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Û. DESDEVISESDU DEZERT. LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE D'APRÈS QUELQUES LIVRES RÉCENTS Fière de sa renaissance intellectuelle et économique et très curieuse de ses gloires, la Catalogne s'est mise à la recherche / de son vieil art national, et, grâce au conservatisme des moeurs catalanes, a réussi à en retrouver de nombreux vestiges. Dès 4834, Barcelone commençait à réunir leséléments d'un Musée 'archéologique, transféré en 1879 dans l'ancienne chapelle du psiais comtal. En (867 eut lieu à Barceloïe une première exposi- tion d'art rétrospectif, l'année suivante, un album en donna le plus curieuses pièces. En 1868, nouvel e exposition à Vich; en 1872, à Barcelone. Un prélat intelligent et volontaire, M st Mor- gades, a fondé à Vich, en 1891, un Musée épiscopal qui mii- ferme une rnagniliqué collection archéologique. Mossén Joseph Gudiol, directeur du musée de Vich, a publié en 1902 Un Manuel d'archéologïe catalane. Barcelone a installé un Musée des Beaux-arts dans un des palais de son exposition universelle de 1886, et est en train d'aménager ses collections dans le palais royal, restauré, il y a quelques vingt ans, pour recevoir le roi Alphonse XII, qui • avait eu un instant l'idée vraiment noble de faire. longs séjours à Barcelone'. Des musées t.. Le Musée de Barcelone, cine nous avons eu la bonne fortune de visiter en compagnie du directeur, M. Clin'-les 4e Bofaruli, et de M. CaeUas, le critique d'art bien connu, sera, dans peu d'années, vrai- ment digne do la inàgnifiqne cité catalane. De belles galeries, de vastes Document DhIIlIIIIIIlIlllIIlIlIlIIlIll I 0000005628216

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Û. DESDEVISESDU DEZERT.

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE

D'APRÈS QUELQUES LIVRES RÉCENTS

Fière de sa renaissance intellectuelle et économique et trèscurieuse de ses gloires, la Catalogne s'est mise à la recherche

/ de son vieil art national, et, grâce au conservatisme des moeurscatalanes, a réussi à en retrouver de nombreux vestiges. Dès4834, Barcelone commençait à réunir leséléments d'un Musée

'archéologique, transféré en 1879 dans l'ancienne chapelle dupsiais comtal. En (867 eut lieu à Barceloïe une première exposi-tion d'art rétrospectif, l'année suivante, un album en donna leplus curieuses pièces. En 1868, nouvel e exposition à Vich; en1872, à Barcelone. Un prélat intelligent et volontaire, M st Mor-gades, a fondé à Vich, en 1891, un Musée épiscopal qui mii-ferme une rnagniliqué collection archéologique. Mossén JosephGudiol, directeur du musée de Vich, a publié en 1902 UnManuel d'archéologïe catalane. Barcelone a installé un Muséedes Beaux-arts dans un des palais de son exposition universellede 1886, et est en train d'aménager ses collections dans lepalais royal, restauré, il y a quelques vingt ans, pour recevoirle roi Alphonse XII, qui • avait eu un instant l'idée vraimentnoble de faire. longs séjours à Barcelone'. Des musées

t.. Le Musée de Barcelone, cine nous avons eu la bonne fortune devisiter en compagnie du directeur, M. Clin'-les 4e Bofaruli, et deM. CaeUas, le critique d'art bien connu, sera, dans peu d'années, vrai-ment digne do la inàgnifiqne cité catalane. De belles galeries, de vastes

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4 . •REVUE Dits PYRÉNÉES.

analogues se constituent à Manresa, Lérida, Solona, Villa-nueva y Geltru. Beaucoup d'églises gardent encore des reta-bles anciens. Des collections particulières renferment des pan-neaux isolés, dont la provenance peut parfois être établie. Lesarchives rIe la Couronne d'Aragon, les archivesmunicipales deBarcelone et des villes catalanes renferment des renseigne-ments de tout genre sur l'histoire de l'art catalan.

Dès 1893, un érudit catalan, M. Caseltas, faisait à l'Athénéede Barcelone une série de conférences sur la peinture gothiquecatalane au quinzième siècle'. En 4902. une exposition d'artancien s'ouvrait à Barcelone. Elle eut le malheur (le coïncideravec l'exposition de Bruges, et n'attira pas autant de visiteursqu'on se l'était promis; elle révéla cependant une telle richesseartistique que la Commission municipale des Beaux-arts ouvritun concours pour l'étude de l'art primitif catalan. Le mémoireprésenté par M. Salvador Sanpere y Miquel sur les Quatno-centistes catalans obtint le prix. Cette étude, remaniée, aug-mentée e complétée et corrigée, a été publiée en 1906 par lalibrairie l'Avenç. Elle est enrichie de 385 photogravures, quine sont pas toutes d'une exécution irréprochable, mais qui per-mettent, à tout le moins, de se faire une idée de l'école-cata-lane du quinzième siècle. -

L'ouvrage de M. Saîpere y Miquel atteste chez son auteurune prodigieuse activité. Il a voulu voir toutes les oeuvres dontil parle et a parcouru à plusieurs reprises toute la Catalogue.Il a poussé ses investigations à travers toute l'Espagne à

salles ornées dans le goût somptueux qui caractérise l'art catalan mo-derne, quatre grandes cours vitrées, de longues galeries neuves à éclai-rage zénithal abrileront les collections municipales, qui permettent desuivre l'histoire de l'art et (le la civilisation cata.]nnes, depuis les pluslointaines origines ibériques jusqu'à la période contemporaine.

t. Là piniura p011en cataianu en al sigle XV. Conférences faites àl'Athénée barcelonais et publiées dans l'ouvrage intitulé Estado de lacullura espaflota y par'iieitiarncnte de la catelana en e1 siglo XV.Burcelona, 18U3.

2. S. Srtnpere y Miquel. Les cita iroccntistas catalanes. Historia deta pinluro. en Calalufa en et sigto XV. Barcelona, libreria l'Avenç,1906. 2 vol. eu 80 ; vu-319 y 281i-xcx les; 180 y 205 fotogiabados

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE.

Saragosse, à Madrid. à Cordone, à Séville, a Valence. Il estallé à Aix, à Avignon. à Paris. Sa bibliographie est ample, etVon trouve, en somme, dans son livre à peu près tout ce quidevait y, être. On y trouve aussi, par malheur, bien d'autreschoses. 11 est fâcheux que M. S. ait dû se IVater au point derédiger son livre en six semaines; s'il se liât un peu moinspressé, il eût retranché sans doute plus d'une digression, malrattachée an corps de l'ouvrage, et n'eût pas laissé passer tantd'erreurs de détail, tant de coquilles, tant de témérités ou debizarreries.

Le grand tort de M.S. y M: est d'avoir venin considérer lequinzième siècle catalan comme un ensemble indépendant, etde n'avoir pas su montrer par où il se rattache aux époquesprécédentes; ni en quoi il a été influencé par ]es écoles voi-sines.

L'histoire' de Fart catalan commence, en somme, avec Lindé.pendance mème clii pays, et pitcède. comme l'art français etcomme l'art allemand, de la Renaissance carolingienne. 'Dansle roman catalan, comme dans le roman fronçais ou germani-.(lue, se fondent les éléments hellénistiques, byzantins,, nordi-ques et orientaux, dont on constate l'existence en Aquitaine, enAuvergne, en Normandie et sur les bords du Rhin..

A mesure que le pays catalan s'enrichit et prend consciencede sa force, son art se dév&oppe et se précise. Dès le onzièmeou le douzième siècle, la Catalogne possède une école de pein-ture, dont les « tablas romauicas » du Musée de Vich T révÔ-

1. Catô logo dot Museo arqucoiôgico art-Istico .episc'opal de Vielt, 1898,Pinteras, siglos X al XII. Ces curieuses peintures ont été trouvées dansdes églises de la montagne catalane, 11 01) pauvres pour renouveler 'Purdécoration. Elles présentent presque toutes la même disposition. Aucentre nimbe elliptique renfermant l'image du Christ ou de la Vierge;dans les écoinçons, les symboles des qnatT:e évangélistes. A droite et àgauche du motif central, deux panneaux divisés A leur tour en deuxcompartimenta par une ligne horizontale. Souvent, le nimbe, le compar-Émient central CL les quatre compai'timeûts latéraux sont cernés d'unlarge galon d'or gaufré; la composition tout entière est entourée d'unàbordure peinte représentant des rinceaux ou des entrelacs. Les couleurs

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6 REVUE DÉS PYRÉWÉI5.

lent la barbare physionomie. Ail treizième siècle, le stylégothique passe les Pyrénées et couvre la province de monas-

¼tères et de basiliques, de châteaux et d'opulents logis. Dès lequatorzième siècle, on relève tes noms de soixante-dix peintres

• catalans, tous influencés pâr l'école italienne 1 ou par l'écoleavignonnaise. L'école valencienne, avec laquelle l'école cala-]âne se trouvait en contact immédiat, révèle, dès la fin du qua-torzième siècle, une influence siennoise, venue , par la voie

• d'Avignon, et dont Lotenzo Zaragoza fut le représentant leplus illustre. Vers 1394, un peintre de Cologne, maître AndresMarçal de Sas, vint donner aux Valenciens le gofit des grandescompositions dramatiques et de la somptuosité la plus raffinée;Valence fut pins tard initiée au mouvement de la Renaissanceitalienhe; Alphonse V, amateur de sculptures germaniques, détapisseries et de peintures flamandes, donna à l'école valen-

sont très restreintes. Le tableau no 9, consacré i l'histoire de saintMartin, n'a que trois couleurs rouge, jaune et vert olive. Le no 8 offre,en plus des trois couleurs précédentes, un personnage vêtu d'une robéjaune. Le n' b montre quelques rehauts blancS. Le n' 7 est peint avecdu rouge, du blanc et du bleti mais un des compartiments représentel'entrée de jésus-Christ à Jérusalem le peintre n'a Point osé l'asseoirsur un âne ronge ou bleu, ci n peint l'âne en gris. Le n° 1615, d'uneépoque probablement moins ancienne, présente lin grand mélange (lecouleurs pourpre foncé, orange, rouge violet, vert, bleu foncé. Rien deplus barbare que le dessin de ces antiques peintures; mais l'artisteinexpérimenté recherche déjà l'expression dramatique, ii essaie d'expri-mer les sentiments-de ses personnages par les gestes et par le regard, il

a effort vers le mouvement et la vie. Le Musée de .Barcelone possèdeaussi quelques tablas rornonicas et un très curieux baldaquin en bois,orné «de peintures de style roman. Le séminaire de Lérida a exposé hSaragosse une tabla ronzo.nica de même style que celles de Vich et deBarcelone. M. Casellas pense que cet art a pu persister dans les monta-gnes jusque vers IC douzième et même le ti'eizièrne siècle.t. 'feu ac Gotalunya, articles de M. Caselln, 24-31 juillet 1900.9. Succursale de l'antique école de Sienne. Les travaux (le M. Requin

sur les peintres de cette école montrent qu'il s'agit en réalité d'uneècolefrançaise plutôt que d'une école strictement provençale. Sur 60 peintresconnus, b sont d'Avignon, une visigtniue des provinces voisines Lan-guedoc, Provence, Lyônnais, Auvei'gne, Bourgogne, Dauphiné; 3 sontParisiens, quelques-uns de la Franche-Comté, de la Champagne, de laFlandre.

LA PEINUE CATALAN PRIMITIVE. 't

bieùhe le eaSctèt'e septentrional qui la distingu e ':M: Iertaux,'professeur d'histoire de l'art à la Faculté des lettres de Lyon,'nous écrit que les belles oeuvres de cette école se-distinguentpar la clarté du coloris et l'émploi des fonds d'or dmassés et§als relief. À la x»éme époque, on constate ci Castille l'exis-Îence d'une école particulière qui s'inspire de Rogièr Van derWeyden 2 . L'école catalane a passé par les mémés phases dedéveloppement et présente, comme tes autres écoles espngnoles,la trace visible des influences avignonnaises, flamandes,' ger-mani4ns»et Êau doute aussi française, car il y eut tin artfrançais' d6 quinzième siècle, dont on commence à soupçonnertoute la grâce ett6ute la science.

La Catalbgiie du quinzième siècle était « une province del'empire gothique.» et une opulente •et industrieuse province.Les architectes eatalàn bàtissaïeiii de superbes églises et débeaux palais; ils excellaient dans le travail du fort, tiselàiehfl'or et largent  , comptaient d'excellents sculpteurs commeJordiJoai, Porc Jean, 011er, La Mota!, et peignaient sur boid'immenses retables dont on a retrouvé de nombreux et inportants spécimens

La peinture catalane du quinzième siècle est de caractèreexclusivement religieux' et de style franchement gothique.Ce que veulent, avant tout, les riches donateurs, les corp6ra- -

• t. D. Luis Trflmèyeres Blasco, Eipintov Dalntau. Culture espafiola,t. VI, 1908.

2. E. Bertaux, Les primitifs espagnols, revue (le Pari ancien et Ino-dernç, 10 oct. 1907. La vieille école castillane est étudiée par un profes-seur de l'Université de Madrid, D. Bilas T6rmo.

3. Collection de I). Santiago Rusif'ol ii Cati Ferral (Sitges).4. La chaire du roi Martin; les custodes 'le Vicli et deBarcelone.5. S. Saupere y Mique]. Les cuat-èoccnhislas cawlanes, t. I, pli, 58 et

Suivantes. .6. L'inventaire du prince de Viane, dressé en 1461, mentionne dés

tapisseries aux sujets profànes -: les travaux «Hercule, la légendCd'Adraste, l'histoire de Trajan, l'assaut de Calais, les amours dc1lorianet de Viviane; mais elles viennent de France et de Flandrés; le princen'a pas in seul tableau. - Le Musée de Vieb n possède qu'un seultableau le dette époque représentant un sujet profane un ambassadeurétranger remettant une lettre ait roi d'Aragon Pierre IV.

8 REVUE DES PYRÉNÉES.

tiens, les municipalités, ce sont de beaux fonds « dorés de finor ait des florins de Florence », estampés et gaufrés, ceont les figures traditionnelles du Seigneur, de Notre-Dame et

des saints, vêtues de couleurs vives : bien d'Acre (outremer),bleu d'Allemagne, argent doré; carmin, vermillon, $ert gai; Iine Uaut, en général, chercher dans les peintures catalanes in'perspective aérienne, ni composition savante; elles ign6rent lesmagnificences architecturales de la peinture sur verre française,.les paysages des Flamands, des Français et des Italiens; Ellesgardent quelque chose de la peinture byzantine la figure encouleur se détachant sur un fond doré. Quoique les Catalansn'aient pas ignoré l'art de délayer les couleurs à l'huile, ilsbut employé de préférence la peinture, à la détrempe, plusrebelle sous le pinceau, et moins solide, qui donne à leurstableaux un aspect terne et poussiéreux assezpeu agréable; ilsont cherché à racheter cet inconvénient par l'emploi des fondsd'or et des stucs eu relief peints et dorés, mais ils ne sontjamais parvenus à obtenir le brillant, le fini, le moelleux quepermet l'emploi de la, couleur à l'huile.

Les retables peints semblent avoir constitué une décorationéconomique réservée aux chapelles des grandes églises et . auxéglises des petits endroits. Les autels monumentaux des cathé-drales de Tarragone et de Vich! sont en pierre sculptée,comme ceux de la Seo et du Pitar, à Saragosse. Lés autels debois peint, bien moins onéreux, ont été multi'pliés.à profusionen Catalogue, et offrent presque partout la même dispositionun devant d'autel ou prédelle (bancal), qui a le plus souVentpéri, et une partie haute (retaule), pour laquelle l'artiste réser-vait toutes les ressources de son art. lie bancal est, le plus sou-vent, segmenté en arcatures sous chacune desquelles se dresseun personnage isolé. La pàrtie supérieure présente une sériede panneaux, encadrés dans de légères moulures de bois doré,analogues aux meneaux des fenètres des églises. Le Christ en

t. L'ancienne cathédrale de Lérida avait également un autel majeuren albâtre sculpté dont le Musée de la vi [le conserve 'quelques fragments

LÀ PEINTURE CATALANE PRlC1YE. 9

croix occupe généralement le panneau. centraF supérieur etsert de couronnement à toute la composition encadrée clansune large'rnoulure sculptée et dorée, le guarda-pols. La mono-tonie est le grand écueil de la peinture religieuse; l'art catalann'y a pas échappé,. maisil. est extrêmement intéressant de lesuivre dans ses progrès et de noter au passage les difikentesinfluences qui se sont exercées sur lui, et c'est ce que l'en peutfaire aisément en suivant M. S. y M.

Le plus ancien des peintres catalans étudiés par lui est LouisBorrassâ, déjà révélé au public en 1860. par un article deM. Puiggari paru dans le Musea universal. On suit la tracede Borrasâ depuis 1390 jusqu'en 1424. Qu'il ait été à Avi-gnon, comme le veut M. S. y M., ou qu'il ait connu l'art ita-lien par l'intermédiaire de ses confrères catalans, comme lecroit M. Casellas ', il fut certainement Lut des grands peintresde son temps et sa renommée s'étendit jusqu'en Castille.

On ne conviait jusqu'ici que deux, oeuvres authentiques .etindiscutables de l3orrassâ le Retable de la Pentecôte de l'égliseparoissiale de San Liorens ciels Morunys, identifié par M. San-pere y Miquel, et le Retable de l'Ôglise . Sainte-Glaire de Vich,identifié par Mossén Joseph Gudiol.

Nous n'avons pu voir la Pentecôte de San Llorens dels Motrunys, et l'ouvrage de M. Sanpere n'en donne qu'une repro-duction assez médiocre, le tableau n'ayant pu, pour des raisonstrès curieuses, être photographié à l'air libre'.

'Nous avons pu, au contraire, contempler à loisir, au Musée

4. Veu de Catatuna, 18 sept 1906.'2. M. Sçinpére, désirant prendre une borine photographie du panneau,

avait sollicité et obtenu la-permission du vicaire général de Solsona,'celle du curé de San Liorens, celle du bénéficiaire de la chapelleoù setrouvait le retable en question. Son photographe, M. Adolphe Mas, étaitconnu à San Liorens, avait 'in frère ait de Solsona et entictenaitles meilleures relations avec 1e parti conervateur. Cependant, aumo-ment or il allait procéder â renlévement du panneau, qu'il.devaii P1°togt'aphier clans le cloître de l'église, il reçut contre-ordre, et défenseabsolue de toucher ait Le bénéficiaire de la chapelle appartenaitait libéral et se refusait à rien accorder â un photographe, trop amides conservateurs (t. I, p 158).

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épiscopal de Vieli. le Rejable de la Santa Clara, aujourd'huidémonté, mais d'autant plus aisé à étudier. C'était assurémentune oeuvre fort remarquable. Sa base présente, sous des ar-ceaux polvlobés, dix personnages d'un très beau style traitésavec le plus grand Soin saint Georges, saint Yves, sainte Pétro-nille, saiitê Marie Egyptienne. saint'Restitut. saint Thomas.saillie Deljhine. saint Martial, saint Mathias et saint Paul deNola. Toutes ces figures ont un caractère si individuel qu'ellesont été certainement dessinées sur nature. Saint Georges est ungracieux damoiseau, aux cheveux blonds frisés; saint Yves,dans son vêtement blanc, a la mine fleurie et flue d'un vérita-ble homme do loi; saint Thomas, en costume laïque, s'est coifféd'un chaperon vert, orné d'une agrafe d'orfèvrerie, 'il porte labarbe à double pointe et parait un seigneur égaré en Paradis;saint Martial et saint Paul de Nola, en costume épiscopal, ontles traits énergiques et durs que l'on voit encore à beaucoupde paysans catalans. Toutes les figures sont bien modelées,peintes avec un grand souci de vérité et cl'expresion.• Au-dessus de ce soubassement se dressait le corps même du

retable composé de neuf panneaux formant trois zones super-posées. Au centre'de la plus basse, Notre-Dame de l'Espéranceentre saint Michel et sainte Claire. A gauche, encadrés d'ar-catUt'Os tréflées, saint Pierre Martyr, sainte ,Marthe et saint,Simon; à droite saint ,Tude, 'sainte Perpétue et saint Dorni-nique de Guzrnan. Les panneaux de la seconde zone représen-tent le massacre des Innocents, saint François-d'Assise au•Milieu dès trois ordres franciicains, et le martyre de deuxsaints inconnus. Le centre de la troisième zone-est occupé parla crucifixion; à gauche, un • curieux tableau représente, la.Wgende 'de Jésus et du roi Abqar, à dréite, saint Dominiquesauve des naufrages. Toutes les parties de ce riche et vasteensemble ne sont pas de mèine valeur; mais toutes sont inté-ressantes et il y a d'excellents morceaux. Le groupe des moineset des nonnes qui entourent saint François est tout particulièreinent bien traité. La Cour du roi Abgar nous montre desseigneurs et des dames splendidement vétus, comme .lesjon-

LA PEINTURE . CATALANE PRIMITIVE. li

gleurs représentaient les princes et princesses des romans dechevalerie. La Viege de l'Espérance s une jolie expressionde joie et de confiance; saint Michel s'arme d'un bouclierronge orné d'un rais d'escarboucle et enfonce sa lance avec tropde tranquillité dans la gueule du démon; mais sainte Claire,en costume d'abbesse, promène au milieu de toutes ces figu-res gothiques sa charmante majesté, et celle-là est biend'aplomb et bien vivante, noble sus afféterie, candide sans grimaces, si supérieure à tout le reste, qu'on la croirait presqued'une autre main.

M. S. énumère encore beaucoup d'autres Borrassh, mais ilparait plus prudent, jusqu'à nouvel ordre, de ne pas attribuerIl peintre la paternité de toutes ces œuvres sans état civil.

La Pentecôte du retable du Saint-Esprit à Cardona (t.. I,p. 124 bis) est certainement d'un dessin plus barbare que celledu Musée de Vich. La Vierge assise reçoit le Saint-Espritfiguré par une colombe; les apôtre, sur dedx rangs: six dechaque côté, de taille beaucoup plus petite que la Vierge, sonttouchés par douze rayons partis de la colombe; saint Pierreseul marque un peu d'étonnement; in Vierge, sans relief etsans exprssion, esquisse un geste d'adoration.

Avec la Sainte Ursule de l'église de C'ardona (t. I, p. 132 bis)nous touchons presque à la grtce. Debout, tenant d'une ininParc et la flèche, instruments de son supplice, et de l'autre lapalme du martyre, sainte Ursule est vêtue d'une ample robe dehroart d'or; une pèlerine bleu turquoise couvre sa poitrine;1 3 col, légèrement ouvert, laisse voit' un riche collier d'orfè-vrerie, et , la douce figure de la martyre, encadrée do cheveuxblonds, sourit imperceptiblement sous le diadème des élus. Cen'est point encore un cher-d'oeuvre, mais pour peindre sa sainteUrsule, le peintre a regardé une femme vivante, et il y a dansson oeuvre comme un premier frémissement de vie. Un poilde modelé et ce serait presque joli.

La basilique de Manresa, Une des grandes églises gothiquesde Catalogne, possède un magnifique retable, irès bien con-servé, qui donne uhe vraie note d'art au milieu des affreux

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autels de style rocaille qui encombrent (otites les autres cha-pelles; tous ces autels seraient à 'brûler. Le retable du Saint- -Esprit, encadré dans l'or de son guarda-pols, attire et retientle regard par la variété des scènes, l'éclat du coloris et labeauté des fonds d'or ciselés. Il ne présente pas moins de vingt-trois tableaux, superposés encinq zones horizontales; chaquezone est divisée à soit en cinq segments par de longues-bandes dorées, qui portent chacune sept petits personnagespeints en couleurs vives. Tous les morceaux, ne sont pas- de -mérite égal, mais il y en a d'excellents. Nous aimons surtoutles deux évêques de la zone inférieure, bien modelés et bienvivants. Le tableau principal représente' encorela Viergeentourée des apôtres recevant le Saint-Esprit. La dispositiongénérale est la même que celle des retables de Vich et de Car-dona, mais l'expression de la Vierge est plus douce et mil-lettre. Le morceau. le plus remarquable serait, à notre avis, lecouronnement de la Vierge. Jésus et sa Mère, 'dans la gloiredes cieux, sont assis sur un grand siège d'or. Le Christ estvêtu d'une chape de pourpre à large orcroi d'or, et couronne samère, qui se penche vers lui, d'un 'geste très gracieux, pourrecevoir la couronne. M. Casellas attribue ce beau retable aupeintre En Serra. -

La Vierge de gloire de San Cugat del Valles (t. I. p. 154 qua-ter) marque un nouvel eflort vers la beauté. Assise de façonassez naturelle sur une sorte de trône, - la 'Vierge abaisse unregard bénin vers un microscopique donateur agenouillé à sespieds, , tandis que six anges, superposés trois -par trois de chaquécôté du trône, jouent Øe la régale, de la flûte, du psaitérioh, dela harpe, dela mandore et du luth. Le- visage de la Vierge,encore tin peu plat-, est déjà beau. L'enfant a de l'&pression;la peinture a-été malheureusement si retouchée qu'on ne -peutse faire une juste idée de son éclat primitif. La Vierge étaitvêtue de brocart d'or et se montre àujourd'hui en manteau bleuà revers noirs, orné de fleurettes symétriques (lui ne semblentmême pas brodées sur le vêtement.

La Pentecôte de l'église Sainte-Anne de Barcelone (t. - J,

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. 13p. 160 bis) reproduit la scène déjà.figurée à Vich et à Manresa,mais les figures commencent à prendre quelque relief; l'un desapôtres est même si bien modelé que l'on pourrait croire àquelque retoudhe.,

A la même école du quinzième siècle commençant appar-tient le beau Retable de saint Jear-Baptiste, récemment acquispar le Musée des arts décoratifs de Paris (t. I, P. 160 ter). Lafigure de saint Jean, malheureusement trop prognathe, est d'unbeau style et d'une grande énergie. Elle évoque bien l'ascètemangeur de sauterelles, brillé par l'enthousiasme prophétique(p. 170 bis). -

Le festin d']i&rode ( p. 168 bis). appartenantBu 11ième retable,nous présente une scène vraiment dramatique et bien rendue.L'HérDdiade, en costume de grande clame exotique, est d'uneP i ttoresque originalité, et le tronc décapité de saint Jean ajouteà la scène une note d'horreur tout à fait caractéristique.

M. Sanpere y Miquel a retrouvé la trace d'un esclave de•Borrassà, nommé Lluch, peintre comme son maître, et. luiattrilue quantité de Saitits Martyrs, de Pentecôtes et de Décol-lations. M. Elias Torino considère ces attributiQns comme trèsaventurées'; ce qui est certain, c'est qu'à côté des maîtres de lapremière heure il y eut des disciples beaucoup moins bien doués,dont les oeuvres sont, pour ainsi dire, la caricature de cellesdes maîtres 2 . On les voit s'inspirer de la Sainte Ursule (t. Il,p. 232 bis), copier le type de la Vierge orante (t. II, P 232 ter),coucher aussi sur une fenêtre basse le cadavre de saint Jean(t. II, p. 232 quater), pousser jusqu'au grotesque l'énergiquefigurede saint Jean (t. Il, p. 239bis),modeferun Sairttaeorqessur le Saint Michel du retable de Sainte-Claire (t. Il, p. 240 bis),et rester toujours inférieurs aux maîtres pour la netteté dudessin et la noblesse des figures. S'il leur arrive par hasard detoucher à la gràde, c'est en copiant servilement leurs modèles; -

1. Lectura, t. V, pp. 2ffl-281.2. Quelques critiques, frappés parce fait, ontcru à l'existence de deux

écoles catalanes :,une école rurale et une école barcelonaise; en réalité,il y a eu des maîtres et de mauvais peintres.

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sitôt qu'ils tentent e s'émanciper, ils retombent dans la vulga-rité et la laideur.

BenetMartorelI (t en 1453 ou 1454), déjà étudié eu 1880 parPuiggari, accompagna Alphonse V dans son premier voyage àNaples (1420-1423) et visita Florence. M. S. constate dans sonoeuvre l'influence de l'italie, et s'est fort aidé des travaux dePuiggari pour déepuvrir et identifier ses peintures. L'undes morceaux les plus remarquables est un retable deSaint-Marc, conservé aujourdhui aux archives de la basiliquede Manresa, et qui rappelle trait pour trait'le retable de Saint-Marc, commandé à Martoreil en 1437 par les cordonniers de

• Barcelone pour la chapelle de leur corporation, à la cathédrale.Le panneau central représente saint Marc imposant la mitref saint .Aignan, cordonnier.. Le groupe des deux prélats (t. I,

p. 129 bis) est d'uh grand style et d'une réelle noblesse. SaintMarc, debout, mitré et nimbé, assure la mitre sur le frontnimbé, de saint Aignan, agenouillé e t appuyé sur sa crosse.Les, deux saints sont représentés de trois quarts; leurs visagessont bien dessinés et mieux modelés que ceux de Borrassà.Tous tes détails sont traités avec soin, sans avoir « le léchéfatigant des Flamands ». L'impression d'ensemble est grave et

belleM. S. attribue à Martorell le beau retable de la Transfigu-

ration, que l'on voit encore dans la salle capitulaire de lacathédrale de Barcelone. La scène principale est d'un effet unpeu bizarre, mais deux panneaux méritent une mention, touteparticulière. 'La Multiplication des pains (I, p. 202 bis) met enscène cinquante personnages, causant et mangeant, et donnel'impression d'une véritable foule, au milieu de laquelle circu-lent les disciples, distribuant les vivres. La perspective estobservée; pins on regarde cet intéressant tableau, plus on levoit prendre de relief M de vie. Le Jésus s'entretenant avec sesdisciples (I, p. 204 bis) peint à merveille la douce simplicité

• de la parole du Maître et l'extase (les saints auditeurs. Le Christsurtout, dans sa robe de gloire, avec ses belles mains fines, ses

•longs cheveux, son grand front, son regard ihélancolique et

L& PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. 15pénétrant, enchante comme une vision. Nous verrions danscette page le chef-d'oeuvre de Martoreil.

Parmi les autres peintures que M. S. attribue à l'artiste,nous ne trouvons plus guère h mentionner qu'un Saint Geor-ges terrassant le dragon (I, p. 194 bis) qui serait vraimenttrès beau si l'artiste avait su mieux proportionner le cheval etle cavalier. Mais saint Georges est trop grand pour sa mon-ture, et quoique le coursier se cabre devant le dragon salisparaître écrasé sous le poids de ce paladin, saint Gerges sem-ble combattre, monté sur un cheval de bois. Le mouvementdu guerrier est d'ailleurs juste et fer et les plis flottants de lacotte d'armes donnent à la ligure un aspect pittoresque ethardi des/plus brillants.

Avec Luis Daimau, .nous nou trouvons en présénce d'unpeintre catalan netteihent influencé par l'art flamand. M. S.croit que cet art lui fut révélé liard , es tapisseries. M. Luis Tra-moyeres Blasco a prouvé que Uaiméu fut envoyé en Flandre en1431 et y resta jus4u'en 1440. A son retour, vers 4443, fi s'éta-blit.à Barcelone et y vécut jusqu'en 1460, époque à laquelle onperd ses traces. Ou a de lui une oeuvre d'une indiscutableauthenticité le Retable des conseillers, peint en 1443 pour lachapelle de l'Hôtel -dè-Ville de Barcelone' (t. I, p. 240 bIs). Sousles voûtes d'une chapelle gothique, Marie est assise en unevaste chaire sculptée, dont les pinacles touchent la voûte dela nef. La tête hue et les cheveux ondés, elle est vêtue d'unerobe et d'une ample cape bordée de riches orfrois, et ratta-chée sur la poitrine par un fermail de pierreries. L'enfant,assis sur son genou gauche, 'étire et sourit joyeusement.Accoudées aux fenêtres ouvertes, des vierges chantent. Pré-sentés par sainte Eulalie, patronne de Barcelone, et par saint

nclré, les, cinq conseillers de la cité, en costume officie!,apportent à la Vierge les hommages de leur ville et de leurpeuple. A droite sont peints Mosséu Johan LIuli, conseiller enchef; Mossén Francesch Lobet, Mossén Johan de Jdnyent;

1. Il est aujourd'hui au Musée de Barcelone.

16 REVUE DES PYRÉNÊE5,

à gauche, Mossén Ramon Ça Vali et Mossén n'Athoni deVilatotta.

A la Flandre appartiennent dans cette peinture la Viergesereine, à. la beauté fraiche et pleinement épanouie, les chan-teuses presque certainement inspitées du retable de Jean VanEyck à Saint-Bavon de Gand', les paysages qui profitent der-rière les choristes les mille flèches bleues des forteresses duNord. k l'école catalane se rattachent sainte Eulalie et saintAndré, l'une un peu gauche, l'autre tout pareil aux apôtres deMartorell, et les cinq conseiller, effigies vivantes et Parlan-tes, qui constituent le morceau capital de cette oeuvre sicurieuse. A Dalmau appartiennent aussi le style étrange etpresque « troubadour. » de la chapelle, les mains maladroitesde la YiergeeÇde saint AnØré, le défaut, de perspective quigrandit les conseillers les plus éloignés du spectateur et rape-tisse les plus rapprochés. Dalmau s'inspire de Van Eyck, c'estexact, mais il s'en inspire en disciple plus enthousiaste qu'ex-périmenté, et l'on comprend que son oeu'vre, si honorablequ'elle soit, n'ait pas fait école dans un pays « où la nouveautéest redoutée à l'égal de.la mort».

Nous ne dirons rien des peintures exécutées pour l'égliseSainte-Marie-de-la-Mer, que M. S. attribue assez gratuitementà Domingo Sans (t. I, pp. 270 bis et 276 bis). Elle ne nous pa-raissSt révéler qu'une main barbare. Nous préférons arrivertout de suite à l'oeuvre délicate et vraiment magistrale qu'estle Retable des saintes Glaire et Catherine, oeuvre authentique'do Juan Cabrera, exécutée pour la salle capitulaire de Barce-.lone. Rien de plus gracieux que le groupe des deux saintes(t. 1, pp. 296 bis et 298 bis). Sainte Glaire surtout, réédition

adoucie de la Sainte Claire de Borrassâ (t. 1. p. 148), touteimbibée de douceur et de mélancolie, charmante pleureuse,dont la compassion candide se penche snr les péchés du monde,si coupable, si pervers, mais si malheureux! Deux figuresaccessoires d'évêques Saint Liboire et Saint Louis de Tu-

1. Le panneau est depuis 1816 au Musée de Berlin:

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. 17lousé (t. I, p. 301), sont aussi d'un beau style; quant auxscènes de la vie de"sainte Claire et de sainte Catherine, ellesatteignent à grand'peine le médiocre. -

Un peu meilleur serait, à notre estime, le Saint Martin,d'Aiitoiii6 de Llouye cl Saboyano, conservé, au Musée de Bar-celone (t. I, p 212 bis), et curieux surtout pour sa techniquetout italienne. Le peintre n'ombre pas. avec du noir, mais seu-lement en fonçant la teinte employée pour les clairs; la pein-ture en prend un ton lumineux d'une grâce extrême, quand leprocédé est manié par un maitre. . I

Avec le Retable, de San Abdon et de San Senen, de JaimeHuguet, nous nous retrouvons en présence d'une oeuvre vrai-ment intéressante et originale. L'artiste était plutôt un obser-vateur qu'un imaginatif. C'est dans le portrait, dans ]e petitdétail pris, sur le vif, qu'il excelle; quand il s'abandonne àla fantaisie, on pe tarde lias à s'apercevoir qu'il a les ailestrop courtes et le savoir incertain. Il s'est attaché à suivreles deux saints à travers leur dramatique histoire, et les' atoujours peints d'après les mêmes modèles, chacun &euxayant son individualité propre et bien reconnaissable. II ena [ait deux cavallers catalans du milieu du quinzième siè-cle, portant le jacquet à larges manches et la toque ou lechapeau (t. Il, p. 24 bis). Il habille de même l'empereurDeôius d'une houppelande debrocart. comme en devait porterAlphonse V d'Aragon (p. 26); il' donne au 'bourreau le cos-tume d'un homme du peuple, comme il en passait chaque jourdevant sa porte. Tout ce qu'il peut voir, il le dessine cor-rectement et le peint avec' un sefis très juste du réel; maisquand il veut peindre des lions ou. des ours (t. 11, p. 26 bis),comme il n'en a jamais vu, il ne réussit qu'à nous présenterdes monstres informes, exempts de toute férocité. Il connaitdéjà l'art de donner aux figures une physionomie expressive etprofonde. Les Saints en prière, dans la fosse aux lions sontpleins de ferveui et presque ravis en extase. Dans la scène dumartyre, les soldats de la garde considèrent le supplice avecla curiosité, un peu blasée, que donne l'habitude; l'empereur,

2-

18 REVUE DES PYRÉNES;

indifférent, cause avec un de ses conseillers; lin sénateur 50

penche sur l'épaule d'un de ses collègues pour voir la conte-nance des martyrs, et l'expression attristée de son visage in-dique qu'il n'est pas loin de compatir a leur sort. Toutes cesscènés, rendues avec vie et avec force, sont très supérieurescertainement aux quatre panneaux du ill7art'yre de saintGeorges (t. Il, pp. 274 et suiv.) que possède le Louvre et queM. S. attribue assez arbitrairement à Jaune Huguet.

S'il a été jusqu'ici relativement facile dé suivre M. S. à tra-vers 5M exposition, si touffue et si capricièuse, la tache de-vient maintenant presque impossible, tant l'auteur multiplie lesparenthèses et les dissertations parasites. On perd de vue àchaque instant la peinture catalane, et l'on a grand'peine à nepas s'égarer sur les pas d'un guide aussi fougueux, dont lacuriosité S toujours en éveil ne sait s'arrêter nulle part.-

A la fin du quinzième siècle, toute une famille d'artistescatalans, les Verges, s'adonnent à la peinture et forment unedynastie artistique dont on suit les traces depuis 1434 jusqu'en1503. Jaitne Verges est porte étendard de Barcelone (banda-ter Clé la ciutat) et peintre de la ville depuis 1450. Son filsJaime Il remplit les mêmeà fonctions dès 1446, ses petits-fils Pan et Rafel continuent les traditions de la famille jus-qu'au seuil du seizième siècle. Les pièces d'archives mention--

- nent encore Uni FrauceschVergos, que M: S. n'hésite pas a rat-tacher à la famille précédente « parce qu'il s'appelle Vergeset qu'il est peintre ». M. S: a étudié un grand nombre d'oeu -

• vres des Verges et a cherché à faire la part de chacun d'euxdans le trésor commun; mais sa critique, parfois.ingénieuse, estsouvent par trop conjecturale et ses conclusions ne sont pas tou-jours inattaquables. Le point important d'ailleurs n'est pas quetel ou tel panneau doive être attribué à Jaime I ou à Jaime II,à Pau ou à Rafel, mais qu'une oeuvre considérable, variée,toujours en progrès, soit sortie de leurs mains.

• Le premier ouvrage où M. S. reconnaisse la main des Vér-gos est Je Reable du Connétable, exécuté en 1464 pour Jeconnétable D. Pedro de Portugal, chefde l'insurrection catalane

LA PEINTUhE CATALANE PRIMITIVE. 19-dirigée contre Jean II, roi d'Aragon, à la mort du princeD. Carlos de Viana 1 . Le morceau capital de cette composi-tion est une Adoration des mages où abondent ks détails inté-ressants (L II, pp. 58 bis et 60 bis). La Vierge, un peu effacée,est une vraie pg, grave et modeste. Nous ne dironsrien de PonÇant, comme toujours beaucoup trop grand pour sonâge. Le groupe des roisest bien étudié et présenté avec goût.L'un d'eux, le plus âgé, s'est prosterné aux pieds de l'enfantet le caresse de la main et du regard; les deux autres, debout,dans leur longue houppelande de brocart à ramages, sont (rai-tés avec toute la préciosité familière aux vieux maîtres. Maisderrière la Vierge se dresse un Saint-Joseph étonnant de natu-rel et de vie; ce bon petit vieux, au crâne chauve, aux yeux,honnêtes et indulgents, au fin sourire, est merveilleusementplaisant et bien supérieur au Gaspai et au Balthazar frisés etmusqués qui li1i font vis-à-vis.

Parmi les figures accessoires du retable mérite une mentionspéciale une Sainte Elisabeth (t. Il, p. 39), dônt le doux visagerappelle la Sainte Claire de Jean Cabrera.

Le Retable de la Confrérie des revendeurs de Barcelone nousprésente une charmante madone entourée dé quatre vierges(t. H, p. 142 ter) que M. S. veut apparenter à la Vierqe degloire .de Valimol], conservée aujourd'hui dans la collection -de M tm° Rius y Badia (t. II, p. 56 bis); mais quel que soit lecharme des deux oeuvres, il nous paraît . difficile quelles soientde la même main. • La Vierge Rius fait penser invinciblementaux oeuvres de Fécole flamande. 'Les anges chanteurs qui l'ac-compagnent sont, quoi qu'en dise M. S., les frères légitimes deschanteuses de Saint-Ba you. La chaire de la Vierge est d'unstyle flamboyant extrêmement pur, bien autrement étudié quela chapelle de Dalniau dans le retable des conseillers. S'il estvrai que le type de la Vierge ne soit point flamand, est-ce biefidu côté de la Catalogne qu'il faudrait chercher le peintre de

t. Ce beau retable est toujours à la chapelle do SalltaAgueda, conver-tie,en Musée archéologique.

20 REVUE flEs PYRÉNÉES.

cette fine et presque mutine figure? Nous reprocherons un pou.à M. S. de voir des Catalans partout; nous ne voudrions pasqu'il nous reprochât de n'en voir nulle part. Nous nous bornonsà signaler le caractère tout à [bit exceptionnel de la VièrgeRius. qui tranche complètement sur lé fond assez uniforme dela peinture catalane.

Le Retable de San Vicente de Sarria (t. Il, pp. 144 et sui-vantes), oeuvre de Huguet, de Jaimne Vei-gos li et de Pan Ver-gos, raconte en stylé religieux ou héroïque les scènes pieusesou tragiques de la vie du saint. L'ordination de saint Vincentest d'un sentiment très juste et très profond. Les chantres, ran-gés autour du lutrin, contrastent par le réalisme voulu et lavulgarité accusée de leurs physionoinis avec la piété de l'ordi-nand et la gravité paternelle de l'évêque consécrateur. Tes scè-nes du martyre et de la mort de saint Vincent nous remettent

• en présence des empereurs à haut chaperon, des guerriers ita-lien, des bourreaux sournois que nous connaissons déjà. La

• plus belle de ces pages serait, à notre avis; la Mort de saintVincent. Le martyr, couché nu sur un lit de' parade, est d'unmodelé précis et savant; la souffrance a creusé ses joues, lamort a clos ses yeux. mais sur ses lèvres erre le sourire del'extase, et les assistants, saisis de cornpasion ou de remords,contemplent le juste tombe glorieusement pour sa foi.

Lelletable de saint Antoine, abbé, à Barcelone(t. IJ, pp. 150et suivantes) est d'un travail plus égal et d'un style plus sou-tenu que le précédent. Nous retrouvons dans l'Invention ducorps de saint Antoine l'évêque et les chantres du retablede saint Vincent. mais mieux modelés, plus poussés, plus vi-vants encore. Sint Antoine conirnuniquGnt son pouvoird'eiorciste nous offre une scène conçue avec la plus noble sim-plicité et des personnages d'une irréprochable correction. C'est

•peut-être le che! td'oeuvre de dessin de toute l'école catalane•Rien de plus grand ni de plus majestueux que le Saint An-

- - tome, assis dans Sa chaire abbatiale, le livre ouvert sur les

1. Au Musée de Barcelone..

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE.21genoux et la crosse à'la main, installé dans sa foi et dans sonautorité avec une solidité qu'on devine inébranlable.

Le Retable de la Confrérie des corroyeurs de Barcelone ren-ferme un morceau de premier ordre : le Couronnement desaint Augustin (t. II, p. 158 bis). L'artiste a fait resplendir lesvisages ascétiques des évêques dans l'éclat des mitres gemmées,des orfrois à compartiments de broderies, des chapes somp-tueuses rehaussées d'or. Nous avons là tout le décor catholique,et aussi l'âme profonde . qui le vivifie et le diÀtingue à toujoursdes pompes mondaines et profanes.

Plus étonnants, mais non moins beaux, sont les prophètes duRetable de Granollers (t. II, PP. 171,172 bis, 172 ter) que M. S.rapproche avec raison des sculptures de Claus S]utei'.au puitsde la Chartreuse de Dijon. Ce sont d'étranges figures, de stylegermanique, très probablement entrevues sur une tapisserie,mais d'un effet décoratif incomparable et unique en leur genreen toute l'oeuvre des Verges.

A côté de ces grands artistes, qui représentent l'antique tra-dition nationale, M. une place à deux peintres an-dalous, dont il fait des Catalans d'adoption.

A maltre Alfonso apprtie'nt le Martyre de San Cugat (t. II.p. 74 bis) acquis par le Musée de Barcelone.' Dans un paysaged'un dessin très correct, le peintre a placé la scène du mai'-tyre

'Un bourreau",féroce égorge San Cuat extasié, mais der-

rière les deux personnages du draine se dressent trois figures,prises, sur le vif, et qui sont trois chefs-d'oeuvre d'observationet de vérité. L'une d'elles représente peut-être le peintre lui-nème, et pas un Catalan n'a su mettre dans une figure humaineune pareille intensité d'intelligence et de vouloir. La vie flambedans ces yeux, et ce nez avisé, 'cette bouche sensuelle nous di-sent que maître Alfonso trouvait la . vie bonne et digne cl'étrevécue.

Bartolomé Bermejo et l'auteur incontesté d'une très belle.p ieta conservée aujourd'hui à la salle capitulaire de la cathé-drale de Barcelone (t. 11, pp. 120 bis et 122 bis). La Vierge offretrès nettement le type andalous 1 figure ronde et .plei.ne. nez

22 REVUE »ES PY11NÉES.

droit, menton court; elle ales traits convulsés par une douteurpoignante et passionnée; les yeux sont bôufds par les larmes,la bouche s'entr'ouvre pour laisser passer les plaintes et lessanglots; c'est la douleur sans frein d'une méridionale, quipleure en déluge, qui se . lamente avec frénésie. A droitede ]aVierge, un saint Jérôme, un peu trop indifférent, lit, sans

• s'émouvoir, les bésicles sur le nez, tandis qu'à gauche le cha-noine donateur Louis Despla s'associe respectueusement à lapeine de la Mater doorosa, Le chanoine a le visage dur et lesyeux peu intelligents. mais la physionomie très personnelle ne

•permet pas de doutei qu'on soit en face d'un portrait (t. 11.P. 122 ter).

M. S. a attribué à Bermejo une peinture qui s exercé pen-dant longtemps la sagacité des critiques d'art, le Saint Michel

r Je la collection Warnher à Londres (t. Il, p. 98). Ce tableau,d'un style très noble et- très élégant, et d'une très belle conser-vation, provient de l'église de Tous, dans le royaume de Va-lence, et est signé Bartoloozeus R-ubeus.

L'archange, armé de toutes pièces, et les épaules couvertes•d'un riche manteau qui flotte ai vent, présente au démon une

•targe de cristatt brandit de la main droite un glaive d'acier• poli. Rien n'égale la recherche avec laquelle est traitée chaque

partie du costume. L'armure est damasquinée d'or et ornée depierreries; on compterait les mailles du haubergeon; le man-teau de brocart à ramages se brise en mille plis cassants de soiefroissée; sur la bordure, deux perles alternent avec des rosaces'de broderie; sur la tête de. L'archange, aux traits féminins, sedresse une haute aigrette en forme do croix; d'irnperceptibles

• rayons d'or nimbent gracieusement le front de l'invincible, et,à ses pieds, un donateur à genoux, coiffé du haut bonnet defeutre, si à la mode en Espagne vers 1460', rappelle tout à faitles chantres de l'Ordination de saint Vincent. Les déux figu-

•J. Cf. le portrait de D. Carlos de Viana, primagênit d'Aragon, dans les•Carias de D. Fernando de Bollea. b' Gatioz. Bibi. pal. de Madrid. Mas.

Reservado 6' 10

Li PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. -

res se détachent sur un rond d'or gravé. L'oeuvre est très com-plexe et présente des caractères presque contradictoires. Uncritique anglais, M. Copk, attribua tout d'abord le Sain! Michel'

un peintre du midi'de la France et traduisit la signaturêBartotomeus Rubeus p' Barthélemy Roux. M. Casellas déclara;ait que Rubens ne Pouvait être traduit que par Ber-Inejo et revendiqua hautement le chef-d'œuvre pour le peintrede Cordoue naturalisé en Catalogne'. Un autre critique espa-gnol, M. Elfas Tormo, lit remarquer les similitudes de Vêtementqui existent entre le Saint Michel de Rubeus et le Saint Mi-chel de Juan Nulles, cohservéà la cathédrale: de Séville, et con-dut aux origines sévillanes de Rubens.. 1] pensait que Rubensavait dû être, comme Juan Nufiez lui-môme, l'élève du patriar-che de l'Ecble andalouse, Juan Sanchez de Castro e propgateuren Andalousie du style flamand 1 . il ne croyait pas à l'identiflcation proposée par M. Casellas. M. S. n'hésita pas, dans lecorps de son ouvrage. :à identifier. Rubcus et Bermejo (t. II,

p. 98) 5 mais, pris de scrupules (Eclaircissements, L' II, p. 270et suiv.), il se borin à avancer que Rubeus Pourrait bien êtrein Valehcien ou un Cordouan établi en Catalogue.

t. La Veu de Ca.lalunya iJnn tailla d'un pintor d'aqui, atrihuicla a]art francés,. 3 août 1905.

2. Leetui-a. Miscelanea de' nuestros pintores del sigle XV., t. II, p. 519.- Il serait fort intéressant de suivre l'évolution du type de saint 'Micheldans l'art catalan. Le chef de la milice céleste est représenté maintes loispar les peintres du quinzième siècle et toujours de la même îaço : serein,si)r de lui-même, enferrant Je démon, i'ùj'aia débile et hideuse, avecl'impassible visage d'un vainquebr indifférent à sa top facile victoire,l'art diffère tic peintre à peintre, le sentiment est toujours le môme (Saint -Michel de l3orrassà ait de Vich; Suint Miche! sur 'in retable (luquinzième siècle au Musée d4 Barcelone; Saine Michel pesani les k,nes,au Musée de Barcelone). Mais le goût de la richesse se développe sans-cesse ail cours du quiuzième siècle et s'accentue de tableau en thbleau.Le Saint Michei exposé à Saragosse (Palais des ]3ea',x-A.rts, Jer étage,salle IV, n° 2.6) rappelle déjà le Saint Miche! de J3erincjo par la formede ses ailes en croissant, le ihantean de pourpre et le soin extrên,e desdélrtils. Le Saiii.t Miche! du Musée de Lérida (Retable de la Paherja deiJé.ricla) en caL peut-étk-e plus prés encore avec son manteau d'or à orfroisperlés. il lui ressemble certainement beaucoup plus que le Saint Miche!de Juan 4niz.

REVUE DES PYRÉNÉES.

La question n'avançait pas quand M- Bertaux, professeur àl'Université de Lyon, vint la reprendreavec son excellente mé-thode et sa consciencieuse étude des originaux. Il se rangea àla théorie la plus aventurée, il identifia Rubefls et Bermejo,' ilattribua, au même pinceau le Saint Michel flamand de Tous etla Pieta italianisée de Barcelone'.

M. Tormo ne se tenait cependant pas encore pour convaincu.11 admettait sans difficulté que Rubens était Espagnol commeBermejo, illes faisait Andalous tous les deux, ilacceptàit mêmequ'ils fussent , parents, il se refusait à n'en faire qu'un seul etmême artiste'. Nous avouerons qu'il nous paraissait bien dif-ficile d'attribuer à la même main l'élégant archange de Tous etla Pieta si réaliste de Barcelone; une découverte récente vientde trancher la question; on a la preuve d'un séjour fait enItalie par Bermejo.- -

Si le Saint Michel Warnher appartient à Bermejo; il esttrès permis de rapprocher de lui la Santa En,qracia de lacollection Gardner de Boston (t. Il, p. 102 bis). Ce tableau, destyle très bizarre, représente la sainte patronne de Saragosse,assise sur une chaire d'ébène incrustée d'ivoire. Elle est vêtued'une robe de brocart cramoisi et or, garnie d'hermine, et d'unmanteau de velours bleu. Elle porte sur une coiffure très com-pliquée une couronne très haute et très ornée; elle tient dansune main un énorme clou et dans l'autre une palme. La pein-ture est d'un travail extrêmement précieux : l'artiste s'estcomplu à représenter les broderies d'or et de perles, le collier,le tressoir, le diadème et ses gemmes. Le style général rap-pelle le style allemand par l'exagération forcenée du manié:ristne, la grâce barbare de l'ajustement. Exposée à New-Yorken 1900, comme une oeuvre de l'école flamande primitive, uncritique allemand, le docteur Friedlnder, la data de 1480 el'attribua à l'école espagnole; un critique anglais, M. Weale,

1. On trouvera la très intéressante argumentation de M..Bertaux dansla, Revue de -'art ancien et ,noderne, no 117, 10 déc. 1906.

2. Cultura espaota, n° 5, Çdbrero rie 1907, p. 272.

LA PEIrJTURE CATALANE PRIMITIVE. 25en recula la . date jusqu'aux premières années du seizième siè-cle et en fit honneur, à un des peintres allemands établis àcette époque à Saragosse. M. Bertaux y voit « un tableau ara-gonais. à rapprocher par le costume et par le type du superbeSaint Dominique de Silos provenant de Daroca et conservé auMusée archéologique de Madrid ». M. S. le tient pour uneoeuvre de Bermejo et M. Tormo n'est pas loin de partager cetteopinion.-• M. Sanpere et M. Casellas s'accordent - et le fait est ànoter - à reconnaître un Bermjo dans la Sainte-Face dumusée diocésain de Vich (t. II, p. 104 bis) cUan caractèresi énergique, d'une facture si détaillée qu'elle fait pensér toutd'abord à Durer. Mais, non content de donner à Bermejo laSainte-Face de Vich, qui peut lui appartenir légitimement,M. S. lui donne encore la Sainte-Face de la collection Boschy Barrau à Madrid, (t. il, -p. 106). qùi ne présente plus que desressemblances bien contestables avec tes oeuvres connues dumaître, et il lui attribue aussi la Sainte-Face trouvée parS.Richard Holmes dans la chambre de Théodoros, roi d'Abys-sinie, lors de la prise de Magdala par les troupes anglaises en1868; M il faut avouer qu'il n'y a cette fois aucune raison d'yvoir une oeuvre de Bermejo (t. 'l'_p. 108 bis).

Entraîné par-son patriotisme catalan, M. S. veut conquérirà Dalrnau un tableau récemment acquis par le Musée duLouvre et représentant la Vierge imposant la chasuble 4saint Ildefonse (t. J. p. 246 bis). La Vierge, de type flamand,est assise sur un trône gothique, d'assez médiocre architecture,et accompagnée, à dextre, d'un groupe d'anges. à senestred'un groupe de saintes. Saint Jldefolise; déjà revêtu d'unesplendide dalmatique, va recevoir la chasuble des mains de laVierge; saint Antoine, abbé, assiste au miracle et joint lesmains avec admiration. Ce qui frappe peut-être le plus dans cetableau, c'est l'extrême recherche apportée par le peintre à lareprésentation des plis des étoffes, préoccupation tout à faitétrangère à l'art catalan. L'idée de chiffonner une étoffe pré-cieuse ne vient pas à ces simples; ils la peignent presque sans

L

26 REVUE DES PYRÉNÉES.

plis, pour que l'oeil rie perde rien du dessin. La chasuble desaint ildefonse est froissée comme à plaisir et son aspect eûtfait frémir un sacristain catalan. Est-ce à dire que tout soitflamand dans ce tableau? Non pas les anges et les saintes ontune physoiiomie plus noble et plus fine, les yeux plus grands,le nez plus mince que n'ont «ordinaire les Flamands. On netrouve rien chez eux non plusde la timidité presque monas-tique des Français d'alors. Le tableau n'est pas dû à un peintreflamand, il n'est pas non plus de Dalinan, mais il nous donnetin spéc-imeri de la vieille école castillane et rappelle, d'aprèsM. Tortue, la manière de Fernando Gallegos, épris de l'art desVan Eyck '. M. Bertaux croit aussi à l'origine castillane dutableau du Louvre, niais pense que l'école de Castille s'estplutôt inspirée de Rogier Van .der Weyden, que de VanEyck 2.

M. S. aurait donc gagné beaucoup i se contenter des décou-vertes qu'il a faites dans le domaine de l'art catalan, sans cher-cher à empiéter sur les domaines étrangers; mais c'eût ététrop demander à la vivacité de son esprit et à son humeur bel-liqueuse. C'estcontre leè primitifs français qu'il s'est surtoutescrimé. Il est allé jusqu'à prétendre (t. I, p. 67) que Id quin-zième siècle commençant netQilnaissait en France d'autre artque l'art bourguignon flamand « que l'on s'évertue en , vain àappeler français ». Nous croyons, au contraire, à l'existenced'un art français, diflrent de l'art flamand ' -.,et nous pensons

1. Lecttwa. t. II, p. 158. - Elias Tormo : De nuestros pintores delsigle XV.

2. Revue de l'art ancien cl moderne, 10 oct. 1907.3. L'histoire de l'art français coiunence au onzième siècle., et présifle

dès le treizième un éclat merveilleux. Les travaux récents ont restitnÔàla Sculpture française de cette' époque sa véritable place dans l'histoirede l'art européen. M. fleinach la compare à l'art grec de la premièremoitié du cinquième siècle. La France des quatorzième et quinzièmesiècles u eu ds architectes, des tailleurs d'images, des ciseleurs, despeinteerriors, des enlumineurs, des brodeurs, des tapissiers, et s'ilnous reste peu de peintures proprement dites, les documents nous révè-lent l'existence de grands ensembles décoratifs à l'hôtel Saint-Pol, à.Pierrefonds, à Vaudreuil et dans nombre d'églises. Les caprices dela

L& PEINTUIE CATALANS, PRIMITIVE. 27que cet art bourguignon flamand lui-même, appartient par Plusd'un côté à la Franco . comme le prouveront bientôt les étudesentreprises sur les artistes de l'Artois,. du Boulbnnais et dela Flandre française.

Même en admettant que l'on n'ait aucune preuve de l'exis-tence d'une école française de peinture dans la premièremoitié du quinzième siècle, il est impossible de contester l'exis-tence d'une école semblable dans les cinquante dernières annéesdu même siècle. Il y eut alors une école parisienne 2, une école(le Touraine, dont Jean i Fouquet fut le chef glorieux 3 ; il y eutalors une école avignonnaise'. il y eut une école tnéridionle.

mode, plus impérieux chez nous qu'en tout autre pays, les ont fait eugrande partie dispa ralLie; les vestiges que hous en avons conservésattestent un art déjà brillant et ingénieux (peintures des cathédrales deCabors et de Clermont-Feriand, de l'abba ye de la Chaise-Dieu, de lachapelle du palais Jacques-Coeur, parement de Narbonne, dyptique duBargello, etc.), La France n'eût-elle que ses peintres-verriers, on ne.pourrait dire quelle n'a point connu la peinture. Cf. Des Meloiz's,Vitraux de la cathédrale de Bourges postérieurs au treizième siècle.Paris. 1591-97, j»-fo

1. Si l'on doit tegarder comme étrangers à la Franco les artistes derace et de-lângue néeriandaie, on doit, au contraire, regarder commefrançais les artistes delangue française et ne pas oublier que la Bour-gogne, l'Artois et la Flandre étaient des fiefs du royaume do France,que les ducs de Bourgogne étaient princes du sang royal de France, quele français était la langue (le la Cour de Bourgogne et que Paris lui-même fut longtemps bourguignon. Lille *appartint au roi de -Francependant presque tout le • quatorzièrno siècle. Tournai fut français jus-qu'en .1521. Deux critiques allemands, Woltniann et Wœrmann, avouentqu'il y a chez le Tournaisien.ltogier Van der Weyden (Roger de la pas-turc) e beaucoup de sang frnnçais »...

2. Cf. J. Guilîrev, Le Retable du Parlement de Paris au Musée duLouvre (c Les Arts », nov.

3. Cf. Bouchot, Tehan Fouquet. e Gazette des Beaux-Arts», 1890.4. Cf. Georges Lafenestre L'Exposition des primitifs français.

Paris, 1901, in-4°, p. 112.5. M-Clerc, professeur à l'Université d'Aix-Marseille et directeur du

Musée Borély, nous écrit à ce sujet « Je puis vous signaler les (Jeux-primitifs d'Aix antres que Id Buisson, ardent le Saint Mitre de Incathédrale et l'Annonciation de l'église de la Madeleine, ceux (lu musée -d'Avignon, dont on cdunait l'auteur ï Simon (le Châlons, et quelques . -autres dans des collections particulières; chéz le baron Giillihertetchezl'ambassadeur Revoit au -château de Servanes. Tout cela est, à n'en pas

28 REVUE DES PYRÉNÉES.

et les oeuvres qui nous ont été consérvées suffisent à prouverque les peintres de ces écoles savaient, eux aussi, dessiner,composer et'peindre.-

M. S. ne peut le nier, mais cherche ii tirer à lut les meil-leures productions de ces écoles, ou nie carrément leur authen-ticité quand il se trouve ci, face d'un tableau pourvu de sonétat civil complet.

Rien de plus curieux à cet égard que son opinion sur lechef-d'oeuvre de Nicolas Froment, te Buisson ardent de lacathédrale d'Aix; Cette peinture, que la plupart des critiquesconsidèrent comme une oeuvre admirable, est un triptyquedont la partie central représente l'apparition de la Viergedans nu huissôn enflammé, tandis que les volets nous don-nent les portraits du roi René d'Anjou et de sa seconde femme,Jeanne de Lavai, accompagnés chacun d'un groupe de troissaints ou saintes. Certains critiques, frappés de la diffé-rence d'aspect entre les peintures réalistes des volets et l'idéa-lisme radieux du panneau centrai, ont insinué que les voletspouvaient avoir été peints par les élèves de Froment et qu'il•se serait réservé à lui-même le tableau principal. M. S. vabeaucoup plus loin. Pour lui, le Buisson ardent est de deuxépoques. Froment y n travaillé, et les volets lui appartiennent;c'est bien lui qui a peint ce vieillard grassouillet et cette reineétique. mais le panneu central est d'un autre peintre et d'uneautre époque. Le panneau central « n été repeint au seizièmesiècle »! Nous avions en 1900 vu le Buisson ardent Ô l'exposi-tion universelle de Paris, nous avions admiré cette magnifiquepage de couleur, et l'affirmation de M. S. nous trouvait tout àfait incrédule. Nous nous sommes adressés pour trancher le

douter, d'une école locale, née sous t'influence des Flamands. »( Il juin 1907)

t. M. Diniier n'est pas de cet avis. « De pareils morceaux, dit-il, sem-blent n'avoir vu le jour que pour montrer ce que l'imitation de Vau Eyckpouvait engendrer d'exécrable quand nulle étude soigneuse de la nature,quand nul soupçon du clair obscur, quand nulle transparence des cou-leurs, quand nul prestige de ronds lumineux et ,, fuyants n'en rachètentla gotincité » (Les Arts, mars 1905j p. 23).

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. 20,débat à notre collègue d'Aix, M. Clerc, .q ui a eu l'amabilité.d'aller revoir le tableau à notre intention et nous a pleinementrassurés. Le panneau central et les volets sont bien de la même,main; c'est le même procédé, ce sont les mêmes couleurs, lesmêmes rouges surtont, ? ces rouges puissants et profonds quisont une des beautés caractéristiques de ce tabléau. Enfin,!preuve sans réplique, Je panneau central est orné d'une largebordure d'or nue, et cette bordnreesLcle style gothique; elle a•.été peinte après le panikau, pas une bavure de la couleur névient en ronger les bords; elle marque l'oeuvre de Fromentd'un admirable cachet d'authenticité.

Nous nous sommes arrêtés un peu sur cette querelle parcequ'elle donne bien une idée des outrances où se laisse parfoisentrainer M. S. Nous prendrons maintenant les tableaux con-testés qu'il attribue à l'école catalane et nous examinerons sices attributions sont vraiment soutenables.

M. S. revendique pour l'école catalaneLe Saint Siffrein du Séminaire d'Avignon, le Saint Michel

et l'Annonciatin du Musée d'Avignon, la Pieta de Villeneuve-lez-Avignon.- Le Saint Siffrein du séminaire d'Avignon est d'une si belleallure que 2M. Georges Lafenestre serait tout prêt à y voir uneoeuvre de Nicolas Frolnelit. M. S. en ferait une oeuvre catalaneet le rapproche du Saint Liboire de Juan Cabrera (t. lI,pp. 86-87). Les deux saints se ressemblent, 'il est vrai, commepeuvent se ressembler deux évêques: mais s'il y avait à com-parer le Saint SifTrein UA.vignon à quelque évêque peint parun artiste catalan, ce serait plutôt, il nous semble, au SaintLouis de Toulouse, du même Cabrera (t. I, p. 301), car il y aentre les deux figures identité de geste; la ressemblance ne vapas au delà d'une ressemblance générale et ne permet pas denaturaliser catalan sans preuve te Saint Siffrein avignonnais.

Le Saint Michel et l'À unonciation. du Musée d'Avignonsont, nous dit M. Bertaux, « de charmants tableautins proven-çaux». ..I

L'art catalan connalt le type de saint Michel; il le représentes

hEVUE i»is P\!l1ÉN1Es.

toujours debout et impassible, armé de la lance qu'il enfonceavec majesté dans la gueule du d?agon, « i'araa », commeon dit en Catalogue. Le peintre d'Avignon nous donne un saintMichel tout différent. L'archange, revêtu d'une armure à escar-gots, tient à la main gauche une longue croix armée d'unebanderolle et les balances de la divine justice; de la maindroite il brandit le glaive dont il va frapper le Malin, repré-senté sous les traits hideux d'une sorle de griffon, à la foiseffrayant et grotesque, et déjà plus qu'aux trois quarts vaincu,en dépit de ses serres, de ses griffes, de son bec d'aigle, de sescornes et de sa niasse d'armes hérissée de pointes. Comhie le,Sàint Michel de la collection Warnher, l'archange avignonnaisa la physionomie douce et fine d'une femme; comme lui, il se'sert de l'épée et non de la lance; comme lui, il porte agrafé audon un manteau militaire ondoyant an vent; mais quelle diffé-rence d'aspect entre l'irréel. et somptueux guerrier de Bartho-lomeus Rubeus et le cbàrinant jeune chevalier du Musée Calvet!C'est la même donnée, niais simplifiée, dégigée de tout acces-soire- inutile, de tout ornement superflu, ne demandant sabeauté qu'à l'équilibre des figures et à l'élégance souve-raine des lignes. il nous semble impossible d'admettre quedeux oeuvres •aussi dissemblables- soient sorties du nième pin-ceau.

Nous croyons, au contraire, que l'Annonciation peinte au dosdu. saint Midhel est bien du -môme auteur. Dans un calme décorromain fait d'arcs et de pilastes. la Vierge est assise, un livresur les genoux, et volant doucement, à . un pied de terre, unange gracieux et souriant lui chante l'Ave Maria. Tout est làmerveilleusement paisible et intime; tout se passe loin des re-gards profanes entre Marie et le Ciel; sans que la peintureatteigne à la puissanc&d'émotion, au charme inexprimable desoeuvres italiennes analogues, elle en a cependant comme unreflet très pur et très doux. C'est d'un art discret, d'une dis-tinction exquise, dans lequel apparaît toute la mesure qui estcomice la marque de l'art français.

Il en va de même de la -Pieta de Villeneuve-lez-Avignon.

LA PÉINTJJRIj CATALANE PRIMITIVE.

Là encore tout est pondéré et contenu. Autour du cadre court -la phrase sacrée « O vous tous qui passez, regardez et voyezs'il est une douleur comme, ma douleur! » Le Divib est étenduSUT les genoux de sa mre, qui joint les mains avec une rési-gnation si entière, si pro fonde, que, sali C un, pli douloureux dufront, l'expression serait-presque uniquement celle de l'adora-tion. Saint Jean soutient dans une main hI tête du Christ etsemble abîmé dans ses réflexions sur ]l 'malice des hommes;Madeleine, plus faible et plus tendre, essuie des pleurs quicoulent malgré elle. Le donateur agenouillé,, qui prie les mainsjointes, complète l'impPession mélancolique, mais calme etd'autant plus poignan te . ! Il faut tout l'intrépide catalanisme deM. S. pour trouver un raDport j uciconque entre la Mater .dolo.rosa de Villeneuve et ]ettableau barbaFe qu'il nous présentesous le nom d'Adoration du corps de Jésus-Christ, par Ber-nardo Martorell. d'après Benito Màrtorell (t. II. p. 90 bis). Il .asenti lui-même qu'il était cette fois allé trop loin de la simplevraisemblance et a proposé, en dernière analyse, d'attribuer le-jtableau à Bermejo. Mais l'attribution ne peut pas plus se sou-tenir pour.Bermejo que pour Martorell nul rapport possibleentre la Vierge de Villeneuve en sa douleur muette rie grandedame et la Vierge imdalouse de .Bermqjo, toute secouée pil-les sanglots. M. S. nous 'dit que la Fiance ne connait riend'analogue -à la Pieta de Villeneuve; c'est une erreur énorme.La Mater dolorosa est, au èontraire, un sujet très souvent traitépar nos artistes, notamment par nos sculpteurs. '[dut récem-ment encore, on vient dei découvrir à Saint-Pierre-le-Moutier -une superbe Pieta en pirre polychrome de la fin du quin-zième siècle, qui présente avec la Pieta de Villeneuve lesanalogies les plus frappantes par son réalisme modéré; sonélégante et vivante sincérité. La Vierge tient sur ses genouxJe cadavre du Christ; sainte Madeleine et saint Jean l'accom-pagnent. Le Christ est, comme à Villeneuve, d'un art très juteet très savant. La Vierge porte sur son visage une désolationprofonde, mais résignée. La Madeleine, comme à Shlesmes,semble plus près du sourire4e l'extase que des contractions de

32 REVUE DES PYRÉNÉES.

la douleur . Et cette oeuvre, hier encore inconnue, n'est qu'unexemple parmi des centaines d'autres d'un sujet populaireentre tous 2

Nous ne croyons pas que l'on puisse jamais rattacher lesquatre tableaux'préédents à l'école catalane, telle que M. S.nous la présente, et nous pensons qu'il cM mieux fait de leslaisser de côté. Son livre n'en reste pas moins, en dépit de tousses défauts, intéressant et nouveau. Il a révélé aux éruditsl'existence de la vieille école catalane; des recherches plusméthodiques et irne 'critique plus sévère résoudront sans douteles Problèmes qu'il a eu le mérite de poser.

Mossén 'Joseph Gudiol, directeur du Musée de Vich, vientprécisément de. donner, dans une étude toute récente', un exem-ple excellent de bonne méthode et de saine critique. Il est par-venu à reconstituer la carrière artistique d'un peintre navarrais,Jean Gasco, dont il suit les traces à Vich depuis 1502 jusqu'à1529, époquede sa mort. À l'aide des documents d'archives, l'au-teur fait revivre sous nos yeux, un peintre inconnu des débuts duseizième siècle. Attiré à Vicli par l'espoir d'y trouver du tra-vail, protégé par le chanoine Onofre Sait Ga,scd ne putjamais, malgré son grand talent, sortir de la pauvreté. Il tra-vailla beaucoup, puisque M. Gudiol a dressé une liste de qua-rante ouvrages sortis de sa main; mais il ne mena pas tou-jours une vie, très régulière, etil eut de nombreux enfants. Lescommandes abondaient, mais les couleurs, étaient chères et lapeinture une fois exécutée les paiements se faisaient longtempsattendre. Gascé passa sa vie à solliciter des acomptes; quandon le payait, liargent qu'il, touchait ne lui appartenait déjàplus et servait seulement t payer d'àprès créanciers.

Gascô eut cependant une 'science réelle, un grand talent,

1. Musées et monuments de Franco, 1907, deuxième livraison. -Jean Locquin, Pitiés françaises du quinzième siècle.

2- Rien que dans Clermont-Ferrand nous en connaissions deux duquinzième siècle l'une au village d'lierhe,t, dans le mur d'une grange;l'autre en vente chez un antiquaire de la ville.

3, Mossôa Joseph Gudiol, Mestre Jean Ga.scô, contriôucio â l'historiadel art Catalâ- Bai'celona, 1908, in-4 0 xxviii-46 pages.

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. 33

une curiosité sans cessé Cfl éveil et ne cessa de progresser jus-qu'à la fin de sa carrière. Aux quarante ouvrages de Gascéque nous font connaître les documents, M. Gudiol a pu rat-tacher, de la manière la plus probante et la plus certaine,vingt-quatre fragments conservés au M usée de Vich, dans lacollection Ahadal, dans l'église Sant Joan del Gali, dans unemaison particulière de Sant Roma de San; Il croit pouvoirattribûer au même peintre neuf autres morceaux conservés auMusée dé Yich, qui présentent avec les tableaux authentiquesdu maitre les ressemblances de détail les plus caractéristiques.C'est plus qu'il n'en faut pour permettre de considérer Gas6comme un grand artiste. I

Parmi les tableaux de Gascé conservés au Musée de Vich,il e$ est où le peintre s'est entièrement conformé à là mode.catalane, et où les personnages se détachent sur fond d'or gau-fré; mais il est bien peu de maîtres catalans qui aient obtenuJi richesse -et la fraîchehi de coloris atteintes par Gascé. Lesdeux figures de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l'Evan-géiiste sont à cet égard admirables. D'un dessin très correct ettrès élégant, les deux personnages sont drapés dans d'amplesmanteaux dé pourpre et d'azur à orfrois dorés et brodés dépierreries. Saint Jean, coiffé en boucles, à la mode italienne,.tient à la main le calice empoisonned'où s'échappe la guivre;sa tête est d'une sérénité angélique; le Baptiste, plus pâle, plusosseux, à les mains longues et maigres, une flamme dans les

• yeux, et tient à la main un livre sur lequel est couché l'agneaumystique. La nième somptuosité, la même paix majestueuse seretrouvent dans le Saint Jean écrivant' l'Évangile sous la die-

t4e d'un ange, et dans le Saint Jacques assis, dont le, manteaude sinople ombre tonibe en 1 plis moelleux et profonds.

D'autres fois, Gàscé s'est étnandipé de la mode catalane et apeint derrière ses personnages des paysages imaginaires, quirappellent trait pour trait la manière du Pérugin, mêmesarbrisseaux grêles ressemblant à des brins d'herbes folles,même effets d'eaux, mêhies lointains azurés. L'influence ita-lienne se manifeste encore dans les costumes, dans les man-

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ches bouffantes de la Sainté Barbe, dans l'.iriiure du guerrierqui contemple saint Vincent martyr sur, son lit de mort.

Une fois au moins, Gac6 a atteint l'art profond des grandsmystiques. il a réuni dans un tableau les trois figures desainte Anne, de la Vierge et de l'enfant Jésus 1 , et a su donnerà sainte Aune une epression de gravité, et de bonté vraimentmerveilleuses; la Vierge est moins remarquable, l'enfant fran-chement mauvais, mais on n'a d'yeux que pour cette admira-ble vieille, touts patience, toute douceur, transfigurée par lesentiment religieux dbnt l'artiste l'a pénétrée jusqu'à l'Ame,

'Quels ont été les maitres de ce grand peintre, hierl encoreinconnu? M. Gudiol nous dit bien que de 1.502 à 1529 les cha-noines de Vich acquirent (les livres italiens, sortis des iwessesartistiques de Borne et de Venise, achetèrent des velours deGênes, se vêtirent 'de broderies exotiques; mais cela suffit-il àexpliquer toutes les influences qui se confondent dans lesoeuvres du maitre navarrais? Nous ne- le pensons pas, et nouscroyons qu'une étude détaillée du vieil art aragonais et castil-lan les expliquera un jour d'une manière bien plus complète.

L'admirable exposition rétrospective d'art espagnol actuelle-iient réunie à Saragosse révèle l'existence d'un vieil art arago-nais très savant et très puissant, dont Gascé paraît bien avoirété l'élève.

Nous citerons parmi les morceaux qui nous ont Jeplus frappéun Saint Martin et une Sainte Thècle, un Saint Valère et unSaint Laurent' qui font penser tout à la fois au Saint Siffreind'Avignon la Santa Engracia (le la collection Gardner et auxfigures de Gascé. L'autel portatif de B. Fcrnando de Ar 'agon'.nous montre sainte Aune, la Vierge-et l'enfant, groupés dansun cadre familial comme -Gascé. Jeâ a peints. Une peinture,.provenaht de l'lxermita de Sain Sebastian de Magallon, .repré-

1. Sujet très populaire en Catalogne.2. Palais des Beaux-Arts, Rez-de-chaussée, Sala li, nos 48-49, exposés

par D. Antonio Magaca. de Saragosse.3. Id: Ibid.. n 63, exposé par le chapitre métropolitain 'de Saragoâe.1. Id. 2e étage Sala 1, n o 26:

LA PEINTURE CATALANE PRIMITIVE. 35sente encore ces trois personnages dans un style' que Gasedn'eût pas désavoué. Derrière une SainteFace, provenant duMusée provincial de Buesca', se retrouvent ces paysagesperuginesques aimés de Gascd.

La cathédrale de Pampelune possède aussi un admirableretable daté de 4507 2, en parfait état de conservation, qat.,M. de Àlvarado attribue à un « auteur flamand 'de l'école ckBruges ou à un Français de l'époque de Jean Bellejambe 3 » etqui, pourrait bien être tout simplement l'oeuvre d'un Aragonaisou d'un Castillan épris de l'art flamand, comme les auteurs duSaint lidefonse du Louvre, et de la Fontaine de vie du Prado.L'histoire de l'ancien art espagnol réserve encore de bien inté-ressantes surprises à cetl qui s'en occuperont.

1. Palais clos Beaux-Arts, 2è étage, Sala la, no 17.2. On lit au-dessus de la base cette inscription latine Roc opus jwsit

opponi Petrus Marciita de Copan-oso eques Pampitone et oudil.ordomptorum regalium, cd leu dent othnip'otentis Dei et ejus genihicisMarie et Beati Thorne Didimi Apostoii. Anvo Doniini MCCCCC VII invigilia Pentecos(e.

3. Fernando deAlvarado, Gnia de? viajeroen Pomplona. Madrid,in-8e.