posi-

tion dominante du client ?3 Pensez-vous qu’il existe un problème de communication ?4 D’après votre expérience, cette situation est-elle vécue par tous les graphistes

(com, institutionnel, culture, etc. ?)5 Pensez-vous qu’il y ait un problème de « culture graphique » chez le client ?6 Avez-vous déjà rencontré des clients « plus respectueux du design », et quel

est leur profil ?7 Avez-vous observé une évolution dans le comportement des clients au cours

des 30/20/10 dernières années ?8 Que pensez-vous de la relation entre le graphisme et le marketing ? Partie 2 : Les enjeux et conséquences9 D’après vous, quelles sont les conséquences directes d’une mauvaise relation

entre le graphiste et le client ?10 Faut-il dire « non » quand un contrat se passe mal (mais à quel prix et quelles

conséquences) ?11 Pensez-vous que l’on aille vers une « précarisation » de la profession en France

(perte de la qualité graphique) ?12 D’après votre expérience, comment se passent ces relations client/graphiste

à l’étranger : quelles sont les différences et pourquoi ? Partie 3 : Les solutions à développer13 D’après vous, quelles solutions pourraient être appliquées pour faire évo-

luer les mentalités (formations internes, colloques, expo, workshop...) ?14 Connaissez-vous d’autres approches qui pourraient faire évoluer les mé-

thodes de travail/management pour ce secteur ?15 Que pensez-vous de l’application d’une charte de « bonnes pratiques » ? La

rédaction d’un contrat spécifique à la profession ? Ou une meilleure pro-tection juridique appliquée au métier ?

Page 120: La relation client/designer graphique

1 2 0ANNEXE III

Présentation des participants

• Pierre Bernard est graphiste. Il a fondé le collectif Grapus en 1970 avec François Miehe et Gérard Paris-Clavel, qui est à ce jour l’un des collectifs les plus prolifiques du graphisme français, et reconnu à l’international. Après la dissolution de Grapus en 1990, il fonde l’Atelier de Création graphique » (ACG) avec Dirk Behage et Fokke Draaijer, avec qui il réalise notamment l’identité graphique du Musée du Louvre et celle des parcs nationaux de France. Pierre Bernard est membre de l’« Alliance graphique Internationale » (AGI) depuis 1987 et a enseigné le graphisme à l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris.

• Camille Boidron est Directeur Artistique, freelance depuis 2007, spécialisé dans la réalisation de sites internet.

• Élodie Boyer est consultante en création de marque et design management de-puis 1997, et elle a monté sa propre agence de conseille en 2002. Elle est également chargée de cours au Celsa (Paris – Sorbonne), et a fondé les Éditions Non-Standards en 2012, avec lesquelles elle a pu coédité Lettres du Havre, ouvrage qui a reçu la Médaille d’Or au European Design Award de 2013.

• Mathieu Chévara est graphiste et typographe. Il a fondé et dirige actuellement un atelier de design (Atelier Marge design), un studio multimédia (Studio En Travers) et une fonderie typographique (Long Type). Ses trois struc-tures comptent aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs.

• Geoffrey Dorne est designer indépendant depuis 2005. Il est l’auteur du blog graphism.fr, qui vulgarise les nouveautés techniques et artistiques, et il coanime les podcasts The Walking Web, consacrés au design et à la créa-tion numérique, ainsi que les conférences Di/zaïn consacrées aux innova-tions techniques et artistiques. Geoffrey Dorne enseigne au sein de nom-breuses écoles (la Sorbonne, l’Ensci, les Gobelins, etc.).

• Stéphane Darricau, est professeur agrégé d’arts appliqués. Il enseigne la com-munication visuelle, l’histoire de l’art et l’histoire depuis 1996. Il a égale-ment été chargé de cours en sémiologie graphique à l’université Paris-III et a occupé un poste de visiting tutor au Central Saint Martins College of Art and Design de Londres en 2010-2011. Il publie régulièrement des ar-ticles consacrés au graphisme et à la création typographique dans la re-vue Étapes, et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire du graphisme et la composition typographique.

• Véronique Marrier est Chargée de mission design graphique au CNAP (Centre National des Arts Plastiques) pour le compte du Ministère de la Culture et de la Communication. Elle est également la cofondatrice des Éditions

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1 2 1

B42, et elle a cofondé l’Alliance française des designers (AFD). Véronique Marrier travaille depuis 1996 dans l’univers graphique.

• Patrick Paleta est cofondateur et directeur artistique du studio Chevalvert de-puis 2005, il fait partie du Bureau des Affaires Typogra phiques (BAT) de-puis 2009, et de l’association des Rencontres de Lure. Il a reçu le prix du « Meilleur typographe » en 2012 lors du Forum de l’industrie graphique. Patrick Paleta est également enseignant à l’esad d’Amiens.

• Étienne Robial est un directeur artistique français, il a cofondé en 1982 on/off, société de production spécialisée dans la conception d’identité de chaîne et d’habillage d’antenne. Il a notamment réalisé les habillages de canal+ (1984), la sept (1986), M6 (1987), RTL puis RTL9 (1994-1995),et nombreux génériques pour d’autres chaînes. Étienne Robial est également enseignant à l’Esag – Penninghen et l’Esav – Marrakech.

• Amélie Seraidarian est responsable communication pour AG2R La Mondiale et elle a travaillé en collaboration avec Chevalvert lors de la refonte de l’identité visuelle du groupe d’assurance (2011-2014).

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1 2 2ANNEXE IV

Étude de cas AG2R La Mondiale / Chevalvert

Témoignage de Patrick Paleta (Directeur artistique et co-fondateur du studio graphique Chevalvert) et Amélie Seraidarian, (responsable communication pour AG2R La Mondiale) - Table ronde organisée par le CNAP, le 13/05/2014 -

A Contexte

À la suite de la fusion des assureurs AG2R et La Mondiale, le groupe AG2R La Mondiale a souhaité repenser son identité visuelle et graphique.

L’assureur AG2R La Mondiale est le 10e assureur français en termes d’assurés, mais il est seulement 21e dans le classement des annonceurs en matière de communication et de reconnaissance auprès du public. L’enjeu est donc double, trouver une identité qui fait sens suite à la fusion des deux assu-reurs, mais également trouver un langage et une approche de communi-cation pour se différencier sur le marché hautement concurrentiel des as-sureurs à la personne.

B Stratégie

Le groupe AG2R La Mondiale a donc fait le choix d’adopter un design différent afin de se positionner en se différenciant des concurrents. Suite à la fu-sion, il était important de rationaliser le nombre de marques des deux en-tités, et de créer une nouvelle identité et une communication graphique, avec notamment le développement d’un style graphique qui devait mar-quer les esprits.

Ils ont fait le choix d’une petite agence, car ils préféraient être un « gros client chez une petite agence, plutôt qu’un petit client chez une grosse agence » d’après Amélie Seraidarian. Un appel d’offres international a été lancé, pour représenter au mieux les identités des deux assurances fusionnées (AG2R est Hollandais). Le choix s’est porté sur le Studio Dumbar (agence hollandaise – fondée en 1977), candidat qui respectait le mieux les critères très précis du brief (par exemple : ne surtout pas représenter un logo fi-guratif comme c’est couramment le cas dans le domaine de l’assurance). À l’unanimité, le jury a choisi le travail produit par le studio Dumbar : un logo correspondant parfaitement à la nouvelle image que souhaitait don-ner AG2R La Mondiale. La présentation s’est même déroulée sans avoir be-soin d’expliquer le concept tant le travail présenté était explicite, fidèle à la devise interne de l’assureur « unité, diversité ».

Le logo présenté était en réelle rupture (1 mot, 1 typo – la Gotham – 2 couleurs) dans un style très géométrique, permettant de nombreux jeux de décli-naisons graphiques. Ce style a permis à AG2R La Mondiale de réellement émerger et de se différencier de ses autres concurrents (fig.15).

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C Relation de coopération entre le designer et le client

La collaboration a été épaulée par Élodie Boyer (médiatrice et consultante en identité visuelle), chargée de « traduire le lien entre le client et les desi-gners » du Studio Dumbar. Élodie Boyer témoigne ainsi : « Sans nos inter-locuteurs chez AG2R La Mondiale, un tel projet n’aurait jamais pu exister. Ils ont su prendre des risques, ils ont été exigeants et ambitieux, ils nous ont fait confiance et ont respecté la création. Le résultat : une nouvelle identité visuelle sans compromis, un vrai parti pris, un style graphique avec une forte personnalité, un logotype unique et charismatique capable de durer sans faiblir, un impact sans précédent, une adhésion interne forte. L’identité visuelle a été conçue pour générer de la fierté, de l’attachement interne et ainsi catalyser le rapprochement entre les deux entités AG2R et La Mondiale » 54.

Une seconde étape, quelques années plus tard, a été confiée à Chevalvert (agence française fondée en 2007), afin de redesigner le style graphique qui était finalement efficace, mais trop en rupture ; il y avait un problème de com-préhension avec le public. Un travail de sémiologie a été confié à Alain Berger, afin de faire émerger les problématiques et de produire un nou-veau brief à transmettre aux designers graphiques. À l’issue d’un nouvel appel à projets, c’est le studio Chevalvert qui a été choisi, car leur idée de proximité et de familiarité apportait un nouveau souffle.

Figure 15 : Logos des deux groupes avant la fusion, et logo créé par le Studio Dumbar

Source : http://studiodumbar.com/work/ag2r-la-mondiale

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Le témoignage apporté par Amélie Seraidarian (AG2R La Mondiale – côté client) et Patrick Paleta (Chevalvert, côté graphiste) est assez emblématique d’une bonne relation entre le client et son graphiste (mais malheureusement trop peu représentatif des relations dans cette profession).

Ainsi, Chevalvert s’est appliqué à quelques concessions à la demande du client, comme utiliser des photos de personnes pour rendre la communication plus chaleureuse, au lieu d’utiliser des applats de couleur. En échange, AG2R La Mondiale qui sponsorise des grands événements sportifs (équipe de cyclisme pour le Tour de France, ou Transatlantique AG2R La mon-diale) a accepté de laisser plus de liberté pour la création et l’impression des objets spécifiques de ces événements annuels (édition des livrets « Allez-Allez » et affiches de la Transatlantique) (fig.16).

Le résultat est très innovant et inattendu pour un assureur, les objets graphiques possèdent une vraie qualité esthétique et fonctionnelle. Il y a également eu un vrai dialogue entre les deux acteurs du projet quant au choix de l’imprimeur.

Le témoignage d’Amélie Seraidarian permet quant à lui de retracer les efforts et concessions qui ont été faits au sein même de l’entreprise, pour faire ac-cepter et avancer ce projet.

La relation de travail qui s’est établie entre AG2R La Mondiale et Chevalvert s’est bien déroulée, cependant tout n’a pas été facile à accepter. Il y a eu de nom-breux débats au cours des délibérations, et un vrai travail de fond pour convaincre les décideurs, que le choix final devait impérativement repo-ser sur des critères objectifs (autre que l’esthétique et donc personnel). C’est donc un travail de longue haleine, que de faire adhérer une struc-ture institutionnelle comme un assureur, au changement d’image vers une identité graphique forte et non-conventionnelle (fig.17).

Figure 16 :

Édition spéciale « Allez-Allez » pour AG2RLa Mondiale, par le studio Chevalvert

Source : http://chevalvert.fr/identite/ag2r-la-mondiale-identite/

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Figure 17 :

Identité visuelle de AG2R La Mondiale par le Studio ChevalvertSource : http://chevalvert.fr/identite/ag2r-la-mondiale-identite/

Trois années ont été nécessaires pour changer la mentalité du groupe, le faire adhérer à une nouvelle pédagogie et ouverture d’esprit. Cette modification a pu se faire grâce à l’instauration d’un site dédié, la diffusion de la nouvelle charte graphique, accompagnée d’explica-tions qui préfiguraient les changements à venir, la création d’un ba-romètre, et la mise en place de nombreux séminaires et discussions ouvertes, où chacun était libre de poser des questions et de s’inter-roger sur les changements à venir.

Amélie Seraidarian conclut en annonçant que les changements graphiques forts qui ont touché le groupe AG2R La Mondiale ont été possibles, car la marque souhaitait ce changement plus que tout (pour sur-vivre à ces concurrents, c’était un vrai axe stratégique qui avait été identifié comme un moyen de se démarquer), ce qui a poussé le groupe a accepté plus facilement l’identité graphique proposée par le Studio Dumbar, puis la refonte de Chevalvert. Au final, la bonne relation entre le client et le graphiste dépend donc essentiellement de la vision et de la volonté du client, qui doivent être partagées avec le designer.

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1 2 6ANNEXE V

Étude de cas H5 / Anne Hidalgo

Témoignage de Ludovic Houplain et Rachel Cazadamont du collectif H5- Table ronde organisée par le CNAP, le 13/05/2014 -

Le studio H5 (studio français fondé en 1994) a témoigné de la collaboration qui a été menée avec l’équipe de communication d’Anne Hidalgo pour sa cam-pagne à l’élection de la mairie de Paris en 2014. Ils ont bénéficié d’une liber-té totale dans leur création, car « on leur a fait confiance dès le début du projet ». Ils ont imaginé un système très dynamique, sans logo, sans symboles, mais basé sur les messages et textes de campagne d’Anne Hidalgo, avec cette idée de « parler de politique sans mettre de symboles po-litiques ». L’idée principale de cette campagne de communication était alors « la proximité, le dialogue, avec une image légère du post-it pour s’affranchir de la lourdeur politique » habituelle, avec l’utilisa-tion de couleurs franches et de messages simples et directs (fig.18).

Le témoignage de H5 rapporte une vraie collaboration, d’égal à égal avec le client, où le travail a été effectué ensemble, l’écriture du brief commune, dans une vraie stratégie et un accompagnement de collaboration. Si cette col-laboration s’est aussi bien passée, c’est probablement que le client avait précisément choisi les graphistes avec qui il voulait travailler. Le choix de communiquer sur un concept (plutôt que sur un logo) est très fort, et n’importe quel client n’aurait pas accepté cette stratégie d’image ou de communication, à moins d’avoir une très grande confiance en son presta-taire. H5 témoigne que c’est suite à leur exposition « Hello » à la Gaité Lyrique à Paris fin 2012, que l’équipe d’Anne Hidalgo, séduite, a fait appel à eux. Le client était donc conscient du style et du langage graphique d’H5, et avait donc sciemment choisi H5 en vue d’une identité qui leur ressem-blerait à tous les deux.

Figure 18 : Images tirées de la campagne d’Anne Hidalgo, par H5Source : http://h5carnetdecampagne.tumblr.com/a

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ANNEXE VI

Régles d’un appel d’offres « équitable » selon l’AFD

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1 28ANNEXE VII

Contenu d’un cahier des charges valide

Voici les informations que devrait normalement contenir le cahier des charges fourni par un client, à destination d’un designer pour une commande gra-phique, afin que le projet puisse bénéficier de toutes les clés en main (Source : http://www.declicdesign.fr/spip.php?article6)

L’entreprise

A Fiche d’identité• l’origine et les raisons de l’activité,

• les secteurs d’activité et leur évolution,

• les interlocuteurs et l’organigramme.

B mage de marque• mission et valeurs de l’entreprise,

• perception client/distribution et évolution,

• moyens de communication existants.

C Organisation industrielle• conception et production,

• sous-traitance et niveau d’intervention,

• logistique.

Le couple produit-marché

A Produit• objectifs visés, stratégie,

• fonction, service, image,

• relation aux produits existants,

• historique (essais, maquettes).

B Marché• typologie utilisateur,

• positionnement marché/concurrence,

• méthode de vente et réseau,

• prix de vente/coût de revient estimé,

• actions de promotion,

• conditionnement.

L’environnement du projet

A Technique• fonctions techniques existantes ou à développer,

• choix technologiques existants ou à développer,

• éléments non modifiables,

• matériaux,

• part de sous-traitance,

• montage, maintenance, logistique,

• coût de revient estimé.

B Financier• estimation des besoins en investissement

par phase : maquettes techniques,

prototypes, outillage série.

C Planning• groupe de projet,

• phases d’études réalisées,

• estimation des jalons, tests et contrôle

Le marché et ses environnements

A Concurrence• produits et distribution,

• image de marque et positionnement,

• technologie, service, prix,

• cycle de vie produit,

• part de marché.

B Marché• segmentation,

• typologie clients,

• lieu et méthode de vente,

réseau de distribution,

• cycle de vie produit,

• avantages concurrentiels,

• part de marché,

• évolution du marché.

C Environnement• tendances socioculturelles,

• législation, normes, technologie,

• univers produits connexes

(relation directe et indirecte).

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Le marché et ses environnements

A Concurrence• produits et distribution,

• image de marque et positionnement,

• technologie, service, prix,

• cycle de vie produit,

• part de marché.

B Marché• segmentation,

• typologie clients,

• lieu et méthode de vente,

réseau de distribution,

• cycle de vie produit,

• avantages concurrentiels,

• part de marché,

• évolution du marché.

C Environnement• tendances socioculturelles,

• législation, normes, technologie,

• univers produits connexes

(relation directe et indirecte).

Table des figures

1 Schéma représentatif de la méthodologie de recherche appliquée2 Les freins à l’utilisation du design selon les entreprises françaises 3 Clichés illustrés de la profession du designer graphique sur le blog Monmaçon.tumblr4 Collection Great Ideas, revisitée par David Pearson pour Pinguin Book5 Identité visuelle et déclinaison de Thello, par Élodie Boyer6 Schéma récapitulatif de la profession, à destination du client7 La place du design dans l’entreprise et gestion plurielle des projets 8 Identité visuelle et déclinaison de i2t par Mathieu Chévara9 Schéma de répartition des rôles au sein d’une équipe projet10 Schéma synthétique du programme proposé par Uday Gajendar11 Les books annuels « En long, En marge, En travers » de Mathieu Chévara12 Lettres du Havre, des Éditions non-standards13 Modèle du Double Diamant, d’après le Design Council of London14 Les 5 étapes du Design Thinking selon Tim Brown15 Logos des deux groupes avant la fusion, et logo créé par le Studio Dumbar16 Identité visuelle de AG2R La Mondiale par le Studio Chevalvert17 Édition spéciale « Aller-Aller » pour AG2R La Mondiale, par le studio Chevalvert18 Images tirées de la campagne d’Anne Hidalgo, par H5

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