La patate cadeau ou la «vraie» histoire de la poutine râpée€¦ · Le Mi’kmaq s’approche...
Transcript of La patate cadeau ou la «vraie» histoire de la poutine râpée€¦ · Le Mi’kmaq s’approche...
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DIANE CARMEL LÉGER
BOUTON D’OR ACADIE
Illustrations deTAMARA THIÉBAUX-HEIKALO
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OU la « vraie » histoire de la poutine râpée
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OU la « vraie » histoire de la poutine râpée
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On trouvera à la fin du livre un lexique de mots anciens et d’expressions acadiennes utilisés dans le récit.
Il est suivi d’un lexique qui reprend les mots allemands écrits en italique dans le texte.
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3BOUTON D’OR ACADIE
UN CONTE DE
DIANE CARMEL LÉGER ILLUSTRÉ PAR
TAMARA ThIÉbAUx-hEIkALO
OU la « vraie » histoire de la poutine râpée
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En hommage au père Clément Cormier, c.s.c.,
fondateur de l’Université de Moncton,
et à sa grande curiosité envers
l’origine de la poutine râpée.
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Pour ses activités d’édition, Bouton d’or Acadie reconnaît l’aide financière de la Direction des arts du Nouveau-Brunswick, du Conseil des arts du Canada et du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.
Titre : La patate cadeau ou la « vraie » histoire de la poutine râpéeTexte : Diane Carmel Léger
Illustrations : Tamara Thiébaux-Heikalo Direction littéraire : Marie Cadieux Stagiaire : Sébastien Lord-Émard
Révision : Réjean Ouellette Conception graphique : Lisa Lévesque
ISBN Papier : 978-2-89682-028-3 ISBN PDF : 978-2-89682-029-0 ISBN ePub : 978-2-89682-030-6 Dépôt légal : 1er trimestre 2014
Bibliothèque et Archives CanadaBibliothèque et Archives nationales du Québec
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www.avoslivres.ca
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MONCKTONTOWNSHIP
HILLSBOROTOWNSHIP
Village- des-Piau
Le vieux verger
La vieillechapelle
Ruisseau Nacadie
( Halls Creek)
Vers la baiede Fundy
Rivière Petcoudiac
Rivière M
emram
kouke
Le
Coude
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C’est la barre du jour, par un froid matin d’avril. Dans leur première et rudimentaire
cabane, tous les membres de la famille Treitz
dorment, sauf Christian, le plus jeune. Il écoute son
père, sa mère, ses deux frères et sa sœur tousser dans
leur sommeil.
Depuis leur arrivée au bord de la rivière Petcoudiac,
les Treitz et les sept autres familles allemandes avec
lesquelles ils ont émigré n’ont connu que la maladie
et la faim. Les outils, le grain et les autres provisions
qu’on leur a promis avant de quitter la Pennsylvanie
n’ont jamais été livrés.
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Le ventre de Christian gargouille. « Pour man-
ger, il nous reste seulement des vieux navets. Il nous
faut de la viande. Tout le monde est malade, alors
c’est moi qui dois chasser pour nourrir ma famille »,
décide Christian en se levant silencieusement pour
ne pas réveiller les autres. Le garçon de huit ans re-
garde les mousquets de son père et d’Abraham, son
frère aîné. « Si seulement Vater me faisait confiance
avec un mousquet, pense-t-il. Ach, Jacob a tué un
porc-épic avec un gourdin et il est à peine plus grand
que moi... » Christian happe le gourdin et part tran-
quillement.
Sur le sentier boisé, Christian cherche des excré-
ments ou des pistes dans les plaques de neige, qui le
conduiraient vers un animal. Il passe près des ruines
calcinées de la chapelle acadienne où son père a dé-
niché des pierres pour construire leur foyer. Rendu
près du vieux cimetière, Christian n’a toujours pas vu
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de traces d’animaux. Il se dirige alors vers le marais.
Épuisé, Christian s’assoit sur un arbre échoué en
face de la rivière. Son estomac se remet à gargouiller
tellement fort qu’il a peur que le bruit n’alerte les
bêtes. Dans la lumière matinale, il scrute le marais
givré, mais ne voit rien. Il entend des oiseaux et re-
père les goélands qui survolent la rivière. Ces oiseaux
suivent toujours le mascaret, qui annonce la marée
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montante. Le petit garçon entend la vague bruyante
qui apparaît au détour de la rivière et regarde passer
le mascaret qui fait augmenter sensiblement le ni-
veau de l’eau. « Quelle étrange rivière ! » songe-t-il.
Après un bout de temps, transi de froid, Chris-
tian retourne vers chez lui, les mains vides. Frustré et
affamé, il gronde. « On dirait qu’il va encore neiger.
Pourtant, c’est le mois d’avril. Il n’y a pas de prin-
temps du tout ici, ce n’est pas comme en Pennsylva-
nie... »
Soudain, une masse noire apparaît à l’orée du
bois. Un ours ! Christian se jette par terre et rampe
pour se cacher derrière la digue.
« J’aurais dû prendre un des mousquets ! se re-
proche-t-il. La viande de cet ours pourrait nous nour-
rir tout un mois. » Christian tente un regard furtif
par-dessus la digue. « Un ours qui porte un arc et un
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carquois de flèches ! » L’homme-ours prend le sentier
qui mène au logis des Treitz.
« Il veut attaquer ma famille ! » se dit Christian.
Tremblant, il suit de loin la menace qui disparaît
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dans le tournant du sentier. L’inconnu s’arrête devant
les croix du cimetière, baisse la tête et semble prier.
Caché derrière des épinettes, Christian ne peut plus
retenir sa toux.
— Kwé ! réagit l’homme.
Un Indien ! Apeuré, Christian s’enfuit. Mais voi-
là qu’il recommence à tousser si violemment qu’il ne
peut plus courir. Le Mi’kmaq s’approche dangereu-
sement et rattrape Christian, terrifié.
— Acadien ? demande-t-il doucement.
Christian n’arrive pas à répondre. L’homme lui
tapote le dos, comme le fait Frau Treitz pour soula-
ger son plus jeune fils. Lorsqu’il cesse enfin de tous-
ser, Christian dévisage le Mi’kmaq. À son étonne-
ment, il fait face à un regard bleu pétillant.
— Français ?
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Christian devine ce que l’homme vient de de-
mander. Il secoue la tête que non.
— You’re English. Don’t fret, I won’t hurt you.
— Nein ! German, from Pennsylvania, répond
Christian, qui reprend son souffle.
Timidement, il ose :
— And you, sir ?
— Acadien, répond l’homme en anglais égale-
ment. On nous appelle aussi les « Français neutres ».
— Mon père nous a dit que vous êtes tous partis !
— Presque tous. Mais ma famille, comme bien
d’autres, s’est cachée dans la forêt pendant plusieurs
années. Dieu merci, petit à petit, on arrive à se rebâ-
tir dans les alentours.
— Ici ? s’inquiète Christian.
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— Non, point ici.
Christian est soulagé. Si les Treitz devaient repar-
tir, où iraient-ils vivre, sa famille et lui ?
— Toi, ça fait une bonne élan que t’as point
mangé à ta faim. Tiens, évente-moi ça ! dit l’homme
en sortant un petit sac de sa poche.
Christian prend le sachet, l’ouvre, le renifle et
sourit.
— Ça sent bon.
— Goûtes-y. C’est du sucre d’érable.
Le jeune Allemand hésite.
— Tu te méfies de moi, hein ? Regarde...
L’Acadien prend un morceau de sucre et le mange.
— Tu vois ?
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Aussitôt que Christian
referme sa bouche sur le
bout de sucre, il écarquille
les yeux puis mâche goulû-
ment. Il lèche ses lèvres
avec plaisir.
— Köstlich,
dit-il.
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— C’est fait avec du sirop d’érable. Moi, je suis
fou de la douceur. Ma femme a pour son dire que si je
pouvais, je mettrais du sucre sur tout ce que je mange.
C’est quasiment vrai. Garde ce sac pour toi et ta
famille. Je peux vous apprendre comment en faire.
Inquiète-toi point, le printemps s’en vient à grands
pas. Un beau gros jardin, ça va vous engraisser comme
il faut.
— Ma mère dit que nos patates à planter sont
pourries.
— Oh ! Ça, c’est de valeur. Je reviendrai avec
des patates à germons. Elles vont bien pousser. Vous
aurez des patates en masse et des grosses bedaines
comme la mienne.
L’Acadien rit de bon cœur en se frottant le ventre.
Tout à coup… crac ! une branche casse derrière lui et
force l’Acadien à se retourner. Il fait face à la pointe
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d’un mousquet braqué droit sur lui.
— Nein ! s’écrie Christian.
— Weg ! Verschwinde ! Allez-vous-en ou je tire !
hurle Abraham, le fils aîné des Treitz, tenant son fu-
sil pointé sur l’homme.
— Calme-toi, jeune homme, dit l’Acadien. Je
suis point ici pour…
— Allez-vous-en ou je tire ! répète Abraham, le
visage tout rouge.
— Nein ! crie Christian. Il m’a donné du sucre !
— Könnte giftig sein ! Redonne-le-lui ! ordonne le
grand frère.
Tête basse, Christian tend le sac de sucre d’érable
à l’homme.
— Mon frère veut me protéger.
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— Je comprends, dit l’Acadien.
Sans broncher, fier, Abraham garde son mous-
quet en joue jusqu’à ce que l’étranger s’éloigne. Puis,
Christian rentre tristement au logis avec son frère,
sentant qu’il vient de perdre un ami.
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Quelques semaines plus tard, Christian retrouve
le sourire quand, à sa grande joie, il trouve un sac
attaché à la branche d’un arbre sur le sentier menant
au cimetière. Dans le sac, il découvre des patates à
planter, bien saines, pleines de germons. Son nouvel
ami ne l’a pas oublié ! Mais se reverront-ils un jour ?
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