la parole entravée - Bernard Seynhaeve

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13-10-11 Chroniques lacaniennes | jouissance du corps www.causefreudienne.net/psychanalyse-et-politique/tag/jouissance+du+corps?symfony=823046cb461701a780c5d4b2d12fd1f 1/3 Psychanalyse et politique, le blog Articles associés au tag "jouissance du corps" dimanche 3 janvier 2010 la parole entravée - Bernard Seynhaeve Bernard Seynhaeve, psychanalyste, membre ECF Une analyse est une expérience de solitude subjective. Elle peut être menée suffisamment loin pour que l’analysant soit amené à franchir le pas consistant à isoler radicalement l’Un par rapport à l’Autre. Je voudrais tenter de situer ce moment charnière dans ma propre cure. La marque du signifiant dans le corps Comment le signifiant se conjugue-t-il à la jouissance du corps ? Comment le sujet incorpore-t-il les signifiants de son histoire pour traiter la jouissance dont il est l’objet ? C’est la question qui a traversé d’un bout à l’autre mon analyse. Je prends cette citation connue de Lacan : « C’est dans la rencontre des mots avec le corps que quelque chose se dessine. C’est dans le motériolisme que réside la prise de l’inconscient – je veux dire que ce qui fait que chacun n’a pas trouvé d’autres façons de sustenter ce que j’ai appelé […] le symptôme. » 1 Ma mère et mon oncle étaient amoureux. Ils allaient se marier. Mais au début de la Seconde Guerre mondiale, mon oncle est envoyé au front. Il se fait tuer. Il a cependant, avant de mourir, envoyé une lettre à son frère Gaston. « Cher Gaston, ici tout va mal. Si je meurs, occupe-toi d’elle. » Cette injonction d’avant ma naissance donnera lieu à l’union de mes parents. Ainsi, Gaston deviendra-t-il mon père. « Occupe-toi d’elle » est une injonction qui se profère d’outre-tombe. J’incarnerai donc cet L (la lettre L, soit “elle” dans la langue française qui métaphorise le féminin singulier). L est le S 1 dont je m’emparai pour en faire le signifiant maître qui présidera à mon destin et me déterminera en tant qu’être sexué. Dans ce L majuscule, s’incarne l’être sexué que je suis et se noue la jouissance du corps à un signifiant premier. De l’inconscient transférentiel… Pendant mon enseignement d’AE j’ai mis en relief les deux interprétations de ma cure. Elles sont de même nature que cette injonction proférée d’outre- tombe. La première injonction s’interpréta ainsi : « Vous devez me parler de votre castration ». Elle inaugura la cure analytique et me précipita dans l’inconscient transférentiel. Cette interprétation eu pour effet la production d’un rêve dont j’ai fait état plusieurs fois : « Je déambule dans le couloir du refuge de la Sainte Famille, la maternité où ma mère a mis au monde tous ses enfants. Ce couloir a la forme de la lettre L . Je ressens le besoin pressant d’uriner. Les toilettes sont à l’angle du L . Je pénètre dans les toilettes et me mets à uriner. Je ne peux m’arrêter, la cuvette déborde et je me réveille en train d’uriner au lit ». Ainsi la cure prenait-elle immédiatement appui sur le signifiant maître. Ce rêve inaugural comporta toutes mes coordonnées subjectives. Le signifiant maître, l’objet, le mode de jouissance et le choix inconscient du sexe à l’angle de la lettre L . La cure commençait par ce plongeon dans l’inconscient transférentiel. S 1 -S 2 , le tricotage et le détricotage signifiant nourrissait chez moi « le mirage de la

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dimanche 3 janvier 2010

la parole entravée - Bernard Seynhaeve

Bernard Seynhaeve, psychanalyste, membre ECF

Une analyse est une expérience de solitude subjective. Elle peut être menéesuffisamment loin pour que l’analysant soit amené à franchir le pas consistantà isoler radicalement l’Un par rapport à l’Autre. Je voudrais tenter de situerce moment charnière dans ma propre cure. La marque du signifiant dans le corps Comment le signifiant se conjugue-t-il à la jouissance du corps ? Comment lesujet incorpore-t-il les signifiants de son histoire pour traiter la jouissancedont il est l’objet ? C’est la question qui a traversé d’un bout à l’autremon analyse.Je prends cette citation connue de Lacan : « C’est dans la rencontre des motsavec le corps que quelque chose se dessine. C’est dans le motériolisme queréside la prise de l’inconscient – je veux dire que ce qui fait que chacunn’a pas trouvé d’autres façons de sustenter ce que j’ai appelé […] lesymptôme. » 1Ma mère et mon oncle étaient amoureux. Ils allaient se marier. Mais au début dela Seconde Guerre mondiale, mon oncle est envoyé au front. Il se fait tuer. Ila cependant, avant de mourir, envoyé une lettre à son frère Gaston. « CherGaston, ici tout va mal. Si je meurs, occupe-toi d’elle. » Cette injonctiond’avant ma naissance donnera lieu à l’union de mes parents. Ainsi, Gastondeviendra-t-il mon père.« Occupe-toi d’elle » est une injonction qui se profère d’outre-tombe.J’incarnerai donc cet L (la lettre L, soit “elle” dans la langue françaisequi métaphorise le féminin singulier). L est le S1 dont je m’emparai pour en

faire le signifiant maître qui présidera à mon destin et me déterminera en tantqu’être sexué. Dans ce L majuscule, s’incarne l’être sexué que je suis et senoue la jouissance du corps à un signifiant premier. De l’inconscient transférentiel…Pendant mon enseignement d’AE j’ai mis en relief les deux interprétations dema cure. Elles sont de même nature que cette injonction proférée d’outre-tombe.La première injonction s’interpréta ainsi : « Vous devez me parler de votrecastration ». Elle inaugura la cure analytique et me précipita dansl’inconscient transférentiel. Cette interprétation eu pour effet la productiond’un rêve dont j’ai fait état plusieurs fois : « Je déambule dans le couloirdu refuge de la Sainte Famille, la maternité où ma mère a mis au monde tous sesenfants. Ce couloir a la forme de la lettre L. Je ressens le besoin pressantd’uriner. Les toilettes sont à l’angle du L. Je pénètre dans les toilettes etme mets à uriner. Je ne peux m’arrêter, la cuvette déborde et je me réveilleen train d’uriner au lit ». Ainsi la cure prenait-elle immédiatement appui sur le signifiant maître. Cerêve inaugural comporta toutes mes coordonnées subjectives. Le signifiantmaître, l’objet, le mode de jouissance et le choix inconscient du sexe àl’angle de la lettre L.La cure commençait par ce plongeon dans l’inconscient transférentiel. S1-S2, le

tricotage et le détricotage signifiant nourrissait chez moi « le mirage de la

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vérité ».Il fallait logiquement en passer par cette première interprétation pour adhérerà l’hypothèse de Freud, croire à l’inconscient et entrer dans la cureproprement dite. Sans ça, pas d’analyse.

… A l’inconscient réelJe fais un saut en avant.J’aurais pu longtemps encore associer librement. Il y eut une secondeinterprétation de l’analyste, celle qui permit que l’analyse s’arrête. « Vousaimez trop vos fantasmes », trop, beaucoup trop. « Il est grand temps de vousarrêter » devais-je avoir compris. Nouvelle injonction. Cette secondeinterprétation toucha précisément ce point de jonction, le point de contiguïtéentre S1 et S2. Elle coupa l’élan du sujet vers le lieu de l’Autre, soit vers

la supposition de savoir et entrava durablement son mouvement vers lasignification. « Quand […] l’espace d’un lapsus n’a plus aucune portée de sens (ouinterprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient » 2.JAM commente cette phrase de Lacan dans sa Préface à l’édition anglaise duSéminaire XI.JAM fait remarquer que « Nous avons ici [soit, lorsque le lapsus n’est plusinterprétable] à placer la double barre qui indique la coupure, la déconnexionentre le signifiant du lapsus et le signifiant de l’interprétation. Nous noustrouvons atteindre, commente-t-il, à sa jonction le lien du fameux S1 et du

fameux S2. […] Cette phrase, continue JAM, comporte, si on la lit bien, que S1ne représente rien, qu’il n’est pas un signifiant représentatif. Cela attaquece qui est, pour nous, le principe même de l’opération psychanalytique, pourautant que la psychanalyse a son départ dans l’établissement minimal, S1-S2, du

transfert »3. Alors que la précipitation dans l’inconscient transférentiel, laconnexion du S1 au S2 est au principe même de la cure analytique, Miller fait

valoir la déconnexion entre S1 et S2. L’intervention de l’analyste doit en fin

de compte viser la déconnexion entre S1 et S2.

La seconde interprétation déterminante prit valeur d’un stop ! Elle arrêtaradicalement l’association libre. Toute association signifiante prit chez moivaleur de jouissance de la parlotte. Lorsqu’un signifiant s’apprêtait à sedire, au même instant surgit la fascination du sens qu’il allait produire.L’intervention de l’analyste laissa le sujet en plan avec le signifiant maîtresur lequel avait démarré son analyse : la lettre L. Je situe là l’ourlet de lacure, le point de rebroussement de la pulsion. Commença alors une nouvelleexpérience, l’expérience de l’Un laissé radicalement seul, sans le recours del’Autre pour lui donner du sens. S1//S2.

Le signifiant maître représente un sujet à partir du moment où il s’articule àl’Autre. Cela, c’est le versant de la chaîne signifiante. Et c’est aussil’inconscient-message à déchiffrer, selon Freud. C’est le versant desformations de l’inconscient. C’est aussi celui du symptôme qu’on peut pourune part déchiffrer. Mais il y a un autre versant sur lequel Lacan metl’accent à la fin de son enseignement. C’est le S1 pris dans la dimension dela lettre. C’est le S1 pris dans sa dimension de réel. C’est le versantsinthomatique, ce qui ne se déchiffre pas, le versant jouissance nonsymbolisable, non réductible au signifiant, le versant jouissance inhérent auvivant, au corps du parlant. On se situe là dans la dimension de ce qui faitl’essence de l’homme, au joint du corps et du langage, à ce qui du langages’incorpore au vivant, le corps qui jouit et qui parle, qui jouit de parler.Dans cette zone, S1 ne représente rien et par conséquent n’est pas dusymbolique. L’expérience analytique et plus précisément sa fin donne accès à la solitudede l’Un. Cette découverte, cette intervention de l’analyste avait touché,modifié sensiblement quelque chose de mon être. Le rêve de la fin a surgi aprèscet événement. Ce moment de coupure où j’ai pu saisir la dimension mythique de

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mon histoire, du mythe en tant qu’il traite le réel, où j’ai pu saisir lanature de semblant de la chaîne signifiante, cette expérience va subvertir lesujet supposé savoir. Isoler l’Un de l’Autre fait apparaître que touteélucubration de savoir est avant tout production de jouissance. Jem’apercevais que l’analyste n’était lui-même que le contenant vide quisoutient le désir de savoir du sujet 4. Un semblant lui-même. Le sujet supposésavoir du dispositif analytique avait chuté dans le même mouvement que ladécouverte de ce à quoi l’être était réduit.C’est seulement alors que je pus quitter mon analyste. Une fin n’a étépossible qu’après que je me suis aperçu que « vouloir dire » c’est « vouloirjouir ». La passe à présent m’interroge sur ma façon, avec mon style, de subvertircette proposition : comment faire de ce vouloir jouir un vouloir diresingulier ? 1 Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme »2 Lacan J., Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI, Autres écrits, Op. cit., p. 571.3 Miller J.-A., Le tout dernier Lacan, L’Orientation lacanienne III, 9, [2006-2007], inédit.Lire aussi Quarto 88/89, p. 7.4 Lacan J., « Proposition du 9 octobre 67 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrit,Paris, Seuil, 2001, p. 251. Posté par [Dario Morales ] à 05:16Tags associés à cet article: Autre, La passe, jouissance du corps,signifiant maître, sinthome, solitude de l'Un

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