La Mort Et Le Sacrifice
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Hegel ,
la m ort et le sacrifice *
Deucal ion 1
, .u' -la mort de l'animal est leL 'ammal me1 .Lrt , l~la!S
devenir de la conscience,
1. LA MORT
La n ig ativ iti d e l:h omm e. 805-1806, au moment de la plein?Dans les Conferences de 1 , '1 e'crivait la Phinome-
, 'l'epoque ou I .maturite de sa ,rensee'l
aimait ainsi le caractere norr ·de
n ol og ie d e i' espru, Hege expri
l'humanite :. '. Neant vide qui contient tout« L'homme est cette OUIt, ce . h d'un nombre infini
. . , . di ise : une nc esse ,dans sa simph~Ite I l l ~ : V . d nt aucune ne lui vient pree
de representatIOnS, d Images,)o . e 'sont pas (la) en tant'1' it ou (encore, qUI n '., ,
cisement a esprrt, s C' est la nuit, l'intenonte - ou -
que reellement presentee- . . i._le ) Moi-personnel pur.
. ., d 1 N t re qUIexiste IC. .' tl'intIffilte e a au. f goriques il faIt runt tou, tatIons antasma 1 s::«,
Dans des represen . tune tete ensang antee,, , it lors brusquemen . t
autour: ICIsurgi a.. bl he' et elles disparaIssent toula une autre appantIon anc "t qu'on aper<:oit si l'on
, C' est cette nui daussi brusquement. I . on plonge alors ses regar sregarde un homme dans esyeux .
.r d'Alexandrese fondamentalement hege lenne . d He el
* Extrait d 'une etude sur la pens t : : mesure OMc'est possible,,la pensee e~em ~e,K ie Cette pensee veut etre, dan H el n'a pas su ( connalssant, par p it
teWeV;~'un espr~t ac~uei9~7c~:nt~~~%s~i b~~, la philosop~i~ d~ ~e~~;!gd;~l~~~~~~e
les e venement s epUlS L'ori inal ite et le courage. I ~u ' . en'consequence,la contenir et la,develOPPr~possi~ilite d'aller plus 10m, lateCesslte, encement inter-Kojeveest d'avol~ apercu ~ilosophie originale, et par la, e recom
m
de renonce: a f~ lr e unde) ani te de la pensee .minable qUI est 1aveu e a v
en une nuit qui devient terrible; c'est la nuit du monde qui
se presente alors a nous * . »Bien entendu, ce« beau texte »,au s'exprime Ieromantisme
de Hegel ne doit pas etre entendu au sens vague. Si Hegel
fut romantique, ce fut peut-etre d'une maniere fondamenta le
(il fut de toute facon romantique pour commencer - dans sajeunesse -, alors qu'il etait banalement revolutionnaire), mais
ilne vit pas alors dans le romantisme lamethode par laquelle
un esprit dedaigneux croit subordonner lemonde reel a l'ar-bitraire de ses reyes. Alexandre Kojeve, en les citant, dit de
ces lignes qu'elles expriment 1'«idee centrale et derniere de
la philosophie hegelienne », a savoir: «I'idee que le fonde-
ment et la source de la real ite objective (Wirklichkeit) et de
I'existence empirique (Dasein) humaines sont le Neant qui se
manifeste en tant qu'Action negative ou creatrice, l ibre et
consciente d'elle-meme ».
Pour donner acces au monde deconcertant de Hegel, j 'ai
cru devoir en marquer par une vue sensible a la fois les
violents contrastes et l'unite derniere.Pour Kojeve, «Ia philosophie "dialectique " ou anthropo-
logique de Hegel est en derniere analyse une p hi lo so ph ie d e L a
mor t (ou ce qui est la merne chose: de l'atheisme) * * ».Maissi l'homme est « lamort qui vit une vie humaine * * * »,
cette negativite de I'homme, donnee dans la mort du fait
qu'essentiellernent la mort de l'homme est volontaire (deri-
vant de risques assumes sans necessite, sans raisons biolo-
giques), n'en est pas moins le principe de I'action. Pour Hegel,
en effet, I'Action est Negativite, etla Negativite, Action. D'un
cote l 'homrne niant la Nature - en y.introduisant comme un
envers, I'anomalie d'un «Moi personnel pur» - est present
dans le sein de cette Nature comme une nuit dans la lumiere,
comme une intimite dans l'exteriorite de ces choses qui sonten so i - camme une fantasmagorie ou il n'est rien qui se
compose sinon pour se defaire, qui apparaisse sinon pour
disparaitre, rien qui ne soit, sans treve, absorbe dans le nean-
t i ssement du temps et n'en tire la beaute du reve, Mais voici
I 'aspect complementaire : cette negation de la Nature n'est
pas seulement donnee dans la conscience, - ou apparait (mais
c'est pour disparaitre) ce qui est e n s oi -; cette negation s'ex-
1955 D euca lion
* Cite par Kojeve, Introduction Ii la lecture deHegel, p. 573.** Gp , cit" p. 537,** * Op . cit., p.548.
327
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!
i
P te te s d e G. Bataille328 CEuvres com , .,
, llement ( en s o i) la reahte" . t change ree 1
, . rise et s'extenonsan,. bat : il transforme eteno " traval11eet com .de la Nature. L hom~e e en la detruisant, le monde,. un
donneou la nature: 1 1 ere d' • te poesie : l a destructIOn,. , " 11 y a. un co A ti n :
monde qUIn etalt pas.. lantee' de l'autre c 10 •
. d'une tete ensang , u l'h e
surgie et se dduant" .' le « Neant pur », ou ?mmle travail, la lutte: D uncot~r u n c er ta in te mp s * ». De 1a~tre
ne differe du Neant que po, . ite de l'homme, ce Neant« .' la NegatlVI (' 1n Monde histonque, ou ble du reel concret a au . d ree l'ensem .qui le ronge au~de ans'~e reel change ou non, homme qUl
foisobjet et sUjet, mon '
ense et change le monde).p , h' d la mort - ou deLa philosophie de H egel est une philosop te e .
,. ** d laphilosophlel 'a thetsme ", . 1-et nouveau - e ,
G'est le caract~re .essentle alite de ce qui est. Et en conse~
hegelienne de decnre la to~ 11 rend compte de tout ce qUlquence, en merne temps qu d e compte solidairement de la
apparait a nos yeux, de r:n re. ment _ et revelent - cette
Pensee et du langage qUl expn .
. . , n expnmeappanuon. t de end de ce qu 0«Selon moi, dit Hegel, tou ( Plement) comme substance,
IV' on pas seuet comprenne e rai n iet ***.» .mais tout autant cornme SUj aissance de la Nature est mc~~ ..
En d'autres =r=: la con; eut envisager que des entlte~
plete, e11e n'envlsage, et n~, totalite indissoluble, qUI
abstraites, isolees d'un tout,. a~~: doit etre en meme temps
estseulecon~rete. La co?:sa~;s bases ontoIogiques de la rea-
anthropologlque : « en ~ 11 doit chercher celles de .la
lite naturelle, ecrit KOjevei e ble de sereveler elle-meme
realite humaine, qu~~st se~ enc~:rendu, cette anthropologie
1 D· ours ** », Blepar. e lSC .
. . ds sous une autre forme
* op . cit., r - 573. raphe et le paragrapheulsuivan~'~~~:;:n': autre forme; j'ai eboss~r** bans ce parag ~ Mais non se emen ifficil au premIer a ,
ce que dit Alexandre K~ie:;:;onde partie de ce~tephras~~~ea~t~sement du ~S'!j_et
tiellement a developper aractere concret: «L ~tr~ o~ avant d'etre aneanU:Ietre
a compren~re dans Stonmpocalisant de I'ttre, qUIdOlt ttreEtetant neantissementS(t~mt:
I' e nussement e mmencemen . ) le " uJe
~~. ~j~t ~e~~tOd~n~el~t~~~~~:~~tn~~~:~~ ~t~n~~~~n~:~:s~i~e~~~r~~e !~Me~0
fstr~~se~tiel!.eI_l1e~tneg::l~~lad~~::::e je I'ai ?eja fait ~:~s ;~tf::~S:f~efa presen~
partIc,!heroJ, at .sudlvl. Iil a l ec tu re d e H e g e l qUIrepondl hhosophie de Hegel, p .52lapartIe deI ~ntTo uc di n L'idee de la mort dans a P . 1
etude, a savotr : Appen Ice , . de Jean Hyppolite, t. I, p . 17, .
573. , I . de I'esprit, Preface, TraductIOn ,*** Phinom.no ogu ,
l-'!..*** O p . cit., p. 528.
1955 Deucalum 329
n'envisage pas I'Homme ala maniere des sciences modernes,
mais comme un mouvement qu'il est impossible d'isoler au
sein de la totalite, En un sens, c'esr plutot une theologie, ou
l'homme aurait pris la place de Dieu.
Mais pour Hegel, la realite humaine qu'il decrit au sein, et
au centre, de la totalite est tres differente de celle de laphilosophie grecque. Son anthropologie est celle de la tra-
dition judeo-chretienne, qui souligne dans I'Homme la liberte,
l'historicite, et l 'individualite. De meme que l'homme judeo-
chretien, l'homme hegelien est un etre spirituel(c' est-a-dire
«dialectique »). Cependant, pour Ie monde judeo-chretien, la
« spiritualite » ne serealise et ne semanifeste pleinement que
dans l'au-dela, et l'Esprit proprement dit, l'Esprit vraiment
«objectivement reel »,c'est Dieu : «unetre infini et eternel ».
D'apres Hegel, .l'etre « spirituel» ou «dialectique» est « neces-
sairement temporel et fini ». Ceci veut dire que la mort seuleassure l'existence d'un etre spirituel ou « dialectique » au sens
hegelien. Si l'animal qui constitue l'etre nature I de l'homme
ne mourait pas, qui plus est, s'il n'avait pas la mort en luicomme la source de son angoisse, d'autant plus forte qu'il la
cherche, la desire et parfois se la donne .volontairernent, il
n'y aurait ni·homme ni liberte, ni histoire ni individu. Autre-
ment dit, s'il secomplait dans ce qui neanmoins lui fait peur,
s'il est l'etre, identique a lui-merne, qui met l'etre (identique)
lui-meme en jeu, I'homme est alors un Homme en verite: il
se separe de l'animal. II n'est plus desorrnais, comme une
pierre, un donne immuable, il porte en lui laNegativite; et la
force, laviolence de la negativite lejettent dans Iemouvement
incessant de l 'histoire, qui Ie change, et qui seul realise atravers Ie temps la totalite du reel concreto.L'histoire seule a
Ie pouvoir d'achever ce qui est, de l 'achever dans Ie derou-
lement du temps. Ainsi l'idee d'un Dieu eternel et immuablen'est-elle, dans cette vue, qu'un achevement provisoire, qui
survit en attendant mieux. Seule l'histoire .achevee et l'esprit
du Sage (de Hegel),dans lequell'histoire revela, puis acheva
de reveler, Ieplein developpernent de I'etre et la totalite de
son devenir occupeune situation souveraine, que Dieu n'oc-
cupe que provisoirement, comme regent.
A sp ec t tr ag i- co miq ue d e la d un nit e. d e l'h omm e.
Cette maniere de voir peutetre a bon droit tenue pour
comique. Hegel d'ailleurs n'en parla pas explicitement. Les
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CEuvres completes de G. Bataille330
, 'ffi a implicitement sont ambigus, et ~~urrextes ou .elle s ,a rrn de les derober au grand jour. Kojeveextreme difficulteacheva d 11en parle sans lourdeur,
lui-meme obse:v.e la pru e~ce~nces. pour exprimer comme
evitant .d'en pre~lser.les c~n~:i~quelle Hegel se fourra, sans
.il convlent la sl~uauon .a udrait le ton, ou du rnoins, sousdouteinvolontalreme~t, 11fa d 1 rragedie- Maisles chosesune forme contenue, 1horreur .e a
. bi At e allure cormque- . ,auralent iento u~ r la mort manque si bien a
Quoi qu~il.en SO!t,e~ p~:e~t~~ dans la tradition associa la
la figuredlvme.qu ~n 1y t au Dieueterne1 etunique, de
mort, ~t l'~n~Olsse ,e. a morL~mort de Jesus participe de.la
la sphere Judeo-chreuenne., l'on ne saurait sans arbitralre
comedie dans laomesurde.~u't' 'e'ternelle _ qui lui appartient. dui l'oubh de sa rvirn e . fi . Lmtro uire . d'un Dieu tout-puissant et m m. e- dans la ~~nsClence devan<;:a'le«savoir absolu » de
mythe chrenen, exactemen.t, ue rien de divin (au sens pre-
Hegel en fondant s~r le fal~ q ui ne soit fini. Mais la cons-
chretien de sacre) n ,est posslbhle,q. ) de la mort de Dieu se, 1 mythe (c reuen .cience vague _au e d'fFrait de celle de Hegel: pou~ g~u~hl.rforma, malgre tout, 1 ~., e figure de Dieu qm hmltalt
dans I.e.sefns de ~abltodt~I'nl~~o~~iren contradictiond'un fon-l'infim, Ii ut POSSIe ' .
dement, un mou~em.ent vers le!n~ser la sornme (laTotalite)
Hegel put - et IlI~1faBut.....,sirent dans l'histoire. Maisl'hu-
des mouvement~ qUls~pro!Ulatible avec le travail, et l'appli-
rnour. semble-t-Il, est mco Pte reviendrai sur ce propos,
cation que les ~hosesdema~d~~ii!er les cartes... II est difficile
je n'ai fait, a l 'mstant, q~e, ru'humilia la grandeur divine ade passer d'une ?~~a~llte q .,' t gonflant sa grandeur a
11 du Sage dlVlmse,souveram ece e... .
partir de la vanite humame. '
Un texte caPit~l. , eule exigence sedegage de faconDans ce qUlprecede, un.ese thentiquement de, Sagesse (de
.' ,. ·'1 ne 'peut y avoir au 1 SprecIse. 1 ." 1 ient rien d'approchant) que e ageSavoir absolu, rn gen.era~mhe de moitquelque angoissene s'eleve, si j'ose dire, a auteur "
qu'il en ait. 'de la Phenomenologie de l'esprit *U~ passagel'de lalpr~facs~ited'une teBe attitude. Nul doute
expnme avec lorce a nece _ ,
29 . e ar Kojeve, P: 538-539.* Trad. Hyppo!ite. t .T, p. • CIt P
1955 Deucalion 331
que ce texte admirable, des l'abord, n'ait «une importance
capitale », non seulement pour l'intelligence de Hegel, mais
en tous sens.
« . ..La mort, ecrit Hegel, - si nous voulons nomrner ainsi
cette irrealite - est ce qu'il y a de plus terrible et maintenir
l 'ceuvre de la mort est ce qui demande la plus grande force .
La beaute impuissante hait l'entendement, parce qu'ill'exiged'elle; ce dont e1le n'est pas capable. Or, la vie de l'Esprit
n'est pas la vie qui s'effarouche devant la mort, et sepreserve
de ladestruction, maiscelle qui supporte lamort et seconserve
en elle. L'esprit n'obtient saverite qu'en setrouvant soi-merne
dans Iedechirernent absolu. II n'est pas cette puissance (pro-
digieuse) en etant IePositif qui sedetourne du Negatif, comme
lorsque nous disons de quelque chose: cecin'est rien ou (ceci
est) faux et, l 'ayant (ainsi) liquide, passons de la a quelque
chose d'autre; non, I'Esprit n'est cette puissance que dans la
mesure ou il contemple Ie Negatif bien en face (et) sejourne
pres de lui. Ce sejour-p_rolongeest la force magique qui trans-
pose Ie negatif dans l'Etre-donne. »
La negation humaine de la nature et de l 'etre naturel de l'homme.
En principe, j'aurais du commencer plus haut Ie passage
cite. J'ai voulu ne pas alourdir ce texte en dormant les lignes
« enigmatiques » qui les precedent. Mais j'indiquerai Ie sens
des quelques Iignes omises en reprenant l'interpretation de
Kojeve, sans laquelle la suite, en depit d'une apparence rela-
tivement claire, pourrait nous rester fermee.
Pour Hegel, il est en merne temps fondamental et tout a
fait digne d'etonnement que l'entendement de l'homme (c'est-
a-dire le langage, Ie discours) ait eu la force (il s'agit d'une
puissance incomparable) de separer de laTotalite seselements
constitutifs. Ces elements (cet arbre, cet oiseau, cette pierre)
sont en effet inseparables du tout. lIs sont « liesentre eux par
des liaisons spatiales et temporelles, voire rnaterielles, qui sont
indissolubles », Leur separation implique laNegativite humaine
a l 'egard de la Nature, dontj'ai parle sans en faire ressortir
une consequence decisive. Cet homme niant la nature, en
effet, ne pourrait d'aucune facon exister en dehors d'elle. II
n'est pas seulement un homme niant la Nature, il est d'abord
un animal, c'est-a-dire la chose meme qu'il nie: il ne peut
done nier la Nature sans se nier lui-meme. Le caractere de
totalite de l 'homme est donne dans l 'expression bizarre de
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332 (Euures completes de G. Bataille
Kojeve : cette totalite est d'abord Nature (etre naturel), c'est
« I'animal anthropophore» (La Nature, l'animal indissoluble-
ment lie a I'ensemble de la Nature, et qui supporte I'Homme).Ainsi la Negativite humaine, Iedesir efficaceque I'Homme a
de nier la Nature en la detruisant - en la reduisant a ses
propres fins: il en fait par exemple un outil et I'outil sera le
modele de I'objet isole de laNature - ne peut s'arreter devant
lui-meme : en tant qu'il est Nature, l'Homme s'expose lui-
meme a sa propre Negativite. Nier la Nature, c'estnier l 'ani-
mal qui sert de support a la Negativite de l'Homme. Sans
doute ri'est-ce pas l'entendement brisant l'unite de la Nature
qui veut qu'ily ait mort d'homme, mais I'Action separatrice
de l'entendement implique l'energie monstrueuse dela pen-
see, du «pur Moi abstrait», qui s'oppose essentiellement a la
fusion, au caractere inseparable des elements - constitutifs
de I'ensemble - qui, avec ferrnete, enrnaintient la separation.
C'est la position comme telle de l'etresepare de I'homme,
c'est son .isolement dans la Nature, et, en consequence, son
isolement au milieu de ses sernblables, qui le condamnent a
disparaitre d'une maniere definitive. L'animal ne niant rien,perdu sans s'y opposer dans l'animalite globale, comme l'ani-
malite est elle-meme perdue dans laNature (et dans la totalite
de ce qui est)ne disparait pas vraiment ... Sansdoute, lamouche
individuelle meurt, mais ces mouches-ci sont les memes que
l'an dernier. Celles del'an dernier seraient mortes? ... Cela se
peut, mais rien n'a disparu, Les mouches demeurent, egales
a elles-memes comme Ie sont les vagues de la mer. C'est
apparernment force: un biologiste separe cette mouche-ci du
tourbillon, un trait de pinceau y suffit. Mais ilia separe pour
lui, ilne la separe pas pour les mouches. Pour se separer des
autres, il faudrait a la «mouche» la force monstrueuse de
l'entendement: alors elle se nommerait, faisant ce qu'opere
generalement I'entendement par Ie langage, qui fonde seul
la separation des elements, et la fondant se fonde sur elle, a
l'interieurd'un monde forme d'entites separees et nommees,
Mais dans cejeu I'animal humain trouve la mort: ilrouve
precisement la mort humaine, la seule qui effraie, qui glace,
mais n'effraie et ne glace que l'homme absorbe dans la cons-
cience de sa disparition future, en tant qu'etre separe, et
irremplacable ; la seuleveritable mort, qui suppose la sepa-
ration et, par Ie discours qui separe, la conscience d'etre
separe.
1955 Deucalion333
«La bea~t~ impuissante hait l'entendement. »
Jusqu ICIIe texte de He el 'commune, _ mais enoncee d~ prese~~e une. verite simple etI une maniera philosoph] .
P us est, proprement sibyIIin D I Ique, qUI
Preface, Hegel au contraire :ffirr:ns
e ~ass.age cite de la
personnel de violence. Hegel ' t ,ed.et decrir, un moment
Savoir absolu confere la satis~;:i~~- ~~~ I~.Sage, auqueI unune violence dechainee C e ?Itlve. Ce n'est pas
violence de la Nature ~'es~ f ~ e H~geI dechaine n'est pas la
d ,energle ou la violenc d I'Eten ement, la Negativite de l'Ente d ,e e ,n-beaute pure du reve ui n n. ernent, s opposanr a la
En effet la beaut~;Iu ' e peut.daglr, qUIest impuissante." reve est u Cote du d ' .n est encore separe de ce . I' , mon e ou rien
a I'inverse des objets abst~~~s J;\~~r~, o~ chaque element,
concretemenr, dans I'espace et I n en e~ent, est donne
peut dgir. EIIe peut etre et s e temps. Mais la beaute ne
serait plus, car I'Action de'tr ~ ~onds,erbver.gissanr, eIle ne
b urrair a ord ce q , IIeaute, qui ne cherche rien.uui . u e e est: lamais que derange la force 'd~u;,~t, qu~refuse de sederanger,
d'aiIIeurs pas Iepouvoir de re nten, emenr, ,La beaute n'adement, qui luidemande d pon~re a la requere de l'Enten-de la mort humaine EIIe e soute~Ir en lamamtenant I'ceuvre
. . en est mcapable en ' ,soutenn- cette ceuvre ell' ,ce sens qu ab ' e serau engagee da I'A'eaute est souveraine eIle t ns cnon, La
pourquoi eIle n'est p~s sus:~p~~~efi~;o~ eII~t'est pas: c'est
prmCIpe meme impuissant t aglr: e e est dans son
active de l'Entendement q ~ \ ne peut ceder a la negation
merne autre chose que c UI~Iange Ie monde et devient lui-e qu 1 est * .
Cette beauta sans conscience d'eIIe-me . .ment, mais non pour Iameme rai me ne .peut ~onc vrai-d'horreur devant Ia mort t rson q~e Ia VIeqUI«recuIe
sement», supporter la e veut se preserver de I'aneantis,
mort et se conserver en elle. Cette
, * lei mon interpretation differe un ds.lmplement que la <beauee im uissant peu ,e cel ie de Kojeve (p, 146). Ko'eve dit
~E~~ndeme."t. L'esthete, Iero!antique~ I~s~~~~apab:e,de s~ plier aux exige~ces deu a,nt I UI-meme comrne de quel ue ch l'lue urenr IIdee dela mort etparlentIem ystique admirablement M ' I q ose qUI est », En particulier 1' 1 defi it ' ,(ch H ' ats a meme arnbi - e ' C nt amslc ez egel, chez He idegger ) au moins f i l,gUlt se ret rouve chez Ie philosopheIetort de ne'pas envisager, aU-del3du m ~ci~m nir. E? verite, Kojeve me semble avoir
ayant conscle~ce de faire un £tre du &eant de~as,slque,un ~(mysticisme conscient »,
t:,mme celledune Negativite qui n'aurait plu; de hnIssanJ:qu~plus est, cette impassemyst~ue athee, c o ns ci en t d e s oi conscient ded c ~mp Action (3lafinde I'histoire)~"ir:eg,:lle dit tvidemmmt d; lui-menu « dan~vkl~~h~rir et de disparaftre, vivrait:
I ' e s agIt que d 'une periode . 3 I'enco~t d c rrement absolu»; mais pourp ant Ie,Negatif bien en face ». m'ais ne u;: e . Heg:el,iln'en sortirait [las,« co~tem-de Iefaire et semaintenant dans I'amb/;;ite,nt Jamals Ietransposer en Etre, refusant
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334 (Euvres completesde C. Bataille
beaute qui n'agit pas souffre du moins de sentir se brise~ en
morceaux Ia Totalite de ce qui est (du reel-concret), qm est
profondernent indissoluble. Elle voudrait elle-meme demeu-
rer Ie signe d'un accord du reel avec lui-meme, Elle ne peut
devenir cette Negativite consciente, eveillee dans Ie dechi-
rement, ce regard Iucide, absorbe dans Ie Negatif'Dette der-
niere attitude suppose, avant elle, Ia Iutte violente ou Iabo-
rieuse de I'Homme contre Ia Nature, dont elle estI 'aboutissement. C'est Ia Iutte historique OUI'Homme se
constitua comme «Sujet »OUcomme« Moi abstrait» de 1'«En-
tendement», comme etre separe et nomme.
«C'est dire, precise Kojeve, que Ia pensee et Ie discours
revelateur du reel naissent de I'Action negative qui realise Ie
Neant enaneantissant l'Etre : l'etre donne de l'Homme (dans
la Lutte) et l'etre donne de Ia Nature (par Ie Travail - qui
resulte d'ailleurs du contact reel avecla mort dans Ia Lutte).
C'est done dire que l'etre humain lui-meme n'est autre. chose
que cette Action: il est Ia mort qui vit une vie humaine * . »J'insiste sur Ia connexion continuelle d'un asp~ct abys~aIet
d'un aspect coriace, terre a terre, de cette philosophie, Ia
seule qui eut Ia pretention d'etre complete. Les possibilites
divergentesdes figures humaines opposees s'y affrontent et
s'y assemblent, Ia figure du mourant et cell~ de l'homme fier
qui se detourne de la mort, Ia figure du seIgneur et celle de
I'homme rive au travail, Ia figure du revolutionnaire et celIe
du sceptique, dont I'interet egotste borne Ie desir. Cette phi-
Iosophie n'est.pas seulement une philosophie de lamort. C'en
est une aussi de la Iutte de classeset du travail.
Mais dans les limites de cette etude, je n'ai pas l'intention
d'envisager l'autre versant, je voudrais rapprocher cette do~-
trine hegelienne de la mort de ce que nous savons du « sacn-
fice ».
11. LE SACRIFICE
Le sacrifice, d'unepart, et, de l'autre, le regard de Hegel absorbe
dans la mort et le sacri fice. .
Je neparlerai pas de l' interpretation du sacrifice donnee
par Hegel dans Ie chapitrede Ia Phenomenologie consacre a la
* Kojeve, P: 548.
1955 Deucalion335
Religion. * . Elle ~ sans ~o~te un sens dans Ie developpementdu .chapltre.' mars elle eloigne de l'essentiel, et elle a,selon
mo~, du point de vue de Ia theorie du sacrifice, un interet
momdre que la representation implicite dans le texte de la
Preface que je continue de commenter. . _
~u sacr~fice,je puis dire essentiellement, sur Ieplan de la
phtlosophle de Hegel, qu'en un sens, l'Homme a revele et
f~nde. ~a~e~ite humaine. en sacrifiant: dans Ie sacrifice, il
detruisir I animal * * en Im-meme,ne laissant subsister, de lui-
meme et ?e I'a~imal, que .Iaverite non corporelle que decrit
Hege!, qm, del homme, f~lt-selon I'expression de Heidegger
- un e~:epo~r I~mort (Sein zum Tode), ou - selon I'expressionde KOJeveIm-meme - «la mort qui vit une vie humaine »
E~ verite, Ieproblerne de Hegel est donne dans l'action du
s~cnfice. D~?s Ie sacrifice, Ia mort, d'une part, frappe essen-
tlellement I etre corporeI; et c'est, d'autre part, dans Iesacri-
fice, q~'ex~ctement, « Ia mortvit une vie humaine». Merrie il
~au~ralt dire que Ie sacri~ce est precisemenr la reponse a
I exigencs de Hegel, dont Je reprendrai Ia formuIe : .«L'Esprit n'obtient sa verite qu'en se trouvanr soi-meme
d~~s Ie dech~rement ab~o.lu.I~n'est pas cette 'puissance (pro-
~Igle~se),en etant Ie.POSltlfqm se detourne du Negatif ... non,
I ESP:lt n.est.cette puissance que dans lamesureou ilcontemple
Ie ~e~atlf. bien en face (et) sejourne pres de lui... »
Sl.I on trent compte du fait que I'institution du sacrifice est
pranquemenr universelle, ilest clair que laNegativite, incar-
nee dans.la mory d~ I'homme, non seuIement n'est pas la
~onst~uctlOn arbitraire de Hegel, mais qu'elle a joue dans
~esprit des homrnes Ies plus simples, sans accords analogues
~ c~ux que reglent une fois pour toutes les ceremonies d'une
Eghse.- ne,anmolI:s d:u,n; maniere univoque.Il est frappant
de VOIrqu une Negatzvzte commune a maintenu a travers Ia
ter:e un parallelisme etroit dans Ie deveIoppe~ent d'insti-
tutions assez stables, ayant la rneme forme et Iesmemes effets.
* Phenome I ' h . ., .no 0lS'e, cap. VIII: La Religion, B.: La Religionesthetique a) L'ceuvred.art ~~straIte ! t. II, p.2~5~236). ~ans ces deux pages, Hegel fai t bie 'n etat de ladlsparltlon de I essence objectiue, mars sans en developper la portee. DansIa second
(pale'I·H_egelse cantonne dans des considerations propres a la «religion esthetique:a re Iglon des Crees).
. ** Toutefois, bien que Iesacrificede I'animal apparaisse anterieur a celui de I'homme~Ien.·neprouve que Ie choix de l'animal signifie Ie desir inconscienr de s'o oser:i.
I,ammal enItant que tel, c'est seulement a l'etre corporel a I'etre donne que f.I~ommesoppose. I s'oppose d'ailleurs aussi bien a la plante. ' ,
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336 IEuures completes de G, Bataille
" "l l' homme ne peut connaitre immediatementu 'il tnue ou qu t meure,
la mort, diffe ces profondes entre l'homrneJe par!erai plus,loin de ~s ~:~:orance (l'inconscience) des
du sacrifice, operant da g "I fait et le Sage (Hegel) se
tenants et aboutis~an~s de c~ qu~ , ' absolu a ses propresrendant aux implications d un avorr .
yeux, , , 'I s'agit toujours de manifester leMalgre ces ~Ifferences, I £ me concrete, c'est-a-dire au
Negatif (et toUjO,u:s,sousie,I?~ents constitutifs sont inse-
sein de Ia Totahte, don,t es ~~I' iee de la Negativite est laParables), La manifestatlO,nynvI ;ge?e
leien C'est en principe
'I t en vente ne rev, , 'mort mars a mor , ele l'Homme a IUI-
: ' I dont la mort reve ,son etre natureI, amm,a, " 's II'eu Car une fois mort,
'1 "I t on n a Jamal ,meme, mars a reve a I l'et e humain lui-meme a cessel'etre animal qui Iesupporte: Ie r
fi, revele a lui-rneme il
,A e I'homme a a n ~e , ,d'etre. Pour ,qu "II' faudrait le faire en VIvant -en se
devraitmourir, ma~~I e~IEn d'autres termes, la mort :l1e-
regardant cesser d ~tr .: , '(desoi) au moment meme
meme devrait devemr cons~lence 'est en ~n sens ce qui a lieu
ou elle aneantit l'etre eooint d': C irlieu ou qui a lieu d'une; d ' r Ie pOint avoi '" "
(qUIest u m,o,lUs~ .. ' u mo en d'un subterfuge.
maniere fugitive, lUsalSl,sfisable):'datl'fieYal'an imal frappe de" ., ifi Ie sacn ant s I e
Dans Ie sacri ce, " et meme en quelque..' 't-il n se voyant mourrr, :
mort. Ainsi meur -1 e 'd r avec l'arme du sacrifice,sorte, par sa propre,v~Ionte" e cceu ,
Mais c'est une con:edle! edie si quelque autre methode
Ce serai~ du m?lllS u~~ari~T-envahissement de la mort: cet
existait qUIrevela~}u v~ni u'accomplit seul et peut seul
achevementrle 1e~r~, "re tue Ie fin it et defmitivementaccompI~r sa NegatIvlte'I q~l satisjadtion ne peut avoir lieu; Ie
Ie suppnme, Pour He~e , , Ia conscience de Ia mort.
desir ne peut etre ~palse que danstraire a ce que designe laLa satisfaction seral~ e? effe\~~ndela mort,si l'etre satisfait
m,ort, si elle,supposaJt IexcePlt, 't 'de ce qu'il estd'une. eet p emernen ,
n'ayant pas conscienc , . 1 "1devait plus tard'. , st a dire morte , s I
maniere consntunve, c e - - I t C'est pourquoi la' I ' f ction par a mor ,
etre ~hasse d~, a sans '~oit reflechir (refleter) cemouvemen~conscience quII~e so~ .' t ment fait un homme de lUIde negativite qUIIe cree, qUIJUs e
. , n j'our il le tuera. " ,pour Ia raison. qu ~. , ". ais our lui, desormais, rien
Sa propre negatIvlte letue~a'tn: ~aissi laconscience dea plus' sa mort est,crea rice,e ser .
19'55 Deucalion337
la mort - de la merveiIleuse magie de la mort _ ne Ie touche
pas avant qu'il meure, il en sera pour lui, de son vivant,comme
si la mort ne devait pas l'atteindre, et cette mort avenir ne
pourra lui donner uncaractere humain. Ainsi faudrait-il, a
tout prix, que I'homme vive au moment ou ilmeurt vraiment,ou qu'iI vive avec l'impression de mourir vraiment.
La connaissance de la mort ne peut se passer d'un subterfuge.' lespectacle.
Cette difficulte annonce la necessite du spectacle, ou gene-
ralement de la representation, sans la repetitiondesquels nous
pourrions, vis-i-vis de lamort, demeurer etrangers, ignorants,
comme apparemment Ie sont les betes. Rien n'estmoins ani-
mal en effet que, la fiction, plus ou moins eloignee du reel,de la mort.
L'Homme ne vit pas seulement de pain mais des comedies
par lesquelles il se trompe volontairement. Dans I'Homme,
c'esr l'animal, c'est'l'etre nature] qui mange. Mais I'Homme
assiste au culte et au spectacle. Ou encore, iIpeut lire: alorsla litterature prolonge en lui, dans la mesure ou elle est
souveraine, authentique, la magie obsedante des spectacles,tragiques ou comiques. '
II s'agit, du moins dans la tragedie *, de nous identifier a
quelque personnage qui meurt, et de croire mourir alors que
nous semmes en vie. Au surplus, l'imagination pure et simple
suffit, mais elle a Iemerne sens que les subterfuges classiques,
les spectacles ou les . livres, auxquels la multitude recourt.
Accord et desaccord desconduites nai 'ves et de la reaction lucide deHegel.
Enla rapprochant du sacrifice et par .ladu theme premier
de la representation (de I'art, des fetes, des spectacles),j'ai voulumontrer que, la reaction de Hegel est la conduite humaine
fondamentale. Ce n'est pas une fantaisie, une conduite etrange,
c'est par excellence l 'expression que la tradition repetair a
l'infini. Ce n'est pas Hegel isolement, c'est l'humanite entiere
qui partout et toujours a voulu,par un detour, saisir ce que
la mort en meme temps lui donnait et lui derobait.
Entre Hegel et l'homme du sacrifice subsiste neanmoins
une difference ·profonde. Hegel s'eveiIIa d'une maniere
. . Je par le plus loin de lacomedie,
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338 (Euures completes de G, Bataille
consciente a. la representation qu'il se donna du Negatif : illesituait , lucidement, en un point defini du « discours coherent»
par lequel ilse revelai t a .lui-meme. Cette .Total ite incluant Ie
discours qui la revele. Tandis que l'homme du sacrifice, auquelmanqua une connaissance discursive de ce qu' il faisait .j ri 'en
eut que la connaissance « sensible»; c'est-a-dire iobscure,
reduite a.l'
emotion inintelligible. II est vrai que Hegel lui-rneme, au-del a du discours, et malgre lui (dans un «dechi-
rement absolu »] recut meme plus violemment Ie choc de la
mort, Plus violemment surtout, pour la raison que l'ample
mouvement du discours erretendair la portee sans borne,
c' e st-a-dire dans Ie cadre de la Totalite du reel. Pour Hegel,
sans nul doute, Iefait qu' il demeurait vivantetait simplement
aggravant. Tandis que l'homme du sacrifice maintient sa vie
essentiellement. II la maintient non seulement dans Ie sens
ou la vie est necessaire a. l a representation de la mort, mais
il entendait l'enrichir. Mais a.prendre .la chose de haut, l'emoi
sensible et vouludans Ie sacrif ice avait plus d'interet ,que la
sensibilite involontaire de Hegel. L 'emoi dontje parle est connu,
il est definissable, et c 'est l 'horreur sa cree : l 'experience a. lafois la plus angoissante et la plus riche, qui ne se limite pasd'elle-rneme au dechirernent, qui s'ouvre au contraire, ainsi
qu'un rideau de theatre; sur un au-dela de ce monde-ci, ou
Ie jour qui s'eleve transfigure toutes choseset en, detruit Ie
sens borne,
En effet, si l'attitude de Hegel oppose a. la naivete du sacri-
f ice la conscience savante, et l 'ordonnance sans fin d 'une pen-
see discursive, cet te conscience, cet te ordonnance ont encore
un point obscur : onne pourrait dire que Hegel .meconnut Ie« moment» du sacrifice: ce «moment» est inclus, implique
dans tout le mouvement de la Phenomenologie -,Oll c'est la
Negativite de la mort, en tant que l'homme l'assume, qui fait
un hom me de I'animal humain. Mais n'ayantpas vu :que lesacrifice a lui .seul ,temoignait .de tout Ie mouvement .de .la
mort. * ,I'experience finale - etpropre au Sage- decrite dans
* Peut-etre faute d'une experience religieuse catholique, J'imaginele cathoIicisme
plus proche de l'experience patenne. J'entends d'une experience religieuse universelledont la Reforme- s'eloigne. Peut-etre seule une profonde ?iete catholique peut avoirintroduit le sentiment intime sans lequel laphenomenologie du sacrifice serait impos-
sible, Les connaissances modernes, bien plus etendues que celle du temps de Hegel,
ont assurement contribue a la solution de cette enigmefondamenrale (pourquoi, sansraison plausible, I'humanil/ a-t-elle giniralemenl « sacrifie »?), maisje crois serieusement
qu'une de,s~ription p~enomenologique correcte ne pourrait que s'appuyer au moinssur une penotk cathohque,' , '.'
1955 Deucalion339
la Preface de la Phenomenolo 'e fut d' , , ,s el le , - il ne sut pas dans g-tll ab,ord znztzale et univer-
que e mesure 1 ' ,quelle exactitude il decrivit le I a,va~traison, - avectivite; - iln'a pas claire ~ou~ement mume de la Nega-
, ment separe la m t d 'mstesse auquell'e " .. or u sentIment de
xpenence naive opforme tournante des emotions, pose une sorte de plate-
La tristesse de la mort e t le plaisir,
Le caractere univoque de la ' ,tement a Koieve le com ' mor~ pour Hegel mspire jus-, J mentam- SUlVant " I'Jours au passage de la P 'f: * ' qUI S app rque tou-
, re ace '« Cert l'ide dn augmente pas Ie bien-eire de l 'H es I ee e Ia mortheureux et ne lui procure au '?~n.me; elle ne Ie rend pas
de queUe maniere la satisf~~~!lals~r, ~ KOj,eves',~stdemande
du Negatif, d'un tete-a.-tete av~/f:u te d U? sejour aupres
~~nn~teme?t" rejeter Iasat isfaction vul;~:t, ~~ ; ,~ru dHevoir ,ul-meme dit a ce propos de l'Esnri " " . ~I que ege!
qu'en se trouvanr soi-meme dafsr:t
q~ tl ;< n obtient sa veritede pair, en principe, avec la Ne ~ dechlrem,~nt absolu» va
quence, il serait meme su erflga~~o~ de KOJeV,e,En conse-plement que I'ide dIP u d mSlster .. , KOJeve dit sim-I ee e a mort « est s l ' ,
(I') orgueil de l'homme» E :ffi I eu_~ a pOuvOlr satisfaireque Hegel place a' I' .": nde et, e desir d'etre « reconnu»
. ongme es I tt hi ,s'exprimer dans une attitude int ,u, es Istonques,pourraitun caractere, « Ce n'est, dit K:~plde, p,ropr,e a.faire valoir
sentant etre mortel ou fini , ~ev~, qu en ,etant OU en seIll, c est-a .-dIre en e
tant exister dans un uni xistanr et se sen-, Ivers sans au-del" '
I H omme peut affirmer t f ' a ou sans Dieu quehi " e arre reconnait IiberrsIstonclte et son individuaI't' , re sa I erte, son
K '>. Ie « unique au m d M'ojeve ecarte la satisfaction I ' on e », ais si
maintenant Ie « dechireme t v~ g~lre, Ie bonheur, il ecarteeffet un tel de hi n a so u » dont parle Hegel' en
, ec iremenr s'accord I 'reconnu. e rna avec le desir d'etre
La satisfaction et le dechirement .. idcomer ent cependant sur
, - Mais de route facon Hegel h 'I 'I" .n est pas Acti ,,' , ' OStle a eire sansfaire - a ' ,
on, - s mteresseralt davanta e a I - " ce qUIest slmplement etak~ut ; theme du sacrifice(mais i leJploie
aImort
'1t1~taire; c'est a travers elle q~'il;"cri~~~ o~tn:e-soldat, dir-ll, dans ses Confiren:'';~~ r~O~e~~:ans unsens moral):_ cett e contec vell ?en t reel du Moi -personne l Iedan er d - , et la guer re sonele
262 cite pae~p~:tlon de sa Negativite abstralte imm~diate mort(dur le particulier,medte d r oJ ve,~, 5~8,) Le s acrifice r eli ieux n' e..,», uvres, X?" p,261-
* Ko'~v~egel , une s ignification essentiel le ,g n en a pas moms, du pomr de vue
~ ,p , 549, Les mot s souIignes Ie sontpa I 'r auteur. '
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340CEuvres cornpzetes de G. Bataille
n point rna is iis s'y accordent avec Ie plaisir. Cette comci-
~ence a lieu dans Ie « sacrifice»; s'entend generalement,de la
forme naive de la vie, de toute existence dans Ie temps present .
manifestant ce que l'Homme est: ce qu'il signifie ~~ neu~ da~slemonde apres etre devenu I'Homme, et a la condItIOn d avorr
satisfait ses besoins « animaux ».
De toute facon. Ie plaisir, au moins Ie plaisirde.s se?s, .est
tel qu'a son sujet, I 'affir~a~ion de Kojeve pourr.aIt dIffi;IIe-
ment etre maintenue: I I dee de Ia mort co~t~Ibue, d ~r:ecertaine maniere et dans certains cas, a multiplier Ie plaisir
des sens.Je croismeme que, sous forme de souillu~e, Iemonde
(ou plutot l'imagerie generale) de la II_lort'est a Ia ba~e del'erotisme. Le sentimentdu peche se he dans Ia c~nsClence
Iire a' l 'idee de Ia mort, et de la meme [aeon Ie sentiment du
car I"h'peche se lie au plaisir * . II n' e st pas en effet de p ,a1Sl~ uma~nsans une situation irreguliere. sans Ia rupture d un interdit,
dont, actuellement, Ie plus simple - en meme temps Ie plus
fort - est celui de Ia nudite. .Au surplus, la possession fut associee. en son tem~s, ~ l'Ima?"edu sacrifice: c'etait un sacrifice dont Ia femme etait .Ia VlC-
time . .. Cette association de Ia poesie ~ntique est I?I~I?? d~sens : elle se rapporte a un etat precis de Ia sensI~)lht: ou
l'elernent sacrificieI, Ie sentiment d'horreur sacree se lia mem~,
a l'etat faible, au plaisir edulcore; ou, ?'au,tre _part, ~egou~du sacrifice et l'emotion qu'il degageau n avaient nen qUI
sernblat contraire a la jouissance. .II faut dire aussi que Ie sacrifice etait; comme la rragedie,
l'element d'une fete: il arinoncait une joie deletere,av~u~le,
et tout Iedanger de cettejoie, mais c'est justement Ie I?rm~lpede lajoie humaine: elle excede etmenace de mort celui qu elle
entra'ine dans son mouvement. '
L'angoisse gaie, la gaiete angoissee. ., ., 'A l'association de la mort au plaisir, qUI n est pas donnee,
du moins n'est pas immediatement donnee dans la ~ons-
cience, s'opposeevidemment la mstesse de ~amort, t.ouJoll:s
a l'arriere-plan deIa conscience. En prmcIpe, consczemment
,
I'humanite «recule d'horreur devant la mort ». Dans leur
principe, les effets clestructeurs de la Negativite ont laNat~~,~
* C'est du mains possible, et s'il s'agit des interdits les plus communs, c'est banal.
1956 Deucalion 341
pour objet. Mais si la Negativite de I'Homme Ie porte au-
devant du danger, s'il fait de lui-mente, du moins de l'ani-
mal, ~e l'etre na~~rel qu'il est, l'objet de sa negation des-tructrice, la condition ban ale en est I'inconscience ou il estde la cause et des effets de ses mouvements. Or, ce fut
essentiel pour Hegel de prendre conscience de Ia Negativite
comme teIle, d'en saisir I'horreur, en l'espece I'horreur deIa mort, en soutenant et en regardant l'ceuvre de la mort
bien en face.
Hegel, de cette rnaniere, s'oppose moins a ceux qui« reculent », qu'a ceux qui disent : « ce n'est rien », II semble
s 'eloigner Ie plus de ceux qui reagissent gaiement.
J'!nsiste, v_ou.I~ntfain; resso~t.ir, Ie plus clairement possible,apres leur similitude, I OppOSItIOnde I'attitude nafve a celle
de la Sagesse - absolue - de Hegel. Je ne suis pas sur, en effet,
que d~s de~x I'attitude la moins absolue soit Ia plus naive.Je citerai un exemple paradoxal de reaction gaie devant
I'oeuvre de Ia mort.
~a coutume irlandaise et galloise du « wake» est peu connue,
mars on I'observait encore a la fin du siecle dernier. C'est Iesujet de la derniere oeuvre de Joyce *, Finnegan's Wake, c'est
la veillee funebre de Finnegan (mais la lecture de ce romancelebre est au moins malaisee), Dans le pays de Galles, on
disposait Ie cercueil ouvert, debout, a la place d'honneur de
la maison, Le mort etait vetu de ses plus beaux habits, coiffede son haut-de-forme. Sa. famille invitait tous ses amis, qui
h~noraient d'autant plus celui qui les avait quittes qu'i ls dan-saient plus longtemps et buvaientplus sec a sa sante. II s 'agit
de la mort d'un autre, mais en de tels cas, Ia mort de l'autre
e~~ t~ujo~rs. l'i~age de sa ~r?pre mort. Nul ne pourrait sereJoUlr arnsi qu a une condition ; Ie mort, qui est un autre,etant cense d'accord, Ie mort que sera Ie buveur a son tour
n'aura pas d'autre sensque Ie premier.Cette reaction paradoxale pourrait repondre au' souhait
de nier l 'existence de la mort . Souhait Iogique? Je crois qu'i l
n'en est rien. Au Mexique, de nos jours, il est commun
d'en~isager Ia mort sur Ie memeplan que l'amusement: ony VOlt, dans les fetes, des pantins-squelet tes, des sucreries-
squelettes, des maneges de chevaux-squelettes, mais.acette
,* , ,SurI~~ujet de ce livre obscur, voir E.Jolas, E lu ci da ti on d u m on om yt he d e J am es J oy ce(Cnhque, juillet 1948, p.579-595).
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342 CEuvres completes de C. Bataille
coutume se lie un intense culte des morts, une obsession
visible de la mort * . " ,II ne s'agit pas, si j'envisage la m?rt g~lement, ~e d~re a
mon tour, en me detournant de ceqU.le:~fr~l:: ~< c,enest rten »
ou « c'est faux », Au contraire, la gaiete, liee a I :euvre de la
mort me donne de I'angoisse, elle est accentuee p.ar mon
angoisse et elle exaspere cet~e~ngoiss.e~n contrepartIe : fina-
lernent l'angoisse gaie, la gaiete angOlssee me ~o~me~t en,un
chaud-froid 1'«absoludechirernent » ou c'est.ma~Oleq~ll.ach:~e
de me dechirer, mais OUl'abattement suivrait la JOle SlJe
n'etais pas dechire jusqu'au bout, sans m~s~re. ,. . ,
Je voudrais rendre sensible une Op~~)SltlonprecIse. ~ un
cote l'attitude de Hegel est moins entler~ ~ue ce~led: !hu-manite naive, mais ceci n'a de sens que SlI.on V<;>lt,eclpro-
quement, l'attitude naive impuissante ~ semamternr sans faux-
fuyant. '
Le discours donne des f ins ut ile s au sacrif ic~ If apres, coup ».
J'ai lie le sens du sacrific~ i.Ia c~ndUIte de .Il!0mme,~ne
fois ses besoins d'animalsatisfaits : IHo~me differe de,I.etre
naturel qu'il est aussi: le geste du sacrifice est ce qu 11est
humainement, et lespectacle du sacri~ce ren~ alors son huma-
nite manifeste. Libere du besoin animal, I.~omme est s~u-
verain: il fait ce qui lui plait, son bon plaisir. .II peut faire
enfin dans cesconditions un geste ri~oure~sement.aut<;>nom~.
Tant qu'il devait satisfaire des besoms amma~x, 11lUIfallait
agiren vue d'une fin (il devait s'assur~r des alImen~s, s~pro-
teger du froid). Cela suppose une ser~ltud~, une suite d act~s
subordonnes au resultatfinal : la satlsfactl~n ~aturelle, am-
male, sans .laquelle l'Homme propremen~ dit;'! Homme, so~-
verain, ne pourrait subsister. Mais l'intellIgence: la pensee dzs_-
. d l'Homme se sont developpees en fonction du travailcurstue e . ., I dI
servile. Seule la parole sacree, poetique, hmlt~e au p an ~ abeaute impuissante.gardait le pouvoir de mam.fester,~apleine
souverainete. Le sacrifice n'est done une maniere d :tr: = :veraine, autonome, que dans lamesure OU~ediscou,~sszgnificatif
ne l'informe pas. Dans lamesure ou le dlSCOU~Sinforme, ce
ui est souverain est donne. en termes de servztud~. En .effet,
~equi est souverain, par definition ne sert pas. Mais.Ie ~lm~le
discours doit repondre i la question que pose la pensee dis-
lo:g~~r~: ~~ ~;:"1e~~~~t~e~~~~:~~n;~~:i : :~~~;ti:r:~~ie~r~:a~~;~~r¥;
.1955 Deucalion
343
cursive touchanr Ie sens que chaque chose doit avoir Sur le
plan de l'utilite. En principe, elle est la pour servir a telle outelle fin. Ainsi la simple manifestation du lien de I'Homme i
I'aneantissement, la pure revelation de I'Homme a lui-meme
(au moment ou la mort fixe son attention) passe de la sou-
verainete au primat des fins serviles. Le mythe, associe au
rite, eut d'abord Ia beaute impuissante de Ia poesie, mais Ie
discours aut?ur du sacrifice glissa a I'interpretation vulgaire,
interessee. A partir d'effets nai'vement imagines sur Ie plan
de la poesie, comme I'apaisemenr d'un dieu, ou Ia purere des
etres, Ie discours significatif donna comme fin de I'operation
I'abondance de Ia pluie ou Ie bonheur de la cite. Le gros
ouvrage de.Frazer, qui evoque Ies formes de souveraineis,
les plus impuissantes et, selon I'apparence, Ies moins propices
au bonheur, tend a ramener generalement Ie sens de l'acte
rituel aux memes fins que le travail des champs, a faire du
sacrifice un rite agraire. Aujourd'hui, cette these du Rameau
d'or est sans credit, mais elle parur sensee dans la mesure ou
les peuples memes qui sacrifierent inscrivirent le sacrifice
souverain dans Iecadre d'un langage de laboureurs. En effet,
d'une maniere tres arbitraire, qui jamais nejustifia Ie credit
d'une raison rigoureuse, ces peuples essayerent, et durent
s'efforcer de soumettre Ie sacrifice aux lois de l'action, aux-
quelles -ils etaient eux-memes soumis, ou s'effor~aient de sesoumettre.
.1
f
IImpuissance du sage a parvenir a la souveraineti a partir dudiscours.
Ainsila souverainete du sacrifice n'est pas absolue non plus.
Elle ne l'est pas dans la mesure OUI'institution maintient dans
un monde de l'activite efficace une forme dont Ie sens est
d'etre au contraire souveraine. Un glissement ne peut man-quer de se produire, au profit de la servitude. :
Si l'attitude du Sage (de Hegel) n'est pas souveraine de son
cote, les choses se passentdu moins dans .le sens contraire :
Hegel ne s'eloigna pas ets'il ne put trouver Ia souverainete
authentique, il en approcha Ieplus qu'il pouvait. Ce qui l'en
separa serait merne insensible"si nous ne pouvions entrevoir
une image plus riche a travers ces alterations de sens, qui
atteignent Ie sacrifice et, de l'etar de fin I'ont reduir a celui
de simple moyen. Ce qui; du cote du Sage, est a la cle d'une
moindre rigueur, est Ie fait, non que Ie discours engage sa
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344 ( Eu ur es c om p le te s d e C. Bataille
souverainete dans un cadre qui ne peut lui convenir et I'atro-
phie, mais precisement le fait contraire : la souverainete dans
l'attitude de Hegel precede d'un mouvement que le discours
revele et qui, dans l'esprit du Sage, n'estjamais separe de sa
revelation. Elle ne peut done etre pleinement souveraine: le
Sage en effet ne peut manquer de la' subordonner a la fin
d'une Sagessesupposant I'achevernent du discours. La Sagesseseule sera la pleine autonomie, la souverainete de l'etre ... Elle
Ie serait du moins sinous pouvions trouver la souverainete en
lacherchant : en effet, sije la cherche, je faisle projet d'etre
- souverainement: mais le projet d'etre - souverainement
suppose un etre servile! Ce qui assure neanmoins la souve-
rainete du moment decrit, est le « dechirement absolu » dont
parle Hegel, la rupture, pour un temps, du discours. Mais
cetterupture elle-merne n'est pas souveraine. C'est en un sens
un accident dans l'ascension.Bien que I'une et l'autre sou-
verainetes, la.naive et la sage,soientcelles de la mort, outre
la difference d'un declina la naissance (de la lente alteration
a la manifestation imparfaite), elles different encore en ce
point precis :du cote de Hegel, il s'agit justement d'un acci-dent. Ce n'est pas un hasard, une malchance, qui seraient
depourvus de sens. Le dechirement est plein de sens au
contraire. ( <<L 'E s pr it n 'o b ti en t s a v ir it i, dit Hegel (mais c'est
moi qui souligne), qu'en se trouvant soi-meree dans le.dechi-
rement absolu. ») Mais ce sens est malheureux. C'est ce qui
borna et appauvrit la revelation que le Sage tira d'un sejour
aux lieux O U regne lamort. IIaccueillit la souverainete comme
un poids, qu'il lacha...
J'aurais I'intention de minimiser l'attitude de Hegel? Mais
c'est le contraire qui.est vraiIJ'ai voulu montrer I'incompa-
rable portee de sademarche. Je ne devaispas a cette fin voilerla part bien faible (et meme inevitable) de l'echec..
Amon sens, c'est plutot l'exceptionnelle .surete de cette
demarche qui .ressort .de mes rapprochements. S'il echoua,
I'onne peut dire que ce fut le resultat d'une erreur, Lesens
de l'echee.lui-meme differe de celuide l'erreur qui la causa:
l'erreur seule est peut-etre fortuite. C'est generalement,
comme d'un mouvement authentique et lourd de sens, qu'il
faut parler de 1'«echec » de Hegel.
En fait, l 'homme est toujours a la poursuite d'une souve-
rainete, authentique. Cette souverainete, selon I'apparence, il
I'eut en unsens initialement, mais sans nulvdoute, ce ne
1955 Deucalion 345
pouvait alors etre de maniere consciente si bien qu'e'1 I' . ' nun sensI ne e.utpas, elle lUIec~appait. Nous verrons qu'iI poursuivit
~e plusle,ursfacons ce qUIse derobair toujours a lui. L'essentieletant qu on ne peut l'atteindre consciemment et Iechercher
car la recherche I:el~igne. Maisje puis croire que jamais rie~
ne nous est donne, SInon de cette maniere equivoque.
5/13/2018 La Mort Et Le Sacrifice - slidepdf.com
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1-.J.GEORGES BA T AI LLE
CEuvres
completesXII
Articles 21950-1961
GALLIMARD