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La quête de la paixNotes et coNversatioNs eN chemiN

JohaNN christoph arNold Avant-propos de Thich Nhat Hanh

The Plough Publishing House

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Table des matières

Avant-propos v

I

La quête de la paix 1

II

Significations 6La paix en tant qu’absence de guerre 9

La paix dans la Bible 12La paix en tant que cause sociale 15La paix dans la vie personnelle 18

La Paix de Dieu 23La paix qui dépasse toute compréhension 26

III

Paradoxes 28Non pas la paix, mais une épée 30

La violence de l’amour 37Pas de vie sans la mort 43

La sagesse des fous 52La force de la faiblesse 58

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IV

Tremplins 65La simplicité 74

Le silence 79L’abandon 87La prière 97

La confiance 107Le pardon 118

La reconnaissance 125L’honnêteté 133L’humilité 142

L’obéissance 153Le caractère ferme 162

Le repentir 170La conviction 181Le réalisme 191Le service 200

V

La vie abondante 209La sécurité 220

La plénitude 229La Joie 238L’Action 248

La Justice 257L’Espoir 268

A propos de l’auteur 276Le Bruderhof 278

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Avant-propos

Dans le Sermon sur la montagne, Jésus nous dit, « Heu-reux ceux qui créent la paix autour d’eux, car Dieu les

appellera ses fils ! » Afin de travailler pour la paix, il faut avoir le cœur en paix. Et alors, vous êtes un enfant de Dieu. Cependant, beaucoup parmi ceux qui travaillent pour la paix ne sont pas en paix. Ils ont encore de l’irritation et de la frustration, et leur travail n’est pas réellement en paix. On ne peut pas dire qu’ils touchent le royaume de Dieu. Afin de garder la paix, notre cœur doit être en paix avec le monde, avec nos frères et nos sœurs. Cette vérité est au cœur du nouveau livre, si bienvenu, de Johann Christoph Arnold, La quête de la paix.

Nous pensons souvent que la paix est l’absence de guerre ; que si les pays puissants en Europe voulaient bien réduire leurs arsenaux, nous aurions la paix. Mais si nous consi-dérons sérieusement nos armements, nous voyons notre propre cœur – nos préjugés, nos craintes, et notre ignorance. Même si nous transportions toutes les bombes sur la lune, les racines de la guerre et la raison que les bombes existent seraient encore dans nos cœurs et notre esprit, et tôt ou tard nous ferions de nouvelles bombes.

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vii

Jésus nous dit :

...il a été dit aux anciens : « Tu ne commettras pas de meurtre; celui qui commet un meurtre mérite de passer en jugement. » Mais moi je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère mérite de passer en jugement ; celui qui traite son frère d’imbécile mérite d’être puni par le tribunal, et celui qui le traite de fou mérite d’être puni par le feu de l’enfer (Matthieu 5.21-22).

Ainsi, œuvrer pour la paix doit en effet signifier plus que de rejeter les armes. Cela doit commencer par le déracinement de la guerre de notre cœur et du cœur de tout être.

Comment pouvons-nous rompre le cycle de la violence ? Arnold nous dit qu’avant de pouvoir trouver la paix avec nos semblables et avec le monde, nous avons à faire la paix avec nous-mêmes. Combien cela est vrai ! Si nous sommes en guerre avec nos parents, notre famille, notre société ou notre Eglise, il y a vraisemblablement une guerre en nous-mêmes, aussi. Donc, notre travail de base doit être de revenir à nous-mêmes, et de créer l’harmonie entre ces éléments – nos sentiments, notre perception et notre état mental.

En lisant ce livre, essayez de reconnaître les éléments op-posés dans votre cœur, et leur cause. Cherchez à avoir plus conscience de ce qui cause la colère et la séparation, et de ce qui les surmonte. Déracinez la violence qui est dans votre vie, et apprenez à vivre avec compassion, attention et souci. Recherchez la paix. Quand vous aurez la paix en vous-même, alors la paix véritable avec les autres sera possible.

Thich Nhat Hanhvillage des pruNiers, FraNce, priNtemps 1998

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iLa quête de la paix« L’espoir, c’est ce qui nous reste

dans des temps difficiles »Proverbe Irlandais

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La quête de la paix

Nous vivons dans un monde troublé, et malgré les dis-cussions constantes à propos de la paix, la paix nous

manque. En effet, il y a si peu de paix, que lorsque je parlais de ce livre à un ami, il a insinué que ce n’était pas seulement naïf d’écrire un livre sur un tel sujet, mais même quelque peu perverse.

Personne ne peut nier le fait que la violence influence la vie publique, partout sur notre globe terrestre, depuis les points chauds, comme les Chiapas, l’Irlande du Nord, le Timor oriental, l’Iraq, et l’Israël Occidental, jusque dans les rues de nos cités américaines délabrées. De même dans notre vie personnelle – y compris dans les faubourgs les plus « tranquilles » – le manque de paix est souvent l’ordre du jour : la violence domestique, la toxicomanie, les tensions qui divisent le monde des affaires, les écoles, et les Eglises.

La violence se dissimule derrière les façades les plus res-pectables de notre société, soi-disant édifiée dans le « Siècle des lumières ». Elle se cache dans les turbines de l’avidité et de l’hypocrisie, de l’injustice, raciale et économique, qui dirigent nos grandes institutions financières et culturelles. Elle est présente dans l’infidélité qui peut éroder les mariages,

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même les plus pieux mariages « chrétiens ». Cette violence est là, aussi dans l’hypocrisie qui mortifie la vie spirituelle et qui dérobe l’expression la plus religieuse de sa crédibilité.

Du point de vue humain, il peut, en effet, sembler même pervers d’écrire un livre sur la paix. Cependant, le besoin de la paix crie au ciel. C’est un des désirs les plus poignants du cœur. Donnez-lui le nom que vous voulez : harmonie, séré-nité, unité, solidité mentale ; ce désir est là en chacun d’entre nous. Personne n’aime les problèmes, les maux de tête, le chagrin. Chacun désire la paix – d’être libéré de l’anxiété et du doute, de la violence et de la division. Chacun désire la stabilité et la sécurité.

Il y a même des organisations qui désirent ardemment la paix universelle, telle que le Mouvement International de la Réconciliation. Son but est d’atteindre la coopération poli-tique, à l’échelle internationale. D’autres, comme le groupe Greenpeace, veulent promouvoir l’harmonie entre les êtres humains et tout ce qui vit, et une conscience de nos rapports avec notre entourage.

D’autres cherchent la paix en modifiant leur style de vie : en changeant leurs carrières, en déménageant de la ville à la banlieue, (ou des banlieues à la campagne) en écono-misant et en simplifiant, ou en améliorant, d’une façon ou d’une autre, leur qualité de vie. Puis, il y a le jeune homme, récemment revenu de l’étranger à notre communauté, après une période de vie folle, de dépenses et de mœurs légères ; il désire ardemment maintenant « s’éveiller chaque matin en paix avec lui-même et avec Dieu ». D’autres encore, semblent se contenter de la vie, telle qu’ils la mènent ; heureux et com-blés, ils disent, peut-être, ne rien désirer de plus. Pourtant,

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je soupçonne qu’au fond d’elles-mêmes, ces personnes ne possèdent pas la paix parfaite.

Tandis que je travaillais à ce livre, j’ai trouvé par hasard une publicité : l’image d’une femme, allongée sur une chaise longue, contemplant le coucher de soleil sur un lac. On lisait : « La profession rêvée. De beaux enfants. Le mariage parfait. Et le sentiment rongeur d’un vide absolu. » Combien de mil-lions partagent cette peur tacite ?

A un certain niveau, nous sommes tous à la recherche de la vie, telle que le Créateur l’a intentionnée : une vie où règnent l’harmonie, la joie, la justice, et la paix. Nous avons tous sûrement rêvé d’une vie dans laquelle le malheur et la douleur n’existaient pas : le Paradis perdu, pour lequel (comme nous dit la Bible) toute la création gémit.

Ce désir est aussi ancien qu’il est universel. Il y a des mil-liers d’années, le prophète hébreu Esaïe, rêvait d’un règne de Paix, dans lequel, le lion vivrait avec l’agneau. Ainsi, au tra-vers des siècles, même si l’horizon était sombre et le champ de bataille sanglant, les hommes et les femmes auraient retrouvé l’espoir en cette vision.

Lorsque Philip Berrigan, militant contre la guerre, fut passé en jugement récemment, et condamné pour avoir commis un acte de désobéissance civile dans un chantier naval aux Etats-Unis, beaucoup ont désapprouvé ses actions ; Phil admit que pour la majorité des gens en effet, « c’était une action absurde ». Mais il ajouta qu’il aimerait mieux passer sa vie en prison pour ses convictions, plutôt que de passer le reste de sa vie « sur quelque plage ». Combien d’entre nous, peuvent parler ainsi ? Jusqu’à la fin de sa vie en 2002, Phil continuait sans relâche à militer contre l’industrie d’armement nucléaire.

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Ma propre communauté, le Bruderhof, a souvent été ac-cusée d’avoir perdu pied avec la réalité. Oui, nous avons abandonné le chemin usuel, du bien-être bourgeois – du chez-soi, de la propriété privée, de la carrière, du compte en banque, de la retraite confortable – afin d’essayer de vivre ensemble, comme les premiers chrétiens l’ont fait. Nous luttons pour pouvoir vivre une vie de sacrifice, de discipline, et de service mutuel. Ce n’est pas une vie de paix, telle que le monde la donne.

Qu’est-ce que la paix, et la réalité, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi vivons-nous ? Et que voulons-nous laisser à nos enfants et petits-enfants ? Même si nous sommes heureux, que laissons-nous à la postérité, après le mariage et les enfants, l’automobile et le travail ? Est-ce que notre héritage est vraiment la réalité d’un monde hérissé d’armement, un monde de haine entre les classes, et de querelles familiales, un monde sans amour, d’égoïsme ambitieux, de médisance et de rancune ? Où existe-t-il une réalité plus grande, où tout ceci est dominé par le pouvoir du Prince de la Paix ?

Dans les pages suivantes j’ai essayé d’éviter de formuler des thèses bien tournées, ou de présenter des arguments sans sortie. On peut trouver cette sorte de guides spirituels dans n’importe quelle librairie. Mais, à mon expérience, la vie elle-même n’est jamais aussi bien-ordonnée. Au contraire. De toute façon, chaque lecteur se trouvera à un endroit dif-férent dans sa recherche. J’ai de même essayé de ne pas m’attarder sur les causes du manque de paix. On pourrait écrire tout un livre sur ce sujet, mais ce serait trop déprimant. Mon but, tout simplement, c’est de vous présenter un trem-plin, et suffisamment d’espoir pour vous aider à continuer votre recherche de la paix.

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iiSignifications

« Uniquement si vous êtes en paix avec vous-même, serez-vous capable de promouvoir la paix dans le monde. »

Rabbi Simcha Bunim

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Significations

Que ce soit une carte de vœux, ou un signet, ou un panneau d’affichage, ou même un torchon à vaisselle

brodé, notre culture est inondée d’expressions au sujet de la paix. Des expressions telles que « paix et bonne volonté » sont si répandues, qu’elles ne sont devenues que slogans et clichés. Nous terminons souvent nos lettres avec le mot « Paix ». Sur un autre plan, dans le gouvernement et dans les nouvelles, on parle de bataillons armés en tant que forces de maintien de la paix, stationnés dans les régions déchirées par la guerre, de par le monde. Dans les Eglises, les prêtres et les curés terminent leurs offices avec les paroles « Allez en paix », et bien que ces paroles soient intentionnées comme une bénédiction, elles semblent plutôt être un renvoi jusqu’au Dimanche prochain.

Muhammad Salem Agwa, Imam (prêtre musulman) à New York, remarque que les Musulmans se saluent réciproque-ment avec les paroles Salaam Alaikum. Cependant il dit de même, que parmi eux c’est aussi devenu une habitude, sans penser aux responsabilités mutuelles que ceci implique :

Je salue toujours avec ces paroles, mais elles ne veulent pas simplement dire « Bonjour » ou « bonsoir ». Elles ont

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un sens plus profond : « Que la paix et la bénédiction de Dieu soient avec vous. » Lorsque je dis ceci, je sens que je suis en paix avec vous, et vous avec moi. Je vous tends la main. Je viens vers vous, pour vous donner la paix. Et pendant ce temps, jusqu’à notre prochaine rencontre, cela veut dire : je prie Dieu de vous bénir, d’avoir pitié de vous, et de renforcer nos rapports mutuels, en tant que frères.

Combien différent serait le monde, si nous étions vraiment en paix avec tous ceux que nous rencontrons au cours de la journée, si nos paroles étaient plus que simple politesse et venaient de notre cœur ! En réalité, et les athéistes nous l’indiquent maintes fois, peu de conflits ont causé autant d’effusion de sang au cours de l’histoire, comme l’ont fait nos incessantes querelles à propos des différentes religions. Il n’est pas étonnant que les anciens prophètes ont soupiré, : « Ils égarent mon peuple, en disant, ‘Paix, Paix’, quand il n’y a pas de paix. »

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La paix en tant qu’absence de guerre

Pour beaucoup, la paix signifie sécurité nationale, stabil-ité, la loi et l’ordre. Elle est associée avec l’éducation, la

culture, le devoir civique, la prospérité et la santé, le confort et la tranquillité. C’est la bonne vie. Mais, est-ce qu’une paix basée sur ces choses-là peut être pour tous ? Si la bonne vie représente un choix et une consommation illimités pour quelques privilégiés, il s’ensuit que les autres, les millions d’autres doivent travailler dur, dans la pire pauvreté. Est-ce alors la paix ?

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père, Eberhard Arnold a écrit :

Le Pacifisme, nous suffit-il ? Je ne pense pas.Lorsque plus d’un millier ont été tués injustement, sans

procès, sous le nouveau régime de Hitler, n’est-ce pas là déjà, la guerre ?

Lorsque des centaines de milliers de personnes ont été mises dans les camps de concentration, perdant leur dignité humaine et leur liberté, n’est-ce pas là la guerre ?

Lorsque des millions de personnes meurent de faim en Asie, tandis qu’en Amérique du Nord, et autre part, des

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millions de tonnes de blé sont stockées dans des hangars, n’est-ce pas là, la guerre ?

Lorsque des milliers de femmes ruinent leur vie en pros-titution, pour gagner de l’argent, lorsque des millions de bébés sont avortés, tous les ans, n’est-ce pas là, la guerre ?

Lorsque les gens sont forcés à travailler comme des esclaves, parce qu’ils ne peuvent à peine acheter le pain et le lait pour leurs enfants, n’est-ce pas là, la guerre ?

Lorsque les riches habitent leurs villas dans leurs parcs, tandis que dans les faubourgs il y a des familles qui n’ont qu’une seule pièce à partager, n’est-ce pas là, la guerre ?

Lorsqu’une personne possède un compte en banque énorme, tandis qu’une autre ne possède même pas le strict nécessaire, n’est-ce pas là, la guerre ?

Lorsque des milliers de conducteurs imprudents sont la cause d’accidents tous les ans, n’est-ce pas là, la guerre ?

Je ne peux pas représenter un pacifisme qui maintient qu’il n’y aura plus de guerre. Une telle revendication ne vaut rien ; la guerre continue quand même jusqu’à présent... Je ne suis pas d’accord, non plus, avec un pac-ifisme dont les représentants maintiennent les causes principales de la guerre : la propriété et le capitalisme. Je ne crois pas au pacifisme des hommes d’affaires qui font chuter leurs concurrents, ou au pacifisme des maris qui ne peuvent même pas vivre en paix et dans l’amour avec leurs propres épouses...

Je préfèrerais carrément ne pas me servir du mot « pac-ifisme ». Mais je suis un partisan de la paix. Jésus a dit, « Heureux sont ceux qui veulent la paix ! » Si je désire vraiment la paix, je dois la représenter dans tous les do-maines de ma vie.

En termes politiques, la paix prend la forme d’accords com-merciaux, de compromis, et de traités de paix. De tels traités

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ne sont guère plus qu’un équilibre fragile des pouvoirs, né-gocié à des moments de tension sérieuse qui sèment les graines de nouveaux conflits, pires que les précédents qu’ils étaient censés résoudre. Il y a beaucoup d’exemples, depuis le Traité de Versailles, terminant la Grande Guerre, mais qui a entretenu assez de nationalisme pour déclencher la Seconde Guerre Mondiale, jusqu’à la Conférence de Yalta, qui termina la Seconde Guerre Mondiale, mais qui provoqua les tensions, aboutissant à la guerre froide. Les cessez-le-feu, ne mettent pas fin à la haine.

Tout le monde convient que la paix soit la réponse à la guerre, mais quelle sorte de paix ? Le Rabbin Kenneth L. Cohen écrit :

L’obscurité est l’absence de la lumière, mais la paix n’est pas seulement la cessation des hostilités. On peut signer des traités, échanger les ambassadeurs, renvoyer les ar-mées, et cependant ce ne sera toujours pas la paix. Les implications de la paix sont métaphysiques et cosmiques. La paix est plus que l’absence de guerre. La paix, en fait, n’est pas du tout l’absence de quelque chose, mais plutôt l’ultime affirmation de ce qui peut être.

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La paix dans la Bible

Une façon d’examiner la signification profonde de la paix, c’est de voir ce qu’en dit la Bible. L’Ancien Testament

nous donne un concept, des plus riches en profondeur, dans le mot hébreu pour la paix : shalom. Shalom est difficile à traduire, à cause de ses nombreuses implications. Ce mot n’a pas un seul sens, bien qu’on puisse en rendre le sens avec les mots totalité, sûreté ou intégrité – bien plus qu’il nous suggère au premier abord.

Shalom signifie la fin de la guerre et des conflits, mais aussi l’amitié, le contentement, la sécurité et la santé ; la prospérité, l’abondance, la tranquillité, harmonie avec la nature, et même le salut. Et ce sens est pour tout le monde, non seulement pour quelques privilégiés. Shalom est au fond une bénédiction, un don de Dieu. Ce n’est pas un effort hu-main. Shalom s’adresse à l’état de l’individu, mais de même au rapport – entre personnes, entre nations, et entre Dieu et l’être humain. Au-delà de ceci, shalom est intimement lié à la justice, car il représente le désir ou la célébration des rapports humains rectifiés pour le meilleur.

Dans son livre He Is Our Peace (Il est notre paix), Howard Goeringer nous montre un sens encore plus radical de la parole, shalom : Aimer ses ennemis.

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En l’an 600 avant JC, l’armée Babylonienne envahit la Judée et prit des otages de Jérusalem en exil. Ce fut en ces circonstances extrêmement difficiles que Jérémie a écrit ces paroles remarquables aux réfugiés dans la cité, tellement haïe, de Babylone : « Recherchez la paix de la cité dans laquelle je vous ai envoyés en exil, et priez le Seigneur pour elle, car en elle vous trouverez votre sha-lom. » Les réfugiés furent forcés de vivre en exil, tandis qu’ils voyaient leur civilisation s’effondrer. Dédaignant leurs ravisseurs, anxieux de retourner à leur pays, ir-rités de ne pas avoir été aidés par Dieu, ils ne pouvaient comprendre ce que Jérémie leur disait. Cet homme fou de Dieu leur disait d’aimer leurs ravisseurs, de faire du bien à leurs ennemis, et de demander à Dieu de bénir leurs persécuteurs avec shalom.

Comme nous le pressentions, la lettre de Jérémie ne fut pas populaire. Les otages qui souffraient ne voyaient pas que leur bien-être et le bien-être de leurs ravisseurs dépendaient l’un de l’autre. Penser à servir leurs ravis-seurs avec un esprit de compassion, à soigner leurs mal-ades, à apprendre à leurs enfants leurs jeux juifs et tra-vailler une heure de plus pour eux ! – ce serait de la folie !

Goeringer a raison : souvent, la paix de Dieu paraît tout à fait irrationnelle, non seulement aux yeux de ceux qui avaient l’expérience du monde, mais aussi aux yeux de la plupart des gens religieux.

La paix est également un thème central dans le Nouveau Testament, où le mot eirene est utilisé très souvent. En son contexte biblique, le mot eirene va beaucoup plus loin que sa signification classique grecque, « le repos », et il inclut un grand nombre de connotations de shalom. Dans le Nou-veau Testament, Jésus le Messie est le messager, le signe, et

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l’instrument de la paix de Dieu. En fait, Saint Paul nous dit que le Christ est notre paix. En Lui toutes choses sont réc-onciliées. Voilà pourquoi son message est appelé l’Evangile de la paix. C’est la Bonne Nouvelle de la Venue du Règne de Dieu, où tout est arrangé.

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La paix en tant que cause sociale

Le monde est plein d’activistes luttant pour de bonnes causes  : défenseurs de l’environnement et des sans-

abris, ceux qui sont contre la guerre, partisans de la justice sociale, défenseurs des femmes abusées et des minorités opprimées, et ainsi de suite. Dans les années soixante, nous étions nombreux à marcher aux côtés de Martin Luther King. De nos jours, au 21e siècle, beaucoup luttent pour l’abolition de la peine de mort. Ma propre communauté s’y est vive-ment engagée, car cette cause est au fond une lutte contre les injustices du système judiciaire américain. Les horreurs que nous avons vues, à la fois au niveau local et au niveau international comme dans les cas des prisonniers politiques connus tels Mumia Abu-Jamal et Léonard Peltier, nous mon-trent clairement que cette politique de l’ordre public a plus à faire avec la violence et la peur, qu’avec la paix.

Certains des hommes et femmes dont j’ai fait la connais-sance en ce milieu sont parmi les personnes les plus dédiées que j’ai jamais rencontré. Je ne voudrais en rien dépréci-er leurs bonnes actions. Cependant la fragmentation qui

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marque la vie d’autres combattants pour la paix et la justice, et la dissension qui en résulte, est douloureusement présente.

En jetant un regard en arrière dans les années soixante, au temps où il y avait bon nombre de ceux qu’on appelait les « peacenicks », plusieurs pensées me viennent à l’esprit. On ne peut pas ne pas tenir compte de la nostalgie des ad-mirateurs des Beatles, qui chantaient incessamment, « Don-nez donc une chance à la paix » ; je la considère nettement spirituelle. A la différence de la grande majorité des jeunes d’aujourd’hui, beaucoup des jeunes de ce temps-là (les an-nées 60 et 70) ont tenté de traduire leur espérance et leurs rêves en actes. Ils ont provoqué des marches, des évène-ments, des collectifs communautaires, et ils ont commis des actes de désobéissance civile, des démonstrations pacifistes, des protestations, et des projets de service communautaire. Personne ne pouvait les accuser d’apathie. Pourtant, il est difficile d’oublier la colère qui ravageait les visages de ceux qui hurlaient le plus fort pour la paix dans ce temps-là, de même que l’anarchie et le cynisme qui, plus tard, envahirent toute l’époque.

Que se passe-t-il lorsque l’idéalisme disparaît, la manifes-tation est dispersée, quand le printemps d’amour est passé ? Que se passe-t-il lorsque les collectifs paisibles et les rela-tions humaines craquent ? Est-ce que la paix devient alors simplement une autre commodité culturelle, symbole appli-qué sur des t-shirts et sur autocollants pour voiture ? Dans son livre, La longue solitude, Dorothy Day, catholique légen-daire qui organisa Le Mouvement catholique ouvrier, com-mente que le grand désir de la jeunesse pour un monde meil-leur, a souvent autant à faire avec le nihilisme et l’égoïsme,

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qu’avec autre chose. Les jeunes idéalisent le changement, dit-elle, mais ils ne sont que rarement prêts à changer eux-mêmes. Voici une autre citation de Rabbi Cohen :

Un individu peut, en effet, faire une marche pour la paix, et peut de même avoir, peut-être, une certaine influence sur des problèmes globaux. Mais ce même individu sem-ble un géant aux yeux de l’enfant chez lui. Si la paix doit venir, elle doit commencer avec l’individu. Elle se con-struit brique par brique.

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La paix dans la vie personnelle

Sylvia Beels, jeune femme londonienne, est venue à la communauté juste avant la déclaration de la Seconde

Guerre Mondiale. Maintenant, âgée de quatre-vingt-dix ans, elle me dit que, dans sa jeunesse, l’attitude courante du mouvement pour la paix – opposition à tuer, mais non pas à l’injustice sociale – ne la satisfaisait pas et la poussait à rechercher quelque chose de plus.

J’avais vu un film de guerre, alors que j’avais neuf ans, qui m’avait horrifiée, et dès ce moment-là j’ai su que jamais je ne pourrais considérer la guerre comme une bonne chose, quoiqu’en soit la cause.

Après notre mariage, mon mari Raymond et moi, nous sommes devenus membres du Left Book Club (club de livres de la gauche), et nous en avons lu toute la litté-rature. Nous nous rencontrions régulièrement avec un groupe d’amis, pour discuter les idées propagées dans ces livres. Nous avons longtemps essayé de nous frayer un chemin à travers le labyrinthe des idées humaines – la guerre, la paix, la politique, la morale conventionnelle et l’amour libre, etc. – mais nous n’en avons pas plus

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trouvé le chemin qui nous conduirait vers une société de paix et de justice.

Plus tard, pendant la naissance, longue et difficile, de son pre-mier enfant, Sylvia s’est rendue compte que sa vie personnelle était marquée par les mêmes problèmes qu’elle combattait dans la société. Malgré une carrière prometteuse en musique, son mariage était en désarroi et son esprit en tourment. Alors, Sylvia vit qu’elle ne pouvait aucunement contribuer à la paix mondiale avant de trouver la paix, en elle-même, et avec les autres. (Le mari de Sylvia mourut d’une maladie cardiaque peu après, mais ils furent réconciliés à son lit de mort.)

Maureen Burn, une autre sœur, membre de notre commu-nauté, conclut de même, après des années d’activité contre la guerre, d’abord à Edimbourg, puis à Birmingham, où l’argent, ses relations sociales, et sa personnalité vibrante, l’ont ren-due bien connue comme partisane efficace de la paix.

J’avais toujours été idéaliste et rebelle. La Première Guerre Mondiale me troublait, bien que je n’étais qu’une enfant. On nous disait que c’était l’Empereur d’Allemagne qui avait causé la guerre, et quand j’avais dix ans je lui ai écrit d’arrêter la guerre. J’ai toujours été contre la guerre.

Mon mari, Matthew, agent proéminent au ministère de la santé, était aussi « pacifiste ». Après ses expériences dans les tranchées, lors de la Première Guerre mondiale, il était devenu un antimilitariste ardent et un champion de la justice sociale. Notre intérêt commun dans la Ré-volution Russe de 1918, les écrits de Tolstoy, et dans les croisades de Gandhi, nous avaient rapprochés et nous avaient conduits au mariage.

Beaucoup de jeunes gens allaient à Moscou, dans ces années-là, et parce que nous étions attirés par l’idéal

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communiste, « chacun selon sa force, chacun selon son besoin », je lui ai proposé d’aller, nous aussi, en Rus-sie, avec nos petits garçons... Mais lorsque Matthew dit : « Une bombe jetée par un communiste, n’est pas meil-leure qu’une bombe jetée par un capitaliste », alors j’ai changé d’avis.

Matthew avait l’habitude de disparaître le jour de l’Armistice je ne sais où. Il était de l’avis que cela était une insulte pour les morts, de faire un défilé militaire au cénotaphe, où le soldat inconnu était enterré ; et il ne portait jamais ses médailles. Après la guerre, la mère de Matthew m’a dit qu’il avait une fois déclaré qu’il ne ferait jamais rien pour une société qui était tellement corrom-pue que même le clergé prêchait le meurtre aux jeunes...

A la Seconde Guerre Mondiale, pendant le bombardement de l’Angleterre, de nombreuses villes commencèrent à évacuer les enfants, et les Burns durent trouver une place pour vivre avec leurs quatre fils, le plus jeune, ayant moins d’un an. La profession de Matthew le forçait à rester dans la cité, et Maureen ne savait pas où aller. A cette époque, Maureen vit qu’elle était enceinte de son cinquième enfant. Dans de telles circonstances, ils se décidèrent à un avortement.

Revenus chez nous, mon mari a suggeré que j’aille passer quelques jours de repos avec ma sœur Kathleen. Kath-leen vivait au Bruderhof. J’ai écrit pour lui demander si ce serait possible d’y aller pour quelques jours, et elle a répondu positivement.

Je n’avais aucune idée du choc qui m’y attendait. Je lisais un de leurs livres dont je ne me rappelle pas le titre. Quoique ce fut, ce livre indiquait clairement qu’avorter était synonyme de meurtre : tuer une nouvelle vie dans le ventre de la mère n’avait pas plus de justification aux

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yeux de Dieu que tuer en temps de guerre. Jusqu’ici j’étais quelqu’un de rationnel et je ne voyais rien de mal à l’avortement. Cependant maintenant j’étais complète-ment bouleversée et j’ai ressenti pour la première fois l’horreur de ce que j’avais commis.

Je ne pleure pas facilement, mais à ce moment-là je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Je regrettais profondé-ment ce que j’avais fait et aurais tant voulu pouvoir re-venir en arrière. Je n’étais qu’une hôte à la communauté, mais ma sœur m’a fait aller voir l’un des pasteurs et je lui ai tout confessé. Il m’a alors invitée à une réunion des membres où une prière fut dite juste pour moi. J’ai tout de suite su que j’étais pardonnée. C’était un miracle, un don ; j’étais remplie de joie et de paix intérieure et capable de tourner la page.

Il n’y a rien d’aussi vital – ou douloureux – que de recon-naître un manque de paix en soi, dans sa vie et dans son cœur. Cela peut se manifester pour certains par de la haine ou du ressentiment ; de la tromperie, de la division ou de la confusion pour d’autres ou encore simplement un vide ou une dépression. Dans son sens le plus profond, tout cela correspond à une forme de violence à laquelle il faut faire face et qu’il faut vaincre. Thomas Merton écrivit :

Il existe une forme de violence contemporaine qui se fait sentir un peu partout contre laquelle le combat idéal-iste pour la paix par des moyens pacifistes est impuis-sant : l’activisme et le surmenage. La vie trépidante et la contrainte de la vie moderne en représentent une forme, probablement la forme la plus commune de la violence innée. Se laisser influencer par maint souci contradictoire, capituler devant trop d’exigences, s’engager dans trop de projets, vouloir venir en aide à tout un chacun, c’est se

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soumettre à la violence. Encore bien pire, c’est carrément coopérer avec la violence. La frénésie de l’activiste con-tribue à neutraliser son travail pour la paix. Cela détruit les efforts fructueux de son propre travail en tuant la racine même de la sagesse intérieure qui rend le travail fructueux.

Beaucoup de personnes ressentent l’appel de la cause pour la paix mais la plupart y tournent le dos lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne peuvent l’apporter aux autres à moins d’en faire l’expérience eux-mêmes. Incapables de trouver une certaine harmonie dans leur propre vie, ils y renoncent alors très vite.

Dans les cas les plus tragiques, une personne peut devenir si désenchantée qu’elle en prend sa propre vie. Le chanteur de musique folk Phil Oche, un activiste pour la paix très connu des années soixante vient à l’esprit ; de même Mitch Snyder, fondateur du Center for Creative Nonviolence (Centre de la Non-Violence Créative) et un avocat respecté des sans-abri à Washington D.C.

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La Paix de Dieu

La véritable paix n’est pas simplement une grande cause à poursuivre avec de bonnes intentions. Ce n’est pas,

non plus, quelque chose qui vous appartient et qu’on peut acheter. La paix exige de nous une certaine lutte. Il nous faut surmonter les ennemis principaux de la vie : la mort, le mal, le mensonge. La paix est un don, mais c’est aussi le résultat d’efforts intenses, et sérieux. En fait, plusieurs versets de la Bible impliquent que c’est justement en ces efforts que la paix réside. Une telle paix est alors la conséquence d’avoir confronté et surmonté ce conflit, et non pas de l’avoir évité. Et, de même que la paix véritable est fondée sur la vertu, la paix de Dieu altère les faux rapports, dérange les systèmes erronés et montre le ridicule des promesses d’une fausse paix. La paix de Dieu déracine la semence de la discorde.

La paix de Dieu ne comprend pas automatiquement la tran-quillité, l’absence de conflit, ou autre opinion mondaine de la paix. De même que nous le voyons d’après la vie de Jésus Christ, ce fut précisément par le rejet du monde, et de la paix du monde, que la paix parfaite du Christ fut établie. Et cette paix avait sa source en l’acceptation de l’abnégation la plus déchirante imaginable : la mort sur une croix, la Crucifixion.

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Beaucoup parmi nous, actuellement – soi-disant chrétiens – ont oublié ceci, à moins que nous n’en soyons volontaire-ment aveugles. Nous désirons la paix, mais comme nous l’entendons. Nous voulons une paix aisée. Cependant la paix ne peut pas venir facilement, si elle va être véritable-ment durable. Elle ne peut simplement signifier le bien-être, l’équilibre, un sentiment agréable passager. La paix de Dieu est plus qu’un état de conscience. Dorothy Sayers écrit :

Je suis persuadée que c’est une erreur de présenter le christianisme comme étant quelque chose de charmant et de populaire, ne pouvant offenser personne. Nous ne pouvons fermer les yeux devant le fait que Jésus, en son humilité et sa douceur, fut aussi ferme en ses opinions, et aussi incendiaire en son langage, qu’il fut chassé de l’église, maltraité, chassé d’un endroit à l’autre, et fina-lement pendu à la Croix, comme incendiaire et danger publique. Quoiqu’était sa paix, ce n’était pas la paix d’une indifférence aimable.

Ici, il me faut dire, malgré ma propre foi en Jésus Christ, et malgré le vocabulaire dans ce livre (qui semble peut-être quelque peu trop pieux pour certains), je ne pense pas que l’on doive être un chrétien, pour pouvoir trouver la paix de Jésus. Naturellement, nous ne pouvons ignorer l’affirmation de Jésus : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi et celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. » (Luc 11.23). Cependant, que signifient les paroles : être « avec » Jésus ? Ne nous dit-il pas clairement que ce ne sont pas les paroles religieuses ou autres expressions pieuses qui importent ? Ce sont les actes de compassion et de pitié – c’est l’amour que Jésus recherche. Et il nous dit que même un verre d’eau

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pour une personne assoiffée aura sa récompense « dans le royaume des Cieux ».

Jésus est une personne, non pas un concept, ou article de théologie, et la vérité de Jésus embrasse bien plus que nos esprits limités ne peuvent comprendre. En tous les cas, des millions de Bouddhistes, de Musulmans, et de Juifs – ag-nostiques et athéistes – pratiquent l’amour que Jésus nous commande de vivre, avec plus de conviction que beaucoup de soi-disant Chrétiens. Et ce n’est certainement pas à nous de dire s’ils possèdent cette paix, ou non.

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La paix qui dépasse toute compréhension

Certains lecteurs le jugeraient peut-être profitable, d’examiner, ici, les différents aspects de la paix, et de

discuter si la paix est un chemin à suivre, ou un état d’âme. D’autres voudraient peut-être savoir ce que je veux dire quand je dis que les gens recherchent la paix. Veulent-ils se rapprocher des autres, ou veulent-ils surtout retrouver leur vraie personnalité ? Ont-ils soif de confiance et d’amour, de quelque chose de meilleur à anticiper, que la retraite ? Quelque chose d’entièrement différent ? Qu’est-ce que la paix, en un mot ? Une pensée dans un des livres de mon grand-père m’a toujours été utile. Il écrivit que la paix a un triple sens : le repos de l’âme en Dieu, la réalisation de la non-violence en entretenant des relations pacifistes et l’établissement d’un ordre social de justice et de paix.

Or, en fin de compte, même la meilleure définition de la paix n’est pas ce qui importe, car elle ne nous aidera pas à trouver la paix. Afin de saisir la signification de la paix il nous faut l’éprouver en tant que réalité pratique, non pas seulement ce que nous avons en tête, ou même, dans le cœur, mais dans notre vie quotidienne.

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Sadhu Sundar Singh, mystique Indien chrétien au tournant du siècle dernier, écrivit :

Le mystère réel d’une vie de bonheur en Dieu ne peut être compris sans l’avoir reçu, vécu, et connu. Si nous essayons de la comprendre seulement avec notre intel-lect, alors nos efforts seront en vain.

Un savant tenait en ses mains un oiseau. Il se rendait compte que l’oiseau était en vie ; voulant savoir où exact-ement se trouvait cette vie, il se mit à disséquer l’oiseau. Naturellement, ceci eut pour résultat que la vie même, dont il était à la recherche, disparut. Ceux qui essaient de comprendre les mystères de la vie intime intellectuelle-ment, échoueront ainsi. Cette analyse aura pour résultat que la vie qu’ils recherchent, disparaîtra. De même que l’eau n’a pas de repos, avant d’avoir atteint un certain niveau, ainsi l’âme n’est pas en paix avant d’avoir atteint son repos en Dieu.

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iiiParadoxes

« Je suis un soldat de Jésus Christ, je ne puis pas me battre. » St. Martin de Tours

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Paradoxes

Nous l’avons déjà compris : bien que le désir de la paix soit un désir ardent et universel, il est difficile à définir.

Il en est de même avec tout ce qui est du domaine de l’esprit. Elias Chacour, prêtre en Palestine, un de mes meilleurs amis, parle de ceci dans son livre Frères de sang. Parlant des grandes religions orientales, il remarque que leurs penseurs (con-trairement à de nombreux penseurs de la civilisation oc-cidentale) aiment les paradoxes, et les acceptent volontiers, plutôt que de les écarter.

Chacun est conscient, en lisant la Bible, combien Jésus compte sur les paradoxes et les paraboles pour illustrer de profondes vérités. Le paradoxe peut sembler contradictoire, mais, justement, il nous force à considérer la vérité avec une nouvelle vision. C’est en ce sens que j’ai écrit les sections suivantes, chacune étant pourvue d’un tremplin pour une compréhension plus profonde de la paix.

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Non pas la paix, mais une épée

« Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la

terre! Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée, car

je suis venu mettre la division entre l’homme et son père,

entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère,

et l’on aura pour ennemis les membres de sa famille. Celui

qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne

de moi... »

Jésus de Nazareth

Lorsque Matthieu nous a rappelé ces paroles de Jésus dans le dixième chapitre de l’Evangile, il a donné aux généra-

tions suivantes de chrétiens, un argument favori pour défen-dre l’emploi de la force. Cependant, que voulait dire Jésus, en vérité ? Certainement, il ne voulait sûrement pas justifier ou encourager la violence des armes. Même s’il avait chassé les changeurs de monnaie avec le fouet,1 il réprimanda plus tard Pierre d’avoir coupé l’oreille d’un soldat en disant que « tous

1 Pour une excellente exposition de Matthieu 21.12-13, voir Jean Lasserre, Les chrétiens et la violence, Olivétan, 2008.

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ceux qui prendront l’épée mourront par l’épée » (Matthieu 26.52). Et toutes ses actions, jusqu’à à son dernier soupir sur la Croix, se reflètent en ses propres paroles : « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux » (Matthieu 7.12).

Je suis persuadé que l’épée dont Jésus parle n’a rien à faire avec quelque arme de guerre qui soit. Dans les lettres de l’apôtre Paul nous lisons comment l’épée de l’Esprit est com-parée à l’épée de l’autorité du gouvernement, qui est appelée soit l’épée temporelle soit l’épée du courroux de Dieu. Paul concède que Dieu a retiré le Saint-Esprit du monde parce que les êtres humains ne voulaient pas lui obéir ; en échange, Dieu leur donna « l’épée » des gouvernements terrestres, dont la stabilité et l’autorité sont fondées sur leur pouvoir militaire. Mais l’Eglise ne doit pas se servir d’armes matérielles. Elle reste fidèle envers une seule puissance : Jésus Christ. Ses vrais disciples manient seulement l’épée de l’Esprit.

Ailleurs dans la Bible, l’épée est employée comme symbole de la vérité. Tout comme l’arme matérielle qu’elle représente, cette épée tranche tout ce qui nous attache au péché. Elle nettoie et expose (dans la Lettre aux Hébreux, exprimée ainsi : « En effet, la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante que toute épée à deux tranchants, péné-trante jusqu’à séparer âme et esprit, jointures et moelles ; elle juge les sentiments et les pensées du cœur » (Hébreux 4.12). Pourtant, son dessein n’est ni la destruction, ni la mort. Citons ici le poète Bruderhof Philip Britts, la paix c’est «  l’arme de l’amour et de la rédemption...non pas l’arme charnelle, mais l’arme de la volonté de Vérité. » Il ne s’agit pas d’une lutte des hommes les uns contre les autres, mais

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du « Créateur contre le Démon ; la guerre de l’élan vers la vie, contre l’élan vers la mort ; la guerre de l’amour contre la haine, de l’unité contre la séparation. »

Dans l’Evangile nous lisons, « Depuis l’époque de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est assailli avec force, et des violents s’en emparent » (Matthieu 11.12). Bien que ceci soit une des paroles plutôt mystérieuses de Jésus, la signification de « les violents » est suffisante. Nous ne pouvons pas rester assis et attendre que le royaume des Cieux, le royaume de Dieu, nous tombent sur les genoux. Il nous faut chercher à le saisir. Comme Thomas Cahill l’exprime : « ... les passionnés, les géants, les sans contrôle, ont une meil-leure chance de saisir le royaume des Cieux, que ceux qui se maîtrisent, qui calculent, ceux dont le monde approuve. » Ce qui est intéressant, c’est que le vocabulaire chrétien n’est pas le seul à employer un langage violent pour décrire la voie de la paix. D’après une source musulmane, le mot jihad ne veut pas simplement dire la guerre sainte d’Islam, mais aussi la guerre spirituelle qui prend place en chacun de nous.

Un grand nombre de chrétiens, de nos jours, dédaignent l’idée de guerre spirituelle. D’une part, ils disent que c’est le fruit de notre imagination, d’autre part ils jugent que la façon dont on en parle a un ton trop provocateur, trop violent, et, pire que tout, trop démodé. Pourtant, la guerre cosmique en-tre les anges de Dieu et les armées de Satan continue de nos jours, malgré une incrédulité croissante. Pourquoi n’en pas tenir compte, simplement parce que nous ne le voyons pas ?

Je crois fermement que les puissances du bien et du mal sont tout aussi réelles que les forces physiques qui forment notre univers, et à moins qu’on ne puisse les discerner, il ne

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nous est pas possible de prendre part à ce combat vital. De même que la lumière ne peut accommoder l’obscurité, ainsi, le bien et le mal ne peuvent coexister, et donc nous devons décider quel parti prendre.

Il y a vingt-cinq ans, en tant qu’ancien,1 mon père dressa un document auquel nous nous tenons encore. Un « engage-ment » signé par tous les membres de notre communauté, lors de son écriture (et auquel chaque membre se tient encore aujourd’hui) ; ce document nous a souvent aidé à viser la racine des problèmes avec lesquels nous luttons :

Nous déclarons la guerre à tout outrage envers l’esprit d’enfance de Jésus.

Nous déclarons la guerre à toute forme de cruauté émotionnelle ou physique envers les enfants.

Nous déclarons la guerre à toute recherche de pouvoir sur les autres.

Nous déclarons la guerre à toute grandeur humaine, et toutes les formes de vanité.

Nous déclarons la guerre à tout orgueil, y compris l’orgueil collectif.

Nous combattons l’esprit de la rancune, de l’envie, et de la haine.

Nous déclarons la guerre à l’esprit de rancune, d’envie et de haine.

Nous déclarons la guerre à toute curiosité vis-à-vis des ténèbres sataniques. (extraits)

Un des plus grands risques courus à prendre les armes con-tre le mal, c’est de se méprendre en pensant qu’il s’agit d’un combat sur un plan humain, les « bonnes personnes » contre les « mauvaises personnes ». On peut parler de Dieu 1 Titre par lequel le dirigeant des communautés du Bruderhof est désigné.

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et de l’Eglise en opposition à Satan et au monde, mais en réalité, la ligne qui sépare le bien et le mal, traverse chaque cœur humain. Et, qui sommes-nous pour juger un autre que nous-mêmes ?

Gandhi a donné ce conseil : « Si vous haïssez l’injustice, la tyrannie, et la convoitise, haïssez tout d’abord ces choses en vous-même. » Chacun de nous crée une atmosphère autour de lui-même. En se livrant à la bonne bataille, n’oublions surtout pas de prendre une pause ici et là en nous demand-ant si cette atmosphère est celle de la peur, ou de l’amour qui chasse la peur.

Il est plus facile de combattre le mal en notre prochain, plutôt qu’en soi-même. En étant horrifiés de l’état du monde, ou de la vie de notre entourage, il nous est possible de deve-nir pharisaïque en notre zèle. Cependant, au lieu de gagner les autres envers une vie nouvelle, ou de rechercher leur cœur, il est possible qu’on en finisse par se distancer d’eux. On doit tout d’abord faire la guerre contre soi-même.

Glenn Swinger, un pasteur confrère, m’a récemment écrit à ce propos :

Suivant ma conversion, j’ai été baptisé dans ma quaran-taine... j’ai confessé tous les péchés, dont j’étais consci-ent, j’ai mis en ordre tous mes rapports personnels, et j’ai essayé de me rendre compte combien j’avais été en opposition à Dieu. J’ai ressenti que j’étais pardonné, ce qui m’a apporté de la joie, et de la paix. Cependant ton père qui m’a baptisé, m’a dit, « C’est maintenant que la vraie bataille commence. » Je ne pense pas l’avoir compris à ce moment-là, mais je me suis dit que j’allais y veiller.

Mais, petit à petit, j’ai glissé de nouveau dans mes anciennes habitudes, et lentement les petits démons de

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l’orgueil, de l’envie, et de la jalousie, se sont insinués de nouveau en ma vie. L’expérience du baptême m’a cer-tainement changé, je ne peux le nier. Mais je ne suis pas devenu maître de moi-même. Je restais trop centré sur mes propres expériences. Je continuais à vivre joyeuse-ment de mes propres forces, de mes propres capacités. Je ne « priais pas, je ne veillais pas » que la tentation ne pénètre en mon cœur... et bientôt, le premier amour qui m’avait attiré à Jésus Christ a été ruiné.

Plus tard, mon hypocrisie a été révélée, et j’ai dû éprou-ver la douleur du jugement. On m’a demandé de déposer mon service comme pasteur et enseignant. Je me suis éloigné du Bruderhof pendant quatre mois, et durant ce temps j’ai pu confronter mes péchés avec honnêteté et accepter le repentir. A mon retour, ayant reçu le pardon de ces mêmes frères et sœurs, dont je m’étais séparés, j’ai retrouvé une nouvelle liberté, joie, et paix.

Les luttes reviennent chaque jour, mais, au cours des années, je deviens lentement conscient de la significa-tion du chapitre 13 de la première Lettre de Paul aux Corinthiens : « Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, et l’amour, mais la plus grande des trois est l’amour. » Je ne dois jamais juger, ou mépriser mon prochain, quelque soit sa condition. L’homme riche a mis un gouffre entre lui et Lazare, et dans l’au-delà leurs positions ont été inversées. Il y a deux forces puissantes qui agissent en chacun de nous, bonnes et mauvaises, et pendant la bataille entre elles, nous sommes jugés et pardonnés sans cesse. C’est justement ainsi – en cette lutte continuelle – que nous arrivons à la paix véritable.

L’observation de Glenn est cruciale pour en comprendre le paradoxe : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le combat, » car il touche à sa signification la plus profonde.

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L’épée du Christ, c’est Sa vérité, et nous devons lui permettre de nous blesser profondément, et à maintes reprises, quand le péché réapparaît en notre vie. De nous endurcir, et de nous en protéger serait nous détourner de la compassion et de l’amour de Dieu.

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La violence de l’amour

Si la paix véritable exige la guerre, elle exige de même le sang, et ceci non seulement au sens figuré. Le Christ nous

défend de nous servir de la force contre les autres, mais Il exige de nous, d’être prêts à souffrir aux mains d’autrui. Lui-même, ne nous a-t-Il pas rachetés par son sacrifice, par son sang, comme nous le dit le Nouveau Testament ; et au travers des siècles, des milliers d’hommes et femmes ont suivi Son exemple et ils ont volontiers sacrifié leur vie pour leur foi.

« Mourir pour notre conviction » est une des choses les plus difficiles à expliquer. La plupart d’entre nous frémissent juste à l’idée d’un spectacle sanglant de personnes en train d’être brûlées, noyées ou écartelées. Pourtant, des témoins ont, à maintes reprises, décrit la paix remarquable dont ont fait preuve les martyrs, lors de leur dernier soupir.

Dans la Chronicle of the Hutterian Brethren (La chronique des frères Huttériens), une histoire de la Réformation, qui contient les récits de nombreux martyrs, nous lisons l’histoire de per-sonnes allant vers le bûcher, chantant joyeusement. Conrad, jeune homme sur le point d’être exécuté, est resté tellement résolu et calme, que les spectateurs ont dit qu’ils auraient préféré ne l’avoir jamais vu, tant cela les rendait mal à l’aise.

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Pour la plupart d’entre nous, il s’agit rarement de mar-tyre. Il est rare, en notre cas, de devoir défendre notre foi, même verbalement, et l’idée de payer de notre vie semble de trop dramatique. Quand même, cela ne fait jamais de mal de considérer la foi de ceux qui étaient prêts à souffrir pour leur foi – et de se demander, si nous serions prêts à le faire nous-mêmes. N’importe qui peut contrôler ses émo-tions suffisamment pour rester calme devant les difficultés journalières. Cependant, pour que nous gardions la paix en face d’une lutte sérieuse, ou même de la mort, ce doit être fondé sur plus que de bonnes intentions. Quelque part, il doit y avoir une réserve plus profonde de fortitude.

L’Archevêque Oscar Romero au Salvador a effleuré le secret de sa paix, quand il parla, peu de jours avant sa mort, de l’importance d’accepter « la violence de l’amour ». Romero fut assassiné en 1980, à cause de sa franchise au nom des pauvres.

La violence de l’amour... a laissé le Christ cloué à la Croix ; Voici la violence que nous devons employer en-vers nous-mêmes, en vue de surmonter notre égoïsme et les inégalités flagrantes parmi nous. Ce n’est pas la violence de l’épée ni de la haine. C’est la violence de la fraternité, la violence qui transformera les épées de guerre en faucilles, instruments de paix.

L’amour du Christ est donc une force de vérité et de sainteté, qui attaque de par sa nature tout ce qui est impur et contraire à la vérité. L’amour de Jésus Christ est un amour totalement autre que l’amour prêché par beaucoup de leaders spirituels de notre temps, tel que l’écrivain populaire Marianne Wil-liamson, qui suggère qu’afin de trouver la paix, il suffit de

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s’aimer soi-même, tels qu’on est, et d’« accepter le Christ qui est déjà en nous ».

Ce n’est pas étonnant que la plupart d’entre nous préfé-rons son enseignement. Nous savons bien que chacun porte sa croix dans ce monde, mais nous aimons mieux ne pas aller plus loin. Nous préférons la religiosité chaleureuse et bienveillante de l’Eglise moderne, et la bonne volonté prom-ise des anges à Bethléem, plutôt que la paix difficilement gagnée de Golgotha. Nous admirons l’abandon suprême de Jésus mourant – « Père, je remets mon esprit entre tes mains » – mais nous oublions son combat agonisant pendant la longue nuit précédente, à Gethsémani. Nous préférons la résurrection sans la crucifixion.

Récemment, un verset du Livre de Jérémie m’a frappé : « Ma parole n’est-elle pas comme un feu, déclare l’Eternel, comme un marteau qui pulvérise la roche ? » (Jérémie 23.29). Dieu fait certainement allusion à la dureté de notre cœur hu-main. Normalement, nous pensons à la dureté, telle qu’elle se révèle dans un criminel : un meurtrier, l’auteur d’un viol, un adultère, ou encore un voleur. Cependant, en conseillant les prisonniers, j’ai fait cette expérience : souvent, c’est le criminel le plus violent qui a le cœur le plus tendre, car c’est celui qui soit le plus conscient de son péché. Combien je dé-sirerais pouvoir en dire autant des autres « bonnes » person-nes, avec leur ego bien repu, et leur image, si soigneusement gardée. Peut-être que la pire dureté de cœur est en ceux-là, qui sont ainsi accablés.

Même si nous sommes conscients de nos faiblesses, et de nos luttes personnelles, nous résistons souvent à la violence de l’amour. Nous recherchons la véritable paix, qui dure, et

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nous savons que cela va nous coûter quelque chose. Mais, après peu, nous nous contentons de moins. Un jeune homme de notre église m’a dit un jour, « Je lutte continuellement pour trouver la paix... puis, je me demande, ‘A quoi cela sert de me mettre dans un tél état ? Cela en vaut-il la peine ?’ » Naturel-lement, je ne pouvais pas répondre pour lui. Mais, au fond, j’aurai probablement dû lui demander en retour : que vaut la paix, pour toi, si elle ne vaut pas la peine qu’on la défende ?

Etrange comme cela peut paraître, ceux-là qui sont les plus convaincus de ne pas avoir trouvé la paix, sont souvent les plus proches de la trouver. Robert (ce n’est pas son vrai nom) est un prisonnier à vie. Il a commis un crime horrible, et le souvenir de son action le torture parfois tellement, qu’il ne peut supporter de vivre encore une journée. A d’autres moments, son remords lui a donné un sens de paix. Dans une de ses lettres récentes, il a écrit :

Vous me demandez si je puis écrire quelque chose à pro-pos de la paix de Dieu. J’aimerais bien le faire, mais je ne crois pas être à la hauteur de cette tâche , car je sens que la paix dont vous parlez m’a évadé tout au long de ma vie.

J’ai recherché la paix de différentes manières : avec mes amies, ma grand-mère, le succès, la drogue, et parfois avec la violence et la haine ; avec le sexe, le mariage, les enfants, l’argent et les possessions. En aucune de ces choses, n’ai-je trouvé la paix. C’est étrange, quand même, car bien que je n’aie jamais eu de paix, je sais ce que c’est ; c’est comme si on pouvait enfin respirer et trouver le repos...Tout au long de ma vie (et bien encore la majorité du temps) j’ai eu l’impression de suffoquer ou me noyer et devoir me livrer à une lutte constante afin de respirer et trouver ce repos.

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J’aimerais tant avoir cette paix. J’ai appris que la seule façon d’avoir la paix, c’est grâce à Jésus Christ, et elle m’échappe toujours, Je ne suis pas en paix, à cause de ce que j’ai fait, et son effet sur les autres, je le regrette tant.

Je prie qu’une seconde chance me soit accordée, au-delà de la prison de béton et d’acier des hommes, et de la prison du péché, la prison de Satan. Voilà où repose ma foi et mon espoir, de savoir que Dieu puisse faire ceci.

Si Dieu allait enfin répondre à ma prière, je retrouverais cette paix, malgré toute la douleur, les troubles, et les luttes du passé. Ceci serait même possible, si je savais que quelqu’un m’aimait, malgré ce que je suis et ce que j’ai fait, et qu’il me pardonne suffisamment, afin d’avoir cette seconde chance...

Robert semble, dans sa lettre, avoir perdu tout espoir, mais je l’ai trouvé (ainsi que d’autres qui lui ont rendu visite) défini-tivement « changé » depuis son arrestation, il y a trois ans. Non qu’il y soit « arrivé » ou que l’on puisse dire franche-ment, qu’il ait trouvé la paix. Mais Robert la désire ardem-ment, et du fait que l’agonie de son repentir réel est profonde, il se peut qu’il soit plus proche de Dieu que bien d’entre nous.

Un texte Hindou ancien, à propos de la paix, La Bhaga-vad Gita, nous dit : « Même les meurtriers, les auteurs de viol... et les fanatiques les plus cruels, peuvent connaître la rédemption, grâce au pouvoir de l’amour, s’ils cèdent à sa dure mais apaisante discipline. Au travers de transforma-tions déchirantes, ils recouvriront la liberté, et leur cœur sera en paix. » Et dans la Lettre aux Hébreux, nous lisons : « Certes, au premier abord, toute correction semble un su-jet de tristesse, et non de joie, mais elle produit plus tard chez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit porteur de paix :

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la justice » (Hébreux 12.11). Ce verset n’est peut-être pas connu de Robert. Cependant, dans sa lutte, il fait l’expérience de cette vérité. Il est en train de vivre la violence de l’amour.

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Pas de vie sans la mort

Alors que je travaillais à ce livre, ces paroles de Jésus, dans l’Evangile de Saint Jean ont surtout approfondi ma

compréhension de la paix : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12.24) et « Celui qui aime sa vie la perdra et celui qui déteste sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle » (Jean 12.25).

De même qu’il n’y a pas de paix durable sans lutte, il n’existe pas de vie véritable sans mort. Parce que nous ne sommes pas confrontés à une mort imminente, nous per-dons de vue ce fait important. Nous oublions ceci  : afin de réaliser et de comprendre la paix de Jésus, il nous faut d’abord comprendre Sa souffrance. La bonne volonté, en vue de souffrir, est importante, mais elle ne suffit pas. Il nous faut éprouver la réalité de la souffrance. Comme mon père l’a dit : « de perdre pour un instant l’amour de Dieu, ou de se sentir abandonné de Dieu, même pour un instant, voilà ce qui est décisif pour la vie de l’âme. »

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Pour la plupart d’entre nous, l’abandon de Dieu peut nous paraître quelque chose de négatif, n’ayant rien à voir avec la paix. C’est douloureux, et non pas agréable, apportant la souffrance, et non pas le bonheur, le sacrifice, et non pas l’instinct de conservation. Cela implique la solitude, la négation, l’aliénation, et l’anxiété. Pourtant, si nous devons trouver le sens de la vie, il nous faut le trouver dans tout cela. La souffrance, comme le grand psychiatre juif Viktor Frankl l’a indiqué, « ne peut être effacée de la palette de la vie. Sans la souffrance, la vie humaine ne serait pas complète ».

Beaucoup de gens passent leur vie en essayant d’éviter cette vérité ; ils sont parmi les âmes les plus malheureuses qui soient au monde. D’autres trouvent la paix et le contente-ment en l’acceptant. Mary Poplin, une Américaine, qui passa quelque temps avec les Missionnaires de Charité à Calcutta en 1996, nous dit à leur propos :

Ces Missionnaires considèrent les épreuves, et les insul-tes, comme contribuant à l’examen de soi-même, en vue de procurer l’humilité et la patience, et d’aimer l’ennemi – occasions de devenir plus saints. Même la maladie est interprétée comme moyen de se rapprocher de Dieu, afin qu’Il se révèle plus clairement, et comme occasion de discerner les problèmes personnels de son propre cara-ctère plus à fond.

Nous passons beaucoup de temps en essayant de calmer et d’éviter la souffrance, nous ne savons pas quoi en faire lorsqu’elle survient. Nous ne savons encore moins comment aider notre prochain, qui souffre. Nous combat-tons la souffrance, nous blâmons les individus, le système social, et nous essayons de nous protéger. Il est rare de considérer la souffrance comme un don de Dieu, qui nous appelle à devenir plus purs et plus saints.

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Tandis que nous disons souvent que les crises et les temps difficiles forment le caractère, nous les évitons au-tant que possible, et nous recherchons avec beaucoup d’efforts la technique qui compenserait, minimiserait, ou surmonterait la souffrance. En réalité, notre littérature, en général, suggère que Mère Thérèse et les Missionnaires seraient défectueuses psychologiquement dans leur ac-ceptation de la douleur et de la souffrance. Quant à moi, ayant travaillé à leurs côtés, je sais que rien n’est plus éloigné de la vérité. Nous, les Américains, ne sommes que rarement encouragés à prendre la responsabilité de notre propre souffrance. Cependant, chacun de nous a, tout au moins, la liberté de réagir à la souffrance, selon son choix, quelle que soit la situation.

Pour les Missionnaires, la souffrance n’est pas sim-plement une expérience physique, mais une rencontre spirituelle qui nous encourage à rechercher de nouvelles réponses, à tâcher d’obtenir le pardon, à se tourner vers Dieu, à penser comme le Christ, et à se réjouir de ce que la souffrance ait eu un effet positif, et nous ait, finalement, aiguillonnés à l’action.

Le témoignage de gens, tels que Philip Berrigan, est tout aussi significatif ; car ils ont non seulement accepté la souf-france dans leur vie, mais ils l’ont embrassée. Phil en sait plus que la plupart des chrétiens de nos jours, sur ce que signifie perdre sa vie « à cause de moi ». Pour lui, répondre à l’appel de Jésus Christ à suivre la voie du disciple lui a valu la persécution, l’emprisonnement répété. Dans les années soixante, lui et son frère Daniel furent emprisonnés pour avoir protesté contre la guerre au Viêt-Nam, et depuis, il a passé en tout onze années derrière les barreaux.

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L’automne de 1997 j’ai visité Phil dans une prison dans l’état de Maine, alors qu’il y était retenu pour un de ses nombreux actes de désobéissance civile. Quelques semaines plus tard il fut condamné à deux ans de prison – deux ans de séparation de sa femme, Elisabeth McAlister, et de ses trois enfants. Et, ce n’est pas la première fois, qu’ils ont été séparés. Mais ni Phil, ni sa femme ne sont découragés. Une lettre touchante de Liz, à propos de leurs démarches pour la paix, si souvent mal comprises et critiquées à cause de leurs sous-entendus politiques, nous révèle leur optimisme et leur foi inlassables :

Ce n’est pas juste – à l’âge de soixante-trois ans, de faire face pour la énième fois à une sentence de prison, dans l’intérêt de la justice et de la paix. Et on doit l’accepter, sans même une audience au tribunal. Mais que pouvons-nous attendre d’autre, alors que des millions sont em-prisonnés dans le monde, dont beaucoup souffrent la torture, et l’inanition ; ou bien ils disparaissent, perdus à leurs parents aimés.

Ce n’est pas juste – nous ne pouvons pas nous réjouir chez nous, en notre nouvelle demeure que nous avons construite ensemble ; admirer la floraison des roses que nous avons transplantées ensemble ; manger les fruits de nos arbres ; être fiers des enfants que nous avons élevés ; mais que pouvons-nous attendre d’autre alors que des millions sont sans logis, des millions sont des réfugiés de guerre, de la famine, de la répression – leurs âmes trop hébétées par la fatigue et la peur – rendues aveugles à la beauté autour d’eux, leurs espoirs et leurs cœurs brisés par la mort journalière de leurs enfants... ?

Ce n’est pas juste – nous ne pouvons pas célébrer la remise des diplômes avec nos enfants Frida et Jerry, à

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l’université. Ils aimeraient tant nous avoir avec eux pour partager leur réussite en cette nouvelle phase de leur vie. Mais que pouvons-nous attendre d’autre, lorsque, pour la plupart des jeunes, l’éducation, l’affection de la famille, une communauté bienveillante, ne sont même pas choses rêvées... car ils sont les victimes des institutions décrépites, soi-disant d’éducation publique, victimes, eux aussi, du manque d’avenir : leur héritage le plus flagrant de la société ?

Ce n’est pas juste – nous ne pouvons pas guider Kate ensemble, qui contemple la remise du diplôme, et l’avenir d’une jeune femme...

Ce n’est pas juste – la communauté, que l’on a dé-siré édifier et reconstruire toutes ces années, est main-tenant sans nous, sans la prière, le travail, le rêve et le rire ; dépourvue de nos dons personnels, notre vision et grâce. Mais que pouvons-nous attendre d’autre, lorsque n’importe quelle communauté est suspecte, une menace, une anomalie, quand le silence est presque total, quand les gens se recroquevillent, achetés, égarés, participants à leur propre extinction.... ?

Le sens de paix et de détermination, qui accompagne des personnes comme Liz et Phil, n’est pas compris et on n’en fait pas grand cas dans notre société. C’est le fruit de la liberté paradoxale dans le Christ, qui nous dit : « ...je donne ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre » (Jean 10.17-18).

Pour Phil, un sacrifice, tel que d’être séparé de ses êtres aimés, est une partie de la mort que l’on doit souffrir sur le chemin qui mène à la paix. Cela ne lui a pas valu la paix, telle

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que le monde la donne, mais, comme il a écrit de la prison, en septembre 1997, il contemple une paix bien plus sublime :

C’est en effet cette paix où personne ne domine, où il n’y a plus d’injustice, où la violence est un vestige du passé, où les armes ont disparu et les charrues sont nombreuses. C’est une paix où tous sont traités en frères et sœurs, avec respect et dignité, où chaque vie est sacrée, et où l’avenir des enfants est assuré. C’est un tel monde que Dieu nous appelle à réaliser.

Dans notre pays, ceci peut nous valoir la prison, la perte de notre réputation, de notre profession, de notre revenu, et même d’être renié par la famille et les amis. Pourtant, dans un Etat qui se prépare chaque minute à un holo-causte nucléaire, ceci signifie la liberté, l’indépendance, d’avoir une vocation, et toute une nouvelle communauté d’amis et de famille, en fait, la résurrection.

Pour la plupart de nous, cette mort par laquelle nous devons passer est assez mondaine. Au lieu de faire face à un pelo-ton d’exécution (comme Dostoïevski) ou à un juge fédéral (comme les frères Berrigan), nous confrontons seulement les obstacles de notre vie journalière : surmonter notre orgueil, céder à quelqu’un qui nous ait fait du tort, ou à un membre de la famille ou un collègue qui soit furieux, ou frustré. Il n’y a rien d’héroïque à choisir de faire ceci. Mais « à moins que la graine ne meurt » nous ne trouverons jamais de vraie paix, et nous ne pourrons jamais la donner aux autres.

Laurel Arnold, membre de notre église, que je connais depuis 1950, dit :

Quand je pense aux paroles de Jésus, « ... c’est ma paix que je vous donne. Je ne vous la donne pas comme le

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monde la donne  », je me souviens combien souvent ces versets furent lus aux enterrements, et qu’ils ne me faisaient aucune impression.

J’ai grandi dans un quartier protégé et solitaire, et je suis devenue une personne critique et pieuse. Je voulais être quelqu’un d’important, un auteur célèbre, peut-être, et je travaillais dur pour acquérir quelque distinction à l’université. Je désirais être populaire, cependant je jugeai les autres. J’étais idéaliste à propos du pacifisme, mais tellement bourgeoise et aveugle envers l’injustice sociale et la politique du pouvoir, de la force.

J’ai passé les années de guerre comme institutrice à New York, tandis que Paul, mon mari, était en mer. Après la guerre, nous avons commencé à nous réveiller, et à voir la réalité de la vie autour de nous. Paul avait vu la destruction terrible des cités bombardées en Europe ; J’avais, moi-même, trébuché sur les ivrognes dans la rue, et j’avais gardé des enfants, qui ne jouaient jamais sur le gazon. Nous pensions aider une alcoolique en la menant dans notre famille, mais elle a volé notre argent qui était destiné aux aliments.

Nous nous sommes offerts à la mission de notre Eglise, et nous avons été envoyés en Afrique. Bien que nous quit-tions la mission plus tard, nous participions de plus en plus aux activités ecclésiales. Mais nous n’avons jamais trouvé le rapport de cœur à cœur que nous recherchions, à cause des propos superficiels et du commérage. Nous voulions vivre une vie, suivant Jésus tous les jours, non pas seulement le dimanche.

Plus tard, attirés par l’idéal de la fraternité, nous avons commencé à examiner des questions qui ne nous avaient pas été problématiques auparavant : le matérialisme, la propriété privée, les causes de la guerre. En 1960, nous sommes venus au Bruderhof... Abandonner la maison,

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l’automobile et mettre nos biens en commun, a été facile ; nous avons bien compris cela. Mais, notre dogmatisme, nos nombreux principes, notre pharisaïsme, notre autori-tarisme, et ayant une sûreté de nous-mêmes qui accablait nos prochains – cela a été plus difficile. Longtemps je combattais d’avoir à agir en suivant les règlements, au lieu d’être guidé par l’esprit, d’être bien gentil, quand ce qu’il me fallait était d’être franche et honnête.

Naturellement, nous avons eu autant de joies que de luttes, et Dieu a été fidèle encore et encore, lors de ces années, à nous juger et nous pardonner et nous offrir la possibilité d’un nouveau commencement. Je n’aime tou-jours pas avoir tort – personne n’aime ça – mais j’ai reçu une telle grâce, un tel amour, dans le jugement de Dieu. A l’âge de soixante-quatorze ans, ce n’est pas l’heure de me détentre et de me choyer. Il y a encore tellement à apprendre, tellement à faire...

Il y en a qui remercient Dieu d’être Ses enfants. Je n’en suis pas si sûre. Suis-je vraiment prête à mourir ? Cer-tainement, je ne vis pas avec sérénité, comme il en est le cas dans notre chanson : «  ô rivière, je te prie, donne-moi ta paix... »  Il y a une sorte d’impatience, de désir, en moi-même. Je pense que nous faisons tous partie de la création gémissante, dont parle la Lettre aux Romains, chapitre 8. Si je me considère, moi-même, je commence à trembler, mais si je pense à la fidélité de Dieu, au trav-ers de ma vie – ma confiance et ma paix me reviennent.

Il n’y a rien de spécial à propos de l’histoire de Laurel. Ce-pendant, la normalité de sa lutte – la tâche vitale et univer-selle d’apprendre à vivre avec Dieu, avec ses voisins, et avec soi-même – ne la rend non moins importante que le martyre le plus héroïque. Mon Grand-père écrit :

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Quant à ce qui concerne l’humanité en général, une seule chose est digne de la grandeur du royaume de Dieu : c’est d’être prêt à mourir. Cependant, à moins de le démontrer dans les trivialités de la vie journalière, nous ne pour-rons pas faire preuve de courage au moment critique de l’histoire. Il nous faut donc totalement surmonter notre attitude et nos sentiments mesquins afin d’abandonner notre propre façon de réagir face à la peur, les soucis, l’incertitude – bref, notre incrédulité. A sa place, il nous faut avoir foi : une foi aussi petite qu’une graine de mou-tarde : « ... C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle a poussé, elle est plus grande que les légumes... » (Matthieu 13.32). Voilà ce dont nous avons besoin, ni plus ni moins.

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La sagesse des fous

L’Apôtre Paul écrit dans sa première Lettre aux Corin-thiens  : «  Que personne ne se trompe lui-même: si

quelqu’un parmi vous pense être sage selon les critères de l’ère actuelle, qu’il devienne fou afin de devenir sage, car la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu » (1 Corin-thiens 3.18-19). La sagesse des fous (et la folie des sages) ne semble peut-être pas être directement en rapport avec la paix, pourtant, en tant qu’un thème biblique central, elle met en lumière un aspect important de notre livre. Si la paix de Dieu n’est pas la paix, telle que le monde la donne, elle ne peut donc pas être obtenue par ceux qui suivent la sagesse du monde, mais seulement par ceux qui choisissent la folie de Dieu.

Du point de vue pratique, cette folie est souvent raillée ou rejetée. C’est le cas de l’histoire de Saint François d’Assise. De nos jours il est surtout connu comme un moine inoffensif, qui a écrit des chants adressés au soleil, et qui a vécu en paix avec les animaux et les oiseaux. Cependant St. François n’était pas un poète aux manières douces. Son âme passion-née cherchait à s’identifier avec les pauvres, en abandonnant non seulement son héritage, mais, en plus les vêtements sur

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son dos. Son testament ultime était si implacable dans sa condamnation des richesses et la religion institutionnelle, qu’il fut confisqué, et brûlé, avant qu’il soit jugé « sain » a être canonisé. Et les quelques mots, qu’il nous a laissé, nous révèlent une pénétration d’esprit, qui nous inspire à nouveau, chaque fois que nous les lisons – même s’ils sont devenus banals par leur emploi constant.

Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix, Là où est la haine, que je mette l’amour. Là où est l’offense, que je mette le pardon. Là où est la discorde, que je mette l’union. Là où est l’erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que je mette la foi. Là où est le désespoir, que je mette l’espérance. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie.

O Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer.

Car c’est en se donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve, c’est en pardonnant qu’on est pardonné, c’est en mourant qu’on ressuscite à la vie éternelle.

Ceux qui se cabrent en entendant les réponses par trop re-ligieuses d’aujourd’hui, comme Saint François, sept siècles plus tôt, seront probablement raillés comme lui. Comme lui, ils trouveront, peut-être, que le chemin, qui mène à une paix durable, exige la disposition d’être incompris et présentés sous un faux jour.

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Dans mon livre, à propos de la mort et de mourir, I Tell You A Mystery (Je vous dis un mystère), j’ai raconté l’histoire de ma tante Edith, qui échangea sa vie confortable d’étudiante à l’université de Tübingen pour la pauvreté du Bruderhof. La « folie » d’Edith – Hitler régnait, et notre communauté avait été dénoncée comme menace pour l’Etat – avait tellement mis ses parents en colère, qu’ils l’avaient enfermée dans sa chambre, et lui avaient refusé toute nourriture jusqu’à ce qu’elle change d’avis. (Elle se fit un moyen d’échapper par la fenêtre, avec ses draps de lit.)

Marjorie Hindley, personne vibrante, de quatre-vingts ans, vivant à l’une de nos communautés, en Angleterre, rencontra une résistance d’une autre sorte, mais aux tensions sem-blables :

J’ai été élevée dans la religion méthodiste bien que plus tard je sois devenue anglicane. Dans notre enfance, ma mère priait toujours avec nous à l’heure du coucher. La morale conventionnelle était notre standard.

Mon père était plutôt socialiste, et je partageais son fort désir de justice. Maman, était plutôt conservative, et mon frère de même, et nous avions donc souvent de fortes discussions.

En grandissant, je n’ai jamais perdu la foi en la doc-trine chrétienne, mais je luttai pour mieux la comprendre. A seize ans, j’ai reçu un choc, et dès ce moment j’ai eu beaucoup de questions, et je voulais en savoir plus : Un cousin d’une des élèves de ma classe avait été mis en prison, parce qu’il était objecteur de conscience. Je me souviens d’avoir vivement protesté, un jour, chez nous, à propos d’une injustice, et ma mère m’a dit : « Attends, tu perdras bien toutes tes illusions ! » Je me suis bien

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dit, tu ne les perdras jamais, mais, plus tard, je me le suis demandé : seraient-ce simplement des illusions, ou serait-ce vraiment la réalité, et tout le reste, une illusion ?

Marjorie fut d’abord, secrétaire, premièrement à Manchester, puis à l’université de Cambridge ; travail plaisant, journées courtes, longues vacances, pension payée, dans une quar-antaine d’années... Après deux ans elle quitta ce travail, en réfléchissant : la vie doit avoir quelque chose de plus im-portant. Plus tard, elle étudia la psychologie industrielle. A la suite de quelques bref passages dans des usines diverses, elle accepta une position permanente comme superviseur d’aide sociale dans une autre usine, à Bristol.

J’avais entrepris ce travail avec le désir conscient de me rendre utile et d’aider un peu à trouver une solution à la misère du monde, en vivant une vie plus « chrétienne ». Mais, je rencontrais plus de questions, que de réponses. Les ouvriers avaient bon cœur et s’entraidaient les uns les autres ; mais le contremaître, pas autant ; les directeurs ne pensaient qu’à leur profit. Lesquels aider ? Les ouvriers ou les directeurs ? Les ouvriers me donnaient plus que je ne pouvais leur donner. Si moi je recherchais un certain contentement, que signifiait, pour eux, ce contentement ? Qu’était devenu le premier amour des premiers apôtres, qui se levèrent pour suivre Jésus ? Au fond, que signifiaient le christianisme et la paix du Christ ?

J’avais caché un Nouveau Testament dans mon tiroir, que je lisais à l’heure du déjeuner, ayant fermé ma porte à clef. J’ai découvert le Sermon sur la Montagne, et je réfléchissais là-dessus.

J’allais à quelque Eglise ou à une autre, le dimanche, et à une réunion de la jeunesse, les jours de la semaine. Une fois, à la porte du presbytère, je me suis demandée si je

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devais y entrer pour parler au pasteur – mais je ne l’ai pas fait. Une autre fois, je marchais de long en large, quand j’ai entendu une voix me dire très clairement, « Ce ne sera pas long, maintenant ». Pourtant, il n’y avait personne.

Peu de temps après, j’ai découvert que l’un des direc-teurs était Quaker, et je lui ai demandé de me prêter un livre. Il m’a apporté Le journal de George Fox, et Mystical Ex-perience (L’expérience mystique) de Rufus Jones. Ces livres m’ont beaucoup aidée. Le soir, j’ai rencontré d’autres jeunes gens qui discutaient des questions du jour. La guerre menaçait sur le continent. Pourquoi, les églises, ne montraient-elles pas la route à prendre ? Qu’allions-nous prendre comme position ?

Finalement, les recherches de Marjorie l’ont séparée des sources de la sagesse religieuse conventionnelle – des Quakers aussi, qui lui donnaient des livres qui ne pou-vaient répondre à ses questions ; de l’église orthodoxe ang-laise qui encourageait ses évêques lorsqu’ils écrivaient des drames à propos de la paix, mais refusaient de les soutenir lorsqu’ils prononçaient contre le conflit qui se préparait avec l’Allemagne. Lors d’une visite au Bruderhof, a-t-elle dit, je sus ce que je devais faire.

Tout à coup, au beau milieu de la pauvreté, le nettoyage et le lavage des légumes, j’ai su ce que je devais faire. Il me fallait recommencer de nouveau. Il me fallait renoncer à tout ce que je savais être mal, et dédier ma vie à suivre Jésus. La lumière qui m’est venue était étonnante – c’était une découverte de joie, de conviction, et de paix.

Marjorie se joignit au Bruderhof, bien qu’elle soit la première à protester, si son histoire allait signifier que l’on doit deve-nir membre d’une église, ou communauté, afin de trouver la

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paix. Sa foi en l’appel du Christ à la voie radicale du disci-ple, est cependant inlassable. Comme elle l’a indiqué à des dizaines de jeunes personnes au travers des années, la véri-table paix nous vient seulement si nous suivons notre cœur « en dépit de l’opposition de nos parents, nos directeurs, nos collègues, nos amis, et même notre église ».

La complaisance nous aveugle souvent sur les vrais problèmes de la vie. Nous nous sentons matériellement et spirituelle-ment si satisfaits de notre civilisation, que nous n’essayons même pas de rester éveillés en nous-mêmes, et de soulever des questions élémentaires, comme celles de Marjorie. Ceci est, au mieux, très dommage, car nous perdons ainsi la chance d’éprouver la paix que l’on gagne en recherchant nos propres réponses. Au pire, c’est de l’aveuglement reli-gieux, sinon de la folie. La romancière Annie Dillard écrit :

En général, les chrétiens ne me semblent pas, en dehors des catacombes, suffisamment conscients des conditions. Ne sont-ils aucunement conscients de la puissance qu’ils invoquent aussi tranquillement ? Ou bien, comme je le soupçonne, n’en croient-ils pas un mot ? Les Eglises sont des enfants, qui jouent sur le tapis avec leurs jeux de chimie, mélangeant un monceau de TNT pour passer le temps. C’est fou de s’habiller en velours et chapeau de paille pour aller à l’église ; nous devrions plutôt mettre nos casques protecteurs. Les placeurs devraient plutôt distribuer des gilets de sauvetage et des torchères de sé-curité. Car, il se pourrait que notre Dieu, endormi, se réveille un jour, et qu’Il soit offensé ; ou bien qu’une fois réveillé, notre Dieu nous mène là, d’où nous ne pourrons plus jamais revenir.

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La force de la faiblesse

J’ai souvent pensé que l’adage paradoxal de Jésus le plus

difficile – du moins, au sens de le mettre en pratique – est

peut-être le verset dans Matthieu, où Jésus vient de remar-

quer un enfant. Il se tourne vers ses disciples, et il leur dit

que « celui qui se rendra humble comme ce petit enfant sera

le plus grand dans le royaume des cieux » (Matthieu18.4).

Devenir comme un enfant, cela implique d’oublier tout

ce que la société nous a appris, à propos de grandir. Cela

veut dire surmonter la tentation d’apparaître forts. Cela veut

dire, être prêts à souffrir, plutôt que de nous protéger nous-

mêmes. Cela signifie : reconnaître nos limites et nos points

faibles, et leurs faire face, avec humilité.

Le Christ a guéri les malades, nourri la foule, changé l’eau

en vin, et marché sur la mer. Tout pouvoir était à ses ordres.

Mais lorsqu’Il fut arrêté, amené devant Pilate, raillé, frappé

à coups de fouet, et crucifié, il refusa de se défendre. Non

plus n’avait-il choisi d’être né dans un palais, mais dans la

mangeoire d’une étable.

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Le Christ a choisi la « faiblesse » de la soumission, et voilà, peut-être, le secret de sa paix. Dorothy Day écrit :

On nous dit de nous revêtir du Christ, et nous pensons à lui dans sa vie privée, sa vie de travail, sa vie publique, son enseignement, et sa vie de souffrance. Mais nous ne pensons pas suffisamment à sa vie en tant que petit enfant ou bébé. Son impuissance. Sa dépendance des autres. Il nous faut accepter cet état aussi, incapable de faire ou accomplir quoi que ce soit.

Gertrude Wegner, membre du Bruderhof qui avait dans les soixante-dix ans, fut forcée d’accepter cet état quand un accident la paralysa:

J’assistait à une exposition, avec mon mari, à Washington, DC ; je suis tombée, et ma colonne vertébrale a été séri-eusement blessée. J’ai su immédiatement que ma condi-tion était critique ; j’avais perdu toute sensation, et j’étais paralysée, du cou jusqu’aux pieds.

Deux opérations m’ont certainement aidée mais les heu-res de thérapie – deux routines par jour – nécessitaient un travail laborieux, et de la persévérance. C’était épuisant. Et, mon médecin ne savait même pas si j’allais regagner la mobilité... Mon accident m’a enseigné l’humilité, parce que chaque petite chose devait être faite pour moi. De mois en mois, il y avait un peu d’amélioration, mais c’était une lutte pénible. Il y a eu des moments difficiles, mais j’ai appris de même à accepter mon incapacité. J’essayais de me rappeler les paroles de Saint Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12.9).

Il y a eu d’autres luttes personnelles, mais en chacune d’elles mon désir intense de paix, et la conviction que je la retrouverais, m’a toujours accompagnée. Il me semble

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que si on a, une fois dans sa vie, fait l’expérience de la paix, elle nous revient toujours.

En réfléchissant sur mon passé, je regrette beaucoup certaines choses. De ne pas avoir été une meilleure mère pour mes enfants. De ne pas avoir passé plus de temps avec mon père, alors qu’il mourait du cancer. J’aurais dû montrer plus d’amour à ma mère, surtout à ce moment-là, et la mieux soutenir. J’aurais dû être plus gentille avec autrui... Il y a tant de choses que nous aimerions avoir fait différemment, mais cela ne sert à rien. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’accepter nos limites, et de recommencer à zéro chaque jour.

La paix me vient en espérant pouvoir servir Jésus et mes frères et sœurs, jusqu’à la dernière minute de ma vie, bien que ce soit présomptueux de demander une telle grâce. Plus je vieillis, plus il m’est clair que personne ne « possède » cette paix, entièrement imméritée.

Les pensées de Gertrude touchent à une vérité importante : plus nous avons confiance en nous-mêmes, en notre propre force et en nos capacités, moins nous l’avons en Jésus Christ. Notre faiblesse humaine n’est pas un obstacle pour Dieu. En fait, à moins que nous ne nous en servions comme excuse pour le péché, c’est une bonne chose d’être faible. Mais ac-cepter notre faiblesse est plus qu’admettre nos limites ; c’est éprouver un pouvoir beaucoup plus puissant que le nôtre, et nous y soumettre.

Voici la source de la grâce : le démantèlement de notre pouvoir. Même si quelque peu de pouvoir s’élève en nous, l’Esprit et l’autorité de Dieu se retirent à un degré cor-respondant. A mon avis, c’est là le seul aperçu important concernant le royaume de Dieu.

Eberhard Arnold

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Kathy Trapnell, autre membre de notre communauté, té-moigne de la vérité de ces paroles, dans sa vie et sa re-cherche :

J’ai été en quête de la paix depuis que j’ai été assez agée pour ressentir le manque de paix au sein de ma propre famille. Au cours de mes études catholiques (depuis la première année jusqu’à la fin de l’université), je luttai toujours pour avoir la paix dans mon cœur, et dans celui de mes amies. Lorsqu’une bonne petite catholique se rend compte de s’être mal conduite, elle le regrette, et elle se hâte à le confesser. Comme je me souviens bien du bien-être ressenti, après chaque confession ! Même à l’université, une ou deux fois, je me suis confessée publiquement à un Jésuite de ma connaissance, et le sen-timent d’être réconciliée avec Dieu était pour moi une source de paix.

Puis vint la rébellion de mes années d’étudiante, mon étape de « hippie », dont j’étais fière, et ma colère con-tre le statu quo et tout ce que je jugeais y être contre la paix et l’amour. Je pensais travailler pour la cause de la paix – voulant mettre fin à la guerre au Vietnam, avec les manifestations, les chants, la résistance, et ainsi de suite. Je pensais pouvoir donner justice au sort des travailleurs migrants avec le boycottage des raisins, en causant du chaos dans les supermarchés qui les vendaient. Je voulais partager tout ce que je possédais ; je faisais du yoga, mettais mon argent en commun avec des autres, et j’ai appris à me contenter de la vie dans un collectif.

Mais tout cela ne m’a pas apporté la paix. Je sais, maintenant, que mon orientation était vraiment tout à fait fausse. Non pas que le but, en lui-même, était erroné. Mais, j’étais moi-même, mon propre dieu ; j’étais moi-même le critère par lequel je jugeais ma vie et la vie de

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mon prochain. Enfonçée dans le péché, j’étais sciemment mon propre patron, et je voulais m’efforcer de faire tout moi-même. Ça ne marche pas.

Plus tard, j’ai découvert un esprit de paix complète-ment différent – la paix d’une foi, qui admet, et fait face à nos faiblesses. C’est une paix qui nous mène vers Jésus Christ et le royaume, le règne futur de la paix. Prenant conscience de cela, je ressentais ma coupabilité ; j’étais consciente de mon égoïsme, et qu’au fond je n’étais pas en paix avec moi-même. Cependant, en cédant ma vie à Dieu – non seulement à son amour, mais aussi à son juge-ment – et, en me sacrifiant au service de mon prochain, j’ai trouvé maintenant une nouvelle force, et j’éprouve des miracles de paix tous les jours.

Dans notre société, on est conduit loin de cette compréhen-sion de la paix. On nous enseigne de traiter le jugement comme un affront, d’être responsable et de se maîtriser. Nous voulons tous la paix et l’amour ; aucun de nous ne nierait que ce soient de bonnes qualités. Mais nous arrêter pour nous demander si nous les possédons en notre propre cœur, c’est bien différent. Il vaut mieux ne pas en parler.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle, bien que nous soyons nombreux à vouloir la paix, et à la rechercher, nous ne la trouvons pas. Nous sommes trop affectés par notre propre rôle dans cette quête. Il nous manque la simplicité et l’humilité ; au lieu de nous tourner vers Jésus, et de lui prier de nous donner Sa paix, nous nous faisons du souci sur ce que les autres pensent de notre intégrité. Nous oublions que les Béatitudes ne demandent pas des célébrités, des Saints, des personnes qui se font remarquer, mais au contraire, des personnes humbles.

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L’écrivain Henri Nouwen, qui abandonna une carrière il-lustre à Harvard, à Yale, et à Notre Dame, en vue de servir les personnes handicapées, a compris ceci mieux que la plupart d’entre nous :

Nous avons été appelés à être fructueux – non pas à avoir du succès, ou à être productifs, ou accomplis. Le succès a sa source en la force, en la tension et en l’effort humain. L’accomplissement et la réalisation a sa source en la vulnérabilité, et en la reconnaissance de notre pro-pre faiblesse.

J’ai longtemps recherché la sécurité parmi les person-nes intellectuelles et intelligentes, à peine conscient de ce que les affaires du royaume sont révélées aux petits-enfants, de ce que Dieu a choisi ceux qui, selon la norme humaine, sont les insensés en vue de faire honte aux sages. Cependant, lorsque j’ai éprouvé l’accueil affec-tueux, sans prétention, de ceux qui n’ont rien de quoi se vanter, et ai expérimenté l’étreinte de personnes qui ne posaient aucune question, j’ai commencé à me ren-dre compte qu’un retour au « bercail » spirituel signifie un retour aux pauvres d’esprit auxquels le royaume des cieux appartient.

Qu’est-ce qui motive une personne à rechercher une telle pauvreté d’esprit ? Mon Grand-père écrit :

Ceci est alors un conflit entre deux buts opposés. L’un des buts est de rechercher la personne de haute situation, la personne importante, la personne spirituelle, intellec-tuelle, adroite, la personne bien, la personne, qui, en rai-son de ses talents naturels, représente un haut sommet, pour ainsi dire, de la chaîne des montagnes de l’humanité. L’autre but est de rechercher les personnes humbles, la

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minorité, les handicapés mentaux, les prisonniers : les vallées des humbles entre les sommets des grands. Ce sont les dégradés, les esclaves, les exploités, les faibles et les pauvres, les plus pauvres parmi les pauvres. Le premier vise à exalter l’individu, en vertu de ses dons na-turels, l’élevant à un niveau quasi-divin. Finalement on en fait un dieu. L’autre but poursuit le miracle et le mystère de « Dieu devenu homme », de Dieu à la recherche de la place la plus humble parmi les hommes.

Deux directions complètement opposées. L’une est l’élan vers la glorification de soi-même, l’autre un mouve-ment vers le bas afin de devenir plus humain. La première voie est celle de l’amour-propre et l’exaltation de soi ; l’autre est la voie de l’amour de Dieu et l’amour pour son prochain.

Lorsqu’une personne a reçu la paix qui provient d’une vie vécue en cet amour, il n’y a rien auquel elle ne puisse s’affronter. Pensez à Jésus sur la Croix : vulnérabilité ultime, mais aussi l’exemple suprême de la paix de Dieu. Malgré tout ce qu’on lui avait fait, Il ne s’apitoyait aucunement sur son sort. Au contraire Il se tourna vers un des criminels à côté de lui pour le pardonner. Jésus fut capable de pronon-cer ces paroles : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23.34). Puis, il y a Etienne, le premier martyre chrétien, qui, agenouillé, regarda vers le ciel, la fig-ure radieuse, tandis qu’on lui jetait des pierres pour le tuer. Lui aussi a dit, « Seigneur, ne les charge pas de ce péché ! » (Actes 7.60). Je ne crois pas qu’une telle paix puisse être obtenue par la puissance de l’homme.

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ivTremplins

« nous progressons pas à pas. »l’Apôtre Paul

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Tremplins

Thomas Jefferson était tellement convaincu que la poursuite

du bonheur était un droit humain, inaliénable, qu’il l’écrivit

dans la Déclaration de l’Indépendance et l’appela une vérité

qui va de soi. Mais les chrétiens ajoutent ceci : tous ceux qui

poursuivent le bonheur, ne le trouvent jamais. Puisque la

joie et la paix sont extrêmement évasives, le bonheur n’est

qu’une chimère, un fantôme, et même si nous étendons la

main pour le saisir, il disparaît. Dieu donne la paix et la

joie, non pas à ceux qui les poursuivent, mais à ceux qui

Le poursuivent et qui essaient de vivre l’amour. La joie et la

paix sont là, si on aime son prochain, et nulle part d’autre.

John Stott

Bien que ce soit difficile d’accepter, la présence de la paix dans notre vie ne dépend pas de notre effort as-

sidu pour la posséder. C’est simplement un fait, que la paix échappe à ceux qui la poursuivent le plus assidûment, tandis que ceux qui ne la recherchent pas forcément – à qui cela n’avait même pas effleuré l’esprit – la rencontrent, comme par hasard. De plus, la Bible contient des dizaines de versets, comme dans la Première Lettre de Pierre 3.11, qui nous dit

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de nous détourner du mal, de faire le bien, et d’essayer de vivre en paix « même si tu dois la poursuivre et la tenir à deux mains ».

Nous demander si nous devons poursuivre activement ou non la paix est une question qui ne sera jamais résolue à notre satisfaction. La paix est un thème vaste, et si nous l’adressons par des généralisations hâtives cela n’aidera per-sonne. Rechercher de noble solution, telle que celle d’essayer de sauver l’humanité ou d’instaurer la paix dans le monde ne nous aidera non plus. Pour la plupart d’entre nous, il ne nous manque pas d’engagements à remplir juste à nos portes – des tâches menues peut-être, mais qui exigent no-tre attention, aujourd’hui. C’est pourquoi je pense que les paroles de Stott nous donnent peut-être une autre solution pour atteindre la paix : au lieu de la poursuivre pour elle-même, nous devrions la rechercher en aimant notre prochain d’un amour actif. Paul suggère de même dans sa Lettre aux Romains : « Ainsi donc, recherchons ce qui contribue à en-tretenir la paix et à nous faire grandir mutuellement dans la foi » (Romains 14.19). Chacun de nous peut aimer, et chacun de nous peut trouver, dans quelque coin de nos vies, quelque chose à faire qui conduit à la paix.

Naturellement, avant d’agir il faut se décider à le faire. La parole de Jésus, « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde donne » (Jean 14.27), est une promesse. Mais cette parole nous invite, de même, à faire un choix. Nous pouvons recevoir la paix que Jésus nous offre, ou lui tourner le dos et rechercher la paix que le monde nous donne. C’est un choix parmi plusieurs, mais j’ose dire que c’est le choix le plus crucial, car ses

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ondulations se font sentir, tôt ou tard, dans tous les domaines de la vie, et dans chaque choix que nous faisons – financier, personnel, politique, ou social.

Même Jésus dût faire face à certains choix. Après son baptême dans le Jourdain par Jean le Baptiste, l’Esprit le conduisit dans le désert, où le diable le tenta. Jésus jeûna pendant quarante jours et quarante nuits, et ensuite, alors qu’Il était au plus faible et au plus vulnérable, Il fut mis au pied du mur et on lui offrit une solution facile : céder aux desseins de Satan, ou se tenir ferme du côté de Dieu.

Au cours de notre vie, nous allons tous éprouver des heu-res de tentation, bien qu’elles ne soient jamais aussi ago-nisantes. Mais la détermination de Jésus de rester fidèle à son père – et la victoire ainsi gagnée – doit nous donner de l’espoir et du courage – et nous rappeler aussi que nous sommes tous appelés à être enfants de Dieu.

Dieu a semé la bonté et le bien.L’enfant n’est pas né ‘mauvais’.Nous sommes tous appelés à la sainteté...

Pourquoi y a-t-il donc tant de mal ?Parce que le cœur humain a été corrompude par ses inclinations, et doit être purifié...

Personne n’est né pour kidnapper,personne n’est né pour être criminel,personne n’est né pour être tortionnaire,personne n’est né pour être meurtrier.Nous sommes tous appelés à être bons,à nous aimer les uns les autres, à nous comprendre mutuellement.

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Pourquoi, oh Seigneur, ont tellement de mauvaises herbes envahi ton champ ? C’est l’Ennemi qui a fait cela, nous dit le Christ, et les gens, qui ont laissé pousser les mauvaises herbespoussser en leur cœur...

Jeunes gens, pensez un peu, qui vous a invité à la bonté, et comment la génération précédente – la mienne, je le

regrette – vous a laissé un héritage de tant d’égoïsme et de tant de mal.

Renouvelez le nouveau blé, les cultures nouvellement semées,

les champs toujours frais de la main de Dieu. Jeunes et enfants, soyez un monde meilleur.

Oscar Romero

En grandissant, j’eus la chance d’avoir des parents qui m’ont encouragé, (selon les paroles de Romero) « à réfléchir com-ment nous sommes tous appelés à être bons ». Pour eux, la promesse du Christ de la paix, n’était pas un simple verset de l’Ecriture, mais une offre réelle, qu’ils voulaient accepter. Ni mon père, ni ma mère n’étaient des saints. Ils détestaient la fausse piété, et ils ont quelquefois vexé les autres, avec leurs manières terre-à-terre. Cependant, aucune de leurs connaissances ne pourrait nier qu’ils essayaient d’accorder leurs actions avec leurs paroles, et que la joie de leurs vies était de servir Dieu et leurs prochains.

Si Papa parlait de la paix de Dieu, c’était toujours dans le même contexte : il nous disait que seulement ceux qui étaient

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détachés des biens terrestres avaient de la paix. « En effet, là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6.21). Son père, écrivain renommé et conférencier à Berlin qui avait quitté sa carrière pour une vie de pauvreté Franciscaine, avait dit à ses enfants alors qu’ils étaient encore jeunes, qu’il ne leur laisserait pas de fortune, mais son héritage serait l’exemple d’une vie centrée en Jésus Christ.

Mes parents m’ont laissé le même legs, bien que je ne l’eusse pas toujours apprécié. En fait, dans ma jeune adoles-cence, je m’y rebellais sciemment. Non pas que j’aie commis quelque action scandaleuse d’après la norme d’aujourd’hui : je savais ce que mes parents estimaient le plus, et je pensais de même plus ou moins. J’étais bien conscient des sacrifices qu’ils avaient fait pour suivre les préceptes de Dieu. (Ma mère avait quitté un excellent internat, contre la volonté de sa famille qui espérait la voir « professeur d’université », et cela avait pris des années pour que les tensions se résolvent.) Mais, je voulais d’abord m’amuser. S’il y avait un choix, je préférais suivre mes camarades, même si cela faisait de la peine à mes parents.

Puis, Dieu m’arrêta net. J’avais quatorze ans, et notre famille venait de quitter notre communauté dans la jun-gle du Paraguay, où j’avais grandi, pour venir à Woodcrest, notre nouveau collectif à New York. Au moment de notre arrivée aux Etats Unis, il semblait y avoir une atmosphère d’optimisme – l’économie florissait, et le rayonnement de la « victoire » américaine sur l’Allemagne et le Japon ne s’était pas encore ternie. Cependant la Guerre froide était en plein essor, et beaucoup de gens craignaient un désastre nucléaire. Du moins, parmi les gens que mes parents fréquentaient, ils

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se détournaient du triomphe trompeur de la richesse et de la guerre, et recherchaient quelque chose de nouveau : la simplicité, la communauté, l’harmonie, la paix.

Du jour où nous sommes arrivés à Woodcrest, j’étais expo-sé à cette recherche. Il y avait des centaines de visiteurs (pour la plupart des jeunes) et des dizaines de nouveaux membres de milieux très différents, et leurs questions me forçaient à réfléchir plus que jamais. C’étaient des gens qui, d’après le langage du monde, avaient « réussi » et qui pourtant avaient choisi de jeter tout cela par la fenêtre en échange d’une vie dévouée à Dieu. En effet, c’étaient des gens qui vendaient vo-lontairement leurs maisons et leurs autos, qui abandonnaient leurs occupations des plus rémunératrices, pour devenir pauvres. Je pouvais bien voir, à leur apparence et leurs pa-roles, qu’ils s’épanouissaient et trouvaient de la joie. Bientôt, ce qui m’avait semblé jusqu’alors si désirable perdit de son importance, et mes projets de vie après le lycée – université, argent et indépendance d’adulte – ont commencé à changer, et à devenir de plus en plus insignifiants. J’avais de nouveaux buts, et de nouvelles priorités.

Il est difficile de préciser l’évènement le plus important qui changea la direction que j’avais prise. Je me souviens encore du jour où je parlais à mes parents de ma décision de vivre différemment – pour Dieu, et non pas pour moi-même – à partir de ce moment-là. Je ne suis pas sûr que je peut en parler comme une « conversion » définitive. Mais ce fut certainement une expérience importante qui renforça mon désir de trouver ma véritable « raison de vivre » et d’approfondit ma conviction.

Des livres comme les romans et les nouvelles de Tolstoï et de Dostoïevski, ont beaucoup aidé à former mes réflexions,

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bien que je n’en fusse pas conscient alors. Je lisais avidement, mais je ne considérais pas ces livres comme étant « religieux ». Des conversations avec des hôtes, tels que Dorothy Day et Pete Seeger, m’ont beaucoup influencé aussi. Je me rends compte du rôle que mes parents ont joué, bien que je n’en fus pas conscient en ce temps – du moins pas jusqu’à ce que je vis leurs larmes en m’entendant parler de mon changement de cœur. Ils ont dû bien souvent prier pour moi avec ferveur.

Peut-être que le facteur le plus important en ces années fut l’influence de mon père qui était pasteur. J’étais frappé en voyant Papa baptiser d’autres personnes. Je ressentais un esprit de sainteté, de Dieu, et ce sentiment fut confirmé plus tard quand je voyais la transformation qui s’opérait dans ceux qu’il avait baptisé. Le changement dans quelques-uns était tellement radical qu’ils semblaient être, pour ainsi dire, revêtus d’une nouvelle personnalité. Je voulais la même chose pour moi-même – une rupture totale avec mes luttes personnelles et mon égocentrisme, afin de trouver la joie et la liberté d’une vie nouvelle. Quand je fus baptisé à l’âge de dix-huit ans, ce fut un moment décisif : je fus certain que jamais je ne pourrais faire demi-tour, je devais dédier ma vie, entièrement et pour toujours, à Dieu.

J’ai déjà cité un rabbin qui tint le propos que la paix doit être construite « brique sur brique ». L’image est très bonne. Une conversation, une lecture, une expérience qui nous émeut (sans pouvoir expliquer pourquoi), une décision – seules, elles ne pourraient jamais changer notre vie. Mais pris ensemble, elles nous forment en ce que nous sommes aujourd’hui. Au fond, ce sont ces choses, qui soit nous empêchent de trouver la paix, soit nous y conduisent.

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J’ai rencontré des gens qui pouvaient me dire le moment exact où ils furent convertis et comment ça s’est passé, et je ne doute pas de leur sincérité. Mais, sans doute, pour la plupart d’entre nous, nous nous identifions mieux avec l’écrivain anglais défunt, Malcolm Muggeridge. Il écrivit :

Quelques-uns, tels que l’Apôtre Paul, ont des expériences sur la route de Damas ; j’ai moi-même prié qu’une telle expérience dramatique m’arrivent aussi, qui, pour ainsi dire, me relancerait sur un nouveau calendrier, tel avant JC jusqu’après JC. Mais de tels évènements ne m’ont pas été accordés, et je me suis simplement mis en marche, comme dans Le voyage du pèlerin de Bunyan.

Pour moi, aussi, la conversion ne fut pas un pas en avant, mais plutôt une étape. D’abord un désir ardent de trouver quelque chose de nouveau, puis ma décision de vivre pour mon prochain, puis le baptême. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, je me pose encore de nouvelles questions et je trouve de nouvelles réponses. Ici encore, l’image de tremplins vient à l’esprit.

Chacune des sections suivantes nous offre de telles pris-es de pied. Elles ne sont pas toutes lisses ou sans danger. Certaines, comme l’humilité et la confiance, impliquent du risque, et peuvent même devenir des pierres d’achoppement. Cependant, sur le sentier de la paix, chaque obstacle doit être franchi.

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La simplicité

L’objet de la vie n’est pas d’être du côté de la majorité,

mais d’éviter d’être mis au rang des fous... Rappelons-nous

qu’il existe un Dieu qui ne désire ni louanges, ni gloire, des

hommes créés en Son image ; mais, plutôt qu’ils soient

guidés par la raison, la faculté du raisonnement, et ainsi,

Lui ressembler, et agir comme Lui. Le figuier est fidèle à son

destin, le chien de même, et les abeilles aussi. Est-ce pos-

sible, alors, que l’homme ne remplisse pas sa vocation ?

Mais hélas, ces sublimes vérités nous échappent. Le remue-

ménage de la vie journalière, la guerre, la peur sans raison,

la paresse spirituelle, et la servitude habituelle les étouffent.

Marc Aurèle

Pour la plupart d’entre nous, le désir de la paix ne provient pas d’essayer noblement d’être uni à Dieu, bien que ce

désir grandisse le long du chemin. Généralement, la raison est plus simple : on est insatisfait avec les tensions et les pressions journalières de notre vie, et on a peur – comme le dit Aurèle – de devenir fou.

Notre civilisation n’est pas seulement marquée par la frénésie, mais poussée par elle. Nous sommes obsédés

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(pour citer Thomas Merton) par notre manque de temps et d’espace, de gagner du temps, de conquérir l’espace, de conjecturer sur l’avenir, et de « nous inquiéter sur la dimen-sion, le volume, la quantité, la vitesse, le nombre, le prix, la force, et l’accélération ». Nous vivons, il continue, au « temps d’aucune place, ce qui est la fin des temps ».

Nous sommes comptés par milliards, amassés ensemble, rassemblés, numérotés, menés ici et là, taxés, exercés, armés... écœurés de la vie. Et comme la fin approche, il n’y a plus de place pour la nature. Elle est rayée de la face de la terre par les cités. Il n’y a pas de place pour la tranquillité. Il n’y a pas de place pour la solitude. Il n’y a pas de place pour la réflexion. Il n’y a pas de place pour la sensibilité, pour prendre conscience de notre état.

Le pire est qu’il ne nous manque pas que de la paix – du temps, de l’espace, un demeure – pour nous-mêmes ; nous empêchons les autres de les avoir.

Rien qu’au cours des vingt-cinq dernières années, des nouvelles inventions et une hausse au niveau de vie ont totalement transformé notre mode de vivre. Les ordinateurs et télécopieurs, les mobiles et la TSF, le mél et d’autres tech-nologies de pointe qui allègent le travail ont révolutionné notre travail et notre vie familiale. Cependant, nous ont-elles donné la paix et la liberté qu’elles promettaient ?

Sans en être conscient, nous sommes devenus tout au moins engourdis, pas loin d’avoir subi un lavage de cerveau avec notre passion pour la technologie. Nous sommes dev-enus les esclaves d’un système qui nous force à dépenser de l’argent envers de nouveaux gadgets, et nous acceptons sans question l’argument : à force de travailler plus, nous

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gagnerons du temps et nous pourrons entreprendre des af-faires plus importantes. C’est une logique perverse. Quand toute cette modernisation, depuis le logiciel jusqu’aux au-tomobiles nous gouverne ; quand nous nous mesurons con-stamment avec les autres (même contre notre bon jugement), nous devrions nous demander ce qu’ils nous ont gagné ou si nos vies sont devenues plus paisibles.

Au fond, la complexité grandissante de la vie de nos jours nous a dérobé la paix, et il en résulte une épidémie, discrète mais très répandue, de nervosité, d’insécurité, et de confu-sion. Déjà, il y a cinquante ans, l’éducateur Friedrich Wil-helm Foerster a écrit :

Plus que jamais, notre civilisation technologique a rem-bourré la vie de tous les côtés ; mais aussi, plus que jamais, les gens succombent aux chocs qu’ils reçoivent. La cause en est simple. Une civilisation qui n’est que tech-nologique et matérielle ne peut pas nous aider, en face d’une tragédie. L’homme actuel, extériorisé comme il l’est, ne sait pas comment se rendre maître de son agitation et de sa dualité, et il n’en a pas la force. Il ne sait que faire de la souffrance – en faire quelque chose de positif – il la ressent seulement comme quelque chose de déprimant, exaspérant, en conflit avec sa vie. Il n’a pas de paix. Et ces épreuves, qui pourraient aider un autre, de mentalité et de vie intérieure actives à surmonter son destin, peuvent suffire à l’envoyer dans une institution mentale.

Récemment, un article dans le Times annonçait le déménage-ment d’un jeune couple, habitant dans un quartier luxueux de l’Ohio, dont la jeune femme « en avait assez de vivre dans un voisinage où les gens passent leur temps à travailler sans relâche, de façon à remplir leurs grandes habitations de

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bagatelles coûteuses ». Elle voulait simplement de la « séré-nité, de la simplicité, et de la tranquillité d’esprit ».

Au début, la vie dans une petite ville leur semblait parfaite, mais bientôt le chômage augmenta le nombre de crimes, et l’esprit étroit de leurs voisins leur donnait des maux de tête. Déterminée à ne pas céder, la jeune femme se lança dans les biens fonciers sur la restauration de bâtiments historiques, et les questions écolières. Mais ceci ne leur apporta pas non plus ce qu’ils voulaient. Finalement, le couple eut une meilleure idée, en vue d’atteindre le style de vie désiré : ils partirent pour Nantucket, pour y établir une demi-pension...

De même que le bonheur, la simplicité n’est pas toujours acquise en étant recherchée. Cela ne veut pas dire que c’est une vaine recherche. Pourtant, vouloir la simplicité pour elle-même finit toujours par une déception. Si nous sommes désillusionnés par la vie matérialiste, et que nous voulons y échapper, il nous faut faire plus que de seulement changer de style.

Alors que mes parents étaient jeunes, en Europe vers 1920, la recherche d’une vie simple faisait partie du désir d’authenticité, de révérence pour la nature, la communauté, et l’harmonie avec le Créateur. Comme la jeunesse des an-nées 60, les jeunes gens formaient alors des collectifs, dans lesquels ils pouvaient vivre plus près les uns des autres, et – bien que la plupart d’entre eux évitaient le langage reli-gieux – plus près de Dieu.

Aujourd’hui, des voix comme Wendell Berry (le « Tho-reau » de Kentucky) accentuent l’importance de retourner à la nature, d’apprendre à devenir plus indépendant, et de « vivre simplement, pour que d’autres puissent simplement

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vivre ». Dans le Sud de la France, le village de Thich Nhat Hanh, centre de retraite des moines du Vietnam, avec des religieuses et avec des familles, ont beaucoup à dire sur la relation entre la simplicité et la paix.

Nous qui avons des jeunes enfants (ou, des petits-enfants, nièces ou neveux), ne devons pas oublier que leur simplicité a beaucoup à nous apprendre. Contrairement aux grandes personnes, les enfants tendent à embrasser l’essentiel et l’immédiat. Leur plus grand plaisir c’est dans les choses naturelles et simples. Ils vivent surtout dans le présent et agissent plus spontanément de leur cœur, car leur esprit est plus libre de projets, de buts, d’inhibitions, et de motifs.

La simplicité ne peut pas être une fin en soi. Cependant, c’est quelque chose que nous devons nous efforcer de garder, lorsque les possessions, les activités, les agendas, nous égar-ent, et nous perdons de vue les choses importantes de la vie – la famille, les amis, les relations qui importent, et le travail sérieux. Voilà les choses qui nous relient. Nous devrions passer plus de temps avec nos enfants, et moins avec nos outils et nos jouets ; devenir moins dépendants des choses et plus dépendants de Dieu.

Le Christ a demandé, « Que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? » (Matthieu 16.26). Aussi souvent que je me souvient de cette simple question je trouve la paix. Ce n’est pas une menace sur notre tête, mais c’est un conseil sûr, qui nous rappelle nos vraies priorités.

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Le silence

La langue est notre arme de manipulation, la plus puissante. Un courant frénétique de paroles nous échappe, parce que nous voulons continuellement rectifier notre image publique. Nous craignons tellement ce que les autres voient en nous, que nous parlons, afin de les éclairer. Si j’ai commis une er-reur (ou même quelque chose que vous n’ayez peut-être pas compris), et je découvre que vous en avez entendu parler, je serai tenté de vous expliquer mon action.

Le silence est une des disciplines les plus importantes de l’esprit, car il arrête toute justification de soi-même. Un des fruits du silence est la libérté de laisser Dieu, Lui-même, être notre justificateur. Ce n’est pas nécessaire de redresser

les autres.

Richard J. Foster

Un des plus grands obstacles à la paix est notre in-capacité de garder le silence. Pour chaque situation,

où nous nous décidons à nous taire, sachant que cela ne nous regarde pas, il y en a d’autres, où nous nous mêlons. Nous perdons continuellement notre paix, parce que nous nous mêlons aux affaires d’autrui. Nous parlons trop. Nous faisons des commérages. Et nous oublions que nous serons jugés pour chaque parole oisive.

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Il nous semble, peut-être, que le silence a peu d’importance, quand on le compare avec d’autres aspects de la paix présen-tés en ce livre. Max Picard souligne que le silence « se tient en dehors du monde de profit et utilité. On ne peut pas l’exploiter ; on ne peut en tirer aucun bénéfice. Il est ‘impro-ductif’, donc inutile. Pourtant, il existe plus de guérison et d’aide dans le silence, que dans toute autre chose. »

Si nous sommes seuls, il est facile d’être silencieux. (In-térieurement, nous ne le sommes peut-être pas du tout ; la tête pleine d’idées, et de projets...) Quand nous sommes avec les autres, cela devient plus difficile. C’est bien plus que de ne pas parler – cela implique apprendre à écouter.

Au Bruderhof, où, plusieurs fois par semaine, nous avons des réunions – de prière, d’informations, de lecture, ou d’échanges informels, on pourrait croire connaître la valeur du silence. Oui, peut-être. Mais c’est étonnant combien le désir de nous exprimer, d’exprimer notre opinion, de nous laisser entendre, peut déranger un dialogue fructueux.

C’est un don de ne pas réagir, ne pas vouloir embellir ou expliquer, mais simplement d’écouter. Quand nous sommes capables d’être réellement silencieux, et d’être à l’écoute, al-ors Dieu peut parler. C’est une discipline. Mère Thérèse nous souligne que ce que nous avons à dire n’est jamais aussi im-portant que ce que Dieu nous dit, ou veut dire à travers nous. « Toutes nos paroles sont vaines, si elles ne proviennent pas de notre être intérieur. Les paroles qui n’apportent pas la lumière du Christ, ne servent qu’à intensifier l’obscurité. »

Beaucoup de gens semblent considérer le silence comme un accoutrement d’une vie qui est inutilement sévère – plutôt pour les moines et les sœurs, pour les gens « religieux ». Il

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est vrai que dans certains ordres religieux, on fait un vœu de silence. Dans notre communauté, ces vœux peuvent être pris volontairement, pendant une brève période, si on désire ainsi réaffirmer son engagement en signe de repentance. Mais, pourquoi le considérer négativement ? Le silence nous aide à ne pas nous agiter à cause des problèmes insignifiants..

Parmi les Amis (Quakers), la prière et le sermon étaient rélégués à la seconde place, derrière le silence commun, qui n’était pas une fin en soi, mais plutôt une façon d’« être à écoute de Dieu ». Les Amis pensaient que puisque le silence nous éloigne de nous-mêmes et nous met dans une sphère plus élevé, c’est l’état le plus fructueux qui soit pour trouver le consensus et l’unité, même sur un problème réfractaire. Lorsque les paroles, la réflexion, et la prière, ne servaient plus à rien, le silence les conduirait à écouter l’Esprit et trouver une réponse.

Le silence devant Dieu a un sens profond : dans la tran-quillité de l’âme, l’individu déscend dans le feu central de la communion. Dans le cercle de prière, les accords vitaux les plus personnels et les plus élémentaires reçoivent la plus profonde stimulation... Dans la respiration silen-cieuse, et dans le dialogue sans paroles de l’âme avec Dieu, aussi solitaires qu’ils soient, une communion pro-fonde peut prendre place.

Eberhard Arnold

Parfois, le silence nécessite la solitude corporelle. Si nous vivons et travaillons à côté des autres – dans une famille très unie, ou en communauté, par exemple – il est alors es-sentiel de trouver des moments pour être seul et tranquille.

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Bonhoeffer nous dit, que ceux qui ne peuvent vivre en com-munauté, ne peuvent pas, non plus, vivre seuls, mais le con-traire est aussi vrai. Ceux qui ne peuvent pas vivre seuls ne peuvent pas non plus vivre en communauté. Je cite mon grand-père, de nouveau :

Tout comme nous respirons, il nous faut la solitude pour reprendre nos forces et pouvoir de nouveau être avec les autres. Nous apprenons de la biographie qu’a écrit Ni-etzsche sur la vie de Zoroastre que l’ancien prophète était souvent seul avec ses animaux. Il se promenait en silence parmi ces bêtes fortes, nobles et intelligentes, cependant si soumises, et ainsi, il regagnait ses forces et se sentait conduit de nouveau vers ses semblables.

Personnellement, je suis de l’avis qu’il est important de se faire un temps de solitude, chaque jour, ne serait-ce que quelques minutes. Ma femme et moi nous faisons une pe-tite promenade le matin, aussi souvent que possible, et cela nous aide à concentrer nos pensées sur notre préoccupation principale. D’autres personnes de notre communauté font de même : un couple âgé fait une petite promenade chaque jour, avant le dîner, simplement pour apprécier la soirée et le silence.

Surtout, si nous traversons une période de trouble ou de deuil, la force curative et silencieuse du grand air ne doit pas être négligée. J’entends encore Ria Kiefer, une vieille dame de mon enfance, disant à quelqu’un qui avait la mine triste : « Freu’ Dich an der Natur ! » – « Va dehors. Réjouis-toi de la nature ! »

Dans son livre Freedom from Sinful Thoughts (Rompre les chaînes du péché en pensée), mon père écrit à propos d’un

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silence différent – le détachement, ou le silence intérieur. On pourrait beaucoup dire sur le détachement ; les mystiques en ont beaucoup parlé, des volumes entiers. Cependant, on peut le définir très simplement comme la paix qui provient de l’abandon de tout ce qui nous préoccupe – la clameur du travail, la distraction de nos projets, de nos soucis sur le futur – afin de trouver un silence intérieur. Le Quaker William Penn nous explique pourquoi ceci est si important :

Aimez même le silence d’esprit, car les pensées sont pour l’esprit ce que sont les paroles pour le corps, ennuyeuses. Beaucoup parler, comme beaucoup réfléchir, nous con-sume ; et en beaucoup de pensées, de même qu’en beau-coup de paroles, il y a du péché. Le vrai silence c’est le repos de l’esprit, et c’est pour lui ce que le sommeil est pour le corps, une alimentation et un rafraîchissement. C’est une grande vertu ; elle couvre la folie, garde les secrets, évite les disputes, et barre le péché.

Nous savons tous, ce que c’est d’être aux côtés d’une per-sonne aimée, ne disant rien mais nous sentant parfaitement à l’aise. Néanmoins, le silence n’est pas toujours une source de paix. Parfois une simple pause dans la conversation suf-fit pour nous embarrasser et nous recherchons vite quelque chose à dire, pour combler la lacune. Lorsque quelque chose ne va pas – s’il y a quelque chose entre nous qui ne va pas, ou entre nous-mêmes et Dieu – le silence peut même être effrayant.

Une personne que j’ai conseillée pendant plusieurs années me disait, suivant une période troublée de son existence, qu’elle trouvait la paix en laissant tout tomber, et en gardant le silence en son âme :

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Il me semble que si nous ne sommes pas en paix avec nous-mêmes, il nous est difficile de faire face aux mo-ments « vide » : visuellement (n’avoir rien à contempler ou à lire), auditivement (rien à écouter ou à entendre), ou physiquement (rien à faire ou l’incapacité de faire quoi que ce soit). On essaie de se distraire du problème en soi – douleur, conflit d’efforts, peur, accusations, mauvaise conscience, peu importe – mais on n’en devient que de plus en plus confus. Pour autant que l’on veuille éviter ce vide, on peut y trouver du bien, si on l’accepte et qu’on s’en sert pour le bénéfice de son âme. Faire face à ces problèmes, voilà ce qui est dur, mais cela peut nous pré-parer à recevoir le don de paix, et le don d’une vie plus en harmonie avec la volonté de Dieu.

Sophie Löber, amie d’enfance de mon père, que je connais depuis mon enfance, m’a récemment écrit, dans le même esprit : « J’ai souvent dû combattre pour la paix dans ma vie, mais le silence m’a aidée à réfléchir et à me rappeler que Dieu tient chacun de nous à la main. »

Sophie était un des membres du Bruderhof en Allemagne contre lequel la Gestapo (la police secrète) avait fait une rafle en 1937 et l’avait dissous. Après les avoir alignés contre le mur et séquestrés les femmes et les enfants dans une chambre, la police les interrogea et leur annonça qu’ils avaient vingt-quatre heures pour quitter les lieux, et sortir du pays.

Quand les Nazis nous ont forcés à quitter notre com-munauté bien-aimée dans la région de la Rhön, on ne nous a pas permis de prendre autre chose que nos vête-ments sur le dos. Mais nous avons emporté nos trésors dans nos cœurs : nos peines et nos joies, nos temps de

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combat et de célébration, et tout ce que nous avions vécu ensemble, pendant ces années. Personne ne pouvait nous les enlever, même si on nous dérobait de tous nos biens matériels. Ceci me donnait une joie profonde et de la paix dans mon cœur.

Plusieurs années après, Sophie et son mari, Christian, per-dirent deux fils d’une maladie rare. D’abord les jeunes gar-çons devinrent aveugles, puis ils étaient frappés d’une inca-pacité mentale. Ils moururent, tous deux, dans leur adoles-cence. Sophie fut frappée d’une tristesse indicible. Certaines questions la torturaient, mais, petit à petit, elle retrouva la foi – et la paix – dans le silence :

Je me suis longtemps demandée : pourquoi Dieu nous donne-t-il cette rude épreuve ? Parfois, le découragement nous semblait insupportable, même lorsque nous nous tournions vers Dieu en prière... Cependant, plus tard, quand j’ai pu réfléchir en silence, j’ai vu que mon inquié-tude et ma prière étaient trop mesquines, trop personnelles. Christian et moi, nous tournions autour de notre misère, oubliant qu’il y avait des gens à côté de nous, qui avaient des besoins aussi. Nous avions aussi oublié la promesse, « Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné en plus » (Matthieu 6.33).

Plus récemment, Sophie perdit son mari au cancer, puis, aussi, un troisième fils (marié, avec des enfants) dans un accident d’électrique. Dieu l’a sûrement éprouvée, mais elle nous dit que sa souffrance lui a appris à rechercher le silence, et à « lâcher tout ce qui nous relie ici-bas ». Ainsi, elle a pu faire de la place à Dieu et « Lui permettre de pénétrer en mon cœur, et mes blessures ont commencé à guérir ».

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Maintenant que j’approche la fin de ma vie, le silence m’est devenu encore plus important. «  Tenez-vous tranquilles, et sachez que je suis Dieu... » (Psaumes 46.10,

version Darby). Il faut nous débarrasser de toute autre chose, afin que Dieu nous remplisse complètement. Alors nous ferons l’expérience de la joie véritable, et nous serons en paix.

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L’abandon

Les difficultés ne doivent pas nous déprimer, ni nous dé-router. La cause qui nous a saisis est si importante que les points faibles des individus ne peuvent en rien lui faire du tort. Donc, je ne vous demande qu’une seule chose : n’ayez pas tant de soucis pour vous-même. Libérez-vous de tous vos plans et desseins. Ceux-ci vous occupent beaucoup trop. Abandonnez-vous au soleil, à la pluie, et au vent, comme le font les fleurs et les oiseaux. Abandonnez-vous à Dieu. Souhaitez une seule chose : que Sa volonté se fasse, que Son règne vienne et que sa nature soit révélée. Alors, tout

ira bien.

Eberhard Arnold

La meilleure façon de ne pas être en paix, c’est de conti-nuellement penser à soi-même. Se replier sur soi-même,

clarifier ses motifs, se poser des questions auxquelles nous ne voudrions pas répondre par peur de devoir changer – tout cela fait partie de cet examen des raisons de notre manque de paix. Mais d’en rester là, c’est la mort. Se replier sur soi-même est très différent que de se tourner vers Dieu. Une fois que nous avons confronté nos problèmes, il nous faut les abandonner aux mains de Dieu et continuer notre route. Alors seulement connaîtrons-nous la paix.

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Il y a des personnes, qui se regardent constamment, comme dans un miroir ; ainsi, elles sont inutilement nerveues. D’autres, ne sont peut-être pas si conscientes de leur état in-térieur, mais elles sont crispées, tout de même, parce qu’elles ne peuvent pas abandonner les torts passés. Avec une, ce peut être un ancien ressentiment ; avec une autre, un désir insatisfait, ou une frustration non conquise.

Winifred Hildel, membre de ma communauté, passa par une période de deuil profond quand son fils unique fut mort-né. Ne pouvant pas surmonter cette peine, elle gardait en tête qu’elle était peut-être coupable, bien que le médecin lui en assurait le contraire. Seulement après bien des années, à force de partager avec d’autres les détails de tout ce qu’elle imaginait avoir contribué à cet évènement, a-t-elle pu aban-donner ces accusations envers elle-même.

Ce conflit intérieur de Winifred nous montre une source du manque de paix, qui nous cause beaucoup de chagrin: notre essai de faire face à une tragédie dont nous nous sentons responsables. Cette question, si nous sommes coupables ou non, ne peut être résolue que par le renoncement. L’humilité est une vertu, mais non pas la récrimination de soi-même. Cela n’apporte pas de guérison, mais seulement une intro-spection malsaine.

Pour certains, une autre source d’un manque de paix est leur impuissance de relâcher le contrôle qu’ils veulent ex-ercer sur les autres. Comme conseiller de famille, j’ai vu combien cela peut nous handicaper, surtout dans la rela-tion entre parents et enfant. Dans beaucoup de familles, la discorde, spécialement entre grands adolescents et parents, pourrait être résolue si les parents pouvaient remettre leurs

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enfants et leurs avenirs aux mains de Dieu. Ma mère, une institutrice, disait souvent aux parents : « Le plus mauvais service que vous pouvez faire à vos enfants est de vous lier à eux. Laissez-les aller. Liez-les à Dieu. »

Les esclavages émotifs créent des tensions en dehors de la maison aussi : dans les lieux de travail, dans les Eglises, dans les organisations sociales. Notre tendance à conseiller ou critiquer ou nous mêler dans les affaires des autres rend la vie insupportable pour tout le monde.

Peut-être que la cause la plus répandue du manque de paix est tout simplement notre propre volonté – notre insistance à vouloir diriger notre vie personnelle. C’est naturel de vouloir être son propre maître, mais cela ne laisse pas de place à Dieu. Si nous désirons la paix de Dieu dans notre vie, nous devons Le laisser diriger, que le chemin soit facile ou non. Nous devons être tout à fait sincères lorsque nous prions « Que Ta volonté soit faîte ».

Dans le cadre de ma vie d’écivain et orateur, j’ai rencontré plusieurs fois Molly Kelly, mère, écrivain, et conférencière. Molly est surtout connue pour sa compétence relative à la sexualité des adolescents, mais elle possède aussi une intui-tion précieuse dans la recherche de la paix de l’âme – et du rôle de l’abandon de soi qui nous aide à la trouver.

J’ai grandi dans une famille catholique avec cinq frères et une sœur, et Maman et Papa nous aimaient beaucoup. Tout n’allait pas toujours bien, mais c’était l’amour qui nous tenait ensemble. Je suis allée à l’université...et là j’ai rencontré l’amour de ma vie : Jim, un beau jeune homme, étudiant en médecine à Georgetown. Jim et moi avions commencé à sortir ensemble dans ma seconde année, et

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nous nous sommes mariés l’année prochaine, après que j’ai obtenu mon diplôme. Notre mariage a été « fait au par-adis », comme on dit. Il m’aimait, je l’aimais, et pour cette raison nous avons décidé de laisser à Dieu l’organisation de la famille. Et qu’est-ce qu’Il est généreux ! Nous avons été bénis avec huit enfants en onze ans !

Mais qu’en était-il de la paix ? Quand je pense à ce mot, je pense d’abord à combien les gens abusent ce mot...

Un jour, il y a maintenant vingt-deux années, ma vie a totalement changé. Jim et moi sommes partis pour le weekend avec trois autres couples, nos meilleurs amis. Ce n’était pas facile de nous absenter, à cause du travail de Jim à l’hôpital et les huit petits enfants. Nous étions donc très excités. Nous allions passer ces journées dans une station de vacances d’hiver dans les Montagnes Poco-nos. Mais laissez-moi sauter jusqu’à l’évènement qui m’a plongée dans l’agitation et une tristesse qui pénétra tout mon être pendant des années, jusqu’à ce que j’aie pu laisser Dieu me conduire pas à pas vers la paix et la joie.

J’étais sur le sommet d’une colline, bavardant avec mes amies, lorsque j’ai remarqué une commotion au bas de la pente. Jim venait de descendre en traîneau, et je ne l’avais pas suivi, donc je ne savais pas ce qui s’était passé. Je vis alors qu’on me faisait signe de venir vite, parce que Jim avait eu un accident et il était blessé. J’ai couru jusqu’en bas, glissant et tombant plusieurs fois, et en arrivant il y avait une foule autour de lui. Ils m’ont fait place, et je me suis agenouillée à ses côtés. Il n’était qu’à demi-conscient, et perdait beaucoup de sang. Je saute les détails : Jim est mort.

J’étais désemparée. Jim était mon meilleur ami, mon compagnon, le père de mes enfants, l’artisan de mes rêves. Je ne pouvais pas m’imaginer la vie sans lui. Je n’oublierais jamais, en retournant chez nous, comme j’ai

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étreint chacun de mes enfants, auxquels on avait déjà apprit la mort de leur père. Le plus âgé, Jim, avait douze ans, et le plus jeune, Dan, avait quatorze mois. Les aînés étaient pâles et tristes ; ils s’accrochaient l’un à l’autre. Les plus jeunes ne savaient pas exactement ce qui se pas-sait. La maison était pleine de gens, de bruit, et de beau-coup de friandises. (C’est intéressant combien de gens apportent de la nourriture afin de consoler une famille en deuil.) Dieu était compatissant, et Il nous avait entourés de famille et de bons amis ; j’étais reconnaissante de toute cette amitié, mais trop blessée pour pouvoir les remercier. J’étais blessée et meurtrie, tout comme Jim, et personne ne pouvait panser mes blessures qui continuèrent à sup-purer pendant des années.

J’ai pu continuer à m’occuper des enfants, parce que je les aimais tellement et je ne voulais jamais déshonorer la mémoire de Jim en négligeant ma tâche de les élever comme il faut. J’en avais deux qui portaient toujours des couches. Puisque les enfants veulent toujours que tout revient à la normale aussi vite que possible, les autres enfants retournèrent aux jeux de football dans le salon et la fabrication d’une maison avec mes coussins du canapé, revendiquant mon temps et ma patience. Quant au temps, j’en avait assez ; au faite, le temps traînait lourdement, bien qu’il me semble ne jamais finir avec tout ce que j’avais à faire. Chaque jour me semblait interminable, je pouvait à peine attendre l’heure de me coucher afin d’oublier pendant quelques moments que Jim était mort. J’étais à bout de patience.

Des personnes me côtoyaient constamment, mais je me sentais isolée et seule. Ce n’était que plus tard, quand la paix m’est revenue, que j’ai découvert la différence entre l’isolement, et la solitude. J’ai encore peur de me sentir seule, mais j’aime les temps de solitude avec Dieu.

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Quelque temps après la mort de son mari, Molly s’occupa d’un problème que Jim prenait beaucoup à cœur : l’avortement. En tant que médecin catholique qui estimait que toute vie était sacrée, Jim opposa ardemment Roe v. Wade, et Molly pensait de même, bien qu’elle ne l’eut jamais dit publiquement.

Je n’avais jamais parlé en public, et j’en avais très peur, mais je me suis dit, « tu as survécu le pire – la mort de Jim. Parler en public, ce n’est sûrement pas si terrible ? »

J’ai commencé à adresser ce problème dans les écoles catholiques locales, et après quelques années, je donnais un bon nombre de ces présentations. J’arrangeais mon programme, de façon à être à la maison quand les enfants rentraient de l’école l’après-midi.

Après un certain temps, j’ai réalisé que je n’allais pas jusqu’au fond du problème. Il fallait d’abord parler de la cause première de l’avortement, et cela avait à faire avec les grossesses non préméditées, qui touchait au problème des rapports sexuels sans lendemain. Alors je commen-çais à parler de la responsabilité sexuelle, que j’appelle la chasteté. Ce fut le commencement d’une réapparition de conférences sur l’abstinence, et les invitations à parler affluaient. On m’a demandé de parler dans tant d’écoles et d’autres endroits, que je ne savais plus où me tourner.

Mes amis voulaient me réfréner, mais je sentais que Dieu m’avait appelée à cette tâche, et je ne voulais pas l’abandonner. Mais c’était de trop et il fallait lâcher quelque chose. C’est alors que je devins consciente qu’il me fallait tout céder à Dieu, m’abandonner à Lui, et je n’en avais pas l’habitude.

Je voulais toujours être maîtresse de la situation, j’avais huit enfants et j’avais du mal à tout faire, j’achetais la nour-riture, je faisais la cuisine, le linge, je les aidais avec leurs devoirs, j’assistais à tous les jeux et matchs, je présidais

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à la maison, et à l’école. La parole « céder » n’était pas dans mon vocabulaire. Ce que je ne réalisais pas est que « céder à Dieu » veut simplement dire « laisser Dieu agir et contrôler ». Il fallait que je cède tout : mon contrôle, mon agitation, ma solitude, tout ce qui m’accablait – même mes enfants – à Dieu. Et, dans chaque domaine de ma vie, là où je pouvais le faire, j’éprouvais presque instantanément la paix.

Pour la première fois depuis ma première commun-ion, j’ai reçus une nouvelle prise de conscience du Saint-Esprit. J’avais grandi en priant Dieu et en voyant Jésus dans mon imagination, mais le Saint-Esprit n’était pour moi que quelqu’un qui est entré et sorti lors de ma com-munion. En m’abandonnant à Dieu (et croyez-moi, cela exige un effort journalier), j’ai commencé à comprendre que la Pentecôte, la descente de l’Esprit en nos vies, est un évènement perpétuel.

Molly a parlé à des millions d’adolescents – « mes personnes favorites dans le monde entier » – et à des milliers de parents. Récemment, elle s’adressa à six mille prêtres à Rome, et à une réunion de cinquante cardinaux et évêques en Californie.

Mon programme peut être accablant, mais il ne m’accable plus. Ma paix est profonde. Une sérénité, qui dure aus-si longtemps que je renouvelle mon abandon à Dieu. J’accepte les engagements que je peux, quand je les vois comme étant ce que Dieu désire et je dis non aux autres. Ai-je toujours raison ? Je n’en suis pas sûre. Mais j’ai confiance que Dieu ne nous enlève pas le don de Sa paix, si nous continuons à Lui livrer notre vie, même si nous échouons, ici et là...

Je vois maintenant, que c’est seulement dans l’abandon que la paix véritable nous vient. La capitulation en temps

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de guerre signifie la perte, la débâcle. L’abandon à Dieu, c’est le gain, la victoire, c’est céder notre vie à Lui. Je com-mence chaque jour à la messe, en demandant à Dieu de m’aider chaque jour à agir à Sa place avec toute personne que je rencontre, et encore plus important, de Le voir en chacun. C’est alors que je brandis mon drapeau blanc de capitulation, que Dieu seul peut voir, et je l’agite brave-ment, disant à Dieu qu’une fois encore je m’abandonne à Sa volonté. C’est un exercice journalier qui affermit ma vie spirituelle, et croyez-moi, Il me donne toujours Sa joie et Sa paix.

D’ innombrables personnes continuent bravement, même si elles n’en peuvent plus, simplement parce qu’elles ne lais-sent pas tout tomber devant Dieu. Elles veulent absolument diriger leurs propres vies, coûte que coûte. Ces personnes se surmènent et ont besoin de vacances pour récupérer. Elles essayent d’équilibrer leur emploi du temps, de discerner leurs priorités. Elles prient et travaillent dur, elles veulent être humbles et aimantes chez elles et patientes au travail. En fin de compte, elles n’ont toujours pas de véritable paix.

Récemment on m’a demandé, comment je restais en paix de jour en jour. « Ne devenez-vous pas fou, en pensant à toutes les âmes confiée à vos soins ? » C’est toujours un défi pour le pasteur, et quand je pense aux 3.000 paroissiens, je me sens bien inadéquat. Heureusement, j’ai le soutien d’une dizaine de collègues pour guider l’assemblée de mes fidèles, et il y a aussi ma femme, avec qui je suis marié depuis plus de 45 ans. Quand même, il y a des jours où l’anxiété ob-scurcit l’horizon. Quelquefois, du point de vue humain, une situation semble désespérée.

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C’est justement dans de tels moments, lorsque nous nous sentons au point de perdre notre équilibre, que Dieu nous donne en notre cœur l’assurance et la paix – si nous nous tournons vers Lui. Une fois que nous nous résignons à ne pas essayer de résoudre nos problèmes de notre propre façon, le moindre obstacle sera enlevé. Ceci nous est promis dans les psaumes : « Remets ton sort à l’Eternel, et il te soutiendra. Il ne laissera jamais trébucher le juste » (Psaumes 55.23) Pour l’esprit moderne, cela semble trop simple, trop beau pour être vrai. Mais pour les croyants, c’est une offrande de Dieu qui peut tout arranger .

On dit que Christophe Blumhardt, « père du socialisme religieux » au dix-neuvième siècle et pasteur d’une grande Eglise, se couchait en paix tous les soirs tandis que sa femme restait éveillée à remâcher ses soucis. Un peu fâchée de la facilité avec laquelle il pouvait prier puis s’endormir, Emilie lui demanda son secret. « Est-ce que Dieu est si impuissant que mes soucis doivent venir en aide à mes paroissiens ? répondit-il. Il vient un moment, chaque jour, où nous devons tout laisser tomber de ce qui nous pèse, et le laisser entre les mains de Dieu. »

Même en s’efforçant de notre mieux, notre force est mi-nuscule, et nos solutions inégales. L’abandon à Dieu, signifie reconnaître la puissance incomparable de Dieu, et de Lui faire place pour conduire notre vie.

Cela nous aide, parfois, de faire un pas en arrière, et de prendre une vue d’ensemble. Le royaume de Dieu n’est pas seulement au-delà de nos efforts. Il est même au-delà de notre vision. Nous accomplissons dans notre vie seule-ment une fraction de l’entreprise magnifique, qui est le

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travail de Dieu. Rien de ce que nous faisons n’est achevé – autre façon de dire que le royaume est toujours au-delà de nous. Aucune de nos affirmations ne dit tout ce qui doit être dit ; aucune prière n’exprime notre foi entière. Aucune confession n’apporte la perfection ; tous les soins pastoraux possibles n’apportent pas le bien-être. Aucun programme ne peut accomplir la mission de l’Eglise. Nos buts et nos objectifs ne peuvent jamais comprendre le Tout.

Que faisons-nous ? Nous plantons les graines, qui, un jour vont pousser. Nous arrosons les graines en terre, sachant qu’elles contiennent la promesse future. Nous posons la fondation qui nécessitera la construction du bâtiment...

Nous ne pouvons pas tout faire : le reconnaître nous donne un sens de libération. Cela nous permet de faire quelque chose de menu, et de le faire bien. Ce peut être incomplet, mais c’est déjà un commencement, un pas en avant, une occasion pour la grâce du Seigneur d’entrer et de continuer. On n’en verra peut-être jamais le résultat final, mais c’est justement la différence entre l’architecte et l’artisan.

Nous sommes les ouvriers, non pas les architectes ; les bergers et les moutons, non pas des sauveurs comme le Messie. Nous sommes des prophètes d’un avenir qui n’est pas le nôtre.

Attribué à Oscar Romero

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La prière

L’effet de la prière, c’est l’union avec Dieu ; et si quelqu’un

est avec Dieu, il est séparé de l’ennemi. Par le biais de

la prière, nous gardons la chasteté, nous contrôlons notre

colère et nous nous libérons de notre vanité. La prière nous

aide à oublier les injures, surmonter l’envie, faire échouer

l’injustice et réparer les torts.

Par la prière, nous obtenons le bien-être physique, un

foyer en paix et une société solide et bien ordonnée. La prière

défend le voyageur, protège celui qui dort, et encourage

les veilleurs. Elle vous rafraîchit dans votre fatigue et vous

réconforte dans votre tristesse.

La prière est le délice des joyeux, et la consolation des

affligés. C’est l’intimité de Dieu et la contemplation de

l’invisible. La prière est la joie dans le présent, et la sub-

stance des choses à venir.

Grégoire de Nysse

Il vient des temps où rien que la prière ne peut nous don-ner la paix. Nous pouvons rechercher la simplicité et le

silence – un détachement des sources de l’agitation autour de nous ou en nous-mêmes – mais on reste quand même avec un vide que Dieu seul puisse remplir. Et s’Il ne pénètre

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pas dans nos cœurs sans avoir été invité, il nous faut lui demander d’y entrer.

Dans le Psaume 130, un de mes psaumes favoris, le pre-mier verset, « Du fond de la détresse je t’appelle, Eternel », nous donne un aperçu de comment nous devons prier quand nous sommes dans de besoin. Au fond il reflète l’esprit dans lequel nous devrions toujours nous tourner vers Dieu : nous sommes toujours en détresse, nous avons toujours besoin de de son aide et de la direction. Il est toujours là, au-dessus de nous, ferme et sûr et fort.

Le philosophe juif Martin Buber dit que chaque fois que nous prions, nous devrions appeler au secours et nous im-aginer que nous sommes accrochés par les cheveux à une fa-laise avec une tempête qui rage autour de nous avec une telle violence que nous savons que nous n’avons que quelques secondes à vivre, à moin d’être sauvés. Buber continue ainsi : « Et, en vérité, il n’y a aucun conseil, aucun refuge, et aucune paix pour nous, sinon de nous lever les yeux et le cœur vers Dieu et de l’appeler au secours. On devrait faire ceci contin-uellement, car l’homme est en grand danger dans le monde. »

Cette image de Buber est dramatique, mais elle n’est pas exagérée. Dans une civilisation comme la nôtre, où le bras long des médias a une si vaste influence que les nouvelles de scandales ou catastrophes peuvent arrêter net des mil-lions de personnes, l’individu est plus que jamais enclin à suivre la foule. Nietzsche s’est rendu compte de cela il y a cent ans, lorsqu’il réfléchissait sur la vérité du vieux prov-erbe, « Gemeinschaft macht gemein » – « la communauté rend commun (vulgaire) » en nous prévenant des dangers d’une société où les valeurs de la foule sont tellement fortes que les consciences les plus sensibles risquent de s’engourdir.

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Sans une vie de prière active, nous perdons la fermeté de caractère, et nous succombons à ce que les sociologues appellent l’instinct grégaire : nous sommes alors en proie à la peur des autres, à l’ambition, au désir de vouloir plaire aux autres. Sans la prière, le va-et-vient constant des opin-ions diverses autour de nous va inonder notre vie intime, et finalement la noyer. Nous pensons être notre propre maître, mais en fait nous ne pouvons à peine penser, encore moins prier indépendamment. Ayant perdu sa relation avec Dieu, notre vie consiste seulement (pour citer Nietzsche encore une fois), à nous conformer à toutes les influences et exigences de la société.

La prière est la meilleure armure protectrice autour de la flamme tranquille du cœur face à ces assauts. C’est même plus : c’est une discipline positive qui nous ramène à notre place – près de Dieu – si nous nous sommes égarés. Cela nous dirige et attire notre attention sur la source de la paix.

Personnellement, j’ai trouvé cette discipline cruciale afin de maintenir un sens de paix et d’ordre dans ma vie. Plus que toute autre chose, il semble que la prière (ou son absence) puisse décider le succès de la journée. Comme Bonhoeffer remarque dans Résistance et soumission: lettres et notes de cap-tivité, le temps que nous perdons, les tentations auxquelles nous cédons, la paresse ou la léthargie dans le travail – en général, le manque de discipline dans nos pensées, dans nos actions, dans nos relations avec autrui – ont souvent leur racine dans notre négligence de la prière.

Il n’est pas nécessaire que la prière soit formelle. Pour ma femme et moi, c’est la façon naturelle de commencer la journée et de la terminer ; nous prions chaque matin, en nous levant, et chaque soir, en nous couchant. D’autres peuvent

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prier plus souvent, et d’autres, moins souvent. Les uns prient à genoux ; les autres emploient un livre de prière. Les uns parlent, les autres ne se servent pas de paroles. Pasteur Blum-hardt, déjà mentionné dans ce livre, ouvrait sa fenêtre chaque soir pour dire bonne nuit à Dieu. Du moment que la prière est authentique, provienne du cœur, et non pas simplement une habitude, cela n’a pas d’importance de quelle manière nous prions. L’important c’est de lui faire de la place quelque part.

Dans le tumulte de la vie extérieure, et du désarroi inté-rieur, il est toujours possible de se tourner vers Dieu et de le servir. Tout comme le centre de l’ouragan est calme, et qu’au-dessus des nuages le ciel est clair, de même, est-il possible de se tracer une clairière dans la jungle de notre volonté humaine, pour un rendez-vous avec Dieu. Dieu arrivera sûrement, bien que l’on ne peut prévoir ni la forme qu’Il prendra ni les circonstances – peut-être dans un nuage de gloire, ou comme un mendiant, dans la pureté du désert ou dans les conditions sordides des quartiers Soho de Londres ou Times Square à New York.

Malcolm Muggeridge

A côté des pensées de Muggeridge, nous avons le comman-dement biblique de « prier sans cesse ». Pour beaucoup de ceux qui recherchent Dieu, c’est assez simple. Molly Kelly a dit: « Avant, je priais Dieu à certains moments de la journée – le matin, ou avant de me coucher. Maintenant, je sais que c’est une conversation constante avec Dieu. Je prie en marchant dans l’aéroport, ou au supermarché. »

Pour les autres, cette façon de penser peut être un obstacle. Comment peut-on prier toute la journée ? Que signifie : sans

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cesse ? James Alexander, un frère âgé du Bruderhof, a ré-fléchit longtemps sur ce sujet :

Bien que j’aie prié depuis mon enfance, ce fut seulement quand j’ai commencé à voir la prière comme une façon de vivre – attitude constante, plutôt qu’une action répé-tée – que j’ai compris le sens de cette phrase « prier sans cesse » La Prière de Jésus, comme elle est expliquée dans Récits d’un pèlerin russe – « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi, pécheur » – m’a de même aidé. La Bible nous dit qu’une chose que nous pouvons offrir à Dieu, c’est la stabilité d’une telle prière. Mais ce n’est pas simplement une collection de paroles. C’est une attitude envers la vie.

Gerard Manley Hopkins, poète du 18e siècle, a dit, à peu près la même chose :

Ce n’est pas seulement la prière qui rend gloire à Dieu, mais le travail. Frapper l’enclume, scier le bois, blanchir un mur à la chaux, conduire les chevaux, balayer, net-toyer – tout ceci honore Dieu, si par sa grâce vous le faites en tant qu’un devoir. Prendre la Sainte Céne dignement honore Dieu, mais prendre sa nourriture avec reconnais-sance et modération honore Dieu aussi. Lever les mains en prière honore Dieu, mais un homme avec une fourche, une femme avec un seau d’ordures, Lui rend gloire, aussi. Il est si grand, que tout lui rend gloire, si nous le désirons ainsi. Vivez, donc, mes frères !

Nous aurons tous des façons différentes de prier. Comme nos circonstances changent – par les maladies, la vieillesse, ou des crise, par exemple – notre vie de prière changera aussi.

Jeune homme, Doug Moody, membre de mon Eglise-communauté, n’avait jamais trouvé beaucoup de sens dans

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la prière. Troublé par l’hypocrisie qu’il percevait dans l’église de sa jeunesse, Doug se sentait de plus en plus en désaccord avec elle, surtout vis-à-vis la question du service militaire, qu’il opposait en tant qu’objecteur de conscience. A la suite du bombardement de Pearl Harbor, ses collègues et profes-seurs à l’université de North Carolina louèrent son refus de s’engager, mais non son église. Le juge qui l’a jugé et con-damné comme criminel pour avoir contourné la conscription, était un membre de sa propre congrégation.

Je suis resté dans cette ancienne prison du compté, avec des morpions, de la nourriture exécrable et une douche qui ne marchait pas, et sans vêtements de rechange. Heu-reusement, ma mère a pu m’apporter du savon et des sous-vêtements de rechange. C’était la période la plus difficile de mon emprisonnement, allégé seulement par le récit quotidien d’un pauvre Allemand désespéré, en route à un camp d’internement. Un voisin l’avait faussement accusé d’espionnage.

En prison j’ai lu dans Fellowship, le journal du Mouve-ment international de la réconciliation (MIR), que le cou-ple Mennonite qui m’avait inspiré à ne pas m’enrôler dans le militaire, avait changé leur position. J’étais furieux. Mais mon emprisonnement m’a apporté une bénédiction insolite : lentement, au travers du peu de souffrance que j’ai enduré – l’ennui et la saleté, et notre traitement déhu-manisant – j’ai commencé à m’intéresser au prisonnier indigent dans le lit à côté du mien, et la joie qui provient du service aux autres s’est éveillée en moi.

J’ai commencé à comprendre ce que Thomas Kelly voulait dire par vivre dans le « présent eternel », car tous les prisonniers parlaient constamment du temps qui leur restait avant leur liberté, vivant tout le temps dans l’avenir.

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Commencer à vivre pour le présent – non pas pour ma lib-erté, ni même pour le prochain repas, ou film, ou occasion de dormir – m’a permis d’être en paix même en prison.

Des années plus tard, pendant une période difficile de sa vie personnelle, Doug trouva un sens nouveau à la prière. « Au lieu des façons courantes d’échapper au découragement, ou à la dépression, la prière – dans le sens tout simple de me tourner vers Dieu et mon voisin avec amour – est devenu la base d’une paix durable et de ma raison de vivre. » Mainten-ant, à mesure qu’il vieillit, Doug dit que sa prière personnelle a pris une importance qu’elle n’avait jamais eue auparavant.

La prière à intervalles régulièrs avec ma femme, ou seul – le matin, à midi, le soir, et lorsque je reste éveillé la nuit – est devenue une ligne de sauvetage, aide unique pour confronter les échecs inévitables, les tentations, les découragements ou périodes de dépressions que chacun de nous éprouve un jour ou l’autre.

Il ne s’agit pas toujours de paroles. Il s’agit, peut-être simplement de se tourner vers Dieu pendant la journée, lever les yeux, avoir un moment de silence en se souv-enant de quelqu’un qui est accablé ou qui souffre. Ou peut-être c’est un moment pour considérer certains problèmes et questions. Ou bien encore, il peut s’agir de demander de la clarté, afin de pouvoir reconnaître mes fautes et prendre conscience des temps que j’ai peut-être blessé mon prochain. La prière m’aide à renforcer mon engagement envers Jésus-Christ et envers mes frères et sœurs. En tout ceci, on retrouve la paix – non pas la paix du monde, mais la paix de Jésus.

Karl Barth a écrit que quand on joint les mains en prière, un soulèvement contre le désarroi du monde se déploie. Si

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ceci est vrai, et je le crois, alors nos prières ne peuvent pas exister dans un sphère à part, et elles ne peuvent pas être dirigées par nos désirs et nos intentions. De même que la foi sans actes signifie une certaine mort spirituelle, de même la prière sans l’action est une hypocrisie. Même sans les actes, nos prières doivent être plus que des appels égocentriques pour le bonheur personnel, si elles vont avoir un effet sur le monde extérieur.

Doug fait allusion à l’importance d’incorporer les autres dans notre prière. Parmi les Premiers Chrétiens et au travers de l’histoire de l’Eglise persécutée, et de ses martyres, nous retrouvons cette pensée, et même une pensée encore plus radicale – la pratique de prier, comme Jésus l’a ordonné, pour ceux qui nous persécutent. Il nous faut être prêts à faire de même pour ceux qui nous font du mal, que ce soit par la médisance, la calomnie, ou quelque autre méfait.

Si nous professons aimer nos ennemis et nous manquons de prier pour eux, nous nous dupons. Le fondateur de So-journers, Jim Wallis écrivit :

Tant que nous ne prions pas pour nos ennemis, nous continuons à ne voir que notre propre point de vue – notre propre vertu – et à ignorer leur point de vue. La prière détruit la différence entre nous et eux. Faire violence aux autres, c’est les rendre nos ennemis. La prière, par contre, transforme les ennemis en amis.

En invitant nos ennemis dans notre cœur par la prière, il devient difficile alors de maintenir l’hostilité nécessaire à la violence. En les rapprochant de nous, la prière sert même à protéger nos ennemis. Ainsi, la prière sape la propagande et la politique qui nous influencent à haïr et à craindre notre ennemi. En adoucissant notre cœur envers

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nos adversaires, la prière peut même devenir traîtresse. La fervente prière pour nos ennemis est un grand obstacle pour la guerre et pour les sentiments qui conduisent à la guerre.

En temps de guerre ou de crises nationales, on entend beau-coup de prières, mais elles sont rarement offertes dans cet esprit, du moins, pas publiquement. Je me souviens d’une occasion pendant la première guerre du Golf, juste après l’attaque de grande envergure contre Irak au début de l’année 1991. Le président Bush, adressa la nation à la télévision, implorant les spectateurs de delaisser toute activité, afin de prier pour « nos gars » au Golf. Il finit son oraison avec ces paroles ferventes, « Que Dieu bénisse les Etats Unis d’Amérique ».

La plupart d’entre nous avions probablement fait notre devoir patriotique, sans autre réflexion. Pourtant, comme Thich Nhat Hanh a souligné, il y avait probablement le même nombre de Musulmans Irakiens qui se prosternaient devant Allah à ce moment-là, et qui priaient pour leurs maris et leurs fils. Comment Dieu pourrait-il savoir quelle nation soutenir ?

Les gens prient Dieu parce qu’ils veulent que Dieu pour-voie à leurs besoins. S’ils veulent faire un pique-nique, ils demandent un jour ensoleillé. Au même moment, les fermiers, qui ont besoin de pluie, prient pour le contraire. Si le temps est clair, les gens diront : « Dieu est avec nous ; il a répondu à notre prière. » Mais s’il pleut, les fermiers vont dire que Dieu a répondu à leur prière. C’est ainsi que nous prions généralement.

Dans le Sermon sur la Montagne, Jésus nous enseigne : « Heureux ceux qui répandent autour d’eux la paix, car Dieu les reconnaîtra pour ses fils. » Ceux qui travaillent

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pour la paix doivent avoir un cœur en paix. Si on a un cœur en paix, on est un enfant de Dieu. Mais un grand nombre de ceux qui travaillent pour la paix ne possèdent pas un cœur en paix. Ils ont toujours de la colère, de la frustration, et leur travail n’est pas vraiment paisible...

En vue de préserver la paix, nos cœurs doivent être en paix avec le monde, avec nos frères et sœurs. Si nous es-sayons de surmonter le mal avec le mal, nous ne travail-lons pas pour la paix. Si vous dîtes : « Saddam Hussein est perfide. Il nous faut l’empêcher de continuer à faire le mal », et si, alors, vous vous servez des mêmes moyens que lui, vous êtes pareils à lui. Essayer de surmonter le mal avec le mal n’est pas le moyen de faire la paix.

Si vous priez seulement pour votre pique-nique et non pas pour les fermiers qui ont besoin de la pluie, vous faîtes le contraire de ce que Jésus a enseigné. Jésus a dit : « Mais moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. » Si nous examinons notre colère, nous voyons que la personne soi-disant ennemie souffre aussi. Dès que nous nous rendons compte de cela, nous pouvons l’accepter et même avoir de la com-passion pour cette personne. Jésus appelle ceci « aimer son ennemi ». Si nous sommes capables d’aimer notre ennemi, il n’est plus notre ennemi. La pensée « ennemi » fait place à l’idée de quelqu’un qui souffre beaucoup et envers lequel nous devons avoir de la compassion. Aimer notre prochain, c’est quelquefois plus facile que nous ne le pensions, mais il nous faut le pratiquer. Si nous lisons la Bible sans la mettre en pratique, cela ne sert à rien.

Thich Nhat Hanh

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La confiance

Ayez confiance en votre médecin, et prenez son remède en

silence et tranquillité :

Car sa main, bien qu’elle soit lourde, est guidée par la main

tendre de l’invisible,

Et la coupe qu’il vous donne, tandis qu’elle brûle vos lèvres,

a été façonnée avec l’argile que le potier a humectée avec

ses larmes sacrées.

Kahlil Gibran

Depuis notre enfance on nous enseigne qu’il est dan-gereux d’avoir confiance, et il y a une certaine vérité

en cela. Avoir confiance, cela implique prendre des risques. La confiance signifie que l’on donne aux autres le bénéfice du doute. Cela exige que nous nous rendions volontairement vulnérables. Cela veut dire que nous savons que notre sécu-rité réside dans un pouvoir plus élevé, et que notre paix ne dépend pas de notre habileté à tenir tout en main. La confi-ance, c’est se confier à Dieu sans réserve.

Contrairement à l’opinion populaire, la confiance n’est pas la même chose que la naïveté d’un caractère faible. La confi-ance ne nous demande pas de continuer à vivre, content et

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sans trouble, en prétendant que tout va bien et prendre la vie au pied de la lettre. Aujourd’hui, une telle « confiance » serait suicidaire. Pourtant les alternatives – l’anxiété, la méfiance, et le soupçon – sont aussi destructeurs. L’écrivain Mennonite Daniel Hess remarque :

Il importe peu que bon nombre d’ouvriers soient cou-verts par l’assurance maladie, que la semaine de quarante heures leur laisse un certain temps pour le loisir, que le salaire donne à certains quelque richesse, et que la sci-ence ait réussi à garantir que nos outils ne présentent aucun danger et à prédire ce qu’il y a de volatile dans la nature. Malgré tout, nous sommes anxieux.

Les gens ont des estomacs noués et des paumes moites par peur de ce qui pourrait se produire, la panique causée par la dépendance des drogues, la dépression due au dé-séquilibre chimique, trop de chefs, trop d’engagements, trop de désirs non réalisés.

Beaucoup s’inquiètent de leurs relations, stressés par la friction, et abbatus par la trahison. Ils souffrent d’une peur bien réelle des poursuites juridiques, de la compéti-tion injuste, des mesures de réduction des effectifs et des acquisitions hostiles.

Jésus lui-même nous conseille d’être doux et innocents comme les colombes, mais aussi, rusés que des serpents. Au-delà de cela, cependant, il nous rappelle – en guise d’une question d’une simplicité désarmante – que notre manque de confiance en lui et en Dieu est tout à fait inutile : « Qui d’entre vous parvient à prolonger un peu la durée de sa vie par le souci qu’il se fait ? »

Malheureusement, les trahisons, le commérage, la médis-ance, qui font partie de la vie, empêchent de nombreuses

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personnes même d’oser avoir confiance. Clare Stober, une femme d’affaires qui est devenue membre de notre com-munauté, écrit :

La méfiance est un obstacle sérieux à la paix de l’âme. Il se peut que nous essayions de défendre ceux que nous aimons par notre prudence, mais en fin de compte nous édifions des murs de la méfiance. Si quelqu’un profite de nous, ou agit injustement, nous présumons aussitôt le pire – et ceci, non seulement dans cette situation, mais à partir de ce moment. Nous voyons la cousine de la confiance, la vulnérabilité, comme un signe de faiblesse, quelque chose de stupide et de trop naïf.

Si nous refusons d’avoir confiance en les autres, nous croyons, peut-être que nous nous protégeons, mais c’est le contraire. L’amour est la plus grande protection, la sécurité véritable. Si nous sommes méfiants, nous ne pouvons pas vraiment aimer, ni être aimés. Nous nous séparons de Dieu et des autres.

Au Bruderhof, comme en tout groupe de personnes très unies, la proximité de nos appartements, le fait de se voir chaque jour, ouvre la voie aux spéculation ou au commérage malveillant. Cependant, dès le début de notre vie en commu-nauté, nous avons trouvé que notre engagement partageait à parler franchement peut maintenir une confiance et une paix authentiques.

L’amour est la seule loi. L’amour c’est la joie que nous avons en notre prochain. Pourquoi, alors, se fâcher avec lui ? Les paroles d’amour montrent notre joie en la présence de nos frères et sœurs. Il est hors de question de parler d’une autre personne dans un esprit d’irritation ou de vexation. On ne doit jamais parler, ouvertement

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ou en insinuant, contre un frère ou une sœur, ou contre leurs traits caractéristiques – en aucune circonstance derrière leur dos; la conversation en famille n’est pas une exception.

Sans cette règle de silence, il ne peut y avoir de loyauté, ou de communauté. Parler directement est le seul moyen ; c’est le service spontané, fraternel, que nous devons ren-dre à toute autre personne, dont les côtés faibles provo-quent une réaction négative en nous. Une parole franche, adressée directement, approfondit l’amitié, et ne cause pas de ressentiment. Seulement lorsque deux personnes n’arrivent pas à se réconcilier, est-il nécessaire d’appeler une troisième personne en qui toutes les deux ont confi-ance. De cette manière elles sont conduites vers une solu-tion qui les unit au niveau le plus haut et le plus profond (Matthieu 18.16-17).

Eberhard Arnold

Ellen Keiderling est devenue membre notre communauté, il y a quelques décennies, mais elle se souvient bien de sa joie, en lisant ceci pour la première fois – et en sachant que c’était vraiment pratiqué :

Lorsque je venais d’arriver à la communauté et j’ai décou-vert qu’il n’y aurait jamais de commérage, c’était comme si un poids énorme me glissait des épaules. D’où je ve-nais, le commérage était courant. Comme tout le monde, je me souciais de ce qu’on pensait et disait de moi, mais je n’avais pas considéré cela sérieusement et ne réalisais pas le fardeau que ces soucis causaient  ; et combien notre vie en était affectée. Et, maintenant, savoir que si quelqu’un avait quelque chose contre moi, il viendrait me le dire – c’était comme un renouvellement pour moi. J’ai manqué de parler directement bien des fois depuis, mais

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la confiance reste. C’est une position ferme, à laquelle on revient.

Trop souvent, notre tranquillité vis-à-vis nos prochains est ebranlée parce que nous n’avons pas cette confiance. Pour une raison ou une autre, justifiée ou non, nous n’osons pas croire que nous serons aimés tels que nous sommes, avec toutes nos faiblesses et fautes. Mais ceci est exactement ce que nous devons faire. Plutôt que de gaspiller notre vie dans la crainte et la méfiance, nous devrions garder notre confi-ance en autrui – même si l’on nous trahit.

La confiance en Dieu est tout aussi vitale. C.S. Lewis, Dans son livre Le grand divorce a décrit une femme qui était telle-ment rongée par son anxiété, qu’en allant au ciel tout ce qui restait d’elle était un petit monceau tremblant de soucis. Aussi drôle que soit cette image, c’est une bonne description de l’état de beaucoup de gens. Si seulement ils pouvaient prendre conscience de la présence de Dieu et réaliser qu’il les tient dans ses mains, quoiqu’ils aient confiance en Lui ou non ! Dieu connait les secrets les plus profonds de notre cœur et Il nous aime quand même. Il sait tout ce dont nous avons besoin, avant que nous ne le demandions. Pour notre part, il nous faut seulement venir à lui tels que nous sommes – des enfants – et le laisser nous aider.

Pour certains (les mamans avec leurs bébés ou jeunes en-fants, par exemple) il est difficile d’avoir une telle confiance. Elles ont peur de toutes les choses terribles qu’elles lisent aux journaux ou entendent à la radio chaque jour : les guerres, les désastres, les actes de terrorisme, les crimes violents. Parfois elles se demandent même si c’est raisonnable de mettre des enfants au monde. Ce n’est pas un nouveau peur.

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Je naquis pendant le bombardement de l’Angleterre pen-dant la Deuxième Guerre Mondiale, et les avions survolèrent toutes les nuits. Deux fois, des bombes tombèrent dans le voisinage, une fois sur notre terrain, et une fois sur le village voisin. Mes parents avaient encore plus peur, cependant, d’une invasion Nazie. Car pour eux (comme réfugiés qui se sont prononcés contre Hitler), et pour nous enfants, ceci au-rait pu signifier la mort ; ma mère en avait très peur chaque fois qu’elle y pensait. Des années plus tard, repensant à cette période, mon père écrit à un couple qu’il conseillait :

Bien que ce ne soient plus les bombes qui nous effraient, nous vivons dans un temps de grande souffrance et de mort. Il est tout à fait possible que beaucoup d’entre nous – y compris des parents de petits enfants comme vous – puissent devoir souffrir et mourir un jour pour notre foi. Je vous demande du fond de mon cœur de faire confiance à Dieu, totalement. Il existe maints passages effrayants dans la Bible, surtout dans l’Apocalypse de Saint Jean. Mais même là, il est dit que Dieu essuiera, Lui-même, les larmes de tous ceux qui ont souffert. Il nous faut réel-lement croire que Jésus n’est pas venu pour nous juger, sinon pour apporter le salut. « Dieu a tellement aimé le monde... » Accroche-toi à ce verset. Il nous rappelle le désir ardent de Dieu de sauver l’humanité. A la fin, nous serons un avec Dieu. Il nous faut croire ceci, pour nous-mêmes et pour nos enfants, aussi.

Parfois, ceux qui ont le plus peur, humainement, reçoivent un sens profond de calme intérieur. Quelqu’un qui souffre d’une maladie mortelle, un condamné à mort, une personne mourante victime d’un accident – on ne s’attend pas, peut-être, qu’ils aient de la paix dans le cœur. Cependant, lorsque

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la mort ménace quelqu’un, les soucis superficiels, qui seraient aptes à le distraire dans une situation moins menaçante, dis-paraissent, et il doit faire face à l’Eternité. Il se trouve aux prises avec ce choix : ou bien, se cogner la tête contre le mur, pour ainsi dire, afin d’essayer d’échapper l’inévitable, ou bien s’abandonner avec confiance aux mains de Dieu.

George Burleson, membre du Bruderhof et ami proche, qui lutte contre un cancer lent, mais progressif depuis quatre ans, m’a récemment écrit :

Depuis que j’ai un cancer et en réalisant l’incertitude de mon avenir, j’apprends combien il est important d’avoir une confiance totale en Dieu, en son amour, et en sa bonté. C’est seulement lorsque je suis capable de ceci que mon anxiété disparaît. La mort vient à tout le monde – nous sommes tous dans la même situation vis-à-vis la mort – donc, on perd son temps en y pensant sans cesse. Notre vie est dans les mains de Dieu. C’est cela qui importe, et en l’acceptant nous trouverons de la paix.

Mumia Abu-Jamal, un autre ami, a dû faire face à la mort dans toutes autres circonstances. Journaliste radical et an-cien Black Panther, il fut accusé du meurtre d’un gendarme et condamné à mort dans un procès qui était manifestement raciste. Mumia n’est pas un chrétien, et il ne voudrait jamais être rangé parmi les gens pacifiques – il n’accepterait pas, non plus, le vocabulaire utilisé dans ce livre pour décrire la paix. Cependant, il rayonne du calme de quelqu’un dont l’espérance réside en une confiance absolue dans le pouvoir de la vérité. Finalement, il a la foi que la justice va prévaloir. « Si vous vous êtes engagé à agir conformément au bien et à la justice, dit-il, ces pouvoirs ne vous trahiront jamais. »

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L’écrivain Dale Aukerman témoigne aussi à la puissance de la confiance comme instrument de la paix. Tout comme George, sa paix ne provient pas de sa faible résignation en-vers une mort imminente ; comme eux, son amour de la vie ne diminue pas, et il ne succombera pas sans lutter. Pourtant la proximité de la mort ne le déséquilibre pas et ne lui fait pas perdre son sang-froid. Sa confiance en une Puissance supérieure lui donne la force de retrouver son équilibre.

Le 5 Novembre, 1996, j’ai appris qu’une tumeur de 75mm était logée dans mon poumon gauche. Les examens ont révélé plus tard que le cancer avait gagné le foie, la hanche droite, et deux parties de la colonne vertébrale. J’ai appris que je n’avais que deux à six mois à vivire, une perspective de quatre mois en moyenne. C’est surprenant combien on doit se réorienter quand on découvre que l’on a seulement un mois ou deux à vivre. Chaque jour et chaque rapport proche deviennent doublement précieux. Tous les matins, je réfléchissais quel jour de la semaine nous étions– en-core une journée que Dieu m’accorde. Je contemplais ma famille, mon chez moi, la création de Dieu, avec une nou-velle intensité, sachant que mes jours allait bientôt prendre fin. Lors d’un culte religieux où j’ai été oint d’huile, peu de temps après mon diagnostic, j’ai confessé que je n’avais pas prêté assez d’attention à Dieu. grâce à mon cancer, je suis devenu plus conscient, et plus attentif envers Dieu.

Lorsque ma sœur Jane est morte d’un cancer mortel à l’âge de quatorze ans, ma mère l’a accepté comme la volonté de Dieu : Dieu a choisi de la prendre à Lui, et qui sommes-nous – rien que des êtres humains – pour le contredire ? Pour certaines personnes, cette façon de penser peut être une consolation. Quant à moi, je le vois un peu différemment. Je ne crois pas que c’est Dieu qui

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nous envoie un cancer ou une maladie. Quand un con-ducteur de taxi ivre a un accident, et plusieurs personnes sont tuées, je ne pense pas que Dieu le veuille...

Mais Dieu est avec nous comme Celui qui est contre la mort. De bien plus de façons que nous ne puissions comprendre, Dieu diminue le pouvoir de la mort. En tant que jeune garçon, j’ai failli être écrasé sous un camion de ferme. Quelques années plus tard, j’ai failli mourir d’un empoisonnement à l’arsenic. J’ai échappé belle au volant plusieurs fois...

Suivant six cycles de chimiothérapie, et de suppléments nutritifs, et beaucoup de prière de mes nombreux amis, j’ai été encore une fois examinée, et ceci montra que la tumeur dans mon poumon était réduite à plus d’un quart de sa taille originelle. Deux des médecins en ont parlé comme d’un miracle. D’une façon remarquable, et con-trairement aux probabilités médicales, Dieu a supprimé la mort et m’a donné une vie plus longue.

Dans la Lettre aux Ephésiens 1.19-20, Paul écrit : « ...et quelle est l’infinie grandeur de sa puissance, qui se manifeste avec efficacité par le pouvoir de sa force en-vers nous qui croyons. Cette puissance, il l’a déployée en Christ quand il l’a ressuscité et l’a fait asseoir à sa droite dans les lieux célestes... » Nous lisons que Dieu a mis toutes choses sous les pieds du Christ – c’est-à-dire, Dieu l’a placé victorieux au-dessus de toute puissance, et de toute autre domination rebelle. C’est une image biblique de la conquête triomphante. Celui qui est mort et ressuscité est le vainqueur du cancer, des maladies du cœur, du SIDA, de l’Alzheimer, de la schizophrénie, de l’abus des enfants. Il est le vainqueur de l’exploitation des pauvres, de l’exploitation aveugle de la bonne terre de Dieu, de la folie des dépenses militaires et de l’armement nucléaire.

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Mais alors, demandons-nous : si le Christ a déjà la vic-toire sur toutes ces choses, pourquoi sont-elles encore en évidence ? Comment se fait-il qu’elles dominent partout ? En guerre, il y a une bataille décisive qui détermine lequel sera le vainqueur. Grâce à cette bataille, l’un des camps est sûr de remporter un triomphe total, même si l’autre camp a encore des troupes sur le champ de bataille et que la lutte continue. Il n’est qu’une question de temps avant que ce camp ne soit vaincu.

Atteindre l’éternité après la mort n’est pas notre but. Notre plus grand espoir, selon le Nouveau Testament, est que le royaume glorieux de Dieu vienne, et que le Seigneur invisible apparaisse dans sa splendeur afin de récréer tout ce que Dieu a créé, et que tout ce qui est mal et destructif soit éliminé. Ainsi, l’histoire s’avérera vraie et juste. c’est à dire que l’histoire finiera bien. L’histoire humaine réalisera la fin prévue par Dieu. A un certain moment Dieu prendra de nouveau contrôle total des évènements humains, et introduira le miracle inimaginable du Nouveau royaume. Tout d‘abord, notre espérance est l’accomplissement de tout ce que Dieu a promis ; notre espérance d’y prendre part n’est qu’au deuxième plan.

Pendant toute ma vie d’adulte, j’ai œuvré activement pour la paix, et ces derniers mois, j’ai grandement ap-precié quelques versets à propos de la paix, particulière-ment dans l’Evangile de Jean, où le Seigneur ressuscité, lorsqu’il est apparu aux disciples dans la chambre haute, leur a dit : « La paix soit avec vous ! » Un autre verset dans la lettre de Paul aux Philippiens auquel j’ai pensé, alors que j’ai dû passer un IRM, est : « Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre, gardera votre cœur et vos pensées en Jésus-Christ  » (Philippiens 5.7).

Esaïe nous dit : « ...tu assures une paix profonde parce qu’il se confie en toi  » (Esaïe 26.3). Cette paix parfaite,

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du point de vue biblique, est plus que la tranquillité de l’âme et de l’esprit. C’est la totalité de la vie et des rela-tions, qui demeure ferme contre tout ce qui essaie de nous fragmenter et de nous détruire. C’est un don qui peut nous soutenir, même lorsque nous traversons les ténèbres.

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Le pardon

Un rabbin a demandé à ses disciples : A quel moment à

l’aube pouvez-vous différencier la lumière de l’obscurité ?

Un des étudiants a répondu : quand je puis discerner une

chèvre d’un âne. Non, a répondu le rabbin. Un autre pro-

posa : quand je puis discerner un palmier d’un figuier. Non,

répondit de nouveau le rabbin. Eh bien, quelle est donc la

réponse ? insistèrent les élèves. Lorsque vous pouvez enfin

regarder le visage de chaque homme et de chaque femme,

et voir là votre frère et votre sœur, dit le rabbin. Seulement

alors avez-vous vu la lumière. Le reste est encore l’obscurité.

Conte Hassidique

La nature humaine étant ce qu’elle est, c’est une vraie grâce de percevoir un frère ou une sœur dans chaque personne.

Même nos relations avec nos plus proches sont parfois trou-blées par de petits griefs. La paix véritable entre nous nécessite un effort. Parfois, nous devons être prêts à céder ; quelque-fois, il faut de la franchise. Aujourd’hui, nous avons besoin d’humilité, afin de rester silencieux ; demain, du courage afin de parler ouvertement. Cependant, ce qui demeure constant est que, si nous voulons rester en paix avec les autres, il nous faut pouvoir pardonner, encore et encore.

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Nous avons tous, à un moment où à l’autre, été offen-sés, et nous avons tous, à un moment où à l’autre, offensé quelqu’un d’autre. donc, de même que nous devons tous pardonner, chacun de nous a besoin d’être pardonné. Sans le pardon, nous ne trouverons pas la paix.

Le pardon, qu’est-ce que c’est ? Dans mon livre Pourquoi pardonner ?, qui est entièrement dévoué à ce sujet, j’ai indi-qué qu’il existe un pardon que Dieu nous offre, et un pardon mutuel entre nous, les êtres humains. Ces deux pardons sont distincts, mais étroitement liés. Afin d’éprouver la paix que Dieu nous donne au travers du pardon, il semble que nous devons être les premiers à être prêts à pardonner aux autres. Je cite mon père :

Dieu nous ordonne de pardonner à notre prochain afin que nous puissions, nous-mêmes, être pardonnés, et ceci est important dans la vie de chacun. C’est surtout important au moment de mourir. Ceux qui ont la certi-tude d’avoir été pardonnés pour leurs péchés, et d’avoir pardonné ceux qui les ont offensés, seront épargnés de l’angoisse à leur dernière heure.

Pardonner, n’a rien à faire avec la justice, ou à excuser le mal ; en fait cela peut signifier pardonner à quelqu’un quelque chose d’inexcusable. Quand nous excusons quelqu’un, nous écartons sa faute. Quand nous pardonnons, nous avons, peut-être, une bonne excuse pour garder de la rancune, mais nous refusons de chercher à nous venger. Notre pardon n’est peut-être pas toujours accepté, mais le fait de tendre la main en réconciliation nous épargne la colère et l’indignation. Même si nous restons blessés, une attitude de pardon nous gardera de provoquer la personne qui nous a causé du mal.

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Et ceci peut même renforcer notre résolution de pardonner la prochaine fois. Dorothy Day écrit :

Dieu prend le parti de ceux qui sont indignes ; nous le savons par l’histoire de Jésus du fils prodigue... Les lect-eurs prétendent, peut-être, que le fils prodigue est revenu pénitent chez son père. Mais qui sait, il se peut qu’il soit sorti et ait gaspillé tout son argent le samedi soir suiv-ant, ou a refusé d’aider dans le travail à la ferme, et a insisté de finir son éducation, et ainsi s’est exposé à la juste colère de son frère... Jésus a une autre réponse : de pardonner son frère soixante-dix fois sept. Il y a toujours des réponses, bien qu’elles ne nous apaisent pas toujours.

Ironiquement, ce sont ceux qui souffrent le plus dans leur vie qui sont bien plus prêts à pardonner. Bill Pelke est un an-cien combattant de la guerre du Vietnam de l’état d’Indiana que j’ai rencontré pendant un événement contre la peine de mort. Sa grand’mère avait été brutalement assassinée, pourtant il a trouvé la paix en recherchant la réconciliation avec l’adolescente qui l’a tuée.

La grand’mère de Bill, d’un caractère démonstratif, don-nait des leçons bibliques aux enfants de son quartier. Un après-midi au mois de mai 1985, alors qu’elle ouvrait la porte à quatre adolescentes qui habitaient le voisinage, elle fut attaquée et assommée. Quelques minutes plus tard, après avoir saccagé l’appartement, les jeunes filles se sont enfuies avec sa vieille automobile, la laissant baigner dans le sang de ses multiples blessures. Bill se souvient :

Les jeunes filles ont été arrêtées alors qu’elles se bala-daient en voiture avec des amis dans cette même auto. Après, il y a eu un procès. Quinze mois plus tard, elles

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ont été condamnées ; l’une d’elles, à trente-cinq années, deux d’entre elles à soixante années, et la dernière, Paula Cooper à la peine de mort. J’étais satisfait que l’une d’elles soit mise à mort : Je sentais qu’autrement, la cour de jus-tice aurait donné l’impression que ma grand’mère n’avait pas de grande importance, tandis que je savais qu’elle était une personne très importante.

Environ quatre mois après que la peine a été pronon-cée, je me suis disputé avec une amie avec qui je sor-tais ; j’essayais de me réconcilier avec elle, et j’étais très déprimé. Je n’arrivais pas à trouver la paix.

Puis un jour, pendant mon travail, alors que je con-duisais une grue (je travaillais pour Bethlehem Steel), je réfléchissais comment tout cela s’était passé, surtout à propos de ma grand’mère, et j’ai commencé à prier : « Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi ? » Soudain, j’ai pensé à Paula – la plus jeune fille dans le pays a être condam-née à la peine de mort – et je l’imaginais dire : « Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je fait ? » Je me suis souvenu du jour où Paula a été condamnée à mort ; je me suis rappelé de son grand-père qui gémissait : « Ils veulent tuer mon bébé. » On l’escorta hors de la salle. Des larmes coulaient le long de ses joues...

J’ai alors pensé à ma grand’mère, sa foi, et à ce que dit la Bible, sur le pardon. Je me suis souvenu de trois versets : le premier qui dit que si tu veux que Dieu te par-donne, tu dois premièrement pardonner à ton prochain ; le deuxième, où Jésus dit à Pierre de pardonner « soix-ante-dix sept fois sept » ; finalement, le verset où Jésus dit, au moment de sa crucifixion : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23.34). Paula ne savait pas ce qu’elle faisait. Quand une jeune fille frappe quelqu’un à coups de couteaux, trente-trois fois, elle n’a plus toute sa raison.

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Tout à coup, j’ai su que je devais lui pardonner. A ce moment-là, j’ai prié Dieu de me donner de la compassion, de me permettre de l’aimer. Cette prière a changé ma vie. Je ne voulais plus qu’elle meure sur la chaise électrique. Qu’est-ce qu’une exécution résoudrait pour moi, ou qui que ce soit ?

En commençant mon travail j’avais été une personne battue ; quarante-cinq minutes après j’étais un homme transformé.

Bill a visité Paula plus d’une fois depuis le procès, et il a essayé de lui transmettre la foi de sa grand’mère – non pas avec des sermons, mais simplement en lui montrant de la compassion. Il n’est plus hanté par l’image de sa grand’mère bien-aimée, gisant sur le sol ensanglantée, dans la salle à manger où la famille s’était souvent réunie, lors de nom-breuses occasions joyeuses. Naturellement, il ressent encore un grand chagrin ; pourtant, cette peine est alimentée par la détermination d’épargner aux autres l’agonie de l’amertume qu’il arrivait à surmonter. « Tant que j’ai continué à haïr ces jeunes filles, elles contrôlaient ma vie. Une fois que j’ai choisi de leur pardonner, j’ai été libéré. »

Activiste engagé dans un mouvement grandissant, Mou-vement de la justice réparatrice, Bill parcourt le pays avec l’organisation Journey of Hope: From Violence to Healing (voyage d’espoir – de la violence à la guérison. Il est aussi membre de Murder Victims’ Families for Reconciliation, un mouvement qui a pour objectif la réconciliation avec les membres des familles de ceux qui ont été victimes de meur-tres. « Le pardon, dit-il, est le seul chemin qui mène de la violence justqu’à la guérison. Il nous épargne la corrosion

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causée par la haine, et nous rend la liberté d’être en paix avec nous-même.

La plupart d’entre nous ne devons pas aborder une situation telle qu’un meurtre ; et beaucoup de choses qui nous obsèdent sont risibles en comparaison. Cependant, nous avons peut-être du mal à pardonner. Surtout si notre ressentiment date de longtemps, cela prendra beaucoup de temps et d’effort pour le déraciner. Que le mal soit réel ou imaginé, il nous rongera l’âme aussi longtemps que nous le nourrissons.

Non pas que nous devons simplement tout supporter. Au contraire, les personnes qui enfoncent leurs griefs en leur subconscient pour les oublier, ne font que de se paralyser. Avant de pardonner une injure, ou quelque autre grief, nous devons pouvoir le nommer. Parfois, ce n’est pas possible (ou même utile) de confronter la personne que nous nous effor-çons de pardonner ; dans ce cas, la meilleure solution, c’est de parler de notre peine à une autre personne en qui nous avons confiance. Ayant fait ceci, il nous faut alors l’oublier. Autrement, nous risquons de garder notre ressentiment en attendant à jamais qu’on nous demande pardon. Et nous resterons séparés de Dieu.

Tant que nous avons du ressentiment, le chemin vers Dieu nous est barré. Je suis sûr que beaucoup de prières ne sont pas exaucées parce que la personne qui prie a quelque chose contre une autre personne, même si elle n’en est pas consciente. Si nous désirons avoir la paix de Dieu en notre cœur, il nous faut d’abord apprendre à pardonner.

J. Heinrich Arnold

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Naturellement, nous devons chercher à être pardonnés aussi. Après tout, chacun de nous est un pécheur devant Dieu, même si notre « vertu » nous empêche de nous percevoir sous cet angle. Une légende à propos du Frère Angelo, un moine de l’ordre de Saint François, illustre parfaitement ce problème.

A la veille de Noël, Frère Angelo nettoie sa simple chaumi-ère et se met à la décorer pour la messe. Il dit ses prières, balaie le foyer, suspend la bouilloire sur le feu, et s’assied là pour attendre Frère François qui devait arriver plus tard dans la soirée. A ce moment-là trois bandits apparaissent à la porte, quémandant de la nourriture. Apeuré et irrité, Frère Angelo les renvoie, sans rien leur donner, les grondant et les menaçant en leur disant que les voleurs seront consignés aux enfers.

Quand François arrive, il voit qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Frère Angelo lui raconte alors ce qui s’est passé, et François l’envoie sur la montagne avec une carafe de vin et du pain, afin qu’il retrouve les bandits et leur demande pardon. Frère Angelo est indigné. Contrairement à François, il ne peut pas considérer ces hommes comme des frères – mais seulement comme des brigands. Il se prépare quand même à obéir, et le soir même (ayant suivi leurs pas dans la neige) il les trouve – et il répare ses torts. La légende continue : peu après, ces hommes ont quitté leur grotte et se sont joints à la communauté de François.

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La reconnaissance

Vivez de façon à ce que la peur de la mort n’entre jamais

en votre cœur. En vous levant tous les matins, remerciez

Dieu pour la lumière du jour. Rendez grâce pour votre vie

et votre santé. Rendez grâce pour la nourriture et la joie de

vivre. Et si, peut-être, vous ne voyez aucune raison de le

faire, soyez sûr que ce soit de votre faute.

Attribué au Chef Tecumseh

Le mystique Maître Eckhart a une fois suggéré que même si notre seule prière était « merci », cela suffirait. Si nous

acceptons ce conseil superficiellement, ce serait assez facile de le suivre. Cependant, rendre grâce à Dieu du fond du cœur pour tout ce qu’il nous donne, et vivre chaque jour dans un esprit de gratitude, voilà qui est un travail de toute la vie.

Que veut dire : être reconnaissant ? Henri Nouwen écrit :

Etre reconnaissant pour tout le bien que nous recevons dans notre vie, c’est facile, mais être reconnaissant pour toute notre vie – le bien, tout autant que le mal, les mo-ments de joie comme les moments de tristesse, les suc-cès comme les échecs, les récompenses comme les re-jets – cela exige un dur effort spirituel. Cependant, nous ne sommes vraiment reconnaissants que quand nous

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pouvons dire merci pour tout ce qui nous a conduit au moment présent. Tant que nous continuons à diviser no-tre vie entre les évènements et les personnes dont nous voulons nous rappeler, et ceux que nous préférons ou-blier, nous ne pouvons pas dire que la plénitude de notre être soit un don de Dieu dont nous sommes reconnais-sants.

N’ayons donc pas peur d’examiner tout ce qui nous a conduit au moment présent, et d’avoir confiance que bientôt nous y verrons la main d’un Dieu aimant.

C’est tout aussi important de remercier pour les peines que pour les joies. Tant que nous reculons devant tout ce que nous craignons, ou tout ce qui nous agace, nous ne serons jamais en paix. Ceci ne veut pas dire que nous devons tout accepter en silence. Jésus, lui-même, nous dit de prier ainsi : « ... ne nous livre pas à la tentation. » Mais, puisqu’il y a tant de choses dans la vie que nous ne pouvons pas contrôler, il nous faut voir les épreuves, non comme des obstacles, mais comme des occasions pour grandir.

La philosophe Simone Weil a une fois écrit : « Dieu répand sa grâce continuellement sur tous les êtres de l’univers, mais nous consentons à la recevoir dans une mesure variable. S’il s’agit de ce qui est purement spirituel, Dieu exauce toutes demandes. Ceux qui ont moins, ont moins demandé. » C’est une pensée fascinante.

Et puis, si nous croyons fermement à ces paroles, « Que Ta volonté soit faîte », nous serons heureux de recevoir ce que Dieu choisit de nous donner. Même les Israélites durent souvent être punis. Ils n’ont pas seulement reçu la manne, du ciel. Quant aux bonnes choses – la famille, la nourriture,

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les amis, l’amour, le travail – en toute franchise, il nous faut admettre que nous les considérons souvent comme acquis, comme nos droits plutôt que comme des dons.

Carroll King, membre de notre Eglise, remarque que c’est justement lorsque les troubles et les problèmes sont très graves, que la gratitude peut changer totalement notre per-spective.

Une fois, alors que j’étais bien déprimé, l’idée m’est venue que si je pouvait trouver même une seule chose dont j’étais vraiment reconnaissant, ce serait le premier pas pour m’en sortir. Il y a toujours quelque chose qui nous rend heureux... Dans ma vie j’ai souvent dû lutter pour une libération de la peur et l’anxiété. En abandonnant tous nos problèmes aux mains de Dieu nous trouvons la paix, et non seulement en acceptant la solution qu’Il nous présente comme la meilleure, mais en étant vraiment reconnaissant, quoi qu’il nous arrive.

Les lignes suivantes du prêtre Jésuite Alfred Delp montrent la même attitude. Elles furent écrites en 1944, de la prison où Delp attendait son exécution pour s’être prononcé contre Hitler.

En apparence, rien n’a jamais été pire. C’est bien le pre-mier Nouvel An que je n’aie même pas une croûte de pain. Je ne possède absolument rien. Le seul geste de bonne volonté en ma faveur, c’est que les geôliers ont accepté de desserrer mes menottes, de façon à me permettre de libérer ma main gauche. Les menottes pendent de mon poignet droit, et je puis ainsi écrire. Mais, il me faut tenir mon oreille collée à la porte – que Dieu me protège si on me trouve au travail !

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En vérité je me trouve à l’ombre de l’échafaud. A moins de pouvoir réfuter chaque point de mes accusations, je serai sûrement pendu.

Cependant, bien de choses ont été consumée et sont devenues plus malléable par le feu sur l’autel de mes souffrances. C’est une bénédiction de Dieu, et un des signes de sa grâce intérieure, que j’ai été si merveilleuse-ment aidé à rester fidèle à mes vœux. Je suis confiant que Dieu m’enverra son secours, extérieurement, dès que je serai prêt à la prochaine tâche qu’il désire me confier. Cette activité extérieure et cette lumière intérieure inten-sifiée fera naître une nouvelle passion pour témoigner du Dieu vivant, car j’ai vraiment appris à Le connaître pendant ces journées d’épreuves, et à sentir sa présence salutaire. La pensée : « Dieu Seul suffit » est véritablement et absolument vraie.

Dietrich Bonhoeffer montre la même assurance remarquable dans une lettre, écrite de la prison à sa fiancée, Maria Wede-meyer, la veille de son exécution : « Tu ne dois pas penser que je suis malheureux. Qu’est-ce que le malheur et le bonheur ? Cela dépend si peu des circonstances ; cela dépend, plutôt de ce qui se passe dans notre cœur. Je suis chaque jour recon-naissant de t’avoir, et cela me rend heureux. »

A mon expérience, la source la plus commune de l’ingratitude n’est pas le besoin, mais plutôt une fausse compréhension de ce qu’est le bonheur. Tous deux, Delp et Bonhoeffer disent que la présence ou l’absence de difficultés et de misère n’a probablement rien à faire avec notre état d’âme ou d’esprit. « Dieu, Seul, suffit. » Si seulement cette pensée inciterait en nous, comme elle le devrait, cette recon-naissance infinie !

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Rien ne peut nous satisfaire lorsque nos espérances égoïstes nous rendent mécontent de notre destin  ; de là le dicton : « L’herbe est toujours plus verte ailleurs. » Tant que notre vision est limitée à nos propres besoins, nous ne pourrons ni voir le besoin de notre prochain, ni ce dont nous devrions être reconnaissants. Mon père a une fois écrit a un ami qui sombrait dans la tristesse : « Tu trou-veras toujours des raisons pour grommeler. Si tu désires la paix, tu devras les laisser tomber. Je te supplie : arrête de concentrer sur ton désir d’être aimé. C’est en opposition au christianisme.

William Marvin est un prêtre anglican en Alabama avec lequel j’ai correspondu depuis un an, alors qu’il voulait nous assister avec l’envoi d’aide à Cuba. William a connu suffisament de souffrances, mais je ne l’ai jamais entendu se plaindre. Malgré une série d’épreuves « à la Job » – une maladie grave, la mort de son plus jeune fils, la perte de son travail, et un divorce – il peut encore dire : « Eh bien, je n’ai pas encore eu de furoncles comme Job... » C’est de cette at-titude, je pense, qu’il retient son sens de paix.

Quelques jours après avoir subi une opération de l’appendicite qui était gangréneuse j’étais proche de la mort. C’était en décembre, 1960. J’avais trente-cinq ans. Tôt le matin, j’ai eu la certitude que j’allais mourir, et j’ai été saisi de panique. J’avais une femme, trois fils, et des dettes, et je sentais que ma mort serait l’échec ultime, les laissant tous dans la misère. Puis j’ai entendu une voix, distincte et sévère, dans mon oreille : « Eh bien ! Tu n’es pas important, même pour toi-même ! Dieu Seul l’est ! »

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J’ai souvent réfléchi à la façon dont Dieu nous parle. A mon expérience Dieu parle généralement tout bas, et n’emploie pas beaucoup de paroles. L’évènement dont je parle est le seul où Il m’a parlé si brusquement. C’était comme une douche froide dans la figure. Je me suis remis lentement, mais complètement.

Il y eut d’autres évènements critiques dans ma vie. Ma mère est mort subitement alors que j’avais seulement huit ans. Environ un an après, mon père s’est remarié avec une femme beaucoup plus jeune que lui. Nous n’étions pas heureux à la maison. Mon père était directeur d’une école ; il était connu pour sa discipline sévère et ses hautes nor-mes académiques. Il agissait de même chez nous. Je n’étais pas physiquement maltraité, bien que ma belle-mère m’ait giflé une ou deux fois. Le sarcasme et la moquerie étaient ses armes favorites. La règle permanente était : « ce que Maman veut a force de loi ! » Ado, je me rebellais en tra-vaillant juste assez pour pouvoir réussir aux examens. De cette façon, je pouvais les défier tous les deux, puisque la réussite était si importante pour eux. Dès que j’ai eu mon certificat d’école en main, ils m’ont mis à la porte. J’ai alors vécu chez un oncle et une tante, jusqu’à ma conscription dans l’armée. Mes années dans le service militaire étaient intenses. J’ai vu des batailles, et j’ai vu des hommes mourir. J’ai été blessé. Après l’armée, c’était l’université, bien que je ne sache pas quoi faire dans ma vie.

Je me suis marié, j’ai eu deux fils peu après, une mai-son en banlieue, des paiements hypothécaires une auto, et un emploi de facteur. Après trois ou quatre ans je suis devenu très mécontent. Après avoir beaucoup réfléchi, et recherché des conseils, je me suis décidé de devenir prêtre épiscopal. Après deux mois au séminaire nous avons fait une retraite. J’étais accablé. Je suis allé trouver le maître responsable, moine de l’ordre de la Sainte Croix, et je lui

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ai dit que j’avais fait une erreur ; je n’en étais pas digne. Voici sa réponse : « Naturellement ! Aucun de nous n’est digne. Mais Dieu n’a que nous pour faire son boulot. »

Suivant la remise des diplômes et son ordination, William servit dans plusieurs paroisses, mais il vit bientôt que sa façon de voir était bien différente de celle de ses supérieurs. Il fut alors destitué de ses fonctions. Il ne trouvait plus de postes vacants ; après tout, il avait parlé contre la direction de l’Eglise épiscopale. Finalement, il trouva une position dans la paroisse anglicane, où il est maintenant.

Lors des années suivantes, la tragédie le frappa à plusieurs reprises. D’abord, le fils cadet de William fut tué dans un accident d’auto ; puis sa femme fut impliquée avec un autre, et quitta la maison, le divorce suivit ; son second fils suc-comba à l’alcool, et mourut à trente-cinq ans d’une attaque sérieuse. Il y eut quelques compensations, il est vrai : son fils aîné devint un avocat agréé ; sa fille reçut un doctorat, et fut acceptée à la faculté de Notre Dame. William, lui-même a trouvé une famille parmi les membres généreux de sa par-oisse. Cependant sa vie a été bien difficile.

Ai-je trouvé la paix ? Je pense que oui. J’ai rempli mes obli-gations à mes enfants ; je prends soin de mes paroissiens, et j’ai décidé de le faire aussi longtemps que Dieu le veuille.

Je commence chaque jour en récitant le Venite, avec le quatrième verset : « Les quatre coins de la terre sont en ses mains. » Le soir, je récite le Nunc dimittis, de même que les paroles de Jésus sur la Croix : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Luc 23.46). La prière de Jésus, note dominante du mysticisme orthodoxe grec, est souvent sur mes lèvres : « Seigneur Jésus Christ, Fils du

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Dieu vivant, aie pitié de moi, pécheur. » Chaque fois que je récite cette prière, ou une de mes propres pensées, je me rends compte, de nouveau, que la miséricorde de Dieu n’est rien de moins que son amour. Et je suis rassuré – reconnaissant de savoir que je suis pardonné et accepté.

Il y a encore une chose que je dois faire. Je dois mourir. D’ici là, bien que je fasse des projets à l’avance, j’essaie de vivre chaque jour comme si c’était le dernier jour de ma vie.

Ce n’est pas trop de croire que je suis dans la main de Dieu depuis le jour de ma naissance. Mes fils ne sont pas morts et ma femme n’a pas abandonné ses vœux de mariage afin que je sois châtié et rendu meilleur. Ces choses sont arrivées, parce que le monde est imparfait. Il y a vingt-et-un ans – après que j’ai été renvoyé de l’Eglise, et que mon plus jeune fils est mort, et que ma femme se remettait d’une crise cardiaque (et voulait me quitter), et que je ne travaillais que dix heures par semaine – un ami m’a suggéré que je devais me sentir comme Job. Je lui ai dit, alors : « Eh bien, je n’ai pas souffert de furoncles. » C’est toujours le cas, aujourd’hui.

Aujourd’hui, je suis allé voir une personne que je visite tous les vendredis ; c’est un médecin en retraite, qui est mourant. Il a déjà perdu trois filles au cancer. Sa femme a été opérée d’un cancer quelques années auparavant. Le dimanche, nous célébrons la Sainte Cène ensemble. Il n’est pas le seul paroissien qui ait reçu la grâce spéciale d’un fardeau à porter. Presque tout le monde doit une fois ou l’autre souffrir. J’en cite une autre, une jeune mère qui a souffert de brûlures sur quarante pour cent de son corps. Son mari l’a abandonnée, et elle élève, seule, trois jeunes enfants, et elle le fait très bien. Que Dieu m’ait permis de connaître de telles personnes, et de partager ma vie avec eux, fut pour moi une vraie récompense. Cela m’a valu la paix de Dieu « qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre » (Philippiens 4.7).

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L’honnêteté

Vous pensiez être indifférent à la louange du succès dont

vous ne vous vantiez pas, ou, que si vous étiez tenté de

vous sentir flatté, vous sauriez bien, que la louange excède

de beaucoup ce que les évènements justifient. Vous vous

sentiez indifférent – jusqu’au moment où votre jalousie a

éclaté, en face des essais naïfs de quelqu’un d’autre « pour

se rendre important », et exposait ainsi votre orgueil.

Pour ce qui est de la dureté de cœur et de sa petitesse,

laissez-moi lire avec des yeux bien ouverts le livre de mes

jours – et en profiter.

Dag Hammarskjöld

Si quelqu’un me demandait de choisir la condition la plus fondamentale de la paix du cœur, je choisirai probable-

ment l’honnêteté. Qu’il s’agit de la franchise en son sens général, ou la conscience de sa propre condition, ou de pou-voir appeler un chat un chat, ou l’inclination d’admettre l’échec, l’honnêteté est le principe de base de la paix. Bien que nous redoublions nos efforts pour la paix jusqu’à notre dernier soupir, nous ne la possèderons jamais, tant que nous ne nous soumettons pas à la lumière pure de la vérité. La

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malhonnêteté est l’un des plus grands obstacles sur le sentier de la paix, car elle nous fait perdre pied en notre recherche.

Quant à se conformer extérieurement tandis que l’on continue à vivre intérieurement son propre train de vie, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Lorsque Dieu vous tire dans une direction, et le diable dans une autre, chacun ayant les pieds bien plantés – sans parler de la conscience qui nous scie de biais – n’importe quel bois va fondre.

Henry David Thoreau

La première étape vers Dieu, ce qui est aussi une étape vers la paix, c’est de reconnaître notre véritable condition. Si nous espérons retrouver Dieu, nous devons tout d’abord admet-tre que nous sommes loin de lui. Afin d’y arrriver, Thomas Merton dit, nous devons « devenir conscients...que la per-sonne que nous croyons être ici-bas est, tout au mieux, un imposteur et un étranger. Nous avons à mettre constamment en question ses motifs et pénétrer ses déguisements. » Autre-ment nos efforts de nous connaitre échoueront.

La connaissance de soi n’est que le premier pas. Elle ne suffit pas à nous garantir la paix, et peut même nous égarer en nous entraînant dans la spirale fatale de notre propre égoïsme. Mon grand-père écrit :

L’égocentrisme est un esprit menteur – la maladie mor-telle. Celui qui est égocentrique est mortellement malade et doit être racheté.

Ceux qui sont axés sur eux-mêmes n’apprennent ja-mais que le christianisme est, de nature, objectif, une cause dans laquelle nous pouvons nous oublier complète-ment – nous et nos petits egos.

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L’égocentrisme nous conduit à une attitude hypocrite et prétentieux, jusqu’à ce que nous nous prenons pour des saints... Les gens les plus en danger sont ces saints artificiels, qui prennent tellement de peine à être parfaits. Leurs efforts sont à la racine de leur hypocrisie...

Lorsque nous regardons Dieu de notre propre point de vue, l’obligeant à établir un rapport avec nous, nous voy-ons, forcément, le monde à travers une loupe trompeuse. Je ne suis pas la vérité, et du fait que je ne suis pas la vérité je n’ai pas le droit de me mettre au centre de mes réflexions. Ce serait faire de moi-même une idole. C’est Dieu qui doit demeurer au centre de ma vie.

Nous devons réaliser que la cause de Dieu existe en-tièrement en dehors de nous-mêmes. Ce n’est pas seule-ment que nous sommes sans importance, mais nous sommes superflus. Si nous sommes honnêtes, nous ad-mettrons être des obstacles, des adversaires de Dieu. La rédemption ne commence que lorsque nous le recon-naissons.

Réaliser qui nous sommes, signifie faire face aux problèmes que l’on a évités jusque là. Mais cela veut dire aussi que nous devons tourner vers Dieu. Malheureusement, la plupart d’entre nous ne faisons ni l’un ni l’autre, car nous craignons devoir changer de comportement. Nous hésitons à abandon-ner le confort qui vient avec l’auto-satisfaction. Si seulement nous savions combien plus grande et plus féconde soit la paix que nous éprouvons quand notre conscience est pleine-ment éveillée !

Jeannette Warren, membre de notre communauté, nous a récemment raconté comment, alors qu’elle était jeune, elle recherchait la paix depuis des années – au sein de toutes sortes de mouvements, politiques et autres, coopératives,

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communautés – tout en négligeant la tâche essentielle de remédier, tout d’abord, au manque de paix dans son propre cœur. Comme beaucoup d’autres, sa recherche devint seule-ment fructueuse au moment où elle commença à se regarder elle-même en toute humilité et franchise.

La sincérité est tout aussi importante que de se connaître soi-même dans la recherche de la paix du cœur. Sans elle, nous devenons hypocrites, en adaptant constamment notre propre image afin de manipuler la façon dont les autres nous voient. Dans l’Evangile de Matthieu, Jésus nous prévient précisément de ce danger. Il nous dit que nous ne devons pas vouloir paraître pieux aux yeux des autres : « Malheur à vous, spécialistes de la loi et pharisiens hypocrites, parce que vous nettoyez l’extérieur de la coupe et du plat, alors qu’à l’intérieur ils sont pleins du produit de vos vols et de vos excès. Pharisien aveugle ! Nettoie d’abord l’intérieur de la coupe et du plat, afin que l’extérieur aussi devienne pur » (23.25-26). Il continue, encore plus sévèrement : « Malheur à vous, spécialistes de la loi et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des tombeaux blanchis qui parais-sent beaux de l’extérieur et qui, à l’intérieur, sont pleins d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés. Vous de même, de l’extérieur, vous paraissez justes aux hommes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et d’injustice » (vv. 27-28). En se rapportant à ces versets, mon père écrit :

N’utilisons jamais de paroles pieuses, si elles ne nous signifient rien. Ainsi, parler avec enthousiasme de la voie du disciple, tout en résistant à ses exigences, nuira à notre vie intime. Soyons sincère, disons ce que nous pensons, que ce soit loin du compte ou non, plutôt que

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de nous servir de paroles vaines. La paix véritable exige l’honnêteté parfaite. Nous ne pouvons pas vivre en paix avec nos semblables à moins que la vérité demeure dans notre cœur et et que notre amour soit sincère.

Le manque de sincérité peut devenir une habitude. Si nous nous y habituons, l’hypocrisie suivra de près. Si c’est le cas, il faudra faire un effort sérieux pour se débarrasser des mensonges dissimulés, et de redevenir honnête, avec nous-mêmes et avec ceux que nous avions trompé. Zoroastre, l’ancien poète-prophète de la Perse, compare cette situation à une bataille :

A la vue de ce monde, Je veux crier : La vérité est-elle vraiment pour le mieux, Quand il y a tellement de mensonge ; Ne devrais-je pas m’unir A leurs hurlements diaboliques ?

Mon Dieu, ne m’abandonne pas ; Fortifie-moi dans cette épreuve,Et donne-moi de la force. Recule, pensée rebelle : L’épée monte à ta gorge !

Seuls, ceux qui connaissent La source d’où jaillit la viePeuvent tirer l’eau du puit éternel. Voilà le seul rafraichissement Qui réconforte.

Si Zoroastre paraît excessif à représenter l’agonie de cette lutte, c’est peut-être seulement parce qu’il est si éloquent. La bataille entre la vérité et la duperie n’est pas seulement

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entre deux opposés abstraits ; c’est une guerre entre Dieu et Satan que la Bible appelle le « père des mensonges ». Si je réexamine des conversations que j’ai eues avec des person-nes qui éprouvaient des périodes de crises, je dois avouer que ce combat est toujours difficile, surtout lorsque quelqu’un a été induit à croire que l’honnêteté est un prix trop élevé à payer pour atteindre la paix. Tout d’abord, cette personne ne ressentira peut-être pas qu’il soit nécessaire de livrer bataille, tant aveuglée qu’elle soit d’avoir vécu un mensonge.

Dans Les frères Karamazov, Dostoïevski nous crée une per-sonne de ce genre : Fyodor Pavlovitch, un jeune homme qui demande d’un air moqueur à Père Zossima ce qu’il doit faire afin d’obtenir la vie éternelle. Le prêtre répond ainsi :

Il y a longtemps que vous-même savez ce qu’il faut faire, vous ne manquez pas de sens : ne vous adonnez pas à la boisson et à l’intempérance de langage, ne vous adon-nez pas à la sensualité, surtout à l’amour de l’argent, et fermez vos débits de boisson, au moins deux ou trois, si vous ne pouvez pas les fermer tous. Mais surtout, avant tout, ne mentez pas. Non, ce n’est pas à propos de Di-derot. Surtout ne vous mentez pas à vous-même. Celui qui se ment à soi-même et écoute son propre mensonge va jusqu’à ne plus distinguer la vérité ni en soi ni autour de soi ; il perd donc le respect de soi et des autres. Ne respectant personne, il cesse d’aimer, et pour s’occuper et se distraire, en l’absence d’amour, il s’adonne aux passions et aux grossières jouissances ; il va jusqu’à la bestialité dans ses vices, et tout cela provient du men-songe continuel à soi-même et aux autres. Celui qui se ment à soi-même peut être le premier à s’offenser. On éprouve parfois du plaisir à s’offenser, n’est-ce pas ? Un individu sait que personne ne l’a offensé, mais qu’il s’est

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lui-même forgé une offense, noircissant à plaisir le tab-leau, qu’il s’est attaché à un mot et a fait d’un monticule une montagne, – il le sait, pourtant il est le premier à s’offenser, jusqu’à en éprouver une grande satisfaction ; par là même il parvient à la véritable haine.

Shakespeare dit presque la même chose :

Ceci par-dessus tout : Sois vrai à toi-mêmeEt comme tout se poursuivra comme la nuit au jour,Tu ne pourras, alors, être faux à aucun homme.

La nature humaine étant ce qu’elle est, ce conseil cité en de-hors du contexte est plus facile à transmettre qu’à pratiquer. Même la personne la plus complaisante ne niera pas qu’elle a menti avant, et bien des fois en plus. En fait, la majorité des gens capitulent devant la malhonnêteté déjà lorsqu’ils sont encore très jeunes, et à moins qu’on ne leur enseigne sans cesse et fermement à dire la vérité, mentir devient alors une habitude qui est de plus en plus difficile de surmonter. On peut laisser passer l’acte enfantin de « chiper » un bis-cuit comme chose normale, mais l’enfant de cinq ans qui apprend à s’en sortir ainsi n’aura peut-être aucun scrupule à faire du vol à l’étalage, frauder le système des impôts ou tromper sa femme lorsqu’il sera adulte. Comme les membres de toute église ou synagogue en témoignent, les personnes religieuses sont tout aussi bien aptes à mentir que les autres dans le monde laïque.

Cependant, si nous désirons trouver la paix en notre pro-pre cœur, il existe toujours une solution : avouer nos fautes à une autre personne. En tant que rite spécifique ou pra-tique, la confession est bien trop complexe pour en parler

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ici. Avouer tout simplement nos péchés afin de retrouver la liberté et la paix n’est cependant pas compliqué. Une fois que nous avons reconnu le désaccord entre notre véritable soi, avec tous nos défauts, et le côté que nous présentons aux autres, nous serons toujours péniblement conscients d’une tension intérieure jusqu’à ce que nous arrivons à réconcilier les deux. Même si nous nous amendons et tournons le dos à nos erreurs passées, il ne nous est pas possible d’éprouver une paix d’esprit totale si nous ne sommes pas en mesure de partager notre fardeau secret avec autrui. Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Il n’y a plus rien d’intact dans mon corps à cause de ta colère, il n’y a plus rien de sain dans mes os à cause de mon péché » (Psaumes 38.4).

Mettre son âme à nu, même (ou peut-être surtout) devant une personne que nous aimons, et en qui nous avons confi-ance, c’est toujours douloureux. Mais comme nous le verrons plus loin en ce livre, on ne peut pas l’éviter. Si nous désirons trouver la paix en Jésus Christ, il nous faut être prêts à ac-cepter l’angoisse de sa Croix. Bien que nous ne choisissions jamais de souffrir de cette angoisse, si notre soif de Dieu est profonde, nous la supporterons volontiers, et ainsi, nous permettrons à Dieu de nous renouveler.

Accepte moi, Seigneur  ; accepte-moi pour ce peu de temps.

Que ces journées passées, rendues orphelins, soient ou-bliées.

Seulement, étends ce court moment sur tes genoux, le tenant sous ta lumière.

Je me suis égaré dans la poursuite des voix qui m’attiraient, mais qui ne me conduisaient nulle part.

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Laisse-moi maintenant m’asseoir en paix pour écouter tes paroles dans l’âme de mon silence.

Ne détourne pas ton visage des secrets obscurs de mon cœur,

mais illumine-les du feu de ton amour, afin qu’ils disparaissent.

Rabindranath Tagore

On peut perdre la paix en un instant – volontairement, ou parce qu’on est têtu, hypocrite, orgueilleux, ou parce qu’on cherche un moyen trop facile d’en sortir. Cependant, il n’est jamais trop tard pour commencer la quête, même si la paix nous ait échappé depuis des années. Aussitôt que nous pouvons nous examiner tels que nous sommes – qui suis-je, non pas aux yeux des autres, mais devant Dieu ? – nous n’aurons plus de difficulté à recentrer notre regard sur notre besoin de Jésus. Dans son authenticité demeure toujours la paix.

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L’humilité

Jésus Christ mourut, afin d’échapper au pouvoir, tandis que

les hommes vivent pour l’exercer. Le pouvoir est le plus

grand de tous les pièges. Comme le pouvoir, dans toutes

ses manifestations, est terrible – la voix élevée pour com-

mander, la main étendue pour prendre, les yeux brûlants de

désir. Il vaut mieux se débarrasser de l’argent, et le donner

aux pauvres ; il vaut mieux dissoudre les organisations ; les

corps devraient plutôt dormir séparément. Il n’y a pas de

paix du tout, à moins de lever les yeux au-delà du temps,

vers l’éternité – comme on contemple l’horizon du sommet

d’une montagne.

Malcolm Muggeridge

De tous les tremplins vers la paix dans ce livre, l’humilité est, peut-être, la plus difficile à reconnaître. L’humilité

n’est pas seulement l’indulgence ou la douceur. Elle exige qu’on soit vulnérable, qu’on supporte des blessures. C’est être prêt à passer inaperçu, à être le dernier, à recevoir le moins. L’humilité ne nous offre rien de cette paix que le monde nous donne – plutôt, elle la détruit. Cependant, l’humilité révèle mieux que toute autre chose la voie du Christ. Elle incarne,

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à vrai dire, la voie de Jésus Christ. Et, ainsi, l’humilité nous conduit à la paix la plus durable.

Ce n’est pas une coïncidence que l’annonce des anges de la naissance de Jésus – « Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, paix sur la terre et bienveillance parmi les hommes » (Luc 2.14) – fut faite premièrement aux bergers. Car pour les gens riches, éduqués et cultivés, le message du Christ leur semble trop opposé à la sagesse humaine. Comme le cardinal John O’Connor de New York écrivit : « Elle va à contresens de tout ce que le monde enseigne sur le pouvoir et la gloire, la richesse, le succès et le prestige. »

Ce ne fut pas par hasard que Jésus ait choisi de simples pécheurs, non pas des docteurs de la loi, pour l’accompagner dans ses pérégrinations, alors qu’il enseignait en Judée. Ceux qui ont peu de prétentions, sont plus aptes à s’ouvrir à la folie de l’Evangile et sa paix.

On pourrait écrire beaucoup sur l’humilité, mais rien ne remplace la simple pratique quotidienne. Ce n’est qu’en nous ouvrant aux autres que nous découvrons la bénédic-tion cachée de la vulnérabilité, et ce n’est qu’en acceptant la défaite que nous apprenons à accueillir la paix qui vient avec la renonciation du moi. Voilà pourquoi le livre apocryphe de Ben Sira nous dit  : « Tout ce qui t’advient, accepte-le et, dans les vicissitudes de ta pauvre condition, montre-toi patient, car l’or est éprouvé dans le feu, et les élus dans la fournaise de l’humiliation. Mets en Dieu ta confiance et il te viendra en aide, suis droit ton chemin et espère en lui. Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricorde, ne vous écartez pas, de peur de tomber » (2.4-7, La Bible de Jérusalem).

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Quant à devenir humble, on pourrait en parler longtemps. Dans Le pasteur d’Hermas, une parabole chrétienne du 2e siè-cle, chaque personne est comparée à un bloc de pierre choi-sie par le maçon principal. Si la pierre peut être taillée pour faire un mur, on s’en servira. Mais, si les bords irréguliers de l’orgueil et de l’égocentrisme se montrent trop difficiles à tailler, elle sera rejetée. Jésus fait une comparaison sembla-ble, dans ses discours d’adieu, à ses disciples : il parle de la façon dont chacun de nous doit être taillé, si nous allons porter des fruits : « C’est moi qui suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il l’enlève; et tout sarment qui porte du fruit, il le taille afin qu’il porte encore plus de fruit » (Jean 15.1-2). Les deux paraboles sont faciles à comprendre, mais sommes-nous assez humbles pour céder gracieusement aux coups du maçon ou au couteau du vigneron ? Voilà le défi.

Tom et Monica Cornell, de bons amis à Marlboro dans l’état de New York, et responsables de la ferme qui appartient au Mouvement ouvrier catholique, me disent que d’après leur expérience, la paix de Dieu – bien qu’elle soit libérale-ment accordée – ne peut durer sans être continuellement « émondée ». Tom écrit :

Il est difficile de parler de son propre « émondage », la manière dont Dieu nous taille. Jésus parle d’un fermier qui examinait un figuier n’ayant pas porté de fruits depuis trois ans. Il voulait l’abattre, mais le jardinier l’a con-vaincu de l’épargner : « Seigneur, laisse-le encore cette année! Je creuserai tout autour et j’y mettrai du fumier. Peut-être à l’avenir donnera-t-il du fruit  ; sinon, tu le couperas » (Luc 13.6). Voilà ce que Dieu fait avec nous.

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Pour nous rendre fertiles, Il creuse autour de nous, nous taille aussi, et parfois, le tas de fumier sur nous est bien profond.

« Pourquoi moi, Seigneur ? » j’entends crier quelque-fois les gens, et ça m’arrive aussi, quand on reçoit des coups durs. « Pourquoi moi, Seigneur ? » Sainte Thérèse, la grande réformatrice des Carmélites, traversait une fois une rivière, à cheval. Son cheval trébucha, et elle tomba dans l’eau. Elle se plaignit à Dieu. « C’est ainsi que je traite mes amis », une voix se fit entendre. « Ce n’est pas étonnant, alors, que Tu n’en aies pas beaucoup ! » répondit Thérèse.

J’ai perdu mon père, alors que je n’avais que quatorze ans. Ce ne m’est pas arrivé d’un seul coup ; il en a fallu dix ans. Mon père a ruiné sa santé par un travail acharné visant le soutien de sa famille. J’ai su, lorsqu’il est partis pour le sanatorium le jour après son cinquante-deuxième anniversaire, que je ne le verrai plus. Six mois plus tard, le cœur de ma mère s’est fendu de chagrin, et j’ai été glacé de peur. Comment allions-nous vivre ?

C’est étrange de le penser, et encore plus étrange de pouvoir le dire, mais c’était pour le mieux : «  ...nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu » (Romains 8.28). Même ceci ?

Je peux m’imaginer que si mon père m’avait vu grandir et suivre la voie rebelle d’un disciple chrétien, nous au-rions été engagés dans une lutte terrible. Il était chauvin extrême. Ma mère n’aurait pas su que faire entre nous deux. Mais il s’est trouvé que cette lutte a prit place avec son fantôme, et elle n’en finit pas.

Nous avons continué à vivre, ma mère, ma sœur. A force de travailler dur et de dépenser peu, j’ai pu faire des études supérieures à Fairfield, une école jésuite. L’expérience de travailler dans une usine comme adolescent m’a offert des

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leçons précieuses. Le travail, à la pièce, était répétitif et accompli dans une position accroupie, ni debout, ni as-sis ; me servant des deux mains, et d’un pied, je répétais soixante heures par semaine un geste qui ne durait que deux secondes, et qu’il fallait faire toujours plus rapide-ment. Je n’ai jamais vu le résultat de mon travail, dont je n’ai pas pu trouver du sens.

La vie s’est améliorée lorsque j’ai trouvé ma vocation au sein du Mouvement catholique ouvrier. En lisant La longue solitude par Dorothy Day, tout s’est arrangé, ma foi et mon expérience. Là, j’ai été accepté et intégré au cœur intellectuel de l’organisation même avant d’obtenir mon diplôme ; nous étions peu nombreux. Après mon examen final, je suis venu à la ville de New York, d’où j’ai été envoyé en mission, pour ainsi dire, sous l’égide du Mouvement catholique ouvrier, d’abord sur un projet de réimplantation agricole au Sud des Etats-Unis, puis aux projets dans le mouvement de paix dans son ensem-ble. Je travaillais avec A.J. Muste et ses associés dans le Committee for Nonviolent Action (comité de l’action non violente, ainsi que dans le War Resisters League (Ligue pour la résistance à la guerre), où figuraient tous les noms des personnages importants du mouvement radical de la non-violence de ce temps. Je voulais faire la connaissance de ces gens, personnellement, de façon à rapporter ces contacts au Mouvement catholique ouvrier. Je voulais être un messager, et on m’a reçu ainsi.

Avant peu, on m’a considéré comme une personne qui s’y connaissait, à propos de la guerre, la paix, et la non-violence, bien que la raison n’en fût jamais claire. Mais je sentais que la volonté de Dieu, pour moi, était d’aider à développer la théorie et la pratique de la non-violence à l’intérieur du mouvement. Ce travail a eu du succès et a été, personnellement très satisfaisant.

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L’émondage le plus sévère, c’est de voir le travail d’une vie entière détruit. C’est à peu près ce qui m’est arrivé lorque j’étais en mi-chemin. Je me suis trouvé comme dans une forêt assombrie. Le mouvement de la non-vio-lence perdait son élan. Même avant son meurtre, les na-tionalistes noirs et les séparatistes avaient éclipsé Martin Luther King – leur slogan : par n’importe quels moyens. Des éléments importants parmi ceux qui étaient contre la guerre avaient compromis leur pacifisme, et avaient choisi un « impératif révolutionnaire ». Des activistes ap-propriaient le terme non-violence, sans aucune référence aux principes ou à la pratique de Gandhi. Après quinze ans de travail, j’ai été congédié.

Cela avait été un bon emploi. Le Mouvement Inter-national de la Réconciliation (MIR) est la plus grande organisation œcuménique et interreligieuse du monde. Je recevais un salaire qui soutenait les besoins de ma famille (ce qui est essentiel pour les membres du Mouve-ment catholique ouvrier), qui assurait l’entretien d’une maison modeste, me permettait d’avoir une voiture, et qui me donnait l’accès à un grand public. Je voy-ageais beaucoup : l’Amérique Latine, le Moyen-Orient, et l’Europe ; je faisais des discours, j’écrivais sur la non-violence et je renforçais les liens du réseau d’activistes non-violents. Je prévoyais une retraite qui me permettrait de travailler indépendamment et établir ma propre ho-raire  ; j’envisageais un élargissement de mon champ d’influence. Puis, j’ai vécu un effondrement complète : ma poste a été « éliminée ».

Trois années se sont ecoulées pendant lesquelles je travaillais indépendamment, accomplissant autant de travail important qu’avant (sinon d’avantage), mais je ne gagnais plus mon pain. Nous avons perdu notre maison. Mon cœur s’était brisé.

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Quitter le MIR m’a fait beaucoup souffrir. Cela a été un vrai émondage. Ironiquement, mon travail le plus im-portant et le plus durable pour la paix a eu lieu à la suite de cette séparation, lors de mes années dans le désert. A mon insistance, l’Eglise catholique des Etats-Unis s’engagea à soutenir tous ceux qui étaient trou-blés par la conscription militaire, et j’ai été permis, avec l’autorisation et l’approbation de l’évêque, de créer un programme de formation pour les conseillers contre la conscription dans plusieurs diocèses du pays. Au même temps, l’Archevêque Oscar Romero, en tant que président de la conférence, m’a donné la tâche de mobiliser du soutien pour la paix en El Salvador. Lui-même et deux religieuses américaines, qui y participaient ont perdu leurs vies. Mais, je ne pouvais pas encore subvenir aux besoins de ma famille.

On dit que si Dieu ferme une porte, Il en ouvre une autre – mais pas nécessairement tout de suite. Désespéré, j’ai accepté une poste dans une école secondaire dans l’état de New Hampshire – mon « exile babylonien » – pendant un an. Cela a été une vraie leçon pour moi. Je n’y trouvait aucun sens. En plein hiver, j’ai reçu un coup de téléphone de la Conférence Catholique des prêtres améri-cains. « L’Eglise a besoin de vous », m’a dit Ed Dougherty, non sans humour. Il m’a demandé d’accepter l’invitation à un rencontre avec cinq prêtres qui rédigeaient un mes-sage pastoral de paix, qui serait publié en 1983. Il y avait un tas de consultants du Pentagone et du Département de l’Etat prêts à donner leurs conseils au comité, mais seulement trois pacifistes. Pourrais-j’y assister ? Le ciel semblait s’ouvrir momentanément.

Puis Le Conseil des Eglises, à Waterbury dans l’état de Connecticut, m’a appelé, ensemble avec ma famille, afin d’aider dans une œuvre charitable. Quel bonheur

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d’échanger une centaine d’écoliers toxicomanes, contre trois-cents alcooliques, voleurs, assassins, et un grand nombre de personnes, dont le crime n’était que d’être trop pauvres ! Je leur donnerais ce qu’ils nécessitaient – de la soupe, et un sourire – et ils m’accepteraient dans leurs vies ! Si mon métier respectable n’avait pas été excisé, je serais devenu un « bureaucrate de la paix » ; néanmoins, mes cambrioleurs ont garanti mon honnêteté.

Maintenant, ma femme Monica et moi travaillons de nouveau au Mouvement catholique ouvrier, et je peux continuer à écrire, parler, et voyager. Je suis un homme qui a été humilié, au sens d’avoir été émondé de mes il-lusions. Que c’est naïf et présomptueux de penser que par mes efforts je verrais ici en Amérique une exten-sion du travail aux Indes de Gandhi ! Pendant la guerre froide, j’avais eu accès aux esprits les plus brillant sur quatre continents dans mouvements de la paix radicale. Nous avons dicté le trajet des évènements, et nous avions presque toujours tort ! En outre, le mouvement Gandhien de la non-violence que je me croyais faciliter a été déraillé par des gens insensés, oui, admettons-le, des vauriens. Ceci a suscité des sentiments de rancune et colère en moi, sentiments qui ont duré bien des années. Mais j’ai dû me demander si je n’avais pas été en train de « prendre tout en main ». Je devais alors « lâcher prise et de laisser Dieu agir », comme on dit aux drogués dans les programmes de réhabilitation. Voici encore les sécateurs.

Quand j’étais jeune je voulais faire de grandes choses. Puis j’ai rencontré Dorothy Day, et la première fois que je l’ai entendu parler, elle a dit quelque chose comme : « ne te soucie pas du lendemain ; fais fi de la prudence. » Elle a dit aussi : « De grandes choses attendent d’être faites, et qui est-ce qui les fera, si ce ne sont pas les jeunes ? Mais comment le feront-ils s’il ne se soucient que de

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leur propre sécurité ? » Au moment qu’elle l’a prononcé, Dorothy était plus jeune que je ne le suis maintenant. Eventuellement, j’aurais pu temperer ses propos, et avec plus d’expérience elle aurait fait aussi, peut-être. Mais, il n’en rest pas moins que nous avons accompli beaucoup, par hasard, ou par la grâce de Dieu.

Nous avons pris part au démantèlement des structures raciales légales de la ségrégation aux Etats-Unis avec l’aide de la non-violence (bien qu’aujourd’hui, quarante ans plus tard, la condition des afro-américains les plus pauvres est pire qu’elle n’était alors). Nous avons ré-introduit la non-violence parmi les Catholiques et les Protestants (bien que la menace de guerre est toujours présente, et devient encore plus grave). Maintenant une nouvelle génération a soif d’héroïsme. « Il y a de grandes choses à faire... Osez lutter ! »

Cette lutte m’a appris que la chose la plus importante, c’est tout simplement de faire des choses ordinaires avec des personnes ordinaires avec l’esprit d’amour, de pé-nétrer dans la vie des pauvres, de les aimer et de leur permettre de nous aimer, d’être guidé par les besoins de la communauté et d’obéir sa voix. Sainte Thérèse de Lisieux appelait ceci « la petite voie ». Voilà ce qui nous donne la vraie paix, la paix du Christ. C’est un fruit du Saint-Esprit, et il pousse sur la vigne émondée.

Les paroles de Tom nous fournissent bien de réflexions sur l’humilité et la paix, de même que ces pensées de Derek Wardle, un Anglais qui rencontra le Bruderhof pendant la Seconde Guerre Mondiale et se décida à y rester.

Derek grandit dans un milieu bourgeois, mais il devint conscient de la misère lorsqu’il prit un train pour traverser le quartier de l’est de Londres. Des films comme Sous le

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regard des étoiles, à propos des mineurs du charbon au pays de Galles, et Les raisins de la colère lui ont aussi ouvert les yeux, et ont commencé à agiter sa conscience. Plus tard il prit part aux marches du Premier Mai, aux rassemblements, et devint communiste.

De même que beaucoup d’européens de son époque, Derek dit qu’il fut aveugle quant aux actions maléfiques de Staline. Il voyait la Russie comme une utopie socialiste. Et, comme il en est avec tellement de jeunes, ses tendances politiques furent un résultat d’une étroitesse d’esprit. « Je cataloguais les gens selon leurs affiliations, et je montrais un manque de respect et de la haine envers tous ceux qui avaient des opinions différentes des miennes. » Seulement plus tard, a-t-il compris que son arrogance encourageait la violence autant que la classe bourgeoise qu’il protestait dans les rues.

Au mois d’aout 1939, juste un mois avant la guerre, je suis allé à Leipzig afin de rendre visite à mon correspon-dant, membre convaincu de la Jeunesse de Hitler, et j’ai appris la leçon que même les Nazis étaient des gens comme les autres. Bien que mes parents m’ont rappelé à la maison après trois jours, cette expérience a suffi pour briser mon habitude de classer les gens comme bons ou mauvais, mais plutôt d’essayer de les rencontrer en tant qu’individus. Cette leçon m’est restée...

J’ai appris combien il est important de combattre l’ego en tous ses aspects – depuis le souci excessif de soi-même et de sa propre faiblesse, jusqu’à l’orgueil et l’ambition. Chaque fois que je cède à ces sentiments, je ne puis trou-ver la paix ; seulement en étant humblement et totalement abandonné à Dieu puis-je réaliser de la paix. C’est tou-jours un choix, et le même choix se tient devant chaque

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jeune personne aujourd’hui, bien qu’elles doivent peut-être passer par des moments difficiles, comme j’ai dû le faire, moi-même.

Mère Thérèse dit que la connaissance de soi-même nous conduit à nous agenouiller. Ce fut certainement mon cas. Je ne crois plus que je peux changer le monde. Je pense que c’est Dieu qui doit le faire. Je continue à protester contre l’injustice – racisme, capitalisme, nationalisme, quel que soit l‘injustice. Cependant je sens que ce sont les petits gestes et actes d’amour quotidiens qui prouvent notre sincérité, tout autant que les choses plus importantes que nous faisons.

Il est facile de devenir frustré, en voyant le pouvoir du mal dans le monde, et on peut devenir amer. Par contre, nous pouvons aussi être humbles et chercher des moyens de transformer notre indignation en quelque chose de positif, comme le service à nos prochains, par exemple.

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L’obéissance

Il vient à nous tel un inconnu – sans nom – comme il y a

bien longtemps, auprès du lac, il était venu à ceux qui ne

le connaissaient pas. Il nous adresse ces mêmes paroles

– « Suivez-moi ! » – et nous donne ces tâches, qu’il veut

nous voir accomplir. Il ordonne, et Il se révèle à ceux qui

lui obéissent, qu’ils soient intelligents ou naïfs, à travers

les labeurs, les conflits, les souffrances qu’ils devront subir

avec lui – et, ainsi, mystère ineffable, ils sauront, par leur

propre expérience qui Il est.

Albert Schweitzer

Bien qu’il était pasteur, mon père était particulièrement discret dans son usage de langage religieux. Pourtant,

il n’hésitait jamais à nous rappeler, nous les enfants, de quelque vérité importante en se servant de la Bible pour l’illustrer. Quand il nous parlait de la compassion, l’histoire de Jésus et de la femme auprès du puits ne manquait pas de lui venir à l’esprit ; s’il parlait de conviction ou de certitude, il citait alors la parole de Saint Jean dans l’Apocalypse, com-ment Dieu vomira de sa bouche tous ceux qui sont tièdes. Afin d’illustrer l’importance de l’obéissance, il se servait du passage où Jésus envoie ses disciples chercher un ânon.

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Lorsque Jésus demanda aux deux hommes d’aller cherch-er un ânon, ils n’eurent aucune tâche plus importante que celle-ci. Quelqu’un aurait pu leur dire, « Vous êtes appelés à faire des choses plus importantes ; n’importe qui peut aller chercher un ânon ! » Cependant, il n’y avait rien de plus important pour eux à ce moment-là, que d’aller chercher un ânon pour le Christ. Quant à moi et à tous les autres, je souhaiterais que nous accomplissions chaque tâche que Dieu nous donne, qu’elle soit impor-tante ou non, avec un tel empressement. Il n’y a rien de plus important à Jésus Christ que d’obéir.

J. Heinrich Arnold

Pour la plupart d’entre nous, l’obéissance nous importune. Nous nous appelons disciples, mais il nous manque la joie et la soumission qui devraient en faire partie. Même si la tâche à accomplir est simple, l’orgueil nous empêche, peut-être, de nous y mettre, et, ainsi, nous échouons dans notre recherche de la paix.

Cela n’a rien de surprenant, quand on pense à la vénéra-tion que notre société confère à l’individu et l’individualisme. Depuis l’enfance, on nous apprend, et nous l’apprenons à nos enfants, qu’il est important de suivre ses instincts, de montrer de l’initiative et de développer nos qualités de chef. Tout ceci est juste et correct. Mais que dire alors du revers de la médaille – la valeur de l’obéissance ? Quand allons-nous apprendre que notre propre intérêt n’est pas nécessairement l’intérêt de Dieu, et qu’insister à être son propre maître, et aller de son propre train, pourrait porter plus de mauvais fruits que de bons ?

Malheureusement, ceux qui se soumettent aux autres lorsqu’il n’y a aucun avantage apparent (ou lorsqu’il s’agit de

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sacrifices) sont souvent vus comme manquant de caractère, ou alors, qu’ils ont reçu un lavage de cerveau. L’autorité, aussi l’autorité divine, est méprisée. L’idée même d’honorer son père et sa mère est dédaignée comme étant démodée ; le respect envers les personnes âgées est une chose du passé ; et Dieu, Lui-même, est souvent l’objet de la risée.

Nous avons oublié la désobéissance des enfants d’Israël et le courroux de Dieu qui la suivit plus d’une fois. Nous avons oublié que cette paix que nous recherchons provient du Créateur qui mit de l’ordre dans le chaos. Dieu crée la vie là où il y a seulement « le vide et l’obscurité ». Il n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix.

Le chemin qui mène de la détermination à la soumission volontaire n’est pas aisé. Même pour Jésus, le plus difficile fut d’obéir. Pendant sa dernière longue nuit au jardin de Gethsémani, « sa sueur devint comme des caillots de sang qui tombaient par terre » (Luc 22.42) alors qu’Il luttait pour se soumettre. « Abba, Père, tout t’est possible. Eloigne de moi cette coupe ! » Mais plus tard Il a pu dire : « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14.36).

Il a été dit que l’obéissance est la racine de la grâce, mais ceci ne la rend pas plus acceptable. Dorothy Day reçut l’appel de la voie du disciple tôt dans sa vie (bien qu’il soit quelque peu indistinct), mais elle se jeta d’abord dans d’autres choses « plus importantes ». Il y avait l’attrait des arts libéraux, puis de la politique ; puis il y avait les voyages, et un goût pour les Années Folles à New-York, en Italie et à Hollywood. Il y eut aussi un roman, plusieurs scénarios de films, un avortement, un mariage de courte durée, et une petite fille. Cependant, il ne lui vint pas à l’esprit qu’elle

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fuyait Dieu, et que son angoisse ne serait calmée qu’en obéissant à Dieu.

Puis, il advint une nuit inoubliable dans un bar à Green-wich Village où un ami dramaturge, Eugene O’Neill, lui a récité le poème de Francis Thompson, « Hound of Heaven » – poème dont le message la fit chanceler ; surtout le verset :

Je Le fuyais, pendant des nuits et des jours ; Je Le fuyais pendant des années ; Je Le fuyais dans le labyrinthe de mon propre cerveau ; Je me cachais de Lui parmi mes larmes, Et sous les rires continus.

L’expérience de Dorothy fut ce que l’on peut appeler une con-version. Ses amis de la gauche se moquèrent de son nouvel intérêt dans les Evangiles : ne savait-elle pas, surtout elle, une Communiste, que la religion n’était qu’une béquille pour les faibles ? Mais Dorothy restait ferme. Jésus avait promis cette nouvelle société de paix et de justice, que tous recher-chaient, dit-elle ; et si les Chrétiens de leur connaissance n’étaient que de faibles hypocrites, ce n’était pas la faute de Jésus. Elle en était sûre, et elle voulait essayer de le prouver.

Lorsque Dorothy mourut en 1980, il était clair qu’elle avait fait encore plus que ceci. Ebranlée par le désespoir des mil-lions de chômeurs pendant les années de la Grande dépres-sion, elle laissa tomber toute ambition de devenir un écrivain illustre et elle passa le reste de sa vie à servir Dieu et les pauvres, dans le visage desquels elle voyait Jésus. Que ce soit en publiant ses idées sur la non-violence, ou ses actes de désobéissance civile (elle subit maints emprisonnements), ou en « dispersant le message de l’Evangile » au travers de

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ses écrits, articles dans les journaux, et ses propres livres, elle était passionnée dans sa croyance, que le Christ exigeait plus que de simples paroles.

Comme Dorothy le comprenait, Jésus exigeait « des œuvres de charité »  : donner à manger aux affamés, un toit au-dessus des sans-logis, rendre visite aux malades, faire la vaisselle après les centaines de gens indifférents et bruyants à la soupe populaire qu’elle offrait jour après jour, pen-dant des années. Elle travaillait ainsi au Mouvement ouvrier catholique, maison hospitalière qu’elle avait fondée dans le quartier misérable de l’est de New York.

Souvent, les raisons de notre désobéissance peuvent sem-bler raisonnables : nous manquons de courage, ou de force, ou de clarté de vision ; nous nous sentons ineptes à cette tâche. Bien souvent, nos vraies raisons sont moins nobles : paresse, orgueil, entêtement volontaire. Mère Thérèse, avec ses années d’expérience auprès de ses Missionnaires de charité, s’est attaquée à la racine du problème – notre désir de comprendre exactement pourquoi il faut faire ce qu’on nous demande, et la tentation alors, de le faire, comme on l’entend soi-même.

Il est vrai que notre travail peut être mieux accompli si nous savons comment Dieu le désire, mais on ne pourra pas le savoir hormis l’obéissance. Soumettez-vous à vos supérieurs, tout comme le lierre. Le lierre ne peut vivre que s’il s’accroche à quelque chose ; vous ne grandirez pas, et vous ne vivrez pas en la sainteté à moins de tenir ferme à l’obéissance. Soyez donc fidèles dans les petites choses. La véritable force réside dans la fermeté et l’obéissance.

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Comme les nouveaux membres de beaucoup d’autres com-munautés religieuses, de même que la mienne, les novices de l’Ordre de Mère Thérèse font le vœu d’obéissance à leur entrée. Cependant, un tel vœu est le devoir d’une vie entière, comme Thomas Merton le remarque dans une lettre à un jeune ami :

Tu t’efforces probablement de déterminer ton identité dans ton travail, en l’exprimant par ton travail et ton témoignage. Tu t’en sers, pour ainsi dire, pour te protéger contre la nullité, l’annihilation. Cela n’est pas le bon em-ploi de ton travail. Tout bien qui en provient ne viendra pas de toi-même, mais de ce que tu as permis à Dieu de te mettre à Son service, par obéissance à la foi. Pense surtout à cela, et tu seras, petit à petit, libéré du besoin de t’affirmer, et ainsi tu pourras t’ouvrir au pouvoir qui agira en toi sans que tu t’en rendes compte.

L’important après tout c’est de vivre, et de ne pas pas-ser ta vie au service d’un mythe ; et nous changeons les meilleures choses en mythes. Si tu peux te libérer de la domination des causes pour servir tout simplement la vérité du Christ, tu pourras accomplir plus, et tu ne seras pas si écrasé par ces déceptions inévitables. Car je ne prévois que déception, frustration, et confusion.

Notre seul vrai espoir, donc, ne réside pas dans ce que nous pensons pouvoir faire, mais en Dieu, qui fait de nos efforts quelque chose de bon que nous ne voyons pas. Nous y aiderons tant que nous accomplissions Sa volonté. Mais n’en serons pas nécessairement conscients préalablement.

Une histoire dans le Second Livre des Rois en parle d’une façon mémorable. Lorsque Naaman, un serviteur royal, de-mande à Elisée de le guérir de la lèpre, le prophète lui dit

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d’aller se laver sept fois dans le fleuve du Jourdan. Naaman, pensant avoir été ridiculisé, le quitte en colère. Plus tard ses serviteurs essaient de raisonner avec lui : « Si le prophète t’avait dit d’accomplir quelque chose de grandiose, ne l’aurais-tu pas fait ? Donc, tu devrais lui obéir, mainten-ant. » Finalement, Naaman est convaincu ; bien qu’il soit encore irrité, et embarrassé, il descend jusqu’au fleuve, et il s’abaisse sept fois dans l’eau. Or nous lisons que « sa peau redevint semblable à celle d’un petit enfant », et il fut guéri.

Daniel Berrigan a remarqué que dans la Bible, en général, les plus grands actes de foi sont accomplis sans égard au résultat ou succès. Abraham emmena son fils et partit pour la montagne parce que Dieu lui avait dit de le faire. Gabriel était venu à Marie avec les nouvelles les plus incroyables, et Marie a simplement cru et obéi.

Faisant un saut jusqu’au vingtième siècle, les lettres d’Ewald von Kleist, victime de la persécution nazie, té-moignent de la même disposition et obéissance. Pour citer une de ses lettres :

Recherchez votre paix en Dieu et vous la trouverez. Il nous tient par la main et nous guide et finalement nous reçoit dans la gloire. Et obéissez à sa volonté ; Il s’occupera de tout.

Vous ne devez jamais, absolument jamais, même pas dans la chambre la plus secrète de votre cœur, vous rebel-ler contre ce que Dieu vous a infligé, et vous verrez com-bien il sera plus facile de supporter toute chose. Je n’ai pas écrit un seul mot qui ne reflète pas ce que j’ai éprouvé moi-même, avec reconnaissance envers Dieu. C’est vrai pour toute l’éternité. Tout ceci ne nous tombe pas en-tre les mains. C’est une lutte constante avec soi-même,

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chaque jour et chaque moment parfois. Mais le sens inné, béni, qui compense tout, ne nous échappe pas. Croyez-moi : je l’ai éprouvé.

Une personne cynique pourrait dire que Kleist a pu voir aussi clairement parce qu’il n’avait pas de choix, et dans un sens c’est peut-être vrai. Pour quelqu’un qui se tient au seuil de la mort, les choses importantes dans la vie se montrent en relief. Pourtant l’attitude de Kleist – « jamais, jamais ne se rebeller » – est un double défi, si on considère les circon-stances. Quand on pense à son exécution qui suivit, cette attitude n’aurait pas influencé son destin. L’obéissance ne pourrait le sauver.

Ceux d’entre nous dont l’épreuve la plus grande n’est que la multiplicité des choix quotidiens, sommes en géné-ral beaucoup plus égoïstes et obstinés. La convenance, non pas l’obéissance, est à la source de nos décisions. Nous n’esquivons peut-être pas un devoir ou un appel lorsque nous le reconnaissons, mais nous cherchons un moyen de l’échapper, en cherchant une solution partout sauf là où Dieu a une réponse pour nous. Comme les anciens Israélites, nous préférons suivre nos propres desseins, et nous laissons Dieu soupirer devant notre stupidité.

Le commandement que je te prescris aujourd’hui n’est certainement pas au-dessus de tes forces ni hors de ta portée. Il n’est pas dans le ciel pour que tu dises: « Qui montera pour nous au ciel et ira nous le chercher? Qui nous le fera entendre afin que nous le mettions en pra-tique ? » Il n’est pas de l’autre côté de la mer pour que tu dises : « Qui passera pour nous de l’autre côté de la mer et ira nous le chercher ? Qui nous le fera entendre, afin

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que nous le mettions en pratique ? » C’est une parole, au contraire, qui est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. (Deu-téronome 30.11-14)

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Le caractère ferme

A moins qu’un pas soit définitivement pris, le défi, l’appel,

se perd, et si on s’imagine que l’on puisse suivre Jésus sans

faire ce pas, on se fait des illusions. Bien que Pierre ne puisse

accomplir sa propre conversion, il peut quitter ses filets.

Dietrich Bonhoeffer

En parlant avec les hommes et les femmes dont les aper-çus figurent dans ce livre, on remarque qu’ils ont tous

un trait commun : le rôle du choix et du libre-arbitre dans leur recherche de la paix. La paix peut être un don, mais c’est aussi « une perle de grande valeur ». Le processus de rechercher et vendre tout ce que l’on possède pour l’acquérir se précède toujours par une décision.

Viktor Frankl a écrit que la paix signifie : être libérés de trois choses : de nos instincts ou notre « nature inférieure », nos caractéristiques héréditaires, et notre environnement.

Certainement, l’homme a des instincts, mais ces instincts ne doivent pas le maîtriser. Quant à la question hérédi-taire, la recherche scientifique sur l’hérédité montre que le niveau de liberté humaine s’élève face à la prédispo-sition. Quant à l’environnement, nous savons qu’il ne

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forme pas l’homme, mais tout dépend de son attitude et de ce qu’il en fait.

Ainsi, l’homme n’est nullement un simple produit de l’hérédité et de l’environnement. Il y a un autre élément : la décision. En fin de compte, c’est l’homme qui décide lui-même ! Or en fin de compte, l’éducation a pour but d’enseigner comment prendre des décisions.

Frankl décline par la suite que peu d’entre nous ne prenions de décisions importantes dans la vie avec quelconque degré de certitude. En faisant marche arrière, ou en compromet-tant, il nous manque souvent la fermeté de nous en tenir à nos propres décisions. Et, ainsi, nous restons toujours anxieux. Parfois, notre attitude est passive, au jour le jour, en attendant de voir ce qui va se passer. D’autres fois, nous nous montrons fatalistes, défaitistes. Un jour, nous sommes sans caractère, et nous n’avons aucune opinion du tout ; le lendemain, nous sommes tellement opiniâtres, que nous de-venons fanatiques. Frankl nous dit qu’en fin de compte, tous ces symptômes ont leur source en notre crainte de prendre la responsabilité, et en l’indécision qui en est le fruit.

Naturellement, certains choix sont faciles à faire, tandis que d’autres ne peuvent être pris qu’avec un débat intéri-eur agonisant. Même alors, Dieu peut nous aider à faire la bonne décision si notre esprit est ouvert à sa direction. Je ne parle pas ici de lueurs rapides et passagères (en général il me semble que nous ne recevons que peu de réponses, sans prière), mais je pense aux « heures de grâce » – les moments où Dieu s’approche de nous, nous adoucit le cœur, et ouvre nos « oreilles intérieures » à Lui.

De tels moments peuvent nous venir seulement une fois ou plus d’une fois. Si nous y sommes réceptifs, Dieu nous

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parlera avec une telle clarté que le sentier à suivre sera évi-dent. Alfred Delp écrit :

Il arrive des moments dans notre vie, où nous sommes dégoûtés de nous-mêmes, lorsque la conscience de nos échecs enlève le masque de notre propre assurance et de notre propre justification, et où la réalité se révèle – même si ce n’est que pour un instant. De tels moments peuvent produire un changement permanent. Pourtant, notre réaction naturelle, c’est de les éviter. Ceci a pour cause notre orgueil, et notre lâcheté (sachant que la seule façon de sortir de cette situation serait de se soumettre à Dieu en toute humilité), ce qui nous tente à fermer les yeux à la réalité.

Le réveil ne vient peut-être qu’au moment où notre péché s’est avancé jusqu’au point de détruire notre confi-ance en nous-mêmes, et de nous exiger à nous voir tels que nous sommes. La question est : allons-nous prendre au sérieux cette perte de confiance en soi-même – de l’orgueil, en vérité – ou allons-nous tout simplement le traiter comme une faiblesse de caractère ?

Essayer simplement de nous détourner de ces mo-ments-là nous enfonce encore plus profondément dans notre péché et notre erreur. Les choses iront de mal en pire. Nous sommes ainsi immunisés contre notre péché, et nous ne pouvons plus distinguer le faux du vrai. Sou-vent, nous finissons même par défendre notre erreur, avec de tels clichés pieux comme « l’autodétermination » et « le droit de choisir » et cetera.

Dans une lettre, John Winter, membre de notre communauté septuagénaire, écrivit récemment que les chapitres de sa vie les plus fructueux furent ceux qu’il entreprit avec la décision ferme d’y rester fidèle, quoiqu’il arrive.

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J’ai quitté l’école à seize ans pour travailler dans le labo-ratoire d’une usine qui construisait des tuyaux de plomb et de la peinture de plomb, et je prenais le train pour Londres tous les soirs pour mes études scientifiques dans le but d’obtenir une licence. C’était difficile : le travail la journée ; le train, les cours, le train chaque soir pour rentrer à la maison vers onze heures, et mes devoirs le weekend. A l’âge de dix-neuf ans j’ai dû m’enregistrer pour le service militaire. J’étais pacifiste, et je me suis décidé à m’inscrire comme objecteur de conscience. Quand j’ai dit ceci à mon directeur, il m’a signalé que l’usine fabriquait maintenant des balles de fusil, au lieu de tuyaux et de peinture, et que ceci n’irait pas avec mon travail dans la compagnie. Cela a été un vrai choc, je me souviens encore, comme si c’était hier, des heures pas-sées à réfléchir sur ce que j’avais à faire. Je ne pouvais en bonne conscience continuer mon travail, mais d’y tourner le dos me semblait impossible aussi.

Un de mes amis pacifistes passait par le même dilemme. Plus tard, cependant, ne trouvant aucune base pour son refus de prendre part à la guerre, il a changé d’avis, et s’est engagé dans l’Armée de l’air britannique (RAF).

Ces jours – où j’ai dû me décider à être fidèle à ma croy-ance quant à la guerre, ou de continuer à vivre comme d’habitude – ont été décisifs. J’ai perdu des heures de sommeil, mais finalement j’ai su ce qu’il me fallait faire : abandonner mon travail.

C’est assez insignifiant maintenant, mais cela m’a coû-té beaucoup alors. C’était la première fois que je devais choisir entre ce que je voulais et ce que ma conscience me disait. Je puis seulement dire maintenant, après cin-quante-huit ans, qu’à ce moment-là j’ai éprouvé quelque chose de la paix donnée par Dieu. J’ai dû y penser souvent dans ma vie depuis ce moment-là, quand ma conscience

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me forçait à faire un pas que je ne voulais pas prendre tout d’abord. Chaque fois que je suivais ma conscience, cela me conduisait à la paix intérieure, qui est réelle, et que l’on ne peut décrire.

Au revers de la médaille, la vie m’a de même montré que si on est conscient d’un appel sans le suivre, quelque chose en nous change et il se peut que la prochaine fois nous ne pourrons pas entendre Dieu nous parler. Peut-être Dieu ne nous abandonnera pas dans notre orgueil et entêtement, mais j’en suis certain, qu’un moment arrivera où ce sera trop tard.

Après avoir quitté mon emploi, j’ai été sans emploi pen-dant bien des mois ; je recherchais du travail qui n’était pas lié à la guerre, mais il n’y en avait pas, du moins dans ce que je savais faire, et c’est terrible d’être oisif. Cependant, je ne peux nier que j’étais sûr d’avoir bien agi, et je res-sentais que ma vie était entre les mains de Dieu.

Nous connaissons tous des gens qui (contrairement à John) ne peuvent trouver la paix en eux-mêmes, parce qu’ils ne peuvent adhérer à une décision. De telles personnes passent leurs vies comme des bateaux à voile sans quille, chavirant à tout coup de vent et avançant vers leur but avec la plus grande difficulté. Il y en a qui n’y arrivent jamais, et qui pas-sent leur temps à se demander : que faire ? Dans les cas les plus graves, un tel manque de décision conduit au déséquili-bre émotionnel, et même à l’instabilité mentale.

Quant à la foi, il est essentiel d’être décisif, afin de pouvoir mener une vie saine et productive. Jésus nous offre une paix sans fin, mais Il exige d’abord notre promesse de loyauté totale. Il se peut que la raison du manque de paix en cer-taines personnes soit justement parce qu’ils ne veulent pas

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être ainsi confrontés. J’ai toujours aimé les paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas le corps du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous-mêmes » (Jean 6.53). Ces paroles ne sont pas une philosophie à être méditée, étudiée, ou analysée. C’est une exigence imprudente, et il nous faut ou bien, la rejeter, ou l’étreindre. Personne ne peut rester indifférent devant Jésus. Il nous faut nous décider pour Lui ou contre Lui.

Bart (ce n’est pas son vrai nom), est un jeune homme de notre communauté. A presque vingt-et-un ans, en tête de sa classe dans une université prestigieuse sur la Côte Est des Etats-Unis, il se réjouissait déjà à la remise des diplômes, ayant déjà reçu plusieurs offres d’emploi généreuses. Ce-pendant Bart n’était pas heureux ; au plus profond de son cœur, il commençait à percevoir le vide d’une vie prospère, et, petit à petit, la pensée lui vint, de laisser tout tomber et de retourner à la communauté, où il avait grandi ; bien que ceci signifiait soumettre ses talents, son temps, et son argent, à une cause commune, et de travailler là où on avait besoin de lui. Au milieu du dernier semestre, Bart quitta ses études et écrivit la lettre suivante, qu’il m’a permis de citer :

Depuis quelques jours, j’ai été vraiment tiraillé. D’un côté, je voulais tellement rester à l’université, finir mes études, et avoir un emploi, comme de travailler pour une cause admirable, telle que la radio. Mais je me sens, de même, appelé à servir dans la communauté. J’ai essayé de jus-tifier mon séjour ici, en m’occupant de mes propres af-faires, en dehors de la communauté – mais, finalement, je vois que cela ne m’était pas possible.

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J’ai lu hier soir, dans le livre de Matthieu, comment les disciples ont quitté leurs filets pour suivre Jésus. Voilà ce que je dois faire, maintenant, quoi qu’il arrive : partir d’ici, où j’ai récolté beaucoup de savoir théorique et pratique, mais peu d’enrichissement personnel et spirituel...

Parfois, il faut prendre une décision, sans exactement savoir pourquoi ou comprendre ce que l’on fait. Je ne com-prends certainement pas pourquoi je fais ceci, mais qui sait pourquoi il agit d’une manière ou d’une autre ? Il me faut avoir une confiance absolue en Dieu. Je crois qu’il veut me dire quelque chose, et j’espère bien pouvoir L’écouter.

Si cette décision semble un peu folle, c’est simplement parce qu’elle n’est pas conventionnelle. Elle contredit l’idée cou-rante que même si on entend un appel clair de Dieu, il est tout de même prudent de le considérer, d’en méditer « dans la prière ». Pourtant, est-ce que Jésus n’a pas dit aux disci-ples de laisser tomber les filets, et de le suivre ? Et ne nous conseille-t-Il pas de laisser les morts enterrer leurs morts ? (Luc 9.60) Peut-être sommes-nous excessivement confiants, qu’Il nous donnera le temps d’évaluer les options. Demand-ons à Dieu de nous aider à regarder le cours de notre vie, avec les yeux de la foi. Alors tout s’équilibrera.

La question d’où habiter et que faire est vraiment insigni-fiante, si on la compare à cette question : comment garder ses yeux, et son cœur, fixés et centrés sur Dieu. Que je sois en train d’enseigner à Yale, de travailler dans la bou-langerie à l’abbaye de Genesee, ou, en promenade avec les pauvres enfants du Pérou, je puis me sentir totalement inutile, misérable, et déprimé, en toutes ces situations.

Le bon endroit, le bon travail, la bonne vocation, ou le bon ministère, n’existent pas. Je peux être heureux

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ou malheureux en n’importe quelle situation. J’en suis sûr, car je suis passé par là. Je me suis senti éperdu et joyeux dans des situations d’abondance, de pauvreté, de popularité et d’anonymat, dans les périodes de succès et d’échec. La différence ne provenait pas de la situa-tion elle-même, mais toujours de ma propre disposition d’esprit et de cœur. Lorsque j’étais conscient de marcher avec Dieu, je me sentais toujours heureux et en paix. Lorsque j’étais empêtré dans mes propres besoins émo-tionnels, je me sentais toujours agité et troublé.

C’est une simple vérité qui me vient à l’esprit mainte-nant, au temps où je dois prendre une décision quant à mon avenir. Se décider à faire ceci, cela, ou autre chose les cinq, dix, ou vingt ans à venir n’est pas une grande décision. Se tourner vers Dieu, sans conditions et sans crainte, voilà ce qui est important. Cependant cette prise de conscience m’a finalement libéré.

Henri J.M. Nouwen

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Le repentir

L’homme déchu n’est pas qu’une créature imparfaite, qui a

besoin de s’améliorer ; il est rebelle, et il doit déposer ses

armes. Capituler, se rendre, s’excuser, conscient de son erreur,

et être prêt à recommencer – voilà la seule façon d’en sortir.

Ce procédé de capitulation, ce mouvement à toute vitesse en

arrière, voilà ce que les chrétiens appellent le repentir.

C.S. Lewis

Il disait : « Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche » (Matthieu 3.2, version Louis Segond). Ce verset

est peut-être le verset le plus familier de la Bible, et, pourtant, depuis des générations les chrétiens ont évité son impact avec autant de zèle qu’ils l’ont récité. C’est quelque chose d’être humble, doux, ou aimable. Mais, d’avoir du remords ? D’admettre ses torts, et d’en pleurer ? Se repentir ? Aussi dur, que cela semble, il n’y a pas de paix sans le repentir. Tout comme la souffrance du Christ sur la Croix ne nous signifie rien tant que nous refusons de souffrir avec lui, de même la Résurrection n’a de promesses pour nous, que si nous sommes prêts à le suivre au tombeau. Il n’y a pas de nouvelle vie, sans la mort.

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Le repentir signifie la mort à son moi, le vieil Adam. Cela veut dire se détourner de la corruption d’un monde déchu, et se placer volontiers et avec joie, sous la lumière de Dieu, qui connaît les plus profonds secrets de notre cœur. Lorsqu’une personne se repentit, un cœur de pierre devient un cœur de chair, et les pensées et les émotions sont, toutes, transformées. La perspective de cette personne change alors complètement.

En tant que conseiller, j’ai remarqué qu’une des causes les plus générales des troubles spirituels est l’immoralité. Je ne veux pas dire que la volupté est un péché, pire que les autres. L’Apôtre Paul nous dit clairement que l’orgueil, l’autosuffisance, et la présomption, par exemple, sont tout aussi opposés à Dieu. En réalité, ces traits de caractère sont peut-être même plus difficiles à surmonter que les autres pé-chés, car ils ne sont pas aussi évidents. Cependant, puisque notre sexualité est la sphère la plus protégée, la plus intime, les péchés sexuels, secrets, sont souvent les plus accablants.

Il y a bien des années, une jeune femme est venue à notre communauté. Sue (ce n’est pas son vrai nom) avait grandi dans une famille éduquée, et elle ne manquait de rien. Mais, elle se sentait misérable. Elle aurait tellement voulu avoir la paix et l’harmonie dans sa vie, mais elle était si accablée, et écœurée d’elle-même, qu’elle était au bout de son rouleau.

Si quelqu’un m’avait demandé, en 1972, ce que signifiait « la paix », je lui aurais dit, « la fin de la guerre au Viet-nam. » Grandissant dans les années soixante, je n’avais aucune idée que la paix pouvait avoir une signification plus profonde.

Etant un de quatre enfants d’un père alcoolique, sou-vent violent, je faisais partie d’une famille dysfonctionnelle

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typique, très bourgeoise et plutôt triste. A l’âge de neuf ou dix ans, j’ai commencé à m’amuser avec le sexe. Je remarquais que si l’un des garçons du voisinage voulait m’avoir, j’avais du pouvoir sur lui, et j’ai commencé à soigner mon apparence. J’ai conduit beaucoup de garçons et d’hommes sur ce sentier, sans avoir d’autres intentions. Je voulais seulement avoir de l’influence. Je n’étais pas consciente des chaînes maléfiques qui me liaient.

En 1968, à l’âge de 14 ans, j’ai trouvé ma sœur et son mari, morts dans leur appartement. A peine mariée depuis trois mois, avec un homme de la Marine, la vie de cette belle femme de vingt-deux ans avait pris fin. Une querelle, peut-être ? Ou une dépression ? Etait-ce, qu’il partait pour le Vietnam ? Seulement deux cadavres et un fusil restaient pour dire ce qui s’était passé au moment que mon autre sœur et moi avions ouvert la porte...

Après cela, la vie de Sue tomba en confusion. Ayant expé-rimenté avec une planchette Ouija et des séances occultes, elle avait peur du monde surnaturel et elle était hantée par l’âme de sa sœur. Mais elle ne pouvait parler à personne de son angoisse.

Pleine de colère et de haine, surtout contre mon père, je commençai à me perdre dans les amphétamines, le haschisch, et la marijuana, tout en m’enivrant tous les weekends avec un homme différent. A dix-sept ans, j’avais presque tout fait, sexuellement... ironiquement, des amies et moi faisions partie du mouvement contre la guerre, pour la paix et l’amour, l’anti-guerre en plein élan à cette époque. En effet, il y avait beaucoup d’idéalisme au début des années soixante-dix, mais l’égoïsme de la vie sexuelle en beaucoup de gens était bien le contraire de l’idéal.

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A dix-neuf ans, je suis venue au Bruderhof. Hantée, accablée, et désespérée, le mal de mon passé pesait si lourd sur mon âme, que je paraissais plutôt avoir plus de trente ans.

J’ai lutté pour trouver la paix, pendant dix longues années. Les frères et sœurs voulaient m’aider, mais bien que je m’y efforce, je n’arrivai pas à briser ma prison d’impureté.

Seulement en voyant le changement d’un autre mem-bre qui avait confessé son péché sexuel, m’est-il venu à l’idée que je pouvais devenir libre. J’ai vu alors, qu’il me fallait laisser tomber mes gardes une fois pour toutes et me révéler comme la personne misérable que j’étais. Il me fallait trouver une personne dans laquelle je puisse confier mes plus sombres secrets. Il me fallait me repentir, et Dieu me donnerait alors, enfin, la paix que j’avais si longtemps recherchée.

Dans les jours qui suivaient, ma vie entière m’a passé devant les yeux ; c’était comme si je voyais chaque mou-vement, regard, parole et sale pensée dans lesquels je m’étais vautrés, chaque personne que j’avais blessée et induite sciemment en erreur. Avec douleur, mais aussi avec joie, je suis allée confesser mes péchés les plus graves, à la femme du pasteur. J’ai même dû retourner plus d’une fois avant d’avoir tout dit. La paix se répan-dait en mon cœur, après chaque purification. Les années semblaient glisser de moi, et je me sentais de nouveau libre comme une enfant.

J’ai maintenant plus de quarante ans, je suis mariée avec des enfants, mais je me sens beaucoup plus jeune que lorsque j’avais dix-neuf ans. Et si quelqu’un me de-mandait, aujourd’hui, qu’est-ce que c’est que la paix ? Je pourrais leur donner une meilleure réponse.

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Nous désirons tous être renouvelés, changés – ce n’est pas le problème. Mais comment ? Voilà la question. Comme écrit mon père : « C’est Dieu, Lui-même, qui doit nous chang-er, et Il le fera peut-être contrairement à toutes nos espé-rances, y compris nos idées sur notre propre croissance intérieure ou notre épanouissement. Afin d’être digne de l’avenir de Dieu, il nous faut être modelés par lui. »

Plutôt que d’accepter cela, on cherche ses propres solu-tions. William, le prêtre dont j’ai raconté l’histoire, me dit que bien qu’il ait rencontré « toutes les conditions possibles de péché » pendant les quarante années de son ministère, il n’a vu que très peu de remords. « Le plus souvent, les coupables essaient de justifier leur conduite, plutôt que de se repentir. »

La plupart des gens ne comprennent pas ce qu’est vrai-ment le repentir. Ou bien, ils n’aiment pas ce qu’ils compren-nent. C’est assez facile de régler une situation en s’excusant ou de fermer un œil ou de passer par-dessus d’un problème ; on le fait tous les jours. Mais ceci n’est pas le repentir. Après qu’une âme a été blessée par le péché, seul le remords peut mener à la guérison.

Au temps de la Réformation, le clergé « pardonna » le péché par la vente des indulgences. Aujourd’hui, il y a des psychia-tres qui « pardonnent » le péché de la même façon. On les paie, et ils disent : « Vous n’avez rien fait de mal ; vous avez agi tout à fait normalement. Ne vous tracassez pas la tête ; vous n’y pouvez rien. » Voilà comment le monde pardonne le péché.

Dans l’Evangile de Matthieu on trouve un exemple frap-pant du vrai repentir : l’histoire de Pierre, qui renia Jésus trois fois à la veille de la crucifixion. Pierre aurait pu défendre son acte comme étant pardonnable. Après tout, Jésus était dans

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les mains de la justice, et déjà condamné à mort. En réalité, il n’y avait rien que les disciples puissent faire pour changer la situation. Pourtant, au lieu de s’excuser, Pierre a reconnu que par son mensonge il a trahi Jésus. Cela lui avait fondu le cœur et il « sortit et pleura amèrement » (Luc 22.62).

La repentance n’implique pas se tourmenter, ni remâcher le passé, ni sombrer dans la dépression. Mais si le remords est authentique, ce sera douloureux. Comme la charrue, le repentir déchire le sol, creuse des sillons dans l’âme, déracine les mauvaises herbes, et prépare la terre.

Voilà, le champ de mon cœur rouge et déchiré,Et tu amèneras le jeune blé vert,Le jeune blé vert qui pousse divinement,Le jeune blé vert qui chante à jamais…Et nous marcherons le champ désherbé,Et parlerons de ce que rapporte la récolte dorée,Le blé qui fait le pain béni,Qui nourrit l’âme de l’homme,Le pain béni, la nourriture sans prix,Ta miséricorde éternelle, ô Christ !

John Masefield

Nous avons tous péché, et ainsi, nous avons chacun besoin d’un tel labourage. D’une façon ou d’une autre, nous avons tous gâché notre vie. En admettant nos fautes, nous admet-tons notre faiblesse, et notre dépendance les uns sur les au-tres, et de Dieu. Encore plus important, nous évitons le dan-ger d’étouffer la voix persistante de notre conscience. Nous n’aurons jamais une paix durable, en refusant d’admettre nos échecs, mais plutôt en les regardant carrément, et hon-nêtement.

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Si le chemin du repentir est douloureux, l’agonie de vivre avec un péché secret est bien pire. Comme Martin Buber l’a écrit, notre ardent désir de trouver l’harmonie et la commu-nauté avec Dieu nous entraîne vers la paix tout comme la tempête se déchaîne avant le calme ; et si nous le résistons, nous vivrons dans un état de tension constante et terrible. « Si on ne se juge pas soi-même, on sera jugé par tous les évènements, qui deviennent un message de Dieu. »

Gerald (ce n’est pas son vrai nom), membre âgé de no-tre communauté, a vainement recherché la tranquillité de l’esprit, pendant des années. Malgré le remords profond de ses péchés passés – ne les ayant jamais confessés entière-ment, il ne pouvait trouver le vrai repentir. Bien que travail-leur sérieux et fiable, Gerald était tourmenté. Derrière la façade de son engagement sérieux à la communauté et à sa famille, il gardait en lui le secret d’une liaison adultère de sa jeunesse, et d’un enfant, né dans une ville lointaine.

A un moment de crise, alors qu’il approchait les 40-50 ans, Gerald put faire le bilan de sa vie jusque-là, et enfin « le jugement de Dieu a atteint mon cœur ». Gerald dit qu’il savait bien qu’il ne pouvait pas défaire ce qu’il avait fait de mal, cependant, quand il put sentir la peine douloureuse de ses fautes, il fut plein de remords ; il alla trouver chaque personne qu’il avait trahie, et s’humilia devant elle. Et, enfin, il put éprouver la purification rédemptrice du repentir.

Aussi dramatique que ce fut pour lui, Gerald dit que cette expérience, et la paix qu’il ressentit, ne fut pas seulement un événement unique, mais plutôt un procédé qui continue encore aujourd’hui :

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Souvent, je pensais finalement avoir trouvé la paix, mais je voyais que ce n’était qu’une sorte de tremplin, et qu’il me fallait aller plus profondément. Cela continuera ainsi, probablement. Peut-être, est-ce dans cette honnête pour-suite de la paix, que nous la trouvons.

A propos de la paix de l’âme, je puis dire ceci : Je suis sûr qu’elle provient du jugement de Dieu qui me révèle tous les jours ma culpabilité. Une repentance continue pour les péchés commis, et ma reconnaissance profonde pour le pardon de Dieu ; de la prière constante à Dieu, afin qu’Il me révèle mes fautes, et mes échecs journaliers, et qu’Il me donne la clarté et le courage d’affronter les tâch-es présentes ; le renoncement quotidien de tout orgueil, toute ambition, ou tout ce qui provient du soi ; la grâce de me réjouir en Dieu chaque jour pour ses dons et, plus que tout, pour le miracle de la Croix.

L’importance de la repentance se révèle aussi dans l’histoire de ma tante, Emy-Margaret, qui a probablement eu la lutte la plus dure que je connaisse dans sa quête à la paix in-térieure. Lorsque Emy-Margaret, maintenant âgée de plus de quatre-vingt-cinq ans, a rencontré l’homme qui devint plus tard son mari, elle a admiré – comme tous ceux qui le connaissaient – son intelligence, son enthousiasme, son charisme. Hans était un vrai homme d’affaires sympathique qui s’exprimait bien, et en plus, il semblait avoir à cœur le bien-être du Bruderhof, qui était encore alors une très jeune communauté, lorsqu’il est arrivé.

Ce qui commença par un mariage heureux, devint bientôt un cauchemar. Vu de l’extérieur, tout était parfaitement or-donné : ils étaient tous deux membres actifs ; les enfants vinrent, l’un après l’autre, et la famille semblait avoir une

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vie saine et harmonieuse. Cependant, en privé, Hans com-mença à montrer un autre côté. Il possédait une soif irré-pressible de pouvoir, et il voulait l’atteindre à tous prix.

Emi-Margaret fut d’abord troublée par la façon manipu-latrice de son mari, mais cela ne dura pas longtemps. Si elle le critiquait elle s’ouvrait à ses remarques sarcastiques, et c’était bien plus facile – plus commode – de l’accepter tel qu’il était. Ce n’était pas non plus facile : Hans avait de la méfiance à l’égard de pratiquement tous les gens avec qui il vivait, et il y en avait peu qu’il détestait plus que la famille de sa femme, qu’il soupçonnait de vouloir réduire son influence dans la communauté. Ce ne fut pas long avant que Hans n’atteigne son but. Adoré par quelques privilégiés, redouté par la plupart des autres, il gouvernait comme un dictateur, et il réduisait au silence – sinon renvoyait – ceux qui osaient le questionner ou le contredire.

Des décennies plus tard, Emy-Margaret réalisa que même sa propre fidélité envers son mari n’avait pas empêché celui-là de s’emparer de ce qu’il désirait : elle découvrit qu’il avait eu une relation adultère avec sa secrétaire depuis des an-nées. Elle s’effondra alors. Hans l’avait quittée, ainsi que la communauté, au moment où son hypocrisie fut révélée, mais la dépendance émotionnelle d’Emy-Margaret sur lui l’avait aveuglée longtemps au mal qu’ils avaient ainsi causé tous les deux. Des centaines de membres avaient souffert sous leur direction. Ces liens d’esclavage, qui se manifestaient par une idolâtrie étrangement défensive de Hans et de tout ce qu’il représentait, continuèrent, même après son accident tragique dans une collision de deux avions au-dessus de la France.

Cependant, quelque temps après, Emy-Margaret a finalement compris qu’elle avait vécu un mensonge ; tout

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ce dont elle dépendait – le prestige, le pouvoir, et l’attention de son entourage qui l’admirait (ou, qui l’enviait) à cause de son « rang social » – ne lui avait pas procuré un vrai bonheur – seulement plus de désolation personnelle. Au cours des mois suivants, elle passa par une période douloureuse où elle essaya de faire face aux conflits de loyauté, émotions, hypoc-risies et demi-mensonges dont elle était accablée depuis si longtemps. Ce fut un long combat intense, mais elle voulait absolument voir sa faute et mettre les choses au point. Elle supplia– et elle reçut – l’aide de la communauté.

Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis la fin de cette lu-tte, pourtant ce fut pour elle et pour la communauté, une victoire, dont les fruits sont encore apparents. En termes concrets, ce pourrait paraître futile. Elle perdit Hans sans s’être réconciliée avec lui ; elle irritait ceux de ses anciens amis qui prenaient le parti de son mari, et elle s’aliénait de plusieurs de ses enfants.

C’est un fait, que ma tante a beaucoup souffert dans sa recherche de la paix. Cependant, elle m’assure qu’en rom-pant ses liens avec son mari, et grâce à son repentir, elle a éprouvé une plénitude et guérison qu’elle n’avait jamais connues auparavant. Comme elle a écrit à son frère Hardy, il y a quelques années : « Une vraie libération, et une véritable paix en mon cœur, m’ont été accordées, et restent en moi, bien au-delà de mes désirs, et de mes prières. »

Bonhoeffer écrit que ce qui rend la repentance si difficile, c’est qu’elle exige d’abord la volonté, d’accepter de mourir « une mort douloureuse, et honteuse, devant les yeux d’un frère ». Puisque cette humiliation est si dure à supporter, on veut toujours l’éviter. Quelquefois, même après avoir

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reconnu nos péchés, nous essayons de passer outre (ou de les manipuler) sans nous en être vraiment repentis. Pourtant c’est précisément cette angoisse – cette croix – qui est notre sauvetage et notre salut : « le vieil homme meurt, mais c’est Dieu qui l’a vaincu. Maintenant nous prenons part à la ré-surrection de Jésus Christ et à la vie éternelle. Ayant passé d’abord par la mort, cette vie sera d’autant plus sublime. »

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w

La conviction

Le fait qu’il y a beaucoup de conflits dans le monde ne veut

pas dire que nous devrions être désunis. Pourtant, nous

entendons encore et encore que puisque nous avons été

mis dans ce monde en conflit, il faut nous y adapter. Ce qui

est étrange est que cette idée, peu chrétienne, est le plus

souvent adoptée par les chrétiens, eux-mêmes.

Comment peut-on espérer voir la justice prédominer

quand presque personne n’ose défendre sans partage une

cause juste ? J’ai souvent pensé, récemment, à une histoire

dans l’Ancien Testament : Moïse se dressa, jour et nuit, les

bras étendus, en priant Dieu pour la victoire. Chaque fois

qu’il laissait tomber les bras, l’ennemi l’emportait sur les

enfants d’Israël. Existe-t-il actuellement quelques person-

nes qui ne se fatiguent jamais de concentrer toutes leurs

pensées et toute leur énergie à une seule cause ?

Sophie Scholl

Décapitée par les Nazis en 1943 pour sa participation à La Rose Blanche, groupe d’étudiants à Munich qui écri-

vaient, imprimaient, et distribuaient des brochures contre le gouvernement, Sophie Scholl n’était pas une jeune de vingt-et-un ans ordinaire, mais plutôt une activiste très spéciale.

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Dans le livre The Resistance of the White Rose (La Résistance de la Rose Blanche), Inge Scholl, la sœur de Sophie, se souvient de l’étrange paix qui l’accompagnait, et dit que c’était comme si le Christ était présent avec elle pendant ses heures les plus difficiles, la guidant et lui donnant des forces.

Lorsque Sophie rencontra le mouvement de la Rose Blanche et découvrit que son frère Hans en était à la tête, et un par-ticipant actif, elle se fâcha. En même temps, elle sentait que c’était une voix bien seule pour la vérité et que si elle ne lui donnait pas son soutien, cette voix serait bientôt noyée par la clameur grandissante de la propagande et des mensonges. Et bientôt elle mettait toute son énergie dans cette cause.

Quelques années auparavant, Hans et Sophie avaient tous deux embrassé avec enthousiasme la promesse hitlérienne d’une nouvelle Allemagne. Mais, après s’être rendus compte du nombre de consciences et de vies qui étaient bafouées par le désir démoniaque du dictateur, ils furent déterminés à aller à contre-courant. Vers la fin de 1942, il aurait été difficile de trouver un élément d’opposition, plus vigoureux, ou plus en danger.

En février 1943, les leaders de la Rose Blanche furent capturés, identifiés, et en moins de cinq jours, les Scholls et leurs partisans étaient morts. D’autres exécutions suivirent en avril et juillet.

Les Scholls firent face à leur mort courageusement, même fièrement. Quand Sophie entendit la sentence – la guillotine – sa réaction fut calme : « Un si beau jour ensoleillé, et je dois partir. Mais qu’importe si par nous des milliers d’autres sont touchés et réveillés à l’action ? » Voici, en effet, une paix, dont la source est une foi inébranlable.

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De nos jours, une telle conviction est une chose rare. (Qui de nous tient tant à ses croyances qu’il soit prêt à mourir pour elles ?) Mais aussi rare sont le réconfort et la paix qui proviennent d’une telle lutte. A moins d’être totalement con-vaincus de la justice de nos actions, nous ne pourrons jamais faire face à de telles épreuves avec une pareille endurance. Voici, peut-être, ce qui est le plus important de ce que la Rose Blanche nous enseigne.

Pour revenir aux temps anciens de Moïse, mentionnés par Sophie, je me souviens d’un de mes passages favoris de l’Ancien Testament : l’histoire de Shadrak, Méshak et Abed-Nego. Voici trois jeunes hommes sans pareils dans leur loyauté envers Dieu, et dans la paix qui les a soutenus pendant leur épreuve. L’histoire est bien connue, mais il con-vient toutefois de la répéter, ici :

Nebucadnetsar prit la parole et leur dit  : « Si vous ne l’adorez pas, vous serez immédiatement jetés au milieu d’une fournaise ardente. Quel est le dieu qui pourra alors vous délivrer de mon pouvoir ? »

 Shadrak, Méshak et Abed-Nego répliquèrent au roi Nebucadnetsar : «Nous n’avons pas besoin de te répondre là-dessus. Notre Dieu, celui que nous servons, peut nous délivrer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera de ton pouvoir, roi. Et même s’Il ne le faisait pas, sache, roi, que nous ne servirons pas tes dieux et que nous n’adorerons pas la statue en or que tu as dressée.»

 Nebucadnetsar fut alors rempli de colère. Il changea de visage vis-à-vis de Shadrak, Méshak et Abed-Nego. Reprenant la parole, il ordonna de chauffer la fournaise sept fois plus que d’habitude. Puis il ordonna à quelques soldats particulièrement forts de son armée d’attacher

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Shadrak, Méshak et Abed-Nego et de les jeter dans la fournaise ardente. Ces hommes furent alors attachés, habillés de leurs caleçons, de leurs tuniques, de leurs manteaux et de leurs autres vêtements, et ils furent jetés au milieu de la fournaise ardente. Comme l’ordre du roi était catégorique et que la fournaise était extraordinaire-ment chauffée, la flamme tua les hommes qui y avaient jeté Shadrak, Méshak et Abed-Nego. Quant aux trois hommes en question, Shadrak, Méshak et Abed-Nego, ils tombèrent ligotés au milieu de la fournaise ardente.

 Le roi Nebucadnetsar fut alors effrayé et se leva subite-ment. Il prit la parole et dit à ses conseillers : « N’avons-nous pas jeté trois hommes ligotés au milieu du feu ? » Ils répondirent au roi : « Certainement, roi ! » Il reprit : « Eh bien, j’aperçois quatre hommes dépourvus de liens qui marchent au milieu du feu, porteurs d’aucune blessure, et le quatrième ressemble à un fils des dieux. » Nebucadnet-sar s’approcha ensuite de l’entrée de la fournaise ardente et dit : « Shadrak, Méshak et Abed-Nego, serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ! » Shadrak, Méshak et Abed-Nego sortirent alors du milieu du feu.

 Les administrateurs, les intendants, les gouverneurs et les conseillers du roi se rassemblèrent. Ils virent que le feu n’avait eu aucun pouvoir sur le corps de ces hommes, que les cheveux de leur tête n’avaient pas brûlé, que leurs habits n’étaient pas abîmés et qu’ils ne sentaient même pas le feu. Nebucadnetsar prit la parole et dit : « Béni soit le Dieu de Shadrak, de Méshak et d’Abed-Nego! Il a envoyé son ange et a délivré ses serviteurs qui ont placé leur confiance en lui. Ils n’ont pas hésité à enfreindre l’ordre du roi et à risquer leur vie plutôt que de servir et d’adorer un autre dieu que leur Dieu ! »

Daniel 3.13-28

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Combien y a-t-il de « serviteurs fidèles » à Dieu, qui soient prêts à défendre leur foi aujourd’hui, et même, à mourir ? Combien de nous serons renvoyés du royaume de la paix éternelle, avec ces paroles : «  Je ne vous ai jamais connu ? »

En repensant à ma vie passée, ce sont les hommes, dont la conviction leur a coûté la vie, qui m’ont le plus influencé. Je n’ai jamais connu des uns personnellement (Dietrich Bonho-effer, Alfred Delp, et Oscar Romero, pour en citer quelques-uns). Des autres, comme Martin Luther King, je fus privilégié de rencontrer brièvement.

Mon grand-père, un ardent opposant du régime d’Hitler, n’a échappé au destin de la plupart des dissidents que par sa mort en 1935, due aux complications suivant une am-putation. Cependant, d’après ma grand’mère, la menace d’emprisonnement n’a fait que de l’enhardir. Plusieurs fois il choisit d’aller à Kassel, au conseil municipal nazi, où, une fois que la porte fut fermée à clef on lui permit d’adresser sa pétition. Miraculeusement, une audition lui fut chaque fois accordée, puis il fut libéré après.

Peu de jours avant de mourir, le jour d’un anniversaire luthérien de pénitence et de jeûne, mon grand-père s’écria de son lit d’hôpital, afin que tous puissent l’entendre : « Est-ce que Goebbels s’est-il déjà repenti ? et Hitler ? » Nombreux étaient les Allemands qui furent trainés aux camps de con-centration pour moins que cela.

Des années plus tard, alors que j’avais quatorze ans, dans une école de l’état de New York, ce défi de mon grand-père m’a inspiré à montrer le même courage. Chaque jour, un étudiant différent devait réciter le Pledge of Allegiance (le serment d’allégeance au drapeau des Etats-Unis). Quand

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ce fut mon tour, je me suis levé, et je leur ai dit que je ne le ferai pas. Ma loyauté appartient à Dieu, dis-je, non pas à un morceau d’étoffe.

On aurait pu entendre une épingle tomber, mon profes-seur et mes camarades de classe étaient stupéfiés. Ceci était inconcevable ! (c’était justement pendant le temps de McCarthy, et à Washington, les séances du comité des ac-tions non-américaines battaient leur plein.) Avant la fin de la matinée, je fus signalé au directeur, et mené devant une réunion de la faculté pour m’expliquer. Bien que choqués, ils montrèrent de la compréhension une fois que j’eus clarifié ma position et leur eus assuré, que je ne voulais absolument pas manquer de respect, et que j’avais agi par conviction.

Chez nous, mes parents furent un peu surpris, bien qu’ils aient pris mon parti. Quant à mon père, c’était simple : si on ne suivait pas sa conscience, on n’aurait jamais de paix. Si cela signifiait jouer les trouble-fête, tant pis. C’était quand même préférable plutôt que de faire semblant que tout allait bien.

Dans un chapitre antérieur j’ai mentionné plusieurs personnes que j’ai connues pendant mon adolescence, et l’influence qu’elles avaient eues sur moi. L’une d’elles qui ressort le plus clairement en mon esprit est Dwight Blough, un jeune ami d’Iowa, qui plus tard se joignit à nous, et devint le confident de mon père.

Dwight était une personne de convictions sincères. Il tra-vaillait assidûment, il jouait sérieusement, il luttait dur ; homme simple dans ses actions et ses paroles. Ce qu’il faisait, il le faisait de tout son cœur, et s’il avait quelque chose à dire, il en venait directement au fait. Il n’avait pas de patience pour les phrases pieuses.

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Norann, la veuve de Dwight, dit qu’il était un adolescent américain typique, « qui voulait tout essayer » – impatient de s’inscrire dans l’Armée de l’air, ce qu’il fit à l’âge de dix-huit ans. Pendant sa première année à l’université, Dwight commença pourtant à désirer autre chose que la ligne de conduite devant lui : le diplôme, le mariage et les enfants, une carrière, et finalement, la retraite, en regardant les enfants suivre les mêmes pas. Dwight sentait que sa vie se tournait vers Dieu. Etudiant dans sa deuxième année d’études, il avait assez étudié l’Evangile pour avoir la certitude de ce que la plénitude ne peut être réalisée qu’en se mettant au service de ses frères et sœurs. Grâce à cette certitude, il se décida de changer de carrière.

Après trois ans, Dwight et Norann furent mariés, décou-vrirent notre communauté, vinrent nous rendre visite, et de-mandèrent à y rester. Dwight enseigna dans notre école, mais ce ne fut pas longtemps avant que ses dons comme pasteur furent reconnus, et affirmés. Non pas qu’il était un saint. Parfois son zèle était trop impulsif, et sa tendance à choisir l’honnêteté plutôt que la diplomatie pouvait faire jaillir des étincelles. C’était de même avec sa préférence pour l’action plutôt que la réflexion.

Je n’oublierai jamais le jour terrible où un de nos bâtiments principaux fut incendié, l’hiver de 1957, et comment Dwight prit une échelle à toute vitesse et apparut à la fenêtre du troisième étage. La fumée et les flammes l’ont arrêté avant qu’il puisse mettre la main sur les choses qu’il voulait sauver, mais il avait vraiment essayé. Nous tous, nous étions restés à terre, et nous lui avons crié de descendre avant qu’il ne soit trop tard. Il en était de même s’il y avait un accident, ou si

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quelqu’un était sérieusement malade. Dwight était générale-ment la première personne sur place.

Au début des années 1970 le Bruderhof acheta un avion pour faciliter des déplacements entre nos communautés, et l’enthousiasme de Dwight s’étendit à l’aviation, aussi.

Le 30 décembre, 1974 Dwight mourut dans un accident, lorsqu’un avion dont il était le copilote s’écrasa sur une colline, dans le brouillard. Norann resta seule avec douze enfants, dont le plus jeune n’avait que sept semaines. Parmi ses papiers elle trouva des notes pour le prochain sermon de Dwight, sur le thème d’être prêt, d’être convaincu.

La mort de Dwight fut un grand choc pour nous tous. Il est mort subitement, à l’âge de quarante ans. Et, qu’en était-il de nous autres, étions-nous prêts à mourir ?

Quand j’y pense maintenant, des décennies plus tard, cela me semble tout aussi immédiat qu’alors. Qu’est-ce, en effet, que la paix de Dieu, si ce n’est pas d’être prêt à Le rencon-trer ? Si la paix provient de la décision d’être prêt, cela inclut sûrement tout aspect de notre vie : d’être prêt à pardonner l’impardonnable ; de se souvenir, là, où on aimerait mieux oublier ; d’oublier, là, ou on aimerait mieux se rappeler ; d’être prêt à aimer ce que nous avons auparavant détesté ; d’aller où nous aimerions mieux ne pas aller, et d’attendre si on nous a oublié ; de regarder devant nous, plutôt qu’en arrière ; de tirer un trait sur le passé, et de se tourner vers la lumière. Cela veut dire être prêt à tout abandonner, et à donner sa vie pour son frère.

Quant à Dwight, la réponse est claire. Sa vie avait été bien remplie. Il avait vécu abondamment. Et, d’une manière prophétique, il avait écrit qu’il était prêt à aller à Dieu, non

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seulement dans ses dernières notes, mais aussi dans une lettre pastorale, deux mois avant :

Les paroles de Jésus, « Ceux qui m’aiment obéissent à mes commandements », sont tellement importantes, en ce moment, où le monde s’empresse dans l’immoralité, le mammonisme, et le péché... Je ressens un tel appel à suivre Jésus par une obéissance plus radicale. Nous disons souvent que le monde ne saura que nous appar-tenons à Jésus que si nous sommes parfaitement unis, et que nous nous aimions les uns les autres. S’il en est ainsi, alors notre amour envers Jésus Christ et envers nos frères et sœurs, et envers tout le monde, doit devenir beaucoup plus fort !

Et moi, je dois aussi me repentir encore profondé-ment pour avoir résisté, pour avoir manqué de ferveur et d’enthousiasme, d’avoir eu un esprit d’étroitesse et d’égocentrisme...

Tout égoïsme, entêtement et orgueil doivent être abandonnés et surmontés, afin que nous puissions vivre uniquement pour Jésus, sa cause, sa mission, son avenir, et son royaume sur terre.

Jésus nous dit : « Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner votre vie pour vos amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande » (Jean 15.12-14). Les premiers chrétiens avaient cet amour les uns pour les autres et envers Jésus Christ. Et nous ?

Finalement, Dwight a cité les paroles suivantes de mon grand-père – un de ses passages favoris :

Etre prêt est tout ! Ainsi, l’attente de la venue de Dieu doit être une attente active, afin que nous étendions nos

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mains vers lui, prêts à être crucifiés avec lui ; que nous nous mettions à genoux, rendus humbles par lui ; et que nous abandonnions notre propre pouvoir, afin que lui, seul, aie du pouvoir sur nous. Soyons prêts !

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Le réalisme

Ayez la patience et le courage de recommencer chaque jour,

et ayez confiance en l’aide de Dieu ; sa compassion se re-

nouvelle chaque matin. Alors vous comprendrez qu’il s’agit

dans la vie de devenir et de développer, et que vous devez

anticiper de plus grandes choses. Et bien que vous luttiez

contre des puissances malveillantes, vous serez victorieux,

car Jésus Christ a toujours vaincu le mal. Vous resterez

toujours au commencement de votre poursuite, car vous

changerez constamment ; cependant, dans la foi, vous trou-

verez la réalisation de votre désir ardent.

Eberhard Arnold

Sans le pardon et la possibilité d’un nouveau com-mencement chaque jour, nous pourrions être tentés

d’abandonner la recherche de la paix, la considérant comme un exercice futile. La conversion peut nous renouveler ; la prière, l’humilité, le repentir, et tout le reste peut nous garder sur la bonne voie. Cependant, en fin de compte, notre désir de trouver la paix doit être tempéré par la reconnaissance que l’humanité ne peut jamais se perfectionner. A moins de nous réconcilier avec cette réalité, et de nous tourner vers

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Jésus Christ, le Seul qui soit sans péché, nous resterons frustrés à jamais.

Art Wiser, membre de notre Eglise-communauté, m’a ré-cemment écrit :

Ai-je trouvé la paix ? Je ne suis pas en paix. Quand j’ai tort, et que quelqu’un me le montre, j’en suis bouleversé, et cela me coûte ; je dors mal ; j’en suis alarmé. Pourtant Jésus a dit : « ...c’est ma paix que je vous donne. » Et mal-gré ma culpabilité, et mon obstination, je veux le suivre, et, ainsi j’accepte sa parole avec joie. Le même soir que Jésus a dit ceci, Il a été « profondément troublé » ; plus tard Il a souffert l’agonie dans le jardin de Gethsémani. S’Il a souffert ainsi pour nous, qui suis-je pour le mettre en question ? Je l’accepte et l’affirme ; je le désire ardem-ment et je prie Dieu afin de le recevoir. Sa paix est une part du combat sans fin pour son royaume.

La tension, dont parle Art, fait partie de la vie. Nous avons tous des journées bonnes et mauvaises, selon notre humeur, et c’est stupide d’espérer que nous serons victorieux une fois pour toutes. Pourtant, comme Marlene, autre membre de notre église, remarque dans la lettre suivante, savoir que c’est Dieu qui contrôle nous donne une sécurité qui ne nous quitte pas. Tel un gouvernail, Il nous montre la voie lorsque les inquiétudes menacent notre stabilité.

Si je deviens effrénée et me préoccupe exagérément de quoi que ce soit, même si c’est quelque chose d’important qui vise le royaume, je perds mon calme intérieur. Aux moments où je suis centrée sur moi-même et les choses ne tournent pas comme je veux, ou je deviens frustrée lorsque mes plans et mes idées préconçues sont ébranlés

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– malgré la prière – je perds la paix dans mon cœur. La paix du cœur a sa source en la confiance parfaite en Dieu.

Chaque fois que nous voulons faire le travail de Dieu, c’est un signe que nous avons perdu notre confiance en lui, et que nous avons oublié que c’est lui qui contrôle les évènements. Peu importe que ce soit quelque chose qui touche à notre vie personnelle ou à notre vie de famille, une nouvelle que nous venons de recevoir ou quelque chose qui concerne notre travail. Si nous essayons, nous-mêmes de résoudre tout cela, nous deviendrons agités, découragés, anxieux. Nous perdrons notre paix en Dieu.

La lutte que Marlene décrit est connue de toute personne qui s’engage à essayer de changer le monde, d’une façon ou d’une autre, en travaillant pour la justice la paix ou quelque idéal qui soit. En un sens, c’est une lutte qui ne porte aucun fruit. L’écrivain suisse Friedrich Durrenmatt a indiqué que nous ne pouvons pas, en tant que simples êtres humains, sauver le monde : « ce serait une tentative aussi désespérée que celle du pauvre Sisyphe. » En tous cas, continue-t-il, ce-tte tâche n’a été confiée ni à nous, ni aux pouvoirs du monde, ni à un peuple, « ni même au diable, qui est plus puissant que tous les autres. La tâche réside dans les mains de Dieu, dont seule la volonté demeure ». D’où le conseil suivant :

Face à la tension des tâches qui dépassent notre force, nous avons à nous tourner vers la source de nos forces. Si nous mesurons notre force humaine contre le travail que nous voyons devant nous, nous serons désespérés, et si nous nous mettons à l’œuvre en nous emparant de cette force humaine, nous serons frustrés...et soit nous som-brerons dans une torpeur, soit nous deviendrons exas-pérés. Il n’y a pas de leçon plus saine que de reconnaître

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nos propres limites, à condition que nous abdiquions en même temps notre propre force afin de nous fier au pouvoir de Dieu. La roue de la vie volera en éclats, à moins que les rayons ne soient reliés au Centre ; nous sommes en danger à chaque fois que nous n’en prenons pas conscience, quand nous nous précipitons en avant sans prendre le temps de réfléchir.

Philip Britts

Au temps tumultueux de la Réformation, même les Anabap-tistes – les voix les plus implacables de l’époque à réclamer des changements – en furent conscients. Ces gens intrépides essayèrent de changer le monde entier, en ôtant le masque hypocrite de l’Eglise établie, en défiant l’autorité de l’Etat, et en renversant les conventions sociales les plus sacrées. Pourtant, malgré leur zèle, leur foi était tout à fait réaliste. Ils ne souffraient pas d’illusion qu’un printemps doux allait balayer le monde ; ils savaient trop bien ce que leur foi leur coûterait. En même temps, malgré cette certitude, ils étaient persuadés qu’un jour Dieu serait victorieux. Et ainsi, quand vint la persécution, avec chevalet et pieu, cachot et épée, ils luttèrent sans relâche.

Pour nous, qui vivons dans un temps où nos efforts pour la paix ne nous coûtent guère, les Anabaptistes ont beaucoup à nous enseigner. Comme eux, il nous faut enfin réaliser que ce n’est pas le succès de nos efforts qui est important, mais de nous acquitter de notre tâche dans une attitude de foi. Quelques années avant sa mort, mon père a dit à ce propos :

Il y a une telle misère dans le monde, plus grande que nous ne puissions comprendre : misère économique et so-ciale, mais en vérité, c’est une misère intérieure, profonde,

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déployée dans la vie humaine par les puissances som-bres de l’injustice, le meurtre et l’infidélité. Nous avions l’habitude de croire qu’au travers de moyens sociaux et politiques des changements radicaux pourraient être réali-sés au sein de notre société – changements qui mettraient fin à cette misère. Cependant, comme nous l’avons vu plus d’une fois, l’Etat se sert d’un tissu d’habiles mensonges ; le dollar triomphe, et l’égoïsme et l’infidélité règnent partout.

Nous savons bien que, seuls, nous ne pouvons pas changer le monde. Mais Jésus Christ le fera, et nous voulons nous donner à Lui. Il exige toute notre personne, et toute notre vie. Il est venu pour sauver le monde, et nous avons la foi qu’Il règnera un jour sur la terre. Nous vivons pour lui, et nous sommes prêts à mourir pour lui. C’est tout ce qui est exigé de nous. Jésus n’attend pas de nous la perfection, mais Il demande que nous le servions sincèrement.

Servir le Christ ainsi ne veut pas dire se mettre en lambeaux. Si nous contemplons le monde du point de vue idéaliste, la paix que nous recherchons sera toujours parfaite et intacte – mais éloignée. Si nous sommes réalistes, nous accepterons plus volontiers que la paix dont nous jouissons sur terre a ses limites, et nous serons plus objectifs en discernant nos priorités.

Prenons la prière, par exemple. L’idée que nous sommes plus efficaces, si nous « faisons » quelque chose, si nous sommes « actifs » est notre angle mort. Mais, en vérité, les fruits de la prière, du silence, de la contemplation, ou de la méditation, bien que non tangibles, sont tout aussi sig-nificatifs que les fruits de la lutte la plus « active ». Dans son livre Blessed are the Meek (bénis soient les humbles),

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l’évêque sud-africain, Desmond Tutu, nous rappelle que si nous luttons pour la paix, n’oublions jamais que les prières silencieuses « des nonnes, des contemplatifs, des vieillards, des malades, dans les hôpitaux » sont « une partie essentielle de notre lutte », et sont tout aussi importante que l’action la plus visible des jeunes et des personnes aux constitutions robustes en première ligne de la bataille.

Benedict Groeschel, un ami intime, mène une vie active de prière et d’action – dans le service des pauvres et des sans-logis dans le Bronx, protestant contre l’avortement et conduisant une maisonnée de frères franciscains. Prêtre érudit, Père Benedict prêta son serment de fidélité à l’âge de dix-sept ans. Près de quatre-vingt ans maintenant, sa per-spective de la vie reste terre à terre et c’est bon à voir. Or, bien qu’il travaille sans relâche, il ne semble jamais s’épuiser. Il est réaliste vis-à-vis ses objectifs et à l’aise avec ses limites. Récemment, il me dit :

Je pense que la paix provient de la foi, l’espérance et la charité. Mais ce n’est pas simplement un sentiment. La paix nous aide à continuer notre débat dans la vie. Pensez un peu, je viens de Jersey City, et la lumière au bout du tunnel dans cette cité est la ville de Hoboken. Nous ne sommes pas optimistes. Nous ne sommes pas des gens qui passons leur vie en pensant que tout est merveilleux. Nous savons bien que c’est une vallée de larmes. Ainsi, nous n’attendons pas grand-chose de ce monde. Donc, ce qui trouble les autres ne nous trouble pas tellement.

Je trouve toujours une vraie consolation dans le Livre de Job. J’aime ces beaux versets : « Où étais-tu quand j’ai fondé la terre ? ... Peux-tu serrer les liens des Pléiades ou détacher les cordages d’Orion  ? ... Conduis-tu la

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Grande Ourse avec ses petits?... Connais-tu les règles du ciel ?  Peux-tu instaurer l’autorité de Dieu sur la terre ? ... Je t’interrogerai et tu me renseigneras » (Job 38).

Il y a un certain humour dans ce Livre. Tu sais, com-ment tout va mal ? Absolument tout ? C’est ainsi :

« Comment vas-tu ?–C’est le pire jour de ma vie.–Qu’est-ce qui se passe ?–Tout va mal. Mais alors, absolument tout ! Il n’y a

rien qui n’aille pas mal. »C’est de même avec Saint-Paul : « C’est à cause de toi

qu’on nous met à mort à longueur de journée » (Romains 8.36). C’est tellement juif. S’il avait été britannique, il au-rait dit : « Cela n’a pas été agréable, plutôt désagréable, assez difficile, vous savez. »

J’ai des amis juifs. Ils me disent : « Tu viens ici tous les jours et tu ne me demandes jamais, comment ça va ! »

–Pardon, comment vas-tu ? –N’en parle pas ! »

Benedict a été emprisonné plus d’une fois, à cause de son ac-tion pour la paix, et quand je voulais en savoir plus, il a dit :

Eh bien, la première fois, ce fut agréable, car ce n’était que pendant une partie de la journée. J’ai récité mes prières, médité, dormi quelques minutes. La prochaine fois que j’ai été emprisonné, c’était très désagréable. J’avais toujours été gentil avec les agents correctionnels ; quand quelqu’un les maltraite, je dis : « Ne faites pas cela. Ces hommes veulent seulement gagner leur vie. »

Mais j’ai vu alors comment ils traitaient les prison-niers. Pour une raison quelconque, un homme qui est d’habitude honnête, traite des prisonniers comme des animaux dès qu’il devient gardien de prison...

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C’était vraiment horrible. J’ai été fouillé à nu trois fois en vingt-quatre heures. Les seules personnes aimables étaient les médecins et les prisonniers. Ceux-ci ne savaient pas que j’étais prêtre, mais ils m’appelaient « Père » et étaient très polis. Quand j’en suis sorti, ils m’ont rendu ma sou-tane, et je me suis retrouvé dans une grande pièce avec les prisonniers auxquels on rendait la liberté. Tu n’aurais jamais pu croire leur langage, mais ils ne voulaient pas manquer de respect. Ils ne savaient pas mieux.

Quand ils me virent avec ma soutane, ils dirent  : « Qu’est-ce-que vous faites ici, mon Père ? » Je leur ai dit que j’étais là pour avoir fait part d’un piquet de grève contre l’avortement, et ils furent scandalisés. Mais un vieux monsieur, un vieil homme noir, s’est levé, et a dit aux autres prisonniers : « Non, c’est juste. Il devrait être emprisonné !

–Tais-toi ! Assieds-toi ! –Mais c’est juste ! –Pourquoi ? –Parce que Jésus a dit dans l’Evangile, ‘Heureux ceux

qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient !’ »

Eh bien, voilà qui était comme une gifle en plein vis-age, avec l’effet de m’arrêter à avoir pitié de moi-même. Car c’étaient les paroles de Dieu... prononcées par un prisonnier !

Père Bénédict continua à parler de la Crucifixion du Christ, et de sa signification surtout pour ceux qui veulent la paix, mais qui ne veulent pas œuvrer à cette fin. Les gens ne sont pas réalistes, dit-il  ; ils veulent être payés sans travailler, avoir la victoire sans se battre. Il continua, en paraphrasant le cardinal Newman :

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La Crucifixion de Jésus attache une valeur significative à tout ce qui existe dans le monde : au bien, au mal, aux richesses, à la pauvreté, à la souffrance, à la joie, à la tristesse, et à la douleur. Tous se rassemblent devant la Croix. Evidemment, la crucifixion est suivie de la résur-rection. Mais, si on parle de la seconde sans la première – ça ne marche pas.

Il y a beaucoup de gens qui aimeraient éviter la cruci-fixion et aller directement à la résurrection, mais ce n’est pas possible... ils vont tous rebrousser chemin.

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Le service

Voici la seule joie véritable de la vie : tout d’abord, de nous

épuiser pour une cause excellente, qui mérite, en notre esti-

mation, toute notre force ; puis, d’être une force de la nature,

au lieu d’une motte de terre fébrile et égoïste, qui est pleine

de griefs en se plaignant que le monde ne se consacre pas

à nous rendre heureux.Je suis de l’avis que ma vie appartient aux autres, et

mon privilège est de faire tout ce que je peux pour eux, aussi longtemps que dure ma vie. Je veux être complète-ment usé quand je mourrai, car le plus dur je travaille, plus je vis...

Pour moi, la vie n’est pas une simple bougie de courte durée. C’est plutôt un flambeau splendide que j’ai en main pour un moment, et je veux qu’il brille d’un éclat aussi vif que possible, avant de le passer aux générations futures.

George Bernard Shaw

L’origine la plus commune de notre manque de paix, c’est probablement l’égoïsme, soit en nous-mêmes, soit dans

notre rapport avec les autres, ou avec le monde en géné-ral. C’est peut-être aussi la plus difficile à déraciner. Des problèmes comme l’arrogance, la méfiance, la colère, ou le

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ressentiment, peuvent être abordés assez simplement ; on peut généralement prendre des mesures spécifiques pour trouver leur cause et les surmonter. Mais l’égoïsme est sou-vent tout simplement présent, anonyme et inaperçu, pourtant tellement puissant et fermement enraciné en nous qu’il fa-çonne l’ensemble de notre perspective.

Parfois l’égoïsme prend la forme d’un péché évident, comme le désir ou la gourmandise. Quelquefois, comme dans le cas d’une recherche égocentrique d’épanouissement personnel ou de sainteté, il prend une forme si inoffensive que nous sommes inconscients de son danger. Cependant, une fois que l’égoïsme a été reconnu comme tel, il existe un antidote simple et universel contre lui : c’est de rendre service aux autres.

Rendre service, selon les paroles de Thérèse d’Avila au seizième siècle, c’est l’action d’agir comme Dieu, les uns pour les autres : « Dieu n’a ni mains, ni pieds, ni voix excepté les nôtres ; et c’est avec ceux-là qu’Il agit. » Grandissant dans une grande famille, dans une ferme où tous devaient travailler dur, je n’ai jamais entendu parler ainsi du service, mais en y repensant, je suis sûre que mes parents en ont eu le même respect.

Certainement, on nous a enseigné l’importance de servir. Depuis mon enfance, je me souviens de l’accent que mon père mettait sur le fait que Jésus, le « serviteur souffrant », s’identifiait avec les pauvres et les opprimés ; qu’Il avait choisi un âne (non pas un cheval) pour faire son entrée tri-omphale à Jérusalem ; qu’Il accueillait les enfants, rendait visite aux gens cloués au lit, guérissait les malades, et parlait avec les simples pécheurs ; et enfin, qu’Il s’abaissait jusqu’à

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laver les pieds de ses disciples. Cependant, le service n’était pas prêché comme une vertu. Il était simplement pratiqué.

Lorsque le seul emploie que mon père a pu trouver fut de travailler comme jardinier dans une colonie de lépreux, cela ne l’a pas embarrassé. Cela aurait pu signifier attraper la maladie et devoir rester là à jamais, mais il ne nous a jamais dit cela. Il a seulement dit que c’était honorable de se mettre au service du plus humble, et de le faire avec joie.

Quant à ma mère, elle s’empressait toujours d’apporter un bouquet de fleurs ou un pot de confiture à une voisine âgée ou à une nouvelle maman, souvent sautant un repas afin de rester auprès d’une malade. Elle se levait de bonne heure pour écrire à une personne toute seule ou pour finir de tricoter un cadeau.

Plus tard, je fus impressionné du service rendu dans Le mouvement ouvrier catholique, où les bénévoles préparaient des sandwichs et de la soupe, balayaient le plancher et pas-saient de longues heures à écouter les problèmes des pauvres et des sans-logis, qui n’étaient pas toujours bien reconnais-sants.

Ruth Land, membre du Bruderhof et médecin en retraite, nous dit que c’est en effet ce service modeste qui lui donne la plus grande satisfaction :

On peut chercher la paix partout, mais on ne la trouvera peut-être pas. Ou bien, on peut s’oublier et continuer avec le travail qui est devant nous. Voilà ce qui apporte la paix – de faire ce qu’il faut, chez soi, montrant de l’amour à son époux, ou en faisant ce qui nous vient à l’esprit. Si vous le faites pour le royaume de Dieu, cela vous donnera de la paix.

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Une histoire indienne, que Gandhi raconte, effleure une vé-rité semblable : les petites choses que nous faisons pour les autres sont tout aussi importantes que nos réussites. Une femme, en peine, vint trouver le guru, lui disant : « Maître, il me semble que je ne puis servir Dieu. » Il lui demanda : « N’y a-t-il rien que vous aimiez ? » Elle répondit : « Mon petit neveu. » Alors, il lui dit : « Voilà, votre amour pour cet enfant est votre service envers Dieu. »

Parfois, le plus grand service est le moins remarqué. Dans ma communauté, beaucoup de membres âgés travaillent plusieurs heures par jour dans la buanderie à plier les vête-ments, dans la bibliothèque à classifier les livres, ou dans nos ateliers de bois et de métal. En tous les cas, leur service est inestimable, non pas seulement dans ce qui est produit. Le sens du bien-être et de paix que ceci leur donne, et la joie qui brille dans leurs yeux quand ils en parlent, enrichit notre vie commune d’une façon merveilleuse.

Joe Bush, qui a 75 ans et qui souffre de la maladie Parkin-son, avait été une fois jardinier très capable. Maintenant son activité est limitée à s’assoir à son bureau quelques heures tous les jours, où il progresse lentement sur un projet de traduction, tappant avec difficulté une touche après l’autre. D’autres pourraient être frustrés, mais pas Joe.

Mon travail, c’est ma joie. Puisqu’on en parle, cela me rappelle autre chose à propos du travail. Dans une autre Eglise où j’avais l’habitude d’aller, le curé parlait toujours des récompenses que nous allions avoir en travaillant dur et en étant fidèles – comme si chacun de nous avait un bilan de crédit au paradis. Ce n’est pas mon idée.

Plutôt, j’ai une grande dette... Je mourrai pécheur, bien que j’aie essayé de me repentir depuis bien longtemps.

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Mais cela ne me trouble pas. Il y a beaucoup à faire, et je veux continuer : quant au reste, je le laisse à Dieu, ayant confiance en lui et me réjouissant au jour où son royaume viendra sur cette terre si belle et merveilleuse qu’Il a créé.

Audrey, l’épouse de Joe, a trouvé la même paix en servant les autres :

Joe et moi, nous approchons la fin de notre vie mortelle, mais toute l’éternité est devant nous, et c’est une pensée passionnante. Or, si nous disons « Merci, je peux le faire » à ceux qui nous aident – aussi aveugles et boiteux que nous soyons – ce n’est pas que nous soyons ingrats. C’est plutôt que la vie est plus intéressante tant que nous puis-sions nous débrouiller nous-même. Une grande bougie ne s’éteint pas si elle a encore quelques centimètres ; elle continue à brûler, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une petite flaque de cire. Il nous reste encore beaucoup à faire.

Même quand nous ne pourrons plus rien faire d’utile, nous pourrons toujours prier pour ceux qui le peuvent. Et nous pouvons nous consoler avec la dernière ligne du sonnet « A propos de la Cécité », de Milton, qu’il écrivit à la fin de sa vie alors qu’il ne voyait plus : « Ceux qui ne peuvent faire autre chose qu’attendre servent aussi. »

Tous les deux, Joe et Audrey disent que leurs tâches sont utiles, parce qu’ils servent un but. Un travail n’est jamais simplement un travail. Sans but, le travail peut perdre son sens, et créer autant de misère et désespoir que le chômage ou l’inaction imposée. D’après Victor Frankl, ceci est vrai de la vie en général :

J’ai remarqué à plusieurs reprises qu’une prière pour con-tinuer à vivre, à survivre les conditions les plus difficiles, ne peut être faite que si cette survie a un sens positif,

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un sens précis et personnel – un sens qui ne peut être réalisé que par cette personne seule et qui lui apporte la paix dans le cœur. Car nous ne devons jamais oublier que chaque personne est unique en cet univers.

Je me souviens de mon dilemme dans un camp de con-centration quand j’étais avec un homme et une femme qui étaient sur le point de se suicider. Ils m’avaient dit tous les deux qu’ils n’attendaient plus rien de leurs vies. Je leur ai alors demandé : Est-ce vraiment la question –qu’attendons-nous de la vie ? N’est-ce pas plutôt qu’est-ce que la vie attend de nous ? Je suggérais que la vie at-tendait sûrement quelque chose d’eux. Du fait, la femme avait un enfant à l’étranger qui l’attendait, et l’homme avait commencé à écrire et publier une série de livres qu’il n’avait pas encore terminés.

J’avais dit qu’un homme ne devrait pas s’attendre quelque chose de la vie, mais plutôt que la vie s’attend quelque chose de lui. En d’autres termes : en dernier re-cours, nous ne devons pas demander « Quel est le sens de ma vie ? » C’est, par contre, nous-mêmes qui sommes interrogés. La vie nous présente ses problèmes, et c’est à nous, les humains, de répondre à ces questions, en étant responsables ; nous ne pouvons pas répondre à la vie qu’en répondant pour notre vie.

La vie est une tâche. Celui qui est religieux ne diffère de celui qui est apparemment non-religieux qu’en voyant sa vie non seulement comme une tâche, mais comme une mission. Ceci signifie qu’il est aussi conscient du Maî-tre, qui est la source de sa mission. Depuis des milliers d’années cette source s’appelle Dieu.

Vue ainsi, la vie nous fournit un but merveilleux : de remplir de notre mieux le devoir de servir notre prochain, afin que nous soyons préparés à rencontrer Dieu lorsque surviendra

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la mort. J’ai été au chevet de maintes personnes mourantes, et c’est clair que quelques-unes meurent en paix, et d’autres en tourment. La différence semble être la façon dont ils ont passé leurs vies. Ont-ils donné leur vie en servant leur prochain, ou ont-ils vécu égoïstement ? A la fin, la seule chose qui compte, c’est notre rapport avec notre prochain, et avec Dieu.

De vivre égoïstement, c’est d’être continuellement con-scients de ce que nous devons abandonner, même si nous faisons quelques sacrifices ici et là. En fin de compte, nous ne voyons que ce qui nous touche nous-mêmes. C’est une manière de vivre qui ne nous donne que peu de paix. Le service aux autres nous sauve de cette situation difficile, car cela nous rappelle notre raison de vivre, et nous aide à nous oublier nous-mêmes. Cela nous donne aussi une nouvelle perspective – qui nous permet de voir notre vie en rapport avec le reste de l’univers.

Le service véritable est toujours l’amour envers son prochain. C’est facile d’oublier ceci, même dans une com-munauté religieuse comme la nôtre, où le service est au cœur de notre engagement. Si nous permettons que le travail prenne la première place, nous perdrons de vue l’amour qui lui donne sa profonde raison d’être ; il peut devenir alors un devoir mécanique. Avec de l’amour, le travail le plus banal prend de l’importance. Sans amour, la tâche la plus noble devient une corvée.

Il y a quelques temps, j’ai rendu visite au Village des Pru-niers, la communauté bouddhiste de Thich Nhat Hanh en France. Une chose qui m’a frappé est la façon dont les ré-sidents sont conscients du travail comme moyen de service.

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Il y a toujours beaucoup à faire au Village des Pruniers, des nouvelles maisons à construire, de la rénovation des vieux bâtiments, et plusieurs grands vergers à entretenir. Cependant, le travail pour lui-même est mal vu. Plutôt que de mettre l’accent habituel de l’Ouest sur ce qui doit être ac-compli au cours de la journée, les gens du village s’adonnent à l’idéal de « vivre dans le présent ». Ils cherchent à con-sidérer chaque situation, chaque action, chaque rencontre avec un autre être humain, comme une nouvelle occasion de devenir « plus vivant, plus sensible à la vie. » Karl Riedl, un résident, m’a expliqué :

L’art de travailler en pratiquant la pleine conscience nous aide à reconsidérer tout ce que signifie être efficace. Cela nous aide à mettre en question notre obsession des ob-jectifs à atteindre, et l’idée que tout doit être accompli exactement d’une certaine manière. Cela nous permet de dévoiler l’image que nous avons de nous-mêmes, l’idée que nous pouvons faire telles choses bien, mais pas d’autres, et de découvrir et retrouver la joie qui doit inspirer tout ce que nous faisons – qu’il s’agit de travail-ler dans la serre, ou de fendre le bois, ou de nettoyer les toilettes, ou d’écrire, ou d’étendre le linge. Trop souvent, nous ne sommes pas assez attentifs, et nous laissons nos petites affaires détruire l’harmonie et le bonheur.

Un verset du livre de chant de la communauté met en lumière cette attitude, et nous montre ses priorités, du moins en ce qui concerne le service.

Je m’engage à donner de la joie à une personne le matinEt de consoler une autre personne l’après-midi.Je m’engage à vivre avec simplicité et bon sens,

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Satisfait avec peu de biens.Je m’engage à garder mon corps en bonne santé.Je m’engage à laisser tomber tout souci et inquiétudeAfin d’être léger et libre.

Les sceptiques pourraient dénigrer cette conception du tra-vail comme ambitieuse ou exagérée. Mais ils feraient bien de se rappeler – et nous aussi – que par-dessus tout c’est le service qui donne une expression concrète à l’Evangile. Servir, voilà l’essence de l’enseignement de Jésus – Jésus, qui nous promet que si nous suivons ses pas, Il nous donnera la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut comprendre.

Le Christ ne sauve pas tous ceux qui lui disent : « Sei-gneur, Seigneur. » Mais Il sauve tous ceux qui, d’un cœur pur, donnent un morceau de pain à un homme affamé, sans penser le moindrement à Lui. Et ceux-ci, quand Il les remercie, répondent : Seigneur, quand t’avons-nous donné à manger ? ... Un athée et un « infidèle » capables de pure compassion sont aussi près de Dieu qu’un Chré-tien et, par conséquent, Le connaissent donc aussi bien, quoiqu’ils l’expriment d’une façon différente, ou n’en parlent même pas. Car « Dieu est amour ».

Simone Weil

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vLa vie abondante

« Nous contemplons la vie et

nous ne pouvons pas

Démêler le chant éternel :

Les anneaux et les nœuds de

joie et de douleur,

Tous enclenchés et enlacés. »Le Ramayana

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La vie abondante

Nous ne parviendrons jamais à un état de paix parfait, ni y arriver une fois pour toutes. Nous pouvons suivre

les dalles qui traversent la rivière aussi prudemment et aussi consciencieusement que possible, mais une fois de l’autre côté nous sommes toujours les mêmes.

Tout de même, nous ne pouvons pas nier que, une fois que nous avons fait l’expérience de la paix, nous avons le cœur ouvert à une toute autre dimension de vie. Dans un sens, cette nouvelle dimension est bien plus qu’une question de paix. C’est la nouvelle existence que Dieu nous a promise en disant : « je suis venu afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance » (Jean 10.10).

Plusieurs des personnes qui ont contribué à ce livre m’ont dit que c’est ce verset plus que tout autre qui les a incités à se mettre en chemin. La recherche de la paix en soi, ont-ils dit, était un exercice trop égoïste : « Maintenant j’ai trouvé la paix. Et après ? »

Pour ce qui est de la vie « abondante », ils ont dit que c’était la meilleure description de ce qu’ils recherchaient, et pas seulement pour eux-mêmes – une vie de liberté et de joie, d’engagement, compassion, justice et unité. Ce n’est

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pas une vie sans larmes et souffrance, mais une vie dans laquelle ils trouvent leur place face à l’arrière-plan énorme du royaume de Dieu où une paix parfaite règnera.

Josef Ben-Eliezer,1 Européen d’origine juive, est venu à notre communauté voilà bien des années à la recherche d’une telle vie, bien qu’athée à ce temps, il ne l’aurait pas décrite ainsi :

Ce qui m’a motivé dans ma recherche, c’était la haine et l’effusion de sang que j’ai vu dans mon enfance et ma jeunesse, surtout pendant la deuxième guerre mondiale, lorsque ma famille a fui l’Allemagne pour se rendre en Po-logne, puis en Sibérie et finalement en Israël. J’ai ressenti que la paix ne pouvait être trouvée que dans le contexte d’une réponse au besoin universel de fraternité, et c’est ce qui m’a conduit à la rechercher.

J’avais participé au mouvement de libération en Israël, et à tous les conflits que ceci nécessitait, mais je m’en étais détourné après avoir vu, qu’en ayant plus de pou-voir, ce mouvement devint oppressif. Alors, j’ai recherché une réponse dans la révolution mondiale. J’ai étudié Marx, Lénine, et Trotski, et plus tard à Paris, j’ai participé au mouvement communiste. Mais une question continuait à me troubler : qu’est-ce qui garantit, si la révolution est victorieuse, que ceux qui sont à la tête ne finiront pas par opprimer eux-mêmes les masses, comme ce qui s’est passé en Russie et autre part ?

En venant au Bruderhof, et en étudiant les Premiers Chrétiens, qui avaient inspiré la vie en communauté, j’étais frappé par quelque chose de nouveau. J’ai compris que l’Eglise primitive avait été un mouvement vraiment révolutionnaire, qui proclamait un nouvel ordre, et une

1 Pour le récit de la vie de Josef Ben-Eliezer, voir Ma quête, Plough 2010.

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nouvelle vie. Et bien que Jésus soit au centre de leur vie, ce n’était pas le Jésus du christianisme classique, mais le Fils de Dieu authentique, ayant le pouvoir de surmonter les divisions entre les personnes et entre les nations...

J’ai trouvé une unité de cœur, que j’avais longtemps cherché. Je crois que chacun désire cette unité. Naturel-lement, il doit y avoir d’abord un changement de cœur. Voilà pourquoi Jésus nous dit de nous repentir, de mettre notre vie sens dessus dessous. Je suis passé par là, et je l’éprouve encore. Mais Jésus ne nous a pas enseigné de rechercher la paix du cœur pour nous-mêmes. Il a dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu. »

Dans son livre Inner Land (Le pays intérieur) mon grand-père parle de la recherche de la paix de la même façon ; il dit que, bien que beaucoup de gens pensent qu’ils trouveront la paix en recherchant leur propre bonheur, c’est faux. Il écrit que la paix n’est pas la même chose que la satisfaction émotion-nelle ; elle est aussi plus que le bonheur individuel. « Ce fut quelque chose d’un caractère tout à fait différent qui m’incita à suivre la voie du disciple ; à savoir, l’appel qui révèle la volonté de Dieu en suivant le Christ, l’appel qui provient de son règne futur et qui met la justice et l’honneur au-dessus du confort personnel... »

La véritable paix, continue-t-il, signifie donc plus qu’une satisfaction dans l’âme. Certainement l’unité avec le Christ et avec les autres exige qu’on soit en paix avec soi-même. Mais il est nécessaire d’aller plus loin. Cela veut dire être libéré de divisions, car c’est « un fruit de la volonté divine vers l’unité par laquelle toutes conditions et relations, toutes choses et toutes actions se trouvent sous la lumière rédemptrice du royaume de Dieu ».

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Jane Clement, écrivain et membre de notre communauté depuis longtemps, nous dit qu’elle avait recherché la paix du cœur depuis de nombreuses années, mais qu’elle ne l’a trou-vée qu’après avoir complètement abandonné la recherche et avoir centré sa vie sur quelque chose de plus grand qu’elle.

Dans le processus constant de se détourner de soi-même, on doit dépendre uniquement de Dieu. Nous recherchons l’avancement du royaume, non pas de nous-mêmes. No-tre but n’est pas la discipline personnelle mais la fonction harmonieuse de la communauté qui nous entoure. Pour moi, ce fut une véritable libération de voir mon insignifi-ance, car cette seule réalisation m’a apporté la tranquillité et l’entente intérieure que j’avais recherchées avant, dans une autoréflexion constante.

Peu d’entre nous réalisons une telle libération. Nous sommes plutôt résignés au manque d’unité et de paix ; les choses sont simplement ainsi et nous oublions les richesses que Dieu veut nous donner. Seulement à de rares occasions pouvons-nous entrevoir la puissance et la majesté de Dieu. La plupart du temps, les distractions quotidiennes de la vie et notre propre stupidité nous empêchent de voir plus loin. Si nous recherchons la paix, c’est plutôt par des moyens égoïstes.

En décrivant la recherche de la paix dans sa vie person-nelle, Thomas Merton suggère que cette paix doit aller de pair avec ce qu’il appelle « l’ouverture de l’amour ».

Lorsque je suis venu à ce monastère, où je me trouve maintenant, c’était en me rebellant contre la futilité d’une vie tellement active, si pleine de mouvement et de paroles inutiles et de stimulation exagérée et superficielle que je ne pouvais plus me rappeler qui je suis. Mais le fait

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demeure que ma fuite du monde n’est pas un reproche envers vous qui y restez, et je n’ai aucun droit à répudier le monde d’une manière purement négative, car si je le faisais ma fuite ne me conduirait pas à la vérité et à Dieu, mais plutôt à une illusion personnelle, bien qu’elle soit, sans doute, pieuse...

La vie contemplative, c’est la recherche de la paix, ce-pendant, non pas à l’exclusion abstraite de toute réalité extérieure, non pas en refermant nos sens au monde d’une façon négative et stérile, mais en restant ouvert et réceptif à l’amour.

Mary Wiser, membre de notre communauté, s’est mise à la recherche du sens de la vie, alors qu’elle était encore enfant. Elle vit bientôt que cela impliquait plus que la paix du cœur et l’acquisition du bonheur personnel :

Un fil conducteur à travers ma vie m’a toujours entraîné vers la recherche du royaume de Dieu. Depuis mon en-fance j’ai aimé cette terre, j’ai toujours été (et je le suis encore) très attachée à ceux que j’aime ; pourtant, je ne puis me souvenir d’un temps où je ne savais pas qu’il existait un autre pays, un pays qui est plus beau, plus vibrant et vivace que le nôtre, et que j’y appartenais.

Très tôt, j’ai été consciente des paroles de Jésus, « Re-cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu » et « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère… » Je ressentais que Jésus m’appelait. Mais j’étais aussi consciente de la conviction de mes parents que la manifestation la plus haute d’amour et de bonheur est celle de l’amour pour la famille. Je voyais les gens d’un certain âge à l’église, à moitié endormis, qui chantaient : « Foi de nos pères... que nous mourrions pour Toi, comme ils l’ont fait. » Savaient-ils ce qu’ils disaient ? Je suis

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devenue membre de l’église à douze ans, et j’étais éton-née et perplexe que personne n’y prêtait pas beaucoup d’importance. Les réunions des Méthodistes m’attiraient et me repoussaient en même temps.

Quant à la guerre ? Je suis née en 1918, à la fin de la guerre, dans un quartier plutôt tranquille de New York. Pourtant mes premiers souvenirs furent d’écouter les an-ciens combattants raconter leurs expériences en France. Un jour, mon compagnon et moi, nous avons trouvé chez sa grand’mère des photos de combats dans les tranchées. Je ne pouvais pas le croire ! Des gens ordinaires que nous connaissions ont réellement tué d’autres personnes !

Notre église avait toute une série de programmes sur la paix qui nous ont inspiré. A l’école secondaire, j’ai fait une recherche sur les causes de la guerre. Cela n’intéressait personne.

Mon père aurait voulu que je continue mes études dans une université très réputée, afin d’avoir un emploi stable et de m’embourgeoiser. Mais, en terminant mes études, mes pensées s’éloignaient bien loin de ma petite ville, de mon milieu républicain : j’avais soif de vie. « …moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance » (Jean 10.10). Ces paroles résonnaient en mon cœur.

Mary reçut une bourse pour aller à l’université de Cornell, et elle découvrit l’horizon immense d’un monde influencé par l’humanisme séculaire, la politique progressive, et la société de mœurs sexuelles libérales. Elle y trouva de même un cercle d’amis qui étaient du même avis à propos du rac-isme et de la guerre.

Nous étions assez radicaux pour cette époque. C’était le temps de la guerre civile en Espagne, et Hitler commençait

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à se faire connaître. Il nous fallait repenser notre paci-fisme. Notre groupe se rétrécit.

Au premier semestre de cette année-là, j’ai passé par une période de dépression pour la première fois. Je m’étais peu à peu séparée de ma croyance en Jésus, et bien que je reste fidèle à l’Evangile sociale, j’avais perdu ma paix d’enfant. Je ne pouvais plus la retrouver.

Après une période d’enseignement dans une école près d’Ithaca, dans l’état de New York, Mary rencontra Art, paci-fiste sérieux et actif contre la guerre. Elle se maria avec lui, « bien que je n’aie jamais entendu parler d’objecteurs de conscience avant de venir à l’université ». Après leur mar-iage, elle fut surprise de découvrir qu’il ne croyait pas en Dieu ; pourtant elle avait confiance dans son intégrité et sa révérence pour le Sermon sur la montagne.

Les années qui ont suivi, 1941-1945, éprouvèrent nos âmes, de même que toute notre génération. En cette « dernière bonne guerre », il y avait un grand mépris des objecteurs de conscience comme mon mari, qui refusaient d’aider à arrêter Hitler. Nous avons aussi souffert avec nos amis qui allaient à la guerre, toujours conscients de la souffrance terrible des millions de personnes dans ces pays dévastés de l’autre côté de l’océan. Le drapeau américain a été déployé à côté de la chaire dans mon ancienne église méthodiste, et je n’y mettais plus pied.

Comme la plupart des objecteurs de conscience, Art fut interné pendant la guerre. Il fut envoyé dans un camp de services publics au Dakota du Nord. Mary voulut le rejoindre, et elle trouva du travail dans une petite école. Le sentiment antiallemand battait son plein, et les pacifistes n’étaient pas les bienvenus.

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Une nuit les parents de mes étudiants se sont ligués con-tre moi à l’école, où j’habitais aussi. Heureusement, ils se calmèrent bientôt, et conclurent qu’ils étaient fâchés plutôt avec mon mari « lâche », incarcéré dans le camp voisin...

Vers la fin de la guerre, Art sentit qu’il devait protester la guerre dans son ensemble, avec laquelle il ne voulait avoir aucune part. Or, il a quitté le camp. Il fut immédi-atement arrêté et emprisonné pour plusieurs mois.

Il y avait plusieurs autres couples qui partageaient ces sentiments, et qui recherchaient une vie d’intégrité sim-ple, une façon de vivre qui pourrait éliminer les causes de la guerre. Nous nous sommes décidés à examiner la vie en communauté de biens. Plus tard nous sommes devenus membres à une communauté dans l’état de Géorgie. Mais, notre vie en commun nous a forcés à constater pénible-ment que notre capacité de lutter contre le mal nous dépassait, tant que nos idées de foi divergeaient. C’était le temps pour nous de passer au crible.

Art et moi avions souvent expérimenté « l’Esprit du royaume de Dieu » dans la vie des amis et dans des causes honorables, quoiqu’ils soient chrétiens ou non, et nous avons trouvé beaucoup de bonnes qualités dans des personnes soi-disant « bonnes ». Mais nous restions toujours aveugles au Roi du royaume, le seul pouvoir qui puisse faire face au mal qui demeure dans la société et dans chaque être humain. Finalement, j’ai compris que j’avais toujours essayé de comprendre Jésus intellectuel-lement. Jamais je ne m’étais arrêtée pour me demander qui Il était. Mais, une fois que je l’ai fait, j’étais étonnée d’apercevoir comme j’arrivais vite à la foi.

Plus tard, j’ai raconté mon expérience à un ami proche. Je n’oublierai jamais sa réponse : « c’est exactement ce qui m’est arrivé, mais moi, je me sentais au même temps,

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jugé. » J’étais bouleversée par son humilité. Et, j’ai su alors que ce dont j’avais besoin – et que je désirais – c’était d’être de même jugée.

En rétrospective, Mary se rend compte plus que jamais de l’importance du repentir :

Je vois enfin que je me suis opposée au royaume de Dieu par mon image de moi-même et mon ambition d’être utilisée par Dieu. Je m’emparais du bien que Dieu m’avait donné sans vouloir exposer mon cœur rebelle. La lumière a dû pénétrer les crevasses de mon cœur avant de pou-voir atteindre ce mal, et j’en suis honteuse ; cela a duré longtemps. Mais avec l’aide des frères et sœurs j’ai lutté jusqu’à ce que l’extérieur et l’intérieur soient semblables, et c’était une libération sublime pour moi.

Je ne pense pas que mes valeurs aient beaucoup changées, mais elles se sont approfondies – de l’idéalisme, c’est-à-dire, la fraternité, vers une vie authentique vécue avec des frères et sœurs qui sont engagés à jamais les uns aux autres. La dernière prière de Jésus, « Père saint, garde-les en ton nom, ce nom que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous » (Jean 17.11). Voilà mon ancre et ma joie. La prière devient de plus en plus un miracle pour moi, et une responsabilité, surtout mainten-ant que je ne peux plus être si active.

Oui, je connais la paix que Jésus nous donne. Ce-pendant ce n’est pas une sérénité continue. Il y a en-core des luttes. Pour moi, la paix signifie le combat de l’Esprit d’être victorieux sur toute la terre, surtout dans le royaume de l’invisible, avec l’arme de l’amour, en vue de mettre tout ce qui existe sous l’empire de Dieu. Eprouver cette paix et la tenir en haute estime comme une perle de grand prix, voilà ce qui donne du sens à ma vie.

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Quand je considère que la lutte pour le royaume est universelle, je suis très impressionnée, surtout en pensant à la venue du Fils de Dieu, Jésus, sur cette terre ; et com-ment Il prend notre part dans nos combats insignifiants. Je suis sûre que nos histoires individuelles font égale-ment partie de ce combat, car elles viennent de Dieu. Et tremblante, je lève mes yeux vers cette éternité qui est la continuation de l’histoire merveilleuse de Dieu. D’une façon ou d’une autre, je pense qu’elle va continuer à se manifester.

Ces pensées de Mary nous emmènent au-delà de la re-cherche de la paix intérieure, vers une vérité paradoxale : seul celui qui sacrifie sa vie la recevra de nouveau ; celui qui donne sa vie si complètement au royaume que même sa recherche pour le bonheur personnel perd de l’importance sera récompensé au centuple.

Notre vie deviendra non pas plus étroite, mais plus expan-sive ; non pas plus limitée, mais sans aucune limite ; non pas plus organisée, mais plus souple ; non pas pédante, mais hardie ; non pas plus sobre, mais plus enthousiaste ; non pas plus timide, mais plus audacieuse ; non pas trop humaine, mais plus inspirée par Dieu ; non pas triste, mais plus heureuse ; non pas moins capable, mais plus créatrice. Tout cela grâce à Jésus et à son Esprit de liberté.

Eberhard Arnold

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La sécurité

Je ne crois pas que Dieu veuille que nous faisions semblant

que notre crainte n’existe pas, la nier ou la réduire à néant.

La crainte nous rappelle que nous sommes des créatures

– fragiles, vulnérables, totalement dépendantes de Dieu.

Cependant la crainte ne devrait pas nous dominer, ni nous

contrôler et nous définir. Plutôt, elle devrait se soumettre à

la foi et à l’amour. Autrement, la crainte peut nous rendre

incrédules, serviles, et inhumains.

Je connais cette lutte : contrôler ma peur, rejeter son règne,

reconnaitre qu’elle ne voit que les apparences, tandis que la

foi et l’amour voient la substance, la réalité, l’influence de

Dieu, pour ainsi dire : « Rassurez-vous…c’est moi, n’ayez

pas peur. »

Philip Berrigan

Deux fois, dans ma vie, j’ai eu le privilège d’avoir ren-contré Mère Thérèse, et chaque fois, je fus touché par

sa calme confiance. Mère Thérèse sera reconnue à juste titre pour son travail à Calcutta auprès des démunis et mourants. Mais quiconque qui ait passé du temps en service aux pau-vres sait bien que, seules, les bonnes actions ne nous ap-portent pas la plénitude. En fait, beaucoup de personnes

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qui se vouent ainsi à aider les autres finissent par en être frustrés et fatigués. Le calme de mère Thérèse reposait sur quelque chose de plus profond que son travail : un certain sens de sécurité en sa vocation, et la certitude de sa place dans le monde.

La sécurité peut avoir des sources diverses : la confiance, l’absence de crainte, l’absence de soucis et doute de soi-même. Cela implique aussi une connaissance de nos ob-jectifs, notre identité et notre raison d’être. Mère Thérèse possédait ce sens profond de sa destinée. Pour nous servir de sa propre analogie, elle se voyait comme étant un crayon entre les mains de Dieu. Ceci lui a donné de la force et du courage, malgré la critique et les calomnies qui lui venaient constamment.

Les gens de nos jours manquent d’identité ; comme Ki-erkegaard l’a remarqué au 19e siècle, ils ont peur, non seule-ment d’avoir une opinion contraire, mais d’avoir une opinion du tout. Est-ce étonnant alors, si tellement peu de gens puis-sent trouver la paix ? Ce n’est pas que je veuille suggérer que nous nous efforcions à imiter le zèle et l’engagement d’une Mère Thérèse. Nous avons tous des vocations différentes, et souvent le chemin vers la paix est long et difficile, plein de tournants imprévus. Pourtant, la stabilité du cœur de celui qui se sent confiant devant Dieu ne doit pas être sous-estimée. Une telle personne possède une sécurité stable, et c’est le fruit de la paix.

Freda Dyroff, membre du Bruderhof, a quitté l’Angleterre, son pays natal, pour rejoindre notre communauté en Al-lemagne dans les années trente. Extérieurement, il n’y avait que peu d’attrayant. S’y joindre signifiait accepter

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une pauvreté extrême, apprendre une autre langue, porter d’autres coutumes, habiter un pays qui allait combattre le sien. Cependant, Freda était confiante d’avoir choisi le bon chemin :

Rien de matériel ne m’attirait – c’était certainement un appel qui conduirait aux conflits, mais qui promettait la paix. La communauté était extrêmement pauvre, et la vie, rude et dure. Mais cela ne m’a pas dissuadée. Ici, il y avait des hommes et des femmes vivant en harmonie, dans un monde qui se détériorait. Leur vie présentait une solution : ils avaient aboli la distinction entre les classes et l’inégalité sociale en abandonnant la propriété privée, et en mettant tout en commun. Personne ne possédait quoi que ce soit, car tous partageaient ce qu’ils avaient. Et ce n’était pas seulement une vision, quelque chose qu’on peut lire, comme dans le Livre des Actes des Apô-tres. C’était la réalité.

Je suis devenue membre à part entière de la commu-nauté, et finalement alors, j’ai ressenti la paix de Dieu que j’avais depuis si longtemps recherchée ; en enseignant, en travaillant dans les bas-quartiers de Londres, cette paix m’était venue. Naturellement, j’ai dû abandonner maintes choses pour la gagner : ma maison, ma famille et mes amis ; mon pays, la langue anglaise, les conforts d’une vie bourgeoise, et ainsi de suite.

Personne ne pouvait comprendre pourquoi je faisais cela, et j’étais étonnée et blessée par l’inimitié, et même la haine, des personnes les plus proches. Plus tard, j’ai compris qu’il fallait abandonner bien plus : mon individu-alisme (bien que jamais ma conscience), mon amour-propre et beaucoup de mes idées opiniâtres.

En retour j’ai senti un amour profond, et la paix dont parle Jésus, qui est bien l’assurance de ce que Dieu sera

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toujours auprès de moi, y compris à ma mort. J’ai sou-vent été ébranlée par les évènements – les horreurs de la seconde guerre mondiale, la traversée hasardeuse de l’Atlantique pour aller en Amérique du Sud à l’apogée de la Bataille de l’Atlantique, pendant laquelle mon premier enfant est né. C’étaient des moments d’un danger ex-trême, et souvent la peur m’étreignait le cœur. Pourtant, intérieurement je ressentais toujours un calme étrange, la confiance en Dieu. En qui d’autre aurais-je pu me con-fier ? J’étais en paix, car je savais ceci : même s’il y avait du danger, la volonté de Dieu serait faite. Nous étions tous entre ses mains.

Ces situations n’étaient pas « fortuites ». La vie n’est ja-mais fortuite ; la paix ne nous tombe pas entre les mains. C’est toujours une lutte, et il nous faut toujours choisir.

Quand je pense à ma jeunesse : cela m’a pris des an-nées avant de trouver la paix. J’hésitais entre le service envers Dieu ou envers l’argent, et mes vacillations ne m’apportaient aucun repos. Je m’imagine bien que tous les jeunes gens passent par de telles expériences troub-lantes de désirs et de frustrations, voire même de grands tourments. Mais je sais ce qui m’a aidé, et je puis con-seiller aux autres de faire ceci : cherchez et recherchez, jusqu’à ce que vous ayez trouvé ; n’y renoncez jamais. Priez, aussi, même si vous pensez que vous n’avez pas la foi, car Dieu entend aussi les lamentations de celui qui ne « croit » pas. Dieu vous aidera. N’abandonnez pas la lutte, et surtout, évitez les tentations qui vous détournent de ce que vous savez être votre plus profond désir. Et, si vous tombez, relevez-vous et reprenez la bonne voie.

Comme la plupart de ce qui se passe dans la vie, la sécurité n’est pas constante. C’est un fruit de la paix – ceci est cer-tain – mais ce n’est pas une garantie d’absence de lutte ou

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de peur. Plutôt, c’est la confiance que ces choses vont être surmontées. Mon grand-père écrit :

Le monde nous alarme, et nos humeurs nous troublent. Mais la paix de Jésus, qui les neutralise, n’est pas une disposition de l’esprit. C’est plus que cela, plus que de se sentir content et confortable. Le monde aussi connaît la « paix » de la tranquillité et de l’acceptation, dans la mesure qu’il recherche sérieusement ce qui est véritable-ment noble. Mais il lui manque cette conscience d’âme d’avoir trouvé sa destinée innée et sa vie réelle en Dieu. Cette prise de conscience, c’est la certitude profonde que notre Sauveur Crucifié est uniquement la source et le défenseur de notre paix, parce qu’Il a éliminé le péché qui ne permet aucune paix.

La paix se renouvelle constamment, comme une rivière qui coule toujours en avant n’est jamais stagnante et ne se tarit jamais. C’est l’expérience constante du Christ en nous, Celui qui veut demeurer en nous, afin que nous demeurions en lui.

Les humeurs et les sentiments vont et viennent, encour-agements de l’amour qui nous poussent à nous laisser guider par la main du Christ. Petit à petit, le caractère se renforce et, à la fin, les vacillations du système nerveux peuvent être aussi oppressives que la pire des tempêtes, pourtant, elles ne dérangent plus notre vie intérieure.

Quand un vent fort souffle contre le courant d’une riv-ière, il agite la surface, et produit des ondulations, comme si l’eau était attirée en amont. Pourtant, le courant ne peut pas changer son cours. Au fond de la rivière il continue à couler malgré la force du vent. Que les gens fassent, donc, ce qu’ils veulent. Si la paix règne en nos âmes, nous sommes sûrs de notre voie, et rien ne peut nous ébranler.

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Dans mon livre Be not Afraid (N’aie pas peur), j’adresse une situation qui semble poser le plus grand défi à la confiance humaine : notre peur universelle de la mort. Je ne m’étendrai pas ici, sauf pour dire que cette menace pour la paix peut être surmontée par l’assurance qui provient de la foi – et par l’amour qui, selon l’Apôtre, bannit toute crainte.

Si une personne avait lieu de craindre la mort, ce fut Martin Luther King, Jr. Extrêmement charismatique et imperturba-blement franc, il risqua sa vie pour la cause de l’égalité ra-ciale bien des fois. A la fin, comme nous le savons, il a dû payer le prix ultime. Comme n’importe qui d’autre, King a sûrement craint la mort, cependant le peu de fois que je l’ai rencontré ou entendu il rayonnait de calme et de paix. Voilà un homme qui n’avait aucun doute quant à sa mission, et aucune peur quant au prix à payer afin de la réaliser.

« Personne n’est libre qui craigne la mort, avait-il dit à la foule, lors d’un rassemblement en 1963. Mais aussitôt que vous avez conquis la crainte de la mort, vous êtes libre ». Ses amis l’ont poussé à prendre moins de risques, mais il n’en voulait rien : « Je ne peux pas me soucier de ma propre sécu-rité, leur a-t-il dit. Je ne peux vivre dans la peur. Il me faut agir. S’il y a une peur que j’ai surmonté, c’est la peur de mourir... Je vous assure que si l’on ne découvre pas une cause pour laquelle on peut donner sa vie, on n’est pas en état de vivre ! »

Magdalena Boller, membre de ma communauté qui perdit sa mère soudainement, alors qu’elle était encore très jeune, ressentit cette liberté de la crainte, dans des circonstances bien différentes. Se souvenant de ceci, elle nous rappelle une chose importante : une fois que le cœur est rempli de paix, on peut passer cette paix aux autres.

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Dans ma vie, la paix m’est venue d’une façon étrange et merveilleuse, débordant de ma mère à son heure de souffrance.

Mon frère cadet Felix était sérieusement malade, alors qu’il n’avait que neuf mois, et est mort subitement. Nous vivions dans une région isolée en Amérique du Sud, et l’aide médicale y était limitée et primitive. En ce temps, ma mère a écrit dans son journal :

Le pouls de Félix était très faible. Monika, notre in-firmière, lui donne une piqûre de camphre, et je sens le pouls battre une fois de plus... Mais soudain ses yeux sont grand-ouverts, larges et bleu ciel... Mais alors ces yeux deviennent vitreux. Je suis la seule qui le remarque. « Monika, il se meurt ! » M’écriais-je. Nous joignons les mains. Les paroles de notre prière montent aux cieux en supplication fervente : « Seigneur rends-lui la vie, si c’est ta volonté. » Oh, je le sais déjà ; il est libéré. « Jésus, viens ! » Ces paroles sont arrachées de nos cœurs. Oui, Jésus est venu. Il est venu pour prendre l’enfant à Lui. Pourtant le petit cœur bat encore faiblement. Une autre piqûre, puis la respiration artificielle, jusqu’au moment où nous savons trop bien que c’est trop tard.

Donne-moi mon enfant dans mes bras ! Mon-ika me le donne. Mon petit gît sur mes genoux, et doucement, tranquillement, sa toute petite âme passe à l’éternité. Ou, est-ce plutôt l’éternité qui vient à nous ? A mon côté, Léo le sait aussi. Il y a une telle paix autour de nous et en nous. Le calme, le calme éternel. Notre enfant retourne aux anges d’où il est venu. Soyez silencieux. Ne parlez pas maintenant. Mon enfant, avec quelle douleur t’ai-je

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mis au monde ? Est-ce la joie ou la douleur qui em-plit mon cœur ? Je ne le sais. Je sais seulement que je redonne mon enfant à Dieu, qui me l’avait donné. Et, maintenant, bien lentement, le petit corps de mon enfant s’est refroidi sur mes genoux.

C’était le dimanche matin. Les autres enfants et moi, nous venions de retourner d’une promenade, et un voisin me prit à l’écart pour me dire que mon petit frère était mort. Cette nouvelle me porta un coup terrible, et j’ai couru, affolée, à sa chambre. Ma mère était là. Elle m’a regardé avec un tel amour à travers ses larmes, et elle m’a pris dans ses bras : « Félix est allé à Jésus, » m’a-t-elle dit. Sa paix, et son acceptation m’ont comblé de reconnaissance.

Neuf ans plus tard ma mère mourut soudainement, et sa mort fut spécialement douloureuse pour moi. J’avais seulement dix-sept ans. Ayant quitté la maison, j’avais été séparée de ma famille depuis presqu’un an, à part une ou deux visites de courte durée. Maman était le cœur de notre famille, et nous avions toutes deux été très proches l’une de l’autre. Maintenant elle n’était plus là, et j’avais manqué la dernière année de sa vie. Je ne pouvais pas accepter la nouvelle de sa mort. Comment était-ce pos-sible ?

Dans mon désespoir, l’image de ma mère toute en larmes, mais radieuse, ne me quittait pas. Je la voyais, debout, au chevet de mon petit frère, il y a si longtemps. Et, comme j’y pensais, la même paix rassurante qu’elle m’avait montrée lors de son chagrin, a glissé en mon cœur, comme si c’était son don d’adieu.

La paix que Magdalena ressentit nous semble être une chose rare, et en un sens, ceci est vrai. Pourtant, Jésus nous pro-met la même chose, à chacun de nous. « C’est la paix que

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je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne. » Peut-être cette paix est peu commune parce que nous qui voulons bien l’accepter sommes peu nombreux. Tolstoï écrit :

Les gens me questionnent à propos de mon manque de peur, qu’ils supposent ressort de mon point de vue plutôt mystique sur la vie et la mort. Cependant ce n’est pas le cas. J’aime mon jardin, j’aime lire, j’aime caresser un enfant. En mourant je perds tout ceci, et ainsi, je ne désire pas mourir, et je crains la mort.

Il se peut que ma vie entière consiste à la satisfaction de tels désirs temporaires. Et ainsi, je ne puis m’empêcher de craindre ce qui mettra fin à ces désirs. Mais, autant je les remplace dans mon cœur par le désir de faire la volonté de Dieu et de m’abandonner à lui, autant je ne crains pas la mort – et autant la mort n’existe pas pour moi. Et, si mes désirs sont complètement transformés, il ne reste alors que la vie, il n’y a plus de mort.

Remplacer ce qui est terrestre et temporaire par ce qui est éternel, ça c’est la voie de la vie, et nous devons y passer. Quant à l’état de l’âme – chacun doit bien le connaître.

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La plénitude

Comment ne pas perdre son âme quand absolument tout,

et tout le monde, nous tire dans des directions opposées ?

Comment peut-on se maintenir, si on est continuellement

tiraillé de tous les côtés ?

Jésus nous dit que « pas un seul cheveu de votre tête

ne sera perdu. Par votre persévérance vous sauverez votre

âme » (Luc 21.18-19). Nous ne pouvons survivre que si

nous avons confiance en ceci : Dieu nous connaît mieux

que nous nous connaissons nous-mêmes. Nous ne pouvons

nous maintenir que si nous savons que c’est Dieu qui nous

maintient. Nous ne pouvons être vainqueurs que si nous re-

stons fidèles à cette vérité : tout en nous, oui, même chaque

cheveu, est tout-à-fait sauf au sein de notre Seigneur. En

d’autres termes, si nous continuons à vivre une vie spiritu-

elle, nous n’avons rien à craindre.

Henri J.M. Nouwen

Aussi unique qu’apparaisse la recherche de la paix de chaque personne, un fil commun nous réunit. Dans une

certaine mesure, chacun est en route vers la plénitude. Il y en a qui parlent de rechercher la paix du cœur ; d’autres, la paix de l’âme. Les uns sont à la recherche de la fraternité ;

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d’autres, de la communauté. Les uns recherchent la sérénité de l’âme, d’autres, l’harmonie globale. Au fond, ces désirs sont motivés par la réalisation que la vie est fragmentée, ce que l’on a envie de surmonter.

Charles Headland, membre du Bruderhof, qui mourut ré-cemment dans ses quatre-vingts ans, m’a dit que ce fut le cloisonnement dans sa vie qui l’avait conduit à rechercher la paix. Comme comptable dans une grande compagnie, il avait un groupe d’amis ; comme activiste pour la paix, un autre groupe ; comme membre de son église, un autre ; puis enfin, sa famille. Rien de commun entre eux, et chaque jour, il fallait faire de son mieux pour rester fidèle à tous.

John Hinde, un de mes collègues qui est aussi pasteur, me dit que lui aussi se sentait gêné en devenant pacifiste, juste avant la Seconde Guerre Mondiale. Comme participant actif dans le mouvement de la paix, pendant les soirs et les fins de semaine il faisait ce qu’il pouvait contre le conflit armé. Le jour, par contre, il travaillait comme courrier à la banque Lloyd de Londres, et sentait qu’il contribuait ainsi au cloi-sonnement des classes et au conflit social qui est une des causes de la guerre.

La vie est pleine de divisions : entre le foyer et l’emploi, la vie privée et la vie publique, le travail et le loisir, la poli-tique, le professionnel, et le personnel. En soi, il n’y a rien de mal à cela. Mais le problème commence lorsque ces ac-tivités créent des contradictions et des conflits. Sous peu, le manque de cohérence devient compromis, et à la suite, même de l’hypocrisie. Barbara Greenyer, nous en donne un exemple frappant :

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A la fin des années trente, avec l’intention de créer une meilleure communication et plus de compréhension entre nous tous, notre groupe qui œuvrait pour la paix avait invité des membres de la jeunesse hitlérienne d’une ég-lise en Allemagne à venir passer du temps dans nos familles en Angleterre. Seule une jeune fille est venue (je maintiens toujours contact avec elle). Peu de temps après son retour chez elle, la guerre a éclaté et je me souviens de mon choc en réalisant qu’elle est devenue alors notre « ennemie ».

Pour protester contre tout ce meurtre, mon mari, Ken-neth, et moi nous sommes décidés à ne rien avoir à faire avec l’effort de guerre. Nous avons refusé d’accepter les masques contre les gaz asphyxiants, ou de construire un abri Anderson ; il nous semblait que le département de la Défense voulait donner au public un faux sens de sécurité. Puis, Kenneth reçut une lettre d’un des anciens de notre église méthodiste interdisant au groupe de se réunir dans les locaux de l’église, et en lui disant ce qu’il lui aurait fait si Kenneth avait été son propre fils. C’était une lettre pleine de fureur. Je voulais trouver cet homme et le reprendre, mais Kenneth m’a rappelé que le fils de cet homme était au front, et que nous devions avoir de la compassion.

Nous avons donc respecté la lettre, mais il restait la question de notre rapport avec l’église. Pouvions-nous participer aux réunions les Dimanches quand l’église soutenait la guerre ? Nous sentions que ce n’était plus possible, et nous l’avons expliqué au curé dans une lettre. Il a plaidé avec nous à changer d’avis, mais nous sommes restés fermes. C’était dur pour nous, car l’église avait toujours été au centre de notre vie. Nous avions aidé tous les deux à l’école de Dimanche...

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Daniel Berrigan a écrit quelque chose sur « la conscience fragmentée » qui est à la source d’un tel dilemme. En temps de paix, les prêtres et les curés prêchent les dix commandements, « Tu ne tueras pas... » En temps de guerre, ils bénissent les bombardiers. Ceux qui sont contre la guerre sont en faveur de l’avortement, et les militaristes sont contre l’avortement ; les activistes contre l’avortement soutiennent la peine de mort, et ainsi de suite. « Chacun désire combattre quelque mal particulier, pensant qu’ainsi ils bâtiront un meilleur monde. Ils oublient qu’on ne peut pas être en faveur de la bombe en même temps qu’en faveur des enfants... »

Le rabbin Kenneth I. Cohen a dit plus ou moins la même chose. Dans un de ses écrits, il rappelle l’hypocrisie terri-ble du Nazisme, où les maris et les pères, qui étaient aussi des assassins professionnels, « tuaient les Juifs le matin, et écoutaient du Mozart l’après-midi ». C’est un exemple très extrême, mais il met en lumière ce qui se peut se passer lor-sque les problèmes ne sont pas résolus : ils menacent non seulement la paix, mais la vie elle-même.

Les réponses du Christ à cette question sont simples, mais d’une clarté à couper le souffle : Il nous dit que l’extérieur doit ressembler à l’intérieur (et vice versa) ; que nous devons tout perdre afin de le retrouver ; que nous devons rendre nos vies afin qu’elles soient sauvées. Il exige une intégrité continue dans tous les aspects de la vie, un combat constant en faveur de tout ce qui soutient la vie et défend le bien, et contre tout ce qui mène à la destruction et la mort.

Est-ce que la « plénitude » doit forcément être une condi-tion nécessaire à la paix de Dieu, ou est-ce plutôt un résultat qui s’en suit ? Est-ce une étape ou un fruit de cela ? Pour

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moi, elle provient de la paix ; elle est un signe de la paix et de la vie abondante que le Christ nous offre plutôt qu’un sentier qui y mène.

Charles Moore, ancien éducateur au séminaire, désirait trouver la plénitude dans sa vie, mais n’y parvenait pas. Finalement, il conclut qu’aussi longtemps qu’il était lui-même au centre de sa recherche personnelle il n’aurait ja-mais trouvé une résolution satisfaisante. C’est seulement en laissant Jésus Christ être le point de mire que chaque chose trouverait sa place.

Lorsque je réfléchis sur ma vie au cours des dix dernières années, je me rends compte que je vivais la mort lente d’une dégradation progressive. L’énergie explosive de ma jeunesse se dissipait rapidement, non pas à cause d’une vie imprudente, mais comme le résultat de ma tentative obsessive d’ordonner ma vie. Je suis tombé dans une déconfiture de mon propre choix. Je m’efforçais d’être charitable, de satisfaire Dieu et agir correctement. Il y avait tellement de causes positives à défendre, tellement à apprendre, tellement de gens à connaître, tellement de rapports à entretenir, tellement d’obligations à remplir et tellement d’occasions à examiner. Cependant, en me plongeant dans ce tourbillon de possibilités, je devenais, de plus en plus, cloisonné. La paix du cœur m’échappait ; je n’avais plus de paix.

C’est plus facile, maintenant, de voir comment tout ceci s’est passé. Dans mon for intérieur je n’arrivais pas à intégrer les fils disparates d’une existence surchargée. Individuellement et séparément, il était impossible de joindre ces fils et leur donner du sens.

D’un côté, il y avait mon travail en tant que profes-seur de philosophie et de théologie et de l’autre côté mes

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études avancées. Les deux exigeaient mon temps et ma loyauté ; n’étant pas joints que d’une façon abstraite, ces deux activités étaient, en fait, totalement opposées.

Il y avait de même mes relations professionnelles avec mes collègues qui étaient « unis » avec moi par notre foi commune qui opérait, néanmoins, dans un cadre et un univers de discours éloigné du mien. La foi et la pratique se trouvaient souvent en désaccord. J’ai pensé pouvoir combler cette lacune, et en effet c’était possible pour quelque temps. Cependant, à mesure que les exigences de la vie augmentaient, ma force diminuait. D’ailleurs, j’avais d’autres problèmes et intérêts en dehors du milieu universitaire. Il y avait ma vie personnelle – ma femme Leslie, mes amis et les siens, ma famille et la sienne – avec tant de dimensions qui ne semblaient jamais se toucher. Parfois elles se rapprochaient, mais ne se réunissaient jamais.

L’Eglise que nous fréquentions était séparée de la petite communauté intentionnelle dont nous faisions partie, Leslie et moi, et du ministère missionnaire avec lequel nous travaillions dans notre voisinage bien pauvre. Il y avait des évènements organisés par les groupes activistes, dont je faisais partie, des activités des institutions où je travaillais et étudiais, et des réunions de famille, où j’ai dû assister. Je voulais toutes ces choses et je les obtenais. Mais il n’y avait aucune cohérence, j’étais tiré en maintes directions, intérieurement et extérieurement.

Malgré mes efforts à tout réunir, je n’ai pas réussi à m’en sortir. Incapable d’éliminer un de ces soi-disant devoirs, et pourtant accablé par l’effort de tout contrôler au même temps, j’ai essayé toutes sortes de mécanismes d’adaptation complexe, afin de trouver une solution. J’ai eu des consultations confidentielles avec un ami proche ; ma femme et moi nous sommes permis des moments

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de divertissements et amusements ; je changeais et réa-justais les horaires de mes charges d’enseignement ; je me dégageais des contacts et relations qui prenaient trop de temps, et ainsi de suite. Mais rien de tout cela ne m’a aidé. Malgré toutes mes bonnes intentions et ma bonne volonté, je restais frénétique et énervé, et ma vie était toujours désorientée.

C’était même déroutant pour moi. Je croyais que suivre Jésus voulait dire se dépenser, être épuisé pour Dieu et Son royaume. Pourquoi, alors, n’avais-je pas cette paix promise, cette paix qui dépasse la compréhension  ? Pourquoi me semblait-il que ma vie se déchirait en mille morceaux ? Pourquoi étais-je si frustré et harcelé, avec mes nerfs à vif ? Notre société est égoïste, individuelle, matérialiste, et compulsive ; elle n’a que peu de place pour la communauté. Mes propres besoins, désirs, dons, faiblesses et potentiel sont les forces qui me dirigent ; et ma vie est une forteresse protégée et gardée, qui n’est accessible qu’à quelques amis privilégiés.

Maintenant, en évoquant ceci, il me semble étrange combien ma vie était pleine, et pourtant incomplète. J’avais virtuellement tout ce que je désirais : un emploi intéressant, de l’exercice intellectuel, des actions al-truistes, de chers amis, le succès matériel, et la liberté d’ajuster mon plan de travail, tant que je le désirais. Mais je n’étais pas en paix. Ma vie n’était pas limitée, et je ne m’engageai à rien.

Néanmoins, en y repensant, je vois que je marchais tout droit vers cette grande déception : c’est ta vie, fais-en ce que tu veux. J’avais fait de ma vie le centre de l’univers, même en guise de servir Dieu. Malgré mon engagement et mon effort spirituel de servir Dieu, j’étais au prise de la folie de la vie bourgeoise qui tournoyait – non seulement ultimement, mais de la façon la plus mondaine – autour

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de mes propres désirs. Je n’arrivais absolument pas à voir que ce genre de vie était irréel, hypocrite, et impropre au dessein pour lequel Dieu nous a créés.

Qu’importaient tous les moyens par lesquels j’essayais de compenser ce manque de synthèse en ma vie, ce n’était que lorsque j’ai cessé de vivre selon les règles du monde (visées sur la réalisation personnelle et l’indépendance) que j’ai commencé à découvrir une certaine cohérence. J’ai vu alors que je devais faire un choix : je pouvais con-tinuer à vivre ainsi, en négociant avec une multiplicité d’exigences et des relations de mon propre choix ; ou, je pouvais recommencer sur une nouvelle base, différente, où la communauté (non pas le soi), le service mutuel (non pas la réalisation personnelle), et le royaume de Dieu (non pas le mien) serait le point de mire.

Lorsque Charles et Leslie entendirent parler de notre com-munauté, ils ont voulu visiter, et quelques années plus tard ils ont décidé de venir pour de bon. Non pas qu’ils étaient de l’avis que cette vie soit la vocation de tout le monde, ou même que « communauté », comme telle, soit le chemin vers la paix. Mais ils disent, tous les deux, que la plénitude qu’ils ressentent aujourd’hui est inséparable de l’intégration ren-due possible en une vie de partage. « Dans la communauté, ce qui est personnel ou en commun, ce qui se rapporte à la famille ou au travail, ce qui est pratique ou spirituel, ne fait pas concurrence, mais est maintenu en accord intégral grâce à l’engagement mutuel. » Charles continue :

Je ne pense pas que cette question de paix personnelle pui-sse disparaître complètement. Je continue à avoir du mal à accepter le fait que je sois loin de ce que Dieu attend de moi. Bien que je m’accroche avec confiance à la Croix qui

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comble le gouffre, je continue à lutter contre l’imperfection et le péché. Mais l’intention de mon cœur, et le cours de mes actions ne se contredisent plus : la dimension inté-rieure de ma vie s’accorde désormais avec la dimension extérieure, et les deux dimensions sont liées, non pas par force, mais par un sens profond de la paix de Dieu.

Aujourd’hui, ayant détrôné mon « moi », je suis plus prêt à abandonner mes projets et mes buts personnels. Dieu règne dans ma vie et la régit d’une nouvelle façon. Il m’a donné une plénitude et une paix que je n’avais jamais connues.

Dieu nous a créés pour la communauté, et pour la paix générative qui en ressort et qui nous soutient. La commu-nauté n’est pas une panacée, mais elle nous offre un moyen de vivre, où tout converge. Les divisions n’existent plus. Je suis en paix avec moi-même, avec les autres, et avec Dieu. Si je perds cette paix, j’ai un point de départ auquel je peux retourner, avec l’aide de mon prochain si besoin est. Ainsi, au lieu de chercher la plénitude par mes propres efforts, je puis m’oublier et me lancer dans quelque chose de plus important ; quelque chose qui renoue les aspects divers de la vie plutôt que de la fragmenter.

Ma paix est bien plus qu’une bénédiction personnelle, car elle ne m’appartient pas. Elle appartient à une entité plus importante, à un corps dont les membres ne sont pas des êtres impersonnels, mais des frères et des sœurs. C’est le don précieux de la paix de Dieu. Et ce qui est étonnant est que cette paix est venue en ma vie, non pas en vertu de mes efforts, mais parce que mes yeux ont été ouverts, afin de dévoiler le « mythe » du perfectionne-ment de l’ego et de m’orienter vers la réalité d’une vie plus abondante. Par cette expérience nous connaîtrons la grâce de Dieu. Cependant, c’est aussi un choix.

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La Joie

Il n’y a rien que je puisse vous donner, que vous n’ayez

déjà ; mais il y a beaucoup que je ne puis pas vous donner,

que vous pouvez prendre. Aucun paradis ne peut nous ap-

partenir si nos cœurs ne trouvent pas la paix, ici et mainten-

ant. Assaillez les cieux ! Il n’y a pas de paix dans l’avenir qui

ne demeure occultée dans l’instant présent. La mélancolie

du monde n’est qu’une ombre ; pas très loin d’elle, pourtant,

la joie est à votre portée. Choisissez la joie !

Il y a de la clarté et de la gloire dans l’obscurité, si seule-

ment nous pouvions les discerner ; et, il suffit d’y porter notre

regard. Je vous prie de regarder. La vie est tellement géné-

reuse, mais nous qui jugeons ses dons selon leurs coquillages,

les rejetons comme étant laids, ou lourds, ou durs. Retirez le

coquillage, et vous trouverez là une splendeur vivante, tissée

puissamment d’amour et de sagesse. Accueillez-la, saisissez-

la, et vous toucherez la main de l’ange qui vous l’apporte.

Là où nous vivons des épreuves, de la peine ou du devoir,

croyez-moi, nous trouverons aussi la main de cet ange. C’est

un don et c’est le miracle d’une présence, qui nous surpasse.

Il en est de même avec nos joies : n’en soyez pas satisfaits

en tant que joies. Celles-ci, aussi, dissimulent des dons qui

sont encore plus divins.

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Et, ainsi, à ce moment, je vous salue. Pas tout à fait comme

le monde vous envoie des salutations, mais avec un profond

respect, et avec la prière que pour vous, maintenant et pour

toujours, l’aube apparaisse, et les ombres disparaissent.

Fra Giovanni

On estime que la critique la plus sérieuse de Friedrich Ni-etzsche envers le christianisme est : « le problème avec les chrétiens, c’est qu’ils n’ont pas de joie. » Oui, nous savons ce qu’est le bonheur ; ce qui nous rend heureux ou même extatique. Mais la joie ? D’après Molly Kelly, dont je vous ai raconté l’histoire auparavant dans ce livre, il y a une grande différence.

Nous avons tous des moments heureux au cours de nos vies, mais le bonheur n’est pas la joie. La joie nous vient seulement si nous avons la paix. Le bonheur n’est souvent que superficiel et fugitif ; la joie pénètre en notre âme et elle est durable. Le bonheur est une bonne chose ; la joie peut accompagner la souffrance. Le bonheur est souvent relié au profit, ou, à un avantage quelconque ; la joie vient souvent avec le renoncement, l’abnégation de soi.

Donc, la joie est évidemment le plus grand de ces dons. Pourtant, comme Fra Giovanni le dit, il est souvent précédé par les dons dissimulés de la souffrance ou de la douleur. Puisque nous ne pouvons les accepter, les rejetant comme trop durs et laids, nous ne pouvons pas vraiment connaître la joie.

Peu de temps avant sa mort aux mains de ses bourreaux nazis, Ewald von Kleist sous-entendait dans ses écrits que beaucoup de chrétiens, même quand ils acceptent la

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souffrance, ne peuvent pas y trouver la joie, parce qu’ils se trompent de sa nature et de sa signification. Il conclut :

Il devient plus clair pour moi que nous, les êtres hu-mains (surtout nous, de la race blanche, les Européens), avons placé de fausses valeurs sur tout ce qui existe, parce que nous nous sommes aliénés de Dieu. Le monde d’aujourd’hui n’attache plus la même valeur à la vérité. On poursuit des buts éphémères, on ne sait pas ce qu’est le vrai bonheur, ni où le trouver ; on ne sait plus ce dont on doit être reconnaissant.

Miriam Potts, membre de mon Eglise, nous dit que, pour elle, la joie, la reconnaissance, et la paix sont inextricable-ment liées :

J’hésite un peu si quelqu’un me demande : « As-tu la paix dans ton cœur ? Es-tu en paix avec Dieu ? » Voilà une question à laquelle je n’ose à peine répondre. Comment puis-je le savoir ? Parfois je ne sais même pas si j’ai la foi.

Mais si quelqu’un me demande, « As-tu de la joie ? Es-tu heureuse ? », alors, je puis répondre aussitôt, de tout mon cœur : « oui ! » J’aime mon travail. Je suis heu-reuse quand je peux faire quelque chose pour quelqu’un d’autre, comme d’emballer des livres pour les prison-niers. Je suis la plus heureuse quand je suis très occupée, jusqu’à ce que je tombe de fatigue le soir.

Si je ne me sens pas heureuse, il me suffit de compter mes bénédictions, de penser à tout ce dont je suis recon-naissante et je suis heureuse de nouveau. Mais comment l’être, si je n’ai pas de paix ? Peut-être est-ce la même chose...

Quant à Ann (ce n’est pas son vrai nom), sa recherche de la paix et de contentement a continué bien longtemps. A

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la fin, elle s’est arrêtée de veiller à ses propres intérêts et a abandonné sa vie entre les mains de Dieu.

Quand je pense à la paix, l’amour, la joie, et à toutes ces choses que j’ai recherchées dans ma vie, cela me rap-pelle une question que mes amis m’ont posée, alors que je venais d’arriver au Bruderhof : pourquoi est-ce qu’une femme, ayant un mari qui l’aime, la santé, quatre beaux enfants, la sécurité financière, et une belle demeure – dé-sirerait tout abandonner et partager sa vie avec d’autres personnes ?

Pour répondre à cette question avec franchise, je dois premièrement expliquer que ce qu’ils voyaient de l’extérieur était bien loin de ce qu’ils auraient vu s’ils avaient pu regarder à l’intérieur de mon cœur.

Mon mari et moi, étions tous deux très engagés dans notre Eglise et parmi nos amis de la congrégation. Nous servions les autres, nous partagions tout avec eux, et nous nous sentions heureux ensemble. Notre reconnaissance envers cette confrérie, et notre désir dans cette direction nous a conduits à chercher un engagement plus sérieux, et bientôt nous avons vu que, seul, le christianisme du dimanche, ne suffisait pas – non plus l’étude biblique le mercredi soir. Je me demandai : « Est-ce vraiment suf-fisant ? » J’avais tout ce qu’une femme puisse désirer, ou bien que je pouvais atteindre. Cependant, une partie de moi s’écriait : « Je ne veux pas tout ceci, Il y a sûrement plus dans la vie qu’un gentil mari et des enfants, un bon chez-soi, la sécurité financière. » Je suis devenue désespérée et effrayée. Pourquoi est-ce que j’étais si malheureuse ?

J’avais grandi dans une famille où tout semblait bien, vu de l’extérieur. Ma mère et mon père travaillaient dur, Papa dans une usine et Maman comme ménagère. Nous étions une de ces familles bien catholique, qui ne manquaient

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jamais la messe le dimanche, ne mangeaient jamais de viande le vendredi, et nous nous confessions une fois par mois. Dans notre paroisse, on était strict : on ne voulait pas tomber dans un « péché mortel » et périr en enfer. J’ai appris à avoir peur – peur de faire des bêtises, peur de Dieu et de ce qu’Il pourrait me faire.

Les autres gens nous admiraient, et personne ne voyait l’enfer que nous vivions. Papa était un homme de famille, décent et bon travailleur, et ma mère nous aimait. Quand j’y pense, maintenant, j’en serai toujours reconnaissante. Beaucoup d’enfants grandissent sans parents, il est vrai. Pourtant, bien des enfants, qui ont deux parents et suf-fisamment de nourriture, souffrent autant. Leur mal est simplement caché – on n’en parle pas – derrière une façade normale, et personne ne sait ce qui se passe vraiment.

Personne n’a su, par exemple, que j’ai été abusée sex-uellement par mon frère ainé pendant trois ans, depuis que j’avais six ans et jusqu’à ce qu’il ait trouvé une co-pine. Personne ne savait comment ma jeune sœur instable a été battue par mon père, devant la famille rassemblée, avec une ceinture de cuir simplement parce qu’il ne pou-vait pas la tolérer, et sa colère l’a emportée. Personne ne savait qu’une petite chose comme renversant accidentel-lement le lait pendant le dîner suffisait à enrager Papa, ce qui durait parfois pendant deux heures.

Nous avions peur de faire une erreur et rendre Papa furieux. Après tout, il buvait six canettes de bière et même plus, chaque soir en retournant de son travail, et encore plus la fin de semaine. Quand il se mettait en colère après avoir bu, ce qui se passait plusieurs fois par semaine, il y avait peu que nous pouvions faire, alors, ni nous, ni maman qui souffrait tout silencieusement. Toute la soirée, il continuait de lancer ses tirades, traitant ma mère de toutes sortes d’obscénités, et frappant du poing la table.

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Tard dans la nuit, nous l’entendions encore hurler parce que ma mère ne voulait pas d’« intimité ». Nous, les enfants, nous nous bouchions les oreilles avec nos oreillers, nous nous enfuyions de chez nous pour aller chercher un ami, ou mettions la télé à plein volume. Nous étions apeurés, déroutés, confus, et ne savions que faire.

Ce que je faisais, afin d’échapper à cette douleur, a été de chanter. Je chantais sans cesse ; et ceci aggravait mes frères et sœurs. « Alors, au moins je ne me bats pas », disais-je. Je ne le savais pas alors bien sûr mais mes chansons étaient l’exutoire à mon angoisse. Je ne me sentais pas aimée, et j’aurais tellement aimé le contraire. Je pensai que si seulement j’étais sage et me comportais correctement, les autres seraient heureux. Si seulement il y avait la paix chez nous, je serais heureuse. En gran-dissant, je sentais que je ne pouvais rien faire de bien, et que je ne valais pas grand-chose de toute façon. Ceci s’empira, lors des années de mon adolescence et je me suis impliquée dans toutes sortes de perversités. Le pire, c’était que tout cela restait caché, la misère de mon en-fance, les péchés de l’adolescence...

A l’extérieur j’étais une jeune fille « normale », « dé-cente », même « religieuse ». Cependant, à l’intérieur, j’étais tourmentée et malheureuse. Ma vie était un vrai mensonge. Quand je me suis mariée, j’espérais que mes problèmes s’arrangeraient, mais ils ont continué. Tout comme mon enfance et ma jeunesse, mon mariage sem-blait beau de loin, mais en vérité, ça allait mal.

Alors que j’étais encore petite, je savais que j’avais besoin de Dieu, et mon désespoir me forçait à prier. Non pas que je pensais que Dieu m’aiderait. Je ne croyais pas que Dieu puisse m’aimer. J’étais mauvaise et convaincue que Dieu ne pouvait aimer quelqu’un comme moi. Plus

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je désirais être aimée, plus je m’endurcissais, et devenais incapable d’accepter l’amour.

Maintenant, femme mariée avec une famille gran-dissante, je n’avais toujours pas trouvé la paix. J’avais vécu avec mes doutes et ma haine de moi-même pendant longtemps, et je commençais à transférer ces sentiments à tous les autres. Je détestais le monde entier. Irritée, je me sentais rejetée, sans valeur. J’étais une vraie loque humaine.

Plus que tout, j’avais besoin de me libérer de la douleur de mon passé, mais je m’y prenais mal. En vérité, je re-cherchai une seule chose, avec une passion désespérée : je voulais être aimée. Je cherchais l’amour chez mon mari, Bob, et je sentais qu’il n’a pas réussi à me le donner ; je ne le trouvais pas, non plus, chez mes amis. J’ai cru que je le recherchais aussi en Dieu ; je me suis rendue à un centre de prière chrétien, espérant recevoir des conseils et afin de prier pour la guérison. « Jésus vous aime, et Il vous pardonne, » m’ont-ils dit. Mais ceci restait abstrait pour moi. Je ne pouvais pas ressentir son amour. Il se peut que j’aie été aidée quelque peu, mais cela ne m’a pas donné de paix durable dans mon cœur. Cependant, je ne voulais pas jeter l’éponge.

Il y a quelques années, nous nous sommes décidés à joindre le Bruderhof. Nous sentions que Dieu nous ap-pelait à vivre en communauté ; répondre à cet appel nous a procuré une libération et une grande joie. Nous avons vendu notre maison et payé nos dettes ; puis nous avons déménagé. Après environ dix-huit mois au Bruderhof, nous demandions de devenir membres à part entière.

Lors une sorte de retraite préparatoire, nous avons essayé d’ouvrir nos cœurs à Dieu et aux frères et sœurs dans la communauté, et de réfléchir sérieusement sur la suite des évènements de nos vies jusque-là. Ce procédé

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a été, en vérité, rédempteur, mais de même, très dou-loureux, car il nous a conduit à réaliser que notre mariage était en péril. Nous avons compris que nous devions con-fronter franchement la situation et faire face une fois pour toute aux exigences de Dieu. Nous avons alors demandé de quitter la communauté ; nous sentions avoir besoin de temps et d’espace, en tant que couple et parents, pour réfléchir sur ce qu’était notre désir au plus profond de notre cœur. La communauté nous a soutenus avec amour dans cette décision, et nous a aidés à nous installer dans un logement particulier et à trouver du travail pour Bob.

C’est lors de cette période difficile que j’ai trouvé la paix – Jésus. Mais il m’a fallu d’abord avoir l’humilité de reconnaître combien j’étais égocentrique, désirant mon bonheur personnel, et, en plus, combien j’avais de haine envers mon mari, imaginant qu’il n’a pas réussi à me don-ner ce qu’il me fallait – l’amour que je désirais tellement. En effet, Bob m’avait fait défaut plus d’une fois, mais j’ai finalement compris que je n’étais qu’une sangsue émotionnelle, pour ainsi dire. Depuis des années, j’avais sapé le peu d’amour qu’il avait, et c’était de ma faute. J’ai pu, enfin, admettre que mon amour-propre était la vraie cause de ma misère.

J’ai prié Dieu de m’aider, et j’étais cette fois sûre qu’Il le ferait. Soudain, j’ai ressenti du remords pour avoir si souvent offensé mon prochain, au lieu d’avoir pitié de moi-même. Pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti le désir de pardonner à ceux qui m’avaient blessée, surtout à mon père. J’ai ressenti du remords envers Dieu, aussi, et en retour j’ai reçu son amour, et son pardon.

Lors de ces jours, un passage de l’Evangile de Marc m’est venu à l’esprit, et est devenu réel pour moi – ces lignes à propos de ceux qui nécessitent un médecin : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin,

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mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs… » (Marc 2.17).

Quel soulagement m’a envahi ! J’avais été aveugle pendant des années, et maintenant, tout à coup je com-mençais à voir ce qu’était le bonheur. Cette révélation de l’amour de Dieu envers moi, un pécheur, a été écrasante. Ceci est devenu la pierre angulaire de ma nouvelle foi et m’a donné une joie nouvelle dans mon cœur.

A mesure que Bob et Ann se mirent à réfléchir ensemble, ils se voyaient sous un nouveau jour. Ils purent se pardonner mutu-ellement pour tout ce qui avait rendu leur mariage misérable, et puis, oublier le passé. Bientôt, ils retournèrent à la com-munauté et furent reçus comme frère et sœur. Ann continue :

Et la vie, comment continue-t-elle ? Si on trouve la paix, est-ce qu’on l’a pour toujours ? Je ne suis pas toujours en paix. Je ne suis pas toujours restée fidèle à l’amour de Dieu. Je lutte encore quelquefois contre l’anxiété, ou je tombe dans les anciens soucis, et les anciennes peurs. Je lutte toujours pour une franchise authentique, et non pas simplement vouloir plaire aux gens et gagner leur approbation. Mais quand tout m’écrase, je lance ce défi : « Jésus est vainqueur, dans mon cœur, dans mon corps, dans mon âme ! »

Je serai toujours une pécheresse. C’est ainsi, que je suis venue tout d’abord à Dieu, non pas comme une personne vertueuse. Mais il n’est pas bon de perdre du temps et de l’énergie à y penser. Il y a assez à faire dans la lutte pour le royaume de Dieu. Plus je me donne à cette tâche, servir les autres et m’oublier moi-même, plus je suis heureuse.

Ceux qui cherchent à faire du bien aux autres, peu im-porte le service, réalisent un épanouissement. Parfois, je trouve le bonheur en gardant un bébé, ou en nettoyant ;

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un autre jour, en préparant un repas pour quelqu’un, ou en lavant leur linge. Je suis reconnaissante d’avoir quelquefois la chance de soigner une personne âgée.

Certes, j’ai encore des cicatrices, mais on m’accepte comme je suis. Au services de mes semblables, j’ai reçu un don que je n’avais jamais trouvé lors de ma recherche égocentrique : une joie pure.

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w

L’Action

Le temps, en soi, est neutre ; on peut s’en servir pour dé-

truire, ou construire. De plus en plus, je trouve que les

personnes de mauvaise volonté ont employé leur temps

plus efficacement que les personnes de bonne volonté. Il

nous faudra nous repentir, en cette génération, non seule-

ment pour les paroles et les actions odieuses de mauvaises

gens, mais surtout pour le silence odieux des personnes de

bonne volonté. Le progrès humain ne roule jamais sur les

roues de l’inévitabilité ; il vient seulement au travers des

efforts infatigables des personnes qui ont la bonne volonté

de travailler avec Dieu, et, sans ce travail assidu, le temps

lui-même devient complice des forces de stagnation.

Martin Luther King

Si le lecteur a compris quelque chose, jusqu’ici, c’est que la paix ne signifie pas l’inactivité. La paix peut inclure le

calme ou le repos. La parole de Saint Augustin, si souvent ré-pétée – « Mon cœur n’a pas de repos, à moins qu’il ne repose en Toi » – contient une vérité profonde. Cependant, qu’est-ce que le repos en Dieu ? Est-ce la complaisance, la passivité ?

Le don de la paix est une réponse à un désir non ré-alisé ; ce don met une fin à l’usure destructive du doute et

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du péché. C’est la plénitude et la guérison. Mais bien qu’en étant tout ceci, la paix est aussi un appel à l’action et à une vie nouvelle. La prière et la méditation peuvent nous aider à l’atteindre, mais ceci ne suffit pas. Car la paix entraîne avec elle de nouvelles obligations, une nouvelle énergie, et une nouvelle créativité. Comme une graine dans la terre, elle germe silencieusement et invisiblement, puis alors, elle déborde de vitalité, se déploie, fleurit, et finalement, fructifie.

Dans son livre Inner Land (Le pays intérieur), mon grand-père écrit que la fin des temps n’est pas la fin de l’activité : « Le portail de la Ville sur la Colline n’est pas fermé, mais il reste ouvert. » Dans ce même sens, nous qui avons reçu le don de la paix ne devons pas le garder pour nous seuls, évitant d’entendre le bruit autour de nous et ignorant la situ-ation des autres qui n’ont pas la paix.

Il est bien bon d’être parvenu à avoir la paix et la tran-quillité au cours de cette vie ; cependant ces personnes ont alors souvent la tendance si humaine à ignorer ce que Jésus désire vraiment : une fois que notre âme, trop chargée, est renouvelée, elle doit alors devenir une source de force et d’énergie. Si nous nous enfonçons mollement dans un silence stupéfait, nous nous rendons inutile à la vie à laquelle Jésus nous appelle.

Du point de vue du Bouddhisme engagé, avec une importance particulière donnée à la méditation et l’engagement de com-passion envers les autres, Thich Nhat Hanh se souvient de la guerre au Vietnam, et du dilemme que ceci lui a posé. Le fruit de la paix : était-ce la contemplation, ou était-ce l’action ?

Tant de nos villages étaient bombardés. Il fallait que nous nous décidions quoi faire, moi et mes frères et sœurs.

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Devrions-nous continuer à prier et méditer au sein de nos monastères, ou devrions-nous plutôt quitter nos salles de méditation afin d’aider nos concitoyens souffrant sous les bombardements ? Après avoir profondément réfléchi, nous avons décidé de faire les deux – d’aller à l’aide des autres, mais tout en continuant dans un esprit de médita-tion engagée. Une fois qu’on voit, c’est le temps d’agir. Autrement, à quoi est-ce que ça sert de voir ?

Si nous cherchons à vivre en paix avec nos semblables, cer-taines responsabilités inéluctables nous incombent, et nous devons nous en emparer comme Thich Nhat Hanh et ses moines l’ont fait. Nous ne pouvons pas choisir de vivre en harmonie avec Dieu seulement, ni seulement avec nous-mêmes, à l’exclusion des autres.

Après que ma mère s’est jointe au Bruderhof au début de la vingtaine, elle lutta pendant des mois, afin de discerner ce que signifiait vraiment la paix. Elle désirait se dévouer entièrement à Dieu, cependant, en même temps, une ques-tion que sa famille et ses amies lui avait posée la troublait : Comment pourrait-elle œuvrer pour la paix du monde si elle n’y était plus ?Dans une lettre à sa mère, elle admit qu’elle n’avait pas de réponse infaillible, mais qu’elle était tout à fait sûre d’une chose : afin de vivre pour la paix, elle était obligée à quitter la discorde de la vie bourgeoise, et prendre une autre ligne de conduite. Ceci ne voulait pas dire, nécessairement, une vie d’inactivité pieuse :

Notre communauté ne recherche pas la paix d’une vie d’ermite ; elle ne rejette pas, non plus, le monde et ses habitants, de façon à pouvoir tranquillement poursuivre ses

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propres desseins. Non ! Nous nous intéressons activement aux évènements courants, nationaux et internationaux, de façon à être conduits ensemble vers l’action et à prendre une position nette... Nous n’avons pas peur d’exprimer nos convictions, franchement et avec force, et de les mettre en pratique à la vue de tous. Voilà ce qui compte. Il ne s’agit pas de nous entourer des murs d’un monastère pour suivre en paix le chemin que nous avons choisi.

« La paix et la tranquillité »  étaient exactement l’opposé de ce que ma mère recherchait et c’est le cas pour bien des gens qui ont rejeté la course folle et futile de la bourgeoisie. La quête de paix est suscitée par un désir de trouver une vie qui est plus profonde et épanouie, pas une vie plus vide. Les vétérans et hommes d’affaires, les femmes au foyer et les prêtres, ceux qui abandonnent l’école et les professionnels de l’éducation : tous m’ont dit que la paix n’est pas qu’une question de dire non à la violence, la convoitise, la cupidité ou l’hypocrisie. Cela signifie dire oui à quelque chose qui remplace tout cela.

Dans un chapitre antérieur, j’ai parlé de John Winter, qui avait travaillé dans un laboratoire, mais avait quitté son em-ploi quand il découvrit que sa compagnie était impliquée dans des essais de munitions. Il dit :

J’étais contre la violence, je recherchais la paix, mais j’ai bientôt compris que la paix est bien plus que l’absence de guerre. J’étais fatigué de toujours expliquer que je ne pouvais pas m’engager dans l’armée. Que devrais-je faire ? Je cherchais une alternative à la guerre, pas seulement la fin de la guerre. Je voulais me mettre sur une voie différente. Je voulais vivre pour un objectif positif, pas seulement lutter contre le statu quo.

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Gertrud Dalgas, maîtresse d’école qui se joignit à mes grands parents et leur petite communauté en 1921, peu de mois après la fondation de la communauté, était du même avis. A cette époque, elle écrivit cet article, dans un magazine :

Notre vision est de réaliser un royaume de paix et de non-violence, un royaume de liberté, qui a son fond en Dieu. La critique et la rejection des conditions actuelles exigent de nous une contre-mesure positive, un exemple. Précisé-ment parce que nous critiquons le capitalisme, la haine entre les classes, le meurtre, la guerre, et l’hypocrisie dans la société, nous nous sentons obligés d’oser vivre d’une façon totalement différente. Nous ne sommes que peu de gens, provenant des classes et professions variées. Ce-pendant, nous ne refusons pas simplement de porter des armes ou de rejeter les valeurs de la société comme telles, d’une façon négative. Nous érigeons la communauté, en opposition aux exigences de l’Etat, de l’Eglise, de la propriété privée, et tout privilège économique ou social.

Ni Gertrud, ni John, ni personne de ceux que j’ai cités, ne voudraient prétendre que la réponse aux problèmes dans le monde soit la communauté en elle-même, surtout pas le Bruderhof. Mais ils seraient certainement de l’avis que si la paix signifie l’action et l’engagement, cela exige un combat. Ainsi pense Dick Thomson, diplômé de l’université de Cor-nell, que je connais depuis quarante ans. Il écrit :

En tant que jeune homme âgé de vingt ans, je savais bien que la paix serait difficile à trouver dans ce monde. J’ai grandi pendant la Seconde guerre mondiale ; les jour-naux étaient pleins des dernières nouvelles de guerre et de propagande, culminant avec l’explosion de la bombe atomique sur le Japon. Je me souviens bien de la lutte

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entre le syndicat de mineurs de John L. Lewis et les grands dirigeants. Ma mère a voté en faveur des Démocrates, tandis que mon père a voté en faveur des Républicains, mais ni l’un ni l’autre ne parlait de Dieu. Je n’étais pas attiré par la religion, qui ne m’offrait pas, en tout cas, de l’espérance.

Si j’avais un dieu, c’était la science et le cerveau humain, et j’ai été encouragé à penser que le mien était bien éveillé. Cependant, combien peu étais-je conscient du manque de paix dans le monde – ou en moi, d’ailleurs – n’ayant jamais souffert de la guerre, la misère, l’oppression, la maladie sérieuse, ou quelque autre défi moral qui soit, que je n’arriverais pas à maîtriser. Cependant, en vieillissant j’ai été poursuivi par un sens de culpabilité face aux vices que je ne pouvais pas surmonter, et par un sentiment de discorde intérieure qui est devenu d’autant plus intense que j’essayais de le résoudre.

Jésus nous dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde donne » (Jean 14.27). Il ajoute pourtant : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre! Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Matthieu 10.34).

Au Bruderhof j’ai rencontré des gens ordinaires qui étaient convaincus qu’ils s’étaient engagés dans la bataille principale qui mène à la paix et la joie. Ils savaient pour quoi (et pour qui) ils combattaient. Ils étaient prêts à confronter n’importe quelle souffrance ou misère par amour pour leur Seigneur.

Voilà une paix qui m’a frappé droit au cœur : non pas une paix qui vient en se retranchant dans le silence ou la passivité mortelle. C’est justement le contraire : c’est la paix du pardon et d’un nouveau départ, la paix du cour-age, et d’une opposition franche au mal sous quelque forme qui soit, accompagnée de l’amour du prochain.

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Lorsque je demandais d’où venaient cette paix et cette joie, que je n’avais jamais connues auparavant, on m’a dit : « de Jésus Christ. » Sans l’avoir vu moi-même, je ne l’aurais pas cru, mais ceci était la réalité. Et c’est alors que j’ai réalisé qu’enfin j’avais trouvé la bataille à laquelle je devais consacrer ma vie.

Je sais que cette expérience n’est pas unique au Bru-derhof, et que le royaume de Dieu n’est pas limité à ceux qui s’appellent chrétiens. L’idée de trouver la paix « au-dedans du conflit » se trouve dans les écrits des premiers Quakers – George Fox, Isaac Pennington – et beaucoup d’autres de cette période, qui ont éprouvé la renaissance de leur foi au milieu des cendres mortes d’une religiosité formelle. C’est même là, parmi les prisonniers politiques, ou de conscience que je connais. Ces hommes et ces femmes parlent un langage différent, et mènent une vie plus radicale que le Bruderhof, mais ils se rapprochent en cœur et en esprit de ce que j’ai essayé de décrire, même si les journaux les ont traités injustement de radicaux insensés à cause de leur position impopulaire à l’égard des races et de la justice sociale. On sent que, malgré les épreuves qu’ils ont souffertes, ils possèdent la joie et la paix. Ils sont passionnés, mais non pas violents ou irra-tionnels. Et ils savent pourquoi ils luttent : afin de révéler la vérité telle qu’ils l’ont reconnue, et de s’y tenir.

En plus, quand je suis venu au Bruderhof, jeune homme incertain, c’est cette paix même qui m’a ému ; elle rayon-nait de ces personnes qui savaient dans quel combat elles étaient engagées, quelle guerre elles livraient.

La paix, l’amour ou la joie que Dieu nous donne Lui appartiennent toujours. Nous ne pouvons pas les pren-dre ; elles ne nous appartiennent pas. Elles nous sont disponibles tant que Dieu veut nous les donner. Si nous perdons ces dons ou notre élan dans la lutte, quelle qu’en

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soit la raison, Dieu les tient toujours entre ses mains, et nous pouvons toujours les retrouver.

Nous ne pouvons pas nous servir du don de la paix : il se sert de nous ! Au point où notre propre volonté s’en empare, nous le perdons. Mais justement c’est là notre richesse : nous savons où le retrouver.

L’auteur Amy Carmichael se sert de l’image d’un champ de bataille pour décrire la paix. Elle dit que le soldat qui reste au lit pendant la bataille ne possèdera pas de paix, sinon celui qui y perd sa vie. Il est fort probable que ceux qui combattent auprès du général seront blessés, mais c’est eux qui auront la paix la plus grande.

On parle beaucoup de la paix ; tout le monde la désire. Per-sonne n’est contre. Mais qui est-ce qui est prêt à s’engager afin qu’elle devienne une réalité concrète ? Pour chaque per-sonne, l’appel à l’action prend une forme différente. Pour l’une, l’appel peut conduire à un engagement dans quelque activité, pour une autre, à vivre en communauté et pour une autre, à quelque œuvre complètement différente. Cela peut signifier tout simplement d’être une voix de réconciliation au lieu de travail, ou d’essayer d’avoir plus de tolérance et d’amour chez soi.

Une grande action paraît plus noble qu’un acte mondain et inaperçu, mais elle peut aussi nous distraire des devoirs que nous devons accomplir au moment-même. Elle peut mener aussi à une dureté de cœur envers ceux qui ont le plus besoin de nous. Jean Vanier nous avertit : « Quelquefois il est plus facile d’entendre les cris lointains des pauvres et opprimés que les cris des frères et sœurs dans notre propre communauté. Il n’y a aucune noblesse à intervenir auprès de celui qui nous côtoie jour après jour, et qui nous énerve. »

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Où que nous soyons, et quoique nous faisions, il y aura toujours des sacrifices à faire, des engagements à remplir si nous désirons que notre paix soit fructueuse. Car, contraire-ment à cette fausse paix qui mélange tout et ne nous engage à rien, la paix de Dieu, comme un vent tonifiant, déblaie le chemin de tout obstacle.

Si nous ne recherchons qu’une rencontre avec Jésus qui nous édifie personnellement, nous ne comprenons pas la signification de Sa grande cause. Voilà pourquoi nous sommes exhortés à rechercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice, afin d’être dignes, non seulement de recevoir une bénédiction personnelle, mais de combattre pour Son royaume.

Vivons donc plus intensément dans l’attente du Sei-gneur ! Si nous ne l’attendons pas dans toutes les sphères de notre vie, nous ne l’attendons pas du tout. Je me de-mande chaque jour : ai-je assez espéré, assez lutté, assez aimé ? Notre espérance du royaume doit nous conduire aux actes.

J. Heinrich Arnold

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La Justice

Le motif, c’est l’amour des frères, et nous sommes appelés à

aimer notre frère. Si la religion a tellement négligé le besoin

des pauvres et de la grande masse des ouvriers, et leur a

permis de vivre dans une destitution horrible, tout en les

réconfortant avec la promesse de la vie après la mort, dans

laquelle il n’y aura plus de larmes, eh bien alors, cette reli-

gion est suspecte. Qui est-ce qui croirait un tel consolateur

de Job ? D’un autre côté, si ceux qui se disent être religieux

vivaient avec les pauvres, travaillaient pour améliorer leur

sort et risquaient leurs vies comme les révolutionnaires le

font, et comme les organisateurs des syndicats l’ont fait dans

le passé, alors les promesses de la gloire à venir, sonneraient

vraies. La Croix est suivie de la Résurrection.

Dorothy Day

De tous les slogans qu’on entend aux démonstrations et rassemblements de notre temps, un des plus simples

et des plus forts, c’est « Pas de justice, pas de paix. » S’il est important de parler ou d’écrire à propos de la paix, alors prier et travailler pour la paix, d’une manière pratique, est encore plus important. Mais, en fin de compte, la paix n’est véritable que si elle est suivie de la justice.

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Dans la Lettre de Jacques nous lisons : « Mes frères et sœurs, que sert-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres? Cette foi peut-elle le sauver? Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de nourriture, et que l’un de vous leur dise: «Partez en paix, mettez-vous au chaud et rassasiez-vous» sans pourvoir à leurs besoins physiques, à quoi cela sert-il ? » (Jacques 2.14-16). Et Christophe Blum-hardt écrit : « Au bout du compte, notre vie spirituelle n’a aucun sens si elle ne produit pas des fruits terrestres qui sont tangibles et visibles. »

De même que l’inégalité sociale, l’oppression, l’esclavage et la guerre vont de pair avec la dissension et la division, ainsi la paix doit aller de pair avec la justice, car la justice prospère là où ces choses sont surmontées. Quand on pense à l’état de notre planète aujourd’hui, il n’y a rien de surpre-nant que les gens rejettent la paix et la justice comme étant de la folie utopique. Comment est-il possible d’être en paix, demandent-ils, quand le tourment et l’angoisse prédomi-nent, et les accumulations d’armements de destruction se moquent de l’idée même de la survie ? Comment peut-il y avoir de justice, quand les caprices d’une poignée d’hommes puissants et riches provoquent de grands ravages dans la vie des millions sur notre terre ? Il y a 60 ans, dans un écrit sur la relation entre la propriété privée et la guerre, mon grand-père a dit : «  Il n’y a plus de justice. La stupidité règne. » Que dirait-il, aujourd’hui ?

Quelques-uns insistent que l’esprit de paix est toujours en vie, même si, ici et là, il est dissimulé sous le manteau de l’hypocrisie. Je n’en suis pas si sûre. A moins que la justice et la paix que nous prêchons reposent sur des actes, ce ne

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sont que des phrases vides. Nous sommes des imposteurs, comme ceux dont Jérémie se plaint : « Ils remédient super-ficiellement au désastre de mon peuple: ‘Tout va bien! Tout va bien!’ disent-ils, mais rien ne va » (Jérémie 6.14).

Par contre, même si nous ne réussissons pas à demeurer fidèles à la vision du royaume de Dieu ou de vivre selon Son Esprit, cela ne change en rien le fait que Dieu est toujours un Dieu de paix. Son règne est un règne de justice, de vérité, et d’amour. Si notre foi est une imposture, ce n’est pas de sa faute, sinon la nôtre. « C’est vraiment dommage que la venue du Christ ait été suivie de si près par celle des Chrétiens. » (Annie Dillard).

La paix du royaume exige un ordre social nouveau et une nouvelle relation entre les gens. Voilà pourquoi Jésus nous recommande d’aider les pauvres et les opprimés, les pris-onniers et les malades. C’est pourquoi Il nous dit : « Heu-reux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! » (Matthieu 5.9). C’est pourquoi, aussi, Il nous commande d’« allez dans le monde entier » afin d’annoncer la bonne nouvelle à toutes personnes et de proclamer la paix. Si quelqu’un rejette sa paix, Il nous dit de secouer la poussière de nos pieds, et de nous en aller. Il faut, donc, que nous soyons conduits vers tous ceux qui désirent la paix.

Il y a quelques mois, je suis allé aux Chiapas, au Mexique, pour rencontrer l’évêque Samuel Ruiz García. Don Samuel, comme on l’appelle, a été proposé pour le prix Nobel surtout pour son travail chez les paysans indigènes qui habitent les villages montagneux les plus pauvres de la région.

Don Samuel se consacre tout simplement à ce qu’il appelle la double tâche de paix et justice. Au cours des dernières

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années, cette tâche comprenait la défense des Zapatistes, mouvement populaire organisé au but de procurer les droits humains tels que la propriété foncière et l’accès aux soins médicaux. Ce n’est pas surprenant que ses activités ont suscité beaucoup de haine, et lui ont occasionné des en-nuis, surtout de la part du gouvernement répressif local. Il a été la cible d’au moins deux attentats sur sa vie. Lors d’une conversation en décembre 1997, Don Samuel m’a dit :

La paix pour l’humanité n’est pas seulement l’absence de la guerre, ou la fin de la violence. Les Romains disaient : « Si vous voulez la paix, préparez-vous à vous battre. » Pour eux, les temps de paix étaient des temps de prépa-ration à la guerre. C’est de même chez nous, mais d’une façon différente. Pour nous, chrétiens, la paix est basée sur une nouvelle relation fondamentale entre les humains et Dieu. Voilà pourquoi Jésus Christ a dit qu’Il nous donne la paix « non pas comme le monde la donne ». Il nous a donné une paix différente.

Dans la société moderne, cette paix doit être conçue et construite sur la base de la justice : le royaume de Dieu, qui est un royaume de paix, justice, vérité, et amour. Voilà pourquoi la paix est érigée sur des fondations qui sont profondément sociales et spirituelles. Voici pourquoi la paix exige la création d’un nouvel ordre social, un nou-veau rapport fraternel entre les gens – ce qui nécessite un changement dans la structure oppressive de la société et de l’économie.

Nous savons que la paix est un don de Dieu. Jésus Christ a dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jean 14.27). Mais la paix est aussi une tâche ; c’est une œuvre à développer. En ce sens, la présence du pauvre par rapport au royaume est une présence sacrée

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du Christ. Le Christ est présent au travers du sacrement du pauvre, parce qu’Il a dit, lui-même, que la seule ques-tion, et la question finale qui nous sera posée, sera celle de notre amour envers Jésus Christ. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire... Seigneur, quand t’avons-nous fait ceci... Et le roi leur répondra: ‘Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mathieu 25.35-40). Ce n’est pas une question de doctrine, mais de pratique. On ne me demandera pas si j’ai fait des erreurs, mais on me demandera si j’ai aimé mon frère, ou non.

La paix provient du pauvre. Il se trouve au centre du chemin vers la paix. C’est le pauvre qui définit l’histoire de la société humaine. Si un homme est pauvre, c’est le résultat d’un conflit social. C’est un système qui le rend pauvre. Si dans une société le pauvre est le point de référence du bien commun, alors notre société fait son devoir. Mais si, au contraire, le pauvre est rabaissé, cette société est opposée au royaume.

Souvent, nous faisons la sourde oreille aux personnes telles que Don Samuel. Les préjugés et la crainte nous conduisent à réduire ces voix au silence.

Il est vrai, qu’il y a des individus parmi ceux qui luttent pour la justice qui ne répandent pas autour d’eux la paix au sens chrétien. Il y en a même qui sont partisans de la révo-lution armée. Cependant, même s’il y a une différence entre nos buts et moyens, nous devons reconnaître que ce sont des voix des opprimés, et qu’une vraie justice n’existera pas sur la terre si elle n’est pas pour eux aussi. Leur lutte se livre dans d’autres tranchées que les nôtres, mais il s’agit d’une lutte pour les mêmes libertés et droits que nous, Européens

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et Américains blancs, considérons comme acquis, et c’est une lutte qui leur coûte la vie. Aussi longtemps que nous ig-norons ceci, nous n’avons aucun droit de dénoncer leur lutte.

Dans l’Eglise Primitive, les chrétiens ont nourri les affamés à leurs propres frais ; ils ont abrité les sans-logis, et vêtu les pauvres, se sacrifiant personnellement. Pour eux, c’était impensable de parler de paix, sans parler de justice. Et leurs contemporains disaient d’eux : « Voyez comme ils s’aiment les uns les autres. » Aujourd’hui, c’est bien différent. Ainsi, Pierre Maurin écrit :

Aujourd’hui les pauvres ne sont plus nourris, vêtus, et abrités aux prix de sacrifices personnels, mais aux frais des contribuables. Par conséquent, les païens disent des chrétiens, « Voyez comme ils refilent la responsabilité ».

Christophe Blumhardt a remarqué ce même manque de soin parmi les pieux croyants de sa génération, et il ne se lassait jamais de le dénoncer. Il s’est rendu compte que la racine du problème était une préoccupation égoïste avec le salut person-nel, ainsi qu’une indifférence complète envers son prochain :

Il y en a parmi les chrétiens ceux qui se réjouissent déjà, en pensant au moment où ils seront transfigurés, et monteront au ciel. Mais cela ne se passera pas ainsi. Il nous incombe de reprendre une tâche dans laquelle nous serons les premiers à être jugés, non pas les premiers à recevoir un divan au paradis. Car, c’est seulement ceux qui sont véritablement les premiers – les premiers à se tenir devant le Seigneur en jugement – qui pourront de-venir ses instruments pour la justice.

Franchement, je crois que bien des bons chrétiens se-ront surpris de voir qui est au paradis lorsque les anges

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rassembleront les « élus », des quatre coins de la terre. Plus je vieillis, plus je comprends l’énormité de l’injustice de notre société, et je suis d’autant plus convaincu de ceci : si Jésus est vraiment venu pour ceux qui « ont faim et soif de justice », alors les élus comprennent sûrement aussi les sans-logis, les prisonniers, les parias, et ceux que nous avons oubliés – les misérables de notre monde.

Nous oublions vite que les valeurs de Jésus sont directe-ment opposées aux nôtres. Sa justice renverse la justice humaine. Il a dit que les premiers seront les derniers, et les derniers, les premiers ; que celui qui perd sa vie, sera sauvé, et que celui qui veut sauver sa vie la perdra.

Que signifie donc, perdre sa vie ? Pour Jésus cela voulait dire abandonner tout privilège, toute défense, et suivre le chemin le plus humble.

Avant de mourir, Jésus a dit qu’Il serait livré aux au-torités : les pieux et l’Etat. Il faudra qu’Il s’abandonne, sans se défendre, à leur pouvoir. Et quand ses disciples lui demandèrent : « Seigneur, veux-tu que nous comman-dions au feu de descendre du ciel et de les exterminer ? », Jésus leur demanda : « Ne savez-vous pas à quel Esprit vous appartenez ? » Vous avez oublié l’Esprit ! Vous avez oublié votre vocation la plus haute. L’Esprit vous quitte aussitôt que vous prenez la cause de la force, au lieu de l’amour, même si vous appelez le feu du ciel et les éclairs célestes et les miracles divins.

Eberhard Arnold

Pour nous qui prétendons être disciples du Christ, il n’est pas question de se servir de la violence ou de la force comme moyen d’atteindre la justice. Cependant, cela ne nous donne

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aucunement le droit d’arrêter les autres, de les persuader d’être du même avis que nous. Nous ne devons pas inter-venir auprès du paysan du Tiers-monde qui a tant de mal à joindre les deux bouts, de l’anarchiste urbain, le gendarme, ou le soldat, et de leur dire : « Laissez vos armes et prenez le chemin de l’amour et de la paix. »

La foi n’est ni donnée à tous, ni ce qui concerne tout le monde à l‘heure actuelle. Même si c’était le cas, on ne le verrait pas nécessairement. D’après mon expérience, les ré-ponses aux questions de la vie les plus importantes ne nous sont pas présentées dans des beaux petits paquets. Parfois ces réponses ne nous viennent pas du tout, et nous devons les rechercher à tâtons.

Dans son livre On Pilgrimage (En pèlerinage), Dorothy Day réfléchit sur le problème difficile du chrétien qui doit tenir en équilibre les exigences de la justice et celles de la paix. Elle ne nous donne aucune solution simple, mais seulement une base solide pour cette recherche : l’humilité.

Il est certain que la liberté que Dieu nous a donnée est un don terrible, et Il nous a laissé la tâche de charrier le marais du péché et de la haine, de la cruauté et du mépris autour de nous. C’est un marais que nous avons créé nous-même.

Je sympathise avec l’instinct de la juste colère qui con-duit les gens à s’armer lors d’une révolution, quand je vois des vieillards oubliés dans les hôpitaux mentaux, quand je vois des hommes endormis sur les trottoirs ou à la recherche de la nourriture dans les poubelles ; et les familles dans les taudis, sans chauffage dans ce temps si froid, et les travailleurs migrants dans leurs bidonvilles...

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Nous ne sommes certainement pas des socialistes marx-istes, et nous ne croyons pas à la révolution violente. Cependant, nous pensons qu’il vaut mieux se révolter, se battre, comme Castro l’a fait avec une poignée d’hommes, que de ne rien faire... Jusqu’à ce que nous, en tant que disciples du Christ, renonçons à la guerre comme moyen d’atteindre la justice et la vérité, nous n’accomplirons ab-solument rien en critiquant ceux qui emploient la guerre pour changer l’ordre social.

En parlant à l’apogée du Mouvement pour les droits civ-ils, Martin Luther King Jr. adressa le même problème – la critique de ceux qui se tiennent dans les coulisses, parlant de la justice, mais faisant continuellement des remarques désobligeantes envers tout essai d’y remédier. « Ces dernières années, j’ai été profondément déçu des modérés blancs...qui respectent plus l’ordre public que la justice ; qui préfèrent une paix négative, c’est à dire l’absence de tensions, plutôt qu’une paix positive : la présence de la justice. »

D’autres, surtout les jeunes afro-américains du nord des Etats-Unis, sentaient que King était nettement trop prudent et ineffectif, et ils méprisaient sa confiance dans la force non-violente de Gandhi. King refusa d’embrasser leurs méthodes moins pacifiques d’œuvrer en faveur des changements con-crets, sans cependant condamner leur tactique catégorique-ment : « Si on refuse aux opprimés le droit de se révolter paisiblement, comment pouvons-nous les condamner s’ils se tournent vers la révolution violente ? »

Dans le Psaume 85, nous lisons : « …la justice et la paix s’embrassent; la fidélité pousse de la terre, et la justice se penche du haut du ciel. » Si nous avons foi en cette promesse –

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si nous croyons que ces paroles vont se réaliser, non seulement dans un avenir glorieux quelconque, mais sur cette terre – al-ors, il nous faut être prêts à tout risquer. Nous avons à refuser l’injustice sous toutes ses formes : l’exploitation économique, l’inégalité sociale, le préjugé racial et l’oppression politique. Cependant, nous devons aussi refuser toute violence, depuis le service militaire et la révolution armée jusqu’à la brutalité de la police et l’abus des femmes et des enfants.

Pour nous, la justice du royaume de Dieu se fonde sur quelque chose de bien différent de l’équilibre des intérêts ou des droits. Elle est beaucoup plus radicale que l’idée human-iste de liberté, égalité, et fraternité ; plus fondamentale que le droit à la compétition. C’est une justice née de l’amour, qui a son origine dans l’empressement de mourir pour son prochain. A moins d’être prêt à perdre la vie pour les frères, toutes les paroles à propos de la paix n’ont aucun sens.

Certes, nous ne pouvons pas vivre sans péché. Mais la façon dont certains parlent de l’inévitabilité du mal et no-tre esclavage mutuel de culpabilité nous conduit souvent à un consentement paresseux au statu quo. Comment pouvons-nous présumer de congédier la paix du monde à laquelle les prophètes ont témoignée, l’élimination de gouvernements proclamée dans l’Apocalypse de Jean et la victoire sur l’ordre social actuel par la fraternité et la communauté ? Comment éviter le choix, si important, que Jésus a exposé devant nous : Dieu ou Mammon ? Un trop grand nombre d’entre nous se détourne de la clarté de Jésus et s’effondre devant la situation paradoxale de l’homme devant Dieu ; nous disons oui et non, non et oui simultanément et à toutes choses. Où est notre envie irrésistible de lutter ?

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On va s’exclamer : « Sûrement, vous ne comptez pas livrer une campagne générale contre tout mal ! » Mais, c’est justement ce qu’il faut. C’est à cette fin que Jésus est venu au monde, et Il nous a appelés et nous a envoyés afin de continuer cette lutte. Il est venu pour détruire les œuvres du Diable. Il est la lumière parfaite, et en Lui il n’y a pas d’obscurité.

Eberhard Arnold

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L’Espoir

Partout où Dieu se trouve, il y a la paix. Sa présence nous

libère de l’impatience, d’un esprit divisé, des impulsions

hostiles ; elle nous apporte l’harmonie du cœur, de l’esprit,

et de l’âme. Mais Dieu est vivant, et par conséquent, Il

est action tout autant qu’Il est paix. Et sur la fondation de

l’harmonie qu’Il confère sur nous, Il crée une unité qui est

plus large. C’est l’unité de vision et d’action, de commu-

nauté, fraternité et justice universelle.

Eberhard Arnold

La paix est une puissance qui donne la vie. Elle guérit ce qui est blessé, remplit de nouveau ce qui est vide, et

libère ce qui est noué et lié. La paix remplace le désespoir avec l’espérance, la discorde avec l’harmonie, la haine avec l’amour. La paix donne plénitude où il y a désagrégation, cohérence où il y a compromis et hypocrisie. La paix pénètre toutes les sphères de l’existence, spirituelle aussi bien que matérielle. Si elle n’accomplit pas cette transformation, elle n’est qu’une illusion, pas la vraie paix.

La paix vient de Dieu, mais elle encercle toute la terre. Et, quand son pouvoir règne, elle transforme les personnes et les structures. Son but est cosmique, mais elle commence en

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silence, quelquefois imperceptiblement, de l’intérieur. Là où règne la paix, il y a l’unité de l’individu avec son être vérita-ble, de l’homme avec la femme, de Dieu avec l’être humain. Il y a l’unité entre la vigne et ses rameaux ; les temples sont purifiés ; les corps sont guéris.

Ceci ne peut prendre place ni tout seul, ni dans le vide. Dans ce livre, nous voyons que la paix n’a rien à voir avec la passivité, ou la résignation. La paix n’est pas pour les faibles ou les égocentriques, ni pour ceux qui se contentent d’une vie tranquille. La paix exige que nous vivions honnêtement devant Dieu, et devant les autres, à la lumière de notre propre conscience. Elle ne nous vient pas sans le fardeau du devoir, car elle exige des actes d’amour.

La paix est une poursuite implacable, soutenue seulement par l’espoir et le courage, la vision et l’engagement. Ainsi, sa recherche ne peut être une recherche égoïste. Ce ne peut être simplement une question de trouver une clôture, une réalisation, ou, comme Aristote l’a exprimé, de réaliser son potentiel humain. Non ! Rechercher la paix, signifie recherch-er l’harmonie en nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu. Cela signifie travailler envers l’unité, que le Christ envisageait en sa dernière prière : « Je te demande qu’ils soient tous un. Comme toi, Père, tu es en moi et comme moi je suis en toi, qu’ils soient un en nous pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé » (Jean 17.21, La Bible du Semeur).

Même lorsque nous sommes en paix avec Dieu, et que nous prenons conscience de cette unité, la différence entre notre être mesquin et Sa majesté comme notre Créateur devrait nous dévaster. Cependant nous ne devons pas nous laisser défaire par cette prise de conscience. Kierkegaard écrit :

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Il nous faut nous débarrasser de notre anxiété et ne plus vivre à l’abri de toute responsabilité devant la vérité... Il nous faut entrer dans la plénitude de la vie, où tout ce que nous faisons est en rapport avec l’éternel.

Aussi grandiose que ceci paraisse, c’est en réalité très sim-ple. Quand nos yeux sont fixés sur ce qui est éternel, nous serons motivés par l’amour – amour de notre voisin, époux ou épouse, notre ennemi, notre ami – et nous essayerons de vivre en harmonie avec tous et avec tout ce qui existe, « car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » (1 Jean 4.20). Si nous ne sommes pas en paix, il est probable que c’est parce que nous avons oublié de nous aimer les uns les autres. Et, il n’y a aucune excuse pour cela. Je suis certain que personne n’est si peu doué, qu’il ne puisse aimer. Thérèse de Lisieux écrit :

C’est l’amour qui m’a donné la clef de ma vocation. Je me suis dit que si l’Eglise était un corps constitué par tous ses membres, elle ne peut l’être sans le membre le plus essentiel, le plus important de tous. J’ai pris conscience de ce que l’amour comprend tout, toute vocation, toutes choses, et ainsi, puisque l’amour est éternel, il embrasse tous les temps, et tous les lieux.

Transportée de joie extatique, je me suis écriée : « Enfin j’ai trouvé ma vocation. Ma vocation, c’est l’amour ! J’ai trouvé ma place. Je vais être, moi-même, l’amour. Ainsi je serai tout et ainsi mes désirs seront exaucés. » Pour-quoi est-ce que je parle de joie extatique ? Ce n’est pas l’expression qu’il faut. Au lieu de cela, je dois parler de la paix, ce calme, cette paix tranquille que le timonier ressent quand il voit le phare qui le guide au port. Comme ce phare brille ! Et je sais bien comment me servir de ces flammes.

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La plupart d’entre nous n’avons pas du tout l’enthousiasme de Sainte Thérèse. Au contraire, comme Christophe Blumhardt le fait remarquer, la paix et l’unité manquent dans nos vies :

Nous sommes pris dans l’engrenage de commérage et mensonges, de haine et envie, tout plein de poison... Nous luttons l’un contre l’autre, et nous sommes jaloux l’un de l’autre, même au nom du Christ. Cela continue de jour en jour, d’offenses en offenses, et il n’y a pas de réconcili-ation. Nous sommes si loin d’être vraiment un peuple qui prend l’Evangile à cœur, et qui suit le Sauveur d’une manière concrète !

Mais, il continue : « Mais pourquoi est-ce que nos cœurs ne peuvent s’ouvrir et s’affranchir, afin que nous puissions devenir frères et sœurs ? Pourquoi ne pas avoir cet espoir ? »

Rabbin Hugo Gryn, survivant de l’Holocauste, a appris l’importance de l’espérance, comme jeune garçon à Aus-chwitz, où il fut emprisonné dans la même baraque que son père :

Malgré les conditions indescriptibles, beaucoup de Juifs, y compris mon père, ont continué autant que possible à observer leur religion. Un soir d’hiver, un autre prisonnier a fait la remarque que cela allait bientôt être la première nuit de hanoukka, la fête des lumières. Dans les jours qui ont suivi, mon père a fabriqué une petite menora des bouts de ferraille. Comme mèche, il prit des fils de son uniforme. Au lieu d’huile, il demanda au garde de lui donner un peu de beurre.

Ces choses étaient strictement défendues, mais nous avions l’habitude de prendre des risques. Ce que j’ai pro-testé était le gaspillage des calories précieuses. Ne serait-ce pas mieux de beurrer une tartine, plutôt que de les brûler ?

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« Hugo, me dit mon père, nous savons tous les deux qu’on peut vivre longtemps sans nourriture. Mais, je t’assure que personne ne peut vivre un seul jour sans espérance. Cette huile allumera la flamme de l’espérance. Ne laisse jamais s’éteindre l’espérance. Pas ici, ni ailleurs. Souviens-toi de ceci. »

L’histoire du Rabbin nous montre une de ces vérités, dé-couvertes par bien des personnes avant lui et après lui  : ultimement c’est l’espérance qui nous rend la vie possible de jour en jour.

La vision apocalyptique nous donne l’espoir que, malgré des apparences du contraire, ultimement, c’est le Bien qui va prévaloir. Dans la Révélation de Jean, nous trouvons la justice restaurée par un Dieu qui demeure parmi ceux qui ont souffert le plus dans ce monde cruel, injuste et violent – un Dieu qui ne rugira, ni paradera comme un dictateur suprême, mais, avec douceur, « essuiera toute larme de leurs yeux ».

Kathleen Norris

Si nous avons la foi, rien ne devrait nous empêcher d’agir main-tenant sur cette espérance. Nous pouvons suivre l’instruction de l’Evangile : « Garde le silence devant l’Eternel et espère en lui » (Psaumes 37.7). Cependant, si nous attendons vraiment dans l’espérance, notre attente sera toujours active.

Le dernier jour de l’année 1997, aux Chiapas, Mexique, des centaines d’Indiens Tzotzil ont marché en procession com-mémorative au village d’Actéal, où quarante-cinq de leurs compatriotes – pour la plupart des femmes et des enfants

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– ont été brutalement tués neuf jours avant par les milices pro-gouvernementales. Ils habitaient dans une région isolée, où la répression politique entraînait une « disparition » après l’autre, et ils savaient que leur marche n’était pas sans danger.

Non armés, ils étaient doublement vulnérables à cause de leur position : bien que favorisant les objectifs des combat-tants zapatistes, ils restaient opposés à l’emploi de la force, et ainsi, ils étaient accusés des deux côtés de manque de loyauté. Pourtant, la procession n’était pas qu’un risque calculé. C’était un acte de résistance, mené dans un esprit de détermination et d’espoir.

Un panneau sur une croix en bois, à la tête de la foule, portait ces mots : « C’est le temps de moissonner et de con-struire. » Beaucoup de ces hommes portaient des briques (comme « symbole du fardeau de notre souffrance » avait dit l’un d’eux), dont ils voulaient se servir pour construire un ossuaire pour leurs morts. Plusieurs avaient l’intention de s’installer de nouveau dans le village ; bien qu’ils savaient devoir fuir de nouveau. Et, tout en portant une statue fêlée de la Vierge Marie « au nom de la paix », ils restaient fidèles à la non-violence.

Qui étaient ces hommes courageux, et ces femmes cou-rageuses, qui pouvaient ainsi, regarder la mort face à face ? Est-ce que leur paix provenait d’une force étrange, du mar-tyre ? Un signe de folie ? Peut-être se sentaient-ils simple-ment comme l’épouse de Phil Berrigan, Elisabeth McAlister, qui avait écrit après le dernier emprisonnement de son mari :

La vision de Dieu – plus encore, la promesse de Dieu – d’une société humanitaire et juste, est une promesse sur laquelle nous pouvons soumettre notre vie. Aucun de nous ne peut

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être satisfait, avant que cette promesse soit devenue une réalité pour tout le monde, pour tous ici-bas. Et ainsi, on risque sa vie afin que la vision d’Esaïe s’accomplisse dans les jours à venir, lorsque les gens forgeront des pioches de leurs épées, et de leurs lances ils feront des faucilles ; ainsi, nous endurons tout, et Dieu nous soutient dans cette endurance. Nous assistons aujourd’hui – ni plus, ni moins – à la réalisation de la vision de Dieu.

Dans un passage de son livre Les frères Karamazov, Fédor Dostoïevski raconte, avec la même espérance et foi, la con-versation entre Père Zossima (quand il est encore un jeune homme) et un étranger mystérieux :

« Le ciel, nous dit l’étranger, est caché en nous tous – le voici maintenant dissimulé en moi, et si je le veux, il me sera révélé demain, et pour toujours. »

Je l’ai regardé. Il parlait avec beaucoup d’émotion, et me fixait d’un air mystérieux, comme s’il me questionnait.

« Vous aviez entièrement raison de penser que nous sommes responsables devant toute personne en toutes choses, hormis nos propres péchés, et c’est admirable que vous avez pu aussitôt le comprendre, avec toute sa signification. Et, en vérité, aussitôt que les hommes auront compris cela, le royaume des cieux ne sera plus pour eux un rêve, mais une réalité vivante.

— Et quand ceci se passera-t-il ? me suis-je écrié, amèrement. Est-ce qu’il se réalisera un jour ? N’est-ce pas simplement un rêve ?

— Comment donc ? Vous n’y croyez pas, dit-il. Vous le prêchez, et vous ne le croyez pas vous-même ? Croyez-moi, ce rêve, comme vous l’appelez, se réalisera, sans aucun doute ; il se réalisera, mais pas maintenant, car chaque procédé a sa propre loi. C’est un procédé spirituel

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et psychologique. Pour transformer le monde, pour le recréer à nouveau, les hommes doivent prendre psy-chologiquement un autre sentier. Jusqu’à ce qu’on devi-enne réellement, en réalité, le frère de tous, la fraternité n’aura pas lieu. Aucun enseignement scientifique, aucun intérêt commun, ne nous enseignera à partager nos priv-ilèges et biens, en considération du besoin de chacun. On pensera toujours que sa propre part est trop mesquine, et il y aura toujours de l’envie, des plaintes, et de la jal-ousie. Vous demandez, quand cela se passera. En effet, cela viendra, mais il nous faut d’abord passer par cette période d’isolation.

— Que voulez-vous dire, par l’isolation ? lui demand-ai-je.

— Eh bien, l’isolation qui se trouve partout, surtout dans notre époque, n’est pas entièrement développée et n’a pas encore atteint ses limites. Car chacun désire accomplir le plus dans sa vie pour lui-même, et oublie que la plus grande sécurité se trouve dans la solidarité sociale, plutôt qu’en l’effort individuel isolé. Mais cet in-dividualisme terrible prendra fin, inévitablement, et tout à coup, tous comprendront comme ils se sont séparés les uns des autres en allant contre la nature humaine. Ce sera l’esprit de l’époque, et les gens s’étonneront qu’ils aient pu rester aussi longtemps dans l’obscurité, sans percevoir la lumière. Et, alors, le signe du Fils de l’Homme sera vu dans les cieux.

 » Mais jusque-là, il nous faut continuer à brandir la bannière. Parfois, même si l’homme doit le faire seul, et sa conduite semble insensée, il faut qu’il donne l’exemple, et ainsi, attirer les âmes des gens hors de leur solitude, et les pousser à agir fraternellement, avec amour, afin que l’idée sublime ne meure pas. »

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A propos de l’auteur

Johann Christoph Arnold a servi la communauté du Bru-derhof comme pasteur principal depuis 1983. Avant cela,

il était ministre et adjoint à l’ancien du Bruderhof. Il a voyagé beaucoup dans le monde, au service du Bruderhof, et il a rencontré des leaders religieux, tels que le Pape Jean Paul II, le Cardinal Ratzinger, Mère Thérèse, l’évêque Samuel Ruiz, et Thich Nhat Hanh.

Christoph est l’auteur de plusieurs livres bestseller, dont Pourquoi pardonner ?, Le défi de la pureté, et L’enfance au bord du gouffre. Bien qu’à première vue sa façon d’écrire ne paraisse pas différente des autres auteurs religieux, elle n’affiche pas les caractéristiques habituelles. Ceci vient probablement du fait que le message de ses livres provient de vérités vécues depuis des générations au Bruderhof, mouvement commu-nautaire basé sur l’enseignement du Christ dans le Sermon sur la Montagne, et sur la pratique des Premiers Chrétiens à Jérusalem. Au fond, ce sont plus que de simples livres, car ils sont l’expression de la vie et de la foi d’une Eglise entière.

Christoph et sa femme, Verena, ont huit enfants et plus de trois douzaines de petits-enfants. Au travers des années, ils ont conseillé des centaines de couples mariés, de célibataires,

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d’adolescents, et de prisonniers. Ils ont aussi pourvu aux soins pastoraux des malades, dans leur phase terminale, et à leurs familles.

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Le Bruderhof

Malgré tout le mal qui existe dans notre société, nous tenons à témoigner du fait que l’Esprit de Dieu est à

l’œuvre dans le monde aujourd’hui. Dieu nous appelle encore à quitter les systèmes qui génèrent l’injustice, la violence, la peur et l’isolement, et à suivre la nouvelle voie de la paix, de l’amour et de la fraternité. Dieu nous appelle à vivre en communauté. Dans ce sens, nous — les frères et sœurs de nos communautés dites Bruderhof — désirons vous com-muniquer quelque chose de notre réponse à cet appel.

Notre vie en communauté est basée sur les enseignements du Christ dans le Sermon sur la Montagne et dans tout le Nouveau Testament, notamment les enseignements concer-nant l’amour fraternel, l’amour envers les ennemis, le service mutuel, la non-violence et le refus de porter les armes, la pureté sexuelle et la fidélité dans le mariage.

Nous n’avons pas de propriété privée ; nous partageons tous nos biens comme les premiers chrétiens, comme le décrit le livre des Actes des Apôtres, chapitres 2 et 4. Chaque membre consacre ses talents et tous ses efforts aux besoins de la communauté. L’argent et les possessions sont mis vo-lontairement en commun, et en échange, chaque membre

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reçoit ce dont il a besoin. Nous nous rassemblons tous les jours pour les repas, les réunions, le chant, la prière et pour prendre des décisions.

En 1920, Eberhard Arnold, théologien bien connu, conféren-cier et écrivain, quitta l’abondance, la sécurité et une carrière professionnelle importante à Berlin, et vint s’installer avec sa femme et ses enfants à Sannerz, petit village en Allemagne, où ils fondèrent une petite communauté, appelée le Bruder-hof (foyer des frères), basée sur la vie de l’Eglise primitive.

Malgré les persécutions des nazis, la communauté sur-vécut. Elle fut expulsée d’Allemagne en 1937 et le mouvement s’établit en Angleterre. Cependant, lors de la Seconde Guerre mondiale, une deuxième émigration fut nécessaire, cette fois-ci en Amérique du Sud. Pendant vingt ans, la communauté survécut dans les régions lointaines du Paraguay, le seul pays prêt à recevoir ce groupe multinational. En 1954, une nouvelle branche du mouvement fut fondée aux Etats-Unis.

En 1961, les communautés au Paraguay furent fermées et tous les membres partirent pour l’Europe et les Etats-Unis. Actuellement, il y a des dizaines de communautés aux Etats-Unis, en Europe et dans d’autres pays. Notre nombre est insignifiant, mais nous savons que notre tâche est d’une importance primordiale : suivre les enseignements de Jésus dans une société qui s’est tournée contre Lui.

La mission a toujours été un point essentiel de notre activité, non pas dans le sens d’essayer de « sauver les âmes », ou de gagner des membres pour notre mouvement, mais pour

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témoigner de la puissance du message de l’Evangile dont le but est une vie de paix, d’amour et d’unité.

Notre porte est ouverte à toute personne qui veut chercher la voie de Jésus avec nous. Bien qu’on puisse penser que nous vivons une utopie, ce n’est pas le cas. Nous ne sommes pas des saints et nous avons les mêmes problèmes que tout le monde. Ce que nous avons que le monde n’a pas, c’est un engagement pour la vie et la promesse de lutter pour l’âme de chaque frère et sœur et de nous sacrifier jusqu’à la mort si nécessaire.

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