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MATHIEU BABIN LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE FACE À LA DÉSINTÉGRATION DE LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE FÉDÉRATIVE DE YOUGOSLAVIE, 1990-1998 Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Science politique pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.) DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC MARS 2008 © Mathieu Babin, 2008

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MATHIEU BABIN

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE FACE

À LA DÉSINTÉGRATION DE LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE FÉDÉRATIVE DE YOUGOSLAVIE,

1990-1998

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en Science politique pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.)

DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

MARS 2008

© Mathieu Babin, 2008

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Résumé

Ce mémoire étudie la politique étrangère de la République fédérale d'Allemagne face à la désintégration de la République socialiste fédérative de Yougoslavie entre 1990 et 1998. Nous analysons les réactions allemandes face aux guerres de Slovénie, de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Nous affirmons qu'il est nécessaire de tenir compte de facteurs internes et externes pour expliquer la politique de la RFA. Nous réfutons l'idée que la reconnaissance des indépendances slovène et croate par la RFA était un acte unilatéral. Nous affirmons aussi que le déploiement de troupes de combat en Bosnie-Herzégovine dans des missions de l'ONU ne constituait pas une rupture par rapport à la politique menée par la RFA durant la guerre froide. Bref, bien qu'une certaine évolution soit perceptible, la politique étrangère allemande post­réunification s'inscrit essentiellement dans la continuité de celle que la RFA a menée durant la guerre froide

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Table des matières

Liste des abréviations et acronymes v Liste des annexes viii Introduction 1 Chapitre 1 : Problématique, revue de littérature, hypothèse et remarques

préliminaires 4

La problématique à l'origine du mémoire 4

Revue de littérature 6

Cadre d'analyse 9

La politique étrangère de la RFA durant la guerre froide, 1949-1990 15

Chapitre 2 : L'Allemagne du gouvernement Kohi face aux guerres de Slovénie et de Croatie, 1991-1992 23

A) L'Allemagne en faveur du maintien de l'intégrité territoriale yougoslave 24

Une Allemagne prise au dépourvu 25 La crainte de créer un précédent pour les revendications indépendantistes 27

B) La RFA prend position pour l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie 30

La formation d'un consensus chez les élites politiques allemandes 30

L'importance du principe du droit des peuples à l'autodétermination 34

Pressions externes et désir d'affirmation nationale 38

La cruauté des combats et les réfugiés yougoslaves 44

Les risques de déstabilisation régionale 47

Les liens culturels et sociétaux entre l'Allemagne et les deux républiques indépendantistes,

les médias et l'opinion publique : les sources de la pression interne 51

C) 23 décembre 1991 : La reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie 56

La pression interne en faveur de la reconnaissance 57

La crainte d'être trahie par ses partenaires 59

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Conclusion du chapitre 61

Chapitre 3 : La politique étrangère de la RFA face à la guerre de Bosnie-Herzégovine, 1992-1998 64

A) La passivité allemande face au conflit en Bosnie-Herzégovine, 1992-1994 66

La RFA redoute d'être à nouveau blâmée par ses partenaires 66

Des partenaires divisés 69

La Constitution allemande et l'interprétation de celle-ci par la classe dirigeante 72

B) La RFA et le Groupe de Contact Bosnie 76

L'inefficacité des organisations internationales 77

La volonté d'associer la Russie au processus de paix en Bosnie-Herzégovine 80

C) La Bundeswehr en ex-Yougoslavie : la RFA participe à l'IFOR et à la SFOR 82

Le désir de normalisation et d'affirmation nationale des conservateurs allemands 84

Les pressions exercées par les alliées de la RFA pour que celle-ci contribue militairement en Bosnie-Herzégovine 89

La République fédérale doit être solidaire de ses alliés 92

La formation d'un quasi consensus au sein de la classe politique de la RFA 95

Le poids de l'histoire sur la politique étrangère allemande 98

Les risques de déstabilisation régionale et le problème des réfugiés 101

Conclusion du chapitre 104

Conclusion générale 106 Bibliographie 111 Annexes 119

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Liste des abréviations et des acronymes"

ARYM APY

AWACS CDU

CE

CECA

CED

CEE

CPE

CSCE CSU

FAZ

FDP

Ancienne République yougoslave de Macédoine.

Armée populaire yougoslave. Il s'agissait de l'armée de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Remplacée en avril 1992 par l'Armée yougoslave (VJ). Son abréviation en serbo-croate est JNA (Jugoslavenska Narodna Armija).

Airborne Warning and Control System.

Christlich Demokratische Union. Parti politique allemand conservateur. L'un des deux grands partis politiques allemands. Parti politique du chancelier Helmut Kohi.

Communauté européenne ou Communauté économique européenne, devenue en 1992 l'Union européenne (UE).

Communauté européenne du charbon et de l'acier. Institution multilatérale européenne fondée en 1951.

Communauté européenne de défense. Projet de défense commune européenne qui échoue en 1954.

Communauté économique européenne ou Communauté européenne, devenue en 1992 l'Union européenne (UE).

Coopération politique européenne. Organe de négociation de la CE pour les questions de politique étrangère.

Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe.

Christlich Soziale Union. Parti politique allemand. Parti sœur de la CDU en Bavière.

Frankfurter Allgemeine Zeitung. L'un des plus important journal allemand.

Freie Demokratische Partei. Parti politique allemand d'orientation libérale. Parti du ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher.

* Plusieurs des termes et leur définition, particulièrement ceux en serbo-croate, sont tirés de LTJKIC, Renéo. L agonie yougoslave (1986-2003) : les Etats-Unis et l'Europe face aux guerres balkaniques. Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 2003

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FORPRONU

GCB

GECONIFOR

IFOR

MPRI

ONU

ONUSOMIetïï

OSCE

OTAN

PDS

RDA

RFA

RFY

RS

RSFY

Force de protection des Nations Unies. Force de « maintien de la paix » des Nations Unies ayant opéré en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. UNPROFOR en anglais.

Groupe de Contact Bosnie.

Germon Contingent Implementation Force. Le contingent militaire allemand au sein de PIFOR.

Implementation Force. Force de mise en application des accords de Dayton en Bosnie-Herzégovine déployée en 1995-1996. Devient en 1997 la SFOR.

Military Professional Ressource Inc. Firme privée spécialisée dans le domaine militaire. Responsable de F entraînement de l'armée croate.

Organisation des Nations Unies.

Opération des Nations Unies en Somalie.

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Anciennement Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe.

Organisation du traité de l'Atlantique Nord. NATO en anglais.

Partei des Demokratischen Sozialismus. Ancien parti communiste de la RDA. A pris le nom Die Linkspartei.PDS depuis juillet 2005.

République démocratique allemande.

République fédérale d'Allemagne.

République fédérale de Yougoslavie. Créée le 27 avril 1992. Comprend la Serbie et le Monténégro.

Republika Srpska. République serbe de Bosnie-Herzégovine. Créée en 1992. Il s'agit de la formation étatique autoproclamée des Serbes de Bosnie. Légalisée en 1995 par les accords de Dayton en tant qu' « entité » dans le cadre de la Bosnie-Herzégovine.

République socialiste fédérative de Yougoslavie. Dirigée par J. B. Tito de 1945 à 1980. Proclamée en 1945 et dissoute en 1992. Comprenant six républiques : Serbie, Croatie, Bosnie-

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Herzégovine, Slovénie, Macédoine, Monténégro et deux provinces autonomes : Voïvodine et Kosovo.

SDS Srpska Demokratska Stranka. Parti démocratique serbe. Créé par Radovan Karadzic en Bosnie-Herzégovine et par Jovan Raskovic et Milan Babic en Croatie.

SFOR Stabilization Force ou Force de stabilisation. Mission de l'OTAN déployée en Bosnie-Herzégovine à partir de 1997 (ancienne IFOR).

SME Système monétaire européen.

SPD Sozialdemokratische Partei Deutschlands. Parti politique allemand d'orientation sociale-démocrate. L'un des deux grands partis politiques allemands. Dans l'opposition de 1990 à 1998.

SZ Suddeutsche Zeitung. Un journal allemand à grand tirage.

TNP Traité de non-prolifération nucléaire. Signé en 1968, il entre en vigueur en 1970. La RFA y adhère en novembre 1970.

TPS Temporary Protected Status. Statut temporaire protégé en français.

UE Union européenne (nouveau nom de la CEE depuis 1993).

UEO Union de l'Europe occidentale. Organisation européenne de sécurité et de défense dont les actions furent chapeautées par l'OTAN durant la guerre froide.

VJ Vojska Jugoslavije. Armée yougoslave en français. Successeur de l'APY à partir d'avril 1992.

ZDF Zweite Deutsche Fernsehen. Chaîne de télévision allemande.

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Liste des annexes

Annexe 1 : L'Allemagne en 1949 : RFA et RDA 116

Annexe 2 : La RFA aujourd'hui 117

Annexe 3 : La République socialiste fédérative de Yougoslavie 118

Annexe 4 : La Slovénie 119

Annexe 5 : La Croatie 120

Annexe 6 : La Bosnie-Herzégovine 121

Annexe 7 : Résultats des élections législatives en RFA, 1990-2005 122

Annexe 8 : Représentants des pays du Groupe de Contact Bosnie 123

Annexe 9 : Principaux responsables de la politique étrangère de la RFA, 1949 à aujourd'hui 125

Annexe 10 : Évolution de la participation militaire allemande 127

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Introduction

La période 1989-1991 est un point tournant du XXe siècle et de l'ensemble de l'histoire

politique humaine en ce qui a trait à la configuration de la situation internationale. Cette très

courte période est extrêmement riche en événements spectaculaires, alors que l'ordre bipolaire,

aussi connu sous le nom de système de Yalta, prend fin, sans toutefois que se dessine clairement

ce qui lui succédera. Au nombre de ces événements spectaculaires, la chute du mur de Berlin,

symbole physique par excellence de la guerre froide, les 9 et 10 novembre 1989, cause tout un

émoi, non seulement par le caractère inattendu de l'événement, mais surtout parce que le

chancelier de la République fédérale d'Allemagne (RFA), le conservateur Helmut Kohi,

présente, avant même la fin du mois, un plan visant la réunification allemande, prenant ainsi de

vitesse les dirigeants politiques étrangers. Dès le 1er juillet 1990, une union monétaire est réalisée

et le 3 octobre, après d'âpres débats dans le cadre des négociations «2 + 4 » , la réunification

donne lieu à la création d'une grande Allemagne forte de quelques 80 millions d'habitants,

puissance économique et démographique en plein cœur de l'Europe2. Cette grande Allemagne

suscite d'ailleurs bien des questionnements, tant à l'Ouest qu'à l'Est, l'Occident gardant de bien

mauvais souvenirs de la puissance allemande et l'URSS regardant d'un mauvais œil que la

nouvelle Allemagne reste membre de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

L'Allemagne réunifiée, elle-même problème politique majeur pour le continent européen

et ses partenaires, est rapidement confrontée à une série de défis politiques d'une envergure sans

précédent. La chute rapide de tous les régimes communistes des démocraties populaires en

Europe de l'Est plonge le continent dans une instabilité qui lui est inconnue depuis près d'un

demi-siècle. Alors qu'au centre du continent européen a lieu la réunification allemande, c'est

exactement le phénomène inverse qui se produit sur ses limites orientales, avec l'implosion de

l'Union soviétique. À partir du mois d'août 1991, date de l'indépendance des trois États baltes et

suite à de nombreuses agitations politiques auxquelles les réformes entreprises par Mikhaïl

Gorbatchev ont ouvert la voie, l'empire soviétique se désagrège. La sécession de l'Ukraine le 1er

1 Le 2 de l'équation représente les deux Allemagnes, soit la République fédérale allemande (Allemagne de l'Ouest) et la République démocratique allemande (Allemagne de l'Est). Le 4 représente quant à lui les 4 puissances victorieuses lors de la Deuxième Guerre mondiale et qui occupent le territoire allemand, soit les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'URSS.

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décembre 1991 porte le coup de grâce à l'URSS. Partout les forces centrifuges sont à l'œuvre,

même au sein des républiques sécessionnistes, alors que la fin de la guerre froide entraîne dans

son sillage le dégel des tensions intercommunautaires. La question des frontières et le réveil des

nationalismes ne se limitent pas aux anciens territoires soviétiques, mais s'étendent aussi au cœur

de l'Europe, et même aux frontières de l'Allemagne.

Mais c'est un événement hors du continent européen et de la zone de l'OTAN qui

représente le premier véritable défi de l'Allemagne nouvellement souveraine. En effet, la tension

monte dans la région du Golfe persique, centre névralgique de l'économie mondiale en raison de

ses gigantesques réserves pétrolières. L'Irak, à peine sorti de sa guerre contre l'Iran, envahit et

annexe le Koweït en août 1990, provoquant ainsi une intervention conjointe de l'Occident et du

monde arabe qui, avec la bénédiction du Conseil de Sécurité des Nations Unies et sous le

leadership militaire américain, a tôt fait d'expulser les troupes irakiennes du carré de sable

koweïtien, tout en laissant le dictateur Saddam Hussein au pouvoir à Bagdad.

La multitude de foyers nécessitant une attention soutenue de l'Occident semble donc

empêcher l'Europe d'entrevoir la tragédie qui se dessine en son cœur même : le déchirement

violent de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (RSFY)3. En effet, alors qu'au

grand soulagement de tous la dislocation de l'Union soviétique s'effectue dans une absence

relative de violence majeure et que la dissolution d'une autre fédération anciennement

communiste, la Tchécoslovaquie, s'effectue de manière remarquablement pacifique, le territoire

yougoslave s'embrase à partir de 1991 dans un tourbillon de violence intercommunautaire,

laissant craindre la propagation des conflits à l'ensemble de la région et une nouvelle mise à feu

et à sang de la « poudrière balkanique ». S'étalant sur plus d'une décennie, cet événement

représente le problème de sécurité le plus pressant et le plus complexe auquel l'Europe, et par

conséquent l'Allemagne, est confrontée au tournant du siècle.

Ce mémoire consacré à l'étude de la politique étrangère allemande face à la

désintégration de la RSFY est divisé en trois chapitres. Le premier chapitre présente la

problématique, le cadre d'analyse ainsi que quelques remarques préliminaires afin de permettre

2 Voir l'annexe 1 pour une carte de la RFA et de la RDA avant la réunification et l'annexe 2 pour une carte de la RFA après la réunification. 3 Notons toutefois que dès septembre 1990 un rapport de la CIA rendu public dans le New York Times annonçait l'éclatement de la Yougoslavie dans les 18 prochains mois. Voir SVOB DOKIC, Nada. « The International Conununity and the Case of Croatia and Slovenia », The International Spectator, vol. 27, no. 4 (octobre-décembre), 1992, p.89.

2

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au lecteur de mieux comprendre l'objet d'étude du mémoire. Les chapitres subséquents sont divisés selon des critères géographiques et chronologiques. La politique étrangère allemande est donc analysée en fonction des États issus du démembrement de la République socialiste fédérative de Yougoslavie et selon la chronologie des guerres ayant déchiré le territoire yougoslave. Ainsi, le deuxième chapitre aborde les guerres de Slovénie et de Croatie. Le regroupement de ces deux guerres en un chapitre est essentiellement dû à la très courte durée de la guerre serbo-slovène et parce que l'événement central de la politique étrangère allemande à l'égard de ces deux républiques, soit leur reconnaissance en tant qu'Etats souverains, est le même et qu'il survient au même moment. Enfin, le troisième chapitre dresse quant à lui un portrait de la politique étrangère de l'Allemagne face à la guerre de Bosnie-Herzégovine et ses conséquences.

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Chapitre 1 : Problématique, revue de littérature, cadre d'analyse et remarques préliminaires

Ce premier chapitre a comme objectif de présenter au lecteur la problématique à l'origine

du mémoire, une brève revue de la littérature existante sur le sujet, d'expliquer le cadre d'analyse

de la recherche ainsi que d'introduire quelques remarques préliminaires, notamment un bref

aperçu de la politique étrangère poursuivie par la RFA pendant la guerre froide.

La problématique à l'origine du mémoire

Le présent travail porte sur la réaction de la République fédérale d'Allemagne réunifiée

face à la désintégration de République socialiste fédérative de Yougoslavie en de violents

conflits politiques, territoriaux, religieux et ethniques4 durant le mandat du gouvernement Kohi,

soit de la fin de l'année 1990 jusqu'à 1998. Bien que l'on puisse établir les débuts de la crise

yougoslave en 1989 avec la suppression de l'autonomie de la Voïvodine et du Kosovo par le

leader nationaliste serbe Slobodan Milosevic, nous ne prendrons en compte que la période

suivant la réunification allemande puisque c'est la politique étrangère de l'Allemagne qui est

l'objet de recherche. Plus spécifiquement, il s'agit de déterminer quels sont les facteurs qui

permettent d'expliquer la politique étrangère de la RFA réunifiée à l'égard de la désintégration

yougoslave.

L'étude des réactions suscitées par la désintégration de la RSFY touche plusieurs aspects

des relations internationales. Le cas yougoslave représente un moyen intéressant d'étudier les

alliances et les institutions multilatérales. Il permet aussi l'étude des politiques étrangères de

plusieurs États européens ou non. Il est aussi particulièrement intéressant pour des études reliées

au concept de l'inviolabilité territoriale, des sécessions, de la création et la reconnaissance

d'États issus de ces sécessions. Les guerres yougoslaves présentent aussi un intérêt certain pour

l'étude du maintien de la paix et de ses dérivés, de même que pour les interventions de tierces

4 Le terme ethnique signifie ici que la séparation des groupes combattants s'effectue principalement sur une base ethnique, n est donc plutôt difficile pour les individus de changer de camp puisque celui-ci est essentiellement déterminé par leur naissance. Voir DERRŒNNIC, Jean-Pierre. Les guerres civiles. Paris, Presse de Sciences Po, 2001, p.71. Il ne s'agit en aucun cas d'affirmer que les causes des conflits yougoslaves sont des haines

4

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parties dans les conflits. Enfin, les conflits yougoslaves rejoignent à la fois l'étude des guerres

étatiques et celle des guerres civiles.

Pour sa part, l'étude de la politique étrangère de l'Allemagne durant la dernière décennie

du XXe siècle est particulièrement intéressante à cause du caractère anormal que revêt le cas

allemand après la Deuxième Guerre mondiale. Suite à la défaite totale du Troisième Reich le 8

mai 1945, l'Allemagne se voit amputée d'une partie de son territoire national au profit de la

Pologne pour compenser la perte de territoire que subit le « premier allié »5 aux mains de

l'URSS. Occupée militairement par les quatre puissances victorieuses, elle est privée d'un large

pan de sa souveraineté, notamment en matière de politique étrangère et de défense, où de

nombreuses limites et contraintes lui sont imposées. Plus encore, le territoire allemand se

retrouve, à partir de 1949, divisé en deux États distincts, soit la République fédérale d'Allemagne

et la République démocratique allemande. Ces deux États appartenant à des blocs opposés, le

territoire allemand constitue donc la ligne de front de la guerre froide. La fin du système de la

confrontation Est-Ouest modifie complètement la configuration internationale et engendre de

profonds changements structuraux. L'intérêt de l'étude de la politique étrangère de la RFA dans

les années 1990 découle en grande partie de la question de la continuité ou de la rupture de cette

politique étrangère, la RFA se devant désormais d'évoluer dans une situation internationale

complètement différente de celle ayant prévalu depuis sa création en 1949.

L'étude de la politique étrangère de la RFA face aux guerres en ex-Yougoslavie est

hautement intéressante non seulement à cause de cette question de la rupture ou de la continuité,

mais aussi car l'Allemagne a joué un rôle important dans le règlement de ces conflits. D'abord,

aucun observateur de l'Allemagne ne saurait ignorer le poids que l'histoire du pays exerce sur sa

politique intérieure et extérieure. Le cas yougoslave, région ou les troupes de l'Allemagne

hitlérienne ont commis de nombreuses atrocités, revêt un caractère hautement sensible pour les

dirigeants allemands qui doivent réagir aux plus sanglantes violences en Europe depuis la

Deuxième Guerre mondiale et se retrouvent directement confrontés au lourd passé de leur État

interethniques ancestrales. Notons aussi que dans certains cas, comme lors de la défense de Sarajevo, Serbes, Croates et Bosniaques ont combattu côte à côte. ;' Le terme « premier allié » (First Ally) est abondamment utilisé par Norman Davies pour désigner la Pologne de l'époque. Ceci fait référence à l'alliance entre la France, la Grande-Bretagne et la Pologne notamment contre l'Allemagne, alliance survenue avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale (1921 dans le cas de l'alliance franco-polonaise et le 25 août 1939 dans le cas de l'alliance entre Londres et Varsovie), donc bien avant l'alliance de Paris et Londres avec les États-Unis ou l'URSS. Voir DAVIES, Norman. Rising '44. « The Battlefor Warsaw ». Londres, Pan Books, 2004.

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dans la région. Il est aussi intéressant de voir de quelle manière les dirigeants politiques

allemands ont réagi à la création de nouveaux États souverains en Europe alors que la

réunification allemande a donné lieu à la disparition d'un État, la RDA6.

Le cas des guerres de Slovénie et de Croatie est spécifiquement intéressant car la RFA a

été l'un des États ayant le plus fait pression en faveur de la reconnaissance de l'indépendance de

ces États. Elle a aussi été, le 23 décembre 1991, le premier État à les reconnaître. Cette

implication active lui a valu bien des reproches de la part de ses alliés qui l'ont accusée d'agir

unilatéralement. Cet épisode a aussi suscité une vaste polémique dans les milieux diplomatiques

et intellectuels. Au vu de cette controverse, il apparaît nécessaire de déterminer quel est le

processus qui a mené à la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie par la RFA, quels sont

les facteurs qui ont contribué à ce processus et de déterminer s'il s'agissait d'un acte unilatéral et

prématuré comme l'affirment certains experts.

Quant à la politique de l'Allemagne face à la guerre de Bosnie-Herzégovine, l'étude de

celle-ci tire son attrait principal du fait que pour la première fois, la RFA a déployé des troupes

de combat dans le cadre d'une mission de l'ONU. Puisque cette participation militaire pourrait à

prime abord être perçue comme une rupture, il importe donc encore une fois de déterminer quel

est le processus qui a mené à cette participation, quels sont les facteurs qui y ont joué un rôle et

d'établir si elle représente bel et bien une rupture avec la politique étrangère menée par la RFA

depuis sa création en 1949.

Bref, il est évident que pour les analystes et les chercheurs, la réaction de la République

fédérale d'Allemagne face à la désintégration violente de la République socialiste fédérative de

Yougoslavie représente un objet d'étude important et fort intéressant.

Revue de littérature

Il existe une production scientifique abondante sur la politique étrangère de l'Allemagne

depuis la réunification dont une bonne part se consacre à la question de la « normalisation » de

6 En date du 8 mars 2008, le processus de désintégration de la Yougoslavie a donné lieu à la création de sept États souverains : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine et le Kosovo. Le Kosovo est le dernier État à avoir proclamé son indépendance, le 17 février 2008. Il est jusqu'à présent reconnu par une vingtaine d'États, notamment les Etats-Unis et plusieurs puissances européennes, dont l'Allemagne.

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celle-ci . Une des plus importantes références sur la politique étrangère de la RFA après la

réunification est sans l'ombre d'un doute l'ouvrage en quatre tomes édité par Karl Kaiser et

Wolf-Dieter Eberwein Deutschlands neue AuBenpolitik, véritable bible à laquelle ont contribué

plusieurs des plus grands politologues allemands8. Le livre un peu plus récent de la réputée

politologue allemande Helga Haftendom Deutsche Aufienpolitik zwischen Selbstbeschrànkung

und Selbstbehauptung, 1945-2000, qui dresse un portrait global de la politique étrangère

allemande depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s'intéresse aux objectifs et aux

motivations de celle-ci à l'aube du XXIe siècle, mérite aussi d'être mentionné9. Dans la

littérature scientifique, plusieurs auteurs se demandent si la politique extérieure allemande

s'inscrit en continuité avec le passé ou si elle est essentiellement nouvelle10.

Il existe aussi de nombreux textes consacrés plus spécifiquement aux conflits

yougoslaves. Cette littérature est toutefois fractionnée en de multiples approches, chacune

d'entre elles étant quantitativement et qualitativement inégale. Michael Libal, ancien chef du

département pour l'Europe du sud-est au Ministère des Affaires étrangères allemand, offre sans

doute la contribution la plus édifiante sur la politique étrangère allemande à l'égard de la

Yougoslavie au cours des années 1991-1992n. Certains auteurs analysent les difficultés

inhérentes à une intervention allemande dans les Balkans, notamment la méfiance des autorités

de la région et le poids du passé12. Hans-Peter Schwarz amène une contribution intéressante dans

son livre, notamment avec un chapitre sur l'échec de l'idéalisme en matière de politique

' Sur la question de la normalisation, voir notamment NERLICH, Uwe. « L'Allemagne - un pays comme les autres ? », Politique étrangère, vol. 60, no.l, 1995, p.99-116. MCKENZIE, Mary M. « Competing Conceptions of Normality in the Post-Cold War Era : Germany, Europe, and Foreign Policy Change », German Politics and Society, vol. 4, no. 2 (été), 1996, p. 1-17. ou encore HÉBERT, Philippe et LETOURNEAU, Paul. « Vers une militarisation de la politique étrangère allemande depuis 1990 ? », Revue d'Allemagne et des Pays de langue allemande, tome 30, no. 2 (avril-juin), 1998, p.221-227. 8 KAISER, Karl et EBERWEIN, Wolf-Dieter (éds.). Deutschlands neue Aupenpolitk BandI-IV. Mûnchen, Oldenbourg Verlag, 1992-1998. 9 HAFTENDORN, Helga. Deutsche Aupenpolitik zwischen Selbstbeschrànkung und Selbstbehauptung, 1945-2000. Mûnchen, Deutsche Verlags-Anstalt, 2001. 10 À cet égard, voir MARTENS, Stephan. « L'Allemagne en Europe : sa politique européenne entre continuité et nouveauté », Allemagne d'aujourd'hui, no. 156, nouvelle-série (avril-juin), 2001, p.50-70. LETOURNEAU, Paul. « I a politique étrangère allemande : style nouveau et fidélité au multilatéralisme », Revue d'Allemagne et des Pays de langue allemande, tome 31, no. 2 (avril-juin), 1999, p.333-345. ou encore FROEHLY, Jean-Pierre. « La politique étrangère de la République de Berlin : continuité ou nouveau départ ? », Allemagne d'aujourd'hui, no. 156, nouvelle-série (avril-juin), 2001, p.39-49. 11 LIBAL, Michael. Limits of Persuasion : Germany and the Yugoslav Crisis, 1991-1992. Westport, Praeger Ihiblishers, 1997. 12 DECKERS, Wolfgang. « Germany and die Balkans : Reflections on an Uneasy Relationship », Journal of Southern Europe and the Balkans, vol. 4, no. 2, 2002, p. 157-170.

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étrangère et sur la nécessité pour la RFA de concilier son idéalisme avec la réalité ambiante13.

Certains, comme Sabrina P. Ramet et Letty Cofïin affirment que l'Allemagne a été injustement

accusée d'exacerber les conflits alors qu'elle s'appliquait en réalité à trouver une solution

multilatérale14. Quelques articles sur la décision allemande de reconnaître l'indépendance de la

Slovénie et de la Croatie abordent essentiellement ce que leurs auteurs considèrent être le

caractère unilatéral de cette décision, le plus digne de mention étant celui de Beverly Crawford15-.

La question des réfugiés n'est pas sans susciter d'intérêts, d'autant plus que l'Allemagne fut le

principal pays d'accueil16. Parmi les textes qui abordent l'influence qu'ont pu avoir les médias

allemands, celui de Verica Spasovska note que les médias ont favorisé les indépendances

Slovènes et croates en présentant les Serbes comme les agresseurs, mais que leur influence se

limite à l'opinion publique et qu'ils n'ont pas influencé la substance des politiques allemandes17.

Certains auteurs optent plutôt pour une analyse comparative. C'est notamment le cas de

Claire Diot et Joachim Schild qui, dans deux articles d'un même ouvrage collectif, abordent les

différences entre les réactions allemandes et françaises, les deux auteurs s'accordant pour

affirmer qu'il s'agit essentiellement d'une différence de perceptions et d'analyse du conflit18. Le

livre de Valérie Guérin-Sendelbach propose lui aussi une intéressante comparaison des réactions

allemandes et françaises19. S'intéressant à ce qu'il nomme les « puissances civiles » (civilian

power), Hanns W. Maull opte plutôt pour une comparaison entre la politique extérieure de

l'Allemagne et celle du Japon depuis la fin du conflit Est-Ouest20.

SCHWARZ, Hans-Peter. Die Zentralmacht Europas - Deutschlands Rilckkehr aufdie Weltbûhne. Berlin, Siedler Verlag, 1994. 14 RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. « German foreign policy toward the Yugoslav successor states, 1991-1999 », Problems ofPost-Communism, vol. 48, no. 1 (janvier-février), 2001, p.48-64. 15 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », World Politics, vol. 48, no. 4 (juillet), 1996, p.482-521. 16 DUMASY, Anne. « L'Allemagne et les réfugiés bosniaques », Allemagne d'aujourd'hui, no. 141, nouvelle-série (juillet-septembre), 1997, p.38-44. 1 SPASOVSKA, Verica. « Der Jugoslawienkonflikt als Medienereignis - der Einflup* der Medien auf Ôffentliche Meinung und Aupenpolitk », Sildosteuropa Mitteilungen, vol. 35, no. 1, 1995, p.8-17. 18 DIOT, Claire. « Krisenmanagement im ehemaligen Jugoslawien : Frankreich, Deutschland und die Europaische Union in der Bewahrungsprobe », p.67-81 et SCHILD, Joachim « Europaischer Anspruch und nationale Differenzen : Frankreich, Deutschland und die EU in der Jugoslawienkrise », p. 83-93 dans HARTH, Thilo et SCHILD, Joachim (éds.). Nationalstaaten in der EU - Identitat und Handlungsmôglichkeiten. Eine deutsch-franzôsische Zukunftswerkstattjîir die politische Bildung. Opladen, Leske + Budrich, 2003. 19 GUERIN-SENDELBACH, Valérie. Frankreich unddas Vereinigte Deutschland : Interessen und Perzeptionen im Spannungfeld. Opladen, Leske + Budrich, 1999. 2 MAULL, Hanns W. « Allemagne et Japon : deux pays à suivre », Politique étrangère, vol. 60, no. 2 (été), 1995, p.477-*96.

8

Page 17: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Jeffrey S. Lantis consacre trois chapitres de son livre paru en 2002 à l'évolution de la

politique étrangère allemande face à la crise yougoslave et en dresse un portrait somme toute

assez englobant, touchant plusieurs aspects de celle-ci21. Pour Hans Stark, c'est à une certaine

maturation de la politique étrangère allemande que l'on assiste pendant la désintégration

yougoslave22. Enfin, certains textes qui ne s'attardent pas directement à la politique étrangère

allemande apportent néanmoins un éclairage utile sur des aspects précis des crises yougoslaves,

notamment celui de Francine Boidevaix sur le Groupe de Contact Bosnie23.

Devant une production scientifique aussi abondante il est parfaitement légitime de se

demander en quoi un mémoire de maîtrise peu enrichir la littérature existante sur le sujet.

Plusieurs des articles mentionnés dans la revue de littérature se contentent d'aborder une courte

période ou encore un seul aspect des crises yougoslaves et ne dressent pas un portrait d'ensemble

de la politique étrangère allemande face à la désintégration de la Yougoslavie. D'autres ne font

qu'effleurer les conflits yougoslaves afin de présenter une analyse globale de la politique

étrangère allemande post-réunification et ne produisent qu'une analyse somme toute superficielle

de ces conflits. On retrouve d'ailleurs ce même phénomène dans la très grande majorité des

livres consultés.

L'intérêt de ce mémoire de maîtrise est donc de rassembler une littérature éparse et trop

spécifique afin de dresser en un seul texte un portrait d'ensemble de la politique étrangère du

gouvernement Kohi face aux crises qui ont mis fin à la Yougoslavie entre 1990 et 1998. Il s'agit

aussi de traiter ce sujet de manière indépendante et de ne pas seulement chercher à l'insérer dans

l'ensemble de la politique étrangère de la RFA post-réunification.

Cadre d'analyse

Le point de départ servant de fil conducteur au travail est le suivant : les réactions de

l'Allemagne réunifiée au démembrement violent de la République socialiste fédérative de

Yougoslavie s'expliquent par des facteurs internes et externes dont plusieurs sont semblables à

':1 LANTIS, Jeffrey S. Stratégie Dilemmas and the Evolution of Germon Foreign Policy Since Unification. Wesport, Praeger, 2002. 22 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », Relations internationales et stratégiques, no. 28 (hiver), 1997, p. 109-118. '3 BOIDEVAIX, Francine. Une diplomatie informelle pour l'Europe. Le Groupe de Contact Bosnie. Paris, Fondation pour les Études de Défenses, coll. « Perspectives Stratégiques », 1997.

9

Page 18: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

ceux qui influençaient la politique étrangère de la RFA avant la réunification. Parmi ces facteurs

mentionnons l'attachement au multilatéralisme et la fidélité aux alliés, le poids de l'opinion

publique en ce qui a trait aux questions militaires et l'importance accordée aux droits de

l'homme. Il existe cependant des facteurs qui tranchent avec le passé, au nombre desquels on

retrouve notamment un certain désir d'affirmation nationale et de « normalisation » de la

politique étrangère, de même qu'une nouvelle interprétation de la responsabilité historique de

l'Allemagne. Bref, nous affirmons que la politique étrangère allemande à l'égard de la

désintégration yougoslave a été influencée par des facteurs internes et externes et que, bien que

les facteurs expliquant celle-ci s'ancrent fermement dans la continuité, on y retrouve aussi une

certaine évolution. Plus encore, nous sommes d'avis que la reconnaissance de la Slovénie et de la

Croatie n'était pas un acte unilatéral et que la participation militaire de la RFA à une mission de

l'ONU en Bosnie-Herzégovine est avant tout une preuve de la continuité de la politique

étrangère allemande et non un signe de rupture.

Contrairement aux approches réalistes, néoréalistes ou encore institutionnelles qui

semblent trop souvent considérer que les affaires étrangères ne sont encore l'apanage que de

quelques dirigeants vivant dans un monde de haute politique quasi imperméable aux affres de la

« petite » politique intérieure24, nous insistons sur le fait que les dirigeants politiques doivent,

lors de l'élaboration de la politique étrangère de leur État, tenir compte aussi bien de nombreux

facteurs internes que de facteurs externes.

La plupart des décisions de politiques étrangères se prennent en effet en tenant compte

des contraintes imposées par deux sphères politiques distinctes. La première sphère voit le noyau

de dirigeants d'un État tenir compte de la situation politique interne, que ce soit la pression

exercée par des partis politiques, des factions à l'intérieur même d'un parti, des groupes

d'intérêts de tout acabit (Amnistie Internationale, Greenpeace, le Conseil du patronat, les

syndicats, les militaires, etc.) ou encore l'opinion publique (autrement dit, les électeurs), qui

tentent de faire prévaloir leurs préférences. D'autres contraintes internes sont économiques,

c'est-à-dire les ressources disponibles, légales, constitutionnelles, culturelles et politiques.

24 BUENO DE MESQUTTA, Bruce, et LALMAN, David. War andReason. New Haven, Yale Universiry Press, 1992.

10

Page 19: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

La deuxième sphère est celle de la politique internationale où jouent les différents États

souverains, l'environnement international. Ici aussi les contraintes sont nombreuses, que ce soit

sur le plan légal, stratégique, géographique ou autre.

Les dirigeants ne peuvent ignorer l'une des deux sphères politiques. Toute la difficulté

réside dans l'élaboration d'une politique qui est rationnelle et satisfaisante sur les deux fronts. En

effet, un mauvais calcul peut rapidement mener à l'échec d'une politique qui n'attendrait ainsi

pas les objectifs souhaités et, pire encore, pourrait s'avérer dommageable pour l'État ou les

dirigeants ayant mis en place une mauvaise politique.

Cette notion que les dirigeants politiques doivent constamment tenir compte de la sphère

interne et externe s'applique à tous les régimes politiques. Cette approche s'applique à des États

sous la férule d'un parti unique dans la mesure où il existe différentes ailes suffisamment fortes

et influentes au sein de ce parti pour promouvoir des positions dissemblables. Plus encore, même

un dictateur bénéficiant d'une emprise totale et incontestable sur son État, bien que personne

n'ose ouvertement soutenir une position contraire à la sienne, doit néanmoins tenir compte de la

situation interne puisque celle-ci affecte significativement les ressources à sa disposition. Les

démocraties sont toutefois particulièrement touchées par cette nécessité de tenir compte des

revendications internes puisque les dirigeants de celles-ci doivent obtenir des majorités

électorales pour conserver le pouvoir.

Puisque ce mémoire s'intéresse aux facteurs de la politique étrangère de l'Allemagne, il

importe donc, à des fins de clarté, de définir ce que nous entendons par facteur. Le terme

« facteur » signifie tout ce dont il faut tenir compte afin d'expliquer la conduite de la politique

étrangère allemande, les différents éléments à la source de cette politique et qui permettent

d'expliquer que l'Allemagne ait agi de telle façon plutôt que d'une autre lors des crises

yougoslaves.

Parmi ces facteurs, on retrouve d'abord ce qui rend possible une action particulière, soit

les moyens et les capacités. Par exemple, il est possible pour un gouvernement de déployer des

troupes pour une mission de maintien de la paix puisqu'il dispose d'une armée et donc de

soldats, ou encore de financer un projet de développement puisqu'il dispose de ressources

financières suffisantes. Notons aussi parmi ces facteurs les lois et les contraintes institutionnelles,

nationales ou internationales, ainsi que leurs interprétations qui rendent légales certaines actions.

Par exemple, dans le cas de l'Allemagne, la constitution, ou plutôt l'interprétation de celle-ci,

11

Page 20: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

rend le déploiement de soldats allemands en dehors de la zone de l'OTAN illégal, et ce, jusqu'au

jugement de la cour constitutionnelle de Karlsruhe en juillet 1994. Ceci limite grandement les

capacités de l'Allemagne en matière de maintien, d'imposition ou de rétablissement de la paix.

Un gouvernement peut certes enfreindre les lois et faire fi des contraintes institutionnelles, mais,

dans la majorité des régimes démocratiques, les gouvernements tendent la plupart du temps à

respecter les lois et les institutions, avec bien sûr quelques exceptions notables.

D'autres facteurs sont ceux qui, bien que ne concernant pas directement les capacités,

influencent les décisions prises par un gouvernement, l'incitent à mettre en œuvre une politique

donnée de préférence à une autre. La pression exercée sur un gouvernement qui, à la demande et

sous la pression de ses alliés, des Nations Unies, de son opinion publique ou encore de

l'opposition parlementaire, prend la décision de participer à une mission de maintien de la paix,

est l'un de ces facteurs. Les perceptions, les valeurs, les principes et les cadres idéologiques d'un

gouvernement et de ceux qui le composent jouent aussi un rôle important dans le choix et

l'élaboration des politiques. L'importance du principe du droit des peuples à l'autodétermination

chez les élites allemandes qui, tout juste après la réunification, considèrent que celle-ci a été

réalisée en grande partie grâce à cette norme de droit international, et, toujours chez ces mêmes

élites, l'importance d'être de bons et fidèles alliés du bloc occidental afin d'éviter un Sonderweg en sont un bon exemple. Les intérêts, les buts et les objectifs à court, moyen ou long terme, d'un

gouvernement ou d'un État, exercent une influence considérable sur le choix des politiques. En

effet, la plupart des gouvernements, lors de l'élaboration d'une politique, espèrent que celle-ci

atteindra un objectif qui concorde avec leurs intérêts réels ou perçus, et la recherche de cet

objectif détermine grandement le choix de politiques, certains objectifs étant difficilement

compatibles avec certaines politiques. Enfin, il ne faut pas négliger l'influence que le contexte

général et particulier exerce sur la prise de décisions politiques. L'espace géographique et

géopolitique, par exemple la distance entre le pays qui doit élaborer une politique et celui en

crise ou encore l'existence de liens diplomatiques avec les acteurs de la crise, des considérations

temporelles (sommes-nous à la veille d'élections ?), la présence de minorités ethniques sur le

territoire national ou l'existence d'importants flux migratoires en provenance de la zone de crise

ou encore l'histoire d'un État sont tous des facteurs qui peuvent influencer la politique d'un

gouvernement. Ce sont donc tous ces différents éléments qu'englobe l'utilisation du mot

« facteur » dans ce texte.

12

Page 21: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

En ce qui concerne la méthodologie, notons d'emblée qu'il s'agit d'une étude de cas. Le

caractère unique du sujet semble a priori rendre difficile de grandes généralisations. Nous

examinons les facteurs qui ont influencé la réaction du gouvernement de la République fédérale

d'Allemagne face à la désintégration de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

L'analyse porte donc sur la politique étrangère de l'État allemand. Notre étude ne s'attarde par

conséquent pas aux acteurs non étatiques (ONG, entreprises privées, etc.) ou sub-étatiques, tels

que les gouvernements des Lûnder allemands.

Le corpus de sources est principalement constitué de sources secondaires, c'est-à-dire des

articles de périodiques spécialisés, des chapitres d'ouvrages collectifs ainsi que des

monographies. Puisqu'il existe une littérature abondante sur la politique étrangère de

l'Allemagne et sur la désintégration de la Yougoslavie, il nous apparaît tout à fait logique et

pertinent de recourir aux travaux de spécialistes de ces questions. Notons que des travaux

d'auteurs francophones, anglophones et germanophones ont été mis à contribution afin d'éviter

que l'analyse soit faussée par un biais pro ou anti-allemand. En recoupant un nombre suffisant de

sources secondaires, nous pensons être en mesure de déterminer quels sont les principaux

facteurs devant être pris en compte et ceux devant être mis de côté pour expliquer la politique

étrangère de la RFA face à la désintégration yougoslave.

À ces sources secondaires nous avons toutefois jugé essentiel de rajouter quelques

sources primaires afin d'enrichir le mémoire et de renforcer la démonstration. Parmi ces sources

primaires, nous retrouvons notamment des discours, des déclarations et les mémoires d'hommes

politiques allemands, de même que des livres écrit par ceux-ci et qui expliquent leur position sur

certains sujets politiques qui nous intéressent.

Seuls les facteurs que nous avons jugés crédibles et pertinents ont été retenus et sont

présentés ici. Il nous apparaît inutile, pour des raisons d'espace et de clarté, de présenter ici en

détail l'explication retenue par certains auteurs qui voient dans la politique étrangère allemande à

l'égard de la RSFY la résurgence de l'expansionnisme, du militarisme et d'un nationalisme

agressif allemand puisque notre démonstration tend à démontrer le contraire25. La reconnaissance

par la RFA de la Slovénie et de la Croatie a donné lieu à une flambée de sentiments anti-

25 Pour un exemple de cette interprétation, largement influencée par la propagande des dirigeants serbes de Belgrade, voir JACOBSEN, Cari J. « Washington's Balkan Strategy : Aberration or Herald ? », The South Slav Journal, vol. 17, no. 1-2 (printemps-été), 1996, p.67-70. Cité dans CONVERSI, Daniele. « Germany and the Récognition of

13

Page 22: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

allemands qui se sont exprimés publiquement et avec virulence pour accuser l'Allemagne de tous

les maux. Ce german-bashing, pour reprendre l'expression de Daniel Conversi, a été le fait des

leaders nationalistes serbes, de certains diplomates occidentaux impliqués dans les tentatives de

règlement de la crise, de certains intellectuels occidentaux et de certaines élites politiques de

France, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis26. Notre analyse s'oppose donc à celle qui perçoit

dans la politique étrangère allemande face à la désintégration yougoslave la renaissance d'une

politique de grande puissance et le retour de l'hégémonisme allemand, l'Allemagne réunifiée

cherchant, à travers le démembrement de la RSFY, l'accès à un port dans les eaux chaudes de la

Méditerranée27. Notre analyse s'oppose aussi à celle de la politiste américaine Berverly

Crawford. Si nous sommes parfois d'accord avec elle en ce qui a trait aux facteurs ayant

influencé la position allemande, nous ne considérons pas, contrairement à Crawford, que la

reconnaissance par la RFA de la Slovénie et de la Croatie était un acte unilatéral28. Au contraire,

nous sommes d'avis que tout au long des conflits yougoslaves, l'Allemagne s'est efforcée d'agir

de concert avec ses partenaires dans un cadre multilatéral et que la reconnaissance de

l'indépendance des républiques yougoslaves du Nord-Ouest entre dans ce cadre.

En ce qui concerne l'importance de chacun des facteurs mentionnés dans ce travail,

l'auteur ne prétend en aucun cas être en mesure de les classer tous avec exactitude selon leur

importance. Bien que nous mentionnions parfois que tel facteur a joué un rôle secondaire ou que

tel autre semble avoir joué un rôle essentiel, il nous semble très difficile et aventureux de

prétendre ordonner avec justesse des éléments qualitatifs aussi complexes et variés que des

perceptions, des valeurs, la pression de l'opinion publique et les intérêts nationaux. Certains

facteurs présents dans chacun des conflits n'ont pas la même influence au fil du temps. Par

exemple, la question des réfugiés joue certes un rôle pendant la guerre serbo-croate, mais elle est

Croatia ans Slovenla », dans BLITZ, Brad K. (éd.). War and Change in the Balkans. Nationalism, Conflict and Coopération. Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p.57-75. 16 À ce sujet, voir CONVERSI, Daniele. German-Bashing and the Breakup ofYugoslavia. Seattle, Henry M. Jackson School of International Studies, University of Washington, 1998. Donald W. Treadgold Papers in Russian, East European, and Central Asian Studies, no. 16. 27 Pour cette interprétation, voir entre autre GALLOIS, Pierre M. « Vers une prédominance allemande », Le Monde. 16 juillet 1993, p.2. Voir aussi CAPLAN, Richard. Europe and the Récognition ofNew States in Yugoslavia. Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p.42-43. Caplan cite notamment certains responsables serbes tels que l'ancien secrétaire à la défense national Veljko Kadijevié et Milan Martié, ancien chef des Serbes de Croatie.

Voir les deux articles suivants pour l'interprétation de Crawford : CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection From International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p.482-521 et CRAWFORD, Berverly. « German Foreign Policy and European Political Coopération : The Diplomatie Récognition of Croatia in 1991 », German Politics and Society, vol. 13, no. 2 (été), 1995, p.18.

14

Page 23: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

de moindre importance que lors de la guerre de Bosnie. Plus encore, l'importance de certains

facteurs varie aussi au cour d'un seul et même conflit. Par exemple, l'impact des horreurs de la

guerre est beaucoup plus grand pendant le siège de Dubrovnik à la fin novembre 1991, lors de la

chute de Vukovar le 18 novembre et après les événements de Srebrenica, qu'au début des

hostilités en Croatie. Malgré ces difficultés inhérentes, nous essaierons, dans la mesure du

possible, de classer dans notre conclusion ces différents facteurs selon leur importance.

La politique étrangère de la RFA durant la guerre froide. 1949-1990

Si la Deuxième Guerre mondiale se termine en 1945, la République fédérale d'Allemagne

ne voit le jour qu'à l'automne 1949 avec la mise en place le 15 septembre du gouvernement de

coalition dirigé par le chancelier conservateur Konrad Adenauer. C'est donc à partir de cette date

que la RFA commence à développer une politique étrangère. Il faut toutefois préciser que la

République fédérale ne jouit alors que d'une souveraineté très limitée. En effet, plusieurs des

attributs de la souveraineté sont initialement interdits à la RFA, notamment le droit de lever une

armée et de développer une politique étrangère indépendante.

Sous le règne d'Adenauer, soit de 1949 à 1963, la RFA mène une politique étrangère qui

s'articule autour de l'intégration à l'Ouest, celle-ci permettant d'accroître la souveraineté de la

République fédérale, de réintégrer le monde civilisé et de garantir sa sécurité. Adenauer a fait de

l'intégration de la RFA à l'Ouest (Westbindung) une de ses priorités de politique étrangère. Il

s'agit d'intégrer l'Allemagne dans les institutions et le système de pensée politique de

l'Occident. Adenauer considère que les problèmes passés de l'Allemagne sont dus à

l'insuffisance de l'intégration à l'Ouest et à l'absence d'idéaux démocratiques29.

Afin de démontrer sa volonté et prouver que l'Allemagne qu'il dirige est bien guérie de

ses vieux démons, Adenauer accepte, en 1950, que la RFA fasse son entrée au Conseil de

l'Europe en même temps que la Sarre, cette dernière finissant par réintégrer l'Allemagne en 1957

après moult querelles entre Paris et Bonn. Il accepte aussi que la RFA prenne en charge les dettes

extérieures de l'ancien Reich en 1952 et signe un accord de réparation avec Israël en 1953.

Le premier chancelier a d'abord utilisé la sphère économique afin d'ancrer la RFA à

l'Ouest. Il s'appuie sur les exigences initiales des États-Unis en matière de coopération

29 ERB, Scott. German Foreign Poticy. Navigating a New Era. Boulder, Lynne Reiner Publishers, 2003, p.23-24.

15

Page 24: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

économique entre les pays européens pour que ceux-ci puissent profiter du Plan Marshall. En

développant des politiques et des intérêts communs, Adenauer espère convaincre les pays

européens que l'Allemagne de l'Ouest n'est pas une menace mais bien un partenaire. La

coopération économique permet une croissance économique plus rapide et offre la possibilité

pour la RFA de poursuivre ses intérêts économiques sous le couvert d'une institution

multilatérale30.

Une occasion d'intégrer d'avantage la RFA à l'Occident survient lorsque le ministre

français des Affaires étrangères Robert Schuman propose la création d'une Communauté

européenne du charbon et de l'acier (CECA). Cette proposition cadre parfaitement avec les

désirs et la vision d'Adenauer et il soutient l'idée avec enthousiasme. La CECA, comprenant la

France, l'Allemagne, l'Italie et les pays du Bénélux, est créée en 1951 par le traité de Paris et a

l'avantage de rassurer les partenaires de la RFA, en plus d'intégrer la RFA dans le bloc

occidental31. Adenauer est si attaché à l'orientation occidentale de la RFA qu'il refuse en mars

1952 une proposition soviétique offrant de réunifier l'Allemagne sous condition qu'elle devienne

un État neutre. Pour le chancelier, seule l'intégration occidentale peut assurer la sécurité de la

RFA et une réunification ultérieure de l'Allemagne32. Les succès de la CECA mènent en 1957 à

l'approfondissement de la coopération européenne avec la création de la Communauté

économique européenne (CEE).

Sur le plan de la sécurité, Adenauer propose dès 1949 aux Alliés un réarmement de

l'Allemagne afin de prévenir une agression soviétique. Il faut toutefois attendre en juin 1950 et le

début de la guerre de Corée pour que l'idée soit vraiment envisagée par les partenaires

occidentaux de la RFA. La guerre de Corée a mis en évidence que la possibilité d'une agression

communiste en Europe ne peut être balayée du revers de la main et qu'il faut donc préparer la

guerre pour avoir la paix. Il devient alors clair que seul des troupes allemandes permettraient de

contrer la supériorité numérique des Soviétiques en Europe. Le projet initial est d'intégrer un

contingent allemand au sein d'une armée commune européenne sous commandement commun.

Le projet de la Communauté européenne de défense (CED), élaboré en 1950, n'aboutit toutefois

pas. Bien que le traité sur la CED soit signé en 1952 par les six membres de la CECA,

30 Ibid, p.26. 31 FULBROOK, Maiy. (éd.) Twentieth-century Germany : politics, culture andsociety 1918-1990. London, Arnold, 2001, p. 183-184. 32 WAHL, Alfred. Histoire de la République fédérale d'Allemagne. Paris, Armand Colin, 1991, p.40.

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Page 25: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

l'Assemblée nationale française décide, le 30 août 1954, de retirer la question de l'ordre du jour,

empêchant ainsi sa ratification et entraînant l'échec du projet33.

Cet échec ne remet toutefois pas en cause l'idée de réarmer la RFA. Seul le cadre de ce

réarmement change. En effet, il est décidé d'intégrer la RFA au sein de l'Union de l'Europe

occidentale (UEO) et au sein de l'OTAN. Cette décision est officialisée par les Accords de Paris

signés le 23 octobre 1954 qui permettent la création d'une Bundeswehr. L'armée allemande peut

toutefois servir exclusivement à des fins défensives et est dépourvue d'armes nucléaires,

biologiques et chimiques, de même que de canons lourds et de bombardiers stratégiques. Afin

d'intégrer l'OTAN, la RFA a aussi dû promettre de ne pas chercher la réunification par des

moyens militaires34. L'entrée de l'Allemagne au sein de l'OTAN lui rend une grande partie de sa

souveraineté et fait d'elle un acteur de la politique internationale plutôt qu'un simple sujet.

En ce qui concerne les relations Est-Ouest, le gouvernement fédéral adopte le principe du

droit de représentation exclusive {Alleinvertretungsrecht). Autrement dit, les dirigeants ouest-

allemands sont, à leurs propres yeux, les seuls représentants légitimes du peuple allemand

puisqu'ils sont les seuls qui sont librement élus. Pour eux, la RDA n'existe pas, il s'agit plutôt de

la zone d'occupation soviétique.

À partir de 1955 s'ajoute à ceci la « doctrine Hallstein». Le gouvernement de la RFA

considère désormais la reconnaissance de la RDA par un autre Etat comme un « acte inamical »

et refuse d'entretenir des contacts diplomatiques avec un État ayant des relations diplomatiques

avec la RDA. Le but de cette politique, officiellement en place jusqu'à la fin des années 1960, est

d'isoler la RDA35. Dès 1957, cette doctrine est mise en pratique lorsque les relations avec la

RSFY sont rompues suite à la reconnaissance par celle-ci de la République démocratique

allemande.

La fin du règne d'Adenauer est essentiellement marquée par la crise de Berlin en 1961 et

l'érection du « mur de la Honte » le 13 août de la même année. Une fois cette crise réglée, on

assiste à une certaine détente entre les deux superpuissances, principalement due aux efforts du

Président américain Kennedy.

Lorsqu'il quitte la scène politique le 11 octobre 1963, Adenauer a réussi son pari d'ancrer

fermement la RFA à l'Ouest, et jamais cet ancrage n'a depuis été véritablement remis en

33 FARÇAT, Isabelle. L'Allemagne de la Conférence de Potsdam à l'unification. Paris, Minerve, 1992, p. 108-110. 34 Jbid, p.UO.

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Page 26: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

question par les dirigeants allemands. Toutefois, la ligne dure qu'il prône face au bloc oriental

s'effrite déjà considérablement.

Le successeur immédiat d'Adenauer à la chancellerie, Ludwig Erhard, lui aussi un

conservateur, est favorable à une certaine ouverture avec l'Est. Cette politique vise à isoler la

RDA en nouant des relations avec les démocraties populaires à l'exception de la RDA. En

septembre 1963, une mission commerciale est ouverte en Pologne. À la fin de la même année,

des missions commerciales sont ouvertes en Hongrie et en Roumanie. 1964 voit l'ouverture

d'une mission commerciale ouest-allemande en Bulgarie. En mai 1965, le ministre des Affaires

étrangères Gerhard Schrôder déclare au Bundestag que rien ne s'oppose en théorie à

l'établissement de liens diplomatiques avec les États d'Europe orientale. Il s'agit d'un abandon

implicite, mais pas officiel, de la doctrine Hallstein36. En 1966, Erhard propose aux pays

socialistes, à l'exception bien sûr de la RDA, d'échanger des déclarations de renonciations à

l'usage de la force.

Il faut cependant attendre la fin de 1966 et la formation de la «grande coalition»

regroupant les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates (conservateurs) sous le chancelier

Kiesinger pour voir cette ouverture à l'Est se développer davantage. Sous l'influence des

sociaux-démocrates et de son chef Willy Brandt, des relations diplomatiques sont établies avec la

Roumanie en 1967 et rétablies avec la Yougoslavie de Tito l'année suivante. Il est même discuté

de développer des relations avec la RDA afin d'améliorer le sort des Allemands de l'Est, sans

toutefois la reconnaître officiellement.

C'est néanmoins sous la chancellerie de Willy Brandt que YOstpolitik de la RFA prend

véritablement son élan. Presque immédiatement après son arrivée au pouvoir en octobre 1969, le

gouvernement de Brandt propose aux Soviétiques de reprendre les négociations sur un

engagement réciproque de non-agression. Le mois suivant, la RFA signe le traité de non-

prolifération nucléaire (TNP) afin de prouver sa bonne volonté. À la fin novembre, Brandt

propose au gouvernement polonais d'engager des discussions afin de régler les problèmes

frontaliers. Le chancelier social-démocrate va même jusqu'à reprendre le dialogue avec la RDA.

Les discussions avec l'URSS aboutissent à la signature du traité de Moscou en août 1970, puis

au traité de Varsovie en décembre de la même année. En septembre 1971 sont signés les accords

WAHL, Alfred. Op. cit., p.50. GUILLEN, Pierre. Op. cit., p.82.

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Page 27: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

quadripartites sur Berlin qui amorcent une normalisation des rapports entre les deux

Allemagnes37. En 1971-1972, une série d'accords et de traités sont signés avec la RDA,

notamment le traité sur les fondements des relations entre les deux Allemagnes. La RFA y

reconnaît la RDA comme un État souverain sans toutefois qu'une reconnaissance complète en

droit international soit formulée, laissant ainsi ouverte la possibilité d'une éventuelle

réunification. Permettant une ouverture et une intensification des rapports dans une foule de

domaines, de même que la circulation des Allemands de l'Ouest vers l'Est, le traité fondamental

concrétise la stratégie du changement par le rapprochement (Wandel durch Annaherung)

élaborée quelques années plus tôt38.

VOstpolitik menée par Brandt découle de deux nécessités. D'abord, sur le plan

économique, la RFA veut pouvoir profiter des marchés de l'Est pour relancer son développement

économique. Deuxièmement, sur la plan politique, les États-Unis donnent désormais la priorité

au dialogue avec Moscou et la question allemande est quelque peu laissée de côté afin de

favoriser ce dialogue. Il devient donc nécessaire pour la RFA de surmonter les blocages de sa

politique afin d'accroître sa marge de manœuvre sur la scène internationale39.

L'ère Brandt voit aussi le développement du multilatéralisme dans la politique étrangère

de la RFA. En juillet 1973, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe est ouverte

(CSCE) et se conclut en août 1975 avec la signature de l'acte d'Helsinki. En septembre 1973, la

RFA et RDA sont admises à l'ONU.

Sous la gouverne du chancelier Helmut Schmidt qui succède à Brandt en 1974,

l'Allemagne s'affirme sur la scène internationale. Cette affirmation est cependant toute relative,

car pour les questions militaires et de défense, la culture de retenue continue de prévaloir (Kultur

der Zuruckhaltung). Devenue une puissance économique et financière avec laquelle il faut

compter, elle jouit aussi d'un important rayonnement culturel. La RFA profite de son nouveau

statut pour se distancer de Washington, mais seulement dans le domaine économique. En effet,

jamais les dirigeants ouest-allemands ne remettent en cause l'ancrage à l'Ouest et le caractère

essentiel des rapports germano-américains pour la sécurité de la RFA. Toutefois, la République

WAHL, Alfred. Op. cit., p. 117. Ibid, p. 118. GUILLEN, Pierre. Op. cit., p.89.

19

Page 28: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

fédérale s'oppose aux États-Unis au sujet des politiques monétaires, des exportations, de la lutte

contre l'inflation et des taux d'intérêts40.

En ce qui concerne les relations avec l'Est, Bonn met alors l'accent sur les questions

économiques et l'on assiste à une certaine normalisation des rapports. Plusieurs accords

économiques sont signés et les échanges commerciaux, particulièrement avec l'URSS, dont la

RFA est le premier partenaire commercial, se développent. Tout n'est cependant pas rose

puisqu'il subsiste un contentieux avec de nombreux pays, notamment la Pologne, au sujet des

minorités allemandes encore présentes sur le territoire des pays de l'Europe orientale.

La question allemande n'étant plus le point chaud du conflit entre les deux

superpuissances, les relations avec la RDA continuent de se développer modestement,

conformément aux dispositions du traité fondamental. Des représentants permanents réciproques

sont en places, l'information circule, plusieurs millions d'Allemands de l'Ouest se rendent à

l'Est, des ententes sont conclues sur l'utilisation des autoroutes, etc.

La politique européenne de la RFA sous Schmidt est marquée par la bonne entente entre

Paris et Bonn, le couple franco-allemand étant le moteur de la construction européenne. Des

deux côtés du Rhin, on accorde la préférence aux initiatives franco-allemandes en ce qui a trait à

la construction européenne. En juillet 1978, Schmidt et son homologue français Giscard

d'Estaing s'entendent sur l'instauration du Système monétaire européen (SME), « visant à

harmoniser et à stabiliser les politiques monétaires au sein de la Communauté européenne41 ».

À partir de 1979, on assiste à une certaine reprise de la guerre froide, à laquelle l'invasion

soviétique en Afghanistan, la déclaration de l'État de guerre en Pologne et la crise des

euromissiles ne sont pas étrangères. Craignant la menace que représente la supériorité soviétique

en Europe, Schmidt réclame en 1979 le renforcement de l'OTAN. Il est donc à l'origine de la

« double décision » de l'OTAN, c'est-à-dire l'ouverture de négociations avec l'URSS sur la

questions des euromissiles et, en cas d'échecs des discussions, le déploiement en Europe de

missiles de croisière américains Pershing II. Malgré cela, Schmidt, face à cette recrudescence des

tensions, cherche à préserver les acquis de la détente42.

40 Ibid, p. 103-104. 41 FARÇAT, Isabelle. Op. cit., p. 180. 42 GUILLEN, Pierre. Op. cit., p. 119.

20

Page 29: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Arrivé au pouvoir en 1982, c'est Helmut Kohi, chancelier pendant 16 ans (1982-1998)

qui est en place pour la conclusion de la crise des euromissiles, le retour à la détente et

finalement, l'effondrement du bloc communiste et la réunification allemande.

Sur la question des euromissiles, le Bundestag accepte en 1983 le déploiement de ceux-ci

sur le territoire allemand. Malgré les fortes tensions entre les deux blocs, les deux Allemagnes

s'efforcent quant à elles de maintenir une sorte de mini-détente. Les conservateurs, autrefois

opposés à YOstpolitik, décident donc de la poursuivre. Le retour de la détente internationale en

1985 avec l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev en URSS facilite grandement la politique

étrangère allemande. Les relations interallemandes regagnent alors en vigueur puisque la RDA

jouit d'une plus grande autonomie.

Sous Kohi, les relations européennes, particulièrement entre la RFA et la France, sont

plutôt bonnes : différentes institutions conjointes, touchant presque tous les domaines, sont

créées, y compris un Conseil de défense et de sécurité franco-allemand en 1988. Bonn s'applique

aussi à faire avancer la CEE, que ce soit en prônant le développement de nouveaux champs de

compétences tel l'environnement ou bien en favorisant la réforme des institutions déjà existantes.

Lorsqu'en 1989, à la surprise de tous, la RDA est sur le point de s'effondrer et que

l'URSS ne semble pas vouloir imposer un « retour à la normale », Kohi saisit rapidement

l'occasion. Sans consulter la classe politique ouest-allemande et les alliés occidentaux, il propose

le 28 novembre devant le Bundestag un programme en dix point pour la réunification. Si

plusieurs des partenaires européens de l'Allemagne sont plutôt froids face aux événements qui se

déroulent alors en accélérés, Bonn peut compter sur le soutien de Washington, dès lors que Kohi

confirme au Président Bush que l'Allemagne unie restera membre de l'OTAN. Face à l'URSS,

Kohi manœuvre habilement en prenant en compte les intérêts de Moscou quant aux frontières,

aux relations économiques et même sur les questions militaires. Avec l'accord des deux

superpuissances, la voie est alors pavée pour la tenue de la conférence « 2 + 4 » qui officialise la

réunification de l'Allemagne.

La politique étrangère allemande entre 1949 et 1990 s'articule donc autour de trois axes

principaux : l'intégration à l'Occident, qui a permis d'atteindre presque tous les objectifs

fondamentaux de la RFA, à l'exception notable de la réunification; le développement du

multilatéralisme (OTAN, CE, CSCE, ONU), qui lui permet de réintégrer la scène internationale

21

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et de faire valoir ses intérêts ; ainsi qu'une politique de normalisation des relations avec le bloc socialiste à partir des années 1960 afin de laisser ouverte la possibilité d'une réunification43.

43 UTERWEDDE, Henrik. « Allemagne : à la recherche d'un nouveau rôle », dans CHARILLON, Frédéric (dir.). Les politiques étrangères. Ruptures et continuités. Paris, La documentation française, 2001, p. 152.

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Chapitre 2 : L'Allemagne du gouvernement Kohi face aux guerres de Slovénie et de Croatie,

1991-1992

Deux jours après avoir déclaré unilatéralement son indépendance, la nouvelle République

de Slovénie44, qui ne bénéficie pas encore de la reconnaissance internationale, fait face à son

premier défi sécuritaire. L'Armée populaire yougoslave (APY) qui, reniant l'autorité de la

Présidence collective et de son président se met au service de la Serbie et de Milosevic, envahit,

sur ordre du Premier ministre yougoslave Ante Markovic, la Slovénie. Cette action

inconstitutionnelle, puisque seul le président yougoslave peut légalement ordonner le recours à la

force, vise théoriquement à reprendre le contrôle des postes frontières. Cette intervention à la

légitimité douteuse de l'APY est considérée par certains auteurs comme une tentative de coup

d'État au profit de Milo§evic45.

L'APY, forte d'un contingent de 20 000 hommes pour l'opération, se bute toutefois à une

résistance Slovène exceptionnelle. En effet, les miliciens Slovènes, déterminés à mener à bien la

« libération » de la Slovénie et recourant à la guérilla, mettent efficacement en échec les troupes

de l'APY. Plus encore, les Slovènes ont tôt fait de comprendre l'importance de l'aspect

médiatique de la guerre et réussissent à gagner la sympathie de l'Europe occidentale en se

présentant comme les victimes d'une agression brutale, propagande d'autant plus simplifiée par

l'utilisation d'avions et d'armes lourdes par l'APY, ce qui correspond très peu aux buts affichés

de reprendre le contrôle des postes frontières46. Le conflit dure 10 jours et prend fin le 7 juillet

suite aux accords de Brioni, négociés sous les auspices de la Communauté européenne. Bien que

la Croatie et la Slovénie acceptent un moratoire de trois mois sur la mise en œuvre de leur

déclaration d'indépendance, la guerre constitue pour la Slovénie le point de rupture après lequel

toute négociation avec Belgrade n'est plus possible, marquant ainsi véritablement la fin de la

deuxième Yougoslavie47.

44 Voir l'annexe 4 pour une carte de la Slovénie. 45 LUKIC, Renéo. L'agonie yougoslave (1986-2003) : les États-Unis et l'Europe face aux guerres balkaniques. Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 2003, p. 170. 46 BROSSARD, Yves et VIDAL, Jonathan. L'éclatement de la Yougoslavie de Tito (1980-1995) : désintégration d'une fédération et guerres interethniques. Sainte-Foy, Presse de l'Université Laval, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 114. 47 LUKIC, Renéo. Op. cit., p. 173.

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En Croatie , bien que la déclaration de guerre officielle et explicite n'est faite que le 20

septembre 1991 à la télévision par le général Veljko Kadijevic, les combats commencent en

réalité au printemps de la même année. Pendant la guerre de Slovénie, la Croatie s'est

désolidarisée du gouvernement de Ljubljana et s'est déclarée neutre, simplifiant ainsi le travail

de l'APY et des nationalistes serbes. Avec la fin de la guerre en Slovénie, L'APY va prendre

quelques jours pour se remettre de son échec puis va commencer à mettre à mal le territoire

croate en juillet. En plus de l'APY, des groupes paramilitaires en provenance de Serbie,

notamment celui du mafieux et criminel de guerre Zeljko Raznatovic (plus connu sous le surnom

d'Arkan), et des milices composées de Serbes de Croatie participent à l'agression contre la

République croate. L'offensive serbe menée sur plusieurs fronts et contre plusieurs grandes villes

croates, entre autres Vukovar et Dubrovnik, réussit à conquérir une part substantielle du territoire

croate. Toutefois, elle ne parvient pas à atteindre son objectif, soit la défaite militaire totale et

rapide de la Croatie49.

La réponse allemande aux conflits serbo-slovène et serbo-croate comporte trois phases

principales. Premièrement, l'Allemagne, jusqu'à l'été 1991, se montre tout aussi attachée à

l'unité territoriale de la Yougoslavie que le reste des pays de la Communauté européenne (CE) et

les États-Unis50. Puis au cours de juillet 1991, la position de la RFA se modifie. Celle-ci favorise

désormais la reconnaissance des indépendances slovène et croate et milite activement au sein de

la CE pour faire adopter sa position. La troisième composante est la reconnaissance de la

Slovénie et de la Croatie en décembre 1991, geste qui vaut à l'Allemagne de nombreux

commentaires acerbes de la part de ses alliés européens puisqu'elle semble alors agir de manière

unilatérale.

A) L'Allemagne en faveur du maintien de l'intégrité territoriale yougoslave

Jusqu'à la toute fin de juin 1991, l'Allemagne, de même que ses partenaires européens,

sont en faveur du maintien de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie. Deux raisons principales

48 Voir l'annexe 5 pour une carte de la Croatie. 49 LUKIC, Renéo. Op. cit., p. 184. 50 Le 19 juin 1991, soit une semaine avant le début des hostilités, une déclaration commune de tous les partis politiques allemands soutient qu'il est possible de maintenir l'unité territoriale de la Yougoslavie en transformant celle-ci en confédération, transformation d'autant plus légale puisque la constitution yougoslave le permet Voir

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Page 33: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

expliquent cette position, soit le manque de préparation de l'Allemagne et de l'Europe pour faire

face à la crise et le désir d'éviter un exemple pour les revendications indépendantistes

Une Allemagne prise au dépourvu

Au cours de l'année 1990 et du printemps 1991, la Slovénie et la Croatie préparent

progressivement leur indépendance. Ce désir de sécession ne peut toutefois qu'être perçu avec

méfiance et incompréhension par les dirigeants de la CE : [C]omment les républiques yougoslaves pouvaient-elles réclamer leur indépendance alors

même que les États membres de la Communauté européenne acceptaient, eux, d'abandonner de grands pans de leur souveraineté nationale au profit du traité d'Union européenne, dit traité de Maastricht, contemporain des guerres en Croatie et en Bosnie-Herzégovine ? Les sécessions croate et Slovène se faisaient sous l'œil suspicieux de la plupart des chancelleries européennes : celles-ci critiquaient le « tribalisme » primaire de ces républiques égoïstes et riches (aux critères yougoslaves)51.

Plus encore, la vision qu'ont les Européens de la région n'est absolument pas favorable à

une reconnaissance des indépendances slovène et croate car pour eux : « l'unité, l'intégrité du

territoire, sont les garants de la paix entre ethnies yougoslaves ; la stabilité régionale et

internationale exige le maintien d'un acteur plutôt que le chaos de la fragmentation »52. C'est que

la situation internationale, déjà suffisamment bouleversée aux goûts des Européens avec la fin de

la confrontation Est-Ouest, la réunification allemande et la guerre en Irak, ne peut se permettre

de nouveaux bouleversements, encore moins sur le vieux continent.

Un autre facteur de cette politique européenne envers la Yougoslavie, ou plutôt de cette

absence d'une véritable politique est que, contrairement à l'agression du Koweït par l'Irak qui

est sans l'ombre d'un doute une violation de la souveraineté de l'État koweïtien, l'intervention

de l'APY en Slovénie et en Croatie semble à prime abord, pour le droit international, être un

conflit interne. En effet, « [t]out le problème du passage des frontières internes à des frontières

externes pour les républiques indépendantistes révéla le décalage constant entre la rapidité des

développements politiques et militaires et la lenteur de la reconnaissance juridique ».

CRAWFORD, Berverly. « German Foreign Policy and European Political Coopération : The Diplomatie Récognition of Croatia in 1991 », loc. cit., p.5. 51 BOULANGER, Philippe. La Bosnie-Herzégovine. Une géopolitique de la déchirure. Paris, Éditions Karthala, 2002, p.53. 52 RUPNIK, Jacques. « Les enjeux internationaux », dans RUPNK, Jacques (dir.). De Sarajevo à Sarajevo. L'échec yougoslave. Bruxelles, Éditions Complexe, 1992, p. 129. 53/é/rf.,p.l28.

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La fin de la guerre froide a sur le cas yougoslave un effet complètement différent de celui

sur la guerre du Golfe. Alors que la chute du bloc communiste rend possible une intervention

contre l'Irak, la Yougoslavie voit son importance stratégique fondre comme neige au soleil avec

la fin du conflit soviéto-américain. Ce phénomène est d'autant plus critique que la Yougoslavie

ne possède ni armes nucléaires ni ressources énergétiques majeures54.

Avec le non-engagement américain, c'est à l'Europe que revient le rôle de résoudre le

conflit yougoslave. Toutefois, l'Europe, que ce soit la CE ou chaque État individuel, est alors

absorbée par une autre question qui semble alors beaucoup plus cruciale pour la stabilité du

continent que les querelles tribales (sic) en Yougoslavie : le problème allemand. La réunification

allemande suscite bien des questions et des inquiétudes chez les partenaires de la RFA. De la

chute du mur jusqu'au déclenchement des guerres yougoslaves « la CE n'en avait que pour le

processus de réunification de l'Allemagne55 ».

Quant à l'Allemagne, elle est tout au long de cette période absorbée par les conséquences

immédiates d'une réunification réalisée en octobre 1990. Les premières élections de l'Allemagne

réunifiée ont lieu en décembre 1990. Le nouveau gouvernement entre en fonction le 18 janvier

1991. La RFA a tout simplement beaucoup trop d'autres domaines qui requièrent son attention

pour développer une politique cohérente envers les Balkans56. Ce problème ne concerne pas

seulement les Balkans mais l'ensemble de la politique étrangère allemande post-réunification. La

réunification est un objectif central de la politique étrangère de la RFA depuis 1949. Jusqu'en

1989, il s'agit essentiellement d'un problème académique puisque tous ignorent quand aura lieu

la réunification. Aucune véritable réflexion n'a eu lieu afin de définir en quoi cela modifierait la

politique étrangère de la RFA et quelle direction prendrait sa politique après la réunification57.

Plus encore, jusqu'à l'éclatement des guerres, l'Allemagne et les autres États européens

ont, en dépit des informations disponibles, « largement sous-estimés les risques inhérents au

processus de désintégration yougoslave, tout en surestimant les capacités de prévention de crise

54 Ibid, p. 127-128. 55 BROSSARD, Yves et VIDAL, Jonathan. Op. cit., p. 107. 56 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 110. Voir aussi LIBAL, Michael. Op. cit., p.4-5. et MAULL, Hanns W. et STAHL, Bernhard. « Durch den Balkaii nach Europa ? Deutschland und Frankreich in den Jugoslawienkriegen », Politische Vierteljahresschrift, vol. 43, no. 1 (mars), 2002, p.84. 57 DECKERS, Wolfgang. Loc. cit., p. 158.

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de la CSCE58. Le 24 juin 1991, soit à la veille des déclarations d'indépendance officielles de la

Slovénie et de la Croatie et trois jours avant le début de la guerre en Slovénie, la CE signe avec

la Yougoslavie un protocole financier59. La CE ne semble tout simplement pas (vouloir) voir

venir la fin de la Yougoslavie. Jusqu'à ce que la crise dégénère en affrontements violents,

l'Europe s'en remet à la CSCE pour résoudre le problème. Il existe en effet depuis novembre

1990 au sein de la CSCE un Centre de prévention des conflits. Ce dernier ne possède toutefois

aucune compétence politique pour la résolution des conflits, il s'agit plutôt d'un lieu d'échange

d'informations militaires. Malgré cela, il ne recueille guère d'informations sur la situation en

Yougoslavie et il faut attendre le 28 juin, soit après le déclenchement de la guerre, pour que

l'Autriche et le Luxembourg déclenchent le mécanisme d'urgence de la CSCE60. La CSCE n'a

tout simplement pas été à la hauteur de la situation et n'a pu prévenir l'éclatement des violences.

Toutefois, après les déclarations d'indépendance des républiques du Nord-Ouest et le

début de la guerre, un autre facteur incite les États européens à faire preuve de prudence à l'égard

de la reconnaissance des nouveaux États. Il s'agit de la peur de créer un précédent pour les

revendications indépendantistes. Cette crainte concerne particulièrement une autre fédération

communiste qui possède cette fois l'arme nucléaire, l'Union soviétique.

La crainte de créer un précédent pour les revendications indépendantistes

Plusieurs États de l'Europe occidentale connaissent certaines difficultés avec des

revendications sécessionnistes, notamment le Royaume-Uni avec l'Ecosse et surtout l'Irlande du

Nord, la France avec la Corse, l'Espagne avec le problème basque et l'Italie avec le sud du

Tyrol. Ces États et leurs alliés, au nombre desquels figure l'Allemagne, sont donc quelque peu

réticents à octroyer aux Slovènes et aux Croates une indépendance qui pourrait constituer un

exemple pour ces groupes indépendantistes61. Au dire même du ministre des Affaires Étrangères

allemand Hans-Dietrich Genscher, il importe pour l'Allemagne de ne pas encourager les

58 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 110. 59 BROSSARD, Yves et VIDAL, Jonathan. Op. cit., p. 107. 60 Ibid, p. 106-107. 61 GIERSCH, Carsen et EISERMANN, Daniel. « Die westliche Politik und der Kroatien-Krieg 1991-1992 », dans Sûdosteuropa, vol. 43, no. 3-4, 1994, p. 100-101.

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tendances centrifuges . Il s'agit ici essentiellement de ne pas nuire à ses alliés puisque la RFA

n'a pas de problèmes sérieux avec des revendications indépendantistes menaçant son intégrité

territoriale63. Les Lânder allemands défendent certes farouchement leurs compétences et leur

autonomie, la Bavière en tête de liste, mais ne considèrent pas une sécession comme un choix

politique intéressant.

La chute du mur de Berlin et l'effondrement en chaîne des régimes communistes en

Europe de l'Est laissent entrevoir un problème beaucoup plus sérieux pour l'Occident : le sort de

l'URSS. Les réformes économiques et politiques mises de l'avant par Mikhaïl Gorbatchev n'ont

certes pas fait de l'Union soviétique une démocratie, mais elles ont suffisamment affaibli le

contrôle du pouvoir communiste pour que des revendications se fassent entendre ici et là au

début des années 1990, notamment des revendications de la part des républiques concernant leur

indépendance.

Jusqu'en juin 1991, il importe donc pour l'Occident, incluant l'Allemagne, d'éviter de

créer un précédent pour les républiques soviétiques désirant faire sécession. C'est que la

Communauté européenne et ses membres considèrent la Yougoslavie multiethnique et l'URSS

multiethnique d'un même œil64 et craignent qu'un soutien occidental à l'indépendance de la

Slovénie et de la Croatie n'encourage un processus de désintégration de l'URSS où s'observe

chez les républiques (outre celle de Russie) une croissance significative des revendications

sécessionnistes65. L'instabilité de la situation en l'URSS, qui ressemble alors à celle de la

Yougoslavie, pèse lourdement sur l'esprit non seulement du ministre Genscher et de ses proches

collaborateurs, mais bien sur l'ensemble de l'establishment diplomatique allemand66.

Les dirigeants d'alors considèrent que la désintégration de l'URSS serait beaucoup plus

dangereuse puisqu'il s'agit « d'une Yougoslavie avec des armes nucléaires67 » qui sont de

62 GENSCHER, Hans-Dietrich. Erinnerungen. Berlin, Siedler-Verlag, 1995, p.932. 63 Le terme « problèmes sérieux » est employé ici puisque l'auteur a personnellement rencontré quelques étudiants à l'université de la Sarre qui sont membres du Saarlândische Unabhùngigkeitsbewegung (Mouvement pour l'Indépendance de la Sarre) et qui revendiquent, théoriquement du moins, l'indépendance de la Sarre. Il semble que les membres de ce groupuscule souhaitent faire de la Sarre une sorte de Luxembourg, soit un micro État entre la France et l'Allemagne. Toutefois, cette « lutte » semble plus ou moins sérieuse et ne représente en aucun cas une menace crédible pour l'intégrité territoriale de la RFA. 64 Dans les deux cas, des frontières intérieures sont contestées et il existe une répartition des groupes ethniques extrêmement complexe. Voir MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », Survival, vol. 37, no. 4 (hiver), 1995-1996, p.113. 65 RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. Loc. cit., p.50. 66 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p.102 et 103. 67 RUPNTK, Jacques. « Les enjeux internationaux », dans RUPNIK, Jacques (dir.). Op. cit., p. 129-130.

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surcroît stationnées sur le territoire non pas d'une, seule mais bien de quelques-unes des

Républiques soviétiques. Bref, l'Occident « fait de son mieux pour maintenir au pouvoir le

gouvernement Markovic à Belgrade comme pour soutenir Gorbatchev à Moscou68 ». Cette

politique est toutefois vouée à l'échec, puisque « [t]ous deux étaient, certes, bien intentionnés,

mais au bout du compte n'avaient ni légitimité, ni pouvoir69 ».

Cette attitude occidentale va durer jusqu'au mois d'août 1991 avec la tentative de putsch

des communistes à Moscou. Cette dernière va changer les perceptions occidentales sur

l'espérance de vie de l'URSS70. Avec l'indépendance des États baltes le même mois et celle de

l'Ukraine le 1er décembre de la même année, cet argument perd toute sa crédibilité et ne joue par

la suite plus aucun rôle, puisque les diplomates occidentaux vont dès lors pouvoir analyser le 71

problème yougoslave indépendamment du problème soviétique . L'argument du risque d'un dangereux précédent pour l'Union soviétique diminue

toutefois en importance pour l'Allemagne bien avant le mois d'août puisque rapidement après le

début des hostilités elle va se repositionner en faveur d'une reconnaissance des indépendances

Slovène et croate et va activement tenter de convaincre ses partenaires européens de se rallier à sa

position. Mais la prudence allemande ne disparaît pas complètement du jour au lendemain. A la

fin juillet, soit après que la France ait bloqué une initiative allemande suggérant une

reconnaissance commune par la CE des républiques yougoslaves indépendantistes, le chancelier

allemand Helmut Kohi et le président français François Mitterrand vont présenter une déclaration

commune affirmant qu'il est alors trop tôt pour reconnaître les indépendances Slovène et croate72.

Ce n'est qu'au début septembre, soit après la tentative de putsch à Moscou et les indépendances

des États baltes que l'Allemagne va clairement évoquer publiquement la possibilité d'une

reconnaissance de l'indépendance, unilatérale si nécessaire, de la Slovénie et de la Croatie73.

Jusqu'au début des hostilités en Slovénie, l'Allemagne se rallie donc à la position de la

majorité des États européens, soit le maintien du statu quo. Deux raisons principales expliquent

ceci : le manque de préparation de l'Allemagne récemment réunifiée et la crainte de créer un

précédent pour les revendications indépendantistes, particulièrement pour le cas soviétique qui

68 Ibid, p. 130. 69Ibid. 70 RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. Loc. cit., p.50. 71 Ibid.

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suscite les inquiétudes occidentales. Avec l'éclatement des violences armées sur le territoire

yougoslave, il devient extrêmement difficile pour l'Allemagne d'ignorer les événements qui se

déroulent à 300 km de Munich. Plus encore, de nombreux facteurs vont venir influencer la

position allemande et la faire pencher en faveur d'une reconnaissance des républiques

indépendantistes au détriment du maintien de l'intégrité territoriale de l'État yougoslave.

B) La RFA prend position pour l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie

Presque aussitôt que les combats commencent en Slovénie, de nombreux acteurs

politiques en Allemagne vont commencer à réviser leur position, avec comme conséquence que

la RFA va progressivement se faire l'apôtre d'une reconnaissance des indépendances slovène et

croate, sans toutefois en faire immédiatement une position officielle. Bien qu'à la fin de juillet ce

revirement de position soit complété et que l'Allemagne soit désormais fortement en faveur des

indépendances74, elle cherche activement à rallier les membres de la CE à sa position pendant

près de six mois75. Plusieurs facteurs contribuent à ce changement de position : la création d'un

consensus chez les élites notamment par un phénomène de suivisme (bandwagoning),

l'importance du principe du droit des peuples à l'autodétermination, la pression externe

combinée à un désir d'affirmation et de normalisation nationale, le problème des réfugiés et la

cruauté des combats, les risques de déstabilisation régionale et la pression interne.

La formation d'un consensus chez les élites politiques allemandes

Si le 19 juin 1991 une déclaration commune de tous les partis politiques allemands prône

le maintien d'une Yougoslavie unifiée, cette position change complètement avec le début des

violences. La Christlich Demokratische Union (CDU) ouvre le bal le 27 juin 1991 en réclamant

la reconnaissance des deux États indépendantistes. Le Sozialdemokratische Partei Deutschlands

(SPD) entre officiellement dans la danse le 1er juillet en demandant que le ministre des Affaires

73 LUKIC, Renéo et LYNCH, Allen. Europe front the Balkans to the Urals : The Disintegration ofYugoslavia and the Soviet Union. New York, Oxford University Press, 1996, p.271. 74 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 103. 75 Pour une chronique intéressante des différents efforts de la CE et des tractations au sein de celle-ci, notamment les positions allemandes lors de la guerre en Croatie voir WYNAENDTS, Henry. L'engrenage : chroniques yougoslaves, juillet 1991-août 1992. Paris, Denoël, 1993.

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étrangères Hans-Dietrich Genscher favorise activement cette politique au sein de la Communauté

européenne. Ces deux partis, la CDU, parti du chancelier Kohi et le SPD, principal parti

d'opposition, vont, le 3 juillet, par l'entremise de leur chef respectif, Volker Ruhe et Hans-

Jochen Vogel, demander que la CE considère la possibilité de reconnaître la Slovénie et la

Croatie afin de démontrer un soutien politique et moral à ces deux peuples qui ont

démocratiquement exprimé leur désir76.

Le 9 juillet c'est au tour du Freie Demokratische Partei (FDP) de prendre position en

faveur de la reconnaissance des républiques indépendantistes, rétablissant ainsi le consensus chez

les élites politiques allemandes au niveau fédéral. Cette prise de position a d'ailleurs été précédée

d'une entrevue accordée par le chef du FDP, Hans-Dietrich Genscher, au journal Die Welt am

Sonntag le 7 juillet où il affirmait que si l'Armée Populaire Yougoslave continuait ses

agressions, l'Allemagne n'aurait d'autre choix que d'envisager la reconnaissance de la Croatie et

de la Slovénie77. Le FDP, membre junior de la coalition alors au pouvoir à Bonn, ne peut risquer

d'être isolé sur un tel sujet et va donc voir son chef prendre la tête du mouvement en faveur des

indépendances Slovène et croate78.

Plus encore, les représentants de certains Lànder allemands vont aussi ouvertement

soutenir l'idée de la reconnaissance des deux républiques si l'APY continue ses assauts79.

Il importe toutefois de préciser que s'il faut attendre le début des combats avant de voir

les partis politiques adopter une position officielle en faveur des indépendances slovène et croate,

un certain nombre de parlementaires du tous les horizons politiques, à l'exception des anciens

communistes, se montrent dès la fin du printemps favorables aux positions de Ljubljana et de

Zagreb et doutent de l'intérêt qu'il y a vouloir préserver coûte que coûte la Yougoslavie. C'est

particulièrement vrai pour ceux qui au cours du printemps 1991 ont eu la chance de se rendre en

Yougoslavie afin de constater de leurs propres yeux la situation prévalant alors sur le terrain .

Comment ce consensus en faveur des indépendances s'est-il formé ?

Pour la CDU, deux facteurs principaux expliquent cette prise de position. Pendant

l'époque du rideau de fer, le principe du droit des peuples à l'autodétermination a été l'un des

76 LIBAL, Michael. Op. cit., Westport, Praeger Publishers, 1997, p. 19. 77 Ibid, p.22. 78 HAFTENDORN, Helga. Op. cit., p.409. et MAULL, Hanns W. et STAHL, Bernhard. Loc. cit., p.86. 79 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognitionof Croatia », loc. cit., p.493-494. 80 LIBAL, Michael. Op. cit., p.6.

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piliers fondateurs de sa politique. Les chefs de la CDU vont rapidement lier la réunification

allemande, obtenue justement par le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à la cause des

Croates et des Slovènes. Il apparaît alors absurde et malhonnête aux dirigeants conservateurs

allemands (CDU) de refuser à d'autres ce qu'ils ont voulu pour eux-mêmes81.

Le deuxième facteur est que les conservateurs de la CDU vont percevoir le conflit en

Yougoslavie selon un cadre de référence propre à la guerre froide. L'anticommunisme ayant été

un autre des piliers fondamentaux de la politique de la CDU pendant la guerre froide, la

représentation du conflit comme l'agression par la Serbie communiste de la Slovénie et de la

Croatie démocratiques entre parfaitement dans le cadre idéologique de la CDU divisant le monde

de manière quelque peu manichéenne, entre noir et blanc, entre communistes et démocrates83.

Pour le SPD, le principe du droit des peuples à l'autodétermination joue certes un rôle

important. Déjà à la fin du mois de mai 1991, Norbert Gansel, un des experts du SPD en matière

de politique étrangère, revenant d'un voyage en Yougoslavie pour le compte de son groupe

parlementaire, écrit une lettre au ministre des Affaires Étrangères Genscher dans laquelle il émet

une analyse tranchante. L'idée d'une Yougoslavie unifiée et démocratique est, selon Gansel, déjà

du domaine de la fiction tant le pays est au bord de l'éclatement et la CE, la CSCE, l'ONU et

l'Allemagne devraient reconnaître le droit à l'autodétermination des peuples slovène et croate,

même si ceci risque de mener à l'indépendance des républiques du Nord-Ouest84. Mais le

ralliement à la position favorisant la reconnaissance des deux républiques s'effectue

principalement par un phénomène de suivisme. Ici, ce phénomène signifie que lorsqu'un parti

politique important perd les élections au profit d'un parti rival, le perdant tend à modifier sa

stratégie et ses positions politiques afin de se rapprocher du parti gagnant espérant ainsi

regagner la confiance de certains électeurs et s'attirer celle de nouveaux afin d'obtenir leur vote

lors des prochaines élections85.

DROZDIAK, William. « Germany Critizes European Community Policy on Yugoslavia », The Washington Post. 2 juillet 1991, p.A16. 82 À ce moment, le régime communiste serbe s'est transformé avec l'arrivée au pouvoir de Milofevié en un régime autoritaire nationaliste fascisant, une coalition rouge-brune. À ce sujet, voir LUKIC, Renéo. Op. cit., p. 119-121. 83 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p.506. 84 LffiAL, Michael. Op. cit., p.6-7. 85 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p. 507.

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Alors qu'au cours de la guerre froide la CDU prône le droit des peuples à

l'autodétermination, le SPD adopte une politique de détente afin d'apaiser les tensions entre les

deux Allemagnes, politique qui peut être perçue comme contraire au désir des Allemands de

l'Est86, Avec la chute du mur de Berlin, la CDU se prononce immédiatement en faveur d'une

réunification rapide des deux Allemagnes, affirmant qu'il s'agit là du souhait de la population

est-allemande, alors que le SPD met l'accent sur les problèmes techniques concrets d'un tel

processus, laissant de côté le principe du droit des peuples à l'autodétermination avec lequel il a

une relation plutôt ambiguë à cause du caractère nationaliste que celui-ci peut évoquer.

L'élection de décembre 1990 est remportée haut la main par la CDU justement parce qu'elle a

fait appel à ce principe87.

Ayant été puni par l'électorat allemand pour ne pas avoir fait de ce principe une pierre

angulaire de sa politique, le SPD va se rallier à celui-ci et à la politique de reconnaissance

diplomatique de la Slovénie et de la Croatie qui y est reliée, avec d'autant plus d'empressement

que les dirigeants sociaux-démocrates allemands craignent d'être accusés de soutenir un régime

communiste contre la volonté de peuples en quête de démocratie88.

Mais l'explication n'est toutefois pas complète sans noter le rôle joué par le parti Bundnis

90/ Die Griinen. Ce parti est né de la fusion entre le parti vert ouest-allemand et des dissidents

est-allemands. Ces derniers jouissent donc d'une bonne dose de légitimité en ce qui a trait aux

relations avec des régimes communistes, notamment dans le cas yougoslave. D'ailleurs, bien

qu'en 1990-1991 il ne s'agisse en aucun cas d'un parti majeur, cette formation de gauche a été la

première à prôner la reconnaissance des républiques et ce dès février 1991. L'émergence du

Bundnis 90/ Die Griinen sur la scène fédérale allemande en 1990 montre en fait un phénomène

de fragmentation de la politique allemande89 avec l'émergence de petits partis à caractère

idéologique, tant à gauche qu'à droite de l'échiquier politique, ce qui tend à faire de la politique

86 Voir HEINRICH, Arthur. « Neue deutsche Aussenpolitik : Selbstversuche zwischen Zagreb und Breussel », Blûtter fiir deutsche und internationale Politik, vol. 36, no. 12 (décembre), 1992, p. 1446-1458. 87KIMMEL, Adolf. « Les partis politiques: continuité et changements », dans HEGE, Adelheid et al. Regards sur l'Allemagne unifiée. Paris, La documentation française, 2006, p.95. Voir aussi CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p.507. 88 Ibidem, p.508. 89 Dans les années 1970, le SPD et la CDU/CSU, les deux principaux partis politiques de la RFA, recueillaient ensemble 91,2% des votes de l'électorat En 1987, cette proportion passe à 81,3%. Lors des premières élections de l'Allemagne réunifiée, en décembre 1990, ces deux partis ne recueillent plus que 77,3% des votes. Voir GIBOWSKI, Wolfgang G. et KAASE, Max « Auf dem Weg zum politischen Alltag. Eine Analyse der ersten

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étrangère un thème électoral puisque les petits partis tentent de se distinguer dans le plus grand

nombre de domaines possibles90.

Alors que la CDU perd des votes essentiellement au profit des nouveaux partis de droite,

notamment les Republikaner91, le SPD perd des votes à la fois au profit du Bùndnis 90/ Die

Griinen et des partis de droite, ce qui lui impose une forte pression afin de récupérer ces votes et

donc d'adopter une position en faveur de la reconnaissance des républiques séparatistes, la

fragmentation intensifiant le phénomène de suivisme92.

C'est donc ainsi que se forme peu après le début de la guerre en Slovénie un consensus en

faveur de la reconnaissance de ces deux républiques yougoslaves en tant qu'États indépendants

et sujets du droit international chez les élites politiques de la RFA. Avec ce consensus, qui

d'ailleurs va perdurer jusqu'à la reconnaissance de Zagreb et Ljubljana par l'Allemagne93, la

pression est forte sur le gouvernement allemand pour qu'il reconnaisse les indépendances

Slovène et croate car il se retrouve en quelque sorte isolé. Non seulement l'opposition exerce de

la pression, mais aussi les parlementaires de la coalition au pouvoir, soit les membres de la CDU

et du FDP. Il est donc extrêmement difficile pour le gouvernement de Kohi d'ignorer l'agitation

au Bundestag. Il importe maintenant d'expliquer un peu plus en détail le rôle du principe du

droit des peuples à l'autodétermination pour la classe politique mais aussi pour l'ensemble de la

société allemande puisque nous ne l'avons mentionné ici que brièvement.

L'importance du principe du droit des peuples à l'autodétermination

Le droit des peuples à l'autodétermination joue un rôle central dans la formulation de la

politique étrangère allemande à l'égard de la désintégration yougoslave, principalement lors de

l'épisode de la reconnaissance des indépendances de la Slovénie et de la Croatie. Bien que ce

gesamtdeutschen Bundestagswahl votn 2. Dezember 1990 »,Aus Politik undZeitgeschichte, no. 11-12, 1991, p.3. Voir l'annexe 7 pour les résultats des élections fédérales allemandes durant les années 1990 et 2000. 90 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p.508-509. 91 Les Republikaner sont un parti d'extrême droite fondé en 1983 par Franz Schônhubcr, un ancien membre des SS non-repentant reconverti en activiste d'extrême droite. Il quitte le parti qu'il a fondé en 1995 et meurt à la fin novembre 2005, après une tentative ratée de retour en politique. Voir KÔHNLEIN, Stephan. « Rechtsradikalismus : Franz Schônhuber ist tôt ». Spiegel Online. Disponible au http://www.spiegel.de/politik/deutschland/Q, 1518.387350,00.html.Consulté le 28 novembre 2005. 92 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., 1996. p.510.

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principe soit libéral et considéré somme toute de manière positive par l'ensemble du monde

occidental, il possède une signification et une importance particulière pour l'Allemagne.

Dans le cas de la France et de l'Angleterre c'est en quelque sorte l'État qui crée la

nation. Ces deux États ont été formés par des conquêtes et n'ont jamais véritablement cherché à

définir la nation pendant leur processus de formation. Ils souhaitent d'abord et avant tout

l'allégeance de tous ceux à l'intérieur de leurs frontières, avec de préférence une homogénéité

religieuse qui peut toutefois être réalisée à l'aide de conversions94. La nation, notamment au yeux

de la France, est donc tout à fait compatible avec un État multiethnique95.

L'Allemagne adopte au XLXe siècle une approche complètement différente. Elle choisit

plutôt une définition ethnolinguistique de la nation (das Volk). Avec cette approche, vous êtes de

naissance membre de nation allemande (ou exclu de celle-ci) et l'allégeance que vous prêtez à un

État allemand ne joue aucun rôle, pas plus que l'absence d'une telle allégeance96. Bref, la

conception allemande de la nation est plus ethnique que juridique97.

Cette définition de la nation rejoint le principe du droit des peuples à l'autodétermination

après la Première Guerre mondiale, sous la République de Weimar. En effet, la priorité de la

politique étrangère allemande pendant la période de l'entre-deux guerres est une révision du

Traité de Versailles, en premier lieu une révision des règlements territoriaux. Incapable

d'obtenir une modification de ceux-ci par la force, l'Allemagne de Weimar cherche à s'attirer les

sympathies occidentales en mettant de l'avant le principe du droit des peuples à

l'autodétermination qu'elle souhaite voir appliquer aux Allemands de l'Europe de l'Est98. C'est

aussi grâce à ce principe qu'Hitler dupe l'Occident afin qu'il reconnaisse son annexion des

Sudètes en 1938, région tchécoslovaque majoritairement peuplée d'Allemands99.

Certes il s'agit là d'exemples de dévotion à un principe qui concorde merveilleusement

bien avec les propres intérêts expansionnistes de l'Allemagne, mais ce principe a aussi joué un

rôle clé dans la politique allemande face au bloc communiste pendant la guerre froide :

93 GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p.958. 94 CAMPBELL, Edwina S. et SEYMOUR, Jack M. Jr. « France, Germany, and the Yugoslavian Wars », dans DANOPOULOS, Constantine P. et MESSAS, Kostas G. (éds.). Crtsis in the Balkans : Viewsjrom the Participants. Boulder, Westview Press, 1997, p.304-305. 95 SCHNAPPER, Dominique. La communauté des citoyens : sur l'idée moderne de la nation. Paris, Gallimard, 1994, p.65-69. et GUÉRIN-SENDELBACH, Valérie. Op. cit., p.237. 96iW<i,p.305. 97 BROSSARD, Yves et VIDAL, Jonathan. Op. cit., p. 137. 98 NAGENGAST, Emil. « Germany's Troublesome Dévotion », Peace Review, vol. 10, no. 2 (juin), 1998, p. 181. "Ibid.

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The Fédéral Republic of Germany (FRG) was founded in 1949 on the constitutionally mandated dévotion to the principle of national self-determinatioh. Throughout the Cold War the officiai position of the FRG was that ail postwar border changes were provisional until ail Germans were free to exercise their right to self-determination. The preamble of the FRG constitution required das Deutsche Volk (the German people) and ail German public officiais to strive for the unity and freedom of the German nation [... ]

Similar to the leaders of Weimar Germany, the postwar leaders of the FRG tied their territorial claims to the framework of Western libéral values, such as national self-determination, wlûch had re-emerged after 1945 as the basis of another lasting European pcacc order (sic). A common statement from FRG officiais in the Cold War era was that « Bonn would work towards a European peace in wlûch Germans could achieve unity in free self-determination ». When die FRG moved towards a warming of East West relations in the 1970s, the West German govemment made certain Ûiat the Helsinki Accords and ail tile of FRG's groundbreaking treaties with Eastern European régimes affirmed the view that me most important élément of peaceful change in Europe was me right to free national self-determination100.

C'est d'ailleurs grâce à ce principe que l'Allemagne va réussir sa réunification en 1990,

ou du moins que cette réunification va être en grande partie légitimée101. Le 8 novembre 1989,

soit la veille de la chute du mur, le chancelier Kohi déclare que le droit à l'auto-détermination

pour tous les Allemands est l'élément central de la politique de la RFA face à la division de

l'Allemagne. Il affirme que l'objectif de l'Allemagne fédérale est l'établissement d'une paix

durable en Europe, fondée sur le principe du droit des peuples à l'auto-détermination102.

Encore une fois, cette dévotion au principe du droit des peuples à l'autodétermination

correspond parfaitement aux intérêts de la RFA et plusieurs redoutent que l'Allemagne ne joue la

« carte libérale » seulement en apparence. Toutefois ces doutes ne sont pas justifiés, non

seulement parce que la politique allemande n'a pas connu de changements draconiens après la

réunification, mais aussi parce qu'avec la réunification, l'article 23 de la constitution, susceptible

d'être invoqué pour justifier une revendication territoriale à l'encontre de la Pologne, est effacé.

L'idée d'une revendication territoriale, qui ne concorde pas avec le droit des peuples à

déterminer eux-mêmes leur propre sort puisqu'il n'y a que très peu d'Allemands vivant sur les

territoires appartenant désormais à la Pologne, avait déjà été abandonnée politiquement dans les

années 1960. L'élimination de l'article 23 de la constitution est un abandon juridique de cette

possible revendication. Il est donc légitime de penser que l'Allemagne est véritablement attachée

à ce principe et non seulement lorsqu'il concorde avec ses intérêts nationaux étroits.

Ibid, p. 182. SPASOVSKA, Verica. Loc. cit., p.ll. NAGENGAST, Emil. Loc. cit., p. 182-183.

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Avant même le début des combats, les principaux partis politiques adoptent une

résolution qui, bien qu'elle ne soit pas exempte de certaines contradictions, montre clairement

leur attachement au principe du droit à l'autodétermination : [...] on 19 June 1991, this lead to a resolution of the Bundestag, wich was jointly sponsored

by the Christian Democrats, the Free Democrats, the Social Democrats, and the Greens. [...] its core idea was that the Yugoslav peoples themselves should décide on what basis they wanted to tive together in the future. Given the lack of sufficient consensus concerning the existing foundation of that state, a new one had to be agreed to : democracy, pluralism, and the rule of law in ail Yugoslavia should ensure the effective possibility for making use of the right of self-determination. The resolution also referred to the right of sécession enshrined in the Yugoslav constitution, but postulated that this was not in contradiction with European interest in preserving a union of the six republic as a mean of ensuring stability. This stabiUty, however, could only be achieved if a new Yugoslav unity was the resuit of free self-determination [...] Any recourse to force was to be opposed. [...] This resolution, though not without contradictions and hopes that were destined for disappointment, was a milestone in the development of the German position on Yugoslavia. Its emphasis on "free self-determination" and on the nonuse of force foreshadowed the moral support given to Slovenia and Croatia following the intervention of the Yugoslav People's Army103.

Avec le début des affrontements armés en Yougoslavie, les dirigeants allemands vont

difficilement voir comment ils peuvent refuser aux Slovènes et aux Croates ce qu'ils se sont eux-

mêmes vu accorder un an plus tôt. Le 1er juillet 1991, Volker Rùhe, alors secrétaire général de la

CDU déclare : « We won unification through the right to self-determination. If we Germans now

think that everything may remain as it is in Europe, that we may pursue a policy of the status quo

without recognizing the right to self-determination of Croatia and Slovenia, we lose our moral

and political credibility»104. L'intensification des combats en Croatie au cours de l'été et

l'incapacité de la CE à gérer et encore plus à régler rapidement les conflits vont amener le

gouvernement allemand à accroître la pression sur ses partenaires européens pour qu'ils

respectent le droit des Slovènes et des Croates à disposer d'eux-mêmes105.

Les dirigeants allemands vont aussi faire valoir ce principe auprès de leurs partenaires au

sein de la CE et de la CSCE. Dans le cadre de la CSCE, c'est le ministre Hans-Dietrich Genscher

qui, lors d'une réunion des ministres des Affaires Étrangères les 19 et 20 juin 1991, réussit, avec

l'accord de la Russie, de la Yougoslavie et des États-Unis, à produire une déclaration dans

laquelle le soutien à l'intégrité territoriale de la Yougoslavie est étroitement lié au respect de la

démocratie. On y retrouve aussi un passage mentionnant qu'il ne revient qu'aux seuls peuples de

103 LIBAL, Michael. Op. cit., p.7-8. 104 DECKERS, Wolfgang. Loc. cit., p. 165. 105 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 110.

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Yougoslavie de décider de leur avenir et de celui de leur pays, ce qui fait du droit à des peuples à

l'autodétermination, y compris le droit à l'indépendance, une partie intégrante de cette

déclaration106.

Alors qu'au sein de la CE la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne, qui sont eux-

mêmes au prise avec des problèmes de séparatisme, critiquent une éventuelle indépendance de la

Slovénie et de la Croatie, le chancelier Kohi affirme que le principe du droit des peuples à

l'autodétermination est aussi applicable aux Slovènes et aux Croates107. Plus encore, il rappelle,

dans une déclaration commune avec le Président français Mitterrand en septembre 1991, que ce

droit, lorsque exprimé pacifiquement et démocratiquement, doit être respecté108.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui revêt une importance toute particulière

pour la RFA, a donc joué un rôle central dans la prise de position allemande en faveur de

l'indépendance des deux républiques. L'Allemagne a certes utilisé ce principe à mauvais escient

dans la première moitié du siècle, particulièrement sous le régime national-socialiste, mais en

1991, il ne fait aucun doute qu'elle souhaite sincèrement octroyer aux autres ce dont elle a elle-

même bénéficié en 1990.

Pressions externes et désir d'affirmation nationale

La RFA est possiblement l'État qui exerce le plus de pression sur ses partenaires pour

qu'ils adoptent sa position face aux conflits de Slovénie et de Croatie. Cependant, ce fait ne doit

pas servir à masquer une autre réalité : l'Allemagne subit aussi la pression de ses partenaires en

matières de politique étrangère. Il faut toutefois comprendre les pressions exercées sur la RFA

dans un cadre plus large : celles-ci ne sont pas exercées pour que l'Allemagne adopte une

position particulière face à un problème particulier, elles sont plutôt exercées pour que

l'Allemagne accroisse son rôle international, notamment dans les situations de crise

106 GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p.935. 107 HAFTENDORN, Helga. Op. cit., p.407. 108 GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p.950-951. Pour le texte de la déclaration commune, voir « Gemeinsame Erklarung ru Jugoslawien des fîanzôsischen Staatsprasidenten, François Mitterrand, und des deutschen Bundeskanzlers, Helmut Kohi, verôffentlicht am 19. September 1991 in Bonn », dans VOLLE, Angelika et WAGNER, Wolfgang (éds.). Der Krieg aufdem Balkan. Die Hilflosigkeit der Staatenwelt. Bonn, Verlag fur internationale Politik GmbH, 1994, p. 156. 109 ZEITLER, Klaus Peter. Deutschlands Rolle bei der vôlkerrechtlichen Anerkennung der Republik Kroatien unter besonderer Berttcksichtigung des deutschen Aufienministers Genscher. Maiburg, Tectum Verlag, 2000, p. 174-175.

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En effet, l'Allemagne unifiée, avec son poids économique et démographique inégalé sur

le continent européen, se voit pressée par ses alliés et ses partenaires de prendre davantage de

responsabilités et d'initiatives tant en Europe qu'au niveau international110. Cette pression est

particulièrement importante en 1991 à l'occasion du conflit yougoslave puisque l'Allemagne

essaie de faire oublier à ses alliés sa passivité pendant la guerre du Golfe111. Cette passivité est

toutefois assez relative puisque l'Allemagne a contribué à l'aide financière destinée aux pays de

la région affectés par la guerre, notamment l'Egypte, la Turquie, la Jordanie et la Syrie, en plus

d'assumer près d'un sixième du coût total de l'opération, soit 11,5 milliards de dollars, et d'aider

au transport des troupes américaines vers la région avec le soutien logistique approprié112. Bref,

l'Allemagne a contribué significativement à l'effort de guerre, sans toutefois déployer de soldats

et participer directement aux opérations militaires.

Cette « politique du chéquier » ne satisfait toutefois pas les partenaires de la RFA. Parlant

de la nomination en 1992 d'un nouveau ministre de la défense, Volker Rûhe, et d'un nouveau

ministre des Affaires étrangères Klaus Kinkel, qui pour eux marque le début de la normalisation

de la politique étrangère allemande, Lemay et Létourneau notent : Les pressions exercées par la Communauté internationale à l'endroit de la République

fédérale y étaient pour beaucoup dans la nouvelle orientation de sa politique étrangère. Si le gouvernement de Bonn devait rassurer ses voisins quant à ses intentions, ceux-ci, de manière un peu paradoxale, voulaient le voir s'impliquer plus activement sur le terrain. Maintenant que l'Allemagne était unifiée et que le mandat international de l'ONU n'avait de cesse d'augmenter, la traditionnelle culture de retenue n'était plus justifiable, d'autant qu'elle s'était réhabilitée aux yeux de la Communauté internationale à maintes reprises depuis 1945. C'est la guerre du Golfe persique, en janvier 1991, qui allait servir de catalyseur à cette prise de conscience. Considérant le support financier et matériel de l'Allemagne insuffisant, la Communauté internationale a critiqué Bonn pour son manque d'empressement à assumer davantage de responsabilités. Ses principaux alliés exigeaient de sa part une implication militaire directe pour appuyer les opérations de rétablissement de la paix. « En tait, ce conflit allait précipiter l'Allemagne dans une situation inédite et la forcer à s'adapter et à redéfinir plus ouvertement ses priorités en politique étrangère au sein du nouvel ordre international»113.

Les États-Unis sont ceux qui ont mis le plus de pression sur l'Allemagne. Déjà en mai

1989, le gouvernement de Washington avait proposé à Bonn de devenir son partenaire dans la

110 FROEHLY, Jean-Pierre. Loc. cit., p.42. 111 LANTIS, Jeffrey S. « Rising to the Challenge : German Security Policy in the Post-Cold War Era », German Poli tics and Society, vol. 14, no. 2 (été), 1996, p.26. 112 Ibid, p.22-23. 113 LEMAY, Benoît et LÉTOURNEAU, Paul. « De Bonn à Berlin, sur le chemin de l'affirmation nationale », Revue d'Allemagne et des pays de langue allemande, tome 32, no. 4 (octobre-décembre), 2000, p.631-632. La citation entre guillemets utilisée par les auteurs est quant à elle tiré de LÉTOURNEAU, Paul. « La politique étrangère

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conduite de la politique occidentale européenne. Première puissance économique et financière de

l'Europe, l'Allemagne, qui possède aussi l'armée européenne la plus importante en terme

d'effectifs au sein de l'OTAN, était considérée par les Américains comme la clef de voûte de

l'intégration européenne et de la continuité de l'OTAN en Europe114.

Si la pression externe incite fortement Bonn à entreprendre son processus de

normalisation avec l'envoi de troupes en Somalie dans le cadre de la mission ONUSOM 1 en

1992, elle l'incite tout autant à prendre l'initiative face aux violences en Yougoslavie en

1991115 : « La classe politique allemande a bien cherché à prendre en Yougoslavie sa revanche

sur ceux qui avaient critiqué son attitude dans l'affaire irakienne. Cette fois-ci, Bonn ne se

contenterait pas de sa « politique du chéquier » [...]. En prenant la tête de la croisade pour la

reconnaissance de la Croatie, l'Allemagne effaçait du même coup l'opprobre qui pesait sur elle

depuis sa position neutraliste (sic) face à Saddam Hussein116 ».

Cette pression est particulièrement présente dans le cas yougoslave puisque les troubles

politiques qui secouent la terre de Tito et les violences qui s'en suivent se produisent sur le

territoire européen, dans un pays voisin de cette Union européenne en devenir, où le recours à la

force pour régler des différends politiques semblait, avec l'effondrement des régimes

communistes, être une espèce en voie d'extinction. Les partenaires de l'Allemagne s'attendent

donc à ce qu'elle prenne ses responsabilités et participe, politiquement et militairement si

nécessaire, activement à la résolution de la crise117.

Le gouvernement allemand doit rompre avec son attitude passive sur la scène

internationale, au risque de lourdes conséquences politiques s'il ne le fait pas : « Le pacifisme

radical de l'après-unité, particulièrement sensible durant la guerre du Golfe, risquait d'isoler la

République fédérale, de lui imposer un nouveau Sonderweg et, en fin de compte, de détruire les

fondements de sa politique d'intégration à l'Ouest, menée depuis 1949118». Pour le

gouvernement allemand, l'isolement de la RFA de ses alliés du bloc occidental est totalement

inacceptable et doit absolument être évité.

allemande : style nouveau et fidélité au multilatéralisme », Revue d'Allemagne et des Pays de langue allemande, tome 31, no. 2 (avril-juin), 1999, p.83. mIbid. 115 CAMPBELL, Edwina S. et SEYMOUR, Jack M. Jr. Loc. cit., p.307. 116 GAUTIER, Xavier. L'Europe à l'épreuve des Balkans. Paris, Editions Jacques Bertoin, 1992, p. 166-167. 117 HAFTENDORN, Helga. Op. cit., p.405. 118 STARK, Hans. « De Bonn à Berlin D'une politique étrangère à l'autre ? », Politique étrangère, vol. 64, no. 3 (automne), 1999, p.530.

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C'est d'autant plus le cas que les États-Unis, qui ont déjà offert à l'Allemagne un

partnership in leadership en 1989, laissent la gestion de la crise à l'Europe. Toutefois, comme il

n'existe aucun consensus à PONU ou au sein d'une autre organisation internationale sur la

nature de la réponse à donner et encore moins pour une intervention directe sur le terrain,

l'Allemagne ne peut participer à une mission de rétablissement de la paix qui n'existe pas. Elle

doit donc prendre des initiatives politiques et diplomatiques pour tenter de régler la crise.

La RFA est donc soumise à la pression de ses alliés qui tentent de la convaincre de jouer

un rôle plus important sur la scène internationale et qui s'attendent tout particulièrement à ce

qu'une Allemagne réunifiée contribue positivement à la sécurité du continent européen.

Toutefois, cette pression n'aurait peut-être pas eu des résultats aussi rapides s'il n'y avait pas,

suite à la réunification, un certain désir d'affirmation nationale au sein d'une partie des élites

dirigeantes de la RFA.

Mais si ce désir d'affirmation nationale n'est présent que chez certaines élites, il faut

toutefois préciser que la grande majorité des dirigeants de tous les partis ont, avec l'unification

des images plus positives de leur pays. Celles-ci sont fondées sur un sentiment de réussite

puisque pour la première fois de son histoire, l'Allemagne est en paix avec tous ses voisins,

unifiée, démocratique et libre. Bref, elle a trouvé sa place en Europe119.

Même avant la réunification, la RFA semble vouloir s'affirmer davantage. La

présentation d'un programme en dix points par le chancelier Kohi le 28 novembre 1989 est une

initiative unilatérale cherchant « à canaliser le développement des événements en RDA vers un

objectif bien précis : l'union progressive des deux États allemands. [...] Par son initiative, le

chancelier a voulu mettre tout son poids pour infléchir le cours des choses en faveur de l'intérêt

national allemand120 ». Il est toutefois assez peu surprenant de voir le gouvernement de la RFA

influencer le plus possible les événements en faveur de la réunification allemande puisqu'il

s'agit d'un objectif crucial de sa politique étrangère depuis quatre décennies.

Avec la réunification et la fin de la guerre froide, la RFA gagne une plus grande marge de

manœuvre en matière de politique étrangère. Elle n'est plus la ligne de front entre l'Ouest et

l'Est, théâtre potentiel d'une guerre majeure. Avec la disparition de la menace immédiate d'une

attaque par le bloc soviétique, l'Allemagne a moins besoin des États-Unis pour assurer sa

119 HARNISCH, Sébastian. « Change and Continuity in Post-Unification Gcnnan Foreign Policy », dans German Politics, vol. 10, no. 1 (avril), 2001, p.49.

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Page 50: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

sécurité. Elle peu aussi se permettre de promouvoir ses intérêts nationaux en dehors du cadre de

la CE/UE car elle est désormais réhabilitée parmi les démocraties « civilisées » après la barbarie

du national-socialisme121. Bref, elle :

a recouvré par l'unification un statut sur la scène internationale « d'acteur » à part entière. Du temps de la guerre froide, la RFA était une puissance majeure qui ne possédait pas une souveraineté pleine et entière. [...] Avec l'unification, l'Allemagne s'est affranchie de ces contraintes et tend à s'assumer de plus en plus comme puissance normale et souveraine. La guerre froide terminée, avec en toile de fond l'effondrement du glacis soviétique en Europe de l'Est, du pacte de Varsovie et de l'URSS, l'Allemagne devient moins dépendante de ses alliés occidentaux pour assurer sa sécurité122.

À l'été 1991, la RFA en est encore aux premiers balbutiements de cette nouvelle

normalisation de sa politique étrangère, mais déjà la tendance est présente. Toutefois, elle est

essentiellement limitée à certains dirigeants politiques conservateurs et n'est pas omniprésente

chez la population. Dès août 1990, lorsque les États-Unis demandent à la RFA si elle est prête à

déployer des troupes pour la guerre du Golfe de janvier et février 1991, le chancelier Kohi a

cherché un moyen de permettre une certaine participation militaire de la RFA. Mais bien qu'une

majorité d'Allemands soit en faveur d'un effort multilatéral pour restaurer la souveraineté du

Koweït, une majorité encore plus forte s'oppose à une participation directe de l'Allemagne dans

une telle opération, sans compter qu'en août 1990, le traité « 2 + 4 » n'a pas encore été ratifié123.

Dans le cas yougoslave, la RFA, après avoir décidé que ses intérêts nationaux124 sont

mieux servis par l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie va, de manière certes maladroite,

tenter de faire prévaloir sa position. Le 18 juillet 1991, le chancelier Kohi reçoit, sur sa propre

120 LEMAY, Benoît et LÉTOURNEAU, Paul. Loc. cit., p.629. 121 DECKERS, Wolfgang. Loc. cit., p. 167. 122 LEMAY, Benoît et LETOURNEAU, Paul. Loc. cit., p.631. 123 LANTIS, Jeffrey S. Loc. cit. p.22-23. et BAUMANN, Rainer et HELLMANN, Gunther. « Germany and the Use of Military Force : « Total War », the « Culture of Restreint » and the Quest for Normality », German Politics, vol. 10, no. 1 (avril), 2001, numéro spécial, p.69. 124 De manière générale, les intérêts nationaux de l'Allemagne sont alors similaires à ceux des autres États de l'Europe de l'Ouest : la protection des libertés, de la sécurité et du bien-être de ses citoyens, la protection de son intégrité territoriale, l'intégration européenne, l'intégration au sein d'organisations multilatérales, une alliance avec les Etats-Unis dans le cadre d'intérêts et de valeurs partagés, la stabilisation de l'Europe centro-orientale, le respect des droits de l'homme et du droit international aux quatre coins du globe et un ordre économique libéral basé sur les lois du marché. À ce sujet, voir DECKERS, Wolfgang. Loc. cit., p. 162-163. ou encore le Livre blanc sur la sécurité de l'Allemagne de 1994. BUNDESMINISTERIUM DER VERTEIDIGUNG. Weissbuch zur Zicherheit der Bundesrepublik Deutschland. Bonn, 1994, de même que le discours du ministre des Affaires étrangères Genscher devant l'Assemblée Générale de l'ONU « Rede des Bundesministers des Auswârtigen, Genscher, am 25. September 1991 (Auszuge) », dans AUSWÀRTIGES AMT (éd). AuPenpolitik der Bundesrepublik Deutschland. Dokumente von 1949 bis 1994. Kôln, Verlag Wissenschaft und Politik, 1995, p.821-824 et celui de son successeur Kinkel « Rede des Bundesministers des Auswârtigen, Kinkel, am 27. September 1994 in New York », dans Ibidem, p . l l l l -1118.

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Page 51: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

invitation, le président croate Tudjman, bien que cela déplaise hautement à ses partenaires

européens et constitue de facto une prise de position en faveur de la Croatie, d'autant plus

qu'aucun autre dirigeant yougoslave n'est invité. À partir de juillet 1991 la RFA va exercer des

pressions sur ses partenaires pour qu'ils acceptent cette reconnaissance et ce « malgré les

souhaits et les recommandations explicites du président George Bush, de Javier Perez de Cuellar,

le secrétaire général des Nations Unies, de Lord Carrington, le représentant de la Communauté

européenne dans les négociations pour la paix, et de la plupart de ses partenaires européens125 ».

Le gouvernement de Kohi veut démontrer à sa propre population que la RFA réunifiée, avec son

poids, est capable d'imposer ses préférences à ses partenaires européens sur certaines questions

de politiques étrangères126.

Bref, un désir d'affirmation nationale présent chez certaines élites au pouvoir influence

en faveur d'une initiative allemande dans le dossier yougoslave. Ce désir qui, dans la deuxième

moitié des années 1990 se transforme en véritable processus de normalisation, ne signifie

cependant pas une Allemagne unilatérale et agressive prête à créer un quatrième Reich.

L'Allemagne ne cherche pas à reconstituer son ancienne sphère d'influence ni à imposer sa

volonté au détriment des autres États127. Au contraire, le fait que la RFA tente d'influencer la

politique commune européenne pendant près de six mois malgré de nombreuses difficultés

semble plutôt être un effort sincère de multilatéralisme. Il s'agit d'une Allemagne qui, sous les

pressions de ses alliés pour une plus grande responsabilité internationale et faute d'un

engagement américain, tente de jouer un rôle prépondérant dans l'établissement d'une position

commune de la CE à l'égard de la Yougoslavie. La RFA va toutefois rapidement comprendre

avec cette expérience que ce type d'affirmation de soi maladroite va plutôt à rencontre du but

recherché et doit être évité128.

Toutefois, l'Allemagne n'aurait peut-être pas été si empressée déjouer un plus grand rôle

international si elle n'avait pas été elle-même touchée par la guerre. En effet, avec le début de la

guerre et ses atrocités, la RFA voit un nombre sans cesse croissant de réfugiés arriver sur son

territoire national.

MAULL, Hanns W. « Allemagne et Japon : deux pays à suivre », loc. cit., p.477-478. 126 KRIEGER, Wolfgang. « Toward a Gaullist Germany ? Some Lessons front the Yugoslav Crisis », World Policy Joumal,\ol. 11, no. 1 (printemps), 1994, p.30. 127 GAUTIER, Xavier. Op. cit., p. 166.

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La cruauté des combats et les réfugiés yougoslaves

Si la guerre en Slovénie est courte et ne fait que relativement peu de dommages humains

et matériels, il en va tout autrement de la guerre serbo-croate. Cette dernière revêt un caractère

particulièrement brutal et cruel. Elle donne lieu a des actes de nettoyage ethnique, un triste

prélude aux horreurs commises en Bosnie-Herzégovine.

Avec la guerre de Croatie, on assiste à la mise en pratique, principalement par les

nationalistes serbes, d'une idéologie particulièrement atroce, celle du nettoyage ethnique, qui

implique le recours aux expulsions forcées, au meurtre, au viol et à l'emprisonnement dans des

camps de concentration129. Le choc est d'autant plus grand que le tout se déroule sur le territoire

européen et non dans un quelconque pays exotique loin des regards et des caméras. Les guerres

d'agression, de destruction et de nettoyage ethnique des Balkans vont douloureusement rappeler

aux Allemands ce à quoi la vie pouvait ressembler sous le régime nazi, et sont totalement à

l'opposé de ce qu'ils considèrent comme un comportement politique acceptable130.

La guerre en Yougoslavie représente une débâcle pour le rôle des principes moraux en

politique. Une large partie de l'opinion publique et de la classe politique allemande ne peut

concevoir qu'il soit encore possible en Europe à la fin du XXe siècle d'avoir recours à une telle

sauvagerie dans le jeu politique131. Depuis les années 1980, la majorité de la population est

convaincue que la RFA doit montrer l'exemple et atteindre ses objectifs de politique étrangère en

menant une politique de sécurité sans recourir à la force militaire, en privilégiant la démocratie,

les droits de l'Homme et le dialogue politique entre les parties afin d'éviter et de gérer les

conflits, et que les autres États emboîteront le pas. Avec l'atrocité des violences qui se produisent

à 300 km de Munich, le réveil est brutal132.

La recrudescence des combats et des atrocités de la fin juillet et du début d'août 1991,

notamment le massacre de civils croates à Dalj, en Slavonie orientale près de la frontière avec la

Serbie, et ceux commis par la suite dans les zones de peuplement mixte, abondamment

rapportées dans les médias allemands, choquent profondément la population allemande qui ne

128 MAULL, Hanns W. « Allemagne et Japon : deux pays à suivre », loc. cit., p.478. 129 DAALDER, Ivo H. « Fear and Loathing in the Former Yugoslavia », dans BROWN, Michael E. (éd.). The International Dimensions of Internai Conflict. Cambridge, Mass., The MIT Press, 1996, p.54. 130 DECKERS, Wolfgang. Loc. ctf.,p.l65. 131 SCHWARZ, Hans-Peter. Op. cit., p. 157. 132 Ibid.

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peut réagir qu'avec horreur et incompréhension face aux exactions commises par les Serbes

La chute de Vukovar le 18 novembre 1991 et surtout le comportement des troupes serbes qui

pillent, détruisent, assassinent et expulsent des milliers d'habitants croates, de même que

l'escalade des combats à Dubrovnik et la politique de destruction systématique mise de l'avant

par l'APY au cour du même mois provoquent une nouvelle vague de colère, d'impatience et de

ressentiment en Allemagne134.

Pour le ministre Hans-Dietrich Genscher, le recours à la force et la façon dont l'APY et

les unités irrégulières vont conduire la guerre constituent une offense beaucoup plus grave que

les déclarations d'indépendance135. L'usage de la force est à ses yeux tout simplement

inacceptable, tout comme la politique du fait accompli que tentent de mener les Serbes136.

La cruauté des combats va donc rapidement influencer l'Allemagne à prendre l'initiative

dans le règlement des conflits balkaniques137. Plus encore, l'émoi causé par la barbarie des

affrontements et le comportement des combattants serbes incite l'Allemagne à favoriser la

reconnaissance des indépendances slovène et croate138. Devant la persistance des violences, il

apparaît au ministre Genscher que seule la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie, en

internationalisant le conflit, peut mettre fin aux effusions de sang139.

S'il ne fait pas de doute que les abominations auxquelles se livrent les forces

combattantes, particulièrement le nettoyage ethnique, choquent tant la population allemande que

ses élites, cette explication ne suffit toutefois pas. Les Italiens, les Français et autres Européens

de l'Ouest ont aussi souffert du nazisme et sont tout aussi attachés à la paix que les Allemands.

Certes les Français et les Britanniques, particulièrement les élites politiques, sont probablement,

en raison d'un plus grand cynisme, moins sensibles que les Allemands qui supportent

particulièrement mal cette résurgence des violences sur le territoire yougoslave140. Mais encore

là, l'équation n'est pas complète. Un autre facteur qui pousse la RFA à prendre le leadership du

133 LIBAL, Michael. Op. cit., p.30. 134#>W.,p.75-78. 135 BENNET, Christopher. Yugoslavia's Bloody Collapse : causes, course and conséquences. London, Hurst and Compagny, 1995, p. 178. 136 GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p.937-939, 944 et 946. 137 RUPNIK, Jacques. « Les enjeux internationaux », dans RUPNIK, Jacques (dir.). Op. cit., p. 135-136. 138 LEMAY, Benoît et LÉTOURNEAU, Paul. Loc. cit., p.636. 139 GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p. 956. 140 NEWHOUSE, John. « Bonn, der Westen und die Auflôsung Jugoslawiens. Das Versagen der Diplomatie -Chronik eines Skandals », Blatterfur deutsche und internationale Politik, vol. 36, no. 10 (octobre), 1992, p. 1195.

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problème yougoslave et à activement promouvoir l'indépendance des deux républiques est la

question des réfugiés.

En effet, peu après le début des hostilités, la RFA, déjà au prise avec les conséquences

sociales à court terme de la réunification, reçoit un nombre important de réfugiés recherchant

l'asile politique141. La plupart des réfugiés yougoslaves de l'année 1991 sont des Croates,

puisque cette année est essentiellement marquée par les avancés des troupes serbes et que les

Serbes ont plutôt tendance à chercher refuge ailleurs en Serbie. Beaucoup des réfugiés croates

sont en fait des enfants que leurs parents envoient rejoindre de la parenté déjà présente sur le

territoire allemand, ce qui ne laisse pas la population et les autorités indifférentes142. Ces réfugiés

vont engendrer une certaine sympathie chez la population allemande à l'égard de la cause croate.

La question des réfugiés est d'autant plus complexe pour la RFA qu'elle est obligée par la

constitution de 1949 d'accueillir tous les réfugiés politiques sans en limiter le nombre143. Les

Croates qui viennent alors en Allemagne, bien que la très grande majorité d'entre eux va

retourner en Croatie après la guerre, s'ajoutent aux immigrants de l'Europe de l'Est qui, avec la

fin de la guerre froide, viennent tenter leur chance à l'ouest, aux réfugiés du tiers-monde et aux

Allemands ethniques qui, bien que n'ayant jamais vécu en Allemagne, se voient rapidement

accorder la citoyenneté allemande144. Bref, il y a un mouvement de population important vers

l'Allemagne, ce qui risque de déstabiliser le processus de réorganisation sociale déjà fragile et

complexe entrepris avec la réunification. Par exemple, les agressions contre les étrangers

commises par des adhérents aux mouvements d'extrême droite menacent la paix sociale et risque

de ternir l'image de la RFA dans le monde145.

Pour le gouvernement de Kohi, la question des réfugiés croates est un problème qui peut

être évité. Si l'Allemagne peut difficilement influencer les régimes dictatoriaux en Afrique ou

ailleurs, il lui semble parfaitement possible d'influencer les événements se produisant dans sa

cour arrière. L'afflux de réfugiés croates incite la RFA à agir, d'autant plus qu'elle se rend

rapidement compte qu'elle est et va être le principal pays d'accueil de ceux-ci, notamment pour

des raisons géographiques et puisqu'il y a déjà une population croate significative sur le territoire

141 LANTIS, Jeffrey S. Loc. cit., p.25. 142 BENNET, Christopher. Op. cit., p. 178. 143 KRffiGER, Wolfgang. Loc. cit., p.27. 144 Entre 1988 et 1994, environ 1,5 million de ces Allemands ethniques ont émigré en Allemagne. Voir Ibid., p.28-29.

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allemand, mais aussi puisque la France et la Grande-Bretagne ont tout fait pour limiter l'afflux

de réfugiés yougoslaves sur leur territoire. Du point de vue allemand, la reconnaissance des

indépendances aura des conséquences stabilisatrices et permettra d'endiguer le flux de réfugiés

en provenance de la Yougoslavie146. Certes la question des réfugiés n'est à ce moment pas aussi

importante que dans le cas de la Bosnie-Herzégovine147. Toutefois, cette question semble bel et

bien avoir joué un rôle significatif dans la formulation de la politique étrangère allemande à

l'égard de la Croatie.

Si la cruauté des combats et la question des réfugiés jouent un rôle non négligeable dans

la position allemande en faveur des indépendances, il en va de même des craintes de voir

l'instabilité se propager à l'ensemble de la région.

Les risques de déstabilisation régionale

Avec le début des guerres de Slovénie et de Croatie, plusieurs observateurs ont vu une

nouvelle mise à feu de la « poudrière balkanique». En 1991, rien ne garantit que le conflit ne

débordera pas à l'extérieur (tout comme à l'intérieur) des frontières yougoslaves ou n'en viendra

pas à impliquer d'autres États. Le 19 septembre 1991 lors d'une rencontre à Bonn, le président

français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohi émettent une déclaration

commune reconnaissant le risque de déstabilisation régionale que présente le conflit serbo-

croate . S'ils ne s'entendent pas sur les moyens à utiliser pour y arriver, les principales

puissances européennes et les Etats-Unis partagent néanmoins l'objectif de régler rapidement le

conflit ou à tout le moins de le contenir à l'intérieur des frontières yougoslaves149.

145 BRENKE, Gabriele. « Die Aussenpolitik der Bundesrepublik Deutschland », dans WAGNER, Wolfgang et al. (éds.). Die Internationale Politik 1991-1992. Mûnchen, R. Oldenbourg Verlag, 1994, p. 126. 146 AXT, Heinz-Jurgen. « Hat Genscher Jugoslawien entzweit ? Mythen und Fakten zur Aulknpolitik des vereinten Deutschlands », dans VOLLE, Angelika et WAGNER, Wolfgang (éds.). Op. cit., p.97. 147 Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, en 1994, on retrouve en Allemagne 350 000 réfugiés en provenance de l'ex-Yougoslavie, soit 275 000 Bosniaques et 70 000 Croates. Au total, c'est 1 354 600 réfugiés qui sont alors présents sur le territoire allemand. Voir OFFICE OF THE UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONERFORREFUGEES. Populations ofConcern to UNHCR :A Statistical Overview (1994), p.7. Disponible au www.unhcr.org/statistics/STATISTICS/3bfa33154.pdf. Consulté le 17 janvier 2008. 148 Pour le texte de la déclaration, voir VOLLE, Angelika et WAGNER, Wolfgang (éds.). Op. cit., p. 156-157 149 DAALDER, Ivo H. Loc. cit., p.48.

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Avec la fin de la guerre froide et l'effondrement des régimes communistes en Europe,

l'une des priorités de la RFA réunifiée est la stabilisation de l'Europe de l'Est150. Bien qu'aucun

des pays occidentaux du continent européen n'ait intérêt à voir les Balkans en proie à la guerre et

l'est européen déstabilisé, l'Allemagne est sans aucun doute la plus concernée : « Ne serait-ce

que pour des raisons d'évidence et des raisons géographiques, l'Allemagne a le plus grand intérêt

à voir se développer en Europe centrale et orientale la paix, la stabilité et le bien être151 ».

L'Allemagne est d'ailleurs un des États qui ont le plus favorisé l'élargissement tant de

l'Union Européenne que de l'OTAN à l'Est, justement car elle est la plus concernée par une

déstabilisation en Europe de l'Est :

De tous les pays occidentaux, l'Allemagne est celui qui est le plus exposé en cas de troubles en Europe orientale, et donc le plus conscient des risques. En conséquence, la politique étrangère allemande souligne, depuis 1990, que la sécurité et la stabilité européennes ne seront garanties que lorsque l'ensemble de l'Europe orientale sera fermement ancré dans un réseau d'institutions interdépendantes et d'accords de coopération. [...] C'est ainsi que, depuis 1990, Bonn a [...] consenti des efforts politiques et diplomatiques considérables pour: [...] faire entrer de nouveaux membres dans la Communauté, aujourd'hui l'Union européenne [...] et dans l'OTAN (Bonn est partisan d'une adhésion rapide des pays de l'Europe centrale et orientale)152.

Il est somme toute assez facile de comprendre pourquoi l'Allemagne réunifiée se

prononce rapidement après la fin de la guerre froide en faveur d'un élargissement des

principales institutions politiques et sécuritaires occidentales vers l'Est : Pour l'Allemagne, c'est, pour des raisons évidentes, d'un intérêt vital. Une fois l'Europe

élargie, elle ne sera plus la frontière orientale d'une zone de paix et de stabilité, mais elle sera située en son centre. L'élargissement ne peut qu'aider à atteindre un autre objectif que l'Allemagne ne peut atteindre seule : élargir graduellement vers l'Est la zone de bien-être que connaît l'Europe occidentale. À cela s'ajoute que pour l'Allemagne la réconciliation avec ses voisins de l'Est et d'abord avec la Pologne et la République tchèque se fera, politiquement et psychologiquement parlant, plus aisément dans le cadre de relations multilatérales et d'institutions supranationales que dans celui d'un bilatéralisme inévitablement déséquilibré. Il y va là d'intérêts vitaux pour l'Allemagne153.

L'Allemagne perçoit rapidement que le risque de déstabilisation régionale posé par la

désintégration violente de la RSFY vient menacer directement ses intérêts vitaux que sont la

sécurité et la stabilité en Europe154. L'Autriche, plusieurs pays anciennement membres du bloc

soviétique tel la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, l'Albanie, qui vivent

150 MARTENS, Stephan. « La politique étrangère de l'Allemagne depuis 1990 », dans HEGE, Adelheid et al. Op. cit., p. 140-144. 151 NONNENMACHER Gûnther. « Quelles missions de politique étrangère pour l'Allemagne en Europe et dans le monde ? », Allemagne d'aujourd'hui, no. 152, nouvelle-série (avril-juin), 2000, p.295. 152 MAULL, Hanns W. « Allemagne et Japon : deux pays à suivre », loc. cit., p.488-489. 153 NONNENMACHER, Gûnther. Loc. cit., p.297.

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eux-mêmes une période d'instabilité due à la transition qu'ils amorcent, de même que la Turquie

et la Grèce, des partenaires au sein de l'OTAN, risquent d'être entraînés directement ou

indirectement dans le conflit yougoslave si celui prend de l'ampleur ou perdure155. Les dirigeants

allemands redoutent aussi que le conflit yougoslave ait des conséquences malheureuses en RFA

si les immigrants yougoslaves en viennent à s'affronter sur le territoire national allemand,

causant ainsi de dangereux désordres qui alimenteraient l'instabilité sociale et le discours des

groupes d'extrême droite156.

Pour la RFA il est donc nécessaire de résoudre au plus vite la crise yougoslave qui risque

de compliquer l'élargissement de la zone de paix et de prospérité à l'Est. Aux yeux des

dirigeants de la RFA, une seule solution permet de mettre fin à la menace de déstabilisation

régionale : « la reconnaissance immédiate était une priorité absolue afin d'arrêter l'avancée serbe

en Croatie et de faire garantir par la communauté internationale les frontières entre les

républiques yougoslaves157». En reconnaissant les indépendances slovène et croate, qu'elle

considère comme s'étant exprimées de manière démocratique et légitime, l'Allemagne croit

pouvoir sinon régler le conflit, à tout le moins le contenir

À partir de juillet 1991, il devient évident pour l'Allemagne que la direction politique en

place à Belgrade ne représente plus que deux républiques, soit la Serbie et le Monténégro, et ce,

au détriment des autres républiques, qui cherchent légitimement à s'émanciper de la domination

de la Serbie. Du point de vue de Bonn, une Slovénie et une Croatie internationalement reconnues

ne pourraient plus être les victimes d'une agression serbe. Une reconnaissance diplomatique de

ces États enlèverait l'espoir aux Serbes de pouvoir modifier à leur profit les frontières entre les

républiques par la force et représente donc pour l'Allemagne le meilleur moyen de rétablir la

paix159. Dans cette optique, une internationalisation du conflit semble être, pour les dirigeants

allemands et particulièrement pour le ministre Genscher, la solution la plus adéquate pour mettre

fin aux combats160.

154 MAULL, Hanns W. et STAHL, Bernhard Loc. cit., p.86 et 88. 155 SCHWARZ, Hans-Peter. Op. cit., p. 165. Voir aussi DAALDER, Ivo YL.Loc. cit., p.47-48. 156 BRENKE, Gabriele. Loc. cit., p.129. 157 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. ctf.,p.H0. 158 ROSEFELDT, Martin. « Deutschlands und Frankreichs Jugoslawienpolitik im Rahmen der Europâischen Gemeinschaft (1991-1993) », Sttdosteuropa, vol. 42, no. 11-12, 1993, p.627. 159 REUTER, Jens. « Jugoslawien : Versagen der internationalen Gemeinschaft ? », Sùdosteuropa, vol. 42, no. 6, 1993, p.338. 160 RAMET, Sabrina P. et COFF1N, Letty. Loc. cit., p.49.

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Cette conviction est d'autant plus forte qu'à la suite de l'agression et l'emploi de la force comme outil de coercition par les Serbes pour écraser les revendications démocratiquement exprimées de la Slovénie et de la Croatie, le maintien de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie, même sous une forme véritablement confédérée, n'apparaît plus comme une solution réaliste pour les dirigeants allemands161.

Bref, pour le gouvernement de Bonn, et contrairement à la France notamment, il devient rapidement clair que les principaux responsables de la crise yougoslave sont les dirigeants politiques serbes et qu'ils doivent être blâmés, isolés et arrêtés162. Pour le ministre Genscher, la grande tragédie du XXe siècle est l'agression allemande sous le règne d'Hitler et la politique d'apaisement menée par la communauté internationale en réponse à celle-ci. Il exprime donc clairement que l'Allemagne ne peut tolérer l'erreur de l'apaisement à nouveau163. Une fois qu'il est établi qu'il y a bel et bien un agresseur et une victime164, il est primordial de faire échec à l'agression afin d'éviter que les victimes soient privées de leurs droits légitimes et d'éviter qu'une agression réussie donne l'exemple à d'autre qui serait tenté de recourir à la force pour atteindre des objectifs politiques165.

Il est d'autant plus facile pour les dirigeants de la RFA de soutenir la Croatie et la Slovénie que l'opinion publique allemande sympathise à partir de juillet 1991 avec Ljubljana et Zagreb, notamment à cause des liens culturels et sociétaux importants et anciens entre les territoires germanophones et les républiques yougoslaves du Nord-Ouest et parce que les médias allemands sont eux aussi plutôt favorables aux deux républiques indépendantistes.

161 ROSEFELDT, Martin. Loc. cit., p.628-629. 162 Ibid, p.637-638. Voir aussi SCHILD, Joachim. Loc. cit., p.85. et DIOT, Claire. Loc. cit., p.69. 163 CRAWFORD, Berverly. « German Foreign Policy and European Political Coopération : The Diplomatie Récognition of Croatia in 1991 », loc. cit., p. 18. 164 II est important de souligner que de désigner un groupe comme victime d'une agression ne lui confère en aucun cas un statut de sainteté. Les Croates, victimes de l'agression serbe, ont eux aussi violer les droits de l'homme, commis des crimes de guerre et des atrocités, tant aux dépens des Serbes que des Bosniaques, dans leur conduite de la guerre. 165 DAALDER, Ivo H. Loc. cit., p.58.

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Page 59: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Les liens culturels et sociétaux entre l'Allemagne et les deux républiques indépendantistes, les

médias et l'opinion publique : les sources de la pression interne

Plusieurs ont voulu déceler un désir malsain de reconstituer une sphère d'influence en

Europe centrale lorsque l'Allemagne a pris position en faveur de la Slovénie et de la Croatie.

Bien que nous considérions cette affirmation comme non fondée et même ridicule, il n'est

cependant pas faux d'affirmer que les liens historiques, culturels et sociétaux entre les territoires

germanophones et les deux républiques yougoslaves du Nord-Ouest ont joué un rôle dans

l'élaboration de la politique de la RFA à leur égard.

La Croatie et la Slovénie ont fait partie de l'Empire autrichien puis austro-hongrois

jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. En Slovénie, jusqu'en 1918, les élites utilisent

quotidiennement la langue de Goethe, tandis que dans la région croate de Slavonie, l'allemand

est la langue des institutions étatiques jusqu'au démembrement de l'empire austro-hongrois.

Même dans la partie sous juridiction hongroise, la couche cultivée de la société croate lit et

utilise l'allemand. L'influence de la culture germanique y est très forte jusqu'en 1918166. Plus

encore, les Croates et les Slovènes sont catholiques, tout comme la majorité des Allemands du

sud alors que les Serbes sont orthodoxes. Bref, les Allemands se sentent tout simplement

beaucoup plus liés aux Slovènes et aux Croates qu'aux autres populations yougoslaves167.

Ce sont ces liens historiques forts qui font en sorte qu'un des hauts fonctionnaires du

ministère des affaires étrangères allemand reçoit un téléphone d'une vieille tante qui tient à lui

raconter ses souvenirs de jeunesse, passée en bonne partie à Dubrovnik : pour l'Allemagne,

beaucoup plus que pour la France, la Grande-Bretagne ou l'Espagne, la crise yougoslave se

déroule directement dans sa cour arrière168.

Il serait toutefois simpliste de penser que des liens historiques du XIXe et du début du

XXe siècle ont pu modeler à eux seuls la politique étrangère de la RFA au début des années

1990, le nazisme et la guerre froide séparent drastiquement les deux époques. Mais ces liens

historiques se sont poursuivis et développés sous diverses formes depuis.

166 CASTELLAN, Georges et VTOAN, Gabrijela. La Croatie. Paris, Presses universitaires de France, 1998, coll. Que sais-je ?, p.61 et 63. 167 AXT, Heinz-Jurgen. Loc. cit., p.97. 168 NEWHOUSE, John. Loc. cit., p. 1195.

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Page 60: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Avant le début des guerres, la Slovénie et la Croatie sont des destinations très prisées par

les voyageurs allemands : près de 2,8 millions d'Allemands visitent la Yougoslavie chaque

année, principalement la Slovénie mais surtout la côte dalmate en Croatie, soit près de 42% de

tous les touristes visitant le pays durant les années 1980169. Ces Allemands ont tissé des liens non

seulement avec le pays et l'ambiance, mais aussi avec les habitants de ces régions

Mais les liens sociétaux ne s'arrêtent pas à de simples relations touristiques. Des 700 000

Gastarbeiter en provenance de Yougoslavie vivant et travaillant en Allemagne au début de 1991,

près de 500 000 sont des Croates qui sont plutôt bien intégrés dans la société allemande à tous les

niveaux : dans les églises, les syndicats, le milieu de travail et autres contacts de tout acabit171.

Ils ont aussi de bonnes relations avec les partis politiques au pouvoir à Bonn et plus

particulièrement avec la CSU, l'aile bavaroise de la CDU172. Sur l'influence de l'église

catholique, notons simplement que dès juin 1991, le Vatican a manœuvré diplomatiquement afin

de promouvoir les indépendances de ses ouailles. Ceci n'est pas passé inaperçu chez les

dirigeants de la CSU, dont les dirigeants sont des conservateurs catholiques qui possèdent une

influence respectable au sein de la CDU, alors membre de la coalition au pouvoir à Bonn173.

Il existe en Allemagne une foule d'organisations, de regroupements, de sociétés ou de

cercles croates en tout genre : la Kroatischen Kulturgesellschaft e. V. Rhein Main, située à

Francfort et responsable de nombreuses manifestations qui ont eu lieu en 1991 en faveur de la

Croatie, la Demokratische Vereinnigung fur freies Slowenien und Kroatien basée à Mannheim,

ou encore la Deutsch-Kroatische Gesellschaft e.V., fondée en 1983 et dont le siège social est

situé à Hambourg et qui, lors de son assemblée générale du 10 novembre 1991, s'engage à créer

et soutenir des regroupements semblables dans tous les Lander allemands, de même qu'à

Zagreb174.

Ce sont d'ailleurs ces organisations qui, dès janvier 1991, vont organiser dans de

nombreuses villes allemandes (Hambourg, Berlin, Cologne, Francfort, Stuttgart, Munich, etc.),

mais aussi ailleurs en Europe (notamment Bruxelles), des manifestations réclamant une solution

pacifique à la crise yougoslave. Avec le début des guerres, les manifestations vont évoluer pour

169 NAGENGAST, Emil. Loc. cit., p.183. 170 RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. Loc. cit., p.50. 171 ZEITLER, Klaus Peter. Op. cit., p.244. 172 BRENKE, Gabriele. Loc. cit., p.129. 173 MATJLL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p.122-123. 174 ZEITLER, Klaus Peter. Op. cit., p.244.

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Page 61: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

réclamer de l'Allemagne une aide humanitaire et la reconnaissance des indépendances croate et

slovène175.

En plus de ces organisations, plusieurs individus d'ascendance croate vont organiser des

activités afin de sensibiliser la population à la situation yougoslave en général, croate en

particulier. À titre d'exemple, Amalija Ljubica Janovic, résidant alors dans les environs de

Francfort, va organiser une foule de manifestations. Elle a notamment « assiégé » les ambassades

d'Espagne, de Grèce, de France, de l'URSS et des Pays-Bas, afin de mettre à l'avant-scène le

conflit serbo-croate et de savoir si ces États vont reconnaître l'indépendance croate176. Ou encore

Ivona Donèevic, représentante depuis de nombreuses années du Conseil national croate à Bonn,

qui utilise tous ses contacts politiques et autres afin d'organiser, en collaboration avec diverses

fondations allemandes, des symposiums sur la Croatie177.

Cet activisme croate en Allemagne n'est toutefois pas responsable à lui seul de la prise de

position en faveur des indépendances. Tel que soutenu plus haut, le consensus chez les élites

politiques allemandes à cet égard s'est effectué avant que la crise yougoslave ne devienne un

sujet critique dans la société allemande. Toutefois, les liens sociétaux forts, d'autant plus

revigorés par l'activisme des Croates résidant et travaillant en Allemagne, ont créé une

sympathie et une certaine prédisposition de l'opinion allemande en faveur de la Croatie. Ces

liens ont rendu impossible que les violences se déroulant en Croatie passent sous silence. On

peut donc légitimement affirmer que les liens sociétaux ont contribué à tout le moins à Vagenda

setting1™ des sujets politiques en Allemagne au cours de l'année 1991, en plus de créer une

sympathie non négligeable à l'égard de la Croatie au sein de la population.

175 Ibid, p.243. 176 Ibid, p.245. 177 Ibid. 178 Le phénomène d'agenda setting est habituellement utilisé en référence à l'influence des médias sur la politique. Ce concept renvoie à la capacité des médias de dicter l'ordre du jour politique. En accordant une couverture médiatique à certains sujets, les médias « établissent les priorités politiques de la population [... ] les membres d'un auditoire en [venant] à accepter personnellement l'importance accordée aux sujets traités par les médias ». Les médias ne disent donc pas quoi penser à leur auditoire, mais ils disent à propos de quoi il faut penser, simplement en choisissant d'aborder tel sujet et d'en ignorer un autre. À ce sujet, voir notamment GINGRAS, Anne-Marie. « Les médias, l'opinion publique et le Parlement », dans TREMBLAY, Manon, PELLETIER, Réjean et PELLETIER, Marcel R. Le parlementarisme canadien. Saint-Nicolas, Les Presses de l'Université Laval, 2000, p. 193. ou encore JEFFRES, Léo W. Mass Media : processes andeffects. Prospect Heights, 111., Waveland Press, 1986, p.251. Dans le cas qui nous intéresse ici, les activités menées par les Croates vivant en Allemagne ont en quelque sorte joué le même rôle que les médias. Ils ont mis à l'avant-scène la situation prévalant en Yougoslavie et en ont fait un sujet public, sur lequel la population allemande était fortement encouragée à se faire une opinion. Bien évidemment, les Croates travaillaient à ce que cette opinion soit la plus favorable possible à la Croatie. Ce travail est d'autant plus

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Page 62: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

À cet activisme croate s'ajoute aussi une participation de plus en plus active des médias.

Au nombre de ceux-ci, la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) joue un rôle de premier plan. La

FAZ est non seulement un des journaux possédant un des plus grands tirages, mais aussi et

surtout un des plus respectés de la RFA, notamment chez les élites et la classe supérieure. Avant

même le début des hostilités, la FAZ consacre plusieurs articles à la crise yougoslave, qui mettent

en évidence la ligne de division au sein de la Yougoslavie entre l'Est orthodoxe et l'Ouest

catholique. Johann Georg ReiBmuller, alors rédacteur et coéditeur de la FAZ fournit sans doute la

principale contribution sur la crise yougoslave. Il est l'un des premiers à reconnaître que la

guerre serbo-croate est en fait une guerre de conquête territoriale menée par la Serbie, qu'il

critique vivement, et dénonce vigoureusement la politique occidentale à l'égard de la crise,

affirmant que celle-ci a encouragé les Serbes à commencer et poursuivre l'agression179. Dès le 6

juillet 1991 ReiBmuller se prononce en faveur de l'indépendance des deux républiques et va

régulièrement en faire la promotion dans une série d'articles s'étendant jusqu'au 16 janvier 1992.

Le rédacteur Viktor Meier180 est aussi un de ceux qui agitent leur plume dans les pages

de la FAZ. Si ses écrits n'ont pas le style percutant de ReiBmuller et qu'il se consacre davantage

à l'analyse et à l'explication des causes de la crise, il n'en demeure pas moins qu'il favorise la

reconnaissance des indépendances181. À cela s'ajoute une foule de correspondants qui vont

publier des articles dans la FAZ. La position de cet important journal est claire : les Serbes

doivent être tenus responsables pour le déclenchement des hostilités et être arrêtés. À cet égard,

la meilleure solution au conflit est la reconnaissance des indépendances slovène et croate182.

La Siiddeutsche Zeitung (SZ) adopte une approche assez différente. Au début de la crise,

la SZ ne favorise aucune solution particulière, si ce n'est que toute solution doit être trouvée et

appliquée dans le cadre de la CSCE. La SZ s'oppose même à la reconnaissance des

indépendances et rejoint en ce sens la position de la Serbie. Toutefois, en août, suite à

l'intensification des combats, la SZ se prononce en faveur des indépendances, bien qu'elle ne

fasse en aucun cas une campagne similaire à celle de la FAZ183. Similaire à la SZ est la

simplifié par le silence quasi absolu des quelques 100 000 Serbes vivant en Allemagne qui se font assez discret pendant le conflit serbo-croate. t79 ZEITLER, Klaus Peter. Op. cit., p.237. 180 Viktor Meier est aussi l'auteur du livre Yugoslavia : A History oflts Démise, New York, Routledge, 1999. 181 ZEITLER, Klaus Peter. Op. cit., p.237. 182 Ibid. 183 Ibid, p.239-240.

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Page 63: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Frankfurter Rundschau qui elle aussi favorise le règlement du conflit dans le cadre de la CSCE,

puis se prononce à partir de la fin septembre en faveur des indépendances

Parmi les autres grands journaux allemands ayant abondamment traité de la crise

yougoslave figurent Die Welt, Die Zeit et Der Spiegel. Ceux-ci ne vont pas favoriser la

reconnaissance de la Croatie et de la Slovénie, mais ne vont pas non plus s'y opposer. Die Welt

se consacre essentiellement à noter l'impuissance de la CE et à réclamer une participation accrue

des États-Unis et de l'URSS. Die Zeit essaie avant tout de présenter objectivement la crise et les

conséquences de celle-ci pour l'Europe et l'URSS et met moins de l'avant les atrocités de la

guerre. Elle note toutefois qu'une reconnaissance de la Croatie ne devrait se faire qu'à certaines

conditions, notamment la protection de la minorité serbe vivant sur le territoire croate. Enfin,

Der Spiegel, après avoir été quelque peu superficiel dans sa couverture initiale de la crise, va

devenir plus sérieux par la suite. S'il s'oppose aux indépendances des deux républiques du Nord-

Ouest, il blâme toutefois le comportement des dirigeants serbes185.

La télévision et la radio ne sont pas en reste. Dès le printemps 1991 une foule d'experts et

de spécialistes viennent discuter de la crise yougoslave. Une panoplie de positions est présentée

et la question de la reconnaissance des indépendances est fréquemment abordée. Notons

toutefois qu'en septembre un reportage intitulé Bilder der Barbarei - Greuel der Tschetniks

(Images de la barbarie - la cruauté des Tchetniks) est présenté à la Zweite Deutsche Fernsehen

(ZDF) où il est affirmé que les Serbes ont commis des atrocités afin de chasser les Croates et de

s'emparer de leur territoire186.

Bref, les médias ont été très actifs au sujet de la crise yougoslave. On peut légitimement

affirmer que dans l'ensemble des médias allemands, il existe une tendance favorisant les Croates,

bien qu'elle ne préconise pas nécessairement une reconnaissance des indépendances. Les médias

ont au minimum joué un rôle # agenda setting, forçant les Allemands à prendre conscience de la

gravité de la situation, et ont vraisemblablement, en favorisant modérément la cause croate et

Slovène, exercé une certaine influence sur l'opinion publique allemande. Toutefois, les médias

n'auraient pas eu une influence aussi importante s'il n'avait pas existé une prédisposition au sein

de la population en faveur d'une action pour résoudre le conflit sans récompenser l'agresseur187.

Ibid, p.240. Ibid, p.240-241. Ibid, p.242. AXT, Heinz-Jûrgen. Loc. cit., p.98.

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Page 64: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Pour la population allemande, il devient, au cours de l'été et de l'automne 1991, de plus en plus

clair que les principaux, sinon les seuls responsables du conflit sont les Serbes. A cet égard,

l'assassinat, le 26 juillet 1991, du journaliste allemand Egon Scotland par des extrémistes serbes,

laisse une marque profonde dans l'opinion publique allemande et n'améliore en rien la

perception qu'on les Allemands des agresseurs serbes, bien au contraire188.

C'est donc la combinaison des liens sociétaux forts entre l'Allemagne et les deux

républiques du Nord-Ouest et une influence médiatique significative qui vont inciter les

Allemands à prendre position en faveur de la cause croate et slovène. Cette mobilisation de

l'opinion publique va donner aux dirigeants allemands un soutien populaire afin qu'ils prennent

l'initiative dans la résolution de la crise189. Toutefois, cette position de l'opinion publique n'a

pas influencé celle des élites puisque, tel que mentionné plus haut, ceux-ci ont pris position en

faveur de la reconnaissance avant que la population allemande fasse de même. Si cette

mobilisation populaire lui apporte un soutien non négligeable, elle va aussi considérablement

réduire sa marge de manœuvre.

C) 23 décembre 1991 : La reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie

Jusqu'à présent, nous avons présenté les facteurs qui, dans un premier temps, expliquent

que l'Allemagne se positionne pour le statu quo, c'est-à-dire le maintien de l'intégrité territoriale

de la Yougoslavie, puis, avec le début des violences armées, que la RFA se prononce en faveur

des indépendances et en fasse activement la promotion auprès de ses alliés et partenaires.

Après avoir convaincu les membres de la CE de reconnaître la Slovénie et la Croatie,

l'Allemagne va briser le front commun de la CE. En effet, alors qu'il est convenu de reconnaître

les deux États à la mi-janvier 1992 s'ils remplissent certaines conditions190, l'Allemagne décide

de reconnaître les deux républiques le 23 décembre 1991, sans attendre les conclusions du

rapport de la Commission Badinter afin de savoir si la Croatie remplit les critères pour une

reconnaissance par la CE. Ce geste, considéré comme précipité notamment par les États-Unis, la

188 LffiAL, Michael. Op. cit., p.25-26. 189 LANTIS, Jeffrey. Loc. cit., p.26. 190 La plus problématique de ces conditions dans le cas qui nous intéresse est la protection des minorités. Si pour la Slovénie cette condition ne pose pas de problème puisque la population y est somme toute homogène, il en va autrement pour la Croatie, dû à la présence de la minorité serbe, en rébellion depuis plus d'un an au début de décembre 1991.

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Page 65: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Grande-Bretagne, la France, Lord Carrington, alors représentant de la CE dans les négociations

pour la paix, ainsi que par Javier Perez de Cuellar, le secrétaire général des Nations Unies, fait

de l'Allemagne le bouc émissaire de la communauté internationale. Cet acte est à l'origine du

mythe selon lequel la RFA serait responsable du démembrement de la Yougoslavie. La présente

recherche n'a trouvé que deux explications à cet unique acte d'unilatéralisme de la RFA191, soit

une pression interne devenue quasi insoutenable et la peur d'être trahie par ses partenaires.

La pression interne en faveur de la reconnaissance

Tel que mentionné précédemment, il y a d'abord eu la formation d'un consensus chez les

élites allemandes quant à la pertinence de reconnaître l'indépendance de la Croatie et de la

Slovénie. Ce n'est que par la suite, soit à partir de juillet, que l'opinion publique allemande va

elle aussi soutenir les revendications indépendantistes des deux républiques. Plus l'année avance,

plus l'opinion publique et les élites vont tenir à cette position et plus la pression interne va forcer

le gouvernement en place à reconnaître les indépendances. Vers la fin décembre 1991, la non-

reconnaissance de la Croatie aurait eu des coûts politiques internes élevés pour les dirigeants

allemands. En effet, après avoir promis de reconnaître la Slovénie et la Croatie avant Noël et

unilatéralement si nécessaire, les dirigeants allemands risquaient de perdre beaucoup de

crédibilité politique et d'apparaître comme des dirigeants faibles aux yeux des électeurs

allemands s'ils se rétractaient une fois venue l'expiration de l'ultimatum qu'ils s'étaient eux-

mêmes imposé.

Au début d'août 1991, des représentants de la CDU/CSU insistent pour que le ministre

Genscher durcisse le ton afin de rallier la CE à la position de l'Allemagne, tandis que le vice-

président du groupe parlementaire et porte-parole en matière de politique étrangère de la

CDU/CSU, Karl Lamers, affirme que ces deux États auraient dû être reconnus depuis

longtemps192. En septembre, après que la CE ait reconnu les trois États baltes, Bjôrn Engholm,

191 En fait, seul le moment de la reconnaissance peut véritablement être considéré comme unilatéral car la RFA s'est longuement afférée à rallier les autres à sa position et a donc agi multilatcralement. 192 CRAWFORD, Berverly. « German Foreign Policy and European Political Coopération : The Diplomatie Récognition of Croatia in 1991 », loc. cit., p. 19.

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Page 66: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

alors chef du SPD, affirme au Bundestag, le parlement allemand, donc publiquement, que la

Croatie et la Slovénie doivent être reconnues selon les mêmes principes193.

En novembre, alors qu'un sondage démontre qu'environ les deux tiers des Allemands

soutiennent la reconnaissance et que le Bundestag adopte une résolution identifiant les Serbes

comme les agresseurs, le SPD, cherchant à marquer des points, continue de mettre de la pression

sur le gouvernement, défiant Kohi en affirmant que c'est à lui de décider si une logique

d'alliance doit dominer en Europe au détriment des idéaux de liberté194.

Le 15 novembre, le Bundestag adopte une autre résolution non-équivoque concernant la

Yougoslavie : le maintien de la Yougoslavie sous sa forme d'alors n'était plus qu'une chimère et

les principaux responsables de l'échec de l'expérience yougoslave sont les dirigeants

nationalistes serbes au pouvoir à Belgrade. Plus encore, cette résolution affirme le soutien du

parlement au gouvernement afin qu'il mette en place toutes les conditions nécessaires pour la

reconnaissance de toutes les républiques souhaitant leur indépendance et qui sont prêtes à

garantir le respect des droits de leurs minorités195.

Comme si la pression des politiques n'était pas suffisante, le chancelier Kohi se charge

d'accroître lui-même cette pression. Le 5 décembre 1991, soit le lendemain de l'adoption d'une

nouvelle loi constitutionnelle par le parlement croate, le président Tudjman rend visite au

gouvernement allemand. Lors de cette rencontre, Kohi fait la promesse que la RFA va

reconnaître la Croatie avant Noël196. Les dirigeants allemands et particulièrement Kohi ont la

ferme l'intention de tenir cette promesse197.

Le 16 décembre, Kohi fait face au premier congrès de la CDU de l'Allemagne réunifiée

lors duquel est adoptée une plate-forme politique réclamant une politique étrangère plus

indépendante et plus affirmative. Le message est clair, le gouvernement se doit de montrer qu'en

matière de politique étrangère, il a les reins solides198.

Cette pression du milieu politique vient s'ajouter à celle de l'opinion publique allemande

qui, comme noté précédemment, est fortement en faveur des indépendances Slovène et croate.

CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p.512-513. 195 LIBAL, Michael. Op. cit., p.77. 196 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 104. 197 LIBAL, Michael. Op. cit., p.85. 198 CRAWFORD, Beverly. « Explaining Défection from International Coopération : Germany's Unilatéral Récognition of Croatia », loc. cit., p.513.

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Cette opinion publique est non seulement favorable aux indépendances, mais elle réclame aussi

une action concrète de la part des décideurs politiques afin de faire cesser les violences, exigence

qui devient de plus en plus difficile à ignorer pour le gouvernement allemand199. Bref, si la

préférence est encore au multilatéralisme, il est clair qu'en aucun cas la politique du statu quo

encore préconisée par la CE n'est acceptable pour l'Allemagne.

Ainsi pendant l'automne 1991 la RFA cherche désespérément à convaincre ses

partenaires de se rallier à sa position. Dès juillet Genscher tente la simple persuasion, affirmant

que la Serbie est l'agresseur, clamant l'importance du droit des peuples à l'autodétermination et

que l'Allemagne serait grandement affectée par une extension du conflit. À partir du mois d'août

Genscher va mettre de l'avant la menace d'une reconnaissance unilatérale des indépendances par

l'Allemagne si les cessez-le-feu continuent d'être violés afin d'accroître la pression sur ses

partenaires. Il tente aussi de rallier la CE à la position allemande en mentionnant des raisons de

politiques internes pour la position du gouvernement conservateur de Kohi et que les autres États

européens devraient faire des concessions à cause de ces raisons internes. Enfin, Genscher a

même tenté de rallier ses partenaires européens à la position allemande en acceptant de faire des

concessions dans d'autres domaines, notamment avec la Grande-Bretagne au sujet du traité de

Maastricht200.

Il est donc assez évident qu'en aucun cas les dirigeants ne souhaitent agir unilatéralement,

et la population allemande, si elle souhaite la reconnaissance des indépendances, ne réclame pas

un acte d'unilatéralisme de la part de ses dirigeants. Le multilatéralisme est une norme

profondément ancrée dans la culture politique allemande depuis la création de la RFA. Toutefois,

la coalition au pouvoir ne peut se permettre davantage de procrastination en ce qui a trait à la

reconnaissance.

La crainte d'être trahie par ses partenaires

Ce qui incite l'Allemagne à reconnaître avant le 24 décembre 1991 les indépendances

Slovène et croate est la peur d'être trahie par ses partenaires européens. Cette méfiance se

développe alors que le 10 octobre 1991 les États membres de la CE s'engagent dans le cadre de

199 GUÉRIN-SENDELBACH, Valérie. Op. cit., p.329.

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Page 68: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

la Coopération politique européenne (CPE, alors l'organe de négociations de la CE pour les

questions de politique étrangère) à reconnaître les indépendances d'ici deux mois. Le 10

décembre passé, les États de la CE ne souhaitent toujours pas reconnaître les indépendances. Pire

encore, le 13 décembre, la France et la Grande-Bretagne vont chercher l'obtention d'une

résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, directement dirigée contre la RFA,

empêchant un État de «perturber» l'équilibre politique en Yougoslavie par des actions

unilatérales. Genscher doute donc de la sincérité de ses alliés et redoute qu'une fois venu le 15

janvier, ceux-ci mettent de l'avant le fait que la Croatie ne respecte pas au pied de la lettre les

critères conditionnels à une reconnaissance201. Un tel revirement ou d'autres atermoiements

auraient coincé Bonn dans une situation fort inconfortable202.

Malgré cette « trahison », Genscher essaie lors de la rencontre ministérielle de la CPE le

16 décembre de former une coalition gagnante en faveur de la reconnaissance, ce qu'il ne

parvient pas à faire. Il tente ensuite d'augmenter la pression en menaçant à nouveau de

reconnaître unilatéralement la Slovénie et la Croatie. Mais devant l'absence de progrès : Because his partners had betrayed him once by going to the U.N. Security Council, he feared

they would block récognition by pointing to Croatia's unmet conditionality requirements. Under those circumstances he chose to defect, leaving the EPC with the choice of either following Germany or fomenting further embarrassing disputes over the issue in the wake of Maastricht euphoria. [...] As Genscher expected, Europe followed Germany, largely ignoring the conditionality requirements. For Genscher, this on-time défection did not diminish the larger gain for political coopération that had been achieved at Maastricht (although Genscher would hâve preferred even tighter political coopération), and Germany, as a unified and sovereign state, had demonstrated its political clout203.

Incapable d'accepter la politique du statu quo de la CE à cause de la pression intérieure,

Genscher décide donc d'agir seul, même si ceci ne représente que le deuxième meilleur choix, le

premier étant une reconnaissance multilatérale simultanée. Cette décision allemande est d'autant

plus simplifiée qu'il n'existe pas de véritable mécanisme de sanction institutionnel pour

dissuader un État d'agir unilatéralement204.

Il importe toutefois de préciser que l'Allemagne n'a pas manœuvré en secret pour

surprendre ces partenaires européens et leur forcer la main par une politique du fait accompli.

Pour l'ensemble de ces stratégies de négociations voir CRAWFORD, Beverly. « German Foreign Policy and European Political Coopération : The Diplomatie Récognition of Croatia in 1991 »,loc. c/*£, p.20-21. 201 Ibid, p.24. 202 LIBAL, Michael. Op. cit., p. 153. 203 CRAWFORD, Berverly. « German Foreign Policy and European Political Coopération : The Diplomatie Récognition of Croatia in 1991 », loc. cit., p.24-25. 204 Ibid, p.22-23.

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Lors de cette réunion ministérielle du 16 décembre, Genscher n'a laissé aucun doute aux autres

représentants européens que la RFA avait l'intention d'aller de l'avant rapidement, avant Noël205.

Plus encore, aucun des ministres présents n'a soulevé d'objection ou ne semblait considérer cette

position allemande comme contradictoire avec le consensus établi206.

Plus encore, Bonn ne pose pas un geste irréfléchi et ou précipité. S'il n'a pas attendu le

rapport de la commission Badinter, c'est que le gouvernement allemand est convaincu de ce qu'il

contiendra. En effet, Bonn a dépêché en novembre le renommé professeur de droit international

Christian Tomuschat pour vérifier si la constitution croate, particulièrement les passages

concernant la protection des minorités, remplit les critères exigés parla CE pour une

reconnaissance de l'indépendance croate. Les conclusions du professeur Tomuschat ne laissaient

pas place à l'interprétation : non seulement la constitution croate remplit les exigences de la CE,

mais elle fait office de modèle pour l'avenir des droits de minorité en Europe207. L'Allemagne

était ainsi certaine de ne pas se placer dans une situation compromettante puisqu'elle savait, suite

aux conclusions de Tomuschat, ce que le rapport de la commission Badinter recommanderait et a

pu agir en toute confiance208.

C'est donc par crainte d'être trahie par ses alliés et parce que la pression interne est très

forte que l'Allemagne décide de reconnaître le 23 décembre 1991 l'indépendance des

républiques de Slovénie et de Croatie, geste qui lui vaut plusieurs remontrances de la part de ses

alliés. Notons toutefois que l'Allemagne, par souci de solidarité avec ses partenaires de la CE,

n'établit de relations diplomatiques formelles avec les deux républiques indépendantistes que le

15 janvier 1992209.

Conclusion du chapitre

Nous avons dressé ici la liste de ce que nous croyons être les principaux facteurs internes

et externes ayant influencé la politique extérieure de la RFA réunifiée à l'égard des crises serbo-

slovène et serbo-croate. L'évolution de la politique étrangère allemande qui a mené à la

reconnaissance par Bonn des républiques yougoslaves du Nord-Ouest a connu trois phases.

205 LD3AL, Michael. Op. cit., p. 153. 206 Ibid. et GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p.962. 207 GENSCHER, Hans-Dietrich. Op. cit., p.%1. 208 GUÉRIN-SENDELBACH, Valérie. Op. cit., p.240.

61

Page 70: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

D'abord, jusqu'à la fin juin 1991, l'Allemagne est en faveur du maintien de l'intégrité

territoriale de la Yougoslavie. Puis, avec l'éclatement des conflits armés, la RFA se positionne

progressivement en faveur de la reconnaissance de l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie

et tente activement de rallier ses partenaires de la Communauté européenne à sa position. Enfin,

l'Allemagne a décidé de reconnaître les nouveaux États le 23 décembre 1991, soit environ trois

semaines avant la date convenue par les membres de la CE et conditionnelle au respect de

certains critères. Cette évolution ardue, lente et pénible, laisse penser que l'Allemagne n'a pas

souhaité l'éclatement de la Yougoslavie et qu'elle ne considérait pas les guerres yougoslaves

comme une occasion d'accroître son influence dans les Balkans, contrairement à ce qu'affirment

les tenants d'un discours anti-allemand.

Jusqu'à la fin juin 1991, soit avant le début de violences, deux facteurs ont influencé la

position allemande favorisant le maintien de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie : le manque

de préparation ainsi que la crainte de créer un précédent pour l'URSS.

Lorsque après le début des hostilités l'Allemagne se repositionne en faveur de

l'indépendance des républiques yougoslaves du Nord-Ouest, six facteurs semblent avoir joué un

rôle significatif: la formation d'un consensus chez les élites politiques, l'importance du droit des

peuples à l'autodétermination, les pressions externes combinées au désir d'affirmation nationale,

la cruauté des combats avec comme conséquence l'afflux de réfugiés en RFA, les risques de

déstabilisation régionale et enfin la pression interne dont les sources sont les liens sociétaux entre

l'Allemagne et les deux républiques indépendantistes, les médias et l'opinion publique.

La reconnaissance le 23 décembre 1991 de la Slovénie et de la Croatie, alors que les

membres de la CE ont, sous certaines réserves, convenu de reconnaître celles-ci le 15 janvier

1992, semble essentiellement motivée par deux facteurs, soit la crainte d'être trahi par ses

partenaires et la pression exercée par l'opinion publique, exaspérée des délais qui paraissent

permettre la continuation des violences.

En ce qui a trait à la question de la continuité ou de la rupture de la politique étrangère de

la RFA, on remarque que sa politique à l'égard du conflit yougoslave s'inscrit essentiellement

dans la continuité de la politique extérieure qu'elle a menée durant la guerre froide. D'abord, la

RFA s'est contentée d'initiatives économiques, politiques et diplomatiques, sans jamais

envisager la possibilité d'une intervention militaire de la Bundeswehr. Quant aux facteurs

LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.87.

62

Page 71: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

influençant sa politique, il semble que la réaction allemande a été influencée par des facteurs

semblables à ceux qui ont joué un rôle durant la guerre froide. On pense ici à l'importance du

droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la nécessité d'un consensus chez les élites politiques

ou encore le rôle de l'opinion publique sur les questions militaires. Il existe toutefois des facteurs

nouveaux, notamment un désir d'affirmation et de normalisation nationale et la pression exercée

par ses alliés pour que la RFA joue un plus grand rôle.

Un facteur n'a pas été abordé séparément, soit l'attachement que porte l'Allemagne au

multilatéralisme et la fidélité à ses alliés occidentaux. Toutefois, nous avons mentionné à

plusieurs reprises que l'Allemagne a tenté d'établir une position multilatérale commune avec ses

partenaires occidentaux face à la crise yougoslave. Cet attachement au multilatéralisme a joué un

rôle important. Sans celui-ci, les dirigeants de la RFA n'auraient pas cherché à convaincre leurs

partenaires européens pendant près de six mois avant de reconnaître l'indépendance de Zagreb et

de Ljubljana. Même lorsque Bonn a décidé de reconnaître la Croatie et la Slovénie avant que les

autres membres de la CE en fassent autant, le gouvernement du chancelier Kohi s'est d'abord

assuré que cette manœuvre diplomatique avait le consentement, à tout le moins tacite, de ses

alliés européens. Nous récusons donc l'affirmation selon laquelle l'Allemagne nouvellement

réunifiée aurait agi unilatéralement en reconnaissant l'indépendance de la Slovénie et de la

Croatie.

63

Page 72: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Chapitre 3 : La politique étrangère de la RFA face à la guerre de Bosnie-Herzégovine, 1992-

1998

Les fusils se taisent en Croatie avec la reconnaissance de celle-ci en tant qu'Etat

indépendant par la Communauté européenne le 15 janvier 1992 et le déploiement subséquent de

casques bleus en février de la même année pour séparer les combattants serbes et croates. Cette

intervention onusienne a aussi pour effet d'empêcher le gouvernement croate de reprendre le

contrôle de l'ensemble de son territoire. Si les violences cessent en Croatie, il ne faut toutefois

que peu de temps avant que les combats ne se transportent vers le territoire voisin de Bosnie-

Herzégovine210, souvent elle-même considérée comme une petite Yougoslavie211.

Le 15 octobre 1991, voyant l'évolution des événements en Yougoslavie, le gouvernement

bosniaque déclare l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Cette déclaration, intitulée

« mémorandum sur la souveraineté », est adoptée par les parlementaires bosniaques et croates,

mais non pas par les représentants serbes, qui préfèrent boycotter le vote en quittant l'Assemblée

nationale et créent d'ailleurs peu après leur propre assemblée212. Il faut toutefois attendre les 6 et

7 avril 1992 respectivement, soit après le référendum sur l'indépendance des 29 février et 1er

mars 1992 exigé par la Commission Badinter, pour que la CE et les Etats-Unis reconnaissent

diplomatiquement la Bosnie-Herzégovine.

La guerre inter-étatique en Bosnie-Herzégovine débute véritablement en avril 1992,

lorsque la République fédérale de Yougoslavie (RFY), créée le 27 avril 1992, envoie l'Armée

yougoslave (VJ), successeur de l'Armée populaire yougoslave (APY) attaquer la Bosnie-

Herzégovine. Le conflit entre le gouvernement légal de Bosnie-Herzégovine et la République

210 Voir l'annexe 6 pour une carte de la Bosnie-Herzégovine 211 En 1991, la Bosnie-Herzégovine compte 4,35 millions d'habitants, soit 43,7% de Musulmans, 31,3% de Serbes et 17,3% de Croates. Tous trois sont les peuples constitutifs de la république de Bosnie-Herzégovine en Yougoslavie avant sa désintégratioa Aucun peuple n'y est majoritaire, tout comme dans l'ensemble de la Yougoslavie et la Bosnie-Herzégovine est alors la seule république yougoslave sans nation titulaire. Pendant des siècles, la Bosnie-Herzégovine fut un territoire de tolérance entre ces trois communautés et avec la communauté juive venue s'y réfugier après l'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492. Voir LUKIC, Renéo. Op. cit., p. 197-200. 212 Ibidem, p.210. Notons au passage que depuis la désintégration de la Ligue des communistes de Yougoslavie et l'avènement du pluralisme politique, les allégeances politiques se sont réparties de manière ethnique, chacune des communautés se ralliant majoritairement à son propre parti, soit le Parti de l'action démocratique (SDA) pour les Musulmans, le Parti démocratique serbe (SDS) pour les Serbes et la Communauté démocratique croate (HDZ-BH)

64

Page 73: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

serbe de Bosnie-Herzégovine (Republika Srpska, RS, créée en 1992) débute toutefois en 1991,

notamment avec la destruction complète du village de Ravno par des réservistes de l'APY. À

partir de septembre 1991, les Serbes de Bosnie sont armés et soutenus par l'APY qui utilise les

territoires occupés par les Serbes et déclarés « régions autonomes serbes » en Bosnie-

Herzégovine pour lancer des attaques contre la Croatie. En fait, dès le printemps 1991, le Srpska

Demokratska Stranka (SDS) de Bosnie-Herzégovine et ses chefs, notamment Radovan Karadzié,

préparaient déjà activement la sécession des territoires peuplés de Serbes et le rattachement de

ceux-ci à la République de Krajina (territoires serbes en Croatie) et éventuellement à la Serbie.

Les nationalistes serbes de Bosnie-Herzégovine ont adopté la même méthode que ceux de

Croatie pour parvenir à leur fin, soit l'éventuelle création d'une « Grande Serbie » rassemblant

tous les Serbes en un seul État et ce, au moyen de nettoyages ethniques213.

La politique étrangère de l'Allemagne face au conflit en Bosnie-Herzégovine se présente

plus aisément sur une base thématique que sur une base temporelle, comme nous l'avons fait au

chapitre précédent. Bien évidemment, l'analyse de cette politique étrangère selon des critères

temporels n'est pas complètement évacuée, mais plutôt reléguée au second plan. Trois éléments

doivent absolument être présentés pour comprendre la politique de l'Allemagne face à ce conflit.

D'abord la RFA a été extrêmement discrète quant à la recherche de solutions entre 1992 et 1994,

voire même excessivement discrète en comparaison avec l'activisme dont elle a fait preuve dans

le conflit serbo-croate. Deuxièmement, Bonn a été l'un des membres du Groupe de Contact

Bosnie, groupe restreint qui fut un temps l'organe multilatéral le plus apte à trouver des solutions

aux violences meurtrières en Bosnie-Herzégovine. Enfin, et sans doute l'élément le plus

important d'entre tous, l'Allemagne a connu une évolution spectaculaire en déployant au sein de

PIFOR et de la SFOR des troupes de combat sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, ce qui

apparaît à première vue comme une rupture fondamentale avec la politique étrangère fortement

imprégnée d'une « culture de retenue » qu'elle a menée pendant plus de 45 ans.

pour les Croates, ce qui ne laissait d'hors et déjà présager rien de bon pour la stabilité de la Bosnie-Herzégovine. Voir Ibid., p.200-201 et 206. 213 Ibid, p. 207-215.

65

Page 74: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

A) La passivité allemande face au conflit en Bosnie-Herzégovine, 1992-1994

Après avoir été très active pendant le conflit serbo-croate, la diplomatie allemande se fait

extrêmement discrète à partir de janvier 1992, et ce, jusqu'en 1994, ou à tout le moins jusqu'à la

lettre Juppé-Kinkel présentée au ministre des Affaires étrangères de la Belgique Willy Claes, qui

assure alors la Présidence du Conseil de l'Union européenne, à l'automne 1993, lettre à l'origine

du plan de paix de l'Union européenne qui est entériné par les Douze le 22 novembre 1993214.

Trois causes sont à l'origine de cet effacement de l'Allemagne dans les efforts

internationaux pour résoudre la crise bosniaque. Premièrement, Bonn redoute d'être à nouveau

pointée du doigt si ses partenaires considèrent qu'elle fait preuve d'un trop grand activisme,

comme ce lut le cas avec l'épisode de la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie. Plus

encore, souhaitant s'en tenir à une politique multilatérale, la RFA est vite confrontée à l'absence

d'unité chez ses alliés, ce qui la force à faire constamment le grand écart entre Washington et

ses principaux partenaires européens, soit Paris et Londres. Enfin, jusqu'en 1994, l'interprétation

que fait la majorité de la classe politique allemande de la constitution de la RFA lui interdit

toutes formes de participation militaire à l'extérieur du territoire de l'OTAN, avec comme

résultat la marginalisation de l'Allemagne fédérale.

La RFA redoute d'être à nouveau blâmée par ses partenaires

Si la reconnaissance de la Croatie et de la Slovénie fut qualifiée par le chancelier Helmut

Kohi de « triomphe de la diplomatie », il n'en demeure pas moins que ce prétendu triomphe de la

diplomatie allemande a eu des répercussions peu glorieuses pour la RFA. En effet, cette politique

a rencontré une très forte opposition de plusieurs pays européens, notamment de la France et du

Royaume-Uni, de même que de Lord Carrington, de Cyrus Vance, le représentant de l'ONU

pour la Yougoslavie, du Secrétaire général de l'ONU Perez de Cuellar, du Secrétaire d'État

américain James Baker ainsi que de son président George Bush215.

Sans égard aux conséquences de cette politique sur le conflit yougoslave, cette politique a

été néfaste, du moins temporairement, pour l'Allemagne. Ce qui est alors perçu comme une

214 BOIDEVAIX, Francine. Op. cit., p.51. 215 MAULL, Hamis W. « Germany inthe Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 104.

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Page 75: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

nouvelle assurance (pour ne pas dire arrogance) en matière de politique étrangère, a entraîné des

répercussions négatives, représentées par les critiques parfois très acerbes des partenaires de

Bonn216. Ce déluge de critique ébranle profondément l'Allemagne et les dirigeants en tirent la

conclusion que ces tactiques quelques peu cavalières doivent être évitées et qu'il vaut mieux s'en

tenir à une politique calquée sur celle de ses principaux partenaires :

[...] la « nouvelle Allemagne » a payé cher son entêtement pro-croate. Rarement aussi isolée sur la scène internationale depuis 1949 et ceci, de surcroît, pour un enjeu qui fut loin d'être vital pour elle, la RFA s'est imposée contre la volonté explicite des pays membres de la CEE, des Etats-Unis, de la Russie et du Secrétaire général des nations unies, suscitant, à la surprise des responsables allemands, des réactions inquiétantes de la part de ses partenaires. La réaction internationale face à la politique allemande en ex-Yougoslavie a provoqué un véritable traumatisme outre-Rhin, où l'entente avec Paris, Washington et Londres a toujours été jugée absolument cruciale pour la sécurité de l'Allemagne. Même si les dirigeants allemands n'ont jamais accepté l'idée d'avoir commis une erreur en reconnaissant avant tout le monde l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, ils ont admis la nécessité de ne plus agir unilatéralement et, de surcroît, contre la volonté de leurs principaux partenaires.

C'est cette attitude qui a caractérisé la position allemande entre le mois d'avril 1992 (début des hostilités en Bosnie-Herzégovine) et février 1994 (création du Groupe de contact). En effet, durant cette [...] phase, l'Allemagne a affiché un profil extrêmement bas, s'abstenant d'exercer la moindre influence sur l'évolution de la gestion du conflit bosniaque217.

Pour les voisins et partenaires de la RFA, celle-ci, malgré plus de 40 ans d'ancrage à

l'Ouest, n'est pas exempte de tout soupçon. Plusieurs pays européens avaient déjà exprimé un

certain malaise face à la réunification, sans toutefois s'y opposer ouvertement. C'est notamment

le cas de la France et du Royaume-Uni qui redoutaient alors le retour d'un géant allemand aux

tentations hégémoniques en plein cœur du vieux continent, crainte qui perdure d'ailleurs pendant

la première moitié des années 1990218.

Cette méfiance des partenaires européens de l'Allemagne s'exprime dans plusieurs

domaines, mais sans doute avec le plus de clarté face à VOstpolitik de la RFA et particulièrement

dans le cadre de la crise yougoslave : Le gouvernement fédéral fut accusé de vouloir jouer sans complexe, après avoir retrouvé sa

souveraineté et être resté à l'écart pendant la guerre du Golfe, un rôle majeur dans une région avec laquelle l'Allemagne avait toujours entretenu des rapports étroits. Ainsi, comme nulle part ailleurs en Europe de l'Est, la politique yougoslave semblait dévoiler des ambitions à l'échelle de toute la Mitteleuropa. D'où l'opposition française à la volonté allemande de reconnaître l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie en 1991. Aussi, le 23 décembre 1991, au lendemain de la reconnaissance unilatérale (sic) par le gouvernement fédéral de la Slovénie et de la Croatie, la France et les Etats-

216 Ibid, p. 105. 217 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 110. 218 KIRSTE, Knut. German Contributions to NATO Peacekeeping and Out-ofArea Opérations : The Case of Former Yugoslavia. Nato Individual Research Fellowship 1996/8, Final Report, p.9. Disponible au www.nato.int/acad/fellow/96-98/kirste.pdf. Consulté le 17 février 2007.

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Page 76: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Unis, les deux principaux partenaires de la RFA, ont-ils lancé de très vives attaques à rencontre de leur partenaire allemand Paris a brandi le spectre du retour de la question allemande, tandis que Washington a dénoncé la politique de growing assertiveness de la République fédérale. Selon le quotidien français Le Monde, pourtant connu pour ses analyses modérées concernant la RFA, / 'affaire yougoslave laisse penser que l'Allemagne n 'accepte plus l'intégration européenne comme garantie de sécurité contre sa puissance potentielle. La question allemande va redevenir, plus que jamais, la priorité politique européenne [...] et française.

[...] Si l'on se fie à la presse occidentale, l'affaire yougoslave s'est parfaitement intégrée dans un ensemble d'actions [...] que les partenaires et voisins de la République fédérale ont perçu comme les signes tangibles d'un retour à l'hégémonisme allemand : actions unilatérales en Europe de l'Est, « diktat » de la Bundesbank sur le plan monétaire, campagne feutrée pour obtenir un siège au Conseil de Sécurité, augmentation unilatérale du nombre de députés allemands au Parlement européen, exigence d'utiliser l'allemand comme troisième langue officielle au sein de l'Union européenne et résistance croissante contre l'intégration monétaire et l'abandon du deutschemark219.

En fait, certaines critiques sont si virulentes qu'elles vont jusqu'à attribuer la

responsabilité du déclenchement des hostilités au printemps 1991 à l'Allemagne et à sa

reconnaissance des indépendances Slovène et croate de décembre 1991, ce qui est complètement

farfelu, ne serait-ce que pour des raisons de logique et de cohérence temporelle220. Le Secrétaire

d'État américain de l'époque Warren Christopher va même jusqu'à affirmer que l'Allemagne

porte une « responsabilité particulière » dans le déclenchement du conflit221.

C'est donc partiellement à cause des réactions internationales hostiles suite à l'épisode

des reconnaissances que la diplomatie allemande s'efface à partir de janvier 1992 et que le

gouvernement de Bonn se contente de soutenir les différents plans de paix (conférence de l'UE

pour la Bosnie, le plan Vance-Owen, le plan Owen-Stoltenberg, qui s'avèrent d'ailleurs tous des

échecs), même si c'est sans enthousiasme, pour ne pas dire carrément à contrecœur, puisque le

gouvernement de Kohi juge que tous ces plans sont trop généreux envers les Serbes222.

L'Allemagne a aussi accepté d'autres politiques qu'elle considère comme inefficaces :

[...] le gouvernement fédéral s'est rallié, presque contraint et forcé, à de nombreuses mesures diplomatiques qu'intrinsèquement, il ne cessait de condamner : le concept des « zones de sécurité », les modalités du partage du territoire bosniaque (49% - 51%) de juillet 1994, la levée partielle des sanctions économiques contre les Serbes de Belgrade et le fait de traiter Slobodan Milosevic en « homme de paix ». Soucieuse de ne plus prendre de risques, l'Allemagne ne songeait plus à faire bande à part ni à imposer son point de vue223.

STARK, Hans. Helmut Kohi, L'Allemagne et l'Europe : la politique d'intégration européenne de la République fédérale, 1982-1998. Paris, L'Harmattan, 2004, p.320-321. 220 RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. Loc. cit., p.51-52. 221 MEIERS, Franz-Josef. « Germany : The Reluctant Power », Survival, vol. 37, no. 3 (automne), 1995, p.95. 222Ibid, p.53., MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p.106. et STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 110. 223 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 111.

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Il ne s'agit toutefois en aucun cas de la seule raison pour laquelle l'Allemagne s'est fait

discrète entre 1992 et 1994. L'absence de consensus chez ses partenaires quant aux politiques à

mettre en œuvre à l'égard du conflit bosniaque est aussi un facteur dont il faut tenir compte.

Des partenaires divisés

L'attachement de la République fédérale d'Allemagne au multilatéralisme,

particulièrement après les remontrances que lui ont servies plusieurs de ses partenaires suite à

son activisme en faveur de la reconnaissance de la Slovénie et la Croatie, bien que hautement

louable, pose aussi certaines difficultés. Pour agir efficacement de manière multilatérale, la RFA

est dépendante de l'engagement de partenaires prêts à coopérer dans la poursuite d'intérêts et

d'objectifs communs224. Il s'agit d'une condition déterminante de la capacité d'action de la RFA

en matière de politique étrangère. La France, les États-Unis et dans une moindre mesure la

Russie jouent à cet égard un rôle crucial225.

Malheureusement, l'Allemagne va se buter à des points de vue divergents et pendant

longtemps irréconciliables chez ses principaux partenaires quant aux solutions susceptibles de

résoudre le conflit bosniaque. Le cas de l'embargo sur les armes imposé à tout le territoire ex­

yougoslave représente un excellent exemple de cette absence d'unité chez les alliés de la RFA226.

Au printemps de 1993, les États-Unis, sous la présidence de Clinton, proposent une politique du

lift and strike, c'est-à-dire de lever l'embargo sur les armes sur le territoire bosniaque afin de

permettre aux Musulmans de s'armer, le but de cette politique étant de rétablir un certain

équilibre militaire sur le terrain. Jusqu'alors, les Serbes, équipés par l'Armée yougoslave,

possèdent une écrasante supériorité militaire. Bonn, qui avait évoqué cette possibilité en janvier

1993, soutient cette politique et tente de convaincre ses partenaires européens de s'y rallier227.

Bien que certains États européens tels que l'Espagne et les Pays-Bas y soient favorables,

le gouvernement allemand se heurte toutefois à la résistance farouche de Londres et Paris. Ceux-

ci craignent que la levée de l'embargo ne provoque un accroissement de la violence et ne mette

224 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 100. 225 MAULL, Hanns W. « Déclin de l'influence, déclin des ambitions : la politique étrangère de l'Allemagne au crépuscule de l'ère Kohi », Politique étrangère, vol. 63, no. 4 (hiver), 1998, p.753. Voir aussi MAULL, Hans W. « Quo Vadis, Germania ? AuBenpoliuk in einer Welt des Wandels », Blâtterfîir deutsche und internationale Politik, vol. 42, no. 10 (octobre), 1997, p. 1250-1253. 226 MAULL, Hanns W. et STAHL, Bernhard Loc. cit., p.92.

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Page 78: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

ainsi en danger la vie de leurs soldats déployés en Bosnie-Herzégovine dans le cadre de la

mission FORPRONU228.

Sensible aux inquiétudes de ses partenaires européens, l'Allemagne, même si elle n'est

pas a priori hostile à l'idée d'instaurer un certain équilibre militaire sur le terrain en levant

l'embargo sur les armes, modifie sa position au printemps 1993 et, sans toutefois la condamner,

choisit de ne pas donner son accord à cette politique vu l'attachement de certains partenaires

européens à la neutralité et leur inquiétude pour la sécurité de leurs troupes229. En plus de la

France et du Royaume-Uni, la Russie s'oppose aussi à la levée de l'embargo.

Tiraillée entre ses plus importants partenaires, l'Allemagne a beaucoup de difficultés à

définir sa propre position de manière claire et précise et préfère garder un profil bas230. Ce n'est

qu'en novembre 1994, lorsque les États-Unis décident unilatéralement de ne pas appliquer

l'embargo que la RFA opte définitivement pour la solidarité européenne sur ce sujet. Le

gouvernement allemand affirme alors que la politique du lift and strike est contre-productive et

risque de causer une escalade de la violence plutôt que de favoriser le dialogue et la

négociation .

Le même problème se pose face aux bombardements aériens. Au mois d'août 1993, suite

à d'intenses pressions américaines, l'OTAN se déclare prête à mener des bombardements

aériens. Bien que l'Allemagne, la Turquie et les Pays-Bas soutiennent cette initiative, la plupart

des autres membres s'avèrent plutôt réticents. Suite à l'attaque contre un marché de Sarajevo,

l'OTAN, à la demande du Secrétaire général de l'ONU, émet un ultimatum qui provoque une

intervention diplomatique de la Russie avec comme résultat le retrait de l'artillerie lourde serbe

des alentours de Sarajevo. Après une série de représailles de part et d'autre provoquée par le

redéploiement de l'artillerie serbe autour de Sarajevo et au cours de laquelle des casques bleus

sont pris en otage par les forces serbes, la situation devient hautement controversée alors que

l'OTAN mène, au nom du Conseil de sécurité de l'ONU, des opérations militaires pendant que

des casques bleus sont censés mener des missions d'aide humanitaire. Bref, alors que l'ONU,

appuyée par la France, le Royaume-Uni et la Russie, tente de contenir les opérations militaires en

MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 109. 228 RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. Loc. cit., p.53. etKIRSTE, Knut. Loc. cit., p. 12. 229 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 111. 230 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 109. 231 KIRSTE, Knut. Loc. cit., p.12-13.

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maintenant officiellement une politique de neutralité, l'OTAN, et particulièrement les États-

Unis, souhaitent accroître les mesures contre les Serbes bosniaques232.

Pour sa part, Bonn, bien que favorable aux vues américaines préconisant une

augmentation de la pression sur les Serbes, est aussi pleinement consciente des inquiétudes de

Paris et Londres quant à la sécurité de leurs troupes sur le terrain. Ainsi coincée, la RFA préfère

ne pas faire de vagues, le gouvernement allemand s'en tenant à une politique de retenue afin

d'éviter toute initiative susceptible de susciter un débat233.

Le même problème survient aussi à l'automne 1993 quant aux sanctions imposées à la

République fédérale de Yougoslavie en avril de la même année :

Les Allemands s'associaient aussi à leurs alliés européens pour proposer une suspension progressive des sanctions imposées à la Serbie-Montenegro en avril 1993. Cette proposition allait contre les vues des Américains dont ils s'étaient jusque là montrés très proches, ayant toujours soutenu les Croates et les Bosniaques qu'ils définissaient, ainsi que Washington, comme étant les agressés.

Tiraillée entre les deux axes de sa politique étrangère, le premier étant de rester proche des Français en Europe, et le deuxième étant de coller aux Américains dans l'OTAN, l'Allemagne, qui s'était trouvée, depuis le début de la crise yougoslave, continuellement obligée de se débattre dans ses contradictions, avait, en novembre 1993, choisi le camp européen234.

Notons au passage que le plan de paix de l'UE, dans le cadre duquel la levée des

sanctions est proposée, s'avère lui aussi un échec, entre autres puisque les États-Unis ne lui ont

pas accordé leur soutien235.

C'est donc en partie à cause de cette désunion chez ses partenaires quant aux politiques

applicables au conflit bosniaque que l'Allemagne se fait discrète, puisqu'elle est presque

constamment divisée entre deux camps : Germany wanted Washington to become involved, but in a supportive rôle. Thus, whenever

Washington sought to involve itself seriously in crisis management (such as in spring 1993 or early 1994), Bonn expressed support. This worked well when France and the US were pulling in the same direction (as in February 1994), but became excruciatingly difficult for Bonn when the two were at loggerheads. Thus, over the issue of the arms embargo against Bosnia, Bonn found itself caught between its two most important allies, the United States and France (supported, in this case, by the UK and Russia) : France persistently objected to arming the Bosnians, thereby finding itself at odds with the US whenever Washingtonbrought up the issue. In this situation, Bonn, [...], was reduced to half-hearted gestures and tacucal adjustments236.

232 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 110. 233 Aid, p. 110-111. 234 BOIDEVAIX, Franchie. Op. cit., p.52. 235 Ibid, p.52-53. 236 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 124.

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Il existe toutefois un troisième facteur ayant empêché Bonn de jouer un plus grand rôle politique face à la crise bosniaque. En effet, l'interprétation de la constitution faite à cette époque par la majorité de la classe politique allemande impose d'importantes restrictions sur ce que Bonn est en mesure de faire pour participer au règlement du conflit en Bosnie-Herzégovine.

La Constitution allemande et l'interprétation de celle-ci par la classe dirigeante

Afin de prévenir toute répétition des atrocités commises par le régime nazi, la République fédérale d'Allemagne adopta une constitution qui non seulement protégeait tous les citoyens allemands et ceux qui y cherchaient refuge contre la persécution, mais qui encadrait aussi très sévèrement le rôle des forces armées de même que l'usage que pouvait en faire le gouvernement. Durant la guerre froide, tous les partis politiques allemands étaient unanimes pour affirmer que la constitution allemande interdisait le déploiement de la Bundeswehr ailleurs que sur le territoire national ou encore pour défendre le territoire de ses alliés membres de l'OTAN237. Cette politique avait comme cause non seulement le désir d'éviter que des soldats allemands se retrouvent les uns contre les autres, mais aussi le poids du passé nazi de l'Allemagne238. Au dire d'un membre de la CDU, le parti au pouvoir en Allemagne après 1990, la réunification rend caduque cette interprétation de la constitution : « When Germany was divided, the worst of ail possible situations would hâve been for West German and East German troops to be on opposite side. Therefore we said that in order to avoid this, we will stand back on the sidelines. So [SPD Chancellor] Helmut Schmidt created this rule that the constitution would not allow the Bundeswehr to be deployed outside ôf NATO area. This danger disappeared after unification239 ».

Sur le thème de l'usage des forces armées, les articles 24, permettant la participation allemande dans des actions de sécurité collective, 26, dénonçant les guerres d'agression comme inconstitutionnelles, et 87a (ajouté à la constitution dans les années 1950 afin de permettre le réarmement de la RFA), qui mentionne explicitement que l'armée de la RFA ne peut être utilisée

237 RATHBUN, Brian C. Partisan Interventions : European Party Politics and Peace Enforcement in the Balkans. London, Coraell University Press, 2004, p.87. 238 PHILIPPI, Nina. « Civilian Power and War : the German Debate About Out-of-Area Opérations 1990-99 », dans HARNISCH, Sébastian et MAULL, Hanns W (éds.). Germany as a Civilian Power ? : The Foreign Policy ofthe Berlin Republic. New York, Manchester University Press, 2001, p.50-51. 239 RATHBUN, Brian C. Op. cit., p.88.

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Page 81: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

que dans des missions défensives, sont les éléments clés de la constitution de l'Allemagne

fédérale240.

Durant la guerre froide, une interprétation stricte de l'article 87a lui donne préséance sur

l'article 24. Toutefois, l'effondrement de l'empire soviétique et la recomposition majeure de

l'environnement stratégique qui s'ensuit modifient considérablement les défis que doit relever

l'Allemagne désormais réunifiée. La fin de l'ordre bipolaire a modifié le type de menaces

potentielles auxquelles l'Occident et l'OTAN doivent faire face. Dans la dernière décennie du

20e siècle, les conflits limités géographiquement et en terme de niveau de violence sont

redevenus possibles. Tous les conflits ne présentent plus le risque de dégénérer en un

affrontement entre deux superpuissances. Ainsi, l'ONU n'a jamais été aussi sollicitée pour des

missions de maintien de la paix et ses dérivées. Dès lors, l'Allemagne est interpellée afin qu'elle

fournisse des troupes pour de telles missions. C'est ainsi que le débat sur les missions « hors

zone » (put-of-areà) prend forme.

Toutefois, puisque la majorité de la classe dirigeante et aussi de la population allemande

considère que la constitution interdit le déploiement de la Bundeswehr en Bosnie-Herzégovine,

l'Allemagne, incapable de fournir une contribution militaire, est rapidement mise de côté lorsque

les missions FROPRONUI et II sont créées241. En effet, pour paraphraser l'ancien ministre de la

Défense Volker Ruhe, seuls les véritables acteurs sur la scène internationale exercent une

influence. Ceux qui se contentent d'être spectateurs n'en ont pas242.

D'ailleurs, l'acerbité des critiques essuyées par la RFA lors de l'épisode de la

reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie est en partie due au fait que la République fédérale

s'avère incapable d'assumer les conséquences de ses propres actes puisqu'il lui est impossible

d'envoyer des soldats afin de protéger les frontières des nouvelles républiques243.

Le gouvernement conservateur de Kohi, qui souhaite normaliser la politique étrangère de

l'Allemagne244 va, malgré les restrictions constitutionnelles, faire participer progressivement la

Bundeswehr à des missions sous l'égide de l'ONU, notamment au Cambodge, en Somalie et en

240 SMTTH, Michael E. « Sending the Bundeswehr to the Balkans : The Domestic Politics of Reflexive Multilateralism », Germon Politics and Society, vol. 14, no. 4 (hiver), 1996, p.53. 241 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 105 et 120 et RAMET, Sabrina P. et COFFIN, Letty. Loc. cit., p.53. 242 Voir RATHBUN, Brian C. Op. cit., p.87. 243 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. c/f.,p.H2. 244 Nous aborderons ce thème plus en détail dans une section subséquente de ce chapitre.

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Page 82: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

ex-Yougoslavie . Trois de ces missions, soit celle en Somalie et celles en ex-Yougoslavie, sont

contestées devant les tribunaux par des partis politiques qui doutent de leur constitutionnalité.

D'abord, en juillet 1992, le gouvernement de Kohi décide, suite à une demande du

Secrétaire général de l'OTAN, de contribuer militairement à l'embargo contre la Serbie sur

l'Adriatique mis en place conjointement par l'OTAN et l'UEO. Le gouvernement accepte d'y

déployer un destroyer et trois avions de reconnaissance. Cependant, les soldats allemands ont

uniquement un mandat pour faire de la surveillance et doivent en tout temps rester à 15 milles

des côtes croates. Le SPD, qui considère cette action inconstitutionnelle, demande alors à la Cour

de Karlsruhe de vérifier la légalité de cette décision et exige la tenue d'une session spéciale du

Bundestag le 22 juillet pour débattre de la question. La lutte se termine à l'avantage du

gouvernement aussi bien en cour qu'au parlement246.

Un scénario similaire se produit en avril 1993, alors que le gouvernement de Kohi décide,

avec les autres membres de l'OTAN, d'autoriser le déploiement de AWACS {Airborne Warning

and Control System) en Bosnie-Herzégovine afin d'appliquer la zone d'exclusion de vol en

accord avec la résolution 781 (9 octobre 1992) du Conseil de sécurité de l'ONU. Il était certain

qu'une telle décision allait provoquer une controverse car près du tiers du personnel de ces

avions est allemand. Cette fois, non seulement le SPD et le Parti vert vont contester la décision

devant la Cour constitutionnelle mais aussi le FDP, alors membre de la coalition au pouvoir.

Notons que le FDP, en tant que membre du gouvernement, approuve ce déploiement, et qu'il

s'est en quelque sorte poursuivi lui-même, situation dénoncée comme pathétique par plus d'un

commentateur politique en Allemagne247. Si le FDP agit de la sorte, c'est parce que bien qu'il

soit en faveur du déploiement, il considère qu'un amendement constitutionnel est nécessaire pour

autoriser en toute légalité ce genre de mission248. Encore une fois, la Cour constitutionnelle

tranche en faveur du gouvernement le 12 avril 1993 puisque les conséquences négatives du refus

de participer à une mission qui pourrait subséquemment être jugée légale sont, aux yeux des

juges, plus grandes que celles d'une participation à une mission subséquemment jugée illégale249.

Voir l'annexe 10 pour un graphique démontrant l'évolution de la participation allemande dans des opérations avec une composante militaire. 246 LANTIS, Jeffrey S. Loc. cit., p.26. 247 SMITH, Michael E. Loc. cit., p.57. 248 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.94. 249 PHILIPPI, Nina. Loc. cit., p.53.

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Page 83: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Il faut cependant attendre en avril 1994, suite aux deux plaintes mentionnées

précédemment et une autre du SPD quant au déploiement de soldats allemands en Somalie dans

le cadre de la mission ONUSOM II en 1993-1994, pour que la Cour constitutionnelle allemande

entreprenne formellement d'étudier la question de la constitutionnalité du déploiement de

troupes de combat allemandes pour des missions à l'extérieur du territoire de l'OTAN. Au cours

de ces délibérations, le chancelier Kohi et d'autres membres du gouvernement se présentent

devant le tribunal en invoquant l'argument que l'article 24 de la loi fondamentale permet

l'adhésion à des systèmes de sécurité collective et que dès lors, aucune modification à la

constitution n'est nécessaire pour permettre la participation de la Bundeswehr à des missions

dans le cadre de tels systèmes (ONU, OTAN). Malgré des arguments inverses de la part du SPD

et du Parti vert, la Cour de Karlsruhe tranche le 12 juillet 1994 en faveur du gouvernement et

déclare que l'article 24 offre la meilleure réponse quant au débat sur les missions hors zone. Les

juges affirment alors que la constitution contient les fondations légales et constitutionnelles pour

que la RFA assume les responsabilités typiquement associées à de tels systèmes de sécurité

collective. Leur verdict permet aussi à la Bundeswehr d'être déployée directement dans des

environnements où des combats sont possibles, avec comme seule restriction que ces

déploiements doivent être préalablement approuvés par le Bundestag, le parlement allemand, par

un vote à majorité simple250.

Cette décision fut non seulement une victoire importante pour les conservateurs, mais fut

aussi saluée par le président américain Bill Clinton ainsi que par d'autres gouvernements

occidentaux et même le Secrétaire général de l'ONU de l'époque, Boutros Boutros-Ghali251.

Ce n'est qu'à la suite de cette révision de l'interprétation de la constitution que la RFA va

pouvoir participer militairement aux missions IFOR et SFOR, ce qui accroît son influence

politique sur les questions concernant le conflit bosniaque, alors qu'auparavant elle était reléguée

au rôle de second violon. Toutefois, si la décision de la Cour constitutionnelle rend

constitutionnellement possible l'envoi de troupes de combat en dehors du territoire de l'OTAN,

il n'en demeure pas moins que le gouvernement devra subséquemment surmonter des obstacles

politiques afin d'être en mesure d'effectuer de tels déploiements.

LANTIS, Jeffrey S. Loc. cit., p.28.

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Page 84: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Ce sont donc ces trois raisons qui ont initialement empêché l'Allemagne déjouer un rôle

politique important dans la crise bosniaque. Il est toutefois important de noter que bien que la

RFA n'ait eu aucune influence sur la prise de décisions entre 1992 et 1994, elle a offert une large

contribution humanitaire, notamment en participant au ravitaillement aérien de Sarajevo et de la

Bosnie orientale252. L'Allemagne a aussi tenté d'exercer de l'influence sur son protégé dans la

région, la Croatie, notamment pour qu'elle accepte les plans de paix internationaux.

L'Allemagne tente aussi de ramener le gouvernement de Tudjman à l'ordre en 1993 alors que les

combats entre Croates et Bosniaques éclatent en Bosnie-Herzégovine, afin que Zagreb fasse

pression sur les Croates de Bosnie pour que ceux-ci cessent leurs attaques. Ce faisant,

l'Allemagne ne fait cependant que s'aligner sur la politique de la CE, choix d'autant plus facile

que les manœuvres de Zagreb en font un État paria au sein de la communauté internationale253.

B) La RFA et le Groupe de Contact Bosnie

Si l'Allemagne a été très discrète politiquement entre 1992 et 1994, elle saisit néanmoins

une bonne occasion de devenir un joueur influent dans le règlement du conflit bosniaque ou

réussit à tout le moins à éviter une marginalisation complète. Le Groupe de Contact Bosnie est

officiellement créé à la Conférence de Londres le 25 avril 1994, environ trois ans après le début

de la désintégration de l'ex-Yougoslavie. Il regroupe initialement la France, la Grande-Bretagne,

l'Allemagne, les États-Unis et la Russie254. L'Italie s'y joint subséquemment. Le Groupe de

Contact « ne résulte pas d'une négociation ou d'un traité. Il n'est pas le fruit de la proposition

d'un pays. Il est né par consensus, de la nécessité impérieuse d'une action pragmatique et

concertée entre les Européens de l'Ouest, les Américains et les Russes255 ».

Cette entité, bien qu'au statut ambigu, va néanmoins être suffisamment efficace pour

contribuer au règlement du conflit en Bosnie-Herzégovine : [...] un nouvel organisme de diplomatie multilatérale qui s'est imposé comme le seul moyen

d'unifier les politiques divergentes menées de part et d'autre de l'Atlantique. [...] La souplesse de l'instrument, son adaptabilité, lui permettront, malgré ses origines

controversées, de renaître quand on le croira à bout de souffle. Créé pour une courte durée afin

MATJLL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », toc. cit., p. 120. 253 JUNEAU, Jean-François. « La politique de l'Allemagne à l'égard de la Croatie, 1991-2006 », dans LUKIC, Renéo (dir.). La politique étrangère de la Croatie, de son indépendance à nos jours, 1991-2006. Québec, Presse de l'Université Laval, 2006, p.30-31. 254 Voir l'annexe 8 pour une liste des représentants des pays faisant parue du Groupe de Contact Bosnie. 255 BOIDEVAIX, Francine. Op. cit., p. 14.

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Page 85: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

d'aboutir en quelques semaines à un cessez-le-feu et à un règlement d'ensemble, le Groupe de Contact se fonde sur le dogme de l'unité entre ses participants et parvient à poursuivre un processus diplomatique commun malgré le rejet par les Serbes de Pale du Plan que les cinq puissances ont conçu. [...]

Le Groupe de Contact existe toujours trois ans après sa création Instrument de diplomatie multilatérale qui tire son efficacité de son aptitude à traiter les affaires en secret et de façon informelle [...]256.

Il faut toutefois préciser que le Groupe n'a pas été en mesure de régler la crise à lui seul,

puisque se sont en fin de compte les bombardements aériens de l'OTAN contre les forces serbes

combinés à l'offensive de l'armée croates qui mettront fin au conflit257. À partir du moment où

les États-Unis s'impliquent véritablement dans le dossier bosniaque, le Groupe de Contact se

retrouve presque entièrement marginalisé258. Jusqu'à ce moment, il a toutefois joué un rôle non

négligeable.

Deux raisons ont incité la République fédérale à faire de cet instrument informel leur

principal outil de participation politique à la crise bosniaque : l'incapacité honteuse des

organisations internationales existantes à régler le conflit bosniaque et la volonté de la RFA

d'associer la Russie au processus de paix

L'inefficacité des organisations internationales

Pendant la guerre froide, la RFA a misé largement et avec succès sur les institutions

multilatérales tels l'ONU, la CSCE, la CE et l'UEO pour mener à bien sa diplomatie et garantir

ses intérêts. L'échec lamentable de ces institutions quant au règlement du conflit serbo-croate a

déjà suffisamment nui à leur crédibilité, à leur réputation et à leur influence. A un moment aussi

volatile que la fin de la guerre froide, il est inacceptable pour l'Allemagne que ces organisations

qui l'ont si bien servie soient discréditées. L'incapacité des organisations internationales à mettre

fin au conflit bosniaque menace très sérieusement la politique étrangère et les intérêts de

l'Allemagne:

L'Allemagne doit porter une attention toute particulière au bon fonctionnement des

institutions internationales et à l'efficacité du multilatéralisme, parce qu'en tant qu'État au cœur

de l'Europe, elle a de nombreux voisins et partenaires, et parce que seule, avec ses moyens

256 Ibid, p. 14-16. 257 DIOT, Claire. Loc. cit., p.71. 258 LUKIC, Renéo. Op. cit., p.303-304.

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limités, elle ne serait pas suffisamment en mesure de faire avancer les choses. C'est pourquoi,

pour l'Allemagne, il n'existe pas d'autre solution que le multilatéralisme. [...] La conséquence

de ce manque permanent de crédibilité du multilatéralisme, c'est qu'il perd insidieusement sa

légitimité. La politique étrangère de l'Allemagne est très durement touchée par cette perte de

légitimité progressive des institutions internationales259.

Durant la crise yougoslave, les organisations internationales ont été passablement

discréditées puisque leur inefficacité a été dévoilée au grand jour : les valeurs et les principes

fondamentaux prônés par ces organisations ont été impunément violés260. Ces dégâts ont aussi

eu des répercussions sur les intérêts nationaux de la RFA : The damage done by events in Yugoslavia to the credibility and effectiveness of European

and international institutions was seen as doing real and serions - if intangible - damage to German national interests. Bonn was more aware of this from the start than any other major outside power in the crisis, but was unable to do anything about it alone. [...] Its overriding national interest was European security and stability, and this was seen as threatened by developments in Yugoslavia in several ways : Yugoslavia had undermined the credibility and effectiveness of Western institutions ; it had threatened the achievements of European intégration through an incipient renationalisation and remiUtarization of European politics ; and it had brought war back to Europe261.

L'Union européenne a été complètement incapable, non seulement de résoudre la crise,

mais aussi d'agir de manière cohérente, preuve qu'au moment de la crise bosniaque, elle n'est en

aucun cas un acteur crédible :

Also, German government poMcians are forced to realize external restrictions on a joint EU foreignand security policy because the Community has been unable to act in unison. [...] leaving the EU an incapacitated mediator, for instance, on the Balkans. Faced with political challenges in former Yugoslavia the leading countries can hardly agrée on joint statements let alone common policies. In the UN Security Council, France and Britain vote according to their national interests. It has become apparent that Brussels is not yet an actor in its own right262.

Les Nations Unies, malgré le déploiement des casques bleus dans le cadre de la mission

FORPRONU, sont elles aussi incapables de mettre fin aux violences. En fait, les troupes

onusiennes sont complètement dépourvues de moyens puisqu'elles n'ont pas le droit d'user de la

force, leur mission étant strictement humanitaire. Cette mission a été non seulement un échec, les

casques bleus étant incapables de garantir la sécurité des civils, pas même dans les zones

MAULL, Hanns W. « Déclin de l'influence, déclin des ambitions : la politique étrangère de l'Allemagne au crépuscule de l'ère Kohi », loc. cit., p.751-753. 260 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p.99. 261 Ibid, p . 119. 262 GUTJAHR, Lothar. « Stability, Intégration and Global Responsibility : Germany 's Changing Perspectives on National Interests », Review of International Studies, vol. 2 1 , no. 3 (juillet), 1995, p.308.

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protégées, mais aussi une humiliation car de nombreux soldats sont pris en otage par les Serbes

en mai 1995 et utilisés comme bouclier humain263. L'ONU a même involontairement contribué à

prolonger les atrocités puisque l'embargo sur les armes qu'elle vote le 25 septembre 1991 profite

exclusivement aux Serbes qui se sont déjà appropriés de l'armement de l'ancienne armée

fédérale, et empêche la Bosnie-Herzégovine de se défendre efficacement264. L'échec de la

FORPRONU est tel qu'au début de l'été 1995, il est même sérieusement envisagé que l'OTAN

fournisse de l'aide afin d'assurer la sécurité des casques bleus lors d'un éventuel retrait de la

mission onusienne : NATO reacted to the Serb attacks by drafting a plan that would remove UN peacekeepers in

order to make it possible to allow air strikes and military action against the Bosnian Serbs. By this point, events on the ground madc it clear to everyone that three years of policies in Bosnia to limit or end the fighting had collapsed in utter failure. The post-Cold War era brought back to Europe the kind of atrocities people had thought banished to the ash heap of history, and neither NATO nor the UN had been able to do anything about it265.

Avec le discrédit des organisations internationales existe le risque de voir un recul du

droit international et même celui, par le biais d'une renationalisation rampante des politiques

étrangères, de voir le vieux démon européen des nationalismes exacerbés ressurgir, deux

possibilités suffisamment révoltantes pour stimuler la RFA à soutenir ce qui semble susceptible

d'aider au règlement du conflit bosniaque266.

C'est donc la nécessité de voir les principaux acteurs européens (incluant la Russie) et les

États-Unis travailler de concert alors que les entités multilatérales déjà existantes sont inefficaces

qui incite à la création du Groupe : « La nécessité impérative d'une action pragmatique et

concertée des puissances conduira à la création totalement empirique d'un nouvel organisme de

diplomatie multilatérale, le Groupe de Contact Bosnie267 ». Sa création a en effet été « imposée

par la carence des organismes et des institutions internationales268 ».

En créant le Groupe de Contact, l'Allemagne et ses partenaires ont ainsi tenté de régler le

conflit bosniaque en contournant les autres institutions dont les efforts s'avèrent jusqu'au

printemps 1995 complètement vains. Le Groupe de Contact avait aussi un autre grand avantage,

263 D I O T ; a a i r e L o c cU p ? 0

264 LUKIC, Renéo. Op. cit., p.216. 265 ERB, Scott. Op. cit., p. 164. 266 KAISER, Karl, et KRAUSE, Joachim. « Deutsche Politik gegenûber dem Balkan », dans KAISER, Karl et KRAUSE, Joachim. Deutschlands nette Aufienpolitk. Band III : Intéresser! und Strategien. Miinchen, Oldenbourg Verlag, 19%, p. 178. 267 BOHDEVAIX, Franchie. Op. cit., p.48.

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celui d'associer la Russie, joueur incontournable de la sécurité et de la stabilité sur le continent

européen.

La volonté d'associer la Russie au processus de paix en Bosnie-Herzégovine

Dès la fin de l'ordre bipolaire, la République fédérale d'Allemagne nouvellement

réunifiée souhaite collaborer étroitement avec la Russie, ne serait-ce que pour régler en douceur

la question des soldats russes encore présents sur le territoire de l'ancienne République

démocratique allemande. Plusieurs ententes ont été signées, notamment dans le but d'accroître

les échanges commerciaux, restructurer la dette, accélérer le départ des soldats russes et accroître

l'aide allemande à la Russie. Dès le début de 1994, l'aide allemande à la Russie totalise près de

90 milliards de dollars, soit plus de 50% de l'aide accordée à Moscou par tous les autres États

combinés. Ceci ne signifie cependant en aucun cas que l'Allemagne joue la carte russe afin de

contrer la puissance américaine. Il s'agit plutôt de lier la Russie à l'Occident, le tout en étroite

collaboration avec Washington269. Toutefois, même après sa réélection en 1994 et le départ des

troupes russes du territoire allemand, le gouvernement de Kohi souhaite développer un

partenariat intensif avec la Russie270.

Dès le début de la crise yougoslave, l'Allemagne tente d'inclure ou à tout le moins

d'informer la Russie des efforts internationaux pour résoudre la crise. Le désir de Bonn d'inclure

la Russie dans le règlement de la crise bosniaque tient au fait que pour la RFA, la Russie est un

élément clé de la stabilité et de la sécurité en Europe. La désintégration yougoslave s'avère alors

le premier test pour la stabilité de l'Europe post-guerre froide et nécessite donc, selon la RFA,

que la Russie soit incluse plutôt qu'exclue du processus de règlement du conflit271. Les dirigeants

allemands n'oublient d'ailleurs pas de mentionner le rôle crucial que la Russie peut jouer dans le

conflit et de remercier sa participation constructive. A cet égard le ministre des Affaires

2(*Ibid, p.15. 269 HELLMANN, Gunther. « The Sirens of Power and German Foreign Policy : Who is Listening ? », German Politics, vol. 6, no. 2 (août), 1997, p.40. 270 MORGAN, Roger. « German Foreign Policy and Domestic Politics », dans HEURLIN, Bertel (éd.). Germany in Europe in the Nineties. London, Macmillan Press, 1996, p. 154. 271 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 124-125.

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étrangères Klaus Kinkel mentionne devant le Bundestag en avril 1994 que sans l'implication de

Moscou, il est impossible de trouver une solution aux conflits en ex-Yougoslavie272.

C'est exactement ce que le Groupe de Contact permet. En contribuant à l'inclusion de la

Russie dans le groupe, Bonn reconnaît l'influence que celle-ci peut avoir sur les Serbes avec qui

elle entretient de bonnes relations273. Le gouvernement allemand reconnaît aussi l'existence

d'intérêts russes en Europe de l'Est, intérêts que la RFA a elle-même quelque peu heurtés en

prônant l'élargissement de l'OTAN aux anciens pays du Pacte de Varsovie274. Plus encore,

impliquer ainsi la Russie a l'avantage de répondre en partie au désir moscovite d'être considéré

comme une grande puissance. Lorsque l'Occident considère Moscou comme un joueur important

et influent, cela consolide la position de Boris Yeltsin que Bonn et Washington considèrent alors

comme l'homme le plus apte à démocratiser et stabiliser la Russie. En effet, la capacité russe de

jouer un rôle constructif en matière de sécurité sur le continent européen dépend d'abord et avant

tout de sa situation interne, ce que les Allemands ont très bien compris275.

Puisque les délibérations du Groupe sont secrètes, le gouvernement russe peut faire

preuve de plus de souplesse quant aux positions acceptables : « Le Groupe de Contact a été

déterminant pour associer « en douceur » l'ex-ennemi, le secret des délibérations lui permettant

d'accepter des prises de position qui, discutées au sein d'une enceinte telle que le Conseil de

sécurité, auraient été difficiles à approuver publiquement276 ».

Le Groupe de Contact permet donc à l'Allemagne d'éviter d'épuisants grands écarts

diplomatiques puisqu'il regroupe non seulement ses principaux alliés occidentaux, pendant trop

longtemps incapables d'élaborer une politique commune à l'égard du conflit bosniaque, mais

aussi la Russie, empêchant ainsi qu'un dangereux fossé ne se creuse entre le Kremlin et

l'Occident après 1994277. Selon le chancelier Kohi, inclure la Russie dans le processus de paix en

« Erklarung des Bundesministers des Auswàrtigen, Klaus Kinkel, vor dem Deutschen Bundestag am 14. April 1994 in Bonn zur Lage im ehemaligen Jugoslawien », Europa-Archiv - Dokumente, no. 21 (1994), D622. 273 ERB, Scott. Op. cit., p. 163. 274 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. ci£, p. 111. 275 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p.107 et 125. Voir aussi la conférence de presse tenue par le chancelier Kohi suite à une visite de Yeltsin en Allemagne. Kohi y mentionne sa volonté d'aider la Russie et son soutien total aux réformes entreprises par Yeltsin « Erklarung des Bundeskanzlers Helmut Kohi anlapiich einer gemeinsamen Pressekonferenz mit dem Pràsidenten der Russischen Fôderation, Boris Jelzin, am 11. Mai 1994 in Bonn » , dans AUSWÀRTIGES AMT (éd.). Aufienpolitik der Bundesrepublik Deutschland. Dokumente von 1949 bis 1994. Kôln, Verlag Wissenschaft und Politik, 1995, p. 1058-1061. 276 BOIDEVAIX, Franchie. Op. cit., p. 15. 277 ERB, Scott. Op. cit., p.163.

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ex-Yougoslavie a permis d'améliorer les relations entre l'OTAN et la Russie, de mettre fin aux

images traditionnelles prévalant jusqu'alors dans chaque camp qui considéraient l'autre comme

un ennemi et ainsi parvenir à des progrès significatifs pour assurer la sécurité de l'Europe278.

Deux raisons principales ont donc poussé l'Allemagne à participer au Groupe de Contact,

soit l'incapacité des organisations internationales, qui menace les fondements de la politique de

multilatéralisme efficace de la RFA, de même que le désir d'inclure la Russie, partenaire

essentiel à la stabilité et la sécurité de l'Europe, dans le règlement du conflit bosniaque. Certes,

la présence allemande au sein de ce groupe ne peut que rehausser le statut international de

l'Allemagne, puisque celle-ci se retrouve entourée de quatre membres permanents du Conseil de

sécurité de l'ONU, ce qui ne déplait pas à Bonn279. Nous croyons toutefois que le désir

d'affirmation nationale d'une partie de l'élite politique allemande s'exprime d'abord et avant

tout avec la participation de soldats allemands aux missions IFOR et SFOR conduites en Bosnie-

Herzégovine sous l'égide de l'ONU, et non avec la présence allemande au sein du Groupe de

Contact.

C) La Bundeswehr en ex-Yougoslavie : la RFA participe à 1' 11OR et à la SFOR

Le 12 octobre 1995, soit plus de trois ans après le début des hostilités, on assiste à une

première dans l'histoire de ce conflit. Un cessez-le-feu est enfin respecté, ce qui va permettre aux

représentants de tous les belligérants de se rencontrer à Dayton en Ohio pour des pourparlers de

paix grâce à la médiation de l'envoyé spécial américain Richard Holbrooke280.

Il aura fallu une étroite collaboration entre les forces militaires de Bosnie-Herzégovine et

de Croatie, qui depuis la fin mars 1994 profite de l'expertise de la firme Military Professional

Ressource Inc. (MPRI) pour reconstruire et restructurer son armée, de même que deux semaines

de bombardements aériens par l'OTAN dans le cadre de l'opération « Force délibérée » au début

de septembre 1995 et les efforts de la diplomatie américaine pour vaincre les Serbes de Bosnie et

les forcer à négocier la paix281.

278 GERMAN INFORMATION CENTER. Speeches by Chancellor Helmut Kohi and Foreign Minister Kinkel to the Bundestag, Dec. 6, 1995. Disponible au http://www.germanv.info/relaunch/politics/speeches/120695.html. Consulté le 23 janvier 2008. 279 BOIDEVAIX, Franchie. Op. cit., p.74. 280 KIRSTE, KNUT. Loc. cit., p.23. 281 LUKIC, Renéo. Op. cit., p.304.

82

Page 91: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

La conférence de Dayton débute le 1er novembre 1995. Trois semaines plus tard, soit le

21 novembre, les accords de Dayton sont signés, pour ensuite être officialisés par la signature

des accords de Paris le 14 décembre 1995282. Il n'importe pas ici de faire un résumé du contenu

de cet imposant accord contenant plus de 150 pages et 102 cartes. Les accords de Dayton

comprennent l'Accord-cadre général sur la paix en Bosnie-Herzégovine de même que les onze

annexes qui encadrent sa mise en œuvre. Notons toutefois que c'est dans le cadre de l'annexe 1,

qui régit les aspects militaires du traité de paix, que Y Implementation Force (IFOR), composée

de 60 000 soldats et à laquelle les troupes allemandes participent, est déployée en Yougoslavie le

30 décembre 1995 afin « de mettre fin définitivement aux hostilités et de faire accepter les

dispositions de l'accord de paix283 ».

L'IFOR est remplacée en 1997 par la Stabilization Force (SFOR), composée de 20 000

hommes, à laquelle participent aussi des militaires allemands, puisqu'il est alors évident que le

mandat initial d'un an était beaucoup trop optimiste et qu'une présence militaire internationale

est encore nécessaire pour assurer la paix284.

Le 6 décembre 1995 le Bundestag entérine avec une large majorité la décision du

gouvernement Kohi de déployer 4000 soldats allemands dans le cadre de l'IFOR, soit environ

6,3% du total de la contribution de l'OTAN, donnant ainsi son accord au plus grand déploiement

militaire allemand en dehors de la zone de l'OTAN depuis 1945285. Les troupes allemandes sont

stationnées en dehors du territoire de la Bosnie-Herzégovine, principalement en Croatie et au

Nord de l'Italie. Le GECONIFOR {German Contingent Implementation Force) est

essentiellement composé d'unités médicales, d'unités de télécommunication, de membres d'un

corps d'ingénierie de même que d'un bataillon de soutien logistique. Les missions attribuées à la

Bundeswehr (construction de ponts, transport, transport aérien et soins médicaux) ne sont donc

pas des missions de combat, bien que les troupes allemandes puissent se défendre en cas

d'attaque286.

Le 13 décembre 1996, le Bundestag accepte avec encore un fois une large majorité le

déploiement de troupes pour la mission SFOR. Cette fois, les Allemands ont les mêmes

282 Les accords de Dayton sont disponibles intégralement sur le site du Département d'État américain au http://www.state.gOv/p/eur/rls/or/dayton/index.htm. Consulté le 9 avril 2007. 283 LTJKIC, Renéo. Op. cit., p.307. 284 KIRSTE. Knut. Loc. cit., p.23 et 28. 285 Ibid, p.25. 2H6 Ibid, p.26-27.

83

Page 92: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

responsabilités et les mêmes règles d'engagement que leurs alliés de l'OTAN et sont présents sur

le territoire de la Bosnie-Herzégovine. La participation allemande dans la SFOR représente donc

sans équivoque une mission de combat, même si à ce moment il est peu probable que les

Allemands soient engagés dans des situations de combat puisque l'IFOR a réussi à établir la

paix au cours de l'année 1996287. 2500 soldats allemands participent à cette mission de l'OTAN

qui compte au total environ 20 000 hommes. La participation allemande se compose d'un

bataillon de reconnaissance, un escadron d'hélicoptère, un bataillon de soutien logistique, un

bataillon de transport, un hôpital de campagne, de même que les 14 avions de reconnaissance

Tornado initialement déployés lors de l'EFOR. Les troupes allemandes ont comme mission de

patrouiller un secteur de 7000 km carrés entre Sarajevo et Mostar afin d'empêcher toute

résurgence de la violence288.

On peut regrouper en six sections les facteurs qui ont influencé la décision allemande de

contribuer militairement pour la première fois de manière significative dans des missions de

combats à l'extérieur du territoire de l'OTAN : le désir de normalisation et d'affirmation

nationale d'une partie des élites au pouvoir à Bonn, les pressions exercées par les alliés de la

RFA pour qu'elle s'implique militairement dans la crise bosniaque, la formation d'un quasi

consensus chez les élites, la nécessité d'être un allié fidèle, le rôle du poids de l'histoire, de

même que les risques de déstabilisation et le problème des réfugiés.

Le désir de normalisation et d'affirmation nationale des conservateurs allemands

Comme nous l'avons mentionné au chapitre précédent, dès la réunification, une partie de

la classe politique allemande souhaite que l'Allemagne s'affirme davantage, notamment en

normalisant sa politique militaire, c'est-à-dire en devenant légalement et politiquement capable

de déployer des troupes de combats à l'extérieur du territoire de l'OTAN. Puisque nous avons

déjà abordé le cas de la légalité constitutionnelle de ces déploiements dans ce texte, nous nous

concentrons ici sur l'aspect politique.

Même si c'est sur celle-ci que nous nous attardons puisque c'est essentiellement ce

domaine qui concerne les crises yougoslaves, il faut toutefois préciser que cette affirmation de

Ibid, p.28-29. Ibid, p.29-31.

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Page 93: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

soi croissante de la RFA ne se limite pas, au début des années 1990, à cette question, pas plus

qu'à l'épisode de la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie ou encore à la réunification tel

que mentionné au chapitre précédent : [...] la volonté croissante de l'Allemagne de faire valoir son point de vue s'exprime à travers

des événements moins fondamentaux que l'unification. On peut citer [...] la demande de sièges supplémentaires au Parlement européen et de l'utilisation de l'allemand au sein des instances de l'Union européenne pour tenir compte des nouvelles dimensions du pays, la pression exercée pour obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies avec droit de veto, l'insistance des militaires pour occuper des positions de commandement dans les forces de réaction rapide de l'OTAN, les critiques à l'égard de l'absence de soutien des États-Unis à la cause de la réforme dans l'ex-Union soviétique, l'insistance pour que le nouvel institut monétaire européen soit installé à Francfort, et les récentes pressions allemandes pour l'élargissement de l'Union européenne289.

Les principaux partisans de cette normalisation militaire se retrouvent essentiellement

chez les conservateurs de la CDU/CSU290. Les conservateurs bavarois de la CSU souhaitaient

avant même la réunification que l'Allemagne prenne une plus grande place sur la scène

internationale en acceptant une plus grande responsabilité stratégique291. Mais ce n'est toutefois

qu'après la réunification que la volonté de normaliser l'Allemagne va véritablement gagner les

rangs d'une large part des conservateurs, notamment le chancelier Kohi qui, le 4 octobre 1990,

soit tout juste après la réunification, s'adresse au Bundestag en affirmant que la RFA doit

assumer davantage de responsabilités internationales, tant au sein des Nations Unies, de la CE et

de l'Alliance atlantique qu'au niveau bilatéral292.

Parmi les autres personnages importants de la CDU qui sont en faveur d'une plus grande

affirmation de l'Allemagne on retrouve Volker Rûhe, ministre de la Défense allemand d'avril

1992 à octobre 1998, et Wolfgang Schàuble, entre autres président du groupe parlementaire de la

CDU/CSU de 1991 à 2000. Ces deux figures importantes considèrent que l'Allemagne doit

absolument normaliser sa politique étrangère, car pour assumer davantage de responsabilités et

être crédible, il faut avoir de l'influence et la capacité d'employer la force, même si c'est avec

précaution .

289 GORDON, Philip H. « La normalisation de la politique étrangère de l'Allemagne », Politique étrangère, vol. 59, no. 2 (été), 1994, p.504. 290 RATHBUN, Brian C. Op. cit., p.86. 291 GUTJAHR, Lothar. Loc. cit., p.311. 292 STARK, Hans. Op. cit., p.322. 293 JANNING, Josef. « A German Europe-a European Germany ? On the debate over Germany's foreign policy », International Affairs, vol. 72, no. 1 (janvier), 1996, p.38.

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Page 94: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Pour Ruhe294, il est inconcevable que de jeunes Français, Belges ou Britanniques risquent

leur vie pour défendre les intérêts de l'Europe alors que les Allemands restent tranquillement

chez eux. Il ne fait aucun doute pour lui que l'Allemagne doit assumer ses nouvelles

responsabilités295 et que l'instabilité internationale lui impose d'aider ses partenaires en devenant

un exportateur de sécurité plutôt que de perpétuer son rôle d'importateur296. Ruhe considère le

débat sur les missions hors zone dépassé et artificiel puisque les défis et les menaces du monde

post-Yalta, hautement complexe et interdépendant, ne sont pas ceux de la guerre froide297.

Quant à Schàuble, il considère qu'une fois la guerre froide terminée et grâce à la

réunification, l'Allemagne est redevenue un pays normal, libéré du fardeau qui pesait sur ses

épaules du temps de sa division298. Il affirme que la RFA ne peut plus chercher d'excuses

particulières pour se désister de ses responsabilités et qu'elle doit se débarrasser de son pacifisme

naïf et illusoire299.

Bref, les conservateurs, partisans de la normalisation, déplorent que la RFA soit incapable

d'agir comme un État normal et de défendre ses intérêts : [ils] condamnent l'incapacité de leur pays à faire face aux réalités des intérêts nationaux, de

la puissance et de la géopolitique : ce que les Allemands faisaient jadis trop bien, ils n'y comprennent plus rien du tout aujourd'hui. Ces conservateurs estiment que cette incapacité de l'Allemagne à définir ses intérêts nationaux, à penser en termes géopolitiques ou à participer à des coalitions militaires internationales est préjudiciable à ses propres intérêts et porte atteinte à son crédit auprès de ses alliés300.

Mais les partisans de la normalisation se rencontrent aussi parmi une très grande majorité

des hauts responsables de la diplomatie allemande, de même que chez une faction du FDP,

notamment chez son nouveau chef et nouveau ministre des Affaires étrangères, Klaus Kinkel301.

Celui-ci succède, en avril 1992, à Hans-Dietrich Genscher qui, pour des raisons de santé mais

aussi suite à la controverse suscitée par la reconnaissance de Zagreb et Ljubljana, prend sa

retraite après 18 ans de service302.

294 Pour une bonne idée de la position de Ruhe, on peut se référer à son essai Deutschlands Verantwortung. Perspektiven fUr das nette Europa. Berlin, Ullstein, 1994. 295 GORDON, Philip H. Loc. cit., p.505. 296 STARK, Hans. Op. cit., p.322-323. 297 GUTJAHR, Lothar. Loc. cit., p.311. 298

299

300 GORDON, Philip H. Loc. cit., p.506. 301 Ibid, p.505.

SCHÀUBLE, Wolfgang. Undder Zukunft zugewandt. Berlin, Siedler-Verlag, 1994, p. 196. JANNING, Josef. Loc. cit., p.38.

' i

302 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.89.

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Page 95: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Kinkel donc, est lui aussi en faveur d'un plus grand rôle international pour la RFA, rôle

qui passe inévitablement par la normalisation de la question militaire. Dès le 23 septembre 1992,

devant l'Assemblée générale de l'ONU, il affirme que l'Allemagne « [a] l'intention d'assumer

tous les droits et tous les devoirs d'un membre plein et entier des Nations Unies et qu 'elle [va]

procéder à une révision de la Loi fondamentale (la constitution allemande) permettant une

participation de ses forces armées à des opérations de maintien et de rétablissement de la

paix303». Il considère embarrassant lors des réunions de l'OTAN et de l'UEO d'être incapable

de fournir une contribution militaire aux opérations de maintien ou de rétablissement de la paix,

dénonce la constitution allemande qui empêche la RFA de recourir aux forces armées même pour

des missions clairement humanitaires et considère que l'Allemagne doit assumer sa

normalisation puisqu'elle est redevenue une nation unifiée et souveraine, avec les mêmes

responsabilités internationales que les autres grandes démocraties304. Plus cru, il affirme, lors de

la session spéciale du Bundestag convoquée le 22 juillet 1992 par le SPD lors du débat sur la

participation allemande à l'embargo sur l'Adriatique, que la RFA doit changer son attitude

irresponsable et cesser de se comporter comme un nain impotent

Kohi et les conservateurs de la CDU/CSU qui soutiennent son désir de normaliser la

politique étrangère de la RFA vont orchestrer un changement crucial d'attitude face à

l'utilisation des forces militaires. Puisqu'ils sont majoritaires au gouvernement et occupent les

postes importants à l'exception du ministère des Affaires étrangères, ils vont profiter du fait

qu'ils sont en grande partie responsables de l'élaboration de la politique étrangère pour

transformer le rôle de Bonn sur la scène internationale306.

En effet, les membres de la CDU au gouvernement ont volontairement adopté la stratégie

d'utiliser petit à petit les missions humanitaires afin d'accélérer grandement le processus de

normalisation et de modifier la « culture de retenue » pour permettre à l'Allemagne d'accroître

son rôle militaire et ainsi s'affirmer davantage : « With the complète backing of the

parliamentary party, the government deliberately set out to change the German public's approach

to the use of force by gradually escalating the scale of participation. The plan would also create

Cité dans STARK, Hans. Op. cit., p.322. GORDON, Philip H. Loc. cit., p.505-506. LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.91. SMITH, Michael E. Loc. cit., p.49.

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Page 96: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

légal précédents that would provoke a constitutional challenge by the left, which would force the

Constitutional Court to make a ruling that the right figured would go in its favor307 ».

Comme nous l'avons mentionné précédemment dans ce chapitre, les partis de gauche

allemands ont en effet porté plainte devant la Cour de Karlsruhe et, tel que prévu par les

conservateurs, elle a finalement, après quelques verdicts préliminaires, tranché une fois pour

toute en faveur du gouvernement Kohi le 12 juillet 1994. La stratégie adoptée par la CDU en est

donc une des petits pas :

This plan is described by CDU politicians as a « strategy of habituation ». CDU foreign policy expert Andréas Schockenhoff said : « the first intervention was in Cambodia and was hurnanitarian Then there was Somalia where we delivered supplies and we widened the geographical scope of intervention. In Bosnia we had ground troops, but it was peacekeeping and not peace enforcement. It was a systematic expansion of German participation. We had broad agreement for every intervention from the public that we would not hâve had if we had started with peace enforcement »308.

Même si les missions au Cambodge et en Somalie ont fait partie de cette stratégie, c'est

la Yougoslavie qui a été son principal terrain de mise en œuvre :

The former Yugoslavia was the primary field of action. The government sent ships to the Adriatic to monitor the embargo against Serbia and aircraft to detect violations of the no-fly zone over Bosnia. The défense minister's chief of staff admitted : « That was a strategy. One has to say honestly. The SPD did not want to make a deal. Therefore we had to create facts on the ground. So we participated in the embargo in the Adriatic. » The government engaged in some polit ical manipulation to make the Adriatic deployment easier to accept. The government argued that it was not an out-of-area intervention because Italian waters were part of NATO's défense perimeter. « We made great efforts to make sure that it was not portrayed as an intervention. That was rhetorical and political trickery. Of course it was an intervention » .

Le but de toutes ces manœuvres est de permettre une plus grande affirmation de

l'Allemagne sur la scène internationale en normalisant la politique militaire de la RFA en créant

des faits sur le terrain :

The rightist government was using thèse interventions as an instrument to regain German military sovereignty, using inclusivist purposes for exclusivist and hawkish goals. The delivery of hurnanitarian aid had large-scale public support. Germany sent over fifteen hundred soldiers to Somalia in 1993 for the purpose of distributing food and relief supplies to pacified areas of the country. However, only seven hundred soldiers were even indirectly involved with helping the Somalians, leading Zehfuss to wonder what the point of the opération was. Falenski provided the answer. It was part of the domestic strategy. « We would otherwise never hâve gone to Somalia because we knew from the beginning that the opération would fail. Rûhe wanted it purely from the point of view of creating facts on the ground. In the end the strategy was successful »310.

RATHBUN, Brian C. Op. cit., p.90. Ibid.

307

308 Ibid. 309 Ibid. ™ Ibid., p.91.

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Page 97: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

La tactique du salami adoptée par Kohi et les conservateurs a sans l'ombre d'un doute

porté ses fruits. La RFA a déployé des troupes de combats pour des missions hors zone, même

dans des pays autrefois occupés par les nazis, et désormais elle peut même participer directement

à des combats. Plus encore, le tout s'est fait plutôt en douceur, sans que la population ne

descende dans les rues, justement grâce à cette stratégie d'habituation, ce qui n'aurait jamais été

possible pendant la guerre froide. Bref, l'Allemagne s'est considérablement normalisée et

s'affirme plus aisément: «[. . .] military options are becoming an accepted component of

German multilatéral foreign policy. [...] Multilatéral solutions are still preferred, but unilatéral

options are not discounted. National interest is no longer a dirty word311 ».

Il ne fait donc aucun doute que le désir d'affirmation et de normalisation nationale

présent chez les élites conservatrices allemandes a joué un rôle très significatif dans la décision

de déployer la Bundeswehr dans le cadre des missions internationales IFOR et SFOR. L'effet de

cette volonté de s'affirmer davantage et de normaliser la politique étrangère de l'Allemagne a été

accru par un autre facteur, soit les pressions externes exercées par ses alliés sur la RFA.

Les pressions exercées par les alliés de la RFA pour que celle-ci contribue militairement en

Bosnie-Herzégovine

Comme nous avons déjà mentionné au chapitre précédent que l'Allemagne est sollicitée

de l'extérieur afin qu'elle joue un plus grand rôle politique international, nous nous contentons

donc ici, dans le but d'éviter les redondances, d'aborder la pression spécifique au cas bosniaque

ou encore à l'utilisation de la Bundeswehr, notamment dans des missions multilatérales de

maintien et de rétablissement de la paix.

Presque dès le début de la crise bosniaque, l'Allemagne a été sollicitée tant par ses

partenaires occidentaux que par l'ONU afin qu'elle fournisse des contingents de soldats pour la

mission de paix organisée sous l'égide de l'ONU, la FROPRONU. Le 6 juillet 1992, le

Secrétaire général Boutros-Ghali soumet une requête officielle afin que la RFA accroisse son

soutien logistique à la FORPRONU et évoque la possibilité qu'il soit nécessaire que la

311 MCKENZIE, Mary M. Loc. cit., p. 12.

89

Page 98: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Bundeswehr contribue au renforcement de la mission . Plus encore, il déclare en janvier 1993

lors d'une visite à Bonn qu'un pays aussi important ne peut pas réclamer ou acheter un statut

particulier313.

Lors de la conférence annuelle sur la sécurité à Munich en 1993, la RFA est critiquée

publiquement par des diplomates occidentaux pour son refus de contribuer militairement à

l'effort mis sur pied pour la mission multilatérale de maintien de la paix alors que ses partenaires

venaient d'assembler une force de quelques 15 000 hommes, tandis que le sénateur américain

William Cohen mentionne en entrevue que les Américains souhaitent voir des soldats allemands

sur le terrain et que la RFA ne peut pas continuellement se cacher derrière son histoire pour

échapper à ses responsabilités314.

L'Alliance atlantique demande elle aussi à l'Allemagne de contribuer militairement en

Bosnie-Herzégovine. D'abord, en juillet 1992, le Secrétaire général de l'OTAN Manfred Wôrner

soumet une demande officielle à l'Allemagne pour qu'elle fournisse un soutien militaire à la

mission de surveillance de l'embargo contre la Serbie sur l'Adriatique315 et les pays membres de

l'UEO encouragent Bonn à y contribuer316. D'ailleurs, le chancelier Kohi et les dirigeants

conservateurs ont tôt fait de comprendre que ces demandes leur fournissent une occasion en or

de mener à bien leur projet de normalisation de la politique étrangère allemande317.

L'Allemagne est de nouveau sollicitée au début de 1993 lorsque l'OTAN et les Nations

Unies lui demandent de participer à la surveillance aérienne de la Bosnie afin de s'assurer que les

Serbes respectent l'interdiction de vol. Tel que mentionné plus haut, les soldats allemands

forment environ le tiers du personnel des AWACS, et ceux-ci ont, dans le cadre de leur mission,

à survoler le territoire bosniaque et donc être dans une zone de combat. Le Secrétaire général de

l'OTAN à ce moment, Willy Claes, indique même clairement que la participation allemande est

nécessaire au succès de la mission318. Plusieurs haut gradés de l'Alliance atlantique témoignent

même devant la Cour de Karlsruhe lors des audiences concernant cette mission, notamment le

commandant suprême de l'OTAN pour l'Europe, le général John Shalikashvili, qui mentionne

312 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.88. 313 KIRSTE, Knut. Loc. cit., p.14. 314 Ibid, p. 14-15. 315 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.88-89. 316 SMTTH, Michael E. Loc. cit., p.56. 317 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.88. 318/Z>W.,p.92-93.

90

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les énormes difficultés qu'entraîneraient le retrait des soldats allemands des équipages des

AWACS319.

Non seulement l'OTAN, mais aussi des responsables politiques des alliés de la RFA se

prononcent pour la participation allemande, notamment les États-Unis, qui, bien que prenant le

leadership de l'opération, sollicitent le soutien de leur alliés régionaux et qui, par le biais du

Secrétaire d'État Warren Christopher, réclament publiquement davantage de soutien pour

l'opération de la part de Bonn de même qu'un accroissement de l'effort humanitaire320.

En juillet 1994, alors que la Cour de Karlsruhe délibère sur la constitutionalité des

missions de combat hors zone, le président américain Bill Clinton, en visite en Allemagne,

désigne celle-ci en tant que principal allié européen de Washington et réitère sa demande pour

une participation allemande dans des missions de maintien et de rétablissement de la paix sous

l'égide de l'ONU321. Bref, les Américains sont ceux qui ont exercé le plus de pression sur la

RFA322. Les Français ne sont toutefois pas en reste en demandant de Bonn une réponse forte

face à la crise bosniaque323.

En novembre et décembre 1994, alors que l'idée d'un retrait de la FORPRONU

commence à être envisagée, le général Joulwan, commandant suprême allié de l'OTAN en

Europe à l'époque, demande au gouvernement allemand de fournir des avions Tornado et

demande en février 1995, suite à une réponse initiale évasive du ministre allemand de la défense,

de clarifier les intentions allemandes à cet égard324. Le principal partenaire européen de Bonn,

Paris, qui a des troupes déployées en Bosnie, lui demande aussi, en décembre 1994, d'envoyer

des troupes de la Bundeswehr en renfort de la FORPRONU325.

Enfin, avant même la signature des accords de Dayton, le général Joulwan demande

publiquement la participation d'un contingent allemand à l'IFOR, alors qu'en novembre 1996,

c'est le Secrétaire général de l'OTAN Javier Solana qui, lors de sa visite à Bonn, exprime le

souhait que l'Allemagne contribue à la mission devant poursuivre l'œuvre de la IFOR, c'est-à-

dire la SFOR326.

319 SMITH, Michael E. Loc. cit., p.58. 320 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.93. 321 SMITH, Michael E. Loc. cit., p.62. 322 HARNISCH, Sébastian. Loc. cit., p.41. 323 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.93. 324 KIRSTE, Knut. Loc. cit., p.15-16. 325 Ibid. 326/6M,p.24et34.

91

Page 100: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Cette pression extérieure n'est pas passée inaperçue chez les responsables politiques

allemands. Lors de son discours précédent le vote au Bundestag sur le déploiement de troupes

allemandes en Bosnie-Herzégovine le 6 décembre 1995, le chancelier Kohi mentionne

explicitement que les attentes de la communauté internationale à l'égard de l'Allemagne

réunifiée ne sont plus celles de l'époque de la guerre froide : les partenaires de l'Allemagne

s'attendent désormais à ce que celle-ci contribue au maintien de la paix en Europe avec ses

partenaires et ses alliés327. Pour le chancelier Kohi, cette contribution implique clairement une

participation militaire de l'Allemagne dans des opérations de maintien de la paix.

Bref, il ne fait aucun doute que la République fédérale a été soumise à de fortes pressions

de ses alliés et même de l'ONU afin qu'elle participe à des missions militaires. Ces pressions ont

définitivement joué un rôle notable dans la décision de Bonn de déployer des troupes en Bosnie,

notamment en offrant une occasion aux conservateurs de la CDU de mener à bien la

normalisation de la politique étrangère de l'Allemagne. Toutefois, ces pressions ont aussi mis en

évidence la nécessité pour l'Allemagne d'être solidaire de ses alliés.

La République fédérale doit être solidaire de ses alliés

Abondamment sollicités par ses partenaires et ses alliés, le gouvernement allemand et la

classe dirigeante vont prendre conscience des coûts de l'incapacité allemande à participer

militairement aux missions onusiennes. Toute cette pression externe se traduit par la nécessité

ressentie chez les décideurs allemands de faire de la RFA un partenaire fiable de l'OTAN et de

l'Union européenne. L'Allemagne se doit d'être capable de participer à des alliances

(Biïndnisfâhigkeitf2*.

Ce sentiment devient de plus en plus omniprésent, puisque au fur et à mesure que la crise

bosniaque s'amplifie, il devient impératif que la République fédérale se débarrasse une fois pour

toutes de son incapacité militaire, puisque celle-ci la discrédite de plus en plus auprès de ses

alliés et mine même ses alliances les plus importantes menaçant ainsi sérieusement sa politique

multilatérale :

GERMAN INFORMATION CENTER. Speeches by Chancellor Helmut Kohi and Foreign Minister Kinkel to the Bundestag, Dec. 6, 1995. Loc. cit. 328 HARNISCH, Sébastian. Loc. cit., p.41.

92

Page 101: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

[...] à partir du moment où l'instabilité croissante de l'environnement international nécessitait une implication plus forte de l'OTAN, de l'UE et de l'ONU sur le plan politique et militaire, l'Allemagne était obligée - afin d'assurer la continuité de sa politique multilatérale - de faire preuve de loyauté vis-à-vis de ses partenaires occidentaux et de réadapter sa politique en fonction des intérêts et des objectifs de ses alliés. Car une politique étrangère donnant la priorité à la « culture de la retenue » {Kultur der Zuriickhaltung) et excluant par principe toute participation de la Bundeswehr à des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix au-delà de la zone de l'OTAN aurait marginalisé l'Allemagne sur la scène internationale. Pire, une politique de non-intervention militaire systématique aurait traduit une attitude déloyale de l'Allemagne envers ses alliés, contraignant les dirigeants allemands à réemprunter une voie particulière (Sonderweg) en contradiction avec la politique multilatérale poursuivie depuis 1949329.

Le ministre des Affaires étrangère Kinkel affirme que dans les moments les plus

difficiles, soit la division de l'Allemagne et la menace soviétique, la RFA a pu compter sur ses

partenaires et qu'il est maintenant impératif qu'elle leur renvoie l'ascenseur330. Le chancelier

Kohi abonde en ce sens, affirmant qu'après avoir profité de la solidarité de ses alliés durant les

dernières décennies, le moment est venu pour l'Allemagne de démontrer sa solidarité en

contribuant à préserver la paix en Yougoslavie331.

Pour le gouvernement, notamment le ministre de la défense Riihe, il est évident que la

République fédérale ne pourra pas éternellement esquiver les missions dangereuses et laisser le

soin à ses partenaires européens de s'en occuper. Elle devra aussi apporter sa contribution. À cet

égard, le chancelier Kohi, lors du débat au parlement sur l'envoi d'avions Tornado pour assurer

la protection de l'aide humanitaire en décembre 1994, parle même de l'obligation morale de la

RFA à l'égard de ses alliés332.

L'Allemagne doit régler ce problème au plus tôt puisque dès 1993, sa crédibilité en tant

qu'allié est grandement endommagée. Elle semble alors un partenaire peu fiable en situation de

crise, ce qui irrite tant les Européens que les Américains, risque d'affaiblir l'OTAN et l'UEO en

plus de nuire à ses relations bilatérales333. Sur les dommages potentiellement infligés à l'OTAN,

le ministre Riihe fait remarquer que refuser d'aider les soldats français et britanniques de la

FORPRONU revient à détruire les fondations de l'Alliance atlantique334.

329 STARK, Hans. Op. cit., p.313. 330 BACH, Jonathan P. G. Between Sovereignty and Intégration. German Foreign Policy and National Identity qfter 1989. Munster, Lit Verlag, 1999, p. 151. 331 GERMAN INFORMATION CENTER. Speeches by Chancellor Helmut Kohi and Foreign Minister Kinkel to the Bundestag, Dec. 6, 1995. Loc. cit. 332 GUÉRIN-SENDELBACH, Valérie. Op. cit., p.253. 333 KJRSTE, Knut. Loc. cit., p. 15. 334 Ibid, p.16.

93

Page 102: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Quant à l'Union européenne, tant et aussi longtemps que l'Allemagne ne peut contribuer

militairement, le projet d'une politique étrangère et de sécurité commune ne peut être considéré

sérieusement. Pour que ce projet ait un minimum de crédibilité, Bonn doit être un joueur à part

entière, doit être europafàhig*35.

Il est absolument inacceptable pour l'Allemagne que l'OTAN et l'Union européenne

soient ébranlées par sa propre incapacité à être un allié fiable puisque ses organisations

constituent les fondements de sa politique étrangère et de sa sécurité : [...] le cadre sécuritaire que forment les liens avec Washington et l'OTAN est essentiel au

sentiment de sécurité allemand. C'est la raison pour laquelle aussi, l'Union européenne est considérée, maintenant et pour longtemps, non seulement comme un cadre utile pour l'économie et la croissance allemandes, mais aussi et surtout comme un univers de valeurs libérales, de réalisations démocratiques et d'interdépendance économique. [...] En 1982, le chancelier Kohi affirmait que cet instinct pour les alliances était le noyau dur de la raison d'État allemande. La chute du mur de Berlin et ses conséquences n'ont pas remis en question cette orientation fondamentale, mais l'ont confirmée malgré les changements intervenus sur la scène internationale336.

Il ne fait donc aucun doute que la participation allemande aux missions IFOR et SFOR

représente le point culminant des efforts entrepris par les conservateurs allemands et les

responsables de la défense pour démontrer que l'Allemagne est un partenaire fiable et capable

d'assumer des tâches égales à celles de ses partenaires dans les missions hors zone de

l'OTAN337.

Toutefois, malgré le désir de normalisation des conservateurs, les pressions externes de la

part de ses alliés et la nécessité d'être solidaire envers ceux-ci, la République fédérale n'aurait

jamais pu participer militairement à l'IFOR et à la SFOR s'il n'y avait pas eu, comme lors de

l'épisode des reconnaissances, la formation d'un consensus minimal au sein de la classe politique

allemande.

La formation d'un quasi consensus au sein de la classe politique de la RFA

En matière de politique étrangère, il est de bon ton, voire quasi nécessaire, pour le

gouvernement allemand, d'agir seulement lorsqu'il existe un large consensus parmi les partis

politiques, particulièrement en ce qui a trait aux questions militaires. Cela ne signifie toutefois en

335 PHILIPPI, Nina. Loc. cit., p.52. 336 STURMER, Michael. « Les conséquences de 1989 : les objectifs de la politique étrangère allemande », Politique étrangère, vol. 61, no. 3 (automne), 19%, p.519.

94

Page 103: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

aucun cas que ce consensus doit absolument inclure tous les partis, puisque le PDS (anciens

communistes) est très souvent ignoré.

Nous avons déjà mentionné les raisons pour lesquelles la CDU est en faveur du

déploiement de soldats allemands dans le cadre de missions hors zone. Nous avons aussi

mentionné que, bien qu'il n'y ait pas un consensus absolu au sein du FDP, son leader, Klaus

Kinkel et une part significative des libéraux démocrates soutiennent, quoique avec une plus

grande prudence et une plus grande modération que la CDU, les projets du gouvernement. Nous

nous attardons donc ici sur les autres partis, soit le SPD et le parti Vert, puisque ce sont eux qui

sont initialement réticents à l'utilisation de la Bundeswehr comme outil de politique étrangère.

Plusieurs membres du SPD sont conscients que le conflit bosniaque change

considérablement la donne en matière d'antimilitarisme puisqu'il est très difficile de regarder les

meurtres de civils sans réagir. L'opposition à une participation allemande les place dans une

situation extrêmement ambiguë puisque cela les rend coupables de ne pas agir pour protéger la

population bosniaque338.

Bien que quelques figures du SPD aient été en faveur de la normalisation de la politique

étrangère dès le début de la crise, il faut attendre en février 1994, lorsque l'artillerie serbe

bombarde un marché de Sarajevo, tuant ainsi de nombreux civils, pour que les sociaux-

démocrates se rapprochent véritablement des conservateurs. Suite à cette attaque, Rudolf

Scharping, l'un des chefs de file du SPD, déclare qu'il soutient le gouvernement dans sa volonté

de ne pas tolérer de tels actes et affirme même qu'à ce moment, il n'existe pas de différences

sérieuses entre le SPD et la CDU en matière de politique étrangère339. Le SPD a même approuvé

les bombardements aériens de l'OTAN lancés en guise de représailles à l'agression de civils par

les forces serbes340.

Mais cette opération ne compte pas de troupes allemandes. Lorsque qu'à la fin de 1994

l'OTAN demande l'envoi d'avions Tornado allemands, Scharping et d'autres haut placés sont

d'accord avec la participation allemande, mais Oskar Lafontaine, un autre chef de file du SPD, et

la majorité des membres du parti s'y opposent et mettent en garde contre le risque d'une

KIRSTE, Knut. Loc. cit., p.42. RATHBUN, Brian C. Op. cit., p.97-98. LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.99. Ibid, p. 100.

95

Page 104: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

rébellion à l'intérieur du SPD . Cette division empoisonne considérablement l'atmosphère au

sein du SPD tout au long de 1995, mais les événements sur le terrain vont modifier la balance.

Suite au massacre de Srebrenica commis par les forces serbes en juillet 1995, où plus de

8000 hommes musulmans sont assassinés, une majorité des parlementaires du SPD va être en

faveur du recours à la force, y compris avec une participation allemande, pour arrêter les Serbes.

L'échec des moyens diplomatiques et politiques pour mettre fin à la guerre force donc le SPD à

réévaluer sa position. Suite aux événements de Srebrenica, le SPD perçoit la guerre en Bosnie-

Herzégovine comme une guerre d'agression prenant parfois des allures de génocide, qui ne peut

être arrêtée que par la force. Une large majorité des parlementaires du SPD a donc voté en faveur

de l'IFOR, soit 187 pour, 55 contre et une abstention342.

Quant à la SFOR, encore moins de députés du SDP s'y opposent (seulement 41, avec

quelques abstentions), notamment puisque le déploiement de l'IFOR n'a pas entraîné une

escalade de la violence, et que la présence de soldats allemands a été bien acceptée par la

population sur le terrain343.

Le revirement le plus symbolique est sans l'ombre d'un doute celui qui se produit chez

les Verts, puisqu'il s'agit du parti le plus antimilitariste, à l'exception du PDS, de la scène

politique fédérale. Dès l'été 1992, alors que la situation se détériore rapidement en Bosnie, des

responsables du parti reconnaissent que le cas bosniaque représente un dilemme moral pour les

Verts, puisque ceux-ci s'opposent aux déploiements militaires alors que la livraison de l'aide

humanitaire en Bosnie qu'ils appuient requiert une protection militaire. Plus encore, les images

de famine et de nettoyage ethnique forcent les Verts à s'interroger sur la capacité du pacifisme à

stopper de telles atrocités344.

Le changement d'attitude chez les Verts se reflète particulièrement bien chez Joschka

Fischer, leur figure de proue. Le massacre de Srebrenica est le point tournant à partir duquel il

considère que l'utilisation de la force militaire doit être envisagée. Il fait alors remarquer à ses

collègues qu'il existe un conflit fondamental entre les valeurs des Verts puisque malgré leur

LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p. 114-115. RATHBUN, Brian C. Op. cit., p. 105-106. Ibid,p.l01. LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p.90.

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Page 105: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

pacifisme, ils ne peuvent plus nier qu'il est parfois nécessaire de recourir à la force pour protéger

des vies humaines345.

Dans une lettre ouverte en août 1995, Fischer fait remarquer que le massacre commis à

Srebrenica par les Serbes a été possible à cause du refus occidental d'intervenir militairement. Il

est alors clair que non seulement l'usage de la force s'avère parfois moralement acceptable, mais

aussi que la passivité peut être tragiquement immorale. Pour lui, les Verts courent le risque de

perdre leur âme s'ils ne s'opposent pas au nouveau fascisme dans les Balkans. Les atrocités

commises par les Serbes rappellent douloureusement aux Verts l'agression nazie et l'Holocauste

et aucun d'entre eux ne peut douter qu'il était légitime de s'opposer militairement à Hitler346.

Mais Fischer n'est pas le seul Vert qui modifie sa position à propos des interventions

militaires en raison des horreurs en Bosnie-Herzégovine. Plusieurs autres, dont bon nombre de

femmes, notamment Claudia Roth et Eva-Maria Quistorp, outragés par les viols commis contre

les femmes musulmanes, vont aussi se prononcer en faveur d'une intervention militaire et ce dès

1992347. Ces Verts « réalistes » acceptent l'usage de la force contre ce qui ressemble de plus en

plus au fascisme dans les Balkans, notamment en raison de l'existence de camps de

concentration et du nettoyage ethnique348.

Si les Verts en faveur d'une intervention militaire ne réussissent pas à obtenir une

majorité des votes lors d'un congrès spécial en décembre 1995, ils réussissent néanmoins à

obtenir un assouplissement de la discipline de parti. En conséquence, lors du vote au Bundestag,

22 députés verts votent en faveur du déploiement, 22 contre et 5 s'abstiennent, afin de respecter

la résolution du congrès demandant à ce que le caucus parlementaire ne soutienne pas l'envoi de

soldats349.

Pendant la guerre froide, bien des politiciens de gauche s'en sont tenus au slogan « plus

jamais la guerre, plus jamais Auschwitz ». Mais, avec les horreurs auxquelles on assiste dans les

Balkans, ces deux affirmations apparemment complémentaires vont devenir contradictoires.

Forcée de choisir entre les deux, une large part des membres du SPD et un nombre non-

345 PHTLIPPI, Nina. Op. cit., p.55. 346 ERB, Scott. Op. cit., p. 164. 347ZW«*,p.l61. 348 COOPER, Alice H. « When Just Causes Conflict With Accepted Means : The German Peace Movement And Military Intervention In Bosnia », German Politics and Society, vol. 15, no. 3 (automne), 1997, p. 105. 349Ibid, p. 111-112.

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Page 106: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

négligeable de Verts vont se résoudre à ne plus jamais accepter Auschwitz, même si cela

implique l'envoi de militaires allemands à l'extérieur du territoire de l'OTAN350.

Bref, si on peut difficilement parler d'un véritable consensus politique, puisque le SPD et

les Verts sont profondément divisés, il n'en demeure pas moins que le plan du gouvernement de

déployer des soldats allemands pour contribuer à l'EFOR a été facilement adopté, le 6 décembre

1995 par un vote de 543 pour et seulement 107 contre351. La participation à la SFOR a été

acceptée encore plus facilement, avec seulement 93 contre, même une majorité de députés verts

votant en faveur352. Sans être un consensus regroupant tous les partis politiques à proprement

parler, il s'agit néanmoins d'un large consensus chez les dirigeants politiques qui permet au

gouvernement de participer à l'IFOR et à la SFOR.

Le poids de l'histoire sur la politique étrangère allemande

Nous avons précédemment mentionné que jusqu'en 1994, l'interprétation faite de la

constitution allemande empêche le déploiement de troupes de combat allemandes à l'extérieur du

territoire de l'OTAN. Nous avons aussi mentionné que certains partis politiques, notamment le

SPD et les Verts, sont très réticents à l'égard des opérations militaires impliquant des troupes

allemandes, même dans le cadre de mission de l'ONU ou de l'OTAN. C'est particulièrement le

cas pour des missions dans les Balkans. Tant la constitution que Pantimilitarisme sont la

conséquence du poids de l'histoire sur la politique étrangère de la RFA et la conscience des

Allemands. Il est impossible de parler de politique étrangère allemande sans aborder l'influence

de l'histoire sur celle-ci.

Le poids de l'histoire a joué de deux manières complètement différentes. Il a initialement

interdit une participation militaire allemande dans les Balkans. Puis, à la suite des atrocités

commises en ex-Yougoslavie, on assiste à une réinterprétation du devoir historique de

l'Allemagne qui donne au « plus jamais Auschwitz » préséance sur le « plus jamais la guerre »,

ce qui permet à la République fédérale de déployer des troupes sur le territoire yougoslave. Dès

juillet 1992, le ministre Kinkel affirme dans un discours devant le Bundestag que le passé

constitue le fondement de l'obligation morale qu'a l'Allemagne à œuvrer pour la paix et le

350 RATHBUN, Brian C. Op. cit., p. 103. 351 LANTIS, Jeffrey S. Op. cit., p. 130.

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Page 107: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

respect des droits de l'homme dans le monde. Bien qu'il ne parle pas encore de déployer des

troupes en sol bosniaque, Kinkel justifie dans ce discours l'envoi de navires de guerre afin de

surveiller le respect de l'embargo sur les armes353. Kinkel récidive à plusieurs occasions,

notamment à la fin de 1993 alors qu'il affirme qu'en raison de son passé, la RFA a l'obligation

éthique et morale de tout mettre en œuvre pour défendre la paix et que la plus importante leçon

de l'histoire allemande est que devant l'agression, la passivité n'aide en rien au rétablissement de

la paix354. La réinterprétation du devoir historique est déjà à l'œuvre, s'accroissant au fur et à

mesure que les événements érodent les fondements moraux du pacifisme quasi absolu auxquels

adhèrent jusqu'alors les Allemands.

À l'exception des conservateurs, la plupart des politiciens et une large part de la

population considèrent qu'en raison de son passé, qui ne peut être effacé malgré les succès des

45 dernières années, l'Allemagne est un cas unique à l'intérieur du monde civilisé et ne peut se

permettre d'intervenir militairement dans les conflits. Bref, la RFA a le devoir moral de ne plus

prendre les armes, sauf pour défendre son territoire et celui de ses alliés355.

La RFA se doit d'être un exemple en n'utilisant que des moyens non-militaires pour

résoudre les crises et les conflits356. À cause des crimes de guerre commis par le militarisme

allemand, il est inimaginable en Allemagne de percevoir positivement une intervention militaire

de la RFA, puisque qu'une telle intervention est inextricablement liée à une conception négative

de l'intérêt national, au chauvinisme, à l'abus de la force et à l'agression357.

Malgré le jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en juillet 1994 qui permet

juridiquement à l'Allemagne de participer à des missions militaires à l'extérieur du territoire de

l'OTAN, il subsiste un malaise politique chez presque tous les dirigeants. En effet, bien que ce

jugement soit une victoire pour les conservateurs, ceux-ci vont néanmoins suivre un code de

conduite, la « doctrine Kohi ». Selon celle-ci, la Bundeswehr ne peut pas être déployée sur le

territoire de pays attaqués et occupés par la Wehrmacht lors de la Deuxième Guerre mondiale.

352 ERB, Scott. Op. cit., p. 160. 353 « Regierungserklârung vont Bundesminister des Auswàrtigen, Dr. Kinkel, vor dent Deutschen Bundestag am 22. Mi 1992 (Auszûge) », dans AUSWÀRTIGES AMT (éd.).AufienpolitikderBundesrepublikDeutschland. Dokuntente von 1949 bis 1994. Kôln, Verlag Wissenschaft und Politik, 1995, p.871-874. 354 « Rede des Bundesministers des Auswàrtigen, Dr. Kinkel, vor der Fuhrungsakademie der Bundeswehr am 9. November 1993 in Hamburg (Auszûge) », dans Ibidem, p.975-977. 355 BACH, Jonathan P. G. Loc. cit., p. 155-156. 356Ibid, p. 155-156. 357 RATHBUN, Brian C. Op. cit., p.94.

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Page 108: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Bref, les soldats de la RFA ne seront pas déployés là où des Allemands ont commis des crimes

contre l'humanité358. C'est notamment le cas en ex-Yougoslavie, où plusieurs, notamment le

ministre Ruhe, considèrent que la présence de troupes allemandes serait davantage une partie du

problème qu'une partie de la solution359. En effet, la Serbie n'a pas manqué de proférer des

menaces sur ce qu'il adviendrait si des soldats allemands mettaient le pied en Yougoslavie

Mais cette doctrine est vite révisée pour n'inclure que les troupes aux sols, permettant ainsi

l'envoi de Tornados, puis reléguée aux oubliettes avec la participation allemande à l'IFOR mais

surtout à la SFOR.

Bref, jusqu'aux atrocités commises en Bosnie-Herzégovine, l'Allemagne est une nation

hantée par ses cauchemars, obsédée par les spectres de son passé, les excès du militarisme et la

barbarie du nazisme, dont le poids paralyse en quelque sorte sa politique étrangère, du moins

dans sa composante militaire.

Les événements en Bosnie vont profondément ébranler les consciences du monde

occidental, notamment en Allemagne, où l'on assiste à une réinterprétation du devoir historique.

Pour plusieurs, c'est justement en raison de leur passé, alors que les Allemands étaient les

agresseurs et les responsables de la guerre, qu'ils doivent aujourd'hui agir pour défendre la paix

et protéger les victimes d'agression361. La « culture de retenue » ne résiste pas à la dynamique du

conflit bosniaque362.

Les atrocités commises en Bosnie forcent les dirigeants allemands et la population à

choisir entre un pacifisme absolu et la protection des droits de l'homme, entre la passivité et

l'interventionnisme afin d'arrêter le massacre de civil. Bientôt un large consensus va émerger

selon lequel l'Allemagne se doit d'intervenir devant une telle situation363. Même le pacifiste et

philosophe très respecté Jùrgen Habermas va, devant les atrocités commises par les Serbes,

prôner le recours à la force pour mettre fin à la barbarie364. Bref, même chez plusieurs des

358 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit., p. 113 et 115. 359 PHILIPPI, Nina. Loc. cit., p.55. 360 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 112. 361 BACH, Jonathan P. G. Loc. cit., p. 150-155. 362 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. c/Y.,p.H3. 363 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p.112-113. 364 HÉBERT, Philippe et LÉTOURNEAU, Paul. Loc. cit., p.226.

100

Page 109: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

pacifistes les plus convaincus, la responsabilité allemande de défendre les victimes pèse

désormais plus lourd que le poids de l'histoire365.

C'est parce que les guerres yougoslaves, et particulièrement celle de Bosnie-Herzégovine,

érodent la légitimité morale du pacifisme, tant chez les féministes, les Verts ou la population en

général, que les perceptions face à l'usage de la force militaire se modifient en Allemagne366.

C'est notamment à cause de cette réinterprétation du poids historique causée en grande partie

par les horreurs de la guerre qu'il n'y aura pas de forte opposition interne au déploiement de

soldats en Bosnie367.

Le déploiement de soldats allemands est acceptable lorsqu'il devient évident que seule la

force peut mettre fin au conflit et que selon les accords Dayton, il est nécessaire de séparer les

belligérants afin de garantir la paix. Si la RFA souhaite tant contribuer à la paix dans les Balkans,

c'est en partie parce qu'elle est directement touchée par la guerre, c'est-à-dire par les risques de

déstabilisation régionale et le problème des réfugiés.

Les risques de déstabilisation régionale et le problème des réfugiés

Nous avons déjà abordé ces deux facteurs dans le chapitre précédent. Il est toutefois

nécessaire de les mentionner à nouveau puisqu'ils ont bel et bien joué un rôle dans le cas

bosniaque.

Les hommes politiques allemands de toutes allégeances sont unanimes pour faire de la

stabilisation de l'Europe centrale et orientale une priorité absolue368. Il serait redondant de

revenir en détail sur ce point. Il faut cependant noter que la Bosnie-Herzégovine représente un

risque de déstabilisation encore plus grave que la Croatie et la Slovénie.

D'abord de par sa durée, le conflit présente des risques de déstabilisation accrus pour tous

les pays de la région. Plus encore, il existe un risque que deux pays alliés au sein de l'OTAN

entrent en confrontation dans les Balkans : la Grèce et la Turquie. Les relations entre les deux

pays sont historiquement et encore aujourd'hui plutôt tendues, mais la guerre en Bosnie-

Herzégovine qui oppose Serbes et Musulmans, alors que la Grèce soutient durant toute la

RATHBUN, Brian C. Op. cit., p. 103. JAKNTNG, Josef. Loc. cit., p.37. À ce sujet, voir COOPER, Alice H. Loc. cit. STARK, Hans. Op. cit., p.317.

101

Page 110: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

décennie la Serbie , accroît considérablement la tension. En 1994-1995, l'éventualité d'une

confrontation entre la Grèce et la Turquie ne peut plus être simplement balayée du revers de la

main. Le conflit risque aussi de créer un gouffre entre la Russie, qui pour des raisons de

politique intérieure soutient la Serbie, et l'Occident. L'embargo sur les armes qui empêche les

Bosniaques de se défendre convenablement menace aussi d'envenimer sérieusement les relations

entre l'Ouest et le monde musulman, ce qui mettrait la Turquie dans une situation très

inconfortable370.

Bref, le conflit bosniaque est encore plus dangereux que celui en Croatie et en Slovénie

quant au risque de voir l'instabilité se propager en Europe, ce qui heurte de front les intérêts

allemands.

Le problème des réfugiés représente lui aussi un défi plus considérable pour le

gouvernement allemand que lors du conflit en Croatie. D'abord, le nombre de réfugiés est

beaucoup plus important. Près du tiers de la population totale de la Bosnie-Herzégovine, soit 1,4

millions de gens vont se réfugier à l'étranger371. En septembre 1992, quelques 220 000

Bosniaques ont déjà trouvé refuge en Allemagne372. Pour la seule année 1992, c'est près de 500

000 réfugiés, toutes origines confondues, qui arrivent sur le territoire allemand, ce qui représente

79% de tous les réfugiés accueillis par les pays de la CE et six fois plus que les États-Unis373. En

1994, c'est 400 000 réfugiés en provenance de l'ex-Yougoslavie, soit près du tiers de ceux-ci,

que l'Allemagne accueille374. D'ailleurs, en 1993, l'Allemagne modifie sa constitution afin de

mettre un terme à sa politique exceptionnelle de droit d'asile375.

L'Allemagne, de même que l'Autriche, la Suisse, les pays Scandinaves, la Hongrie et les

deux nouvelles républiques de Croatie et de Slovénie, tentent, entre 1992 et 1993, d'en arriver à

une entente avec les autres pays européens sur le partage du fardeau qu'entraînent les centaines

de milliers de réfugiés bosniaques. Toutefois, a Grande-Bretagne et la France ne veulent rien

369 À ce sujet, voir LUKIC, Renéo. Op. cit., p.387-391. 370 KAISER, Karl, et KRAUSE, Joachim. Loc. cit., p. 178-179. 371 WIDGREN, Jonas. « Rûckkehr nach Bosnien-Herzegowina. Lektionen fur eine europaische Migrationspolitik », Internationale Politik, vol. 54, no. 4 (avril), 1999, p.33. 372 SCHÔR, Wolfgang. German Security Policy. An examination ofthe trends in Germon security policy in a new European and global context. The International Institute for Stratégie Studies, Londres, 1993, Adelphi paper 277, p.28. 373 GORDON, Philip H. Loc. cit., p.503. 374 MAULL, Hanns W. « Germany in the Yugoslav Crisis », loc. cit., p. 108. Notons que ces chiffres diffèrent de ceux de l'UNHCR qui estime que 350 000 réfugiés en provenance de Yougoslavie se trouvent en Allemagne en 1994. Voir la note en bas de page 148, p.47.

102

Page 111: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

savoir, puisqu'ils considèrent que l'Allemagne et l'Autriche sont responsables de la crise

bosniaque avec la reconnaissance de la Croatie et de la Slovénie et qu'ils jugent faire amplement

leur part en contribuant militairement à la FORPRONU376.

La plupart des pays qui accueillent les réfugiés vont créer le Statut temporaire protégé

(TPS), puisque les bosniaques ne sont pas à proprement parler des réfugiés selon les conventions

de Genève. La particularité du TPS est que le retour dans le pays d'origine lorsque la situation le

permet est une obligation. Le problème des TPS est spécifique à l'Allemagne puisqu'en 1996,

300 000 Bosniaques ont encore ce statut377.

La difficulté rencontrée après la signature des accords de Dayton pour le rapatriement des

réfugiés va donner lieu à quelques scènes pour le moins embarrassantes, alors que certains

Lànder, puisque que les réfugiés font partie de leurs champs de compétences, vont procéder

« manu militari, à la reconduite de réfugiés bosniaques », au point où plusieurs personnalités

publiques, dont l'ancien ministre Genscher, de même que le Haut Commissariat de l'ONU pour

les réfugiés, vont critiquer les autorités allemandes378. Bref, la présence d'un si grand nombre de

réfugiés n'est pas sans créer des tensions sociales importantes en Allemagne alors que le pays est

lui-même en phase de transition.

Les coûts énormes qu'entraînent ces réfugiés pour la RFA l'incitent fortement à créer les

conditions favorables au retour de ceux-ci dans leur pays379. Le retour des réfugiés est un

problème prioritaire pour Bonn. C'est aussi dans cette optique qu'il faut voir le soutien et la

participation de l'Allemagne à 1TFOR et à la SFOR, puisque ces missions semblent paver la voie

au processus de retour des réfugiés380.

™Ibid 376 WIDGREN, Jonas. Loc. cit., p.33. 377 Ibid, p.33-34. 378 STARK, Hans. « L'Allemagne et les conflits yougoslaves : la maturation de la politique étrangère allemande », loc. cit.,p.W. 379 Entre 1991 et 1996, le coût des réfugiés en provenance de l'ex-Yougoslavie présents sur son territoire est évalué à quelques 14 milliards de Deutschemark par le ministère des Affaires étrangères de la RFA. Voir KAISER, Karl, et KRAUSE, Joachim. Loc. cit., p.179. 380 KIRSTE, Knut. Loc. cit., p.22, 24 et 27.

103

Page 112: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Conclusion du chapitre

Dans ce troisième chapitre, nous avons présenté ce qui nous semble être les principaux

aspects de la politique étrangère allemande face à la guerre de Bosnie-Herzégovine. Cette

politique étrangère se décline en trois éléments fondamentaux. Il y a d'abord, pendant les

premières années du conflit, une véritable absence de la diplomatie allemande, et ce, malgré une

contribution signification dans le domaine de l'aide humanitaire. Puis, en avril 1994, le

gouvernement conservateur de Kohi va participer à la création du Groupe de Contact Bosnie,

groupe rassemblant les principales puissances européennes et chargé de trouver une solution aux

conflits. Enfin, la RFA, pour la première fois de son histoire, déploie des troupes de la

Bundeswehr à l'extérieur du territoire de l'OTAN, en participant militairement aux missions

IFOR et SFOR, en 1996 et 1997 respectivement.

En ce qui concerne les facteurs ayant influencé la position allemande, il est clair que dans

le cas bosniaque, la politique étrangère de la République fédérale a été influencée par des

facteurs internes et externes.

Pendant les premières années du conflit, la RFA s'est faite discrète car, gardant en

mémoire les foudres qu'elle s'est attirée avec la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie,

elle redoute d'être à nouveau blâmée par ses partenaires. Cette crainte est d'autant plus présente

qu'il y a un profond manque d'unité chez ses alliés. Enfin, sa constitution, qui rend impossible le

déploiement de soldats, l'a marginalisée, l'Allemagne étant incapable d'apporter une

contribution militaire et perdant ainsi beaucoup de poids politique.

Pour ce qui est de la création du Groupe de Contact Bosnie, deux facteurs ont joué un rôle

significatif. Il s'agit du désir d'inclure la Russie, partenaire essentiel pour la sécurité européenne

aux yeux des dirigeants allemands, de même que l'incapacité des organisations internationales

déjà existantes à régler le conflit.

Enfin, lors de la décision de contribuer militairement à l'EFOR et à la SFOR, six facteurs,

aussi bien internes qu'externes, ont influencé les dirigeants allemands. Le désir de normalisation

et d'affirmation nationale, la pression exercée par les alliés de l'Allemagne, la nécessité d'être un

allié fidèle, la formation d'un quasi consensus chez les élites politiques, le poids de l'histoire

ainsi que les risques de déstabilisation et le problème des réfugiés nous semblent être les

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principaux facteurs expliquant la décision allemande de contribuer militairement aux missions de

l'ONU en Bosnie-Herzégovine.

Ici aussi on remarque que la politique allemande à l'égard du conflit bosniaque s'inscrit

dans la continuité de la politique extérieure qu'elle a menée avant sa réunification. La nécessité

d'un consensus chez les élites politiques joue encore un rôle primordial. Il en va de même avec le

désir d'être un bon allié de l'Occident et de favoriser le multilatéralisme. Certes, certains facteurs

tranchent avec la « culture de retenue », notamment un désir d'affirmation et de normalisation

nationale. Celui-ci joue un rôle beaucoup plus grand dans le cas bosniaque que lors des guerres

de Slovénie et de Croatie. La pression exercée par ses alliés pour que la RFA joue un plus grand

rôle politique et militaire est aussi un facteur qui ne fait véritablement son apparition qu'après la

réunification. Si le poids de l'histoire continue de jouer un rôle important, il prend une

signification fort différente. Désormais, l'Allemagne ne doit plus s'abstenir d'intervenir

militairement, elle a plutôt l'obligation morale de protéger les droits de l'homme et de ne plus

regarder passivement lorsque des crimes de guerre sont perpétrés.

Bref, s'il ne fait aucun doute que l'on observe certaines nouveautés, la politique étrangère

menée par la RFA durant le conflit bosniaque s'inscrit néanmoins encore très clairement dans la

continuité de celle menée durant la guerre froide et la participation de soldats allemands aux

missions IFOR et SFOR de l'ONU en Bosnie-Herzégovine ne marque pas une véritable rupture

avec le passé.

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Page 114: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

Conclusion générale

Ce mémoire a permis de mettre en lumière les réactions allemandes face à la

désintégration de la Yougoslavie entre 1990 et 1998 et d'en apprécier l'évolution. Les guerres

de Slovénie, de Croatie et de Bosnie-Herzégovine sont des événements fort complexes qui

représentent sans aucun doute le premier grand défi sécuritaire auquel la RFA nouvellement

réunifiée a été confrontée. Au cours de chacun de ces conflits, la politique de la République

fédérale d'Allemagne s'est modifiée et a traversé différentes phases.

Lors des conflits en Slovénie et en Croatie, l'Allemagne est initialement en faveur de

l'intégrité territoriale de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Puis, avec

l'intensification des combats au cours de l'été 1991, elle change progressivement sa position et

cherche à convaincre ses partenaires occidentaux de reconnaître l'indépendance des républiques

yougoslaves du Nord-Ouest. Enfin le 23 décembre 1991, la RFA est le premier État à reconnaître

diplomatiquement la Croatie et la Slovénie en tant qu'États souverains.

Confrontée dès 1992 à la guerre en Bosnie-Herzégovine, la République fédérale

d'Allemagne s'est premièrement faite extrêmement discrète, et ce jusqu'en 1994. Elle s'est

ensuite jointe au Groupe de Contact Bosnie, acquérant ainsi la possibilité de jouer un certain rôle

dans le règlement du conflit. Enfin, suite aux Accords de Dayton et à la décision du Bundestag

du 6 décembre 1995, l'Allemagne participe militairement aux missions IFOR et SFOR de

l'OTAN en Bosnie-Herzégovine.

Le mémoire a aussi permis de mettre en évidence les facteurs internes et externes dont il

est nécessaire de tenir compte afin d'expliquer la politique étrangère allemande pendant le

mandat du chancelier Kohi. Les positions allemandes de même que les changements et les

ajustements apportés à celles-ci lors des guerres yougoslaves ont été déterminées par les

nombreux facteurs qui influencent la vision qu'ont les dirigeants allemands des conflits, de leurs

conséquences et des solutions susceptibles de contribuer à leur règlement. Il semble que, tel que

le point de départ le présupposait, il ne fait aucun doute que toute tentative visant à expliquer la

politique menée par la République fédérale d'Allemagne face aux crises yougoslaves doit

absolument tenir compte d'une combinaison complexe de facteurs internes et externes.

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Page 115: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

En ce qui a trait à l'importance de ces facteurs, nous croyons qu'il est préférable de

classer ces facteurs en deux catégories, ceux ayant joué un rôle décisif et ceux ayant joué un rôle

secondaire, plutôt que de véritablement les hiérarchiser.

Pour ce qui est de la guerre en Slovénie et en Croatie, nous nous estimons incapable de

déterminer lequel des deux facteurs, entre le manque de préparation et la crainte de créer un

précédent pour les revendications indépendantistes, a joué le rôle le plus important dans la

position initiale de la RFA en faveur du maintien de l'intégrité territoriale de la RSFY.

Par contre, lorsque l'Allemagne modifie sa position en faveur des indépendances, nous

croyons que le consensus chez les élites, le droit des peuples à l'autodétermination et les risques

de déstabilisation régionale sont les facteurs ayant joué un rôle décisif. La formation d'un

consensus chez les élites semble être primordiale puisqu'elle permet d'éviter de pénibles débats

partisans et de présenter un front uni tant à la population allemande qu'au reste du monde,

donnant ainsi un appui considérable aux dirigeants allemands. De même, il nous apparaît que

dans l'euphorie suivant la réunification, plusieurs dirigeants allemands ont véritablement cru que

le droit des peuples à l'autodétermination devait absolument être respecté. Quant aux risques de

déstabilisation régionale, nous avons déjà précisé qu'ils mettaient en danger les intérêts

primordiaux de l'Allemagne en Europe de l'Est et que le ministre Genscher en était venu à

considérer que seule la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie pouvait mettre fin aux

violences en internationalisant le conflit. Les pressions externes et le désir d'affirmation

nationale, la cruauté des combats et le problème des réfugiés, de même que les sources de la

pression interne, sans être des facteurs négligeables, nous semble avoir joué un rôle secondaire.

Pour ce qui est de la décision de reconnaître la Slovénie et la Croatie le 23 décembre

1991, nous pensons que la crainte d'être trahi par ses partenaires a joué un rôle plus important

que les pressions interne. S'il ne fait pas de doute que l'opinion publique allemande exigeait que

des actions concrètes soient prises, nous pensons que la non-reconnaissance par les États de la

CE de la Croatie et de la Slovénie une fois le 15 janvier 1992 arrivé aurait placé les dirigeants

allemands dans une situation autrement plus embarrassante que de faire patienter leur opinion

publique.

Dans le cas de la passivité allemande face au conflit de Bosnie-Herzégovine, il nous

semble impossible d'établir avec certitude lesquels des facteurs entre la crainte d'être blâmé de

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nouveau, l'absence de cohésion chez les partenaires de l'Allemagne et l'interprétation faite par

les dirigeants de la constitution allemande ont joué un rôle plus important que les autres.

Il en va de même quant à la participation allemande au Groupe de Contact Bosnie. Nous

ne nous estimons pas en mesure de déterminer avec un minimum de certitude si c'est

l'inefficacité des organisations internationales existantes ou le désir d'associer la Russie au

processus de paix qui a joué un rôle plus important.

Quant à la participation allemande aux missions EFOR et SFOR, nous pensons que le

quasi consensus chez les élites politiques, le poids de l'histoire, de même que les risques de

déstabilisation régionale, jumelés au problème croissant des réfugiés sont les facteurs ayant joué

un rôle de premier plan. Nous pensons que le problème des réfugiés a joué dans ce cas un rôle

décisif car il est beaucoup plus grave que lors de la guerre en Croatie. Il nous semble que les

pressions externes et la nécessité d'être un allié solidaire ont joué un rôle secondaire puisque

nous sommes d'avis qu'il aurait été possible pour la RFA d'y répondre à tout le moins

partiellement même en n'envoyant pas de troupes de combat au sol en Bosnie-Herzégovine. En

ce qui concerne le désir de normalisation et d'affirmation nationale des conservateurs allemands,

nous ne nous estimons pas capable de déterminer s'il a joué un rôle crucial ou secondaire. Il a

certes joué un rôle plus important que lors des guerres en Slovénie et en Croatie, mais nous

ignorons, bien que nous considérons qu'il a joué un rôle non négligeable, s'il occupait une place

prédominante dans les calculs politiques des dirigeants allemands.

Concernant l'épisode de la reconnaissance par la RFA de la Slovénie et de la Croatie,

notre analyse a établi qu'il est inapproprié de qualifier la politique allemande d'unilatérale. En

effet, l'Allemagne a passé près de six mois à convaincre ses partenaires avant de reconnaître les

républiques indépendantistes. Il s'agit d'une preuve importante de son attachement au

multilatéralisme. Plus encore, même si, en accordant la reconnaissance le 23 décembre 1991,

l'Allemagne a devancé ses partenaires de la CE de trois semaines, elle s'est d'abord assurée que

ceux-ci ne s'opposaient pas à ce qu'elle reconnaisse la Slovénie et la Croatie avant Noël.

L'étude a aussi permis de mettre en évidence certains éléments de réponse quant à savoir

si la politique étrangère post-réunification de l'Allemagne s'inscrit en continuité avec celle

menée par le passé. La République fédérale n'a certes pas été imperméable à la reconfiguration

draconienne de la situation internationale au cours des années 1990-1991. L'immobilisme étant

impossible, plusieurs nouveaux facteurs ont dû être pris en compte par les dirigeants allemands

108

Page 117: la politique étrangère de la république fédérale d'allemagne face à ...

lorsqu'ils ont élaboré la politique étrangère de leur État réunifié, notamment lors des crises qui ont mis fin à la RSFY. Plus encore, certains facteurs, bien que n'étant pas nouveaux, ont agi de manière entièrement nouvelle. L'exemple le plus flagrant de ceci est l'interprétation faite du devoir historique de l'Allemagne. Pendant longtemps, les Allemands ont considéré que les atrocités commises sous le régime nazi leur interdisaient toute participation à une guerre autre que de nature strictement défensive. Confrontés aux horreurs commises en Bosnie, ils ont réinterprété le devoir historique de l'Allemagne afin de donner une préséance absolue au « plus jamais Auschwitz » sur le « plus jamais la guerre ».

Certains facteurs ayant influencé le gouvernement du chancelier Kohi permettent donc d'évoquer une évolution significative de la politique extérieure allemande. Il s'agit bien d'une évolution puisqu'on ne peut en aucun cas parler de rupture. Bien au contraire, ce sont les changements apportés par le gouvernement de Kohi qui permettent la continuité des principaux fondements de la politique étrangère allemande après la réunification. C'est la capacité des dirigeants conservateurs allemands à faire évoluer leur État, particulièrement sur la question de l'utilisation de la force militaire comme outil légitime de politique extérieure, qui permet à la RFA de rester un allié fidèle et crédible pour ses partenaires occidentaux. On ne peut donc manquer de souligner la continuité remarquable de la politique étrangère de la RFA après la réunification. À cet égard, la participation militaire de la RFA aux missions IFOR et SFOR de l'ONU en Bosnie-Herzégovine ne constitue pas une rupture, mais plutôt une adaptation permettant la continuité.

Plus encore, les dirigeants conservateurs ont mis en place une orientation de politique étrangère dont la durée dépasse de loin celle du gouvernement de Kohi. Après l'élection en 1998 d'un gouvernement de coalition composé du SPD et des Verts, la RFA a été confrontée au problème du Kosovo. Lors de ce conflit, l'aviation allemande a mené des opérations de combat de nature offensive sur le territoire du Kosovo et de la Serbie, ce qui aurait été impensable quelques années plus tôt. Les membres de la coalition au pouvoir qui ont autorisé ces missions ont été pendant longtemps les opposants les plus farouches à l'utilisation de la force militaire alors qu'ils formaient l'opposition au Bundestag.

Bref, il règne désormais un consensus assez large au sein de la classe politique allemande et de la population en ce qui concerne la participation de troupes de combat à des missions sous

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l'égide d'organisations internationales, tel que le démontre l'actuelle présence de troupes

allemandes en Afghanistan, présence à la fois sanctionnée par l'OTAN et par l'ONU.

Toutefois, et contrairement au tenant du discours anti-allemand, l'Allemagne n'est en

aucun cas devenu un État agressif, utilisant promptement la force afin d'imposer sa volonté aux

autres États. La RFA continue d'accorder une grande importance aux principes du droit

international et privilégie le recours à des moyens pacifiques pour résoudre les crises. L'exemple

de l'invasion américaine de l'Irak en 2003, à laquelle Berlin s'est publiquement opposé, le

démontre très clairement.

Bien qu'apportant un éclairage fort intéressant sur la politique étrangère allemande entre

1990 et 1998, ce mémoire n'est malheureusement pas exempt de limites. Il est possible

d'argumenter qu'il n'est pas surprenant que la politique étrangère menée par la RFA

immédiatement après sa réunification s'inscrive dans la continuité de celle menée avant 1990

puisque le gouvernement Kohi est au pouvoir de 1982 à 1998. À cet égard, il aurait été

effectivement beaucoup plus instructif d'analyser la politique allemande face à l'ensemble des

guerres yougoslaves en incluant celles du Kosovo et de Macédoine.

Une dernière limite est peut-être la hiérarchisation des facteurs. En effet, il semble

possible de critiquer la hiérarchie sommaire établie ici. Il est vrai que ce manque amoindrit

quelque peu la compréhension du sujet étudié. Toutefois, il nous apparaît préférable de nous en

tenir à la hiérarchisation présentée ici plutôt que d'induire le lecteur en erreur. Tel que mentionné

au chapitre premier, il semble très risqué de vouloir comparer et classifier selon leur importance

des éléments aussi hétérogènes que les facteurs présentés dans ce texte.

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118

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Annexe 1

L'Allemagne en 1949 : RFA et RDA

Source : GUILLEN, Pierre. La question allemande 1945-1995. Paris, Imprimerie nationale, cl996.

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Annexe 2

La RFA aujourd'hui

Les 16 Lànderel leurs capitales depuis le 3 octobre 1990

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Territoire et population (au 31 décembre 2004) LSmttr jy-\ aupailMs(«i.kni1) Population (en milliers)

Bade-Wurtemberg 35 751.64 10717 Basse-Saxe 47 619,63 8 001 Bavière 70549,44 12444 Berlin 891,82 3 388 Brandebourg 29478,14 2568 Brëme 404,23 663 Hambourg 755,24 1735 Hesse 21114,79 6 089 Mecklembourg-Poméranie occidentale (ou antérieure) 23178,53 1720 Rhénanie-du-Nord - Westphaile 34 084,08 18075 Rhénanle-Palatlnat 19 853,48 4 061 Sarre 2 568,69 1056 Saxe 18414,70 4 296 Saxe-Anhalt 20445,73 2 494 Schleswig-Holstein 15 763,42 2 829 Tburinge 16172,08 2 355 Allemagne 357046.64 82 601

Source : Offices statistiques de la Fédération et des Lânder (date de publication : 18 octobre 2005). Disponible surhttp://www.destatis.de/themen/d/thm_bevoelk.php.

Source : HEGE, Adelheid et al. Regards sur l'Allemagne unifiée. Paris, La documentation française. 2006.

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Map No. 3689 Rev. 12 UNITED NATIONS June 2007

Department o! Peacekeeping Opérations Cartographie Section

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SLOVENIA

ADRIATIC SEA

Rovini _ 13*30' K ,

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Map No. 4134 Rev. 3 UNITED NATIONS June2004

Department ol Peacekeeping Opérations Cartographie Section

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Annexe 5

La Croatie

123

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Annexe 6

La Bosnie-Herzégovine

BOSNIA AND HERZEGOVINA SERBIA

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Map No. 3729 Rev. 6 UNITED NATIONS Marc»! 2007

Depar lmenl ol Poacokeeping Opérat ions Caf looraphic Section

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Annexe 7

Résultats des élections

Suffrages exprimés (seconds suffrages*) en % et en nombre de sièges obtenus au niveau fédéral

Annie 1990 1994 ■ ■

1998 2002 2005

Participation (en %)

77,8 79,0 82,2 79,1 77J

Parti Suffrages (en %)

Sièges (en

nombre)

Suffrages (en%)

Sièges (en

nombre)

Suffrages (en%)

Sièges (en

nombre;

Suffrages (en%)

Sièges (en

nombre;

Suffrages (en %)

Sièges (en

nombre) SPD 33,5 239 36,4 252 40,9 298 38,5 251 34,2 222 CDU-CSU 43,8 319 41,4 294 35,1 245 38,5 248 35,2 226 FDP 11,0 79 6,9 47 6,2 43 7,4 47 9,8 61

Verts/B'90 5,1 8 7,3 49 6,7 47 8,6 55 8,1 51 PDS 2,4 17 4,4 30 5,1 36 4,0 2 8,7 54

Divers 4,2 0 3,5 0 6,0 0 3,0 0 3,9 0

* L'électeur dispose de deux suffrages ; le premier se porte sur un candidat dans une circonscription, le second sur une liste présentée par un parti au niveau du Land. Les seconds suffrages sont les plus significatifs politiquement.

Répartition des voix entre les « nouveaux Lùnder » de l'Est (ex-RDA) et les « anciens fonder » (RFA d'avant l'unification)

en% des suffrages exprimés 1998 2002 2005

Est Ouest Est Ouest Est Ouest

27,3 37,0 28,3 40,8 25,3 37,4

35,1 42,3 39,7 38,3 30,4 35,1

3,3 7,0 6,4 7,6 8,0 10,2

4,1 7,3 4,7 9,4 5,2 8,8

21,6 1,2 16,9 1.1 25,3 *

4,9

Année 1990 19 94

Parti Est Ouest Est Ouest

CDU-CSU 41,8 44,3 38,5 42,1

SPD 24,3 35,7 31,5 37,5

FDP •12,9 10,6 3,5 7,7

Verts 6,2 4,8 4,3 7,9

PDS 11,1 0,3 19,8 1,0

Source : KIMMEL, Adolf. « Les partis politiques : continuité et changements », dans HEGE, Adelheid et al. Regards sur l'Allemagne unifiée. Paris, La documentation française. 2006. p. 133.

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Annexe 8

Liste des représentants des cinq pays faisant partie du "Groupe de Contact Bosnie"

ALLEMAGNE Au niveau des Experts : Michael STEINER Au niveau des Directeurs politiques Jurgen CHROBOG Wolfgang ISCHINGER

Avril 1994 - décembre 1995

Avril 1994 - mars 1995 Depuis avril 1995...

NB : Michael STEINER est, depuis janvier 1996, adjoint du Haut-Représentant Cari BILDT.

ETATS-UNIS Au niveau des Experts : Charles REDMAN, Envoyé spécial Charles THOMAS, Envoyé spécial Robert FRASURE, Envoyé spécial de Charles Thomas

Au niveau des Directeurs politiques : Richard C. HOLBROOKE, Secrétaire d'Etat adjoint pour les Affaires euro­péennes et canadiennes, Envoyé spécial John KORNBLUM, Secrétaire d'Etat adjoint pour les Affaires européennes

Eté 1993 - été 1994 Septembre 1994-13 février 1995

13 février 1995 jusqu'à sa mort le 19 août 1995 (dans un accident de voiture près de Sarajevo)

Avril 1994-février 1996

19 Août 1995 - février 1996

Depuis le 21 février 1996

FRANCE Au niveau des Experts : Jean-Pierre MASSET, co-Président adjoint du Comité Directeur de la Conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie Jacques-Alain de SÉDOUY Albert TUROT

Juin 1993-avril 1994

Avril 1994 - septembre 1995 Octobre 1995 - avril 1996

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Au niveau des Directeurs politiques : Alain DEJAMMET Avril 1994 - septembre 1995 Jacques BLOT Depuis septembre 1995

GRANDE-BRETAGNE Au niveau des Experts : David MANNING Avril 1994 - novembre 1994 William EHRMAN Novembre 1994 - juillet 1995 Alan CHARLTON Juillet 1995 - mars 1996 Kim DARROCH Depuis mars 1996 Au niveau des Directeurs politiques : Pauline NEVELLE-JONES Avril 1994 - décembre 1995 Jeremy GREENSTOCK Depuis janvier 1996

RUSSIE Envoyés spéciaux : Alexei NIKIFOROV Avril 1994 - mai 1995 Alexandre ZOTOV Mai 1995 - septembre 1995 Igor IVANOV Depuis septembre 1995

Vitali TCHOURKINE, Envoyé Eté 1993 - été 1994 spécial auprès de la CIEY. Représentant du Président Eltsine 25 avril 1994 à la Conférence de Londres. Une mission avec Charles Redman 29 juin 1994 au nom du GC à Zagreb et Belgrade.

GROUPE DE CONTACT SARAJEVO depuis septembre 1996

Représentants leurs ambassadeurs : Christian PAULS, Allemagne Robert BEECROFT, Etats-Unis Alexander BOTSAN-KHARTCHENKO, Russie Ambassadeurs : Yves GAUDEUL, France Charles CRAWFORD, Grande-Bretagne

Source : BOIDEVAIX, Francine. Une diplomatie informelle pour l'Europe. Le Groupe de Contact Bosnie. Paris, Fondation pour les Études de Défenses, coll. « Perspectives Stratégiques », 1997.

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Annexe 9

Les principaux responsables de la politique étrangère au sein du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, 1949-2007

Chancelier Ministre des Affaires étrangères

Ministre de la défense

Konrad Adenauer (CDU) 15/09/1949-15/10/1963

Konrad Adenauer (CDU) 15/03/1951-06/06/1955

Heinrich von Brentano (CDU) 07/06/1955 - 17/10/1961

Gerhard Schrôder382 (CDU) 14/11/1961-15/10/1963

TheodorBlank(CDU) 07/06/1955 - 16/10/1956

Franz Josef StrauB (CSU) 16/10/1956-08/01/1963

Kai Uwe von Hassel (CDU) 09/01/1963 - 15/10/1963

Ludwig Erhard (CDU) 16/10/1963-30/11/1966

Gerhard Schrôder (CDU) 17/10/1963-30/11/1966

Kai Uwe von Hassel (CDU) 17/10/1963-30/11/1966

Kurt-Georg Kiesinger (CDU) 01/12/1966-21/10/1969

Willy Brandt (SPD) 01/12/1966-21/10/1969

Gerhard Schrôder (CDU) 01/12/1966-21/10/1969

Willy Brandt (SPD) 21/10/1969-07/05/1974

Walter Scheel (FDP) 22/10/1969 - 15/05/1974

Helmut Schmidt (SPD) 22/10/1969-07/07/1972

Georg Leber (SPD) 07/07/1972-15/05/1974

Helmut Schmidt (SPD) 15/05/1974-01/10/1982

Hans-Dietrich Genscher (FDP) 17/05/1974-16/09/1982

Helmut Schmidt (SPD) 16/09/1982-01/10/1982

Georg Leber (SPD) 15/05/1974-16/02/1978

Hans Appel (SPD) 16/02/1978-01/10/1982

Helmut Kohi (CDU) 01/10/82-27/10/1998

Hans-Dietrich Genscher (FDP) 04/10/1982-17/05/1992

Klaus Kinkel (FDP) 18/05/1992-27/10/1998

Manfred Wôrner (CDU) 04/10/1982-18/05/1988

Rupert Scholz (CDU) 18/05/1988-21/04/1989

Gerhard Stoltenberg (CDU) 21/04/1989-31/03/1992

Volker Ruhe (CDU) 01/04/1992-27/10/1998

Il est à noter que le Gerhard SchrOder (CDU) ministre des Affaires étrangères et de la défense dans les années 1960 n'est pas le Gerhard Schrôder (SPD) qui a été chancelier entre 1998 et 2005

128

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Gerhard Schrôder (SPD) 27/10/1998-22/11/2005

Joschka Fischer (Die Grunen) 27/10/1998-22/11/2005

RudolfSharping(SPD) 27/10/1998 - 19/07/2002

Peter Struck (SPD) 19/07/2002-22/11/2005

Angela Merkel (CDU) 22/11/2005 -

Frank-Walter Steinmeier (SPD) 22/11/2005-

Franz Josef Jung (CDU) 22/11/2005-

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Annexe 10 Évolution de la participation militaire de la RFA

IM-V IM.OPMl -NT OH G l i R M A N Y ' S PARTIC IPAT ION IN M I L I I A R Y OIM-K AT IONS

ScopcotCiennan Cnnliibnlion

^SHjRtmKmitRt

SpituluMUNnSI»

1989 90 M 'Ki 97 98

G l î K M A N Y A N D T IMÎ I tS I Î OH M I I . I T A K Y I O R C I :

TA i i i . t ; t ( i l -KMAN l 'AKI ICI I 'AI 'ION IN MII . ITAKY OPERATIONS

Cot i f l k t /M i l i tu ry Opération

IVrsiiin Gul f 1987 liscort of Kuwaili sliips: US skirmishcs v.iili Iran; niuicNWCL'piiig

Namihia \*tm IVacc-keeping opération (UNTAXi)

Gul fWar 1990»!

Ciiinliodia IWI -92 l'cacc-keepiny opération (UNAMlC)

Ailrialic IW2-96 Monitoringol" embargo agahist I-KY (Opération Sh.itp (ii iard)

Soi IW tin 199.1-94 lUNOSOM M)

llnsiitM-ilcivcgovin» 199.V95 (UNI 'KOIOK)

Seopc of Gerni i in Participation

Lngistical support otily; Germai) sliips (o Mcdilci tancan. btil nul lo ( îu l f région

Contribution lo iiilcritnlUmal police force

Financial ami logislicnl support only; Oispaleli ol 200 Miklicrs and 18 lïghlcr jets lo Tuikey »s pari of a NATO contingent

Médical Iroops

Naval baves l ' im combat opération')

Stipply and transport tuiits

Logistit'al support only (airlifls lo Sarajevo d e )

Itosnia-Herccgoviua IW3-V5 llioniloriiig of Air-force |H.*rsoiincl as part of AWACS unit: no-lly «me; NATO «ir .slrikcs ngainsl l 'KY No participation in NATO air slrikcs

(icorgia, sinec 1994 (UNOM1C)

Hosiiia-Hcrcegovina 1995-% (IHOK)

liosnia-llereegovina suit (S IOK j

intq I99H US-Ictl air raids

Kosnvo/IKY sinec IWH ( K V M ; air strikes; K IOU)

10 Germon médical oflïecr.s and miliiary observers as part of UN pcaec- kccptng force

Souic 3,0(K> non-comhul yrotmd tn>ops, Mationcd in Croalia

Son if ;i,(KKI j ' iomul iroops (includiiig combat Iroops}, slatioiied in MoMiia-Ilcrccgovina

Offcr lo grani US llie use of mili iary bases in Gcrmaity; no participation in allucks

Participai ion in imanned OSCU-letl Kosovo Verilîcalion Mission: Participation in NATO air strikes (nn UN Securily Cotincil mandate); Contribution to K I O K wi l l i soiue K,(XKI groimd Iroops

Source : BAUMANN, Rainer et HELLMANN, Gunther. « Germany and the Use of Militaiy Force : « Total War », the « Culture of Restreint» and the Ouest for Nonnality », dans German Politics. Vol. 10, no. 1 (avril) 2001. Numéro spécial, p.61-82.

130