La politique internationale du marxisme

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Jean Longuet - La politique internationale du marxisme (1918)

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Page 1: La politique internationale du marxisme

Librairie F. ALCAN, 108, Boul. St-Germain, PARIS

Majoration temporaire

1O % du prix marqué

(Décision du Syndicat des Éditeurs du 27 Juin 1917)

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Page 2: La politique internationale du marxisme

DU MÊME AUTEUR

A LA LIBRAIRIE F. ALCAN

Le Sultan et les Grandes Puissances (traduction de l'Anglais de

Malcolm MAC COLL). Paris, 1900.

A LA LIBRAIRIE JUVEN

Terroristes et policiers (étude historique sur l'affaire Azeff), en

collaboration avec G. SILBER. Paris, 1908.

A LA LIBRAIRIE QUILLET '(

Le Mouvement Socialiste International (Tome VIII de l'Encyclopé-

die Socialiste). Paris, 1913.

A LA LIBRAIRIE DU PARTI SOCIALISTE

Les Socialistes Allemands contre la guerre et le militarisme.

Paris, 1913.

A LA LIBRAIRIE DE LA « RAISON »

L'Evolution du Mouvement Socialiste en France. Paris, 1906

(épuisé).

A LA L'ÉTRANGER

Le Socialisme au Japon. Pétersbourg, 1907 (épuisé).

L'Affaire Azeff, traduction suédoise de H. BRANTING. Stockholm.

1908.

Socialisme et Religion, J. JOHNSON. Londres. 1916.

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Page 3: La politique internationale du marxisme

JEAN LONGUET

DépuUfde la Seine

LA

POLITIQUE INTERNATIONALE

DU MARXISME

KARL MARX ET LA FRANCE

Le pangermanisme est aussi réactionnaire

et aussi puéril que. le panslavisme,

KARL MARX et F. ENGELS

PARIS

LIBRAIRIE FÉLIX ALGAN

•108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108

1918

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation

réservés pour tous pays.

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AVANT-PROPOS

Depuis plus d'un demi-siècle, les écrivains anti-socialistes

de toutes nuances ont multiplié leurs attaques contre la

doctrine et la méthode .de Karl Marx. « Ils se sont telle-

ment acharnés depuis 40 ans contre le granit de sa pensée,

écrivait il y a quelques années Paul Louis, qu'ils s'imagi-

nent l'avoir pulvérisé et anéanti. Mais ce sont précisément

les violences des réfutations et la répétition continue des

attaques, qui attestaient la force du système marxiste ». En

vain les économistes vulgaires proclamaient périodique-

ment sa faillite, tandis que journalistes et politiciens des

classes possédantes exaltaient le « revisionnisme» d'Outre-

Rhin, annonçant chaque jour l'abandon de ces « dogmes

usés » par le Socialisme international en général, par la

Social-Démocratie allemande en particulier, — sous l'in-

fluence des Bernstein, des David, des Heine, des Legien,

des Sudekûm — de tous ceux — à la seule et noble excep-

tion d'Edouard Bernstein — qui allaient devenir les paran-

gons du néo-socialisme impérialiste et sur lesquels, à cette

époque, nos publicistes conservateurs ne tarissaient pas

d'éloges.

Le marxisme demeurait le fondement solide de l'action

prolétarienne dans les Deux-Mondes. Le socialisme inter-

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2 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

national moderne voyait en lui non le dogme rigide d'une

secte, mais « la méthode féconde de recherche et d'inves-

tigation », dont parla un jour Kautsky. Sur cette base théo-

rique s'était élevée la plus vaste association que le monde

ait connue depuis le Christianisme, groupant, encadrant à

travers l'univers des millions de prolétaires organisés poli-

tiquement et économiquement, comme classe.

Cette doctrine, elle n'élait pas plus allemande que fran-

çaise ou anglaise — d'autant plus qu'en l'incorporant à

son action quotidienne, la Démocratie Socialiste Interna-

tionale l'avait complétée et sur certains points dépassée,

grâce à la riche expérience de ses organisations politiques

et économiques, aux enseignements qu'elles avaient tirés

de l'action et de la pratique de la démocratie industrielle

d'Angleterre et de France pendant un demi-siècle, de l'ex-

périence du trade-unionisme anglais et américain, du syn-

dicalisme français et allemand, de la coopération belge,

anglaise ou Scandinave, des mouvements agraires d'Italie

et des Etats-Unis, de la vie parlementaire et municipale en

Angleterre, en France, en Suisse, en Allemagne, en Italie,

des leçons d'idéalisme révolutionnaire dont elle était rede-

vable au prolétariat de Hussie.

A la .faveur de l'effroyable tempête qui depuis quatre ans

s'est déchaînée sur le monde, un certain nombre de polé-

mistes se sont efforcés, dans les pays de l'Entente, d'attein-

dre et de diminuer cette philosophie prolétarienne, cette

doctrine et cette méthode d'action « éprouvées et glorieuses »

du Socialisme, en les dénonçant aux masses, livrées à

toutes les passions chauvines de l'heure, comme spécifi-

quement « allemandes », voire « pangermanistes ». Ainsi

au moment même où ils avaient le plus à la bouche les

mots d" « union sacrée », il s'agissait pour ses adversaires

de disqualifier et si possible de détruire la doctrine d'un

des grands partis de la nation. En France, cela parut d'au-

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AVANT-PROPOS

tant plus facile à réaliser que les socialistes, absorbés par

la défense nationale, songeaient très'peu aux controverses

doctrinales, négligeaient les recherches historiques, et par-

fois même semblaient oublier jusqu'au maintien des prin-

cipes qui sont leur raison d'être.

Pour étayer cette campagne, de perfides adversaires

décidèrent de s'appuyer sur une vieille thèse anarchiste

bien oubliée et qui, pendant des années, avait servi de base

à l'action de Bakounine, dans la première Internationale.

Dans la lutte qu'il avait dû soutenir contre la bohème révo-

lutionnariste, eônfusionnisleet désorganisatrice du théori-

cien de la « pandestruction », Marx avait été maintes fois

accusé par lui — faute de meilleur argument — de vouloir

faire triompher dans l'Internationale des influences et une

méthode « allemandes ».

La classe ouvrière européenne n'ayait fait qu'an cas

bien médiocre de ce grief puéril. Contre l'anarchisme de

Bakounine, aussi bien que contre le mutuellisme de

Proudhon ou le communisme utopique des premiers grands

socialistes français ou anglais, elle s'était ralliée à la con-

ception d'un mouvement de classe réaliste, unitaire et dis-

cipliné, dont Karl Marx lui avait donné la ligne direc-

trice. Au lendemain de la guerrede 1870-71, tes accusations

de « pangermanisme », n'avaient pas troublé un «eut ins-

tant la grande majorité des socialistes français et, au Con-

grès de La Haye ea 187.2, tous les réfugiés de la Commune,

Edouard Vaillant, Landrin et leurs amis blanquistes aussi

'bien que Dereure, Charles Longuet, Paul Lafargue,

embrassaient résolument le parti de Marx contre Bakou-

niae (l).

(1) Le môme argument fut maintes fois employé depuis 30 ans

dans les polémiques des partis conservateurs contre le socialisme

en France et en particulier contre le Parti ouvrier de Jules Guesde

et Paul Lafargue, considéré comme plus particulièrement « mar-

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4 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Ce sont cependant les mêmes imputations qu'on devait

reprendre à 43 ans de'distance. Pour étayer leur agression

contre Marx a l'heure où ils étaient le plus certains de ren-

contrer l'appui enthousiaste d'une grande partie de la

presse et surtout des organes les plus violemment réaction-

naires, des polémistes ont estimé que des textes habilement

découpés et commentés de la « Correspondance de Marx

et Engels » publiée en 1913 par Bebel et Bernstein, pro-

duiraient un effet décisif. .

Il s'agissait des lettres, familières échangées entre- les

deux grands socialistes allemands et plus particulièrement

de celles qui le furent au début de la guerre de 1870, de

juillet à septembre, lettres qui sont encore tout à fait

inconnues en France.

Nous examinerons dans quelles conditions ces lettres

ont été écrites et à quelle période bien définie de la

guerre de 1870 elles correspondent. Nous constaterons

d'autre part, combien il est essentiel pour émettre un juge-

ment sérieux, de compléter et de corriger la lecture de ces

lettres par d'autres documents de la même époque, notam-

ment par les Manifestes de l'Internationale et par les lettres

de Marx écrites non plus dans la t période bonapartiste» de

la guerre, mais dans la véritable période de la Défense

Nationale — de la proclamation de la République jusqu'en

février 1871.

Mais même en s'en tenant aux seules lettres publiées sur

la guerre, dans le volume édité par Bebel et Bernstein,

allant du 20 juillet au 16 septembre 1870, il n'est pas pos-

sible lorsqu'on a sous les yeux non des passages tronqués,

mais les textes in-extcnso, de ne pas reconnaître qu'on n'y

xiste ». Mais il n'y avait eu là qu'un procès général de tendance,

sans qu'on accusai Marx personnellement d'avoir été « pangerma-

niste «!

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trouve nulle part la manifestation d'un sentiment chau-

vin allemand, ni le moindre « pangermanisme ». La préoc-

cupation que ces lettres accusent, comme d'ailleurs tous-

lés écrits de Marx et d'Engels, c'est une préoccupation

exclusivement communiste et révolutionnaire, un « panso-

cialisme » ardent, un souci passionné et pour ainsi dire

unique de l'avenir du mouvement prolétarien dans le-

monde, avec ce dévouement exclusif pour le Socialisme qui

domine la vie de Marx et auquel son vieil adversaire

Bakounine a rendu lui-même un éclatant hommage (1).

Mais en même temps le souci de la liberté et de l'indé-

pendance des peuples, de la France en particulier, s'y

manifeste avec une force incontestable pour tout lecteur-

dé bonne foi. 11 éclate dans la violente hostilité qu'il mani-

feste contre tous les projets de conquête de l'Alsace-Lor-

raine, conçus et réalisés par l'homme que Marx a com-

battu toute sa vie, avec lequel jamais il ne voulut transiger

— le « Chancelier de fer », M. de Bismarck. A la lumière

des faits et des documents, tous les esprits impartiaux,

qu'ils aient ou nan des sympathies pour le socialisme,

estimeront avec M. Victor Basch que « les accusations

lancées par tel survivant des vieilles querelles de l'Inter-

nationale (2i et par tel renégat arriviste, accusations évi-

(1) lin 1869, l'illustre écrivain révolutionnaire russe Herzen avait

reçu une lettre de Bakounine où celui-ci appelait Marx un « géant ».

Etant donné la tension de leurs rapports, Herzen s'en étonna et

alors Bakounine lui répondit : « Pourquoi je l'ai appelé un géant f

Parce qu'en équité, il est impossible de nier sa grandeur. Je ne

puis pas nier les services immenses qu'il a rendus au Socialisme,

qu'il a servi sagement, énergiquernent et localement depuis 25 ans

que je le connais, ni sa supériorité sur nous tous, à cet égard. Il cr

été l'un des fondateurs de l'Internationale. C'est là, à mon avis,

un mérite éminent, que toujours je reconnaîtrai, quelle que soit

son altitude à notre égard ». Publié dans la revue russe le Mir

Boje, janvier 1907.

'2, Allusion à M. James Guillaume, disciple et compagnon de-

luttes de Bakounine, auteur en 1915 d'un violunt pamphlet, Kart

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I» LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

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demment accueillies par les ennemis du socialisme, cons-

titueront une des plus audacieuses falsification» de doctrine et

de textes dont l'histoire nous offre un exemple » (1).

Il nous suffira donc contre de semblables procédés de

polémiques, de répondre en mettant sous les yeux du

public qui ne les connaît pas les pièces du procès, tous les

documents que nous possédons — sans coupures tendan-

cieuses, ni interpolations, sans interprétations menson-

gères ou abusives.

,Nous examinons tout d'abord et d'une manière généraie

l'attitude et les sentiments de Marx à l'égard du prolétariat

et du socialisme français, l'influence qu'ils eurent l'un et

l'autre sur la formation de sa pensée. Nous étudierons

ensuite quelle fut son attitude en face de tous les grands

Marx pangermanisle, qui amorça toute la campagne. A la différence

du fondateur de l'Internationale, dont tonte la vie n'a été qu'un

âpre combat — combat contre la société capitaliste, combat contre

la maladie et la misère — M. James Guillaume, après quelques

courtes années d'action militante, ne connut pendant 40 ans que

l'existence banale d'un petit bourgeois suisse bien tranquille, pen-

sionné par DOS gouvernants pour des travaux historiques d'ailleurs

estimables, — car chaque fois qu'il ne parlait pas de l'histoire du

mouvement ouvrier moderne, il était généralement capable d'objec-

tivité scientifique. Mais l'épisode de sa lutte contre Marx remplissait

son esprit. Une anecdote montrera à quel point cela est vrai. Au

moment du procès des militants syndicalistes du bâtiment, traduits

en janvier 1912 devant le Tribunal correctionnel de la Seine,

Edouard Vaillant, venu pour témoigner en faveur des travailleurs

poursuivis, se trouva dans un couloir du Palais rie Justice, en face

de James Guillaume. Depuis de longues années ils ne s'étaient p»s

rencontrés et on était bien loin des querelles entre hakouninistes

et marxistes en 1872... Néanmoins, James Guillaume s'approchant

de l'ancien membre de la Commune, ne trouva pas autre chose à

lui dire qnc ceci : « Pourquoi donc, citoyen Vaillant, m'avez-vous

exclu de l'Internationale au Congre» de La Hai/e? » L'histoire ne

remontait qu'à 39 ou 40 années! Edouard Vaillant qui sur le

moment me conta l'anecdote en était littéralement stupéfait; elle

dépeint admirablement une mentalité.

(1) La Victoire du 2 mai 1916.

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AVAMT-PROT-O» 7

problèmes de la politique internationale de «on temps* —

telle que cette attitude apparaît à la fois dans ses actes

publics, dans ses livres et ses articles, dans les Manifestes

de l'Internationale rédigés par lui, comme dans sa corres-

pondance avec Engels ou encore avec Kugelmann, '\

Cette étude historique a on intérêt d'actualité d'autant

plus grand que presque tous les grands problèmes de

la politique étrangère de 184S à 1880 se posent à non-

veau aujourd'hui. Nous verrons enfin quelle fut, devant

les événements tragiques de 1&70-7J, l'action réelle du

fondateur de 1' « Association Internationale des Travail-

leurs », son attitude à l'égard de la nation française toute

entière, luttant héroïquement pour son indépendance et

pour l'intégrité du territoire national, aussi bien que les

principes qui l'inspirèrent comme « leader » de l'Interna-

tionale.

Cette mise au point, rigoureusement objective, est d'au-

tant plus nécessaire que la plus extraordinaire légende ris-

querait de se créer pour les besoins d'une certaine propa-

gande. C'est ainsi qa'o-n; pouvait lire dans de récentes

gloses sur Jeanne d'Arc, dues à la plume du brillant, mats

très réactionnaire écrivain qa'est mon collègue M. Maurice

Barrés, »n étrange et paradoxal développement sur « les

peuplades germaniques, brutales, pédante» et disciplinées

par des soldais et ées professeurs qui leur sonnent le ral-

liement autour des autels de Thor, dans les forêts d'Armi-

nius, po»F les mener à lia conquête du momte par une

route encore courte et déjà semée de monuments colos-

saux, d'ordre artistique, philosophique', mftil&ire, éeono^

mrque, les deux Faust, Fflégéiianisme, le Marxisme^ le

Wagnérisme, les doctrines de son grand Etat-Major et de-

Nietzsche » (1).

(I) Que nous voilà loin des œuvres premières de M. Barrés» de

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Et plus récemment encore dans ses Diverses Familles

spirituelles de ta France, où il a d'ailleurs consacré de

belles pages aux socialistes morts au combat, le même

écrivain déclare: t Marx recueille cette doctrine (celle de

Metternich (!) sur le culte de la force). Il affirme la même

vérité générale : il n'y a pas de justice » (1). Et deux pages

plus loin il écrit encore: « Ce que Karl Marx rêvait, à

. savoir l'organisation du travail par le pangermanisme ».

L'enseignement de Marx, rapproché de celui de Bern-

hardi ou de Metternich, la doctrine fondamentale du

socialisme moderne qui groupe à travers le monde dix

millions de prolétaires, assimilée à une manifestation

d'hégémonie de l'impérialisme allemand, voilà un des

paradoxes les plus monstrueux dont la guerre ait favorisé

l'éclosion chez des adversaires passionnés de la démocratie

et du socialisme. On voudrait le faire accepter d'un public

inaverti dont on exploite uniquement les passions et la

sensibilité du moment. C'est ce que nous ne permettrons

pas.

A cette caricature de Marx et du Marxisme, nous oppo-

serons, l'histoire en main,legrand philosophe socialiste tel

qu'il fut réellement, sa doctrine et sa pratique constante

en face des problèmes de la politique internationale.

Le 1er mai 1917, notre ami Emile Vandervelde, qui en

même temps que président du Bureau Socialiste Internatio-

nal — et peut-être plus que président de l'Internationale —

est apparu depuis trois ans à maintes reprises comme l'in-

la Claire l'ichon-Picard de l'Ennemi des lois, ramenant toujours

tout aux théories de Lassalle et de Karl Marx, et d'André Malterfe,

ce héros favori du Barrès de 1892, qui n'avait pas voulu « s'enfer-

mer comme dans une coterie dans sa race », préoccupé de « rompre

l'orgueil national » pour atteindre l'humain et l'universel et qui

était (1er de se proclamer gœthien!

(1) Maurice Barrés, Les diverses familles spirituelles dela France,

p. 200.

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AVANT-PROPOS 9

carnation la plus éloquente de la Belgique meurtrie et de

sa revendication nationale, — conduisait au cimetière de

Highgate, à Londres, une délégation de prolétaires belges.

Et là, sur la tombe de Karl-Marx, ils déposèrent des fleurs

qui symbolisaient l'hommage rendu par la Belgique socia-

liste au giand lutteun de l'Internationale en même temps

qu'au défenseur de tous les petits peuples foulés aux pieds.

Et Vandervelde disait:

« A l'heure où tant de consciences inquiètes se cher-

chent elles-mêmes, il nous a plu d'honorer en Karl Marx

notre Ma-ître, le penseur, l'homme d'action, le « citoyen du

monde», qui plus que tout autre socialiste du xixe siècle

fut l'incarnation même de deux principes : le Droit des

Peuples à disposer d'eux-mêmes et le Devoir des prolé-

taires de concerter, d'organiser leur effort •international.

« Que de fois cependant depuis le début de celle guerre,

n'avons nous pas rencontré cette affirmation imbécile que

Marx et le Marxisme devaient être tenus pour responsables

des défaillances et des déviations de la Socialdémocratie

allemande!

« Or s'il est un groupe en Allemagne et dans le reste de

l'Europe, qui ait su conserver au milieu de la tourmente

l'autonomie de sa pensée, l'unité internationale de son

action, la fermeté de sa doctrine, inflexiblement hostile à

toute guerre de magnificence, de domination ou de con-

quête, c'est précisément le groupe des disciples les plus

directs de Marx, des représentants les plus qualifiés du

marxisme ».

Et il ne pouvait en être autrement, car tout l'enseigne-

ment du fondateur du socialisme moderne commandait

cette attituile à ceux qui se proclament ses disciples.

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Page 15: La politique internationale du marxisme

CHAPITRE PREMIER

KAIIL M<ARX ET LES PREMIERS SOCIALISTES FRANÇAIS

La culture intellectuelle, toute la formation des idées de

Karl Marx, ont été dès l'abord profondément pénétrées

d'influence française. On peut dire de ce puissant esprit,

essentiellement européen, que dans la maturité de son

génie les influences prédominantes chez lui furent surtout

celles du milieu anglais — où il passa les trente dernières

années de sa vie, — celles de son adolescence et de sa jeu-

nesse ayant été presque dans une proportion égale françai-

ses et allemandes.

Il naquit le 5 mai 1818 à Trêves, sur cette partie de la

province rhénane, qui avait été comprise dans le terri-

toire de la République, puis de l'Empire français jusqu'en

Î814. Il y naquit quatre ans après. La Révolution française

y avait laissé des traces indélébiles. C'était, selon l'expres-

sion de W. Sombart, « une ville plus qu'à moitié fran-

çaise » (l).

Karl Marx était originaire d'une famille juive, très ins-

truite, dont la branche maternelle, les Presbourg, Israélites

hongrois émigrés en Hollande, avait donné de nombreu-

ses générations de savants talmudistes. Le père de Marx

s'était converti au, christianisme et cet acte, que Wilhelm

Liebknecht a cru devoir expliquer par les mesures de

(1) \V. Sombart, Le Socialisme et le Mouvement Social au XIX'

siècle, p. 85.

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Page 16: La politique internationale du marxisme

d2 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MAKXISME

persécutions dont les juifs étaient victimes, paraît, bien au

contraire, avoir été, chez ce voltairien pénétré tout entier

de la pensée des philosophes français du xvme siècle, une

manifestation de sa volonté « de s'élever à la culture euro-

péenne et surtout française », comme disait Henri Heine,

en même temps que de son désir de s'affranchir du clérica-

lisme juif.

Trêves avait été jusqu'en 1814, le chef-lieu du départe-

ment français de la Sarre. On y parlait partout notre

langue et, dans la famille de Marx, elle était presque

aussi couramment employée que l'allemand. Etç ainsi que

l'observe encore Sombart, « ce qui frappe, c'est le cachet

international de cette famille ». Après de fortes études de

droit et de philosophie aux Universités de Bonn et de Ber-

lin, Marx passait son doclorat à. l'Université d'iéna avec

une thèse sur Démocriteet E/iicure, dans laquelle, en appro-

fondissant le point de vue delà gauche hégélienne, il avait

rejoint chez les grands philosophes grecs le matérialisme

français du xvme siècle. Le flot réactionnaire qui passe alors

sur les Universités prussiennes l'oblige à renoncer à la car-

rière universitaire et bientôt il entre dans l'action, comme

journaliste. Dès 1842, les jeunes radicaux des provinces

du Rhin, confient la rédaction en chef de leur organe, la

GazeMe Rhénane, au représentant de l'extrême-gauche hégé-

lienne : il a vingt-quatre ans. Dans la courte période où il

la dirigea, nous y relevons plusieurs articles pleins d'éloges

de Saint-Simon et Fourier. Bientôt les autorités-prussien-

nes suppriment l'audacieuse feuille et Marx vient à Paris-

Ainsi que Charles Andler l'a montré dans son savant

commentaire du Manifeste Communiste et de ses origines,

l'influence révolutionnaire française avait été profonde

sur les premières sociétés de communistes allemands, la

Fédération des Bannis, de Jacob Venedey et Théodore Schus-

ter qui agit, de 1834 à 1836, d'accord avec la Société des

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KARL MAHX ET LES PRKM1EHS SOCIALISTES FRANÇAIS 13

Droits de l'Homme, et la Fédération des Justes du tailleur

Wilhelm Weitling en rapports étroits avec la Société' des

Saisons de Barbes et Blanqui, de 1836 à 1839 et qui, pro-

fondément influencée par Cnbetet Fourier, en même temps

que par Buonarotti, rejoint Babeuf. De telle sorte que

Charles Andler a pu dire que « la démocratie socialiste

française fut l'institutrice du prolétariat allemand ».

C'est en 1843 que Karl. Marx vient à Paris. Il y fait

partie de ce groupe d'écrivains réuni autour d'Arnold

linge, qui publie les Annales Franco-Allemandes et dont la

préoccupation essentielle est de « sceller l'alliance intellec-

tuelle de la France et de l'Allemagne » (1). « Marx et

Engels — ils se rencontrèrent pour la première fois à Paris

en 1844 — estimaient, écrit encore Andler, que l'Allemagne

représentait la pensée émancipatrice du monde, tandis que

la France, vouée aux révolutions et aux guerres, en repré-

sentait l'affranchissement pratique. Ils crurent nécessaire

d'unir la pensée et l'acte, d'éclairer l'activité française par

la critique allemande, de rendre efficace la pensée germanique

par l'apprentissage de l'énergie prolétarienne française » (2).

Dès 1843 Marx déclare dans les Anna/es que, « c'est au

chant du coq gaulois que se produira la révolution allé—

mande ».

Marx, qui était depuis peu marié et avait amené sa jeune

et belle femme, Jenny Von Wesphalen, avec lui il Paris,

vivait alors en intimes relations avec Heine, Proudhon,

Cabet et Bakounine, ce dernier venu lui aussi depuis peu

se réfugier de Russie à Paris. Avec Proudhon, en par-

ticulier, les relations de Marx furent alors étroites et il a

rappelé « leurs longues discussions souvent prolongées

(1) Charles Andler. Le Manifeste Communiste, introduction his-

torique et commentaire, p. 177.

(2) Idem, p. 178.'

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14 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

toute la nuit » (1). Peu de temps avant la publication de

sa célèbre Philosophie de la Misère, Proudhon l'annonçait

à Marx, dans une lettre très détaillée où entre autres

choses, se trouvaient ces paroles; « J'attends votre férule

critique ». Mais celle-ci s'abattit sur les doigts de Pierre-

Joseph dans la terrible Misère de la Philosophie avec tant de

rigueur, que, ainsi que l'écrit Marx, non sans quelque

mélancolie, semble-t-il, « elle brisa à tout jamais notre

amitié ».

Dans toute cette période de sa jeunesse, les grands

utopistes français, Saint-Simon et Fourier, exercent la

plus grande influence sur la formation intellectuelle de

Marx, qui évolue de plus en plus nettement du radicalisme

d'avant-garde au socialisme communiste, il rend avec

éclat hommage à ces grands précurseurs français de sa

doctrine. De même, malgré l'impitoyable critique qu'il

fait de sa conception petite bourgeoise, il sait reconnaître

les, mérités de Proudhon. Vingt années plus tard, il

écrira à ce sujet: « Dans son livre Qu'est-ce que la Pro-

priété? Proudhon est à Saint-Simon et à Fourier, à peu

près ce que Feuerbach est à Hegel. Comparé à Hegel, Feuer-

bach est bien pauvre. Pourtant après Hegel, il fit époque,

parce qu'il accentuait des points désagréables pour la con-

science chrétienne et importants pour le progrès de la

critique philosophique, mais laissés par Hegel dans un clair-

obscur mystique ». Et il loue fort en Proudhon sa virtuo-

sité à se moquer « du plat sens commun bourgeois, sa

critique corrosive, son amère ironie, avec ça et là un sen-

timent de révolte profond et vrai contre les infamies de

l'ordre des choses établi, son esprit révolutionnaire » (2).

(1) Misère de la Philosophie par Karl Marx, appendice, p. 257.

Il est à noter que Marx, selon l'usage de nombreux Allemands du

xvill' siècle, a écrit ce livre en français. C'est d'un « pangerma-

niste » un peu spécial!

(2) Idem, p. 254.

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KARL MARK ET LES PREMIERS SOCIALISTES FRANÇAIS 15 .

T7T

Entre temps, les Annales avaient cessé de paraître et les

réfugiés allemands de Paris publiaient un périodique d'une

couleur plus accentuée, le Vorwdrts, sous la direction

de Marx avec la collaboration de Henri Heine, de Bakou-

nine, d'Arnold Ruge, de Herwegh et où le gouvernement

prussien était l'objet des plus violentes attaques. Le cabinet

de Berlin, par l'intermédiaire de son ambassadeur, l'illustre

géographe Alexandre de Humboldt, adressait là-dessus,

de véhémentes protestations au gouvernement français.

Cédant à ces instances en janvier 1845, Guizot supprimait

le journal et expulsait Marx de France.

Il gagna Bruxelles où il devait demeurer trois ans. C'est

là qu'en collaboration avec Engels, il va rédiger l'immor-

tel Manifeste du Parti Communiste, dont un critique peu sus-

pect de bienveillance pour le socialisme allemand a pu

écrire que « fidèle au matérialisme économique, où se résume In

philosophie prolétarienne », il « fonda la méthode révolution-

naire éternelle » (1).

Rarement synthèse fut plus dégagée de tout préjugé ou

de toute préférence nationale, plus hautement internatio-

naliste. On se rappelle le fameux passage, si souvent cité

— et d'ailleurs si mal interprété — sur le patriotisme:

« On accuse les communistes de vouloir abolir la patrie, la

nationalité. Les ouvriers n'ont pas de patrie, on ne peut leur

ravir ce qu'ils n'ont pas ».

Pour saisir la pensée de Marx et ne pas l'interpréter

comme l'expression d'un antipatriotisme idéologique et

abstrait, à la première manière de Gustave Hervé, dont son

réalisme puissant n'aurait jamais pu s'accommoder, il faut

nécessairement compléter ces phrases par celles (jui sui-

vent : « Comme le prolétariat de chaque pays doit en pre-

mier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe

(1) Manifeste Communiste, par Ch. Andler, p. 209.

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maîtresse de la nation, il est par là national, quoique nul-

lement dans le sens bourgeois ». Etquelques lignes plus bas:

« Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme etvous.

abolissez l'exploitation d'une nation par une autre nation ».

Du pointde vue qui nous intéresse plus particulièrement,

le Manifeste contient un passage caractéristique sur « Le

Socialisme allemand ou le Vrai Socialisme ». Alors que

Marx et Engels parlent avec tant de respect des grands

utopistes français et anglais, Saint-Simon, Fourier etOwen,

ils n'ont pas de sarcasmes assez-âpres ni assez d'invecti-

ves contre cette « sale littérature » qu'est à leurs yeux ce

« Socialisme allemand » de Karl Grun et Cie, qui « proclame

la nation allemande la nation normale et le philistin allemand

l'homme normal », et qui « à toutes ces infamies de cet homme

normal donne un sens occulte, un sens supérieur et socialiste qui

les faisait tout le contraire de ce qu'elles étaient ».

En revanche le Manifeste Communiste est profondément

influencé par tous les écrivains et penseurs socialistes fran-

çais de la première moitié du xixe siècle comme par les

grands philosophes du xvme siècle. Son inspiration, de

l'avis de réminent historien marxiste Franz Mehring, « on

ne peut la trouver que dans les matérialistes français du

xvme siècle, comme d'Holbach et Helvetius, dans les his-

toriens de la Révolution et du Tiers-Etat comme Michelet

i et Augustin Thierry, dans les grands utopistes comme

Saint-Simon et Fourier » (1). Et Mehring ajoute : « Marx

tient des premiers l'application du matérialisme à la

révolution socialiste ; des autres l'importance de la lutte de

classe comme moteur du progrès historique ; des derniers,

la critique de la société bourgeoise ».

C'est dire jusqu'à quelles profondeurs, le socialisme

(1) Le Manifeste Communiste, par Mehring, dans le Mouvement

socialiste du 8 février 1902.

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KARL MAUX ET I.ICS PREMIERS SOCIALISTES FRANÇAIS

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marxiste plonge ses racines les plus puissantes dans le

premier mouvement socialiste français : il en est en réalité

l'héritier — direct, — mais un héritier qui ne s'est pas

contenté de vivre oisif sur l'héritage « que lui ont laissé

ses parents », et qui, à force de « retourner le champ »,

selon les méthodes même de la science moderne, en a mer-

veilleusement accru la valeur et la fertilité.

JEAN LONGUET

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CHAPITRE II

LA RÉVOLUTION DE 1848 J LE PRINCIPE DES NATIONALITÉS;

L'UNITÉ ALLEMANDE; LA POLOGNE ET LE PANSLAVISME

Cependant on voyait se manifester dans toute l'Europe

les prodromes de la révolution de 1848. Bien à l'avance,

Marx en avait eu la très nette perception.

Le 12 octobre 1847, nous trouvons de lui dans l'organe

des réfugiés allemands à Bruxelles, cette phrase savou-

reuse : « Le peuple, enfant robuste, mais malicieux, ne

laisse ni les rois maigres ni les rois gras se moquer de

lui » (1). Le 24 février 1848, le mouvement éclatait à Paris

et se répandait bientôt hors de nos frontières.

La révolution rouvrit les portes de la France à Karl

Marx. Au lendemain même de la victoire du peuple pari-

sien, c'était l'un des membres du gouvernement provisoire,

son vieil ami de la Réforme, Flcfcon, qui « invitait le brave

et loyal Marx » à revenir dans un pays « d'où la tyrannie

l'avait banni et où il recevrait l'accueil fraternel réservé à tous

ceux qui luttaient pour la cause sainte de la fraternité de tous

les peuples » (2).

Marx allait partir de Bruxelles au moment où le gouver-

nement belge lui envoya ses policiers, qui le mirent en

état d'arrestation. Dans une véhémente lettre adressée à la

(1) Deutsche Brusseler Zeilung, 12 octobre 1847.

(2) John Spargo, Karl Marx, his life and work, New York,

Huebsch, p. 106.

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Page 23: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 1848 <9

Réforme, qui l'inséra dans son numéro du 8 mars 1848,

il dénonçait l'entente dés bourgeois « libéraux » censitaires

de Belgique avec la réaction internationale et les procédés

brutaux dont il avait été victime:

/

Monsieur le Rédacteur,

En ce moment, le gouvernement belge se range tout â fait

du côté de la politique de la Sainte-Alliance. Sa fureur réac-

tionnaire tombe sur les démocrates allemands avec une brutalité

inouïe. Si nous n'avions pas le cœur trop navré des persécu-

tions dont nous avons été spécialement l'objet, nous ririons

franchement du ridicule que se donne le ministère RogierT en

accusant quelques Allemands de vouloir imposer la république

aux Belges, malgré les Belges. Mais c'est que, dans le cas spé-

cial auquel nous faisons allusion, l'odieux l'emporte sur Iç

ridicule.

D'abord, Monsieur, il est bon de savoir que presque tous les

journaux de Bruxelles sont rédigés par des Français qui se sont

pour la plupart sauvés de la France pour échapper aux peines

infamantes dont ils étaient menacés dans leur patrie. Ces Fran-

çais ont le plus grand intérêt à défendre dans ce moment l'in-

dépendance belge, qu'ils avaient tous tidhie en 1833. Le roi,

le ministère et leurs partisans se sont servis de ces feuilles

pour accréditer l'opinion qu'une révolution belge dans le sens

républicain ne serait que la contre-façon d'une Francequillon-

nerie (1) et que toute l'agitation démocratique qui se fait dans

ce moment sentir en Belgique avait été seulement provoquée

par des Allemands exaltés.

Les Allemands ne nient nullement qu'ils se sont franchement

associés aux démocrates belges et ils l'ont fait sans exaltation

aucune. Aux yeux du procureur du roi, c'était exciter les

ouvriers contre les bourgeois, c'était rendre suspect aux Belges

(l) Francequillon ou Fransquillon, terme que les Belges flamin-

gants emploient dans un sens quelque peu péjoratif pour désigner

les Français.

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Page 24: La politique internationale du marxisme

20 LA POLITIQUE INTEKNATIONALE DÛ MAHXISME

un roi allemand qu'ils aiment tant, c'était ouvrir les portes

de la Belgique à une invasion française.

Après avoir reçu, le 3 mars, a cinq heures du soir, l'ordre

de quitter le royaume belge dans le délai de vingt-quatre heu-

res, j'étais occupé encore, dans la nuit du même jour, a faire

mes préparatifs de voyage, lorsqu'un commissaire de police,

accompagné de dix gardes municipaux, pénétra dans mon

domicile, fouilla toute la maison, et finit par m'arrêter, sous

prétexte que je n'avais pas de papiers. Sans parler des papiers

très réguliers que M. Duchûtel m'avait remis en m'expulsant

delà France, je tenais en main le passeport d'expulsion que la

Belgique m'avait délivré il y avait quelques heures seulement.

Je ne vous aurais pas parlé. Monsieur, de mon arrestation et

des brutalités que j'ai souffertes, s'il ne s'y rattachait une cir-

constance qu'on aura peine à comprendre, même en Autriche.

Immédiatement après mon arrestation, ma femme se fait

conduire chez M. Jot.trand, président de l'Association démo-

cratique de Belgique, pour l'engager à prendre les mesures

nécessaires. En rentrant chez elle, elle trouve a la porte un

sergent de ville, qui lui dit, avec une politesse exquise, que si

elle voulait parler h. M. Marx, elle n'aurait qu'à le suivre. Ma

femme accepte l'offre avec empressement. On la conduit au

bureau de police, et le commissaire lui déclare d'abord que

M. Marx n'y était pas"; puis il lui demande brutalement qui

•elle était, ce qu'elle allait faire chez-M. Jottrand et si elle avait

ses papiers sur elle. Un démocrate belge, M. Gigot, qui avait

•suivi ma femme au bureau de la police avec le garde municipal,

•se révoltant des questions à la fois absurdes et insolentes de ce

commissaire, est réduit au silence par des gardes qui s'empa-

rent de lui et le jettent en prison. Sous le prétexte de vagabon-

dage, ma femme est amenée à la prison de l'Hôtel de Ville et

enfermée avec des femmes perdues, dans une salle obscure. A

onze heures du matin, elle est conduite en plein jour, sous

toute une escorte de gendarmerie, au cabinet du juge d'ins-

-truction. Pendant deux heures, elle est mise au secret, malgré

les plus vives réclamations qui arrivent de toutes parts. Elle

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Page 25: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 1848 2l

reste là exposée à loute la rigueur de la saison et aux propos

les plus indignes des gendarmes.

Elle parait enfin devant le juge d'instruction, qui est tout

étonné que la police, dans sa sollicitude, n'ait pas arrêté éga-

lement les enfants en bas-âge. L'interrogatoire ne pouvait être

que factice, et tout le crime de ma femme consiste fin ce que,

bien qu'appartenant àj'aristocratie prussienne (1), elle partage

les sentiments démocratiques de son mari.

Je n'entre pas dans Ions les détails de cette révoltante

affaire. Je dirai seulement que, lorsque nous étions relâchés, les

vingt-quatre heures étaient justement expirées, et qu'il nous fal-

lait partir sans pouvoir seulement emporter les effets les plus

indispensables.

- Charles MARX,

Vice-président de l'Association démocratique de Bruxelles

Le « brave et loyal Marx » fut reçu chaleureusement à

Paris, lorsqu'il y rentra dans les premiers jours de mars

1848. Au même moment,, ses amis d'Angleterre, les géné-

reux Ghartistes étouffaient, dans l'œuf les projets d'interven-

tion contre-révolutionnaire des conserviileurs anglais, qui,

effrayés par les journées de février, songeaient à déclarer

la guerre à la France, pour rétablir sur leur trône les d'Or-

léans. D'immenses meetings avaient lieu à Londres et en

province, où les grands orateurs chartistes, Fergus O'Con-

nor et Ernest Jones étaient acclamés par des foules

enthousiastes aux. cris de « Vive la République! Vive la

France! » (2).

Cependant le peuple de Berlin se soulevait contre les

Hohenzollern et obligeait le vieux roi Frédéric-Guillaume

(1) Mme Marx était née Jenny Von WeMphalen, ainsi qut nous

l'avons indiqué plus haut, son père appartenant à la noblesse alle-

mande, sa mère à une illustre famille noble d'Ecosse apparentée aux

Campbell.

(2) Spargo, p. 137.

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~'i LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

à se découvrir devant les cadavres des insurgés tombés sur

les barricades. Simultanément Vienne, voyait sa révolution

un moment victorieuse des Habsbourg.

Victoires, hélas! éphémères. Après une année mouve-.

mentée, Ja contre-révolution, partout, releva la tête et

reprit l'offensive.

A Dresde, l'insurrection à laquelle Bakounine prenait

une part importante, fut rapidement écrasée, grâce au

concours que les troupes prussiennes apportèrent au roi

de Saxe, d'abord désemparé. Dans le sud de l'Allema-

gne, le mouvement révolutionnaire fut beaucoup plus

important, surtout dans le grand-duché d"e Bade. Les régi-

ments badois se soulevaient du 9 au 12 mai 1849, à Bade,

Rastadt et Loerrach, appuyés par le peuple de Carlsruhe

et deFribourg et le grand-duc devait s'enfuir à Francfort.

Un gouvernement républicain était constitué et faisait

alliance avec les radicaux du Palatinat bavarois et du Wurt-

temberg. Les troupes révolutionnaires où combattaient

Liebkriecht, Engels, Struve, étaient commandées par les

généraux polonais Mieroslawsky et Snayde — fait signifi-

catif et qui dit assez le caracV-ie largement européen de ce

mouvement, patriotique, internationaliste et démocrati-

que tout à la fois.

Malheureusement contre les redoutables troupes prus-

siennes, les milices de l'Allemagne du sud ne purent pas

tenir longtemps. Le jour même où se constituait le gouver-

nement provisoire de Carlsruhe sous la présidence de

Brentano —- le 14 juin 1848 — le général prussien Hirsch-

feld envahissait le grand-duché. Le 21, il battait les insur-

gés à Waghœusel, le 1er juillet il investissait Rastatt, puis

Carlsruhe, où le 18 août, il réinstallait dans sa capitale le

grand-duc. Une répression féroce suivait.

Après un court séjour à Paris, fidèle à son devoir de mili-

tant, Marx était rentré à Cologne pour prendre la direction

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Page 27: La politique internationale du marxisme

x LA RÉVOLUTION DE 1848 23

de la Nouvelle Gazelle Rhénane dont le programme était ainsi

résumé par Engels : Une république allemande une et indivisi-

ble, la guerre contre la Russie pour la reconstitution de la Pologne.

C'était évidemment les buts poursuivis par toute la

démocratie qui voulait ardemment réaliser son unité natio-

nale conformément au vœu profond et tenace de toute l'Al-

lemagne — mais qui la concevait sous une tout autre

forme que celle où elle devait être faite par les Hohenzol-

lern — sous la domination du militarisme et des hobereaux

prussiens.

- Le patriotisme démocratique dont est pénétrée la Nou-

vel/e Gazette Rhénane n'est à aucun degré du chauvi-

nisme. Et c'est avec tout le prolétariat et toute la démocratie

européenne qu'elle poursuit l'idée d'une croisade des peuples

de l'Occident contre le tsarisme qui alors se confond avec le

peuple russe tout entier. Qu'on se rappelle au même

moment les 200.000 ouvriers de Paris, défilant sur la place

de l'Hôtel de Ville aux cris de : « Vive la Pologne! » et qui

eux aussi réclament la déclaration de guerre immédiate à

la Russie.

Malgré les tristes souvenirs des guerres napoléoniennes

le patriotisme de Marx et de ses amis n'a aucune pointe

tournée contre la France, ni contre la liberté d'aucun

peuple. Il est capable de s'exprimer sur le compte des

Allemands eux-mêmes avec une liberté d'esprit et une

sévérité qui sont aux antipodes du chauvinisme. Il suffira

de citer à cet égard un article caractéristique que la

Nouvelle Gazette Rhénane publia le 17 juin 1848, un « édi-

torial » non signé, mais dû certainement à la plume de son

rédacteur en chef Karl Marx. Il est intitulé: Révolution

Nationaleet consacré plus particulièrement au soulèvement

des Tchèques contre l'Autriche.

Il n'a jamais à ce jour, à notre connaissance, été traduit

de l'allemand — et est regrettable.

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24 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

« En Bohême se prépare un nouveau massacre comme en

Pologne. La soldatesque autrichienne a étouffé dans le sang

des Tchèques la possibilité d'une existence paisible entre Alle-

mands et Bohémiens.

« Le prince Windischgràtz fait diriger des canons sur le

Wissherad et le Hradschin et sur Prague. On concentre les

troupes et on prépare un coup de main contre le congrès slave.

« Le peuple apprend ces préparatifs. Il se porte en foule

devant la maison du prince et demande des armes. On les lui

refuse. L'énervement augmente, la foule armée et non armée

grandit de plus en plus. Soudain, un coup de fusil part de

l'auberge située en face du palais du commandant et la prin-

cesse Windischgràtz tombe, mortellement blessée. Aussitôt,

on donne l'ordre d'attaquer, les grenadiers s'avancent et le

peuple est refoulé. Mais partout se lèvent des barricades qui

empêchent les troupes d'a*'ancer. On amène alors les canons

qui démolissent les barricades. Le sang coule à torrents. On

lutte toute la nuit du 12 au 13 et même encore dans la jour-

née du 13. Les soldats réussissent enfin à occuper les rues les

plus larges et à refouler le peuple dans les quartiers plus

étroits où l'on ne peut pas se servir de l'artillerie.

« Voilà ce que nous savons jusqu'ici. On ajoute encore que

beaucoup de membres du Congrès slave ont quitté la ville sous

une forte escorte. Les troupes auraient donc remporté une

victoire partielle.

« Que la révolte finisse comme on -voudra, la seule issue

maintenant, c'est une guerre d'extermination des Tchèques

conlre les Allemands!

« Les Allemands ont à expier, dans leur révolution, les

péchés de tout leur passé. Ils les ont expiés en Italie. A Posen,

ils se sont attirés de nouveau la malédiction de toute la Polo-

gne. El aujourd'hui, la Bohême vient s'y joindre. Les Fran-

çais ont su se conserver de la reconnaissance et dela sympa-

thie même dans les pays où ils étaient venus en ennemis. Les

Allemands ne sont approuvés nulle part, nulle part ils ne

rencontrent de sympathies. Même lorsqu'ils r'iennent en

apôtres généreux de la paix, on les repousse avec dédain.

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Page 29: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 1848 25

« Et l'on a raison. Une nation qui de tout temps s'est

faite l'instrument de l'oppression de toutes les autres nations,

doit prouver d'abord qu'elle a réellement fait sa révolution.

Elle doit le prouver autrement que par des demi^révolutions

qui n'ont d'autres résultats que de laisser substituer sous d'au-

tres formes l'ancienne indécision,, l'ancienne faiblesse et l'an-

cienne incohérence. Des révolutions où un Radetzky reste à

Milan, un Colomb, et un Steinacker à Posen, un Windischgrâlz

à Prague, un Huser à Mayence, c'est comme si rien ne s'était

passé.

« Surtout par rapport aux peuples voisins, l'Allemagne

révolutionnée devait renier tout son pusse. En même temps

qu'elle proclame s'a propre liberté, elle doit proclamer- la

liberté des autres peuples qu'elle avait opprimés jusqu'ici.

Et qu'est-ce que fait l'Allemagne révolutionnée ? Par la solda-

tesque allemande, elle ratifie l'antique oppression de l'Italie,

de la Pologne et maintenant aussi celle de la Bohême. Les

Kaunitz et les Metternich sont complètement justifiés.

Et les Allemands demandent encore que les Tchèques aient

confiance en eux ? Et l'on en veut aux Tchèques de ce qu'Us

ne veulent pas se joindre à une nation qui pendant quelle se

libère elle-même, opprime et maltraite d'autres nations ? (1).

On leur en veut de ce qu'ils ne veulent pas participer à une

assemblée telle que notre triste et languissante «.Assemblée

nationale » qui tremble devant sa propre souveraineté? On

leur en veut de ce qu'ils se détachent de l'impotent gouverne-

ment autrichien, qui dans sa perplexité et son engourdissement

ne semble pas exister, non pas même pour empêcher ou au

moins organiser le démembrement de l'Autriche, mais pour le

constater? Un gouvernement qui est même trop faible pour

délivrer Prague des canons et des soldats d'un Windischgratz?

(1) Voici sous quelle forme, M. Laskine traduit cette admirable

défense des Tchèques par Marx : « L'avortement du mouvement

tchèque et du congrès de Prague le remplit de joie et il félicite de

tout, cœur les uhlans, les grenadiers, les canonniers et les cuiras-

siers de Windischgraetz d'avoir dispersé à tous les vents les espéran-

ces slaves. » (L'Internationale et le pangermanisme, page 289).

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Page 30: La politique internationale du marxisme

26 LA POCIT1QUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Mais les plus à plaindre ce sont les courageux Tchèques

eux-mêmes! Qu'ils soient vainqueurs ou vaincus, leur perte

est certaine. Par l'oppression quatre fois séculaire de la part

des Allemands qui se continue aujourd'hui dans la lutte des

barricades à Prague, on les a jetés dans les bras des Russes.

Dans la grande lutte entre l'Orient et l'Occident de l'Europe,

qui va éclater bientôt — peut-être dans quelques semaines —

un destin malheureux place les Tchèques à côté des Russes,

du côté du despotisme contre la révolution. La révolution vain-

cra et les Tchèques seront les premiers opprimés par elle!

Aussi ce seront encore les Allemands qui seront cause de la

destruction des Tchèques. Ce sont les Allemands qui les ont

trahis au bénéfice de la Russie » (1).

Cette vigoureuse défense des Slaves de Bohême et l'ex-

trême sévérité avec laquelle l'attftude de l'Allemagne à leur

égard est qualifiée n'empêchent pas Marx et Engels d'enta-

mer dès cette époque la campagne ardente contre le pans-

lavisme qu'ils poursuivront pendant toute leur existence.

Nous en trouvons un vigouieux examen critique dans deux

articles publiés en janvier 1849 par la. Nouvelle Gazette

Rhénatw, articles 'que Franz Mehring croit pouvoir attri-

buer à Engels, mais qui, en tous cas, expriment certaine-

ment la pensée commune des deux inspirateurs du journal.

Ces articles ont été écrits à propos d'une brochure sur le

« panslavisme démocratique » que Bakounine venait de

publier. « Bakounine est notre ami, écrit la Gazette, mais

cela ne nous empêchera pas de soumettre sa brochure à la

critique ».

Nous trouverons dans ces articles très approfondis toute

une analyse très curieuse des revendications des Slaves du

sud, dont l'intérêt est d'autant plus grand pour nous

(1) Correspondance de Karl Marx et de F. Engels tome III,

page 108.

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Page 31: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 1848 * 27

aujourd'hui que nous avons vu prendre corps et s'affirmer -

des aspirations qui à cette époque étaient encore très

vaguement déûnies par les intéressés eux-mêmes et ne

s'étaient guère élevées au rang de doctrines politiques pré-

cises que par la fantaisie d'écrivains aventureux, tels que

Bakounine.

La première étude débute par une violente critique de

l'impuissance idéologique des démocrates bourgeois avec

leur « phraséologie à la Lamartine »,qui, pour cacher leur

impuissance et leur passivité en face des événements, se

répandent en « idées exaltées sur la fraternité universelle des

peuples, la république des Etats-Unis d'Europe » et ne font

rien de ce qu'il faut pour sauvegarder la révolution, alors que

« partout des Parlements réactionnaires la détruisent » et

que la « contre-révolution triomphe à Naples, à Vienne et à

Berlin ». Aussi l'opinion démocrate de l'Occident ne se laisse-

t-elle plus prendre à ces phrases. Par contre dans l'Europe

orientale, elles produisent toujours leur effet et sont repré-

sentées parles» panslavistes démocrates des différentes

nationalités slaves ». Et l'auteur de l'étude cite le début de

la brochure de Bakounine où il affirme son programme:

« Plus de guerre de conquête, mais faisons la dernière

guerre jusqu'au bout, menons le bon combat de la révolution

jusqu'à la délivrance définitive de toutes les nations ! A bas les

frontières artificielles élevées par la violence dans les congrès

des despotes, suivant des nécessités soi-disant historiques,

géographiques, commerciales et stratégiques ! Il ne doit plus y

avoir d'autres frontières que celles érigées par la nature, des

frontières faites dans un sens de justice et de démocratie, que

la volonté souveraine des nations elles-mêmes a établies en se

basant sur les particularités nationales. Voilà le cri qui retentit

chez tous les peuplés » (1).

(1) Correspondance de Marx et Engels, tome III, page 248.

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Page 32: La politique internationale du marxisme

28 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Tout de suite Marx et Engels, critiquant ce point de

vue sommaire qui, dans l'exaltation révolutionnaire, ne

tient pas compte « des degrés de civilisation si différents

d'où découlent les différents besoins politiques de chaque

nation » et « pense que le mot de liberté » suffit à tout:

« II n'est nullement question de la réalité des faits ou

bien, lorsqu'elle est effleurée, elle est présentée comme

quelque chose de nécessairement condamnable, produit

arbitraire» des congrès de despotes »ou desv< diplomates ».

Et en face de cette réalité mauvaise, on dresse la soi disant

volonté des nations avec son impératif catégorique. Or,

nous avons déjà vu que c'était justement parce qu'elle avait

négligé d'une façon fantastique la réalité des faits que la

soi-disant volonté populaire a été si ignominieusement

dupée ».

Expliquant cet état d'esprit:

« Remarquons que ce romantisme et cette sentimentalité

politique sont très excusables chez les démocrates du cengrès

slave. A l'exception des Polonais — les Polonais ne sont pas

panslavisles pour des motifs faciles à comprendre '— ils appar-

tiennent tous à des nations qui, tels les. Slaves du Sud, sont

devenues nécessairement contre-révolutionnaires, de par leur

position historique ou sont encore très loin d'une révolution,

tels les Busses. Ces éléments démocratisés par une culture

acquise à l'étranger cherchent à mettre d'accord leurs opinions

démocratiques et leur sentiment national slave très prononcé.

Et comme le monde positif, la situation réelle de leur pays, ne

leur offre pas de point d'appui ou seulement un point Ti'appui

fletif, il ne leur reste que le « pays des rêves », le monde des

illusions — la politique de l'imagination. .Comme ce serait

beau si les Croates, les Pandours et les Cosaques formaient

l'avant-garde de la démocratie européenne, si l'ambassadeur

de la République de Sibérie apportait ses lettres de crédit à

Paris! »

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Page 33: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 1848 29

. Mais la démocratie des nations les plus avancées devra-t-

elle attendre la réalisation de ces « perspectives réjouissan-

tes » ? Engels et Marx ne le croient pas. << En dehors des Polo-

nais, des Russes et peut-être des Slaves des Balkans, aucun des

autres peuples slaves n'a d'avenir devant lui, pour cette raison

bien simple que les premiers éléments historiques, géogra-

phiques, politiques et économiques d'indépendance et de

vitalité leur font défaut. Des nations qui n'ont jamais eu

d'histoire propre, qui, à partir du moment où ils atteignent

le premier degré rudimentaire de civilisation, se trouvent

déjà sous un joug étranger ou qui même n'ont été amenées

à ce degré que par une domination étrangère, n'ont pas de

vitalité et n'atteindront pas à l'indépendance absolue ».

« Tel a été le sort des Slaves autrichiens. Les Tchèques —

nous voulons bien compter avec eux les Moraves et les Slovè-

nes, quoique très différents aux points de vue linguistique et his-

torique — n'ont pas de passé historique propre. Depuis Char-

lemagne, la Bohême est liée à l'Allemagne. Pendant une

période cependant, la nation tchèque s'émancipe et forme le

royaume de la Grande Moravie, mais presque aussitôt elle

retombe sous le joug, pour devenir pendant cinq siècles comme

un jouet que l'Allemagne, la Pologne et la Hongrie se dispu-

tent. Ensuite la Bohême et la Moravie reviennent définitive-

ment à l'Allemagne, tandis que le pays slovaque reste à la

Hongrie. Comment cette nation qui n'existe pas au point de vue

historique pourrait-elle devenir indépendante ? »

Mais les Slaves du Sud?

« Il en est de même des Slaves du Sud. Où est-il le passé

historique des Slovènes illyriens. des Dalmates, des Croates,

des Schokazes ? Depuis le xi" siècle, ils ont perdu le dernier

vestige d'indépendance politique pour se trouver, tantôt sous la

domination allemande, tantôt sous la domination de Venise,

tantôt sous la domination magyare Croit-on pouvoir, avec ces

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Page 34: La politique internationale du marxisme

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lambeaux déchirés de peuples, pouvoir fabriquer une nation

vigoureuse, indépendante, viable ? »

Et le savant critique, indique le grand obstacle qui,

aujourd'hui encore — en 1916 comme en 1849 — se dresse

devant les plans plus ou moins 'chimériques de ceux qui

veulent découper, dépecer la formation historique austro-

hongroise pour constituer à sa place trois ou quatre petits

Etats indépendants:

• Si les Slaves autrichiens formaient une masse compacte,

comme les Polonais, les Magyars, les Italiens, s'ils pouvaient

constituer entre eux un Etat de 15 à 20 millions d'habitants,

leur prétention aurait un caractère sérieux. Mais c'est juste-

ment le contraire qui se produit. Allemands et Magyars sont

enfoncés comme un large coin jusqu'au fond des Carpathes,

presque jusqu'au bord de la mer Noire et ils ont séparé les

Tchèques, les Moravcs et les Slovènes des Slaves du Sud par

une large ceinture de plus de 60 à 80 kilomètres. Au nord de

cette ceinture, il y a cinq millions et demi de Slaves et dans le

sud autant. Entre eux 10 à 12 millions d'Allemands et de

Magyars que l'histoire et la nécessité ont contraint à s'allier ».

Mais, dira-t-on, pourquoi ne pas constituer deux Etats

slaves?

« Qu'on consulte la première ' carte linguistique et qu'on

examine la place des Tchèques et de leurs voisins de même

langue. Ils s'enfoncent dans l'Allemagne comme un coin, mais

en même temps des deux côtés ils sont rongés et repousses par

l'élément germanique. Un tiers de la Bohème parle allemand

et pour 24 Tchèques, il y a 17 Allemands. Les Moravcs sont

fortement mêlés d'Allemands, les Slovaques d'Allemands et de

Magyars. Dans ce royaume slave régnerait finalement la bour-

geoisie allemande de ses villes. De même encore, les Slaves du

sud sont partout mélangés à des éléments allemands, magyars

et italiens et, quant à leur union avec les Serbes, les Bosniaques

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Page 35: La politique internationale du marxisme

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et les Bulgares, elle se heurte à la haine antique du Slave autri-

chien pour le Slave turc ».

Mais ces considérations ethnographiques — si intéressan-

tes qu'elles soiebt, dans l'enchevêtrement inextricable de

races et de langues qui constitue l'Autriche-Hongrie — ne

sont pas décisives pour la rédaction de la Nouvelle Gazette

Rhénane. Marx et Engels placés en face de cet important

problème politique sont, comme toujours, par dessus tout

préoccupés d'un seul intérêt, fintérêt du socialisme et de la

révolution internationale, auquel ils subordonnent toutes

considérations ethniques et toute préoccupation purement

nationale:

« Tout cela ne déciderait encore en rien la question. Si à

une époque quelconque de leur oppression, ces Slaves avaient

commencé une nouvelle période historique révolutionnaire, ils

auraient prouvé par cela même leur vitalité. A partir de ce

moment la révolution aurait un intérêt à leur affranchisse-

ment et l'intérêt particulier des Allemands et des Magyars

aurait disparu devant l'intérêt plus grand de la révolution

européenne (1).

« Mais jamais il n'en a été ainsi. Les Slaves — nous rappe-

lons à nouveau que nous faisons une exception pour les Polo-

nais — ont toujours été l'élément principal de la Contre-Révo-

lution. Opprimés chez eux, ils étaient à l'étranger, aussi loin

que s'étendait l'infjuence slave, les oppresseurs de toutes les

nations révolutionnaires ».

Et semblant aller au-devant des adversaires malveillants

qui, plus d'un demi-siècle après, devaient les accuser de

chauvinisme allemand, ils déclarent:

« Que l'on ne nous objecte pas que nous parlons ici dans

(\) Le magnifique développement de l'organisation ouvrière et

socialiste dans la Bohême moderne paraît avoir réalisé - tout au

moins pour les Tchèques — la condition « nécessaire et suffisante »

posée en 1849 par Marx et Engels.

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l'intérêt des préjugés nationaux allemands ! Dans des revues

allemandes, françaises, belges et anglaises nous pouvons prou-

ver que c'est nous, les rédacteurs de la Nouvelle Gazette Rhé-

nane, qui bien avant la révolution de février, avons combattu

énergiquement l'état d'esprit borné des nationalistes alle-

mands. _

« Nous n'avons pas, il est vrai, comme beaucoup d'autres,

déblatéré sottement contre les Allemands, sur de simples racon-

tars, mais par contre nous avons prouve et démontré impi-

toyablement, l'histoire en main, le rôle mesquin que l'Alle-

magne a joué dans le passé, grâce à sa noblesse et à sa

bourgeoisie, à son maigre développement industriel. Toujours

nous avons reconnu le droit des grandes nations occidentales,

l'Angleterre et la France, en face de l'Allemagne attardée.

Mais qu'où nous permette, justement à cause de cela, de ne pas

partager les illusions exaltées des Slaves et de les juger avec

la même sévérité que noiis avons employée à l'égard de notre

propre pays.

« On a jusqu'ici fréquemment dit que les Allemands avaient

été les lansquenets servants du despotisme dans l'Europe

entière. Nous sommes bien loin de nier la participation hon-

teuse des Allemands aux guerres contre la Révolution fran-

çaise de 1792 à 1815, leur participation à l'oppression de

l'Italie depuis 1815 et de la Pologne depuis 1772. Mais qui

était derrière ces Allemands? Qui les employait comme ses

mercenaires ? La Russie et l'Angleterre. Aujourd'hui encore

la Russie se vante d'avoir amené la chute de Napoléon grâce à

ses armées innombrables, ce qui est, en effet, vrai en partie. Ce

qui est certain, c'est que les trois quarts des armées qui repous-

sèrent Napoléon depuis l'Oder jusque sous les murs de Paris

grâce à leur supériorité numérique, se composaient de Slaves,

de Russes ou de Slaves autrichiens.

« Et de même pour l'oppression des Polonais et des Italiens

par les Allemands ! Au partage de la Pologne participait une

puissance entièrement slave et une autre à moitié slave. Les_

armées qui écrasèrent Kosciuzko étaient composées en majorité

de Slaves. Les armées de Debitsch et de Paskiewitch étaient

presque entièrement des armées slaves.

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LA RÉVOLUTION DE 1848 33

« En Italie, les « Tedeschi » (les Allemands) ont subi seuls

pendant de longues années la honte de passer pour les oppres-

seurs, mais encore une fois, de quoi se composaient les années

dont la brutalité a été imputée aux Allemands? C'était encore

des Slaves ».

Tous ces reproches disparaîtraient si les Slaves —comme

cela est arrivé depuis, aussi bien en Autriche qu'en Rus-

sie — s'étaient éveillés à la vie révolutionnaire. Mais il n'en

était encore rien à cette époque:

« Ces reproches seraient superflus et injustifiés si les Slaves

avaient pris sérieusement part au mouvement de 1848, s'ils

s'étaient empressés d'entrer dans le oamp des peuples révolu-

tionnaires. Une seule tentative démocratique hardie, même

lorsqu'elle a été étouffée, éteint dans la mémoire des peuples

des siècles d'infamie et de lâcheté, réhabilite aussitôt une

nation, si méprisée qu'elle soit. Les Allemands l'ont appris

il y a un an.

« Mais tandis que les Français, les Allemands, les Italiens,

les Polonais, les Magyars ont partout levé le drapeau de la

révolution, les Slaves comme un seul homme se sont rangés

sous le drapeau de la Contre-Révolution. En tête se placent les

Slaves du Sud, qui pendant de longues années avaient défendu

leurs passions contre-révolutionnaires contre les Magyars, puis

viennent les Tchèques et, derrière eux, armés et prêts à paraître

au moment décisif sur le champ de bataille — les Russes.

« Pendant ce temps en Italie les hussards magyars passaient

en masse aux Italiens, tandis qu'en Hongrie des bataillons ita-

liens entiers se mettaient à la disposition du gouvernement

révolutionnaire magyar. On sait comment k Vienne, les régi-

ments allemands fraternisèrent avec le peuple et que même en

Galicie le gouvernement n'était pas sûr d'eux. On sait que des

masses de Polonais autrichiens luttaient à Vienne et en Hon-

grie contre les armées autrichiennes et qu'ils combattent encore

dans les Karpathes.

JEAN LONGUET 3

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34 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

« Mais a-t-on jamais entendu parler d'une révolte de troupes

tchèques ou de troupes de Slaves du Sud, contre le drapeau noir

et jaune ? Au contraire, on a jusqu'ici constaté que l'Autriche,

ébranlée jusque dans ses bases, n'a pu conserver son existence

que grâce à l'enthousiasme des Slaves pour le drapeau des

Habsbourg. On sait que ce sont les Croates, les Slovènes, les

Dalmales, les Tchèques, les Moraves qui ont fourni à un Win-

dischgriitz et à un Jellachich les contingents avec lesquels ils ont

étouffé la révolution à Vienne, à Cracovie, à Lemberg et en

Hongrie. Et nous apprenons par Bakounine lui-même que le

congrès slave de Prague a été dispersé non par des Allemands,

mais par des Slaves galiciens, tchèques, slovaques — rien que

des Slaves.

« La révolution de 1848 a obligé tous les peuples européens

à se déclarer pour ou contre elle. En l'espace d'un mois, tous

les peuples qui étaient mûrs pour la révolution avaient fait la

révolution, tous ceux qui n'étaient pas mûrs s'étaient alliés

contre la révolution ».

Et à nouveau et avec force, opposant aux autres Slaves

les Polonais « dont le nom est synonyme de révolutionnai-

res », ils fonçant contre le panslavisme:

« Que dirait-on si le parti démocratique en Allemagne

commençait par demander la rétrocession de l'Alsace, de la

Lorraine et de la Belgique (qui sous tous les rapports est

française) sous prétexte que la majorité de la population y est

d'origine germanique ? De quel ridicule ne seraient pas couverts

les démocrates allemands s'ils voulaient créer une alliance

pangermaniste, réunissant Allemands, Danois, Suédois, Anglais,

Hollandais pour la « libération » de tous les pays de langue

germanique ! La démocratie allemande est heureusement bien

loin de ces folies.

« Les étudiants allemands de 1817 à 1830 avaient, à vrai dire,

en tête semblables sottises réactionnaires, mais aujourd'hui

toute l'Allemagne les juge à leur juste valeur. Ce n'est qu'après

s'être complètement débarrassée de ces folies que la révolution

allemande commence à devenir quelque chose.

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« Mais le panslavisme est aussi puéril et aussi réaction-

naire que le pangermanisme (i). En relisant l'histoire du

mouvement panslaviste du printemps dernier à Prague, on se

sent ramené de trente années en arrière. Les rubans aux trois

couleurs, les vieux costumes germaniques, les vieilles cérémonies

slaves, la restauration des coutumes et des mœurs des forêts

vierges... Ce sont les mêmes phrases, les mêmes fantaisies

archaïques exprimées dans le chant : « Nous avons bâti une

splendidc maison ». Si vous voulez lire la version slave de ce

chant, lisez la brochure de Bakounine.

« De même les sociétés d'étudiants allemands exprimaient en

fin de compte les sentiments les plus violemment réaction-

naires, la haine la plus féroce contre la France et le chau-

vinisme le plus stupide, à partir du moment où ils commen-

cèrent à trahir la cause pour laquelle ils avaient clamé qu'ils

voulaient vivre; de même, mais plus rapidement parce que 1848

a été une année de révolution, les panslavistes démocrates

renoncèrent à leurs apparences démocratiques et se consa-

crèrent à leur haine fanatique des Allemands.

« Ne nous faisons pas d'illusions. Tout panslaviste place la

nationalité', c'est-à-dire la nationalité slave généralisée

d'une façon fantastique, au-dessus de la révolution » (2).

Et au panslavisme, on déclare une « guerre d'extermi-

nation et un terrorisme implacable, non dans l'intérêt de

l'Allemagne, mais dans l'intérêt de la révolution ».

La France, dont l'évolution politique était la plus avan-

cée, avait vu se produire, la première, le divorce entre

le prolétariat et la bourgeoisie républicaine. Et les ter-

ribles journées de juin avaient éclaté à Paris. Marx, malgré

la frayeur de ses actionnaires, démocrates bourgeois, avait

pris avec courage le parti du prolétariat de Paris, seulv

(1) Cette vigoureuse formule apporte la définitive réponse à toute

la campagne ridicule et perfide contre « Marx pangermaniste ».

(2) Correspondance de Marx et Engels, p. 264.

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36 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

dans toute la presse allemande. La loi martiale fut pro-'

•clamée et la Gazette suspendue. Elle reparut cependant,

jusqu'en mai 1849, luttant au milieu des plus grandes

difficultés, bravant toutes les persécutions.

Mais bientôt les événements se précipitent. Les gouver-

nements prussien et autrichien, malgré leurs rivalités,

étaient d'accord pour disperser parla force le Parlement de

Francfort, embryon de l'Unité allemande démocratique,

dont elles ne voulaient à aucun prix. Dix-huit mois plus

tard, dans ses remarquables correspondances de la New-

York Tribune, qu'on a depuis réunies en volume sous le

titre Révolution et Contre-Révolution en Allemagne, Marx

dénonçait l'indélébile mollesse, ce qu'il appelait dans son

rude langage le « crétinisme parlementaire » de ces

libéraux allemands dont quelques-uns du moins, tel

Robert Blum, avaient su mourir en héros sous les balles

prussiennes pour une Allemagne libre et démocratique..

Nous avons indiqué sommairement l'odyssée de l'insur-

rection du Palatinat et du pays badois et sa répression par

l'armée prussienne ; Wilhelm Liebknecht a raconté dans

ses charmants « Souvenirs de jeunesse » comment, avec une

troupe d'insurgés, il se réfugiait en Alsace, l'accueil chaleu-

reux qu'il y reçut des paysans comme aussi l'hostilité

marquée dont il y fut l'objet de la part du gouvernement

de celui qui allait bientôt devenir Napoléon III:

« Que Louis-Bonaparte, le « Président » eût un faible pour le

"parti réactionnaire allemand, écrit-il, et projetât la ruine de la

République, ce n'était certes pas un secret pour nous; mais

nous ne comptions que sur les sentiments républicains de

l'Alsace dont, pendant les derniers mois, nous avions eu maintes

preuves évidentes. Les Alsaciens s'étaient par douzaines

joints à nous comme volontaires, dans leur uniforme de gar-

des nationaux, et avaient combattu avec enthousiasme pour

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la liberté et l'unité allemande : « l'A laace allemande et fran-

çaise est le trait d'union entre la France et l'Allemagne », ce»

mots étaient alors dans toutes les bouches » (1).

Heureux temps où l'Alsace était ainsi le lien fraternel

entre les démocrates de France et d'Allemagne, unis dans

leur commune haine des Ilohenzollern et des Bonaparte t

Cependant, dans les provinces rhénanes, la situation

devenait de plus en plus critique pour les adversaires de la

monarchie et la lutte prenait sans cesse une forme plus

aiguë entre les démocrates et le Gouvernement de Berlin.

La Nouvelle Gazelle Rhénane recommandait chaque jour le

refus de l'impôt et la résistance à main armée. Comme

dans toute l'Europe, la révolution était écrasée en Allema-

gne. La Gazette fut définitivement supprimée le 19 mai

1849; le grand poète démocrate Freiligrath publia en

son honneur, dans son dernier numéro, un « Adieu aux

lecteurs » qui contient d'admirables strophes.

Marx et sa famille — il avait maintenant deux enfants,,

sa fille aînée Jenny, plus tard Mme Charles Longuet, qui

était née en 1844 à Paris, et sa deuxième fille Laura, plus-

tard Mme Paul Lafargue, née en 1845 à Bruxelles —

durent de nouveau s'exiler. Ils partirent pour Paris. La

réaction y dominait ; après les massacres de juin et l'écra-

sement du peuple ouvrier, c'étaient les radicaux bourgeois

de Ledru-Rollin, qui ayant échoué dans leur tentative

révolutionnaire, avaient été frappés à leur tour, tandis que

leur chef avait dû gagner Londres.

Marx ne devait pas tarder à l'y rejoindre. 11 n'y avait

en effet pas un mois qu'il était à Paris lorsque le gouver-

nement du « Prince Président » alors en pleine préparation

de son coup d'Etat, l'invitait à choisir entre un interne-

Il) Snuvenîrs, par W. Liebknecht, traduits par J.-G. Prodhomm&

et Ch.-A. Bertrand, p. 19.

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ment dans le Morbihan et le départ pour l'Angleterre.

Karl Marx préféra1 s'en aller vers la grande « mère des

exilés », la noble cité britannique qui a eu depuis plus d'un

siècle la gloire immortelle d'être l'asile inviolé de tous les

proscrits. Il devait demeurer à Londres jusqu'à la fin de sa

vie, le 14 mars 1883 — ayant vécu plus de trente ans sur

la terre d'exil — et y dormir son dernier sommeil dans

le cimetière de Highgate...

Avec les années qui suivirent 1850, la nuit profonde de

la réaction tomba sur l'Europe entière. Tous les germes

de vie ouvrière indépendante avaient été étouffés. En Angle-

terre, seulement, grandit un mouvement syndical impor-

tant, mais qui semble de plus en plus orienté dans la voie

conservatrice.

Sur le continent et parmi les sociétés de proscrits réfu-

giés en Angleterre, se développe l'esprit de conspiration

secrète, la croyance aveugle au coup de force, à -l'émeute

ou à l'attentat individuel. Ilien n'était plus contraire à la

conception marxiste, à « ce que Marx a nommé magnifi-

quement l'évolution révolutionnaire » (Jaurès) (I). Avant

d'entamer, contre cette méthode romantique et dépassée par

l'histoire, la grande 'lutte qui n'a rien de spécifiquement

« germanique » et qui fait le fond de son action dans l'In-

ternationalëî Marx rencontrait au sein même du mouve-

ment révolutionnaire allemand des tendances similaires

chez des hommes qui comme Karl Schapper, August Von

Willich, le professeur Kinkel, réfugiés comme lui à Lon-

dres — avec un Français nommé Barthélémy, étrange

figure d'aventurier et d'émeutier — constituaient ces

« petites sociétés obscures et exaltées, aigries par la défaite,

impatientes de revanche et affolées par l'absence même du

(1) Jean Jaurès, Etudes Socialistes préface, page C. I. édition

des Cahiers de la Quinzaine de Gh. l'éguy.

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contrepoids de la vie, où les plans puérils de conspirations

abondaient » (1). Bientôt Marx rompait avec les éléments

réunis dans le Comité Central de la Ligue Communiste. FI

motivait en 1850 sa démission par cette déclaration où

s'opposent avec force les deux méthodes:

« A la place do la conception critique, la minorité en met une

dogmatique, à la place de l'interprétation matérialiste, l'idéa-

liste. Au lieu que ce soient les rapports véritables, c'est la

simple volonté qui devient le moteur de la révolution. Tandis

que nous disons aux ouvriers : « 11 vous faut traverser, 15, 20,

50 ans de guerres civiles et de guerres entre peuples, non seu-

lement pour changer les rapports existants, mais pour vous

changer vous-mêmes et vous rendre capable» du pouvoir poli-

tique, vous dites au contraire : Nous devons arriver de suite au

pouvoir ou alors aller nous coucher ».

« Alors que nous attirons £ attention des ouvriers alle-

mands sur l'état informe du prolétariat d'Allemagne, vous

flattez de la façon la plus lourde le sentiment national et le

préjugé corporatif des artisans allemands, ce qui sans nul

doute est plus populaire.

« De même que les démocrates avaient fait du mot peuple

un mot sacré, vous en faites autant du mot prolétariat. Comme

les démocrates, vous substitues à l'évolution révolutionnaire

la pfirase révolutionnaire » (2;.

Ainsi que Jaurès l'a montré en commentant ce texte

peu connu, Marx, en parlant de vastes guerres extérieures

par lesquelles le prolétariat européen devait passer, envisa-

geait certainement encore « la lutte de l'Europe occiden-

tale contre la Russie ».

Aussi saluait-il avec joie la guerre de Crimée. Il croyait,

« gagné par la fièvre d'impatience et d'illusion » (Jaurès)

(1) Jauros, Idem, p. 35.

(2) Cité par Jaurès dans les Eludes Socialistes, p. 36.

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du proscrit, qu'elle devait aboutir à une guerre universelle

d'où sortirait la révolution. Il faut suivre sa pensée dans

le recueil des articles envoyés chaque semaine à la Tribune

de New-York et réunis en 1897 en un gros volume de

660 pages in-octavo sous le titre la Question d'Orient, par

les soins pieux de sa fille Eleanor Marx (1). Ses articles

dont -les premiers ont été écrits en 1853, avant que la

guerre n'éclatât et dont les derniers parurent dans le Peo-

ple's Paper, l'organe chartiste d'Ernest Jones, au moment

de la signature de la paix, sont pénétrés d'un esprit d'ar-

dente combativité contre la Russie et son Gouvernement.

Il faut voir avec quelle angoisse Marx suit les premières

démarches du gouvernement anglais, lent à se déciderà

la lutte, de quels traits il ne cesse de cribler son chef

Lord Palmerston, auquel il reproche, sous des dehors bel-

liqueux, d'avoir toujours été un complaisant du cabinet de

Pétersbourg. Il consacrait tout un petit pamphlet (2) qui

fut publié sous le titre Histoire de (a vie de Lord Palmers-

ton h rechercher les défaillances passées du célèbre homme

d'Etat whigde 1823 à 1837.

Il lui reprochait surtout d'avoir, d'accord avec la Prusse,

couvert, en 1832-1834, l'étranglement de la Pologne par

Nicolas Ier, l'autocrate sinistre dont Palmerston n'avait

pas hésité à faire .alors l'éloge à la Chambre des Commu-

nes. Tandis qu'à cette époque le gouvernement autrichien

envoyait à Paris un agent diplomatique, Waleski, pour

négocier avec la France et l'Angleterre le rétablissement

du royaume de Pologne et que la Cour des Tuileries se

déclarait « prête à s'unir à l'Angleterre, si celle-ci accep-

(1) The Eastern Question, a reprint of letters written 1853-1856

dealing \\ith the events of Ihe Crimean war by Karl Marx. London,

1897.

(2) The S tory of the life of lord Palmerston by Karl Marx, edi-

ted by Eleanor Marx. Londres, 1899.

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tait le projet », Palmerston avait rejeté l'offre transmise

par Talleyrand et que Metternich approuvait en tous

points (1). Dans une autre étude sur l'Histoire diploma-

tique secrète du XVIIIe siècle (2), Marx recherchait quelles

avaient été un siècle auparavant tes intrigues du cabinet

de Pétersbourg, sous l'impératrice Anne et le tsar Paul,

contre la Suède et les complaisances que la Russie avait

rencontrées chez des hommes d 'Etat-britanniques tels que

Stanhope, Walpole et Townshend.

L'action de Marx était d'ailleurs en plein accord avec

celle des révolutionnaires anglais de l'époque et c'est ainsi

que nous voyons le 7 juillet 1853, dans un grand meeting

organisé à Halifax par les chefs de l'Ecole de Manchester,

Cobden et Bright, i'énergique leader des .Chartistes,

Ernest Jones combattre avec véhémence l'opposition faite

par les Cobdenistes à la guerre contre la Russie, attendu

« qu'avant que la liberté soit rétablie, la paix serait un

crime » (3).

Cependant tandis que l'Angleterre et la France hési-

taient, tergiversaient, Nicolas Ier avait pris l'offensive

contre la Turquie. Il occupait les principautés danubien-

nes qui forment aujourd'hui la Roumanie et menaçait de

plus en plus Constantinople. Marx constatait que « l'humi-

liation des gouvernements réactionnaires de l'Europe

occidentale et leu-r impuissance manifeste à défendre les

intérêts de la civilisation contre les envahissements russes

ne pouvait que provoquer l'indignation générale des peu-

ples qui les avaient soufferts depuis 1849 » (4).

Aussi l'opposition de Disraeli multipliait-elle ses criti-

(\) Idem, Page 25.

(2) Secret Diplomatie History of the Eighteenth Century by Karl

Marx. Londres, 1899.

(3) The Kattern Question by Karl Marx, page 63.

(4) Idem, page 75.

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42 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

ques à la Chambre des Communes en présence des hésita-

tions de Palmerston, contre la diplomatie russe. La

guerre éclata finalement.

Sans cesse, dans ses articles à la Tribune, Marx revient

à cette idée que la guerre en Orient doit aboutir à la guerre

européenne, d'où il espère (selon une idée commune d'ail-

leurs à la plupart des révolutionnaires de 1848), que sor-

tira la révolution triomphante. Il surveille avec inquiétude

la Prusse « laquais du tsar » (1), l'Autriche dont il craint

d'abord l'intervention contre l'Occident (2). Pour la France

il espère que la guerre aura pour conséquence des événe-

ments qui rendront à sa classe prolétarienne la position

qu'elle avait avant les journées de juin 1848 (3).

Les développements possibles du panslavisme réaction-

naire, adversaire le plus redoutable de la révolution euro-

péenne, le hantent. C'est ainsi qu'il enregistre et souligne

la nouvelle que Alexandre II, le jour où l'Autriche se join-

drait à la France et ;Yl'Angleterre, irait se mettre à la tête'

du mouvement panslaviste, en abandonnant son titre

d'empereur de Russie, pour se proclamer Empereur <tts

Slaves.

La préoccupation anti-moscovite de Marx est d'ailleurs

celle de tous les démocrates de l'époque — qu'on se rap-

pelle seulement l'éloquent discours de Victor Hugo à l'As-

semblée Législative le M juillet 1851 (4)—et en particulier

celle de ses illustres co-réfugiés français Louis Blanc et

(1) The Story of thé life of lord Palmerston, page 31.

(2> The Eastern Question, page 5ii.

(3) Idem, page 536.

(4) Le grand poète s'y élevait avec indignation contre ces « hom-

mes qui chaque fois que nous prononçons les mots démocratie,

liberté, humanité, progrès, se fauchent à plat ventre avec terreur

et se collent l'oreille contre terre pour écouter s'ils n'entendront

pas enfin venir le canon russe « .

Victor Hugo (Les Châtiments, édition Lemerre, p. 376).

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LA RÉVOLUTION DE 1848 43

Ledru-Rollin, qui sont alors avec Ernest Jones, avec

W. Liebknecht et Freiligrath, des habitués de l'humble

demeure de Marx (1). Elle est entretenue chez Marx, cette

hantise du panslavisme, danger menaçant pour la cause

•populaire européenne, parles relations qu'il noua à cette

époque avec un ancien diplomate anglais, David Urquhart,

qui avait été attaché à l'ambassade brftannique à Constan-

tinople et en avait rapporté la plus vive hostilité contre les

ambitions du cabinet de Saint-Pétersbourg.

Son influence sur Marx fut certainement très grande et

c'est en particulier à elle qu'on doit ses études contre

Palmerston qui était la « bête noire » de Urquhart (2). Et

cependant, Marx n'est pas hostile au panslavisme, dans

la mesure où « il ne représente pas une ligue contre l'Eu-

rope et la civilisation européenne ». Il l'accueille avec

intérêt sous la forme où il avait trouvé « son expression

la plus lucide et la plus philosophique » dans les écrits du

comte Gurowsky, qui envisageait l'Asie comme le « 'natu-

rel terrain d'expansion des énergies slaves ». Et Marx

estime que la Russie pouvait y apparaître comme une

(1) Cette période de l'existence de Karl Marx fut certainement

celle où il connut les plus cruels moments de sa vie d'exil. Lui qui

aurait pu vivre d'une vie confortable et aisée en Allemagne ou des

chaires bien dotées des universités les plus illustres, lui avaient été

offertes, connut la plus sombre misère sur le pavé de Londres.

Ses biographes ont raconté les conditions trafiques dans lesquelles

le proscrit n'avait'môme pas pu trouver l'argent nécessaire pour

acheter le cercueil de son petit garçon qui venait de périr de pri-

vations autant que de maladie.

Cela n'empêche pas M. Laskine de rappeler complaisamment,

sans un mot de réserve, les calomnies imbéciles des agents bona-

partistes qui représentaient Marx comme un « agent de Bis-

marck » ayant touché de lui des sommes considérables.— 250.000

francs!

(2) John Spargo. Karl Marx, his life and work, p. 198.

(3) Karl Marx. The Eastern Question, p. 343. .

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44 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MAKXISME

grande force de civilisation et de progrès dont l'action

serait bienfaisante (1).

Il ne peut pas y avoir d'ailleurs de malentendu, quant

au caractère fondamental de tous les jugements de Marx

sur la Russie. Ce qu'il poursuit en elle non dans l'intérêt de

l'Allemagne, mais de la révolution, c'est la grande force de

réaction que son gouvernement incarne, le grand instru-

ment de la Contre-Révolution, qui, appuyé sur les Habs-

bourg et les Hohenzollern, venait d'étouffer dans le sang

le soulèvement du peuple allemand comme la république

hongroise, le mouvement du peuple devienne comme l'in-

surrection du peuple italien, qui avait écrasé tous les sur-

sauts de la nation martyre — de la Pologne.

Marx fut un défenseur passionné de l'indépendance de

la Pologne et nous verrons plus loin comment l'Interna-

tionale des Travailleurs fut fondée à fissue d'un grand

meeting convoqué à Londres, pouraffirmer les sympathies

des travailleurs anglais pour l'insurrection polonaise. La

maison de Marx, ses albums de famille étaient remplis de

portraits de révolutionnaires polonais et dans une photo-

graphie que nous avons sous les yeux où il se trouve aux

côtés de sa fille aînée, on peut constater que Jenny Marx

porte sur sa poitrine la croix des insurgés polonais de

1863.

Cette insurrection polonaise de 1863-64, nul ne devait

la suivre avec un intérêt plus ardent que le grand socialiste

qu'on a eu l'impudence de présenter comme ayant été

l'adversaire de la libération de la Pologne. Sa correspon-

dance avec Engels nous apporte à cet égard des affirma-

tions caractéristiques Elles confondent d'ailleurs dans les

mêmes malédictions la Prusse et la Russie. C'est ainsi que

Engels écrit le 17 février 1863:

(1) Idem, p. 546.

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, LA RÉVOLUTION DE 1848 45

« Les Polonais sont de braves gens. S'ils tiennent jusqu'au

15 mars, le mouvement bientôt gagnera toute la Russie. Au

commencement, je craignais terriblement que cela ne réussisse

pas. Mais à présent, les chances sont presque plus grandes que

celles de la défaite.

« La conduite des Prussiens est infâme, comme toujours.

M. de Bismarck sait que cela finira mal pour lui si la

Pologne et la Russie deviennent révolutionnaires » (1).

Le 20 février 1863, Marx écrit de môme à Engels:

« Envoie-moi encore quelques notes sur la conduite de Fré-

déric-Guillaume le Juste en 1813, après le désastre de Napoléon

en Russie. Il s'agit, cette fois, de presser de près la misérable

maison de Hohensollern ».

Et il ajoute le 24 mars:

« La certitude politique à laquelle je suis parvenu est celle-ci:

Rinke et Bismarck ont très bien saisi le principe de l'Etat

prussien, notamment que la Prusse (qui constitue quelque

chose de très différent de l'Allemagne) ne peut pas exister

sans l'ancienne Russie et avec une Pologne indépendante.

Toute l'histoire de la Prusse impose la conclusion que MM. les

Hohenzollern ont déjà tirée depuis longtemps. Leur conscience

féodale est supérieure à celle des sujets des hobereaux prussiens.

Etant donné que l'existence de la Pologne est nécessaire pour

l'Allemagne, et, en même temps, inconciliable avec l'existence

de l'Etat prussien, il s'en suit que cet Etat prussien doit être

anéanti (2).

La résurrection de la Pologne indépendante constituait

donc sans le moindre doute un des buts principaux de la

politique étrangère de Marx. Cette Pologne reconstituée,

(1) Briefwechsel zwischen F. Engels und K. Marx bis 1844,

bis 1883. Troisième volume, p. 118.

(2) Briefwechsel zwischen F. Engels und K. Marx 1844 bis, 1883,

Troisième volume, p. 122.

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46 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

de quels éléments devait-elle se composer? Comprendrait-

elle la totalité du territoire de la vieille République polo-

naise de 1772 ? Marx s'était posé la question dans une de

ses études de la New-York Tribune parues en 1851 et réunies

depuis en volume sous le titre de Révolution et Contre-Révo-

lution en Allemagne.

« Les Allemands, observe^t-il, avaient manifesté un si

grand enthousiasme pour la restauration de la Pologne,

qu'il leur fallait bien s'attendre à ce qu'on leur demandât,

comme une preuve de sympathie, de renoncer à leur part

de butin ». Mais ici le problème se complique. Si la Pologne

russe et la Pologne autrichienne sont à peu près exclusi-

vement peuplées de Polonais, il n'en est pas de même de

la Pologne prussienne:

« Devait-on céder, des contrées entièrement habitées par des

Allemands, devait-on céder des grandes villes entièrement

allemandes à un peuple qui n'avait pas encore prouvé qu'il

fût capable de s'élever au-dessus d'un état de féodalité basé

sur la servitude .agraire? ».

C'est la difficulté qui actuellement encore — et plus que

jamais — doit être résolue pour l'établissement des frontiè-

res de la Pologne libre. Une grande cité allemande comme

Dalitzig doit-elle être attribuée à la Pologne, au mépris de ce

principe des nationalités, en vertu duquel on veut reconsti-

tuer la Pologne?Faut-il ajouter que la solution extrême du

problème aboutirait à couper la Prusse orientale en deux

tronçons sans moyen de communiquer entre eux! A l'épo-

que où il écrivait cet article, Marx résolvait la difficulté,

aux dépens de la Russie tsariste:

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« Une guerre avec la Russie, écrivait-il, offrait l'unique solu-

tion possible. Dans cette éventualité, la question de la démar-

cation des différentes nations révolutionnaires, eût été subor-

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donnée à celle de l'établissement au préalable d'une frontière

sûre contre l'ennemi commun. Les Polonais mis en posses-

sion de vastes territoires dans l'Est, eussent été plus traita-

bles au sujet de l'Ouest; et en fin de compte, Riga et Mitau

leur auraient paru tout aussi importants que Dantzig et

Elbing » (1).

Mais la bourgeoisie allemande craignait qu'une guerre

contre la Hussie, n'appelât au pouvoir les éléments les

plus avancés et « n'amenât sa propre chute » et Marx lui

reproche avec amertume d'avoir déclaré « dans un feint

enthousiasme pour l'extension de la nationalité alle-

mande » que la Pologne prussienne, centre de l'agitation

révolutionnaire polonaise, faisait partie intégrante de l'em-

pire allemand futur; et il ajoute:

« Les promesses faites aux Polonais, dans les premiers

jours, furent honteusement trahies. Des troupes polonaises

armées, constituées avec l'assentiment du gouvernement,

furent dispersées et massacrées par l'artillerie prussienne et

dès le mois d'avril, six semaines après la révolution de Berlin,

le mouvement était écrasé et la vieille inimitié nationale ravi-

vée entre Polonais et Allemands ', (2).

Toute sa vie, Marx dressera la revendication de l'indé-

pendance de la Pologne comme un des objets essentiels de

la politique internationale du prolétariat. En elle-même, il

croyait certainement à la nécessité de cette grande répara-

tion de l'iniquité criminelle consommée en 1793. Mais

(1) Révolution et Contre-Révolution en Allemagne, par Karl Marx,

page 94. Le texte anglais publié par Eleanor Marx et la traduction fran-

çaise de Laura Lafargue portent « Riga et Milan », ce qui est évi-

demment le résultat d'une faute d'impression : Ce n'est évidem-

ment pas Milan en Italis, mais Mitau en Courlande que Marx voulait

attribuer à la Pologne reconstituée — qui a d'ailleurs jadis possédé

Mitau. La traduction Léon Rémy porte d'ailleurs bien « Mitau ».

(2) Idem, page 9S.

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48 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

avant tout, il y voyait un moyen d'atteindre la Russie —

cette « grande forteresse de la réaction européenne » qu'il

craignait par dessus tout — et de rétablir à ses dépens un

équilibre meilleur de l'Europe.

Mais du jour où gouvernement et peuple ne furent plus

en Russie, termes identiques, mots synonymes, Marx pren-

dra un soin extrême pour faire entre eux la distinction

nécessaire. On a essayé parfois de le nier et des pères Lori-

quet de la critique anti-socialiste ont tenté à cet égard de

créer un malentendu facile, "en exploitant les luttes soute-

nues par Marx contre Bakounine ou Herzen et en dénatu-

rant complètement le caractère. Par une équivoque gros-

sière on a essayé d'établir que parce que Marx avait

combattu certains révolutionnaires russes, il avait été

l'ennemi de tous les révolutionnaires russes, qu'il était

• « russophobe » (1).

Or, il-ne faut pas oublier que la cause essentielle de la

lutte de Marx contre Bakounine aussi bien que contre

Herzen se trouve dans l'antagonisme fondamental de leurs

conceptions sociologiques, de leurs méthodes et de leurs

philosophies. Faut-il ajouter que le fantaisiste pansla-

visme de l'un et de l'autre de ces deux illustres révolu-

tionnaires russes devait singulièrement inquiéter Marx,

aussi bien d'ailleurs que tous les révolutionnaires et démo-

crates occidentaux de^ l'époque, et leur apparaître comme

une nouvelle et particulièrement dangereuse incarnation

de cette doctrine qui symbolisait les ambitions menaçantes

dévaste empire autocratique du Nord?

(1) Ce sophisme a naturellement été développé longuement par

M. Laskine avec son habituelle insouciance de la vérité; cela ne

lui a d'ailleurs pas coûté un grand effort de pensée; il s'est con-

tenté de compiler tous les racontars antimarxistes les plus rancis et

de les étaler dans son gros volume sur 1' « Internationale et le pan-

germanisme ».

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Page 53: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 18-48 . 49

L'âpreté de la critique dirigée par Marx contre le tsa-

risme russe et le panslavisme est d'ailleurs si complète-

ment exempte de tout chauvinisme allemand, que nous le

voyons s'exprimer sans la moindre sympathie pour les

Allemands des provinces baltiques et faire bon marché de

leurs prétentions. C'est ainsi qu'il a écrit le 17 février 1870

à son fidèle ami Kugelman, qui lui avait adressé sur cette

question une brochure: \

« La brochure que tu m'as envoyée est un des plaidoyers dans

lesquels les ordres privilégiés des provinces germano-russes de

la Baltique font en ce moment appel aux sympathies alleman-

des. Ces canailles se sont distinguées depuis loni/temps par

leur séla dans la diplomatie, l'armée et la police russe; au

moment de l'annexion des provinces polonaises à la Kussie,

ils ont vendu avec joie leur nationalité contre la légitimation

officielle de leur exploitation des paysans. Ils poussent aujour-

d'hui de hauts cris parce qu'ils voient leurs privilèges menacés.

« L'ancien régime des ordres et des états, un luthérianisme

orthodoxeet l'exploitation à mort des paysans, voilà ce qu'ils

appellent civilisation allemande, c'est pour protéger cela que

l'Europe devrait se mettre en mouvement » ({).

Et par la même occasion Marx fait justice dos critiques

superficiels qui prétendent juger sommairement le peuple

russe en lui déniant la qualité de slave et d'indo-européen

pour le classer en bloc dans le groupe mongolique. C'était

à cette époque une idée chère à un certain nombre d'écri-

vains polonais. « Le Français Henri Martin, écrit Marx à

Kugelman, a emprunté sa théorie à Uuchensky, l'enthou-

siaste Gottfried Kinkel a traduit Henri Martin et s'est

érigé en ardent ami de la Pologne pour faire oublier au

(1) Lettre de Marx à Kugelman, publiée dans le Mouvement

Socialiste, septembre 1903, p. 41.

JKAN LONGUET 4

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Page 54: La politique internationale du marxisme

80 J.A POLITIQUE ÏNTEIfflATIOKAte Dt! MARXISME

parti (lémwmtitfue sa servUilé envers Bismarck » (1).

Du jour oà les idées dhj socialisme «t de ta démocratie

moderne commewcèrent à se faire jonr«n ftassie, nul ue

les suivit avec urne ptas iprofosdc sympathie ofne ce pré-

tendn « rassophofoe ». DB premier grand socialiste russe

Tcheraichevsky, il ne parle jamais qu'avec «dteiratioa et

respect, da savant comme du mtiijwe, II l'appelle le

« génial Tchernichevsky ».

Vers 1874, Marx s'était passionnément intéressé aux

problèmes russes. H -se trouva alors en contact direct avec

le groupe « Zernlia i Yolia », n avait 'beaucoup étudie le

problème do Mir, le régime communiste primitif de la

paysannerie russe, et cet aspect de la question agraire qui

intéressait alors particulièrement les socialistes russes ^

pouvait-on'espérer passer du mir-su <collectivis^»e moderne

sans .traverser la jphase capitaliste ? 'A. ia deûiande d« ses

am-is russes, Marx leur envoyait s(ifr cette .question un arti-

cle qui parut dans le Messayei- de la Patrie, la plus impor-

tante revue de t'étersbourg à l'époque, article qu'en 1886

le 'Célèfere -révolutionnaire russe Pierre Lavroff reprodui-

sait dans son organe le Messager de la volonté du peuple.

Les problèmes moscovites intéressaient alors à un tel

point Marx qu'il n'hésitait pas, à cinquante ans passés, à

appretidre le russe « pour mieux étudier, Ecrivait-il, le

processus du développement économique de la Russie

moderne », en vue de compléter les éléments des deuxième

et troisième volumes du Capital.

Lorsque, vers 1877-1878, commença le premier mouve-

ment révolutionnaire de la « Nàrodnaîa VoTia.» (la « Volonté

du Peuple »), nul ne le suivit avec plus de ferveur que

Marx 11 faut voir en quels termes enthousiastes, dans ses

dernières lettres à sa fille Jenny, en 1880, 1881 et 1882, il

(1) Idem, p. 43.

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Page 55: La politique internationale du marxisme

LA RÉVOLUTION DE 1848 51

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parle des héros du mouvement, de Sophie Perowskaia, de

JeliabofT ; comme il admire la « modération raffinée » des

paroles de ces combattants intrépides, qu'il oppose aux

vantardises et aux hableries des bakouninistes occiden-

taux et en particulier à l'école des anarchistes allemands

qui venait de se manifester avec Johann Most.

Cependant aux primitives et confuses manifestations du

socialisme utopique et révolutionnariste succédait, en

Russie, l'affirmation de la pensée prolétarienne moderne.

Le vigoureux théoricien et fondateur du marxisme russe

Georges Plekhanoff publiait en 1882 la première traduc-

tion du Manifeste Communiste. Marx et Engels lui

envoyaient une préface remplie d'espoir dans l'éveil

révolutionnaire du grand peuple slave et où ils saluaient

dans la prochaine révolution russe q le signal de la révolu-

tion ouvrière de l'Occident, l'une complétant l'autre ». Et

Marx multipliait encore ses encouragements à l'héroïque

« narodniste » Lopatine qui publiait vers la même époque

la traduction russe du Capital.

Quelques mois plus tard, Marx mourait, terrassé par

la maladie, résultat de l'excès de travail qui avait ruiné

sa robuste constitution. Au cimetière de Highgate, à Lon-

dres, devant sa tombe entr'ouverte, celui qui était alors

le plus connu et le plus estimé des socialistes de Russie,

le noble Pierre LavrofT, caractérisait en ces termes sa-vie

et son œuvre:

« Au nom de tous les socialistes russes, j'envoie un dernier

adieu au pliis éminent de tous les socialistes de notre temps.

Une des plus grandes intelligences vient de s'éteindre. Un des

plus énergiques lutteurs contre l'exploitation du prolétariat

vient de mourir!

« Les socialistes russes s'inclinent devant la tombe de

l'homme q'ii a su sympathiser avec leurs tendances pendant les

phases de la terrible lutte qu'ils ont soutenue, lutte qu'ils con-

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Page 56: La politique internationale du marxisme

52 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

tinueront jusqu'à ce que les principes de la révolution sociale

triomphent définitivement... La langue russe fut la première

qui posséda la traduction du Capital, cet évangile du socia-

lisme contemporain.

« Les étudiants des Universités russes furent les premiers

qui entendirent un exposé sympathique des doctrines du pen-

seur éminent que nous venons de perdre. Ceux même qui

seront trouvés en opposition avec le fondateur de l'Internatio-

nale sur des points d'organisation pratique, ont toujours dû

s'incliner devant la vaste science et la haute intelligence qui

sut approfondir l'essence du capital moderne, l'évolution des

forces économiques de la société et la dépendance de toute

l'histoire humaine de cette évolution. Les opposants les plus

ardents qu'il a rencontrés dans les rangs des révolutionnaires

socialistes ne pouvaient cependant faire autre chose, qu'obéir

au grand cri révolutionnaire que Marx et Engels, l'ami de toute

sa vie, avaient jeté il y a 35 ans:

— Prolétaires de tous pays, unissez-vous!

« La mort de Karl Marx est un deuil pour tous ceux qui ont

su comprendre sa pensée et apprécier son influence sur notre

temps. Je me permets d'ajouter que c'est un deuil encore plus

douloureux pour tous ceux qui ont connu l'homme dans son

intimité et surtout pour ceux qui l'ont aimé comme ami ».

Dans la suite, la pensée marxiste inspira profondément

tout le socialisme russe — à tel point qu'on peut dire qu'au-

cun parti socialiste au monde, peut-être même pas le parti

social-démocrate allemand, n'a été aussi préoccupé d'exé-

gèse marxiste. Non seulement le grand Parti Social-Démo-

crate Ouvrier de Russie a été dans tous ses éléments

profondément pénétré de la doctrine de Marx — avec

Plekhanoff comme avec Martoff, avec Daim comme avec

Lénine ou avec Axelrod — mais le Parti socialiste révo-

lutionnaire agrarien et populiste et même toute l'intel-

lectualité russe moderne en a subi l'influence profonde.

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LA RÉVOLUTION DE 18i8 53

Faut-il rappeler les liens d'amitié de Marx avec l'illustre

savant et sociologue Maxime Kovalevsky, dont toute la

Russie pensante regrettait récemment la disparition et

dont l'œuvre fut fortement influencée par ces relations?

L'influence que la pensée marxiste a eue sur les grandes

revues de Pétrograd et de Moscou, sur des écrivains tels que

Maxime Gorky,-des professeurs et des hommes politiques

tels que fsaïeff, montre le peu de cas que la Russie

moderne a fait du vieil argument anarchiste — repris

pour les besoins des basses polémiques nationalistes et

réactionnaires — sur la « russophobie » des fondateurs du

socialisme moderne (1). -

La grande révolution accomplie en mars 1917, par le

prolétariat de Pétrograd appuyé par l'armée, a été le fait

de militants — ouvriers ou intellectuels — d'une culture

marxiste beaucoup plus étendue et plus généralisée qu'en

aucun autre pays du monde. Tous les "leaders social-

démocrates, Tseidze le député du' Caucase qui présidait le

Conseil des Délégués Ouvriers et Soldats, Stieklow le

savant propagandiste, dont nous aurons l'occasion de

signaler les études sur la première Internationale et qui

fut l'un des membres les plus influents du Conseil, Skobe-

leff hier ministre du Trayail dans le Gouvernement provi-

soire, aussi bien que Plekhanoff, Martoff, Axelrod, Lenine

et Trotsky, sont de purs marxistes. Dans l'autre grande

(1) Dès 1868, dans une lettre à Kugelman, Marx constatait que.

par'une véritable ironie du destin « les Russes qu'il combattait

depuis 25 ans sans interruption, non seulement en allemand, mais

en français el en anglais, avaient été ses « patrons >. Et il ajou-

tait : « En 1843-44, à Paris, les aristocrates russes me choyaient.

Mon ouvrage contre Proudhon (1847) ainsi que celui de chez Dunc-

ker (1858) n'ont nulle part trouvé un plus grand écoulement qu'en

Russie et la première nation étrangère qui a traduit le Capital est

- la Russie (Lettre de Karl Marx à Kugelman, 12 octobre 1868, Mou-'

vement Socialiste, l" août).

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54 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

fraction du socialisme russe, parmi les « socialistes-révo-

lutionnaires » ou populistes qui continuent la tradition de

Pierre Lavroff et se sont surtout attachés au problème

agraire, des hommes comme Kérensky, l'ancien chef du

gouvernement, Tchernoff, l'ex-ministre de l'Agriculture,

Roubanovitch qui fut longtemps ù Paris le plus actif des

avocats des révolutionnaires russes en exil—tout en n'ac-

ceptant pas l'interprétation la plus répandue du Marxisme

— se réclament néanmoins, dans une large mesure, des

idées de Karl Marx.

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CHAPITRE III

L'UNITÉ ITALIENNE, LA GUERBK DE SÉCESSION,

LA BEVEND1CATION DE L'iRLANDE» LE SCHLESWJC-HOLSTEIN

II semble difficile pour tout homme qui étudie de bonne

foi sa vie et ses écrits, de croire qu'it y ait eu une seule

aspiration nationale, une revendication de peuple ou de

race opprimée qui n'ait pas rencontré chez Marx une

réelle et profonde sympathie. Nous avons déjà parlé de

son dévouement constant à la cause de la Pologne; nous

verrons les sympathies agissantes qu'il manifesta pour

l'Irlande, pour la cause des noirs d'Amérique défendus

par Lincoln, pour l'Alsace-Lorraine, brutalement arrachée

à la patrie de son choix.

Est-il vraisemblable qu'il ait jamais — ainsi qu'on a

osé le soutenir — pu se montrer hostile à la revendication

nationale de l'Italie, alors que nous avons déjà vu combien

il lui manifestait de sympathies dès 1849, dans ses pre-

mières luttes pour s'affranchir du joug de l'Autriche? A

qui voudrait-on le faire croire parmi ceux qui ont sérieu-

sement étudié lès-écrits et la vie de Marx, qui ont quelques

notions des idées qui régnaient dans son admirable milieu

familial? Là-dessus, Charles Longuet apportait, il y a

quelques années, ce témoignage autorisé:

« Dans cet asile de la dialectique hégélienne, retournée et

marchant désormais comme tout le mondesur les pieds, dans ce

temple du matérialisme historique, on vécut toujours la vie la

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56 LA POLITIQUE INTERNATIONALE. DU MARXISME

plus généreusement idéaliste, la seule qui vaille la peine d'être

vécue. Les proscrits de toutes les causes populaires y étaient

accueillis à bras ouverts. Sans conditions, ni réserves doctrina-

les, sans le moindre esprit de secte, on leur prodiguait les mar-

ques de la plus cordiale hospitalité. Là les absents n'avaient

pas tort ni les indépendants non plus. On ne craignait pas d'y

honorer le noble aventurier de l'indépendance italienne.

Même l'héroïsme perdu d'un Gustave Flourens en Crète ou à

Belleville, n'y était raillé qu'avec attendrissement et des mains

délicates y fleurissaient sans cesse l'image idéalisée du roma-

nesque chevalier de la Manche. Les soulèvements des natio-

nalités opprimées étaient suivis du haut de cette forteresse

de l'Internationale avec autant d'intérêt quej'action crois-

sante du socialisme dans les Deux-Mondes (1) ».

Mais la question de l'Indépendance italienne, portée au

premier plan des préoccupations de l'opinion européenne

en 1858-59, revêtait en même temps an caractère tout par-

ticulier qu'il est necessaire de connaître pour comprendre

les préoccupations de Marx et d'Engels. Pour le peuple

italien, c'était certes d'une guerre nationale qu'il s'agissait,

qui devait aboutir à son unification et à son indépendance.

Mais pour la France et ses maîtres de l'heure, c'était essen-

tiellement une guerre dynastique, entreprise pour l'affer-

missement du régime bonapartiste à l'intérieur et son

prestige à l'extérieur. Tout avait été réglé à cet égard par

Napoléon III et Gavour, dans leur entrevue de l'été de 1858

à Plombières, par un contrat comportant la cession de Nice

et de la Savoie à la France — contrat que la plupart des

patriotes italiens avait accueilli très fraîchement. Faut-il

rappeler que le plus ardent d'entre eux, Mazzini, l'avait

dénoncé quelques mois après comme « une simple intrigue

(1) La Commune de Paris, par Karl Marx ; préface de Char-

es Longuet, page XXIV.

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Page 61: La politique internationale du marxisme

L'UNITÉ ITALIENNE, LA GUERRE DE SÉCESSION, ETC. 57

dynastique», avec laquelle il ne voulait rien avoir de com-

mun?

Intrigue dynastique et intrigue diplomatique qui étaient

d'ailleurs multiformes et s'appuyaient sur les éléments les

plus divers. Les écrivains autrichiens s'efforçaient de per-

suader aux différents Etats allemands qu'ils devaient mar-

cher au secours de l'Autriche — l'action de Napoléon III sur

le Pô devant avoir selon eux, comme suite logique, une

agression contre les provinces allemandes de la rive gauche

du llhiiï. Ceux qu'on appelait les « Kleindeutsch » (les petits

Allemands) et dont le but était d'expulser l'Autriche dela

Confédération germanique, pour réaliser l'unité allemande

sous l'égide de la Prusse et des Hohenzollern, favorisaient

au contraire les plans des bonapartistes et de la Maison de

Savoie.

Bismarck lui-même, depuis peu ambassadeur de Prusse

à Pétersbourg, tremblait à l'idée que la Prusse voulût

intervenir pour appuyer l'Autriche. Aider l'Autriche,

disait-il, c'est lui asservir la'Prusse pour toujours. « II

nous faudrait un nouveau Gustave-Adolphe ou un nouveau

Frédéric pour nous affranchir » (1) et il ajoutait dans une

lettre à M. Below-Hohendorf : « Je ne voudrais écrire sur

notre drapeau le mot Allemagne pour le mot Prusse qu'au

moment où il y aura entre nos compatriotes et nous un

lien plus fort et plus efficace.. Dans la constitution fédé-

rale actuelle je discerne une infirmité qu'il nous faudra tôt

ou tard guérir par le fer et le feu, » (2). C'était déjà tout

l'idéal de l'empire « prusso-germanique » que le futur

chancelier de fer traçait ainsi à la veille de la guerre d'Ita-

lie. Comment Marx, qui en avait été toujours l'adversaire

irréductible, n'aurait-il pas dépisté et combattu ces plans?

(1) Lettre à Berhnard de Bismarck, 8 mai 1859, citée par Ch. Andler.

Le Prince de Bismarck, p. 57.

(2) Cité dans le même ouvrage, p. 59.

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58 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MAKXISMK

A côté des calculs machiavéliques de la Prusse et de ses

manœuvres, se produisaient celles des agents allemands

qui étaient directement à la solde de Napoléon HE et dont

le plus célèbre était l'ancien député démocrate à la Diète de

Francfort, le naturaliste Karl Vogt, réfugié à Genève et qui

publiait sous le titre à'Etudes sous la situation présente dt

l'Europe, un pampblet dont l'unique objet était de favoriser

les combinaisons de « Napoléon te Petit ». Avec vigueur,

Marx s'attaqua au démocrate renégat, qu'il devait exécuter

en révélant sa vénalité dans son livre Monsieur Voyt publié

en 1860 et dont neuf années plus tard la saisie des papiers

des Tuileries devait prouver l'absolue véracité. Vogt avait

touché 40.000 francs sur la cassette particulière de l'em-

pereur.

Avec tous les démocrates et les révolutionnaires d'Eu-

rope, Marx poursuivait de son mépris et de sa haine

l'homme du Deux-Décembre, qu'il avait cloué au pilori

dans son Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon, le Badinguet

des républicains français, le « Boustrapa » de sa corres-

pondance avec Engels. Ses invectives contre le falot empe-

reur sont d'ailleurs loin d'atteindre à la violence de celles

des républicains français de l'époque, notamment de Vic-

tor Hugo dans les Châtiments. Mais en outre Marx aperce-

vait dans l'affaire l'action de la diplomatie moscovite, dont

sans cesse il s'efforçait de déjouer les intrigues. Il croyait

savoir que le chancelier russe, le prince Gortschakoff,

avait éventuellement promis à Napoléon III d'intervenir à

ses côtés au cas où la Prusse appuierait l'Autriche.

Etant donné le but que Marx poursuivait avec les démo-

crates allemands — certain d'ailleurs de la sympathie de

toute la démocratie européenne de l'époque, — la création

d'une « République allemande une et indivisible », il ne

pouvait pas ne pas combattre les combinaisons d'une

diplomatie tortueuse qui sous prétexte de libérer l'Italie,

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L'UNITÉ ITALIENNE, LA GUERRE DE SÉCESSION, ETC. 59

visait surtout à l'affaiblissement de l'Allemagne et en Alle-

magne aboutissait au triomphe du militarisme prussien.

Mais c'estune odieuse calomnie que de soutenir que Marx ou

Engels aient à un degré quelconque défendu l'oppression

de l'Italie par les Autrichiens. Il suffit à cet égard de se

reporter à la brochure même qu'Engels d'accord avec

Marx publiait, sans la signer, en 1859 sous le titre de Pô et

Rhin et dont on a prétendu tirer argument en faveur de la

thèse ridicule d'un marxisme « italophobe ».

Engels y développe dès le début cette idée que le mot

d'ordre lancé par les organes du gouvernement autrichien,

que l'Allemagne avait besoin des provinces italiennes

« pour couvrir sa frontière du sud-ouest », était faux et que

sans ces provinces elle avait une forte position défensive

dans les Alpes. «Le nord de l'Italie, ajoutait-il, constitue

pour l'Allemagne, un apanage qui peut tout au plus lui

être utile en temps de guerre, mais qui en temps de paix,

constitue pour elle un danger ». Et même temps les avanta-

ges militaires du temps de guerre « ne peuvent être achetés

qu'au prix de l'hostilité déclarée de 25 millions d'Ita-

liens ».

Ce que Engels ne pouvait pas admettre, c'était que

l'Allemagne, au lieu de régler cette question conformément

au droit des peuples, en général, et de l'Italie en particu-

lier, permît à Napoléon III de s'en faire un tremplin pour

ses ambitions et ses appétits. Et revenant à l'idée chère à

tous les démocrates et révolutionnaires, il concluait:

« Nous ferions, nous, Allemands, un excellent marché, si

nous offrions le Pô, le Mincio, l'Etsch et tout le territoire

italien en échange de l'unité de l'Allemagne, qui seule peut

nous rendre forts à l'intérieur et à l'extérieur » 1. Marx et

(1) Cité par Edouard Bernstein dans Ferdinand Lassalle comme

réformateur social, Londres, 1893, p. 51.

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60 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Engels estimaient d'ailleurs que la situation était extrême-

ment grave, que l'existence même de l'Allemagne était en

jeu (1) et que l'aboutissant du complot devait être son

démembrement. Peut-on leur reprocher cette préoccupa-

tion, étant donné que d'autre part nous ne les voyons

jamais subordonner à des fins nationales égoïstes l'intérêt

général de l'Europe et les droits de ses diverses nationali-

tés? D'ailleurs le jour où l'existence de la France sera à

son tour menacée, nous verrons avec quelle franchise et

quel courage Marx embrassera sa cause contre son propre

pays.

Dans son admirable étude des origines diplomatiques et

historiques de la guerre de 1870, Jean Jaurès ne s'est pas

trompé,' lui, sur le caractère véritable de l'attitude observée

par le fondateur du socialisme moderne en présence de la

guerre d'Italie:

« La défiance de l'Allemagne, à l'égard de la France napo-

léonienne, écrit-il, est si grande, qu'en 1859, au moment où

Napoléon III aide Cavour à débarrasser l'Italie de la domination

autrichienne, une partie de l'opinion allemande s'imagine qu'il

ne combat l'Autriche que pour humilier et briser la puissance

allemande et qu'il combat sur le Pô les soldats autrichiens

pour aller ensuite combattre au delà du Rhin les soldats de la

Confédération. Et ce ne sont pas des chauvins bornés qui

expriment ces craintes ou du moins ils ne sont pas seuls à les

ressentir. Le grand communiste et internationaliste, l'homme

dont le regard était habitué à scruter l'horizon universel et

qui admirait passionnément la force révolutionnaire de la

France, Marx annonçait que Napoléon serait bientôt sur les

bords du Rhin et il pressait l'Allemagne de se soulever tout

(1) Correspondance de Marx et Engels, tome II, 498, 18 mai 1859,

p. 325.

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entière pour prévenir l'invasion imminente et sauver toute la

race allemande au point où elle était d'abord menacée » (1).

Quoi qu'il en soit dans toutes les polémiques qui se pro-

duisent à cette époque et notamment dans son virulent

pamphlet contre Karl Vogt, Marx proclame sans cesse que

son hostilité ne s'adresse à aucun degré à la cause même de

l'indépendance italienne. Et il rappelle qu'il fut de ces

hommes qui « même avant 1848, estimaient que l'indé-

pendance de la Pologne, de la Hongrie et de l'Italie était

non seulement le droit de ces nations, mais était aussi con~

forme aux intérêts de l'Allemagne et de l'Europe » (2).

Faut-il ajouter que la brochure d'Engels, Pô et Rhin,

avait été accueillie avec sympathie par Mazzini, qui

demandait à Marx de la lui faire parvenir? Ainsi que

celui-ci l'écrivait à Engels, « son autorité en matière de

patriotisme italien était tout de même plus grande que

celle de Lassalle •' (3).

Ferdinand Lassalle avait en effet en face de ces évé-

nements, adopté une attitude diamétralement,opposée à

celle de Marx et d'Engels. Il serait difficile de faire admet-

tre que le grand agitateur dont, à la différence de Marx,

l'action resta toujours étroitement enfermée dans le cadre de

la vie allemande, guidée pardes préoccupations nationales,

fut alors plus pénétré que les auteurs du Manifeste Com-

muniste de sentiments internationalisles. La lecture de la

correspondance de Lassalle avec Marx, très abondante pen-

dant toute cette période, montre que si de Berlin il voyait

les événements sous un aspect local, il était cependant

Hrès préoccupé de contrecarrer la politique francophobe,

(1) Jean Jaurès, Histoire socialiste. La guerre franco-allemande,

p. 26.

(2) Karl Marx. Herr Vogt, préface, p. 5.

(3) Correspondance de Marx et Engels, volume II, p. 331.

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Page 66: La politique internationale du marxisme

62 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DO MARXISME

parce que réactionnaire, d'une partie de la presse prus-

sienne. Il écrit ainsi le 27 mai 1859, à Maqc et Engels:

« Je ne sais pas si vous lisez assez de journaux allemands

pour juger, du moins approximativement, ce que le sentiment

est ici ? Une francophobie extrême, une haine de la France

(Napoléon est seulement le prétexte, le développement révolu-

tionnaire de la France, la véritable quoique secrète raison) est

la corde dont jouent tous les journaux et quelles sont les pas-

sions, qu'en faisant appel au sentiment national — malheureu-

sement avec quelque succès — on essaie de soulever dans le

cœur des classes pauvres et des cercles démocratiques (1) ».

C'est parce qu'il sait combien toute préoccupation chau-

vine était étrangère à l'esprit de Marx et d'Engels et avec

quelle horreur ils envisagent le développement de la

haine de la France, au sein du peuple allemand, que

Lassalle pour les amener à "sa thèse leur signale ce

danger.

Et il ajoute qu'autant une guerre contre la France,

entreprise'contre la volonté du peuple allemand serait utile

au développement révolutionnaire, autant une telle guerre

soutenue par un aveugle enthousiasme populaire serait

dangereuse pour l'avenir révolutionnaire de l'Allema-

gne (2).

Dans une nouvelle lettre à Marx, datée de la mi-juin

1859, Lassalle insiste sur la même idée:

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« Marx et Engels, absents depuis 10 ans d'Allemagne, ne se

rendent pas compte combien peu notre peuple est dé-monar-

chisé et combien le gouvernement profiterait d'une guerre à

laquelle il aurait donné le caractère national, Ce qu'il faut

({) Aus déni littettirischen Nachlass von ICarl Marx, F. Engels

und F. Lassalle. Stuttgart, 1902, volume IV, p. 181.

(2) Idem, p. 182.

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L'UNITÉ ITALIENNE, LA GUERRE DE SÉCESSION, ETC. 63

>

c'est que la guerre engagée soit si mai conduite qne Je peuple

comprenne qu'elle a été entreprise dans un intérêt anlipopu-

laire, dynastique et contre-révolutionnaire, par conséquent

contre ses propres intérêts » (1).

Et il dénonce encpre une fois le danger qu'il y aurait à

voir se développer un antagonisme entre la démocratie

allemande et les démocraties française et italienne.

Il ne s'agit d'ailleurs dans cette controverse entre les

trois grands socialistes, ainsi que Lassalle l'écrit encore au

milieu de juillet 18">9, après la signature du traité de Yilla-

franca, que « d'une divergence sur la meilleure tactique à

suivre et non de débats sur les principes, car la seule préoc-

cupation, gué, après tout, nous ayons les uns et les autres est de

définir la politique la plus favorable à la Résolution » (2).

Nous avons parlé de la polémique que ces événements

avaient entraînée entre Marx et le professeur Vogt. Celui-ci

pour justifier sa palinodie, avait violemment attaqué le

« dictateur du prolétariat » et n'avait pas hésité à se livrer

contre lui aux plus basses diffamations. La réponse de

Marx, publiée en 18RO, Monsieur Voyl établissait de manière

décisive le rôle honteux joué par l'ancien démocrate,

devenu agent bonapartiste. Sous prétexte de rendre compte

de la brochure -de Vogt, l'un des principaux journaux de

Berlin, la National Zettuny reproduisait toutes les diffama-

tions de Karl Vogt. En vain Marx essaya-t-il d'obtenir

satisfaction des tribunaux pr-ussiens. Ceux-ci proclamèrent

(1) Idfm, p. 187 et 188.

(3.) Idem, p. 193. Il «st curieux dii remarquer qu'en face de l'unité

italienne réalisée dans ces conditions, l'opposition de Proudhon

n'était p*s moins vive. Accomplie parla monarchie piémontaise et

aboutissant 4 un Etat, centralisé, elle Ini apparaissait comme une

dérision, contre lequel il faisait appel à 1' « instiuct de conservatioo

de la France »! Mais on voit que, beaucoup plus étroitement natio-

nal que Marx, Proudlion ne se préoccupe pas du tout de l'intérêt

général du prolétariat mondial.

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64 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

qu'en répétant avec complaisance les insultes de Vogt, le

journal berlinois n'avait pas entendu diffamer Marx!

L'échec de ces poursuites entamées successivement devant

deux degrés de juridiction et les lourdes dépenses qu'elles

avaient entraînées pour lui amenèrent Marx à exprimer à

Lassalle toute la haine et le mépris que lui inspirait.la

magistrature prussienne.

Cependant le vieux roi Frédéric-Guillaume mourait en

1861 et en montant sur le trône Guillaume lor proclamait

une amnistie générale. Lassalle insista alors vivement

auprès de Marx et d'Engels pour que tous deux ou tout au

moins l'un ou l'autre «desanciens directeurs de la Nouvelle

Gazette Rhénane » rentrat en Allemagne et vint prendre avec

lui la direction d'un grand quotidien qu'il espérait fonder

à Berlin ayant réuni la somme « importante » de 10.000

thalers. Mais outre les difficultés provenant des diver-

gences de vue entre ces trois militants, il fallut renoncer à

ces projets en raison de l'interprétation bien prussienne

que le gouvernement royal entendait donner à son amnis-

- lie. Il prétendait en effet que tous ceux des exilés

qui étaient demeurés plus de 10 ans hors de Prusse, et

c'était le cas de Marx et d'Engels, devaient comme de sim-

ples étrangers, demander à être naturalisés! Et lorsqu'en

novembre 1801, Lassalle réclama lesdites lettres de natu-

ralisation pour Marx, le ministre « libéral » prussien

Von Schwerin lui répondit qu'il ne voyait pas les « rai-.

sons spéciales » justifiant la remise d'un permis de natura-

lisation audit Marx (1).

Le grand proscrit, objetde la haine des gouvernants, des

hobereaux et de la bourgeoisie prussienne devait donc

demeurer jusqu'à la fin de sa vie à Londres. Les pré-

cieuses collections du « British Museum » constituaient

(1) Edouard Bernstein, Ferdinand Lassalle, comme réformateur

social. Londres, 1893, p. 92.

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des mines inépuisables de documentation pour ses vastes

travaux économiques et l'idée de les quitter pour rentrer en

Allemagne n'aurait pas été sans lui causer de fortes appré-

hensions. Mais il continuait à mener une âpre lutte pour

l'existence, qui allait encore être aggravée par la guerre de

Sécession américaine et la suppression de son principal

moyen d'existence depuis des années, les correspondances

qu'il envoyait hebdomadairement à la New-York Tribune.

Comme tous les grands journaux américains, celui-ci va

être dorénavant absorbé tout entier par le grand drame de

la vie nationale et les événements d'Europe, tant que

durera la lutte entre Nordistes et Sudistes, n'ont plus d'in-

térêt pour le public yankee. C'est néanmoins dans ces con-

ditions pénibles que Marx termine le premier volume de

son grand ouvrage le Capital.

En présence de 'la grande bataille engagé*1 entre les

défenseurs de la liberté des noirs et les esclavagistes, Marx

embrasse avec enthousiasme la cause des abolitionnistes.

Ce n'était pas aussi aisé qu'il pourrait le sembler; la grande

majorité de -l'opinion en Angleterre comme en France,

ayant au contraire pris le parti des Sudistes et les gouver-

nants des deux pays, multipliant les obtacles, sur la route

glorieuse, mais pénible où s'était engagé Lincoln. L'action

de Marx a été pleinement mise en valeur par son biographe

américain John Spargo qui écrit « la dette dé l'Amérique

envers Marx n'a pas été jusqu'ici reconnue par les histo-

riens et il y en a peu qui aient su que plus que n'importe

qui, il contribua au revirement de l'opinion publique bri-

tannique en faveur du Nord, dans la grande lutte qui

aboutit à l'abolition de l'esclavage et le maintien de l'Union

Américaine B (1).

(1) John Spargo, Karl Marx, his life and work New-York Hueb

sch, p. 221. ,

JEAN LONGUET 5

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66 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

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En octobre 1862, Gladstone, alors Chancelier de l'Echi-

quier, au cours d'une tournée de conférences dans le nord

de l'Angleterre, prononçait à Newcastle un discours retentis-

sant où il proclamait que JefFerson Davis — le président

des Etats du Sud — avait « fait une nation » des Etats

esclavagistes, il envisageait avec assurance la victoire des

Sudistes et parlait avec malveillance de « la coupe que les

Etats du Nord essayaient d'écarter de leurs lèvres, mais que

le monde voyait bien qu'ils seraient obligés de boire ».

Voici le texte exact de la conclusion de son discours —

paroles stupéfiantes chez ce grand libéral, qui jettent une

ombfe fâcheuse sur sa carrière si brillante et qu'il a d'ail-

leurs regrettées depuis:

« Nous pouvons avoir chacun notre opinion sur la question

de l'esclavage; nous pouvons être pour ou contre le Sud,

mais il n'est pas douteux que Jefferson Davis et les autres chefs

du Sud ont fait une armée, ils bâtissaient semble-t-il une flotte

et ils ont fait ce qui est plus que l'un et l'autre, une nation (1) ».

Par ces paroles d'un illustre politique libéral, on peut

juger de l'attitude qu'avaient adopté en face des abolition-

nistes, les tories, les conservateurs!

A la suite de ce discours l'émotion fut telle dans le camp

nordiste que l'ambassadeur- des Etats-Unis à Londres,

Charles Francis Adam, écrivait dans son livre journal:

« Si M. Gladstone a exprimé dans son discours l'opinion

de tout le cabinet, mon séjour à Londres ne sera pas

long » (2). Et quelques jours après, il transmettait l'expres-

sion de son émoi à Lord John Russel. Mais les paroles stu-

péfiantes de Gladstone ne constituaient pas une démons-

(1) Idem, page 221.

(2) Life of Charles Francis Adam, par son fils. Boston, 1900,

p. 286.

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tration isolée. Elles se rattachaient à des négociations

poursuivies entre Palmerston pour le cabinet de Londres,

le gouvernement de Napoléon III et la Russie en vue d'offrir

une médiation basée sur la reconnaissance du nouvel Etat

sudiste et par conséquent sur le démembrement de ta grande

république américaine. Ces offres de médiation dont Pal-

merston avait pris l'initiative devaient être faites à la fois

au Nord et au Sud.''

Au cas où le Nord aurait refusé, les trois Puissances

eussent reconnu, l'indépendance des Confédérés esclava-

gistes (l).Tel était l'état d'esprit des classes dirigeantes que

Louis Blanc, exilé à Londres, constatait avec mélancolie

qu'à ce moment en Angleterre « les sympathies pour le

Nord étaient comme une faible digue, tandis que celles qui

se manifestaient pour le Sud étaient semblables à un tor-

rent». Pour faire accepter plusfacilement la reconnaissance

de la Confédération Sudiste par l'opinion, on affirmait qu'en

échange, celle-ci abolirait l'esclavage. « Si ce plan avait

réussi et que la guerre pour la libération des noirs eut été

arrêtée au moment de toucher au but, tous les sacrifices

terribles faits pour la cause de la liberté, eussent été con-

sentis en vain et la République irrémédiablement déchirée

en deux nations antagonistes » (John Spargo).

C'est a ce moment que Marx fit intervenir tout ce. qu'il

pouvait avoir d'influence dans la classe ouvrière et les

milieux démocratiques d'Angleterre en faveur des Nordis-

tes, de la cause de la libération des noirs et du maintien de

l'unité américaine. Il admirait vivement Lincoln et son

estime pour ce pur héros de la cause anti-esclavagiste

n'avait certes pas été diminué par le Message que le Prési-

(1) Tous ces faits que nous umpruntons au livre de Spargo, sont

pleinement confirmés dans la Vie de Gladstone de John Morley et

dans l'ouvrage de Walpole sur la Vie de Lord John Russell.

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dent avait adressé au Congrès américain au début de

décembre 1861.

Dans ce document, animé des aspirations les plus éle-

vées et des tendances les plus larges, Lincoln, réclamait

non seulement l'abolition de l'antique esclavage corporel

des noirs, mais envisageait l'affranchissement des prolé-

taires blancs de cette forme moderne du servage qu'est le

salariat.

« Le travail, écrivait-il, est antérieur au Capital el indépen-

dant de lui. Le Capital, n'est que le fruit du travail et n'aurait

jamais pu exister sans le Travail. Le Travail est supérieur au

Capital et mérite beaucoup plus de considération (2) ».

Marx, par l'intermédiaire de son fidèle Georges Eccarius,

un ouvrier allemand fort intelligent qui vivait à Londres

et militait activement dans les Trades Unions, saisit le

London Trades Council ou Union des Syndicats de Lon-

dres, de la question américaine. Sur son initiative une

grande manifestation des travailleurs organisés de la

métropole fut décidée et de semblables démonstrations

organisées dans tous les grands centres du Royaume-Uni,

notamment à Sheffiéld et à Manchester, pour célébrer la

proclamation de l'affranchissement .des noirs, affirmer

l'union des peuples anglais et américains, dénoncer l'escla-

vage comme la seule véritable cause de la guerre, expri-

mer au président Lincoln les sympathies ardentes du pro-

létariat britannique. Pour donner plus de retentissement à

leur action, Marx avait conseillé aux comités ouvriers orga-

nisateurs de faire appel à des libéraux, profondément anti-

socialistes et dont il haïssait les doctrines économiques,

mais dont il savait quelle était l'influence et le renom;

«'étaient les grands théoriciens du libre-échange John

<2) Cité par Spargo, ouvrage cité, page 225.

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Bright et Richard Cobden. Avec eux, prenaient part aux

vastes démonstrations qui eurent lieu sur tous les points de

l'Angleterre, John-Stuart Mil!, le professeur Beesly et

Randal Cremer, plus tard l'apôtre de l'arbitrage inter-

national, mais qui, modeste ouvrier menuisier, débutait

alors dans la vie syndicale. Les travailleurs du Lancashire

qui avaient été cruellement éprouvés par la guerre et que

l'arrêt de l'exportation du coton avait acculés à la famine,

n'hésitèrent pas, dans un admirable élan idéaliste, à pren-

dre part à ces manifestations de solidarité humanitaire

internationale, montr.int. selon la propre expression du

président Lincoln, « un sublime héroïsme chrétien qui

n'avait jamais été surpassé dans aucun temps ni dans

aucun pays ».

Ce soulèvement de la démocratie anglaise en faveur de

Lincoln et des Nordistes produisit une énorme impression

dans tout le pays et jeta le trouble et le désarroi dans le

camp des amis des Sudistes esclavagistes. Bientôt il ne

leur fut plus possible d'exprimer dans des meetings publics

leurs tristes préférences. Pour leur donner libre cours,.

il leur fallait organiser des réunions strictement privées.

Le gouvernement lui-même dut renoncer à reconnaître la

Confédération sudiste.

Lorsque naquit peu de temps après l'Association Inter-

nationale des Travailleurs, un des premiers actes publics

de son Conseil Général fut de voler une adresse de félicita-

tions à Lincoln, à la suite de sa réélection à la Présidence

de la République américaine. Ce document remarquable,

dû à la plume de Karl Marx, fut publié dans les journaux

londoniens du 23 décembre 1864. Le voici:

« A Abraham Lincotn, Président des Etats Unis.

« Nous félicitons le peuple américain de voire élection à

une forte majorité. Si la résistance à la puissance esclavagiste

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avait élé le mot d'ordre de votre première élection, le cri de

guerre triomphant de votre ré-éleclion est « mort à l'escla-

vage ». Depuis le début de cette lutte tilanesque de l'Amé-

rique, les travailleurs d'Europe ont instinctivement compris

gué la bannière étoile'e portait les destinées de leur classe.

« La lutte pour les territoires, par laquelle commençait cette

terrible épopée, ne devait-elle pas décider si le sol vierge

d'immenses espaces serait dévolu au travail de l'émigrant ou

prostitué à la fantaisie du propriétaire d'esclaves? Quand une

oligarchie de 300.000 propriétaires d'esclaves ose inscrire,

pour la première fois dans l'histoire du monde, l'esclavage sur

le drapeau d'une révolte à main armée, quand sur le sol où il

y a moins d'un siècle l'idée d'une grande république est née,

où la première Déclaration des Droits de l'Homme a été faite

et la première impulsion donnée à la révolution européenne

du xviir* siècle, quand sur ce sol même la contre-révolution,

avec une impudence systématique, se glorifie « d'abolir les

idées répandues lors de la fondation de la vieille Constitution »

et soutient que l'esclavage est une institution bienfaisante,

« la seule solution aux relations du Capital et du Travail » et

cyniquement proclame la propriété de l'homme la pierre angu-

laire d'un nouvel édifice, les classes ouvrières d'Europe ont

compris — même avant que la partialité fanatique des hautes

classes pour l'aristocratie confédérée leur eut servi de triste

avertissement — que la rébellion des propriétaires d'esclaves

devait sonner le tocsin, appelant partout la propriété à une

croisade générale contre le travail. Pour le monde du Tra-

vail, non seulement ses espoirs pour l'avenir, même ses con-

quêtes du passé sont en jeu dans le formidable conflit de

l'autre côté de l'Atlantique.

Partout, les travailleurs supportent avec patience les

épreuves que leur impose la crise du colon, s'opposant avec

vigueur aux prétentions importunes d'interventions en faveur

des esclavagistes, préconisées par leurs « supérieurs », et de

presque toutes les parties de l'Europe, ils ont apporté la contri-

bution de leur sang ;'i la « bonne cause ».

Tant que les travailleurs, la véritable force politique du

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Nord, ont permis à l'esclavage de souiller leur république,

et qu'en face du noir, soumis et vendu sans son avis, ils se

vantaient comme de la plus haute prérogative de l'ouvrier a

peau blanche de pouvoir se vendre lui-même et choisir son

maître, ils étaient incapables de conquérir la véritable

liberté du travail ou de soutenir leurs frères d'Europe dans

leur lutte pour leur emancipation. Mais cette barrière contre

le progrès a été Balayée par le rouge torrent de la guerre

civile. ,

Les travailleurs d'Europe sont certains que de même que

la guerre de l'Indépendance américaine a marqué le début

d'une ère nouvelle pour la bourgeoisie, de même la guerre

américaine contre l'esclavage sera le début de l'ère nouvelle

pour le prolétariat.

Ils considèrent comme un heureux présage pour des temps

proches que la tâche soit échue à Abraham Lincoln, fils sincère

de la classe ouvrière, de conduire son patjs à travers une

lutte sans pareille pour ta délivrance d'une race enchaînée

et la réorganisation d'un monde nouveau.

Au nom de l'Association internationale des Travailleurs.

Les membres du Conseil général (!•), » .

Dans une réponse au trade-unioniste Georges Tlowell

qui avait écrit sur l'action du Conseil général de nom-

breuses inexactitudes, Marx nous apprend que le prési-

dent Lincoln, répondit à cette adresse « de la manière la

plus amicale ». Quatre mois après « le fils sincère de la

classe ouvrière » tombait sous la balle d'un assassin —

comme devait périr un demi-siècle plus tard, à la veille de

la plus grande catastrophe mondiale, un autre noble cham-

pion de la cause de l'affranchissement humain — Jean

Jaurès.

La cause de l'Irlande n'intéressa pas moins Marx que

celle de la Pologne, de la Hongrie, ou la lutte de Lincoln

(1) Karl Marx, his life and work, patr John Spargo, p. 269 et 270.

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72 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

contre l'esclavage américain. Là encore ce pur théoricien

de la lutte des classes nous apparaît comme le fidèle

défenseur d'une nationalité opprimée et prêtant le plus

grand intérêt à son affranchissement. Jusqu'à son dernier

soupir, il suivra avec une attention passionnée les luttes

de l'Irlande avec Parnell et la Ligue Agraire, comme il

avait suivi le mouvement révolutionnaire antérieur des

Fenians. Il considérait d'ailleurs que l'affranchissement

de l'Irlande était appelé à exercer l'influence la plus consi-

dérable sur le développement révolutionnaire de l'Angle-

terre et de toute l'Europe. Et c'est ainsi qu'écrivait le

6 avril 1868 au Dr Kugelman: i

« L'Eglise établie en Irlande est le boulevard religieux du

landlordisrne anglais en Irlande, ainsi que l'ouvrage avancée

de l'Eglise d'Angleterre (je ne parle ici de l'Eglise d'Angleterre

que comme propriétaire foncier) Si l'Eglise tombe en Irlande,

elle tombera aussi en Angleterre et le landlordisme en"

Irlande d'abord, puis en Angleterre, la suivra. Mais depuis

longtemps déjà je suis convaincu que la Révolution sociale doit

commencer sérieusement par la base, c'est-à-dire par la pro-

priété foncière. En outre la chose aura une conséquence fort

utile, dès que l'Eglise irlandaise sera morte, les fermiers pro-

testants irlandais de la province d'Ulster se joindront aux

tenants catholiques dans les trois autres provinces d'Irlande et

se rallieront à leur mouvement, tandis que jusqu'à présent le

landlordisme pouvait exploiter cet antagonisme religieux (1) ».

On trouve un exposé très précis et très attachant des

conceptions que Marx avait de la question irlandaise, dans

une circulaire adressée en mars 1870 au comité de Bruns-

wick, organisme central de la fraction d'Eisenach que

Liebknecht et Behel représentaient dès lors dans le Parle-

Il) Lettres de Marx à Kugelman dans le Mouvement Socialiste

du 15 juillet 1903, page 418.

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ment de l'Allemagne du Nord sur les principaux problèmes

que le Conseil général de l'Internationale avait été appelé

à résoudre. On y trouve en même temps les opinions de

Marx sur l'Angleterre et le rôle considérable qu'il lui attri-

buait dans la Révolution internationale. Nous y revien-

drons. Sur la question irlandaise elle-même il'écrivait:

« Si l'Angleterre est le boulevard du landlordisme et du

capitalisme européen, le seul point où on peut frapper le grand

coup contre l'Angleterre officielle, c'est l'Irlande. En premier

lieu, l'Irlande est le boulevard du landlordisme anglais. S'il

tombait en Irlande, il tomberait en Angleterre. En Irlande

l'opération est cent fois plus facile, parce que la lutte écono-

mique y est exclusivement concentrée sur la propriété foncière,

parce que cette lultc y est en même temps nationale et parce

que le peuple y est plus\révolutionnaire et plus exaspéré qu'en

Anglelerre. Le landlordisme en Irlande est maintenu exlnsive-

menl par l'armée anglaise ».

En deuxième lieu « la bourgeoisie anglaise n'a pas seulement

exploité la misère irlandaise pour rabaisser, par l'émigration

forcée des pauvres Irlandais, la classe ouvrière en Angleterre,

mais elle a en outre divisé le prolétariat en deux camps hostiles.

Le feu révolutionnaire de l'ouvrier celte ne se combine pas

avec la nature solide, mais lente de l'ouvrier anglo saxon. Il y

a au contraire dans les grands centres industriels de l'Angle-

terre un antagonisme profond entre le prolétaire irlandais et le-

prolétaire anglais... Gel antagonisme parmi les prolétaires de

l'Angleterre elle-même est artificiellement nourri et entretenu

par la bourgeoisie. Elle sait que cette scission est le véritable

secret du maintien de son pouvoir ».

« En outre Cet antagonisme se reproduit au delà de l'Atlan-

tique. Les Irlandais chassés de leur sol natal par des bœufs et

des moutons, se retrouvent aux Etats-Unis où ils constituent

une portion formidable et toujours croissante de la population.

Leur seule pensée, leur seule passion c'est la haine de l'Angle-

terre. Le gouvernement anglais et le gouvernement américain

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74 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

— c'est-à-dire les classes qu'ils représentent — alimentent cesx

passions, pour éterniser la lutte internationale qui empêche

toute alliance sérieuse et sincère entre les classes ouvrières des

deux côtés et par conséquent toute émancipation commune.

L'Irlande est le seul prétexte du gouvernement anglais pour

entretenir une grande armée permanente, qui, en cas de besoin,

est lancée, comme cela s'est vu, sur'les ouvriers anglais après

avoir fait ses études soldatesques en Irlande ».

Et Marx apporte cette forte affirmation de sa foi dans la

liberté de tous les peuples:

« Ce que nous a montré l'ancienne Rome sur une énorme

échelle, se répète de nos jours en Angleterre; le peuple qui

subjugue un autre peuple se forge ses propres chaînes ».

Et il conclut: / \

« Donc la position de l'Association internationale vis-à-vis de

la question irlandaise est très nette. Son premier besoin est de

pousser la révolution sociale en Angleterre. A cet effet, il faut

frapper un grand coup en Irlande.

Les résolutions du Conseil Général sur l'amnistie irlan-

daise ne servent qu'à introduire'd'autres résolutions qui

affirmeront que, abstraction faite de toute justice interna-

tionale, c'est une condition préliminaire de l'émancipation

de la classe ouvrière anglaise de transformer la présente

Union forcée, — c'est-à-dire l'esclavage de l'Irlande — en

Confédération égale et libre, s'il se peut, en séparation, s'il le

faut » (1).

Quelques mois auparavant, Marx écrivait à Kugelman:

(1) Circulaire du Conseil Général de l'Internationale communiquée

par Marx à Kugelman. Lettres de Marx à Kugelman publiées dans

le Mouvement Socialiste, septembre 1903, p. 55.

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I L'UNITÉ ITALIENNE, LA GUERRE DE SÉCESSION, ETC. 75

« Je suis de plus en plus arrivé à la conviction — et il ne

s'agit que de l'inculqué'r à la classe ouvrière anglaise — qu'elle

ne pourra jamais rien tenter de décisif, tant qu'elle n'aura pas

séparé de la façon la plus nette sa politique irlandaise de la

politique des classes dominantes. Elle ne peut se contenter de

faire cause commune avec les Irlandais; il lui faut encore

prendre l'initiative de la dissolution de l'Union de 1801 et de

son remplacement par un pacte fédératif libre (I) ».

Et il ajoutait que d'autre part, il fallait y arriver plus

encore dans l'intérêt même du prolétariat anglais que par

sympathie pour l'Irlande:

Les rapports actuels des deux peuples paralysent non seule-

ment l'évolution sociale de l'Angleterre, mais encore l'attitude

qu'elle observe par exemple vis-à-vis de la Russie et des Etats-

Unis d'Amérique.

Comme c'est incontestablement la classe ouvrière anglaise,

qui fera. pencher la balance en faveur de l'émancipation

sociale, il nous faut peser de toutes nus forces sur ne point.

En réalité c'est l'Irlande qui a causé la perte de la République

sous Oomwell. Non bis in ide.m.

A leur constante préoccupation de l'intérêt du prolétariat

international et du droit des nationalités petites ou grandes

à l'indépendance et à la liberté, Marx et Engels ont-ils

cessé d'être fidèles dans l'affaire des duchés et lors de la

guerre engagée en 1864 contre le Danemark par la Prusse

et l'Autriche?

Pour le soutenir il faut faire abstraction de tous les élé-

ments réels du problème et substituer à ses conditions con-

crètes, l'ignorance, la haine et la polémique la plus par-

tiale. Ainsi que l'a écrit Jaurès : « La faiblesse du Dane-

mark, accablé par des forces supérieures, ne peut pas

(1) idem. p. 39.

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faire oublier ce qu'il y avait eu d'inique à l'origine dans ses

prétentions » (1). Le Sleswig-Holstein annexé au Dane-

mark en 1815 comprenait une population en grande majo-

rité allemande dans le sud et le centre, mais en majorité

danoise dans le nord. Par le traité de Londres en 1852, le

roi de Danemark s'était engagé à respecter les droits des

populations allemandes des duchés. En fait -il n'avait pas

tenu ses engagements, et contre l'oppression de ces popula-

tions tous les démocrates d'Allemagne formulaient une

revendication dont la légitimité avait été reconnue à Lon-

dres et à Paris, où d'ailleurs, ainsi que l'écrit Charles

Andler, « Napoléon 111 ne savait pas comment appliquer

son principe des nationalités dans cette région holste où

les races vivent confondues » (2).

La question se posa d'une manière aiguë en 1863 quand

le roi de Danemark Frédéric Vil mourut:

11 y eut deux héritiers en présence, Christian IX que le droit

danois faisait, successeur légitime en Danemark et Frédéric duc

d'Augustenbourg que le droit ducal, plus rigoureux sur les

degrés de parenté en' lignée mâle désignait pour le Sleswig-

Holstein. On ne pouvait donc faire droit à l'héritier le plus

proche Frédéric d'Aiignstenbourg, qu'en séparant du Dane-

mark les duchés qui étaient danois depuis 1815 et on ne pou-

vait maintenir l'intégrité danoise que par une infraction au

droit de l'héritier vrai.

« Les grandes puissances y compris la Prusse et l'Autriche,

par le protocole de Londres en 1852, avaient désigné Chris-

tian IX. Les assemblées ducales hostiles au Danemark pro-

clamaient Augustenbourg et il semblait bien que la popula-

tion aussi, excepté dans le Sleswig du Nord, penchait pour

s'unira l'Allemagne (3) ».

(ti Jean Jaurès, La Guerre franco-allemande, p. '97.

(2) Ch Andler, Le prince de Bismarck, p. 90.

(3) Idem, p. 88.

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Placés en face de ce vœu des habitants des duchés exprimé

clairement — ajnsi que nous le montre une histoire aussi

peu suspecte que celle de Charles Andler — par leurs repré-

sentants authentiques, Engels a-t-il fait œuvre de « pan-

germanisme » en parlant de leur « libération »? La plus

élémentaire bonne foi permej. de répondre que non. Où

celle-ci fait absolument défaut, c'est chez le polémiste qui,

des paroles de l'ami de Marx s'associant à la revendica-

tion générale de la nation allemande sur la partie alle-

mande des duchés, veut tirer une approbation de la politi-

que bismarckienne, de la mainmise prussienne sur tout le

Sleswig-Holstein dont il est impossible de trouver la

moindre trace dans les lettres indiquées (1).

En réalité, comme le montrent les lettres rédigées de

1865 à 1866 pour la reine d'Angleterre Victoria, par le

prince de Hohenlohe, qui l'informait des choses d'Allema-

gne, la revendication de Sleswig-Holstein se rattachait

étroitement à l'universelle aspiration des démocrates vers

l'unité allemande. Le prince ajoutait : « C'est la raison

pour laquelle cette question a excité une émotion plus vive

dans les Etats allemands qui ne sont ni la Prusse, ni l'Au-

triche » (2).

C'est dans ce sens et dans ce sens seulement que Engels

et Marx ont envisagé le problème.

Il suffit d'ailleurs de nous reporter aux textes cités et

tronqués, comme à l'habitude, pour les besoins d'une triste

polémique, afin d'être fixé. Dans sa lettre datée du 3 décem-

bre 1863, Engels écrit à Marx qui partait pour Trêves:

« J'espère que l'enthousiasme sleswig-holsteinois du pays

natal ne gâtera pas trop ton séjour là-bas. J'ai pioché tout

(1) Ch. Andler, Laskine, Les Socialistes du Kaiser, p. 69 à 71.

(2) Cité par Jaurès dans son Histoire de la guerre franco-alle-

mande, p. 44.

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le problème et voici les conclusions auxquelles je suis arrivé:

1° La question sleswig-holsteinoise est delà bêtise.

2» C'est l'Augustenbourgeois qui parait avoir raison dans le

llolstein (1).

3° II est difficile de dire pour le Sleswig qui a droit à la

succession et la ligne directe d'autre part n'y existe que comme

feudataire du Danemarck

4» Le traité de Londres est absolument valable au Dane-

mark, mais il n'est certainement pas valable, ni dans le

Sleswig, ni dans le Holsteia, parce qu'on y a pas consulté les

Diètes.

5° Le droit allemand sur le Sleswig se borne à la partie

sud, qui est .allemande de par sa nationalité et sa libre

volonté'; par conséquent, le Sleswig doit subir un partage ».

Loin de vouloir poursuivre par conséquent la conquête

de la partie danoise du Sleswig, Engels la réprouve

expressément. Conformément au programme constant de

la démocratie de l'époque, il demande ensuite que la libé-

ration (de la partie allemande) des duchés soit réalisée à la

faveur d'une guerre contre la Russie pour la délivrance de

la Pologne. Il ajoute sur ce ton de plaisanterie qu'on trouve

fréquemment dans la correspondance des deux amis, cette

boutade:

« Alors Louis-Napoléon sera notre fidèle serviteur, la Suède

tombera aussitôt dans nos bras, l'Angleterre, je veux dire

Pam (Palmerston), sera paralysée et nous prenons tranquille-

ment au Danemark ce que nous voudrons ».

C'est ce badinage — soigneusement séparé de son texte

\

(1) II s'agit du duc d'Augustenbourg qui revendiquait les duchés

contre le roi de Danemark. L'opinion d'Engels est sur ce point

celle de Charles Andler qui écrit : « On ne pouvait maintenir l'inté-

grité danoise que par une infraction au droit de l'héritier vrai »

(Le prince de Bismarck, p. 86).

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et présenté en termes mélodramatiques comme l'expression

d'un « cynisme révoltant » — dont s'autorise le plus

injurieux des pamphlétaires pour représenter Engels (et

Marx) comme's'étant en 1864 « identifiés sans remords ni

scrupulesavec la politique pangermaniste de Bismarck » (1).

Lorsque les tragiques événements que nous vivons

seront passés et que l'excitabilité presque morbide qu'ils

provoquent chez beaucoup d'esprits ordinairement équili-

brés aura disparu, on sera honteux pour notre pays du

genre de littérature dont il aura été nourri depuis quatre ans.

Le mépris public s'élèvera alors unanime, contre la bassesse

de-semblables procédés.

Passons.

Le lendemain, répondant à cette lettre, Marx écrit à son

fidèle ami:

« En ce qui concerne les « meerumsehlungen » (pays entouré

par la mer)., c'est ainsi- que débute la chanson du Sleswig-

Holstein — je suis tout à fait de ton avis. La question du droit

de succession n'a naturellement qu'une importance diploma-

• tique. Quant au Danemark, je ne le crois pas tenu par le traité

de Londres, puisque lors du vote, des navires de guerre russes

intimidèrent le Rigstag danois (2) ».

Et après une allusion, assez caractéristique à une bro-

chure danoise « intéressante en ce qu'elle nous fixe sur les

« gaillards » qui provoquèrent au début le mouvement

pro-allemand du Sleswig-Holstein » Marx, conclut par

cette phrase bien conforme à son point de vue constant:

« Surtout, il ne faut pas blesser les Danois. Ils doivent se

rendre compte que Scandinaves et Allemands ont un même

(1) Les socialistes du Kaiser, par Laskine, p. 71.

(2) Correspondance de Marx et Engels, vol. III, lettre n« 721,

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intérêt contre la Russie, bien ne leur sera plus utile d'ail-

leurs que de, voir éliminer l'élément allemand (1) ».

Donc aucune équivoque n'est possible pour le lecteur de

bonne foi. C'est exclusivement l'élément allemand, la par-

tie allemande du Sleswig-Holstein dont Marx envisage

le retour à la patrie de son choix. Pas une ligne, pas un

mot qui permette de soutenir que les fondateurs du socia-

lisme moderne aient envisagé autrement qu'avec horreur

la conquête et l'occupation des populations de langue et de

race danoises, que la Prusse a depuis 52 ans si durement

opprimées.

Mais lorsque nous envisageons aujourd'hui la question,

la lourde oppression que la Prusse fait peser sur les

épaules des habitants du Sleswig du Nord, invinciblement

demeurés fidèles à la langue et à la culture danoise (2), ne

doit pas nous faire oublier qu'en 1864, la majorité des

populations du Sleswig-Holstein demandait leur retour à

l'Allemagne (3). Si ensuite la Prusse s'est substituée à la

Confédération germanique et a annexé les duchés, c'est que

d'ores et déjà elle montrait que « toute œuvre allemande

ne valait à ses yeux que sous forme prussienne » (4).

C'était la déviation de l'idée unitaire dont le couronne-

ment se produira en 1871, avec la constitution de « l'Em-

pire borusso-germanique » àprement raillé par Marx et

qui est l'opposé de la « République allemande une et indi-

visible », réclamée dans la Nouvelle Gazette Rhénane de 1848,

par les auteurs du Manifeste des Communistes.

()) Idem, lettre n" 722, p. 149.

(2) Voir le Sleswig du Nord publié par les Associations Slesvi-

coises. Copenhague, 191b.

(3) Jaurès, ouvrage cité, p. 46.

(4) Idem, p. 97.

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Page 85: La politique internationale du marxisme

CHAPITRE IV

L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS

SON PROGRAMME DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE

LES LUTTES DE MARX CONTRE LES PROUDIION1KNS,

LES MAZZINIENS ET LES LASSALLIENS (1864-1868)

Au lendemain de la défaite générale de la révolution

européenne, nous avons montré par quelle phase d'im-

puissance douloureuse passa le mouvement socialiste et.

ouvrier de 1850h 1860. Dans sa forte contribution à 1' « His-

toire Socialiste » de Jaurès, Albert Thomas caractérise

éloquemment cette période: .

« Etat lamentable s'il en fui jamais! Les socialistes dispersés

en petits groupes par tous pays ne savent plus pour ainsi dire

rien des réalités sociales... Les hommes de pensée et de science,

Marx, Engels, Proudhon, étudient, observent dans la retraite,

dans l'isolement, mais jusqu'en 1864. ils n'ont pas d'influence:

ils ne connaissent plus la joie sublime d'exprimer quotidienne-

ment leur pensée dans l'action, de voir, comme disait Marx,

« la théorie s'emparant des foules, devenir force maté-

rielle » (1).

Nous avons vu cependant que. pour Marx, la retraite et

l'isolement n'avaient jamais été absolus. Ce grand combat-

(1) Histoire Socialiste, tome 10. Le Second Empire, par Albert

Thomas, page 162.

JEAN LONGUET 6

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Page 86: La politique internationale du marxisme

82 LA POLITigOE INTERNATIONALE DU MARXISME

tant de la pensée et de la réalité, pendant les dix premières

années de son exil londonien, n'avait pas cessé de suivre

passionnément les événements de la politique mondiale,

de les commenter dans ses articles de la New-York Tribune,

-de garder des relations permanentes et étroites avec son

fidèle ami Engels, à Manchester et d'examiner avec lui

à la lumière de leur philosophie historique commnue, les

hommes et les choses, de se tenir enfin en contact avec la

classe ouvrière anglaise et ses éléments les plus militants,

notamment avec ce qui restait de l'héroïque mouvement

chartiste. Le chef reconnu et respecté des chartistes, Ernest

Jones, lors des polémiques provoquées par la guerre d'Ita-

lie entre Marx et Karl Vogt et à la suite des basses calom-

nies lancées par celui-ci contre Marx, apporta son témoi-

gnage chaleureux au grand proscrit allemand à la date du

1 1 février 1860:

« Je considère réellement comme un devoir, lui écrivait-il,

d'obtenir de tous ceux qui vous connaissent la reconnaissance de

votre valeur, de votre intégrité et de votre désintéressement — si

peu que vous ayez besoin de ce témoignage. C'est pour moi un

devoir d'autant plus grand de le proclamer, que je ne puis •

oublier que vous avez pendant des années et sans la moindre

rétribution, fourni des articles à mon petit journal Notes of

"the People et plus tard au Peoples Paper, articles de haute

valeur pour la cause populaire et qui ont puissamment aidé nos

organes ».

Avec le mouvement trade-unioniste, avec les syndicats

de Londres, Marx était également en contact, ainsi que

nous l'avons déjà constaté à propos de la guerre de Séces-

sion et de la lutte contre les Esclavagistes, surtout par

l'intermédiaire d'un ouvrier allemand d'une remarquable

intelligence, le tailleur Georges Eccarius, qui était dès lors

délégué à l'organisation métropolitaine centrale le « Lon-

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Page 87: La politique internationale du marxisme

L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS 83

don Trades Council » en même temps, qu'il était membre

actif du Club Communiste allemand, le « Communistische

Arbeiter Bildungsverein ». Eccarius, s'était pleinement

adapté au milieu britannique, il parlait remarquablement

bien l'anglais et dans des polémiques avec John Stuart Mill,

il n'était pas apparu que le prolétaire fit mauvaise figure

en face de l'illustre philosophe (1). Marx avait bientôt

connu tous les militants principaux de l'époque, les

Applegarth, les Odger, les William Allan, cette « junte >

dont Sydney et Béatrice Webb ont si brillamment retracé le

rôle dans leur grande Histoire au Trade-Unimisme. Les uns

et les autres allaient se rencontrer dans la première

organisation internationale du prolétariat.

On sait comment elle naquit ; en 1862 se tenait à Lon-

dres, une Exposition Universelle qui fut particulièrement

brillante. Dès le 29 septembre 1860,1e Progrès de Lyon avait

incité les travailleurs lyonnais à se cotiser pour y envoyer

des délégués. L'idée obtint quelque succès et le Temps

ouvrit une souscription pour payer les frais de déplacement

des ouvriers qui iraient étudier les conditions de vie et les

idées, de leurs camarades anglais. Le 5 août 1862, une

« fête de fraternité internationale des Travailleurs » réu-

nissait à la« Taverne des francs-maçons » à Londres, délé-

gués français et allemands avec leurs hôtes anglais. Odger

leur lut une adresse de bienvenue empreinte d'une grande

modération mais où s'affirmait déjà avec force l'idée de

l'internationalisme prolétarien .-

« Nous pensons, déclara-t-il, qu'en échangeant nos pensées et

nos observations avec les ouvriers des différentes nationalités,

nous arriverons à découvrir plus vite les secrets économiques des

sociétés. Espérons que maintenant que nous nous sommes serrés

la main, que nous voyons que comme hommes, comme citoyens

(1) John Spargo, ouvrage cité, p. 259,

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Page 88: La politique internationale du marxisme

84 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

et comme ouvriers nous avons les mêmes aspirations et les

mêmes intérêts, nous ne permettrons pas que notre alliance

fraternelle soit brisée par ceux qui pourraient croire de leur inté-

rêt de nous voir désunis : espérons que nous trouverons quel-

que moyen international de communication et que chaque

jour se formera un nouvel anneau 'de la chaîne d'amour qui

unira les travailleurs de tous les pays ».

Un des délégués français, Emile Richard, répondit sur

le même thème, célébrant l'abaissement des frontières,

l'union fortement cimentée entre les travailleurs des deux

côtés du détroit.

L'idée est dans l'air. Une brûlante question de politique

internationale,"la revendication d'un peuple opprimé, va

lui permettre de prendre corps. La révolution de Pologne

avait éclaté en 1863 et le peuple de Varsovie s'était soulevé

contre le tsar. Entre Paris et Varsovie des adresses étaient

échangées, les ouvriers voulaient que Napoléon III inter-

vint en faveur des Polonais, comme il l'avait fait quelques

années auparavant en faveur des Italiens. « S'il n'avait

tenu qu'aux travailleurs parisiens, écrit Albert Thomas,

il eut immédiatement engagé la guerre pour la défense de

la Pologne » (1). Nous trouvons encore ici chez les travail-

leurs français, comme à maintes reprises nous l'avons

constaté déjà chez Marx, l'idée de la « guerre sainte » con-

tre la Russie pour la délivrance des Polonais. Ils adres-

saient une adresse de propagande à Czartoryki, ils faisaient

des collectes, ils organisaient une pétition — mal reçue

d'ailleurs — à celui qui avait en mains « l'épée de la

France » (2). Ouvriers français et ouvriers anglais échan-

geaient des adresses. Un premier meeting pro-polonais

avait lieu le 22 juillet 1863 à Londres, auquel assistaient

(1) Albert Thomas, ouvrage cité, p. Î08.

(2) Idem, p. 238.

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trois ouvriers, délégués français, dont l'ouvrier ciseleur

sur bronze Tolain. L'agitation continuait pendant plus

d'une année, elle aboutissait enfin à la fameuse réunion

d'où devait sortir « l'Association Internationale des Tra-

vailleurs ».

C'est à tort, à notre avis, qu'Albert Thomas écrit que la

Pologne « n'en fut que le prétexte » (1). Elle fut la raison

première de la réunion. La lutte commune du prolétariat

et de la démocratie d'Europe pour la Pologne martyre el

contre le tsarisme russe apparaissait certainement aux.

organisateurs de Erance et d'Angleterre, comme la base

sur laquelle pouvait ensuite se développer toute l'action

'internationale de la classe ouvrière.

Afin de donner a. la réunion son caractère pleinement

international, les organisateurs avaient invité le Club com-

muniste allemand de Londres et &'exprimé k désir du comité

que te Dr Marx y fui délégué ». Le meeting eut lieu le 28 sep-

tembre 1864 à Saint-Martin's Hall sous la présidence du

professeur Beesly, de l'Université de Londres, un posi-

tiviste très estimé et d'un noble caractère, un libéral

d'avant-garde qu'on retrouvera toujours au premier rang

dans les luttes alors livrées par le prolétariat et la démo-

cratie en Angleterre.

C'était un fidèle ami de Marx, qui, dans sa correspon-

dance, parle avec attendrissement et une nuance de raille-

rie affectueuse des « crotchets » (lubies) positivistes de l'ex-

cellent professeur (2). Beesly prononça un ardent discours

en faveur de la Pologne, dénonça les despotes et exhorta les

travailleurs à s'unir contre le militarisme et le chauvi-

nisme. Tolain lut la réponse des délégués français, rédigée

en termes très modérés mais proclamant la nécessité de

(1) Idem, p. 238.

(2) Lettres à Kugelman, Mouvement Socialiste, 15 octobre 1903,

p. 186.

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l'union des travailleurs de tous les pays. Un jeune profes-

seur de français, Le Lubez, « élevé à Jersey et à Londres »

'traduisit l'adresse et souleva un grand enthousiasme dans

l'auditoire, composé de trade-unionistes anglais et de révo-

lutionnaires français, allemands, italiens et polonais, en

développant le plan d'une organisation internationale per-

manente des travailleurs.

Un trade-unioniste anglais, Wheeler l'appuya, sou-

tenu par Rccarius parlant au nom des Allemands, par un

autre Français du nom de Bosquet, par le major Wolff, le

lieutenant de Mazzini, pour les Italiens, par un Irlandais

nommé Forbes. L'assemblée nomma finalement un comité

d'organisation qui comprenait, notamment, les trade-unio-

nistes anglais George Odger, 11. Cremer, G. Howell, le

disciple Owen, John Weston, Lucraft, un 'vieux militant

chartiste Osborne, le major Wolff, le Français'Le Lubez et

enfin le « Dr Karl Marx ».

Aux deux premières séances plénières, l'état de la santé

de Marx ne lui permit pas d'être présent. C'est donc en

dehors de toute action de lui que fut décidée la création du

Conseil Général, composé de 50 membres, qui étaient

alors 21 Anglais, 10 Allemands, 9 Français, 6 Italiens,

2 Polonais et 2 Suisses. On voit que les Anglais consti-

tuaient à eux seuls près de la moitié de l'organisme cen-

tral de la naissante Internationale. Les Unions anglaises

furent toujours, d'après l'expression deSpargo, sa «colonne

vertébrale ». Et cela certes ne devait pas déplaire à Marx,

qui, ainsi que nous le verrons, attribuait dans la transfor-

mation du monde capitaliste un rôle décisif au proléta-

riat britannique, alors le plus nombreux et le plus forte-

ment organisé.

A la deuxième réunion, on se mit d'accord sur le nom

de l'organisation : l'Association'internationale des travailleurs.

Dans cette même séance, le comité élut une sous-com-

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mission pour rédiger une Déclaration de principes e.t des

statuts provisoires de ce qui allait être l'Internationale. Cette

sous-commission comprenait Grenier, Le Lubez, Weston

et Marx.

Et immédiatement nous constatons un fait qu'à maintes

reprises nous verrons se produire encore et sur lequel ont

épilogue a perte de vue tous les adversaires du socialisme

moderne, bourgeois ou anarchistes.

Dans le « chaos des tendances » qui existe alors au sein

de la classe ouvrière européenne, surtout en France et en

Angleterre, en face des influences divergentes, confuses,

contradictoires des anciens utopistes, de Saint-Simon,

Owen, Kourier, de l'insurrectionnalisme qui de Grac-

chus Babeuf avait été transmis par lUionarrotli à Blanqui,

du système des conspirations et des sociétés secuètes de

Mazzini, du socialisme d'Etat de Louis Blanc, du mutuel-

lisme de Proudhon, du trade-unionisme anglais encore

tout imprégné de radicalisme individualiste— la méthode,

le corps de doctrine précis, synthèse féconde de tous les

anciens systèmes en même temps que leur négation, la

conception claire et nette d'un mouvement de classe uni-

taire et discipliné qu'apporté Karl Marx, exercent tout de

suite une influence considérable sur les travailleurs.

La supériorité doctrinale, la vigueur et la profondeur de

la pensée du créateur du socialisme moderne s'imposent

même à ceux dont les cerveaux sont encore tout embrumés*

de métaphysique falote et d'utopisme désuet, comme elles

s'imposeront de plus en plus pendant le demi-siècle qui va

suivre aux prolétariats des différentes nations industrielles

d'Europe ou d'Amérique. Expliquer semblable phénomène

social par des intrigues ténébreuses, l'influence d'une

nation particulière, voire par la victoire militaire de ses

gouvernants capitalistes, ou encore par la « volonté de dicta-

ture germanique » d'une individualité est d'une bien pau-

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vre sociologie, bonne tout au plus pour contenter l'intelli-

gence d'un lecteur de la Croix ou d'un « camelot du

roy » (1).

Dans la sous-commission, l'influence de Marx s'exerce

tout de suite décisive. L'exposé qu'il a fait lui-même dans

une lettre à Engels de ce qui s'y passa et des conditions

dans lesquelles il substitua au « fatras » de Le Lubez l'ad-

mirable préambule et les statuts immortels de l'Internatio-

nale est, quoi qu'en prétende James Guillaume, tout à son

honneur. Le récit familier et rempli d'humour qu'il a

.donné de son effort pour substituer l'ordre au chaos et la

réalité scientifique aux fantaisies idéologiques ne peut en

aucune manière, justifier les invectives qu'elles lui valent

chez des adversaires dépourvus de la plus élémentaire

bonne foi.

Il n'est pas un militant socialiste, ayant assisté aux déli-

bérations d'un congrès qui n'ait vu, dans des conditions

semblables, l'homme supérieur par le talent, voire le génie,

amener fatalement ses collègues à abandonner des projets

de résolution ou d'ordre du jour insuffisants ou inférieurs

pour se rallier aux textes adéquats, qu'il apporte. Maintes

fois, nous avons vu la chose se produire dans nos congrès

nationaux et internationaux depuis 20 ans, chaque fois que

Jaurès y participait. Nul ne pourrait soutenir qu'il y eut là

de «ténébreuses intrigues » ni, dans les congrès interna-

tionaux, une « hégémonie française » (2).

(1) Le journal la France, cependant organe liu radicalisme le

plus conservateur fait a ce propos ces remarques de simple bon

sens : « Croyez-vous, M. Laskine, que ses intrigues eussent suffi à

donner à Marx la maîtrise du mouvement ouvrier s'il n'avait pas

de beaucoup dépassé ses contemporains socialistes par sa puissante

culture ? » (France du 14 mai 1916).

(2) Bien au contraire, les mêmes critiques soutiennent que dans

les congrès internationaux la France avait une «attitude humiliée »

et « humble ». Il suffît pour réfuter cette grossière sophistification

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A la première réunion de la sous-commission, comme

aux deux réunions du Comité, Marx toujours souiïrant ne

put assister. Tout de suite s'était engagée la lutte des sys-

tèmes et des hommes pour la maîtrise du nouvel orga-

nisme. Le major Wolff, un Polonais italianisé qui était le

fldèle lieutenant de Giuseppe Mazzini, tenta de donner à

l'Internationale la forme d'une société secrète en proposant

d'en modeler les statuts sur le règlement des sociétés

mazziniennes, tandis que John Weston, un brave oweniste

anglais, avait apporté un programme diffus, empreint des

conceptions économiques nuageuses dont Marx devait faire

un an après une si magistrale réfutation dans une confé-

rence qu'on a pu qualifier « d'abrégé du Capital avant la

lettre » (1). L'uneet l'autre proposition avaient été renvoyées

à la sous-commission.

A la deuxième réunion, Le Lubez présenta une sorte

« d'olla prodida» qu'il avait faite avec les statuts de Wolff

et la déclaration de Weston et, en l'absence de Marx,

ces propositions furent adoptées. C'est alors qu'Eccarius

avertit Marx qui dans une intéressante lettre à Engels va

nous raconter comment il parvint à écarter les propositions

et les textes confus qui menaçaient de faire dévier dès ses

premiers pas l'internationalisme prolétarien.

« J'assistais à la première séance dû « Comité ». On nomma

une sous-commission dont je faispartic pour rédiger la « Décla-

ration des principes » et les statuts provisoires. Une indisposi-

tion m'empêcha d'assister à la séance de la sous-commission

et à la séance pleinière du comité qui eut lieu ensuite.

« Dans ces deux séances, celle de la sous-commission et celle

de l'histoire de rappeler Imprimante incontestable que Jaurès exerça

aux congrès internationaux de Stuttgart, Copenhague et Baie.

(1)' Salaires, prix, profits, par Karl Marx, traduction de Charles

Longuet. Paris, Giard et Brière, page 5.

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pleinière du Comité, dont j'étais absent, il s'était passé ceci:

« Le major Wolff avait proposé pour l'usage de la nouvelle

association son règlement (statuts) des associations ouvrières

italiennes (qui possèdent une organisation centrale, maisqui sont,

ainsi qu'on l'a vu après, surtout des sociétés de secours mutuels

associées). Je vis plus tard ces statuts. C'était évidemment une

fabrication de Mazzini et tu-vois donc d'avance dans quel esprit

et avec quelle phraséologie on y traitait la question réelle, la

question ouvrière, et aussi comment toutes les histoires de-

nationalités y étaient glissées.

« En plus de cela, un vieil Oweniste, Weston, qui est main-

tenant « industriel », un brave homme très aimable a rédigé

un programme plein de confusions et d'une longueur déme-

surée.

« La séance suivante du comité général chargea la sous-

commission de transformer le programme de Weston ainsi

que les statuts de Wolff. Wolff lui-même partit pour assister

au Congrès des associations de travailleurs italiens et pour les

décider à se rallier à l'Association centrale de Londres.

« II y eut encore une autre séance de la sous-commission à

laquelle je n'assistai pas ayant été prévenu trop tard du rendez-

vous. On y présenta une « Déclaration de principes » et le rema-

niement des statutsde Wolf, en vue de les soumettre au comité

entier.

<t Le comité s'assembla le 18 octobre. Comme Eccarius

m'avait écrit qu'il y avait péril en la demeure, j'y allai et je ne

fus pas peu surpris lorsque j'entendis lire par le brave Le Lubez

un préambule rempli d'une phraséologie mal écrite et tout à fait

mal digérée, ayant laprétention d'être une Déclaration de prin-

cipes, où l'on voyait partout passer le Mazzini, et par dessus lequel

s'incrustaient les lambeaux les plus confus et les plus vagues du

socialisme français. A part cela, on avait voté daïis leur ensemble

les statuts italiens qui — sans compter les autres défauts —

avaient pour but une chose tout à fait impossible, une espèce de

gouvernement central (où Mazzini occuperait naturellement le

fond de la scène) des classes ouvrières européennes. A la suite

d'une opposition très mesurée de ma part et après de longs

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discours, Eccarius proposa que la sous-commission soumit de

nouveau cette affaire à sa « rédaction ».

« Mais les « sentiments » contenus dans la déclaration de

Le Lubez furent votés.

u Deux jours plus tard, le 20 octobre, se réunissaient dans

ma maison, Grenier pour les Anglais, Fontana pour l'Italie et

Le Lubez (Weston était empêché). Jusque-là je n'avais pas

encore eu en mains les papiers (de Wolff et de Le Lubez) et je

n'avais donc rien pu préparer, mais j'étais bien résolu que, si

possible, pas une seule ligne ne restât de ce fatras. Pour

gagner du temps, je proposai, avant de rédiger le Préambule,

que nous discutions les statuts. C'est ce qu'on fit. Il était une

heure du matin quand le premier des 40 articles fut voté..

Cremer dit (et c'est ce que je désirais) : « Nous n'avons rien à

soumettre au comité qui doit siéger le 25 octobre. Remettons-le

donc au 1er novembre. Mais la sous-commission se réunira le

27octobre et cherchera à obtenir un résultat définitif ».

Là-dessus, on se mit d'accord et on me laissa les « papiers »

pour que j'en prenne connaissance.

« Je vis qu'il était impossible de faire quelque chose de ce

fatras; pour justifier la manière dans laquelle j'avais l'inten-

tion de rédiger les « sentiments » votés, j'écrivis une « Adresse

à la Classe ouvrière » (ce qui n'existait pas dans le projet pri-

mitif), une sorte de revue des événements de la vie ouvrière

depuis 1845. Sous prétexte que tous les faits étaient déjà con-

tenus dans cette Adresse et que nous ne devions pas répéter les

mêmes choses trois fois, j'enlevai la « Déclaration de Princi-

pes » et je réduisis à 10 les 40 articles des Statuts. Là où il était

question dans l'Adresse de politique internationale, je parle de

« pays » et non pas de nationalités et je dénonçai la Russie,

mais non les « minores gentium » (1).

« Mes propositions furent acceptées par la sous-commission.

Maintenant je fus obligé de mettre dans le Préambule des sta-

tuts, deux phrases sur le « droit » et le « devoir », ainsi que

sur La « vérité, la moralité et la justice », mais cela est placé de

façon que cela n'ait aucun inconvénient.

(1) Les nations plus petites.

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l

« Dans la séance du comité général, mon Adresse fut accep-

tée avec un grand enthousiasme et à l'unanimité. Les débats

sur la question d'imprimerie auront lieu mardi prochain. Le

Lubez a une copie de l'Adresse pour la traduction en français

et Fontana pour l'italien. Il y a d'abord une feuille hebdoma-

daire appelée Beehive, rédigée par le trade-unioniste Polter,

une espèce de « Moniteur ». C'est moi qui dois traduire l'Adresse

en allemand.

.c II était très difficile de faire la chose de telle sorte que notre

point de vue parut sous une forme qui lerendit acceptable dans

l'état actuel du mouvement ouvrier; n'oublie pas que les mêmes

gens (1) tiendront dans quelques semaines des meetings avec

Bright et Cobden, pour le droit de vole! Il faudra du temps

avant que le mouvement ressuscité permette l'ancienne har-

diesse de langage. Il est nécessaire « fortiter in re, suaviter in

modo » (2). Aussitôt imprimé, tu recevras le document » (3).

Le rejet à la presque unanimité de la proposition mazzi-

nienne avait amené le départ de ses disciples et fidèles

seides et 1' « Association des travailleurs italiens de Lon-

dres » se retira de l'Internationale à peine fondée. Mazzini

lui-même, dès ee jour et jusqu'à la fin de sa vie, demeura

un adversaire acharné de Marx, auquel il reprochait amè-

rement — au cours d'une conférence faite quelques années

après à des ouvriers italiens — d'être un « Allemand,

homme d'un esprit destructeur comme Proudhon, d'un

tempérament impérieux, jaloux de l'influence des autres

et qui ne croyait pas aux Vérités philosophiques et reli-

gieuses et dans le cœur duquel, je le crains, la haine est

plus forte que l'amour » (4).

(lj Les trade-unionistes anglais qui tous subissaient alors l'influence

des libéraux bourgeois.

(2) D'être ferme sur le fond, modéré dans la forme.

(3) Briefwechsel zwischen F. Engels and Karl Marx. Tome III.

Lettre de Marx à Engels du 4 novembre Î864 (n° 750). •

(4) John Spargo, Karl Marx, his life and work, p. 265. Spargo

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L'Adresse inaugurale de 1' « Association internationale

des Travailleurs » est un des monuments classiques de la

littérature socialiste. Elle constitue dans sa dernière partie

une contribution particulièrement importante à l'établisse-

ment de la politique internationale du prolétariat.

Elle débute, comme nous avons vu .Marx lui-même l'an-

noncer, par une revue des conditions sociales de i848 à

1864. En un raccourci vigoureux, elle décrit le développe-

ment économique contemporain de l'Angleterre, les souf-

frances des travailleurs, notamment dans l'industrie tex-

tile, leurs luttes pour le droit d'association. Elle montre la

concentration de la propriété terrienne et le développement

du « landlordisme ». Marx explique qu'il s'est appesanti

sur « ces faits qui sont si étonnants qu'ils sont presque

incroyables » parce que « l'Angleterre est à la tête de l'Eu-

rope -occidentale et industrielle ». Il retrace, en un-sobre et

puissant tableau, l'état du prolétariat européen au lende-

main de la'victoire de la réaction:

« Après la défaite des révolutions de 1848. toutes les associa-

tions et tous les journaux politiques des classes ouvrières,

furent écrasés sur le continent parla main brutale de la force;

les plus avancés parmi les (ils du travail s'enfuient désespérés

de l'autre côté de l'Océan, aux Etats-Unis, et les rêves éphémères

d'affranchissement s'évanouirent devant une époque de fièvre

industrielle, de marasme moral et de réaction politique.

« Dû en partie à la diplomatie anglaise agissant, comme

maintenant, dans un esprit d'entière solidarité avec le cabinet

de Saint-Pétersbourg, l'échec dela classe ouvrière continentale

répandit bientôt ses effets contagieux de ce côté do la Manche.

La défaite de leurs frères du Continent en faisant perdre aux

ouvriers anglais toute virilité, toute foi dans leur propre cause,

observe que « Macx était peut-être moins amer à l'égard de Maz-

zini, mais qu'en revanche il avait certainement beaucoup de

dédain » pour sa mystique de carbonaro.

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94 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

rendait en même temps au seigneur de la terre et au seigneur

de l'argent, au propriétaire et au capitaliste leur confiance quel-

que peu ébranlée. Ils retirèrent insolemment les concessions

déjà annoncées ».

Après avoir ainsi montré qu'à défaut de la « solidarité

d'action » entre la classe ouvrière d'Angleterre et la classe

ouvrière du continent « il y avait en tous cas solidarité de

défaite.», Marx marque fortement la portée de la conquête

du « bill de dix heures ». Il ne se place plus, comme au

temps du Manifeste Communiste, sur le terrain de la « loi

d'airain », mais à la lumière de l'expérience anglaise, il a

compris l'importance de la législation ouvrière et de l'or-

ganisation syndicale pour la lutte de classe prolétarienne.

Il célèbre « les immenses bienfaits physiques, moraux et

intellectuels » de cette réduction de la journée du travail

« qui est non seulement un grand résultat pratique, mais

la victoire d'un principe ». Il reconnaît l'importance du

mouvement coopératif: « La valeur de ses grandes expé-

riences sociales ne saurait être surfaite » et il rend hommage

à Robert Owen, en marquant en même temps les limites

de l'action coopérative dans la résistance des classes possé-

dantes : « La conquête du pouvoir politique est donc devenue le

premier devoir de la classe ouvrière ».

Dans la dernière partie de l'Adresse, Marx précise en

termes admirables les bases de la politique étrangère du

prolétariat:

« L'expérience du passé nous a appris comment l'oubli de ces

liens fraternels qui doivent exister entre les travailleurs des dif-

férentes nations et les exciter à se soutenir les uns les autres

dans toutes leurs luttes pour l'affranchissement, est puni par la

défaite commune de leurs entreprises divisées ; c'est poussés par

cette pensée que les travailleurs des différents pays, réunis en

meeting public à Saint-Martin's HalUe 28 septembre 1864, ont

fer-

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résolu de fonder l'Association Internationale des Travailleurs.

« Une autre conviction a encore inspiré ce meeting.

a Si l'affranchissement des travailleurs demande, pour être

assuré, leur concours fraternel, comment peuvent-ils remplir

cette grande mission, si une politique étrangère, mue par de

criminels desseins et mettant en jeu les préjugés nationaux,

répand dans des guerres de pirates le sang et l'argent du peu-

ple?

« Ce n'est pas la prudence des classes gouvernantes de l'An-

gleterre, mais bien l'opposition de la classe ouvrière à cette cri-

minelle folie, qui a épargné à l'Europe occidentale l'infamie

d'une croisade pour le maintien et le développement de l'es-

clavage de l'autre côté de l'Océan.

« L'approbation éhonlée, la sympathie dérisoire ou l'indiffé-

rence stupide avec lesquelles les classes supérieures d'Europe

ont vu la Russie saisir comme une proie les montagnes forte-

resses du Caucase, ou assassiner l'héroïque Pologne, les empiéte-

ments immenses et sans obstacles de cette puissance barbare

dont la tête esta Saint-Pétersbourg et dont on retrouve la main

dans toutes les capitales de ,l'Europe, ont appris aux tra-

vailleurs qu'il leur fallait se mettre au courant des mystères

de la politique internationale, surveiller la conduite de leurs

gouvernements respectifs, la combattre au besoin par tous

les moyens en leur pouvoir, et enfin, lorsqu'ils seraient impuis-

sants à rien empêcher, s'entendre pour une protestation

commune et revendiquer les lois de la morale et de la justice,

qui doivent gouverner les relations des individus, comme la

règle suprême des rapports entre les nations.

« Combattre pour une politique étrangère de cette nature,

c'est prendre part à la lutte générale pour l'affranchissement

des travailleurs.

a. Prolétaires d etous les pays, unissez-vous » (1).

(1) L'Adresse inaugurale de l'Association Internationale des Tra-

vailleurs a été traduite pour la première fois en français par

Charles Longuet et publiée à Bruxelles (1865). Ce document devenu

introuvable a été republié dans les n°' des 2î et 29 mars 1902 du

Mouvement Socialiste.

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96 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Ainsi dès la fondation de l'Internationale, Marx se pro-

nonçait avec éclat contre toute politique de conquêtes —

pangermanisme aussi bien que panslavisme — et en même

temps, à rencontre de l'antipatriotisme abstrait et faux,

qu'on a cru parfois pouvoir fonder sur la célèbre phrase

du Manifeste Communiste, proclamait que le devoir du pro-

létariat était de lutter pour l'indépendance nationale de

tous les peuples civilisés.

En même temps que l'Adresse inaugurale, Marx avait

rédigé « l'admirable préambule » (James Guillaume) dont

Bakounine lui-même devait écrire:

« Ce programme si simple, si juste et qui exprime d'une

manière si peu prétentieuse et si peu offensive les réclamations

les plus légitimes et les plus humaines du prolétariat contient

en lui tous les germes d'une immense révolution sociale' » (1).

Ce sont les fameux considérants demeurés depuis plus

d'un demi-siècle la charte du prolétariat international, la

base de tous les programmes socialistes:

« Considérant que l'émancipation de la classe ouvrière doit

être l'œuvre de la classe ouvrière elle-même; que la lutte pour

(1) Bakounine. OEuvres, t. VI, p. 93; cité par James Guillaume

dans Karl Marx pangermaniste. Avant d'arriver à celte cilation et

à ce dithyrambe. Guillaume donne l'historique des conditions du vote

de l'Adresse et des statuts en citant avec quelques coupures et force

interpolations fielleuses, la lettre de Marx à Engels. En même temps

dans sa préface il écrivait: « Karl Marx est resté complètement

étranger aux travaux préparatoires ; il s'est joint à l'Internationale

au moment où l'initiative des ouvriers anglais et français venait

de la créer. Comme le coucou, il est venu pondre son œuf dans un

nid qui n'était pas le sien ».

Aveuglé par la haine, le pauvre homme oublie qu'il a lui-même

montré que cet « oeuf » était un œuf d'or!

M. Laskine (l'Internationale et le Pangermanisme, p. 1 à 13) se

contente dj reproduire les textes de Guillaume agrémentés de

force italiques et naturellement d'injures sans importance.

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l'émancipation de la classe ouvrière n'est pas une lutte pour

conquérir des privilèges de classe, mais signifie l'égalité des

droits et des devoirs et l'abolition de toute domination de classe;

« Que la subordination économique du travailleur à ceux qui

ont monopolisé la propriété des moyens de travail, c'est-à-dire

des sources de la vie, constitue le fondement de la servitude

sous toutes ses formes, de la misère sociale, de la dégradation,

mentale et de la dépendance politique;

« Que l'émancipation économique de la classe ouvrière est

par conséquent le grand but, auquel tout mouvement politique

doit être subordonné comme un moyen;

« Que tous les efforts tendant à ce grand bul ont jusqu'ici

échoué par le manque de solidarité entre les diverses catégo-

ries de travailleurs, dans chaque pays et par l'absence d'un

lien fraternel entre les. classes ouvrières des différents phys;

« Que l'émancipation du travail est un problème qui n'est

ni local, ni national, mais social, embrassant tous les pays dans

lesquels existe la société moderne et dépend pour sa solution,

de l'action solidaire, pratique et théorique des pays les plus

avancés:

« Que le présent réveil des classes ouvrières dans les nations

les plus industrielles d'Europe, s'il fait naître de nouveaux

espoirs, doit servir d'avertissement solennel pour ne pas retom-

ber dans les vieilles erreurs et réclame l'entente immédiate des

mouvements encore isolés.

« Par ces raisons, l'Association internationale des travail-

leurs a été fondée.

« Elle déclare:

« Que toutes sociétés et individus qui adhèrent à elle recon-

naissent la vérité, la justice, la morale comme devant être la.

base de leur conduite entre eux et à l'égard de tous les hom-

mes sans distinction de couleur, de croyance ou de nationalité;

« Qu'elle ne reconnaît aucuns droits sans devoirs et aucuns

devoirs sans droits ».

Ainsi fut fondée l'Internationale « modeste plante née

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98 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

spontanément, que Marx ne crée pas, mais dont il reconnaît

aussitôt l'importance, qu'il soutient de son intelligence

supérieure et fait croître en un arbre vigoureux » (1).

L'Internationale en effet, ainsi que l'écrit Albert Thomas

« ne procédait ni d'une tradition, ni d'une idée abstraite,

mais des besoins nouveaux de lu classe ouvrière, c'est-à-dire en

'dernière analyse du développement capitaliste même. »

Evidemment en cette année 1864, les travailleurs man-

quaient encore complètement de culture théorique, mais,

ajoute Thomas:

Mais l'heure était venue où ils allaient comprendre de nouveau

toute la portée singulière des théories socialistes. Dans le Conseil

Général de l'Internationale, Marx allait tenter d'exprimer intel-

lectuellement et avec une puissance magnifique, tout ce singu

lier mouvement où il pouvait voir déjà se réaliser en partie

l'évolution qu'il avait décrite dans le Manifeste Communiste » (2).

Toutes ces luttes internes de l'Internationale traduisent

cet effort systématique, tenace, méthodique du génie de

Marx pour unifier le mouvement ouvrier international,

pour en éliminer les vieux systèmes utopiques, pour para-

lyser les efforts des sectes qui veulent s'emparer de l'orga-

nisation afin de la faire servir à la réalisation de leurs fins

particulières.

Et ainsi il se heurtera tour à tour aux Proudhonnens

français et belges, aux Trade-Unionistes anglais, aux Maz-

ziniens italiens, aux Bakouninistes russo-latins, comme

aussi aux Lassalliens allemands. Ue plus en plus cepen-

dant, le prolétariat allemand va être conquis, dans ses

éléments les plus intelligents, les plus probes, les plus

sérieux par la conception marxiste, tandis que plus lente-

(1) Kautsky, préface des lettres à Kugelmann. Le Mouvement socia-

liste, 1er octobre 1902, p. 1731.

(2) Albert Thomas, ouvrage cité, p. 243 et 244.

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nient — quoique avec une force croissante — celle-ci

gagnera à elle les meilleurs des militants ouvriers et

socialistes de France, d'Italie, de Itussie, de Belgique, d'An-

gleterre. Mais les adversaires de la méthode marxiste dans

l'Internationale, au cours de la lutte contre Marx, profitent

de cette situation pour faire appel contre lui aux prévention s

et aux suspicions nationales, bientôt exaspérées par les vic-

toires de la Prusse de Bismarck et de Moltke. Les anarchis-

tes bakouninistes surtout s'efforceront de donner à la lutte

qui les met aux prises avec le Conseil Général de l'Interna-

tionale — dans lequel les délégués allemands, ainsi qu'on

l'a vu, ne sont qu'une infime minorité — le caractère d'une

lutte entre le « socialisme germanique et le socialisme

latin ». Notre excellent camarade russe Georges Stieklow,

dans son étude sur « l'Internationale bakouniniste », relève

à maintes reprises cet argument, apporté dans les petits

conciliabules et les conférences tenues en 1872-73-74,

comme nous l'avons vu déjà apporter par Mazzini.

Cette « vieille rengaine anarchiste » sera ensuite reprise

par les partis bourgeois. A partir de 1893, nous la verrons

fréquemment apparaître dans la polémique anti-socialiste

des hommes politiques des classes dirigeantes (1). Ce

malentendu ou ce quiproquo ne résiste pas à un examen

impartial et sérieux des luttes de l'Internationale et de leur

véritable caractère. Dans le conflit qui met aux prises

Marx et ses adversaires, quels qu'aient pu être les torts

du premier dans des polémiques parfois excessives et

injustes, il est impossible de trouver autre chose que l'op-

position des méthodes d'action et des doctrines socialistes,

sans que jamais à aucun moment l'auteur du Capital puisse

être convaincu d'avoir défendu des intérêts spécifiquement

(1) Discours de M. Paul Deschanel en réponse à Jules Guesde le

20 novembre 1894.

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allemands. C'est au contraire exclusivement du point de

vue de ce qu'il considère comme l'intérêt supérieur de la

classe ouvrière internationale, qu'il défend sa conception

avec autant d'âpreté contre le chef lassallien Schweitzer

(qui jusqu'en 1873 a derrière lui la majorité des ouvriers

allemands) que contre le Russe Bakounine et les Anglais

Odger ou Cremer.

La première, phase de ces luttes de l'Association interna-

tionale de 1864 à 1868 fut surtout occupée par le conflit,

au sein du Conseil Général avec les trade-unionistes anglais

pénétrés d'individualisme et fortement influencés par les

bourgeois radicaux de Londres et, sur le Continent, avec les

Proudhoniens dont l'influence, alors prédominante dïhs la

classe ouvrière parisienne, s'était étendue au prolétariat

belge avec Hector Denis et César de Paepe — qui cepen-

dant évolueront bientôt du « mutuellisme » au « collecti-

visme ».

L'Internationale avait d'ailleurs eu un vif succès dans

les milieux ouvriers parisiens ; elle constituait son bureau

44, rue des Gravilliers, sous la direction d'ouvriers proudho-

niens modérés tels que Tolain et E. Fribourg, dont les pre-

mières rencontres avec Marx à Londres avaient d'ailleurs été

très cordiales (1) et elle recrutait de nombreux adhérents.

Les premières difficultés surgirent des accusations de com-

plaisance envers le pouvoir bonapartiste, portées par les ,

éléments plus particulièrement républicains contre ceux

des ouvriers proudhoniens qui, dans leur souci exclusive-

ment économique, paraissaient parfois montrer quelque

indifférence à la forme politique du gouvernement. Marx

^1) Dans une lettre à Engels du 4 novembre 1864, Marx écrivait:

« Les Parisiens ont envoyé ici une dclégation à la tête de laquelle

se trouvait Tolain, le véritable candidat ouvrier aux dernières élec-

tions à Paris, un très gentil garçon (ses camarades aussi étaient des

garçons très sympathiques »).

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dans une lettre en date du 25 février 1865 en parle ainsi:

« A Paris a éclaté une telle discorde entre nos fondés de

pouvoir, que nous avons dû envoyer Le Lubez là-bas pour

expliquer et concilier. Schilly lui est adjoint avec ses man-

dats et j'ai donné à Schilly, des indications particulières. Nous

aurions pu vendre à Paris, 20.000 cartes, mais comme chaque

parti accusait l'autre d'avoir Ponplon derrière lui, il a fallu •

suspeiidre provisoirement l'émission des cartes. Sous ce des-

potisme militaire régnent des deux côtés les plus grands soup-

çons, mais il me semble qu'en l'occurrence les deux partis s'ac-

cusent injustement et les gens sont incapables de se compren-

dre et de réaliser un accord en réunions publiques ou dans la

presse » (1).

En même temps, nous voyons surgir un état d'esprit qui

fréquemment donnera lieu dans la suite à des complica-

tions dans le mouvement socialiste: l'hostilité contre les

« intellectuels », ce qu'on a appelé le « manuellisme ».

Marx observe à ce propos:

« Les ouvriers semblent disposés à exclure tous les « literary

mtn » (intellectuels), ce qui est absurde, puisqu'ils en ont

besoin dans la presse, mais ce qui est excusable/en raison des

trahisons continuelles des intellectuels. Ceux-ci de leur côté ont

des suspicions contre tout mouvement ouvrier qui se développe

en opposition avec eux.

A Paris se trouve d'un côté Lefort (un intellectuel aisé en

plus de cela, donc bourgeois, mais dont la réputation est excel-

lente et qui dans la belle France est le fondateur de notre

société), et de l'autre côté Tolain, Fribourg, Limousin qui sont

des ouvriers. Bref je te ferai savoir la suite. En tous cas, un

de nos amis, Wolff, qui revient de Paris nous dit que les adhé-

sions à l'Internationale se produisent en masse » (2).

• (\) Correspondance de Marx et Engels, t. III, lettre n» 780, p. 234.

(2) Idem, p. 235.

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102 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Entre temps, Marx continue à s'occuper avec ferveur de

la Pologne. Dans la même lettre, il indique comment il a

déjoué les manœuvres de bourgeois libéraux; anglais qui se

servent seulement des Polonais, mais les abandonnent

ensuite dans le malheur.

Au Conseil Général, au cours d'une « pénible séance »

où, à la suite de ces difficultés avec les autres délégués

français, Le Lubez avait été « culbuté » il se retirait de

l'Association. A sa place on élit comme secrétaire pour la

France Eugène Dupont, un ouvrier parisien d'une remar-

quable intelligence qui venu en 1862 avec la délégation

française à l'Exposition de Londres avait trouvé du travail

chez un grand fabricant d'instruments de musique et

s'était installé en Angleterre. « Marx faisait grand cas de sa

vive intelligence et lui témoigna toujours la plus grande

confiance » (1).

Un premier congrès de l'Internationale devait avoir lieu

à Bruxelles en 1863. Mais à la suite du transfert dans la

capitale belge de la Rive Gauche, l'organe de Charles Lon-

guet et de A. Rogeard (que les autorités bonapartistes

avaient supprimé à Paris), le gouvernement belge, pour se

débarrasser de cet« organe international de la Jeune Répu-

blique », avait fait voter une nouvelle loi contre les étran-

gers qui rendait très difficile la tenue du congrès en Belgi-

que. On se contenta d'une conférence des comités

administratifs de chaque pays qui se tint du 25 au 29 sep-

tembre 1865 à Londres et à laquelle la France était repré-

sentée par Tolain, Fribourg, Limousin et Eugène Varlin

— remarquable physionomie de prolétaire qui devait être

un des membres les plus estimés en même temps qu'un des

plus nobles martyrs de la Commune de Paris, — l'Alle-

(1) La Commune de Paris, par-Karl Marx. Notes du traducteur

Charles Longuet, p. 111.

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magne par Marx, Eccarius et Becker, — un exilé de

Genève, — la Belgique par César de Paepe, la Suisse par

Hermann Jung. Cette réunion fut l'occasion d'une récep-

tion, « un thé suivi de discours, de chants républicains,

terminé par un bal... Pendant que Varlin et Limousin

faisaient danser les jeunes filles de Karl Marx, celui-ci

racontait à Tolain et à Fribourg, comment il avait voué

une haine profonde à P. J. Proudhon pour ses opinions anti-

communistes » (1).

Le choc entre Marx et les proudhoniens ne devait se

produire avec force qu'au congrès de Genève en 1866.

Auparavant, il y avait déjà eu conflit à propos de la Polo-

gne. C'est ainsi que dans une lettre à Engels datée du

5 janvier 1866, Marx se plaint vivement que « MM. les

Russes aient trouvé dans la partie proudhonienne de la

Jeune France, leurs alliés les plus récents » (2): La bran-

che française de Londres était sous la double influence de

Le Lubez et d'un publiciste assez trouble, Vesinier qui pré-

tendait que la position polonouhile du Comité Général et

que ïa lutte contre l'influence russe en Europe mise à l'or-

dre du jour du congrès de Genève, étaient contraires au

but de l'Association et étaient le résultat « d'influences

fâcheuses ». Il entendait par là celles des ouvriers parisiens

qu'il accusait de bonapartisme et auxquels il déniait le

droit de flétrir l'influence russe « alors que les soldats de

Bonaparte occupent Rome, qu'ils ont bombardé, massa-

crent les défenseurs de la république mexicaine après avoir

détruit la république française ». Et il prétendait que « les

Polonais avaient envahi le Comité de l'Association dont ils

(1) Fribourg cité par J. Guillaume, Karl Marx pangermaniste,

p. la. M. Laskine, citant le même texte, l'a tronqué (c'est son

procédé familier) en supprimant les 5 derniers mots que nous

avons soulignés (VInternationale et le Pangermanisme, p. 13).

(2) Correspondance de Marx et Engels, tome III, lettre 822.

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Page 108: La politique internationale du marxisme

104 LA POLITKJUE INTERNATIONALE DU MAKXiSME

se serviront pour aider au rétablissement de leur nationa-

lité, sans s'occuper de la question de l'émancipation des

travailleurs » (t).

Entre temps, les amis de Mazzini, dont l'influence était

considérable sur les délégués anglais du Conseil.général,

obtenaient d'une réunion, où la plupart des secrétaires

étrangers étaient absents (le 13 mars 1866) une résolution

par laquelle « on lui faisait plus ou moins amende honora-

ble ». Marx naturellement en fut très ému:

» Tu vois, écrit-il à Engels, que l'affaire était sérieuse .. Ce

serait un coup tout à fait charmant de Mazzini de m'avoir fait

lancer l'Association pour s'en emparer ensuite. Il demanda aux

Anglais d'être reconnu comme le c/ief de la démocratie conti-

nentale. Comme si MM. les Anglais devaient nous nommer

des chefs !...

« Le samedi 10 mars se réunissaient chez moi les secrétaires

étrangers de l'Association pour examiner la situation (Dupont,

Jung, Longuet, Lafargue (2), Bobczinsky). Il fut décidé que je

devrais absolument assisler au Conseil le 13 et protester contre

les décisions de la dernière séance au nom de tous les secré-

taires étrangers. Les décisions étaient bel et bien irrégulières

puisqu'on avait admis Wolff quia cessé d'être membre du Con-

seil. Je devais ensuite expliquer l'attitude de Mazzini vis-à-vis

de nous et des ouvriers du Continent. Les Français devaient

amener César Orsini (qui est un ami personnel de Mazzini, mais

qui doit apporter des preuves contre lui, contre Wolff et sur

son « socialisme » en Italie). L'affaire se passa parfaitement

bien. Malheureusement l'élément anglais n'était pas représenté

en grand nombre à cause des histoires de la Réform-League

(ligue pour la réforme électorale). Je lavai la tête à Le Lubez.

(1) Idem, tome III, p. 823 (15 janvier 1866).

(2) Ch. Longuet à la suite de la suppression de la Rive Gauche,

venait d'arriver avec P. Lafargue à Londres et ils étaient entrés dans

l'Internationale.

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« En tous cas, les Anglais (en réalité il ne s'agit que d'une

minorité parmi eux) se sont aperçus que tout l'élément conti-

nental est d'accord avec moi et qu'il ne s'agit nullement d'une

influence allemande, comme l'insinuait Le Luhez. 11 avait

essayé de faire croire que comme chef de l'élément anglais du

Conseil, j'opprimais les éléments continentaux » (1).

Cependant le Congrès était fixé pour mai 1866 à Genève,

non sans que Marx conçut de sérieuses inquiétudes sur son

issu, malgré les progrès accomplis en France, en Belgi-

que, en Suisse et « par ci parla en Allemagne ». Les Anglais

ne s'intéressant pas à sa réussite, Marx « ne voit qu'une

seule issue possible 'dans une entente avec les Pari-

siens » (2). Finalement le Congrès est renvoyé en sep-

tembre.

Pendant ce temps, la situation internationale se compli-

que et Karl Marx continue à la suivre avec anxiété, sans

cesse préoccupé qu'il est des « intrigues russes «.auxquelles

il lui apparaît que « Boustrapa » et Bismarck sont mêlés.

Dès le 10 décembre 1864, il écrivait à Engels:

« Urne semble qu'il y a entre la Prusse, la llussie et la France

une entente secrète pour faire la guerre à l'Autriche au* prin-

tem'ps prochain. Venise fournira naturellement le cri de guerre.

De leur côté les Autrichiens se conduisent avec une bêtise et

une lâcheté incroyables. Cela vient de ce que François-Joseph

se mêle lui-même de la politique autrichienne... Les agents

russes, des gaillards connus comme le Ministre des Affaires

Etrangères de Vienne, parlent haut. L'attitude autrichienne

serait inexplicable si ces gens ne se fiaient pas à de perfides

promesses prussiennes. A moins qu'ils ne soient décidés à se

(1) Correspondance de Mar.r et Engels, t. III, lettre 837 (24 mars

1366), page 303.

(2) Idem, Lettre n»842, 6 avril 1866, page 309.

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10(i LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

dédommager vers la Turquie comme cela leur a été promis

depuis longtemps... ». . .

En juin 1866, le conflit éclate entre l'Atrtriche et la Prusse

alliée à l'Italie. Marx ne l'a pas vu venir sans de profondes

inquiétudes. Dans toute cette période, il sur-estime évidem-

ment la force des puissances qui entourent l'Allemagne, de

Napoléon III comme de la Russie. Il croit sans cesse que

l'Allemagne est menacée d'une nouvelle guerre de Trente

ans et d'un démembrement. Seule mie révolution, écrit-il, gui

chassera les Habsbourg et les Hoheiizollern (il est inutile de

parler de toute la petite vermine) (\ ) paraît de nature à éviter

ces malheurs.

Mais une fois que la guerre a éclaté, Marx lui applique

sa conception réaliste des problèmes internationaux, qui

s'oppose fortement à l'idéologie nuageuse des jeunes prou-

dhoniens dont la pensée est alors traduite principalement

par le Courrier français de Vermorel et qui, placés en pleine

abstraction métaphysique, considèrent toutes les questions

de nationalités tomme des préjugés.

Le 7 juin il écrit à ce sujet à Engels:

« Voilà donc la guerre, à moins d'un miracle. Les Prussiens

payeront cher leurs hâbleries et de toute façon l'idylle est finie

en 'Allemagne. La bande proudhonienne parmi les étudiants

de Paris (Courrier Français, prêche la paix, declare que la

guerre est surannée, que les nationalités sont des bêtises, atta-

que Bismarck et Garibaldi. Comme polémique contre le chau-

vinisme, leur attitude est utile et justifiable. Mais comme dis-

ciples ds Proudhon — et mes très bons amis Lafargue et Lon-

guet en font partie aussi — ils sont ridicules. Ils croient que

toute l'Europe devait tranquillement rester assise sur son séant

jusqu'à ce que ces Messieurs aient aboli en France, la misère

(1) Lettre à Kugeltnann, 6 avril 1866, dans le Mouvement socialiste,

1" octobre 1902, p. 1742.

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107

et l'ignorance à laquelle ils participent avec leur science

sociale...

« Les Russes jouent toujours leur vieux jeu de faire mar-

cher tous les dnes européens les uns contre les'autres, tantôt

partenaires de A, tantôt de B. Ils ont certainement poussé les

Autrichiens : 1° Parce que les Prussiens ne leur ont pas fait les

concessions nécessaires pour Oldenburg; 2° pour lier les mains

aux Autrichiens en Galicie; 3° parce que Alexandre II (comme

Alexandre 1er à la fin de sa vie) esta cause des attentats d'une

humeur très conservatrice et qu'une alliance avec l'Autriche

est toujours conservatrice (1) ».

Quelques jours après, revenant sur les conceptions anti-

patriotiques puériles des jeunes Proudhoniens, il écrit à

Engels le 20 juin:

« Hier, il y a eu discussion au Conseil del'Internationale sur

la guerre actuelle..Elle avait été annbncée d'avance et la salle

était comble. Mais les Italiens nous avaient de nouveau envoyé

du inonde. Ainsi que c'était à prévoir, la discussion se termina

sur la question les « nationalités » en général et l'attitude que

nous observons. La fin est ajournée à mardi prochain. Les

Français très nombreux ont donné cours à leur antipathie

cordiale contre les Italiens.

Les représentants dela « Jeune France » (quine sont pas des

ouvriers) émirent cette idée que toute nationalité et les nations

elles-mêmes sont des « préjugés surannés ». C'est du Stirné-

rianisme proudhonisant. Ils veulent tout dissoudre en petits

« groupes » ou « communes » qui formeront ensuite une asso-

ciation, mais non un Etat. Et cette « individualisation » de

l'humanité et le « mutuellisme » qui y correspond doit se faire

pendant que l'histoire s'arrêtera dans tous les autres pays et

que l'univers attendra que les Français soient mûrs pour faire

une révolution sociale. Ensuite, ils nous feraient voir l'expé-

(t) Correspondance de Marx et Engels, lettre 852, 7 juin 1866,

page 323.

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rience et, vaincu par la force de l'exemple, le reste du monde

ferait la même chose.

• « Tout à fait ce que Fourier attendait de son « phalanstère

modèle ». Au reste, « tous ceux qui chargent la question

sociale » des « superstitions » du Vieux Monde, sont des « réac-

tionnaires ».

Les Anglais rirent beaucoup lorsque je commençai mon speech

en disant que notre ami Laf'arguequi voulaitabolirles nationali-

tés, nousavait parlé en français', c'est-à-dire en une langue que les

neuf dixièmes de l'auditoire ne comprenaient pas. Je remarquai

encore qu'inconsciemment, il semblait comprendre sous l'idée

de négation des nationalités leur absorption par la nation fran-

çaise modèle(l) ».

Sous la forme familière du style épistolaire et avec

- l'àpreté habituelle que Marx y donne à sa pensée, on trouve

ici une décisive critique de l'antipatriotisme anarchisant.

C'est ce qui explique sans doute l'extraordinaire glose de

James Guillaume-qui, à propos de ces observations si sen-

sées, qualifie l'attitude de Marx de « singulière » (2).

La solution apportée par Sadowa à la guerre prusso-

italo-autrichienne lui apparaît d'ailleurs comme essentiel-

lement « provisoire ». Et il ajoute dans une lettre à

Kugelmann datée du 23 août 1866 : Quant à la Prusse, plus

que jamais il est essentiel de surveiller et de dénoncer ses rela-

tions avec ta Russie (3 ).

Le Congrès de Genève, qui se tint en septembre 1866, mit

aux prises Proudhoniens et Marxistes, ces derniers s'ap-

puyant cette fois, dans la plupart des questions, sur les

Trade-Unionistes anglais. Marx personnellement n'était

pas présent, fidèle à sa conception « qu'il vaut mieux res-

(1) Correspondance de Marx et Engels, t. III, lettre 855.

(2) James Guillaume, opuscule cité. p. 18.

(3) Lettre à Kugelmann publiée dans le Mouvement socialiste,

l" octobre 1902, p. 1742.

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ter à l'arrière-plan et travailler à l'inverse des démocrates

qui se donnent des airs d'importance en public, mais ne font

rien » (1). Mais ses fidèles amis Eccarius, Dupont et Jung,

du Conseil .général, Becker, de Genève, étaient là pour

défendre ses conceptions. Cependant le groupe le plus nom-

breux était celui des Proudhoniens qui comprenait la plu--

part desdélégués français (ceux-ci étaient au nombrede 17,

dont Fribourg, Tolain, Murat, Malon, Camélinat), des délé-

gués de la Suisse française et de la Belgique. Les Trade-

Unionistes anglais, quoique constituant la grande majorité

des adhérents cotisants de l'Association, n'avaient que trois

délégués (Odger, Cremer et Carter).

Sur la réduction de la journée de travail à 8 heures, le

travail des femmes et des enfants, le rôle desTrade-Unions

et Syndicats, le Congrès vota les résolutions proposées par

le Conseil général. Sur la question de la Pologne, malgré

les Anglais et Becker, le Congrès ne voulut émettre aucun

vote, se bornant sur la demande des prudents proudho-

niens à « souhaiter l'émancipation en Russie comme en

Pologne ï>. A l'unanimité il se prononça contre les armées

. permanentes et pour l'armement général du peuple. Sur la

demande des proudhoniens on mit à l'Ordre du jour, l'étude

de « l'organisation du Crédit international ». Le débat le

plus vif se produisit à propos des statuts et des conditions

dans lesquelles on pouvait devenir membre de l'Associa-

tion.

Nous avons déjà indiqué la tendance « manuelliste » des

éléments proudhoniens de la classe ouvrière parisienne.

Ils prétendirent faire écarter de l'Internationale tous ceux

qui n'étaient pas des travailleurs manuels, La plupart des

autres délégués combattirent vivement cet exclusivisme et

Randall Cremer, le trade-unioniste anglais, dont nous

*

(1) Correspondan.ee de Marx à Engels, tome III, lettre 857.

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110 LA POLITIQUE INTERNATIONALE Ul MAK.MSM i:

avons vu quels avaient été les conflits avec Marx au seio

de l'organisme central, fit valoir que parmi les membres du

Conseil général, il se trouvait plusieurs citoyens qui n'exer-

cent pas un métier manuel et il est probable gne sans leur

dévouement l'Association n'aurait pu i implanter en Angleterre

d'une façon aussi complète; parmi eux, il cita « le citoyen

Marx, qui a consacré sa vie au triomphe de la classe

ouvrière » (i). Tolain et ses amis revinrent à plusieurs

reprises à la charge pour demander que les Congrès ne

fussent composés que d'ouvriers manuels. Leur amende-

ment fut rejeté par 25 voix contre 20 (2).

Marx et Engels montrèrent une vive irritation — facile

à comprendre — contre le rôle excessif qoe les prou-

dhoniens avaient joué- au Congrès de Genève. Elle était

motivée en outre par ce « manuellisme » fanatique qui, s'il

avait triomphé parmi les révolutionnaires allemands en

1847, aurait empêché les deux grands socialistes d'écrire

le Manifeste des Communistes et qu'ils avaient depuis ren-

contré maintes fois sur leur route. D'ailleurs ils considé-

raient tout le système de Proudhon, « le socialiste des petite

paysans et des petits bourgeois », comme néfaste à La classe

ouvrière et à son émancipation; il était naturel qu'ils eus-

sent Je vif désir de ne pas voir son' influence dominer l'In-

ternationale. Dans une lettre adressée à son fidèle ami le

Dr Kugelmann, le 9 octobre 1866, Marx montre tout d'abord

avec quel profond réalisme il envisageait l'action de l'In-

ternationale:

i ' i CUé par James Guillaume, opusc. .cité, p. 24.

(2) Ainsi que Dupont le fit connaître à Marx, l'action de Tolain en

Fribourg avait surtout "pour trot de préparer leurs candidatures au

Corps législatif., il s'agissait pour eor de foire profiamer par le

congrès ce principe « que seuls des ouvriers peuvent représenter

des ouvriers » et de justifier aînsîdes candidatures qui ne se recom-

mandaient à part cela que d'un programme bien amorphe et inco-

lore (Lettre de Marx à Engels, M septembre ;sv.ii i.

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« Je craignais beaucoup pour le premier congrès de Genève,

mais il aen somme mieux réussi que je ne le pensais. Son effet

en France, en Angleterre et en Amérique a été inespéré. Je ne

pouvais, ni ne voulais m'y rendre, mais j'ai rédigé le programme

des délégués de Londres. Je l'ai limité à dessein aux points

qui peuvent être immédiatement compris par les travailleurs,

permettent leur action en commun, satisfont et stimulent les

besoins de la lutte des classes et l'ort/anisation des travail-

leurs comme classe ».

Et puis tout de suite avec son habituelle passion, il fonce

sur les proudhoniens:

« Messieurs les Parisiens avaient la tête pleine des phrases

de Proudhon les plus vides; ils parlent de science et ils ne

savent rien. Ils repoussent toute action révolutionnaire, c'est-

à-dire résultant de la lutte des classes, tout mouvement social

concentré, c'est-à-dire réalisable par des moyens politi-

ques (1).

« Sous prétexte de liberté, d'antigouvernementalisme et d'in-

dividualisme anti-autoritaire, ces Messieurs qui depuis seize ans

endurent et ont enduré tranquillement le despotisme le plus

misérable prônent en réalité uniquement la société bour-

geoise en se contentant de l'idéaliser à la mode proudhonienne.

Proudhon a fait un mal énorme. Son semblant de critique et

son semblant d'opposition aux utopistes (alors que lui-même

n'est qu'un utopiste bourgeois renforcé, tandis que dans les

utopistes grandioses d'un Fouiner, d'un Owen on exprime fan-

tastiquement un nouveau monde) ont d'abord séduit et cor-

rompu la « jeunesse brillante », les étudiants, puis les

ouvriers, surtout les Parisi€ns, qui en qualité d'ouvriers de

luxe, tiennent fortement sans le savoir, à la vieille ordure (2).

(1) Dans sa citation de cette lettre, James Guillaume a complè-

tement supprimé cette phraso importante que nous avons donnée

en italiques. C'est un exemple — parmi beaucoup — des procédés

de polémique dont il use sans cesse contre Marx.

(2) L'ordure bourgeoise.

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H2 LA" POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

« Ignorants, vaniteux, arrogants, bavards, emphatiques,

enllés, ils étaient sur le point de tout g;Uer, s'étant rendus au

Congrès eu un nombre qui ne correspondait nullement à celui

de leurs adhérents (1).- Sous main, dans le compte-rendu,

je leur donnerai sur les doigts.

t Le C.ongrès américain qui se tenait à la même époque m'a

causé beaucoup de joie; le mot d'ordre a été organisation;

l'organisation de lalutte contre le capital est chose remarqua-

ble, la plupart des revendications que j'avais rédigées pour

Genève ont été également adoptées là-bas par le sûr instinct

des travailleurs » (%).

Ainsi que le constate Albert Thomas « ceux des Interna-

tionalistes qui voulaient tenter de réaliser le proudhonisme

devaient être débordés par le mouvement ouvrier tui-même : la

politique à suivre, c'était la politique réaliste de Marx... Les

circonstances plus fortes que les hommes et que leurs théo-

ries, allaient ramener les ouvriers parisiens et les Interna-

it) Quoi qu'en dise James Guillaume cela n'est pas douteux et le

l'ait qu'un an après la section parisienne ne comprenait encore en

tout que 600 membres, justifie cette critique. La présence de nom-

breux délégués suisses — pays où se tenait le congrès — n'avait

pas le même caractère et s'expliquait en raison même du siège du

congrès. La même virulence se rencontre d'ailleurs chez Marx dans

ses jugements sur les Allemands. C'est ainsi qu'il écrivait quelques,

mois auparavant à Engels : « Lothario Bûcher que Lassalle a nommé

son exécuteur testamentaiie a passé comme tu le sais dans le camp

de Bismarck... M. Rodbertus me semble aussi nourrir de noirs

desseins, car il voudrait que la question sociale fut entièrement

séparée de la politique. Signe évident d'appétits ministériels.

Fripouille toute cette lande de Berlin, de la Marche et de Pomé-

ranie » / (Lettre à Engels du 10 décembre 1864).

(2) Lettre à Kugelmann publiée dans le Mouvement socialiste

(1" octobre 1902, p. 176). Les termes de celte lettre sont évidem-

ment très durs, mais il faut reconnaître que pour la majorité des

Proudboniens visés, pour tous ceux qui comme Tolain, Fribourg,

Murât, Heligon, devaient, contre la Commune de Paris se ranger

du côté de Versailles, le jugement de Marx apparaît comme très

clairvoyant.

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L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS 113

tionaux français à cette politique révolutionnaire » (1).

Quelque temps après le Congrès de Genève, se produisait

à Paris un des premiers grands mouvements de grève cou-

ronnés de succès, celui des ouvriers monteurs en bronze, en

février 1867. Marx oblint pour les ouvriers bronziers. au

nom desquels Camélinat, Tolain et Fribourg étaient venus

h Londres, l'appui des trades-unions et l'effet fut tout de

suite énorme:

« Notre Internationale, écrit-il à Engels le 27 mars, a rem-

porté une grande victoire. Nous avons procuré aux ouvriers

sur bronze parisiens, un envoi d'argent des Trades Unions de

Londres. Dès que les patrons ont vu cela, ils ont cédé. La chose

a fait grand bruit dans les journaux et nous sommes mainte-

nant en France une puissance établie » (2).

Mais tandis que l'entente internationale des prolétaires

s'affirme ainsi, pour la première fois sous une forme tan-

gible et pratique, les gouvernants et les diplomates brouil-

lent les cartes et un profond malaise s'empare de toute

l'Europe. C'est l'affaire du Luxembourg, qui est cause des

nouvelles complications. Marx comme à l'ordinaire y voit

la trace des intrigues russes et il les dénonce à Engels:

« L'intervention russe dans les affaires allemandes est claire

comme le jour, cela résulte:

1° De ce que le traité wurternbergeois avec la Prusse a été

conclu le 13 août avant tous les autres;

•2o De l'attitude de Bismarck à l'égard de la Pologne;

Les Russes sont plus actifs que jamais. Ils prépaient un

mauvais coup entre la France et l'Allemagne. L'Autriche est

'suffisamment paralysée. En même temps, ils joueront un

mauvais tour à MM. les Anglais aux Etats-Unis » (3).

(1) A. Thomas, ouvrage cité, p. 300.

(2) Correspondance de Marx et Engels t III, lettre 3.

(3) Correspondance, t. III, lettre 881, 31 décembre 1866.

JEAN LONGUET 8

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Page 118: La politique internationale du marxisme

114 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Une adresse rédigée par les socialistes allemands fut

envoyée à Paris; 4e 28 avril le bureau de l'Internationale

parisienne y faisait une réponse qui « affirmait » la solida-

rité universelle et l'alliance indestructible des travailleurs.

Le gouvernement impérial continuait d'ailleurs à mon-

trer de quelle méfiance et de quelle hostilité il était animé

à l'égard de l'Internationale. Au retour du Congrès de

Genève, un délégué anglais, Gottraux, Suisse devenu sujet

britannique, était arrêté à la frontière française et tous les

documents concernant l'Association qu'il portait sur lui,

confisqués par la police. Le Conseil général protesta

auprès de Lord Stanley, le ministre des Affaires étrangères

anglais, et le « pauvre Bonaparte dut tout rendre via le

Foreign Office » (1), ainsi que l'écrit Marx tout heureux

d'avoir infligé cette petite humiliation au « Boustrapa »

qu'il exècre avec tous les républicains et révolutionnaires

d'Europe.

Mais l'Empire se rattrapait avec les Français qu'aucune

puissance étrangère ne pouvait protéger. Au retour du

Congrès, le Mémoire des délégués parisiens imprimé à

l'étranger, n'avait pu entrer en France « parce que les

délégués s'étaient totalement refusés à y introduire un mot

de remerciement à l'Empereur, pour sa bienveillance envers

la classe ouvrière » (2).

En septembre 1867, le deuxième Congrès de l'Interna-

tionale se tint à Lausanne. Il comprenait une vingtaine

de délégués français dont Tolain, Murat, Fribourg, Aubry,

Charles Longuet, six délégués allemands, dont le Dr Kugel-

mann de Hanovre, le fidèle ami de Marx, Ladendorf.deMag-

debourg; L. Buchner, le philosophe matérialiste deForceet

Matière; G. Odger et Wallon, pour l'Angleterre, César de

(1) Correspondance, tome III, lettre 881, 31 décembre 1860, p. 359.

(2) A. Thomas, ouvrage cité, p. 302.

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Page 119: La politique internationale du marxisme

L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS 115

Paepe pour la Belgique, et pour la Suisse 8 délégués de

Genève, 8 de Lausanne, 7 d'autres parties de la Suisse,

dont James Guillaume du Locle, Karl liurkly de Zurich,

Coullery de la Chaux-de Fonds. Au total 71 délégués. Le

Conseil général avait délégué Dupont, Eccarius, Lessner

et Carter. Ce fut Dupont qui présida (1).

L'opposition entre mutuellistes et communistes ne s'était

qu'esquissée au Congrès de Genève. Avec force les deux

doctrines se heurtèrent à Lausanne. Les Proudhoniens qui

comprenaient presque toute la délégation française et une

grande partie dela délégation suisse, étaient encore les plus

nombreux. A la propriété collective défendue par César de

Paepe, s'opposèrent Charles Longuet, Coullery etChemalé.

Le radicalisme de James Guillaume — qui n'était pas

encore à cette époque le séide de Bakounine — se manifesta

par une proposition haroque — dans un congrès ouvrier

international — en faveur de l'orthographe phonétique,

qu'il appelait la « phonographie». Les proudhoniens firent

voter des résolutions en fayeur des coopératives de produc-

tion, en faveur de l'idée de « mutualité et de fédération ».

Un débat important s'engagea sur la question des liber-

tés politiques et les diverses fractions du congrès furent

unanimes pour proclamer que* l'émancipation sociale des

travailleurs est inséparable de leur émancipation poli-

tique ».

A l'issue des assises de l'Internationale, un Congrès de la

Paix devait avoirlieu à Genève. L'Association internationale

y avait été invitée. Elle y délégua Tolain, de Paepe et James

Guillaume pour y affirmer son programme : « à savoir que

la paix, première condition du bien-être général, doit à

son tour être consolidée par un nouvel ordre de choses qui

ne connaîtra plus dans la société deux classes dont l'une

(\) Voir Die Internationale par Gustav Jaeckh, p. 57.

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exploitée par l'autre », et en même temps pour « participer

à tout ce qu'il pourrait entreprendre pour réaliser l'aboli-

tion des armées permanentes et le maintien de la paix ».

Ainsi que l'écrit Albert Thomas le Congrès de la Paix

« fut plein d'ardeur et de confusion... Le héros Garibaldi

y débita des aphorismes qui surprirent, proclama la

déchéance de la papauté, mais proposa d'adopter la reli-

gion de Dieu. Son enthousiasme fit tolérer ses naïve-

lés (1)». \

En dehors des trois délégués officiels du Congrès, d'au-

tres membres de l'Internationale vinrent apporter aux

pacifistes bourgeois la critique révolutionnaire de leurs

conceptions, notamment Dupont et Bakounine le dernier

que nous voyons reparaître sur la scène politique ce

jour-là va bientôt porter son activité fébrile vers l'Interna-

tionale.

Marx appliquait aux illusions et aux naïvetés des paci

flstes bourgeois sa « férule critique » dont jadis Proudhon

avait senti toute la vigueur. Il constatait avec joie que les

« grands seigneurs du Congrès de la Paix, Victor Hugo,

(Jaribaldi, Louis Blanc, qui avaient jgnoré jusqu'ici notre

Association en prenant de grands airs, ont maintenant été

obligés de nous reconnaître comme une puissance » (2).

Quelques jours après, il écrit encore à Engels à propos

du Congrès de l'Internationale:

t J'irai personnellement au prochain congrès à Bruxelles

achever ces ânes de Proudàoniens. J'ai arrangé diplomatique-

ment toute l'affaire. Je ne voulais pas venu1 personnellement

avantque mon livre eut paru et que l'Association eut pris racine.

(1) A. Thomas, ouvrage cité, p. 315. Dans ses Documents et sou-

venirs sur VInternationale, James Guillaume a donné un récit très

vivant et très savoureux de l'intervention de Garibaldi, t. I.

(2) Lettre de Marx à Engels, du 4 septembre 1867.

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L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS i17

Du reste malgré tous leurs efforts les bavards de Parisiens

n'ont pu empêcher notre réélection. Dans le rapport officiel du

Conseil général, je leur donnerai les étrivières » (1).

Et il se réjouit que tous ceux qui dédaignaient l'Inter-

nationale aient dû maintenant reconnaître sa puissance,

notamment les « sales chiens » de corporatifs anglais, qui

la trouvaient trop avancée. Et avec une légitime fierté —

faite de son ardente conviction et de sa foi profonde en la

vérité de sa doctrine — il conclut:

« Les choses marchent et à la prochaine révolution qui est

peut être plus proche que cela ne semble, nous (c'est-à-dire toi

et moi) aurons en mains cette puissante machine. Compare

avec le résultat des opérations de Mazzini depuis 30 ans! Et

cela, sans ressources pécuniaires ! Et malgré les intrigues des

Proudhoniens à Paris, de Mazzini en Italie, de ces jaloux

d'Odger, Cremer, Potier à Londres, malgré les Schulze-

Delitszch et les Lassalliens en Allemagne, nous pouvons être-

vraiment satisfaits «.

C'est le montant où il venait de publier à Hambourg le

premier volume de son grand ouvrage Le Capital. Ce

monument incomparable de la pensée socialiste avait

été l'objet en Allemagne d'une savante conspiration du

silence dont bien naturellement Marx se montrait très

ulcéré. Il exprime fréquemment ces sentiments dans ses

lettres à Kugelmann. Dans une lettre à Engels il écrit

amèrement:

« Le silence fait autour de mon livre me rend nerveux. Je

n'entends rien et je ne vois rien. Les Allemands sont de bon-

nes gens. Leurs exploits dans ce domaine (de l'économie poli-

tique) comme domestiques des Anglais, des Français et

même des Italiens, leur donnent vraiment bien le droit d'igno-

(1) Correspondance de Marx et Engels, tome III. Lettre du

11 sept. 1867, page 406.

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rer mon œuvre ! Nos amis, là-bas, ne savent vraiment pas pro-

voquer un mouvement. Il faut faire comme les Russes, atten-

dre. La patience est le fond de la diplomatie russe et de ses

succès. Mais nous autres qui ne vivons qu'une fois, nous pou-

vons crever en attendant » (t).

Dans la même lettre se trouve un intéressant passage sur

la situation politique européenne et le mouvement contre

l'Empire en France, qui a fourni à M. Laskine l'occasion

de commettre une de ses plus notoires falsifications:

« Je ne sais, si tu es au courant de l'affaire italienne dont

par hasard le récit dans quelques fragments russes se retrouve

dans des journaux anglais et allemands? De semblables choses

échappent aisément à la lecture.

« Au moment de l'affaire du Luxembourg, M. Bonaparte

avait fait, une convention secrète avec Victor-Emmanuel,

d'après laquelle celui ci avait le droit de s'annexer le reste des

Etats de l'Eglise, sauf Rome. Par contre on concluait une

alliance défensive contre la Prusse, en cas de guerre. Mais

lorsque l'affaire prussienne se fut terminée à la satisfaction de

tout le monde, M. Bonaparte ne voulut plus entendre parler

de l'affaire et, avec sa roublardise ordinaire, il chercha à rou-

ler Emmanuel et à se rapprocher de l'Autriche. A Salzburg, il

n'arriva à rien, comme tu sais, il semblait que l'infernale chau-

dière européenne ne se mettrait plus en ébullition pendant

quelque temps.

« Mais pendant ce temps MM. les Russes qui s'étaient procu-

res comme d'habitude, une copie de ta, convention, trouvent le

moment propice pour la communiquera M. de Bismarck, qui

de son côte la fit remettre au pape par l'ambassadeur prus-

sien. Là-dessus, sur un signe du pape, parut la brochure de

l'évèque Uupanloup d'Orléans. D'un autre côté Garibaldi était

lancé par Emmanuel. Aussitôt renvoi de Rattazzi, comme sus-

(1) Correspondance de Marx et Engels. Tome III. Lettre du

2 nov. 1867, page 419.

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pect de prussophobie et de bonapartisme. Voilà l'imbroglio

actuel. Et voilà M. Bonaparte dans le pétriu ! C'est pour lui non

seulement le conflit avec l'Italie, mais aussi avec la Prusse et

la Russie et cela dans une affaire qui soulève la colère contre

le cabinet de Paris, qui est détesté en Angleterre — ou bien

c'est une nouvelle reculade!

« Le gaillard a cherché à se sauver par un appel à l'Europe

au concert européen, etc... Là-dessus la Prusse et l'Angleterre

lui répondent qu'il n'a qu'à se sortir tout seul du gâchis. Evi-

demment il se trompe de date. S'il y'a reculade, alors avec

le prix actuel du blé, la crise des affaires et le mécon-

tentement, il y aura peut-être un beau malin la révolution

en France. Notre Bismarck — quoi qu'il soit l'instrument prin-

cipal des intrigues russes — a cela de bon qu'il pousse les cho-

ses en France vers la crise. Mais en ce qui concerne nos phi-

listins allemands,tout leur passé prouve que l'unité ne pourra

leur être octroyée par la grâce de Dieu et du Sabre >>.

Pour un lecteur de bonne foi, il est impossible de se

méprendre sur ces considérations. Elles s'inspirent exclu-

sivement de la haine du bonapartisme, commune à tous les

démocrates européens, de leur commun espoir de voir se

produire bientôt en France, une crise révolutionnaire ins-

taurant la République. Et chose piquante, Marx n'escompte

rien de semblable pour l'Allemagne, dont les « philistins »

incapables de réaliser la République allemande une el indi-

visible, que réclamait la Nouvelle GazettelUiénane, ne pour-

ront obtenir leur unité nationale que par la « grâce de

Dieu et du Sabre » — c'est-à-dire du militarisme des

Hohenzollern.

Dans ces différentes « citations » M. Laskine a tronqué

et accommodé .ce texte. 11 a supprimé notamment la

phrase incidente, mais essentielle, sur « Bismarck ins-

trument des intrigues russes » comme aussi bien le der-

nier passage significatif sur le philistin allemand. Il a

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. .

feint de croire que la crise à laquelle Marx faisait allu-

sion, c'était non la révolution, mais la guerre allemande!

Avec perfidie, il épilogue à perte de vue sur le « notre

Bismarck » dont il est impossible de ne pas voir le sens

ironique. De pareils procédés de polémique permettent de

jugerà son aune ce bas pamphlétaire, qui veut en vain se

donner figure d'historien.

Au cours de l'année 1868, une « branche française » de

l'Internationale, constituée h Londres et qui comprenait de

ces éléments troubles et en tous cas exaltés et confus qu'on

rencontre souvent parmi les réfugiés, tomba sous l'in-

fluence délétère d'aventuriers ou de purs démagogues tels

que Vesinier ou Félix Pyat, dont le rôle devait être si

néfaste dans la Commune (1). Naturellement ces frénéti-

ques et ces faiseurs entrèrent en conflit avec le Conseil

Général, accusé de « modérantisme » et auquel ils repro-

chaient de « de travailler sous la dictée de Bonaparte » (!).

Son grand crime était en réalité de ne pas avoir voulu

prendre à son compte les grotesques déclamations de ces

conspirateurs en chambre. Marx voyait là « une intrigue

des vieux partis » démocratiques bourgeois et des « petits

grands hommes » (Louis Blanc et Cie) qui les représentaient

à Londres et il ajoutait:

« Pyat est tout à fait le gaillard pour faire cela de bonne foi.

Les plus malins le mettent en avant. Quoi de plus comique

que ce fade auteur de mélodrames, l'homme du Charivari de

1848, ce « toast-master » (porteur de toasts) qui joue au Bru-

tus, mais à distance » (2).

La «branche française» avait en effet voté un manifeste

de Pyat, où on avait assassiné Napoléon III... en effigie.

(1) On sait avec quelle sévérité l'historien de la Commune, Lis-

sagaray, a jugé le rôle dans la révolution parisienne de ce « mélo-

dramaturge malheureux » ainsi que l'appelle Marx.

(2) Lettre de Marx à Engels du 7 juin 1868, page 359.

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Tous les réfugiés français, honnêtes et sérieux jugeaient à

son exacte valeur cette comédie : « Dupont, Jung, Lafargue,

Joannet, Lassassie et plusieurs autres, écrit Marx, ont quitté

cette bande et cette canaille compte peut-être maintenant

15 hpmmesen tout.C'est cela la souveraineté du peuple (V) ».

Naturellement le Conseil général songea à écarter de

l'Association Internationale, qui déjà comptait tant de pro-

létaires probes et sérieux, cette lie de la proscription fran-

çaise à Londres. Après le Congrès de Bruxelles la « soi-

disant branche française » (ainsi que l'appelle Marx) avait

encore prétendu flétrir « l'indifférence en matière politique

professée au dernier congrès de l'Association Internatio-

nale ». Le Conseil Général donna pleins pouvoirs à Marx

« pour désavouer publiquement ces gaillards » (2).

Dans une lettre adressée à Kugelmann, il écrivait à ce

sujet:

« Pyat voulait, grâce à celte bande, faire de l'Internationale

une clique à sa dévotion. Il réussit surtout à nous compromet-

tre. Dans un meeting public que la branche française

annonçait comme une réunion convoquée par l ' Internationale,

Louis-Napoléon, alias liadinguet, fut formellement con-

damne à mort, l'exécution était naturellement abandonnée

aux soins de Brutus inconnus des Parisiens. Comme la presse

anglaise n'accorda aucune attention à cette farce, nous aurions

également fait autour d'elle la conspiration du silence.

« Mais un individu de la bande, un certain Vesinier, journa-

liste maître-chanteur, dévoila toute la chose, dans un journal

belge, La Cigale, qui se donne elle aussi pour un organe de

l'Internationale. C'est une feuille du genre comique, comme il

n'y en a pas deux en Europe; elle n'a de comique que son

sérieux. L'histoire passa de la Cigale, dans le Pays, journal de

(1) Idem du 4 août 1868.

(2) Correspondance de Marx et Engels. Tome IV, lettre du

du 24 octobre 1868, page 106.

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l'Empire. C'était naturellement une aubaine pour Paul de Cas-

sagnac. Nous (c'est-à-dire le Conseil général) envoyâmes aus-

sitôt, une déclaration officielle de six lignes à la Cigale, affir-

mant que Pyat n'avait aucun rapport avec l'Internationale

dont il n'est même pas membre. Ilinc illœ iroe (1). Celte

batrachomyomachie se termina par la démission bruyante de

la « branche française » qui fait maintenant toute seule ses

affaires sous l'égide de F. Pyal. Il s'est fondé ici à Londres, à

titre de succursale, un soi-disant groupe allemand de propa-

gande qui comprend une douzaine et demie de membres et a .

pour chef un vieux réfugié du Palatinat, Weber, à-demi fou,

horloger de son métier. Vous savez maintenant tout ce qui se

rapporte à cet événement soleonel. Encore un mot: Nous

avons eu la satisfaction de voir Blanqui par la plume d'un

de ses amis, ridiculiser Pyat à mort dans cette même

Cigale et ne lui laisser d'autre alternative que de s'avouer

monomane ou policier » (2).

Le Congrès de Bruxelles tenu en septembre 1868 marqua

la première victoire décisive des collectivistes sur les prou-

dhoniens. Il comprenait cependant un grand nombre de

délégués des pays latins, qui avaient été jusque-là le plus

rebelle à l'idée nouvelle; sur 96 délégués, 18 de France,

dont Tolain, Murat, Theisz, Albert Richard, Emile Aubry,

Charles Longuet, et 53 de Belgique dont César de Paepe,

Jacques Maes, Eugène Hins, D. Brismée. D'autre part l'Alle-

magne n'avait que cinq représentants dont le vieux pros-

crit de Genève, Becker et Moritz Hess, l'Angleterre sept,

(1) D'où ces colères.

(2) Lettre à Kugelman du 5 décembre 1868. Dans le plus boueux

de ses pamphlets, les Socialistes du Kaiser, M. Laskine prétend

qu'en parlant de la nécessité où l'Association pourrait être d'ex-

pulser son étrange « branche française » de Londres, Marx avait

indiqué son» rêve » (!) de chasser ignominieusement tes français

de l'Internationale. Et pour augmenter encore le malentendu, il

écrit qu'il a voulu i,.. dehors la « section française de l'Interna-

tionale », sous-titre actuel du Parti Socialiste de France... (Les

Socialistes du Kaiser, p. 56;.

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dont Lucraft, des menuisiers, Cowell Stepney, Shaw et

Eccarius. Le Congrès fut présidé par les représentants du

Conseil Général, Jung et Dupont. Contrairement à ses

intentions premières, Marx n'y vint pas, mais Eccarius,

Lessner, Moses Hess, César de Paepes soutinrent brillam

ment la thèse communiste. Et ce fut à des majorités con-

sidérables que le congrès se prononça, contre les proudho-

niens, en faveur de la nationalisation du sol. De même sur

la question du machinisme, il se prononça en faveur de

l'appropriation des machines par les travailleurs. Ce

résultat était d'autant plus remarquable qu'ainsi que l'écrit

Jaeck(l), les prourlhoniens français et belges étaient cer-

tainement les plus nombreux. Mais beaucoup d'entre eux

sentaient de plus en plus faiblir leur conviction devant la

supériorité doctrinale et pratique tout à la fois du collecti-

visme. On le vit bien lorsque les proudlioniens restés fidè-

les à la doctrine de Pierre-Joseph voulurent développer sa

panacée du « Crédit gratuit ». Eccarius, Moses Hess en

firent une écrasante réfutation.

Sur la question de la guerre, le congrès après un rap-

port présenté par Charles Longue? votait une proposition

d'origine belge recommandant aux travailleurs « de cesser

tout travail, au cas où une guerre viendrait à éclater ».

C'est la première fois que nous voyons se formuler sous sa

forme la plus simple l'idée de la grève générale contre la

guerre. Dans l'état informe où était alors l'organisation du

prolétariat européen, on conçoit que cette proposition

n'avait que la valeur d'un vœu pieux et que le robuste

réalisme de Marx, l'envisageait sans tendresse — alors

qu'un demi-siècle plus lard les millions de travailleurs

organisés de l'Europe" occidentale devaient encore se inon-

(1) Gustav Jaeckh, Die Internationale, p. 77.

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124 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

trer impuissants à la faire passer de l'enceinte des con-

grès dans la réalité des fails.

Voici ce qu'il écrivait à Engels sur le congrès ; d'abord

le 12 septembre:

« Le congrès s'est heureusement terminé et jusqu'à jeudi —

je n'en ai pas de nouvelles plus récentes —tout s'est en somme

passé assez bien. Tolain et les autres Parisiens voulaient que

le Conseil général fut transféré à Bruxelles. Ils sont très jaloux

de Londres. Ce qui constitue un grand progrès c'est que les

braves Belges et les Français pruudhoniens, qui à Genève,

déclamèrent dogmatiquement contre le mouvement syndical

en sffilt maintenant des partisans fanatiques (1).

Le 16 septembre, Marx se réjouit de l'impression consi-

dérable que le congrès a faite dans la presse bourgeoise:

« Le Morning Advertiser d'hier (à la désolation de Blind) (2)

a un premier article pour l'Internationale contre le Times. Le

Star déclare que le congrès a été un succès. Le Standard qui

nous attaqua d'abord dans son article de tête d'hier, s'aplatit

devant la classe ouvrière. 11 tape sur les capitalistes mais fera

bientôt lui-même la grimace devant la question agraire. Le

Journal des Débats regrette que les Anglais, les Allemands et

les Belges appartiennent à la « secte communiste », ainsi que

le démontre la résolution sur la possession du sol et que les

Français reproduisent toujours à nouveau « les déclamations

ridicules de Proudlion ».

Marx indique ensuite le mécontentement soulevé parmi

les amis du Conseil Général, par la manière dont Eccarius

qui avait obtenu la correspondance du Times, s'était

acquitté de sa mission:

(1) Correspondance de Marx et Engels, lettre du 12 septembre 1868,

t. III, n. 1034, p. 80.

(2) Karl Blind, démocrate bourgeois allemand réfugié à Londres

et adversaire achsirné de Marx.

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Page 129: La politique internationale du marxisme

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« ... Il a altéré la résolution allemande sur la guerre. Il lui

fait dire « qu'une guerre européenne serait une guerre civile »

au lieu de reproduire les termes exacts de la résolution alle-

mande « qu'une guerre entre la France et l'Allemagne serait

une guerre civile au profil de' la Russie ». Par contre il met

au compte des Allemands et des Anglais, l'absurdité belge de

vouloir faire grève contre la guerre.

« . Lessner, dit que si nous avons obtenu de tels résultats tout

en ayant une si faible représentation — qui n'était presque

composée que de Belges (avec adjonction de Français) — c'est

que dans toutes les questions décisives les ouvriers belges,

malgré leurs chefs, ont voté avec Londres.

« On dit que Moses (Hess) a fait le meilleur discours contre

les proudhoniens. Tolain était si furieux qu'il ne parut pas au

banquet (1) ».

x Dans une autre lettre (25 septembre) Marx note avec

plaisir que « Blanqui suivit avec assiduité le congrès ». A

l'issue de ses débats, le Congrès de Bruxelles avait voté

une résolution proposée par Lessner félicitant Marx pour

la publication du premier volume du Capital et saluant en

lui le premier économiste qui eut entrepris l'analyse scien-

tifique du Capital et l'eut ramené à ses éléments primitifs.

Au même moment la pénétration graduelle de tout le

mouvement ouvrier européen par la pensée et la méthode

marxiste se manifestait avec éclat en Allemagne — où

jusque-là l'Association Internationale n'avait compté que

des éléments peu nombreux — les Lassalliens dont l'in-

fluence dominait dans la classe ouvrière s'étant tenus à

l'écart d'une organisation où s'exerçait l'influence de Marx.

C'est quelques jours après les assises de l'Association

Internationale à Bruxelles que se tint à Nuremberg le

congrès du nouveau Parti Social Démocrate fondé par le

(1) Correspondance de Marx et Engels, lettre du 16 septembre 1868,

t. III, n. 1036, p. 82.

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126 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

fidèle ami de Marx, Wilhelm Liebknecht avec l'aide, sui-

vant l'expression de Werner Sombart, « d'une force juvé-

nile, Auguste Bebel, le maître tourneur » (1) qui à 24 ans

était président de plusieurs sociétés ouvrières, sociétés

comptant 14.000 membres. Elles décidaient, k ce congrès

de Nuremberg, de se séparer du parti progressiste de

Schulze-Delitzsch pour adhérer à la nouvelle organisation

socialiste, d'inspiration marxiste et qui allait être définiti-

vement constituée l'année suivante au Congrès d'Eisenach

(1869).

Eccarius avait représenté le Conseil Général à Nurem-

berg. Il en rapporta une excellente impression et joyeuse-

ment dans ses lettres d'alors, Marx enregistre l'adhésion

à l'Internationale d'une importante fraction des travail-

leurs allemands qui sont dorénavant soustraits à l'influence

des Lassalliens. En même temps, avec vigueur, il marque

les faiblesses du prolétariat de son pays:

« Pour la classe ouvrière allemande, écrit-il, la chose la

plus urgente est de cesser de faire de la propagande sous la

haute permission des autorités. Une race dressée aussi

bureaucratiquement doit suivre tout un entraînement métho-

dique K d'effort personnel ». En revanche, elle jouit sans con-

teste de l'avantage de commencer le mouvement à un stade

plus développé que les Anglais et en même temps avec des tètes

allemandes pour la généralisation » (2).

Sept ans plus tard, lorsque la fusion se faisait au con-

grès de Gotha entre marxistes du parli d'Eisenach et las-

salliens, sur la base d'un programme dont Marx condam-

nait, sévèrement les compromissions et les faiblesses

(1) Werner Sombart, Le socialisme et le mouvement social au

XIX' siècle, p. 124.

(2) Correspondance de Marx et Engels, lettre 26 septembre 1868,

t. III, n. 1043, p. 92.

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Page 131: La politique internationale du marxisme

L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS 127

doctrinales, dans une lettre célèbre à Bracke il exprimait

encore des idées analogues:

« Une chose tout à fait à rejeter c'est une éducation du peu-

ple par l'Etat... Ce qu'il faut plutôt, c'est proscrire au même

titre de l'école, toute influence du gouvernement et de l'église.

Dans l'empire prusso-allemand aujourd'hui, c'est au con-

traire l'Etat qui a besoin d'être rudement éduqué par le

peuple. Donc tout le programme en dépit de son clinquant

démocratique est d'un bout & l'autre infesté de la servile

croyance des partisans de Lassalle à l'Etat, ou ne qui ne

vaut pas mieux, de la foi au surnaturel démocratique, ou plu-

tôt c'est un compromis entre ces deux sortes de foi surnatu-

relle, également éloignées du Socialisme (1) ».

En présence de semblables textes (corroborés par com-

bien d'autres !) on voit le peu de valeur qu'il convient

d'attribuer aux considérations sur le « socialisme autori-

taire » ou « étatiste » que des critiques ignorants ou de

mauvaise foi ont si souvent attribué à Marx.

(1) Karl Marx. A propos d'unilè (Lettre sur le programme de

Gotha, p. 40).

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CHAPITRE V

L'INTERNATIONALE DK 1868 A 1872:

LA LUTTE DE MARX ET DE BAKOUNINE

La deuxième phase de la vie de l'Internationale est occu-

pée tout entière par la lutte entre Marx et Bakounine de

1868 à 1872, date du congrès de La Haye, après lequel

en réalité elle se dissout— pour renaître infiniment plus

puissante et plus vaste dix-sept ans après, en 1889, au

Congrès Socialiste International de Paris.

Entre Marx et Bakounine, l'incompatibilité des idées et

des tempéraments était profonde. Trop souvent certes, leur

lutte devait revêtir un caractère d'âpreté personnelle que

l'historien ne peut que regretter. Marx fut souvent injuste

pour Bakounine, dont il ne sut pas toujours reconnaître —

au dessus de ses erreurs— la profonde sincérité révolution-

naire. Il est d'autre part évident qu'il ne pouvait pas ne

pas ressentir amèrement les menées elles intrigues du fon-

dateur de l'anarchisme au sein de l'Internationale et les

dangers mortels que Bakounine faisait courir à la grande

Association dont Marx escomptait tant l'action pour l'affran-

chissement du prolétariat.

Quelles que soient les critiques que l'on puisse élever

contre les moyens de polémique employés par Marx, il

demeure qu'il défendait les intérêts généraux du' mouve-

ment ouvrier contre la négation de l'action politique pro-

létarienne, contre des tendances dissolvantes— que tou-

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L'INTERNATIONALE DE 1863 A 1872 129

jours et partout le socialisme a dû éliminer pour ne pas

périr.

Les raisons étaient multiples qui devaient créer, entre les

deux hommes, l'antagonisme. A vrai dire celui-ci s'était

déjà manifesté bien des années avant la création de l'Inter-

nationale. C'est un jeu intellectuel puéril ou une basse

manœuvre réactionnaire que de ramener le « duel Marx-

Bakounine » aux proportions d'un antagonisme national,

à un « conflit de l'esprit latin et de l'esprit allemand ».

Bakounine lui-même le premier imagina cet appel miséra-

ble aux passions nationales dans un conflit de méthodes

socialistes. A maintes reprises dans la suite, ses disciples,

depuis Kropotkine jusqu'à James Guillaume, reprirent ce

thème que Hubert Lagardelle, emporté par son goût de

l'antithèse brillante et du paradoxe « syndicaliste », au

début de 1914, développait à son tour et qu'ont exploité à

plaisir depuis la guerre de grossiers démagogues chauvins.

Ce qui est incontestablement vrai, c'est que, animé d'une

invincible horreur contre le tsarisme russe, sentiment qui

constitue le fondement de toute sa politique internationale,

Marx ne pouvait pas ne pas s'alarmer de certaines fantai-

sies panslavistes de Bakounine. Nous avons vu la véhé-

mente critique que, dès 1849, il consacrait à sa_ brochure

sur le panslavisme démocratique dans la Nouvelle Gazette

Rhénane. Emporté par sa méfiance, il s'était antérieure-

ment laissé aller en juillet 1848, dans le même journal, à

la publication d'une correspondance de son rédacteur à

Paris, Wilhelm Wolff, où Bakounine était traité * d'agent

au service du gouvernement russe ».

La cruelle et injuste accusation était basée sur des pro-

pos prêtés à George Sand, que celle-ci démentit avec indi-

gnation dans une lettre à la Gazette. La future « dame

de Nohant » déclarait « n'avoir aucune raison ni autorité

JEAN LONGUET 9

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Page 134: La politique internationale du marxisme

•130 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

pour mettre en doute la loyauté du caractère de Bakou-

nine, ni la sincérité de ses vues » (1).

Marx publia cette lettre en ajoutant qu'il se félicitait

d'avoir fourni à Bakounine l'occasion de dissiper des soup-

çons répandus dans divers cercles parisiens. Quelque temps

après, Marx et Bakounine se rencontraient à Berlin et se

réconciliaient. Il semble bien que la réconciliation fut sin-

cère de part et d'autre et, pendant plus de vingt ans, nous

ne voyons trace d'aucune animosité entre eux. Lors de la

fondation de l'Internationale, dans une lettre de Marx à

Engels, nous trouvons ces observations élogieuses et même

sympathiques sur Bakounine (2):

« Bakounine t'envoie le bonjour. 11 est parti aujourd'hui

pour l'Italie où il habite k Florence. Je l'ai revu hier pour la

. première fois depuis 16 ans. Je dois dire qu'il m'a beaucoup

plu, je l'ai trouvé mieux qu'autrefois. Il dit au sujet du

mouvement polonais que le gouvernement russe avait besoin

de ce mouvement pour tenir la Russie tranquille, mais n'avait

pas cru que la lutte put durer dix-huit mois. Il avait donc pro-

voqué l'insurrection polonaise. Deux causes ont fait échouer

celte insurrection ; d'abord l'influence de Bonaparte, seconde-

ment l'hésitation de l'aristocratie polonaise qui n'a pas voulu

proclamer dès le début ouvertement et clairement le socialisme

paysan.

« Bakounine dit qu'après l'échec de l'affaire polonaise, il ne

veut plus s'occuper que du mouvement socialiste. En somme,

c'est un des rares hommes que je retrouve après seize ans

ayant marché en avant et non en arrière. Je. me suis éga-

lement entretenu avec lui des dénonciations de Urquhart. Il a

beaucoup demandé après toi et après Lupus (3) (Wolff). Lorsque

(1) Karl Marx, his li/'e and work, by John Spargo, p. 153.

(2) Correspondance de Marx et Engels, t. III, lettre du 4 novem-

bre 1864, page 190.

(3) Wolff, ami très fidèle de Marx et d'Engels, avec eux eiilé en

Angleterre et auquel est dédié le premier volume du Capital.

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L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 , 131

je lui ai annoncé la mort de ce dernier, il me dit aussitôt que

le mouvement avait perdu en lui un homme irremplaçable ».

Bientôtcependantl'opposition.de leurs méthodes et de

leurs tempéraments allait encore les mettre violemment aux

prises. Avant d'entrer dans l'Internationale — Marx l'y avait

invité dès 1864 mais il avait alors préféré créer en Italie

une société secrète anti-mazzinienne — Bakounine, ainsi

que nous l'avons déjà vu, avait participé activement aux

Congrès de la « Ligue de la Paix et de la Liberté » à Genève

en 1867 et à Berne en 1868.

L'Internationale avait été conviée à se faire représenter

à ce deuxième congrès de Berne. Son congrès de Bruxelles

répondit avec quelque rudesse « que les délégués de l'In-

ternationale croyaient que la Ligue de la Paix n'avait pas

de raison d'être en présence de l'œuvre de l'Internationale

et invitaient cette société à se joindre à lui ».

Cette résolution critiquée à l'époque par ceux des

« Internationaux » parisiens qui, récemment condamnés,

étaient emprisonnés à Sainte-Pélagie — notamment Var-

lin, Malon, Landrin — comme exclusive et sectaire, est

naturellement attribuée à l'influence de Marx, par

MM. James Guillaume, Laskine etCie(l). De preuves ils

n'en apportent d'ailleurs aucune. En réalité, ainsi que l'écrit

. Albert Thomas: « II est frappant de noter que Tolain,

Murat, Chemalé, les Proudhoniens ne votèrent point contre

cette résolution; sous une forme un peu différente, elle

répondait exactement à la vieille idée de l'organisation isolée,

tout à fait indépendante et se suffisant à elle-même que devait

être l'organisation ouvrière » (2). C'est dire qu'aucune

action ténébreuse de Marx n'avait été nécessaire pour ame-

(1) James Guillaume, Karl Marxpangermaniste, p. 52. Laskine

L Internationale et le Pangermanisme, p. 30, 31.

(2) Albert Thomas, ouvrage cité, p. 335.

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132 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

ner les internationaux à s'exprimer selon une conception

de classe qui leur était commune alors, qu'ils fussent mar-

xistes ou proudhoniens.

Au Congrès pacifiste de Berne la lutte s'engageait

«ntre libéraux bourgeois et révolutionnaires groupés

autour de Bakounine. Celui-ci déposait au congrès une

motion qui traduisait ses aspirations ardentes en même

temps que le confusionisme de sa pensée. Il y réclamait en

•effet « l'égalisation économique et sociale des classes (!) et

des individus ». Combattue par les pacifistes bourgeois la

motion de Bakounine était rejetée; la minorité révolution-

naire, qui avec lui comprenait Elisée Reclus, Albert Richard,

Charles Keller, Jaclard, Aristide Rey se séparait alors de

la Ligue pour créer l'Alliance ïnternationaie de la Démocra-

tie Socitiliste, qui déclarait « se constituer en branche de

l'Association internationale des Travailleurs ». Cette orga-

nisation secrète, révolutionnarisle et sectaire, va tout de

•suite engager la lutte contre le Conseil général de l'Inter-

nationale, au détriment duquel elle s'efforce de grouper

partout les éléments anarchisants. Toutes les défiances

anciennes de Marx ^e trouvent du même coup réveillées

contre Bakounine « qui veut bien avoir la condescendance

de prendre le mouvement ouvrier sous sa direction

russe » (1).

Quand on étudie l'œuvre et la méthode de Bakounine, on

s'explique combien ses paroles, ses écrits et toute sa

manière devaient heurter Marx. En réalité on ne trouve

dans ses idées ni originalité réelle, ni puissance d'analyse:

« Ce sont des lieux communs du socialisme que Bakounine

exprime même souvent avec moins de relief et moins d'exacti-

tude que ses prédécesseurs et contemporains. Qu'on lise par

(1) Correspondance de Marx et Engels, Tome IV, n',,1077, 18 décem-

bre 1868.

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Page 137: La politique internationale du marxisme

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exemple sa critique de la civilisation actuelle ou lui échappe,

entre autres, une très malheureuse phrase sur la liberté de

l'industrie et du commerce; examinant le cas des Etals-Unis,

protectionnistes il fait dépendre absolument, à la façon d'un

économiste bourgeois, le bon marché des produits du bon mar-

ché du travail, comme si les salaires déterminaient la valeur

des produits » (1).

Ses idées politiques et sociales subissent fréquemment

les plus étranges avatars. En 1839 à Moscou, nous le

trouvons hégélien orthodoxe, admirateur passionné de

l'aphorisme réactionnaire « tout ce qui existe est ration-

nel » et absolvant de ce point de vue le despotisme terrible de

Nicolas lKt. En 1849 après avoir joué le rôle important que

nous avons dit dans le soulèvement de Dresde, Bakounine

est jeté dans une forteresse par la Prusse, livré à l'Autri-

che par celle-ci. Le gouvernement de Vienne à son tour le

remet au gouvernement russe.

De 1851 h 1857 il reste dans une prison de Pétersbourgr

d'où il est expédié en Sibérie. Le gouverneur de la Sibérie

est son cousin, Mouravief-Amorsky. 11 s'enflamme pour

lui d'un étrange enthousiasme, bombarde de lettres Her-

zen pour le persuader « que parmi ceux qui ont la force et

le pouvoir, Mouracief est ls seul que nous puissions, sans don-

ner la moindre entorse à nos idées, com/iler absolument et

complètement parmi tes m)tres» (2). Ce qui l'attire vers ce

grand fonctionnaire tsariste, c'est qu'il voit en lui un dicta-

teur politique, une sorte de Pierre le Grand rouge (!). A cette

occasion il tombe à bras raccourcis sur la plupart des exi-

lés politiques de Sibérie, qui « calomniaient stupidement »

son grand homme d'Etat — leur geôlier. Et dans la brochure

Pougatclwf ou Prstel, publiée à Londres après son éva.-

sion de Sibérie, en 1862 nous retrouvons cetteétrange note

(1) Le Devenir social, 1895, p. 878.

(St Idem.

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Page 138: La politique internationale du marxisme

134 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

d'admiration pour les dictateurs du tsarisme, la même cri-

tique sévère de leurs adversaires. Il déclare que « nous

suivrions de préférence Romanof, s'il voulait seulement se

transformer de tsar pétersbourgeois en tsar des paysans » (!).

Il s'acharne contre le manifeste du parti des socialistes

révolutionnaires de l'époque, connus sous le nom de

«Jeune Russie ». Il les accuse de présomption et leur

oppose « l'immense majorité de la jeunesse russe qui n'a

de préjugés, ni contre ni pour le tsar ».

Dans le grand discours qu'il prononçait au Congrès de

la Ligue de la Paix en 1868 il affirmait au contraire : « En

1862 la jeunesse russe a exposé son programme dans le

manifeste de la Jeune Russie. Elle y demande l'abolition de

la religion.de la propriété et de l'Etat. Je n'ai pas eu l'hon-

neur de participer à l'élaboration de ce manifeste, mkis

j'avoue franchement que je partage de toul cœur ces princi-

pes » (1). Dans ce même discours il parle avec enthou-

siasme du peuple russe « socialiste d'instinct et révolution-

naire de nature » et de «l'idée qui s'est conservée dans la

conscience du peuple qui cache en elle toutes les révolu-

tions sociales du passé et de l'avenir et d'après laquelle la

terre et tout le sol appartiennent au peuple seul » (3). Or,

à peine deux ans auparavant Bakounine écrivait à ller-

zen: « La cabane du mouzjick avec son fameux droit de

propriété sur la terre et le sol, croupit depuis dessiècles dans

une immobilité chinoise », et il ajoutait : « Cette commune

de paysans dont vous attendez des miracles pour l'avenir

n'a rien produit jusqu'ici pendant dix siècles de s'on exis-

tence que le plus triste et le plus abject esclavage, la soumission

révoltante de la femme, la négation absolue de son honneur,

l'empressement à vendre tout droit, toute justice pour une

11) Michel Bakounine, parle professeur Dragomanoff, p. 319.

(2) Idem, p. 320.

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Page 139: La politique internationale du marxisme

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pinte d'eau-de-vie » ( 1). Le même illogisme, les mêmes con-

tradictions se rencontrent dans les méthodes par lui em-

ployées au sein de l'Internationale. Lui le pèredel'anar-

chisme révolutionnaire, l'adversaire acharné de toute

autorité, il constitue « l'Alliance » qui est une société

secrète et fortement centralisée t

Les .contradictions théoriques deBakounine, la faiblesse

de sa doctrine, les inconséquences de son action pratique

n'empêchent pas qu'il n'ait été toute sa vie un homme de

conviction, d'activité dévorante, d'énergie indomptable.

L'historien socialiste, plus équitable — s'il veut avoir quel-

que droif à se réclamer de ce titre — que ses contempo-

rains, ne peut pas ne pas lui rendre cette justice et

reconnaître la sincérité et le'dévouement de Bakounine,

égaux, mais pas supérieurs à ceux de Marx. ^

Tout de suite le conflit s'engagea entre eux à propos de

la demande d'adhésion que VAlliance de la Démocratie Socia-

liste adresse au Conseil Général, avec ses statuts. Bakou-

nine était parvenu à entraîner dans son équipée le vieux

révolutionnaire allemand Becker, ancien colonel de l'armée

révolutionnaire badoise, qui résidait à Genève et que tous les

militants, et Marx en particulier, avaient en grande estime.

C'est par son intermédiaire que l'on communique à Lon-

dres « le barbouillage » bakouniniste. Malgré les égards

dus à « old Becker », le Conseil décide aussitôt d'agir éner-

giquement:

« Ce soir, écrit Marx à Engels le 18 décembre 1868, il y a eu

au Conseil général une grande colère, surtout parmi les

Français, contre ce document. Je connaissais le barbouillage

depuis longtemps et je le considérais comme mort-né et par

egard pour le vieux BeCker je l'aurais laissé mourir en

paix. Mais l'affaire est devenue plus grave que je ne le pré-

Ci) Idem, p. 123.

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Page 140: La politique internationale du marxisme

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voyais. Et les égards pour old Becker ne sont pas admissibles

plus longtemps. Le Conseil a décidé ce soir de répudier publi-

quement cette société d'intrus, à Paris, à New-York, en Alle-

magne et en Suisse. Je suis chargé de rédiger pour mardi pro-

chain la motion de répudiation. Je regrette tout cela à cause

du vieux Becker, mais l'Internationale ne peut pas se suicider

à cause du vieux Becker » (1).

Le Conseil Général, déclara en effet à l'unanimité que

« l'Alliance » ne pouvait pas entrer comme section dans

l'Internationale, étant donné la contradiction existant entre

ses statuts et ceux de l'Association. Après délibération et

sur mandat du Conseil Général, Marx adressait à « l'Al-

liance » une magistrale « mise au point » doctrinale dont

nous trouvons d'ailleurs le texte autographe en français de

sa main dans l'excellente histoire de l'Internationale de

Gustave Jaeckh. La voici:

« Le Conseil Général de l'Association Internationale des

Travailleurs au Bureau Central de l'Alliance Internationale de

la Démocratie Socialiste:

Londres, le 9 mars 1869.

Citoyens,

D'après l'article 1" de nos statuts, l'Association Internatio-

nale des Travailleurs admet « toutes les sociétés ouvrières

aspirant au même but, savoir la protection, le progrès et

l'émancipation complète de la classe ouvrière »:

Comme les sections de la classe ouvrière dans chaque pays

et les classes ouvrières dans les divers pays se trouvent pla-

cées dans des circonstances très diverses et sont actuellement

arrivées à des divers degrés de développement, il s'en suit

nécessairement gue leurs opinions théoriques, qui reflètent le

mouvement, soient aussi divergentes.

(1) Lettre de Marx à Engels, t. IV, n. 1077, 18 décembre 1868

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Cependant la communauté d'action, initiée par l'Association

Internationale des Travailleurs, l'échange des idées, facilité

par les organes publics des différentes sections nationales et les

discussions directes aux Congrès généraux, ne manquent pas

d'engendrer graduellement un programme théorique com-

mun. Ainsi, il serait en dehors des fonctions du Conseil géné-

ral de faire l'examen critique du programme de l'Alliance.

Nous n'avons pas à rechercher si, oui ou non, c'est une expres-

sion adéquate du mouvement prolétaire. Pour nous, il s'agit

seulement de savoir s'il ne contient rien de contraire à la ten-

dance générale de notre Association, c'est-à-dire l'émancipa-

tion complète de la classe ouvrière.

Il y a une phrase dans votre programme qui de ce point de

vue fait défaut (1). Elle se trouve dans l'article 2 : « Elle

(l'Alliance) veut avant tout l'égalisation politique, économique

et sociale des classes ».

« L'égalisation des classes, interprétée littéralement, aboutit

à l'harmonie dû capital et du travail, si importunèment

prêchée par les socialistes bourgeois. Ce n'est pas l'égalisation

des classes, contre-sens impossible a réaliser, mais au contraire

Vabolition des classes, ce véritable secret du mouvement pro-

létaire, qui forme le grand but de l'Association Internationale

des Travailleurs. Cependant considérant le contexte dans

lequel cette phrase « égalisation des classes » se trouve, elle

semble s'y être glissée comme simple erreur de plume et le

Conseil Général ne doute pas que vous voudrez bien éliminer

de votre programme une phrase prêtant à des malentendus si

dangereux.

« A la réserve de cas où la tendance générale de l'Asso-

ciation Internationale des Travailleurs nerait froissée, il

correspond à ses principes, de laisser chaque section formu-

ler librement son programme théorique (2). Il n'existe donc

(1) Marx veut dire : est en défaut ou pèche. Ainsi que le montre

la Misère de la Philosophie, écrite tout-entière par lui en français,

il connaissait admirablement noire langue; quelquefois cependant,

on relève dans ses écrits des incorrections de ce genre.

(2) Mis en italiques par nous.

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138 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

pas d'obstacle pour la conversion des sections de l'Alliance en

section de l'Association Internationale des Travailleurs.

« Si la dissolution de l'Alliance et l'entrée de ses sections

dans l'Association Internationale des Travailleurs étaient défini-

tivement décidées, il deviendrait nécessaire, d'après nos régula-

tions (\), d'informer le Conseil sur la résidence et la force

numérique de chaque nouvelle section » (2).

Par ordre du Conseil Général

de l'Association Internationale des Travailleurs.

On voit avec quelle mesure, tout en formulant de fortes

critiques générales, Marx s'adressait aux Bakouninistes.

Ceux-ci en furent d'ailleurs quittes pour « se dissoudre»

d'une manière plus ou moins fictive comme sections de

l'Alliance, en se reconstituant comme sections de l'Interna-

tionale. Immédiatement ils préparèrent une action virulente

contre Marx et le Conseil Général au Congrès prochain qui

devait se tenir en septembre 1869 à Bâie.

Le machiavélisme « moscovite » de Bakounine et la tac-

tique qu'il emploie apparaissent sous un jour particulière-

ment cru dans une lettre qu'il devait écrire quelque temps

après, à un de ses plus fidèles seides, l'Espagnol Morago:

« L'Alliance, disait-il, doit sembler s'être fondue dans

l'Internationale, quoiqu'on réalité différente d'elle, afin de

pouvoir plus facilement l'emelopi'er et la diriger. Par consé-

quent das efforts doivent toujours être faits pour mettre, les mem-

bres de l'Internationale en minorité, dans tout conseil, comité

ou section de l'Alliance « (3).

(1) Marx emploie le mot anglais régulation qui veut dire : statuts.

(2) Dans une lettre à Kngels. à propos de ce passage Marx écrit:

« C'est surtout ce dernier point — le recensement de leurs légions,

qui chatouillera ces Messieurs » (5 mars 1869). Cité par G. Jaeckh,

Die Internationale, p. 237. Ce document autographe se trouve

également reproduit dans l'Histoire Socialiste du Second Empire

d'A. Thomas, p. 360.

(3) Die Internationale Von G. Jaeckh, document cité, p. 169

et 170.

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Aussi Marx envisage-t-il de plus en plus avec colère l'ac-

tion de Bakounine, en particulier son effort pour décompo-

ser l'Internationale selon de prétendues affinités ethniques.

Dans sa correspondance avec Engels, il s'épanche librement

à cet égard. C'est ainsi que le 14 mars 1869 il écrit:

« En plus de la lettre officielle que je t'ai communiquée,

ces Messieurs (les Bakouninistes) ont encore adressé à Eccarius

une lettre privée de quatre pages, d'après laquelle ce n'est que

grâce aux « efforts » de Becker, Bakounine et du secrétaire

Perret qu'une rupture ouverte a été évitée. Leur programme

révolutionnaire a produit en quelques semaines plus d'effet que

celui de l'Association Internationale en plusieurs années.

Si nous rejetons leur « programme éventuel », nous allons

provoquer une scission entre les pays où il y a un mouvement,

ouvrier « révolutionnaire » — les voici d'après eux :la France (où

ils ont en tout et pour tout deux correspondants), la Suisse (!),

l'Italie (si on en excepte les ouvriers qui sont avec nous, il ne

reste que quelques Ma:ziniens) et l'Espagne (où il y a plus

de cures que d'ouvriers) — et les pays de développement plus

lent de la classe ouvrière (c'est-à-dire l'Angleterre, l'Allema-

gne, les Etats-Unis et la Belgique !). Il y aurait donc scission

entre le mouvement volcanique d'une part et le mouvement

aqueux de l'autre.

« Que ce soient les Suisses qui représentent le type révolu-

tionnaire accompli, voilà qui est amusant ! Faut-il que le vieux

Becker soit devenu sot pour croire réellement que Bakounine

a inventé un programme !.. (\) »

Quelques mois après dans une autre lettre, nous trou-

vons à propos des procédés et des méthodes de Bakounine,

ce passage savoureux:

« Le secrétaire de notre section française de Genève en a

par dessus la tète de Bakounine et se plaint qu'il désorganise

(1) Correspondance de Marx et Engels, tome III, n° 1102 ; 14 mars

1869, p. 147.

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tout avec sa « tyrannie ». M. Bakounine donne à entendre dans

l'Egalité que les ouvriers allemands et anglais n'éprouvent

pas le besoin d'afflrmer leur individualité et que c'est pourquoi

ils acceptent notre « communisme autoritaire ». Bakounine

par contre représente le « collectivisme anarchique ». L'anarchie

existe en effet dans sa tête où il n'y a place que pour cette

seule idée bien nette que Bakounine doit être premier vio-

lon (1) ».

Le conflit public éclata au Congrès de Baie, qui se tint

du S au 12 septembre 1868. On comptait 78 délégués, dont

26 de France parmi lesquels Aubry, Varlin, Landrin, Murat,

Pindy, Tolain, Dereure, Albert Richard, Bakounine (délégué

des ouvrières ovalistes de Lyon) ; 24 de Suisse, dont Perret,

Burkly, James Guillaume, Greulich, Schwitzguebel ; 5 de

Belgique, dont Cesar de Paepe, Hins, Brismee et Robin;

12 d'Allemagne, dont W. Liebknecht, Rittinghausen (le

théoricien de la législation directe par le peuple), Bracke,

Lessner, réfugié à Londres, et Becker, réfugié à Genève;

6 d'Angleterre : Robert Applegarth, Lucraft, Cowell Step-

ney, Eccarius, Jung et Lessner, également délégués du

Conseil Général. Pour la première fois, un délégué des

Etats-Unis, Cameron était venu, comme représentant de la

t National Labor Union », nouvelle organisation centrale

du prolétariat américain. Avec quelque exagération, il

prétendait représenter 800.000 travailleurs organisés (2).

Il y avait en outre un délégué italien et deux espagnols.

(1) Idem, n° M6t, 30 octobre 1869, p. 198.

(ï) Ainsi que l'expose Morris Hillquit dans sa savante « History

of Socialism in the Unite'I States » la « National Labor Union » avait

été constituée en août 1866 à Baltimore et sous l'influence d'un

militant d'une grande valeur William Sylvis — prématurément

enlevé au mouvement deux ans après — s'était rapidement déve-

loppée sur la base de principes analogues à ceux de l'Internatio-

nale ; mais après la mort de Sylvis, son déclin fut aussi rapide que

sa croissance.

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Les Bakouninistes s'étaient assurés un nombre de man-

dats considérables, disproportionné avec leur force réelle.

Bakounine en avait deux pour sa part en France et en Ita-

lie et à ses côtés, siégeaient-Guillaume, Albert Richard,

Schwitzguébel, Hins, Robin, l'Italien Caporusso et les Espa-

gnols Farga-Pellicer et Sentinon.

Le premier combat mit aux prises les collectivistes unis,

qu'ils fussent marxistes ou bakouninistes contre les prou-

dhoniens. Ces derniers, furent écrasés. Les collectivistes

les avaient déjà complètement battus dans l'élection de la

délégation parisienne et Tolain avait dû se contenter d'un -

mandat des boulangers de Marseille. C'est par 54 voix con-

tre 4 — celles de Tolain, Pindy, Chemalé et Fruneau, et

6 abstentions (de six autres délégués parisiens) — que le

Congrès accepta les conclusions" du rapporteur César de

Paepe proclamant que « la société a le droit d'abolir la

propriété individuelle du sol et de faire rentrer le sol à la

communauté » et qu'il y avait t nécessité de le faire ».

Ceux des Proudhoniens qui ne rallièrent pas la majorité,

s'écartèrent de plus en plus de l'Internationale et l'un de

leurs plus notoires représentants, Fribourg, écrivait peu

après « qu'après Râle il était évident pour tous que désor-

mais Karl Marx, le communiste allemand, Bakounine, le

barbare russe et Blanqui, l'autoritaire forcené, formaient le

triumvirat omnipotent » (1).

L'action propre de Bakounine, se manifesta à Râle dans

une proposition tendant à « l'abolition complète et immé-

diate du droit d'héritage » qui avait été inscrite à l'ordre

du jour sur la demande du Comité fédéral romand où il

avait la prépondérance. La commission du Congrès inspi-

rée par Bakounine qui en faisait partie, avait conclu dans

le sens de cette solution simpliste. Eccarius défendit au

(1) Cité par James Guillaume, op. cité, p. 68.

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142 LA POLITIQUE INTEltNATIONALE DU MARXISME

contraire une motion du Conseil Général pénétrée du pro-

fond réalisme de Marx et qui proclamait que le droit d'hé-

ritage n'était qu'un effet de l'organisation économique

actuelle et ne pouvait être le point de départ de la trans-

formation sociale, mais bien sa conséquence. En atten-

dant, il proposait les mesures transitoires — depuis, uni-

versellement préconisées par le socialisme —l'extension

de l'impôt sur les successions, la limitation du droit de

tester.

César de Paepe, soutint en un discours solide la résolu-

tion du Conseil Général. Mais lorsqu'on passa au. vote

aucune majorité décisive ne put se dégager. Les conclu-

sions de la Commission obtinrent 32 voix, 23 votèrent con-

tre et 17 s'abstinrent. On vota alors sur la proposition

d'Eccariuset elle fut également repoussée, n'ayant recueilli

que 19 voix.

L'action des Bakouninistes se manifestait également.à

propos de la question de la législation directe par le peuple,

dont Grenlich et Burkly, de Zurich demandèrent l'inscrip-

tion à l'ordre du jour — elle n'y figurait pas. Le délégué

bakouniniste belge Hins répliqua avec quelque suffisance

que « l'heure était proche où l'Internationale ne tarderait

pas à se substituer à tous les gouvernements bourgeois

sans distinction de forme et de couleur » et que les discus-

sions purement politiques étaient vaines (1). Et le Congrès

renvoya la question à la suite — pour ne pas la discuter.

Après un débat très vivant auquel prirent part, entre

autres, Tolain, Greulich, Brismée, Applegarth on adopta à

l'unanimité le rapport de Pindy — proudhonien, mainte-

nant converti au syndicalisme — sur les trade-unions, le

mouvement syndical, les « sociétés de résistance », comme

on disait alors. Il en envisageait avec beaucoup de décision

(1) Albert Thomas, Le Second Empire, p. 354.

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le développement futur, préconisant la constitution des

syndicats, leur fédération nationale et internationale, con-

sidérant « que le groupement des sociétés de résistance

formerait la commune de l'avenir où le gouvernement sera

remplacé par les conseils des corps de métier ».

Eccarius. au nom du Conseil Général, demanda au Con-

grès de confier à celui-ci le pouvoir d'expulser immédiate-

ment toute section qui contreviendrait aux principes de

l'Association sans avoir besoin d'attendre le Congrès sui-

vant. Evidemment Marx avait fait déposer cette proposi-

tion dans l'éventualité d'une prochaine scission avec les

Bakouninistes. Or, à la surprise générale, Bakounine

défendit la proposition avec autant de vigueur que Liebk-

necht lui-même. Il alla même plus loin. Il soutint que le

Conseil Général devait avoir le pouvoir d'empêcher la for-

mation de nouvelles sections, s'il le jugeait nécessaire et

de suspendre à tout moment les sections existantes. C'est

que ce « libertaire » et « anti-autoritaire » escomptait

qu'il aurait bientôt la majorité dans l'Internationale et qu'il

pourrait y exercer alors au profit de ses idées cet « autori-

tarisme » qu'il reprochait tant à Marx.

Quelles qu'aient été ses erreurs et ses exagérations, le

congrès de Baie fut animé d'une ardente passion novatrice

et un de ses délégués, Albert Richard a pu écrire 27 ans

plus tard « qu'il ouvrit définitivement la période révolu-

tionnaire qui se termina par la Commune » (1). Les délé-

gués parisiens escomptant la prochaine révolution, victo-

rieuse du régime bonapartiste exécré, invitaient

l'Internationale à tenir son Congrès suivant à Paris — le

5 septembre 1870.

Depuis près d'un an déjà, avait en effet commencé le

(1) Revue politique et parlementaire, les débats du Parti Socia-

liste français, janvier 1897, p. 65.

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144 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

grand mouvement républicain et révolutionnaire qui allait

emporter l'Empire.

« De juin 1868 à juillet 1870, ainsi que l'écrit Albert Thomas,

ce sont des mois d'activité intense, des mois de fièvre, d'in-

quiétude et d'enthousiasme que nos pères ont vécus. Inquié-

tude des intrigues et des manœuvres parlementaires minis-

térielles ou policières par lesquelles l'Empire ébranlé tentait

de se consolider ; inquiétude surtout des bruits de guerre, qui

retentissent de temps à autre, en avril 1868 ; en octobre 1870,

en mars 1869 et qui viennent rappeler au,c républicains que

c'est dans les conflits extérieurs que les despotismes menaces

ont toujours cherché des moyens de se rétablir. Mais aux

heures de réunion ou dans les jours de manifestation lorsque

tout Paris tressaille lorsque la capitale semble déjà en état

révolutionnaire, la confiance revient à tous les cœurs : les

temps sont proches ! » (1).

A ce profond ébranlement politique de la France démo-

cratique et prolétarienne, les Internationaux s'associent de

toutes leurs âmes — tout en jugeant à leur exacte mesure,

les républicains bourgeois. De son « observatoire » de Lon-

dres, Marx suit avec un intérêt profond ce réveil du peu-

ple français et on en trouve de nombreuses traces dans sa

correspondance — avec toutes les outrances de forme que

ce mode d'expression de sa pensée comporte chez un

homme aussi passionné — et qui nécessite par conséquent,

pour le lecteur de bonne foi, une constante mise au point.

Dès le 15 décembre 1868, il écrit à Engels, à propos de

l'effet considérable que venait de faire le livre de Tenot sur

le Coup d'Etat:

« ... La sensation immense que ce livre a suscités à Paris et

en général dans toute la France, prouve un fait très intéressant,

(1) Albert Thomas, ouvrage cité, page 321.

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à savoir que la génération qui a poussé sous Badinguet ne

savait absolument rien de l'histoire du régime sous lequel elle

vit. Si l'on peut parva componere magnis (1), ne nous est-il

pas arrivé la même chose à notre façon ? En Allemagne on

répand maintenant cette découverte que Lassalle n'est qu'une

petite étoil-e et qu'en somme il n'a- pas découvert la lutte des

classes-» (2).

Et le 1er janvier 1868, il écrit encore à Engels:

« Tu verras par les deux journaux ci-joints, publiés à Paris,

la Cloche et le Diable à quatre quel ton hardi y règne. Qu'on

compare à cela le langage de l'opposition en Prusse ! Cette

petite presse — dont Roehefort lui-même fait partie — est le

produit le plus caractéristique du régime bonapartiste et

maintenant l'arme la plus dangereuse contre lui » (3).

Et le 3 mars 1868 ilécrità Kugelmann:

« Les Parisiens se remettent formellement à l'étude de leur

passé révolutionnaire et se préparent ainsi à la révolution qui

les attend. C'est d'abord l'origine de l'Empire, puis le coup

d'Etat de décembre. On avait complètement oublié ces événe-

ments, de même en Allemagne, la réaction a réussi à effacer

complètement le souvenir de 1848-1849. Les livres de ïenot sur

le Coup d'Etat ont produit une telle impression à Paris et dans

les provinces que 10 éditions se sont enlevées en peu de temps.

Les études sur cette même période se sont succédées par dou-

zaines. « C'était de la rage »... •

u Puis le Parti socialiste a entrepris lui aussi ses révélations

sur l'opposition et sur les démocrates républicains à l'ancienne

mode. Par exemple, Vermorel a publié Les Hommes de 1848

(1) Comparer les petites choses aux grandes. On voit combien les

événements de France semblaient à Marx les plus importants.

(2) Correspondance de Marx et Engels, tome III, n° 1076, lettre du

15 décembre 1868, p. 123.

(3) Idem, n° 1081, l" janvier 1869.

JEAN LONGUET 10

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146 LA POLITIQUE INTERNATIONALE OU MARXISME

et l'Opposition. Vermorel est un Proudhonien. Les blanquistes

ont enfin donné, par exemple Tridon, Gironde et Girondins.

Toute la cuisine de l'histoire est sans dessus-dessous. Quand

serons-nous aussi avances chez nous ? (1).

Le 9 novembre 1869, Engels s'émerveille de l'audace de

l'opposition française, tout en trouvant que « l'idée de

nommer déjà un gouvernement provisoire encore que bien

bonne comme blague contre Bonaparte est à part cela

absurde». Le 12 novembre, Marx lui répoud:

« Tu t'étonnes de la hardiesse des Français et tu parles avec

quelque dédain de nous autres, braves Allemands... Ce qui me

fait peur chez les Français, c'est cette diable de confusion dans

les esprits. Le message de Ledru-Rollin est tout à fait celui

d'un prétendant. 11 semble vraiment prendre au sérieux l'offre

de la dictature sur la France qui lui a été faite par Herzen... »

Le 10 décembre 1869, il écrit à Engels:

« A propos des journaux français que je t'envoie, le Gaulois

— moitié bonapartisle, moitié opposition — est stupide. Le

Père Duchesne l'étonné par son audace. Et dans un lel état de

chose, cette créature, celte Eugénie qui ose se mettre en avant.

Elle veut à toute force être pendue ! (2) ».

Le 19 janvier 1870, Engels écrit à Marx:

<i L'histoire de Pierre Bonaparte est une fameuse inaugura-

tion de l'ère nouvelle à Paris (3). Louis a décidément de la

déveine. Pour les bourgeois, c'est le réveil, rien moins que

doux, de cette illusion que toute la base de corruption et de

saleté créée lentemenl el avec lanl de peine depuis 18 ans,

(1) Leltre de Marx àKugelman, 3 mars 1869, publiée dans le Mou-

vement Socialiste du 1er août 1903, p. 317.

(2) Correspondance de Marx et Engels, tome IV, n» 1173.

(3) Pierre Bonaparle venait d'assassiner le journaliste républicain

. Victor Noir.

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pouvait disparaître subitement, dès que le noble Emile Olivier

prendrait la direction. Un gouvernement constitutionnel avec

ce Bonaparte, avec ses généraux, ses préfets, ses policiers et

ses gens du 3 décembre! La peur de ces gaillards — je veux

dire les bourgeois — ne s'est exprimée nulle part d'une façon

aussi frappante que dans la lettre de Prévost-Paradol dans le

Times de lundi... (1).

/•

Et Engels, dans plusieurs lettres ultérieures, très lucide-

ment démasque la tactique bonapartiste, aidée inconsciem-

ment par l'insurrectionnalisme de quelques « têtes folles »,

cherchant sans cesse — et notamment à l'enterrement de

Victor Noir — à provoquer de terribles échaufïburées qui

ne pouvaient aboutir qu'au massacre du prolétariat et des

républicains de Paris, dans une lutte insensée:

« Que peut-on désirer de mieux (dans les sphères gouverne-

mentales), écrit-il le 1er février 1870, que de surprendre en

dehors de Paris, ou même à l'intérieur des fortifications, qui

n'ont que quelques issues toute la masse révolutionnaire de

Paris en « flagrant délit » "? Une demi-douzaine de canons aux

portes des fortifications, un régiment d'infanterie disposé en

^tirailleurs et ensuite une brigade de cavalerie pour taper des-

sus. Et dans une demi-heure toute la foule sans armes — les

revolvers que quelques-uns peuvent avoir en poche ne comptent

pas — est dispersée, sabrée ou prisonnière.

« Comme on disposait de 60.000 hommes, on pouvait même

laisser pénétrer la foule dans les fortifications, occuper ensuite

celle-ci et la mitrailler ou l'écraser sous les pieds des chevaux

dans les terrains vagues entre les Champs-Elysées et l'avenue

de Neuilly. Charmant ! 200.000 ouvriers sans armes venant du

dehors devaient conquérir Paris où se trouvent 60.000 sol-

dats ! (2) ».

(1) Correspondance d'Engels et Marx, ouvrage citp, n° H78,

page 234.

(2) Lettre d'Engels à Marx, tome IV, n° 1182, l" février 1870.

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Dans cette journée célèbre le principal représentant de

l'impatience révolutionnaire avait été l'héroïque et jeune

Gustave Flourens. Ne le connaissant d'abord que de répu-

tation, Marx et Engels s'expriment avec quelque sévérité

sur son compte, dans leurs premières lettres. Mais en avril

1870, Flourens vint à Londres et immédiatement Marx

admire son tempérament, sa culture, tout en le trouvant

encore « too sanguine » (trop ardent) (1). Il souhaite qu'il

reste le plus longtemps à Londres, « car il vaut la peine

qu'on se préoccupe d'agir sur lui ». Dorénavant dans la

maison de Marx, ainsi que l'écrit Charles Longuet, « l'hé-

roïsme perdu d'un Gustave Flourens, en Crète ou à Belle-

ville, n'est plus raillé qu'avec attendrissement » (2).

L'action de Flourens provoque d'ailleurs la fureur du

gouvernement bonapartiste et il s'efforce de mettre en

branle la police de Londres sous prétexte de complot contre

la vie de l'Empereur. Le bruit se répand même que Flou-

rens serait arrêté à Londres, avec Marx et tout le Conseil

Général (3). Marx ne s'en soucie guère et observe que

d'après les lois britanniques, le cabinet de Londres ne peut

en réalité rien faire contre Flourens « sauf se rendre très

ridicule » (4). Il continue d'ailleurs à suivre avec un intérêt

•chaleureux la presse républicaine française et les pamphlets

qu'on lui adresse régulièrement de Paris. Il signale ainsi au

passage « le Plébiscite de Boquillon » d'Alphonse Humbert,

dont il trouve « le burlesque épatant, dans le style de la

musique d'Offenbach o (5).

Quelques jours après le gouvernement «libéral » d'Emile

(1) Correspondance de Marx et Engels, idem, n° 1205, 19 avril 1870,

p. et aussi lettre 1207 du 28 avril.

(2) Préface de La Commune de Paris rie Karl Marx, p. 24.

(3) Lettre de Marx à Engels, n° 1211, 7 mai 1870.

(4) Idem.

<5i Idem.

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Olivier décide de recourir aux moyens extrêmes et en même

temps de tenter une suprême manœuvre pour se poser en

« sauveur de la société » à la veille du plébiscite. Sous la

double inculpation de « complot » et de « société secrète », il

fait appréhender « tous les individus qui dirigent l'Interna-

tionale » et par un bizarre mélange la police arrête et les

juges de l'Empire vont juger ensemble, Avrial, Germain

Casse, Johannurd, Malon, Murat, Theisz, Pindy, etc. ; à

Lyon, Albert Richard, Blanc, Palix. Varlin parvint à

gagner la Belgique et, h Marseille, Bastelica put se soustraire

aux recherches des policiers.

L'Empire inventait en même temps un complot dans

lequel il enveloppait Dereure.Mégy, Ferré, Tony Moilin —

qui devaient peu de temps après jouer un rôle si important

dans la Commune. Le Conseil fédéral parisien protestait

dans la Marseillaise par un fier manifeste, où il proclamait:

<< L'Association Internationale des Travailleurs, conspiration!

permanente de tous les opprimés et de tous les exploités, exis-

tera malgré d'impuissantes persécutions contre ses soi-disant

chefs, tant que n'auront pas disparu tous les exploiteurs capita-

listes, prêtres et aventuriers politiques » (i).

La vigueur de l'action et de la résistance des Internatio-

naux parisiens à leurs adversaires provoque l'admiration

de Marx et il écrit le 18 mai 1870 à Engels:

« Nos membres français démontrent à leur gouvernement

ad oculos (2) la différence qu'il y a entre une société politique

secrète et une association ouvrière réelle ! A peine a-t-il jeté en

prison tous les membres des Comités de Paris, Lyon, Kouen,

Marseille (dont une partie a pu gagner la Suisse et la Belgique)

que des sections deux fois plus nombreuses se constituent à

(1) Marseillaise du 5 mai 1870.

(2) A la vue des yeux.

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150 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

leur place, s'annoncent dans les journaux par les déclara-

tions les plus audacieuses, les plus insolentes (en prenant

soin de donner même leurs adresses privées). Le gouvernement

français a enfin accompli ce que nous désirions depuis si

longtemps, transformer la question politique Empire, ou

République, en une question de vie ou de mort pour la classe

ouvrière.

« Le plébiscite donne d'ailleurs à l'Empire le coup de grâce!

Parce que tant de Oui se sont déclarés pour l'Empire avec la

forme constitutionnelle, Boustrapa croit pouvoir restaurer

sans se gêner l'empire sans phrases —'c'est-à-dire le régime

du 2 décembre (1)... »

Et le lendemain Engels lui répond:

« Ce Bonaparte est vraiment un âne incorrigible... Cet ani-

mal n'a aucune idée'd'un mouvement historique quelconque,

toute l'histoire pour lui est un « jumble » (mélange confus) de

hasards où les petites finasseries-de vieux filou jouent le rôle

décisif... L'attitude des ouvriers français est admirable. Ils

sont maintenant de nouveau dans l'action et ça, c'est leur

élément. Là ils sont les maîtres s' (2).

Et le 8 juillet 1870, à propos du procès, si Marx se plaint

de la tendance des accusés comme des journaux, à « s'ap-

proprier l'invention de l'Internationale ';, il se réjouit du

succès, obtenu entre autres par le brave et loyal Léo Franc-

kel, ce petit ouvrier israélite hongrois, dont la Commune

allait faire bientôt son ministre du travail (3) et dont la

défense avait été une des plus éloquentes.

(1) Correspondance de Marx à Engels, n° 1218, 18 mai 1870.

(2) Lettre d'Engels à Marx n« 1219, 19 mai 1870. Avec 1 impar-

tialité qui le caractérise James Guillaume ne cite pas un seul mot

de ces lettres significatives et essaie de faire croire que sur tous

ces événements Marx se borne uniquement à faire l'éloge, qu'on va

lire, du rôle joué par Léo Franckel dans le procès des Internationaux .

(3) Sur cet admirable militant qui fut à côté de Varlin, de Duval,

ite..

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Il y avait d'ailleurs dès cette époque, chez les principaux

chefs du mouvement ouvrier parisien, une remarquable

conscience socialiste et républicaine tout à la fois, que

montrent par exemple les très belles lettres de Varlin, sai-

sies et publiées par le gouvernement impérial lors du

troisième procès. Citons entre- autres ce passage caracté-

ristique d'une lettre que Varlin avait écrite quelque temps

auparavant à Aubry, resté proudhonien:

« Vous semblez croire que le milieu dans lequel je vis est

plus préoccupé de la révolution politique que des réformes

sociales. Je dois vous dire que pour nous, la révolution poli-

tique et les réformes sociales s'enchaînent et ne peuvent aller

l'une sans l'autre; seule la révolution politique ne serait rien;

mais nous sentons bien par toutes les circonstances auxquelles

nous nous heurtons, qu'il nous sera impossible d'organiser la

révolution sociale, tant que nous vivrons sous un gouverne-

ment aussi arbitraire que celui sous lequel nous vivons » (1).

Cependant, tandis que ces événements dramatiques se

déroulaient en France, au sein de l'Internationale la lutte

continuait entre le Conseil général et les Bakouninistes.

Le 17 décembre 1869~Marx écrit cette lettre très âpre à

Engels et qui montre combien le conflit devenait violent:

« Tu pourras voir par l'Egalité ci-jointe (que tu dois me

renvoyer) combien le signor Bakounine devient insolent. Ce

drôle dispose maintenant de quatre organes de l'Internationale,

l'Egalité, le Progrès (du Locle), la Fédération (de Barcelone)

de Theisz, de Malon, de Jourde, de Landrin une des plus nobles

figures prolétariennes du mouvement communaliste, James Guil-

laume ne trouve à écrire que cette petite note perfide qui se

cache au bas de la page, comme honteuse d'elle-même : Francfcel

était un juif allemand hongrois (I) affilié à la secte marxiste (Karl

Marx pangermaniste, p. 83).

(1) Troisième procès de l'Internationale, p. 22.

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152 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

et VEguaglienza (de Naples). Il cherche à prendre pieds en

Allemagne en s'alliant avec Schweilzer (chef des Lassalliens)

et à Paris, par des flatteries au journal le Travail. Il croit le

moment venu de nous chercher publiquement querelle II se

pose en gardien du véritable esprH prolétarien. Mais il aurait

lieu de s'étonner .. Mardi prochain, nous enverrons au Comité

fédéral romand de Genève une missive contenant des mises en

demeure et comme ces Messieurs (dont une grande partie d'ail-

leurs est contre Bakounine) savent que, d'après les résolutions du

dernier Congrès, nous pouvons les suspendre au besoin, ils réflé-

chiront par deux fois à celte affaire. Le point capital autour

duquel tourne notre missive est celui-ci : L'unique représenta-

tion des « branches romandes en Suisse » vis-à-vis de nous.

c'est le comité fédéral de là-bas. Celui-ci doit nous faire parve-

nir personnellement par son secrétaire Perret ses demandes et

réprimandes ». Ils n'ont absolument pas le droit d'abdiquer

leurs fonctions aux mains de l'Egalité', qui pour nous n'existe

pas et de demander au Conseil général de s'engager dans des

polémiques avec ce « remplaçant »...

En ce qui concerne Schweitzer, M. Bakounine qui sait

l'allemand n'ignore pas que Schweilzer et son association ne

font pas partie de l'Internationale. Il sait que Schweilzer a

publiquement rejeté la proposition de prendre le Conseil géné-

ral comme arbitre (1). Avoir posé cette question est donc une

canaillerie d'autant plus grande que son ami Ph. Becker, pré-

sident des groupes de langue allemande siège au Conseil fédé-

ral romand de Genève et peut lui fournir les renseignements

nécessaires. Son but était uniquement de trouver une base

d'appui auprès de Schweitzer. Mais il verra ! J'ai longuement

écrit à de Paepe pour lui expliquer l'affaire (afin qu'il la sou-

mette au Comité Central à Bruxelles). Aussitôt qu'un de ces

Russes s'installe quelque part, le diable s'en mêle ! » (2).

(1) Du conflit qui séparait les deux fractions allemandes le parti

de Lassalle, le plus nombreux et le parti d'Eisenach, récemment con-

stitué par Liebknecht et Bebel.

(2) Correspondance de Marx et Engels, tome IV. n» 1176, 17 décem-

bre 1869, p. 229.

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L'INTERNATIONALE DE 1668 A 1872 153

Le 10 février il écrit encore:

« ... Tu te rappelles que VEgalité sous l'inspiration de Bakou-

nine atlaqua le Conseil-général, l'interpella publiquement et

menaça de recommencer. Une lettre que j'ai rédigée fut

envoyée au Conseil romand de Genève et à tous les comités de

langue française qui correspondent avec nous. Résultat:

Toute la bande de Bakounine a quitté l'Egalité. Bakounine

lui-même a transféré sa résidence dans le Tessin. Il continuera

ses intrigues en Suisse, en Espagne, en Italie et en France. Il

sait qu'entre nous, l'armistice est fini et il sait qu'à l'occasion

des derniers événements de Genève, je l'ai vigoureusement atta-

qué et critiqué. Cet individu s'imagine que nous sommes « trop

bourgeois » et par conséquent incapables de comprendre et

d'apprécier ses hautes conceptions sur le « droit d'héritage »,

« l'égalité » et le brusque remplacement du système des Etats

actuels par l'Internationale. En apparence son «Alliance de la

Democratie Socialiste » est supprimée, mais en réalité elle

continue. Tu verras par la copie ci-jointe (que tu dois me ren-

voyer) d'une lettre de Perret « secrétaire du comité romand »

que le changement s'est produit avant qu'on eut reçu notre

lettre. Cela consolide cependant le nouvel état de choses.

Le Conseil belge s'est déclaré officiellement pour nous contre

l'Egalité, mais le secrétaire du Conseil belge, Hins (beau-frère

de de Paèpe, mais brouillé avec lui) a écrit une lettre à Stepney

où il prend parti pour Bakounine, m'accusant de soutenir le

parti réactionnaire chez les ouvriers de Genève ».

L'antagonisme profond — violemment exprimé dans cette

correspondance privée et qui dorénavant ne cessera de

s'accentuer entre Marx et Bakounine — n'empêche pas

Marx de montrer une grande pondération dans son action

— pondération que toujours il conservera jusqu'à la fin de

1870, époque du retour d'Engels de Manchester, quand son

influence s'exerce à Londres dans le sens d'une action plus

autoritaire poussant aux mesures brutales. A cette époque

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154 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

au contraire, Marx fait bon marché de « potins » colportés

contre Bakounine par Borkheim, qui se servait d'attaques

du réactionnaire et panslaviste Katkoff. D'autre part, il ne

veut pas qu'on use de moyens excessifs et écrit le 19 février

1870:

\

'« Je suis convoqué par la sous-commission. L'affaire est

réellement importante, car les Lyonnais ont expulsé Richard (1)

de leur section, mais le Conseil général doit décider en dernier

ressort. Richard, jusqu'ici le chef de la section lyonnaise, est un

tout jeune homme, très -actif. A part son inféodation à Bakou-

nine et de Vomniscience, qui en résulte pour lui( je ne vois pas

ce qu'on pourrait lui reprocher. Il semble que notre dernière

circulaire ait produit une profonde sensation et qu'en Suisse

aussi bien qu'en France une campagne acharnée contre les

Bakouninistes ait commencé. Mais » est moduse in rebus i, (2)

et je veillerai à ce qu'il ne se passe pas d'injustice » (3).

Deux jours après, il ajoute, à propos de l'échec qu'avait

subi en Belgique le bakouniniste Hins:

« Ci-joînt, une copie de la lettre (à me renyoyer) de Hins

à Stepney. Dans ma réponse, j'ai sérieusement lavé la tête à

ce gaillard'. Voici quelques exemples de l'exactitude de ses

informations. Il dit que dans notre rapport sur le congrès de

Baie, nous avons supprimé la discussion sur l'héritage. C'est

probablement Bakounine qui lui a l'ait croire cela. Et il le croit

quoiqu'il ait notre rapport en.tre les mains et qu'il sache assez

l'anglais pour le lire. Il parle de ma lettre à Genève dont je n'ai

pas écrit une ligne!

« Mon exposé des menées de Bakounine se trouve dans ma

lettre à Bruxelles... Il nous accuse d'avoir provoqué la crise à

Genève, qui était terminée depuis plus d'une semaine — l'Ega-

(1) Albert Richard.

(2) Mais il faut une mesure à toutes choses. <

(3) Correspondance de Marx et Engels, n° H84 lettre du 10 février

1870, p. 243.

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Page 159: La politique internationale du marxisme

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lité le reconnaît — avant que notre missive y arrivât. En

dépit de Hins, « le Conseil général » belge s'est déclaré en.

plein accord avec nous.

« Ce qui est curieux c'est que « old » Becker lui aussi

annonce avec d'autres Bakouninistes sa démission du comité de

rédaction de VEgalité. En même temps, il soutient dans le

Vorbote, juste le contraire de ce que faisait Bakounine dans

VEgalité. Vieux brouillon, va! (1) ».

La réaction très forte qui se produit alors contre Bakou-

nine gagne ses compatriotes russes eux-mêmes et Marx

enregistre avec plaisir la constitution à Genève d'un groupe-

ment qui « au panslavisme opposera l'Internationale » (2).

Six semaines après, il écrit à Engels cette lettre pleine de

verve pour lui apprendre que les éléments qui devaient

former en somme le premier noyau du grand mouvement

marxiste contemporain russe l'avaient désigné comme leur

délégué:

« Tu trouveras ci-joint une lettre de la colonie russe de

Genève. Nous l'avons admise. J'ai accepté leur proposition

d'être leur représentant au Conseil général et je leur ai envoyé

une courte réponse officielle, avec une lettre privée en les auto-

risant à la publier dates leur journal.

« Drôle de position » (3) pour moi d'être le représentant de

la jeune Russie. L'homme ne sait jamais jusqu'où il ira et quels

étranges compagnons il aura. Dans ma réponse officielle

j'approuve Flonronski (4) et j'insiste sur cette idée que le

devoir principal de la section russe est de travailler pour la

(1) Correspondance de Marx et lingels, n° 1180 du 12 février 1870,

p. 245.

(2) Idem.

(3) En français dans le texte.

(4) 11 s'agit d'un écrivain russe de ce nom qui venait de publier

à Pétersbourg sur la « Situation des classes ouvrières en Russie »

un ouvrage dont Marx fait de grands éloges dans sa correspon-

dance.

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Page 160: La politique internationale du marxisme

156 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Pologne (c'est-à-dire de nous priver de leur voisinage immédiat).

J'ai cru plus sage de ne rien dire de Bakounine, ni dans l'une,

ni dans l'autre de mes deux lettres.

Mais ce que je ne pardonnerai jamais à ces gaillards,

c'est de m'appeler « vénérable ». fis croient sans doute que

j'ai entre 80 et 100 ans! (1) »

Le revirement sensible qui se produit à ce moment

contre le révolutionnarisme simpliste de Bakounine parmi

un grand nombre d'Internationaux avait eu certainement

pourpoint de départ une circulaire du Conseil général aux

Genevois de janvier 1870, évidemment rédigée par Marx et

qui fut communiquée à Bruxelles, aux sections françaises

et enfin le 28 mars aux Allemands, par l'intermédiaire du

DrKugelmann. C'est dans les lettres adressées à celui-ci par

Marx et publiées en 1902 et 1903 par la Neue Zeil et le

Mouvement Socialiste que l'on a retrouvé cet important docu-

ment qui constitue non seulement un réquisitoire en règle

contre Bakounine, mais aussi un remarquable exposé de la

politique de l'Association Internationale, de.ses buts et de

ses moyens. Nous allons en donner une analyse complète,

en citant in extenso tous les passages essentiels.

Dans sa première partie, la circulaire reproche à Bakou-

nine — Marx déclare le connaître depuis 1843, mais

« vouloir négliger tout ce qu'il pourrait dire, qui ne serait

pas absolument indispensable à l'intelligence de ce qui va

suivre » — d'avoir promis à Marx, qu'il avait rencontré

à Londres peu après la fondation de l'Association, de « lui

consacrer toute son activité, toutes ses forces », mais de

n'en avoir rien fait, d'avoir disparu pendant plusieurs

années pour « reparaître subitement en Suisse » dans la

« Ligue de la paix et de la liberté ».

(1) Correspondance do M-arx et Engels, n° 1197 lettre du 24 mars

1870, p. 259.

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1/INTEHNATIONALE DE '1868 A 1872 157

« Après le congrès de celte ligue pacifique (Genève, 1867)

Bakounine s'introduit dans sa Commission executive. 11 y ren-

contre rependant des adversaires, qui non seulement ne lui

permettent pas d'exercer aucune influence « dictatoriale »,

mais le surveillent comme « Russe suspect ». Bref après le

Congrès de l'Internationale tenu ii Bruxelles (septembre 1868) la

Ligue de la Paisse réunit à Lausanne (1). Cette fois Bakounine

se présente en véritable « tirebrand » (incendiaire) et, ce qu'il

faut remarquer en passant, pour dénoncer la bourgeoisie,

adopte le ton cher aux optimistes moscovites, quand ils atta-

quent la civilisation occidentale, pensant ainsi pallier leur pro-

pre barbarie. 11 dépose une série de résolutions absurdes en

soi, mais calculées pour inspirer la terreur aux « crétins »

bourgeois et permettre à M. Bakounine de sortir avec éclat de

la Ligue de la Paix et de rentrer dans l'Internationale. Il

suffira de dire que son programme proposé au Congrès de Lau-

sanne (d), contient des absurdités comme Vénalité des classes,

la suppression de l'héritage « considérée comme le commen-

cement de la révolution sociale ».

« Bavardage vain, assemblage de pensées vides, qui prélen-

"dent inspirer le frisson, bref une improvisation insipide des-

tinée uniquement à produire un certain effet, un certain

jour. Les amis de Bakounine à Paris (où un Russe est co-édi-

teur de la Revue Positiviste] et à Londres présentent au

monde la sortie de Bakounine de la Ligue comme un événe-

ment et proclament son grotesque programme, cette alla

podrida de lieux communs usés, comme une œuvre singuliè-

rement terrible et originale.

« Entre temps, Bakounine était entré dans la « "Branche

Romande » 'de l'Internationale (à Genève). Il lui avait fallu

des années pour se déterminer à faire ce pas; quelques jours

suffisent pour déterminer M. Bakounine à bouleverser l'In-

ternationale et à tenter d'en faire son instrument. A l'insu

du Conseil Général de Londres — qui n'en fut instruit que

quand tout parut prêt — il constitua « l'Alliance des Démo-

(1) Erreur de détail. Lire : à Berne (Le Congrès de Lausanne est

de 1869).

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158 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

crates Socialistes ». Le programme de cette société était celui

que Bakounine avait proposé au Congrès de la paix de Lau-

sanne. Elle s'annonçait donc comme une association destinées

à répandre la science ésotérique spécifiquement bakouni-

nienne, et Bakounine lui-même, un des êtres les plus igno-

rants dans le domaine théorique de la science, se présente

ici subitement à tous comme fondateur de secte.

.« Le programme théorique de cette Alliance n'était qu'une

simple farce. Son coté sérieux résidait dans son organisation

pratique. La société devait être internationale et son comité

central siéger à Genève; il se trouvait donc directement placé

sous la direction de Bakounine. En même temps elle devait

former une partie intégrante de l'Association Internationale \

des Travailleurs. Ses sections devaient être représentées au'

prochain congrès de l'Internationale à Baie et tenir en même

temps leur propre congrès en séances séparées.

« Les troupes dont Bakounine disposait, se composaient

d'abord de la majorité du Comité fédéral romand de l'Inter-

nationale, à Genève. J.-Ph. Becker, dont le zèle de propagan-

diste éclate parfois avec la tête, fut mis en avant. En Italie et

en Espagne, Bakounine comptait quelques alliés ».

La circulaire expose ensuite comment le Conseil général

saisi par Becker des statuts de l'Alliance, lui répondit par

une décision « longuement motivée », très « juridique »

très « objective », mais pleine d'ironie dans les considé-

rants. C'est la « résolution de répudiation » rédigée par

Marx datée du 9 mars 1869 et dont nous avons donné plus

haut le texte.

« Dans les considérants, on prouvait clairement, d'une façon

frappante, que 1' « Alliance » était une machine destinée à

détruire 'l'Internationale. Le coup était imprévu. Bakounine

avait déjà fait de l'Egalité, organe central des membres de

« l'Internationale » de langue française en Suisse, son joui"

nal ; de plus au Locle il avait fondé un petit moniteur privé,

le Progrès. Ce dernier continue à jouer le même rôle, «ou* la

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L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 159

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direction d'un partisan fanatique de Bakounine, un certain

Guillaume (1). »

L'Alliance « après plusieurs semaines de réflexions » con-.

sentit à sacrifier son organisation particulière, mais à con-

dition que le Conseil général reconnut le caractère « radi-

cal » de ses principes. Celui-ci déclara qu'il n'avait pas à

apprécier théoriquement les programmes des diverses sec-

tions et réclama la suppression de la « phrase absurde »

sur l'égalité des classes. Ce qui fut fait. Les membres de

l'Alliance pouvaient entrer dans l'Internationale, mais

après que celle-ci se fut "dissoute et eut fait parvenir au

Conseil la liste de ses sections — ce qu'elle ne fit pas.

« Bakounine chercha alors à arriver par un autre moyen à

son but qui était de transformer l'Internationale en un instru-

ment lui appartenant en propre. Il fit proposer au Conseil Géné-

ral par notre comité romandjde Genève de mettre au programme

du Congrès de Bâle la « question de l'héritage ». Le Conseil y

consentit pour pouvoir mieux atteindre Bakounine. Le plan de

celui-ci était le suivant : si le congrès de Baie adoptait les

« principes » (!) posés par Bakounine, l'univers saurait ainsi

que ce n'était pas lui qui était allé à Y Internationale, mais

bien l'Internationale qui était allée à lui. Il en résulterait sim-

plement que le Conseil Général de Londres (dont l'opposition

à toute résurrection de la « vieillerie St-Simonienne » était

connue de Bakounine) devrait se démettre et serait trans-

porté à Genève par le Congrès de Bdle; l'Internationale

tomberait sous la dictature de Bakounine.

« Bakounine organisa une conspiration fo'rmelle pour s'as-

surer la majorité au Congrès de Baie. Les mandats fictifs ne

lui manquaient pas, pas plus qu'à M. Guillaume pour le Locle.

Bakounine lui-même mendiait des pouvoirs à Naples et à

Lyon. On répandait des calomnies de toute espèce contre le

,(1) C'est James Guillaume dont il s'agit.

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160 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Conseil Général. Aux uns on disait que l'élément bourgeois y

prédominait; aux autres qu'il était le siège du « communisme

autoritaire ».

« Les résolutions du Congrès de Baie sont connues ;'les pro-

positions de Bakounine ne furent pas adoptées et le siège du

Conseil Général resta fixé à Londres ».

La circulaire considère que Bakounine en ressentit un

vif dépit qui se traduisit par les attaques violentes, les

railleries de VEgalité et du Progrès:

« Tantôt l'une, tantôt l'autre des sections suisses de l'Inter-

nationale était mise au ban,-parée que contrairement aux

prescriptions expresses de Bakounine, elle avait participé à

l'action politique.. Enfin la rage longtemps contenue.que l'on

nourrissait contre le Conseil Général éclata publiquement. Le

Progrès et rEgalitèï"décla.rèrei\t que le Conseil Général ne

remplissait pas ses devoirs (par exemple pour la publication du

bulletin trimestriel). Le Conseil Général devait se décharger du

contrôle direct qu'il exerçait sur l'Angleterre et provoquer la

constitution d'un Comité Central pour l'Angleterre, distinct de

lui et ne s'occupant que des affaires anglaises. Les décisions du

Conseil Général au sujet des fenians (les révolutionnaires

irlandais) prisonniers constituaient un âlius de pouvoir; il n'a

jjas à s'occuper de questions locales. De plus dans le Progrès

et l'Egalité on prit parti pour Schweitzer et le Conseil

Fédéral fut invité catégoriquement à s'expliquer « officiellement

et publiquement » sur la question Liebknecht-Schweilzer (1) t.

A ces attaques la circulaire oppose la réponse très com-

plète faite par le Conseil Général le 1er janvier 1870 et

adressée, au Conseil Général romand. Tout d'abord, il

observe qu'aucun article des statuts ne l'oblige à entrer en

(1) Ainsi dans le conflit qui mettait aux prises en Allemagne, les

marxistes révolutionnaires et les lassalliens, au socialisme national

et étatiste, les Bakounnisles emportés par leur haine contre Marx,

prenaient parti pour les Lassaliens!

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L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 161

polémiques avec l'Egalité ou un journal quelconque, « entre

les mains duquel le Conseil fédéral romand n'a pas le

droit d'abdiquer ». 11 veut bien cependant pour cette fois

admettre que les questions procèdent dudit Conseil fédéral.

Sur la question du bulletin trimestriel non publié, il

observe que sa publication était conditionnée par l'état de

ses ressources et qu'à cet égard il doit constater que les

contributions «régionales » anglaises lui permettent seules

de vivre.

Sur la question de la séparation du Conseil Général

d'avec le Conseil régional pour l'Angleterre, « proposition

déjà faite antérieurement par des membres anglais », Marx

expose dans une page magistrale l'importance du rôle

joué par l'Internationale en Angleterre, aussi bien que

l'importance primordiale de l'Angleterre elle-même dans

l'évolution du mouvement ouvrier universel. En même

temps nous trouvons ici une très intéressante indication

de la part qu'il attribue aux différentes nations européen-

nes dans la transformation sociale:

« Quoique l'initiative révolutionnaire doive partir proba-

blement de la France, l'Angleterre seule peut servir de levier

pour une Révolution sérieusement économique. C'est le seul

pays où il n'y a plus de paysans et où la propriété foncière est

concentrée en peu de mains. C'est le seul pays où la forme

capitaliste — c'est-à-dire le travail combiné sur une grande

échelle sous des maîtres capitalistes — s'est emparé de presque

toute la production. C'est le seul pays où la grande majorité

de la population se compose d'ouvriers salariés. C'est le seul

pays où la lutte des classes et l'organisation de la classe

ouvrière en Trade-Unions ont acquis un certain degré de

maturité et d'universalité. A cause de sa domination sur le

marché du monde, c'est le seul pays où chaque révolution

dans les faits économiques doit immédiatement réagir sur le

monde entier. Si le landlordisme et le capitalisme ont leur

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162 LA POLITIQUE JMTKRWAUONALE DU MARXISME

.

siège classique dans ce pays, par contre les conditions mate-

rielles de leur destruction y sont le plus mûries. Le Conseil

Général étant placé à présent. dans la position heureuse

d'avoir la main directement sur ce grand levier de la révo-

lution prolétaire, quelle folie, nous dirions presque quel

crime, de le laisser tomber dans des mains purement anglaises!

'« Les Anglais ont toute la matière nécessaire à la révolution

sociale. Ce qui leur manque c'est l'esprit généralisateur et la

—• passion révolutionnaire. C'est seulement le'Conseil général

qui y peut suppléer, qui peut ainsi accélérer le mouvement

vraiment révolutionnaire dans ce pays et par conséquent par-

tout. Les grands effets, que nous avons déjà produits dans ce

sens, sont attestés par les journaux les plus intelligents et les

mieux accrédités auprès des classes dominantes. Comme par

exemple la Pali Mall Gazette, la Saturday 'ttecieiv, le Spec-

tator et la Fortnightly Review pour ne pas parler des mem-

bres soi-disant radicaux des « Communes » et des « Lords »

qui, il y a peu de temps, exerçaient encore une grande

influence sur les leaders des ouvriers anglais. Ils nous accusent

publiquement d'avoir empoisonné et presque éteint l'esprit

anglais de la classe ouvrière et de l'avoir poussée vers le socia-

lisme révolutionnaire (1) ».

Au contraire si un « Conseil régional » était constitué en

dehors du Conseil général, placé entre celui-ci et le Conseil

général des Trades-Unions il n'aurait aucune autorité,

tandis que le Conseil général « perdrait le maniement du

grand levier ». Et Marx conclut:

« L'Angleterre ne doit pas être simplement traitée comme

un pays à côté d'autres pays, mais comme la métropole du

capital ».

(1) Marx se faisait évidemment illusion sur la puissance et la pro-

fondeur de Faction de l'Internationale en" Angleterre. En réafité

elle ne pénétra pas le Trads-Unionisme qui demeura josqu'en 1891;

avec la fondation de l'Indcpendtnt Labour Party, et même jusqu'en

1901, avec la fondation du Labour Party, fermé à l'action socialiste.

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Page 167: La politique internationale du marxisme

L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1812 .. 163

Marx développe ensuite sa réponse à la critique qui était

faite au»Conseil général de trop s'intéresser à la question

« locale » du fénianisme irlandais. Nous avons déjà, dans

le chapitre relatif à l'Irlande, cité les remarquables com-

mentaires qu'il consacre à cette question et montré l'impor-

tance décisive qu'il lui attribue comme « condition préli-

minaire de l'émancipation de la classe ouvrière anglaise ».

La Circulaire fait enfin justice de l'hostilité à l'action

politique que Bakouniae voudrait imposer à l'Interna-,

tionale:

« Les doctrines de l'Egalité et du Progrès sur la connexilé

ou la non-connexité entre le mouvement social et le mouve-

ment politique n'ont jamais été sanctionnées par aucun de nos

congrès. Elles sont contraires à nos statuts. On y lit:

Que l'émancipation économique de la classe ouvrière 'est le

grand but auquel tout mouvement politique doit être subor-

donné comme un moyen. Les mots : « comme un moyen » ont

été supprimés dans la traduction française, faite en 1868 par le

comité de Paris. Interrogé là-dessus le Comité de Paris s'excusa

par les misères de sa situation politique. Il y a d'autres muti-

lations du texte authentique des statuts. Le premier considé-

rant des statuts est ainsi conçu:

« La lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière est une

lutte pour des droits et des devoirs égaux et l'abolition de

toute domination de classe ».

« Or la traduction parisienne reproduit les « droits et devoirs

égaux », c'est-a-dire la phrase générale qui se trouve à peu près

dans tous les manifestes démocratiques, depuis un siècle et qui

a un sens différent dans la bouche des différentes classes, mais

elle supprime la phrase concrète, V abolition des classes. »

Enfin à propos du conflit Liebknecht-Schweitzer:

« L'Egalité dit : Ces deux groupes sont de l'Internationale.

C'est faux. Le groupe d'Eisenach (que le Progrès et l'Egalité

transforment en groupe du citoyen Liebknecht) appartient à

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Page 168: La politique internationale du marxisme

16i LA POLITIQUE. INTERNATIONALE OU MARXISME

•l'Internationale. Le groupe de Schweitzer n'y appartient

pas. Schweitzer a même longuement expliqué dans son jour-

nal pourquoi l'organisation lassallienne ne pourrait s'employer

dans l'Internationale sans se détruire elle-même. Sans le savoir

il dit la vérité. Son organisation factice de secte est opposée à

l'organisation réelle de la classe ouvrière ».

La Circulaire rappelle enfin que biebknecht, ayant publi-

quement invité Schweitzer à prendre le Conseil général

pour arbitre, de leurs différends, Schweitzer avait non

moins publiquement répudié l'autorité du Conseil général

«t affiché sa résolution de « conserver à tout prix avec son

organisation de secte son pouvoir autocratique ».

Certains adversaires de Marx lui ont reproché avec une

extrême violence d'avoir rédigé, fait adopter et envoyer

par le Conseil général de l'Internationale cette circulaire.

•On a parlé « d'un acte d'une extrême déloyauté » (1).

M. James Guillaume a affecté de considérer qu'il s'agissait

d'une mystérieuse « pièce secrète » que Bakounine et lui-

même n'avaient jamais connue et sur laquelle ils avaient été

•condamnés. C'est là une prétention insoutenable.

Il s'agit en effet d'un document qui fut .communiqué

•d'abord au conseil fédéral romand où siégeaient un certain

nombre de partisans de Bakounine et de Guillaume. Dans

sa lettre à Engels, du 5 mars 1870, Marx indique quelle

publicité lui fut donnée'en dehors de cela. 11 écrit: « la Lettre

du Conseil général aux Genevois fut également communiquée

aux Bruxellois (2) et aux sièges internationaux principaux

en France ».

(1) Laskine, L'Internationale et le pangermanisme, p. 59. Cet

étrange t historien », à son ordinaire, entasse les outrages : « bruits

calomnieux », « pièce diffamante », « souillure ineffaçable sur le

•caractère de Marx », « méthodes déshonorantes », etc. il se garde

bien d'ailleurs de citer une seule ligne du document. On a pu juger

à la lecture de la valeur de ces épithètes injurieuses.

(2) Parmi lesquels se trouvait le Bakouniniste Hins. En France,

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Page 169: La politique internationale du marxisme

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Cette « communication confidentielle » qui ne l'était

pas davantage que les autres circulaires envoyées par le

Conseil général aux branches, avait si peu le caractère

d'un document mystérieux qu'il fut question de la publier

'dans la presse. Le 7 mars 1870, Engels écrivait à Marx:

« Pourquoi ne fais-tu pas publier la lettre du Conseil

Général aux Genevois? Les sections centrales ;'i Genève,

Bruxelles, lisent ces choses, mais tant qu'elles ne sont pas

'publiées, elles ne pénètrent pas les masses. Elles devraient aussi

paraître en allemand, dans nos organes. Vous ne publie?

vraiment pas assez ! (1) •>

Voilà certes qui ne ressemble guère à un noir complot

pour surprendre par une extraordinaire pièce secrète, la

bonne foi des « Internationaux » ! Cela veut-il dire que

nous approuvions tout ce que contient la circulaire? Non,

certes. A côté de passages admirables de force et de clarté,

elle comporte des attaques personnelles excessives contre

Bakounine et l'éternelle calomnie lancée contre lui de

« Russe suspect » qu'on ne peut que regretter mais qui

s'explique — si elle ne se justifie, par l'àpreté de la lutte

engagée.

D'ailleurs, la circulaire, ainsi qu'on a pu le constater, con-

siste surtout dans une critique doctrinale de la méthode

de Bakounine et une justification de la politique du Conseil

général, bien plus que dans la révélation de griefs person-

nels contre le père de l'anarchisme, ainsi qu'on a tenté de

le faire croire. Tout ce qu'elle contient avait été ou fut,

dans la suite, publié dans les journaux qui soutenaient la

tactique du Conseil général.

Le Congrès de Baie avait décidé de réunir l'internatio-

à Paris el à Lyon, Bakounine comptait également des amis- dans

les sections qui certainement le mirent au courant.

(1) Correspondance d'Engels et Marx, t. III, n° 1191 du 7 mars

1870, page 252.

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Page 170: La politique internationale du marxisme

166 LA'POLITIQUE INTERNATIONALE OU MARXISME

nale à Paris en 1870. C'était évidemment dans l'hypothèse

— lancée comme un défl à l'Empire — qu'un régime répu-

blicain allait incessamment triompher en France. Ces

espoirs devaient être finalement justifiés. Mais entre

temps la guerre avait éclaté. Le Congrès ne put pas

davantage avoir lieu à Paris qu'à Mayence, où le Conseil

général avait d'abord tenté de le réunir (par une décision

en date du 17 mai 1870 et dont Marx parle dans une de ses

lettres (1). Il faut l'extraordinaire partialité de M. James

Guillaume pour faire grief à Marx de ce qifle le congrès de

l'Internationale ne se soit pas réuni en Allemagne, alors que

celle-ci comme la France était en guerre et que les socia-

listes y subissaient le plus dur régime d'état de siège (2).

Mous étudions dans les deux chapitres ultérieurs, l'atti-

tude de Marx pendant la guerre de 1870 et la Commune.

En septembre 1871, une Conférence se tinta Londres,

du 17 au 23 septembre. Il apparut clairement que l'Inter-

nationale n'était plus que l'ombre d'elle-même. La France,

le grand pays d'où, suivant l'expression de Marx, « l'acti-

vité révolutionnaire devait partir », avait vu sa classe

ouvrière écrasée, saignée à blanc. Après la défaite de la

Commune, le massacre et l'exil de ses plus valeureux

défenseurs, le prolétariat français avait été mis hors de

combat pour un quart de siècle. En Italie, la seule section

organisée, celle de Naples, au moment de nommer un délé-

gué, avait été dissoute par la force armée. En Autriche et

en Hongrie, les membres les plus actifs étaient empri-

sonnés.

En Allemagne, quelques-uns des membres les plus con-

nus étaient poursuivis pour crime de haute trahison,

(t) Correspondance de Marx et Engels n° 1218, 18 mai 1870, p. 290.

(2) M. Laskine qu'on ne savait pas si simmerwaldien. — avant

la lettre — parait prendre à son compte cette extraordinaire criti-

que (L'Internationale- et le pangermanisme, p. 91).

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d'autres étaient en prison et les moyens pécuniaires du

parti étaient absorbés par la nécessité de venir en aide à

leurs familles (1). En outre la flère et vibrante déclaration

de solidarité avec la Commune de Paris -7-alors l'objet des

outrages et des fureurs de toute la réaction européenne —

rédigée par Marx et parue sous le titre « la Guerre civile

en France, adresse du Conseil général de l'Internatio-

nale » (2) avait effrayé l'élément trade-unioniste anglais

encore très loin du socialisme, et des hommes tels que Odger,

Applegarth et Cremer —• d'ailleurs absorbés entièrement à

cette époque par leur lutte contre Gladstone à propos de sa

lo,i sur les trade-unions — se retirèrent de l'Association

internationale, la privant en grande partie de la base

solide qu'elle avait eue jusqu'alors en Angleterre.

Les intrigues et les querelles des Bakounioistes allaient

l'achever.

La Conférence de Londres fut tout entière absorbée par

ces âpres controverses. D'abord par le violent conflit qui

depuis un an existait à Genève entre le Comité fédéral

romand et les Bakouninistes, quf, expulsés par celui-ci,

avaient constitué une « section de propagande et d'action

révolutionnaire socialiste ». Celle-ci prétendait obtenir

son admission dans l'Internationale. Le Conseil général

s'y était refusé et la Conférence de Londres confirma sa

décision.

D'autre part, en présence de la propagande hostile à Fac-

tion politique du fondateur de l'anarchisme et de ses amis,

la Conférence de Londres adopta une importante résolu-

tion vraisemblablement rédigée par Kart Marx et qui devait

(•1) Les Pi'ètendues scissions dans l'Internationale, circulaire du

Conseil général publiée à la veille du congrès de La Haye, repro-

duite dans le Mouvement Socialiste, juillet 1913, p. 8.

(2) Publiée en 1901 sous le titre La Commune de Paris par Karl

Marx, traduction, proface el notes de Chartes Longuet.

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168 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

••*

constituer comme la base future de toute l'action politique

des partis socialistes des Deux-Mondes. Elle rappelait tout

d'abord les statuts de l'Association, l'adresse inaugurale,

les résolutions des congrès de Genève et Lausanne et diver-

ses résolutions antérieures du Conseil général et elle pro-

clamait:

« En présence d'une réaction sans frein, qui étouffe violem-

ment tout effort d'émancipation de la part des travailleurs et

prétend maintenir par la force brutale la distinction des clas-

ses et la domination politique des classes possédantes qui en

résulte:

« Considérant en outre:

* Que, contre ce pouvoir collectif des classes possédantes, te

prolétariat ne peut at/ir comme classe, qu'en se constituant

lui-même en parti politique distinct, oppose il tous les anciens

partis formés par les classes possédantes;

« Que cette constitution du prolétariat en parti politique est

indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale

et de son but suprême l'abolition désolasses;

.«. Que la coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les

luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de

cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses

exploiteurs;

La Conférence rappelle aux membres do l'Internationale:

Que, dans l'état militant de la classe ouvrière, son mouve-

ment économique et son action politique sont indissolublement

unis » (1).

D'autre part, la Conférence de Londres, sur la propo-

sition d'un délégué suisse, appuyé par un délégué belge,

votait à l'unanimité son approbation aux « ouvriers alle-

mands pour l'altitude héroïque qu'ils avaient observée

pendant la guerre de 1870-71 » et que nous allons dans un

(1) Les Prétendues scissions page 32.

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chapitre ultérieur retracer. Ainsi que l'écrivait, quelque

temps après, le Conseil, dans sa Circulaire (1), cette réso-

lution n'avait trait qu'aux Internationaux allemands qui

« ont expié dans la prison et expient encore leur conduite

antichauvine durant là guerre ».

Cela n'empêcha pas un petit groupement hétéroclite

de réfugiés de Londres, la « Section de 1871 », composé

partie d'éléments bakouninistes, partie de révolutionna-

ristes très confus, partie de policiers (son secrétaire Durand

fut convaincu d'être un « mouchard ») de faire dès le

20 novembre 1871 le plus bas appel aux passions chau-

vines, qui devait être si fréquemment renouvel;' depuis, en

dénonçant cette résolution de la Conférence comme la

preuve irrécusable de [idée pangermanique (2) qui possédait

le Conseil général. Aussitôt « toute la presse féodale, libé-

rale et policière d'Allemagne s'empara avidement de cet

incident pour démontrer aux ouvriers allemands le néant

de leurs rêves internationaux. »

Dans une remarquable lettre qu'il adressait le 3 novem-

bre 1871 au secrétaire des sections américaines de l'Inter-

nationale, le réfugié F. Boite, Marx expose avec une grande

clarté et beaucoup de l'orée le véritable caractère des luttes

internes de l'Internationale. La première partie de cette

lettre est consacrée uniquement aux difficultés qui s'étaient

produites entre diverses sections de l'Internationale à New-

York. Marx aborde ensuite le problème général: ">•

«. L'Internationale, écrit-il, a été fondée pour mettre la véri-

table organisation de lutte de la classe ouvrière à la place

des sectes socialistes ou semi-socialistes. Les statuts originaux,

ainsi que l'Adresse inaugurale, le démontrent à la première vue.

D'autre part, l'Internalionale n'aurait pu se maintenir si la

(1) Idem, p 25.

(2) Idem, p. 2fi.

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170 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

marche de l'histoire n'avait pas déjà brisé le sectarisme. Le

développement du socialisme des sectes et le développement

du véritable mouvement ouvrier se trouvent en rapports

inverses. Tant que les sectesorit une justification historique, la

classe ouvrière n'est pas encore mûre pour un mouvement his-

torique indépendant.

« L'histoire de l'Internationale est une lutte continuelle

du Conseil Général contre~J.es sectes et les tentative! d'ama-

teurs gui cherchent à s'établir au sein de l'Internationale

contre le véritable mouvement de la classe ouvrière... Comme

à Paris les proudhoniens étaient les co-fondatetirs de l'Asso-

ciation, ils avaient pris pendant plusieurs années la première

place. En opposition avec eux, il se forma plus lard des groupes

collectivistes, positivistes, etc..., en Allemagne, la clique de Las-

salle. J'ai correspondu pendant deux ans personnellement avec

le fameux Schweitzer (t) et je lui ai irréfutablement démontré

que l'organisation de Lassai le n'était qu'une simple organisa-

tion sectaire et comme telle hostile à l'organisation du véritable

mouvement ouvrier à laquelle aspire l'Internationale.

« En 1868 le Russe Bakounine entra dans l'Association, dans

le but d'y fonder une deuxième Internationale qui l'aurait eu

pour chef lui-même, sous le nom d'Alliance de la Démocratie

Socialiste. Bakounine, personnage dépourvu de toutes con-

naissances théoriques, prétendait vouloir représenter dans cette

association particulière la propagande scientifique de l'Inter-

nationale... Son programme était un mie-mac artificiel

ramassé à droite et à gauche — égalité des classes (!), abolition

de l'héritage comme point de départ du mouvement social

(absurdité saint-simonienne), l'alhéisme prescrit aux membres

comme un dogme et, comme dogme fondamental (avec Proud-

hon), l'abstention de tout mouvement politique. Ce formulaire

enfantin reçut un bon accueil (et a encore maintenant un

certain prestige) en Italie et en Espagne, où les conditions

réelles du mouvement ouvrier sont encore peu développées et

(1) Depuis la mort de Lassalle, le leader de la fraction lassai-

lienne.

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aussi auprès de quelques doctrinaires vaniteux, ambitieux et

creux de Suisse romande et de Belgique.

« Pour M. Bakounine, sa doctrine (c'est-à-dire ses absurdités

ramassées dans Proudhon, Saint-Simon, etc...) n'a qu'une

importance secondaire. Ce n'est qu'un moyen pour se l'aire

valoir personnellement. Au point de vue théorique, sa valeur

est nulle, mais comme intrigant, il est dans son élément.

Depuis des années le Conseil général, avait à lutter contre ces

intrigues (soutenues dans une certaine mesure par les Proud-

honicns français, surtout dans le midi de la France). Par les

résolutions 1, 2, 3, 9, 13 et 17 il leur a enlin assémî un coup

depuis longtemps préparé.

« Naturellement le Conseil général ne va pas soutenir en

Amérique ce qu'il combat en Europe. Les résolutions 1,2 et

3 fournissent maintenant au Comité'de New-York les armes

légales pour mettre lin aux sectes et aux groupes d'amateurs et

permettent de les exclure au besoin.

« Bakounine, menacé en outre personnellement par la réso-

lution '14 (comportant la publication du procès Netchaieff

dans Y Egalité) qui dévoilera ses infâmes histoires russes (1)

fait tous ses efforts pour provoquer, parmi les débris de ses

troupes, des protestations contre la Conférence. Dans ce but,

il s'est mis en relation avec les éléments tarés parmi les réfu-

giés français (qui n'en constituent qu'une très faible partie) à

Genève et à Londres. Le mot d'ordre est que It pangerma-

nisme (c'est-à-dire le liismarckisme) domine dans le Conseil

général. Cela se base sur ce fait « impardonnable » que je

suis d'origine allemande et que j'exerce en effet une influence

intellectuelle prédominante danft le Conseil général (2).

Remarque? que l'élément allemand dans le « Council » est

numériquement de deux, tiers plus faible que l'élément fran-

(1) Le terroriste Netchaieff arrêté pour meurtre d'un étudiant,

avait été quelque temps en relations avec Bakounine.

(2) Dans une lettre à Sorge, datée du 9 novembre 1871, Mars

observait de même que la prétendue * influence allemande »

n'était que l'influence d'un savant allemand —dont en effet le génie

dominait alors l'Internationale, comme celui de Jaurès devait la

dominer aux Congrès de Copenhague et de Baie en 1910 et 1912.

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172 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

gais. Le crime c'est donc que les éléments français et anglais

sont dominés doctrinalement par l'élément allemand (!) et

qu'ils trouvent cette « domination » très profitable et même

indispensable.

« A Genève, ils ont publié sous le patronage de la bourgeoise

Mme André Léo (qui au Congrès de Lausanne n'eut pas

honte de dénoncer Ferré à ses bourreaux de Versailles !) un

journal la Révolution Sociale, qui emploie dans ses polémiques

avec nous à peu près les mêmes expressions que le Journal de

Genève, la feuille la plus réactionnaire d'Europe...

. « Malgré' les intrigues de cette bande de coquins, nous fai-

sons une gYande propagande en France — et en Kussie où on

sait apprécier Bakounine à sa valeur et où on est en train de

publier en russe mon livre sur le Capital.

« Le secrétaire de la première section française (qui n'a pas

été reconnue par nous et qui est en train de se dissoudre)

était ce même Durand que nous avons expulsé déjà de l'As-

sociation comme « mouchard ».

« Les adversaires bakouninistes de l'action politique, Blanc

et Albert Richard, sont maintenant des agents bonapartistes

payés (l). Nous avons les preuves en main. Le correspondant

Bourguet (de la même bande à Genève) à Béziers, nous a été

dénoncé de là-bas comme policier...

« D'après les résolutions dela Conférence (art. 3) on n'admet

plus aucune section prenant des noms de sectes ou qui ne veut

pas se constituer simplement (voir art. 5) comme Section dé

l'Association internationale des travailleurs ».

(1) Affolé par l'effroyable répression de la Commune — et

démontrant par là son manque d'équilibre socialiste, — Albert

Richard, le plus brillant disciple de Bakounine et son principal

représentant dans la région lyonnaise, eut en effet à cette époque

une étrange régression bonapartiste. Albert Thomas écrit à ce sujet:

« On connaît l'erreur politique à laquelle le poussa en 1872 la

défaite de 1871... On sait les soupçons qui ont pesé et que cer-

tains s'acharnent encore à faire peser sur Richard. J'ai acquis

quant à moi la conviction que son erreur fut sincère. L'élude

détaillée de ses théories... permettent d'expliquer sinon de justi-

fier sa passagère erreur » (A. Thomas, Le Second Empire, p. 337).

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L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 173

t

Et Marx en post-scriptum ajoutait cette vigoureuse et

claire définition de l'action politique prolétarienne:

« Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturelle-

ment pour but final la conquête du pouvoir politique pour

elle-même et, pour cela, il faut évidemment une organisation

préalable de la classe ouvrière d'un certain développement et

qui naît d'elle-même de ses luttes économiques.

« Mais d'autre part, chaque mouvement par lequel la classe

ouvrière se pose comme classe en face des classes dominantes

et par où elle essaie de les vaincre par une pression du dehors, est

. un mouvement politique. Par exemple, la tentative pour obte-

nir de quelques capitalistes dans une usine ou une corporation

une réduction des heures de travail est un mouvement pure-

ment économique. Par contre le mouvement pour obtenir la

loi de 8 heures, voilà un mouvement politique. Et c'est ainsi

que des mouvements économiques isolés des ouvriers sort tou-

jours un mouvement politique, c'est-à-dire un mouvement de

classe pour faire triompher ses intérêts sous une forme géné-

rale...

« Si la classe ouvrière n'est pas encore assez avancée dans

son organisation pour entreprendre une campagne décisive

contre le pouvoir collectif, c'est-à-dire le pouvoir politique, des

classes dirigeantes, elle doit y être entraînée par uile propa-

gande continuelle contre les classes dominantes. Sans quoi,

elle n'est qu'un jouet entre leurs mains, comme l'a prouvé le

mouvement du 4 septembre en France et comme le prouve

jusqu'à un certain point le jeu qui réussit encore aujourd'hui

xavec MM. Gladstone et G'e en Angleterre » (1).

A la même époque en novembre 1871, les Bakouninistes

tenaient à Sonvillier, dans la Suisse romande, une confé-

rence où réunis au nombre de 18, ils créaient une « Fédé-

ration jurassienne », qui a joué-un rôle important dans

(1) Lettre de Marx à Boite dans les Briefe und Auszuge ans

Briefen von Ph. Becker, J. Dietzgen, F. Engels, Karl Marx, an

Sorge und Andere. Stuttgart, 1906, p. 36 a 43.

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174 LA POUTtQUG J.\TKP..NATIIIX\l.fc: III- .M Ail \1SMK

l'élaboration des concepts anarchistes. A ce congrès —

le fait est aujourd'hui oublié — on vit prendre part un jeune

réfugié français, Jules Guesde, qui devait être plus tard

pendant près d'un demi-siècle, le plus éloquent propagan-

diste des idées marxistes en France. Notons qu'un autre

réfugié français avant de devenir le théoricien du socia-

lisme le plus modéré — réduisant son idéal à la théorie

des services publics et du € socialisme municipal » —

Pau! Brousse, fut aussi à cette époque un lieutenant de

Bakounine. Il en était de même de Benoît Malon, le futur

théoricien du « socialisme intégral ». Aussi voyons-nous

Guesde, Brousse et Malon violemment attaqués comme

Bakouninistes dans la fameuse circulaire du Conseil géné-

ral, publiée en mars 1872 sous le titre « Les Prétendues

Scissions de l'Internationale ».

L'évolution intellectuelle qui rapprocha plus tard — plus

ou moins — tous ces militants du Marxisme n'en est que

plus remarquable. Marx pouvait écrire à cet égard, avec

une légitime fierté, à propos d'un antre socialiste d'une

hante conscience: a Theise, comme fe plupart des

socialistes français qui pensent, est arrivé proudhonïen à

Londres après la défaite de la Commune; ta îi a été abso-

lument transforme par ses relations personnelles avec moi el une

consciencieuse étude du Capital (1) ».

Toute l'élite de la proscription française à Londres,

subit profondément l'iuflueace du génie de Marx — conune

Guesde, et à un moindre degré Malon et Brousse, devaient

la subir à distance. Avant Theisz, Chaties Longuet et

Paul Lafargae, arrivés prondhoniens SUT les bords de la

(l) Lettre d-e Marx à Sorge dans les « Briefe imS Ansr-uge tras

Briefen », n° 75, du 5 novembre 1880.

Gwssde assiste biew an congrès, m«is gnitle la Soisse pour l'Italie

quelques tewps acres Brousse atarrive eu 'Suisse que plus tard; de

lui, non de Guesde, an ipeat dire <qve son rate fui ,oansidétxbte.

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Page 179: La politique internationale du marxisme

» L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 i"5

Tamise, n'avaient pas tardé à comprendre la supériorité

doctrinale du marxisme. De même Edouard Vaillant qui,

de par ses relations avec Marx, fut si profondément pénétré

de la pensée marxiste que jusqu'à son dernier jour il

demeura son plus savant représentant en France.

Le grand « dada » des bakouninistes, dans leur lutte

contre le Conseil général, était le principe de « l'autonomie

des sections » et la protestation contre ce qu'ils appelaient

la <> dictature de Marx ». A la suite du congrès de Sonvil-

lier. ils réunissaient les adhésions de la Fédération belge

et d'un congrès espagnol tenu à Saragosse.

La Circulaire du Conseil Général sur les « Prétendues

scissions » qui ne couvre pas moins de 50 pages fut

la réplique de Marx et de ses amis aux violentes atta-

ques des Bakauninistes qui se flattaient d'avoir « fait écla-

ter la guerre ouverte au sein de l'Internationale ». C'est

un document très âpre, une œuvre de polémique; nous y

retrouverons, développés, la plupart des arguments que

contiennent les lettres à Sorge, à Boite que nous avons déjà

citées. Le ton raide et cassant qui le caractérise, très diffé-

rent de la plupart des précédentes circulaires rédigées

par Marx, décèle la part considérable qu'a prise à sa rédac-

tion Frédéric Engels, qui depuis septembre 1870 avait

quitté Manchester, vivait à Londres et exerçait sur Marx,

une influence dont des amis fidèles du grand socialiste,

tels Eccarius, Lessner et Jung déploraient le caractère

exclusif. Engels, qui fut, pendant toute son existence pour

Marx, le plus fidèle, le plus dévoué des amis —jusqu'à se

placer dans son ombre, en dépit de sa propre valeur, très

haute, manquait dans les luttes politiques de doigté et

montrait parfois dans les controverse pratiques ou doctri-

nales une rudesse toute prussienne.

La circulaire rappelk tout d'abord l'action du Conseil

général en faveur d« ta Commune pour « les rainet» de

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Page 180: La politique internationale du marxisme

176 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Paris, accablés des calomnies les plus infâmes par les gou-

vernements de l'Europe », reproduit les décisions de la

Conférence de Londres, retrace les conflits qui s'étaient

produits depuis l'entrée de .Bakounine dans l'Internatio-

nale et la création de « l'Alliance » et rappelle les différen-

tes circulaires dont nous avons déjà donné le texte et qui

avaient été opposées aux Bakouninistes. Puis tout de suite,

elle attaque violemment Bakounine, rappelle que dans le

Kolokol de Herzen il prêcha « le panslavisme et la haine des

races » et à propos de son action à Genève signale ses rap-

ports avec l'assez fâcheux personnage russe mi-terroriste,

mi-bandit, quefutNetchaïeff et dont nous avons déjà parlé.

« Cachant toujours sa propre personnalité SQUS le nom de

différents « Comités révolutionnaires » il revendiqua des pou-

voirs autocratiques, entés sur toutes les duperies et mystifica-

tions du temps de Cagliostro. Le grand moyen de propagande

de cette société consistait à compromettre des personnes inno-

centes vis-à-vis dela police russe en leur adressant de Genève,

des communications sous enveloppes jaunes revêtues à l'exté-

rieur en langue russe de l'estampille du « Comité révolution-

naire secret » (1).

La circulaire retrace ensuite les luttes au sein de la fédéra-

tion romande, attaque avec virulence James Guillaume qui

y était alors le plus fidèle seide de Bakounine et expose en

ces termes l'attitude pitoyable dudit Guillaume pendant la

guerre de 1870, lui opposant l'action sérieuse du Conseil

général en faveur de la France:

« Louis-Bonaparte venait de livrer son armée à Sedan. De

toutes parts s'élevèrent des protestations des Internationaux

contre la continuation de la guerre. Le Conseil général dans

(1) Les Prétendues scissions de F Internationale republic dans le

Mouvement Socialiste de juillet-août 1913, p. 13.

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• L'iNTERNATroNALE DE 1868 A 187< 177

son Manifeste du 9 septembre, dénonçait les projets de con-

quête de la Prusse, montrait le danger de son triomphe pour

la cause prolétaire et prédisait aux ouvriers allemands

qu'ils en seraient les première* victimes. Il provoquait en

Angleterre les meetings qui contrecarrèrent les tendances

prussiennes de la Cour. En Allemagne, les ouvriers interna-

tionaux firent des démonstrations, réclamaient ta reconnais-

sance de la République et une .< paix honorable » pour la

France.

ft De son côté la nature belliqueuse du_bouillant Guillaume

lui suggéra l'idée lumineuse d'un manifeste anonyme, publié

en supplément et sous le couvert du journal officiel, la Solidar

rite, demandant la formation de corps francs suisses pour

Combatte les Prussiens, ce qu'il fut toujours empêché de

faire, sans doute par ses convictions abstentionnistes (1).

« Survint l'insurrection de Lyon, Bakounine accourut et

appuyé sur Albert Richard, Gaspard Blanc et Bastelica, s'ins-

talla le 28 septembre à l'Hôtel de Ville dont il s abstint de

garder les abords, comme un acte politique. Il en fut chassé

piteusement par quelques gardes nationaux au moment où

après un enfantement laborieux son décret sur l'abolition

de l'Etat venait enfin de voir le jour» (2).

La circulaire met ensuite vivement en cause Malon

pour son action aux côtés de Bakouninistes à Genève et,

attaque le journal La Révolution Sociale, dont Marx parlait

déjà dans sa lettre à Boite et dont la directrice André Léo,

avait déclaré dans un congrès pacifiste que « Raoul Rigault

et Ferré étaient les deux figures sinistres de la Commune ».

Il ajoute:

« Dès son premier numéro, ce journal s'empressa de se met-

tre au niveau du Figaro, du Gaulois, du Paris-Journal et

(1) On voit comme M. James Guillaume était qualifié pour publier

en 1915 son triste pamphlet sur Karl Marx pahgermanis/e!

(2) Les Prétendues scissions, p. 17.

JEAN LONGUET 12

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178 LA POLITIQUE INTERNATIOXATJE MJ MAJUC1SMF.

autres organes orduriers, dont il réédite les saletés contre le

Conseil général. Le moment lui parut opportun d'allumer

même dans l'Internationale, le feu des haines nationales.

D'après lui le Conseil général, «tait un Comité allemand

dirigé par un cerveau bismarckien ».

C'est déjà l'accusation imbécile et scélérate àia fois que

nous avons vu reparaître à la faveur des terribles événe-

ments contemporains sous la plume de bas pamphlétaires,

qui ainsi n'ont même pas le mérite de l'originalité!

La ciculaire précise la composition du Conseil géné-

ral. Il comprend alors, 20 Anglais, 15 Français, 7 Alle-

mands (dont 5 fondateurs de l'Internationale), 3 Suisses,

2 Hongrois., 1 Polonais, 1 Belge, 1 Irlandais, 1 Danois et

1 Italien — soit 7 Allemands sur 52 membres.

. La Circulaire dit ce que vaut Ja soi-disant « branche

française » de Londres ayant à sa tète le lamentable

Félix Pyat et le triste Vésinier — iîisulteur de Varlin —

aussi bien que la « section de 71 » dont nous avons déjà

dit ce qu'elle était et d'où les éléments intègres — Theisz,

Avrial, Camélinat — venaient de sortir. Enfin elle se livre

à une virulente critique du « Congrès des Seize », la Con-

férence tenue à Sonvillier par les Bakouninistes, pour la

création de la Fédération Jurassien-ne et à ce propos déve-

loppe avec une grande puissance d'express-ion, théorique

les idées que nous avons déjà vu exprimer par Marx

dans sa lettre à Boite, à propos des sectes et de l'Interna-

tionale:

« La première phase dam -la lutte du prolétariat contre

la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa

raison d'être à une époque où le prolétariat n'est pas encore

assez développé pour agir comme classe. Des penseurs indivi-

duels fontla critique des antagonismes sociaux et en donnent

des solutions fantastiques que la masse des ouvriers n'a qu'à

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L'INTERNATIONALE DE \ 868 A 1872 179

accepter, à propager, à mettre en pratique. Par leur nature

même, les sectes formées par ces créateurs sont absten-

tionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique,

aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement

d'ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indiffé-

rente on même hostile à leur propagande. Les ouvriers de

Paris et de Lyon ne voulaient pas plus des Saints Simoniens,

des Fouriéristes, des Icariens, que les Chartistes ou les trade-

unionistes anglais ne voulaient des Owenistes. Ces sectes,

leviers du mouvement à leur origine, lui font obstacle dès

qu'il les dépasse, alors elles deviennent réactionnaires témoin

les sectes en France et en Angleterre et dernièrement les las-

salliens en Allemagne qui après avoir entravé pendant des

années l'organisation du prolétariat, ont fini par devenir sim-

ples instruments de police (\). Enfin c'est là l'enfance du

mouvement prolétaire comme l'astrologie' et l'alchimie sont

l'enfance de la science. Pour que la fondation de l'Internatio-

nale fut possible, il fallait que le prolétariat eut dépassé cette

phase.

« En face des organisations fantaisistes et antagonistes

des sectes, l'Internationale est l'organisation réelle et mili-

tante des classes prolétaires dans tous les pays, liés les uns

avec les autres dans leur lutte acharnée contre les capita-

listes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir de classe

organisé dans l'Etat. Aussi les statuts de l'Internationale

ne connaissent-ils que de simples sociétés ouvrières poursui-

vant toutes le même but et acceptant le même programme,

qui se limite à tracer les grands traits du mouvement pro-

létaire et en laisse l'élaboration théorique à l'impulsion don~

née par les nécessités de la lutte pratique et à l'échange des

idées qui se fait dans les sections, admettant indistincte-

ment toutes les convictions socialistes dans leurs organes et

leurs Congrès. »

(I) Jugement évidemment excessif et injuste qui est l'écho des

polémiques violentes qui mettaient alors aux prises les deux frac-

tions du socialisme en Allemagne.

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180 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

C'est appuyé sur ces principes que la circulaire con-

damne le programme de l'Alliance « à la remorque d'un

Mahomet sans Coran » et ses méthodes d'action. Longue-

ment elle réfute ensuite diverses critiques des « Seize » de

Sonvillier aussi bien que leur programme, en vertu duquel

« les sections autonomes d'ouvriers se convertissent tout

•d'un coup en écoles dont ces Messieurs de l'Alliance seront

les maîtres ». Elle relève enfin avec Apreté les marques de

sympathie ou de bienveillance que les Bakouninistes ont

recueilli chez les pires ennemis de l'Internationale:

« Toute la presse libérale et policière a pris ouvertement leur

parti; ils ont été secondés <lans leurs calomnies personnelles

contre le Conseil général et leurs attaques contre l'Internatio-

nale, par les prétendus réformateurs de tous les pays — en

Angleterre par les républicains bourgeois, dont le Conseil

général a déjoué les intrigues, en Italie par les libres-penseurs

dogmatiques qui, sous la bannière de Slefanoni, viennent de

_ fonder une Société Universelle des rationalistes, ayant siège

obligatoire à Home, organisation « autoritaire » et « hiérar-

chique ». couvenls de moines et de nonnes athées et dont les

statuts décernent un buste en marbre dans la salle du Congrès

à tout bourgeois donateur de dix mille francs; enfin en

Allemagne, par les socialistes bismarchiens, qui en dehors

de leur journal policier le « Neue Sozial Démokrat »

jouent les blouses blanches de l'empire prusso-allemand ».

Bakounine et ses amis avaient en elfet toujours été

en coquetterie avec les lassalliens — par haine de

Marx évidemment — mais en absolue contradiction

avec leur prétention de combattre le « socialisme autori-

taire et étatiste » et le « pangermanisme », dont, entre tous

les socialistes allemands, seuls les lassalliens pouvaient

£tre accusés sinon de favoriser les desseins — comme le

disait Marx emporté par la polémique - du moins de ne

pas combattre avec une suffisante vigueur les agissements.

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L'INTEBNATIONALE DE 1868 A 1872 181

Dans sa dernière partie, la Circulaire dénonce les ava-

tars des bakouninistes lyonnais, Blanc et Richard, tombés

dans le bonapartisme et cite leur étrange factura « l'Em-

pire et la France nouvelle » qui se terminait sur ce cri

tqui sort du fond de notre conscience et qui retentira bien-

tôt dans le cœur de tous les Français : Vive l'Empereur! »

Elle les accuse d'être payés sur les fonds secrets d' « Inva-

sion III » . L'appel se termine par ces remarquables consi-

dérations doctrinales sur les fins dernières du Socialisme:

« L'anarchie, voilà le grand cheval de bataille de leur madre

-

— Bakounine, qui, des systèmes socialistes, n'a pris que les éti-

quettes. Tous les socialistes entendent par anarchie ceci : le

but du mouvement prolétaire, l'abolition des classes, une fois

atteint, le pouvoir de l'Etat, qui sert à maintenir la grande

majorité productrice sous le joug de la minorité exploitante

peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales

se transforment en de simples fonctions administratives...

L'Alliance prend la chose au rebours... Elle demande à l'Inter-

nationale, au moment où le vieux monde cherche à l'écraser,

de remplacer son organisation par l'Anarchie. La police inter-

nationale ne demande rien de plus pour éterniser la Républi*

que-Thiers, en la couvrant du manteau impérial « (1).

La Circulaire du Conseil général porte entre autres les

signatures des militants trade-unionistes anglais, Apple-

garth, Haies, Lochner, John Weston ; des révolutionnai-

res et socialistes français Antoine Arnaud, Cournet, Dela-

haye, Eugène Dupont, Constant Martin, Hanvier, Edouard

Vaillant, Serraillier, .Johannard et enfin Charles Longuet,

(1) Les Prétendues scissions p. 48 et 50. M. Laskine dans son gros

ouvrage déclare que James Guillaume et ses amis « n'eurent aucune

peine à réfuter les accusations mensongères contenues dans ce

pamphlet » mais évite pour sa part, d'en citer une seule ligne;

ainsi la condamnation lui est plus aisée (V. l'Internationale et le

Pangermanisme, page 97).

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i82 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

président de la séance ; des secrétaires correspondants

Karl Marx pour l'Allemagne et la Russie, Léo Franckel

pour l'Autriche et la Hongrie; Eccarius pour les Etats-

Unis, Charles Rochat (Français) pour la Hollande, Wro-

blewsky (l'anciengénéral dela Commune) pour la Pologne,

Jung pour la Suisse, Le Moussu-(Français) pour les sections

françaises des Etats-Unis, F. Engels pour l'Italie et l'Es-

pagne.

Le Congrès de La Haye qui se tint quelques mois après,

du 2 au 7 septembre 1872, avait pour objet évident d'en

finir d'une manière -ou d'une autre avec le conflit mortel

qui était en train de ruiner ce qui restait encore de l'Asso-

ciation Internationale des Travailleurs. II y eut 65 délé-

gués, dont Arnaud, Cournet, Dereure, E. Dupont, Johan-

nard, Paul Lafargue, Le Moussu, Ch. Longuet, Ranvier,

Ch. Rochat, Serraillier, Swarm, Dentraygues, Edouard

Vaillant pour la France ; Mottershead, Barry, Mac Don-

nell, Sexton pour l'Angleterre ; Karl Marx, Engels, Kugel-

mann, Eccarius, Lessner, Cuno pour l'Allemagne ; Brismée,

Eberhadt, Splinglard, Coenen, Fluse, Van den Abeale pour

la Belgique ; James Guillaume, Schwitzguebel, Becker pour

la Suisse; Moraga pour l'Espagne; Wroblewski pour la

Pologne; Sorge, Sauve pour les Etats-Unis; Gerhardt et

Dave pour la Hollande.

Le premier grand débat eut lieu à propos de la résolu-

tion IX de la Conférence de Londres qui proclamait que la

«. constitution du prolétariat en parti politique est indispensable

pour assurer le triomphe de la révolution sociale et son but

suprême l'abolition des classes » et que « la conquête du

pouvoir politique devient le grand devoir du prolétariat ». Elle

fut adoptée par 29 voix contre 5 et 8 abstentions. La majo-

rité comprend notamment Arnaud, Cournet, Dereure,

Eugène Dupont, Duval, Johannard, Lafargue, Ch. Longuet,

Le Moussu, Dentraygues, Ranvier, Serraillier, Edouard Vail-

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Page 187: La politique internationale du marxisme

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lant. Avec eux, Marx, J-Ph. Becfeer, Engels, Franekel,

Kugelmann, Mottershead, Sorge, Cuno, Mac Donnell. Cinq

voix se prononçaient contre : celles de Brismée, Coenen,

Gerhardt, Schwitzguebel, Van der Hout, tandis que James

Guillaume, Davë et 6 autres délégués espagnols et belges,

s'abstenaient.

L'article 6 donnait droit au Conseil général de « suspen-

dre les branches, sections, conseils ou comités fédéraux ».

Il devait dans ce cas « en aviser immédiatement toutes les

fédérations » et si celles-ci le demandaient « convoquer

une conférence extraordinaire qui statuerait sur le diffé-

rend ». Ce texte fut adopté par 3& voix contre 6, avec

t& abstentions. La majorité comprend les mêmes éléments,

plus quelques absents lors du précédent vote. Les absten-

tionnistes comprennent cette fois, en outre, Mottershead et

Wilmot.

Divers scrutins eurent lieu ensuite à propos de sections à

exclure. La majorité la plus forte se rencontra à propos de

la section 12 de New-York, section qui se proclamait elle-

même bourgeoise. Elle fut exclue par 40 voix et § absten-

tions. Les abstentionnistes comprenaient notamment James

Guillaume, Schwitzguebel, Morago, Mottershead et Ecca-

rius; la majorité tout le reste du Congrès.

Lors du débat sur « TAlliance » bakouniniste, plusieurs

des délégués blanquistes français, Arnaud, Cournet, Ran-

vier et Vaillant, « obligés de quitter La Haye avant la dis-

cussion », dit le compte rendu officiel (1), ne prirent pas

part au vote, mais leurs amis -votèrent avec la majorité. 11

y eut 27 voix contre 6 et 7 abstentions — pour l'exclusion

de Bakounine. Votèrent pour: Dereure, Dumont, Dupont,

Duval, Johannttrd, Le Moussu, Ch. Longuet, Lafargue,

(t) L'Association Internationale des Travailleurs, résolution du

Congrès Général tenu à La Haye du 2 au 7 septembre 1870. Lon-

dres, 1872, p. 7.

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Page 188: La politique internationale du marxisme

184 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Lucain, Serraillier, Swarin Destraygues, Vichard, Wil-

mot, Becker, Cuno, Engels, Franckel, Farkas, Hein, Hep-

ner, Kugelmann, Mac Donnell, Karl Marx, Pihl, Sorge,

Walter, Wroblewsky.

Votèrent contre : Brismée, Dave, Fluse, Herman, Coenen,

Van den Abeele. S'abstinrent : James Guillaume, Morago,

Sauva, Alerini, Splingard et Schwitzguebel.

L'expulsion de James Guillaume fut votée par 25 voix

contre 9 et 8 abstentions, par à peu près les mêmes délé- •

gués.

L'expulsion de Schwilzguebel, l'autre « jurassien » fut

repoussée par 17 voix contre 15.

Dans tous ces scrutins, loin de trouver la prétendue lutte

entre le « socialisme latin » et le « socialisme teuton » que

nous dépeignent des historiens fantaisistes, nous consta-

tons au contraire, l'accord de l'unanimité des délégués fran-

çais qui comprenaient quelques-uns des plus illustres repré-

sentants de la Commune de Paris et les' plus fidèles amis

de Blanqui avec Marx, Engels, Sorge, Kugelmann, comme

avec les délégués anglais, polonais et hongrois. En face

, d'eux une poignée de « jurassiens » et d'espagnols bakou-

ninistes, appuyés par les quelques délégués belges mi-

proudhoniens, .mi-bakouninistes. .Dans celte soi-disant

« victoire allemande sur la France » (!), on trouve tous les

délégués français parmi les vainqueurs et aucun Français

parmi les vaincus (1). Ceux-ci comprennent uniquement

des anarchistes suisses et espagnols et des proudhoniens

hollandais (2).

(1) Le citoyen Victor Dave délégué d'une section hollandaise

était Belge et non pas Français.

i2) M. Laskine en veine de découvertes sensationnelles — et sur-

tout pour calmer les pudeurs de ses lecteurs bourgeois — a trouvé

que Bakounine, fondateur de l'anarchisme, n'était pas anarchiste!

(l'Inlernationale et le Pangermanisme p. 109).

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Page 189: La politique internationale du marxisme

L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 * 185

En réalité la lutte s'était livrée entre le socialisme

moderne, qui partout dans le inonde allait pénétrer la classe

ouvrière et dresser en de puissants organismes ses grou-

pements politiques et économiques, et l'ancien révolution-

narisme utopique dépassé par le mouvement de l'histoire.

Toute la propagande de Bakounine repose sur l'idée d'une

révolution violente qu'il suffit de « vouloir ». Marx au con-

traire défend son idée de 1' « évolution révolutionnaire »

— les révolutions sonl le dernier terme d'une série évolu-

tive dans l'économie — l'enveloppe qui se rompt sous l'ef-

fort du fruit mûr.

Marx avait empêché l'anarchisme bakouniniste de s'em-

parer de l'Internationale, mais il sentait que celle-ci sous

sa forme première ayant maintenant rempli son objet,

avait perdu sa raison d'être et ne pouvait plus que nuire

aux progrès du mouvement. Néanmoins, "fa surprise fut

grande chez nombre de délégués, lorsque après avoir fait

adopter, contre l'avis d'un certain nombre de ses amis, le

transfert du siège du Conseil général, — voté par 26 voix

contre 23, la minorité comprenant Arnaud, Cournet, Ran-

vier, Vaillant, comme aussi Franckel et Dereure, — Engels

vint proposer non de le transféreren Suisse ou à Bruxelles,

mais en Amérique à New-York. Ce qui fut adopté par

30 voix contre 14 avec 13 abstentions, les blanquistes,

ainsi que Franckel et Dereure votant contre, tandis que les

Jurassiens et les autres Bakouninistes s'abstenaient —

ainsi d'ailleurs que Sorge (1).

Ce transfert du siège du Conseil général à New-York,

loin du centre du mouvement ouvrier européen, dans un

pays où les organisations socialistes et prolétariennes

étaient encore dans l'enfance, signifiait évidemment la fin

(1) La majorité qui vota le transfert à New-York comprend d'ail-

leurs Brisince, Dave, Spinglard, Van den Abeele qui appartenaient

à la minorité bakouniniste.

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Page 190: La politique internationale du marxisme

f 88 LA POLITIQUE raTERNATTOÏTALB BC MAftJHSME

<ie l'Association Internationale. Marx, ainsi que Engels

l'écrivait peu après à Sorge, pensait que « tottt nouvel effort

po«r !a galvaniser en Fut insufflant une rie nouvelle,

serait Mie et gaspillage de forces ». Il ajoutait:

« L'Internationale a dominé 10 années d'histoire européenne

d'un certain côté, du côté où est l'avenir et elle peut regarder

fièrement en arrière sur son œuvre. Mais elle s'est survécue

sous sa forme ancienne. Je crois que la prochaine Internatio-

nale sera, après que Tes écrits de Marx auront agi quelques

années, directement communiste et implantera nos princi-

pes » (1).

Pendant quelques années, la vieille Internationale va

traîner »ne vie languissante. Les petits groupements

bakouninistes, les éléments proudhoniens de Belgique, et

quelques corporatifs anglais protestèrent bruyamment

contre la décision d:e La Haye. C'est cette agitation die petites

sectes anarchistes OH révolutionnaristes (2) qu'à la suite

de'James Guillaume et dans leur haine aveugle du mar-

xisme nos polémistes néo-natkxwlistes enflent démesuré-

ment et à laquelle ils donnent une importance ridicule (3).

« L'immense mouvement de révolte » (4) n'a jamais

(t) Lettre d'Engels à Sorge, Briefe und Auttzuffe, a° 63, 12. sep-

tembre 1874, p. 139. • .

(2) Notre camarade russe Georges Sticklow dans son ouvrage sur

l'fnternatianale bakouniniste a donné nn« excellente critique de

celte agitation, des conciliabules et conférences tenus en 1871,. 1872,

1873 et 1874 par ces éléments dont James Guillaume n'avait apporté

que la complaisante apologie. De même M. l'réaudeau dans sa

thèse sur Michel Bakounine (Rivière, édrt. 1913).

(3) M. Laskine, qui entre autres inventions étranges, a décou-

vert qu'il n'y a jamais eu de bakouninistes (ouvrage cité p. 40),

exalte « la Heur brillante éclose dans les neiges du Jura » (p. 135) —

au risque d'épouvanter ses admirateurs réactionnaires. Il est vrai

qu'H se rattrape un peu plus loin en flétrissant les « crimes de

la Commune » (p. 165). /

(4) Laskine, ouvrage cité, p. 109.

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L'INTERNATIONALE DE 1868 A 1872 187

existé que dans leur imagination d'historiens fantaisistes.

Il s'agit d'une tempête dans un verre d'eau. En réalité au

lendemain de l'effroyable' saignée de la Commune dans le

degré général de faiblesse de la classe ouvrière européenne,

le mouvement socialiste était réduit à un état squelettique.

L'Association Internationale d'ailleurs, même dans sa

période la plus prospère, n'avait, ainsi que l'écrit Sombart,

guère été autre chose « qu'un groupement de représentants

et de secrétaires, où les masses figuraient à peine sur le

papier» (1)... Il fallait, avant que s'unifiât universellement

le mouvement prolétarien, qu'à la base dans chaque pays,

un solide mouvement ouvrier et socialiste national se fut

constitué et ensuite la nouvelle Internationale se reconsti-

tuerait par un processus naturel, comme le couronnement

des mouvements nationaux, leur synthèse et leur lien

logique.

C'est ee que comprenait à la suite du dernier congrès

tenu en 1876 à Philadelphie, le Conseil général américain,

en môme temps qu'il proclamait sa dissolution provisoire:

«... Nous avons abandonné l'organisation de l'Internatio-

nale pour des raisons résultant de la situation politique actuelle

de l'Europe, mais en revanche nous voyons les principes de

notre organisation adoptés et détendus par les ouvriers avancés

de tout le monde civilisé. Donnons le temps à nos frères les

travailleurs d'Europe de renforcer leur action et bientôt ils

seront assez forts, pour renverser les barrières qu'on aura

élevées entre eux et les travailleurs des autres parties du

monde...

« Les camarades d'Amérique vous promettent de garder

fidèlement et de chérir ce que l'Internationale leur a apporté,

jusqu'au moment où des conditions plus favorables conduiront

de nouveau les travailleurs de tous les pays à la lutte com-

(1) Le Socialisme et le Mouvement Social, par W. Sombart. Paris,

1898, p. 127.

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188 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

mune et que le cri s'élèvera plus puissant que jamais : « Pro-

létaires de tous les pays, unissez-vous! » (1).

Qu'on examine n'importe lequel des grands problèmes

qui ont mis aux prises Marx avec les Proudhoniens, les

Lassalliens, les Bakouninistes et les Trade-Unionistes

anglais; qu'il s'agisse du mutuellisme proudhonien, avec

son dédain de l'organisation syndicale et sa méconnais-

sance des grands problèmes de l'industrialisme moderne

ou du socialisme de Lassalle, avec son étatisme et son

caractère étroitement national, ou des théories bakouni-

niste.s sur 1' t égalité des classes », la suppression immé-

diate de l'héritage,, l'athéisme érigé en dogme, l'abstention

politique, l'abolition de l'Etat et la « pandestructioh », ou

enfin du corporatisme étroit des trade-unionistes, de leur

complaisance envers les partis bourgeois et de leur absence

d'idéalisme social — pas une seule de ces controverses qui

n'ait été dans le monde entier conclue par le prolétariat et

le socialisme organisé selon les directives indiquées par

Marx. Est-il meilleure justification de ses longs efforts;

plus décisives excuses même à ses polémiques trop per-

sonnelles et trop âpres?

(1) Cité par Morris Hillquit, History of Socialism in the United

States, p. 206.

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CHAPITRE VI

LA GUERRE FRANCO - ALLEMANDE

I. LA PÉRIODE BONAPARTISTE

La candidature d'un Hohenzoltern au trAne d'Espagne,

la diplomatie orgueilleuse et imbécile d'un duc de Gra-

mont, serviteur lamentable des ambitions de la dynastie

napoléonienne et des passions belliqueuses des forcenés du

bonapartisme intégral, la manœuvre scélérate de Bismarck

falsifiant, le 13 juillet 1870, la dépèche qu'il avait reçue dans

la journée d'Ems, — parce qu'il voulait lui aussi une

guerre qu'il savait devoir être victorieuse — précipitèrent

le conflit entre la France, isolée, et la Prusse soutenue par

tous les Etats de l'Allemagne du Sud.

Cette guerre eut d'effroyables conséquences, non seule-

ment parce qu'elle devait imposer pendant 44 ans à l'Europe

le fardeau terrible de la paix armée, mais parce qu'elle por-

tait en ses flancs les germes d'un plus horrible et infini-

ment plus vaste égorgement de toute l'Europe — de la

guerre mondiale de 1914-1918.

Quelle fut en présence de ce grand drame, l'attitude de

Karl Marx, comment réagit-il en face de ce conflit tragi-

que qui mettait aux prises la France et l'Allemagne — sa

patrie ? Quelle fut son action publique comme « leader » de

l'Internationale, comme théoricien et inspirateur d'une

importante fraction de la Social-Démocratie allemande, le

« parti d'Eisenach » ? Quelles sympathies affirma-t-il, dans

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190 LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE

quel sens exerça-t-il la vaste influence qu'il possédait dans

tous les milieux socialistes d'Europe?

C'est là un problème historique du plus grand intérêt et

qu'il importe d'autant plus d'élucider qu'on s'est systéma-

tiquement efforcé ces temps derniers de l'embrouiller et de

le fausser comme à plaisir, au besoin en falsifiant de la

manière la plus impudente l'histoire et ceci pour servir .de

tristes manœuvres de réaction politique et sociale. Pendant

près d'un demi-siècle, aucune accusation de chauvinisme

allemand n'avait été sérieusement élevée contre le fonda-

teur du Socialisme moderne, pour son attitude pendant la

guerre de 1870-71. Le rôle héroïque et glorieux joué en

Allemagne même par ses plus illustres disciples Bebel et

Liebknecht, comme les Manifestes bien connus de l'Inter-

nationale rédigés par lui, paraissait établir avec une

limpide clarté qu'en ces circonstances— autant et plus que

dans le passé — l'auteur du Capital avait placé au-dessus

de tout — et même de son amour bien naturel de sa

patrie — « l'esprit d'internationalisme, esprit de justice

exacte, de justice impersonnelle et rigoureuse entre les

peuples comme entre les individus, seul capable de s'élever

à ces hauteurs où l'esprit nationaliste n'apparaît plus que

comme un vestige de la sauvagerie ancestrale, la dernière

forme de l'anthropophagie primitive » (1).

La publication en 1913 par les soins de Bebel et Berns-

tein des quatre volumes de la Correspondance de Marx et

d'Engels et en particulier des lettres échangées entre eux

de fin juillet au début de septembre 1870, a servi de base

à une campagne d'une extrême perfidie et d'une déloyauté

véritablement déconcertante. Elle trouva ses initiateurs en

France, à vrai dire chez des polémistes dont ni l'un ni

(1) Charles Longuet, La Commune de Paris de Marx. Préface,

p. XII.

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1,'lNTEH.NAITIOSAi»'. I*E 48t}8 A 1872 191

J'autre n'étaient Français d'origine; «Ile a été continuée

d.»us le même esprit par des adversaires aussi détoyancx do

socialisme en Italie et en Angleterre, Le procédé de ces

« historiens » «st bien simple. Laissant de «été tous les

actes publics de Marx paradant la guerre franco-aUetnanMle,

tous les écrits essentiels qui fixent son attitude «Lia 'tours des

diverses phases du conflit, de fin juillet <870 i février

1871, se gardant soigneuseœent'de citer les autres éléaoeHts

de sa correspondance et notamment ses lettres si impor-

tantes adressées à Jvugelman-n — et'qui sont les seuls élé-

ments de sa Correspondance que l'on possède se rapportant

à toute la période de la Défense Nabkwaale—ils mettent en

lumière des extraits — savamment [isolés — des lettres

de ,Marx et d'Engels qui toutes oral été écrites dans les se.pt

premières semaines de la guerre — c'est-à-dire exohaeive-

ment dans ce qu'on peut appeler la période bonapurt-t&te de la

gweiwe.

Car c'est la distinction capitale que systéitvatiquejinent

on évite de faire. Pour le Socialisme et la Démocratie runi-

verseJJe la guerre e-ntne la France et .l'Allemagne changea

•totalement de caractère et d'aspect après le 4 septembre et

la proclamation de la République. Elle ne fut plus rentre-

prise dynastique de l'homme du Deux-Décembre, de l'Im-

pératrice Eugénie et de sa camarilla. Ce fut la période toute

différente de la Défense Nationale, période dans laquelle

la .nation française est tout entière dressée dans un

effort 'héroïque et douloureux, après la destruction de ses

armées régulières, pour la sauvegarde de som indépendance

et de son intégrité nationales. L'attitude de la démocratie

européenne et en particulier celle du prolétariat international

apparaît complètement différente selon qu'on envisage l'une

(m l'autre phase. Autant elle avait été réservée, voire hos-

tile à l'égard de la France de « Badinguet », autant elle

manifesta sa sympathie profoode pour Ja France républi-

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192 LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE

caine, et Marx et Engels — aussi bien d'ailleurs que les

socialistes d'Allemagne eux-mêmes furent parmi les plus

ardents et les plus courageux de ses défenseur!.

Nous avons vu avec quel intérêt passionné, de son

« observatoire de Londres » Marx avait suivi les luttes de

l'opposition républicaine et socialiste de France contre le

Second Empire. La guerre, éclatant entre Napoléon 111 et

l'Allemagne — quelles que fussent sa haine et son mépris

pour Bismarck — devait nécessairement lui apparaître

comme le couronnement de tous les crimes et de toutes les

turpitudes de « Boustrapa ». C'était alors — H importe de

le rappeler — l'opinion unanime des républicains français.

Que « les hommes sans talent, sans honneur, perdus de

dettes et de crimes qui avaient fait le coup d'Etat sur Paris

soumis, assassiné, mitraillé » — suivant les paroles célèbres

de Gambetta (1) — eussent délibérément voulu la guerre

avec la Prusse, qu'elle fut une guerre d'agression du

Second Empire contre l'Allemagne « qui se défendait »

c'est ce que pensaient en France à cette époque, tous les

démocrates, en Europe toute l'opinion publique. Lorsque

Marx le proclama dès le 23 juillet 1870, dans le premier

Manifeste de l'Internationale, il ne donna pas, ainsi que

récrit faussement M. Laskine, « la version allemande

sur 'les origines de la guerre » (2), mais il exprima exacte-

ment — et moins brutalement — la même opinion que

Victor Hugo lorsque deux m'ois plus tard le grand poète

écrivait : « L'Empire a attaqué l'A llemagne comme il avait

attaqué la République, à ('improviste, en traître » (3).

Même des adversaires aussi passionnés du terrible

Juncker prussien que Liebknecht et Behel — qui, à la dilfé-

(1) Plaidoirie de Gambetta dans l'affaire du Réveil le 13 novem-

bre 1868.

(2) Laskine, ouurage cité, p. 75.

(3) Victor Hugo, Actes et Paroles (Depuis l'Exil).

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LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE 193

rence des républicains de France absorbés par leur lutte

contre l'homme du Deux-Décembre, avaient pu suivre pas

à pas en Allemagne les intrigues ténébreuses, les plans de

conquête et la politique de proie de Bismarck — hésitèrent

au premier abord. Ce n'est que beaucoup plus tard, lors-

qu'on a connu la falsification de la dépèche d'Ems, qu'il a

été possible de se rendre pleinement compte que la der-

nière provocation n'était pas venue du gouvernement

français, que Bismarck avait ardemment désiré la guerre

et tout fait pour amener les détestables étourneaux des

Tuileries à s'y précipiter ,\ tire d'ailes.

Il n'en demeure pas moins — Jaurès l'a établi de façon

magistrale dans sa belle Histoire de la Guerre franco-

allemande — que les plans machiavéliques de Bismarck

avaient été puissamment servis en France par l'opposition

« sourde ou violente à la nécessaire et légitime unité alle-

mande », par les convoitises sur la rive gauche du Rhin

qu'on rencontrait non seulement chez les mégalomanes

bonapartistes, mais chez Thiers et même chez Gambetta et

qu'en vain Jules Favre avait combattues en un discours

éloquent et courageux.

Albert Sorel apprécie ainsi les responsabilités du gou-

vernement impérial: .

•« Celte indignation (ii propos de la candidature Hohenzollern)

se manifeste avec véhémence dans le monde officiel, à la

Bourse, dans la foule turbulente qui remplit le soir les cafés

et les promenades de Paris. Les journaux se prononçaient

presque tous pour la guerre; c'est qu'il y avait une veine de

popularité, une nouveauté saisissante à exploiter ; on s'en

emparait avec cet emportement frivole qui a été durant cette

période un des symptômes les plus inquiétants de l'affaiblisse-

ment politique de la France.

« L'ignorance était telle que personne ne croyait faire une

JEAN LONGUET. 13

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194 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

faute, ni compromettre les intérêts du pays. Quelques hommes

plus sages et plus éclairés, s'effrayaient cependant ; ils étaient

les moins nombreux et les plus réservés en leur langage. On

refusa de les écouler, bientôt on leur ferma la bouche...

« Le devoir des véritables diplomates, de Français intelli-

gents eut été de calmer les esprits; c'était une précaution

indispensable si on ne cherchait pas la guerre et si on vou-

lait négocier. Mais loin de contenir ces sentiments, le cabinet

s'y associa. Ce tapage passa pour un effet du patriotisme et

servit des desseins qui se découvrirent bientôt... Le gouverne-

ment impérial se complut au bruit qui s'élevait dans Paris...

Par sa conduite, par son langage, il accrédita en Europe

l'idée que la France avait voulu la guerre » (4).

Le diplomate clairvoyant qu'était G. Rothan a écrit de

son côté : « Le gouvernement impérial, insensible à tous les

avis, frappé de vertiges, s'arrêtait aux résolutions extrêmes,

sans plan arrêté, sans alliés et sans crainte d'assumer le rôle

de provocateur » (2). Et un historien aussi modéré que

A. Chuquet a pu écrire: « Cette guerre fatale, cette guerre

qui selon le mot de Gambetta devait vider la question de

prépondérance entre la France et l'Allemagne, tout le monde

la voulait... La France se jugeait amoindrie par les

agrandissements démesurés de la Prusse et brûlait de

prendre une revanche d'amour-propre, de donner une leçon

à 'l'ambitieuse nation qui l'offusquait, d'humilier cette parve-

nue (3) ». Emile de Girardin n'écrivait-il pas dans le Pays:

« Plutôt que de compromettre l'œuvre de M. de Bismarck,

la Prusse refusera de se battre ? Eh bien ! à coups de crosse

dans le dos, nous la contraindrons de passer le Rhin et de vider

la Rive Gauche». Ainsi l'opinion européenne et l'opinion

(1) Albert Sorel, Histoire diplomatique de la guerre de 1870,

t. I", p. 68.

(2) G. Rothan, L'Allemagne et l'Italie 1870-71, Souvenirs diplo-

matiques, t. I, p. 14.

(3) A. Çhuquet, La guerre de 1870-71.

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LA GUERBE FRANCO-ALLEMANDE 195

allemande en particulier, étaient-elles convaincues dans

l'origine, du caractère défensif qu'avait la guerre pour

l'Allemagne. Citons encore à cet égard ce jugement d'un

historien peu suspect — M. Charles Andler:

« Les Allemands de 1870, divisés par des querelles qui com-

promettaient l'œuvre bismarckienne ébauchée, ne pouvaient

s'entendre que pour un pugilat contre un ennemi commun.

Bismarck désigna l'ennemi par un mensonge. Le peuple alle-

mand victorieux a été la dupe de cet homme comme nous le

filmes, nous, vaincus. De vieux papiers de 1866 qu'on exhiba

aux Diètes et aux princes le décidèrent à se laisser mener au

carnage. Une comédie ridicule le fit croire à une agres-

sions^).

En présence de cette guerre déchaînée, suivant la forte

parole de Jaurès, par la combinaison «de l'ineptie napoléo-

nienne et de l'intrigue bismarckienne » (2) l'organisation in-

ternationale du prolétariat, encore embryonnaire, étaitcertes

impuissante —• ne l'a-t-elle pas été, hélas ! 44 ans plus

tard alors que ses forces avaient décuplé ? — à empêcher

le carnage. Du moins, les travailleurs des deux côtés furent-

ils dès le premier abord unanimes à répudier toute solida-

rité dans la catastrophe et à élever leur protestation géné-

reuse. Dès le 12 juillet les sections parisiennes de l'Inter-

nationale avaient lancé ce vibrant appel : « Aux Travail-

leurs de tous pays »:

Travailleurs!

Une fois encore sous prétexte d'équilibre européen, d'hon-

neur national, des ambitions politiques menacent la paix du

monde.

Travailleurs français, allemands, espagnols, que nos voix

(1) Ch. Andler, Le prince de Bismarck, p. 141.

(2) Jaurès, ouvrage cilé, p. 248.

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196 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

s'unissent dans un cri de réprobation contre la guerre.

Aujourd'hui les sociétés ne peuvent avoir d'autre base légi-

time que la production et sa répartition équitable.

La division du travail, en augmentant chaque jour les néces-

sités de l'échange, a rendu les nations solidaires.

La guerre, pour une" question de prépondérance ou de

dynastie, ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu'une crimi-

minelle absurdité.

En réponse aux acclamations belliqueuses de ceux qui s'exo-

nèrent de l'impôt du sang, ou qui trouvent dans les malheurs"

publics une source de spéculations nouvelles, nous protestons,

nous qui voulons la paix, le travail et la liberté.

Nous prolestons:

Contre la destruction systématisée de la race humaine;

Contre la dilapidation de l'or du peuple, qui ne doit servir

qu'à féconder le sol et l'industrie;

Contre le sang répandu pour la satisfaction odieuse de vani-

tés, d'amours-propres, d'ambitions monarchiques froissées ou

inassouvies;

Oui, de toute notre énergie, nous protestons contre la guerre,

comme hommes, comme citoyens, comme travailleurs!

La guerre c'est le réveil des instincts sauvages et des haines

nationales.

La guerre, c'est le moyen détourné des gouvernements pour

étouffer les libertés publiques.

La guerre, c'est l'anéantissement de la richesse générale,

œuvre de nos labeurs quotidiens.

Frères d'Allemagne!

Au nom de la paix, n'écoutez pas les voix stipendiées ou

«erviles qui chercheraient à vous tromper sur le véritable

esprit de la France.

Restez sourds à des provocations insensées, car la guerre

.entre nous serait une guerre fratricide.

Restez calmes, comme peut le faire, sans compromettre sa

dignité, un grand peuple fort et courageux.

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Nos divisions n'amèneraient, des deux côtés du Rhin, que le

triomphe du despotisme » (1).

Cinq jours après, le 17 juillet, dans une conférence natio-

nale organisée à Chemnitz par le parti ouvrier socialiste

dit d'Eisenach, la fraction marxiste de la Social-Démocra-

tie, représentant environ 50.000 travailleurs, les délégués

acceptaient à l'unanimité sur la proposition de Liebknecht.

et deBebel une résolution ainsi conçue:

« La conférence s'élève avec force contre une guerre qui

n'est pas entreprise dans l'intérêt de la liberté et de la civilisa-

tion et qui est une insulte à la culture moderne. Elle proleste

avec indignation contre une guerre qui n'est faite que dans un

intérêt dynastique etqui mettraen péril l'existence de centaines

de milliers d'hommes et le bien-être de millions d'êtres humains,

pour satisfaire l'ambition de quelques potentats.

« Elle salue avec joie l'attitude de la Démocratie française

et surtout celle des ouvriers socialistes; elle se déclare complè-

tement d'accord avec eux dans leurs efforts contre la guerre et

compte que la démocratie allemande et les ouvriers allemands

élèveront la voix dans ce sens » (2).

A Barmen, Berlin, Nuremberg, Munich, Koenigsberg,.

Crefeld, des réunions ouvrières avaient émis une protesta-

tion semblable.

Cependant l'opinion des militants du parti d'Eisenach,

n'était pas unanime. Le Comité central du parti qui sié-

geait à Brunswick estimait que l'Allemagne, étant atta-

quée par Napoléon III, arvaït le droit de se défendre. Il envi-

(1) Parmi les nombreux signataires de cet appel qui parut dans

le Réveil du 12 juillet, nous relevons les noms de Camélinat,,

Avrial, Chauvière, Varlin, Benoit Malon, Johannard, Jules Jollrin,

Jules et Victor. Chausse, Eugène Pottier, K. Landrin. Theisz,

Pindy, Lucipia. Murat, Tolain, Héligon.

(2) Cité par Bebel, Aus meinem Leben, tome II, p. 177.

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sageait donc, pour le moment, la guerre défensive comme

un « mal inévitable », mais demandait au peuple entier

de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour que doréna-

vant « i! put seul décider dela guerre et de la paix ».

Quant aux Lassalliens, ils se solidarisaient complètement

avec le gouvernement.

Entre Liebknecht et Bebel même, avant qu'ils ne se fus-

sent mis d'accord sur la résolution votée à Chemnitz, des

divergences s'étaient élevées que Bebel expose dans ses-

Mémoires. Liebknecht croyait que Napoléon voulait la

guerre et que Bismarck la craignait. C'était donc pour lui,

surtout une occasion de railler, dans le Votksslaat qu'il diri-

geait, les dévots du Chancelier de fer qui avaient tellement

vanté la puissance de la Confédération de l'Allemagne du

Nord et de souligner son « attitude piteuse ». Plus perspi-

cace, Bebel affirmait au contraire que l'empereur français

était tombé dans le piège que Bismarck lui avait tendu.

Mais bientôt, ils fixèrent en parfaite harmonie leur action.

Marx, — avec qui Jaurès est là-dessus en plein accord

— estimait que la guerre avait pour origine directe l'hos-

tilité de Napoléon 11I contre l'unité allemande et le déve-

loppement du chauvinisme français et surtout bonapar-

tiste. Ses premières lettres — qu'on a si déloyalement

exploitées — portent la marque de ce sentiment très net,

que nous trouvons encore plus âprement exprimé dans les

réponses d'Engels.

Le20 juillet 1870 Marx écrit à Engels:

« Tu trouveras ci-inclus la lettre de Kugelmann qui t'aidera

beaucoup à-éclaircir les mystères politiques de la guerre. Il a

raison dans sa critique de la réunion de Brunswick (1), dont

tu trouveras ci-joint quelques compte-srendus. Je t'envoie aussi

(1) Dont par conséquent Marx ne partageait pas le point de vue

exclusivement « défense nationale ».

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le Réveil. Tu y liras la première partie de l'acte d'accusation

du procès de Blois. Le journal est aussi intéressant à cause de

l'article de fond du vieux Delescluze. Tout en faisant de l'op-

position au gouvernement, il y donne l'expression la plus com-

plète du chauvinisme ;la France est le seul pays de l'idée (c'esl-

,à-dire de l'idée qu'elle a d'elle-même). Ces républicains chau-

vins, nesont fâchés que d'une chose, c'estqueJ'expression réalisée

de leur idole — Louis-Bonaparte avec son long nez et ses tri-

potages — ne réponde pas à leur fantaisie. Les Français ont

besoin d'être rossés.

Si les Prussiens sont victorieux, la centralisation du pouvoir

de l'Etat sera utile à la centralisation de la classe ouvrière alle-

mande. La prépondérance allemande en outre transportera le

centre de gravité du mouvement ouvrier européen de France

en Allemagne, et l'on n'a qu'à comparer le mouvement, de 1866

jusqu'à nos jours dans les deux pays, pour voir qu'au point de

vue de la théorie et de l'organisation, la classe ouvrière alle-

mande l'emporte sur la classe ouvrière française. Sa prépon-

dérance dans le théâtre mondial sur la classe ouvrière française

sera en même temps la prédominance de notre théorie sur

celle de Proudhon...

« On vient d'interrompre macorrespondace. Taran, l'Italien

français (l'homme de la Pa.ll Mall Gazette), vient d'arriver en

cab, il rapporte les écrits de Lassalle que je lui avais pVêtés.

Par lui je suis entré en relations avec la Pali Mall, de sorte que

si, pendant la « farce.», je veux écrire quelque chose de politi-

que et loi sur la question militaire, ce sera accepté et payé

selon les conditions fixées (1)... Hier le Conseil général m'a

chargé de composer une adresse. Pas très agréable dans mon

(1) Commentant ce passage de la lettre dont il ne donne d'ailleurs

que de* fragments, James Guillaume écrit que Marx n'oubliait pas

la question d'argent, qui ne lui était pas indifférente ». C'est là

une bien misérable insinuation —surtout quand on se souvient des

cruelles privations que Marx connut dans l'exil et de l'absolu désin-

téressement avec lequel il donna toute sa vie au prolétariat. Natu-

rellement il se réjouissait de toute occasion d'accroître ses maigres

ressources par des travaux littéraires ou journalistiques, bien

modestement payésd'ailleurs.

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état actuel de maladie de foie et de « dullness » (1). Si mon

état ne s'améliore pas, Allen etMadison,chezlesquelsj'étaishier,

me conseillent d'aller à la mer, plutôt à l'est de l'Angleterre

qui est plus frais » (2).

Certains passages de cette lettre ont été fréquemment

cités et abondamment commentésrces temps derniers. On

a profité sans vergogne de la nervosité patriotique du lec-

teur français pour exploiter avec perfidie la phrase c les

Français ont besoin d'être rossés » ; sous la forme rude et

familière que Marx affectionne dans ses lettres à Engels,

c'est en réalité la même pensée qu'il exprimait quelques

semaines plus tard dans une lettre à son ami Sorge, de

New-York, auquel il écrivait:

« L'attitude déplorable de Paris, qui continue après ses

défaites épouvantables à se laisser gouverner par les mame-

lucks de Louis-Honaparte et par l'aventurière espagnole Eugé-

nie, montre combien les Français ont besoin d'une leçon

tragique pour être regénérés (3) ». ,

Ici encore, nous demandons quel est le républicain fran-

çais qui, à cette époque, n'exprimait pas la même idée?

Mais il y a le passage suivant sur lequel nos commenta-

teurs anti-socialistes ont multiplié les gloses tendancieuses:

« La prépondérance allemande transportera le centre de gra-

vité du mouvement ouvrier européen, de France en Alle-

magne » — chose dont Marx se réjouit, non parce qu'il

désire en soi la victoire de l'Allemagne sur la France, —

il prouvera bientôt le contraire — mais parce que For-

(1) Pessimisme, amertume.

(2) Lettre de Marx à Engels du 20 juillet 1870, tome,IV de la

Correspondance, lettre 1224.

.3) Lettre de Marx à Sorge du t«? septembre 1870, Briefe und

Aussuge ans Briefen Von Joh, Becker, Dielzen, F. Engels, K.

Marx, an F. A. Sorge und Andere.

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ganisation et la culture doctrinale du prolétariat allemand

sont, selon lui, supérieures à l'organisation et à la culture

doctrinale dela classe ouvrière française. Du même coup

s'affirmera la prédominance de sa conception théorique sur

celle de Proudhon — son vieil ennemi dont il ne cesse de

dénoncer l'influence néfaste sur la classe ouvrière pari-

sienne. En face d'un événement militaire auquel il n'a à

aucun degré pris de part — et dont nous verrons bientôt

qu'il combattra avec force les excès détestables — Marx

en analyse les conséquences et se réjouit de celles qui sont

de nature à renforcer dans le monde l'influence de sa doc-

trine, dont il attend, et d'elle seule, l'affranchissement du

prolétariat et la victoire finale du Socialisme. Et c'est tout.

L'Adresse ou le Manifeste, dont il annonçait dans cette

lettre que le Conseil général de l'Internationale lui avait

confié la rédaction, parutquelques jours après, le 23 juillet

1870. Elle constitue la première contribution importante, à

l'étude dela politique de Marx pendant la guerre de 1870-71

et ne peut laisser subsister aucun doute sur la pureté et la

hauteur de ses sentiments internationalistes. Elle débute

par le rappel des principes . de politique étrangère de

l'Adresse inaugurale:

« Dans" l'appel par lequel l'Association Internationale des

Travailleurs inaugura sa fondation au mois de novembre 1864,

nous vous disions : « Si l'émancipation des classes ouvrières

exige leur fraternel concours, comment pourront elles accom-

plir cette grande mission en face d'une politique étrangère

nourrissant de criminels desseins, qui met en jeu les préjugés

nationaux et dilapide en des guerres de forbans le trésor et de

sang de la nation ? » Quant à la politique étrangère de l'Inter-

nationale, c'est en ces termes que nous la définissions : « Défen-

dre les lois de la morale et de la justice, qui doivent gouverner

les rapports des simples particuliers, comme lois souveraines

des relations internationales ».

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A larges traits il fait ensuite le procès du régime bona-

partiste' qui a jeté la France dans la guerre:

« II ne faut pas s'étonner que Louis-Bonaparte, dont l'usur-

pation avait pour origine et pour base l'exploitation de la guerre

des classes en France et qui perpétuait son despotisme par des

guerres périodiques au dehors, ait dès le début traité l'Interna-

tionale en ennemie. A la veille du dernier plébiscite, par ses

ordres, ses agents, d'un bout de la France à l'autre, firent

irruption chez les membres des commissions administratives

de l'Internationale à Paris, à Lyon, à Marseille, à Brest, etc. ..

sous prétexte qu'elle était une société secrète et avait trempé

dans un complot ayant pour but de le faire assassiner. Peu de

temps après, ses propres magistrats mettaient en pleine lumière

^oute l'absurdité de cette invention. Quel était donc le vrai

crime des sections françaises de l'Internationale ? D'avoir

dit publiquement et hautement au peuple français que voter

oui au plébiscite, ce serait voter pour le despotisme à l'inté-

rieur et pour la guerre au dehors ».

C'est ainsi que la classe ouvrière vota en masse contre

l'empire qui ne put faire pencher la balance en sa faveur

que par « l'épaisse ignorance des districts ruraux ». Aussi

dans l'Europe entière, les classes possédantes célébrèrent

le plébiscite comme la victoire de Napoléon III sur la classe

ouvrière de France et « ce'fut le signal de l'assassinat non

d'un individu, mais de deux peuples ».

« Le complot guerrier de juillet 1870 n'est qu'une édition

amendée du coup d'Etal de décembre 185i. Au premier abord

la chose parut si absurde que la France ne voulut pas la pren-

dre au sérieux; on se fiait plutôt au député qui dénonçait les

bruits de guerre lancés par la presse officieuse comme une

manœuvre de Bourse. Quand enfin la guerre fut officiellement

annoncée au Corps législatif le 15 juillet, l'opposition toute

entière refusa le vote des crédits, Thiersalla jusqu'à dire que

cette guerre était « abominable », tous les journaux indépen-

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dants de Paris la condamnaient et, chose extraordinaire, la

presse de province était presque unanime dans la même

réprobation ».

Marx montre la protestation des travailleurs. Il cite

d'abord des passages du Manifeste des Sections pari-

siennes que nous avons déjà donné. Aussi celui de la Sec-

tion de Neuilly qui disait:

'« La guerre est-elle juste ? Non ! La guerre est-elle natio-

nale ? Non ! Elle est purement dynastique. Au nom de l'hu-

manité, de la démocratie et des vrais intérêts de la France,

nous'adhérons complètement et énergiquement à la protesta-

tion de l'Internationale contre la guerre ».

Il rappelait ensuite, les piteuses manifestations des ban-

des policières, les « blouses blanches » que l'Empire avait

essayé d'opposer à la protestation du vrai peuple ouvrier.

Mais ce réquisitoire une fois dressé contre « Boustrapa »

et son régime, Marx dénonce les autres coupables et brosse

un tableau vigoureux des choses d'Allemagne:

« N'oublions pas que ce sont les gouvernements et les clas-

ses dominantes de l'Europe qui permirent à Louis-Napoléon

de jouer pendant dix huit ans la farce sinistre et féroce de ce

rétablissement de l'Empire.

« Du côté de l'Allemagne, la guerre est une guerre détensive:

mais qui a mi» l'Allemagne dans la nécessité de se défendre?

Qui a donné à Bonaparte la possibilité de faire la guerre?

Qui donc, sinon la Prusse ? C'est Bismarck qui complotait

avec ce même Bonaparte l'écrasement de l'opposition à l'in-

térieur et l'annexion de l'Allemagne à la dynastie des Hohen-

zollern. Que fa bataille de Sadowa eut été perdue au lieu d'être

gagnée, et les bataillons français traversaient l'Allemagne

comme alliés de la Prusse!

« Après la victoire, la Prusse a-t-elle rêvé un seul instant

de faire surgir une Allemagne libre, en face d'une France

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asservie? Non elle a fait juste le contraire. Tout en con-

servant soigneusement toutes les beautés indigènes duvieux-

régime prussien, elle y a ajouté toutes les supercheries du

Second Empire, son despotisme réel et son faux démocra-

tisme, ses mystifications politiques et ses tripotages finan-

ciers, ses grandes phases ampoulées et ses petits tours de

passe-passe. Le régime bonapartiste qui jusque-là n'avait

fleuri qu'en un côté du Rhin, avait maintenant son pendant

sur l'autre rive. D'un tel état de chose, que pouvait-il sortir

sinon la guerre ? »

Et il concluait là-dessus par cet admirable avertissement

au prolétariat allemand:

« Si la classe ouvrière allemande permet que la guerre

actuelle perde son caractère exclusif de guerre defensive, si

elle la laisse dégénérer en une guerre contre le- peuple fran-

çais, la victoire ou la défaite lui sera également funeste.

Tous les maux qui assaillirent l'Allemagne, après la guerre de

l'Indépendance en I813, .renaîtront avec un accroissement

d'intensité ».

Mais Marx estime que « les principes de l'Internationale

sont trop largement répandus et trop fortement enracinés

parmi les ouvriers d'Allemagne pour que nous ayons à

craindre un tel malheur ». Et il rappelle les manifestations

des travailleurs allemands, l'ordre du jour du comité de

Brunswick, la résolution de Chemnitz, enfin la réponse de

la Section berlinoise et il termine par son habituelle évoca-

tion du « péril moscovite »:

« Pendant ce terrible conflit, qui apparaît comme le suicide

de deux grands peuples, on voit poindre à Tarrière-plan la

sombre figure de la Russie. N'est-ce pas un sinistre présage

que le signal de la guerre ait été donné juste au moment où le

gouvernement moscovite venait d'achever les travaux de ses

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lignes stratégiques et où il concentrait déjà ses troupes dans la

région du Pruth ? (i).

« Quelques sympathies que les Allemands aient le droit

d'invoquer dans une guerre de défense contre l'agression bona-

partiste, ils se les aliéneraient aussitôt s'ils permettaient au

gouvernement prussien de faire appel au cosaque ou d'accep-

ter son aide.

Qu'ils se rappellent que-, après la guerre de l'Indépendance

contre Napoléon Ier, l'Allemagne resta pendant plusieurs

générations prosternée aux pieds du tsar.

« La classe ouvrière anglaise tend une main fraternelle

aux travailleurs de France.el d'Allemagne. Elle est profon-

dément convaincue que, quelque tournure que prenne l'hor-

rible guerre, l'Alliance des classes ouvrières finira bien par

tuer la guerre. Le seul fait que, au moment où la France et

l'Allemagne se précipitent dans une lutte fratricide, les ouvriers

de France et d'Allemagne, échangent des messages de paix et

de bon vouloir, ce grand fait, sans parallèle dans l'histoire du

passé, ouvre la perspective d'un meilleur-avenir. Il prouve que,

en face de la vieille société, de ses misères économiques et de

ses fureurs politiques, une nouvelle société se lève, qui aura

pour loi de ses rapports internationaux la. Paix, parce que son

législateur national sera partout le même, le Travail! Le

pionnier de cette société nouvelle, c'est l'Association Interna-

tionale des Travailleurs » (2).

Ce manifeste d'une si haute objectivité et qui s'élevant

(1) Pour empêcher'l'Autriche d'appuyer la France, comme son

ministre Beusl l'avait un moment voulu, par une attaque contre la

Prusse en Silésie.

(2) La Commune de Par!*, par Karl Marx. Appendice p. 85 à 93.

Voici comment M. Laskine caractérise cet admirable appel : « Marx

rédige et publie le 23 juillet 1870 au nom du Conseil général de

l'Internationale, le fameux Manifeste qui fait de la version alle-

mande sur les origines de la guerre la doctrine orthodoxe pour les

ouvriers de tous pays » (Laskine, l'Internationale et le Pangerma-

nisme, p. 78). D'ailleurs cet étrange « savant » ne place même pas

trois lignes du Manifeste, ainsi travesti, sous les yeut du lecteur I

,

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206 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME'

bien au-dessus de tout point de vue national étroit — s'ins-

pire si exclusivement de l'intérêt général du prolétariat

européen et d'une politique étrangère « fondée sur les lois

de la morale et de la justice », nous donne la seule expres-

sion mûrement pesée et pleinement réfléchie de la pensée

de Marx dans la première période .de la guerre. Il fut à

juste titre très apprécié de l'opinion démocratique anglaise

et la Société de la Paix décida de le faire imprimer et

répandre à ses frais.

Le prolétariat socialiste allemand, ou du moins sa frac-

tion marxiste, la plus consciente, groupée autour du pro-

gramme d'Eisenach, n'avait pas attendu d'ailleurs le Mani-

feste de l'Internationale pour faire pleinement son devoir.

Nous avons déjà parlé des manifestations de Chemnitz et

du comité de Brunswick.

Au Reichstag de l'Allemagne duNord, le problème s'était

trouvé pleinement posé, lorsque les députés avaient été

appelés, le 19 juillet, à yoter les crédits pour la guerre.

Dans ses Mémoires, Bebel raconte comment, allant vers Ber-

lin et arrêté en gare de Gossnitz, où ils avaient dû s'attar-

der plusieurs heures, en raison de l'accaparement des che-

mins de fer par les transports militaires, Liebknecht et lui

avaient discuté de la tactique à suivre au Reichstag. Liebk-

necht était d'avis de refuser les crédits. Bebel estimait que

ce serait une faute. Ils ne voulaient donner raison à aucun

des deux belligérants considérés comme également respon-

sables. En votant contre le budget, ils donneraient l'impres-

sion qu'ils prenaient parti pour Napoléon III. Il fallait

donc s'abstenir. Finalement ils tombèrent d'accord là-des-

sus et le 21, ils déposèrent un projet de résolution où ils

déclaraient:

« La guerre actuelle est une guerre dynastique, entreprise

dans l'intérêt de la dynastie des Bonaparte, de même que la

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guerre de 1866 fut entreprise dans l'intérêt de la dynastie des

Hohenzollern.

« Nous ne pouvons pas accorder les crédits demandés au

Reichstag pour la poursuite de la guerre, parce que ce serait

un vote de confiance dans le gouvernement prussien, qui a pré-

paré la guerre actuelle par des procédés en 1866. Nous ne pou-

vons pas non plus refuser les crédits demandés, car cela pour-

ail être compris comme un signe d'approbation de la politique

criminelle de Bonaparte.

« Comme adversaires de principe de toutes guerres dynas-

tiques, comme socialistes et républicains et comme membres

de l'Internationale qui combat toutes les oppressions de

nationalités et s'efforce d'unir par un lien fraternel tous les

opprimés, nous ne pouvons ni directement ni indirectement

accepter la guerre actuelle.

« Nous nous abstenons par conséquent de prendre part au

vote, en exprimant l'espoir certain que les peuples d'Europe,

instruits par les funestes événements actuels, emploieront

tous leurs moyens pour conquérir le droit de disposer d'eux-

mêmes et pour abattre le règne actuel du sabre et la domi-

nation de classe qui sont la cause de tous les maux politiques

et sociaux.

On vota ensuite sur les crédits et l'emprunt. Les deux

élus d'Eisenach s'abstinrent, tandis que les quatre élus las-

saliens, Frietzsche, Hasenclever, Mande et Schweitzer

votaient pour (i).

Bebel indique dans ses Mémoires que, s'il eut alors connu

le a coup de la dépêche d'Ems » et-les manœuvres scéléra-

tes de Bismarck pour déclancher le conflit, il ne se fut pas

contenté de l'abstention, mais eut certainement voté contre.

Il en eut été évidemment de même non seulement pour

Liebknecht, mais pour tous les autres élus socialistes.

Cependant l'opposition demeurait très vive entre les

(1) Bebel. Aus meinem Leben, p. 179.

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208 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

deux représentants parlementaires du Parti et le Comité

directeur de Brunswick. Celui-ci prétentait imposer à

Liebknecht de rédiger l'organe de la fraction, le Volksslaat

suivant ses idées. Liebknecht résistait énergiquement. Il

était si ulcéré de l'état d'esprit des Brunswickois que Bebel

nous apprend qu'il songea à émigreren Amérique. De son

côté Bebel leur écrivait le 13 août:

« Si le Comité fait quelque chose contre Liebknecht, nous

renoncerons à toute collaboration au Volksstaat. Si j'en juge

par votre lettre (adressée à Liebknecht et contenant des

menaces contre lui), vous semblez être tombés dans une sorte

de frénésie chauvine. Vous paraissez vouloir à tout pris le

scandale et la scission dans le parti. Au lieu d'être satisfait de

ce que le Conflit ne prend pas une allure plus grave, vous exigez

de gens qui ont une conviction ferme, qu'ils l'abandonnent'

qu'ils la renient. Pendant les dernières semaines, le Volksstaat

a en réalité observé strictement son rôle d'organe du Parti.

La preuve : les cris de rage unanimes de nos adversaires. Vou-

lez-vous aussi participer à ces accès de fureur des nationaux-

libéraux "? Vous parlez de notre particularisme saxon. Eh bien!

nous autres en Saxe, nous sommes de bons socialistes républi-

cains et tous nous considérons que celte guerre, n'est pas notre

guerre, qu'elle est une guerre dynastique. Et Marx s'est

déclaré d'accord avec nous » (2).

L'attitude que le gouvernement prussien avait prise lors

de la déclaration de la guerre, la précaution qu'il affichait

sans cesse de ne faire qu'une guerre purement défensive,

ne laissa pas que de rendre très difficile l'action des social-

Démocrates dans cette première partie des hostilités. Dans

le discours du trône, le 19 juillet, on faisait uniquement

appel au peuple allemand « pour la défense de son honneur

(1) Bebel. Ans meinem Leben, t. II, p. 180.

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et de son indépendance » contre de « nouveaux actes de

violence français». On y proclamait en outre:

« Le peuple allemand, aussi bien que le peuple français

possédant et" désirant les bienfaits d'une civilisation chré-

tienne.et un bien être croissant, sont appelés à un combat

meilleur que le combat sanglant des armes ».

Enfin le 11 août, le roi de Prusse, en pénétrant sur le

territoire français, déclarait : «Je fais la guerre aux soldats

et non aux citoyens français ».

Une proclamation du prince Frédéric-Charles dont Bebel

indique qu'elle avait particulièrement plu dans les milieux

socialistes, est encore plus caractéristique. Elle était ainsi

conçue:

« Soldats de la 2e Armée! Vous foulez le sol français.

Sans aucune "raison l'empereur Napoléon a déclaré la

guerre à l'Allemagne, lui et son armée sont nos ennemis.

On n'a pas demandé au peuple français s'il voulait entre-

prendre cette guerre sanglante avec ses voisins allemands;

vous n'avez aucun motif d'animosité contre lui. Souvenez-

vous de cela en présence des habitants paisibles de la

France. Montrez-leur que dans notre siècle, deux nations

civilisées qui se combattent, n'oublient pas les lois de l'hu-

manité; pensez toujours à ce que ressentiraient vos parents

là-bas au pays natal, si l'ennemi, ce dont Dieu nous garde,

envahissait nos provinces. Montrez aux Français, que le

peuple allemand est non seulement grand et brave vis-à-

vis de l'ennemi, mais aussi civilisé et généreux ». Et en

même temps, il promettait au peuple allemand que la vic-

toire lui apporterait non seulement l'unité, mais la

liberté (1).

Ces nobles sentiments ne durèrent guère chez tes gou-

(1) Idem, p. 182 et 183.

JEAN LONGUET 14

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vernants et la marche des événements allait ainsi rame-

ner tous les socialistes allemands dans la bonne voie.

Non seulement les deux tendances du Parti d'Eisenach,

mais aussi les Lassalliens, après le 4 septembre et la pro-

clamation de la République, furent unanimes.

Pendantce temps, comment,en Angleterre, Marx envisa-

geait-il les événements ? Comme élément d'appréciation, à

côté du Manifeste que nous venons de mettre sous les yeux

du(lecteur, il estpermis à l'historien, à condition de bien tenir

compte du caractère familier, non mesuré et un peu som-

maire de ce mode d'expression de la pensée d'un écrivain —

de compléter sa documentation par l'étude de la correspon-

dance de Marx et d'Engels, dont nous avons déjà extrait

une première lettre et dont nous donnerons tous les éléments

essentiels—et non plus quelques passages artificieusement

isolés de leur contexte.

Dans ces lettres, ainsi que l'écrit Bernstein — dans le

commentaire dont il les accompagne, Manp et Engels par-

tent de ce point de vue que l'Allemagne avait le droit de

défendre son indépendance et, suivant l'expression de Char-

les Longuet, « son droit à quelque forme que ce put être

d'unité nationale ». Ils estiment donc que, « tant que la

guerre conserve du côté allemand un caractère défensif,

l'état-major allemand a le droit de ne pas borner ses mou-

vements à de simples mesures de défense »" Mais dès que

la guerre change de caractère et que c'est le peuple fran-

çais qui défend son indépendance et son intégrité territo-

riale, leur attitude se modifie du tout au tout, par un admi-

rable effort d'impartialité internationaliste.

Dans une longue lettre datée du 22 juillet, Engels avait

surtout examiné du pointde vue technique militaire — où

sa compétence était grande — les opérations, dont il prédit

avec une remarquable clairvoyance \es développements

prochains. En post-scriptum, il ajoutait:

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« As-tu lu comment Bonaparte flirte avec la « Marseillaise »

et comment la noble Thérésa la chante tous les soirs avec sa

« grosse voix de sapeur »?

« La a Marseillaise » dans la gueule de la Thérésa, voilà

l'image véritable du Bonapartisme. Quelle honte ! » (1).

Le 28 juillet Marx lui répond:

« Le Times nous avait fait espérer, par Eccarius, qu'il publie-

rait notre Adresse. Il ne l'a pas fait, probablement à cause du

'coup à la llussie. Mardi dernier, le Conseil général a décidé de

la tirer à 1.000 exemplaires. J'attends les épreuves.

« Qu'on chante la « Marseillaise » en France, c'est certes une

parodie, comme tout le Second Empire. Mais au moins ce chien

de Napoléon III se rend compte que « Parlant pour la Syrie »

n'irait pas. En Prusse par contre, de pareilles comédies ne

sont pas nécessaires. « Jésus meine Zuversicht » (Jésus est

mon ferme espoir) chanté par Guillaume 7er, Bismarck à sa*,

droite et gtieber (2) à sa gauche, voilà la « Marseillaise »

allemande ! Comme en 1812. Le philistin allemand semble

complètement ravi de pouvoir laisser déborder sans se gêner

sa servilité innée «.

Et Marx ajoute ces réflexions qui montrent combien en

admettant le droit de l'Allemagne de se défendre, il résis-

tait à toute passion chauvine:

f

« Qui eut cru possible que 22 ans après 1848, une guerre natio-

nale aurait en Allemagne une telle force théorique ! Heureuse-

ment, toutes ces démonstrations partent de la classe bour-

geoise. La classe ouvrière, à l'exception des partisans directs

de Schweitzer, n'y prend aucune part. La lutte des classes

est heureusement assez développée dans les deux pays, la

France et l'A llemagne, pour qu'aucune guerre extérieure ne

puisse faire retourner en arriére la roue de l'histoire ».

(1) Correspondance d'Engels et de Marx, lettre du 22 juillet 1870,

t. IV, lettre n. 1225, page 300.

(2) Célèbre policier prussien à la solde de Bismarck. Il avait ma-

chiné le procès des marxistes de Cologne en 1852.

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212 LA POLlTlyUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Bismarck venait de tirer grand parti des manœuvres

machiavéliques où il avait attiré l'ambassadeur français

Benedetti en flattant les appétits de Napoléon III et ses

plans de conquête sur la Belgique. Le but du cynique

chancelier était naturellement d'exciter les Anglais contre

la France. Marx là encore, juge à son aune l'idole des

« philistins de Merlin »:

« Dans la publication des traités (sur la Belgique) Bismarck

s'est surpassé. Même la respectabilité de Londres n'ose plus

parler de l'honnêteté de la Prusse. Robert Macaire et Cie /

Je me souviens d'ailleurs d'avoir lu un peu avant 1866, dans la

feuille du digne Brass et dans la Gazette de la Croix des

articles dans lesquels la Belgique était dénoncée comme un

repain! de Jacobins (!) et où on conseillait son annexion à la

France.

« D'autre part, l'indignation de John Bull n'est pas moins

drôle ! Le droit des traités ! le diable ! Et cela après que Pal-

merston a élevé en principe d'Etat anglais que lorsqu'on jure

sur un. traité, on ne jure pas pour cela qu'on veuille le respec-

ter et après que depuis 1830 l'Angleterre agit en conséquence.

De tous les côtés, partout, la guerre et la crapulerie.

« Elle est bien bonne la Gazette de la Croix avec sa

demande aux Anglais de ne plus livrer du charbon aux Fran-

çais, c'est-à-dire de rompre le traité de commerce anglo-fran-

çais, c'est-à-dire de déclarer la guerre ! alors que jadis contre

Pam (Palmerston) l'opposition faisait valoir que le charbon ne

pourrait être contrebande de guerre. Si donc l'Angleterre ne

déclare pas la guerre de prime abord, elle doit fournir du

charbon aux Français.

Dans les milieux de la Cour et dans la grande bour-

geoisie anglaise, on était alors furieusement germanophile

et on envisageait couramment, à la faveur de l'indignation

produite sur l'opinion par les plans de conquête de Napo-

léon III sur la Belgique, qu'on pourrait entraîner l'Angle-

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terre dans la guerre contre la France. Marx menace les

dirigeants, du prolétariat britannique:

« Quant à une déclaration de guerre (à la France) elle amè-

nerait une sérieuse rencontre entre « thé powers thaï be » (les

puissances établies, les dirigeants) et le prolétariat de Londres.

L'humeur des ouvriers ici est vigoureusement opposé à de sem-

blables manières d'agir de dirigeants et d'Etals • (1).

Le 31 juillet Engels envoie à Marx une longue et inté-

ressante lettre à laquelle était jointe un article de critique

militaire sur le plan de campagne prussien pour la Paît

Mail Gazette. Il ajoutait:

« Cela devienUjie plus en plus compromettant de faire la

guerre sous Guillaume. Mais ce qui est bien, c'est qu'il se rende

si horriblement ridicule avec sa mission divine et avec son

Stieber — sans lequel l'unité allemande ne peut se faire déci-

dément.

« L'Adresse de l'Internationale, a été publiée samedi dans le

Tory Courier. Cette Adresse apprendra aux gens de toutes les.

classes que seuls les ouvriers ont actuellement une véritable

politique étrangère. Elle est très bien et si le Times ne l'a pas-

donnée c'est certainement à cause des Russes. Les gouverne-

ments ainsi que la bourgeoisie seront bien étonnés si après

la guerre, les ouvriers reprennent leur mouvement inter-

rompu, comme si rien n'était arrivé.

« Je suis plus persuadé que jamais du succès militaire des

Allemands. Nous venons de gagner la première escarmouche

sérieuse...Le succès final, à savoir que les Allemands rempor-

teront finalement la victoire, ne fait aucun doute pour moU

mais le plan de Moltke révèle la certitude absolue de pouvoir

engager la première bataille, avec une supériorité écrasante.

Nous saurons mardi soir, s'il ne s'est pas trompé dans ses

calculs. Moltke compte très souvent sans son Guillaume.

(1) Correspondance de Marx et Engels du 28 juillet 1870 (t. IV).-

Lettre 1226, page 302.

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214 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MABXISME

« Plus le Philistin allemand s'aplatit devant son Guil-

laume qui est plein de confiance dans son Dieu et qui rampe

devant lui, plus il devient insolent envers la France. Les

anciens hurlements pour l'Alsace-Lorraine ont recommencé

de plus belle — « Gazette d'Augsburg » au premier plan.

Mais les paysans lorrains feront bien voir aux Prussiens

que ce n'est pas si simple que cela.

« Tu as tout à fait raison au sujet du traité (1). Les gens ne

sont pas aussi bêles que Bismarck se l'imagine. Il y a de bon

dans celte affaire que toute celle boue est étalée au grand jour

el que maintenant on tire au clair tout le tripatouillage entre

Bismarck el Bonaparte. Dans l'histoire de neutralilé, y compris

l'histoire du charbon, les Allemands se comportent comme des

enfants » (2).

•' *

Le 1°r aoOt, Marx écrit à Engels:

« L'oligarchie d'ici souhaite une guerre de l'Angleterre en

faveur de la Prusse. Après avoir rampé pendant 18 ans devant

Bonaparte et s'en être servi comme un « sauveur des rentes et

profits », ils pensent maintenant trouver un policeman plus

respectable et plus sûr sur le Continent dans le Prussien,

droit, dévot, monarchique. Mais que ces gaillards fassent

attention /Ici parmi Je peuple, on entend partout dire : «That

damned german dynasty of ours wants for ils family purposes

lo involve us in Ihe continenlal war » (3).

« Le Figaro d'ici donl j'ai donné un numéro caractéristique

à Dupont est un journal anglais fondé par l'ambassade fran-

çaise.

« Bismarck de son côté a acheté joliment de journaux lon-

doniens notammenl le Lloyds el le Reynold's. Ce dernier

(1) Machiné entre Bismarck et Napoléon HI à propos de la Bel-

gique.

(2) Correspondance d'Engels et Marx du 31 juillet 1870 (t. IV).

Lettre 1228, page 304.

(3) Cette damnée dynastie allemande que nous avons, veut pour

ses intérêts de famille, nous engager dans une guerre sur le Con-

tinent.

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demande dans son numéro d'hier le démembrement de la

France.

« Ce cochon ne ménage pas les transition». Le lascar qui de

tout temps a injurié les Allemands et flatté les Français, se

transJ'orme subitement en une espèce de Blind.

« Quant à ce dernier gaillard, il espère par ses hurlements

patriotiques et la « suspension » bruyante de son républica-

nisme sur l'autel de la patrie « être élu député pour le prochain

Reichstag » (1).

Et Marx attaque avec virulence ce Karl Blind, démo-

crate chauvin et qui allait bientôt se rallier à Bismarck. Il

dénonce arec colère ses intrigues pro-prussiennes dans les

milieux politiques londoniens. Au même moment, un réfu-

gié allemand, le Dr Eugen Oswald(2), qui après l'échec de

la révolution badoise, avait gagné l'Angleterre, de son

côté rédigeait un manifeste des démocrates et républicains

internationaux pour lequel il avait sollicité la signature

de Marx. Celui-ci objectait que Oswald n'avait pas dans sou

appel « indiqué le caractère défensif de la guerre du côté

des Allemands » mais ajoutait: Je ne dis pas du r.ôté des

Prussiens (3). *

Finalement il acceptait de signer avec cette réserve

« qu'il donnait sa signature dans la mesure où ses senti-

ments généraux coïncidaient avec ceux, de' l'adresse du

Conseil général » — et surtout parce que le pauvre Oswald

était l'objet des attaques perfides de « studiosus Blind » —

c'est ainsi que Marx appelle par dérision le « démocrate »

bismarckien — qui allait jusqu'à accuser Oswald d'avoir

(1) Correspondance de Marx et Engels, 1er août 1870, t. IV, lettre

1229, page 306.

(2) M. Laskine en fait un ouvrier anglais (!) et oppose son atti-

tude à celle de Marx (ouvrage cité p. 83).

.(3) Correspondance de Marx et Engels, J août 1870, t. IV, lettre

1231, page 309.

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Page 220: La politique internationale du marxisme

216 LA POLITIQUE INTERNATIONALE ru MARXISME

été « acheté par Bonaparte ». Ce genre d'accusation misé-

rable était d'ailleurs libéralement employé dans les polé-

miques de l'époque et dans la même lettre, Marx écrit avec

une ironie charmante:

« Lopatine (1) a quitté Brighton, où il se mourait d'ennui,

pour Londres. C'est le seul Russe « solide » que'je connaisse à

ce jour et je lui ferai bientôt passer ses préjugés nationaux.

C'est par lui que j'ai appris que Bakounine avait répandu le

bruit que j'étais un agent de Bismarck — mirabile dictu (2)!

Et ce qui est vraiment drôle, le même soir (hier mardi) Serraillier

me disait que Chatelain, membre de la « French branch » et

ami intime de Pyat, avait raconté à ladite branche en réunion

pleinière, combien Bismarck m'avait payé — 250.000 francs!

Quand d'une part, on regarde le chiffre en argent français

et quand on considère de l'autre la ladrerie prussienne, cela

donne au moins l'impression d'une estimation assez conve-

nable ».

11 a fallu les événements actuels, le débordement de fré-

nésie chauvine et les spéculations pseudo-patriotiques de

certains pamphlétaires pour que cette grotesque calomnie

soit gravement citée — sans un mot de réserve — dans le

gros ouvrage à prétentions faussement scientifiques d'un

ancien marxiste précocement repenti (3).

Le 8 août Marx constate que décidément la guerre va

aboutir à la création de l'empire allemand. Il écrit:

« L'Empire est fait » — c'est à-dire l'empire allemand. A tra-

vers les obstacles et les détours, ni par la voie voulue, ni par

la manière imaginée, il semble que depuis le Second Empire,

(1) Une noble figure de révolutionnaire russe Lopatine traduisit le

Capital en russe, prit part au mouvement de 1880 et fut enfermé

21 ans dans la forteresse de Schlusselbourg et a été délivré en

1905.

(2) Merveilleuse nouvelle!

(3) Laskine, ouvrage cité, p. 83.

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tous les tripatouillages ont abouti à réaliser le « but national »

de 1848 — la Hongrie, l'Italie, l'Allemagne ! J'imagine que le

mouvement ne prendra fin que lorsque les coups seront échan-

gés entre les Prussiens et les Busses. Ce n'est pas du tout

invraisemblable. Le presse du parti moscovite attaque le gou-

vernement russe pour son attitude amicale envers la Prusse,

aussi violemment qu'en 1866, les journaux français de la

nuance TBi'ers attaquaient le Boustrapa pour ses coquetteries

avec la Crusse. Il n'y a que le tsar, le parti russo-allemand et

le Journal officiel de Saint-Pétersbourg, qui attaquent la

France. Mais ils ne s'attendaient pas à des succès prusso-alle-

mands aussi éclatants. Ils croyaient, comme Bonaparte en

1866, que les belligérants s'affaibliraient mutuellement par une

longue lutte, de telle sorte que la Sainte Russie pourrait en fin

de compte intervenir comme arbitre souverain.

« Si Alexandre ne veut pas être empoisonné, il lui faudra

faire quelque chose pour calmer le parti national. Le prestige

de la Russie est évidemment encore plus offusqué par un

empire allemand-prussien, que ne l'était celui du Second

Empire par la Confédération de l'Allemagne du Nord. Tout

comme Bonaparte de 1866 à 1870, la Russie tripatouillera avec

la Prusse pour avoir des concessions du côté turc et tous ces

tripatouillages, malgré la religion des Hohenzollern, se termi-

neront par une guerre entre les tripatouilleurs.

« Si nigaud que puisse être le Michel allemand, son senti-

ment national accru (surtout maintenant, où on ne peut plus

lui faire croire qu'il doit tout supporter pour que l'unité alle-

mande se fasse) ne le laissera pas se plier sous le service russe

.— pour lequel il n'existe aucun motif, pas même un prétexte.

«Qui vivra verra». Si notre beau Guillaume vil encore

quelque temps, nous verrons sa proclamation aux Polo-

nais (1). Lorsque Dieu veut faire quelque chose de très

grand, dit old Carlyle, il choisit pour cela les hommes les plus

bêtes ».

(1) La prédiction de Marx devait s'accomplir 46 ans plus tard sous

les auspices du petit-fils du « beau Guillaume ».

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248 LA POLITIQCE 1XTERXATTONALE DC MARXISME

Mais ta large pensée internationale de Marx se préoccupe

toujours arec un intértH aussi passionné des événements

politiques et de leur répercussion sur le mouvement ouvrier

dans chacune des grandes nations. Aussi le ramène-t-elle

à la France. Dans cette même lettre, il écrit:

« Ce qui me fait peur en ce moment, c'est l'état des choses

en France même. La prochaine grande bataille se tournera

probablement contre les Français. Et ensuite? Si l'armée battue

se jette sous la direction de Boustrapa vers Paris, il y aura une

paix des plus humiliantes pour la France — avec peut-être la

restauration des d'Orléans ! Si une révolution éclatait à Paris,

je me demande sérieusement, si elle aurait les moyens et les

chefs pour résister sérieusement aux Prussiens f On ne peut

pas se dissimuler que la farce bonapartiste durant 20 ans a

énormément démoralisé la nation. On est à peine autorisé à

compter sur une explosion de l'héroïsme révolutionnaire...

Qu'en penses-tu?

« John Stuart Mill a décerné beaucoup d'éloges à notre

Adresse. Elle a d'ailleurs produit un grand effet à Londres.

La Société de la Paix, de Cobden, notamment, s'est offerte à la

distribuer ».

Marx revient ensuite au Manifeste d'Oswald, au bas

duquel, outre sa signature, il avait mis celle d'Engels —

avec tes réserves déjà indiquées. II ajoute que le « vieux

Ruge », le réfugié de 1848, ayait écrit à Oswald qu'il ne

pouvait pas signer parce qu'il était « convaincu » que les

Prussiens proclameraient à Paris ta république, française ! (1).

« Voilà bien n'est-ce pas, ajoute-t-il, dans toute sa gloire

II) Chimère certes extravagante, mais pas beaucoup plus que celle

de,certains socialistes français qui, 45 ans plus tard, ont imaginé que

les Alliés vainqueurs de l'Allemagne instaureraient la République de

l'autre coté du Rhin après avtjir affranchi le peuple allemand de sa

caste militaire.

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— ce vieil homme à confusions, constructenr <e chimè-

ies » (1 ).

Le 10 août, Engels répond à Marx et après avoir analysé

avec sa perspicacité habituelle la situation militaire et les

derniers avatars de Napoléon III, sons qui « tout semble

craquer », il ajoute:

« Je crois que, sans l'armée, les Orléanistes ne sont pas asseï

forts pour risquer de suite une restauration monarchique.

Comme ils sont maintenant la seule djnastïe possible, ils pré-

féreront peut-être un interrègne républicain. Je crois qu'en face

de la république, les Prussiens offriront, somme toute, une

paix honorable. Il ne peut pas leur convenir de ressusciter 1793

et 1794. Tout le discours du trône de Guillaume montre qu'il

spécule sur une révolution et ne pousserait pas les choses à

l'estrême. Par contre depuis, la fureur nationaliste est

devenue grande eii Allemagne et la clameur après ï'Alsace-

Lorraine devient générale. Et on ne peut pas compter sur

Guillaume. Mais pour le moment je crois pourtant qu'on se

contentera de moins.

'La France perdra bien un peu de territoire et pour que l'élan

de 1793, se reproduise et d'une manière aussi efficace, il fau-

drait également les adversaires de 1793. Comme tu le dis avec

s raison, il faudrait aussi d'autres Français que ceux qui viennent

de sortir du « bas empire » (2) ».

Dans la dernière partie de cette lettre, Engels discute à

nouveau les mouvements stratégiques, démontre avec

force les <t gaffes énormes » deDouay en Alsace, manifeste

son indignation contre l'incapacité des généraux bonapar-

tistes, montre la supériorité tactique de leur adversaire —

et à ce propos constate que l'événement a démontré qu'il

(1) Correspondance de Marx et Engels, 8 août 1870, t. IV, lettre

1234, pages 313 à 315.

(2) Correspondance d'Engels et Marx 10 août 1870 t. IV, lettie

1235, page 316.

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220 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

avait eu raison de considérer « celte organisation militaire

prussienne comme un fait énorme et dans une guerre

nationale comme celle-ci invincible ».

Cependant, à Londres, le « démocrate » chauvin Karl

Blind continue à intriguer en faveur des plans bismarc-

kiens, et Marx — de Ramsgate.où il se repose sur les bords

de la mer du Nord — en manifeste toute sa colère. Le

15 août il écrit:

« Dans les Daily News, reproduit par la Pali Mall d'aujour-

d'hui, tu verras qu'un « éminent écrivain » est sur le point de

publier une brochure en anglais, en faveur de l'annexion de

l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne!

« L'éminent écrivain qui a mis la note sur lui-même dans

les Daily News n'est naturellement personne d'autre que

l'ex-sludiosus Blind. Ce misérable coquin peut causer des mal-

heurs avec ses intrigues dans la presse anglaise. Puisque tu

as tes entrées à la « Pali Mall Gazette » lu devrais faire

venir cette saleté aussitôt quelle sera publiée et exécuter cet

individu.

« Entre nous, les Prussiens pourraient certes faire un coup

diplomatique, si, sans demander le moindre pouce du territoire

français pour eux, ils exigeaient la restitution de la Savoie et

de Nice à l'Italie et la pointe neutralisée par le traité de 1815

à la Suisse. Personne n'y trouverait à redire; mais ce n'est

certes pas à nous à donner des conseils pour tous ces trans-

ferts de territoire » (I)

Dans une lettre datée du même jour de Manchester,

Engels, analyse avec beaucoup de pénétration, toute la

situation:

« Par la faute de Badinguet, l'Allemagne est entrée dans une

guerre pour son existence nationale; si elle succombe contre

(1) Correspondance de Marx et Engels, 15 août 1870 t. IV, lettre

1237, page 318.

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Badinguet, le bonapartisme est consolidé pour des années et

l'Allemagne est fichue pour longtemps, peut-être pour des géné-

rations. Il ne sera plus question alors d'un mouvement ouvrier

autonome, la lutte pour le rétablissement de l'unité nationale

absorbera tout et en mettant les choses au mieux les ouvriers

allemands se placeront à la remorque des ouvriers français.

« Si l'Allemagne est victorieuse, le bonapartisme sera proba-

blement fichu en France, chez nous les éternelles doléances

en faveur du rétablissement de l'unité allemande prendront

fin, les ouvriers allemands pourront s'organiser sur une tout

autre échelle nationale que cela n'a été jusqu'ici possible et les

ouvriers français, quel que soit le gouvernement qui succédera,

auront certainement un champ d'action plus libre que sous le-

bonapartisme.

« La grande masse du peuple allemand de toutes classes

s'est pénétrée de cette idée qu'en somme il s'agissait de l'exis-

tence même de la nation et c'est pouf cela, qu'elle est aussitôt

accourue. Il me paraît impossible que dans ces conditions un

parti politique allemand puisse prêcher l'obstruction totale à

la Wilhelm (Liebknecht) et mettre les raisons secondaires

au-dessus de la question principale.

"« II faut encore ajouter que sans le chauvinisme de la masse

de la population française — bourgeois, petits bourgeois,

paysans et prolétariat impérialiste du bâtiment — il la Hauss-

mnnii — sorti de la paysannerie et créé dans les grandes villes

par Bonaparte — celui-ci n'aurait pu faire cette guerre. Tant

que ce chauvinisme n'est pas supprimé et cela complètement,

la paix entre la France et l'Allemagne reste impossible ».

Fuis il examine ces « raisons secondaires » auxquelles il

reprochait à Liebknecht de donner un rôle primordial,

mais dont il reconnaît l'importance:

« Que cette guerre soit conduite par Bismarck, Lehmann

et C'e et qu'elle leur procure une gloire passagère, s'ils la con-

duisent heureusement jusqu'au bout, voilà ce que nous devons

à cette misérable bourgeoisie allemande. C'est en effet très

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Sâ2 LA l'.iLI i !nl 1. iMtKIJYriliSALK OU JIAIIX1SME

déplaisant, mais imposssibie à éviter. Mais il serait absurde <lt-

faire de l'anti-bismarckisine un principe absolu. D'abord,comme

rii 1866, Bismarck fait toujours une partie de notre besogne, i

sa façon et tans te vouloir niais il la fait tout de même. 11 nous

prépare un sol meilleur qu'auparavant. Et puis, BOUS ne

sommes plus en 1815. Les Allemands du Sud, entreront forcé-

ment au lleichstag •et cela fera nu •centre-poids au « Prussia-

nisine ». Ensuite il y a des dévoies nationaux qui lui incombent

el qui, oom«ie t« l'as déjà dit, rendent âne alliance avec la

Russie, d'avance impossible. C'est d'autre part, une absurdité

que de vouloir faire rétrograder l'histoire où elle était en 1866,

comme le veut Lieblcnecht ».

Et le fidèle, ami de Marx, résume avec une remarquable

netteté le programme d'action socialiste qu'il faut suggérer

aux ouvriers allemands:

* J« «-.rois que nos gens -peuvent:

i» Participer au mouvement national-— tm verras par la

lettre de Kugelmann quelle fonce il a —•aufat.nl et aussi long-

temps qu'il ne fo-orne à ta défense de l'Allemagne '(ce qui

jn'eschat pas dans certaines cii-oonstan'ces l'offensàYe d'ici à ia

•conclusion de la paix).

28 Mettre en évidence la.différence entre Ife intérêts wtW*o

miaux allemands et te* iwtiéréts dynaistiqmes prussiens.

3e S'apposer « tonte 'annexion de l'A hace-Lorraine (Bis-

marck manifeste l'intention de l'annexer aia paj-s de Bade usa. -k

la Bavière).

i" Auftmtôt qn'ii y atn.ro. à Parie un g&ureirnemeMt républi-

cain 'Kt non plus chauvin, -conclure avec hri, une paix ikem»-

rable.

5» Souligner constamment l'union dea inféré/s de* ouvrier*

allemands et des ourrier-s frcmçaù, qui n'ont pas voulu la

guerre et ne xe la font pw*..

6° Pour la RitKxie, agir ne ion If .Manifeste de l'Internatio-

nale ».

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Page 227: La politique internationale du marxisme

LA 6UERRE FRANCO-ALLEMANDE *"

Et à nouveau Engels critique le point de vue d'absolue

négation de Liebknecht qui à son avis ne veut pas envi-

sager la nécessité historique de l'unité allemande et qui ne

voit pas que « un peuple qui ne reçoit que des coups et encore

des coups de pied est peu qualifié pour faire une révolution

sociale». Et il ajoute : « Mais Wilhelm (Liebknecht) a pro-

bablement escompté une victoire de Bonaparte, rien que pour que

son Bismarck en crève. Tu te souviens comme il l'a toujours

menacé des Français ? Tu étais aussi du côté de Wilhelm ! ».

Puis revenant aux choses de France il tes caractérise en

ces termes d'une haute objectivité:

« La débâcle » en France semble affreuse. Tout est désordre,

corruption, vol. Les chassepots sont mal construits et ne fonc-

tionnent pas au combat. Il n'en reste plus et on doit sortir les

anciens fusils à silex. Malgré cela, un gouvernement révolu-

tionnaire, s'il vient .bientôt, ne devra pas désespérer. Il est

bien possible qu'il puisse tenir jusqu'au moment, où on aura

acheté' de* armes et organisé des armées nouvelles, par les-

quelles l'ennemi serait repoussé peu à pe/u jusqu'à la fron-

tière. Ce serait la meilleure issue de la guerre que les deux

Etats se prouvent mutuellement leur invincibilité » (1).

Deux jours après Marx répond à Engels et dédare que

sa lettre « concorde absolument avec le plan qu'il s'était

fait » de la réponse qu'il comptait envoyer aux ouvriers

allemands et qu'il ne voulait pas aller de l'avant, sans

s'être concerté avec lui ». Il ajoute:

« Liebknecht tire la conclusion que je suis d'accord avec

lui:

-1° De l'Adresse de l'Internationale;

(1) Correspondance do Engels et Marx 15 août 1870, vol. IV,

lettre 1238, pages 318 à 321. Et voilà comment Engels souhaitait

la défaite de la France, même de la France encore bonapartiste!

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224 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

2« De sa déclaration et de celle de Bebel au Reichstag.

C'était à un moment où c'était un acte de courage que de

rester à cheval sur les principes. Mais il ne faut pas en con-

clure que les circonstances sont toujours les mêmes et il faut

encore bien moins croire que l'attitude du prolétariat allemand,

en face d'une guerre qui est devenue nationale, se puisse

ramener à l'antipathie de Wilhelm contre la Prusse. Ce serait

tout à l'ait comme si, parce qu'à un moment donné nous nous

sommes élevés contre la libération bonapartiste de l'Italie, nous

ne voulions pas admettre l'indépendance, relative, dont l'Italie

jouit depuis celte guerre.

« Les convoitises sur l'A Isace-Lorraine semblent dominer

dans deux sphères : la canaille prussienne et les buveurs de

bière patriotes de l'Allemagne du Sud. Leur réalisation serait

le plus grand malheur qui.pourrait frapper l'Europe et tout

particulièrement l'Allemagne. Tu dois avoir lu que la plupart

des journaux russes parlent déjà de la nécessité d'une interven-

tion de la diplomatie européenne pour maintenir l'équilibre

européen. Kugelrnann confond une guerre offensive avec des

opérations militaires défensives. Aussi donc, lorsque dans la

rue un gaillard me tombe dessus, j'ai seulement le droit de

parer ses coups, mais je ne dois pas « Knock down » (l'étendre

à terre), parce que je me transformerais à cause de cela en

agresseur. Tous ces gens n'entendent rien à la dialectique...

« Avec le glas du Second Empire, cela finira comme cela a

commencé par une parodie et c'est moi qui ai eu raison avec

mon Bon-aparté (1) ! Peut-on imaginer une plus belle parodie

de la campagne de Napoléon en 1814? Je crois que nous

sommes les deux seules personnes qui depuis le début avons vu

le Boustrapa dans toute sa médiocrité et l'avons considéré pour

un simple personnage d'apparat, sans nous laisser jamais

influencer par ses succès passagers.

« A propos ! La « Société de la paix » bourgeoise a envoyé

20 Livres au Conseil général de l'Internationale pour faire

(i) Allusion à la brochure de Marx, le Dix-huit Brumaire de

Louis Bonaparte.

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Page 229: La politique internationale du marxisme

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imprimer notre Manifeste en langues française et alle-

mande » (1).

Quelques jours après, Engels, écrivant à Marx, lui

exprime à nouveau sa surprise devant l'inaction du peu-

ple parisien, qui malgré les désastres des armées impé-

riales parait devoir continuer à subir l'Empire:

« Je crois que l'annexion des « Germano-Français » est main-

tenant chose décidée S'il s'était formé à Paris un gouverne-

ment revolutionnaire, ne serait-ce qu'il y a huit jours, on

aurait encore pu faire quelque chose. Il arrivera trop tard à

présent et ne pourra que se rendre ridicule par «ne parodie de

la Convention. Je suis convaincu que Bismarck aurait dû

faire la paix sans aucune annexion de territoire, avec un

gouvernement révolutionnaire, constitué au bon. moment.

Mais puisque la France se comporte ainsi (2), il (Bismarck) n'a

aucune raison-pour résister à la pression du dehors et à sa

propre vanité. C'est un grand malheur, mais il me paraît iné-

vitable (3) ».

Et devant la pitoyable tactique de Mac-Mahon et de

Bazaine, enfermé dans Metz, il espère encore « que les

Parisiens se lèveront enfin ».

(t) Lettre de Marx à Engels du 17 août 1870 (t. IV de la Corres-

pondance, lettre 1240).

(2) Cette lettre a permis à M. Laskine de commettre une de ses

plus notoires falsifications historiques. Dans ses Socialistes du Kaiser

(p. 62) commentant cette phrase d'Engels qui vise l'attitude de la

France continuanbmalgré ses désastres à subir l'homme du 2 décem-

bre, il écrit « elle (la France) avait aux yeux d'Engels le tort im-

pardonnable de continuer la défense nationate ». Le lecteur qui a

sous les yeux, non le texte tronqué par M. Laskine, mais le texte

complet d'Engels, peut juger en toute connaissance de cause de

la sincérité du procédé.

(3) Correspondance d'Engels et Marx 20 août 1870, t. IV, lettre

1241, page 324.

JEAN LONGUET 15

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Page 230: La politique internationale du marxisme

226 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Pour voir combien les opinions exprimées ainsi dans

leur correspondance par les deux fondateurs du Socialisme

moderne sont pures de toute pensée chauvine et se ren-

contrent avec la pensée des socialistes français de l'époque,

il suffit de les rapprocher de celles qu'exprimait à la

même date (le 19 août 1870) ce noble représentant du pro-

létariat parisien qu'était Eugène Varlin. Il se trouvait alors

en Belgique, proscrit, et voici ce qu'il écrit d'Anvers:

« Que devient l'Internationale, au milieu de ce double mou-

vement de chauvinisme qui entraîne deux grandes nations, sur

lesquelles nous croyions pouvoir compter, à s'entre-détruire

d'une façon horrible? Je ne dois pas vous le cacher, malgré

que nos paysans aient bien mérité, par leur voit stupide, la

terrible épreuve qu'ils subissent en ce moment (1), je souffre

de voir nos provinces dévastées, la France s'épuisant dans un

effort suprême car je n'espère rien de bon de .la victoire du

militarisme prussien.

Et cependant, tant que l'ombre du gouvernement impérial

pèsera sur la France, le parti républicain socialiste doit

protester par son abstention contre la politique désastreuse

dans laquelle l'empire entraîne notre nation. Pourquoi le

peuple parisien n'a-t-il pas aux premiers revers brisé l'em-

pire et mis la France révolutionnaire en présence du roi de

Prusse? Au moins si la guerre avait continué on se serait

battu pour quelque chose » (2).

C'est exactement la même pensée que Marx et Engels

expriment sans cesse à la même époque, bien que Marx,

dans une lettre datée du 22 août, semble reprocher à Louis

(1) C'est presque identiquement la pensée de Marx : « la France

a besoin d'une leçon tragique pour être régénérée » qui sous sa

forme plus brutale « . les Français ont besoin d'être rossés » a été si

exploitée.

(2) Cité par la Vie Ouvrière (5 mai 1914).

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Page 231: La politique internationale du marxisme

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Blanc de croire « que le grand patriotisme consiste à rester

passif pour laisser aux bonapartistes toute la responsabi-

lité » (i).

Et Marx revient a nouveau à l'idée si fréquemment

exprimée par lui, comme par Engels, dans ses précédentes

lettres, sur la déplorable passivité de Paris qui-leur semblait

si surprenante après les agitations passionnées des mois

qui avaient précédé la guerre — mais qui était seulement

le calme précédant l'orage. En même temps, il proteste de

plus en plus énergiquement contre les plans de conquête

de Bismarck. Le 2 septembre 1870, il écrit à Engels et

après l'avoir félicité de l'admirable clairvoyance de ses

articles de critique militaire de la Pali Mail Gazette dans

lesquels il avait mis en pleine lumière toutes les fautes de

Mac-Mahon et où il allait bientôt — 48 heures avant l'évé-

nement — prédire le désastre de Sedan, il ajoutait:

« La défense de Paris, me paraît n'être que comédie de la

police pour faire tenir les Parisiens tranquilles, jusqu'au

moment où les Prussiens seront aux portes et sauveront l'ordre

— c'est-à-dire la dynastie et ses Mamelucks. Le spectacle

lamentable que Paris offre en ce moment, je veux dire durant

la guerre, démontre qu'une leçon tragique était nécessaire

pour sauver la France.

Mais elle est bien prussienne celte déclaration que seul,

l'homme en uniforme a le droit de défendre sa patrie!

Les Prussiens devraient bien savoir pourtant, par leur

propre histoire, qu'on n'obtient jamais une sécurité éternelle

sur un adversaire par le démembrement. Même après la perte

de l'Alsace-Lorraine, la France serait loin d'être aussi bas que

l'était la Prusse après le traitement de cheval que Napoléon

lui a fait subir à Tilsitt. Et à quoi cela a-t-il servi à Napoléon 1er?

La Prusse s'est remise sur pied.

(1) Lettre de Marx à Engels du 22 août 1870 (Correspondance,

t. IV, lettre 1242).

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« Je ne crois pas que la Russie intervienne activement dans

cette guerre. Je ne l'y crois pas préparée. Mais c'est déjà un

coup de maître diplomatique que de se proclamer le sauveur

de la France,

« Dans ma réponse très détaillée au Comité de Brunswick,

j'ai écarté une fois pour toutes, la belle « identité de vues »

dont se ser.t vis-à-vis de nous, Wilhelm ..

* La correspondance entre l'ex-séminariste wurtembergeois

D. Strauss et l'ex-élève jésuite Renan, est un épisode bien

amusant. Un calotin reste toujours un calotin. Le cours d'his-

toire de M. Strauss, semble avoir été puisé dans Kohlrausch ou

quelque livre primaire analogue ».

Que la passivité de Paris et de la France populaire et

républicaine qui n'avait pas encore réagi devant les désas-

tres effrayants des armées impériales indignat Marx et

Engels, nous en trouvons une nouvelle preuve dans une

autre lettre que Marx écrivait le 1er septembre 1870 à son

ami Sorge en Amérique:

«... L'attitude déplorable de Paris pendant la guerre — qui

continue après ces défaites abominables à se laisser gouverner

par les Mamelucks de Louis-Bonaparte et de l'aventurière

espagnole Eugénie — montre combien les Français ont besoin

d'une leçon tragique pour être régénérée. Les ânes prussiens

ne voient pas que la guerre actuelle aboutira forcément à

une guerre entre l'Allemagne et la Russie, comme la guerre

de 1866 a conduit à une guerre entre la Prusse et la France.

Voilà le résultat le plus clair que j'en attends pour l'Allemagne.

Le « prussianisme » n'a jamais pu et ne pourra jamais exister

dans l'avenir qu'en, s'alliant et en se soumettant à la Russie.

Cette deuxième guerre provoquera aussi une révolution

sociale inévitable en Russie » (1).

(1) Briofe und Auszuge aus Briefen von J. P. Becker, Dictzgen,

F. Engels, Karl Marx. Lettre n. 9, p. 146. Merveilleuse prophétie

que l'histoire devait réaliser 47 ans plus tard!

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LA. GUERRE FRANCO ALLEMANDE 229

Cependant la nouvelle du désastre dé Sedan est arrivée

en Angleterre. Le 4 septembre Engels écrivait de Manches-

ter à Marx.

Après avoir cité les vers célèbres de Heine, mis en musi-

que par Schumann:

Que me font ma femme et mes enfants,

Mon âme porte une pensée plus élevée;

Qu'ils gagnent leur pain en mendiant,

Mon empereur, mon empereur est prisonnier!

«

11 continue, mêlant, à son'habitude, l'indignation et

l'âpre sarcasme:

a L'histoire est tout de même la plus grande poétesse ; elle

a réussi à parodier même Heine. Mon empereur, mon empe-

reur prisonnier, et par les « Stinkpreussen » (Prussiens puants)

par dessus le marché ! Et le pauvre Guillaume qui assure pour

la centième lois qu'il n'est pour rien dans toutes ces histoires

et que c'est simplement la volonté de Dieu qui a tout fait ! Le

Guillaume ressemble à l'écolier : « Qui a créé le monde? C'est

moi, Monsieur le professeur, mais je vous promets de ne plus

recommencer ». .

« Et le lamentable Favre qui ose proposer que Palikao, Tro-

chu et quelques autres Arcadiens forment un gouvernement!

On n'a jamais vu pareils misérables. .Vais on peut tout de

même espérer maintenant que quelque chose va se passer à

Paris lorsqu'on apprendra cela. Je ne puis imaginer qu'un

pareil cataclysme forcément connu aujourd'hui ou demain ne-

produise pas son effet. Peut-être seulement un gouvernement

de gauche qui conclura la paix, après avoir fait semblant de

résister? »

Comme la plupart des observateurs de la guerre en

Europe. Engels se trompe alors sur le ressort de la France.

Il ne s'attend pas à voir se produire sous l'impulsion de la

Défense Nationale l'ardente et désespérée résistance qui

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après la capitulation des armées régulières continuera la

guerre encore pendant six mois:

« La guerre touche à sa fin, écrit-il. Il n'y a plus d'armée en

France. Aussitôt que Bazaine aura capitulé, ce qui arrivera pro-

bablement cette semaine, la moitié de l'armée allemande ira

devant Paris, l'autre moitié passera la Loire et déblayera le

pays de tous les rassemblements armés... La délense,de Paris,

s'il ne s'y passe pas quelque chose d'extraordinaire, sera un

épisode plaisant » (i).

Au moment même où Engels écrivait cette lettre de

Manchester, le peuple de Paris se soulevait, accomplissant

enfin le mouvement révolutionnaire si impatiemment

escompté depuis cinq semaines par les deux grands socia-

listes, qui n'avaient cessé de dire que le salut de la France

était à ce prix. Et immédiatement nous allons voir leur

attitude complètement modifiée par cet événement, comme

par le caractère absolument différent que la guerre va

prendre dans les deux camps, du jour où elle devient, d'une

guerre d'agression dynastique des Bonaparte contre

l'unité allemande, la guerre de Défende Nationale du peu-

ple français, contre les Bismarck et les Hohenzollern.

(1) M. Laskine cite ce passage d'une lettré écrite deux semai

nes avant tlue le siège de Paris eut commencé et eut pris un

caractère tout à fait différent de ce que supposait alors Engels. Il écrit:

« Alors que il/ toute l'Europe s'émut de pitié pour les horreurs du

siège de Paris affamé, ils osaient écrire que ce siège serait un épi-

sode gai » (Les Socialistes du Kaiser, p. 59).

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CHAPITRE VII

LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE : II. LA DÉFENSE NATIONALE

\

La chute de l'Empire, la proclamation de la République

se produisent enfin après Sedan. Marx tout en conservant

à l'égard du personnel républicain bourgeois qui venait de

prendre le pouvoir, les préventions que son passé autori-

sait, adopte immédiatement en face d'une guerre où l'agres-

sion a changé de côté, une attitude nouvelle. Ce n'est plus

la guerre bonapartiste, c'est la Défense Nationale de la

France républicaine et il va le proclamer hautement.

Charles Longuet a raconté, dans sa préface de la « Com-

mune de Paris », les conditions dans lesquelles Marx fut

prévenu par ses amis français, de la journée révolution-

naire:

/

« Le i septembre 1870, dans l'après-midi, je revenais avec

mon excellent et vieil ami Edouard Vaillant, du Corps législatif

envahi sans effort. La République venait d'être proclamée à

l'Hôtel de Ville, où nous n'avions que l'aire, n'étant pas candi-

dats aux fonctions publiques. Nous nous dirigions vers la place

de la Corderie (1), dans l'intention d'y rédiger avec quelques

camarades de l'Internationale parisienne, et des sociétés

ouvrières un appel immédiat aux socialistes de l'Allemagne.

Ce n'est pas que nous nous fissions de bien fortes illusions,

songeant que si la fortune des armes eut donné la victoire à

l'armée de Napoléon III, aucune parole, ni aucun acte révolu-

(1) Siège des sections parisiennes de l'Internationale.

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232 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

——_

lionnaire, aucune force humaine n'eut pu en France, l'empê-

cher de poursuivre son œuvre de conquête et de s'emparer de

la rive gauche du Rhin.

Mais qu'importe; avec ou sans illusions, il fallait au moins

sauver du désastre l'idée du socialisme international et son

avenir. Nous devisions ainsi quand nous nous trouvâmes rue

des Halles en face d'un bureau de télégraphe.

Aussitôt, Vaillant se rappelle que, en 1865-66 (proscrit de

l'Empire en attendant de l'être de la République bourgeoise),

j'avais eu le grand honneur de connaître Marx à Londres et

d'être admis sur sa présentation dans le premier Conseil géné-

ral de l'Internationale.

Vite une dépêche ainsi rédigée : et République proclamée ».

Suivaient les noms des nouveaux gouvernants provisoires, puis:

« Agissez immédiatement sur vos amis en Allemagne ».

Notre télégramme alla réveiller les hôtes de Maitland-Park

vers deux heures du malin. Il leur apporta la nouvelle de la

chute de l'Empire, quelques heures avant les journaux quoti-

diens — non parus à Londres le soir du 4 septembre — un

.dimanche ! »

Charles Longuet ajoute:

« Le Conseil général et sàn inspirateur n'avaient pas besoin

qu'on leur traçât leur devoir de solidarité internationale. Ils

avaient déjà rempli avec un tact merveilleux, dans les circon-

stances les plus difficiles, en face d'une déclaration de guerre

qui, en fait et plus encore en apparence, était une agression

contre le peuple allemand, contre son droit à quelque forme

que ce put être d'unité nationale (1) ».

Cependant quelques éléments révolutionnaires et en

particulier les aventuriers et les casse-cou de la « branche

française » de Londres, devant la situation tragique où se

trouve la France — avec les armées allemandes qui mar-

(1) La Commune de Paris de Karl Marx, préface de Charles Lon-

guet, p. IX à XI.

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chent sur Paris — n'ont qu'une seule préoccupation:

fomenter une nouvelle révolution pour renverser le gouver-

nement de la Défense Nationale. Marx s'élève avec force

contre de semblables projets. Et le 6 septembre il écrit à

Engels:

« Je venais de m'asseoir pour t'écrire lorsque Serraillier (1)

arriva et me dit qu'il quittait demain Londres pour Paris, pour

quelques jours seulement. Le but principal de son voyage est

de se concerter avec le Conseil fédéral de Paris de l'Internatio-

nale. C'est d'autant plus urgent qu'aujourd'hui, toute la

« branche française », part à Paris pour y faire des

bêtises au nom de l'Internationale. Ils veulent renverser le

gouvernement provisoire, instituer la « Commune de Paris »,

nommer Pi/at ambassadeur à Londres, etc.

« J'ai reçu aujourd'hui du Conseil Fédéral de Paris une

proclamation au peuple allemand (je te l'enverrai demain) en

priant instamment le Conseil général de publier un nouveau

Manifeste au peuple allemand. J'avais dejà l'intention de le

proposer ce soir. Sois assez gentil pour m'envoyer le plus tôt

possible des annotations militaires en anglais, sur l'Alsace-

Lorraine, qui pourraient être, utiles pour le Manifeste.

<c Dès aujourd'hui, j'ai répondu longuement au Conseil fédé-

ral et j'ai assumé la besogne désagréable de leur ouvrir les

yeux sur la situation réelle ! A propos, Longuet m'a télégraphié

dimanche la proclamation de la République. J'ai reçu la dépê-

che à 4 heures du matin. De Brunswick, on m'a répondu

qu'on agirait exactement selon mes instructions.

« Jules Favre, quoique ce soit un coquin notoire et l'homme

des journées de Juin, est bon « pour le moment ». comme

• ministre des Affaires étrangères. Il a toujours combattu la

vieille politique de Thiers et s'est déclaré pour l'unité de l'Italie

et de l'Allemagne. Je plains seulement Rochefort d'être mem-

bre de ce gouvernement où il y a l'infâme Garnier-Pagès Mais

(I) Ouvrier boîtier originaire de Marseille, ami fidèle de Marx et

qui fut membre de la Commune.

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il ne lui était pas possible de refuser de participera la Défense

Nationale... Ne crois-tu pas que si le temps, qui est paraît-il

abominable en France, se prolonge (ce qui est très probable

après la sécheresse précédente) les Prussiens auront un motif

pour devenir raisonnables ; d'autant plus qu'ils sont menacés

d'une alliance anglo-austro russe? » (I).

Cette lettre contient plusieurs indications d'une extrême

importance, que les diffamateurs de Marx et de sa politique

internationale ont systématiquement laissés dans l'ombre

au moyen de citations cyniquement tronquées. Tout d'abord,

la révélation des étranges desseins formés par Félix Pyat

et ses amis — et la nette opposition que leur fait Marx.

Toute une série de lettres postérieures de Marx et d'Engels

qui ont donné lieu aux commentaires les plus injurieux,

ne peuvent être loyalement interprétées que si on tient

compte du passage que nous avons mis en italique concer-

nant les projets d'émeute et de révolution caressés par

Pyat. Néanmoins, dans la citation qu'il fait de cette lettre,

James Guillaume a entièrement supprimé ce passage essen-

tiel (2).

Ensuite, nous apprenons" que c'est bien selon les instruc-

tions formelles de Marx que le Comité central du Parti

social-démocrate allemand à Brunswick agit et qu'il va se

dresser dans une héroïque protestation contre les projets

de conquête de Bismarck et de Moltke.

La « proclamation au peuple allemand » rédigée par le

Conseil fédéral parisien, dont Marx parle dans cette lettre

et que nous verrons Engels apprécier sans indulgence,

(t) Correspondance de Marx et Engels, 6 sept. 1870 t. IV, lettre

1246, page 330.

(2) Voir Karl Marx pangermaniste par James Guillaume p. 94;

naturellement M. Laskine a encore renchéri en des pages d'ou-

trages.

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s'adressait au peuple allemand, en ces termes : « Puisque

l'homme qui a déchaîné cette lutte fratricide et que tu

tiens dans tes mains n'existe plus pour nous, la France

républicaine t'invite, au nom de la justice, à retirer tes

armées, sinon il nous faudra combattre jusqu'au dernier

homme et verser à flots-ton sang et le nôtre. Nous te répé-

tons ce que nous déclarons à l'Europe coalisée en 1793 : le

peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui

occupe son territoire : Repasse le Rhin ! » (1).

Engels avec sa virulence habituelle, dans sa réponse à

Marx datée du 7 septembre, critique cet appel. Naturelle-

ment nos commentateurs tendancieux ont beaucoup

..exploité cette lettre dont ils ont — comme par hasard —

supprimé le premier paragraphe si sévère pour le chauvi-

nisme allemand:

« Le philistin allemand, écrivait-il, s'est joliment grisé de

chauvinisme après ses victoires inespérées et que personnelle-

ment il n'a nullement gagnées. Il est grandement temps de

réagir contre cela. Quel malheur que l'esprit populaire soit

aussi piteux ! Mais il n'y a rien à faire là contre. D'ici que ma

préface de la « Guerre des paysans » ait paru en brochure,

les événements l'auront depuis longtemps dépassée. Le nou-

veau Manifeste de l'Internationale (que tu dois écrire en alle-

mand) est d'autant plus urgent.

« Si la proclamation de l'Internationale parisienne nous est

transmise fidèlement par le télégraphe, elle prouve en effet

qu'ils sont complètement dominés par la phrase. Ces gens qui

ont pendant 20 ans supporté leur Badinguet, qui n'ont pas pu

empêcher ily a six mois qu'il n'obtint 6 millions de voix contre

un million et demi et qu'il ne les excitat sans motif ni prétexte

contre l'Allemagne, demandent, parce que les victoires alleman-

des leur ont fait cadeau d'une République (et laquelle !) que

(1) Ce manifeste portait entre autres les signatures de CU. Bes-

lay, Camélinat, Leverdays, Ch. Longuet, Tolain, Edouard Vaillant.

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Page 240: La politique internationale du marxisme

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les Allemands quittent immédiatement le sol sacré de la

France. Autrement « guerre à outrance ».

« C'est tout à fait l'ancienne imagination de la supériorité

de la France, du sol sacré par 1793, qu'aucune saleté commise

dans la suite'des temps ne pourra profaner l'idée de la sainteté

du mot République. Cela me rappelle ^'attitude des Danois qui

en 1864 laissèrent approcher les Prussiens à trente pas, tirè-

rent sur eux un feu de salve et mirent ensuite bas les armes'

en espérant qu'à cause de cette formalité on ne paierailpasde la

même monnaie. Je veux espérer qu'ils réfléchiront quand la

première ivresse sera passée, sans quoi il deviendrait diablement

difficile d'avoir avec eux desrelations internationales.

i Jusqu'à maintenant la République, de même que son éta-

blissement, sans lutte, est une pure farce. Comme je m'y atten-

dais depuis 15 jours et même depuis plus longtemps, les Orléa-

nistes veillent une République-Intérim, qui conclupra.it la

paix honteuse pour que l'opprobre ne retombe pas sur les

<TOrléans qu'on installera plus tard. Ils possèdent d'ailleurs

la vraie puissance : Trochu a le commandement de l'armée.

Kéralry la police. Ces Messieurs de la gauche ont les places où

l'on bavarde. Comme les d'Orléans sont la seule dynastie .

possible, ils peuvent tranquillement attendre le moment favo-

rable pour leur véritable « avènement au pouvoir » (1).

« Dupont, vient de me quitter; il a passé la soirée ici et il

est furieux contre la belle proclamation parisienne. Mais cela

le rassure de savoir que Serraillier se rend à Paris et qu'il a

causé avec toi au préalable. Ses opinions sur la situation sont

très claires et très justes: Utilisation de la. liberté que la

République accordera nécessairement,pour organiser le parti

en France et pour ayjr, si l'occasion sen présente après que

l'organisation sera réalisée ; pas d'action de l'Internationale

lusqu'à la conclusion de la paix ».

Impossible pour un commentateur de bonne foi de se

(1) L'avenir montra combien Engels avait vu juste et quels étaient

en effet les calculs des monarchistes mis enp'eine lumière à « l'As-

semBlée du jour de malheur ».

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Page 241: La politique internationale du marxisme

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méprendre sur le programme que traçait ainsi l'ouvrier

parisien Eugène Dupont et que Engels approuvait ; l'action

dont il ne veut pas pendant la guerre, non plus que Marx,

c'est l'action envisagée par les têtes folles de la « branche

française »de Londres contre le gouvernement de la Défense

Nationale. Engels croyait d'ailleurs, comme l'ont cru la plu-

part des obseivateurs du moment, que la guerre touchait

à sa fin et que la Prusse n'abuserait pas de sa victoire. II

ajoutait en effet:

« Ces Messieurs du gouvernement provisoire et les bourgeois

de Paris (à en juger d'après les correspondances des Daily

News) semblent très bien savoir que les histoires sur la conti-

nuation de la guerre ne sont que de simples phrases... Il est

caractéristique qu'ils n'osent pas dire la vérité sur la situation

véritable. S'il n'y a pas de miracle, je crains bien qu'une

période de règne direct de la bourgeoisie avec les d'Orléans ne

soit inévitable pour que la lutte se développe ensuite sous sa

véritable forme. Ce serait une stratégie à la Louis-Bonaparte

ou à la Mac-Mahon que de sacrifier les ouvriers maintenant.

Avant la paix, nous ne pouvons absolument rien faire et

après la paix, ils auront tout à fait besoin d'un certain

laps de temps pour s'organiser.

Et il ajoute:

« Bismarck semble n'attendre qu'une légère pression pour

se contenter de Strasbourg et de ses environs avec une indem-

nité de guerre ».

Une lettre qu'Eugène Dupont écrivait à la même époque,

le 6 septembre, à Albert Richard, de Lyon, confirme plei-

nement l'interprétation qu'il faut donner de la pensée de

Marx, d'Engels et de leurs amis. Il écrivait:

« La piteuse fin du Soulouque impérial nous amène au pou-

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Page 242: La politique internationale du marxisme

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voir les Favre et les Gambetta. Rien n'est changé, la puissance

est toujours à la bourgeoisie. Dans ces circonstances, le rôle

des ouvriers ou plutôt leur devoir est de laisser celte vermine

bourgeoise faire la paix avec les Prussiens (car la honte de

cet acte ne se détachera jamais d'eux), ne pas les affermir

par des émeutes, mais profiter des libertés que les circonstan-

ces vont apporter, pour organiser toutes les forces de la classe

ouvrière... »'(1).

C'est identiquement la pensée que nous avons déjà ren-

contrée dans la lettre de Engels et il est impossible de se

trompersursa signification. Impossible avec dela bonne

foi. Mais James Guillaume qui n'est guidé que par sa

haine de Marx et du marxisme en donne l'interprétation la

plus déloyale.

« Pas d'action de l'Internationale en France » cela veut

dire, selon lui, qu'on « dissuade le prolétariat français de

lutter contre les envahisseurs ». Marx et Engels « souhaitent

simplement que Bismarck puisse achever son œuvre d'in-

vasion par la prise de Paris ». Et il oppose leur action à

celle du Comité de Brunswick — alors que celui-ci n'a agi

. que sur les instructions envoyées de Londres par Marx!

Pour apprécier cette étrange façon d'écrire l'histoire, il

suffit d'ailleurs de relire, avec les autres lettres privées, le

document public capital de la même époque, l'admirable

Manifeste de l'Internationale du 9 septembre 1870, rédigé

tout entier de la main de Marx et dirigé d'un bout à l'autre

contre Guillaume et Bismarck. Nos étranges historiens (2)

se gardent bien d'en rien donner, en dehors de deux

lignes isolées de leur contexte.

Cet appel débute par le rappel de la phrase du précédent

Manifeste proclamant que le Second Empire finirait comme

(1) James Guillaume, Karl Marx pangermaniste, p. 3 de la pré-

face et p. 97.

(2) Aussi bien James Guillaume que M. Laskine.

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LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE 239

V

il avait commencé, par la parodie du premier et il continue:

« Si nous jugions bien de la vitalité du Second Empire, nous

nous ne trompions pas davantage dansnos craintes que laguerre

de l'Allemagne « ne perdit son caractère exclusif de guerre

défensive pour dégénérer en une guerre contre le peuple fran-

çais ». En fait, apres que Louis-Bonaparte s'était rendu, que

la capitulation de Sedan était signée, que la République

était proclamée à Paris, la guerre de défense avait pris fin.

Mais longtemps avant ces événements, dès qu'il était devenu

évident que l'armée impériale tombait en ruines, lacamarilla

militaire de la Prusse^sivait décidé une guerre de conquête.

Il y avait bien un obstacle ennuyeux ; les propres proclamations

du roi Guillaume au début de la guerre ».

Marx rappelle que dans son discours du Trône au Reichs-

tag de l'Allemagne du Nord, Guillaume avait solennelle-

ment déclaré qu' « il faisait la guerre à l'empereur des Fran-

çais-et non à la France », de même que dans un manifeste

à la nation française il déclarait ne vouloir que « repousser

l'agression de Napoléon III » et affirmait que, « seuls les

événements militaires l'avaient amené à franchir les fron-

tières de France ». Marx ajoute:

« Le pieux monarque était donc moralement astreint devant

la France et devant le monde à ne faire qu'une guerre pure-

ment défensive. Comment le délier de cet engagement solen-

nel ? Il fallait que ses metteurs en scène le montrassent cédant

à contre-cœur aux exigences inévitables de la nation allemande.

Ils firent passer vite le mot d'ordre à toute la bourgeoisie

libérale d'Allemagne, à ses profes seurs, à ses capitalistes, à

ses municipalités et à ses écrivains. Cette bourgeoisie qui, dans

ses luttes pour la liberté civile, avait de 1846 à 1870 donné un

spectacle sans exemple d'irrésolution, d'incapacité et de lâcheté

fut naturellement ravie de parader sur la scène européenne

en lion rugissant du patriotisme allemand. Elle reprenait

ses revendications abandonnées d'indépendance civique, en

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affectant de contraindre le gouvernement prussien à faire ce

qu'il avait secrètement résolu. Enfin pour faire pénitence de sa

foi persévérante et presque religieuse en l'infaillibilité de

Louis-Bonaparte, elle réclamait à grands cris le démembre-

ment de la République française. Ecoutons un moment les

motifs allégués par ces patriotes à tous crins ».

Et Karl Marx de dresser un magnifique plaidoyer pour

l'intégrité du territoire français:

« Ils osent prétendre que la population de l'A Isace et de la

Lorraine brûle de se jeter dans les bras de l'Allemagne;

c'est le contraire de la vérité. C'est pour le punir de son

patriotisme français que Strasbourg, bien que domine par

une citadelle indépendante de la ville, a été, sans nécessite

et avec une rage infernale, bombardé pendant six jours; que

les bombes explosives « allemandes » y ont mis le feu et tué

en grand nombre ses habitants désarmés!

Pourtant il fut un temps où le sol de ces provinces faisait

partie du Saint Empire d'Allemagne. Ainsi donc, paraît-il,

le sol de ce pays et les êtres humains qui y sont nés doivent

être confisqués, l'Allemagne ayant sur eux un droit impres-

criptible. Si l'on refait la carte de l'Europe, surtout pendant

que les antiquaires sont en veine, qu'ils n'oublient pas que

Y Electeur Margrave de Brandebourg était pour ses posses-

sions prussiennes le vassal de la République de Pologne...

Et voici réduit à néant 1' « argument stratégique »:

« Mais il faut encore compter avec une autre catégorie de

patriotes, les malins ceux-là, les forts en thème stratégique, qui

réclament l'Alsace et la partie delaLorraine parlant l'allemand,

comme garantie matérielle « contre une attaque de la France ».

Cet argument misérable ayant troublé beaucoup d'esprits fai-

bles, il nous faut le discuter, plus complètement que l'autre.

11 n'y a pas de doute que la configuration générale de l'Al-

sace, si on la compare à l'autre rive du Rhin, et l'existence d'une

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grande ville fortifiée comme Strasbourg, à moitié route environ

de Baie.et de Germersheim, sont très favorables à une invasion

française de l'Allemagne du Sud, tandis qu'elles présentent au

contraire des difficultés particulières à une invasion de la

France par l'Allemagne du Sud. En outre il n'est pas douteux

que l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine de langue alle-

mande donnerait une frontière bien plus forte à l'Allemagne

du Sud et d'autant mieux que celle-ci serait alors maîtresse de

la crête des Vosges dans toute sa longueur et dçs forts qui en

couvrent les défilés au Nord.

Si Metz était également annexé, la France serait certainement

privée, pour le moment, de ses deux principales bases d'opéra-

tion contre l'Allemagne; mais cela ne l'empêcherait pas d'en

construire une' nouvelle à Nancy et à Verdun. Tant que l'Alle-

.maffne possède Coblentz', Mayence, Germersheim, Rastadt et

Ulm, qui constituent toutes lex bases d'opération contre la

France, — et l'on s'en est abondamment servi dans la guerre

actuelle — comment peut-elle avec la pluu faible apparence

d'équité, disputer à la France Strasbourg et Metz, les deux

seules forteresses de quelque importance que celle-ci possède

de ce'côté-là?

« D'autre part, Strasbourg n'expose l'Allemagne du Sud, que

tant que celle-ci reste un Etat séparé de l'Allemagne du Nord,

De 1792 à 1793, l'Allemagne du Sud ne fut jamais envahie de

ce côté, parce que dans la guerre contre la Révolution, elle

avait la Prusse pour alliée; mais dès que la Prusse eut conclu,

en 1795, sa paix à elle, laissant le Sud se tirer d'affaire tout

seul, l'Allemagne méridionale commença à être envahie et ces

invasions, prenant Strasbourg pour base, continuèrent jus-

qu'en 1809. La vérité c'est qu'une Allemagne unie peut tou-

jours rendre inoffensif Strasbourg et n'importe quelle armée

française en Alsace, en concentrant toutes ses troupes, comme

cela s'est fait dans la guerre actuelle entre Saarlouis et Landau,

et en avançant ou en acceptant la bataille entre Mayence et

Metz. Si la présente campagne a prouvé quelque chose c'est

JEAN LONGUET. 16

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bien la facilité avec laquelle on peut envaljir la France du

côté de l'Allemagne r.

Mais tout de suite il s'élève bien au-dessus de ces consi-

dérations stratégiques — dont il doit évidemment les pré-

cisions techniques à la collaboration d'Engels, grand spé-

cialiste des questions militaires. Et il s'écrie:

« Mais de bonne foi, n'est-ce pas, à la fois, une absurdité

et un anachronisme que de chercher dans des considérations

militaires le principe d'après lequel doivent être établies les

frontières des nations ? Si eetterègle devait l'emporter, l'Au-

triche aurait encore droit à l'occupation de la Vénétie et de la

ligne du Mincio ; la France aurait droit à la ligne du Rhin, afin

de protéger Paris qui est certainement plus exposé à une atta-

que venant du Nord-Est que Berlin ne l'est au Sud-Ouest.

Si ce sont les intérêts militaires qui doivent fixer les limi-

tes des peuples, les revendications de territoires n'auront

pas de fin, car toute ligne militaire pèche nécessairement

par quelque endroit, et peut être rectifiée par l'annexion de

quelque territoire limitrophe; d'autre part, on ne peut

jamais fixer ces limites d'une manière définitive et équita-

ble, parce que nécessairement le vainqueur les impose tou-

jours au vaincu el que en conséquence elles portent en elles-

mêmes les germes de nouvelles guerres »..

Jamais on n'a fait avec autant de force le procès de la

détestable théorie'des « frontières naturelles ». La démons-;

iration impeccable de Marx contre Bismarck vaut d'ailleurs

aujourd'hui autant qu'il y a quarante-cinq ans contre tous

les impérialismes et tous les annexiônnismes — qu'ils

soient allemands ou français. Poursuivant sa démonstra-

tion, le grand socialiste démolit avec la même vigueur

tout le système des « garanties » territoriales:

« Tel est l'enseignement de l'histoire. Il en est des nations,

comme des individus. Pour leur enlever les moyens d'attaque,

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LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE 243

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il faut leur enlever les moyens de défense. Il ne suffit pas

de les garrotter, il faut les tuer.

« Si jamais vainqueur prit des « garanties matérielles «,

pour ôter le nerf à un peuple, ce fut Napoléon I« par le traité

de Tilsitt et la façon dont il l'exécuta contre la Prusse et le

reste de l'Allemagne. Que sont les garanties que la Prusse,

dans ses rêves les plus insensés, pourrait ou oserait imposer à

la France, en comparaison des « garanties matérielles » que

Napoléon I«r lui avait arrachées à elle-même ? Le résultat n'en

serait pas moins désastreux. L'histoire mesurera lechdliment,

non pas au nombre de kilomètres carres conquis sur la France,

mais bien à l'étendue du crime gui aura fait revivre dans

la seconde moitie du dix-neuvième siècle la politique de con-

quête ! ».

Marx fait avec la même puissance d'expression le procès

des autres prétentions du chauvinisme allemand:

« Mais, disent les interprètes du patriotisme teuton, ne con-

fondez pas les Allemands avec les Français. Ce que nous vou-

lons, nous autres, ce n'est pas la gloire, mais la sécurité. Les

Allemands forment un peuple essentiellement pacifique. Sous

leur sage tutelle, la conquête même change de nature : d'une

condition de guerre future qu'elle serait pour d'autres, elle

deviendrait pour eux un gage de paix perpétuelle.

« Bien entendu, ce ne sont jiau 1rs Allemands qui envahi-

rent la France en 1792, dans l'intention sublime, assurément,

de mater à coups de baïonnettes, la Révolution du xvm° siè-

cle. Ce ne sont pas les Allemands qui se sont souillé les

mains, à tenir sous le joui) l'Italie, à opprimer la Hongrie,

à démembrer la Pologne. Leur régime militaire constitue,

cela va de soi, une « garantie matérielle » du maintien de

la paix et il est bien le terme ultime des tendances civilisa-

trices f En ,A llemagne, comme partout ailleurs, les syco-

phantes des maîtres du jour empoisonnent l'esprit du peuple

en le grisant sans cense du grossier encens de louanges inté-

ressées.».

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Et naturellement il revient à son éternel ennemi, le

panslavisme, et dénonce « l'infâme tutelle de l'autocrate

russe sur la Prusse », l'échange de promesses entre Gorts-

chakoff et Bismarck. Mais à quoi va-t-on aboutir?

« De même que le Second Empire jugeait la Confédération

<le l'Allemagne du Nord incompatible avec son existence, ainsi

l'autocratie russe doit juger qu'un empire d'Allemagne sous

l'hégémonie de la Prusse, le met en péril. Telle est la loi du

'vieux système politique. En son cercle étroit, le gain d'un

Etat est une perte pour les autres. L'influence dominante du

tsar sur l'Europe a pour racines son ascendant traditionnel sur

l'Allemagne. En un moment où dans la Russie même des for-

ces sociales volcaniques menacent d'ébranler la base de l'auto-

cratie, est-ce que le tsar pourrait suppo'rter une telle perte de

prestige au dehors ? Déjà les journaux moscovites tiennent le

langage des journaux bonapartistes après la guerre de 1866. »

Et avec la clairvoyance du génie, Marx montre la consé-

quence fatale de l'iniquité que la Prusse s'apprête à com-

mettre: la guerre européenne, qui devait surgir 45 ans

plus tard:

« Les patriotes teutons croient-ils réellement qu'en jetant

la France dans les bras de la Russie, ils assurent la liberté

et la paix à l'Allemagne?

« Si la fortune des armes, l'arrogance du succès et l'in-

trigue dynastique conduisent l'Allemagne à une spoliation

du territoire français, alors il ne lui restera de choix qu'en-

•tre deux partis; elle devra'se faire à tout risque, mais directe-

ment, l'instrument de l'extension russe, ou bien, il lui faudra

après une courte trêve, se préparer de nouveau à une guerre

« défensive » et non pas à une de ces guerres localisées, d'in-

vention nouvelle, mais bien à une guerre de races, à une

guerre contre les races slaves et les races latines coalisées ».

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Marx signale enfin, quelle est d'ores et déjà l'attitude

des organisations allemandes de l'Internationale:

« Les voici qui se présentent à leur tour, et réclament elles

aussi des « garanties » — des garanties que leurs immenses

sacrifices n'ont pas été consentis en vain ; qu'elles ont conquis

la liberté, que leur victoire sur les armées impériales ne

deviendra pas comme en 1815 une défaite du peuple allemand;

et comme la première de ces garanties, elles réclament une

paix honorable pour la France et la reconnaissance officielle

de la République française ». ,

II cite le noble appel du comité de Brunswick que nous

donnons plus loin et ajoute:

« On ne peut malheureusement avoir une entière confiance

en leur succès immédiat. Si en pleine paix, les ouvriers fran-

çais, ne réussirent pas à arrêter l'agression, est-il plus vraisem-

blable que les ouvriers allemands puissent arrêter le vain-

queur au milieu du cliquetis de ses armes triomphantes ? Le

manifeste des ouvriers allemands demande que Louis-Bona-

parte soit extradé comme criminel de droit commun et livré

à la République française. Les gouvernants au contraire s'éver-

tuent déjà à le renvoyer aux Tuileries, comme l'homme le plus

capable d'achever la ruine de la France. Quoi qu'il advienne,

l'histoire montrera qu'en Allemagne, la classe ouvrière n'est

pas faite d'une matière aussi malléable que la bourgeoisie. Les

travailleurs allemands feront leur devoir. »

Le Manifeste examine ensuite la situation des travail-

leurs français:

« L'Internationale, ajoute Marx, salue l'avènement de

la République en France ». En même temps, il exprime ses

appréhensions sur le personnel gouvernemental qui a pris

le pouvoir et renouvelle les critiques virulentes que nous

avons déjà trouvées sous la plume d'Engels concernant les

personnalités orléanistes qui « se sont emparées des posi-

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Page 250: La politique internationale du marxisme

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f

tions fortes ». Il précise enfin — à l'encontre de projets

chimériques et dangereux — le rôle du prolétariat pendant

la guerre, et ce passage du Manifeste réduit définitivement

à néant les calomnies que nous avons déjà relevées:

« L'action de la classe ouvrière française est donc soumise

en ce moment à des conditions particulièrement difficiles.

Tenter de renverser le nouveau gouvernement en la présente

crise, lorsque l'ennemi est presque aux portes de Paris, serait

un acte de pure folie. Les ouvriers français doivent remplir

leur devoir patriotique ; mais d'un autre côté, il ne faut pas

qu'ils se laissent entraîner par les souvenirs de 1792, comme

les paysans se laissèrent entraîner par les souvenirs du premier

Empire (1). Ils n'ont pas a. recommencer le passé, mais à édi.

fier l'avenir. Que calmes et résolus, ils profitent de la liberté

républicaine pour travailler à leur organisation de classe. Elle

les dotera d'une vigueur nouvelle, d'une force herculéenne

pour la régénération de la France et pour notre tâche com-

mune, -l'émancipation du travail. De leur énergie et de leur

sagesse dépend le sort de la République ».

Le Manifeste après avoir tracé leur plan d'action aux

travailleurs d'Allemagne et de France, se tournait vers la

troisième grande section de l'Internationale : la Section

Anglaise:

« Les ouvriers anglais se sont déjà mis en mesure d'agir sur

leur gouvernement et de vaincre sa répugnance à reconnaî-

tre la République Française. Le gouvernement delà Grande-

Bretagne veut sans doute par ce peu d'empresseme'nt expier

la hâte qu'elle mit à combattre la Révolution française et

aussi son indécent empressement à sanctionner le coup d'Etat

du Deux-Décembre.

(1) Dans ce Manifeste de 14 pages qui contient tant de dévelop-

pements d'une importance historique, c'est cet unique membre de

phrase de trois lignes— isolé de tout son contexte — que MM. Ja-

mes Guillaume et Laskine ont cité dans leurs volumes 1

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Page 251: La politique internationale du marxisme

LA GUErtRE FRANCO-ALLEMANDE 247

Les ouvriers anglais font également appel à leur gouver-

nement, pour qu'il s'oppose de toutes ses forces au démembre-

ment de la France, que réclament les vociférations éhontées

d'une partie de la presse anglaise (1). C'est cette presse-là,

qui, pendant 18 ans, fit de Napoléon III son dieu et la provi-

dence de l'Europe. C'est elle aussi dont les applaudissements

frénétiques poussèrent à la révolte les esclavagistes américains.

Aujourd'hui encore, elle besogne pour l'esclavagisme.

Que les sections de l'Association internationale des travail-

leurs dans chaque pays, poussent à l'action les classes ouvriè-

res. Si elles oublient leur devoir, si elles restent passives,

l'effroyable guerre d'aujourd'hui ne sera que l'avant-cou-

reur de conflits internationaux encore plus mortels et elle

aboutira à une nouvelle défaite infligée à l'ouvrier par ses

maîtres et seigneurs du Sabre, de la Terre et du Capital ».

Jusqu'au bout, ce Manifeste demeure un des documents

les plus prophétiques qui ait été écrit et jamais peut-être

la clairvoyance du génie humain ne reçut à un pareil degré

l'éclatante confirmation des événements (2). Il permet de

préciser sans aucune contestation possible le rôle haute-

ment favorable à la France que Marx adopta dans la

période décisive de la guerre de 1870.

Le Manifeste du Conseil général de l'Internationale eut

(1) Et voici comment M. Laskine écrit l'histoire : « L'acharnement

de Marx et d'Engels contre la France fut tel en 1870, qu'ils s'in-

dignèrent même de l'idée d'une intervention diplomatique qui eut

empêché l'écrasement de la République française, intervention à

laquelle la Russie fut un moment disposée (?I) et que réclamaient

en Angleterre les esprits les plus généreux * (Les Socialistes du

Kaiser, p. fiO).

(2) Dans l'intéressante étude qu'ila récemment consacré alaques-

tion des Socialistes et la Guerre, l'écrivain socialiste américain

W. English Walling,— dont les sympathies véhémentes pour la

France se sont maintes fois affirmées ces temps derniers — souli-

gne le caractère vraiment « extraordinaire » de ce- document et des

prédictions faites avec une telle précision par Marx, il y a 46 ans

(English Walling, Socialists and, the war, p. 10).

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248 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

un grand retentissement dans tous les milieux socialistes

et révolutionnaires de l'Europe — si faible que fut encore

à ce moment le mouvement prolétarien. Nous verrons avec

quel héroïsme le socialisme allemand va répondre à cet

appel: En Autriche, en Hongrie, en Angleterre, en Italie,

aux Etats-Unis, le Manifeste de Karl Marx fut entendu et de

grands meetings furent organisés pour protester contre

l'annexion de l'Alsace-Lorraine et affirmer les sympathies

des travailleurs pour la République française.

Son action vigoureuse et méthodique, qui ne se démen-

tira plus, mais au contraire s'accentuera à mesure que la

France livre une lutte plus désespérée contre l'envahis-

seur n'empêche naturellement pas Marx — dans sa cor-

respondance avec Engels — de s'épancher librement sur

les erreurs de tactiques ou les maladresses de ses amis

internationaux — de France ou d'Allemagne. C'est une

bien étrange critique historique que celle qui négligeant

les actes publics, les faits éclatants, ratiocine à perte -de

vues sur telle ou telle boutade de lettres privées.

C'est ainsi que dans une missive écrite, le lendemain de

la publication du Manifeste, le 10 septembre, Marx se plaint

avec beaucoup d'amertume du manque de tact des mili-

tants allemands de Brunswick qui avaient incorporé à leur

Manifeste en faveur de la France, la phrase que Marx leur

avait écrite sur le « déplacement du centre de gravité du

mouvement ouvrier continental de France en Allemagne »,

phrase ayant pour but, ajoute-t-il, de les stimuler, c'est-à-

dire de leur montrer avec leur importance plus grande

l'accroissement de leurs devoirs internationaux, mais qui

n'était pas destinée à la publicité. En même temps, il se

plaignait de « l'absurdité» du manifeste parisien déjà cri-

tiqué. Mais beaucoup plus importantes que ces récrimina-

tions— que citent complaisamment des critiques sans

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loyauté (1), est le passage suivant de la même lettre qu'ils

se gardent bien de donner:

« Ici, j'ai tout mis en œuvre pour que les ouvriers obli-

gent leur gouvernement à 'reconnaître la République fran-

çaise. Lundi on commencera une série de meetings. Au pre-

mier moment Gladstone y était assez disposé. Mais pas la reine

et la partie oligarchique du gouvernement ! » (2).

Le 12 septembre, Engels répond de Manchester. Il plai-

sante les amis do France et d'Allemagne « qui essaient de

se dépasser mutuellemenl en habileté politique » et daube

sur la maladresse des gens de Brunswick, mais espère que

« les Parisiens n'auront pas l'occasion de s'en froisser,

puisqu'ils comprennent peu l'allemand ». Il ajoute:

« Et Wilhelm (Liebknecht) qui fait l'éloge du manifeste des

Parisiens dans son journal! Longuet aussi est bien bon,

parce que Guillaume Ier lui a fait cadeau d'une République, on

devrait tout de suite faire une révolution en Allemagne ! Et

eux, pourquoi n'en ont-ils pas fait une, après la révolution

espagnole? »

Engels revient ensuite à la préoccupation qu'il ne cesse

de manifester aussi bien que Marx — la crainte d'un mou-

vement révolutionnaire, qui, s'il réussit, ne peut que don-

ner à la classe ouvrière la responsabilité trop lourde d'une

situation qu'elle n'a pas créée:

« Si on pouvait faire quelque chose à Paris, il faudrait y

empêcher les ouvriers de bouger avant la paix (3). Bismarck

(1) James Guillaume, ouvrage cité, p. 97 et 98.

(2) Lettre de Marx à Engels le 10 septembre J870 (Correspon-

dance, t. IV, lettre 1248).

(3) Naturellement M. Laskine affecte de croire que Engels parle

ici non d'empêcher un mouvement révolutionnaire contre les gou-

vernants français, mais la défense nationale contre les Prussiens

C'est toujours la même méthode de falsification systématique (Les

Socialistes du Kaiser, p. 61).

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250 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

sera bientôt amené à la conclure, soit qu'il prenne Paris, soit

que la situation européenne l'oblige à en finir. De quelque

façon que la paix se fasse, il faut qu'elle soit conclue avant que

les ouvriers puissent faire quelque chose. S'ils enlevaient le

pouvoir maintenant, ils recueilleraient la succession de Bona-

parte et de la République bourgeoise actuelle. Ils seraient bat-

tus sans aucune utilité, par les armées allemandes et cela les

relarderait de 20 ans. Ils ne perdent d'ailleurs rien à attendre.

Le règlement des frontières ne sera que provisoire.

Ce serait une folie de faire la lutte contre les Prussiens au

profit de: bourgeois; le gouvernement quel qu'il soit qui

concluera la paix, se rendra par cela même impossible après

la guerre... Après la paix, toutes les chances seront plus favo-

rables aux ouvriers. Mais est-ce qu'ils ne se laisseront pas

entraîner sous la poussée du danger extérieur et ne vont-ils pas

proclamer la république sociale la veille du siège de Paris?

Ce serait affreux si le dernier fait de guerre des armées

allemandes était une lutte de barricades contre les ouvriers

parisiens : cela nous rejetterait de cinquante ans eh arrière

et fausserait toute la situation. Et à quel point se développe-

rait ensuite la haine nationale et la phraséologie parmi les

ouvriers français! Malheureusement il n'y a personne à Paris,

qui ose seulement penser que toute résistance de la France

est devenue impossible et que par conséquent il est vain d'es-

pérer chasser l'envahisseur par une révolution...

« II me semble qu'on annexera probablement quelque

chose, et il serait temps de préparer une formule dans laquelle

les ouvriers allemands et français s'entendraient pour con-

sidérer tout cela comme « nul et non advenu » et le défaire

à la première occasion ». D'après moi, cela aurait été utile

au début de la guerre, mais maintenant que ce sont les Fran-

çais qfli doivent céder du territoire' cela devient une nécessité.

Autrement nos gaillards crieraient à tue-lële (1). »

Cependant à l'appel de Marx, la classe ouvrière alle-

(1) Correspondance d'Engels et Marx, 12 septembre 1870, t. IV,

lettre 1:249, pages 335 et 336).

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mande — qui dès la déclaration de guerre avait si noble-

ment refusé de s'associer aux agissements de ses gouver-

nants, même lorsque l'Allemagne avait toutes les apparen-

ces de la légitime défense — s'était mise en mouvement

dès le 4 septembre, avant même d'avoir reçu de Londres

le deuxième Manifeste.

La proclamation de la République, l'avait profondément

impressionnée. Bebel le montre dans ses Mémoires:

« Lorsque la nouvelle de la proclamation dr la République

française arriva en Allemagne, Liebknecht très ému et les

larmes aux yeux se précipita dans mon atelier pour m'ap-

prendre l'événement... Au Comité Directeur de Brunswick la

nouvelle fit l'effet d'une bombe et produisit une complète modi-

fication d'opinion. D'un seul coup, toutes les divergences d'opi-

nion étaient abolies. . i .

« Et c'est en parfait accord que nous posâmes les conditions

suivantes:

Paix immédiate avec la République Française;

Remboursement des frais de guerre, mais renonciation à

toute annexion ».

Cependant la guerre défensive était devenue une guerre

de conquête... Bebel rappelle que déjà dans le premier

Manifeste de l'Internationale,'Marx avait pleinement établi

les responsabilités réciproques et indiqué par avance tout

son devoir au prolétariat allemand en écrivant : « Si les

ouvriers allemands permettent gue la guerre actuelle perde son

caractère strictement défensif et qu'elle dégénère en une guerre

contre la nation française, la victoire et la défaite lui seront

également funestes ».

C'est en plein accord avec les principes posés par Marx

que le Comité de Brunswick adressait le 5 septembre un

appel « A tous les ouvriers allemands ».

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Page 256: La politique internationale du marxisme

252 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Rappelant les événements récents de France, on indi-

quait qu'on s'attendait à ce que le nouveau gouvernement

républicain cherchât à faire la paix avec l'Allemagne ; que

les ouvriers allemands devaient appuyer les desseins du

gouvernement républicain et exiger une paix honorable

avec le peuple français. On les exhortait à élever leurs

voix en masse en sa faveur.

Le Comité Directeur, citait les phrases d'une lettre de

Karl Marx — sans nommer l'auteur — dans laquelle il pré-

disait ce qui arriverait forcément si on continuait à récla-

mer l'Alsace-Lorraine. Voici quel était le passage de Marx

cité:

« Celui qui n'est pas complètement abasourdi par les

criailleries actuelles ou qui n'a pas un intérêt personnel à

tromper le peuple allemand, doit se rendre compte que la

guerre de i870 prépare aussi fatalement une guerre entre l'Al-

lemagne et la Russie que la guerre de 1866 a préparé celle

de l870. A la suite de la guerre actuelle l'équilibre du

mouvement ouvrier continental est transporté de France

en Allemagne : la classe ouvrière allemande doit par consé-

quent assumer maintenant une responsabilité d'autant plus

grande ».

Déclarant son plein accord avec Marx, le Comité Direc-

teur ajoutait:

« Après vingt ans d'existence honteuse du Second Empire,

le peuple français s'est relevé : acclamons la République

Française .'... Il est du devoir du peuple allemand d'assurer

une paix honorable avec la République française. Il appar-

tient aux travailleurs allemands de déclarer que dans l'in-

térêt de la France <:t de l'Allemagne, ils sont décidés à ne

pas tolérer une injure faite au peuple français après qu'il

s'est débarrassé à jamais de l'infâme qui avait troublé la

paix.. . Jurons de combattre loyalement et de travailler avec

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Page 257: La politique internationale du marxisme

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nos frères ouvriers de tous les pays civilisés pour la cause com-

mune du prolétariat ».

Et il concluait par ce cri vibrant:

« Quand nous'voyons comment une grande nation reprend

en^es mainsses propres destinées, quandnous voyons aujour-

d'hui la République établie non seulement 'en Suisse, mais

au-delà les mers et aussi une République néelle en Espagne,

une République en France, poussons bien haut ce cri qui

annoncera un jour à l'Allemagne l'aurore de la liberté —

ce jour n'est pas encore arrivé — poussons ce cri joyeux:

« Vive la République »!

Cet appel parut le 11 septembre dans le Volksblatt. Trois

jours après, Bebel et Liebknecht devaient y publier une

communication faisant connaître aux militants que le

général Vogel von Falkenstein, à Hanovre, avait — au

mépris de tout droit légal, ainsi qu'ils devaient l'appren-

dre plus tard — fait arrêter les membres du Comité Direc-

teur — Bracke, Bonhorst, Spier, Kuhn — et l'imprimeur

Seemers, et les avaient fait conduire chargés de fer, sous

une forte escorte militaire jusqu'à la forteresse de Loëtzen

en Prusse Orientale, où ils furent internés. Bebel et Liebk-

necht, terminaient leur communication, par cet appel:

« Camarades! C'est un rude coup que le Parti vient de

subir et il sera peut-être suivi par d'autres. Mais tenez bon et

ferme : c'est au moment du danger que s'affirme la vraie con-

viction et la valeur de l'homme. Travaillez énergiquement <ï

grossir les forces du Parti, répandez ses principes, mais soyez

prudents dans vos discours et vos écrits... Travaillez inlassa-

blement à propager l'organe du Parti, c'est lui qui détient en

Ce moment notre force. Vive la lutte internationale du prolé-

tariat! Vive l'organisation social-démocrate ! (1). »

(1) V. Bebel, Ans meinem leben, t. II, p. 186 à 188.

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Page 258: La politique internationale du marxisme

25i LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Nous verrons avec quelle tenacité et quel courage intré-

pide les marxistes allemands — bientôt rejoints par les

lassalliens — en dépit des persécutions du pouvoir — con-

tinuèrent leur protestation. .

Cependant le 13 septembre, dans une lettre à Marx,

Engels commentait en ces termes les agissements des diri-

geants de Berlin:

« Quels ânes incorrigibles que ces Prussiens ! Les voilà qui

ont arrêté et conduit enchaînés à Loentzen, en Prusse Orien-

tale, sur l'ordre de Vogel von Falkenstein, tout le malheureux

comité de Brunswick y compris l'imprimeur de la proclama-

tion si bien intentionnée et en vérité si peu méchante ! Tu sais

que sous prétexte de débarquement français, presque toute

l'Allemagne a été mise en état de siège et que par conséquent

l'autorité militaire peut arrêter à volonté... Onjvoit combien

le simple mot de République effraie ces âmes de poltrons et

combien ce monde officiel serait gêné s'il n'avait pas des pri-

sonniers politiques.

Lague'rre prend d'ailleurs de plus en plus une tournure déplo-

rable. Les Français ne sont pas encore assez battus, mais les

Allemands ont déjà eu beaucoup trop de victoires » (1).

. Le lendemain, Marx lui répond et à propos des arresta-

tions de Brunswick écrit:

« Cette fois, la fureur contre les « démagogues » commence

avant la fin de la guerre et encore contre les ouvriers au lieu

des étudiants "fanfarons de jadis. Les Prussiens font bien de

se montrer tels qu'ils sont et de détruire déjà avant la conclu-

sion de la paix, les illusions possibles de la classe ouvrière. Ce

n'est qu'à la suite d'une persécution politique directe que la

classe ouvrière s'enflammera.

(1) Correspondance de Engels et Marx 13 septembre 1870, t. IV,

lettre 1250, page 337. Avec leur coutumière loyauté, plusieurs de

nos critiques citent la première partie de cette dernière phrase... •

et suppriment la seconde.

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Page 259: La politique internationale du marxisme

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« La République — rien que le mot seul — a donné aux

choses une toute autre tournure. Par exemple M. Georges

Potier, cet ouvrier héroïque, se dérlare publiquement républi-

cain. Ceci te montre l'état d'esprit a Londres. J'espère que la

politique prussienne de la Cour ira jusqu'au bout. C'est un

fameux lever, l'intervention anti-constitutionnelle de la petite-

fille de Georges III et de la belle-mère de Fritz ! (1).

« Avec tout cela Bismarck est un âne. Parce que tout lui a

réussi tant qu'il était l'instrument des tendances vers l'unité

allemande, il a perdu la tête, au point de croire, qu'à pré-

sent, il pourrait faire sans honte ni remords une politique

purement prussienne, non seulement & l'extérieur, mais aussi

à l'intérieur. Hier il y avait une réunion d'ouvriers dans un

local de Lincoln Inn Field. Comme tous les mardis, nous

avions séance (2). Arrive une dépêche « d'arriver à la res-

cousse ». Les gens de la Société de la Paix, qui avaient acca-

paré un certain nombre d'ouvriers (entre autres Creiner)

s'étaient assuré la majorité (quoique assez faible). Notre arri-

vée fil complètement changer le plateau de la balance. Nous

avons fait voter différentes résolutions en faveur de la

République française, qui d'après ces Messieurs de la Société

de la Paix vont entraîner l'Angleterre dans une guerre avec

la Prusse. J'ai envoyé aujourd'hui des instructions très claires

•en Belgique et en Suisse, ainsi qu'aux Etats-Unis(3). » f

Cette lettre du 14 septembre, marque avec plus de force

que toutes les précédentes la position de plus en plus

accentuée en faveur de la France prise par Marx, dans la

deuxième phase de la guerre. Elle nous montre aussi que

(1) La reine Victoria était intervenue activement dans la politique

du ministère Gladsto,ne en faveur de la Prusse.

(2) Du Conseil général de l'Internationale.

(3) Correspondance de Marx et Engels, 14 septembre 1870, t. J'Y,

lettre 1251, p. 338. James Guillaume qui cite huit lignes de cette

lettre dans son pamphlet les a soigneusement découpées de façon à

ne rien donner des passages essentiels et qui en montrent si forte-

ment le caractère.

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Page 260: La politique internationale du marxisme

256 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

dans cette campagne nettement francophile qu'ils mènent

les marxistes se heurtent aux pacifistes bourgeois de la

« Peace Society » anglaise. Ceux ci, nous l'avons vu précé-

demment, avaient été si enthousiasmés par le premier Mani-

feste de Marx sur la guerre, qu'ils en avaient acheté mille

exemplaires, s'étaient offerts pour le distribuer, tandis que'

Sluart Mill en faisait les plus grands éloges. Maintenant

que Marx fait voter parles travailleurs anglais des motions

de sympathie pour la République Française, qu'il proteste

avec éclat contre les convoitises bismarckiennes,sur l'Al-

sace-Lorraine, les amis de Bright et de Cobden 1'accuseot

de vouloir entraîner l'Angleterre dans une guerre contre la

Prusse ! L'activité que Marx développe alors est d'ailleurs

si grande qu'à cette même date, il écrivait au Docteur

Kugelmann : « Mon temps est tellement pris par « l'œuvre

internationale » que je ne me couche jamais avant trois

heures du matin. C'est une excuse à mon silence obs-

tiné » (1).

Cette lettre du 14 septembre 1870 est d'ailleurs l'avant-

dernièredes lettres envoyées par Marx à Engels pendant la

guerre. Elle est suivie d'une dernière et courte lettre indi-

qttantque Dupont doit envoyer le Manifesteaux Marseillais.

A partir de cette époque, Engels quitta, en effet Man-

chester pour venir demeurer à Londres, à quelques cen-

taines de mètres de la demeure de Marx et c'est dorénavant

de vive voix que les deux amis échangeront leurs opinions

sur les événements qui se déroulent sous leurs yeux.

Mais nous avons heureusement d'autres éléments d'ap-

préciation d'une valeur incontestable, qui nous permettent

de connaître quels furent, à l'égard de la France pendant

la période la plus tragique de la Défense Nationale, les

(1) Lettre de Marx à Kugelman du 14 sept. 1870 publiée dans le

Mouvement Socialiste, 15 octobre 1903, p. 185.

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sentiments de Karl Marx — et de tous les socialistes

marxistes allemands. C'est d'abord sa correspondance avec

son fidèle ami le Dr Kugelmann à Hanovre, correspondance

qui par certains côtés, a une portée plus grande que celle

envoyée à Engels à Manchester — puisque expédiée en

Allemagne même. C'est ensuite un acte public capital — la

lettre ouverte adressée au grand journal libéral anglais les

Daily News— document qui comme importance, peut se

comparer à l'admirable Manifeste du 9 septembre 1870.

C'est enfin — et surtout — les actes accomplis en Allema--

gne même par les fidèles amis et disciples des proscrits —

Wilhelm Liebknecht et Auguste Bebel.

Au lendemain de l'arrestation du Comité de Brunswick,

la presse reptilienne avait redoublé de fureur contre les

socialistes. Au début d'octobre l'organe officieux du gou-

vernement, la Gazetle de l'Allemagne du Nord exprimait le

regret qu'on n'eut pas arrêté Bebel et Liebknecht comme

on avait faitpour le Comité de Brunswick et aussi pour un

démocrate (Johann Jacoby) à la suite d'un courageux dis-

cours qu'il avait prononcé à Koenigsberg contre l'annexion

de TAlsace-Lorraine (1).

(1) Dans ses « Souvenirs diplomatiques » (l'Allemagne et l'Italie),

t. I, p. 126, Rothan écrivait à ce propos le 25 septembre 1870:

« L'arrestation arbitraire de M. Jaeoby et de plusieurs notabilités

progressistes a pro luit en Allemagne une lacheuse impression.

Leur crime est d'avoir protesté au nom des idées modernes contre

les annexions violentes. Cette mesure est juf,'éu d'autant plus sévè-

rement qu'une réaction paraît s'être opérée contre les idées anne-

xionnistes non seulement dans les rangs du parti démocratique,

mais aussi dans le monde commercial et industriel. M. de Bismarck,

bien entendu, ne tient aucun compte de ces protostations. S'il a fait

arrêter Jacoby c'est pour couper court à des manifestations que

pourraient provoquer l'intervention des puissances neutres et dont

le retentissement en France ne manquerait pas de provoquer des

illusions et d'encourager les masses à la résistance ».

JEAN LONGUET 17

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Page 262: La politique internationale du marxisme

258 . LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MAKXISME

Entre temps, les socialistes dela Suisse allemande, aux-

quels nous avons vu que Marx avait fait parvenir des

instructions, organisaient un important meeting dont les

résolutions, écrit Bebel dans ses Mémoires, « furent d'un

puissant réconfort » pour les socialistes allemands engagés

dans cette âpre lutte. Elles étaient ainsi conçues:

« Nos sympathies vont à la République Française ! Qu'elle

réussisse par une resistance énergique à affaiblir tellement

la puissance militaire des Hohenzollern qu'on soit bientôt

obligé de lui offrir ta paix!

« Nous exprimons à nos camarades en Allemagne et en

Angleterre (Marx et Engels) notre approbation la plus chaleu-

reuse. Mais surtout à vous autres frères d'Allemagne qui

avez persévéré dans vos principes malgré les persécutions et

l'oppression, malgré le cachot et les chaînes /.Nous avons la

ferme'conviction que vous ferez jusqu'au bout votre devoir et

serez à la hauteur de la tâche historique de la Social-Démo-

cratie ! » (1).

\

Le fidèle ami de Marx qu'était Franckel, bientôt mem-

bre de la Commune de Paris, organisait au même moment

une importante manifestation en faveur de la France, en

Hongrie, à Buda-Pest.

Ainsi que l'observe Bebel, « si la guerre contre l'Empire

avait duré six semaines à peine, la guerre contre la Répu-

blique demanda près de six mois » et il ajoute : « Le nou-

veau gouvernement avait bien essayé de faire la paix, mais

les exigences de Bismarck prétendantobtenir des annexions,

firent échouer ces tentatives ».

Cependant Bismarck n'osait maintenir l'emprisonne-

ment de Jacoby et plusieurs membres du Comité de

Brunswick étaient également relâchés.

Le 24 novembre, le Reichstag de l'Allemagne du Nord

(1) Cité par Bebel, ouvrage cité, t. II, p. 190.

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LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE -•''.»

V était convoqué en une session extraordinaire.« qui fut très

courte et très mouvementée », écrit Bebel ; il s'agissait de

voter les nouveaux crédits de guerre et de délibérer avec

les Etats du Sud sur les traités de Versailles et la nouvelle

constitution de l'Allemagne.

Bebel montre les causes de mécontentement qui se firent

alors jour dans divers milieux contre la constitution pro-

posée pour l'Empire nouveau, les conceptions réactionnai-

res qui présidaient à son établissement, la dépression

résultant de ce que la guerre tirait en longueur et que la

résistance française, sous la direction de Gambetta et de

Freycinet, se prolongeait au delà de toutes prévisions (1).

« Le discours du Trône, par lequel s'ouvrit le Reichstag, fut

lu par le président de la Chancellerie de la Confédération. On

y déclarait que les gouvernants actuels de la France préféraient

« sacrifier les forces d'une noble nation à une lutte sans

espoir ». Une certaine contradiction se manifestait dans les

remarques suivantes : que la France n'avait pas de gouverne-

ment avec lequel on put traiter et que, par suite de l'attitude

de la population, l'espoir d'une paix durable était détruit.

Aussitôtque la France serait rétablie, ou qu'elle se sentirait

assez soutenue par des alliances il faudrait s'attendre à une

nouvelle guerre.

« Le 26 novembre, la demande de nouveaux crédits (100 mil-

lions de thalers) était à l'ordre du jour. Je pris la parole ; avant

moi le député Réchenperger s'était prononcé pour les cré-

dits. Mon discours ne fut pas long, mais il souleva une tempête,

comme aucun de mes. discours n'en a jamais soulevé. Je décla-

rais « que je me croyais aussi bon Allemand que l'orateur qui

venait de parler, mais que malgré cela, en examinant à fond

les choses, j'arrivais à une conclusion opposée de la sienne. »

Je donnai un court résumé historique dela situation jusqu'à la

chute de l'empire et je prouvai qu'avec la capture de Napoléon

(1) Bebel écrit que l'organisation de la Défense Nationale de (iam-

betta et Freycinet fut un « exploit grandiose » (ouvrage cité, p. 191).

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les causes initiales de la guerre avaient disparu. J'appuyai

mes assertions sur le discours du trône du 19 juillet et la pro-

clamation du roi de Prusse du 11 août; mes paroles provo-

quèrent un grand tumulte et de violentes protestations.

« Je déclarai qu'il était faux de prétendre que la France ne

possédait pas un gouvernement avec lequel on put négocier...

Je fis encore remarquer que les demandes d'annexions ren.

•daient la conclusion de la paix impossible. Je jugeais sévère-

ment la défense qu'on nous avait faite de dire dans des réunions

publiques notre point de vue sur les annexions et je l'exposais

«n détail. De nouveau, les interruptions plurent. Lorsque je

fis allusion au triste rôle que la classe capitaliste allemande

Avait joué lors du premier emprunt de guerre et comment

s'était au contraire comportée dans les mêmes circonstances la

bourgeoisie française, l'ouragan se déchaîna complètement.

Une grande partie du Reichstag fut prise d'un véritable accès

de folie furieuse; on déversa sur nous les pires injures, des

douzaines de députés se précipitèrent vers nous, les poings

levés en nous menaçant de nous jeter dehors. Pendant long-

temps, je ne pus continuer mon discours » (1).

A l'issue de ce débat tumultueux où les chefs de la frac-

tion marxiste du socialisme allemand avaient bravé avec

tant d'intrépidité les fureurs chauvines, Bebel et Liebk-

necht présentèrent un ordre du jour qui résumait avec

une admirable netteté leur pensée:

« Plaise au Reichstag:

•« . De rejeter le projet de loi concernant les nouveaux crédits

pour la continuation de la guerre et de donner son approbation

à la résolution suivante:

« Considérant que la guerre déclarée le 19 juillet par Louis-

Bonaparte, à cette époque empereur des Français, est terminée

en fait par la capture de Louis-Bonaparte et la chute de l'em-

pire français;

.(11 Bebel, ouvrage cite, p. 193 et 194.

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Considérant que d'après les propres déclarations du roi de

Prusse, contenues dans le discours du trône du 19 juillet et

dans la proclamation au peuple français du H août, la guerre

n'était du cùlé allemand qu'une guerre défensive, et non pas-

une guerre contre la nation française;

« Considérant qu'en contradiction flagrante avec la parole

royale, la guerre qu'on continue malgré cela, depuis le i sep-

tembre, n'est plus une guerre contre le gouvernement impérial

et l'armée impériale, mais une guerre contre le peuple fran-

çais, qu'elle n'est plus une guerre de défense, mais une-

guerre de conquête, qu'elle n'est plus une guerre pour l'indé-

pendance de l'Allemagne, mais une guerre, d'oppression contre-

la noble nation française, laquelle d'après les paroles du.

discours du trône du 19 juillet « est appelée à jouir et à profiler

des bienfaits d'une civilisation chrétienne et d'un bien-être

croissant et à participer à un combat plus utile que le sanglant

combat dos armes »

« Le Keichstag décide de refuser les crédits demandés pour

la continuation de la guerre et invite le Chancelier de la Con-

fédération à insister pour une conclusion immédiate de la paix

avec la République française, en renonçant à toute annexion

du territoire français » (1).

Liebknecht prenait la parole à son tour et appuyait cet

ordre du jour en ces termes:

« Le gouvernement qui en juillet a déclaré la guerre est

tombé et son chef est à Wilhelmshohe et il est le « bon frère »

du roi de Prusse. 11 vit dans un luxe impérial extrême, tandis

que là-bas les soldats allemands doivent verser leur sang et

endurer les fatigues les plus dures en. combattant le peuple

français qui est malgré tout, notre peuple frère et qui veut

faire la paix avec nous (tumultes, cris). Il est en vérité plus

honorable d'être le frère du peuple français et des ouvriers

français que d'être le cher frère du bandit qui est à. Wil-

(1) Bebel, ouvrage cité, p 194.

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helmshohe ! (Le député (lassallien) Von Schweifzer : Bravo,

bravo !)

« L'emprunt qu'on nous demande est'destiné à faire aboutir

la conquête ainsi qu'il résulte du texte du discours du trône.

Mais les annexions qu'on nous propose n'apporteront pas la

paix mais la guerre. En créant même après la guerre un

danger de guerre constant elles fortifient la dictature militaire

en Allemagne... Par ces motifs je suis naturellement contre

l'emprunt et en accord avec mon ami Bebel j'ai déposé l'ordre

du jour par lequel nous refusons les crédits » (1).

/

L'ordre du jour fut repoussé à l'unanimité moins cinq

voix socialistes (marxistes et lassalliens unis).

Indomptables, Bebel et Liebknecht reprenaient la lutte

à la séance du 3 décembre 1870. Un radical, Duncker, inter-

pellait sur les arrestations de-ses coreligionnaires Jacoby

et Herbig et il fut appuyé par Windhorst le leader catho-

lique qui recommanda ironiquement à Bismarck de sti-

puler, dans les conditions de paix avec la France, 4a cession

de Cayenne et de Lambessa pour pouvoir y déporter les

personnages gênants.

Bebel fut ainsi amené à flétrir les procédés indignes dont

avaient été victimes les membres du Comité de Brunswick,

de la part de Vogel von Falkenstein. Le séide de Bismarck,

Miquel, défendit ces mesures brutales et ajouta « que la

résistance en France avait été fortifiée par l'attitude des

socialistes ».

Dans une des séances suivantes on discutait la nouvelle

Constitution impériale et Bebel y avait opposé avec force

ses conceptions républicaines, lorsque se produisit un vio-

lent incident qui marque combien — en dépit de leur petit

nombre et de leur faiblesse — l'action francophile des

socialistes allemands et surtout des marxistes avait eu de

(1) Idem, p. 195.

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retentissement en Europe et leur valait de sympathies et

de gratitude en France.

Bebel venait à peine de terminer son discours lorsque le

conseiller privé Wagener prit la parole pour déclarer

« que d'après ce qu'il venait de lire dans la Gazette de la

Bourse, Bebel et Liebknecht avaient reçu du consul de France

à Vienne, M. Lefaivre, les remerciements de la République

française pour leur attitude au Reichstag » (Cris: Écoutez,

écoutez ! Quelle honte !) Et il lut en effet à la séance sui-

vante la lettre que selon les instructions de Gambetta, le

consul général de France à Vienne avait adressée à Bebel

et à Liebknecht.

Messieurs,

Au nom de la République française, dont le Gouvernement

m'a accrédité comme son représentant spécial auprès de la

Démocratie allemande, Je crois de mon devoir de vous remer-

cier pour les nobles paroles que vous avez prononcées au

milieu d'une Assemblée fanatisée par l'esprit de conquête et

l'ivresse du militarisme. Le courage dont vous avez fait preuve

à cette occasion a attiré sur vous l'attention de l'Europe

entière, et vous a conquis une place glorieuse parmi les cham-

pions de la liberté.

L'esprit de liberté et d'humanité, comme vous l'avez si élo-

quemment exposé, subit en ce moment en Allemagne une

éclipse pareille à celle que nous avons nous-mêmes éprouvée

pendant le premier Empire, et on va au-devant des mêmes

déceptions.

Une rage de domination brutale s'est emparée des esprits les

plus éclairés. Des penseurs qui, il n'y a pas longtemps, répan-

daient leurs lumières sur le monde, sont devenus, sous l'im-

pulsion de M. de Bismarck, les apôtres du meurtre et de l'écra-

sement de toute une nation.

C'est vous, messieurs, vous et votre parti qui, dans cette

défaillance générale, avez maintenu la grande tradition

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allemande. Vous êtes, à nos yeux, les grands représentants

d'une nation allemande que nous avons aimée d'un amour

vraiment fraternel et que nous n'avons pas cessé d'estimer.

La France vous salue, messieurs, et vous remercie, car elle

voit en vous l'avenir de l'Allemagne et l'espoir d'une récon-

ciliation entre les deux pays.

Le scandale que causa celte lettre savamment exploité,

contre les militants dela Sociale-Démocratie par Bismarck

et ses séides, ne découragea nullement l'ardeur combattive

de Bebel et de Liebknecht. Le débat sur la Constitution

proposée pour l'Empire fournit à Liebknecht l'occasion

d'une nouvelle et vigoureuse affirmation de principes.

Il avait fait tout d'abord le récit des aspira lions du peuple

allemand vers son unité nationale. Puis il déclara que l'unilé

qu'on allait créer était une déceplion. Elle était le résultat

d'un acte de violence d'en haut, sur lequel les princes s'é-

taient entendus et qu'on demandait simplement au Reichs-

tag de ratifier. On sentait, ajoutait-il, que la Constitution

avait pris naissance dans le camp militaire de Versailles,

mais les traités conclus avec les Etats allemands du Sud

démontraienlqu'il nes'agissaitmême pas d'une unité réelle.

La maison de Hohenzollern, dont les intérêts sont opposés à ceux

du fieuple allemand, est un obstacle pour l'unilé véritable de

l'Allemagne. Et il termina en déclarant que « le couronne-

ment du nouvel empereur devrait avoir lieu au Marché aux

Gendarmes, qui en est le symbole. Car cet empire ne pouvait

être maintenu que par les gendarmes » (1).

Le 11 décembre, la cession du Reichstag étant close,

Liebknecht et Bebel rendaient compte de leur mandat dans

une importante réunion publique à Leipzig, organisée par

« l'Union ouvrière social-démocrate », et parmi les audi-

(1) Bebel, ouvrage cité, p 201.

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leurs se trouvaient une foule d'officiers français, en civil,

qui étaient internés à Leipzig comme prisonniers de guerre.

C'était la dernière assemblée populaire que les vaillants

leaders de la Sociale-Démocratie devaient tenir de toute une

longue période. Dans une lettre écrite le 1er décembre à

Sorge, en Amérique, Hebel avait écrit: « La fureur des

milieux patriotiques contre nous est sans bornes. S'ils peu-

vent nous faire empoigner un de ces joursv ils le feront

sûrement et solidement » (1).

L'a chose ne devait pas tarder. Toute la presse bour-

geoise, savamment stylée par Bismarck, accusait les leaders

socialistes de liante trahison en faveur de la France. Leur

emprisonnement était demandée au gouvernement saxon à

la fois par le Grand Quartier Général allemand et parle

comte de Bismarck. Le 17 décembre, on venait arrêter Bebel

dans son atelier et le même jour Liebknecht était également

placé sous les verrons. Bebel devait y être gardé jusqu'au

28 mars 1871 — date à laquelle on dut mettre Bebel en

liberté pour l'ouverture du nouveau Reichstag; celui-ci

avait été élu au début du mois, dans les plus mauvaises

conditions politiques, au moment où Bismarck se targuait

de la paix victorieuse. Liebknecht avait été battu, et seul

avec Bebel, un militant obscur, Schraps, dont le rôle fut

nul — avait été élu.

Tout au long de cette campagne internationaliste admi-

rable menée au Reichstag et dans le pays, Liebknecht et

Bebel avaient agi en plein accord avec Marx et Engels. Le

Manifeste de l'Internationale du 9 septembre, les lettres

écrites ensuite nous en apportent la preuve. Les lettres

adressées par Marx à Kugelmann montrent l'identité de

leurs vues.

C'est ainsi que Marx écrit le 13 décembre 1870 et s'excuse

(l) Bebel, ouvrage ci lé, p. 204.

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266 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

tout d'abord de son long silence. Il a pour cause ses occu-

pations, « la guerre ayant rappelé en France la plus grande

partie des correspondants pour l'étranger au Conseil géné-

ral ». En outre « avec la liberté de la poste » qui règne

actuellement en Allemagneet tout particulièrement dans le

Hanovre, il estime « qu'il est dangereux, non pour lui,

mais pour ses correspondants étrangers qu'il leur écrive

ses opinions sur la guerre ». Il continue:

« Tu me demandes par exemple, notre première Adresse sur

la guerre. Je te l'avais envoyée; elle a probablement été saisie.

J'expédie aujourd'hui nos deux Adresses réunies en une seule

brochure, ainsi que l'article du professeur Beesly, paru dans la

Fortnightly Review et les Daily News d'aujourd'hui. Comme

cette feuille est de nuance prussienne, la chose portera. Le

professeur Beesly est comtiste et comme tel obligé de faire

valoir toutes sortes de « crotchets .» (1). Au reste, un homme

très brave et excellent. Il est professeur d'histoire à l'Université

de Londres.

« II semble qu'en Allemagne, on ne se soit pas contenté de

faire prisonnier le Bonaparte, ses généraux et son armée. On

a encore acclimaté tout l'impérialisme — avec toutes ses tares

— dans le pays des chênes et des tilleuls.

« Quant à ce qui est du bourgeois allemand, son ivresse ne

m'étonne en aucune façon. D'abord l'accaparement est le

principe vital de toute bourgeoisie, et prendre des provinces

étrangères est toujours « prendre ». De plus le bourgeois

allemand a accepté avec humilité de ses pères du peuple et

surtout des Hohemollern, tant de coups de pied, que ce doit

être pour lui une véritable jouissance que de les voir, pour

changer, appliquer à l'étranger.

« En tous cas, cette guerre nous a délivré de nos « républi-

cains bourgeois ». Elle amis fin par la terreur à l'existence dff

cette clique. Le résultat est important. Elle a fourni à nos pro-

(1.) Lubies, chimères.

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fesseurs la meilleure occasion de se ravaler aux yeux de l'uni-

vers, au rang de pédants serviles.

« Les conditions qu'elle amènera à sa suite feront la meil-

leure des propagandes en faveur de nos principes.

« Ici, en Angleterre.au début de la guerre,l'opinion publique

était ultra-prussienne. Elle est toute différente aujourd'hui-

Dans les « cafés chantants » par exemple, les chanteurs alle-

mands avec leur « Wacht am Rheim » sont sifflés, tandis

qu'on accompagne en chœur la « Marseillaise » des chanteurs

français. Indépendamment de la sympathie décidée des masses

populaires pour la République, du dépit ressenti par la « res-

pectabilité « à la nouvelle de l'alliance aujourd'hui évidente de

la Prusse et de la Russie, du ton impudent de la diplomatie

prussienne, la conduite de la yuerre, le système des réquisi-

tions, l'incendie des villages, les fusillades des francs-

tireurs, les prises d'otages et autres récapitulations de la

guerre de Trente-Ans, ont excité l'indignation générale.

«. Evidemment les Anglais ont agi de même dans l'Inde, à la

Jamaïque, etc... Mais les Français, ne sont ni des Hindous, ni

des Chinois, ni des Nègres, et les Prussiens ne sont pas des

« haevenborn Englishmen » (1).

« C'est vraiment une idée digne d'un Hohenzollern que de

faire un crime à une nation de continuer à se défendre

quand sort armée permanente comprend tout le monde. En

fait la guerre menée par le peuple prussien contre Napoléon 1er

déplaisait souverainement à ce brave Frédéric-Guillaume III.

On peut s'en convaincre en consultant l'histoire consacrée par

le professeur Partz à Gneisenau qui, dans saLandsturm, érigea

en système la guerre de francs-tireurs. Frédéric Guillaume

avait le cœur ulcéré de voir le peuple se battre par ses propres

forces et sans ordres supérieurs ».

Mais Marx ne s'en tient pas à cette virulente critique des

méthodes de guerre de Guillaume Ier et de Bismarck, il

escompte avec une évidente joie tous les obstacles que la

(1) Dés divins Anglais.

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nation française leur oppose et tous les échecs qu'elle

pourra leur infliger. Car il continue ainsi:

« Cependant, il ne faut pas trop chanter victoire. La

guerre peut encore prendre une tournure très désagréable.

On ne comptait pas sur la résistance de l'armée de la Loire

et la dispersion à droite et à gauche des forces allemandes peut

faire régner la terreur, mais en fait, n'a d'autre résultat que

de provoquer la défensive sur tous les points et d'affaiblir

l'offensive. Le bombardement dont on menace Paris est un

simple truc. Suivant toute probabilité il ne pourra pas pro-

duire un effet sérieux sur la ville elle-même. Que l'on abatte

quelques villages avancés, que l'on fasse brèche, à quoi cela

sert-il quand le nombre des assiégés est plus grand que celui

des assiégeants? Et quand les assiégés se battent admirable-

ment bien dans les « sorties » tandis que les assiégeants se

défendent derrière des tranchées; qu'arrivera-t-il quand les

rôles seront changés?

« Affamer Paris serait le seul moyen efficace. Mais si ta

résistance dure suffisamment pour que des armées arrivent

à se constituer et que la guerre populaire s'organise en pro-

vince, on n'aura fait, que déplacer le centre de gravité.

« D'ailleurs, même après la capitulation, Paris qui ne se

laissera pas occuper et tenir en respect par une poignée

d'hommes, immobilisera une grande partie des envahisseurs.

« Mais quelle que soit l'issue de la guerre, elle n'en aura

pas moins exercé le. prolétariat français aux armes et c'est

là qu'cxt la meilleure garantie de l'avenir ».

En môme temps, Marx revient avec une visible satisfac-

tion au revirement anti-prussien de l'opinion anglaise:

« Le ton impudent que la Kussie et la Prusse prennent à

l'égard de l'Angleterre pourrait les conduire à des conséquen-

ces tout à fait inattendues et fort désagréables. Voici la chose :'

au traité de Paris en 1856, l'Angleterre s'est elle-même désar-

mée. C'est une puissance maritime et vis-à-vis des grandes

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puissances militaires du Continent, elle ne peut jeter dans la

balance que les moyens employés dans une guerre navale.

Le moyen infaillible dont elle disposecV.sY la suppression tem-

poraire du commerce transatlantique des continentaux. Il

repose principalement sur l'application du principe qui permet

de saisir des marchandises ennemies sur des navires neutres.

Les Anglais ont renoncé à ce droit maritime 'avec d'autres

« droits » semblables) parla déclaration annexée au Traité de

Paris. Clarendon le fit sur les ordres secrets du russopliile Pal-

merston. Mais la déclaration ne constitue pas une partie inhé-

rente au traité ; elle n'a jamais été légalement sanctionnée en

Angleterre.

« Messieurs les Russes et Messieurs les Prussiens comptent,

sans leur hôte; ils se figurent que l'influence de la Reine, qui

par intérêt de famille est devenue prussienne, et l'imbécilité

d'un Gladstone empêcheront au moment décisif John Bull de

jeter par dessus bord l'obstacle qu'il s'est lui-même créé (1). En

quelques semaines il peut toujours donner le coup de grâce

au commerce maritime de la Russie et de la Prusse. Nous

aurons alors l'occasion de considérer les figures allongées des

diplomates de Pétersbourg et de Berlin et celles plus longues

encore de nos« Kraftpatrioten ». Qui vivra verra».

L'intérêt passionné avec lequel Marx et Engels suivent

l'œuvre de la Défense Nationale ne fait que croître au furet

à mesure que la lutte semble plus désespérée. S'ils avaient

pensé au début de septembre que la classe ouvrière fran-

çaise ne devait pas se griser de l'idéologie de 1792, c'est

qu'ils croyaient qu'une paix raisonnable était alors possible

et serait aisément obtenue de Bismarck. Devant les préten-

tions brutales des dirigeants allemands, devant l'admirable

résistance de la France républicaine, leurs sympathies se

manifestent de plus en plus" ardentes pour elle. Edouard

(1) C'est ce qui devait se produire en effet en 1914, par l'établis-

sement du blocus de l'Allemagne.

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Page 274: La politique internationale du marxisme

270 LA POLITlgUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Vaillant, Charles Longuet nous ont appris que Engels,

songea même à aller mettre ses connaissances militaires

au service de la France et à offrir ses conseils à Gam-

betta (1).

Marx et tout son entourage s'emploient activement à

aider la France; son ami le professeur Beesly polémique

avec les Daili/ News qui représentent par excellence, ainsi

que l'écrit Marx, « l'opinion prussienne». Le 18 décembre,

il lui adresse une lettre véhémente où il se défend d'avoir

été, comme on l'avait écrit, pour la non-intervention au

début, alors qu'il était maintenant partisan d'une interven-

tion de l'Angleterre en faveur de la France:

« Au début, écrit Beesly, je n'ai pas cache mon opinion

que l'Angleterre aurait dû intervenir pour empêcher une atta-

que contre lAllemagne. Mais je ne l'ai'ni écrit, ni déclaré

publiquement: d'abord parce que l'Allemagne n'avait pas

xbesoin de notre aide dans la même mesure où la France en a

besoin actuellement, ensuite j'ai été loin de Londres pendant

les cinq premiers mois de la guerre » (2).

Le 16 janvier 1871. Karl Marx adressait la lettre suivante

au directeur des Dailij News (3), appel vibrant en faveur

de la France envahie, en même temps que protestation

indignée contre le traitement infligé à Bebel, à Liebknecht

et aux autres socialistes allemands qui s'étaient élevés

contre la politique bismarckienne:

(11 Marx l'en dissuada, nous apprend Ch. Longuet. « Ne te fie pas

à ces républicains bourgeois, lui dil-il ; responsables ou non, au

premier accroc tu seras fusillé comme espion » (La Commune de

Paris, préface, p. XVI).

(2) Dailij News du 18 décembre 1870.

(3) II parut dans les Daily News du 19 janvier 1871 sous le titre

« La liberté de la presse et la liberté de la parole en Allemagne ».

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LA GUEKHB FRANCO-ALLEMANDE

271

Monsieur,

« Quand Bismarck accuse le gouvernement français « d'avoir

rendu impossible la libre expression de l'opinion en France

par-la presse et par ses députés » (1), il n'a évidemment voulu

que se livrer a une plaisanterie berlinoise. Si vous voulez con-

nattre la « véritable » opinion française, il vous faudra vous

adresser il M. Stieber, rédacteur du Moniteur de Versailles.,

et mouchard prussien fameux.

« Sur l'ordre exprès de Bismarck, MM. Bebel et Liebknecht

ont été emprisonnés sous l'inculpation de haute trahison, sim-

plement parce qu'ils ont osé remplir leurs deroirs de dépu-

tés allemands en protestant dans le Rewhstag contre l'anne-

xion de l'Alsace et de la Lorraine, en refusant les nouveaux

crédits de guerre, en exprimant leurs sympathies à la Répu-

blique française et en dénonçant les efforts fails pour transfor-

mer (Allemagne en une caser ne prussienne. Pour avoir exprimé

les mêmes opinions les membres du Comité de Brunswick du

Parti Social-Démocrate sont traités depuis la fin do septembre

comme des galériens et sont encore actuellement sous le coup

de grotesques poursuites pour haute trahison. Le même sort

attend de nombreux ouvriers qui ont répandu le manifeste du

Comité de Brunswick.

« C'est sous de semblables prétextes que M. Hepncr, second

rédacteur du Leipsiger Volksstaat a été inculpé de haute tra-

hison. Les quelques journaux indépendants qui existent en

dehors de la Prusse sont interdits dans les pays soumis aux

Hohenzollern. De nombreuses réunions organisées en faveur

de la conclusion d'une paix honorable avec la France sont

journellement dissoutes par la police en vertu de la doctrine

prussienne officielle que le général Vogel von Falkenstein a si

naïvement proclamée: tout Allemand se rend coupante de

haute trahison en cherchant à contrarier les buts que pour-

suit la Prusse en menant la guerre comme elle le fait.

(1) Bismarck s'était élevé « au nom de la liberté d'opinion » con-

tre les mesures prises par Gambetta à rencontre des anciens servi-

teurs du Second Empire, qu'il voulait proclamer inéligibles aux

élections pour l'Assemblée Nationale.

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272 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MABX1SME

« Si MM. Gambetta et consorts étaient obligés comme les

Hohenzollern d'opprimer violemment l'opinion publique, ils

n'auraient pour le faire qu'à employer la méthode prussienne

et sous prétexte, qu'on est en guerre appliquer l'état de siège à

toute la France.

«< Les seuls soldats français qui se trouvent sur le territoire

allemand pourrissent dans les prisons prussiennes. Le gouver-

nement prussien ne s'en croit pas moins obligé de maintenir

l'état de siège, la forme la plus irritante du despotisme mili-

taire, la suppression de la loi. Le sol français est couvert de

plus d'un million d'Allemands, d'agresseurs ! Et cependant

le gouvernement français peut sans crainte renoncer aux

méthodes prussiennes, pour « faciliter la libre expression des

opinions ».

« Que l'on compare le tableau que nous offrent les deux

pays!

« L'Allemagne est un domaine trop étroit encore pour l'en-

thousiasme sans borne que professe Bismarck pour la liberté

d'opinion. Quand les Luxembourgeois donnèrent libre cours

à leurs sympathies envers la France, Bismarck trouva dans

cette expression de sentiment un prétexte pour se soustraire

au traité de neutralité de Londres.

« Quand la presse belge se fut rendue coupable de la même

faute, l'ambassadeur de Prusse à Bruxelles, M. Von Balan,

invita le ministre de ce pays non seulement à supprimer tous

les articles de journaux hostiles à la Prusse, mais encore à

interdire la publication des correspondances destinées à

exciter les Français à montrer plus d'ardeur encore dans

leur guerre de délivrance. C'était en fait une exigence bien

modeste, il fallait supprimer la constitution belge « pour le

roi de Prusse ».

« A peine des journaux de Stockholm s'étaient-ils permis

quelques légeres plaisanteries sur la bigoterie notoire de Guil-

laume, que Bismarck envoyait au cabinet suédois des circu-

laires courroucées. Il réussit même à trouver sous le méridien

de Saint-Pétersbourg, une presse à laquelle on faisait trop peu

sentir le frein. A son humble requête, les rédacteurs des jour-

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naux les plus importants de cette ville furent appelés devant le

censeur, qui les invita à s'ahslenir de toute remarque critique

sur le fidèle vassal du tzar. L'un de ces journalistes M. Sagou-

liaefffut assez imprudent pour dévoiler le secret de cet avertis-

sement dans les colonnes du Go/os. La police russe se jeta sur

lui et l'expédia dans quelque province éloignée.

i II serait faux de supposer que celte politique de gendarme

doit être uniquement attribuée à un paroxisinc de fièvre guer-

rière. C'est bien plutôt l'applicalion vraie, méthodiqtfe de l'es-

prit des lois prussiennes. Il exisle en effet une étrange disposi-

tion dans le Code pénal prussien ; en vertu de cet article tout

. étranger peut être poursuivi dans son pays ou dans tout autre

« pour injures adressées au roi de Prusse » ou « pour haule

trahison envers la Prusse »!

« La France — et sa cause est heureusement loin d'être

désespérée, — combat en ce moment non seulement pour son

indépendance nationale, mais pour la liberté de l'Allemagne

et de l'Europe ».

Le lendemain — le 17 janvier— écrivant au nom du

Conseil général de l'Internationale à Jung — représentant

de la Suisse, —Marx lui indiquait les vives critiques qu'a-

vait soulevées le Fetleisen, organe des sociétés ouvrières

allemandes de Suisse, pour avoir « préconisé l'annexion de

l'Alsace et île la Lorraine à l'Allemagne » ?n «. flagrante oppo-

sition avec les circulaires du Conseil général ». Il ajoutait que

si ces sociétés persistaient dans une semblable attitude, «le

Conseil général usant des droits qui lui avaient été confé-

rés par le Congrès de Baie, prononcerait leur exclusion de

l'Internationale » (1).

Cependant la lutte approchait de son terme. En dépit des

(1) Lettre de Marx à Jung, le 17 janvier 1871, cité par Jacckh, Die

Internationale, p. 235.

JEAN LONGUKT

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274 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

protestations ardentes de Gambette, de tous les républi-

cains et révolutionnaires avec Victor Hugo, Louis Blanc,

Blanqui, la majorité réactionnaire du gouvernement de la

Défense Nationale signait l'armistice. C'était alors la

furieuse polémique entre « capitulards » conservateurs et

« outranciers » — parisiens surtout — qui demandaient la

continuation de la guerre plutôt que la mutilation du terri-

toire, la paix, honteuse que Jules Favre et Thiers vont

maquignonner. Le « sinistre vieillard » avec sa mentalité

étroite de féroce bourgeois et propriétaire déclarait à Chau-

dordy, « qu'il était disposé à abandonner un peu plus de

territoire pour payer une indemnité moins élevée (!) La

terre, disait-il, se retrouve toujours à sa place tandis que

l'argent parti ne revient jamais » (1). Il n'est pas surprenant

qu'avec de pareils principes il ait cédé avec l'Alsace, Metz

et la Lorraine orientale que Bismarck lui-même n'avait pas

voulu d'abord accorder aux appétits de Moltke et de l'Etat-

Major prussien.

Tandis que des hommes d'Etat français dans leur sor-

dide égoïsme capitaliste consentent ces lâches abandons,

ils révoltent le socialiste allemand — mais par dessus tout

internationaliste et européen — qu'est Karl Marx. Le 14

février 1871, il exprime ces sentiments sous la forme la plus

vigoureuse dans une longue et vibrante lettre à Kugel-

mann:

«.Tu sais quelle opinion j'ai des « héros de la bourgeoisie ».

MM. Jules Favre et Cie (suspects depuis le gouvernement pro-

visoire et l'époque de Cavaignac) ont cependant encore dépassé

mes prévisions. Ils ont commencé par permettre au « sabre

orthodoxe », au « crétin militaire » — c'est ainsi que Blanqui

caractérise justement Trochu — de réaliser son « plan ». Il

consistait à prolonger la résistance de Paris à l'extrême, jus-

(1) Histoire contemporaine de Larousse, p. 7.

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qu'à la famine, en limitant l'offensive à des mouvements simu-

lés, des « sorties platoniques ». J'ai eu connaissance d'une

lettre écrite par Jules Favre lui-même à Gambetta. Il s'y plaint

de n'avoir pu, ni lui, ni les autres membres du gouvernement

restés à Paris, pousser Trochu à prendre sérieusement l'offen-

sive. Trochu répondait toujours que la démagogie parisienne

en profiterait pour prendre le dessus. Gambetta lui répondit:

« Vous avez prononcé votre condamnation ».

« Plutôt que de battre les Prussiens, Trochu préférait tenir

de court les Rouges à Paris, grâce à ses gardes du corps bre-

tons qui lui rendaient les mêmes services que les Corses à Louis^

Bonaparte. Tel est le véritable secret des défaites essuyées non'

seulement à Paris mais partout en France, où la bourgeoisie a

agi d'après le même principe d'accord avec la majorité des

autorités locales.

« Après que le plan de Trochu eut été exécuté jusqu'au bout

— quand Paris se vit' forcé de se rendre ou de mourir de

faim — Jules Favre et Cie n'avaient plus qu'à suivre tout sim-

plement l'exemple du commandant de la citadelle de Tours.

Il ne capitula pas: il se contenta de déclarer aux Prussiens que

le manque de vivres le forçait à abandonner la défense et à

leur ouvrir les portes: ils pouvaient faire ce qui leur plairait.

« Jules Favre ne se contenta pas de signer une capitulation

de forme. Après s'être fait faire prisonnier « du roi de Prusse »

avec ses collègues du gouvernement, après avoir rendu Paris, il

eut l'impudence d'agir au nom dela France toute entière. Que

savait-il de l'état de la France en dehors de Paris? Absolu-

ment rien, sauf ce que Bismarck avait la gracieuseté de lui

communiquer.

« Mieux encore. « Messieurs les prisonniers du roi de

Prusse » vont plus loin et déclarent que la partie libre du gou-

vernement français réfugiée à Bordeaux a perdu ses pleins

pouvoirs et que l'on ne peut plus agir que d'accord avec les

prisonniers du roi de Prusse ! Comme prisonnier de guerre, ils

ne pouvaient cependant plus écrire que sou? la dictée de leurs

vainqueurs. Aussi proclamaient-ils le roi de Prusse de fado,

autorité souveraine en France ! »

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270 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

Après s'être ainsi élevés contre l'attitude des « capitu-

lards » qui avaient eu « moins de pudeur que Louis-Bona-

parte lui-même », après Sedan, et observé que Jules Favre

« pouvait tout au plus accepter sous condition un armistice

pour toute la France », il ajoutait:

« Rendu insolent par l'usurpation de ses prisonniers, qui

comme tels, continuent à jouer aux gouvernants français, Bis-

marck intervient son* ;/ène dans les affaires intérieures de la

France Bismarck le Noble proleste contre le décret de Gam-

- betta relatif aux élections générales à l'Assemblée parce qu'il

porte atteinte à la liberté électorale: En vérité! Gambetta

devrait répondre par une protestation contre l'état de siège et

toutes ses autres mesures qui suppriment la liberté dans les

élections au Reichstag. »

Mais Marx ne s'en tient pas à cette âpre critique de Bis-

marck et des gouvernantscapitulards. Envisageant l'avenir

immédiat, il formule les espérances les plus optimistes

pour la cause de la France:

« Je souhaite que Bismarck s'en tienne à ses conditions de

paix ! 400.000.000 de livres sterlings (1) comme indemnité de

.guerre — la moitié de la dette anglaise! Les bourgeois eux-

mêmes finiront par comprendre gué, même en mettant les cho-

ses au pire, ils ne pourront que ijaaner à la continuation de

la guerre.

« Le « mob » (le vulgaire), distingué ou non, nejuge que par

l'apparence, la façade, le succès immédiat. Pendant 20 ans, il

a l'ait l'apothéose de Louis-Bonaparte à travers le monde. Même

à son apogée je l'ai démasqué comme une canaille vulgaire.

J'ai la même opinion du junker Bismarck. Néanmoins, je ne

tiens pas Bismarck, pour aussi sot qu'on pourrait le croire, si

(1) Soit 10 milliards; c'était la somme énorme que Bismarck

avait d'abord demandée."

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sa diplomatie était spontanée. La Chancellerie russe l'a pris

dans un filet que seul un lion pourrait déchirer et ce n'est pas

un lion.

« Ainsi Bismarck exige que la France lui livre 20 de ses

meilleurs vaisseaux de guerre et dans l'Inde, Pondichéry. Une

telle idée ne peut émaner d'un diplomate prussien véritable. II

saurait en effet que Pondichéry une fois allemand ne serait

qu'un gage allemand aux mains de l'Angleterre, que celle-ci

qyand elle le voudra, capturera les 20 navires prussiens avant

qu'ils soient entrés dans la Baltique; de telles exigences rie

peuvent avoir au point de vue prussien, que le but — absurde

— d'inspirerde la défiance à John Bull, avant que les Prussiens

ne soient « sortis du bois français ». Mais la Russie avait intérêt

à amener ce résultat pour s'assurer davantage le vasselage de

la Prusse »!

Et il enregistre avec joie, le revirement qui s'est produit

en Angleterre, en faveur de la France:

« En fait, ces exigences ont amené un revirement complet

dans les idées pacifiques de la bourgeoisie anglaise. Tout le

inonde réclame la guerre à grands cris. Cette provocation

adressée à l'Angleterre, ses intérêts compromis, affolent même

les bourgeois. Il est plus que vraisemblable que grâce à cette

sagesse bien prussienne, Gladstone et C'e seront chassés du

pouvoir et remplacés par un ministère qui déclarera la

guerre à la Prusse.

« D'autre part, la perspective en Russie n'est pas plus ras-

surante. Depuis que Guillaume s'est changé en un empereur,

le parti vieux-moscovite anti-prussien ayant pour chef l'héri-

tier présomptif est rentré complètement en faveur. Il a l'opinion

publique pour lui. Il n'entend rien à la subtile politique de

Gortshakoff. Aussi est-il probable que le tsar changera entiè-

rement l'orientation de sa politique extérieure ou qu'il sera

obligéjde mordre la poussière comme ses prédécesseurs Alexan-

dre I«r, Paul,, et Pierre III.

« S'il se produisait smultanément en Angle.terre'el en Rus-

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278 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

sie un semblable bouleversement dans leur politique, qu'ad-

viendrait-il de la Prusse ? Actuellement ses frontières du nord-

est et du sud-est sont ouvertes à l'invasion, les moyens de

défense de l'Allemagne sont épuisés. Il ne faut pas oublier que

l'Allemagne prussienne a envoyé depuis le début de cette

guerre 1.500.000 hommes en France et" qu'il n'en reste plus

qu'environ 700.000 sur pied. ,

« Malgré l'apparence du contraire, la situation de la

Prusse n'est rien moins qu'agréable ». «

Et Marx continuait par cette ardente profession de foi

dans la résistance française et dans ses possibilités de

de succès:

« Que la France tienne bon, quelle utilise l'armistice à

réorganiser son armée et donne enfin à la guerre un carac-

tère vraiment révolutionnaire — cet astucieux Bismarck fait

tout ce qu'il faut pour y arriver — et le nouvel Empire Borusso-

Germamque pourrait bien recevoir un baptême fort inat-

tendu » (1).

Mais les dirigeants réactionnaires et « l'Assemblée du

jour de malheur » n'avaient pas la même confiance da'ns

les possibilités de la résistance. Ils ne songèrent même pas

à utiliser les dispositions de plus en plus sympathiques à

.la France, de l'Angleterre, de l'Autriche et même de la

Russie — que le prétendu « pangermaniste » Karl Marx

signalait avec tant de clairvoyance. Ils étaient prêts à

accepter la main de Bismarck — pour être à même de

tourner toutes leurs forces, leurs énergies contre le prolé-

tariat parisien.

La révolution communaliste du 18 mars en résulta. Elle

fut suivie avec un enthousiasme fervent par Marx. Lors-

i1) Lettre de Marx à Kugelinann, du 14 février 1871, publiée dans

le Mouvement socialiste du 15 octobre 1903, p. 189.

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Page 283: La politique internationale du marxisme

LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE 279

qu'elle eut été écrasée, « le grand philosophe socialiste pour

'la glorification et la revanche du socialisme vaincu devint

un grand et immortel pamphlétaire » (1). C'est dans les

premiers jours de juin 1871, que parut ce troisième Mani-

feste de l'Internationale, rédigé par Marx à la gloire de la

Commune de Paris. Il n'entre pas dans' le cadre de cette

étude d'en donner le texte, ni d'en faire l'analyse.

Il nous suffira de relever en quels termes enthousiastes

Marx y parle du prolétariat français, quelle place éminente

il lui donne dans la lutte internationale du prolétariat. Si

en juillet 1870, lors des premiers événements de la guerre

Marx avait-envisagé le déplacement "du centre de gravité

du mouvement ouvrier européen de France en Allemagne,

un an après, il écrivait : « A une portée de canon de

l'armée prussienne qui venait d'annexer deux provinces

françaises à l'Allemagne, la Commune annexait à la France,

les travailleurs du monde entier ». Et rappelant le bas

cosmopolitisme du Second Empire, attirani à lui « la

fripouille de tous les pays », il montrait la Commune

« admettant tous les étrangers à l'honneur de mourir pour

sa cause immortelle ». Il exaltait l'ouvrière parisienne qui

« se montrait héroïque, noble, dévouée, comme une

Romaine de l'antiquité ». Il dénonce l'entente de Bismarck

avec Thiers:

« Bismarck dévore des yeux les ruines de Paris, il y a vu

peut-être un premier accompte de cette destruction générale

des grandes villes, objet de ses vœux en 1849, alors qu'il n'était

encore qu'un simple rural à la Chambre introuvable de Prusse.

Il dévore des yeux les cadavres des prolétaires de Paris. Pour

lui, ce n'est pas seulement la Révolution exterminée, mais

aussi la France éteinte, la France en réalité décapitée et par

(1) Charles Longuet. Préface à la Commune de Paris de Marx,

p. V.

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le gouvernement français lui-même... La Prusse, elle, avait

annoncé sa neutralité. Elle n'était pas un belligérant. Elle

joua le rôle de bravo, de bravo lâche puisqu'elle ne courait

aucun danger et de bravo stipendié, puisqu'elle avait d'avance

stipulé que le prix du sang, les 500 millions, lui serait payé à

l'heure où Paris succomberait. Ainsi enfin, on voyait ressortir

lumineux le vrai caractère de celte guerre, gue la Providence

avait ordonnée pour châtier la France impie et débauchée

par Ie bras de la pieuse et morale A llemagne!

« Ainsi après la guerre la plus gigantesque des temps moder-

nes, ajoutait Marx, on voit l'armée victorieuse et I'armée vain-

cue fraterniser pour massacrer en commun le prolétariat ».

Et le Manifeste se terminait par ce véritable hymne à la

gloire du prolétariat parisien:

« Le Paris des ouvriers de 1871, le Paris de la Commune,

sera à jamais célébré comme l'avant-coureur d'une société

nouvelle. La mémoire de ses martyrs vivra comme en un sanc-

tuaire dans le grand cœur de la classe ouvrière. Les extermi-

nateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel et toutes

les prières de leurs prêtres n'arriveront pas à les racheter ».

Cependant Bebel et Liebknechtcontinuaient jusqu'au bout

à s'élever contre la solution apportée par le « droit ,de la

force » au 'conflit entre la France et l'Allemagne. Le 2 mai

1871, à la tribune du lleichstag, Bebel déclarait:

« Je proteste contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine parce que

de la considère comme un crime contre le droit des peuples et

comme une honte dans l'histoire du peuple allemand ».

Leur procès pour haute trahison, après avoir été long-

temps ajourné, venait enfin devant la Cour de Leipzig. Le

27 mars 1872 ils étaient condamnés à 18 mois de forteresse

pour « haute trahison ». Le lendemain de leur condamna-

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tion un républicain bourgeois, M. Lavertujon, admirant la

vaillance des inculpés,écrivait ce qui suit dans la Gironde:

« Bebel et Liebknecht ont droit à l'estime, à la reconnais-

sance de tous les Français, sans distinction d'opinion, pourvu

qu'ils aient au cœur l'amour de la pairie ».

Et Auguste Vacquerie affirmait dans le Rappel:

« La France a partout des ennemis mais elle a aussi partout

des amis. Le patriotisme qui confondrait les uns avec les

autres ne serait pas seulement de l'injustice, ce serait de

l'anti-patriotisme (\). »

Sages paroles que nous livrons aux réflexions des diffa-

mateurs Je Marx et de ses amis.

(1) Paroles citées par Jules Guesde dans son interpellation à la

Chambre le 20 février 1897 (Officiel du 21 février 1897).

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CONCLUSION

En suivant dans son développement historique l'action

de Marx et d'Engels en face des grands problèmes de la

politique internationale qui se sont posés de leur temps,

— en accumulant, même au risque de fatiguer le lecteur,

une documentation précise et complète, nous croyons avoir

établi de quelle véritable falsification historique le grand

public et même le public socialiste, ont été victimes ces

temps derniers et principalement à l'occasion du Centième

anniversaire de la naissance de Marx.

Entre les conceptions de politique étrangère des diplo-

mates, des capitalistes et des gouvernants réactionnaires,

avec leurs appétits de conquête et leurs ambitions impéria-

listes — et la politique internationale du marxisme — il y

a un véritable abîme. Jamais doctrine ne fut aussi éloignée

du pangermanisme comme du panslavisme — comme de

toute politique étrangère qui « unie par de criminels dess

seins et mettant en jeu les préjugés nationaux, répand dan-'

des guerres de pirates le sang et l'argent du peuple » (1).

Quel programme d'action, Marx traçait-il au proléta-

riat? « Percer à jour les intrigues de la diplomatie secrète

en se mettant au courant de ses mystères, surveiller la con-

duite de ses gouvernements respectifs en la combattant au besoin

(1) Déclaration inaugurale citée plus haut.

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par tous les moyens en leur pouvoir ». Lorsqu'ils seront

impuissants à rien empêcher c s'entendre pour une protesta-

tion commune et revendiquer les lois de 11 morale et de la jus-,

tice qui doivent gouverner les relations des individus, comme la

règle suprême des rapports entre les nations ». Et il ajoutait que

« combattre pour une telle politique étrangère, c'était pren-

dre part à la lutte générale pour l'affranchissement des tra-

vailleurs ».

Point n'est besoin d'insister sur la hauteur de vue, la

noblesse aussi bien que la franchise d'une telle doctrine,

d'un semblable programme d'action.

Un des plus courageux et des plus clairvoyants socialis-

tes d'Allemagne, l'illustre théoricien qu'est Edouard Bern-

stein, commentant ces textes, écrivait dans une étude

récente:

« Tout ceci est si clair qu'il est impossible de s'y tromper.

On y proclame:

1° L'indépendance de toutes les nations, en ce sens qu'au-

cune d'elle ne doit être soumise à u.ne autre, ni exploitée par

une autre;

2« La coopération des démocraties ouvrières pour les inté-

rêts supérieurs de l'émancipation commune;

3° Le devoir des démocraties ouvrières de s'élever contre

les brigandages de nation à nation, de lutter pour le respect

de la morale et du droit, dans les relations entre Etats de

la même façon que dans les relations entre particuliers » (1).

Et Bernstein, fait justement observer que tandis qu'elle

condamne toutes les politiques d'impérialisme et de chau-

vinisme cette conception s'oppose également à l'anti-patrio-

tisme ou tout au moins à l'a-patriotisme d'une fraction du

•^

(1) Revue politique internationale de Lausanne, juillet-août 1916,

l'Impérialisme économique et la Social-Démocratie, par E. Berns-

tein.

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284 4.A POLITIQUE INTERNATIONALE DÛ MARXISME

socialisme contemporain. « La politique préconisée par

l'extrême gauche de la Social-Démocratie, à la conférence

de Zimmerwald avec son mépris pour tout intérêt national,

n'aurait en aucune façon reçu l'approbation des fondateurs

de l'Internationale ».

Pour être fixé à cet égard il suffit de se rapporter aux

testes que nous avons déjà cités et en particulier aux lettres

des 7 et 20 juin 1866 où Marx s'élève avec tant de force

contre l'anti-patriotisme idéologique des jeunes Proudho-

niens qui condamnaient « les nationalités comme des bêti-

ses », considéraient les nations « comme des préjugés

surannés » et faisaient du « Stirnerianisme proudhoni-

sant ».

Nous avons vu comment dans la pratique Marx appliqua

rigoureusement ses principes et y conforma son action. Il

est partisan de l'unité allemande, mais jamajs il ne la

conçoit sous la forme de « l'empire borusso-germanique »

qu'il crible de ses traits. "Nous avons constaté avec quelte

puissance dialectique il condamna en 1870-1871 ses appé-

tits, ses convoitises, avec quelle vigueur impitoyable il

détruisit ses sophismes. Sa réfutation de la théorie des

frontières naturelles ou stratégiques demeure certainement

une des .démonstrations les plus fortes qu'on ait écrites

sur cette question.

Jamais, ni de près, ni de loin, il ne fît de concession au

chauvinisme allemand. Toujours, il conserva sans y appor-

ter aucune compromission ni atténuation la préoccupa-

tion essentielle et fondamentale de l'internationalisme pro-

létarien qui domine toute sa politique extérieure. Aux

nombreux textes que nous avons déjà cités, il nous faut

ajouter quelques pages remarquables, qu'à la fin de sa vie

en 1875, à la veille du congrès d'unification de Gotha, il

adressait à ses amis du parti d'Eisenach, auxquels il repro-

chait — dans leur ardeur à réaliser la fusion avec les las-

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salliens — de sacrifier des principes fondamentaux. I!

s'agissait entre autres d'un article du programme élaboré

en commun par les deux fractions jusqu'alors divisées du

socialisme allemand et qui était ainsi conçu : « La classe

ouvrière travaille à son affranchissement tout d'abord dans

les cadres de l'Etat national actuel, sachant bien que le résul-

tat nécessaire des efforts qui lui sont communs avec les

travailleurs de tous les pays civilisés, sera la fraternité

internationale des peuples ».

Dans cette phrase qui pourrait paraître suffisamment

nette à maints internationalistes, Marx aperçoit immédia-

tement l'influence de Lassalle qui, « contrairement au

« Manifeste Communiste » et en opposition avec le déve-

loppement ultérieur du socialisme tout entier, avait conçu

le mouvement ouvrier du point de vue le plus strictttment natio-

nal. On le suit sur ce terrain, et cela après l'action de l'In-

ternationale »!

Et il poursuit:

« II va de soi que, pour pouvoir combattre, la classe des

travailleurs doit tout d'abord s'organiser comme classe chez

elle et que l'intérieur du pays est pour elle le théâtre immé-

diat de la lutte. C'est dans ces limite* que le combat des clas-

ses est, non pas « quant à don contenu <•. mais comme le dit

le « Manifeste Communiste », quant à sa forme, national.

Jamais l'affirmation internationaliste ne fut condensée

en une formule plus forte, dans son caractère synthétique:

c'est la forme du combat des classes qui est pour chaque

prolétariat, national, mais le contenu, la substance de sa

lutte est international.

« Mais le « cadre de l'Etat national actuel », ajoute-t-il,

c'est-à-dire de l'empire allemand, figure lui-même à son tour,

au point de vue économique dans le « cadre du marché universel »

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286 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

et au point de vue politique dans le « cadre du système inter-

national ». Le premier venu parmi les commerçants sait que

le commerce allemand est en même temps commerce extérieur

et la grandeur de M. de Bismarck consiste justement dans

« une sorte de politique internationale ».

« A quoi le parti ouvrier allemand réduit-il son interna-

tionalisme ? A la conscience que le résultat de son effort sera

la « fraternité internationale des peuples ». Une phrase emprun-

tée à la Ligue bourgeoise pour la liberté et la paix, qui doit

tenir lieu de la véritable fraternité internationale des classes

ouvrières dans leur combat commun contre les classes

dominantes et leurs gouvernements. Des fonctions interna-

tionales de la classe ouvrière allemande, donc pas un mot!

Alors qu'elle doit rendre la parole à sa propre bourgeoisie qui

fraternise déjà contre elle avec la bourgeoisie des autres pays,

ainsi qu'à la politique d'entente internationale de M.,de Bis-

marck ! (1) »

Dans ces conditions Marx estime que la déclaration

d'internationalisme du programme de Gotha « reste incom-

parablement au-dessous des déclarations libres échangis-

tes », car à la différence de celui-ci elle ne fait rien pour

atteindre son but. Il ajoute cette observation intéressante

sur le rôle de l'Association Internationale:

« L'activité internationale des classes ouvrières, ne dépend

en aucune façon de l'existence de VAssociation internatio-

nale des travailleurs. Cette Internationale ne fut-que la pre-

mière tentative pour donner un organe central à cette activké,

tentative qui a des résultats durables par l'impulsion qu'elle a

donnée, mais qui sous sa première forme ne put survivre à la

chute de la Commune » (2).

Plus loin, nous trouvons une forte affirmation républi-

(1) Karl Marx, Lettre sur le programme de Gotha, p. 28

(2) Idem, p. 29.

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caine. Revenant sur la phrase où le parti ouvrier allemand

déclare « se mouvoir dans les cadres de l'Etat national

actuel, donc dans son Etat, l'empire prussien allemand »,

il observe qu'il « ne fallait pas alors oublier cette chose

capitale, que toutes ces belles amusettes impfîquent la

reconnaissance dela soi-disant souveraineté populaire et

ne sont à leur place que dans une république démocratique ».

« Puisqu'on n'est pas en situation de prétendre — et on a

raison, l'état des choses commande la prudence — à la Répu-

blique démocratique, comme le faisaient dans leurs pro-

grammes les travailleurs français sous Louis-Philippe et

Louis-Napoléon, on n'aurait pas dû hypocritement réclamer

des réformes, compréhensibles seulement dans une Républi-

que démocratique, d'un Etat qui n'est qu'un despotisme mili-

^taire ayant pour base une bureaucratie, pour, soutien une

police, agrémentée de formes parlementaires, avec un mélange

d'éléments féodaux et d'influences bourgeoises déjà agissan-

tes »(<).

%

Dans la dernière partie de sa virulente critique, exami-

nant-l'article du programme de Gotha qui réclame le.

monopole de l'enseignemen.t par l'Etat, Marx écrit:

« Une chose tout à fait à rejeter, c'est une éducation du

peuple par l'Etat. Ce qu'il faut plutôt c'est proscrire au même

titre de l'école toute influence du gouvernement et de l'Eglise.

Dans l'empire prusso allemand d'aujourd'hui... c'est au con-

traire Y Etat qui a besoin d'être rudement éduquépar le peu-

ple... (2).

Représenter l'homme qui a écrit ces. choses comme un

bismarckien, un pangermaniste, voire même comme un

socialiste « autoritaire », il y eut-il jamais plus dérisoire

il) Idem, p. 38.

(2) Idem, p. 41.

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288 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

parodie, plus grotesque travestissement des faits et de

l'histoire? A cette déformation éhontéedes^conceptions d'un

grand penseur — de Marx et du socialisme, tous ceux qui

ont le respect d'eux-mêmes et de leur plume, refusent de

se prêter'. Et c'est ainsi qu'à propos de la campagne

inqualifiable de M. Laskine, un écrivain de la valeur de

31. Joseph Bourdeau écrivait : « Karl Marx professait l'hor-

reur profonde du gouvernement prussien, militaire et semi-

féodal. Sa haine contre la Prusse, a fait de lui l'éternel

apôtre de la guerre sainte contre la Russie. Sans le secours

de cette puissance immuablement réactionnaire, l'absolu-

tisme, croyait-il, ne saurait se maintenir u (1).

Les mêmes conceptions dirigèrent l'action de Marx jus-

qu'à la fin de son existence et c'est ainsi qu'en présence de

la guerre russo-turque de 1877, son hostilité se manifestait

— il était d'ailleurs d'accord en cela avec l'opinion anglaise

— contre le tsarisme russe visant' Constantinople et qu'il

admirait l'indomptable résistance d'Osman Pacha devant

Plevna. W. Liebknecht soutenait éloquemment la même

thèse à la tribune du Reichstag et dans une brochure « La

question d'Orient, l'Europe doit-elle devenir cosaque'? »

reprenait la constante prédication du socialisme et de la

démocratie européenne depuis 1848.

Jusqu'à sa dernière heure, Marx suivit avec la même

attention passionnée la marche du mouvement socialiste

dans le monde, la naissance des nouveaux partis socialistes

(1) Journal des Débals du C avril 1915. Dans la France parue à la

même date, M. Charles Clément écrit de son côté : * Marx sans doute

fut un bon Allemand, mais ne fut jamais pangermaniste. Sa haine

du tsarisme fut peut être utile pour entraîner les socialistes alle-

mands derrière le militarisme prussien. Mais dites-moi,au temps de

Marx qui n'était pas anti-tsariste chez les libéraux? Et plus loin:

« James Guillaume n'a donc pu démontrer malgré la haine très

tenace-dont il a poursuivi le fondateur véritable de l'Internationale,

que celui-ci ait à un moment quelconque de sa vie donné dans le

pangermanisme ».

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Page 293: La politique internationale du marxisme

CONCLUSION 28i)

qui partout en se constituant en Europe s'inspiraient de

l'enseignement fécond de sa doctrine.

C'est ainsi que Guesde et Lafargue allaient rédiger, en

collaboration avec lui à Londres, en 1880, les admirables

« Considérants » du programme du Parti ouvrier, qui

demeurent un des plus vigoureux exposés synthétiques de

la pensée socialiste qu'on ait écrits à ce jour. Il exprimait

l'admiration la plus vive pour le premier mouvement révolu-

tionnaire russe et, avec Engels, il donne à Georges Plekha-

noff qui devait être le créateur du socialisme moderne et le

plus savant propagateur des conceptions marxistes en Rus-

sie, une préface à sa traduction du Manifeste Communiste,

où il place les espérances les plus magnifiques dans le

développement du socialisme russe — espérances qui

devaient se réaliser plus largement que personne, certes, ne

pouvait alors le prévoir, 37 années plus tard.

Après la mort de Marx, Engels demeura à Londres l'ob-

servateur attentif et vigilant du mouvement socialiste uni-

versel et son conseiller le plus écouté. Plus que Marx ne

l'aurait fait, il se laissa peut-être emporter par les luttes

sectaires qui dans plusieurs pays déchirent encore le mou-

vement socialiste— la lutte entre « guesdistes » et « ptossi-

bilistes » en France, les conflits entre les Aveling, William

Morris et plus tard Keir Hardie d'une part, Hyndman et

Quelch de l'autre en Angleterre. Encore ses préférences ne

se manifestent-elles guère que dans sa correspondance, son

action publique ayant toujours été à cet égard des plus

réservées. Une seule préoccupation le domine : celle du

socialisme international.

En face des grands problèmes de la politique internatio-

nale, il demeura le fidèle interprète de la pensée de Marx, le

continuateur de son action de toujours. Alors qu'un cer-

tain nombre de social-démocrates, tout en vantant, en

exaltant l'attitude intrépide de Marx, de Bebel et de Liebk-

JEAN LOXGUET i'J

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Page 294: La politique internationale du marxisme

Si90 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

necht en 1870-71, semblaient croire qu'il y avait mainte-

nant prescription, qu'il fallait s'incliner devant le fait

acquis, en 1892, trois ans avant sa mort, Engels revendi-

quait le droit de l'Alsace-Lorraine, du Schleswig*Holstein,

de la Pologne, en un article de la NeueZeit que Karl Kautsky

citait récemment, et indiquait avec force les devoirs qui

s'imposeraient à une Soeial-Démocratie maîtresse du pou-

voir: f^

« Dès que la Social-Démocratie allemande sera au pouvoir,

écrivait Engels, elle -ne pourra ni l'exercer, ni le maintenir

sans réparer les injustices que ceux qui l'ont précédée au

pouvoir ont commises, contre d'autres nations. Elle sera

forcée de préparer le rétablissement de la Pologne, aujour

d'hui trahie si honteusement par la bourgeoisie française,

elle sera forcée de mettre le Schlesitiig du Nord et l'Alsace-

Lorraine en état de décider librement de leur avenir poli-

tique » (1).

D'Engels comme de Marx lui-même on pourrait d'ail-

leurs dire dans une certaine mesure — ce qu'à propos

d'un autre grand génie, accusé de chauvinisme allemand,

de Wagner, M. Saint-Saens écrivait il y a quelques années:

« Représenter Wagner^omme un ennemi acharné de notre

pays, c'est tout simplement absurde, il ne hait que les gens

qui n'aiment pas sa musique » (2).

Marx et Engels, ont exclusivement combattu ceux qui —

Allemands, aussi bien que Français, Anglais ou Russes —

représentaient soit les classes possédantes et la réaction,

soit quià l'intérieur du mouvement révolutionnaire se rat-

tachaient à des conceptions sociales, à des méthodes d'ac-

tion, qu'ils considéraient comme néfastes à l'émancipation

I

(1) NeueZeit, 10"'- Année, Vol. 1", p. 584.

(2) Saint-Saens, Harmonie et Mélodie, p. 98.

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universelle de la classe ouvrière et dépassées par l'évolu-

tion des faits et des idées.

Quant à ceux qui furent depuis dans le monde les plus

illustres représentants de la pensée marxiste, les leaders

socialistes qui se sont toujours plu à se proclamer les dis-

ciples de Marx, peut-on à un degré quelconque apercevoir

dans leur action, dans leurs méthodes, la moindre trace des ,

influences « spécifiquement allemandes », voire pangerma-

nistes, que veulent découvrir dans l'enseignement du maî-

tre des adversaires de parti-pris ? Poser la question, c'est la

résoudre. I

Dans la terrible crise que l'Europe et le monde civilisé ont

traversée depuis quatre ans, les hommes qui ont été consi-

dérés comme les représentants les plus qualifiés des idées

marxistes ont été les adversaires les plus acharnés, les plus

intransigeants de l'Allemagne impérialiste et du militarisme

prussien: Edouard Vaillant et Jules Guesde en France,

Hyndman en Angleterre, Georges Plekhanoff-en Russie,

Pablo Iglesias en Espagne, Vandervelde et Anseele en

Belgique. Au point que loin d'avoir subi des influences

« allemandes », la plupart ont pu au contraire être criti-

qués dans leur propre parti pour l'exagération de leur

« jusqu'auboutisme ».

En Allemagne même, quels sont particulièrement ceux

qui ont pratiqué la politique dite « majoritaire », qui se

sont solidarisés avec le gouvernement impérial et ont cher-

ché des excuses à tous les crimes des dirigeants ? A quel-

ques exceptions près, ceux qui avaient mené la lutte la

plus acharnée contre le marxisme, qui avaient déclaré qu'il

fallait s'affranchir de ses « vieux dogmes usés », qui récla-

maient la « révision » de la doctrine socialiste. Certes le

plus illustre de ces < révisionnistes », Edouard Bernstein,

s'est noblement rangé parmi les socialistes demeurés

fidèles à leur idéal. Mais au milieu de la « bande » des pro-

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292 LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU MARXISME

fiteurs révisionnistes, c'était le pur théoricien poussé seu-

lement par les préoccupations scientifiques les plus désin-

téressées. Jamais il n'avait d'ailleurs nié le marxisme dans

ses éléments fondamentaux et plusieurs années avant la

guerre il avait déjà proclamé la nécessité du « retour à

Marx ». Avec lui on pourrait encore citer quelques rares

révisionnistes — un Kurt Eisner par exemple.

Dans le camp adverse parmi les socialistes gouverne-

mentaux plus ou moins serviles, ou tombés en tous cas

dans le chauvinisme, on peut trouver quelques rares mem-

bres de l'ancienne « tendance » marxiste — un Paul Lensch,

un Cunow — peut-être un Scheidemann.

Les chefs.de la fraction « impérialiste » — à ces rares

exceptions près — ce sont ceux qui dirigèrent pendant

vingt ans en Allemagne l'assaut révisionniste contre le

marxisme — les David, les Heine, les Sudekum, les Legien,

les Vollmar, les Gradnauer, les Baumeister, les Noske. En

revanche, la défense internationaliste, la résistance aux

corrupteurs du socialisme, la protestation contre tous les

attentats des pangermanistes et des Junkers, contre la poli-

tique tour à tour équivoque et cynique de M. de Bethmann-

Hollweg et de ses successeurs, nous les trouvons représen-

tées par tous ceux qui livrèrent la précédente bataille contre

le révisionnisme : Karl Kautsky, le plus illustre théoricien

marxiste d'Europe, depuis la disparition des fondateurs de

la doctrine; Mehring, l'historien marxiste de la Social-

Démocratie — qui n'a pas craint à 72 ans d'affronter les

prisons- du Kaiser — Haase, le brillant leader politique de

la fraction « radicale » du parti, Rosa Luxembourg et Clara

Zetkin, les deux femmes intrépides, qui s'étaient si fré-

quemment signalées dans le passé par leur action vigou-

reuse contre le révisionnisme — qui ont lutté avec un

indomptable courage contre des gouvernements criminels

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CONCLUSION . 293

et Karl Liebknecht (1)— le héros de la protestation socia-

liste contre la guerre, le digne fils et continuateur du grand

Wilhelm Liebknecht, dont nous avons dit quel fut le rôle

admirable en 1870-71, et qui a encore accru le prestige

du grand nom qu'il porte.

Par toute sa vie, par tous ses écrits et tous ses actes, par

toute son influence, après sa mort, chez ceux qui ont été

s'abreuver à la source vivifiante de sa doctrine, Karl Marx

nous apparaît comme un de ces penseurs qui ont toujours

considéré leurs obligations envers l'humanité, comme plus

impérieuses et plus hautes que toutes celles qu'ils pouvaient

avoir envers leur propre patrie.

(1) M. Laskine n'a pas craint d'injurier ce noble combattant du

Droit, ce forçat des prisons du Kaiser. Il n'a pas hésité à réédi-

ter la légende ridicule et odieuse d'un Liebknecht allant au début

de la guerre engager les ouvriers belges à travailler pour l'Allema-

gne — légende définitivement détruite par les déclarations des

militants socialistes belges qui ont reçu Liebknecht à Bruxelles

(l'Internationale et le Pangermanisme, p. 82, 335, 336, 442).

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TABLE DES MATIERES

Pages

AVANT-PROPOS . 1

CHAPITRE PREMIEH. — Karl Marx et les premiers socialis-

tes français .-..." 11

CHAPITRE II. — La Révolution de 1848; le principe des

nationalités, l'unité allemande, la Pologne et le Pans-

lavisme 18

CHAPITRE III. — L'Unité italienne, la guerre de Sécession,

la revendication de l'Irlande, le Schleswig-Holstein . 55

CHAPITRE IV. — L'Association Internationale des Travail-

leurs de 1864 à 1868; son programme de politique

étrangère ; les luttes, de Marx contre les Proudhoniens,

les Maziniens et les Lassaliens 81

CHAPITRE V. — L'Internationale de 1868 à 1872 : la lutte

de Marx et Baiiounine 178

CHAPITRE VI.- — La Guerre l'ranco-allemande : I. La

période bonapartiste 187

CHAPITRE VII. — La Guerre franco-allemande : II. La

Défense nationale 231 /,

CONCLUSION . ......... 282

LAVAL. — IMPRIMERIE L. BARNÉODD ET C".

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