La didactique des mathématiques au Québec : Genèse et ...

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Actes du colloque du Groupe des Didacticiens des Mathématiques du Québec 2007 La didactique des mathématiques au Québec : Genèse et perspectives 6-8 juin 2007 Actes préparés par Patricia Marchand, Université de Sherbrooke

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Actes du colloque du Groupe des Didacticiens des Mathématiques du Québec

2007 �������������������������������������������������������

La didactique des mathématiques au Québec :

Genèse et perspectives

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6-8 juin 2007 �������������������������������������������������������

Actes préparés par Patricia Marchand, Université de Sherbrooke

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Table des matières

INTRODUCTION………………………………………………………………………………… 1

HOMMAGES À RICHARD PALLASCIO…………………………………………………….. 5

CONFÉRENCE D’OUVERTURE – Nadine Bednarz…………………………………………19 Ancrage de la didactique des mathématiques au Québec : à la recherche de sens et de cohérence

LECTURE PUBLIQUE – Richard Pallascio et Philippe Jonnaert……………………………63 Psychologie et didactique : Jean Piaget

COMMUNICATIONS Isabelle Arsenault………………………………………………………………………….……..83 Attitudes des futurs maîtres du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques Rachid Bebbouchi………………………………………………………………………………...95 L’analyse des erreurs : un thème possible de coopération québeco-algérienne. Maha Belkhodja…………………………………………………………………………………101 La place accordée à la visualisation en géométrie dans les manuels de mathématiques au secondaire au Québec Helena Boublil……………………………………………………………………………….…..113 La réforme actuelle : analyse des effets de son introduction sur la formation des futurs maîtres France Caron et Sophie René de Cotret……………………………………………………….123 Un regard didactique sur l’évaluation en mathématiques: genèse d’une perspective

Lucie DeBlois, Viktor Freiman et Michel Rousseau………………………………………….135 Les résultats des élèves aux tests internationaux et leur possible influence sur les thèmes de recherche Alexandre Ducharme Rivard………………………………………………………….……….147 Qu’est-ce que l’arithmétique ? Que recouvre son enseignement ? Regard historique et analyse de manuels québécois du début et de la fin du XXe siècle au secondaire Alejandro S. González-Martín…………………………………………………………………157 Une nouvelle perspective pour la légitimation du registre graphique. Un exemple avec des intégrales impropres.

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SUITE DES COMMUNICATIONS Geneviève Lessard et Gisèle Lemoyne…………………………………………………...…….169 Approche écologique pour le développement de situations didactiques visant la construction de

connaissances arithmétiques chez les élèves de première secondaire en difficultés d’apprentissage Jean-François Maheux………………………………………………………………………….183 Voix multiples dans l’invention d’une situation : réflexion sur la recherche en didactique des mathématiques Jérôme Proulx…………………………………………………………………………………..193 La recherche sur les enseignants du secondaire en mathématiques : Un phénomène beaucoup plus complexe qu’on ne le pense

TABLE RONDE Jean Dionne……………………………………………………………………………………..209 Un passé tourné vers l’avenir Gisèle Lemoyne……………………………………………………………………………..…..215 Importance didactique et sociale des recherches sur l’enseignement des mathématiques aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage Richard Pallascio…………………………………………………………………...…………..223 La didactique des mathématiques au Québec : quelques états d’âme…

RÉACTION À LA TABLE RONDE - Jérôme Proulx………………………………………227 Les recherches en didactique des mathématiques : Perspectives personnelles sur les perspectives d’avenir…

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INTRODUCTION

Le colloque du Groupe des didacticiens des mathématiques du Québec est une rencontre annuelle qui se déroule dans une université québécoise différente d’une année à l’autre. En 2007, du 6 au 8 juin, ce colloque a eu lieu à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) pour la première fois de son histoire (depuis 1970). Le comité de coordination du GDM est composé de trois personnes soit, l’hôte du colloque précédent, Denis Tanguay (UQÀM), l’hôtesse de l’année en cours, Patricia Marchand et l’hôte de la prochaine rencontre, Laurent Theis (Université de Sherbrooke). Cette année, un site a été mis en ligne pour le colloque: http://harfang.uqar.qc.ca/gdm/; nous voulons remercier Serge de Maisonneuve, qui a su créer et gérer ce site pour nous. Le Groupe existant depuis maintenant presque quarante ans, le comité local, composé d’Adolphe Adihou, Cathy Arsenault, Patricia Marchand et Dominic Voyer, voulait profiter de cette occasion pour créer un lieu d’échange entre les générations de didacticiens en fixant un thème qui relie leurs différentes perspectives.

THÈME DU COLLOQUE : La didactique des mathématiques au Québec: Genèse et perspectives La didactique des mathématiques existe maintenant depuis près d’un demi-siècle. Au Québec, le groupe de didacticiens des mathématiques est au début des années 70 et toute une génération de didacticiens s’apprêtent à tirer leur révérence après une carrière remarquable et une grande contribution à la genèse de la didactique des mathématiques. L’opportunité d’offrir une tribune aux différentes générations semble incontournable afin d’assurer la pérennité des théories fondatrices qui sous-tendent et sous-tendront la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Tout le processus de développement impliquant l’ensemble des faits et des résultats qui ont concouru à la création et la formation de la didactique des mathématiques constitue un des pôles du thème de cette rencontre : la genèse. Si le colloque du GDM 2007 situe cette genèse au premier plan, c’est qu’elle permet de retourner aux différents points d’ancrage de la didactique des mathématiques non seulement pour en comprendre l’origine et l’évolution, mais pour ouvrir une fenêtre sur les perspectives qui lui sont spécifiques.

Plusieurs avenues peuvent être envisagées pour discuter de genèse et de perspectives en didactique des mathématiques. Nous proposons la liste suivante qui, bien que non-exhaustive, comporte certains thèmes qui pourraient favoriser nos réflexions, échanges et débats :

� Articulation entre généalogie et didactique des mathématiques. Plusieurs chercheurs du Québec et ailleurs dans le monde ont contribué à une mise en évidence de la généalogie de la didactique des mathématiques (Lemoyne, 1996; DeBlois, Aufort & Paquin, 2004; Margolinas, 2005; Duval, 2001).

� Retour historique sur la recherche en didactique des mathématiques mettant en évidence certains axes de recherche :

o Les préoccupations des chercheurs de nature épistémologique, mathématique, didactique et cognitive (élèves, erreurs, conceptions, dispositifs d’enseignement, situations d’apprentissage, réforme, formation, pratiques enseignantes…).

o Les contenus mathématiques ciblés (arithmétique, algèbre, géométrie, probabilités, statistiques…).

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o Les TIC (calculatrice, logiciel, ordinateur, outils et situations d’apprentissage).

� Réflexion au regard des différentes théories, écoles de pensée et fondements mis en jeu par la didactique des mathématiques (théorie des situations, théorie des champs conceptuels, théorie anthropologique, théorie constructiviste…).

� Réflexion sur son identité (Sierpinska et Kilpatrick, 1998) et ses particularités à l’égard des autres didactiques (Bednarz, 2001).

� Analyse des courants méthodologiques de recherche (action, étude de cas, collaborative, quantitative, qualitative, Ingénierie didactique, de développement, …) et de ses buts à travers le temps (amélioration de l’enseignement, description et explication des phénomènes d’enseignement/apprentissage, théorisation ou modélisation, développement…).

� Étude de la didactique des mathématiques en relation avec d’autres champs de recherche comme la psychologie, la sociologie et la pédagogie (Piaget ; Vergnaud ; Plaisance & Vergnaud, 1993). La didactique des mathématiques est multiréférentielle (Bednarz, 2001) : son sens dépend des intérêts et des pratiques sociales mises en jeu dans un contexte précis. Ainsi, nous pouvons traiter des interactions de la didactique des mathématiques avec ces différents champs de recherche et les autres didactiques disciplinaires.

� Mise en évidence d’un ou de plusieurs moments de rupture de l’enseignement des mathématiques ou de la recherche en didactique des mathématiques (implantation d’une réforme, contradiction des théories, des résultats ou des angles d’attaque (savoirs mathématiques, savoirs didactiques et savoirs d’expérience)).

� Analyse de certaines publications pour mettre en évidence leurs contributions, pour en donner notre interprétation, pour situer nos recherches par rapport à ces dernières, pour émettre des critiques et recommandations et, enfin, pour mener un regard réflexif sur l’émergence d’orientations futures de la recherche en didactique.

� Actualisation des théories fondatrices de la didactique des mathématiques pour permettre un pont entre ce qui se fait aujourd’hui, ce qui se fera demain et ce qui s’est fait par le passé et ainsi mieux comprendre les raisons qui sous-tendent les récentes recherches et celles à venir.

Le thème de genèse et perspectives nous permet de revisiter les travaux de différents chercheurs d’en dégager l’importance à la lumière de l’état actuel de la recherche en didactique des mathématiques, de retravailler les savoirs didactiques et, par la même occasion, de faire un portrait de l’évolution de la didactique depuis ses débuts pour mieux envisager son avancement. Ce colloque a pour but de rendre hommage aux didacticiens québécois de la première heure, mais surtout de générer des échanges entre ces bâtisseurs et la relève en didactique des mathématiques. Ainsi, pour chacune des entrées présentées (ou même d’autres non mentionnées), le point de vue des deux types de chercheurs (récents et établis) viendra enrichir les échanges.

Dans le cadre de ce colloque, la parole est donnée aux chercheurs de différentes générations. Nous visons une articulation et un équilibre entre ceux-ci pour créer un espace propice aux échanges afin de réfléchir à l’avenir de la recherche en didactique des mathématiques.

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LE DÉROULEMENT DU COLLOQUE

Le colloque s’est déroulé sur trois jours : la conférence d’ouverture et un souper collectif ont lieu lors du premier jour, les différentes communications et les sorties touristiques se tiennent le deuxième jour et trois différents types de conférences clôturent cette rencontre : la lecture publique de la dernière conférence de Jean Piaget, la présentation de notre conférencière invitée et la table ronde suivie d’un court exposé en réaction à la table ronde.

La conférence d’ouverture menée par Nadine Bednarz, de l’Université du Québec à Montréal, nous a permis de remonter le temps pour retracer les premiers balbutiements de la didactique des mathématiques au Québec ainsi que son évolution jusqu’à aujourd’hui en lien avec le développement de son identité et la cohérence de son exploitation à travers les diverses recherches. Nous aimerions en profiter pour souligner le travail colossal que Madame Nadine Bednarz a dû accomplir pour la préparation de cette présentation, mais surtout pour l’écriture du texte inclus dans ces Actes. Il s’agit d’une énorme implication de sa part et nous lui en sommes très reconnaissants.

Les douze communications qui ont suivi ont su poursuivre les réflexions en lien avec ce thème. Voici la liste des auteurs des communications : Isabelle Arsenault; Rachid Bebbouchi; Maha Belkhodja; Helena Boublil; France Caron et Sophie René de Cotret; Lucie DeBlois, Viktor Freiman et Michel Rousseau; Alexandre Ducharme Rivard; Alejandro Gonzalez-Martin; Geneviève Lessard; Jean-François Maheux; Jérôme Proulx; Mireille Saboya.

La lecture publique de la dernière conférence de Jean Piaget, qui a eu lieu en 1971 à l’UQÀM, réalisée par Richard Pallascio et Philippe Jonnaert fut un évènement unique. La conférence était ouverte à tous et les deux présentateurs ont mis en lumière les aspects des recherches menés par ce psychologue qui sont encore d’actualité ainsi que des questions encore sans réponses. Mentionnons que Richard Pallascio nous a quitté le 7 mars dernier et qu’une place est réservée dans ces actes pour lui rendre hommage.

La conférence de clôture de Colette Laborde nous a proposé un autre regard sur la didactique des mathématiques du Québec. Madame Colette Laborde a mis en évidence ce portrait selon sa lunette de didacticienne issue de la didactique française, ce qui fut très enrichissant. Ce type de recul nous permet d’observer nos pratiques d’après un autre point de vue et ainsi émettre d’autres sources d’interprétation.

La table ronde regroupait six didacticiens de renom : Jean Dionne, Claude Gaulin, Philippe Jonnaert, Colette Laborde, Gisèle Lemoyne et Richard Pallascio. Ils ont échangé sur les questions suivantes : Quelles ont été et quelles pourront être les préoccupations et les courants de la recherche en didactique des mathématiques? Comment la recherche en didactique des mathématiques a-t-elle changé et pourra-t-elle changer l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques et, dans la foulée, la formation des maîtres? Jérôme Proulx effectua ensuite un court exposé en réaction aux échanges tenus tout au long du colloque et, plus spécifiquement, en lien à ceux traités lors de la table ronde. Il a su conclure ce colloque en émettant plusieurs idées sollicitant notre réflexion sur les perspectives pour la didactique des mathématiques en terme d’évaluation, d’histoire, d’épistémologie et de la place des mathématiques à l’intérieur des recherches en didactique des mathématiques.

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LES PARTICIPANTS

Il y a eu 38 participants à ce colloque regroupant étudiants, enseignants, professeurs-chercheurs, chargés de cours et conseillers pédagogiques venant des institutions suivantes : Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) de Grenoble et Université Joseph Fourier, France; Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene (USTHB), Alger; Université du Québec à Rimouski (UQAR), Université du Québec à Montréal (UQÀM), Université de Montréal, Université Laval, Université de Sherbrooke, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Université de Moncton, Université d’Ottawa et Commission Scolaire de Montréal (CSDM). Adihou Adolphe Arpin Jonatan Arsenault Cathy Arsenault Isabelle Bacon Lily Bebbouchi Rachid Bednarz Nadine Belkhodja Maha Bergé Analia Boublil-Ekimova Helena Carbonneau Anne-marie Caron Élaine Caron France

Corriveau Annie De Blois Lucie Dionne Jean Ducharme Rivard Alexandre Fleuret Carole Freiman Viktor Gaulin Claude Gonzalez-Martin Alejandro Jonnaert Philippe Koudogbo Jeanne Laborde Colette Lemoyne Gisèle Laflamme Jacqueline

Lessard Geneviève Maheux Jean-François Marchand Patricia Martin Vincent Mouboli Victor Nantais Nicole Pallascio Richard Proulx Jérôme Saboya Mireille René de Cotret Sophie Theis Laurent Voyer Dominic

LES ACTES DU COLLOQUE

Dans ces Actes, nous dédions la première partie à un hommage à Richard Pallascio qui nous a quitté quelques mois après la tenue de ce colloque. Plusieurs collègues ont manifesté le désir de lui écrire un petit mot et ces témoignages sont présentés dans les pages qui suivent.

Les autres parties des Actes sont consacrées aux textes étayant les communications qui ont eu lieu lors de ce présent colloque, plus spécifiquement les auteurs qui ont bien voulu participer à ces Actes. Ainsi, le premier texte est en lien avec la conférence d’ouverture, ensuite nous retrouvons le texte dédié à Jean Piaget. Les textes suivants présentent onze des douze communications réalisées lors de ce colloque. Par la suite, les échanges de la table ronde sont repris par trois des six membres de cette table, reflétant les grandes idées des échanges effectués à ce moment et les actes se terminent avec la réaction suite à cette table ronde.

Je tiens à remercier tous les collègues et les étudiants ayant participé à ce colloque et à son organisation. Pour envisager les perspectives de développement et de recherche d’une discipline comme la didactique des mathématiques, il faut très souvent revenir à sa genèse et son évolution. En ce sens, nous espérons que ce document saura alimenter les discussions concernant vos préoccupations didactiques pour les années à venir; une démarche de réflexion menant, du même coup, à des retombées concrètes pour l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques à tous niveaux scolaires.

Patricia Marchand

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HOMMAGES À RICHARD PALLASCIO

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Hommage à Richard PallascioHommage à Richard PallascioHommage à Richard PallascioHommage à Richard Pallascio

Nadine Bednarz, Gisèle Lemoyne, Marie Larochelle

Le vendredi 7 mars 2008, notre collègue et ami, Richard Pallascio, décédait, à l’âge de 60 ans, dans ce coin de pays qu’il aimait tant, les Laurentides, dans cette région où il avait trouvé refuge. Il y combattait courageusement un cancer, qui l’affectait depuis trois ans et demi, puisant son énergie et sa volonté dans son engagement incessant envers l’éducation des jeunes, sa réflexion et son écriture sur l’enseignement des mathématiques, les rencontres avec les nombreux collègues et amis de passage chez lui, le soutien et l’amour de sa famille proche, et la vue magnifique du lac Lasalle, à Val Morin, où il avait élu domicile depuis plus de 4 ans. Comme nous disait Isabelle, sa conjointe, la maison de Val Morin était devenue une véritable succursale Berri-UQAM, une ouverture que souhaitait Richard et qui lui faisait chaud au cœur!

Ayant eu le privilège de connaître Richard pendant plusieurs années et de le côtoyer de près, nous aimerions souligner son apport important à toute la communauté didactique et éducative, à travers quelques-unes de ses contributions.

Professeur de mathématiques au CEGEP du Vieux Montréal dès 1970, Richard Pallascio s’est intéressé, dès le début de sa carrière, aux questions d’éducation mathématique. Il a ainsi travaillé, activement, dans les années 1970, au programme de perfectionnement des maîtres en mathématiques (PERMAMA) dans lequel il a notamment contribué à l’élaboration de cours portant sur la pédagogie par projet. Il a également participé, en 1979, à une recherche portant sur les attitudes des élèves à l’égard des mathématiques, travail réalisé dans le cadre de Permama en collaboration avec Jacques Nimier.

Professeur titulaire au département de mathématiques de l’Université du Québec à Montréal depuis 1984, Richard Pallascio a contribué à la formation initiale et continue des enseignants et enseignantes du primaire, mettant sur pied de nombreuses initiatives dans les cours de didactique des mathématiques et de mathématiques (élaboration de matériel didactique lié aux cours, création de jeux de rôle autour de mises en situation, développement de collaborations avec les écoles…), ainsi qu’à la formation

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d’étudiants et étudiantes de maîtrise et de doctorat, à travers notamment son engagement dans la maîtrise en enseignement au primaire dans les années 1980 et dans le doctorat en éducation, dès sa mise sur pied, en 1987.

Chercheur régulier durant plus de 20 ans au Centre interdisciplinaire de recherche sur l’apprentissage et le développement en éducation (CIRADE, UQAM), dont il a été le directeur et le directeur associé, il joua là aussi un rôle essentiel tant dans l’élaboration de recherches novatrices, en lien avec les écoles, que dans le développement des écoles recherches associées au CIRADE. Des recherches collaboratives avec les praticiens et praticiennes de l’école alternative « Les petits castors », école recherche associée au CIRADE, furent ainsi réalisées sur la pédagogie du projet, l’intégration des dimensions artistiques et mathématiques dans l’enseignement, la philosophie pour enfants, le développement de la pensée critique.

Les colloques québécois, canadiens, américains et européens, auxquels il a activement participé, ont été la source de développements importants dans plusieurs domaines. Signalons, entre autres, les travaux réalisés par les équipes de recherche réunies autour de Richard Pallascio sur le développement des habiletés spatiales chez les élèves, dans différentes communautés dont la communauté inuit, sur le développement de compétences réflexives (pensée critique et créative, habiletés argumentatives et métacognitives) dans l’apprentissage des mathématiques, ou encore les recherches menées autour de la thématique « philosopher sur les mathématiques » qui donnèrent lieu à des contributions originales et récentes de Richard montrant l’intérêt d’une telle approche pour l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques.

En somme, les contributions de Richard Pallascio dans le domaine de la recherche et de l’enseignement des mathématiques sont impressionnantes. En témoignent, les nombreuses reconnaissances et distinctions qui lui ont été décernées. Il nous faut mentionner, entre autres :

- Le Prix Abel-Gauthier décerné en 1994 par l'Association Mathématique du Québec à la personnalité de l'année dans le domaine de la recherche et de l'enseignement des mathématiques;

- La 1ère mention accordée en 1998-1999, dans le cadre du Prix du Ministre de l'éducation, dans la catégorie « Rapports de recherche pédagogique », pour son travail portant sur « les compétences spatiales géométriques et l’acculturation mathématiques inuite »;

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- La Mention spéciale hors-catégorie du Prix Rolland-Brossard décerné par l’Association Mathématique du Québec, pour la publication de « Mathématiques d’hier et d’aujourd’hui » parue en 2000;

- Le Prix « APAME d’or » pour le meilleur article publié de 1999 à 2001 dans la revue « Instantanés mathématiques ».

En témoignent également, les nombreuses subventions de recherche qui lui ont été attribuées sur différents sujets par des organismes québécois (FCAR, FQRSC) et canadiens (CRSH) reconnus.

Richard Pallascio a publié de nombreux livres, chapitres de livres, articles dans des revues scientifiques et professionnelles et prononcé plusieurs conférences, lors de colloques et de congrès nationaux et internationaux. Il a donné plusieurs ateliers destinés aux enseignants, participé à des expositions scientifiques, à l’élaboration de vidéos, à la création de sites interactifs, dont « l’agora de Pythagore », site sur lequel des élèves dialoguent à partir de questions liées aux mathématiques.

Il nous faut, enfin, souligner son engagement remarquable vis-à-vis de la communauté éducative au Québec, à travers notamment son implication dans plusieurs de ses associations professionnelles. Il a été membre actif de l’Association Mathématique du Québec (AMQ) dont il fut président de 1979 à 1981, du Groupe des Responsables en Mathématiques au Secondaire (GRMS), du Conseil Pédagogique Interdisciplinaire du Québec (CPIQ), de l’Association des Promoteurs de l’Avancement de la Mathématique à l’Élémentaire (APAME) et du Groupe des Didacticiens des Mathématiques du Québec (GDM). Après la disparition de l’APAME, il a été responsable de la revue MathVIP, revue virtuelle à l’intention du primaire sur les questions d’apprentissage et d’enseignement des mathématiques, revue qu’il a contribué à lancer en 2005 et dont il a assuré la responsabilité jusqu’à sa mort, réunissant même son comité de rédaction fin janvier 2008, alors qu’il était très malade. Il a également participé aux travaux réguliers du Conseil Supérieur de l’éducation et à ceux, de 2000 à 2006, de la Commission des Programmes d’Études, lors de la mise en place de la réforme actuelle des programmes.

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Plusieurs de ses publications et participations récentes, qui rejoignent tant les jeunes et leurs enseignants et enseignantes que les chercheurs et chercheures en formation ou déjà établis, constituent un témoignage de son attachement aux questions éducatives. Signalons notamment :

La collection Astroïde, aux éditions Modulo, consacrée à la didactique des mathématiques et dans laquelle un espace privilégié a été créé, en vue de susciter des débats, des questionnements, des réflexions autour de cette didactique.

Le livre « Mathématiques d’hier et d’aujourd’hui », collectif qu’il a codirigé avec Gilbert Labelle, qui est paru en 2000 aux éditions Modulo à l’occasion de l’année mondiale des mathématiques, et qui fait ressortir l’intérêt, la richesse et la pertinence des mathématiques.

Un roman mathématique, « Le secret des Cybermatics », paru en 2003 aux Éditions le Loup de Gouttière, destiné aux jeunes de 10 à 15 ans et à leurs enseignants et enseignantes, un livre dans lequel Richard exprime ses talents de romancier.

Le livre récent, paru en 2006 aux éditions Nouvelles, codirigé avec Eric Doddrige, « Montrez cette mathématique que je ne saurais voir », destiné cette fois aux 15-20 ans et à leurs enseignants et enseignantes, offrant des mises en situation significatives autour des mathématiques et de leurs liens avec d’autres domaines.

La lecture publique, en collaboration avec Philippe Jonnaert, au congrès du GDM en juin 2007 à Rimouski, d’une conférence de Jean Piaget, lecture dans laquelle il nous faisait part des réflexions suscitées par la redécouverte de cette conférence prononcée en 1971 au Centre de Recherche en Didactique de l’UQAM.

Son engagement constant en faveur des jeunes et de leur formation s’est vu récompensé en 2007 par l’attribution du prix « Reconnaissance Jeunes-PROJET 2007 », pour sa participation, et ce depuis de nombreuses années, au développement de la pédagogie de projet.

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L’article, paru sur le site Web du journal Le Soleil du 25 février 2008, à quelques jours de sa mort, et ayant pour titre « S’attarder à comprendre quelques éléments clés de la réforme » illustre cet engagement constant et le courage exemplaire de Richard, qui a participé, jusqu’à la fin, non seulement aux colloques spécialisés mais aussi sur la place publique aux débats de société relatifs à l’éducation.

Notre communauté didactique et éducative perd un collègue éminent, dévoué et généreux, profondément attaché au développement de l’éducation des jeunes et de l’enseignement des mathématiques. Nous avons été très heureuses de faire partie du nombre de ses collègues, amis et amies qui l’ont côtoyé de près, et qui ont pu bénéficier de son apport exemplaire et de son amitié.

Souhaitons que les réalisations et les convictions dont il a marqué notre milieu survivent à son départ et soient source d’inspiration et de courage pour ceux et celles qui oeuvrent, à quelque niveau que ce soit, dans le domaine de l’éducation et de la didactique.

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Un hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard Pallascio Un hommage à un ami et à un grand pédagogueUn hommage à un ami et à un grand pédagogueUn hommage à un ami et à un grand pédagogueUn hommage à un ami et à un grand pédagogue

Je désire rendre hommage à mon ami et collègue Richard Pallascio (professeur au département de mathématiques de l’UQAM). Richard a toujours été un pédagogue et un mathématicien à la recherche et à la défense de moyens innovateurs pour l’éducation mathématique. Particulièrement, ses travaux sur les compétences spatiales géométriques chez les Inuit le démontrent bien. Il a également été un précurseur et un pionnier québécois de la pédagogie du projet. Sa vision de cette pédagogie mise en place dans des écoles alternatives depuis les années 1970 visait l’autonomie des enfants en leur permettant de réfléchir à ce qu’ils faisaient, à donner du sens à leurs réalisations, à faire des liens entre les apprentissages et surtout, à leur laisser une grande part dans le choix des projets à réaliser. Malade depuis quelques années, il n’a pas cessé d’être actif pour soutenir le changement en éducation. Dans les derniers jours, il a écrit un article pour les journaux afin de clarifier certains concepts de la réforme. Il ne pouvait concevoir que l’on déforme le sens de différents concepts pour contrer le changement. Le Soleil a publié ce texte sur son site le 25 février dernier. Je joins ici le lien à ce texte : http://www.cyberpresse.ca/article/20080225/CPSOLEIL/80221165.

Son livre Le secret des Cybermatics (Le Loup de Gouttière) se voulait un moyen de rejoindre les jeunes pour les aider à aimer les mathématiques et les leur rendre accessibles.

J’aurais aussi le goût de lui rendre hommage à partir de l’amitié professionnelle qui s’est développée avec Richard. Je vais plutôt garder les beaux souvenirs de cette relation qui m’a permis de découvrir ce que voulait dire avoir une communauté de pensée pédagogique avec un collègue. Au plan pédagogique, il était toujours possible de compter sur notre support mutuel lorsque des discussions faisaient en sorte que l’innovation pédagogique en mathématiques était remise en question. Cela a toujours été important de pouvoir compter sur une personne qui avait des positions semblables aux miennes, surtout lorsqu’elles étaient minoritaires.

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Je pourrais parler des plaisirs de notre relation professionnelle de près de 35 ans. Je pourrais faire part des discussions intenses que nous avons eues. Je pourrais rendre compte des démarches de coauteurs que nous avons réalisées pour les nombreux articles et chapitres de livres que nous avons écrits ensemble. Je pourrais parler du travail de direction d’ouvrages collectifs qui a permis de rassembler des chercheurs et chercheures autour de nos idées. Je pourrais m’attarder sur les recherches innovatrices dans lesquelles il m’a permis de progresser. Même encore aujourd’hui (trois mois après son départ), il est difficile de penser que je ne le reverrai jamais.

Je veux donc tout simplement lui dire merci d’être passé dans ma vie, d’avoir cru en moi, de m’avoir ouvert des portes pour mon cheminement professionnel.

Louise Lafortune

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Un hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard Pallascio

C'est vers 1963 que j'ai rencontré Richard Pallascio lors d'une danse entre les collèges Marguerite-Bourgeoys et Saint-Viateur!

Nous nous sommes retrouvés plus tard sur les bancs de l'université, en mathématiques, et quelques années plus tard, au département de mathématiques du cégep du Vieux-montréal!

C'est accidentellement à cause de Richard que je me suis intéressée à la didactique. En effet, il nous avait invité à participer à une recherche de Jacques Nimier (« Mathématique & affectivité : Les maths, le français, les langues à quoi ça me sert ? Les modes de relations aux mathématiques ») et cela a été pour moi le point de départ de mes interrogations. Par la suite, nous avons collaboré entre autres sur le comité du Bulletin AMQ et finalement, je l'ai rejoint à l'UQAM au département de mathématiques.

Mais certainement, nous nous souviendrons surtout de Richard à cause de sa grande implication dans les diverses associations mathématiques du Québec.

Ce n'est qu'un au revoir Richard, nous nous retrouverons encore!

Linda Gattuso

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Voici une lettre que j’ai écrite l’an passé pour rendre hommage à Richard et qui a été lue par ma collègue Louise Lafortune lors d’une soirée organisée en son nom honneur en janvier 2007 à Montréal. «««« Bonjour RichardBonjour RichardBonjour RichardBonjour Richard,

À défaut d’être présente à ce rassemblement en ton honneur, il me fait plaisir de t’écrire une lettre pour te témoigner toute ma gratitude pour les nombreuses années où tu m’as suivie et guidée dans mon aventure au doctorat en tant que directeur de recherche. Comme je te l’ai déjà dit, tu as été l’une des personnes les plus significatives dans mon cheminement et voici ce que je retiens, plus particulièrement, de toi: déterminationdéterminationdéterminationdétermination, souci de souci de souci de souci de l’excellencel’excellencel’excellencel’excellence, respect d’autruirespect d’autruirespect d’autruirespect d’autrui, altruismealtruismealtruismealtruisme et sens du devoirsens du devoirsens du devoirsens du devoir.

Je pense sincèrement que j’ai été très chanceuse de t’avoir comme directeur parce que tu m’as offert, pendant toutes ces années, un formidable modèle de professeur et de chercheur en sciences de l’éducation mathématique et, aussi, que tu m’as aidée, et ce, peut-être sans même le savoir, à croire en moi et à foncer dans l’avenir. Je te suis donc très reconnaissante pour ton support, ton encouragement et ta présence pour moi. Je te remercie du fond du cœur. À bientôt!

De ton ancienne étudiante au doctorat,

Anne Roy,Anne Roy,Anne Roy,Anne Roy, professeure à l’UQTR ».

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Un Un Un Un hommage à Richard Pallasciohommage à Richard Pallasciohommage à Richard Pallasciohommage à Richard Pallascio Mes souvenirs de ce grand homme qu’était Richard remontent à

l’ACFAS 2004, à Montréal où il a animé une session de présentations en didactique des mathématiques. Sa manière amicale, dynamique et en même temps critique et constructive, ses précieux commentaires et conseils m’ont grandement touché. Ensuite, lors du GDM, on s’est rencontré de nouveau à Québec où il a présenté son ingénieux projet Agora de Pythagore qui m’a inspiré d’entreprendre les recherches sur les environnements virtuels en apprentissage des mathématiques. Et que dire de ses livres et articles pleins d’humour, d’idées fraîches et innovatrices et aussi son esprit de rassembleur de trésors didactiques québécois! Viktor Freiman, Admirateur de tout ce que Richard a accompli.

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Un hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard Pallascio

Aux membres de la famille de Monsieur Richard Pallascio, c'est avec

une grande émotion que j’apprends la triste nouvelle concernant le décès de Monsieur Richard Pallascio. Au cours de mon programme de doctorat poursuivi au sein du département des Sciences de l'Éducation de l'UQAM, Monsieur Pallascio a agi en tant que président du séminaire de synthèse et de soutenance de ma thèse. Je garde un très bon souvenir de Monsieur Pallascio. Son apport scientifique ainsi que son support professionnel m’ont non seulement permis de franchir avec excellence mes études de doctorat mais également m’ont muni de l’arsenal pédagogique approprié pour agir avec efficience dans ma carrière universitaire. Je me souviens de Monsieur Pallascio comme une personne très appréciable, agréable, humble et pleinement concernée par le développement intégral (sur les plans moteur/expérientiel, cognitif, affectif/émotionnel) des apprenants. Ses attitudes humanistes, ses comportements professionnels, ses habiletés personnelles et sociales seront ancrées à jamais dans ma mémoire. Et j’avoue que l’honorable personne de Monsieur Pallascio manquera indubitablement à tous ceux et celles qui ont eu la chance de la côtoyer. J’offre mes sincères condoléances à tous les membres de la famille de Monsieur Richard Pallascio. K. Taktek, professeur à l’Université Laurentienne.

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Un hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard PallascioUn hommage à Richard Pallascio La première fois que j’ai rencontré Richard, j’étais auxiliaire d’enseignement à l’UQÀM pour un cours dont il était responsable. Onze ans se sont écoulés et nos chemins se sont croisés à plusieurs reprises à l’université ainsi qu’à l’occasion de colloques tel que le GDM, comme organisateur ou participant. Pendant cette dizaine d’années, j’ai été en mesure d’apprécier tout ce qu’il a accompli en enseignement universitaire et en recherche. Il a toujours su respecter son objectif ultime, soit l’amélioration de l’enseignement des mathématiques en entretenant des liens étroits avec le milieu scolaire. Dans ce sens, sa remarquable implication sur le terrain était toujours appuyée par les résultats de ses recherches; je possède d’ailleurs plusieurs de ses écrits scientifiques et professionnels qui seront toujours une source de référence et d’inspiration. Son apport à l’avancement des mathématiques à travers les associations mathématiques du Québec est également très significative. Lors de l’organisation de ce colloque (GDM 2007), j’étais enchantée de savoir que Richard participerait à cette rencontre. Malgré la maladie, il est venu à Rimouski pour présenter cette lecture publique de Jean Piaget et participer à la table ronde. Ce sont des moments inoubliables, je dirais même historiques! Pour moi, il est un modèle comme professeur-chercheur, mais ce que je retiens de lui c’est surtout le grand être qu’il était : passionné, respectueux, généreux, ouvert, doué d’un grand discernement et dévoué, il avait toujours une nouvelle idée en tête! Patricia Marchand

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Ancrage de la didactique des mathématiques au Québec : à la recherche de sens et de cohérence

Nadine Bednarz, Université du Québec à Montréal Résumé : Un important corpus de recherches en didactique des mathématiques a été développé au Québec depuis près de quarante ans. Les analyses réalisées par Lemoyne (1996) et Kieran (2003) permettent d’établir un premier portrait de l’évolution de la recherche en didactique des mathématiques au Québec sous l’angle des objets qu’elle aborde et de sa communauté de chercheurs.1 En partant de ces synthèses et des premiers travaux de recherche réalisés en didactique des mathématiques au sein des groupes québécois qui ont constitué des pôles importants de développement de celle-ci (Centre de Recherche en Psycho-Mathématique, CRD, section didactique de l’UQAM, CIRADE…), nous avons tenté de retracer les finalités, les courants théoriques et les approches méthodologiques qui ont orienté les pratiques didactiques de ces groupes. Ce retour aux sources cherche à reconstruire le sens profond des premiers travaux menés dans ce domaine. Il vise aussi à répondre aux questions suivantes : de quelle didactique des mathématiques est-il question quand on parle de didactique des mathématiques dans ces groupes? Quelle cohérence, si elle existe, traverse ces différents travaux?

« La création d’une identité de praticien est une entreprise collective… Elle est aussi une façon de parler de la constitution du groupe lui-même par l’activité de ses praticiens. Elle suppose la reconnaissance et la validation par les autres participants des pratiques changeantes par lesquelles les nouveaux venus deviennent des anciens » (Lave, 1991, p 154)

INTRODUCTION Plus de 37 ans se sont écoulés depuis la création du Groupe des didacticiens de la mathématique au Québec et le début des travaux de recherche en ce domaine. Au moment où bon nombre de didacticiens s’apprêtent à quitter le domaine de la formation et de la recherche, la nécessité de faire le point sur les développements qui ont marqué l’émergence et le développement de ce champ d’études apparaît comme un enjeu crucial, non seulement pour en comprendre l’origine et l’évolution, mais aussi pour ouvrir sur des perspectives nouvelles. Le thème de la rencontre du GDM tenue en juin 2007 se prêtait bien à cet exercice.2 Mais, travailler sur l’historicité de la recherche en didactique des mathématiques au Québec représentait à cette étape, lorsque j’acceptais de présenter cette conférence d’ouverture, un véritable défi. Voulant retracer son ancrage, mieux comprendre les finalités des premiers travaux, leur fil directeur, leurs enjeux, leur apport, j’étais confrontée à des choix difficiles. En effet, la quantité impressionnante de travaux menés au Québec en didactique des mathématiques depuis les années 1970, l’identification de données associées aux travaux de ces groupes de recherche non archivées de manière systématique, rendaient la tâche complexe. La reconstruction amorcée ici ne peut donc être que partielle. Elle demanderait à être poursuivie par une équipe de chercheurs, travaillant de manière

1 Pour minimiser toute lourdeur dans l’écriture et la lecture, nous utiliserons le masculin dans l’ensemble du texte. 2 Ce texte reprend, en grande partie, les propos tenus par l’auteure lors de la conférence donnée en juin 2007 à l’Université du Québec à Rimouski dans le cadre du colloque du groupe des didacticiens des mathématiques ayant pour thème : La didactique des mathématiques au Québec : genèse et perspectives .

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systématique à retracer toutes les données issues des différents groupes et à reconstruire l’histoire de ces derniers. Pour favoriser la construction d’une identité de chercheurs en didactique des mathématiques au Québec, un tel travail historique semble fondamental3 de manière à pouvoir se donner une mémoire collective de ces travaux et de leur place dans le champ de la didactique des mathématiques au Québec. Avant de préciser la manière dont nous avons abordé la question de cette reconstruction, nous soulignerons au préalable quelques éléments des travaux antérieurs sur lesquels il est possible de s’appuyer pour aborder cette genèse de la didactique des mathématiques au Québec (Mura, 1993, Lemoyne, 1996, Kieran, 2003).

1. UN RETOUR SUR LES TRAVAUX RÉTROSPECTIFS DÉJÀ RÉALISÉS Trois études servent de matériau à une entrée dans la reconstruction de la didactique des mathématiques au Québec. Ces études, les seules dont nous disposions, proposent des lectures personnelles (il ne peut en être autrement, la nôtre le sera également) influencées par un regard particulier posé par le chercheur. La première (Mura, 1994, 1998) et la troisième étude (Kieran, 2003) portent sur le Canada, bien que des données sur le Québec puissent en être tirées; mais, l’ensemble dépasse largement le cadre du Québec. La deuxième étude porte spécifiquement sur la recherche en didactique des mathématiques au Québec et couvre les années 1970 à 1995 (Lemoyne, 1996) 1.1. Un portrait des didacticiens des mathématiques En 1993, Roberta Mura a réalisé une vaste enquête4 auprès des didacticiens des mathématiques travaillant dans les universités canadiennes. Cette enquête fournit un portrait global de ces didacticiens, dans les années 1990 : 70% d’entre eux sont des hommes, leur âge moyen est de 50 ans, 35% d’entre eux parlent français au travail, 75% d’entre eux sont attachés à des départements, ou facultés d’éducation, et, plus rarement, 21% d’entre eux, à des départements de mathématiques (cas de l’UQAM et de Concordia), 89% d’entre eux (46) ont un doctorat en éducation, 8 un doctorat en mathématiques et 2 en psychologie, 29% d’entre eux ont dirigé la recherche d’au moins un étudiant au doctorat.5 Outre le fait qu’elle fournit un portrait de ces formateurs-chercheurs en didactique des mathématiques au Canada, cette étude permet de mettre en évidence la conception de la didactique des mathématiques qui est la leur, à partir de la question suivante : « Comment définissez-vous la didactique des mathématiques? ». Une caractérisation du travail en didactique des mathématiques, qui émerge de cette analyse, est celle d’une didactique pensée à partir de ses finalités :

3 Le travail mené en didactique au Québec s’inscrit dans une certaine historicité qu’il semble essentiel de retracer pour la communauté de chercheurs qui participe à cette entreprise collective. Une telle perspective historique permet en effet de situer le travail réalisé, ses filiations théoriques, les savoirs qui en sont issus, ses retombées. Elle permet également de mieux comprendre les perspectives actuelles, leurs tendances, l’articulation avec la recherche déjà réalisée. 4 Sur les 158 questionnaires envoyés aux professeurs, 103 ont été retournés et 63 retenus, selon deux critères : occupent-ils un poste dans une université? La didactique des mathématiques est-elle leur principal champ de recherche et d’enseignement? 5 Il serait intéressant de refaire une telle étude pour obtenir un portrait actuel, notamment en ce qui concerne la direction d’étudiants gradués et la formation de chercheurs, les études de doctorat s’étant considérablement développées depuis cette époque.

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-des finalités définies, par certains, en terme d’analyse, d’explication, de compréhension des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques (Mura, 1998, p 110) -par d’autres, en termes de contribution à l’amélioration de l’enseignement des mathématiques et à la facilitation de son apprentissage -ces définitions de finalités n’étant pas, par ailleurs, nécessairement exclusives. Cette enquête menée, rappelons-le, dans tout le Canada, et pas seulement au Québec, contribue à mettre en lumière le portrait d’une communauté professionnelle hétérogène : « The portrait drawn by the survey’s results is that of a diversified professional community » (Mura, 1994, p 112) Nous reviendrons, à la fin de ce texte, sur cette caractérisation de la didactique des mathématiques en regard des travaux que nous avons analysés. 1.2. Une entrée par les objets de recherche sur lesquels portent les recherches en didactique

des mathématiques. L’analyse menée par Lemoyne (1996) a été réalisée à partir de textes publiés de 1970 à 1995 en didactique des mathématiques au Québec : articles dans des revues scientifiques et professionnelles, livres, thèses de doctorat. Elle recouvre aussi des analyses historiques portant sur certains savoirs mathématiques, productions que l’on peut situer à la frontière des recherches en didactique des mathématiques (il s’agit en fait de travaux en histoire des mathématiques). Pour organiser l’analyse des publications examinées, le cadre théorique qui guide l’auteure est celui de la « théorie des situations didactiques » (Brousseau, 1988), et celui des travaux menés en France selon cette perspective. Cette théorie, nous rappelle l’auteure, s’inscrit dans un certain projet : elle s’intéresse 6 « à un savoir déjà institué, c’est-à-dire un savoir qui a sa place dans une société déterminée et vis-à-vis duquel existe un projet social de transmission réalisé sous la forme d’un enseignement » (Rouchier, 1991, p 36, repris dans Lemoyne, p 31). C’est autour de ce savoir et de son enseignement que s’organisent donc les recherches en ce domaine, en renvoyant à des analyses mathématiques, épistémologiques, didactiques de la notion à enseigner, ainsi qu’à une analyse des connaissances des élèves. Des outils théoriques et méthodologiques cohérents avec ce projet y ont été développés. « C’est (par exemple) dans le cadre de cette théorie que le problème de la dévolution des situations a-didactiques, ou de l’entrée de l’élève dans une situation d’apprentissage, a été posé, (…) que le processus d’institutionnalisation a été examiné, (…) que la méthodologie de l’ingénierie didactique a été créée pour une ‘‘mise à l’épreuve des constructions théoriques élaborées dans les recherches, par l’engagement de ces constructions dans un mécanisme de production’’ (Artigue, 1990, p 285) et pour une ‘‘prise en compte de la complexité de la classe’’ » (Douady, 1987, p 222) (cité par Lemoyne, 1996, p 32). L’analyse réalisée conduit l’auteure7 à regrouper les travaux menés au Québec selon trois axes : des analyses mathématiques, historiques et épistémologiques de savoirs à enseigner; des analyses didactiques en lien avec la conception, la réalisation et l’étude de situations d’enseignement, ces analyses didactiques prenant diverses formes : analyses d’enseignement, de manuels, propositions de situations d’enseignement conçues par des chercheurs ou des enseignants

6 Ce projet, orienté par une certaine vision de la didactique des mathématiques, délimite en quelque sorte l’objet du travail du didacticien. Avec cette définition, tout un pan des recherches actuelles en didactique des mathématiques se trouve en effet écarté, par exemple les recherches en ethnomathématique menées en dehors du contexte scolaire, ou encore les travaux sur les mathématiques construites en contexte professionnel d’entreprise. 7 Dans cet article, l’auteure, prudente, nous disait à l’époque qu’il serait intéressant de faire une autre lecture de ces travaux à la lumière d’autres cadres théoriques.

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(résultant d’analyses de savoirs mathématiques et de choix didactiques), analyses de problèmes mathématiques pouvant faire partie de situations d’enseignement8 ; des analyses du fonctionnement cognitif des élèves dans la réalisation et l’étude des situations didactiques. Les travaux font, dans ce dernier cas, une place aux rapports que la psychologie cognitive entretient avec la didactique des mathématiques et montre les développements auxquels il a donné lieu. Cette étude, dans un souci d’ouvrir sur des perspectives, fait enfin part de certaines orientations qui devraient être poursuivies dans les travaux à venir : l’importance de conjuguer les analyses mathématiques, épistémologiques, didactiques et cognitives, d’étudier l’enseignement in situ, dans le lieu où il se réalise (l’école, la classe), de mener des recherches sur la modélisation, sur la formation des enseignants et, enfin, d’ouvrir, dans les revues professionnelles, une rubrique consacrée à l’examen des publications des chercheurs sous la forme d’analyses critiques, de commentaires, de questions. 1.3. Émergence d’une communauté de recherche au Québec. L’étude de Kieran (2003), beaucoup plus vaste que la précédente - dans l’espace (elle porte sur tout le Canada) et dans le temps (elle couvre les années 1920 à 2000) - cherche à retracer la formation d’une certaine communauté de chercheurs au Canada, à travers notamment une analyse des événements qui ont favorisé, au fil du temps, son émergence et son développement. Le matériau sur lequel porte l’analyse est constitué de l’ensemble des thèses de doctorat complétées au Canada durant cette période et des projets de recherche subventionnés. Il s’agit donc d’un matériau différent de celui de l’étude de Lemoyne. Le cadre théorique de Wenger (1998), et son concept de communauté de pratique, servent à identifier les indicateurs d’une communauté de chercheurs en développement : présence d’une entreprise collective commune, d’un engagement mutuel des membres de cette communauté et développement d’un répertoire partagé de savoirs, d’actions, de routines, d’outils. « (Community of practice implies) participation in an activity system about which participants share understandings concerning what they are doing and what means in their lives and for their communities » (Lave, Wenger, 1991, p 98). Bien sûr, à travers les événements qui ont marqué l’évolution de la recherche au Canada, et notamment la mise sur pied des groupes de didactique québécois et canadiens (GDM, GCEDM) et leurs rencontres annuelles, il y a l’idée d’un certain nombre d’expériences partagées qui résultent des interactions entre les membres d’une communauté. Mais de quelle pratique et entreprise communes parle t-on ? Peut-on parler, au sens de Wenger d’une réelle communauté de pratique au Canada ? En retrouve t-on vraiment les caractéristiques ? Ne devrait-on pas plutôt parler de multiples communautés de pratique, si elles existent, au plan local ? Quoiqu’il en soit, l’analyse historique menée par Kieran (2003) a le mérite d’aborder la question de l’évolution de la recherche en didactique des mathématiques sous l’angle du développement de sa communauté de chercheurs. Ainsi, pour le Québec, des événements importants ont joué un rôle dans cette émergence de communautés locales de pratiques: la mise sur pied dans les années 1970 de Permama (Programme de Perfectionnement des Maîtres en Mathématiques) dans lequel plusieurs didacticiens ont été impliqués activement, cette participation influençant en retour l’orientation que prendront leurs travaux; la formation en 1970 du Groupe des Didacticiens des Mathématiques (GDM); la mise sur pied du Fonds de Chercheurs en Action Concertée (FCAC) qui permettra de subventionner des recherches en ce domaine au Québec.

8 L’auteure pointe à cette occasion des éléments qui demanderaient à être davantage développés : peu de recherches portent notamment sur des analyses documentées de manuels, de pratiques d’enseignement in situ.

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À travers l’organisation de colloques internationaux tels le 7ème congrès international sur l’enseignement des mathématiques (ICME9) tenu à Québec du 17 au 23 août 1992, la 11ème conférence annuelle du International Group of Psychology of Mathematics Education (PME10) tenue à Montréal du 19 au 25 juillet 1987, la 5ème conférence annuelle du North American Chapter of the International Group for the Psychology of Mathematics Education (PME-NA11) tenue à Montréal du 29 septembre au 1er octobre 1983, ou encore la Commission Internationale pour l’Étude et l’Amélioration de l’Enseignement des Mathématiques (CIEAEM) tenue en 1973 à Québec, puis en 1987 à Sherbrooke12, il est possible d’entrevoir le rôle qu’ont pu jouer les interactions avec la communauté internationale dans le développement d’une communauté de recherche au Québec. Cette analyse vient éclairer plus spécifiquement, de notre point de vue, l’émergence de communautés locales de pratiques ayant joué un rôle important dans le développement de la didactique : notamment le Centre de recherche en Psycho-Mathématique formé par Diénès dans les années 60 à Sherbrooke; le groupe constitué autour de logo comme outil d’exploration mathématique; la section didactique du département de mathématiques de l’UQAM dans laquelle on comptera jusqu’à 17 didacticiens dans les années 1980, tous impliqués, à un moment ou un autre de leur carrière dans la recherche; les groupes de recherche subventionnés de Joël Hillel, David Wheeler et, plus tard, d’Anna Sierpinska à l’université Concordia, Nicolas Hercovics et Jacques Bergeron (à l’université de Montréal); ou encore le CIRADE, au sein duquel travaillera un noyau important de chercheurs en didactique des mathématiques. D’autres pionniers contribueront également activement à ce développement : par exemple, Dieter Lunkenbein à l’université de Sherbrooke dans les années 1980, Fernand Lemay à l’université Laval dans les années 1970. 1.4.Une nouvelle analyse : dans quel sens? Pourquoi? Les analyses réalisées précédemment nous fournissent un premier portrait de la genèse de la didactique des mathématiques au Québec, à travers les événements qui ont marqué l’émergence de sa communauté de chercheurs, le portrait plus précis de ses chercheurs et les objets de recherche qu’ils ont abordés. Elles constituent une base importante permettant d’amorcer le travail de reconstruction dans lequel nous nous engageons, d’une part, en nous fournissant des indicateurs sur les groupes ou chercheurs clés à considérer pour aller plus loin (Kieran, 2003), et d’autre part, en ouvrant sur le projet plus large dans lequel s’inscrit ce travail didactique (Lemoyne, 2003). Sous la grille reprise par l’auteure pour aborder sa reconstruction, on trouve en effet un projet plus large, une certaine conception de la didactique qui organise la lecture des recherches. Mais quel est le projet qui était au fondement du travail de ces didacticiens de la première heure au Québec ? En nous intéressant à ce projet qui organise en quelque sorte la lecture que ces didacticiens font des événements didactiques, nous cherchons à mieux comprendre l’ancrage de ces travaux de recherche, ce sur quoi ces didacticiens ont travaillé, la manière dont ils ont travaillé et ce que recouvrait, pour eux, la didactique des mathématiques.

9 Voir C. Gaulin, B. Hodgson, D. Wheeler, J.C. Egsgard (1994) Proceedings of the 7th International Congress on Mathematical Education/Actes du 7ième congrès international sur l’enseignement des mathématiques. Québec : Les Presses de l’Université Laval. 10 Voir J. C. Bergeron, N. Hercovics, C. Kieran (1987). Proceedings of the Eleventh International Conference of Psychology of Mathematics Education (PME-XI). Montréal. 11 Voir J.C. Bergeron, N. Hercovics (1983). Proceedings of the fifth Annual Meeting- North American Chapter of the International Group for the Psychology of Mathematics Education (PME-NA V). Montréal 12 Voir actes de la 39 ième rencontre de la Commission Internationale sur l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (CIEAEM39). The role errors play in the learning and teaching of mathematics.Université de Sherbrooke.

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1.5.Le matériau et la grille de lecture Dans cette recherche de sens, nous avons ressenti le besoin de retourner aux sources de ces travaux de recherche. Notre choix s’est alors porté sur des groupes de recherche, là où ce projet a plus de chance d’avoir été explicité, dans les échanges qui se sont progressivement construits autour de ses membres. En effet, Il y a, dans un groupe, l’idée d’une certaine communauté de pratique réunie autour d’un projet (on retrouve ici le critère d’entreprise commune de Wenger (1998) dans son concept de communauté de pratique). S’y trouve aussi l’idée d’un engagement mutuel des membres de ce groupe de pratique et d’un développement progressif d’un répertoire partagé : une réflexion commune, des manières de faire, des outils théoriques et méthodologiques. Ce choix d’entrer dans l’analyse de la genèse de la didactique des mathématiques au Québec à travers des groupes de pratique qui ont joué un rôle important dans ce développement a bien sûr aussi des limites, nous en sommes consciente. Il exclut, ou met de côté, une partie importante du travail en didactique des mathématiques qui a eu lieu au Québec durant les années 70- 90)13. Certaines recherches, tout aussi importantes que celles conduites dans des groupes, ont en effet été menées durant cette période, au Québec. Un travail nécessaire reste donc à poursuivre en ce sens. 1.5.1.Les données Les analyses fournies par Kieran (2003) mettent en évidence un certain nombre de communautés de recherche locales qui ont joué un rôle dans le développement d’une communauté de recherche en didactique des mathématiques au Québec. Il était impossible, dans le temps limité dont nous disposions, quelques mois, de les prendre toutes en compte. Ceci nécessiterait un travail plus élaboré, systématique, mené par une équipe14. Les groupes sur lesquels a porté l’analyse sont les suivants (nous préciserons en même temps les données dont nous avons disposé pour chacun de ces groupes)15 : Le Centre de Recherche en Psycho-Mathématique constitué dans les années 60 autour de Zoltan P. Diénès à l’université de Sherbrooke. Les données dont nous disposions sont constituées du rapport annuel du centre 16(Diénès, 1973-a) et, de manière complémentaire, de différents textes venant éclairer le projet sous-jacent ( Diénès, 1960, Diénès et al., 1965, Diénès, 1971, 1973-b, 1987, Post, 1981, Sriraman et Lesh, 2007). Dieter Lunkenbein, didacticien des mathématiques ayant travaillé dans les années 80 à l’université de Sherbrooke. Il est important de préciser ici, en lien avec notre choix présenté précédemment de travailler sur des groupes, les raisons qui nous ont conduit à retenir le travail de ce chercheur. À la fois 13 On peut penser par exemple ici à l’apport de mathématiciens comme Fernand Lemay ou à d’autres didacticiens qui n’étaient nullement attachés à un groupe de recherche, et qui ont pourtant joué par leurs réflexions, un rôle important. 14 On peut penser par exemple ici à documenter le travail mené par le groupe qui s’est constitué autour de logo, groupe qui réunissait plusieurs formateurs-chercheurs (Montpetit, Taurisson, Côté, Erlwanger, Hillel, Kieran), en s’intéressant aux filiations que ce travail a eu par la suite dans le développement de la recherche sur l’utilisation des technologies en enseignement des mathématiques. On peut également chercher à documenter le travail mené par le groupe de recherche réuni autour de Bergeron et Hercovics et leur modèle de compréhension en mathématiques. 15 Les traces des travaux de recherche menés dans ces groupes n’ont pas nécessairement été aisées à retrouver, et en ce sens notre travail ne peut prétendre à l’exhaustivité. Par exemple plusieurs données n’étaient pas disponibles (c’est le cas des différents rapports et textes produits par le centre de recherche en psycho mathématique). Nous avons pu, dans le cas du CRD et du CIRADE, bénéficier de l’apport du service des archives et de gestion des documents de l’UQAM. Nous avons également pu bénéficier de l’apport de collègues (pour certains des textes de Lunkenbein ou de Diénès). Je tiens ici tout particulièrement à remercier Richard Pallascio et Bernard Héraud pour leur contribution. Plusieurs des textes produits par les différents groupes considérés ont cependant disparu ou ne sont pas accessibles. Il pourrait être intéressant, dans un projet futur, pour le GDM, de retracer ces documents, de les répertorier, de les archiver, voire numériser, de manière à se donner une mémoire collective du travail réalisé en didactique des mathématiques au Québec. 16 Les différents rapports, documents internes produits par le centre n’ont pu être retracés par nous, ces derniers ayant, à notre connaissance, disparu.

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en continuité avec Diénès, dont il a été un des assistants au centre de recherche en psycho-mathématique, mais aussi en différentiation avec lui, comme nous le verrons par la suite, il a été le moteur d’un groupe de recherche en didactique des mathématiques à l’université de Sherbrooke et a contribué à établir des liens avec le milieu scolaire (voir le rapport no 18 de l’équipe, 1977). Les données ayant servi de base à l’analyse sont constituées de différents rapports (Lunkenbein, 1977-a, 1977-b, 1980 ; Allard et al., 1977) et d’articles écrits par ce chercheur qui permettent d’éclairer son travail (Lunkenbein, 1983-a, Mitchelmore, Lunkenbein et al., 1983, Lunkenbein, 1984-1985) et sa conception de la didactique (Lunkenbein, 1983-b). Le Centre de Recherche en Didactique (CRD) mis sur pied en 1970 à l’Université du Québec à Montréal; nous disposions ici de différents rapports annuels du centre (rapport annuel 73/74, 74/75, 76/77, 77-78) et de textes liés à des séminaires (séminaire sur l’objet, 71) ou à un important symposium organisé par ce centre en 1971 (bulletin préparatoire 71, mémos autour du symposium, résumés des conférences, textes de conférences et retranscriptions des échanges entre chercheurs). Le Centre Interdisciplinaire de Recherche sur l’apprentissage et le développement en Éducation (CIRADE), réunissant des chercheurs provenant de différentes universités, centre à l’activité duquel nous avons participé dès sa création en 1980, dont nous avons été membre jusqu’en 2004, et directrice de 1985 à 1996. Nous disposions ici des différentes « demandes de centres », de différents textes publiés en lien avec des colloques (voir par exemple Janvier, 1987, Bednarz, 1986, 1987, 1989, Bednarz, Garnier, 1989, Garnier, Bednarz, Ulanovskaya, 1991, Bednarz, Kieran, Lee, 1996, Bednarz, 98). La Section didactique des mathématiques de l’Université du Québec à Montréal, constituée dès le début de l’UQAM autour de la formation des enseignants et qui constituait dans les années 80 le noyau le plus important, en terme de nombre, de didacticiens des mathématiques au Québec. Les documents sur lesquels nous nous sommes basés sont formés d’articles écrits par les didacticiens de cette section autour de la formation des enseignants, élément central de sa structuration progressive (voir notamment Bednarz, 2001, Bednarz, Gattuso, 1999, Bednarz, Gattuso, Mary, 1995, Bednarz, Perrin-Glorian, 2005, Dufour-Janvier, Hosson, 1999, Boileau, Garançon, 1993, Janvier 1994, 1996).

1.5.2La grille de lecture Nous avons tenté de reconstruire, à partir du discours que nous possédions de ces différents groupes, des réponses aux questions suivantes : Quelle est leur vision de la didactique ? Sous-jacente à ces travaux partagés par un groupe, une certaine vision de la didactique se dégage t-elle ? De quelle didactique parle t-on? Que recouvre t-elle? Quelles étaient les finalités de ce travail en didactique des mathématiques, son projet ? Que vise t-on à travers ce travail en didactique ? En particulier, quels sont ses liens avec la pratique ? Quelles sont les filiations théoriques de ce travail ? Des orientations méthodologiques spécifiques se dégagent-elles de ce travail (des manières d’approcher le travail, les études, les analyses) ?

Avant d’aborder plus à fond ces travaux de recherche qui ont pris place dans des lieux et contextes différents, et qui se chevauchent partiellement dans le temps, il apparaît intéressant de revenir sur les orientations qu’ont pris les travaux de recherche en didactique des mathématiques dans d’autres pays. Par ce bref aperçu, nous espérons pouvoir situer les projets plus larges dans lesquels s’inscrivent les recherches en didactique des mathématiques, fort différents, comme nous le verrons, d’un groupe à l’autre, montrant ainsi le caractère situé des pratiques didactiques développées. En ce sens, il serait sans doute plus à propos de parler des didactiques des mathématiques que de la didactique. Plusieurs études internationales confirment ce caractère fondamentalement situé, ancré en contexte des travaux de recherche en didactique des mathématiques (voir Sierpinska et Kilpatrick, 1998, Leung, Graf, Lopez-Real, 2006). Nous reviendrons brièvement sur ce point dans ce qui suit.

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2MULTIRÉFÉRENTIALITÉ ET COMPLEXITÉ DE LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES Les orientations que prennent les travaux de recherche en didactique des mathématiques et, en conséquence, les types de savoirs que les chercheurs construisent, sont tributaires des contextes particuliers de leur production (Lave, 1988, Lave, Wenger, 1991). Ainsi des traditions de recherche se sont développées localement avec leurs propres débats épistémologiques, leurs contraintes institutionnelles, leurs questions de recherche, leurs méthodes, leurs résultats et critères (Ernest, 1998). Ce sont, en quelque sorte, ces pratiques qu’il faut tenter de reconstruire, sous l’angle de leur projet, de leurs finalités, de ce qui les fonde, des manières d’approcher la recherche qui les anime. La didactique des mathématiques est ici attachée à la fois à un ensemble de pratiques17 et à un champ de connaissances, ce qui l’inscrit dans une perspective développée récemment en sociologie des sciences (Latour, 1987). Emprunter une telle perspective permet de comprendre les ancrages des travaux de recherche en didactique, leur multiplicité de points de vue, de cadres de référence, de méthodologies, et met en évidence, nous le verrons par la suite, le rôle structurant du contexte (on retrouve en effet des orientations très différentes d’un groupe à l’autre). « It is the practice of knowledge-making as it takes place in different contexts alones that specifies what it is » (Ernest, 1998, p76). Nous soulignerons plus particulièrement ici trois exemples illustrant ce qui précède. 2.1.La didactique des mathématiques en France L’option retenue par l’école française s’inscrit dans une certaine visée d’élaboration d’une didactique des mathématiques en tant que discipline scientifique. Elle implique en ce sens, dès le départ, une distinction nette entre les travaux qui sont menés en didactique et l’innovation pédagogique ou la recherche-action (Margolinas, 1998). L’innovation, la recherche-action réfutent en effet, pour les didacticiens engagés dans des recherches, la possibilité de découvrir des mécanismes dans le processus d’enseignement, dans la conception de situations d’enseignement, qui vont « marcher » sous certaines conditions et qui vont être reproductibles. Il ne s’agit pas, précise Brousseau, d’améliorer l’acte d’enseignement, ce n’est pas le but immédiat de la didactique, mais bien de décrire et d’expliquer « des activités liées à la communication des savoirs et les transformations, intentionnelles ou non, des protagonistes de cette communication, ainsi que les transformations du savoir lui-même » (Brousseau, 1986, pp 33-34). Les concepts théoriques élaborés apparaissent alors comme des moyens de rendre compte de ces phénomènes didactiques tirés d’observations articulées les unes aux autres. Cette orientation explique aussi le développement de méthodologies spécifiques, telle l’ingénierie didactique, cherchant à mettre à l’épreuve certaines de ces constructions théoriques (situations d’enseignement élaborées sur la base d’analyses préalables). Cette orientation particulière donnée en France aux travaux de recherche en didactique des mathématiques est également marquée par l’importance que les didacticiens accordent aux mathématiques produites par les mathématiciens (Sierpinska, 1995) « Didactics is now clearly considered as a legitimate specialization of research in applied mathematics and didacticians employed at tertiary level in mathematics departments are nationally evaluated with the same criteria as other applied mathematicians » (Artigue, 1994)

17 C’est ici que j’ai cherché à me situer dans le travail de reconstruction des travaux faits au Québec. Maheureusement, et c’est là une limite du travail, nous n’avions pas accès comme telles à ces pratiques passées, mais seulement aux différents textes qui parlent de celles-ci.

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Les savoirs mathématiques vont ainsi y jouer un rôle-clé.18 Cette référence à un savoir déjà institué, au centre de la relation didactique, qui organise et structure les recherches en ce domaine, permet de comprendre le caractère particulier de certains concepts produits par cette école, tel, par exemple, celui de transposition didactique. 2.2.La didactique des mathématiques en Italie La recherche en didactique des mathématiques en Italie a été, contrairement à celle menée en France, liée dès le départ à un mouvement d’innovation dans les écoles, et ce dès les années 60, mouvement auquel ont été associés les enseignants. Certains mathématiciens professionnels se sont également engagés dans cette activité. Ces groupes d’enseignants et de mathématiciens ont donné naissance aux premiers groupes de recherche. Cet ancrage particulier des travaux en didactique a contribué, au fil des années, à l’émergence d’un modèle particulier de recherche articulé sur cette innovation (Arzarello, Bartolini-Bussi, 1998) et orientant progressivement, en retour, ses buts et ses approches. Ainsi, les recherches en didactique des mathématiques se sont développées en lien avec la production de projets d’innovation curriculaire, de situations d’enseignement, dont on a décrit et documenté soigneusement la réalisation en classe. On trouve donc, dans ces travaux, une forte composante d’expérimentation en classe, permettant de rendre compte de manière détaillée des processus d’enseignement et des apprentissages. Une coopération entre les chercheurs et les enseignants y est très présente, ces derniers intervenant à la fois comme des concepteurs (dans les situations et projets curriculaires) et des observateurs. Dans une telle perspective, les pratiques de recherche (on documente ce qui se passe dans ces projets d’innovation curriculaire, dans ces situations d’enseignement) et les pratiques pédagogiques (nouvelles qui en résultent) se co-produisent. 2.3.La didactique des mathématiques en Hollande Les recherches en didactique des mathématiques en Hollande, que l’on peut situer dans une perspective de recherche-développement, ont mis l’accent dès leur origine sur l’élaboration d’un enseignement des mathématiques qui correspondrait à l’idée que se faisait Freudenthal des mathématiques comme « activité humaine ». « Students should be given the opportunity to reinvent mathematics by mathematizing, mathematizing subject matter from reality and mathematizing mathematical matter. In both cases, the subject matter that is to be mathematized should be experientially real for the students. That is why the envisioned education is called realistic mathematics education (RME). Furthermore, the idea of mathematizing implies a high autonomy of the students. Or, in other words, the core principle is that mathematics can and should be learned on one’s own authority and through one’s own mental activities” (Gravemeijer, 1998, p 277) Ces travaux de recherche, qui ont pris place notamment autour du projet IOWO à l’institut Freudenthal, ont contribué, d’une part, à l’élaboration de nouvelles connaissances (explicitant des théories d’enseignement dans un domaine spécifique en regard de cette RME) et, d’autre part, à l’élaboration de cours prototypiques et de matériel (aspect développement). 2.4.Multiréférentialité de la didactique des mathématiques Les cas que nous venons d’évoquer illustrent des traditions de recherches très différentes en didactique des mathématiques, prenant ancrage dans des contextes distincts qui permettent de comprendre leur

18 Il est à noter que la notion de pratique sociale de référence développée par Martinand (1993) est à la base d’une différenciation importante entre certains travaux menés en didactique des sciences et ceux réalisés en didactique des mathématiques.

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développement. À travers ce qui précède, des finalités distinctes se dessinent, des cadres théoriques et des approches méthodologiques différentes se précisent. On perçoit ici le caractère multiréférentiel de ces traditions, des pratiques qui les caractérisent et des connaissances qui en sont issues (cf tableau 1).

DM en France DM en Italie DM en Hollande

Finalité des travaux développés

La DM n’a pas pour but immédiat de favoriser l’acte d’enseignement mais au contraire d’en connaître les conditions.

Une recherche pour l’innovation (projets d’innovation curriculaire)

L’élaboration de théories spécifiques d’enseignement, le développement de situations en liaison avec une certaine conception de l’activité mathématique (RME)

Outils théoriques En appui à cette compréhension (TSD…)

Puise à différents cadres théoriques pour décrire,

analyser

Des concepts théoriques développés par Freudenthal sur RME

Approches méthodologiques

Développement d’approches spécifiques (Ingénierie didactique)

Recherche-action Recherche-développement (processus cyclique de

développement, analyse) Position par rapport à la

pratique Position externe du chercheur / observation contrôlée

Enseignant co-chercheur Forte composante expérimentation en classe

Essais dans des contextes éducatifs divers

Tableau 1 : Trois exemples de traditions de recherches différentes

En ce sens, on peut parler non pas d’une didactique des mathématiques mais de didactiques des mathématiques, renvoyant à un ensemble diversifié de connaissances et de pratiques sociales situées (Ernest, 1998). C’est dans cette perspective qu’il nous est apparu intéressant de retracer les travaux de recherche en didactique qui se sont développés au Québec au sein de différents groupes. 3. RECONSTRUCTION DE TRAVAUX DE RECHERCHE EN DIDACTIQUE DES

MATHÉMATIQUES AU QUÉBEC: QUEL(S) PROJET(S)? QUELLE DIDACTIQUE? QUELS OBJETS, QUELLES FILIATIONS THÉORIQUES, QUELLES APPROCHES?

3.1.Le Centre de recherche en Psycho-Mathématique de l’Université de Sherbrooke

« I (Dienes son is speaking) spent some time visiting the classes in which Zoltan did his teaching. What I notice was not so much the mathematics, it was more about the learning than the mathematics. In fact in some of his classes in Quebec he would have a mixture of mathematics, language and art in the same classroom, with different learning situations where students could choose what they wanted to work on. Often these classes had multiple grades, so the older ones were teaching the younger ones. The other thing he did was he never set up competitive games. The games were always things that didn’t work unless you worked together. His strategy was always to focus on the nature of learning. How do we create an environment in which people learn to cooperate, to have fun, and have choices and power over their own learning experience? And create an atmosphere where learning is empowering. » (Sriraman et al., 2007, p 70)

Les années 1960 ont été des années très actives en enseignement des mathématiques au Québec. L’arrivée de Diénès au Canada, un mathématicien de formation, spécialisé en logique, déjà très impliqué dans la recherche en enseignement des mathématiques, constitue ici un événement marquant.

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Zoltan P. Diénès mettra sur pied en 1967, à l’université de Sherbrooke, un centre de recherche en psycho-mathématique19, dont il sera le directeur, et qui constituera un pôle d’attraction important pour plusieurs chercheurs québécois en didactique des mathématiques (citons par exemple Claude Gaulin, Bernard Héraud, Dieter Lunkenbein, Hélène Kayler qui y feront de fréquents séjours de longue durée). Le centre de recherche de Diénès attirera également des visiteurs venus du monde entier, permettant ainsi aux chercheurs québécois de rencontrer la communauté de recherche internationale en enseignement des mathématiques. Diénès a été directeur de la revue « Journal of Structural Learning » et a contribué, dans une large mesure, au développement international de cette revue. Il a été activement impliqué dans la mise sur pied en 1968 d’un premier doctorat en psychomathématiques, à l’université de Sherbrooke, doctorat qui jouera un rôle important dans la formation d’un premier noyau de chercheurs en enseignement des mathématiques. Diénès, qui avait entrepris, avant son arrivée au Canada, un travail à l’université de Leicester en Angleterre, à Harvard aux États-Unis et à l’université d’Adélaïde en Australie, entretiendra de nombreuses collaborations (comme nous le montre l’extrait du rapport annuel ci-dessous) avec des chercheurs de différents pays. Citons notamment Tamas Varga en Hongrie, Malcolm A. Jeeves à Adélaïde en Australie et John D. Williams en Angleterre. « Plusieurs centres travaillent en étroite collaboration avec Sherbrooke. Mentionnons : (le) Heidelberg Maths Project, administré par A. Abele ; Barcelone, administré par Ricardo Pons ; Las Palmas, administré par J.B. Caparros Morata ; Neuquéen, Argentine, administré par L.E. Cerdeyra ; Porto Alegre, Brésil, administré par P. Grossi ; l’université Simon Fraser, administré par J. Trivett ; l’université de Dalhousie, Halifax, administré par G. Jeffery ; The Fleming School, New York, administré par D.F. Correa ; le Bulmershe Project, Reading, dirigé par Peter Seaborne ; le projet Budapest, dirigé par Tamas Varga » (Diénès, 1973-a, p 24)20 Ces quelques données contextuelles étant précisées, nous soulignerons maintenant ce qui ressort de l’analyse des données examinées à partir de notre grille de lecture. 3.1.1. Un travail en didactique des mathématiques orienté par quelle finalité? Ce projet est énoncé explicitement dans le rapport de 1973 portant sur les travaux accomplis, ou en cours, au centre. Celui-ci justifie en effet son existence dans l’ensemble de la documentation recueillie, d’une part, par le processus d’apprentissage des structures abstraites (ce qui fonde, guide les travaux de Diénès et de ses collaborateurs) et, d’autre part, par l’application de ces travaux dans les écoles (page V). Une certaine approche de la recherche en didactique des mathématiques y est sous-jacente, articulant les deux composantes : recherche sur le processus d’apprentissage des structures abstraites, expérimentation en classe. Il ne s’agit nullement de travailler sur le processus d’apprentissage des structures sur un plan théorique pour ensuite appliquer ceci dans la classe ; les deux composantes sont, pour Diénès, interreliées. Ses travaux de recherches « ont toujours réuni les deux aspects: l’étude approfondie du processus et le travail dans les salles de classe, chacun de ces aspects alimentant l’autre d’hypothèses nouvelles » (page V) Dans une entrevue récente réalisée avec Diénès, il est possible de retrouver le rationnel qui animait ces travaux de recherche, leur motivation profonde, toujours présente dans ses propos, à travers une certaine conception de l’activité mathématique sous-jacente : il parlera d’une certaine manière de

19 Le libellé du centre ne renvoie pas au terme didactique des mathématiques. Des recherches dans le domaine y seront toutefois menées, influencées par la double composante mathématique et psychologique. 20 Au moment du rapport annuel que nous avons consulté (juin 1973), le centre avait 6 ans d’existence.

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penser (« a structural thinking »), mais aussi d’une certaine conception de l’apprentissage de ces structures. « Mathematics is characterized by structures, there is no denying this fact and in my opinion it is important to expose students to these structures as early as possible. This does not mean we tell them directly what these structures are but use mathematical games and other materials to help them discover and understand these structures » (Propos de Diénès recueillis par Sriraman, 2007, p 61) À partir de cette façon de penser, le plaisir qu’il peut y avoir à faire des mathématiques va être au fondement, pour Diénès, de la création d’activités, de matériel, de jeux qu’il exploitera en classe avec les enfants. « What I have been doing for over 50 years is not so much…but critical thinking about what mathematics is and what it can be used for and to have presented it as fun, as play, and in this sense it can be self motivating because it is in itself a fun activity. I have critiqued mathematics being presented as a boring repetitious activity as opposed to a way to think…..as a way to train the mind…, understand patterns and relationships, in ways that are playful and fun » (p 64) 3.1.2. Filiations théoriques des travaux menés au centre Le travail de Diénès va s’appuyer sur une théorie de l’apprentissage des structures abstraites en six étapes (Diénès, 2000), théorie dans laquelle l’élève joue un rôle actif, et où les concrétisations sont appelées à jouer un rôle-clé. Il s’agit là d’un des principes qui, pour Diénès, est à la base du processus d’abstraction, le « principe dit des concrétisations multiples ». « One of the first things we should do in trying to teach a learner any mathematics is to think of different concrete situations with a common essence. (These situations) have just the properties of the mathematics chosen. Then children will learn by acting on a situation. Introducing symbolic systems prematurely shocks the learner and impetes the learning of mathematics »21 (p 61), ce qu’il précisera davantage plus loin « I thought of things like…the distributive law for instance. It is very hard to explain this law to somebody who is not a mathematician, but you can invent some games which work in exactly the same way, which you can play » (p 62) … « The structural features one recognizes from the multiple embodiements-this brings out the essence of abstraction. Symbolism can be thrown in at this advanced stage, not earlier » ( p 67) La théorie de Diénès s’appuie sur certains principes centraux : un principe dynamique qui suggère que le processus d’apprentissage est un processus évolutif impliquant plusieurs étapes; un principe de concrétisations multiples à la base de l’abstraction, l’hypothèse sous-jacente étant que, confronté à diverses concrétisations, différentes en apparence mais présentant la même structure conceptuelle sous-jacente, les enfants vont tendre à abstraire les éléments semblables lors de leur activité dans ces diverses concrétisations; un principe de variabilité mathématique à la base de la généralisation. Ce principe suggère que la généralisation d’un concept mathématique, d’une structure, n’est possible que lorsque le concept est perçu sous certaines conditions, en faisant varier systématiquement des éléments non pertinents, tout en gardant les éléments pertinents constants (Diénès, 1960, Diénès et al., 1965, Post, 1981) 3.1.3. Orientations méthodologiques de ces travaux Les travaux de recherche menés au centre s’inscrivent dans une orientation que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de recherche-développement incluant, nous le verrons plus loin, une recherche évaluative.

21 Les mises en garde qu’il fait sur le processus de symbolisation amené souvent trop tôt en mathématiques sont aujourd’hui toujours d’actualité.

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L’accent est mis sur le développement d’activités, de matériel, de programmes en lien avec un modèle théorique, une théorie de l’apprentissage des structures abstraites développée par Diénès que l’on cherche à documenter, dont on cherche à voir le potentiel et à cerner l’impact sur l’apprentissage des enfants. On trouve ainsi des études en classes avec expérimentations, observations, des activités menées à l’occasion dans des laboratoires sur des aspects spécifiques visant à mieux comprendre un aspect particulier (études cliniques) et des recherches évaluatives visant à cerner les effets des approches élaborées. Lien avec la pratique Un travail important dans les classes est mené dans cette perspective avec les professeurs et les enfants. Il porte sur des activités mises au point par les chercheurs et fondées sur une théorie de l’apprentissage des structures abstraites. À Sherbrooke sept écoles sont impliquées. Ailleurs au Québec également : à Laval (3), à Outremont (1). D’autres travaux du même type sont menés ailleurs dans le monde, en collaboration avec d’autres chercheurs : en Allemagne (2 écoles), Angleterre (2), Hongrie (2), Italie (2), Nouvelle-Guinée (2), New York (1). Un tel travail s’appuie sur une formation des enseignants impliqués dans ces expérimentations dans les écoles. Des ateliers sont ainsi donnés régulièrement aux professeurs par Diénès et ses collaborateurs au sujet des activités, du matériel, des programmes élaborés au centre.22 3.1.4. Quels objets ? Nous donnons ci-dessous quelques exemples de travaux de recherche menés au centre dans les années 1970 (voir Diénès, 1973-a). Ils illustrent les objets sur lesquels portent les recherches. On travaille sur des processus, par exemple

- L’investigation des processus de généralisation, - L’abstraction et la généralisation: l’emploi de structures de groupes, - L’interaction de l’abstraction et de la généralisation dans une consigne logique, - Les effets des relations structurales sur le transfert.

Et, en lien avec ces processus, sur certains contenus : - Les relations d’ordre et les suites, - Une approche expérimentale au concept d’ensemble, - Une comparaison de l’efficacité de différentes bases de numération, de différentes bases

dans une démarche pédagogique développée pour l’apprentissage des fractions positionnelles,

- Le comportement des enfants face aux situations aléatoires, fonction de la fréquence des événements.

D’autres aspects sont également abordés touchant au travail de groupe et à la communication, ou encore à l’articulation entre les mathématiques et d’autres disciplines, comme en témoignent les thèses de maîtrise suivantes supervisées au centre :

- Aspects of communication in a group of learning situation (Williams, 1970), une étude qui porte sur une analyse de la dynamique de groupe et des communications dans une classe,

- La coordination des sujets dans l’enseignement (Cantieni), une analyse d’un projet coordonnant les arts plastiques et leur application pour un travail sur les structures.

Des recherches évaluatives sont également menées dont voici quelques exemples :

22 La mise au point d’activités et de programmes dans les écoles s’est avérée possible, durant cette période des années 1970, dans la mesure où existait alors au Québec un programme cadre, laissant place à des initiatives locales.

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- Une comparaison de trois approches (Diénès, Cuisenaire et les méthodes traditionnelles d’enseignement des mathématiques), ayant, pour fin de comparaison, recours à des tests mathématiques, de résolution de problèmes, de compréhension des mathématiques, des questionnaires d’attitude,

- Une comparaison des projets réalisés dans les écoles à Sherbrooke et à New York, - Une étude expérimentale des niveaux d’apprentissage d’une structure abstraite par les élèves

de l’école élémentaire (1,2,3). Ce travail de recherche va s’appuyer à cette fin sur une construction et une standardisation de banques d’items et de tests. 3.1.5. Des retombées pour l’enseignement

« Like 50 years ago, the multibase blocks I brought in were regarded as absolute nonsense. Why did you do that ? How could you possibly think of that as being of any use ? Yet, now some people have finally understood. They have realized that it actually does teach children place value, the idea of the power as the exponent… » ( propos de Diénès recueillis par Sriraman, 2007, p 66)

Le développement, jumelé à ce travail de recherche dans les classes, aura des retombées importantes pour l’enseignement, prenant la forme de matériel, de programmes, d’activités, de jeux, comme en témoignent les productions suivantes :

- La construction d’un programme scolaire pour l’élémentaire réparti sur une période de six ans;

- Quelques composantes d’un programme pour les écoles secondaires (basé sur les expériences concrètes de l’enfant) : un cours de logique, un cours sur les anneaux, sur les corps et espaces vectoriels, un cours d’introduction des nombres réels;

- La conception, construction de matériel didactique nouveau : on peut penser ici aux blocs multibases, aux blocs logiques, un matériel encore utilisé aujourd’hui;

- La conception de jeux, de manuels, de fiches de travail, de guides pour les enseignants; - Des publications pour les enseignants sous forme d’articles, ce qui implique une dimension

de vulgarisation des recherches pour les enseignants; - Des films en boucle 8 mm; - Une importante production sur différents sujets: Nombres; ensembles et logique; géométrie

et probabilités; relations et fonctions; intégration de différentes disciplines (arts, langage et mathématiques; langue et logique, langue et mathématiques).

En guise de conclusion À travers ce qui précède, se dégage une certaine conception du travail de recherche en enseignement des mathématiques, et par là de la didactique des mathématiques, qui demeure toutefois implicite dans

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les écrits de Diénès. Cette didactique puise ses fondements dans les mathématiques (associées aux structures), dans une certaine conception de l’activité mathématique (établir des relations, percevoir des patterns, abstraire, généraliser) et dans la psychologie de l’apprentissage23. En s’intéressant au processus fondamental d’apprentissage des structures abstraites, Diénès poursuit avant tout des buts « pragmatiques », ce qu’il nous confirme d’ailleurs en rétrospective (Srimanan, Lesh, 2007) « I have always been more practical in my theorizing than people like Piaget or Bruner. Let’s stick the facts and see what is possible » p 70) 3.2.Lunkenbein Les travaux de Lunkenbein et du groupe de didacticiens (voir Allard et al., 1977) qui prend place par la suite à l’université de Sherbrooke, se situent dans la continuité de la pratique didactique mise en place par Diénès : celle-ci reste en effet articulée sur un travail avec les enseignants dans les écoles. Cette continuité semble a priori normale puisque Lunkenbein a été lui-même assistant de recherche au centre de Diénès pendant 4 ans. Il a été l’un des premiers étudiants à s’inscrire au programme de doctorat élaboré par Diénès en psychomathématique, avant de s’inscrire ensuite à l’Université Laval où il a complété ce doctorat. Il se distancie toutefois également, nous le verrons par la suite, de Diénès par les objets sur lesquels il travaille, les ancrages théoriques qui fondent ses travaux, et une certaine conception de la didactique. Ainsi tout en demeurant intéressé par le processus d’apprentissage des enfants (voir par exemple Lunkenbein, 1981, 1984-85) comme l’était Diénès, et en restant influencé par les structures24 (voir par exemple Lunkenbein, 1977-b), il conduira des recherches différentes, portant sur l’apprentissage et l’enseignement de la géométrie dans les premières années de l’école élémentaire (voir par exemple Lunkenbein, 1980, 1983-a, Mitchelmore, Lunkenbein et al., 1983). Plusieurs textes de Lunkenbein nous permettent de préciser la conception de la didactique qui guide son travail (voir Lunkenbein, 1977-a, 1983-b). C’est sur celle-ci que nous reviendrons plus particulièrement maintenant à la lumière d’un article paru en 1983 dans le bulletin de l’AMQ. Ce texte permet de comprendre l’ancrage de ses travaux. 3.2.1.Quelle didactique ? Que recouvre t-elle ? Lunkenbein nous rappelle tout d’abord que des conceptions diversifiées de la didactique sont présentes, variant d’un pays à l’autre, d’une institution à l’autre, voire d’un courant éducatif à l’autre. Ce préambule sur ces conceptions diverses de la didactique rejoint notre propos de départ sur la multiréférentialité de ce champ d’études. Ainsi pour Brousseau (1982), repris ici par l’auteur (Lunkenbein, 1983-b, p 27), la didactique des mathématiques est « l’étude des phénomènes d’enseignement qui sont spécifiques de la connaissance enseignée sans être réductibles au domaine du savoir auquel elle appartient ». Le lien avec les savoirs, au centre du travail didactique, est ici bien établi. Wittmann (1982) conçoit la didactique (repris par Lunkenbein, p 27) comme « an interdisciplinary field of study strongly related to mathematics, pedagogy, psychology and practical teaching ». Higginson (1980) suggère un modèle « in terms of the tetrahedral interactions of its fundamental disciplines: mathematics, philosophy, psychology and sociology ». Des différences ressortent de ces diverses définitions : pour certains, la psychologie et la pédagogie font partie des

23 La formation première de Diénès est une formation en mathématiques. Il a par ailleurs complété des études en pyschologie de l’apprentissage des mathématiques. 24 Il s’agit moins en fait ici d’une influence venant des mathématiques, comme ce fut le cas pour Diénès, que d’une influence provenant de la théorie piagétienne. Son travail sur la notion de groupement puise en effet ses fondements chez Piaget.

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domaines dans lesquels puise la didactique (Wittmann), pour d’autres, la sociologie et la philosophie sont des sources importantes à considérer pour la didactique (Higginson). Une absente dans ces définitions, sauf chez Wittmann : la pratique de l’enseignement. C’est ce caractère interdisciplinaire présent chez Wittmann et Higginson, au carrefour de plusieurs domaines, que reprendra Lunkenbein, en y insérant la pratique de l’enseignement comme élément contribuant à la définition de la didactique. Une certaine conception de la didactique des mathématiques Pour Lunkenbein, la didactique de la mathématique est conçue comme une théorie de la pratique de l’enseignement orientée par la tâche qui incombe à l’enseignant des mathématiques, une théorie conçue à partir de la pratique de l’enseignement et finalisée par celle-ci, conception que l’on retrouve chez Wittmann25. Il parlera ainsi de la didactique de la mathématique comme d’une science professionnelle de l’enseignant de mathématiques (Lunkenbein, 1983-b). On retrouve donc en arrière plan, chez Lunkenbein, une articulation très présente avec des préoccupations liées à la pratique réelle de l’enseignement des mathématiques et une prise en compte de l’enseignant. Cette conceptualisation de la didactique apparaît au carrefour de quatre domaines d’expertise qu’il nomme des sciences-ressources pour bien délimiter le rôle et la position qu’elles occupent par rapport au champ spécifique de la didactique des mathématiques. La dimension psychologique exprime la nécessité de tenir compte, selon lui, des processus d’apprentissage et des théories appropriées, dimension dans laquelle il va inclure à l’occasion des réflexions de nature philosophique et sociologique26. La dimension mathématique exprime, pour lui, le fait que l’étude de l’apprentissage et de l’enseignement en mathématiques doit être centrée sur ce qui est appris ou enseigné. La dimension du savoir est donc ici incontournable. La dimension pédagogique rappelle la nécessité de s’intéresser à l’étude des interventions qui favorisent l’appropriation des connaissances mathématiques; une certaine prise en compte du pédagogique dans le didactique est donc nécessaire. Il est enfin intéressant de noter qu’une de ces ressources est la pratique de l’enseignement, ce qui confirme le rôle-clé joué par la pratique dans sa conception27 (cf. figure 1). Cette relation très forte entre la didactique des mathématiques et la pratique de l’enseignement est visible à travers les finalités qu’il poursuit dans ce travail de théorisation (Lunkenbein, 1977-a). « Partant de l’idée que ‘‘rien n’est plus pratique qu’un bon modèle théorique’’, nos considérations auront pour but d’élaborer un ou des modèles qui nous seront utiles dans nos activités d’enseignement. Ces modèles seront à modifier ou à rejeter selon les indications que nous donnera leur utilisation pratique. Plus particulièrement, nous recherchons un modèle qui joue les rôles suivants : offrir au théoricien et au praticien une base commune d’échanges et de discussions; faciliter au praticien la classification et la structuration d’informations et d’expériences; aider le didacticien à garder le lien entre son travail et la pratique et à déterminer la position de son travail relativement à la réalité scolaire; servir à la description objective d’activités d’enseignement, à leur organisation et à leur analyse. C’est dans cette optique que nous tenterons l’aventure de la théorisation. Notre intention n’est pas, en effet, de donner une image plus scientifique à une science essentiellement expérimentale et appliquée » (p 8-9)28

25 Voir Wittmann, E. La didactique de la mathématique en tant que « science d’ingénieur », traduit par Lunkenbein et Morcos, dans Lunkenbein, D. (1977-a). Didactique de la mathématique (pp 108-127). Université de Sherbrooke. 26 La philosophie et la sociologie présentes chez Higginson comme sources fondamentales ne se retrouvent donc pas ici au même plan. 27 Cette prise en compte de la pratique comme ressource dans la conceptualisation de la didactique arrive ici dès 1983, bien avant donc les travaux qui seront développés en didactique des mathématiques sur les pratiques d’enseignement. En ce sens, la position de Lunkenbein fait figure d’avant-garde. On voit mal toutefois, dans cette caractérisation, comment cette pratique agit en tant que ressource. 28 Le souligné dans le texte est de nous. Il vise à mettre en évidence cette articulation avec la pratique de l’enseignement.

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L’action didactique va ainsi se vivre dans l’interaction entre des aspects disciplinaires, psychologiques, pédagogiques et la réalité scolaire (figure 1)

Didactique de la

mathématiquePsychologie

Mathématiques

Pédagogie

Pratique de l'enseignement

des mathématiques

Figure 1- conception de la didactique des mathématiques (tiré de Lunkenbein (1983-a, p 27)

Cette définition met en lumière les influences possibles de la part des sciences ressources et de la pratique, et permet d’expliciter, le jeu d’attentes à l’égard de celle-ci. Cette réflexion nous la reprenons ici, car elle nous semble toujours d’actualité (cf figure 2). En effet, on perçoit bien à travers cette analyse la situation conflictuelle que vit le didacticien lorsqu’il tente de justifier son travail et de délimiter celui-ci. Du point de vue du mathématicien, pour remplir convenablement la tâche d’un enseignant, une connaissance approfondie du contenu suffit. La didactique des mathématiques se réduit alors à des analyses mathématiques de contenus, niant ainsi le regard spécifique que le didacticien peut être amené à poser sur les mathématiques elles-mêmes. La vision psychologique des problèmes peut être de son côté à l’origine de distorsions considérables, et la didactique des mathématiques, vue comme une application particulière de la pédagogie, conduit au danger de négliger la spécificité de l’activité mathématique dans les analyses réalisées. On conçoit par ailleurs, avec cette analyse, qu’il n’est pas facile pour le didacticien de ne pas céder aux pressions du praticien et de ne pas formuler trop vite des suggestions pratiques à partir de résultats de recherche.

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Didactique de la

mathématiqueLe psychologue:considère la DM comme un champ d'application du développement..demande au didacticien d'avoir une vision psychologique des problèmes...

Le mathématicien:considère la DM comme un prolongement de la mathématique élémentairela connaissance mathématique est le seul facteur important....le didacticien doit être avant tout un bon mathématicien (possiblement avec quelques expériences d'enseignement).

Le pédagogue:considère la DM comme un champ d'application d'une didactique générale indépendante de tout contenu spécifiquedemande au didacticien d'avoir une vision généraliste, toute affinité avec la structure d'une matière est trop vite interprétée comme étroitesse du spécialistela DM peut prendre l'allure d'une méthodologie de l'enseignement des mathématiques

Le praticien:considère la DM comme une collection de suggestions pratiques facilitant la tâche de l'enseignantaversion contre les considérations théoriquessouhaite des méthodes pratiques d'enseignement du contenu du programme donné

Figure 2 : Attentes et influences des sciences-ressources

et de la pratique de l’enseignement (tiré de Lunkenbein, 1983-a, p 29)

3.2.2. Finalités du travail en didactique des mathématiques : quel projet ? Une relation très forte entre les travaux de recherche en didactique des mathématiques et la pratique de l’enseignement apparaît, nous l’avons vu précédemment, dans les finalités du travail poursuivi. Celle-ci rappelle les origines de ce champ d’étude « qui sont l’enseignement scolaire de la mathématique avec les problèmes qu’il soulève » (Lunkenbein, 1983-a, p 27) et les finalités de son travail qui sont « l’amélioration et l’avancement de l’enseignement de la mathématique à tous les niveaux scolaires » (p 27) La distinction que fait par ailleurs Lunkenbein entre divers travaux de recherche en didactique des mathématiques permet de situer, dans le champ de la DM, les préoccupations premières du didacticien enseignant et du didacticien chercheur, associées à des intentions différentes29. Dans le premier cas, le travail didactique vise l’enseignement d’une connaissance mathématique donnée et les actions didactiques portent sur : « des activités d’enseignement, (elles consistent) en l’élaboration et la description de méthodologies, en la production de matériel d’enseignement, en la suggestion de programmes, de modes d’évaluation, bref elles comprennent toutes les actions didactiques qui visent à produire, à faire produire ou reproduire une activité d’enseignement… » (p 27-28) Dans le second cas, le travail du didacticien vise d’abord à expliquer les phénomènes d’enseignement. 29 On peut faire un lien ici avec la distinction que fait Martinand (1993) entre didactique praticienne et didactique prospective (didactique de recherche), à laquelle il ajoutera également la didactique normative (celle des programmes, évaluations)

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3.2.3. Filiations théoriques des travaux menés Les travaux de recherche menés par Lunkenbein sont orientés par une conception, que lui-même qualifiera de « génétique », de l’enseignement de la mathématique, conception influencée par Piaget et Bruner. Nous trouvons clairement ces influences dans ses travaux portant sur la notion de groupement et la formation de concepts en géométrie (voir notamment Lunkenbein, 1977-b, 1981) « La pratique de l’enseignement est envisagée comme lieu privilégié pour stimuler, encourager et diriger le développement chez l’enfant ou l’individu, de structures intellectuelles dont les apprentissages ne se font pas de façon spontanée. La didactique basée sur une conception génétique de l’apprentissage de la mathématique tentera donc d’agir sur la réalité scolaire et sur la pratique de l’enseignement en vue de la construction de connaissances par l’individu lui-même… »(Lunkenbein, 1983-a, p 30-31) Cette conception vient baliser en retour le rôle des sciences-ressources, la façon dont elles vont être vues (cf figure 3)

Conception génétique au fondement du travail en DM:Enseigner la mathématique =faire la mathématique avec les élèves en vue de la formation intégrale de la personne

renvoie à la psychologie génétique (Piaget)Construction graduelle de la connaissance par un processus d'interaction avec l'environnementApprentissage: intégration, transformation de structures cognitives..

Favorise une conception dynamique des maths:les contenus prennent la forme de réseaux de problèmes....le caractère de processus de résolution de problèmes, de formation de concepts, d'établissement de relations est davantage mis en évidenceune mathématique vivante dans le sens de Lakatos

Favorise une conception humaniste de l'éducation:importance de l'épanouissement de l'individu; pédagogie active; apprentissage et enseignement par interaction sociale....but de l'éducation: formation intégrale de la personne

Une pratique de l'enseignementcentrée sur les activités et les initiatives de l'apprenant..cheminement conjoint de l'enseignant et de l'apprenant en vue de la construction progressive de la connaissance

Figure 3. Conception génétique de l’enseignement de la mathématique, influences sur les sciences-ressources et

la pratique de l’enseignement (tiré de Lunkenbein, 1983-a, p 31)

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En guise de conclusion Le travail mené dans les années 80 à l’université de Sherbrooke autour de Lunkenbein prend donc une orientation quelque peu différente de celle que lui avait donné Diénès. Une certaine vision de la didactique des mathématiques30 prend forme autour d’un projet dont les racines sont à chercher dans la pratique de l’enseignement des mathématiques, les problèmes auxquels il est confronté, et dont la finalité est l’amélioration et l’avancement de cet enseignement. Les influences de la théorie piagétienne vont être ici très importantes, guidant le chercheur, lorsqu’il aborde l’enseignement, dans une certaine direction. Les recherches sur l’enseignement de la géométrie à l’élémentaire illustrent clairement cette influence. Avec les groupes de recherche qui suivent, nous nous déplaçons géographiquement vers une autre région, celle de l’île de Montréal. 3.3.Le Centre de Recherche en didactique Le Centre de Recherche en Didactique 31(CRD) a été créé le 17 septembre 1969 et il a ouvert ses portes le 1er juin 1970 au pavillon Émile-Gérard de l’Université du Québec à Montréal. Albert Morf32, attaché au département de psychologie de l’UQAM, en a été le premier directeur. Plusieurs autres chercheurs y ont été impliqués, tels Tamara Lemerise de l’UQAM, Michel Carbonneau et Ali Haramein de l’université de Montréal et d’autres33. Plusieurs étudiants, venant de l’université de Montréal et dirigés par Albert Morf, y ont mené leurs travaux : Michel Desjardins, Jean-Claude Hétu, étudiants au doctorat, Thérèse Migneron, Robert Cadotte, Martine Ross-Burger, étudiants à la maîtrise. Deux thèses portaient sur l’enseignement des mathématiques, celles de Michel Desjardins et Jean-Claude Hétu. Plusieurs projets de recherche ont touché, au fil du temps, aux mathématiques, impliquant plusieurs chercheurs et étudiants gradués (Maurice Bélanger, Michel Desjardins, Jean-Claude Hétu, Hélène Kayler, Claude Dubé, plus tard Nadine Bednarz, Louise Poirier, Sylvine Schmidt). En dix ans, le CRD a connu quelques déménagements jusqu’à sa fermeture en 1980. Dans ce centre, les séminaires étaient nombreux et on discutait ferme. Ces discussions, nous le verrons par la suite, cherchaient à asseoir la didactique sur des principes solides et à lui donner un caractère scientifique. C’est ainsi qu’a germé l’idée, dès 1971, d’organiser un symposium sur la didactique et d’y inviter Jean Piaget du centre international d’épistémologie génétique de Genève, Jean-Blaise Grize du centre de recherches sémiologiques de Neufchâtel en Suisse, Jack Easley, Klauss Witz de l’université d’Illinois, tous deux didacticiens des sciences, Pierre Gréco de l’école pratique des Hautes Études à Paris, Seymour Papert du MIT à Boston, Gaston Mialaret de l’université de Caen en France. Ce symposium a été enregistré et la transcription des cassettes audio, contenant les présentations et les discussions, de même que des traces diverses (programmes, mémos, résumés des conférences) en plus de l’ensemble des rapports annuels, constituent les données qui nous ont permis de mieux comprendre le travail qui était mené dans ce centre. En 1973, un autre symposium portant sur les fondements scientifiques de la didactique, organisé par Michel Desjardins, Carole Ledoux et Louise Forest, réunissait des conférenciers

30 Le terme didactique est ici explicite, ce qui n’était pas le cas chez Diénès. Rappelons que le centre portait le nom de centre de recherche en psycho-mathématique. 31 Comme son nom l’indique, les travaux du centre ne se situent pas exclusivement en didactique des mathématiques. Nous avons toutefois jugé bon de nous attarder à ce centre qui a joué un rôle important dans la réflexion théorique qu’il a initiée et qui a regroupé en son sein un certain nombre de chercheurs en didactique des mathématiques. 32 Albert Morf a travaillé au préalable avec Adrien Pinard et Thérèse Gouin-Décarie à l’institut de psychologie de l’université de Montréal. 33 Nous tenons tout particulièrement ici à remercier Pauline Provencher qui nous a aidé à situer le contexte dans lequel a pris place le CRD.

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d’universités québécoises et étrangères, notamment Hans Aebli (université de Berne), François Bresson (université de Paris), Jean-Paul Brodeur (UQAM), Jean-Claude Gagnon (université Laval), Jean-Blaise Grize (université de Neufchâtel), Gérard Vergnaud (université de Paris) (voir rapport annuel 73-74, p 32) 3.3.1. Finalités du travail en didactique : quel projet ? Pour Albert Morf et les chercheurs du centre, la finalité du travail est claire. Il s’agit d’asseoir la didactique sur des principes solides, sur des bases scientifiques, pour que celle-ci puisse être considérée comme une véritable science. « Les travaux du centre sont destinés essentiellement à contribuer à la construction d’une théorie progressivement scientifique des processus d’enseignement. » (voir rapport annuel 73-74, p 4) Cette finalité délimite les travaux de recherche qui y seront poursuivis. Ainsi y lit-on : « Les programmes de recherche évitent des études de portée empirique et visent surtout des objectifs qui accroissent les fondements même dans les travaux qui touchent directement la réalité scolaire. » (p 4) L’organisation du symposium de 1971 sur les fondements scientifiques de la didactique (réunissant Piaget, Gréco, Papert, Easley et Witz, Grize, Mialaret, les chercheurs du centre et d’autres chercheurs du Québec) confirme cette orientation donnée aux travaux du centre. Nous verrons maintenant comment cela se traduit plus spécifiquement dans les recherches conduites en didactique des mathématiques. 3.3.2. Les travaux de recherche menés en didactique des mathématiques : quel projet ? quels objets ? quelles filiations théoriques ? quelles approches Plusieurs projets de recherche portant sur l’enseignement des mathématiques prendront place entre les années 1970 et 1980 :

- Intervention et évolution des états de connaissance dans la didactique des sciences à l’élémentaire (responsable Maurice Bélanger). Dans ce travail qui portera sur les mesures, un lien avec les mathématiques peut être fait (ce projet est cité dans les rapports annuels 73-74, 74-75, 76-77);

- Problèmes didactiques dans l’apprentissage des mathématiques au niveau de l’élémentaire en milieux défavorisés (responsable : Maurice Bélanger) (cité dans les rapports annuels 74-75, 76-77, 77-78);

- Algorithme et connaissance (responsable Michel Desjardins) (projet cité dans le rapport annuel 73-74);

- Communication, symbolisation et initiative en situation didactique (responsable Michel Desjardins) (cité dans le rapport annuel 74-75);

- La compréhension en mathématiques chez l’enfant de l’élémentaire (Responsable Nadine Bednarz)34 (cité dans le rapport annuel 76-77, 77-78).

Nous reviendrons plus spécifiquement sur certains de ces projets.

34 Avec ce projet de recherche, Nadine Bednarz a été impliquée au CRD vers la fin de la vie du centre. Différents chercheurs sont intervenus dans ce projet portant sur la compréhension en mathématiques à l’élémentaire : Charles de Flandre, Claude Dubé, Hélène Kayler, André Boileau du département de mathématiques de l’UQAM. Les chercheurs Zoltan Diénès, Gérard Noelting, et Dieter Lunkenbein ont travaillé avec l’équipe à titre de consultants.

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3.3.2.1 Intervention et évolution des états de connaissance dans la didactique des sciences à l’élémentaire (responsable Maurice Bélanger) Cette équipe qui a réuni, au fil du temps, plusieurs chercheurs, enseignants et assistants de recherche35, a travaillé sur la didactique des sciences à l’élémentaire. Plusieurs programmes, traductions en langue française de programmes américains, approuvés par le ministère de l’éducation dans le cadre du programme cadre de 1970, sont alors utilisés dans les écoles. Peu de données sont toutefois disponibles, nous dit le rapport annuel de 73-74, sur ces programmes et leur influence sur la construction de connaissances par les enfants. « Les quelques études faites aux États-Unis ou au Canada ne permettent pas de comprendre quels sont les aspects des méthodes qui ont des effets souhaitables sur l’évolution des connaissances scientifiques chez les enfants » (p 5). Cette absence de connaissances sur le rôle des interventions dans l’évolution des connaissances des enfants est à l’origine du présent projet de recherche. Sa visée au départ, comme nous le verrons par la suite, est théorique. Quel projet ? La visée théorique du projet est clairement énoncée dans le rapport annuel de 73-74 : « Un grand nombre de recherches en éducation sont faites de façon empirique et ne peuvent alors fournir que des faits qu’il est impossible de relier entre eux. Nous avons voulu élaborer un schème de référence qui nous permette de situer nos résultats, cela explique que la première partie du travail (1971-1972, 1972-1973) soit effectuée surtout à un niveau théorique» (p 6). Cette visée est confirmée dans le travail anticipé par l’équipe pour 73-75 : « Dans les années 73-74 et 74-75, nous voulons étudier des connaissances précises dans le domaine des sciences pour mettre à l’épreuve notre schème théorique et en même temps construire des types d’interactions utilisables par les maîtres d’école » (p 6). Les connaissances que l’équipe a choisi d’étudier sont celles relatives à la mesure (mesure de longueur, mesure de poids, …) et les interventions qui sont plus spécifiquement ciblées sont ce que les chercheurs appelleront « des interventions-problèmes » 36. Toutefois on retrouve, par la suite, dans ce projet (rapport annuel 74-75) un aspect pratique, la démarche de recherche mettant l’accent sur l’élaboration de problèmes de sciences en collaboration avec des enseignants ainsi que leur expérimentation dans les écoles (projet nommé « Boîte de sciences ») : « Avec un groupe de professeurs de Ville Brossard, nous avons élaboré une série de situations-problèmes qui ont été expérimentées dans leur classe de 6ème année. D’autres professeurs se sont ensuite joints au groupe initial et nous avons pu former un matériel de quelques 40 situations-problèmes. Le matériel nécessaire à chaque situation-problème fut présenté dans une boîte séparée d’où le titre du projet : projet boîtes des sciences. Ces boîtes de sciences sont présentement en expérimentation dans deux écoles, ce qui nous permettra au cours de l’année d’évaluer comment cette méthode a favorisé l’évolution des connaissances scientifiques de ces enfants » (rapport annuel 74-75, p 5-6). Deux aspects sont ainsi imbriqués :

- un aspect développement issu de la recherche : constitué d’un matériel de 40 situations-problèmes.

35 L’équipe des sciences était formée, par exemple en 74-75, de Maurice Bélanger, Nicole Fortin, Robert Letendre, Elie Martin, Bernard Lefebvre, Alain Constant, Denise Frigonon, Hélène Gagnon, Hélène Lajoie, Bernadette Ostiguy, Céline Roy, André Roux, Guy Boisvert, Lina Tremblay. 36 Interventions articulées sur une situation-problème

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- un aspect recherche centré sur : d’une part, l’analyse de la démarche faite par l’enfant pour

résoudre un problème issu de ces boîtes de sciences (conception initiale du problème, modification de ses connaissances à partir de l’expérimentation avec les objets) ; d’autre part, l’étude des « schèmes » d’une équipe de professeurs (système de concepts, valeurs…) dans leur travail d’élaboration d’une didactique, de construction d’une stratégie d’intervention. On perçoit la visée théorique évidente de ce projet : « Il ne faut pas négliger l’aspect théorique qui consiste, en relation avec un autre projet du CRD, à déterminer le rôle très important joué par l’ensemble des concepts et des valeurs du créateur de programme dans l’organisation de son programme. Ce système de valeurs, appelé « les schèmes du maître », m’est apparu être la pierre angulaire de la construction d’une stratégie d’intervention. Le projet « Boîtes des sciences » nous a permis d’étudier les schèmes d’une équipe de professeurs dans leur travail d’élaboration d’une didactique » (rapport annuel 74-75, p 6).

Quelles sont les filiations théoriques de ces travaux ? Un certain cadre de référence sous-jacent est explicité dans le rapport annuel 73-74 à travers les raisons invoquées par le chercheur pour motiver le projet. Ce cadre de référence, que l’on pourrait aujourd’hui associer au constructivisme, a l’intérêt, surtout pour nous, d’être resitué par rapport à d’autres cadres de référence fondant les recherches de l’époque en enseignement des sciences. On perçoit bien à travers ces propos la petite révolution qui est en train de s’opérer :

1) Les méthodes actuelles (on fait ici allusion aux recherches de l’époque, surtout anglo-saxonnes) postulent que l’enfant ne possède aucune connaissance au point de départ, ou que, s’il en possède, il n’est pas utile d’en tenir compte; nous travaillons avec l’hypothèse qu’il faut en partie baser l’intervention sur l’organisation initiale des connaissances de l’enfant;

2) Ces méthodes sont aussi fondées sur le postulat que la connaissance se développe par addition de nouvelles connaissances; nous faisons l’hypothèse que l’évolution se fait par une restructuration des connaissances;

3) Nous voulons rechercher dans les aspects épistémologiques de l’intervention ses rapports avec la transformation des connaissances chez l’enfant » (p 5-6).

Quelles approches de recherche ? Une certaine manière d’approcher la recherche transparaît dans le développement de la recherche à travers le temps, comme nous le montre le travail autour du projet « Boîte des sciences » : « Nous poursuivons un style de recherche qui puisse établir une relation entre un ensemble de concepts théoriques développés jusqu’ici et la pratique de la classe » (rapport annuel 73-74, p 7). 3.3.2.2 Algorithme et connaissance (Responsable Michel Desjardins) Une équipe formée de chercheurs du CRD, de professeurs du département de mathématiques de l’UQAM, de spécialistes en sciences et d’enseignants à l’élémentaire a été impliquée dans ce projet à caractère théorique37.

37 En 73-74, par exemple l’équipe était formée de Michel Desjardins, Viviane Aubé-Tremblay, Daniel Desjardins, Louise Desroches, Claude Dubé, Louise Forest, Andrée Lallo, Carole Ledoux, Reine-Claire Lussier, Guy Boisvert, Denis Ledoux. Guy et Nadine Brousseau sont intervenus comme invités dans le cadre de ce projet

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Quel projet ? Ces travaux avaient pour objectif principal « d’étudier les conditions didactiques favorables à l’élaboration d’algorithmes par l’enfant, tant en mathématiques qu’en sciences. L’hypothèse principale était que l’élaboration d’algorithmes représentait une condition utile pour l’opérationnalisation momentanée des états de connaissance de l’enfant ainsi que pour leur transformation subséquente » (rapport annuel 73-74, p 11). Quelles approches de recherche ? Les approches développées, très près de celles développées en France par Brousseau, prônent un retour constant à l’expérimentation en classe. Les connaissances des enfants sont ici considérées « comme des produits des situations didactiques » (p 11). Dix expériences pédagogiques différentes ont ainsi été menées dans les écoles (Outremont, Longueuil, St Mathias), conduisant à la description et l’analyse fine de celles-ci, permettant une compréhension des faits observés au plan des connaissances des enfants en lien avec les situations didactiques. 3.3.2.3 Problèmes didactiques dans l’apprentissage des mathématiques à l’élémentaire en milieux défavorisés (Responsable : Maurice Bélanger) En 1973, dans le prolongement de la recherche en didactique des sciences à l’élémentaire, un nouveau projet est initié, en collaboration avec les écoles, avec une équipe d’étudiants, de chercheurs de l’UQAM et de l’université de Montréal, tous intéressés aux problèmes de l’enseignement et de l’apprentissage chez des enfants de milieux défavorisés. Un camp d’été destiné aux enfants de ces milieux (dans Pointe St-Charles, St-Henri) a été mis sur pied à l’été 1974, camp au cours duquel les étudiant impliqués dans la recherche travaillent en ayant recours aux situations-problèmes développées dans le projet « Boîtes de sciences ». Cette expérience a mené à un certain nombre d’observations sur le processus de résolution mis en œuvre par les enfants de ces milieux : « ces enfants ont une façon particulière de raisonner, de penser et, en général, de faire face à des problèmes, une façon différente de conceptualiser, de classer les données et même d’entrer en contact avec le plus simple des problèmes » (rapport 74-75, p 6). Cette première expérience va être à l’origine d’un projet de recherche qui s’étalera sur plusieurs années. Quel projet? On cherche ici à mieux connaître le fonctionnement de ces enfants et à développer des stratégies particulières d’intervention. Le projet rejoint ainsi, dès cette époque, une préoccupation d’adaptation partagée par plusieurs chercheurs actuels en didactique des mathématiques au Québec. Il est centré sur « l’étude d’un sous-groupe d’enfants de milieux défavorisés dans le but de créer pour eux une didactique appropriée » (rapport 74-75, p 5). Quels objets ? Ce travail amènera les chercheurs à explorer le concept théorique de « connaissance défavorisée, pris ici au sens d’une hypothèse intuitive susceptible de donner de nouvelles orientations de recherche dans le domaine de l’éducation en milieu défavorisé » (rapport 73/74, p 8). Par ce biais, il les amènera à s’intéresser aux erreurs des élèves, et à l’élaboration d’interventions didactiques appropriées.

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Quelles filiations théoriques ? On retrouve clairement, en arrière-plan de ce travail sur les erreurs, les postulats énoncés ci-après, postulats qui sont fondés sur l’épistémologie constructiviste de Piaget :

1) L’analyse des erreurs révèle que la majorité de ces erreurs sont le résultat de processus que l’enfant a lui-même construit.

2) Ces processus donnent de faux résultats du point de vue mathématique, mais ils ont en eux-mêmes une cohérence et une logique interne. Du point de vue de l’enfant, ces processus sont valables.

3) Nous postulons qu’il existe des familles d’erreurs en mathématiques qui sont basées sur ces processus communs.

4) Les processus construits par l’enfant sont souvent le résultat des stratégies d’enseignement, décrites dans un manuel ou utilisées par le professeur.

5) Pour construire des stratégies d’intervention, il est indispensable que le chercheur ou le maître ait analysé l’erreur afin de découvrir le processus construit par l’enfant qui donne ces erreurs mathématiques» (rapport 77-78, p 8).

Quelles approches méthodologiques? Cette recherche donnera lieu à une série d’études de cas et à l’élaboration de protocoles d’entrevue pertinents à l’analyse des erreurs. On a recours à une des méthodologies qui sera particulièrement importante en didactique des mathématiques par la suite, autour de la mise au point de protocoles d’entrevues didactiques. 3.3.3. De quelle didactique parle t-on ? Le symposium organisé en 1971 sur les fondements scientifiques de la didactique38 et les notes des échanges entre les chercheurs durant le symposium sont ici particulièrement instructifs. Ils nous renseignent en effet sur différentes conceptions de la didactique présentes au cœur du débat, et sur la question des rapports entre la psychologie cognitive et la didactique, un enjeu majeur au moment où se précise le champ de la didactique des mathématiques au Québec. Ainsi, le symposium mettait en place les éléments nécessaires à une discussion sur ce qu’est la didactique, ce qu’elle recouvre, son objet et les méthodes de recherche qui en découlent. Nous ne reprenons ici que quelques éléments de la discussion39 pour illustrer les différentes conceptions qui émergent :

- « Je vous proposerais de prendre le terme de didactique comme un terme qui couvre les efforts de recherche et de conceptualisation relatifs à l’action sur quelqu’un, pouvant être un élève, une classe, un groupe quelconque, en vue d’intervenir sur le développement de ses connaissances » (discours d’ouverture du symposium, 1971, p 2).

38 Dans les différents mémos relatifs au symposium, différents titres apparaissent : « La validité de la psychologie génétique comme fondement de la didactique »(plan du symposium, document no1); « Fondements scientifiques de la didactique »(mémo); « La psychologie opératoire : sa portée comme science de référence pour la didactique » (compte rendu du symposium, plan provisoire). Quoiqu’il en soit, le symposium se voulait l’occasion de discuter ouvertement toutes les questions que pose la recherche scientifique dans le domaine de la didactique. On y retrouvait le projet sous-jacent du CRD à travers la question de fond ici débattue : pouvons-nous parler d’une didactique scientifique, au sens de « faire scientifiquement ce qui était fait de façon artisanale autrefois? chercher des faits spécifiquement didactiques à travers une pratique de la didactique, cette pratique pouvant s’appuyer sur des moyens scientifiques d’analyse; identifier-reformuler-résoudre scientifiquement les problèmes d’enseignement qui se posent » (Mémo, 1971) 39 Nous ne prétendons nullement ici à une analyse systématique des propos ce qui demanderait un codage complet des retranscriptions.

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- « Le problème didactique, mot dans lequel je ne vois rien de péjoratif, c’est l’ajustement des méthodes d’enseignement par rapport aux problèmes généraux de la pédagogie » (discours d’ouverture, discussion, 1971, p 4).

- « X a dit que la didactique lui paraissait pouvoir et devoir être conçue comme une science et comme une science à part entière, et il a dit à cet égard qu’il était, que naturellement la didactique devait fonder des pratiques d’enseignement et qu’on pouvait la concevoir comme une science théorique. Est-ce que (cette science) c’est simplement la théorisation des actions et des interactions du maître et de l’élève? » (discussion sur la conférence de Grize, p 11, 12)

- « J’inclinerais aujourd’hui à penser que la théorie didactique, s’il doit y en avoir une, est une théorie à plusieurs facettes, parce que la didactique en tant que telle ne me semble pas du tout être une science au sens habituel où l’on prend ce terme, (référant plus loin au terme « technologie ») nous disons technologie parce que l’enseignement et la didactique ne sont pas des sciences, ce sont des pratiques. La médecine n’est pas une science, la biologie est une science, la médecine n’est pas une science » (discussion sur la conférence de Grize, p 12)

À travers les propos précédents, la didactique est conçue comme une science permettant de fonder des pratiques d’enseignement ou, à l’opposé, une praxéologie, renvoyant à des pratiques. Le terme est utilisé dans un sens large portant sur les interventions d’un individu sur les connaissances d’autrui (pas seulement celles relatives à l’enseignement) ou, dans un sens plus spécifique, s’intéressant à l’enseignement et aux interactions entre un maître et des élèves. La relation didactique-psychologie est aussi interrogée et une distance nécessaire par rapport à la psychologie se dégage clairement des discussions. Celle-ci n’apparaît nullement comme une base suffisante et adéquate pour la conception d’enseignements ou de stratégies d’action « sur un élève ». Une importation des concepts, des méthodes est impossible et ceux-ci ne peuvent être choisis déductivement à partir de la psychologie, dira lui-même Piaget : « (il y a) nécessité de constituer une étude spéciale de la didactique à la fois appuyée sur la psychologie et très distincte de la psychologie (…) s’adapter à une classe, c’est vraiment tout autre chose que de faire de la psychologie sur des élèves du même âge. Il est absolument exclu de penser que l’on puisse tirer directement de la psychologie une didactique (…) Je pense par exemple à l’enseignement de l’arithmétique, il peut y avoir toutes sortes de manières de présenter les choses. Le psychologue ne peut pas vous dire a priori que celle-là est meilleure que celle-là. Il faut faire des expériences didactiques, et pas des expériences psychologiques, expériences didactiques qui sont, bien entendu, beaucoup plus laborieuses (en raison du temps qu’elles prendront). C’est donc une science qui me paraît nécessaire à fonder, mais beaucoup plus délicate que la psychologie, beaucoup plus coûteuse parce qu’elle prend beaucoup plus de temps et suppose plus d’efforts » (discours d’ouverture, discussion, p 4-6). Un dernier élément qui ressort de ce symposium touche à l’importance de la dimension épistémologique qui, elle, apparaît fondamentale pour les travaux de recherche en didactique. Ainsi, si la théorie opératoire apparaît comme un point de repère fondamental40 pour la recherche en didactique des mathématiques41 (ce que l’on perçoit bien dans les travaux du centre repris précédemment), c’est plus, comme le dit lui-même Piaget, comme une référence épistémologique.

40 Avec d’autres épistémologies qui également sont mentionnées dans les discussions (épistémologie des sciences, épistémologie de la pratique) 41 Cette dimension apparaît particulièrement importante dans les travaux de recherche qui ont été développés au Québec (voir les projets menés au CRD dans les années 70, les recherches de Lunkenbein dans les années 80, et par la suite les travaux menés au CIRADE dans les années 80-90)

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« Il n’y a pas moyen d’utiliser la psychologie opératoire, quel que soit le parti qu’on veut en tirer, sans mettre l’accent sur l’épistémologie. La psychologie opératoire est née d’une épistémologie. C’est parce que je me suis posé par exemple des problèmes épistémologiques que j’ai rencontré le problème de la conservation » (discussion sur la conférence de Bélanger, p.1). En guise de conclusion Il se dégage de ce noyau de chercheurs, un projet spécifique finalisé par l’établissement d’une didactique scientifique, plus proche en cela des travaux de la didactique élaborée en France que des travaux de recherche menés à la même époque dans le centre de recherche de Diénès. Il s’agit de travaux de recherche dont les fondements vont toutefois puiser à la théorie piagétienne et l’épistémologie constructiviste, rejoignant en cela ceux menés plus tard à Sherbrooke avec Lunkenbein. 3.4.La section didactique de l’UQÀM La section didactique du département de mathématiques de l’Université du Québec à Montréal constitue l’un des noyaux les plus importants (en terme de nombre) de didacticiens des mathématiques au Québec dans les années 70-80. On comptait en effet 17 didacticiens dans cette section dans les années 8042. Plusieurs de ces didacticiens s’impliqueront, dans les années 70, dans un programme important de perfectionnement des enseignants en mathématiques s’adressant à l’ensemble des enseignants du Québec, connu sous le nom de Permama. De nombreux cours y seront conçus; du matériel, des films en collaboration avec Radio Québec autour de différents sujets (travail sur les nombres, sur les fonctions, l’algèbre, les statistiques, la pédagogie du projet…) y seront réalisés; des cours y seront donnés. Cette expérience de formation continue à grande échelle, avec la réflexion et les échanges importants qu’elle suscitera lors de l’élaboration du matériel, sera un élément déterminant dans l’évolution de certains travaux de recherche en didactique des mathématiques par la suite. La formation des enseignants constitue un des axes de l’université dès sa création, de telle sorte que les didacticiens seront appelés, dès les années 70, à intervenir en formation initiale dans le baccalauréat en enseignement préscolaire primaire, dans le baccalauréat en enseignement au secondaire, donnant au fil du temps à ce programme une orientation très spécifique et différente de ce que l’on trouvait dans les autres universités à la même période (voir Bednarz et al., 1995, Bednarz, 2001). Ils seront aussi appelés au fil du temps à intervenir dans de nombreux programmes de perfectionnement : certificat en enseignement des mathématiques au primaire, certificat sur la résolution de problèmes, certificat sur l’utilisation de l’informatique dans l’enseignement. Ils seront enfin appelés à intervenir dans la maîtrise en mathématiques, option enseignement, ou la maîtrise en enseignement au primaire, et dès sa création en 1987, dans le programme de doctorat en éducation. 3.4.1. Quel projet pour ce groupe de didacticiens? Les orientations que prennent les travaux de recherche en didactique à l’UQÀM s’articulent dès le départ sur une préoccupation de formation des enseignants en mathématiques. L’équipe sera en effet amenée, dans l’action, à réfléchir sur la façon dont on peut préparer les étudiants à enseigner les mathématiques, à développer de nouvelles manières de voir l’apprentissage et l’enseignement des

42 Un premier noyau, provenant du collègue Ste-Marie, se structure autour de la formation des enseignants en mathématiques, l’un des axes de l’UQÀM dès sa création. On retrouvera dans cette section notamment Claudette Maury, Liliane Bulota, Bernadette Janvier, Claude Janvier, Gilbert Paquette, Claude Gaulin, Hélène Kayler, Claude Dubé, Jacques Lefebvre, Léon Colas, Nadine Bednarz, Maurice Garançon; s’y sont ajoutés par la suite Charles de Flandre, André Boileau, Louis Charbonneau, Carolyn Kieran, Benoît Côté, Alain Taurisson, Richard Pallascio.

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mathématiques. L’implication, dans la formation des enseignants au secondaire, dans différentes composantes de cette formation —mathématique, didactique, formation pratique via l’encadrement des stages, histoire des mathématiques ou utilisation de l’informatique dans l’enseignement— donnera lieu à la conception d’un programme intégré et à différentes activités. Seront ainsi élaborés des cours de mathématiques spécifiques (structures numériques, résolution de problèmes, géométrie, initiation à l’analyse) (voir par exemple Boileau, Garançon, 1993), des cours de didactique, avec une forte composante de la prise en compte de l’élève, de son apprentissage et des situations d’enseignement, en articulation avec la pratique réelle d’enseignement (voir Bednarz, Gattuso, Mary, 1995, Bednarz, Gattuso, 1999, Dufour-Janvier, Hosson, 1999, Bednarz, 2001), des cours intégrant la composante technologie dans l'enseignement des mathématiques (voir Boileau, 2008) ou encore la composante historique (Charbonneau, 1992). Ce travail aboutira à une complexification graduelle des activités proposées, et permettra de préciser a posteriori une certaine didactique de formation (Bednarz, Gattuso, Mary, 1995, Dufour-Janvier, Hosson, 1999, Bednarz, 2001). On retrouve cette même implication des didacticiens dans les différentes activités du programme dans le cas de la formation des enseignants au primaire (voir par exemple à ce sujet Bednarz, Perrin-Glorian, 2005, Lajoie, Pallascio, 2001). Les travaux de recherche en didactique des mathématiques qui ont été développés au fil du temps par l’équipe se sont greffés sur ces programmes de formation venant, en retour, alimenter cette formation. 3.4.2. La recherche : ses objets, une articulation avec la formation Dans les premières problématiques abordées, on trouve d’abord une préoccupation pour l’apprentissage des élèves, permettant d’aller au-delà des observations recueillies. Il s’agit de mieux comprendre les raisonnements, les erreurs, les difficultés des élèves dans différents domaines. On peut penser par exemple aux recherches portant sur la compréhension de la numération par les enfants du primaire (Bednarz, Janvier, 1982, 1984-a), sur les difficultés des enfants dans l’apprentissage de la mesure (Bednarz, Janvier, 1984-b), sur la notion de fonction et l’interprétation des représentations graphiques par les élèves (Janvier, 1978), sur l’interprétation que les élèves donnent à certaines représentations externes fréquemment utilisées dans l’enseignement des mathématiques (Janvier, 1987) ou encore sur les difficultés que les élèves rencontrent en algèbre (Bednarz, Janvier, 1992). Ce sont autant de travaux permettant d’alimenter et d’enrichir, en retour, le travail fait en formation. Parallèlement à ce travail portant sur les élèves, les didacticiens ont aussi ressenti le besoin de développer des outils conceptuels pour cerner le sens d’un raisonnement et d’un concept, pour aborder une analyse de situations d’enseignement et permettre un choix de situations appropriées. On peut penser ici aux analyses épistémologiques de la notion de variable (Janvier, Charbonneau, René de Cotret, 1989) ou du raisonnement algébrique (Charbonneau, 1991, Lefebvre, 1991), à l’analyse du concept de volume (Janvier, 1994) ou encore au développement de grilles d’analyse permettant de rendre compte de la complexité des problèmes en algèbre (Bednarz, Janvier, 1994). Enfin, les didacticiens ont aussi été amenés à se centrer sur l’élaboration d’interventions et de séquences d’enseignement. L’accent est mis alors sur la production « d’idées nouvelles » pour de possibles interventions en montrant comment celles-ci peuvent être fécondes sur le plan de l’apprentissage. C’est le cas, par exemple, du travail conduit avec un même groupe d’élèves pendant trois ans, sur l’enseignement de la numération (Bednarz, Janvier, 1985), du développement d’une séquence d’enseignement sur le volume visant à faire raisonner les formules (Janvier, 1994), ou encore des approches développées en algèbre dans un environnement informatique (Garançon, Kieran, Boileau, 1990, 1993, Kieran, Boileau, Garançon, 1989).

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On observe donc un double positionnement des recherches en didactique des mathématiques développées au fil du temps, d’une part centrées sur les élèves et leur apprentissage : il s’agit alors d’éclairer, de documenter l’apprentissage des élèves (les raisonnements importants, leurs difficultés, leurs erreurs, leurs modèles implicites et leurs conceptions). Ces recherches sont, d’autre part, centrées sur les situations d’enseignement. On travaille, dans ce dernier cas, à élaborer des situations et à documenter le processus de construction de connaissances en lien avec ces situations. Si, dans ces recherches en didactique des mathématiques, l’enseignant n’est pas présent au départ, la classe l’est : ce sont les élèves réels, des situations d’enseignement expérimentées en classe, souvent sur une longue période de temps.

3.4.3. Quelle didactique? À travers ce qui précède, se précise une certaine conception de la didactique. Les recherches prennent leur ancrage dans la formation et elles viennent l’alimenter. Il s’agit de comprendre les productions des élèves, d’élaborer des situations d’enseignement fécondes sur le plan des apprentissages, de développer des outils conceptuels, non pas pour élaborer une théorie sur les phénomènes d’enseignement, mais, au-delà des connaissances nouvelles produites dans ces recherches, pour mieux agir sur le plan de la formation. Les savoirs didactiques élaborés n’ont pas comme finalité de créer une didactique scientifique, mais de se donner un cadre de référence pour l’action du formateur. Ce cadre permet d’éclairer, d’alimenter, d’enrichir le travail fait en formation auprès des futurs enseignants. En ce sens, la finalité de ce travail peut être rapprochée de celle d’une didactique professionnelle. Deux didactiques se précisent au cours de ce travail de recherche et de formation que mènent en parallèle les didacticiens de l’UQÀM :

- Une didactique de recherche, prenant son ancrage dans la formation et l’alimentant en retour, qui agit comme ressource structurante et non comme résultat à transmettre. Elle sert au repérage des objets, des productions d’élèves, des situations d’enseignement, des analyses conceptuelles, sur lesquels le formateur fera travailler les futurs enseignants.

- Une didactique de formation graduellement explicitée, avec les principes qui guident le formateur dans son intervention, les manières d’approcher la construction d’un certain savoir d’action en enseignement des mathématiques. Toutefois, même si celle-ci a été explicitée (voir Bednarz, 2001, Janvier, 1996), peu de données de recherche ont permis d’éclairer son potentiel pour la formation des futurs enseignants.

3.5.Le CIRADE Le Centre Interdisciplinaire de Recherche sur l’apprentissage et le développement en Éducation (CIRADE) a été créé en 1980, sur recommandation de la Commission des Études de l’UQAM. Comme son nom l’indique, ce centre interdisciplinaire regroupait des chercheurs formés en différents domaines (didactique des mathématiques, des sciences, du français, de la morale, psychopédagogie). De plus, même si ce centre de recherche était institutionnellement attaché à l’UQAM, il regroupait, non seulement des chercheurs provenant de différents départements de l’UQAM (mathématiques, linguistique, sciences religieuses, éducation), mais également des chercheurs provenant d’autres universités. La présence, au sein du centre, de chercheurs en didactique des mathématiques43 est

43 Nadine Bednarz était membre de l’équipe fondatrice du CIRADE (1979-1980). Parmi les chercheurs du centre en 1981, figurent Claude Janvier, Maurice Bélanger. Le CIRADE regroupait à ses débuts des chercheurs du département de psychologie, de sciences de l’éducation et de mathématiques de l’UQAM. Une scission s’est produite en 1983, donnant lieu à une réorientation majeure des travaux du centre, autour de la thématique de l’appropriation des savoirs. Claude Janvier a été directeur du centre de 1984 à 1985. Nadine Bednarz en a été la directrice de 1985 à 1991, puis de 1992 à 1996, Richard Pallascio assumant la direction intérimaire de 1991 à 1992. Le CIRADE a été reconnu centre de recherche par le fonds FCAR dès 1986 et ce jusqu’en 2004.

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importante: Nadine Bednarz, Claude Janvier, Bernadette Janvier, Maurice Bélanger, Gisèle Lemoyne, Richard Pallascio, Carolyn Kieran, Jacinthe Giroux, Louise Lafortune, Philippe Jonnaert, Caroline Lajoie, Fernando Hitt. Plusieurs jeunes chercheurs en didactique des mathématiques y ont été formés44, bénéficiant non seulement de la supervision des chercheurs du centre, en tant que directeurs de thèse ou de mémoires, mais de la vie scientifique intense qui y a eu lieu, à travers la tenue de séminaires, colloques ou grâce à la présence de nombreux chercheurs invités. Plusieurs chercheurs y ont en effet séjourné, notamment Efraim Fishbein, Colette Laborde, Henrich Bauersfeld, Ernst Von Glasersfeld, Kenneth Tobin, Anncik Weil Barais, Gaalen Erickson, Geoffrey Saxe, Guy Brousseau, Yves Chevallard. Plusieurs séminaires réguliers et colloques internationaux y ont été organisés45, ouverts à une communauté plus large de chercheurs en didactique et de praticiens. On peut penser par exemple au colloque sur les représentations dans l’apprentissage et l’enseignement des mathématiques (voir Janvier, 1987), réunissant des chercheurs invités tels James Kaput, Richard Lesh, John Mason, Ernst Von Glasersfeld, Gerald Goldin, Andrea diSessa, Gérard Vergnaud; au colloque sur les notions d’obstacle épistémologique et de conflit socio-cognitif dans l’apprentissage (Voir Bednarz, Garnier, 1989) qui réunissait, parmi les invités, des didacticiens des mathématiques ( Gérard Vergnaud, Guy Brousseau, Laureen Resnick, Anna Sierpinska), des didacticiens des sciences (Laurence Viennot, Andrée Tiberghien, Samuel Joshua, Jean-Louis Martinand, André Giordan), des psychosociologues (Michel Gilly, Agnès Blaye, Maria Luisa Schubauer Leoni, Serge Moscovici), des épistémologues (Ernst Von Glasersfeld); ou encore, le colloque sur l’émergence et le développement de la pensée algébrique (réunissant des chercheurs invités tels Teresa Rojano, Ricardo Nemirovsky, Luis Radford, John Mason, David Wheeler, Katleen Heid) (voir Bednarz, Kieran, Lee, 1996). Cette activité scientifique intense a constitué un forum important de discussions, d’échanges pour la communauté de chercheurs et d’étudiants du centre, mais aussi pour la communauté éducative plus large, contribuant à l’établissement graduel d’une entreprise commune et d’un répertoire partagé. Quelle conception de la didactique se dégage de ces travaux ? 3.5.1. Quelle didactique? Nous ne retrouvons pas dans le cas du CIRADE, comme dans celui du CRD, de projet explicite portant sur la didactique. Il ne s’agit pas d’un centre de recherche en didactique, mais, de fait, plusieurs didacticiens s’y retrouvent. Le projet du centre est centré sur « l’appropriation avertie des savoirs », une appropriation qu’on cherche à documenter, éclairer, analyser en l’abordant sous différents angles : du point de vue des apprenants, des interactions entre différents acteurs, du point de vue de l’intervenant. Les échanges autour de ce projet, par leur caractère multidisciplinaire, ont contribué, pour les didacticiens des mathématiques, à une ouverture sur d’autres didactiques (didactique des sciences, du français, des langues secondes, de la morale), qui n’ont pas été sans influence sur la façon de concevoir leurs travaux de recherche dans ce domaine. Par exemple, les travaux menés sur les représentations des sciences (Desaultels, Larochelle, 1987) interrogeant le processus de production d’un savoir scientifique, et plus particulièrement le caractère construit et négocié de ce savoir (Larochelle, Desaultels, 1992), leurs fondements théoriques, puisant notamment au courant de la sociologie des sciences (Callon. 1989, Latour, 1989, Callon et Latour, 1990), ont été à la source d’un recadrage des

44 On peut penser notamment à Jacinthe Giroux, Louise Poirier, Sylvine Schmidt, Suzanne Vincent, Sophie René de Cotret, Lily Bacon, Michel Beaudoin, aux étudiants de maîtrise et doctorat de l’école normale de Marrakech qui y ont séjourné pendant plusieurs années. 45 Ces séminaires ont été publiés dans les cahiers du CIRADE, et souvent filmés (plusieurs vidéos de ces séminaires sont disponibles); les colloques ont tous fait l’objet de publications externes ou internes.

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travaux de recherche en didactique des mathématiques, contribuant à intégrer davantage les dimensions épistémologique et sociologique. En ce sens, la confrontation au sein du CIRADE entre différentes problématiques didactiques a contribué à ouvrir un espace de possibilités pour la didactique des mathématiques elle-même. Un autre élément ayant joué un rôle non négligeable dans l’évolution des travaux de recherche en didactique des mathématiques au CIRADE a été la mise en place des écoles-recherches dès 1990, expérience qui fut à l’origine du développement des recherches collaboratives avec les praticiens de ces écoles, puis d’autres écoles. Cherchant à répondre au constat d’éloignement de la recherche par rapport à la pratique, ces travaux ont permis de développer de nouvelles connaissances en didactique des mathématiques prenant en compte le point de vue des enseignants et leurs savoirs d’expérience dans la construction de nouveaux savoirs didactiques liés à la pratique (Bednarz, sous presse). Enfin, un dernier élément non négligeable dans l’évolution des recherches développées au centre, est le travail de recherche engagé par plusieurs chercheurs en dehors de l’école : notamment, dans les études de Claude Janvier portant sur les raisonnements de techniciens en électronique en contexte de travail, ou celles de Richard Pallascio portant sur le développement de la représentation spatiale chez les Inuit. De ce travail se dégage donc une conception qui sort du cadre usuel de la didactique des mathématiques : une didactique ouverte à d’autres didactiques dans d’autres disciplines, une didactique cherchant à articuler davantage didactique de recherche et didactique praticienne par le travail dans les écoles-recherches et les recherches collaboratives, une didactique dans laquelle le rôle structurant du contexte apparaît central, en particulier dans les travaux réalisés en dehors du cadre scolaire. 3.5.2. Filiations théoriques des travaux Une réflexion épistémologique autour du constructivisme est au fondement des travaux de recherche du centre, comme le montrent les différentes demandes de centre réalisés au cours de la période 1980-2004, mais également plusieurs des séminaires et colloques organisés durant cette période et les publications de chercheurs du centre (voir notamment Bednarz, Garnier, 1989 ; Janvier, 1996 ; Larochelle, Bednarz, 1994 ; Larochelle, Bednarz, Garrison 1998 ; Jonnaert, Masciotra, 2004). Cette réflexion va aussi puiser à d’autres cadres théoriques. On assiste en effet, au fil du temps, en relation avec la vie scientifique du centre, à un élargissement à d’autres cadres théoriques. Ces cadres théoriques agissent comme ressources structurantes dans le développement de la recherche en didactique des mathématiques. On peut penser, par exemple, à la psychologie sociale et au concept de conflit socio-cognitif, présent dans le colloque international organisé en 1986 sur la construction des savoirs (voir Garnier, Bednarz, 1989) ou, plus tard, toujours emprunté au champ de la psychologie sociale, au concept de représentation sociale repris dans les travaux en didactique des sciences. On peut également penser à la perspective interactionniste, très présente chez Bauersfeld et l’école allemande, au fondement des travaux qui seront réalisés sur la culture de la classe en mathématiques (voir par exemple Bednarz, 1998). On peut citer aussi les théories socio-culturelles (voir par exemple Garnier, Bednarz, Ulanovskaya, 1991), la sociologie des sciences (Latour, 1987) qui jouera un grand rôle dans les travaux en didactique des sciences, ou encore la cognition située (Lave, 1988, 1991) qui influencera fortement les travaux de Janvier sur les raisonnements des techniciens en électronique en milieu de travail, ou encore les travaux menés en recherche collaborative (Bednarz et al., 2001). Plus spécifiquement, en lien avec les théorisations propres à la didactique, les chercheurs trouveront également des concepts éclairants pour leurs analyses dans la théorie des situations didactiques de Brousseau, la théorie des champs conceptuels de Vergnaud, les concepts développés en didactique des sciences, tels ceux de pratique sociale de référence, de didactique praticienne de Martinand (1993).

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3.5.3. Quelques objets novateurs au moment où ils ont été abordés Nous ne reprenons ici que quelques-uns des objets de recherche abordés dans les travaux du centre qui, au moment de leur exploration, présentaient un caractère novateur.46 Il en est ainsi, par exemple, des recherches portant sur les questions de changement conceptuel. La clarification du concept d’obstacle, la prise en compte des significations sociales des savoirs (Lemoyne, Bertrand, 1989, Janvier et al., 1989), les questions de développement conceptuel, de traitement didactique des obstacles, à travers l’analyse des conditions d’évolution des conceptions d’élèves et la prise en compte du rôle possible du conflit, sont ainsi au cœur du colloque international organisé en 1986 au CIRADE (Bednarz, Garnier, 1989). L’analyse des interactions in situ dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques a également été considérée très tôt dans les recherches du centre (voir par exemple Dufour-Janvier, Bednarz, 1989, Bednarz, Garnier, 1989). Les problèmes de représentation en enseignement des mathématiques ont également constitué un pivot central de la réflexion de plusieurs chercheurs du centre, comme le montre le colloque international organisé sur ce thème en 1984 au CIRADE (voir Janvier, 1987). On peut également penser à l’éclairage apporté sur la contextualisation des apprentissages et la construction de connaissances en contexte, au cœur de plusieurs travaux de recherche du centre, portant notamment sur les apprentissages de techniciens en électronique en milieu de travail (Janvier, 1990, 1991) ou le développement des habiletés spatiales chez les inuit (Pallascio, 1995). 3.5.4. Une réflexion méthodologique importante Un travail en profondeur sera également conduit sur le plan méthodologique, visant à fonder les approches de recherche développées par les chercheurs du centre. Les différents colloques et les écoles d’été organisées à cette fin au CIRADE témoignent d’une volonté d’approfondir cette réflexion méthodologique. On retrouve une telle volonté, par exemple, dans les écoles d’été organisées autour de certaines analyses de données : école d’été portant sur le traitement de données multidimensionnelles, à travers les analyses des correspondances multiples ou l’analyse hiérarchique développée par Régis Gras (voir Bednarz, 1987); école d’été sur l’analyse qualitative et la théorisation ancrée. C’est cette même volonté qui est au fondement de l’organisation d’une journée d’étude portant sur l’entrevue au sein de différentes recherches. On peut finalement penser au travail de conceptualisation engagé par les chercheurs depuis plusieurs années, pour expliciter les fondements théoriques et méthodologiques des nouvelles approches de recherche que constituent les approches collaboratives en éducation : explicitation du modèle de recherche, de ses fondements théoriques et épistémologiques, critères de rigueur (voir notamment Desgagné et al., 2001, Bednarz, 1998). 3.6.Retour sur les analyses réalisées sur différents groupes : une lecture transversale En reprenant la grille de lecture que nous avons précisée au début de ce texte (voir 1.5.2), nous ferons une lecture transversale des analyses réalisées dans les différents groupes de recherche, de manière à mettre en évidence le portrait qui s’en dégage.

46 Le terme novateur est ici pris dans le sens suivant : les thèmes abordés dans ces recherches ont souvent été repris par la communauté de chercheurs en didactique des mathématiques, et ce, bien après que ces thématiques aient été abordées et traitées par les chercheurs du CIRADE.

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3.6.1. Quel projet? Quelle didactique? Rappelons ici quelles étaient nos questions de départ : Quelle est la vision de la didactique qui se dégage de l’analyse de chacun de ces groupes ? De quelle didactique parle t-on? Que recouvre t-elle? Quelles sont les finalités du travail poursuivi dans chacun des groupes? Les analyses précédentes mettent en évidence une diversité de conceptualisations de la didactique des mathématiques en lien avec des projets différents guidant le travail des didacticiens dans chacun de ces groupes (cf figure 4). Dans le cas du CRD, nous sommes plus près de la didactique française et de sa volonté de faire de la didactique une discipline scientifique. Le projet des didacticiens vise ici à asseoir la didactique sur des bases scientifiques solides, fondant une théorie de l’enseignement. Dans le cas des autres groupes de recherche analysés, la perspective est très différente. Le projet qui les guide est davantage articulé sur la pratique. Il prend toutefois des formes très différentes dans le centre en psychomathématique de Diénès, où le travail en est surtout un de développement autour d’une théorie de l’apprentissage des structures abstraites, chez Lunkenbein où la pratique de l’enseignant constitue une ressource contribuant à la définition même de la didactique, ou encore au CIRADE où une prise en compte des savoirs des enseignants, de la didactique praticienne, est au centre des recherches collaboratives développées. Dans la section didactique de l’UQAM, cette pratique de l’enseignement est également très présente. Nous sommes toutefois plus près, dans ce cas, d’une didactique professionnelle, dans la mesure où, d’une part, les travaux de recherche élaborés sont enracinés dans la formation des enseignants et viennent éclairer en retour cette dernière et, d’autre part, dans la mesure où une didactique de formation est précisée. Enfin, les travaux du CIRADE, en ouvrant sur d’autres didactiques des disciplines, se rapprochent, dans une certaine mesure, d’une « didactique comparée ».

Un projet orienté par l' apprentissage

de structures abstraites par les

élèvesUn projet orienté par la tâche qui

incombe à l'enseignant, par la

pratique de l'enseigant

Le projet: éclairer une action en formation des enseignants

Le projet: éclairer une appropriation des savoirs dans

différents lieux (au fondement différentes

didactiques)un rapprochement recherche-pratique

Le projet: asseoir la didactique sur des fondements solides

Quelle didactique des mathématiques

(DM)?Quel projet?

Une didactique scientifique

(CRD)

Une DM -ouverte sur d'autres

didactiques-une prise en compte de la

didactique praticienne-une didactique ancrée en

contexte(CIRADE)

Une DM conçue autour d'un processus d'apprentissage

(CRPM, Diénès)Développement de matériel,

programmes, jeux...à partir d'une théorie de l'apprentissage des

structures abstraitesthéorie informée en retour par le travail en classe avec les élèves

DM science professionnelle de l'enseignant (Lunkenbein)

Deux didactiques intereliées explicitées:

une didactique de recherche (qui agit comme ressource

structurante dans la formation)

et une didactique de formation(section didactique, UQAM)

Figure 4 : Vision de la didactique des mathématiques qui se dégage de l’analyse des différents groupes

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3.6.2. Quelles filiations théoriques traversent les différents groupes? Un fil directeur commun traverse clairement les différentes recherches examinées au sein des groupes, celui du constructivisme. On retrouve cette perspective théorique de manière implicite chez Diénès, dont les travaux ont été influencés par Piaget et Bruner. Ces fondements constructivistes sont explicites chez Lunkenbein, avec sa conception génétique de l’enseignement des mathématiques et son concept de groupement emprunté à Piaget. Dans le cas du CRD, il fonde le travail des chercheurs, comme le montre l’organisation du symposium de 1971 et les différentes analyses que nous avons réalisées des projets plus précis en didactique des mathématiques. Il est également très présent dans les travaux de recherche du CIRADE et de la section didactique de l’UQAM. Même si ce constructivisme est influencé au départ par Piaget, le rapport entre la didactique et la psychologie génétique est très vite interrogé : on le voit, par exemple, dans les échanges entre les chercheurs du CRD au symposium de 1971. De ce constructivisme, on retiendra surtout la dimension épistémologique, très présente dans les travaux de la section didactique et du CIRADE (voir Bednarz, Larochelle, 1994, Larochelle, Bednarz, Garrison, 1998). Enfin, ces fondements évolueront avec le CIRADE vers une prise en compte de plus en plus grande de la dimension sociale, faisant place à un socio-constructivisme. On assiste par ailleurs au fil du temps à une diversification, à un élargissement des cadres théoriques qui fondent les travaux de recherche dans ces groupes: la théorie de l’apprentissage des structures abstraites chez Diénès, les travaux nord américains en didactique des sciences au CRD, les théories socioculturelles, l’interactionnisme, la psychologie sociale et les concepts de conflits, représentation sociale, la théorie des situations didactiques, la théorie des champs conceptuels, la cognition située avec le CIRADE. Cette diversification s’accompagne d’une complexification des objets de recherche abordés par les chercheurs dans leurs travaux. 3.6.3. Des orientations méthodologiques spécifiques se dégagent-elles? Différentes orientations méthodologiques, cohérentes avec les projets explicités précédemment, se dégagent de l’analyse de chacun des groupes. Ainsi, on a recours à :

- des expériences didactiques contrôlées, dans le cas du CRD, permettant de mettre à l’épreuve les constructions théoriques élaborées;

- des recherches-développements dans le cas du centre de recherche en psycho-mathématique, visant à documenter le processus d’apprentissage des structures abstraites et l’apport des jeux, du matériel, des programmes développés sur cette base. Ces recherches s’accompagnent aussi de recherches évaluatives;

- l’expérimentation de protocoles d’entrevue, de « teaching experiment », de séquences d’enseignement élaborées parfois sur une longue période de temps, ainsi qu’à des analyses qualitatives, interprétatives, visant à mieux comprendre ce qui s’y passe du point de vue des apprentissages, dans le cas de Lunkenbein, de la section didactique de l’UQAM et du CIRADE;

- des recherches collaboratives développées avec des praticiens du milieu scolaire, visant à éclairer la co-construction de savoirs liés à la pratique, dans le cas du CIRADE.

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3.6.4. Quels sont les liens des recherches développées dans ces groupes avec la pratique? Dans le cas du CRD, le chercheur occupe une position externe par rapport à la pratique : il travaille sur des expériences didactiques dont il contrôle les conditions, expériences menées en classe auprès de différents groupes. La visée est avant tout théorique : elle vise à mettre à l’épreuve un certain nombre de schèmes théoriques. L’enseignant est ici absent du corpus de données et de l’analyse.47 Plusieurs groupes vont chercher à prendre en compte, à l’opposé, la situation réelle de la classe. C’est le cas notamment du centre de recherche en psycho-mathématique, dans lequel du matériel, des jeux, des programmes sont élaborés et expérimentés dans des contextes éducatifs divers, et dont les retombées sont nombreuses : élaboration de matériel, jeux, fiches, livres, films... C’est le cas également des recherches menées par Lunkenbein, par les chercheurs du CIRADE et de la section didactique de l’UQAM, où des situations d’enseignement sont élaborées auprès de groupes d’élèves ou de classes, sur une longue période de temps. Les retombées de ces recherches, dans le cas de la section didactique de l’UQAM, prennent la forme d’outils conceptuels, de situations d’enseignement, d’un cadre de référence réinvesti dans la formation. L’enseignant est toutefois absent de la conception de ces situations et de leur analyse, et l’éclairage sur la formation est peu documenté. Finalement, dans les recherches collaboratives développées à partir de 1990 au CIRADE, l’enseignant est un élément central, intervenant avec le chercheur dans la co-construction de savoirs liés à la pratique en enseignement des mathématiques. Les retombées de ces recherches servent à la fois la recherche et la pratique, contribuant, d’une part, au développement professionnel des enseignants impliqués dans ces recherches et apportant, d’autre part, sur le plan de la recherche, un éclairage sur la didactique praticienne et les contributions respectives des enseignants et des chercheurs dans l’élaboration de situations d’enseignement en mathématiques, non seulement fécondes sur le plan des apprentissages mais également viables en pratique.

47 On observe toutefois, une différence dans le cas du projet portant sur l’apprentissage et l’enseignement en milieu défavorisé. La visée n’y est pas seulement théorique et l’enseignant, par la mise en évidence « des schèmes du maître », fait partie intégrante de l’analyse.

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CONCLUSION Les analyses précédentes révèlent la richesse et la diversité des premiers travaux de recherche menés en didactique des mathématiques au Québec au sein des groupes considérés. Une communauté de chercheurs, caractérisée par la diversité, émerge de cette analyse, rejoignant en cela ce que révélait Mura dans l’enquête menée en 1993 (Mura, 1998). Toutefois, à partir de ce qui ressort de l’analyse menée dans ces différents groupes, ce retour aux sources vient considérablement enrichir notre vision de la didactique des mathématiques. Cette dernière dépasse en effet (cf figure 4) la simple dichotomie : analyser, expliquer, comprendre les phénomènes d’enseignement des mathématiques, et contribuer à l’amélioration de cet enseignement. On assiste par ailleurs, au fil du temps, à une diversification et une complexification des recherches en didactique des mathématiques, à la fois du point de vue des objets abordés, des outils théoriques mobilisés et des approches méthodologiques mises en oeuvre. Cette analyse nous permet de reconstruire le sens profond des travaux de recherche menés en didactique des mathématiques au Québec, dans différents groupes, et de repérer, au-delà du portrait diversifié qui en ressort, les filiations théoriques qui traversent ces différentes recherches. À travers leur vision de la didactique et un projet articulé, pour plusieurs d’entre eux, sur la pratique d’enseignement ou (et) des préoccupations de formation, un autre lien les unit. Cette articulation avec la pratique est présente dans le centre de Diénès, chez Lukenbein, dans le travail de la section didactique de l’UQAM et dans les recherches collaboratives menées au CIRADE. La richesse des ressources mobilisées et les retombées de ces travaux, illustrent par ailleurs la force et le dynamisme de la didactique des mathématiques au Québec durant cette période. Ils montrent l’importance de la poursuite du travail de mise en commun que nous avons amorcée à l’occasion de cette reconstruction. RÉFÉRENCES ALLARD, H., BIBEAU, R., DE LA CHEVROTIERE, P., FORTIER, M., GOUPILLE, C., HAMEL, M., LUNKENBEIN, D., THÉRIEN, L. (1977). Labaction. Ateliers présentés par l’équipe de recherche en didactique de la mathématique. Rapport no 18, document de travail inédit. Université de Sherbrooke, 8 pages ARTIGUE, M. (1994). Didactical engineering as a framework for the conception of teaching products. In Biehler et al. (Eds). Didactics of Mathematics as a Scientific Discipline (pp 27-39).Kluwe Academic Publishers. ARZARELLO, F., BARTOLINI BUSSI, M. G. (1998).Italian trends in research in mathematical education : A national case study from an international perspective. In A. Sierpinska, J. Kilpatrick(1998). Mathematics Education as a Research Domain : A Search for Identity. (pp 243-262) Dordrecht : Kluwer Academic Publishers BEDNARZ, N., DUFOUR-JANVIER, B. (1982). The understanding of numeration in primary school. Educational Studies in Mathematics, 13, 33-57. BEDNARZ, N., DUFOUR-JANVIER, B. (1984-a). La numération : les difficultés suscitées par son apprentissage. Grand N, 33, 5-31. BEDNARZ, N., JANVIER, B. (1984-b). Problèmes d’apprentissage de la mesure au primaire et éléments d’apprentissage pertinents. Bulletin de l’AMQ, octobre, 9-17.

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LECTURE PUBLIQUE

Richard Pallascio et Philippe Jonnaert

Psychologie et didactique : Jean Piaget

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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT

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PSYCHOLOGIE ET DIDACTIQUE

JEAN PIAGET 48

Arrangements par Richard Pallascio et Philippe Jonnaert, professeurs, département de mathématiques, UQAM 49

Présentation

Le texte qui suit provient des verbatims de la conférence que prononce Monsieur Jean Piaget à l’Université du Québec à Montréal, le 19 octobre 1971. M. Piaget s’exprime en tant que conférencier principal au symposium organisé par le Centre de recherche en didactique (CRD), dirigé alors par Messieurs Albert Morf et Maurice Bélanger. Le CRD se transforme quelque temps après en Centre Interdisciplinaire de Recherche sur l’Apprentissage et le Développement en Éducation (CIRADE).

Au début des années soixante-dix, un courant de réformes curriculaires balaye de nombreux systèmes éducatifs à travers le monde. Beaucoup de programmes de mathématiques introduisent alors la mathématique moderne et ce, dès les premiers apprentissages à l’école primaire. La conférence de Jean Piaget en 1971, se déroule dans ce contexte. Aujourd’hui, c’est sans doute cette similitude avec le contexte contemporain de réformes qui lui confère toute son actualité.

L’essentiel de cette conférence et des discussions qui l’ont suivie, a été présenté lors du colloque du Groupe de Didactique des Mathématiques du Québec (GMD) qui se tenait à l’UQAR (Rimouski, Québec) en juin 2007. Cette présentation et cette publication ont été aimablement autorisées par Monsieur Laurent Piaget, représentant de la succession Jean Piaget et par Monsieur Jacques Vonêche, directeur des Archives Jean Piaget à l’Université de Genève.

48 Jean Piaget, octobre 1971 : photo prise lors de sa conférence publique, école Le Plateau, Montréal. Numérisation : Bernard Massé. 49 Nos remerciements vont à Madame Pauline Provencher pour avoir conservé précieusement ces verbatims de la dernière conférence de Jean Piaget au Québec, de même qu’à Madame Valérie Djédjé pour le traitement de ce texte.

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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE

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Conférence de Jean Piaget

J’aimerais partir d’une question qui peut paraître secondaire mais qui a sa petite importance, et qui est

le problème de l’aptitude des élèves pour ce qui est de l’enseignement des sciences. En effet, dans tous

les pays, on se plaint du trop petit nombre d’étudiants en sciences et du nombre beaucoup trop grand de

« lettreux ». En France, si je me rappelle bien un discours d’un ministre, il disait récemment que l’on

forme dix fois trop peu de scientifiques et qu’il y a dix fois trop d’étudiants en Lettres dont la carrière

est très loin d’être assurée. La situation est souvent interprétée en fonction d’une croyance assez

générale, selon laquelle pour apprendre les sciences, il faut des aptitudes spéciales : il y aurait les

aptitudes scientifiques et les aptitudes littéraires, et ce ne serait pas du tout pareil. Or, depuis cinquante

ans que je fais des expériences de psychologie, nous avons vu des centaines et des milliers de sujets

dans le domaine des opérations logicomathématiques, celui de la causalité, ainsi que des domaines

physiques annexes, autrement dit, un domaine de sciences expérimentales. Dans ce domaine de la

causalité, nous avons souvent posé des questions assez difficiles. Par exemple, dans le cas de l’égalité

de l’action et de la réaction, dans une grosse boule de pâte à modeler, l’expérimentateur d’un côté

enfonce une pièce de monnaie avec une tige, et un enfant de l’autre côté enfonce une pièce de monnaie

avec une tige, on pose alors la question à l’enfant : « est-ce que les pièces vont avancer sur une même

distance ou bien une plus que l’autre? » C’est en tout cas ainsi que pensent tous les petits, puisque,

selon eux, l’expérimentateur est plus fort. Voilà un problème d’action et de réaction qui n’est pas

simple et qui n’est résolu que vers 11 ou 12 ans, mais guère avant. Et puis, c’est surtout un problème de

transmission, non pas nécessairement de transmission d’énergie, les physiciens l’expliquent autrement,

mais bien de renversement des rôles actif et passif dans un phénomène de transmission du mouvement.

On donne au sujet deux boules suspendues à deux fils reliés par un fil transversal et on fait osciller

l’une des boules. Cette dernière joue un rôle actif et finit par entraîner le mouvement de l’autre. Par la

suite, l’autre boule manifeste un mouvement de plus en plus rapide tandis que la première ralentit.

Finalement, le rôle actif passe à la seconde, mais cela continue, cela revient à la première qui devient

plus rapide quand la seconde ralentit. Il s’agit d’un phénomène de transfert d’énergie, ou d’alternance

des rôles actif et passif, peu commode à comprendre. D’autres problèmes de ce genre ont également été

posés à ces sujets.

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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT

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Or, jamais je n’ai eu l’impression qu’il existait deux catégories d’aptitudes : celle des scientifiques et

celle des non scientifiques. Par contre, j’ai mis en évidence que le niveau des réponses, même dans ces

problèmes captieux de physique, était toujours solidaire du niveau général d’intelligence opératoire des

sujets, donc de l’intelligence tout court. Ce que j’ai vu c’est, exceptionnellement, un certain nombre de

filles, mais pas de garçons, qui n’avaient pas le moindre intérêt pour ce genre de problèmes. Ce n’est

pas qu’elles soient moins intelligentes, mais enfin, ça les laissait totalement froides, il n’y avait aucune

espèce d’excitation dans la recherche de la solution. Mais je ne porte pas un jugement sur l’ensemble

des élèves filles, mais là, j’ai trouvé quelques sujets retardés simplement faute d’intérêt. Mais, à part

cela, je n’ai jamais vu deux catégories d’aptitudes. Bien entendu, il y a des différences d’aptitudes, je

ne nie pas les découvertes de la psychologie différentielle. Il y a des individus qui sont plus ou moins

verbaux, il y a des individus qui ont plus ou moins de facilité pour le calcul, il y a des individus plus ou

moins abstraits ou concrets, bien sûr.

Il y a encore un champ énorme à explorer dans le cadre d’une recherche différentielle, opératoire

versus figuratif. Le rôle du figuratif mérite d’être approfondi: il y a des individus à images visuelles,

d’autres pas, etc. Mais ce n’est pas cela qui joue le rôle, tous les sujets arrivent à résoudre les

problèmes qui leur sont posés en fonction de leur niveau d’intelligence opératoire. Il est donc tout à fait

clair que ce qu’on appelle les « aptitudes du scientifique » opposées aux « aptitudes du littéraire »

relève plutôt de l’adaptation de l’élève à l’enseignement des sciences tel qu’il est donné et non pas une

aptitude à comprendre le mécanisme des phénomènes : s’adapter au maître, et non pas s’adapter à la

science, ce qui n’est pas du tout la même chose. Et cela n’est pas une question de compréhension des

mathématiques ou de la physique; c’est une question de compréhension de la manière dont elles sont

présentées.

D’où un premier principe général à tirer de la psychologie opératoire, qui est évident, et même trivial :

il s’agit d’adapter l’enseignement aux instruments naturels d’assimilation de l’enfant. Pour chaque

domaine, il est utile de prendre en considération les structures propres de l’enfant qui sont toujours

qualitatives et logiques avant d’être métriques, et de faire découvrir les mathématiques et la physique

sous une forme intuitive (au sens des logiciens, c’est-à-dire non-formalisée, avant toute formalisation).

Deux problèmes généraux découlent de ce premier principe. Premier problème : l’enseignement des

mathématiques modernes converge davantage avec les structures opératoires spontanées de l’enfant

que ce n’était le cas dans l’enseignement classique des mathématiques; il y a un accord fondamental.

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Par exemple, on trouve dans les structures spontanées de l’enfant, dès le niveau concret, les trois

structures mères des Bourbaki : les structures algébriques, prototypes du groupe; les structures d’ordre,

prototype du réseau; les structures topologiques. Lors d’un symposium sur les structures

mathématiques et les structures mentales, les deux premières conférences étaient données par

Dieudonné et par moi-même. À cette époque, j’ignorais tout de l’œuvre des Bourbaki,

involontairement; et Dieudonné ignorait, volontairement cette fois, absolument tout de la psychologie.

Nous avons cependant exposé des choses tellement convergentes. Nous avons l’un et l’autre évoqué les

mêmes trois types de structures. À la suite de quoi Dieudonné m’a fait le meilleur compliment que j’aie

reçu dans ma vie. Il m’a dit publiquement : « C’est la première fois de ma vie que je prends la

psychologie au sérieux, c’est peut-être la dernière, mais c’est en tous cas la première ». On retrouve

dans les structures opératoires de l’enfant, celles des opérations principales de l’algèbre, de la théorie

des ensembles, etc.

Seulement, pour chaque domaine, il s’agit de trouver une méthode qui permette d’utiliser cette

convergence avec les structures spontanées de l’enfant. Or, à mon sens, la plupart des professeurs de

mathématiques modernes vont beaucoup trop vite dans le sens de la déduction formelle et même de

l’axiomatisation, plutôt que de laisser la place à une phase intuitive pour que l’enfant puisse établir des

liaisons entre ce qu’il sait faire et ce qu’on lui apprend. Je me rappelle, une jeune maîtresse de

mathématiques à qui on demandait d’effectuer un travail sur les résultats de son enseignement. Elle

avait appris un peu de psychologie, elle était pourtant complètement sidérée de découvrir que, dès sept

ans, on trouve constamment chez l’enfant des intersections de classes. Elle disait : « Mais moi j’ai une

peine du diable à leur faire comprendre ce qu’est une intersection de deux ensembles. » –Eh bien, je lui

ai dit : « mais faites-les agir avant de les faire raisonner sur des propositions formelles; vous voyez que

dans l’action, ils font très bien cela; partez de là et ça ira mieux ».

Second problème : chez la plupart des maîtres en mathématiques modernes, il y a beaucoup trop de

soumission à l’autorité du maître et pas assez d’invention et de réinvention spontanées de la part des

élèves. Je sais bien que Dienes a eu des idées ingénieuses sur la manière de dégager les structures de

groupe et de corps, etc. J’apprécie vivement ces travaux. Mais à mon sens, Dienes est trop vite satisfait,

c’est-à-dire que je ne suis pas certain que l’enfant, le sujet, ait compris là où Dienes croit que la

structure est dominée.

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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT

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L’enseignement de la physique fournit d’emblée la physique sous forme de lois quantitatives

métriques. Or l’enfant peut découvrir beaucoup et aller très loin sous une forme simplement qualitative

et logique. Il est capable de comprendre le phénomène au moyen de simples fonctions, sans

métrisation. Par contre, si on le met immédiatement en présence de lois avec leur expression métrique,

il aura beaucoup plus de peine. Dans une expérience de physique, six sur treize des sujets de 11-12 ans

que nous avons interrogés ont tout prévu, avant toute manipulation. Ils ont décrit complètement le

phénomène, alors qu’aucun étudiant en psychologie n’a été capable de décrire ce qui allait se passer

dans ce phénomène de physique. Je prétends que c’est tout de même une approche qu’on peut utiliser

dans l’enseignement de la physique, avant de transmettre immédiatement des lois que l’enfant ne

comprendra pas et déformera. Nous avons travaillé la composition des vecteurs, les forces centrifuges

et toutes sortes de questions plus ou moins captieuses, finalement maîtrisées qualitativement par les

sujets et non pas sous forme de lois métriques.

Un deuxième principe à tirer de la psychologie opératoire me paraît évidemment le principe d’activité.

Mais là, il y a deux questions différentes. Il y a d’abord la question de la finalité de l’enseignement, et

il y a celle des méthodes. Quelle est la finalité de l’éducation? Est-ce que vous voulez former des

individus conformistes qui répètent et qui transmettent ce qui est acquis, ou voulez-vous former des

producteurs, capables de nouveautés et d’initiative? Alors, si c’est la seconde finalité, l’activité est

indispensable. Une activité dans le domaine des sciences expérimentales : c’est évident, il faut que

l’enfant découvre par lui-même, en manipulant, un certain nombre d’explications de phénomènes

particuliers qu’on peut lui présenter. Dans le domaine des sciences déductives, je pense que là

également, la part de la réinvention doit être bien plus considérable qu’on ne la laisse dans

l’enseignement habituel. Mais au point de vue des méthodes, si l’accent est mis simplement sur la

conservation de la culture, la conservation de l’acquisition, autrement dit, la répétition, la réussite aux

examens, je pense que même là, l’activité est indispensable. L’intelligence présente deux fonctions

indissociables, c’est comprendre et inventer. On ne peut pas inventer sans comprendre mais je crois que

réciproquement, on ne peut pas comprendre sans inventer ou réinventer. Ce qu’on répète simplement

n’est pas compris ; ça n’est compris qu’à partir du moment où il y a un effort de reconstruction et de

réinvention. Dans une méthode active, le maître reste cependant indispensable pour provoquer des

occasions de travail, c’est-à-dire fournir le matériel et les locaux appropriés où l’enfant puisse travailler

autrement qu’à son pupitre. Je me rappelle, lors d’une conférence de l’instruction publique annuelle à

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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE

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Genève, le représentant d’une province anglaise du Canada, disait : « Moi j’ai pris une mesure radicale

dans l’enseignement secondaire : il faut que chaque classe ait deux salles parce qu’alors, le maître ne

peut pas être dans les deux à la fois. Et par conséquent, il est impossible qu’il parle trop. Il y a toujours

une salle où les enfants travaillent. » Il faut provoquer des occasions de travail, il faut poser des

problèmes, il faut présenter des dispositifs, il faut, quand l’enfant a trouvé des solutions, imaginer des

occasions de contre-exemples, bref, il y a tout un rôle qui est réservé au maître et qui n’est nullement à

supprimer dans une méthode active.

Mais j’aimerais insister sur le fait que la préparation scientifique de l’élève commence dès le

préscolaire. Cela n’est pas quelque chose de tardif ; il faut une éducation continue partant de l’école

maternelle pour aller jusqu’au baccalauréat, de manière à favoriser le développement des opérations.

Mais comment? Les opérations, en fonction d’hypothèses qui me sont chères, sont dues à une

équilibration progressive des processus cognitifs, à partir de régulations : régulations du comportement,

régulations organiques, etc.

Mais quelle est cette équilibration? J’y crois de plus en plus, mais nous n’avons pas encore une théorie

suffisante. Mon petit livre ancien sur Logique et équilibre est un livre déplorable. Je suis en train de le

réécrire une troisième fois en fonction de ce que je dirai tout à l’heure. Ce qui manque pour

comprendre ce processus d’équilibration, c’est l’analyse des raisons des déséquilibres initiaux. L’idée

selon laquelle l’évolution cognitive part de situations de déséquilibre pour aboutir à une équilibration

progressive, reste à expliquer en décrivant le pourquoi des déséquilibres initiaux. Il s’agit aussi

d’imaginer des situations propédeutiques dès le préscolaire, propre à y remédier. Or, jusqu’à nos

recherches récentes sur la contradiction, nous n’avions encore aucune explication valable à cette

situation des déséquilibres initiaux. Dans le problème de la conservation d’une boulette d’argile, par

exemple, dans le petit livre Logique et équilibre, j’évoquais la difficulté pour le sujet de penser à

plusieurs variables simultanément. L’enfant allonge la boulette en saucisse mais il pense à la longueur

et il oublie l’épaisseur; il ne perçoit pas les deux variables à la fois, d’où la non conservation, etc.

Mais, ne pas voir deux variables en même temps est vrai à tous les âges. L’adulte aussi a peine à penser

à deux choses à la fois. Ce n’est pas particulier au niveau préopératoire. C’est plus visible parce qu’il

s’agit de variables plus élémentaires qui sautent aux yeux; mais cela n’est pas une explication

suffisante, puisque ce mécanisme se retrouve à tous les niveaux. D’autre part, on peut très bien

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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT

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expliquer l’équilibration par la compensation des perturbations extérieures. Toute action, en fonction

du but poursuivi, est exposée à des perturbations, ensuite les régulations compensent les effets de ces

perturbations, cela conduit peu à peu à l’équilibre et à l’opération. Seulement, le fait que ce mécanisme

soit observé à tous les niveaux, cela est nouveau. Les actions élémentaires sont des actions très simples;

par conséquent, les perturbations sont simples et les régulations sont simples. À des niveaux supérieurs,

il y aura des actions plus complexes, avec des perturbations plus complexes et des régulations plus

complexes. Ici, de nouveau, ce n’est pas quelque chose de spécifique seulement au point de départ du

développement des fonctions cognitives, il s’agit bien d’un mécanisme observé à tous les âges.

Par contre, j’entrevois pour ma part une réponse à partir de nos études sur la contradiction et le

dépassement des contradictions, études que nous avons faites l’année dernière (1970) au Centre

d’épistémologie génétique. En travaillant tout l’été sur les documents recueillis et en comparant les

résultats d’une série de recherches, un fait général m’a sauté : le primat systématique des affirmations

sur les négations, les caractères positifs des objets priment sur leurs caractères négatifs. Le positif et

tout ce qui s’y rapporte, est apparent directement dans les observables. Quand vous observez un objet,

vous voyez d’abord des caractères positifs. Je vois que ma montre est ronde; je ne vois pas qu’elle n’est

pas carrée. Dire qu’elle n’est pas carrée, suppose que je sois en train de la classer par rapport à des

objets carrés. C’est par mise en relation et par opposition à ces autres objets au sein d’un système que je

dirais qu’elle n’est pas carrée. Mais à la première inspection, je ne vois rien de tout cela : elle est ronde.

L’observable est directement donné. La négation est le produit d’une mise en relation secondaire,

dérivée et relative à la construction d’un système. La négation est très souvent inférentielle à des degrés

souvent poussés par opposition aux caractères positifs « directement observables ».

Or cela, nous l’avons vu dans quantité de recherches précédentes, réalisées en 1970. Je pense par

exemple à une recherche de Mantin-Giraud relative à la fausse symétrie des inclusions et des

applications élémentaires. Il donne aux enfants une série de cubes dans lesquels il peut y avoir un grelot

ou non. Tous les cubes rouges ont un grelot; en plus, il y a des cubes jaunes, verts, bleus, pour lesquels

Mantin-Giraud dit simplement : « Il est possible qu’il y en ait qui aient des grelots ». Après quoi, le

chercheur demande à l’enfant de construire derrière un écran la série des ‘‘cubes qui sont rouges’’;

c’est tout. Or, l’enfant regroupe immédiatement tous les cubes qui ont un grelot : « Tous les rouges ont

des grelots, donc tous les grelots sont rouges ». Il y a là une fausse symétrie de l’inclusion. Après quoi,

on lui demande de faire la même chose sans écran et puis il trouve une série beaucoup plus courte.

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Alors, il ne comprend plus pourquoi il y avait huit éléments sous l’écran et qu’il n’y en a plus que cinq

quand on le fait sans écran. Le problème, c’est donc celui de la construction de la classe secondaire,

étant donné que tous les A sont des B, mais que tous les B ne sont pas des A, alors, il y a une classe

complémentaire de A’ qui est définie comme étant les B-A : autrement dit une négation partielle. De

cette négation, on ne trouve aucune trace au début. Tout est donné en termes d’affirmation. Ceci nous

fait comprendre bien des choses, en particulier le caractère tardif de la quantification de l’inclusion, etc.

Il y a très longtemps d’ailleurs, avec Inhelder, nous avons vu la grosse difficulté des classes

secondaires : négation partielle par opposition aux classes primaires qui sont simplement des caractères

positifs.

Il y a eu plusieurs recherches sur le plan des observables physiques. Androula Papert a étudié le plein et

le vide dans une bouteille ou un verre en partant de cette évidence : un verre à moitié plein est égal à un

verre à moitié vide, c’est synonyme. Ce n’est absolument pas évident pour les petits. Elle a posé une

série de questions sur les différents degrés du plein en fonction que le verre est plus ou moins rempli ou

plus ou moins vide. Pour ce qui est du plein, il y a une compréhension rapide ainsi qu’une

quantification qualitative rapide des degrés de remplissage. L’enfant comprend très bien ce que veut

dire presque plein, à moitié plein, un petit peu rempli. Toutes les expressions de quantification courante

appliquées au plein, sont bien comprises; mais il n’y a aucune symétrie quand elles sont appliquées au

vide. Cela ne marche plus du tout : presque vide, c’est conçu très tard comme synonyme de

partiellement vide. Presque vide, ça peut être ça : « c’est presque vide, vous voyez, il y a un petit vide »;

« ça peut être rempli seulement jusque là »; là aussi c’est presque vide. Presque vide n’a pas de sens

sauf s’il est exprimé par partiellement vide. La moitié vide, c’est toujours très en dessous de la moitié.

Un tout petit peu vide, ça veut dire qu’il y a un tout petit peu d’eau par rapport au plein, mais il n’y a

aucune symétrie, et jusque tard, avec le plein.

Autre exemple : ce sont les contacts, étudiés par Maier qui a posé ce problème aux enfants : « étant

donné trois crayons (ensuite il passe à quatre, etc.), arrange-les moi de manière à ce qu’ils se touchent

tous ». Alors, il y a cette solution élémentaire qui consiste à mettre trois crayons en parallèle A B C et

ainsi « A touche B et touche C et puis ça marche ». Alors on lui demande : « Mais est-ce que A touche

C ? » - « Ah non, c’est vrai. ». Alors l’enfant permute et met A avant C : C A B; « Est-ce que C touche

B? » – « Ah non, c’est vrai ». Il refait une permutation. Vous voyez des gosses de sept et huit ans qui

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font jusqu’à 15 permutations, pour chaque fois assurer le contact par cette méthode, laquelle entraîne

automatiquement un non-contact. Ou bien, il y a aussi cet autre exemple : le problème connu de la

différence entre deux collections quand il y a transfert d’éléments de l’une à l’autre. Vous avez deux

collections égales A et B qui ont, par exemple, chacune huit éléments. Le propriétaire de A donne trois

éléments au propriétaire de B : « quelle est la différence entre les deux? » Jusque très tard, tous les

enfants vous disent qu’elle sera de trois. Androula Papert-Henriques a repris le problème en le

présentant sous forme de correspondance biunivoque. Vous avez les deux rangées égales en

correspondance optique et puis sous écran l’enfant transfère deux éléments d’une collection à une

autre. On lui demande de combien sera la différence et il dit de deux. On enlève l’écran et il constate

que c’est de quatre. Cela devient très intuitif parce que ce sont des correspondances; il n’y a qu’à

regarder. Eh bien, jusque très tard, je veux dire neuf-dix ans, absolument tous les sujets d’Androula

Papert-Henriques lui ont dit : « Mais vous avez triché ; derrière votre écran vous avez rajouté des

trucs ». Alors on dit à l’enfant de le faire lui-même et il le fait lui-même sans que l’expérimentateur

fasse rien. Il enlève l’écran et il dit qu’il ne comprend plus rien. Eh bien quoi? Il a rajouté d’un côté

mais enlevé de l’autre et que, par conséquent, la différence est double.

Ou bien, prenez encore le problème des chemins égaux : à partir de points de départs décalés, vous

avez deux maisons qui sont décalées par rapport au bord de la table. On demande au sujet de faire deux

chemins ‘la même chose long’ comme dit l’enfant dans son langage. Tous les petits bien sûrs, suivant

un fait bien connu depuis longtemps de correspondance ordinale, vont faire aboutir les deux chemins au

même point. « Voilà le même long chemin. » – « Est-ce qu’ils font exactement le même long

chemin? » – « Oui, exactement, vous voyez où ils arrivent. »– « Bien. S’ils reviennent? » – « Ah, eh

bien, s’ils reviennent, celui-là sera peu plus long et celui-là un peu plus court. » Autrement dit, les

mêmes chemins sont égaux à l’aller mais inégaux au retour. Ce qui est évidemment gênant, mais qui ne

les gênera qu’assez tard. Ici, le positif c’est « se rapprocher du but » et il n’y a que cela qui est envisagé

; le négatif c’est de « s’éloigner du point de départ », mais cela, c’est complètement éliminé jusqu’assez

tard. Prenez les problèmes de conservation, et je crois que dans leur généralité, vous retrouvez le même

problème. Quand une boulette est transformée en saucisse, l’enfant a ajouté quelque chose dans la

direction de la longueur; mais en ajoutant quelque chose, il l’a nécessairement enlevé ailleurs, pas

nécessairement la largeur, mais ailleurs. Ce qu’il a ajouté, il l’a enlevé. Or, il ne pense qu’à l’action

d’ajouter, qui devient alors un absolu : augmentation de quantité de matière, augmentation de poids et

de tout ce que vous voulez. Il ne pense absolument pas à enlever. La conservation commence quand

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cette action est à la fois additive et soustractive; autrement dit, quand l’enfant commence à comprendre

qu’on a simplement déplacé et, comme il dit, « on n’a rien ôté, on n’a rien ajouté », vous avez changé

la forme. Changer la forme c’est-à-dire déplacer et alors déplacer veut dire que ce qu’on a placé

quelque part on l’a enlevé de sa place initiale. Autrement dit, le déplacement suppose une

commutativité au sens large, somme indépendante des positions, et la conservation est acquise. Mais

c’est le même système du primat du positif sur le négatif.

Pensez maintenant à l’histoire des mathématiques. Les nombres négatifs datent, sauf erreur, de la

Renaissance et pas avant. Les Grecs ne connaissent que les positifs. Pensez à la linguistique; Hermine

Sinclair m’a donné des séries d’exemples. On dit d’un objet qu’il est plus ou moins grand, ce qui veut

dire qu’il peut avoir toutes les tailles, même être tout petit. On ne dit pas qu’il est plus ou moins petit

ou si on dit qu’il est plus ou moins petit, c’est une catégorie très limitée de ‘‘plus ou moins grand’’. On

dit d’un objet qu’il est plus ou moins lourd et pas plus ou moins léger; ‘‘plus ou moins lourd’’

comprend le très léger et tout ce que vous voulez; ‘‘plus ou moins léger’’, c’est de nouveau une

catégorie très limitative. Et dans l’acquisition du langage, Hermine Sinclair trouve toutes sortes de

problèmes relatifs à la négation, qui porte d’abord sur l’ensemble global avant d’être localisée,

appliquée à la qualité particulière. Bref, dans tous les domaines, le déséquilibre initial me paraît être le

primat du positif sur le négatif; d’où la nécessité absolue d’une compensation, étant donné que toute

opération suppose, dans un système algébrique quelconque, autant de négations que d’affirmations

implicites ou explicites. Une équilibration progressive est donc nécessaire.

Alors, j’aimerais vous poser un premier problème particulier: comment remédier à ce déséquilibre

initial si on veut accélérer la découverte du négatif et cela dès les âges élémentaires, puisque c’est un

problème d’éducation préscolaire? Je ne suis pas pédagogue, mais si j’avais à proposer des solutions, je

généraliserais la méthode du Karplus, qui place plusieurs observateurs pour un même phénomène.

Martine Labarque l’a essayé dans le cas de la conservation des longueurs. Vous savez que pour la

conservation des longueurs lorsqu’on présente deux lignes égales et qui sont ensuite décalées,

jusqu’assez tard, celle qui dépasse ici est censée être plus longue. Martine Labarque a refait cela sur

plus de 60 sujets et a vérifié ce qu’on connaît. Mais elle a mis deux observateurs : une poupée ici et

puis une poupée là. « Que voit celle-là? » Et puis une première poupée qui contemple le tout

objectivement du dehors. « Que voit celle-là? » – « Elle voit que celle-là est plus longue. » – « Que voit

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cette poupée? » – « Celle-là, elle croit que celle-là est plus longue. » – « Et puis celle-là? » – « Bien,

elle voit que les deux ne sont pas d’accord. » – « Et puis alors? » – « Bien, elles ne seront jamais

d’accord. » – « Pourquoi elles ne seront jamais d’accord? » – « Vous voyez, c’est plus long ici et c’est

plus long là. » Mais vous arrivez plus vite à l’idée que ça se compense et s’égalise.

Cela soulève donc un problème propédeutique mais il y a un problème encore plus général qui est celui

de l’éducation de l’objectivité. Je crois qu’on pourrait faire énormément au niveau préscolaire comme

exercice de lecture correcte et adéquate des observables. Or, les observables sont constamment

déformés en fonction des idées préalables et dans certains cas même totalement refoulés, en prenant le

refoulement dans le sens freudien, c’est-à-dire éliminer avant que ça apparaisse dans la conscience

parce que c’est contradictoire avec autre chose. Ici, ce n’est pas contradictoire avec des sentiments,

avec un surmoi, mais c’est contradictoire avec d’autres idées qui sont des idées préalables. Ici, nous

avons des foules d’exemples. Un joli exemple est la recherche de Fluckiger sur un fond très simple. Il

s’agissait d’un caillou au bout d’une ficelle et on demandait à l’enfant de la faire tourner, puis ensuite

de l’envoyer dans une boîte qui est en face. L’enfant y arrive très tôt; dès cinq ans, il résout le problème

pratique. Le problème pratique est le suivant : si vous représentez cette circonstance de la rotation

comme un cadran, on place l’objet à neuf heures, tandis que la boîte est en face de 12 heures. Alors,

très tôt, l’enfant arrive à envoyer dans la boîte et lâche l’objet à neuf heures. Mais quand on lui

demande comment il a fait, où il a lâché l’objet (et on ne le lui demande pas seulement une fois), on lui

dit : « Recommence, regarde bien et dis-moi où tu as lâché le caillou ». Les petits affirment qu’ils l’ont

lâché à six heures. Il prétend avoir lâché le caillou à six heures. Dès cinq ans et demi -six ans, ils

prétendent l’avoir lâché ici. Et puis on lui dit : « Recommence » et il recommence. Il arrête là et

prétend que le caillou est parti de six heures, alors qu’il est parti de neuf heures. Il faut attendre aux

environs de neuf-dix ans pour qu’il vous donne d’abord des compromis qui seront 10 1/2 heures (ni

neuf heures ni midi). Finalement, à cet âge également, ils parviennent à fournir la description exacte.

L’observable est refoulé parce qu’il est contradictoire avec l’idée préconçue selon laquelle, quand on

lance un objet dans une boîte, il faut se mettre en face. Et c’est tout.

L’exercice de l’observation active ne se fait pas simplement à travers des leçons à donner à des

bambins de quatre-cinq-six ans qui vont faire cela, mais plutôt par des exercices avec plusieurs

observateurs, comme dans la technique Karplus. Ces observateurs peuvent être plusieurs poupées mais

elles peuvent être surtout, et c’est beaucoup mieux encore, plusieurs enfants. C’est-à-dire un travail par

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équipe avec contrôle mutuel, où l’un surveille l’autre pour savoir si ce qu’il raconte est bien exact et

que réciproquement le second surveille et contrôle le premier. Donc, le contrôle mutuel peut être une

technique d’éducation de l’objectivité. Cette éducation de l’objectivité me paraît aussi importante que

l’éducation du négatif dont je parlais tout à l’heure. Il y a là aussi un problème systématique. Tout ceci

se situe au niveau de l’éducation préscolaire.

Au niveau primaire et secondaire, j’aimerais rappeler les recherches de Inhelder, Sinclair et Bovet sur

l’apprentissage. Ces recherches ont montré qu’il existe beaucoup plus de conflits qu’on ne l’avait prévu

entre des sous-systèmes contemporains. Ces chercheurs en observent, par exemple, entre l’évaluation

ordinale dans le cas de l’espace et l’évaluation numérique. D’autre part, elles ont trouvé des filiations et

des dépendances imprévues. Par exemple, la formation de la conservation a peu d’effet sur les réussites

dans le domaine de l’inclusion. Par contre, la formation de l’inclusion favorise les conservations, et

sans comprendre pourquoi si on se réfère au positif et au négatif évoqués précédemment. Les

interférences de sous-systèmes jouent un rôle beaucoup plus grand qu’on l’avait soupçonné. Papert y

insiste depuis longtemps dans ses modèles de l’intelligence. Ces interférences et ces interactions de

sous-systèmes me paraissent d’une importance didactique fondamentale parce qu’il y a des branches

qu’on dissocie alors qu’il faudrait les lier. À Genève, je ne sais pas où cela en est, mais pendant très

longtemps, l’arithmétique était enseignée dès sept ans et la géométrie dès 11 ans seulement. Dès 11

ans, mais alors tout de suite avec des méthodes déductives. Or, il est tout à fait évident que si on veut

tenir compte du développement spontané, il y a interaction entre le spatial et le numérique et il y a tout

avantage à mener de front des exercices géométriques d’un côté en même temps que l’arithmétique de

l’autre.

De même, il y a nécessité, me semble-t-il, à tous les niveaux, d’établir des connexions étroites entre

l’enseignement de la physique sur le terrain des structures qualitatives logiques qui peuvent servir de

modèles explicatifs bien avant qu’il y ait une mesure et une métrique des lois. Je pense même qu’il y

aurait intérêt, en plus des programmes, quitte à perdre du temps en apparence, à se livrer dans certaines

heures libres à des sortes de jeux opératoires, des jeux qui peuvent être fort instructifs pour le sujet. Je

donnerais deux exemples dans les recherches toutes récentes sur la contradiction. Une recherche de

Ducrest montre aux enfants un petit triangle et un petit carré en leur demandant si l’un est plus grand

que l’autre au point de vue de l’espace.

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Pour l’espace, le chercheur dit : « Est-ce qu’il y a autant de place si on voulait jouer là-dessus, est-ce

qu’il y aurait autant de place pour jouer ? », etc. Alors, jusque tard, tous les petits vous diront que le

triangle est plus grand parce qu’il y a un dépassement de la base par rapport à la base du carré. Une fois

qu’il a affirmé que c’était plus grand et l’a justifié à son idée, on construit deux carrés, l’un formé de

quatre de ces petits carrés et l’autre formé de quatre de ces petits triangles ; et l’enfant est obligé, ne

serait-ce que par superposition, d’admettre que les deux grands carrés sont égaux. Il y a donc égalité du

tout et inégalité des parties pour ces enfants.

Comment est-ce qu’ils s’en sortent? Eh bien, ils ne s’en sortent pas tout de suite, loin de là. Ils sont très

loin de dire : « Je me suis trompé et les parties étaient égales ». Ils vous disent : « Quand vous prenez

un petit carré et un petit triangle, eh bien le triangle est plus grand mais quand vous les placez d’une

certaine manière (autrement dit, en les plaçant de manière à éviter les dépassements) ça donne un tout

égal ». Il y a là un exercice possible de la composition additive qui amuse beaucoup l’enfant mais qui

paraît être instructif du point de vue didactique. Prenons la réciproque : on parle d’inégalités apparentes

pour aboutir à une inégalité finale. La réciproque est une recherche de Bullinger sur l’égalité apparente

avec comme totalité une sériation d’inégalités. Bullinger a donné au sujet un dispositif ingénieux : ce

sont des disques qui sont attachés, sauf le dernier, d’une manière telle qu’on ne peut comparer que des

disques voisins : A, B, C, D, E, F, G. Alors, si on compare A à B, ça a l’air rigoureusement égal par

superposition (avec une petite chaîne). Si on compare B et C, ça a l’air rigoureusement égal, C à D,

c’est égal, jusqu’à G. Mais quand on compare A et G, les deux extrêmes, G est beaucoup plus grand.

Autrement dit, les différences terme à terme sont infraliminaires tandis que les différences extrêmes

sont supraliminaires. Alors, on demande à l’enfant ce qui se passe. Ce n’est que vers 11-12 ans qu’il

vous dit que : « Ça a l’air égal mais ce ne l’est pas, » et qu’il admet l’infraliminaire d’abord et surtout

l’additivité de l’infraliminaire : les petites différences qu’on ne voit pas, en s’ajoutant, donnent une

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grande différence. Jusque-là, ils essaient de faire des classes d’équivalence. Ils vous disent que A égale

B égale C égale D; puis d’autre part, D égale E, égale F, égale G. Vous avez les grands et les petits et

l’élément D appartient aux deux classes d’équivalence, autrement dit, c’est la contradiction, faute de

compensation entre le positif et le négatif. Alors on lui dit : « Qu’est-ce que tu fais de D – Ah oui, c’est

vrai, il est égal à A et il est égal à G puis A est plus petit que G. » Alors, il recommence; il fait deux

nouvelles classes d’équivalence en allant par exemple jusqu’à E et ensuite E, F, G. Mais alors, il y a de

nouveau un élément commun, c’est de nouveau contradictoire. « Ah oui, c’est vrai »; et il recommence

à faire des classes d’équivalence plus restreinte du côté A. Il y a une foule de tentatives, toutes

contradictoires, mais qui mènent finalement à l’idée qu’il doit y avoir une sériation, mais

infraliminaire. Voilà des petits

jeux qui amusent beaucoup l’enfant mais qui sont, je crois, très instructifs pour la formation des

opérations. Trois conclusions :

Première conclusion : je pense qu’il y a encore beaucoup à tirer des études sur le développement des

opérations pour l’éducation à tous les degrés; qu’on est très loin d’en avoir tiré tout ce qu’on peut, mais

que ce n’est pas affaire de simple imagination déductive. On ne peut pas tirer une didactique de la

psychologie : la nécessité d’expériences nouvelles pouvant s’inspirer de faits connus

psychologiquement mais en les précisant didactiquement.

Deuxième conclusion : la psychologie opératoire est très loin d’être achevée; elle n’est qu’à ses débuts

et moi-même, comme vous l’avez vu, à ma honte, je n’ai trouvé que l’été dernier, quant à ce problème

des négations et du positif et du négatif, ce que j’aurais dû voir depuis 20 ans. Eh bien, ce n’est qu’il y

a un mois que j’ai vu cela clairement en comparant les différents résultats de l’année dernière. Ces

résultats, comme ceux de toutes les recherches qui ne sont pas planifiées avec des hypothèses

préalables, donnent de l’imprévu et l’imprévu est encore très largement à défricher. Nous sommes très

loin encore d’une psychologie cohérente des opérations. La théorie de l’équilibration reste à

réécrire.

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Troisième conclusion : je me répète mais j’insiste. Ce n’est pas tant la psychologie comme telle et les

résultats psychologiques dans leur détail, qui importent. Ce qui importe, c’est l’épistémologie

constructiviste inhérente à cette psychologie et qui l’a inspirée. C’est-à-dire qu’il s’agit de former

les maîtres et pas seulement les élèves et que les maîtres finissent par comprendre que la connaissance

ne provient ni de l’objet seul, ni du sujet seul mais d’interactions qui sont nécessairement

constructivistes et créatrices de nouveautés, ce qui est vraiment la chose la plus difficile à comprendre

pour des esprits empiristes et pour le sens commun. Le sens commun voit toujours que la connaissance

est préformée ou dans l’objet ou dans le sujet. Il faut un effort considérable pour se placer à un point de

vue constructiviste : les mots ne sont rien mais la compréhension est très difficile et j’insiste sur cette

nécessité : la didactique, me semble-t-il, doit s’en inspirer plus que des résultats psychologiques

détaillés, bien qu’il y ait toutes sortes de choses à utiliser comme je viens d’essayer de le montrer.

Je vous remercie de votre attention.

Photo prise lors de la discussion sur l’exposé de Monsieur Jean Piaget, présidée par Monsieur Albert

Morf, directeur du CRD, à l’UQAM, en octobre 1971. Photo numérisée par Bernard Massé. Le texte de

la conférence, ainsi que celui de la discussion qui a suivi est disponible sur le site www.ore.uqam.ca.

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Attitudes des futurs maîtres du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques

Isabelle Arsenault, étudiante à la maîtrise en mathématiques, option enseignement

Université du Québec à Montréal

RÉSUMÉ

Les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport aux mathématiques ne sont pas toujours positives. Or, des travaux de recherche en didactique des mathématiques suggèrent que celles-ci peuvent influencer les méthodes d’enseignement qu’ils privilégieront éventuellement, de même que les attitudes de leurs futurs élèves. Nous croyons donc qu’il est important de s’attarder à ces attitudes. Dans le cadre de notre mémoire, nous avons choisi de nous intéresser plus spécifiquement aux attitudes des futurs enseignants relativement à la résolution de problèmes mathématiques, en partie parce que les recherches s’y sont peu attardées, en partie aussi en raison de l’importance de la résolution de problèmes dans l’enseignement des mathématiques. Dans le présent article, nous présenterons d’abord de façon succincte notre problématique de recherche, nous préciserons ensuite ce que nous entendons par « attitude » et « problème », nous présenterons aussi notre méthode de recherche et nous donnerons un avant-goût de notre analyse.

PROBLÉMATIQUE

Des recherches (Ball (1990), Gellert (2000), Philippou et Christou (1998), Schuck (1997), Theis et al. (2006)) suggèrent que les futurs maîtres des écoles primaires font preuve d’attitudes plutôt négatives par rapport aux mathématiques. Suivant ces recherches, plusieurs d’entre eux n’aiment pas les mathématiques, n’ont pas une bonne estime de leurs habiletés et trouvent cette matière scolaire difficile et frustrante. Or, selon Bush (1989) et Gellert (2000), les attitudes des enseignants par rapport aux mathématiques influencent leur façon d’enseigner cette matière, en les amenant entre autres à mettre l’accent sur les habiletés et non sur les concepts et les résolutions de problèmes, ou encore à enseigner les mathématiques comme un ensemble de règles et de formules à utiliser dans des exercices d’application. Aussi, en plus d’avoir une influence sur leur façon d’enseigner, les attitudes des enseignants peuvent influencer celles de leurs élèves. C’est du moins ce qu’avancent quelques grandes associations telles l’Australian Education Council (1991) et le National Council of Teachers of Mathematics (1989) (Schuck, 1997). Par ailleurs, selon Schoenfeld (1989), repris à la fois par Carlon (1999) et McLeod (1994), il semblerait que certaines attitudes par rapport aux mathématiques pourraient aussi influencer les habiletés d’une personne en résolution de problème, ce qui nous amène à penser que certaines difficultés des futurs enseignants du primaire en résolution de problèmes, comme celles soulevées par Bergeron et Herscovics (1988), pourraient être expliquées en partie par des attitudes négatives à l’égard des mathématiques.

Étant donné que les attitudes des futurs enseignants sont souvent négatives et qu’elles peuvent influencer celles de leurs éventuels élèves, il nous semble important d’étudier ces attitudes. D’abord, nous croyons utile de bien les identifier. Aussi, dans le but d’anticiper éventuellement (dans le cadre de recherches ultérieures) des moyens susceptibles de modifier ces attitudes au cours de la formation

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initiale, nous croyons pertinent de nous attarder à l’évolution de ces attitudes dans le cadre d’un cours de mathématiques s’adressant spécifiquement à de futurs enseignants du primaire. Nous sommes toutefois consciente qu’une attitude n’est pas facile à modifier et que cela prend du temps. C’est d’ailleurs ce que suggèrent des travaux mentionnés par Bishop (2001). Des recherches énumérées par Kulm (1980) suggèrent tout de même que les cours de didactique peuvent influencer les attitudes des étudiants en formation des maîtres. D’autres recherches (Mohammad Yusof et Tall (1999) et Owens et al. (1998)) suggèrent quant à elles que la résolution de problèmes mathématiques peut aussi entraîner un changement d’attitudes par rapport aux mathématiques. Plus précisément, les chercheurs ont remarqué que la confiance des étudiants qui ont suivi un cours axé sur la résolution de problèmes augmentait tandis que leur niveau d’anxiété face aux mathématiques diminuait. De plus, ils ont aussi noté qu’au terme d’un tel cours, les étudiants abandonnent moins vite la résolution d’un problème et ils ne voient plus les mathématiques comment étant seulement un ensemble de règles à mémoriser et à appliquer pour arriver à une bonne solution. Dans le cadre de la présente recherche, nous avons choisi de nous limiter aux attitudes des futurs maîtres du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques. Nous avons choisi de nous concentrer sur ces attitudes à la fois parce qu’elles ont fait l’objet de très peu de recherches et parce que la résolution de problèmes se retrouve aujourd’hui au cœur des curriculums scolaires de mathématiques au primaire (programme d’études du NB (version provisoire 2005), programme de formation de l’école québécoise (2001) et NCTM (2000)). Par notre recherche, nous tentons de répondre principalement aux deux questions suivantes :

• Quelles sont les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques?

• Comment évoluent les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport à la résolution de

problèmes dans le cadre d’un cours de mathématiques?

CADRE CONCEPTUEL

Définition d’« attitude » La notion d’attitude a fait l’objet de plusieurs recherches et elle a été maintes fois définie par différents chercheurs. Nous nous sommes inspirée de ces différentes définitions pour construire la nôtre. Pour nous, une « attitude » est un état d’esprit, par exemple une croyance, une perception ou encore un sentiment qu’un individu adopte par rapport à une personne, une situation, une idée, un objet ou autre (Lafortune, 1994). Cette disposition intérieure peut être influencée par ses expériences antérieures et ses connaissances (Allport, 1935) et elle se manifeste dans les comportements de la personne, qu’ils soient favorables ou non (Lafortune, 1994). Enfin, l’individu n’est pas toujours conscient des attitudes qu’il adopte (Bloom, Hastings et Madaus, 1971, dans Kulm, 1980). Nous retrouvons plusieurs exemples d’attitudes par rapport aux mathématiques dans les écrits, en particulier les perceptions des élèves par rapport à l’utilité de cette matière scolaire (Mohammad Yusof et Tall, 1999) ainsi que les sentiments face aux mathématiques, ce qui inclut l’anxiété mathématique (Philippou et Christou, 1998; Mohammad Yusof et Tall, 1999).

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Trois catégories d’attitudes

Simon et Schifter (1993) divisent les attitudes que les enseignants observent chez leurs élèves en trois types d’attitudes, classification que nous utilisons aussi dans notre recherche. Les attitudes affectives sont en quelque sorte synonymes d’émotions, telles que la joie et la frustration. Les attitudes cognitives, elles, font surtout référence aux perceptions de la personne, comme l’importance qu’elle accorde à la mémorisation en résolution de problème, ou encore le nombre de solutions qu’elle croit qu’un problème peut admettre. Enfin, les attitudes sociales font référence aux attitudes par rapport aux aspects sociaux qui peuvent entrer en jeu lors de la résolution d’un problème, telles que le travail d’équipe et les discussions de groupes.

Définition de « problème »

La notion de « problème » a elle aussi été très souvent définie dans les travaux en didactique des mathématiques. Nous nous sommes encore une fois inspirée de ces différentes définitions pour en arriver à notre propre définition du concept.

Pour nous, un problème est un défi atteignable qui demande réflexion et où la méthode de résolution n’est pas connue à priori (Astolfi, 1993; NCTM, 2000; Pallascio, 2005). De plus, un problème permet à un individu de construire de nouvelles connaissances (Astolfi, 1993; MEQ, 2001; Pallascio, 2005), d’établir de nouveaux liens entre des connaissances antérieures (Charnay, 1993) ou encore de construire de nouvelles connaissances d’ordre méthodologique (Arsac, Germain et Mante, 1988; Charnay, 1993), tout dépendamment si le problème est résolu avant ou après l’enseignement. D’ailleurs, les problèmes présentés avant l’instruction permettent l’utilisation de connaissances antérieures pour découvrir de nouvelles notions (Astolfi, 1993; Pallascio, 2005) ou pour travailler la démarche scientifique (Arsac, Germain et Mante, 1988) tandis que les problèmes présentés à la fin de l’instruction peuvent amener l’apprenant à faire des liens entre les différentes notions déjà étudiées (Charnay, 1993).

Un problème peut être présenté dans différents contextes et peut porter sur différents contenus mathématiques. De plus, il peut admettre une, plusieurs ou encore aucune solution. De même, il peut se résoudre d’une seule façon ou encore de plusieurs façons. Il est aussi parfois possible pour l’apprenant de vérifier sa solution à un problème par lui-même tandis que d’autres fois, cette vérification n’est pas possible (Arsac, Germain et Mante, 1988; NCTM, 2000, 1980).

MÉTHODOLOGIE

Expérimentation

L’expérimentation s’est déroulée, au Nouveau-Brunswick, dans un cours de mathématiques destiné à de futurs maîtres du primaire à l’hiver 2006. Deux groupes, l’un de 39 étudiants et l’autre de 56, suivaient ce cours, enseigné par la chercheuse, à raison de deux sessions de 75 minutes par semaine. Ce cours est le deuxième obligatoire pour les étudiants en éducation primaire sur une série de quatre cours pour ceux se spécialisant en enseignement de la maternelle à la 4e année et sur une série de cinq pour ceux se spécialisant en enseignement de la 5e à la 8e année. Certains étudiants en étaient toutefois à leur troisième cours de mathématiques puisque le cours de géométrie, qui est considéré comme le troisième cours obligatoire, n’a aucun préalable.

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Il est à noter que, dans le cadre du cours, les étudiants ont répondu à un questionnaire concernant leurs attitudes par rapport à la résolution de problèmes au début de la session. Ils ont aussi résolu des problèmes et répondu à des questionnaires tout au long de la session et, à la fin de la session, ils ont répondu à un questionnaire similaire à celui auquel ils avaient répondu au début de la session. De plus, dans le cadre du cours, les résolutions de problèmes ainsi que les questionnaires les accompagnant ont été évalués suivant la clarté des explications de la démarche et le sérieux avec lequel l’étudiant semblait avoir répondu au questionnaire. De plus, une note a été attribuée au sérieux avec lequel l’étudiant a répondu au questionnaire final.

Pour ne pas biaiser les résultats de la recherche, et pour éviter que l’activité soit perçue par les étudiants davantage comme une activité de recherche que comme une activité d’apprentissage, l’approche des volontaires s’est faite pendant la dernière semaine de cours. Une discussion sur l’importance de la résolution de problèmes et sur la pertinence de l’activité faite dans le cadre du cours a été suivie d’une présentation de la recherche. Les étudiants volontaires ont été invités à participer à celle-ci en remettant les problèmes écrits et les questionnaires à des fins d’analyse. La chercheuse a précisé qu’elle respecterait l’anonymat des étudiants, que leur participation était entièrement libre et qu’en aucun temps leur décision de participer ou non n’influencerait leur note finale du cours. En tout, 57 des 95 personnes inscrites dans le cours se sont portées volontaires. Parce que nous voulions faire une analyse en profondeur des problèmes résolus et des réponses au questionnaire pour en tirer les principales attitudes des étudiants, et que nous voulions aussi nous intéresser à l’évolution des attitudes au fil de la session, nous avons dû choisir quelques participants parmi les volontaires. Nous avons choisi des volontaires dont les attitudes affectives semblaient avoir évolué, et ce, en regardant les attitudes affectives avouées dans les questionnaires diagnostic et final. Quatorze participants ont été retenus.

Nos outils de recherche

Questionnaire diagnostic Afin de connaître les attitudes « avouées » par les étudiants par rapport à la résolution de problèmes telle qu’ils l’ont connue à l’école, nous avons construit un questionnaire portant sur différents aspects de la résolution de problèmes. Pour ce faire, nous nous sommes inspirées des trois catégories d’attitudes mentionnées dans le cadre conceptuel et nous avons cerné un certain nombre d’attitudes, telles l’appréciation de la résolution de problèmes, la confiance en soi, l’utilisation de schémas, la vérification de sa solution et le travail d’équipe, attitudes sur lesquelles nous avons posé des questions à choix multiples. Nous avons aussi laissé la porte ouverte à d’autres attitudes en demandant aux étudiants de justifier ou d’expliquer leur choix de réponse tout en posant des questions plus ouvertes telle que la question suivante : « D’après vous, quel est l’intérêt de résoudre des problèmes mathématiques pour un(e) futur(e) enseignant(e)? ». Ce questionnaire a été conçu pour être rempli par les participants avant le début de l’expérimentation.

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Résolutions de problèmes et questionnaires accompagnant les problèmes À la maison, les étudiants avaient à résoudre un ou deux problèmes par semaine, problèmes que nous avons choisis en nous inspirant de notre définition d’un problème ainsi que des aspects de la résolution de problèmes à l’égard desquels nous voulions étudier les attitudes des futurs enseignants du primaire. Par exemple, nous avons présenté aux étudiants des problèmes qui demandent une généralisation et d’autres qui portent sur des exemples plus spécifiques, des problèmes admettant une solution et d’autres admettant plusieurs solutions ainsi que des problèmes se résolvant parfois d’une seule façon et d’autres fois de plusieurs façons. Nous nous sommes aussi assurée que la validation par l’étudiant était possible dans certaines résolutions de problèmes et pas possible dans d’autres. De même, nous avons choisi des problèmes où il était possible d’utiliser des schémas pour les résoudre et d’autres problèmes où il n’était pas possible d’utiliser des schémas. Nous avons aussi choisi quelques problèmes où les notions étudiées dans le cadre du cours pouvaient être utilisées lors de la résolution et nous nous sommes assurée de diversifier le niveau de difficulté des problèmes pour que chaque étudiant retrouve des défis à sa portée. Dans le but de connaître les attitudes des futurs maîtres lors de la résolution de ces problèmes et de voir comment ces attitudes ont évolué au fil de la session, nous avons demandé à ces personnes de répondre à un questionnaire pour chacun des problèmes qu’ils devaient résoudre. Les étudiants devaient répondre au questionnaire (le même pour tous les problèmes) en trois temps : après la première lecture de l’énoncé, pendant la résolution du problème et après cette résolution. Après la lecture de l’énoncé, nous demandions aux étudiants d’écrire comment ils se sentaient face au problème et de choisir un nombre de 1 à 6 qui décrivait le mieux la confiance qu’ils avaient en leurs habiletés à résoudre ce problème. Pendant la résolution de problèmes, les étudiants devaient écrire tout ce qu’ils faisaient et pourquoi, tout en écrivant les sentiments qu’ils ressentaient. Enfin, après la résolution, ils devaient répondre à des questions concernant leur confiance en leur solution et en leur méthode, leur perception du nombre de solutions et de méthodes possibles, le temps pris pour résoudre le problème ainsi que leur appréciation du problème.

Questionnaire final Dans le but de connaître les attitudes des étudiants à la fin de la session, nous avons passé pendant la dernière semaine de cours un questionnaire final qui reprenait les questions posées au début, en plus de comporter des questions portant sur la perception des étudiants quant à l’évolution, s’il y avait lieu, de leurs attitudes (voir annexes pour exemples de questions et de problèmes).

ANALYSE Fabien est l’un des participants que nous avons retenus à des fins d’analyse. Voici une analyse partielle des attitudes que Fabien manifeste au fil de la session.

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Attitudes affectives Fabien semble avoir plus confiance en lui-même à la fin de la session qu’au début puisqu’il se dit « bon » en résolution de problème au questionnaire final, ce qui est un échelon au-dessus de son choix de réponse au questionnaire diagnostic, soit l’échelon « assez bon ». Nous remarquons, au fil de la session, que Fabien a particulièrement confiance en ses habiletés à résoudre un problème lorsque l’enseignante donne des clarifications à propos de l’énoncé et qu’il a moins confiance en ses habiletés lorsqu’il ne comprend pas l’énoncé ou encore lorsqu’il ne sait pas comment s’y prendre pour résoudre le problème tout de suite après avoir lu l’énoncé. Pendant la résolution de problèmes, Fabien exprime des doutes à quelques reprises, soit face à la véracité de sa solution, à l’intention de l’enseignante, à la pertinence de certaines données ou encore à l’existence d’une solution. Ces doutes sont parfois accompagnés de confusion et d’un sentiment d’impuissance. Or, en travaillant sur un problème, il arrive presque toujours à surmonter ces sentiments « négatifs » et il finit par exprimer de la confiance, à la fois en lui-même, en sa solution et en sa démarche. D’ailleurs, il n’y a que deux problèmes pour lesquels il doute de sa solution. Il faut dire que dans ces deux cas, il est conscient de ne pas avoir pris certaines informations en considération. Dès le début de la session, Fabien exprime beaucoup de fierté et celle-ci semble plus grande lorsqu’il trouve une solution à un problème qu’il pensait difficile. Selon ses réponses aux questionnaires diagnostic et final, Fabien est plus persévérant à la fin de la session qu’au début. Il écrit d’ailleurs au début de la session, qu’il laisse tomber un problème après y avoir travaillé 5 à 10 minutes tandis qu’à la fin de la session, il affirme travailler 10 à 30 minutes avant de laisser tomber. Pendant la session, nous remarquons même qu’il affirme travailler jusqu’à 45 minutes sur un problème en particulier afin d’y trouver une solution. De plus, il ne semble pas aimer abandonner un problème puisque même après avoir conclu qu’il n’y avait pas de solution à un certain problème, il en discute avec des collègues et revient sur sa résolution. À la fin de l’expérimentation, Fabien affirme aussi plus aimer la résolution de problèmes qu’avant l’expérimentation celle-ci. Il précise aussi, à la fin de la session, qu’il aime résoudre des problèmes lorsque les informations sont précises et faciles à comprendre et qu’il n’aime pas les problèmes pour lesquels les énoncés sont longs. Ce qui rejoint d’ailleurs un peu les raisons pour lesquelles il n’aimait pas la résolution de problèmes au début de la session, soit parce qu’il a de la difficulté à « lire entre les lignes » et à résoudre les problèmes. Ce changement d’attitude semble se faire assez tôt pendant la session puisque Fabien affirme au deuxième problème de la session qu’il aime maintenant la résolution de problème : « Je change mon idée, j’aime les résolutions de problèmes ». Nous remarquons aussi qu’il aime les problèmes où il a confiance en sa méthode et en sa solution, problèmes qu’il qualifie aussi de pas tellement difficiles et de problèmes qui font réfléchir. Or, il aime moins les problèmes où il n’a pas beaucoup confiance en sa solution ou en sa méthode.

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Attitudes cognitives Pendant la session, nous remarquons que Fabien a de la difficulté à comprendre quelques problèmes. Il affirme d’ailleurs à la fois au début et à la fin de la session que la compréhension de l’énoncé est l’un des aspects les plus difficiles de la résolution de problèmes, ce qui explique, du moins en partie, pourquoi il n’aime pas les problèmes où les énoncés sont longs. Pour résoudre un problème, Fabien affirme utiliser rarement des schémas puisqu’il utilise seulement ce qui est essentiel à la résolution, ce qui paraît d’ailleurs dans la longueur de ses écrits puisqu’il présente toujours sa résolution de problème ainsi que les réponses au questionnaire accompagnant le problème sur une seule feuille. Les « patterns » sont aussi recherchés par Fabien lorsqu’ils peuvent aider à la résolution d’un problème numérique, mais il semble avoir plus de difficulté avec les généralisations plus « abstraites ». De plus, il ne semble pas souvent vérifier sa solution puisqu’il mentionne avoir vérifié sa solution qu’à un seul problème, ce qu’il a fait à l’aide d’une calculatrice. Or, Fabien affirme, à la fois au début et à la fin de la session, qu’il vérifie toujours sa solution, et ce, parce qu’il y a beaucoup points d’accordé à la résolution de problèmes ou encore pour vérifier s’il n’y a pas de fautes de calculs. Il est donc possible qu’il vérifie sa solution en la révisant sans en faire mention pendant la session. Même si la chance n’est pas importante pour Fabien, il affirme aux questionnaires diagnostic et final que la mémorisation, elle, peut aider à résoudre des problèmes, plus précisément la mémorisation des informations données dans l’énoncé. Fabien accorde aussi une grande importance à l’obtention d’une solution valide à la fois au début et à la fin de la session, mais il semble aussi accorder une importance particulière à la démarche de résolution, même qu’à la fin de la session, il écrit que le travail est important puisqu’il est signe de réflexion. Pour ce qui est du nombre de méthodes qui permettent de résoudre un problème et du nombre de solutions qu’un problème admet, Fabien semble avoir toujours une bonne idée « intuitive », c’est-à-dire qu’il arrive toujours à dire s’il y a plus d’une solution à ce problème ou si ce dernier se résout de plus d’une façon, mais il n’arrive pas toujours à justifier correctement ses affirmations. De plus, il ne semble pas très confiant lorsqu’il répond à ces questions puisqu’il écrit souvent « probablement » ou « peut être ». D’ailleurs, il n’y a que quelques problèmes où il utilise un « oui » ou un « non » affirmatif, les « non » étant utilisés lorsqu’il est évident que la seule façon de résoudre le problème est l’essai-erreur et les « oui » étant utilisés lorsqu’il a vu d’autres méthodes ou d’autres solutions ou encore lorsque l’enseignante a mentionné qu’il est possible de résoudre le problème de différentes façons en classe.

Attitudes sociales Fabien semble surtout travailler seul. D’ailleurs, il ne mentionne qu’à quelques reprises avoir travaillé sur un problème avec des amis, mais il se tourne aussi à quelques reprises vers l’enseignante lorsqu’il éprouve des difficultés. Or, il affirme à la fois au début et à la fin de la session qu’il va voir un ami lorsqu’il n’arrive pas à résoudre un problème tout en affirmant qu’il aime comparer avec des collègues pour voir leur méthode de résolution tout en validant sa solution. Il est possible qu’il consulte ses amis pour comparer après avoir terminé sa résolution et qu’il ne revienne pas sur celle-ci pour l’écrire.

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CONCLUSION Cette analyse des écrits de Fabien est très sommaire, mais elle permet déjà d’identifier ses principales attitudes, les contextes dans lesquels elles interviennent ainsi que leur évolution, quand il y a évolution. Par exemple, Fabien semble plus confiant tout en aimant davantage la résolution de problèmes à la fin de l’expérimentation qu’au début de celle-ci. RÉFÉRENCES ADAMS, V. M. (1989). Affective Issues in Teaching Problem Solving : A Teacher’s Perspective. In D. B. McLeod et V. M. Adams (éd.), Affect and Mathematical Problem Solving, A New Perspective. New York : Springer-Verlag New York Inc.

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ANNEXES Exemples d’aspects de la résolution de problème par rapport auxquels nous voulons étudier les attitudes et exemples de questions portant sur ces aspects. Attitude 1 L’importance accordée à la schématisation en résolution de problème par les étudiants. Questionnaires diagnostic et final :

En résolution de problèmes, j’utilise __________ des schémas (dessins, tableaux, …). ____ Toujours ____ Souvent ____ Rarement ____ Jamais

Pourquoi? : _______________________________________________________________ _________________________________________________________________________

Questionnaire accompagnant chaque problème : Dans la description de leur démarche. Attitude 2 La perception des étudiants en ce qui a trait au nombre de méthodes de résolution possible pour un problème donné. Questionnaires diagnostic et questionnaire final :

Un problème admet toujours une seule bonne solution.

Expliquez votre choix : ________________________________________________________________ __________________________________________________________________

Questionnaire accompagnant chaque problème :

Est-ce que tu penses qu’il peut y avoir plus d’un chemin possible pour arriver à une bonne solution? Pourquoi?

Tout à fait d’accord

plutôt d’accord

plutôt en désaccord

tout à fait en désaccord

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Isabelle ARSENAULT

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Exemples de problèmes utilisés lors de l’expérimentation Neuf points Joindre neuf points, disposés en un arrangement carré de trois fois trois points, par quatre segments rectilignes consécutifs, sans lever le crayon du papier ni repasser sur une partie du trajet. (tiré de Mason, 1982, p. 95) Généalogie des abeilles Les abeilles mâles éclosent d’œufs non fécondés. Elles ont donc une mère, mais pas de père. Les abeilles femelles éclosent d’œufs fécondés. Combien d’ancêtres de 12e génération une abeille mâle a-t-elle? De ces ancêtres, combien sont des mâles? (tiré de Mason, 1982, p. 78) Le nombre « 4 » Retrouvez tous les nombres de 0 à 10 en vous servant, à chaque fois, de quatre « 4 ». Vous pouvez utiliser l’addition, la soustraction, la multiplication et la division. (traduction libre d’un problème tiré de : Adams, 1989, p. 193)

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Rachid BEBBOUCHI

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L’analyse des erreurs : un thème possible de coopération québeco - algérienne.

BEBBOUCHI Rachid

Faculté de Mathématiques, USTHB [email protected]

1. L’École de l’indépendance en 1962 aux années 80 (voir [2]):

Au lendemain de l’indépendance, il fallait généraliser l’enseignement primaire à l’ensemble des enfants de 6 ans, permettre l’accès au lycée des couches non privilégiées, ouvrir l’Université. L’appel à une coopération venant de différentes nations a entraîné le côtoiement plus ou moins malheureux de pédagogies différentes. Cette période de coopération a déstabilisé l’Ecole Algérienne : les apprenants faisaient de moins en moins confiance en leurs enseignants. À l’Université, les étudiants en arrivaient à choisir les coopérants de l’Est puisque ceux-là notaient largement, habitués chez eux à ce que les universités ne reçoivent que de bons éléments. Après cette période de coopération tous azimuts, est venue une période d’algérianisation. On formait vite des enseignants algériens mais pas forcément bien. C’est l’époque des formations dans les Instituts de Technologie de l’Education de spécialistes dans une matière, très souvent non bacheliers, et qui vont enseigner au collège (7ème à 9ème année). Le départ massif des coopérants, M.A. ou moins, a poussé des universités à recruter des titulaires de D.E.S. seulement (bacc.+4) comme vacataires, donc des enseignants à formation insuffisante. La réaction des étudiants ne s’est pas faite attendre : alors qu’avant, ils respectaient l’enseignant pour ses capacités intellectuelles, face à des pseudo - enseignants, ils ont drôlement réduit l’écart enseignant - apprenant. L’enseignant devient le grand frère, qui connaît certes plus de choses, mais qui a le droit de se tromper. La relation enseignant – enseigné a changé, souvent en mal. Est arrivée alors la période d’arabisation. Au niveau de l’Education et en Mathématiques, l’arabisation a été menée exclusivement par des Inspecteurs d’Education en Mathématiques, sans faire appel à d’autres compétences, universitaires ou mathématiciennes. Cela a donné lieu à plusieurs abus : au lieu de se contenter de remplacer le français par l’arabe, on a « arabisé » les symboles mathématiques, des lettres grecques, des lettres arabes, l’orientation de la droite (mais pas l’orientation du plan, ce qui a été très prudent). On a évidemment adopté la réforme Lichnérowitz, qui se base sur la pédagogie piagétienne. Et on a imposé aux enseignants algériens cette arabisation forcenée sans les préparer véritablement à une pédagogie appropriée, ni leur offrir d’autres documents que ceux produits par l’ex-Institut Pédagogique National (actuellement Institut National de Recherche en Education), dépendant du Ministère de l’Education. Comme corollaire, ces documents sont devenus un sacerdoce pour les enseignants et les inspecteurs sont là pour annihiler encore plus toute initiative personnelle. Les élèves ont été coupés du monde extérieur puisqu’ils ne pouvaient utiliser aucun document venant de l’étranger. De plus, leurs parents ne pouvaient plus les suivre.

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En même temps, à l’Université, une première réforme a consisté à choisir le modèle anglo-saxon de formation à la carte, avec une progression modulaire par prérequis. Ce système était très coûteux et permettait à des étudiants de terminer leurs études tout en ayant une dette en première année (par exemple le cas d’un module de chimie dans la filière mathématiques). L’arabisation s’est limitée seulement à remplacer le texte français par un texte arabe, à partir d’un consensus prudent des universitaires mathématiciens algériens. Malheureusement, le bachelier va donc devoir s’adapter à un autre symbolisme que celui rencontré au lycée. D’autre part, dans plusieurs universités, la liberté a été laissée aux étudiants de choisir leur langue d’enseignement (arabe ou français). Dans certaines universités, le français était de mise et dans d’autres, c’était l’arabe. Là où on a opté pour la langue française, les bacheliers arrivaient avec un double handicap : la langue (et donc la terminologie) et le symbolisme. Il ne faut pas oublier que des collègues de rang magistral ont quitté l’Algérie, de crainte d’être obligés d’enseigner en arabe.

2. Les réformettes :

Malgré les différents rapports négatifs établis durant les années 80 sur les difficultés de l’apprentissage des mathématiques, il n’y a pas eu de véritable bilan et de l’algérianisation du corps enseignant et de l’arabisation au niveau de l’Education. Les documents scolaires sont restés les mêmes et le symbolisme, désormais utilisé seulement en Algérie, a trouvé des défenseurs, surtout chez les universitaires de l’Ecole Normale Supérieure de Kouba. A l’Université, se rendant compte que la « réforme Benyahia » (du nom du Ministre de l’époque) coûtait trop cher, on a opté pour une progression annuelle et, pour cela, on a marié, parfois contre nature, des modules semestriels pour fabriquer un enseignement annuel. La compensation des notes entre les différents modules annuels et le choix de la meilleure note entre les Epreuves de Moyenne Durée, la synthèse et le rattrapage ont été des concessions acquises par les étudiants. Cela a faussé le contrat didactique enseignant – enseigné : désormais, l’étudiant apprend à ménager ses efforts, pourvu qu’il compense entre les modules. Malgré toutes ces concessions, le taux d’échec en première année reste très élevé, à peu près le même depuis qu’on a institué des troncs communs. Une conséquence de l’annualisation a été que certains chapitres en fin de programme ne sont pas traités : adieu les courbes et surfaces en première année, adieu le calcul différentiel en deuxième année, finies les sous-variétés de Rn en troisième année ; on n’enseigne même plus la géométrie différentielle de quatrième année dans certaines universités.

3. Les années noires :

Pendant les années 90, on a atteint le niveau le plus bas : - la moyenne nationale en mathématique au B.E.F. 92 a été de 02/20, - la moyenne nationale en mathématiques au baccalauréat 94 a été de 04,5/20, - l’Algérie s’est classée avant-dernière sur les 75 pays qui ont participé aux Olympiades

Mathématiques de Turquie de 1993,

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Rachid BEBBOUCHI

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- dans la plus prestigieuse des universités algériennes, l’U.S.T.H.B., en 4ème année D.E.S. Mathématiques, aucun étudiant n’était à sa quatrième année d’étude durant l’année 1994-95, plus de 95% étaient des redoublants durant l’année 1998-99.

Les rapports enseignants – étudiants se sont aggravés, surtout avec une politisation à outrance du milieu universitaire. Ces années 90 vont tout de même voir apparaître une recherche didactique, encore balbutiante, mais préparant le terrain à des bilans et constats plus chiffrés, moins fantaisistes. La création de l’I.N.R.E. (voir [1]) a grandement contribué à cette émergence de chercheurs en didactique, très souvent non reconnus par leurs pairs. On met enfin en place des indicateurs dans le système éducatif algérien.

4. Un exemple de recherche didactique (voir [3] et [4]):

A titre d’exemple, la détection des erreurs répétées, donc persistantes, est un indicateur puissant.

Au niveau de l’I.N.R.E., le groupe E.MATH.A. que je dirigeais a pu analyser près de 600 copies du B.E.F. 93 , 600 copies du B.E.F. 98 et 380 copies de baccalauréat Sciences Expérimentales session 1993 a fait apparaître des erreurs répétées de différents types :

- des erreurs provenant d’un excès d’automatisme (de type ontogénétique): 46% des élèves ont été déstabilisés par un exercice où trois inconnues étaient proportionnelles à trois nombres donnés mais dont deux seulement vérifiaient une équation donnée, 40% ont été désarçonnés par la donnée d’un triangle rectangle en un sommet noté différemment qu’habituellement ; des élèves ne peuvent imaginer un cercle dont le centre n’est pas l’origine des axes,

- des erreurs de type épistémologique : la règle des signes, la manipulation des fractions, le décalage entre la figure dessinée et le raisonnement, sont autant d’erreurs persistantes et presque incontournables,

- des erreurs de type ethnologique, provenant du contexte algérien : comme la notion de majuscule n’existe pas en arabe, il y a confusion entre la notation des nombres réels et celle des points du plan, d’où une erreur constatée sur le calcul du barycentre : 6AN + 3BN = (6A + 3B)N ; le choix de l’orientation du plan fait qu’on intervertit souvent abscisse et ordonnée (du fait du choix de l’orientation de la droite réelle, le tableau de variations d’une fonction ne correspond à l’allure de son graphe que si on utilise sa réflexion sur un miroir, ce qui a donné entre autres des courbes coupant leur asymptote, erreur constatée au niveau baccalauréat) ; le « noun rhiadi » a une forme changeante ; la suppression d’un cours sur l’utilisation des parenthèses a accentué les erreurs de ce type.

D’autres analyses ont été tentées sur les copies des BEF 99 et 2000, qui viennent confirmer les analyses précédentes. L’enseignement de la Géométrie est en pleine décadence et cela ne s’améliorera que lorsque, au supérieur, on lui donnera (ou rendra) la place qu’il mérite. A titre d’illustration, on peut analyser les dessins des étudiants de 4ème année d’université en mathématiques (une année avant d’aller enseigner) qui répondaient à la question : dessiner en 3 dimensions la surface {(x, y, z), x 2+y 2+z 2 =1, z ≥ 0 } ∪ {(x, y, z), x 2+y 2+z 2 =3, z≤ 0}.

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Aucune vision dans l’espace n’a été acquise durant toute leur scolarité, d’autant plus qu’au lycée, les élèves, et c’est la majorité, qui ont choisi la filière Sciences expérimentales n’ont aucun enseignement de géométrie dans l’espace. Il est inutile de rappeler que les seules personnes qui pourraient soupçonner l’existence de géométries non euclidiennes sont justement ces étudiants de quatrième année mathématiques, et encore ni dans la filière ingéniorat en Recherche Opérationnelle, ni dans la filière ingéniorat en Probabilités et Statistiques. Euclide a encore beaucoup d’adeptes.

5. Le XXIe siècle de l’espoir ?:

La commission de réforme installée en ce début de siècle a tenu compte des différents constats établis. Ses recommandations, si elles se concrétisent, transformeront le système éducatif algérien. Mais des résistances, parfois violentes, le plus souvent pernicieuses, apparaissent au sein même de la Famille de l’Education. Concernant les programmes de la première année primaire et la première année moyenne, une commission d’inspecteurs encadrée par des didacticiens français dirigés par une retraitée mais non moins l’une des pionnières de l’école française de Didactique des Mathématiques, a fourni le fruit de ses travaux fin Février 2003 : désormais, on change de méthode d’enseignement et on applique à la lettre la théorie des systèmes didactiques, fleuron de la Didactique des Mathématiques à la française. Le constructivisme est à l’honneur ; l’élève devient le principal acteur au sein de la classe et l’enseignant se confine dans le rôle de conseiller (le souffleur sous les tréteaux du théâtre). On met au placard la réforme Lichnérowicz (finies la théorie des ensembles et la mathématique des structures) et on introduit la statistique au goût du jour. Fin Février 2003, on a proposé ces programmes aux éditeurs privés et on leur a demandé de présenter fin Mai 2003 des spécimens de livres scolaires en adéquation avec les programmes de la réforme (donc en trois mois). Une commission d’homologation, constituée de personnes insuffisamment documentées sur l’école française de Didactique des Mathématiques, a sélectionné trois éditeurs, dont celui où j’ai produit avec mes équipes les deux livres demandés, et, par loterie, mes livres ont été destinés à la région centre. Je dois souligner que, verbalement et en réponse d’une question de ma part, vers la mi-Avril, le ministère nous a demandé d’utiliser le symbolisme universel pour le livre du collège. Une fois les livres distribués par l’O.N.P.S. (Office National des Publications Scolaires) à travers les écoles et les collèges, les enseignants ont commencé à réagir. On leur demandait, ni plus ni moins, de changer leur méthode d’enseignement, à partir d’un nouveau programme, d’un nouveau livre et sans directives. Fin Septembre 2003, une rencontre inspecteurs – auteurs des livres a été organisée par le ministère. Une série de circulaires y ont alors été distribuées, dont celle précisant que le symbolisme universel doit être adopté à tous les niveaux, de l’Ecole Primaire à l’Université. Les inspecteurs ont carrément agressé les auteurs, les accusant d’être les instigateurs de cette réforme que personne (ils l’ont dit !) ne souhaitait. J’ai personnellement été traîné dans la boue par un collègue de l’E.N.S. de Kouba dans le journal Ech-Chourouk (journal algérien en arabe), faisant croire à qui veut l’entendre, que j’étais le coupable de l’adoption du symbolisme universel, donc contre « l’arabisation », alors que j’ai enseigné en arabe des modules sans terminologie précise et j’ai été le premier universitaire algérien à faire un

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exposé de recherche en langue nationale (en 1988), et que je n’ai jamais fait partie d’une quelconque commission de réforme de l’Education. Comme les livres scolaires ont été vraiment conçus dans la hâte, plusieurs coquilles n’ont pu être corrigées et pire, certains livres n’étaient pas du tout en adéquation avec l’esprit de la réforme. Avec le changement de ministre, il y a eu un recul : on a fait appel à un inspecteur en retraite pour remettre de l’ordre dans la commission des programmes (notamment en voulant réintroduire la théorie des ensembles, donc une mathématique des structures), ce qui a eu pour conséquence la démission collective des encadreurs français et de certains inspecteurs ; on a retiré au privé la confection des livres de seconde année, tuant ainsi dans l’œuf la confection de collections et l’I.N.R.E. a recruté des auteurs par appel d’offres, sans tenir compte de leurs connaissances en Didactique des Mathématiques. Bien que, à l’heure actuelle, et dans plusieurs écoles et collèges, on ait perçu un intérêt accru des élèves et une mobilisation effective des enseignants, bien que, dans certaines classes, on ait commencé à favoriser le travail de groupes, toute cette ardeur risque d’être freinée, pour peu qu’on n’ait pas l’idée de former les enseignants aux nouvelles méthodes didactiques : c’est la priorité actuelle. Le Ministère de l’Education a fait appel à une aide extérieure par l’intermédiaire de l’UNESCO, et ce dans le cadre du programme PARE(programme d’appui à la réforme du système éducatif). Le monopole du livre est revenu à l’état, assisté par le programme PARE. Les universitaires algériens ne sont plus appelés à contribution (sauf certains privilégiés proches du pouvoir et représentant toutes les tendances politiques du pays.

6. Conclusion :

Les deux réformes, celle de l’Education et celle de l’Enseignement Supérieur, sont prometteuses, à condition de les accompagner d’une transformation des méthodologies d’apprentissage. Pour cela, il faut prévoir la formation de « guides didactiques », des personnes sources à même de définir les indicateurs du système éducatif, de les analyser et d’en tirer les recommandations nécessaires pour faire avancer les réformes. Un des indicateurs reste sans conteste l’analyse des erreurs répétées qui permet de corriger le tir en amont (agir sur les programmes) et même en aval (agir sur l’agencement des programmes). L’Inspection du M.E.N. est trop obsolète et l’Inspection du M.E.R.S. est trop démunie pour le faire. C’est pourquoi il faut à tout prix envisager une formation doctorale en Didactique des Mathématiques pour assurer une réflexion plus approfondie et un soutien didactique plus efficace, basés sur des techniques plus claires et plus précises. Plus vite l’horizon algérien comptera des didacticiens, plus faciles les deux réformes se mettront en place. Mais pourra-t-on en convaincre la noosphère ? Une coopération basée sur la formation universitaire de didacticiens (de mathématiques dans notre cas) plaiderait certainement mieux que les universitaires algériens, d’autant plus qu’une telle formation n’existe pratiquement pas. Et la faire démarrer au sein de la plus grande (et la plus cotée) université du pays lui permettrait d’acquérir très vite ses titres de noblesse.

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7. Références :

[1] DECRET exécutif n° 96-72 du 27 Janvier 1996 (Journal Officiel) portant réaménagement du statut de l’Institut Pédagogique National et changement de sa dénomination en Institut National de Recherche en Education (I.N.R.E.). [2] DJEBBAR A. : les mathématiques dans les systèmes éducatifs du Maghreb à la lumière des dernières réformes, CJSMTE/RCESMT 7 :1 Janvier 2007. [3] JOURNEES d’études sur l’analyse des erreurs dans les copies de B.E.F. session Juin 1998, 1er Mars 2000, I.N.R.E.(Alger). [4] JOURNEES d’études sur l’analyse des erreurs dans les copies de mathématiques de l’examen du B.E.F. session 99, 8 Novembre 2000, I.N.R.E. (Alger).

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Maha BELKHODJA

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La place accordée à la visualisation en géométrie dans les manuels de mathématiques au secondaire au Québec

Maha Belkhodja Université Laval

RÉSUMÉ Dans le cadre de notre recherche doctorale, un de nos objectifs est de vérifier quelle importance était accordée au Québec au développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, dans l’ancien curriculum de mathématiques pour le secondaire et dans le récent Programme de formation de l’école québécoise, de même que dans les diverses séries de manuels utilisées. L’analyse de ces programmes et manuels et la réalisation d’entrevues nous a permis de constater que la capacité à visualiser en géométrie a été et demeure grandement négligée au secondaire.

INTRODUCTION L’un des buts de l’apprentissage de la géométrie à l’école est le développement par les élèves de la capacité à « visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions ». Il a été grandement négligé par le passé dans les programmes scolaires de mathématiques, notamment à l’époque des « mathématiques modernes », mais depuis les années quatre-vingt on a réaffirmé, au niveau international, la nécessité de le revaloriser en éducation mathématique. Notre recherche porte sur le thème de la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions en tant que compétence à développer à l’école (le terme « compétence » étant entendu dans le sens que lui donne le MELS dans le cadre de la réforme en éducation en cours au Québec). Dans cette recherche, un des objectifs était de vérifier quelle importance était accordée au Québec au développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, dans l’ancien curriculum de mathématiques pour le secondaire et dans le récent Programme de formation de l’école québécoise, de même que dans les diverses séries de manuels utilisées. Dans cette communication, nous présentons les principaux résultats obtenus et les conclusions auxquelles nous sommes arrivées.

OBJECTIF DE LA RECHERCHE Notre objectif est de vérifier quelle importance était accordée au Québec au développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, dans l’ancien curriculum de mathématiques pour le secondaire et dans le récent Programme de formation de l’école québécoise, de même que dans les diverses séries de manuels utilisées. De façon plus spécifique, nous avons cherché à répondre aux deux questions suivantes :

1. Quelle importance était accordée au développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions dans le curriculum en vigueur et les manuels scolaires utilisés en mathématiques au secondaire au Québec avant l’implantation du Programme de formation de l’école québécoise?

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2. Quelle importance le nouveau curriculum (cf. Programme de formation de l’école québécoise – Enseignement secondaire, premier cycle) en vigueur en mathématiques au premier cycle du secondaire et les manuels scolaires correspondants accordent-ils au développement de cette « compétence »?

MOYENS UTILISÉS POUR RÉPONDRE À LA PREMIÈRE QUESTION Pour répondre à cette question, nous avons utilisé trois moyens. Le premier consiste à analyser le curriculum en vigueur en mathématiques au secondaire au Québec avant l'implantation du Programme de formation de l'école québécoise. Pour en faire l’analyse, nous avons utilisé une grille50.

Le deuxième moyen est l’analyse des chapitres touchant la géométrie dans chacune des neuf séries de manuels scolaires approuvés par le MELS (Carrousel mathématique, Scénarios, Croisières mathématiques, Univers mathématique, Dimensions mathématiques, Mathophilie, Les maths et la vie, Réflexions mathématiques et Regards mathématiques) ainsi que dans les guides d’enseignement qui les accompagnent. L’analyse de ces chapitres a été réalisée à l’aide d’une grille51 différente de la précédente.

Le troisième moyen est la réalisation d’entrevues52 auprès d’auteurs de la collection Scénarios afin d’avoir une idée plus claire concernant ce qu’ils voulaient véhiculer dans leurs livres et concernant l’importance qu’ils accordent à la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions.

MOYENS UTILISÉS POUR RÉPONDRE À LA DEUXIÈME QUESTION Pour répondre à la deuxième question, nous avons utilisé ici aussi trois moyens. Le premier consiste à analyser le Programme de formation de l’école québécoise. Cette analyse a été réalisée au moyen d’une troisième grille53. Le deuxième moyen est l’analyse des chapitres touchant la géométrie dans les deux nouvelles collections de manuels scolaires approuvés par le MELS (Perspective mathématique et Panoram@th) ainsi que les guides d’enseignement qui les accompagnent. L’analyse de ces manuels sera effectuée au moyen de la même grille que celle utilisée pour les manuels accompagnant l’ancien curriculum. Le recours à la même grille permettra de voir jusqu’à quel point et de quelle façon des changements ont été apportés pour favoriser le développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions.

50 La recherche qui a été menée comprend deux sortes de résultats. Le premier de nature théorique, nous a permis de développer un modèle original pour caractériser le « sens géométrique » dont la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions constitue un aspect particulier. La grille utilisée pour l’analyse du curriculum en question a été construite en s’appuyant sur ce modèle. 51 La grille utilisée, pour l’analyse des neuf séries de manuels scolaires, a aussi été élaborée en s’appuyant sur le modèle du « sens géométrique ». 52 Pour toutes les entrevues réalisées, nous avons élaboré des questions semi-ouvertes en se basant encore une fois sur le modèle du « sens géométrique ». 53 La grille pour l’analyse du Programme de formation de l’école québécoise a aussi été élaborée en s’appuyant sur le modèle du « sens géométrique ».

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Le troisième moyen est la réalisation d’une entrevue auprès d’une des personnes qui ont travaillé sur le nouveau programme. Cette entrevue aura pour objectif de vérifier si notre analyse du nouveau programme s’accorde avec les visées de celui-ci du point de vue de la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions.

RÉSULTATS DE L’ANALYSE DU CURRICULUM EN VIGUEUR ET DES NEUF COLLECTIONS DE MANUELS SCOLAIRES UTILISÉS EN MATHÉMATIQUES AU SECONDAIRE AU QUÉBEC AVANT L’IMPLANTATION DU PROGRAMME DE FORMATION DE L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE

Résultats de l’analyse du curriculum Il est important de souligner qu’il était effectivement question dans l’ancien curriculum de la capacité54 à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. C’est uniquement en troisième année du secondaire, dans le Programme d’études Mathématiques 314 que l’on se préoccupe vraiment du développement de cette capacité. On y recommande le recours aux différents types de représentations externes dont parle Lesh55 (1979) et on y parle de l’importance du développement d’images mentales chez l’élève. Dans les programmes d’études des autres degrés du secondaire, nous n'avons trouvé qu'un seul paragraphe faisant allusion à cette capacité. Dans ce paragraphe, on propose d'une part de poursuivre le développement de cette capacité chez les élèves et d'autre part de l'utiliser comme acquise. N'y a-t-il pas confusion dans ce message? Comment un enseignant ou un auteur de manuel peut-il l'interpréter? Il semble que le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions n'est pas considéré dans le curriculum comme étant un objet à développer à long terme.

Par ailleurs, dans les explications apportées aux objectifs du Programme d’études Mathématique 314, on n'insiste pas assez sur l'importance d'utiliser dans l'enseignement des types d'activités suffisamment variées et nombreuses pour soutenir le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions.

Aussi, il ressort de l’analyse du curriculum en question que la terminologie n'est pas bien établie. On constate que les expressions « visualisation spatiale », « habileté spatiale », « sens spatial » et « perception spatiale » sont généralement utilisées comme étant synonymes. Souvent, également on ne semble pas faire la distinction entre ce qui est « spatial » (ce qui concerne le monde physique) et ce qui est « géométrique » (ce qui concerne le monde abstrait de la géométrie). Sur ces questions, le curriculum n'apporte aucune clarification; on y mentionne simplement au passage que le sens spatial : « est une forme d'activité mentale permettant de créer et de manipuler des images d'objets » (p. 33).

54 Nous nous contentons ici de parler de « capacité » à visualiser en géométrie car à l’époque dont il est question, on ne parlait pas encore au Québec de « compétence » au sens où on l’entend maintenant dans le Programme de formation de l’école québécoise. 55 Lesh (1979) propose cinq modes de représentations externes : le langage parlé, les symboles écrits, le matériel concret, les images et les situations du monde réel.

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Résultats de l’analyse des neuf collections de manuels scolaires À une exception près, les collections de manuels adhèrent fortement au curriculum. Il ne faut donc pas s'étonner de ne retrouver qu'en troisième année des activités ayant pour but de développer la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. Encore une fois, le développement à long terme de cette capacité semble être ignoré dans ces collections. À ce propos, un fait particulier a retenu notre attention dans la collection Carrousel mathématique. Dans le guide d'enseignement qui accompagne le manuel de la première année, il est écrit : « la visualisation spatiale se développe à long terme et non pas à l'occasion d'un chapitre. C'est pour cette raison qu'on doit présenter de telles situations de temps à autre » (p. 741). Apparemment, l'auteur accorde de l'importance à la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions et à son développement à long terme. Nous avons donc été surprise qu'il ne propose pas diverses activités à cette fin ici et là dans les manuels de la collection; cela nous a semblé d'autant plus curieux que dans le cas de la capacité à faire des estimations, dont le développement est également visé à long terme, l'auteur a inséré des activités d'estimation ici et là à tous les degrés. N'y a-t-il pas là une inconséquence? N'aurait-il pas été souhaitable et plus cohérent avec ses propres propos que l'auteur insère tout au long du secondaire quelques situations visant le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions? Concernant les activités en rapport avec la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions qui se trouvent dans les manuels scolaires, généralement elles ne sont ni variées ni en nombre suffisant, ce qui n'est pas étonnant puisque le curriculum n'insiste pas là-dessus. En effet, la majorité des collections proposent des activités seulement dans les manuels de troisième année et dans un seul chapitre et celles-ci portent fréquemment sur des figures géométriques. Le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions nécessite des activités multiples et variées touchant à la fois les figures, les relations et les transformations géométriques. Aussi, il est indispensable de ne pas se restreindre à des activités purement géométriques et d'inclure d'autres qui font appel à l'environnement physique, par exemple les translations ou les rotations d'objets, des formes à manipuler, des situations où intervient l'ombre, etc. Cette variété de situations est d'une importance capitale pour que l'élève soit capable à long terme d'exercer sa capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions dans des contextes variés et notamment dans des situations de la vie réelle. À ce sujet, les manuels de troisième année des collections Les maths et la vie et Univers mathématiques nous paraissent particulièrement déficients. Les collections Carrousel mathématique et Scénarios, quant à elles, proposent une variété d'activités non négligeable. À propos de la terminologie, on retrouve les mêmes problèmes que dans le curriculum. On peut en arriver à se demander si leurs auteurs ont les idées claires au sujet de ces problèmes de terminologie ; ce fut là notre impression lorsqu’un des auteurs nous a posé la question : « la visualisation se restreint en quoi en fait? ». Concernant la collection Scénarios, ses auteurs nous ont confié lors de l'entrevue avoir fait des lectures pour mieux comprendre comment se développe la visualisation spatiale56. Ces lectures ont certainement influencé leur choix d'activités et leurs commentaires. En effet, pour le chapitre Droites, 56 Même si nous faisons une nette distinction entre visualiser des formes et des relations spatiales dans l’espace physique environnant à trois dimensions – nous parlons alors de « visualiser dans l’espace » ou « visualisation spatiale », – et d’autre part, visualiser des figures et des relations géométriques dans trois et dimensions (en géométrie de l’espace) ou dans deux dimensions (en géométrie plane). Les auteurs des collections de manuels analysés semblent ignorer systématiquement cette distinction lorsqu’ils utilisent l’expression « visualisation spatiale ». Nous utilisons quand même cette dernière lorsque nous voulons rapporter ce que les auteurs expriment.

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angles et polygones, ils soulignent aux enseignants qu'il est important d'habituer l'élève à : « reconnaître un angle droit, quelle que soit son orientation » (p. 222) et à : « voir les triangles, qu'ils soient rectangles, isocèles ou autres dans différentes positions » (p. 227). Ces aspects sont effectivement très importants pour le développement de la capacité à visualiser en géométrie. Aussi, ils ont insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de manipuler des objets afin de développer cette capacité. De plus, soulignons que ce sont les seuls auteurs qui ont tenu compte du fait que la capacité à visualiser se développe à long terme et ont proposé en conséquence des situations à tous les niveaux du secondaire. L'effort de ces auteurs est à saluer ! Les auteurs de la collection Les maths et la vie, avancent des affirmations, dans le guide d’enseignement, qui nous laissent perplexe. Ils écrivent : « … comme l’élève a beaucoup développé son sens spatial, il a plus de facilité à percevoir une figure plane dans l’espace. Ainsi, il peut percevoir un triangle rectangle dans un cône, une pyramide, un cube, un prisme droit » (p. 171). Soulignons que dans les manuels de première et deuxième années de cette collection n’existe aucune situation qui vise le développement de la capacité à visualiser en géométrie. Comment peuvent-ils affirmer que l’élève a beaucoup développé son sens spatial? Il nous semble que percevoir un triangle rectangle dans un cône, une pyramide, un cube ou un prisme droit n’est certainement pas une chose évidente pour tous les élèves et fort probablement pour un bon nombre d’enseignants. Le dernier point concerne l'influence du curriculum sur la rédaction des manuels. En effet, il ressort de l'analyse des manuels scolaires que ce ne sont pas tous les auteurs des collections qui ont pris l'initiative d'introduire des activités susceptibles de développer la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. Il est donc clair que l'orientation du curriculum influence incontestablement la rédaction des manuels scolaires. Cependant, dans ce cas précis, il est regrettable de faire un tel constat surtout que le MELS donne aux auteurs de manuels une marge de liberté. Pourquoi alors cette réticence?

Résultats de l’analyse de l’entrevue réalisée avec deux des auteurs des manuels de la collection Scénarios Il ressort des propos des deux auteurs que l’ancien curriculum n’accordait pas suffisamment d’importance au développement de la capacité à visualiser en géométrie tout au long du primaire et du secondaire. Ils ont bien souligné que celui-ci était concentré en troisième année du secondaire. Concernant la collection Scénarios qu’ils ont rédigée, les auteurs y ont proposé plusieurs activités qui font appel à la manipulation des cubes et au dessin des différentes vues principalement. Malgré l’effort déployé pour donner l’occasion aux élèves de réaliser des ateliers visant le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, les auteurs révèlent avec beaucoup de regret que ces activités n’avaient pas l’air de retenir l’attention des enseignants. De plus, tout au long de l’entrevue, les deux auteurs employaient tantôt l’expression « perception spatiale » tantôt « visualisation spatiale ». Cette confusion était à prévoir. En effet, il n’est pas étonnant que nos interlocuteurs ne sachent pas les différencier puisque le curriculum n’apporte aucune clarification.

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RÉSULTATS DE L’ANALYSE DU NOUVEAU CURRICULUM PROGRAMME DE FORMATION DE L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE EN VIGUEUR EN MATHÉMATIQUES AU PREMIER CYCLE DU SECONDAIRE ET DE DEUX COLLECTIONS DE MANUELS SCOLAIRES CORRESPONDANTS

Résultats de l’analyse du nouveau curriculum Les trois compétences mathématiques que l'on retrouve dans le Programme de formation de l’école québécoise sont d'ordre assez général. La visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions n'y figure pas en tant que compétence. Nulle part dans ce nouveau curriculum, on ne semble porter une quelconque attention à cela. Parmi les commentaires faits dans le nouveau programme à propos des trois compétences retenues en mathématiques, il y a peu de références explicites, voire même implicites, à la visualisation en géométrie ou dans l’espace et que celles qu’on trouve sont toujours en rapport avec la visualisation faisant appel à des représentations externes. Par exemple, on peut lire : « En géométrie, il passe de l’observation au raisonnement. … Il construit des figures au besoin, à l’aide d’instruments ou de logiciels de géométrie dynamique » (p. 240, Programme de formation de l’école québécoise). Un peu plus loin, on encourage le recours aux différentes représentations externes dont parle Lesh (1979) dans les différents champs mathématiques, notamment en géométrie :

« En outre, l’élève doit se familiariser avec les éléments du langage que sont les termes, les symboles et les notations et apprendre à choisir des modes de représentation adaptés aux situations numériques, symboliques, graphiques ou linguistiques. Il doit pouvoir recourir à ces divers modes de représentation et passer avec aisance de l'un à l'autre » (p. 246, Programme de formation de l’école québécois).

Dans aucun des commentaires à propos des trois compétences nous n’avons trouvé une quelconque recommandation encourageant le développement d’images mentales en géométrie ou dans d’autres champs mathématiques. Est-ce un oubli? Leur développement est-il considéré comme allant de soi? Pourtant, parmi les exemples de stratégies associées à la résolution de problèmes, on trouve « se représenter la situation mentalement ou par écrit » (p. 262, Programme de formation de l’école québécoise). On précise que cette stratégie, comme d’autres d’ailleurs, peut être développée par l’élève au moment de l’exercice de ses compétences. Mais avant d'associer cette stratégie à la résolution de problèmes, il est important de donner à l'élève l'opportunité de l'exercer. L'étude de la géométrie offre diverses situations qui permettent de développer les images mentales. Malheureusement, aucune explication n'est donnée à ce sujet. L’expression « sens spatial » apparaît pour la première fois dans le texte du Programme de formation de l'école québécoise lorsqu'il est question des relations entre les mathématiques et les autres disciplines. L'examen du tableau de la page 236 du nouveau curriculum semble montrer que le sens spatial joue un rôle important en arts, en univers social, en science et technologie et aussi pour le développement personnel. Nous avons donc cherché une définition ou tout au moins une explication de cette expression. Le texte qui explique le tableau n'en donne aucune. Cependant, dans la section Univers social du tableau, apparaît l'indication suivante : « sens spatial : représentations 2D et 3D, repérage de points sur un axe et dans un plan, transformations géométriques et unités de mesure » (p. 236, Programme de formation de l’école québécoise). Même s'il n'existe pas dans la littérature de consensus sur ce que peut être le sens spatial, il n'est certainement pas restreint à ce qui est indiqué ci haut. En effet, les capacités mentales représentent certainement une composante majeure du sens

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spatial. Malheureusement, tout porte à croire que pour les concepteurs du nouveau curriculum il s'agit là d'une définition du sens spatial. Cette expression apparaît à nouveau lorsqu'on présente le contenu de formation de la géométrie. Le sens spatial devient alors un concept à construire et à s'approprier au même titre que les figures géométriques. Cette confusion nous semble montrer encore une fois toute l'ambiguïté qui entoure sa définition. On reconnaît, tout de même, que son développement nécessite du temps et on met l'accent, une fois de plus, sur les représentations externes pour y parvenir. Dans la section « Repères culturels » (p. 260, Programme de formation de l’école québécoise), on parle de la pensée géométrique et du sens spatial comme d'un tout dont l'élève doit pouvoir se servir dans différents contextes à l'école et hors l'école. En effet, nous pouvons lire :

« L'élève est incité à utiliser sa pensée géométrique et son sens spatial dans ses activités quotidiennes et différents contextes disciplinaires ou interdisciplinaires, tels que celui des arts ou de la science et de la technologie, ou encore dans différentes situations sociales, en réponse à certains besoins : se repérer dans l'espace, lire une carte géographique, évaluer une distance ou utiliser des jeux électroniques » (p. 260, Programme de formation de l’école québécoise).

Suite à cette citation, il est difficile de concevoir la pensée géométrique et le sens spatial au même titre que des concepts comme les figures géométriques par exemple.

Résultats de l’analyse de deux collections de manuels scolaires

Dans cette section, nous présentons l'analyse des manuels scolaires des deux séries Panoram@th et Perspective mathématique rédigés suite à la publication du Programme de formation de l'école québécoise. Soulignons que lors de notre collecte de données, n'étaient approuvées par le MELS et disponibles à la didacthèque de l'Université Laval que ces deux séries, les manuels qui correspondent à la première année du cycle ainsi que les guides d'enseignement qui les accompagne.

Dans les manuels scolaires, nous avons trouvé des activités qui visent le développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. À première vue, ceci semble étrange puisque dans la partie du programme concernant la géométrie, rien n'incite les auteurs à inclure de telles situations. Est-ce alors dû à la présence de l’expression « sens spatial » dans les divers domaines de formation en lien avec les mathématiques ? Cette hypothèse nous paraît bien plausible. En effet, avec l'idée de l'interdisciplinarité amenée par le nouveau curriculum, les auteurs de manuels sont appelés à proposer des projets qui intègrent les mathématiques et les autres disciplines. Ceci a probablement été un point déclencheur. Dans tous les cas, cette initiative vient compenser les lacunes présentes dans le nouveau curriculum ! Elle est à saluer ! Bien sûr nous n'avons pu observer cela que dans deux collections de manuels scolaires produits pour le premier cycle du secondaire, mais il reste à espérer que cette tendance se maintienne pour les prochains cycles et dans les autres collections à venir. Il est aussi intéressant de préciser que les auteurs ont proposé des activités qui favorisent le développement des images mentales et l’utilisation des représentations externes, et ceci en dépit du nombre peu élevé des situations d'apprentissage proposées. Un autre point intéressant à relever dans ces manuels touche la présence de notions théoriques à la suite des projets. Bien sûr, il reste important et incontournable d'enseigner explicitement certaines notions mathématiques et ceci même en prônant un enseignement par projets. Cependant, nous n'avons trouvé aucun projet visant l'intégration de toutes les notions et capacités développées précédemment. Autre aspect important à soulever concerne la présence d'une progression dans les projets. Effectivement, les notions plus compliquées ou plus difficiles arrivent graduellement de sorte que les élèves, en affrontant de nouveaux défis, restent continuellement motivés.

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Un autre aspect nouveau et particulièrement important à souligner, dans la collection Perspective mathématique, concerne des activités qui se réalisent dans l’environnement physique. Cette nouvelle initiative nous a été confirmée lors de l'entrevue par un des auteurs. Il est réconfortant de voir que certains auteurs font l'effort de mettre en pratique ces types d'activités qui sont d'une importance capitale pour le développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions.

Résultat de l’analyse des entrevues Analyse de l’entrevue réalisée avec une personne qui a travaillé sur le nouveau curriculum Par souci d’anonymat, nous désignerons par RM pour « responsable des mathématiques » la personne interviewée qui a travaillé sur le nouveau curriculum. Notre interlocuteur a commencé par souligner la provenance des expressions « sens spatial » et « visualisation ». Il a expliqué que la première est plus nord américaine alors que la deuxième est utilisée en Europe. Il a aussi parlé d'un écart entre les deux mais n'a pas donné de précisions. Il semble que la préoccupation majeure lors de la rédaction du nouveau curriculum est d'amener les élèves à aimer les mathématiques. Concernant la définition des compétences, monsieur RM a précisé que l'absence dans le programme de compétences purement mathématiques se justifie par le fait que celles-ci n'y sont pas considérées comme une finalité en soi. Les mathématiques sont présentes dans le programme pour répondre à un besoin. Le choix de la compétence Résoudre une situation-problème se justifie, d'après notre interlocuteur, par la faiblesse des élèves au niveau de la résolution de problèmes. Pour les enseignants, monsieur RM explique que c'est dans les sections Éléments de méthode et Repère culturel que l'enseignant peut trouver certaines notes pédagogiques. Il précise que la section Repère culturel vise à inciter les enseignants à parler de l'histoire des mathématiques dans le but d'encourager les élèves à aimer cette discipline. Concernant la formation des enseignants, notre interlocuteur soulève la difficulté des professeurs à monter des situations d'apprentissage lors des sessions de formation offertes par le ministère. Il en renvoie la responsabilité au milieu universitaire qui d'après lui ne suit pas de près l'évolution amenée par la réforme. Il ressort des propos de monsieur RM que la géométrie a encore sa place dans les programmes scolaires parce qu'elle permet le développement du raisonnement. Cependant, la philosophie de la nouvelle réforme veut qu'il n'y ait plus différents cours de mathématiques touchant l'algèbre, l'arithmétique, la géométrie, etc. mais plutôt un cours où tout est intégré. Nous voulons mentionner que lors de l'entretien avec monsieur RM, il nous a été difficile de l'amener à répondre explicitement aux questions qui nous préoccupaient. Visiblement, notre interlocuteur était mal à l'aise face à nos interrogations puisqu'il revenait à chaque fois aux grandes orientations sous-jacentes à la réforme.

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Analyse de l’entrevue réalisée auprès des deux auteurs de la collection Scénarios Concernant le Programme de formation de l’école québécoise, nos deux auteurs s’entendent pour dire que, comparé à l’ancien curriculum, celui du primaire accorde plus de place aux activités de manipulation qui pourront développer la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions. Cependant, ils déplorent le peu de précisions dans ce curriculum, autant au primaire qu’au secondaire, qui pourrait guider les auteurs de manuels et les enseignants à ce sujet. Ils ajoutent que sur les trois pages qui touchent la géométrie dans le programme, il y a très peu d’éléments sur le sens spatial et qu’il n’y est question que d’activités de représentation d’objets tridimensionnels sur une feuille de papier. Ils perçoivent ce manque d’information comme une source d’ambiguïté, voire un handicap lors de la rédaction des manuels scolaires. D’ailleurs, ils précisent qu’une documentation personnelle au sujet de la visualisation en géométrie dans l’espace et dans le plan est nécessaire. Cette documentation, les a encouragé à proposer des activités qui amènent les élèves à sortir de la classe ou à bouger dans la classe, tout en sachant qu’elles sont perçues comme informelles par les enseignants et que leur réalisation ne tient qu’à leur bonne volonté. Quant à la répartition des objectifs par cycle, nos auteurs expliquent que les concepts et les processus sont donnés mais qu'il leur appartient de décider ce qu'ils mettent en première année du cycle et ce qu'ils gardent pour la deuxième année.Pour cette fin, ils se laissent guider par les acquis des élèves au primaire et par les prérequis aux concepts à considérer. Ils ajoutent qu'ils prenaient aussi en considération ce que faisaient les enseignants du secondaire pour ne pas amener trop de changements. Ils confient que le programme écrit par cycle leur a permis d'introduire certains concepts plus tôt sachant que l'élève dispose de deux ans pour les saisir.

CONCLUSION À propos des curriculums, il ressort des analyses faites précédemment que le Programme de formation de l'école québécoise pour le premier cycle du secondaire ne porte pas une quelconque attention au développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. Comparé à l’ancien curriculum, on peut noter un certain recul concernant l’attention portée au développement de cette compétence. À propos des manuels scolaires, il est réconfortant de voir qu'il existe, dans les deux collections correspondantes au nouveau curriculum du premier cycle du secondaire, quelques situations susceptibles de développer chez les élèves la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. Cette initiative vient compenser les lacunes présentes dans le curriculum en question. Cependant, tout comme dans les collections correspondantes à l'ancien curriculum, les activités proposées ne sont ni en nombre suffisant ni assez variées. Ce qui n'est pas étonnant puisque les deux curriculums n'insistent pas là-dessus. En dépit de cela, des améliorations sont notables. Espérons que cela continue! Malgré les bonnes initiatives que nous avons relevées au niveau des nouvelles collections de manuels scolaires, il apparaît clairement que des mises au point sont encore nécessaires. Celles-ci ne pourront avoir lieu que si les auteurs prennent conscience de l'importance de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, de son développement à long terme, et de la nécessité de varier et de multiplier les activités qui faciliteront son développement chez les élèves.

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Références LESH, R. (1979). Mathematical learning disabilities: Conderations for identification, diagnosis, and remediation. In R. Lesh, D. Mierkiewicz, & M. G. Kantowski (eds.), Applied mathematical problem solving. Columbus, Ohio : ERIC/SMEAC.

Collection Carrousel mathématique. Montréal : Les Éditions CEC inc.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, Tome 2, (1993), rédigés par G. Breton, C. Bourdeau, et J. G. Smith.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, Tome 1, Tome 2, (1994), rédigés par G. Breton, C. Bourdeau, et J. G. Smith.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 3, Tome 1, Tome 2, (1995), rédigés par G. Breton, C. Bourdeau, et J. G. Smith.

Collection Croisières mathématiques. Montréal : Guérin.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, Tome 2, (1993), rédigés par L. Chagnon et al. Sous la direction de M. Drolet et H. Rochette.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, Tome 2, (1994), rédigés par R. Brunet et al. Sous la direction de M. Drolet et H. Rochette. Collection Dimensions mathématique 116, 216. Montréal : Les Éditions du Renouveau Pédagogique inc.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, Tome 2, (1993), rédigés par P. Patenaude et L. Viau.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, Tome 2, (1994 - 1995), rédigés par I. Jordi, P. Patenaude et C. Warise.

Collection Les maths et la vie. Montréal : Les Éditions Brault et Bouthillier inc.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, (1993), rédigés par S. Maurer, A. Lopez, et C. De La Grange.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, (1994) rédigés par S. Maurer et al.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 3, (1995) rédigés par S. Maurer et al.

Collection Mathophilie. Montréal : Guérin.

Manuel et guide d'enseignement Mathématique 416, Tome 2, (1997), rédigés par L. Lafortune et collaborateurs.

Manuel et guide d'enseignement Mathématique 436, Tome 2, (1998), rédigés par L. Lafortune.

Manuel et guide d'enseignement Mathématique 514, Tome 1, (1998), rédigés par L. Lafortune.

Manuel et guide d'enseignement Mathématique 536, Tome 2, (1998), rédigés par L. Lafortune et collaborateurs.

Collection Panoram@th mathématique. Montréal : Les Éditions CEC.

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Maha BELKHODJA

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Manuel A et Guide en un coup d'œil A, volume 1, volume 2, premier cycle du secondaire (2005), rédigés par R. Cadieux, I. Gendron et A. Ledoux.

Collection Perspective mathématique. Montréal : Les Éditions Grand Duc – HRW.

Manuel de l’élève A, Manuel de l'enseignant A volume 1, volume 2, (2005), premier cycle du secondaire, rédigés par S. Guay, J. C. Hamel et S. Lemay. Collection Réflexions mathématiques. Montréal : Les Éditions CEC inc.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 4, 436, Tome 2, (1997), rédigés par G. Breton, A. Deschênes et A. Ledoux.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 5, 536, Tome 2, (1999), rédigés par G. Breton et collaborateurs. Collection Regards mathématiques. Montréal : Les Éditions CEC inc.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 4, 416, Tome 1, Tome 2, (1997), rédigés par G. Breton et collaborateurs.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 5, 514, Tome 2, (1997), rédigés par G. Breton, É. Breton et M. Dufour, sous la direction de S. Légaré. Collection Scénarios. Montréal : chez Les Éditions HRW.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, (1993 - 1994), rédigés par M. Soulière et J. G. Thibaudeau.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, (1994), rédigés par S. Guay et S. Lemay.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 3, Tome 1, Tome 2, (1995 - 1996), rédigés par S. Guay et S. Lemay.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 4, 416, Tome 1, Tome 2, (1997 - 1998), rédigés par S. Guay et S. Lemay.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 4, 436, Tome 1, Tome 2, (1997 - 1998), rédigés par S. Guay et S. Lemay.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 5, 514, Tome 1, (1998 - 1999), rédigés par S. Guay, J. C. Hamel et S. Lemay. Collection Univers mathématique. Montréal : Les Éditions LIDEC inc.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, 2e édition, Module B, (1994 – 1995), rédigés par J. Assouline, C. Buzaglo et G. Buzaglo.

Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 3, (1995), rédigés par J. Assouline, C. Buzaglo et G. Buzaglo. Programme d'études Mathématique 116 – enseignement secondaire (1993). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec.

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Programme d'études Mathématique 216 – enseignement secondaire (1994). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec. Programme d'études Mathématique 314 – enseignement secondaire (1995). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec. Programme d'études Mathématique 416 – enseignement secondaire (1996). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec. Programme d'études Mathématique 436 – enseignement secondaire (1996). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec. Programme d'études Mathématique 514 – enseignement secondaire (1997). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec. Programme d'études Mathématique 536 – enseignement secondaire (1997). Québec : Ministère de l'Éducation du Québec. Gouvernement du Québec. Programme de formation de l’école québécoise (2004). Enseignement secondaire, premier cycle. Version approuvée. Québec : Ministère de l’Éducation du Québec. Gouvernement du Québec.

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La réforme actuelle : analyse des effets de son introduction sur la formation des futurs maîtres

Helena Boublil, professeure, didactique des mathématiques, Université Laval

Le contexte de la réforme de l’école québécoise (MEQ, 2002) impose de nombreux changements relatifs à l’organisation des apprentissages. En tant que formatrice des maîtres, je me suis intéressée à l’enjeu que ce changement représente pour la formation didactique des futurs maîtres. Lors de mes études doctorales, j’ai pu concevoir et évaluer les apprentissages des futurs maîtres et vérifier en même temps l’impact de la formation que je propose sur le travail pratique des futurs enseignants (en analysant leurs travaux de session et en les observant lors des stages). Dans cette communication, je ne traiterai qu’un des aspects de formation lié au contexte actuel de changement de programmes en décrivant les moyens didactiques utilisés pour expliciter la nouvelle approche et en m’arrêtant sur la description du contenu disciplinaire présenté par les programmes et sur la démarche entreprise dans le cadre de formation pour préciser cette description. Dans la première partie, je présenterai l’enjeu du changement de programmes pour la formation didactique des futurs maîtres. Ensuite, je décrirai brièvement le début de mon questionnement en ce qui concerne la compréhension qu’ont les étudiants de la nouvelle approche et ma recherche de moyens didactiques plus appropriés dans le cadre de formation didactique à l’enseignement des mathématiques au primaire. La description de ces activités de formation a déjà fait partiellement l’état de mes communications précédentes (GDM-2001, ACFAS-2004, GDM-2005). La troisième partie sera consacrée aux activités de formation visant à permettre aux futurs maîtres d’analyser et de préciser la description du contenu disciplinaire présenté par les programmes et d’avoir une conception globale des apprentissages géométriques visés par l’enseignement primaire.

I. Contexte de changement de programmes Le développement des compétences incite l’école à une centration sur la formation de la pensée, sur les démarches d’apprentissage de l’élève et sur le sens des savoirs en lien avec leurs contextes et leurs conditions d’utilisation (Legendre, 2000). L’exigence des nombreux changements que doivent effectuer les enseignants dans leur métier présente un facteur crucial de la réussite du nouveau programme. Et cela exige la modification de la manière d’enseigner. Nos futurs enseignants sont-ils outillés pour effectuer ces changements? Sont-ils capables de construire des liens entre le contenu notionnel et les compétences à développer? Dans le cas contraire, ils risquent de ne pas changer significativement leur pratique. Tardif (2001) nous indique qu’« en l’absence de telles interventions, l’axe des compétences pourrait offrir aux élèves des rencontres agréables et satisfaisantes avec des informations et des savoirs sans qu’il en résulte la moindre connaissance nouvelle ». Cependant, les programmes laissent à la charge des enseignants la recherche de solutions et la gestion des interactions entre les variables principales du système didactique maître-élève-savoir. C’est à l’enseignant de prendre le contrôle des choix didactiques pour organiser son enseignement. La question que posent les futurs enseignants est « Comment? » Ce contexte de changement de programmes suscite de nombreuses questions, plus générales, concernant l’explicitation de compétences visées par le ministère de l’Éducation et, plus précises, qui touchent l’enseignement de la géométrie et l’organisation des apprentissages selon cette nouvelle approche. Legendre (2000, p. 12) précise que le programme n’impose pas aux enseignants des manières de faire, car « l’enseignant, en tant que professionnel, doit bien sûr posséder certains savoirs, notamment des savoirs disciplinaires, pédagogiques et didactiques ». Cette auteure souligne que la conception de l’apprentissage doit permettre à l’enseignant de clarifier le sens que le programme attribue à l’approche par compétences.

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En tant que formatrice des maîtres, je me suis interrogée sur les moyens didactiques permettant d’outiller les futurs enseignants pour effectuer les changements planifiés par la réforme.

II. Les effets de l’introduction de la notion de compétence

1. Première étape Ekimova, H. et J. Portugais (2001). « L’emploi de manuels scolaires et du référentiel des compétences par de futurs enseignants en enseignement de la géométrie au primaire »), GDM - 2001, UdM, Montréal. À l’année d’apparition de la version provisoire du nouveau programme (2000), j’ai pu mesurer le défi que représente son application par les futurs enseignants. Comme travail de session, je leur avais proposé l’analyse des activités des manuels du point de vue du développement des compétences visées par ce programme. Une liste de critères a été proposée en tant qu’outil d’analyse. On y retrouve une vingtaine de questions permettant l’analyse de la mise en situation, du contexte de réalisation de l’activité, des collections des objets, de consignes, du vocabulaire, de schémas, de certains aspects didactiques (anticipation des réponses, transfert de responsabilités, etc.). Quant aux compétences, les questions suivantes ont été posées : - Quelle compétence est appuyée (ou contrée) par votre extrait de manuel scolaire? Pourquoi? - Quelles composantes de cette compétence retrouvez-vous (ou ne retrouvez-vous pas)? - Comment pouvez-vous améliorer la présentation et la réalisation de cet extrait?

J’ai également demandé de prévoir des modifications (si nécessaire) des tâches pour les rendre plus cohérentes avec les compétences ciblées. Autant que possible, il fallait chercher à utiliser le plus de critères possibles pour enrichir l'analyse de l’activité choisie. De même, d'autres critères pouvaient être ajoutés à cette liste.

À cette première année de formation dans le nouveau contexte de changement de programmes, je voulais savoir comment les futurs enseignants se familiarisaient avec le contenu de ce programme, comment ils en tenaient compte dans l’analyse des séquences d’enseignement et comment leurs connaissances géométriques et didactiques les outillaient pour modifier les activités afin de donner plus d’ampleur au développement des compétences visées. L’analyse de travaux de session de l’année 2000 (d’environ 200 étudiants) m’a permis d’observer et de décrire certains phénomènes provoqués par les facteurs suivants :

a) Généralisation abusive du concept de compétence dans l’analyse d’une activité mathématique.

Les étudiants examinent le programme d’études, ils assimilent les parties de manifestation à ce que l’élève doit effectuer dans une activité et, de cette manière, ils déterminent la composante et la compétence respectivement. Ils ne vont pas plus loin pour analyser et voir effectivement l’ensemble des manifestations et leur concordance57. Dans la première version du programme d’études du primaire, nous pouvions retrouver les manifestations semblables qui appartiennent aux différentes composantes et aux différentes compétences :

57 Selon Vergnaud (2001), il faut analyser l’activité en termes de buts, de règles, d’invariants et d’inférences. De plus, même si le but n’est pas pleinement conscient ou s’il y en a plusieurs dans la même activité, on peut toujours identifier une intentionnalité dans l’organisation de l’activité, avec son cortège de sous-buts et d’anticipations.

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- Dégage la tâche d’une situation (compétence 2, composante 3) - Dégage la tâche à réaliser (compétence 1, composante 1)

ou - Dégage la séquence d’actions permettant d’accomplir la tâche (compétence 2, composante

2) - Utilise des stratégies de résolution (compétence 1, composante 3)

ou - Compare sa solution à celle de ses camarades (compétence 1, composante 4) - Compare son processus personnel à celui de ses camarades (compétence 2, composante 2),

etc.

b) Difficultés à déterminer la compétence essentielle visée par l’activité d’apprentissage.

c) Repérage systématique de la compétence « Résoudre une situation-problème » dans la majorité des activités analysées58 .

Il faut reconnaître que les futurs maîtres ont été placés dans une situation particulière provoquant ce genre de généralisation.

d) Grande confiance dans les manuels scolaires59 .

La prégnance de manuels invite à une réflexion plus approfondie sur leur rôle dans les interactions didactiques entre les élèves, les enseignants et les objets de transposition didactique immédiate que l’on appelle les « nouveaux programmes ». L’analyse des résultats m’a amenée à la recherche de moyens didactiques plus appropriés d’introduction de la nouvelle approche dans le cadre de la formation des futurs maîtres. 2. Deuxième étape Ekimova, H. (2004). « Le passage du savoir géométrique au savoir d’enseignement », ACFAS – 2004, UQAM, Montréal.

Dans le but d’intégrer des connaissances didactiques et de développer des connaissances d’enseignement, j’ai créé des situations de formation qui devraient diriger les futurs maîtres vers l’élaboration progressive de l’outil d’analyse et de conception des situations d’enseignement/apprentissage (en comparaison avec l’année précédente où cet outil leur a été imposé).

En analysant les différentes collections de manuels, j’ai choisi plusieurs extraits permettant d’attirer l’attention du futur maître sur les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage et d’amorcer la discussion sur les propriétés du concept. Certains extraits ont exigé des étudiants la précision du

58 Les futurs enseignants font de nombreuses généralisations d’une certaine lecture du concept de la compétence. La compétence « Résoudre une situation-problème » se repère par eux dans la majorité des activités analysées. Le même phénomène est visible à l’intérieur même des manuels scolaires et des guides du maître. Chacune des tâches à accomplir est appelée « le problème ». Par conséquent, chacune des situations d’enseignement représente pour les futurs enseignants une situation-problème comme si chacune possédait les caractéristiques d’une situation-problème. 59 Les réponses des étudiants à un questionnaire proposé à la fin de la formation 2001 indiquent que le manuel scolaire est l’outil principal que les futurs enseignants utilisent pendant les stages et prévoient utiliser dans leur futur travail. Nos observations des stages (hiver 2001) démontrent que les stagiaires le suivent souvent point par point. Dans certains cas, nous pouvons même noter le rôle décisif des manuels scolaires dans les pratiques enseignantes. (Voir un exemple décrit dans Ekimova et Portugais (2001). La stagiaire décide de présenter telle quelle une activité tirée du manuel scolaire critiquée dans son travail de session et qui n’avait pas fonctionné dans un stage précédent.)

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langage géométrique employé par l’activité, de la consigne, du choix de figures proposées pour l’observation ou pour la classification, l’analyse de la pertinence du schéma de classification, tandis que d’autres ont été centrés sur la continuité des apprentissages ou sur l’absence des étapes nécessaires pour atteindre les objectifs, etc.

Cette analyse m’a permis en même temps de repérer les activités et les extraits où les différents savoirs géométriques pouvaient être mis en jeu afin de guider l’étudiant en formation à développer, réorganiser et consolider les connaissances géométriques. J’ai pu constater que l’utilisation des critères d’analyse pour l’organisation des apprentissages participe efficacement à la compréhension du contenu disciplinaire. Lors de la formation, j’ai observé comment l’intérêt pour l’étude épistémologique du contenu vient de l’analyse des activités et du questionnement didactique.

Voici quelques exemples portant sur l’élaboration de différents critères : phénomène de « guidage », pertinence du choix de figures, du vocabulaire, du schéma de classification et du contexte de réalisation.

Extraits Commentaires

Concerto 4 (p. 147)

- le phénomène de « guidage » : l’objet a est associé à un solide A, l’objet b – à un solide B, etc.

- la représentation graphique utilisée pose des difficultés de reconnaissance de l’objet b comme une pyramide à base carrée et de l’objet f comme une pyramide à base triangulaire (car l’objet réel n’est jamais de cette forme).

Bâtimath 5 (1991, p. 295)

- la différence peu visible de dimensions d’une figure (les petites différences de mesures de côtés (1-2 mm) des triangles 2 et 7 les distinguent de triangles équilatéraux), - le but de la classification (Le choix de triangles à classer est relativement « pauvre » : scalène rectangle (5, 6) et obtusangle (3), isocèle acutangle (2, 4, 7) et équilatéral (1 et 8)).

« Lexique mathématique » (Vincent, 1994, p. 172-173)

- la définition est fausse, car le triangle acutangle peut avoir les mesures égales des angles. (C’est le cas des triangles acutangles isocèles et équilatéraux).

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Extraits Commentaires

Bâtimath 5 (p.299)

La pertinence du schéma (Le diagramme utilise deux caractéristiques de classification des triangles : selon les côtés (scalène, isocèle, équilatéral) et selon les angles (rectangle). En analysant ce schéma, nous nous interrogeons sur les représentants de la classe « scalène » (Scalènes obtusangles et acutangles?) et de la classe « rectangle » (Scalènes rectangles?). En effet, l’ensemble « rectangle » doit chevaucher les classes « scalènes » et « isocèles ».

Mathématique 2 (p.3-4)

- But de l’activité, compétences visées Les questions 3 et 4 indiquent aux élèves ce qu’ils doivent observer en tant que « ressemblance » et « différence » et guident les élèves vers un seul classement déterminé par l’activité, ce qui réduit le caractère problématique de cette activité (car six différents classements sont possibles).

Si, l’enseignant désire faire vivre aux élèves une situation-problème, il est pertinent d’éliminer les questions 3 et 4 et le schéma de classification en laissant les élèves rechercher les différentes solutions de regroupement de ces trajets. (L’enseignant peut en tenir compte au cas où certaines équipes auraient des difficultés à classer les trajets. Il peut également les utiliser dans la phase d’institutionnalisation quand il va interpréter les mots employés par les élèves en termes géométriques.)

De ce type de travail, nous avons réussi à élaborer, avec les futurs enseignants, la même liste des questions qui pourront servir à orienter l’analyse des activités des manuels. Les critères élaborés par les futurs enseignants présentent la part technique du métier de l’enseignant et rendent possible l’étude de l’activité mathématique et sa transformation didactique. Ce savoir permet aux futurs enseignants de porter un regard critique sur les modèles d’enseignement avant de les appliquer en classe. C’est le moyen de réfléchir à la pertinence des activités par rapport aux connaissances que nous voulons faire acquérir aux élèves. 3. Troisième étape Ekimova-Boublil, H. (2005). « Le rôle des activités expérimentales dans la construction des concepts géométriques », GDM-2005, UQAM, Montréal Ma présentation au colloque de GDM-2005 a cherché à répondre à une des questions posées soit « Comment la manière d’aborder les concepts et processus mathématiques doit-elle évoluer du primaire au secondaire, pour que les raisonnements progressent jusqu'à rencontrer ces « exigences de rigueur, d'exactitude, de justification et de preuve? », caractéristiques de l'activité mathématique? »

non-simples

EA

CD

ouverts

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J’ai présenté une approche de l’enseignement introduite dans le cadre de formation didactique de futurs maîtres à l’enseignement de la géométrie au primaire. Son élaboration repose sur l’analyse didactique de différentes recherches sur les obstacles et les difficultés des élèves dans les apprentissages de la géométrie et dans la résolution de problèmes géométriques, ainsi que sur l’analyse des programmes ministériels, des manuels et des pratiques enseignantes.

À partir de deux cadres théoriques : les niveaux de la pensée géométrique de van Hiele (1959, 1986) et la notion de registres de représentation sémiotique de Duval (1995), j’ai représenté l’enseignement de la géométrie en tant qu’une structure qui réunit les objectifs de l’enseignement de la géométrie, la progression des apprentissages selon les niveaux de la pensée géométrique, la multiplicité et la coordination des registres de représentation et les différentes activités géométriques qui permettent d’atteindre les objectifs visés.

Afin de participer à la construction de cette conception des apprentissages chez les futurs maîtres, je leur ai proposé d’analyser les différentes collections de manuels scolaires (un manuel par équipe). Avec cette analyse, nous avons cherché à décrire la variété de situations proposées à l’étude de la géométrie, à les étudier selon les compétences visées, selon les objectifs de l’enseignement de la géométrie au primaire, à repérer celles qui sont centrées sur le développement de la visualisation et du langage, sur la construction des relations entre les propriétés et les figures et à analyser la coordination entre la visualisation et le langage dans une activité. Nous avons explicité l’enseignement de la géométrie au primaire en référence aux différentes expériences géométriques : manipulation, observation, construction, résolution de problèmes employés par l’enseignement primaire et au niveau du développement de la pensée géométrique (selon le modèle de van Hiele).

L’extrait tiré des tableaux construits montre comment les différentes activités exploratoires peuvent participer au développement progressif de la visualisation, du langage, du raisonnement, et à leur articulation dans la construction des concepts géométriques et dans la résolution des problèmes géométriques.

Situation de manipulation Situation d’observation Situation de construction

- Observer, comparer et décrire les solides selon la forme de leurs faces; Classer les solides selon la forme de leurs faces : planes et courbes; (choix du critère de classification, justification du choix) (; Introduire les noms de solides : cube, prisme, pyramide, cône, cylindre, boule et les noms de classes (« polyèdres » et « corps ronds ») -Évoquer tous les solides ayant la face donnée

- Observer les projections de différentes faces des solides (à l’aide d’un projecteur), nommer les figures obtenues; Décrire le solide selon la projection de leurs faces; - Évoquer tous les solides ayant la projection d’une forme donnée (valider par le tracé);

- Tracer les contours des solides (précision de tracés); Introduire les noms de figures planes : carré, rectangle, triangle, cercle, etc.; Décrire le solide selon les tracés; Évoquer tous les solides ayant le tracé donné (valider par le tracé);

Résolution de problèmes (quelques exemples permettant de mettre en jeu la variété des représentations, les processus mentaux et les démarches géométriques)

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- Toutes mes faces sont de la même forme. Qui suis-je? - J’ai des surfaces carrées et des surfaces triangulaires. Qui suis-je? *Évoquer le maximum de réponses possibles

- C’est l’une des projections de mes faces. Qui suis-je? *Évoquer le maximum de réponses - Est-il possible d’avoir le solide ayant les projections de ses faces de formes carrée et circulaire? Justifiez.

- Quel solide reconnais-tu selon les contours suivants :

*Évoquer le maximum de réponses

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III. Analyse de la description du contenu notionnel du PFEQ (2002)

Je décrirai maintenant comment la conception des apprentissages à long terme permet à l’enseignant de clarifier le sens que le programme attribue à l’approche par compétences et de préciser les visées du Ministère en ce qui concerne le contenu disciplinaire.

La première analyse du contenu géométrique des programmes ministériels fait ressortir que cette description ne présente pas toujours une structure cohérente qui tient compte des relations entre concepts et processus et de la progression des apprentissages. Des interventions didactiques dans le cadre de formation à l’enseignement doivent être menées pour outiller le futur enseignant étant donné le manque d’indications précises sur ces relations et sur leur incidence dans la progression des apprentissages.

Au début de l’étude de chaque notion géométrique, nous avons repris quelques descriptions de savoirs essentiels en demandant aux étudiants d’expliciter ce qu’ils comprennent de chacune.

Donnons en tant qu’exemple le premier élément de la section « Solides » : Comparaison et construction : prisme, pyramide, boule, cylindre, cône.

Les étudiants ont nommé quelques activités qui ont fait partie des analyses précédentes et qui pouvaient être associées à cette description : observer, comparer et décrire les solides selon la forme de leurs faces; construire les solides à l’aide de pailles et pâte à modeler; construction de développement de solides; etc.

Ce type de travail nous a amené à préciser la description de savoirs essentiels nécessaires selon quatre aspects suivants : continuité et logique des apprentissages, liste des savoirs visés, précision des descriptions et homogénéité de description.

1. Continuité et logique des apprentissages

Reprenons la question posée aux futurs maîtres concernant la « Comparaison et construction : prisme, pyramide, boule, cylindre, cône ». Lier ces deux activités (comparaison et construction) ne permet pas de voir qu’elles ont des enjeux différents et que chacune possède sa propre séquence de développement. Pour ce qui est de la comparaison, au début des apprentissages, on observe, compare, décrit les différents solides selon leur apparence, la forme de leurs faces latérales et leurs bases; on introduit les noms de solides (cube, prisme à base carrée, pyramide à base carrée, cône, cylindre, sphère, etc.). Ensuite, on les regroupe selon leurs caractéristiques communes et celles qui les distinguent; puis, on nomme les classes (par exemple : polyèdres et corps ronds, ou prismes et pyramides, etc.) Quant à la construction des solides, cette activité dans ses différentes formes met en jeu différentes connaissances géométriques. Par exemple, la construction des solides à l’aide de pâte à modeler travaille la forme de solides; celle avec les pailles et la pâte à modeler amène à l’introduction de nouveaux termes : arêtes et sommets (la question de l’impossibilité de construire les corps ronds avec les pailles s’impose et amène à l’identification d’une propriété qui les distingue de polyèdres) et peut mettre en jeu la demande du matériel (nombre de pailles, grandeur) nécessaire pour la construction. La construction de développement de solides met en jeu les propriétés de figures planes qui constituent les faces planes et courbes de solides. Si le programme est muet sur ces progressions, il revient à la formation didactique d’outiller le futur enseignant en conséquence.

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2. Liste des savoirs :

- Par exemple, l’élément « Identification des figures planes » est présent dans la description des savoirs essentiels, mais celui des solides est absent.

- Le savoir de reconnaissance des objets géométriques n’apparaît pas dans le contenu prescrit que pour le développement de polyèdres convexes. Quant à l’identification des figures planes telles que le parallélogramme, le trapèze, les polygones concaves et à la reconnaissance des solides (selon leurs projections, selon leurs empreintes, etc.), des mouvements de déplacement, de réflexion, de changement de la direction, etc., ces activités, qui sont importantes pour le développement de la visualisation (et de l’imagination spatiale) de l’élève, sont absentes du contenu des programmes.

- L’étude des angles qui est indispensable pour l’identification, la classification et la construction des figures est absente.

3. Précision des descriptions :

- Dans la description « Construction de lignes parallèles, perpendiculaires », nous ajoutons « construction de segments, de segments congrus, d’angles : aigus, obtus », car ces éléments sont des préalables pour la construction des polygones (carré, rectangle, losange, triangle isocèle, triangle équilatéral, etc.);

- Dans la « Description des triangles : triangle rectangle, triangle isocèle, triangle scalène, triangle équilatéral », les étapes de comparaison, d’identification de segments congrus, d’angles congrus, d’angles droits, aigus ou obtus, sont absentes.

- Dans la « Classification des quadrilatères » et « Classification des triangles », il faut préciser de quel type de classification il s’agit, car les futurs enseignants n’ont pas une idée claire sur les activités de classification.

- Quant à la construction des figures planes, il faut préciser le type d’activité : représentation graphique (dessin général, à la main), reproduction d’un dessin, construction d’une figure et l’associer au cycle d’enseignement. Ces activités ont chacune des enjeux différents : connaissance de la forme (et de propriétés) et de relations entre les propriétés, report des mesures, coordination de la représentation et de la description, développement des techniques de tracés associées à un vocabulaire géométrique, etc.

4. Homogénéité des descriptions :

La forme de descriptions des savoirs essentiels n’est pas homogène. On y retrouve la description en termes de processus (comparaison, description, classification, etc.), des attributs (nombre de faces, base) ou encore « Étude du cercle ». Nous avons tâché d’uniformiser la description des savoirs selon les concepts (solides, figures planes, etc.) et selon les processus.

Je présente en tant qu’exemple l’extrait de modifications apportées au contenu des programmes portant sur les solides. La première colonne du tableau ci-bas correspond à la description des savoirs essentiels géométriques tirée d’un programme ministériel, et la deuxième colonne correspond à la description modifiée60. Ces savoirs, et dans cet ordre (en général), sont mis en jeu dans les activités de formation dans le contexte de préparation à l’enseignement de la géométrie au primaire. 60 Toutes les modifications apportées sont en caractères gras.

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NOUVEAUX PROGRAMMES (2002) NOS PROPOSITIONS (2002)

SOLIDES - Comparaison et construction : prisme,

pyramide, boule, cylindre, cône - Comparaison des objets de l’environnement

aux solides - Attributs (nombre de faces, base): prisme,

pyramide - Classification de prismes et de pyramides - Description de prismes et de pyramides à

I’aide de faces, de sommets, d’arêtes - Reconnaissance du développement de

polyèdres convexes - Expérimentation de la relation

d’Euler (relation entre les faces, les sommets et les arêtes d’un polyèdre convexe)

- Développement de prismes et de pyramides Vocabulaire à acquérir (I) solide, base d’un solide, cube, prisme, pyramide, cône, cylindre, boule, face

(II) arête, sommet, corps rond, développement d’un solide, surface, surface

courbe, surface plane (III) Polyèdre, polyèdre convexe, relation d’Euler

- Comparaison, description et identification de solides : prisme, pyramide, cylindre, cône, boule (forme et nombre de faces, de bases)

- Identification et association des solides aux objets de l’environnement

- Classification des solides selon la forme de leurs faces (« roule et glisse », planes et courbes, prismes et pyramides, polyèdres et corps ronds)

- Reconnaissance des solides selon les empreintes et les projections de leurs faces et évocation des formes des empreintes ou des projections de différents solides

- Représentation graphique de différentes vues de solides (de face, de droite, de haut) et reconnaissance des solides selon la représentation de différentes vues

- Reconnaissance des coupes (horizontale, verticale, oblique) des solides et évocation de formes des coupes de différents solides

- Construction (pailles et pâte à modeler) et description de solides : prisme, pyramide à l’aide de faces, de sommets, d’arêtes (choix de nombre et de grandeurs de pailles, nombre de boules de pâte)

- Expérimentation de la relation d’Euler (relation entre les faces, les sommets et les arêtes d’un polyèdre convexe)

- Reconnaissance du développement de polyèdres convexes

(prisme et pyramide) et de corps ronds (cône et cylindre) - Construction de développement de prismes et de

pyramides (développement de corps ronds : cylindre et cône - facultatif)

Vocabulaire à acquérir (I) solide, base d’un solide, cube, prisme, pyramide, cône, cylindre, boule, face

(II) arête, sommet, développement d’un solide, surface, surface courbe, surface plane, corps rond, polyèdre

(III) solide tronqué, polyèdre convexe/concave, relation d’Euler

L’analyse des aptitudes visuelles, langagières et des savoir-faire nécessaires pour le développement géométrique, des compétences visées par le programme ministériel et du contenu notionnel nous a permis de les associer, selon la progression, aux niveaux de développement de la pensée géométrique de l’élève selon le modèle de van Hiele (1959/1986): visuel, descriptif/analytique et abstraction/relationnel. (Voir le tableau ci-bas)

Il convient de rappeler que cette appellation (visuel, descriptif/analytique et abstraction/ relationnel) spécifie le niveau où se situe l’action essentielle de l’élève (reconnaître, décrire, établir des relations) et le raisonnement employé. Le développement de la visualisation et du langage ne s’arrête pas aux niveaux visuel et descriptif.

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Niveau de développement Savoirs essentiels

Niveau I visuel

Niveau II descriptif/ analytique

Niveau III abstraction/ relationnel

Solides - Comparaison, description et identification de solides : prisme,

pyramide, cylindre, cône, sphère (forme et nombre de faces, base) - Comparaison des objets de l’environnement aux solides - Classification des solides selon la forme de leurs faces (« roule et

glisse », planes et courbes, prismes et pyramides, polyèdres et corps ronds)

- Reconnaissance des solides selon les empreintes et les projections de leurs faces et évocation des formes des empreintes ou des projections de différents solides

- Représentation graphique de différentes vues de solides (de face, de droite, de haut) et reconnaissance des solides selon la représentation de différentes vues

- Reconnaissance des coupes (horizontale, verticale, oblique) et évocation de formes des coupes de différents solides

- Construction (pailles et pâte à modeler) et description de solides : prisme, pyramide à l’aide de faces, de sommets, d’arêtes (choix de nombre et de grandeurs de pailles, nombre de boules de pâte)

- Expérimentation de la relation d’Euler (relation entre les faces, les sommets et les arêtes d’un polyèdre convexe)

- Reconnaissance du développement de polyèdres convexes (prisme et pyramide) et de corps ronds (cône et cylindre)

- Construction de développement de prismes et de pyramides (développement de corps ronds : cylindre et cône - facultatif)

∗ ∗ ∗ ∗ ∗ ∗

∗ ∗ ∗ ∗ ∗ ∗ ∗ ∗

∗ ∗ ∗ ∗ ∗ ∗ ∗

POUR CONCLURE La question de moyens didactiques d’organisation de formation des futurs maîtres a été posée à plusieurs reprises par la communauté didactique du Québec. En tant que formatrice des maîtres, je me suis intéressée à cette problématique. Dans la présente communication, j’ai fait une brève description de quelques mesures prises par le formateur dans le cadre de préparation des futurs maîtres à l’enseignement de la géométrie. Pour plus d’informations, le lecteur intéressé peut se référer à Ekimova-Boublil (2005).

RÉférenceS

Duval, R. (1995). Sémiosis et pensée humaine : registre sémiotique et apprentissages intellectuels, Berne : Peter Lang.

Legendre, M.-F. (2000). La logique d’un programme par compétences, Conférence donnée pour le MEQ, le 2mai 2000.

MEQ (2002). Programme de formation de l'école québécoise. Enseignement primaire. [En ligne]. http://www.meq.gouv.qc.ca/lancement/prog_formation/index.htm. (Page consultée le 1 septembre 2002)

Van Hiele, P.M. (1959/1985). The child’s thought and geometry, In D. Fuys, D. Geddes & R. Tischler (Eds.), English translation of selected writing of Dina van Hiele-Geldof and Pierre M. van Hiele, Brooklyn, NY: Brooklyn College, School of Education, 1985, 243-252, (ERIC Document reproduction Service n. 289 697).

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France CARON et Sophie RENÉ de COTRET

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Un regard didactique sur l’évaluation en mathématiques :

genèse d’une perspective

France Caron et Sophie René de Cotret

Université de Montréal

Résumé : L’introduction d’un curriculum par compétences dans l’enseignement obligatoire au Québec a engendré de nombreux débats; certains groupes d’opinions vantent les mérites de cette réforme, d’autres la décrient. Dans ce contexte, la question des relations entre compétences et connaissances apparaît particulièrement sensible et devient encore plus aiguë lorsqu’il est question d’évaluation. On craint souvent que l’introduction des compétences n’entraîne une perte au niveau des connaissances et des savoirs. Mais se demande-t-on ce que ces compétences pourraient apporter de plus aux connaissances et aux savoirs? Notre travail avec des conseillers pédagogiques et des enseignants au deuxième cycle du secondaire nous a amenées, par la force des choses, à étudier cette question et à y proposer quelques éléments de réponse. En effet, le travail didactique que sollicite la mise en place de situations pour l’apprentissage et l’évaluation des compétences nous a conduites à mettre en lumière certains aspects de l’activité mathématique qui ont reçu une attention variable selon les tendances curriculaires ou qui correspondent à des pratiques émergentes.

INTRODUCTION

Dans le tumulte qui caractérise l’implantation du « renouveau pédagogique », l’évaluation constitue une préoccupation récurrente. On s’inquiète souvent de perdre de vue les connaissances dans cette nouvelle évaluation des compétences où chacun se voit contraint de plonger. Mais dans quelle mesure évaluait-on les connaissances avant? À quelle conception des connaissances une telle évaluation se rapportait-elle? Ce questionnement déborde d’une vision strictement docimologique de l’évaluation et renvoie à un cadre didactique au creuset duquel se fondent des perspectives épistémologiques et curriculaires. À partir de notre expérience d’accompagnement de conseillers pédagogiques et d’enseignants au deuxième cycle du secondaire dans l’appropriation des nouveaux programmes de mathématiques, le besoin d’examiner plus à fond le rapport connaissance-compétence dans un cadre évaluatif s’est imposé à nous. De cet examen, une réflexion sur les pratiques mathématiques et leur transposition dans le contexte scolaire a permis de mieux cerner les enjeux associés à l’introduction de l’évaluation des compétences mathématiques à l’école secondaire. En particulier, l’analyse que nous avons menée, avec les enseignants, de diverses situations d’évaluation et des productions d’élèves associées, a mis en lumière une diversité de conceptions tant en ce qui a trait aux pratiques mathématiques qu’à la possibilité de leur mise en œuvre à l’école. Elle a aussi fait ressortir la nécessité de partager, au-delà d’un vocabulaire commun, un usage commun de ce vocabulaire à travers les différents contextes où il s’avère éclairant.

Après avoir précisé en quoi la connaissance est indissociable de la compétence, nous tenterons de décrire ce que pourrait apporter de nouveau dans la réalité de la classe une prise en compte des compétences mathématiques dans l’évaluation. Cela pourrait signifier une présence accrue de certaines activités fondamentales au développement d’un rapport éclairé au savoir mathématique, ainsi qu’une

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meilleure préparation à la réalité des pratiques mathématiques actuelles dans les différentes sphères de la société. Une telle éventualité nous conduit à souhaiter que l’évaluation se développe davantage comme objet de recherche en didactique.

DES CONNAISSANCES EN MATHÉMATIQUES

L’introduction du nouveau curriculum par compétences, d’abord au primaire puis au secondaire, bouleverse depuis près de dix ans le milieu de l’éducation au Québec; ce phénomène s’observe ailleurs dans le monde où des programmes semblables sont ou ont été mis en œuvre (ex. Suisse, France, Belgique). Plusieurs questions ont été soulevées et, parmi celles-ci, celle de la place réservée aux connaissances occupe encore une place importante. La raison en est que l’introduction des compétences semble, pour certains, se faire au détriment des connaissances ou des savoirs, et, pour d’autres, se superposer aux connaissances, ce qui pose alors un problème de temps. Bien sûr, le programme souligne leur complémentarité dans l’apprentissage et le développement de l’élève : « Connaissances et compétences ne s’opposent pas : elles se complètent. Les compétences sont des ressources essentielles qui permettent d’agir adéquatement dans une situation complexe (…). Ainsi, les savoirs utiles à l’exercice d’une compétence sont ceux qui ont été construits par un élève intellectuellement actif (…) » (Gouvernement du Québec, 2004, pp. 9-10). Mais l’évaluation semble cibler de premier chef les compétences : « Dans cette perspective, l’évaluation amène les enseignants à reconnaître le niveau de développement des compétences des élèves par rapport aux attentes de fin de cycle de chacune des disciplines. » (Gouvernement du Québec, 2004, p. 10). Il n’est donc pas étonnant que ce message soit alors interprété par plusieurs comme un abandon des connaissances ou, tout au moins, leur relégation à un plan accessoire.

Nous avons ainsi été interrogées sur la place réservée aux connaissances dans ce programme qui vise le développement de compétences et, plus spécifiquement, dans l’évaluation des apprentissages. Ce questionnement légitime, qui venait d’enseignants et de conseillers pédagogiques, nous faisait nous confronter à la question de l’évaluation, laquelle, convient-il de le reconnaître, a été relativement peu traitée par la didactique des mathématiques francophone.

L’évaluation: Un problème pour la didactique des mathématiques? L’évaluation des connaissances ou des compétences est-elle un objet ou un champ d’étude qui concerne ou intéresse la didactique ? Rappelons d’abord que la didactique des mathématiques étudie les conditions de la diffusion des connaissances et des savoirs mathématiques. Cette définition semble faire consensus, que l’on se place dans le cadre de la théorie anthropologique du didactique ou dans celui de la théorie des situations didactiques. Comme le notent Brousseau et Christol (2000, p. 55) : « La didactique des mathématiques devrait donc englober l’ensemble des recherches sur la diffusion des connaissances mathématiques. »

La théorie des situations didactiques cherche à modéliser cette diffusion, d’une part pour en décrire le fonctionnement et, d’autre part, pour tenter de le reproduire en classe et éventuellement l’améliorer. Mais, comment savoir s’il y a bel et bien eu diffusion, s’il y a eu développement de connaissances, si les apprentissages ont permis la compréhension des savoirs en jeu? On peut dès lors se demander s’il est possible de savoir ou de connaître sans comprendre en mathématiques. Par exemple, que sait-on du théorème de Pythagore si on en produit ceci :

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Pas grand chose ! Une telle production, aussi emblématique du célèbre théorème soit-elle, ne permet pas de conclure que son producteur « sait » le théorème de Pythagore. Pour conclure que quelqu’un sait, nous proposons qu’il doive comprendre, c’est-à-dire qu’il soit « capable de reconnaître des occasions d’utiliser le savoir » (Brousseau, 1988, p.49). Par exemple, utiliser ce théorème pour en déduire que l’hypoténuse est nécessairement le plus grand côté du triangle rectangle ou utiliser d’autres connaissances (ex. la similitude ou les transformations géométriques) pour expliquer la généralité et la validité de ce théorème.

Savoir, c’est plus que connaître une technique, un algorithme ou une formule. C’est aussi connaître les conditions de son utilisation, c’est-à-dire savoir quand l’utiliser et quand ne pas l’utiliser. C’est aussi pouvoir trouver de nouvelles utilisations. Savoir, c’est utiliser pour réciter et calculer certes. Mais c’est aussi utiliser pour résoudre, organiser, questionner et critiquer. C’est encore utiliser pour prouver, valider, invalider, vérifier. Quand on sait, on peut aussi utiliser son savoir pour jouer, imaginer ou inventer. On l’utilise aussi pour modéliser, prédire, expliquer, sans oublier pour appliquer, décider, intervenir. On peut même utiliser son savoir pour intégrer d’autres savoirs et pour ouvrir à d’autres apprentissages.

En fait, les différents types d’utilisations sont au cœur des apprentissages et viennent en quelque sorte déterminer la signification et les règles d’usage. Pour Vergnaud (1990), par exemple, le concept est formé, entre autres, de l’ensemble des situations ou des tâches qui donnent du sens au concept, la signification étant ainsi intimement liée à l’action. Dans le même ordre d’idée, Wittgenstein propose que « la signification est l’usage », qu’elle émerge de l’usage, et que des règles (ou régularités) peuvent alors en être tirées (Voizard, 2001). Ainsi les règles ne sont pas là au départ, mais elles se constituent par l’usage. Liées aux pratiques, elles sont socialement instituées et partagées.

Dans un système où l’évaluation repose de façon importante sur des épreuves standardisées, et où l’enseignant est lui-même évalué en fonction de la performance de ses élèves à de telles épreuves, on constate sans surprise que les tâches avec lesquelles se fait l’évaluation d’un savoir déterminent le type d’utilisation qui sera privilégié et que, de cette utilisation, découleront pour les élèves la signification et les règles d’usage de ce savoir. Dans un tel scénario, il apparaît clair que la didactique doit s’intéresser à l’évaluation puisque celle-ci a une incidence considérable sur les utilisations des savoirs et, ce faisant, sur leur compréhension.

Y a-t-il des types d’utilisations privilégiés par l’introduction des compétences? Si l’on admet que « savoir » englobe nécessairement la compréhension et donc la capacité à reconnaître des occasions d’utilisation du savoir, alors qu’apportent les compétences que n’apportent pas les savoirs ?

Nous proposons que les compétences élargissent potentiellement les types d’utilisation du savoir dans l’institution scolaire. C’est-à-dire que certaines fonctions protomathématiques du savoir (Chevallard, 1985) pourraient être plus explicitement prises en compte et développées dans une perspective de compétences. On peut penser, par exemple, à modéliser, formuler des conjectures, prouver, qui font partie de l’activité mathématique sans être spécifiques à un savoir donné ; dans ces cas, l’idée de compétence permet de diriger de temps à autre l’attention sur chacune de ces utilisations. Mais, comme les utilisations privilégiées demeurent subordonnées aux situations d’évaluation, le potentiel évoqué ne

a2+b2=c2

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s’actualisera vraiment que dans la mesure où les pratiques d’évaluation solliciteront régulièrement ces « nouveaux » types d’utilisation du savoir.

Quelles pratiques d’évaluation convient-il donc de mettre en place? Les « nouveaux » types d’utilisation du savoir le sont-ils vraiment? Pour tirer parti de ce qui a pu se faire avant, il convient d’étudier ce qu’on évaluait de l’activité mathématique dans les précédents programmes, avant que tout ne soit ramené sous le label de compétence.

L’ÉVOLUTION DES PROGRAMMES DE MATHÉMATIQUES AU SECONDAIRE

Des objectifs aux compétences

On décrit souvent l’approche par compétences comme une véritable révolution qui ébranlerait profondément à la fois le milieu scolaire, tenu d’en assurer le développement et l’évaluation chez l’élève, et les parents, perplexes devant le sens à donner aux cotes (ou notes) associées à ces compétences dans le bulletin de leur enfant.

Du côté des mathématiques à l’école secondaire, il est pourtant frappant de constater que les compétences visées par le nouveau programme (Gouvernement du Québec; 2003 et 2007), i.e. Résoudre une situation problème, Déployer un raisonnement mathématique et Communiquer à l’aide du langage mathématique, se retrouvaient déjà dans les quatre objectifs globaux ciblés par les programmes des années 90 : Établir des liens, Gérer une situation problème, Communiquer et Raisonner (Gouvernement du Québec, 1993, p.22).

Toutefois, l’évaluation des années 90 avait bien souvent tendance à laisser de côté ces objectifs globaux au profit d’objectifs terminaux et intermédiaires, plus clairement identifiables à un sous-ensemble bien circonscrit de concepts et processus, et dont la maîtrise est ainsi plus facile à déterminer. Cette réalité constitue un legs des programmes par objectifs qui ont connu leur apogée au Québec dans les années 80. Le but alors visé consistait à faire disparaître le flou et la subjectivité du processus d’évaluation en décomposant et en précisant au maximum les diverses manifestations des connaissances :

« Dans le contexte scolaire, évaluer l’apprentissage, c’est essentiellement porter un jugement en comparant ce qui est arrivé à ce qui avait été prévu. Plus ce qui est prévu est exprimé clairement et plus ce qui est arrivé est analysé formellement, mieux on sera éclairé sur la réalité et sur la qualité de l’apprentissage.

Dans le cadre de ce programme de mathématiques, « ce qui est prévu » est exprimé à l’aide des objectifs généraux, terminaux et intermédiaires. Les objectifs terminaux et intermédiaires étant les plus spécifiques, ce sont eux qui feront l’objet de mesure de la part de l’enseignant afin de lui permettre d’effectuer une saine évaluation pédagogique. Il apparaît alors important d’intégrer l’évaluation pédagogique aux apprentissages de l’élève afin de favoriser un enseignement correctif adapté à celui-ci. » (Gouvernement du Québec, 1984, p.33).

L’approche par objectifs des années 80 définissait donc les apprentissages en fonction de ce qui serait facilement observable et évaluable de façon objective, comme en témoignent les verbes choisis pour définir les objectifs intermédiaires en mathématiques: construire, énumérer, identifier, calculer, définir, trouver, appliquer, énoncer, etc. Si plusieurs de ces objectifs se prêtaient sans difficulté à des épreuves simples comme des questionnaires à choix multiples (QCM), ils ne rendaient compte ni de la richesse et de la structure des savoirs mathématiques enseignés ni de la complexité des situations dans lesquelles ces savoirs peuvent être mis à contribution.

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Cela explique que les programmes de mathématique aient été les premiers à être revus au début des années 90. Tout en augmentant le contenu couvert, ces nouveaux programmes réduisaient de moitié le nombre d’objectifs intermédiaires. Ils les rendaient plus englobants, avec un niveau de complexité plus grand, visible dans le choix des verbes utilisés : déduire, appuyer, justifier, distinguer, décrire, déterminer et même démontrer. En principe, l’évaluation devait s’ajuster en conséquence. En reconnaissant, à l’instar du Conseil supérieur de l’éducation que « la réflexion et la pratique en matière d'évaluation » avaient connu « un essor considérable dans le système scolaire québécois au cours de la dernière décennie », le Ministère de l’éducation visait avec ces nouveaux programmes à « atteindre une plus grande cohérence entre l'esprit des programmes d'études et les pratiques d'évaluation » (Gouvernement du Québec, 1995, p.16-17) :

« L'apprentissage dans le présent programme est plus que l'acquisition de connaissances. C'est plutôt l'investigation, la communication, la représentation, le raisonnement et l'utilisation d'une variété d'approches pour résoudre un problème. C'est également l'acquisition d'autres habiletés et attitudes. 61

Ce que l'on veut évaluer, c'est le savoir, le savoir-faire et le savoir-être de l'élève, objets plus ou moins en mouvement. Il faut donc créer des situations permettant de recueillir des éléments d'information qui, après interprétation critérielle ou normative, puissent révéler un portrait fiable à propos du savoir et du savoir-faire personnels ou collectifs des élèves. »

Le programme des années 90 proposait donc déjà pour évaluer les élèves d’utiliser des journaux de bord, des présentations orales, des jeux-questionnaires, des entrevues, des travaux d’équipe, des épreuves-synthèse, des grilles d’observation, des tests ou des observations durant l’enseignement assisté par ordinateur, etc. Cette variété des moyens devait refléter la variété des activités d’apprentissage : manipulation, découverte, communication (orale ou écrite, individuelle ou en groupe), utilisation d’une calculatrice ou d’un ordinateur, etc.

Dans les faits, à part l’ajout, aux questions à choix multiple typiques des épreuves ministérielles, de quelques problèmes à résoudre pour lesquels on évaluait l’ensemble de la démarche, force est de constater que les pratiques évaluatives développées avec l’approche par objectifs ont continué à dominer dans bien des établissements. La difficulté d’évaluer de façon objective la performance à des épreuves plus complexes associée à une certaine perception du travail mathématique (la réponse, typiquement courte, est soit juste, soit fausse et il n’y en a qu’une seule possible) ont semblé faire obstacle au déploiement de telles épreuves. On pourrait en conclure que dans l’évaluation des apprentissages en mathématiques, les notions de complexité et d’objectivité ont quelques difficultés à cohabiter.

Cela a-t-il toujours été le cas? Pour en juger, examinons d’un peu plus près le traitement réservé au raisonnement déductif et à la preuve, car il s’agit à la fois d’une utilisation du savoir réputée difficile (Dreyfus, 1999) qui déborde du carcan de la « réponse courte », et d’un élément du programme qui a considérablement varié dans les quarante dernières années.

Le traitement réservé au raisonnement déductif

Le portrait que nous dressons de l’évolution du traitement réservé au raisonnement déductif dans les programmes québécois des quarante dernières années a des allures de valse-hésitation entre la valorisation et la mise de côté.

61 Notons qu’une telle affirmation a pu contribuer à l’opposition entre connaissances et compétences (ou habiletés).

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À la fin des années 60, dans une version préliminaire des programmes qui allaient suivre (Gouvernement du Québec, 1967), on prônait qu’à travers l’étude de la géométrie en 10e année du cours général, « le maître » entraîne l’élève à « déduire la conclusion au moyen d’une suite de raisonnements logiques appuyés sur des postulats, des définitions, des théorèmes déjà démontrés », en ayant pris soin de « dégager les procédés généraux de démonstration ». On précisait aussi pour la 9e année du cours scientifique que la géométrie « constitue un système déductif d’un grand intérêt » qui « se prête bien à la redécouverte de théorèmes par les élèves » et que le professeur « devra en expliquer la nature et l’utiliser à fond » et « pourra montrer que l’on peut développer l’algèbre selon des lois analogues » en enseignant ainsi aux élèves « que les différentes parties des mathématiques ont une structure commune. »

Ces prescriptions devaient toutefois disparaître dans la version adoptée des programmes (Gouvernement du Québec, 1969) où la place à réserver au raisonnement déductif devait être inférée de la présence de certaines notions dans la liste des contenus de cours visés. Quelques-unes de ces notions (comme la démonstration analytique ou les preuves indirectes) avaient un caractère protomathématique (Chevallard, 1985) car elles témoignaient davantage d’une capacité requise par le contrat didactique; d’autres notions (comme celles de diagramme de Venn, de théorème ou de système axiomatique), sans être davantage des objets mathématiques proprement dits et faire l’objet d’un enseignement explicite, pouvaient constituer néanmoins des objets de savoir auxiliaires nécessaires à l’enseignement et à l’apprentissage du raisonnement déductif; on pourrait ainsi les associer au paramathématique (Chevallard, 1985). Sans autres indications sur les modes d’enseignement et d’utilisation des savoirs enseignés, et les façons d’en évaluer la maîtrise chez les élèves, on peut supposer que l’opérationnalisation de ces programmes aura reposé sur une certaine tradition ou sur les implicites dégagés à partir des épreuves ministérielles.

Dans les programmes des années 80, la justification et la déduction débordaient des objectifs visés; la démonstration y était reléguée à la section « enrichissement », laquelle combinait, dans un amalgame plutôt hétéroclite, les éléments facultatifs suivants : « les bases, les dallages, la démonstration de certains théorèmes en géométrie, les jeux mathématiques, l’histoire de la mathématique, les ensembles… » (Gouvernement du Québec, 1984a). Notons qu’on ne cherchait pas à travailler davantage le raisonnement déductif dans l’Option II exigée pour l’admission aux programmes de sciences au collégial (Gouvernement du Québec, 1984b).

Dans les programmes transitoires qui allaient précéder la réforme des années 90, on a revu la place du raisonnement déductif en géométrie dans le programme régulier (416) de quatrième secondaire (Gouvernement du Québec, 1991), en revenant à certaines idées promues dans les années 60 : « L’un des objectifs du remaniement des programmes en ce qui a trait à la géométrie est de permettre à l’élève de se bâtir graduellement un système axiomatique en lui présentant les théorèmes ou les corollaires se rattachant aux notions (…) Durant la période transitoire, nous proposons que (…) les élèves utilisent les définitions, les propriétés, les théorèmes ou les corollaires se rattachant à ces notions pour justifier les étapes de leur raisonnement dans la résolution d’un problème. » Mais l’on s’est ravisé l’année suivante dans le programme enrichi (536) de cinquième secondaire (Gouvernement du Québec, 1992) : « Rendre l’élève capable de démontrer des théorèmes n’est pas un objectif visé par ce programme. On peut, bien sûr, démontrer à l’élève un théorème; (…) on doit surtout aider l’élève à s’approprier ce théorème, à reconnaître quand l’utiliser et à l’intégrer à l’ensemble de ses connaissances en géométrie. »

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Avec les programmes des années 90, en incluant des objectifs comme déduire, appuyer, justifier dans le programme régulier en géométrie, on semblait déterminé à faire en sorte que l’élève établisse « le lien entre les étapes de la résolution d’un problème et une argumentation juste et rigoureuse pour établir une preuve » (Gouvernement du Québec, 1996). Dans le programme enrichi, on visait, en principe, à ce que l’élève développe « sa capacité de démonstration en prouvant des théorèmes » et qu’il apprenne à « traiter un problème à résoudre avec la même rigueur qu'un théorème à démontrer ». Parmi les objectifs d’apprentissage, on incluait ainsi celui de démontrer, et l’on prônait une présence « constante » de démonstrations et de preuves dans l’enseignement. Mais comme l’évaluation n’a pas suivi tout à fait, avec une faible présence de tâches exigeant des démonstrations, certains de ces objectifs n’ont été que partiellement atteints.

Avec l’approche par compétences, le raisonnement déductif se voit attribuer à nouveau un statut officiel dans les programmes de mathématiques au secondaire, en étant clairement associé à la fois à une composante de la compétence Déployer un raisonnement mathématique (i.e. réaliser des preuves ou des démonstrations) et à deux de ses critères d’évaluation (i.e. structuration adéquate des étapes d’une preuve ou d’une démonstration adaptée à la situation et justification congruente des étapes d’une preuve ou d’une démonstration adaptée à la situation). Mais comme le programme stipule que cette même compétence s’évalue aussi par « l’application correcte des concepts et des processus appropriés à la situation » et que les problèmes admissibles pour l’évaluation de cette compétence « nécessitent le recours à une combinaison connue de concepts et de processus appris antérieurement », on peut craindre que, par recherche d’objectivité dans l’évaluation et en raison d’une tradition relativement récente mais déjà bien établie, le raisonnement soit souvent réduit, comme ce fut le cas dans les années 80, aux simples actions de construire (ex. une translation), calculer (ex. le volume d’un solide) et appliquer (ex. la loi des cosinus).

Par ailleurs, il convient de clore cette section en soulignant qu’on ferait également fausse route en réduisant dans l’enseignement le raisonnement mathématique au seul raisonnement déductif et à la preuve. L’exploration d’une situation, la recherche de régularités et la formulation de conjectures sont des éléments fondamentaux de la pratique mathématique, autant dans ses développements que dans ses applications. Les programmes actuels ont raison de reconnaître ces éléments dans la composante inductive du raisonnement mathématique. Mais à nouveau, il se pourrait que les modalités d’évaluation fassent obstacle à ces intentions.

L’ÉVALUATION DES COMPÉTENCES COMME RÉVÉLATEUR DE PRATIQUES

Dans le cadre de notre collaboration avec des conseillers pédagogiques et des enseignants de mathématiques au deuxième cycle du secondaire, la discussion autour des compétences, ou plutôt des situations utilisées pour les développer et les évaluer, a permis de révéler certaines caractéristiques et variantes des pratiques enseignantes, notamment à propos de la compétence à raisonner. Nous présenterons quelques exemples, autour de la notion de volume, qui ne sont pas tous directement puisés parmi les problèmes proposés par les enseignants ou parmi ceux que nous leur avons suggérés; quelques-uns ont pu être modifiés afin de bien mettre en évidence certaines interprétations ou pratiques.

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De l’application de formules

Voici une première illustration d’un type de problème qui nous a été proposé pour évaluer la Compétence 2 Déployer un raisonnement mathématique :

La résolution de ce problème, surtout avec la présence du rappel, ne semble pas, a priori, solliciter la mise en œuvre d’un raisonnement important. Comment se fait-il alors qu’il puisse être proposé pour évaluer cette compétence? La réponse réside sans doute en partie dans la description qui est faite des critères d’évaluation de cette compétence. On y retrouve, entre autres: Application correcte des concepts et des processus appropriés à la situation (Gouvernement du Québec, 2007, p.35). L’interprétation du terme application, à laquelle correspond le travail sollicité par le problème ci-haut, renvoie davantage au simple exercice de « mettre sur » ou de remplacer qu’à une mise en œuvre dans l’établissement d’un nouveau lien. Ainsi, le questionnement relatif aux compétences a-t-il engendré un débat au sein du groupe sur le sens à accorder au mot « application ».

Par ailleurs, comme certains élèves ont de la difficulté à identifier les éléments en jeu dans une formule, à les remplacer correctement et à respecter la priorité des opérations dans les expressions plus complexes, des enseignants considèrent que ces élèves doivent raisonner pour s’en sortir. Nous croyons plutôt que ces difficultés concernent davantage la Compétence 3 Communiquer à l’aide du langage mathématique. En effet, des éléments d’interprétation tels que : décoder les règles de convention, traduire d’un mode de représentation à un autre, … font partie de la définition retenue par le Ministère pour cette compétence. Le fait de voir dans ce travail de traduction (pas toujours évident, nous en convenons) le signe d’un raisonnement mathématique nous semble témoigner du peu d’espace qu’ont laissé les pratiques évaluatives des programmes antérieurs au développement et à l’expression du raisonnement mathématique, tant inductif que déductif.

Quelques modifications au problème permettent de solliciter un peu plus le raisonnement.

Un tel problème, classique, de recherche de mesure manquante (bien présent dans l’enseignement actuel) pourrait être vu comme un simple exercice de manipulation algébrique. Mais, en demandant ici à l’élève de justifier chaque étape de son développement, on le fait alors entrer de façon explicite dans un processus de déduction qui repose sur des équations équivalentes et qui exige de rendre compte du fait qu’elles sont bien équivalentes en s’appuyant sur des propriétés. Les critères d’évaluation de la compétence 2 Application correcte des concepts et des processus appropriés à la situation et Justification congruente des étapes d’une preuve ou d’une démonstration peuvent alors être mis à contribution pour évaluer le raisonnement de l’élève, illustrant bien le fait que « résoudre une équation, c’est encore démontrer » (Gandit et Demongeot, 1996).

Du travail des relations

L’idée selon laquelle les situations qui permettent le développement et l’évaluation des compétences demandent de longues descriptions et se font sur plusieurs périodes de classe circule souvent. L’exemple suivant montre que ce n’est pas une condition nécessaire.

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La résolution de ce problème, dont le libellé tient en quelques mots, demande d’élaborer une stratégie. A priori, rien n’est donné qui permette de savoir comment résoudre le problème. Il faut d’abord se faire une représentation des solides en jeu, et ce, à partir des seuls renseignements donnés dans le texte. Pour représenter la situation, une vue « de haut » sera utile et suffisante. La stratégie consistera alors à faire la différence entre le volume du cylindre et celui du cube. Par la suite, pour trouver le volume du cylindre, il faut mettre notamment en application la propriété selon laquelle les diagonales d’un carré sont perpendiculaires, congrues et se coupent en leur milieu puis, de là, utiliser le théorème de Pythagore pour trouver la mesure du diamètre du cylindre. Toutes les étapes du raisonnement doivent être construites par l’élève pour résoudre le problème. On voit bien comment les critères d’évaluation relatifs à la compétence 2, Application correcte des concepts et des processus appropriés à la situation et Mise en œuvre organisée d’un raisonnement mathématique adapté à la situation, se révéleront adéquats pour évaluer les productions d’élèves à un tel problème.

De la formulation de conjectures à la rédaction de preuves

À l’exception de quelques conjectures célèbres qui ont résisté ou résistent encore autant à la preuve qu’à l’invalidation, la formulation de conjectures constitue un aspect plutôt privé du travail mathématique, préliminaire au travail de validation qui conférera un statut officiel aux propriétés dégagées. Dans un enseignement classique, centré sur la preuve et la démonstration, la conjecture se retrouve davantage dans l’énoncé du problème que dans sa solution. L’introduction de situations qui demandent de formuler des conjectures peut donc se révéler déstabilisante pour les enseignants qui n’ont pas été confrontés dans leur propre formation à ce type de tâche. Mais avec l’intégration d’outils technologiques à la pratique mathématique, l’activité mathématique devient plus expérimentale (Cornu, 1992) et les occasions pour formuler des conjectures deviennent plus fréquentes. On peut donc mettre à profit les technologies pour construire des situations d’apprentissage et d’évaluation qui sollicitent la formulation de conjectures, et qui reflètent un aspect important du raisonnement mathématique (la composante inductive) et de l’évolution récente de la pratique mathématique. La situation suivante en est un exemple.

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Si la première question conduit, par une comparaison multiplicative des valeurs numériques et la généralisation, à envisager une relation linéaire entre ces deux volumes (le second volume semble valoir un peu plus de la moitié du premier), la seconde question permet de justifier pourquoi, en passant par un travail des relations géométriques et des processus algébriques.

π ⋅ r2h − c 3= π ⋅

c 2

2

2

c − c 3= c 3 π

2− 1

Cette utilisation de l’algèbre, non pas pour trouver une solution particulière mais pour justifier une propriété générale, est encore assez peu usitée dans les pratiques mathématiques qui ont cours actuellement dans les écoles. La formulation de conjectures dans les tâches d’évaluation du raisonnement mathématique nous semble pourtant particulièrement riche si on la fait suivre d’une validation, laquelle peut alors s’appuyer sur le caractère général des propriétés géométriques ou algébriques en jeu et donner un nouveau sens à ces savoirs. Non seulement la validation favorise-t-elle ainsi la compréhension de ces savoirs, mais elle permet aussi de poursuivre la construction des connaissances, en conduisant à questionner la généralité de ce qu’on infère, à en cerner les conditions de validité et à en comprendre les causes. Car l’une des forces des mathématiques, voire sa spécificité disciplinaire, réside dans le fait que le caractère idéalisé des objets d’étude, où les structures sont mises à nu, permet de mieux contrôler les réponses à de tels questionnements et d’assurer la cohérence de la construction.

Vers une résolution de problèmes qui s’appuie sur la modélisation

S’il y a une compétence qui donne lieu à bien des interprétations (et ouvre la porte à certaines dérives), c’est bien la Compétence 1 – Résoudre une situation-problème. Du fait qu’elle comprend parmi ses composantes le fait de Décoder les éléments qui se prêtent à un traitement mathématique, et qu’elle demande, dans la validation, de tenir compte du contexte de la situation de départ et des destinataires auxquels doit s’adresser la rédaction de la solution, on assiste à un phénomène de surenchère dans l’enrobage de problèmes où la difficulté pour l’élève tient davantage à l’énoncé du problème (souvent très long) qu’à la complexité de la modélisation mathématique et de la résolution proprement dite. Nous avons donc cherché à ébranler cette représentation de la situation-problème en proposant l’énoncé suivant :

Ce problème, en apparence très simple, demande d’abord de se doter d’un cône « fantôme » dans la représentation et d’envisager ainsi le volume du verre comme la différence du volume de deux cônes.62 L’élève doit aussi repérer que ces deux cônes sont semblables et qu’ils sont liés par une homothétie dans l’espace (soit k son rapport) à partir du sommet commun aux deux cônes. Par substitution de la seconde équation dans la première, on peut en générer une troisième qui permettra de trouver l’ensemble-solution du système.

62 Une modélisation plus fine tiendrait compte à la fois de l’épaisseur du verre pour en évaluer la capacité et d’une marge de manœuvre pour éviter de renverser le précieux liquide… D’autres cônes pourraient alors apparaître.

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Enfin, lors du retour à la situation de départ, il convient d’identifier des valeurs qui se révéleront adéquates au but visé: qui voudrait d’un verre à café au format de flûte ou d’assiette à soupe ?!?

Tout cela constitue une belle occasion pour l’élève de manifester sa compréhension de la situation, d’en dégager les données pertinentes, de la représenter par un modèle mathématique, de se doter d’une stratégie (incluant l’exploration de l’équation à l’aide des technologies) pour élaborer une solution, et de confronter cette dernière au résultat visé. Mais, en raison notamment de la distance qui sépare une telle résolution des pratiques mathématiques qui ont cours actuellement à l’école, plusieurs enseignants présents ont déclaré qu’un tel problème était trop complexe pour qu’ils le proposent à leurs élèves. D’autres se sont dits prêts à tenter l’aventure.

CONCLUSION Au-delà de la simple opposition compétences-connaissances à laquelle il est facile de s’arrêter, c’est bien à l’examen du rôle, de la nature et de la profondeur des connaissances visées que nous renvoie l’épineuse question de l’évaluation. Quiconque a déjà enseigné connaît la pression qu’exercent les évaluations standardisées sur le choix de ce qui sera enseigné, du temps qui y sera consacré et des utilisations qu’on en fera. Partant du postulat que tous les didacticiens ont le désir secret, et parfois même inavouable, d’améliorer l’enseignement et de favoriser chez l’élève un rapport éclairé au savoir, nous croyons utile de rappeler que les retombées en ce sens de la didactique seront d’autant plus grandes que l’on prendra en compte les conditions dans lesquelles s’évaluent les connaissances, et que l’on cherchera à développer des pratiques évaluatives et des situations d’évaluation tout aussi porteuses que les situations d’apprentissage auxquelles la didactique a consacré plusieurs travaux. La présence didactique sur le terrain de l’évaluation, que nous ne sommes encore qu’à explorer, nous semble ainsi relever de la responsabilité sociale de notre discipline.

RÉFÉRENCES

Brousseau, G. (1988). Représentation et didactique du sens de la division. In G. Vergnaud et coll (Eds.): Didactique et acquisition des connaissances scientifiques, Actes du Colloque de Sèvres, Mai., La Pensée Sauvage, Grenoble, pp. 47-64.

Brousseau, G. & Christol, G. (2000). Les études doctorales de didactique des mathématiques à l’université. In : Gazette de la SMF, 85, juillet 2000pp.55-60.

Chevallard, Y. (1985) La Transposition Didactique. Grenoble : La Pensée Sauvage. 2ème édition (1991).

Cornu, B. (dir.) (1992). L’ordinateur pour enseigner les mathématiques. Paris: Presses universitaires de France.

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Dreyfus, T. (1999) Why Johnny can’t prove. Educational Studies in Mathematics 38, 85–109.

Gandit, M. et Demongeot, M-C. (1996) Le vrai et le faux en mathématiques. IREM de Grenoble.

Gouvernement du Québec (2007). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, deuxième cycle. Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

Gouvernement du Québec (2003) Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement secondaire, Premier cycle, Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1996) Programme d’études – Mathématiques 536, Québec, Ministère de l’Éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1995) Programme d’études – Mathématique 314, Québec, Ministère de l’Éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1993) Programme d’études – Mathématique 116 (068-116), Québec, Ministère de l’éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1992) Programme d’études – Secondaire – Programme transitoire Mathématique 536 (064-536), Québec : Ministère de l’éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1984a). Programme d’études – Secondaire – Mathématique, Second Cycle. Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1984b). Programme d’études – Secondaire – Mathématique, Second Cycle, Option II. Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.

Gouvernement du Québec (1969) Programme d'études des écoles secondaires : mathématiques 111 121 131 211 221 231 311 321 331 411 421 431 521 531. Québec: Ministère de l'Éducation, Direction générale de l'enseignement élémentaire et secondaire.

Gouvernement du Québec (1967) Programme d'études des écoles secondaires : mathématiques 11 13 21 23 31 33 41 43 44 51 52 53 54. Québec : Ministère de l'Éducation, Direction générale de l'enseignement élémentaire et secondaire.

Vergnaud, G. (1991). La théorie des champs conceptuels. Recherches en Didactique. des Mathématiques, 10 2/3, 133-170

Voizard, A. (2001). Une interprétation de « la signification est l’usage », Philosophiques, 28/2, Automne 2001, 395-410.

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Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU

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Les résultats des élèves aux tests internationaux et leur possible influence sur les thèmes de recherche

Lucie DeBlois, Université Laval

Viktor Freiman, Université de Moncton

Michel Rousseau, Université d’Ottawa

CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

L’utilisation la plus courante des résultats obtenus à des épreuves internationales réalisées dans le cadre du programme PISA (2000, 2003, 2006) de l’OCDE consiste à mettre en rang différents systèmes éducatifs par rapport au développement de compétences mathématiques, scientifiques et en lecture chez les élèves de 15 ans. Toutefois, on peut se demander si les différences entre les pays et entre les provinces est réellement importante. Par exemple, en considérant l’intervalle de confiance attribué aux résultats publiés, on remarque qu’il n’y a pas de différence entre 5 ou 6 provinces. En effet, la différence qui existe entre la moyenne des élèves au Québec (537) et la moyenne des élèves en Ontario (530) est faible. À l’opposé, l’écart entre la moyenne des élèves de l’Ile du Prince-Édouard (500) la moyenne des élèves au Québec (537) est plus forte. Dans ce contexte, le rang peut cacher les réelles différences entre les résultats des élèves.

Les résultats de chaque épreuve, une fois rendus publiques, font partie de manchettes médiatiques. Par exemple, Le Quotidien du 7 décembre 2004 titrait : La performance des jeunes du Canada en mathématiques, en lecture, en sciences et en résolution de problèmes ; Le soleil du 5 décembre 2007 citait «Les Québécois, des «bollés». Le Québec n’est pas seul à traiter l’information, à en discuter et à réagir. L’impact de ces manchettes conduit les systèmes éducatifs à tout mettre en place pour améliorer leur rang. Ainsi, ayant constaté que les élèves du Nouveau-Brunswick sont au bas du classement parmi les provinces canadiennes le gouvernement cherche à remédier à la situation proposant de plans d’action tels que le Plan d’apprentissage de qualité (2002) ou un tout nouveau plan d'amélioration en éducation (http://www.gnb.ca/0000/index-f.asp, 5 juin, 2007) visant à faire du système d’éducation du Nouveau-Brunswick le meilleur système éducatif au Canada.

Nous avons conduit 3 études différentes qui dégagent des pistes du travail qu’il est possible de réaliser avec ces données. Notre première étude a porté sur les conceptions alternatives des élèves, la deuxième s’est attardée aux élèves francophones vivant en milieu minoritaire alors que la troisième s’est attardée à la problématique du climat scolaire. Cet article se propose de discuter de méthodes d’analyses effectuées ainsi que de résultats de ces analyses. Nous terminerons en traçant un portrait de la situation de manière à nuancer les résultats diffusés en indiquant l’influence des variables contextuelles choisies sur les résultats obtenus, l’influence de l’interprétation des résultats sur les politiques et enfin, les orientations possibles accordées aux programmes de recherche subventionnée. En outre, nous discuterons l’influence de ces résultats non seulement sur les politiques scolaires, mais aussi sur les objets des futures recherches, ce qui pourrait jouer sur le financement de projets de recherche en didactique.

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DESCRIPTION DU PISA

Le programme international pour le suivi des acquis (PISA) des élèves a été lancé en 1997 par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans le but de répondre au besoin de données sur la performance des élèves qui soient comparables au plan international. Ce programme reflète la volonté des pays y participant de recueillir des informations signifiantes pour les aider à l’évaluation et au pilotage du développement de leurs systèmes éducatifs. Le PISA est basé sur de grands principes comme celui de l’utilité des informations pour l’orientation des politiques, une vision prospective de l’évaluation. Cette enquête explore ainsi les capacités des jeunes adultes à utiliser leurs savoirs et savoir-faire pour faire face aux défis de la vie quotidienne. Sa périodicité, ou encore une couverture géographique et une approche novatrice basée sur la notion de « littératie » ou de culture sont trois autres caractéristiques.Ces deux notions renvoient à la capacité des élèves d’exploiter leurs savoirs et leur savoir-faire et d’analyser, de raisonner et de communiquer lorsqu’ils énoncent, résolvent et interprètent des problèmes s’inscrivant dans divers contextes (OCDE, 2004). Par exemple, la culture mathématique est définie comme étant « l’aptitude d’un individu à identifier et à comprendre les divers rôles joués par les mathématiques dans le monde, à porter des jugements fondés à leur propos, et à s’y engager, en fonction des exigences de sa vie présente et future en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi (OCDE, 2003). Cette culture mathématique permet à l’individu de s’engager activement dans des activités mathématiques, en fonction des exigences de sa vie présente et future en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi. La culture mathématique implique donc que les élèves soient en mesure d’analyser, de raisonner et de communiquer de manière efficace lorsqu’ils posent, résolvent et interprètent des problèmes mathématiques dans une variété de situations impliquant des quantités, des concepts spatiaux, probabilistes ou autres (Demonty, Fagnant, Baye, Matoul, Monseur, 2004). Le programme PISA vise les élèves en fin d’obligation scolaire, soit les jeunes adultes âgés de 15 ans. La question est de savoir à quel point ils sont préparés à relever les défis qu’imposent la société de connaissance (OCDE, 2004). Un total de 43 pays (32 en 2000 et 11 en 2002) a participé au premier cycle du programme PISA tandis que le présent cycle a été réalisé auprès de 41 pays pour un total de plus de 250000 élèves dans le monde entier. Au Canada, les élèves de toutes les provinces ont participé à cette enquête, pour un échantillon total de près de 28 000 élèves, représentatif de la population d’élèves canadiens. Nous avons choisi d’utiliser les données provenant du PISA 2003 afin de développer notre réflexion, car cette étude portait sur la culture mathématique. La manifestation de processus et de connaissances mathématiques sont étudiées à travers une variété de situations. De plus, cette évaluation fait référence à la capacité d’une personne de porter des jugements fondés à propos de ces activités. Bref, elle se traduit par la capacité à résoudre des problèmes mathématiques dans des contextes très divers. En outre, des évaluations contextuelles s’ajoutent à l’évaluation d’une culture mathématique. Dans ces dernières, différentes variables sont étudiées en relation avec les élèves (biens matériels, ressources informatiques, ressources culturelles, scolarité des parents, sentiment d’auto-efficacité) ou avec les écoles (ambiance de travail de l’école, soutien des enseignants, sentiment d’appartenance à l’école, qualité des ressources matérielles).

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LES RESULTATS

Trois problématiques ont été étudiées à partir de ces données. La première a porté sur les conceptions alternatives (Conseil des Ministres en Éducation au Canada, 2005); la deuxième - sur les élèves francophones en milieu minoritaire (Rousseau, Freiman et DeBlois, sous presse); alors que le troisième concerne le climat scolaire (DeBlois, Lapointe, Rousseau, 2007)).

1er étude : Les conceptions alternatives

L’objectif de cette étude visait le développement d’une connaissance du processus de mathématisation chez les élèves. Une analyse didactique a été réalisée pour chacun des items. Les variations existant au niveau des compétences63, des contextes64 et des contenus65 couverts par l’enquête ont été étudiées. Les capacités des élèves à utiliser un langage mathématique pour répondre à un problème issu de la vie courante ont été considérées. Pour tenir compte des stratégies alternatives des élèves, nous avons considéré les réponses prévues par le système de codage et nous nous sommes attardées aux options des réponses auxquels sont attribués des crédits complets, des crédits partiels ou encore aux réponses manifestant d’un échec. Nous avons privilégié l'expression stratégies ou conceptions alternatives plutôt que stratégies ou conceptions erronées. Ce choix permettait d’étudier les stratégies ou les conceptions des élèves en ayant comme préoccupation l’étude des relations entre elles plutôt que leur évaluation. De plus, compte tenu des buts visés par l'évaluation, les conceptions ne peuvent pas être considérées comme des savoirs intuitifs (René de Cotret et Larose, 2005) ou naïfs (Charlier, 1998, p. 25) puisqu’un apprentissage a eu lieu. Nous nous inspirerons plutôt des travaux de Brousseau (1998) qui définit les conceptions comme «des connaissances produites par l’interaction d’une personne et de son milieu pour résoudre certains problèmes provenant de certaines classes de situations». Cette construction sera ainsi intimement liée à la situation proposée, aux connaissances, aux expériences personnelles et aux buts des élèves. C’est alors que nous adhérerons à la position selon laquelle les conceptions ne peuvent être que locales. Leur généralisation pourrait conduire à des solutions fausses ou incomplètes. C’est ainsi à travers les solutions fausses ou incomplètes que nous pourrons poser des hypothèses sur les conceptions alternatives des élèves. Par exemple, l’item 179 exige que les élèves évaluent la pertinence d’une affirmation en consultant un diagramme à barres. Ce dernier présente le nombre de cambriolages par année. En comparant les deux nombres, on remarque facilement qu’il y a effectivement une augmentation du nombre de cambriolages en 1999 par rapport à 1998. La nature « qualitative » de l’observation force souvent à accompagner cette remarque d’un adjectif comme : beaucoup, trop, très, etc. L’étude de Roditi (sous presse) a permis 63 Trois catégories hiérarchiques de compétences sont identifiées : 1) le groupe de reproduction (auxquelles font appel des items qui exigent principalement la reproduction de savoirs familiers. Parmi ces compétences, on retrouve entre autres la connaissance des faits, l’identification des équivalences, la remémoration des propriétés mathématiques familières, l’exécution de procédure et de calculs routiniers ou directs) 2) le groupe de connexions (auxquelles font appel des items qui impliquent un cadre assez familier ou n’en dépassant que très légèrement les limites. Ces items demandant aux élèves d’interpréter, d’établir des liens entre divers aspects d’un problème issu d’une situation réelle pour en tirer une solution) et, 3) le groupe de réflexion (auxquelles font appel des items qui impliquent un cadre moins familier exigeant une démarche plus réfléchie. Les problèmes qui font intervenir les compétences de ce groupe contiennent plus d’éléments que les précédents. Ils imposent aux étudiants de faire preuve d’une créativité accrue pour établir des liens entre ces divers éléments). 64 Quatre groupes de situations : 1) personnelles; 2) éducatives ou professionnelles; 3) publiques; et 4) scientifiques. 65 Quatre types de contenus : 1) l’espace et les formes; 2) les variations et les relations; 3) la quantité; et 4) l’incertitude.

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de constater comment l’enseignement des histogrammes pouvait être organisé de manière à exploiter les différentes activités relatives à cette notion. Comment cette observation influence-t-elle l’élève? En comparant les nombres impliqués, comment justifiera-t-il sa conclusion?

Item 179 (Pisa 2003)

Pour évaluer les solutions des élèves, un système de codage de réponses est proposé. Les items qui ont été codés à l’aide de deux chiffres ont été privilégiés. Le deuxième chiffre du code, désignant l’interprétation du type d’erreur ou de la stratégie utilisée par l’élève pour répondre à la question, permettait d’effectuer une évaluation sur les processus de mathématisation des élèves canadiens. Par exemple, pour la situation du cambrioleur, le total des points est attribué lorsque l’élève reconnaît que l’affirmation est fausse. En outre, on attribue 3 codes différents à la justification : 21 – lorsque l’élève justifie par le fait que le graphique représente partiellement la situation, (l’échelle cacherait la proportion réelle), 22 – lorsque l’élève justifie sa réponse à partir de calculs et de relations numériques (rapport, pourcentages), 23 – lorsque l’élève justifie sa réponse en évoquant la période de temps comparée (deux ans ne sont pas suffisants pour voir la tendance relative). Le crédit partiel est donné pour deux raisons didactiquement différentes : 11 – pour une erreur de raisonnement (relation additive), 12 – pour une erreur de calcul. Le cas d’échec est indiqué par quatre codes différents : 01 – pour une réponse correcte, mais une explication absente ou insuffisante, 02 pour une réponse incorrecte et une explication se fiant à l’apparence visuelle (la hauteur de la barre a doublé), finalement, le dernier code 03 indique une réponse toujours incorrecte, mais avec une explication autre que l’apparence visuelle. Il existe encore le code 04, mais sa description est vague (toute autre réponse) peut-être certaines réponses n’avaient pas de rapport avec la question posée (par exemple, qu’il y avait 508 cambriolages en 1998).

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Les objectifs du premier projet visaient à : 1) Décrire, pour l’ensemble des élèves canadiens, quelles sont les stratégies utilisées par les élèves pour répondre à certains des problèmes de mathématique posés dans l’enquête PISA; 2) Effectuer des comparaisons en fonction des groupes linguistiques (Anglophones et Francophones) et en fonction des territoires (dix provinces); 3) Effectuer des comparaisons selon le sexe. Seulement cinq items (de problèmes) ont pu être étudiés puisque les autres items ne présentaient pas de système de codage pertinent à cette recherche. Les cinq items étudiés sont : La marche à pied, Les cambriolages, Les pas, Le taux de change et La planche à roulette.

D’une part, les élèves réussissent moins bien les unités dans lesquelles est impliqué un raisonnement proportionnel où une procédure de produit croisé doit être réalisée à l’intérieur d’une démarche algébrique. En outre, ils réussissent moins bien lorsqu’on leur demande d’exercer un jugement critique sur l’affirmation d’un journaliste sur la base de l’interprétation d’un diagramme à barres. D’autre part, ils réussissent mieux lorsque des procédures arithmétiques sont sollicitées.

Nous avons pu reconnaître peu de variation entre les résultats des élèves selon les provinces, les langues, les sexes. De plus, dans leurs explications écrites, les élèves se servent rarement d’un langage relationnel pour justifier leurs réponses. Par exemple, pour la situation «Le cambrioleur», les élèves s’appuyaient sur l’apparence du graphique plutôt que sur les relations entre les variables. Les francophones semblent avoir plus de difficultés à justifier par écrit (mathématiquement ou autrement) leurs réponses que les anglophones.

Enfin, les élèves ne semblent pas faire de retour métacognitif sur leur démarche (mécanismes de validation de leurs réponses). L’obtention d’un résultat semble satisfaisant à certains élèves qui omettent de répondre à d’autres questions. Par exemple dans la situation-problème «La marche à pied66», l’erreur courante des élèves consiste à ne pas faire la conversion des unités de mesure telle que demandée. Ainsi, les résultats pour les questions de l’unité Marche à pied portant sur le raisonnement proportionnel suggèrent que cette unité favorise les élèves de l’Alberta et du Québec. La familiarité avec les unités de mesure métriques pourrait avoir une influence sur ces résultats. L’unité Taux de change portant sur le même contenu notionnel permet à nouveau au Québec et à l’Alberta de se situer parmi les provinces les plus performantes. Toutefois, Terre-Neuve présente la plus grande proportion de réussite. Nous posons l’hypothèse selon laquelle les échanges entre St-Pierre et Miquelon pourraient influencer la compréhension des élèves de cette province, St-Jean étant la ville simultanément la plus populeuse et la plus rapprochée de ces îles.

Certaines recommandations peuvent se dégager de ces résultats : la présentation d’une plus grande variété de contextes et une plus grande variété de représentations pour favoriser le développement d’une plus grande flexibilité de la pensée de l’élève; une attention à la justification des réponses des élèves et au développement d’un jugement critique des élèves à l'égard des représentations graphiques; le développement de grilles illustrant les différents types de stratégies utilisées par les élèves.

66 Si la formule s’applique à la façon de marcher d’Henri et qu’Henri fait 70 pas par minute, quelle est la longueur de pas d’Henri ? Montrez vos calculs. Bernard sait que la longueur de son pas est de 0,80 mètre. La formule s’applique à sa façon de marcher. Calculez la vitesse à laquelle marche Bernard en mètres par minute et en kilomètres par heure. Montrez vos calculs.

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2e étude : Les élèves francophones en milieu minoritaire

Puisque la numératie est définie comme étant la capacité à résoudre une situation écrite de la vie courante en utilisant les mathématiques, il pourrait y avoir une limite chez les élèves francophones en milieu minoritaire à cause du niveau de littératie. L'objectif de la 2e étude visait à répondre à la question suivante : Pourquoi les élèves francophones en milieu minoritaire réussissent-ils moins bien en numératie que les élèves anglophones ?

Nous sommes partis de la prémisse que l’évaluation de la compétence numératie faite par le PISA comporte une importante composante de compréhension en lecture. Nous mettions à l’épreuve l’hypothèse suivante : Étant donnée leur situation sociolinguistique, les élèves francophones vivant en milieu minoritaire peuvent être désavantagés par rapport à leurs homologues anglophones. Voyons pourquoi en étudiant la situation sociolinguistique de ces élèves selon quatre composantes : le territoire, les ressources humaines et matérielles, l’effet de la langue à la maison et enfin la relation entre la littératie et la numératie.

La notion de minorité linguistique est déterminée en fonction du territoire, mais aussi de la culture à l’intérieur d’un territoire déterminé. Au Canada, l’éducation est un champ de compétence provinciale. Chaque province détermine sa propre configuration des services éducatifs. À l’intérieur de chacune de ces provinces cohabitent des élèves de langue anglaise et de langue française. Pour certaines provinces, les francophones sont en moins grand nombre que les anglophones alors que pour le Québec, la situation inverse est observée. En fonction du territoire, les francophones hors Québec vivent donc en situation minoritaire linguistique.

Selon Laplante (2001), cette situation de minorité linguistique a une incidence particulière sur l’identité culturelle des francophones. Alors qu’au Québec la plupart des francophones sont influencés par des aspects de la vie principalement francophones (médias, échanges économiques), les francophones hors Québec vivent sous une influence principalement anglophone. Leur statut minoritaire limite alors les ressources francophones qui leur sont disponibles sur le plan culturel. Cette situation de minoritaire a des impacts aussi sur l’éducation des élèves, incluant la question de l’enseignement des mathématiques.

Une grande partie des élèves francophones vivant en milieu minoritaire demeure principalement en dehors des grands centres urbains. Il est déjà plus difficile de recruter des enseignants dans les régions éloignées, la tâche est encore plus ardue pour les milieux hors Québec et, plus particulièrement dans les disciplines scientifiques (Gilbert et al., 2004).

De plus, au niveau des ressources matérielles, les manuels scolaires utilisés sont souvent des traductions de manuels anglophones ou de manuels « importés » du Québec (au NB, par exemple, les collections québécoises Défi mathématiques, Adagio, Presto utilisés aux niveaux 1-6 sont suivies de l’Interaction provenant de l’Ontario en 7-8). Cela risque de ne pas être adapté à la culture de la région où ils sont utilisés.

L’effet de la langue à la maison et avec les pairs sur la littératie peut se faire sentir. La langue parlée à la maison et avec les pairs a un impact direct sur le développement des compétences en littératie. Plus un élève francophone vit dans un milieu francophone et plus il développera des compétences en littératie. Les élèves francophones en situation minoritaire vivent souvent en relation avec des anglophones, que ce soit au niveau de la famille ou avec les pairs. Bien souvent, la langue d’usage est l’anglais, ce qui peut avoir pour effet de freiner le développement des compétences en littératie chez les francophones minoritaires.

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Cette diminution du niveau de compétence en littératie aura un impact sur la compétence en numératie d’un élève, notamment au niveau de son aptitude à la communication mathématique a été soulevée par d’Entremont (2000) qui avance que l'utilisation mixte des langues semble avoir un effet négatif sur le rendement en mathématiques. Notre étude menée en 2006, vise à atteindre deux objectifs : Dans un premier temps, nous avons comparé les résultats de la culture mathématique tout en nous assurant de contrôler les effets du niveau de compétence en littératie des élèves. L’analyse a été effectuée pour 4 provinces où les élèves francophones sont en situation minoritaire et pour le Québec où les francophones sont majoritaires. Par la suite, nous avons identifié certains items pouvant défavoriser les élèves francophones minoritaires. Notre analyse portait sur 24 items rendus publics par l’OCDE suite au cycle 2003 du PISA. Voici un exemple d’item. Item 145 (Pisa, 2003) Sur la photographie ci-dessous, vous apercevez six dés, correspondant aux lettres (a) à (f). Il existe une règle commune à tous les dés : la somme des points figurant sur deux faces opposées de chaque dé est toujours égale à sept.

Écrivez dans chacune des cases le nombre de points qui figurent sur la face inférieure de chaque dé de la photo. En plus de procéder à une évaluation de la performance en mathématique, le PISA inclut aussi une évaluation des élèves en lecture. Le résultat de cette évaluation a été utilisé pour contrôler les différences entre les élèves anglophones et francophones en ce qui a trait à leur niveau en littératie. Pour atteindre le premier objectif de l’étude, des analyses de régression par province sont utilisées. Une première analyse de régression avec le résultat en mathématique comme variable dépendante et la langue de l’élève comme variable « prédictrice ». Cette première analyse a permis d’obtenir la différence en numératie qui existe entre les élèves anglophones et francophones. Une deuxième analyse de régression a été par la suite effectuée en ajoutant le résultat en lecture comme variable de contrôle. Cette deuxième analyse de régression nous a permis d’évaluer la différence entre les élèves des deux groupes linguistiques lorsque nous rendons équivalents, ces deux groupes sur le plan du niveau en littératie. Pour le deuxième objectif, les distributions de fréquence des bonnes et mauvaises réponses des élèves selon le groupe linguistique permettent de vérifier si certains items semblent favoriser un groupe au

(d)

(b)

(a) (f)

(c)

(e)

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détriment d’un autre. De plus, une analyse didactique du contenu des items permet de poser des hypothèses dans le cas où certains items favorisent les anglophones ou les francophones. Au Québec, on observe peu de différence entre les élèves francophones et anglophones. Toutefois, chez les élèves francophones en milieu minoritaire, à l’instar d’autres recherches, il existe une relation importante entre la littératie (mineure) et la numératie (majeure) (corrélation 0,90). Ainsi, à niveau de littératie égal, les élèves francophones en milieu minoritaire présentent une plus grande compétence en numératie que les anglophones (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Ontario, Manitoba). Si on compare les élèves qui ont au haut niveau de compétence en littératie, il y a peu de différences entre les anglophones et les francophones en numératie. Enfin, si on compare les élèves qui ont au faible niveau de compétence en littératie, il y a une différence entre les résultats des élèves anglophones et les francophones en numératie. L’étude des items sur les dés (l’item 145) et 547 (L’escalier) ont conduit à reconnaître que différents paramètres peuvent rendre difficile la tâche demandée à l’élève : un contexte qui masque les concepts mathématiques, la familiarité avec la tâche, la longueur du texte, le vocabulaire spécifique et la nécessité d’expliquer la réponse avec une phrase complète

3e étude : Le climat scolaire

Le climat scolaire peut se définir en fonction des règles qui ont été définies sur la base des principes et des valeurs auxquels les personnes adhèrent, sur la base des conditions dans lesquelles les enseignants, les élèves et la direction de l’école structurent leur travail ou encore sur les perceptions et la valeur que les acteurs accordent à l’ordre social et culturel de l’école (Fotinos, 2005). Pour Janosz (1998), le climat scolaire fait intervenir des éléments des climats : relationnel, éducatif, de sécurité, de justice et d'appartenance. En ce qui nous concerne, les questions des évaluations contextuelles qui portaient sur les perceptions des élèves à l'égard des relations enseignants-élèves, du sentiment d'appartenance à l’école, du soutien des enseignants, de l'ambiance de travail dans l’école et de la perception des directions à l’égard des comportements adéquats des élèves. Ce sont donc ces variables qui ont permis de définir ce que nous entendions par «climat scolaire».

La troisième étude visait à répondre à la question suivante : Quels facteurs scolaires permettent de réduire l’influence des iniquités socioéconomiques sur la numératie selon PISA 2003? Contrairement aux études précédentes, ce sont les évaluations contextuelles qui ont été utilisées pour réaliser ces analyses. Ces dernières regroupent 38 questions portant sur la scolarité parentale mais aussi sur une variété d’affirmations auxquelles l’élève doit adhérer selon une échelle Likert.

Nous avons pu constater que le climat scolaire est relié à sa composition socioéconomique. En outre, les élèves issus de milieux plus défavorisés vont en moyenne obtenir des résultats moins élevés en mathématiques dans un climat scolaire plus faible. Dans cette situation, l'école n'apparaît pas actuellement comme un facteur de protection, il y aurait donc là un facteur d'iniquité entre les écoles. L’étude du détail des résultats conduit à reconnaître que contrairement au PISA sur la littératie, le sentiment d'appartenance ne semble pas en corrélation de façon aussi importante pour la culture mathématique. La relation enseignant-élève semble contribuer de façon plus importante à la réussite de tous les élèves. De plus, une corrélation négative entre l’ambiance de travail et la réussite en numératie indique qu’une plus grande discipline n’est pas associée à de meilleurs résultats. Nous avons interprété ce résultat en considérant les modalités de fonctionnement qui pourraient susciter davantage de débat et d’expérimentations chez les élèves. Ces débats et ces expérimentations pourraient favoriser à la fois une perception de désordre mais simultanément une plus grande réussite des élèves.

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QUELQUES CONCLUSIONS

Nous avons vu comment le portrait des performances aux évaluations PISA, par la mise en rang des pays, gagnerait à être nuancé. Ce rang cache parfois des différences négligeables. En outre, certaines dérives peuvent apparaître. Par exemple, actuellement, il semble que certains pays alignent leurs programmes d’étude sur les questionnaires de ces évaluations ou modifient les programmes de formation de leurs enseignants. D’autres développent des programmes «d'entraînement» aux situations-problèmes de PISA.

Comme le démontrent nos différents résultats, ces évaluations ont l'avantage d’offrir une très grande quantité de données, ce qui pourrait favoriser l’étude de tendances à l’égard des conceptions des élèves, des contextes qui favorisent la réussite scolaire ou de l’évolution de certains concepts à travers ces études longitudinales. En outre, une meilleure connaissance des stratégies des élèves pourraient contribuer à enrichir les programmes de formation. Devant les résultats portant sur les milieux minoritaires, des politiques innovatrices pourraient être développées pour renforcer la littératie et ce, dès le très bas âge.

Il nous faut toutefois être attentif aux choix des variables utilisées. En effet, ce choix est préétabli par un consortium de chercheurs mandaté par l’OCDE. Ces variables pourraient donc refléter des visions politiques plutôt que scientifiques ou scolaires. L’absence de l’accès aux copies originales ne permet pas de faire des analyses didactiques plus approfondies, car les codes même à deux chiffres peuvent cacher plusieurs conceptions alternatives. Nous avons pu constater, notamment lors de la 3e étude, que certaines variables, utilisées pour le PISA 2000, n’avaient pas été reprises en 2003. Il devient ainsi difficile de réaliser des comparaisons entre les disciplines et à l’intérieur d’une même discipline. Les questionnaires contextuels permettent d’approfondir l’étude des résultats obtenus par les élèves. Il serait toutefois souhaitable d’introduire un questionnaire aux enseignants, à ceux destinés aux élèves et aux directions d’école, de manière à obtenir une vision plus complète de la situation.

Enfin, il nous faut être sensible à des dérives possibles au plan de la recherche. En effet, il ne serait pas souhaitable de diminuer l’importance des recherches empiriques au profit de celles utilisant les bases de données PISA. En effet, une plus grande pertinence des questions du Pisa ne pourra faire l’économie des résultats obtenus sur le terrain. De plus, faut-il attirer l'attention sur le fait que les chercheurs ont moins de contrôle sur les questions de recherche lorsqu’ils n’identifient pas leurs variables ?

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Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU

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Alexandre DUCHARME RIVARD

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Qu’est-ce que l’arithmétique? Que recouvre son enseignement? Regard historique et analyse de manuels québécois du début et de la fin du XXe

siècle au secondaire Alexandre Ducharme Rivard

Université de Sherbrooke

1. problématique

1.1 Un premier constat

Les mathématiques ont toujours fait partie du curriculum d’enseignement au secondaire. Toutefois leur importance a varié au fil du temps en fonction du rôle et des finalités associées aux mathématiques dans la société et à leur enseignement (Schubring, 1983, Gispert, 2002, Bednarz, 2002). Elles sont ainsi apparues à travers le temps souvent associées à la vie quotidienne, en lien par exemple avec le développement de stratégies de calcul, le mesurage ou encore en lien avec la résolution de problèmes commerciaux ou économiques (Bednarz, 2002). Les rapports que les mathématiques entretiennent avec les autres secteurs d’activité humaine ont également alimenté l’évolution des mathématiques et la place qu’elles ont occupé dans le cursus scolaire, à travers notamment le travail de modélisation et d’interprétation de phénomènes touchant aux sciences, aux sciences sociales ou aux arts (Caron, Artaud, Touré, à paraître). Il y a certains contenus qui sont incontournables, tandis que d'autres changent: soit qu'ils disparaissent ou apparaissent, soit qu'ils ont une place plus ou moins importante dans le curriculum. Il en est ainsi de l’arithmétique. Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’arithmétique occupait en effet le premier plan de l’enseignement des mathématiques (Bednarz, 2002). Tandis qu’au Québec l’enseignement de l’arithmétique a presque disparu du programme d’études du secondaire (Ducharme Rivard, 2007; MELS, 2003), certains pays, comme la France, la réintroduisent dans leur cursus scolaire (MEN, 2002a, 2002b, 2002c, 2003). Au Québec, peu d’études ont été réalisées sur l’enseignement de l’arithmétique au secondaire et son évolution au fil du temps. Les quelques travaux réalisés dans une perspective historique portent sur l’enseignement de l’arithmétique au primaire (Lavoie, 1994), sur l’émergence et le développement de l’enseignement des mathématiques au Québec de façon globale (Lavoie 2004; Charbonneau, 1984) ou encore sur l’évolution des programmes scolaires (Bednarz, 2002). Aucune étude n’a été réalisée sur la place qu’occupe l’enseignement de l’arithmétique au secondaire et sur son évolution au fil du temps. Ceci nous a amené à nous intéresser à cette problématique. Quelles finalités ont été associées à l’enseignement de l’arithmétique au secondaire au fil du temps? Quels contenus spécifiques ont été proposés dans son enseignement? Quels contenus retrouve-t-on d’une époque à l’autre, quelles modifications apparaissent? Comment approche-t-on ces contenus? Toutefois, avant de s’intéresser à ces différentes questions, une définition de l’arithmétique s’impose.

2. Cadre conceptuel

2.1 Définition et caractéristiques de l’arithmétique

Dans le but de construire une grille d’analyse de manuels, notre premier angle d’analyse renvoie au concept d’arithmétique lui-même. Celui-ci recouvre en effet différentes réalités en fonction des époques. Une analyse historique non exhaustive de certains textes provenant de mathématiciens reconnus, témoins importants d’une époque donnée, et d’encyclopédies, présentant une synthèse des connaissances pour une époque donnée, nous a permis de mieux caractériser ce champ des

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mathématiques. Les textes provenant de mathématiciens reconnus pour leur réflexion dans ce domaine : Les élément d’Euclide (250 ans avant J.C.67), Une traduction de Robbins & Karpinski (1926) de l’« Introduction to Arithmetic » écrit par Nicomaque (230 ans après J.C.), Le Liber Abaci de Fibonacci (1170-1250) traduit par Sigler (2003), la traduction de Flegg, Hay & Moss (1985) des œuvres de Chuquet (1445-1500) et une copie du Dictionnaire Mathematique ou Idee Generale des Mathematiques écrit par Ozanam (1646-1717) en 1691. Ces ouvrages ont ainsi servi de base à l’analyse. Pour les époques plus récentes, notre analyse s’est appuyée sur l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751) pour le XVIIIe siècle ainsi que sur le « Grand dictionnaire Larousse » (1866, 1928) pour les XIXe et XXe siècles.

Cette analyse historique nous a permis de caractériser davantage les contenus abordés au fil du temps dans ce domaine, sous deux grandes catégories : Numération, Opérations et Applications et En lien avec la théorie des nombres (Annexes, tableau 1); et aussi les types de traitements de l’arithmétique (Annexes, tableau 2). De plus, notre analyse historique de l’arithmétique fait aussi ressortir différents types d’arithmétique (Annexes, tableau 3) ainsi que différentes finalités pouvant lui être associées (Annexes, tableau 4).

Ensuite, l’analyse historique nous a permis d’identifier deux façons de concevoir le nombre. La première apparaissant dans l’ouvrage d’Euclide présentant le nombre comme une grandeur (figure 1) où le nombre représente la mesure d’un segment. Une deuxième apparaît dans l’ouvrage de Nicomaque : le nombre étant présenté en une multitude d’unités (figure 2). Une autre caractéristique attribuée au nombre est qu’il peut être « concret » ou « abstrait ». Un nombre abstrait est un nombre utilisé hors contexte. Le nombre concret renvoie à un certain nombre d’objets comptés ou une mesure. Dès que le nombre est utilisé avec un objet réel, il est considéré comme concret, par exemple, effectuer la somme de 5 billes et 7 billes ou la somme de 5 centimètres et 8 centimètres.

Figure 1 : le nombre vu comme une grandeur

Figure 2 : le nombre vu comme une multitude d’unités

67 Pour des raisons évidentes, nous avons utilisé une édition de 1994.

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Ces différentes caractéristiques de l’arithmétique nous ont permis d’élaborer une grille d’analyse des manuels scolaires.

3. Méthodologie

3.1 Choix des manuels scolaires

Quatre périodes différentes en lien avec l’évolution des programmes de mathématiques au Québec peuvent être considérées (Bednarz, 2002). Ces périodes marquent des changements importants dans l’évolution curriculaire : avant 1945, de 1945 à 1960, de 1960 à 1980, de 1980 à nos jours. L’analyse d’un manuel du début du XXe siècle a été mise en comparaison avec un manuel de la fin du XXe siècle sur les aspects suivants : la place de l’arithmétique dans le manuel, les contenus abordés, les types de traitement utilisés et les finalités associées à son enseignement. Les manuels choisis68 sont Arithmétique, cours supérieur (F.E.C., 1916), Carrousel Mathématique 1 (Breton, 1993) et Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994). Le manuel Arithmétique, cours supérieur était destiné aux élèves des niveaux équivalents aux première et deuxième années du secondaire actuel (Ducharme Rivard, 2007). Nous traiterons donc ensemble les résultats de Carrousel Mathématique 1 (Breton, 1993), manuel de première secondaire, et de Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994), manuel de deuxième secondaire, afin de pouvoir les comparer aux résultats de l’analyse du manuel du début du siècle.

3.2 Grille d’analyse des manuels scolaires

Suite à un premier survol des manuels scolaires, la grille d’analyse des manuels a été ajustée afin de tenir compte de certains aspects qui ne paraissaient pas dans l’analyse historique de l’arithmétique. Par exemple, la place occupée par l’arithmétique dans chacun des manuels, qui a été identifiée à partir du rapport entre le nombre de pages réservées à l’arithmétique et le nombre de pages totales du manuel. De plus, nous avons senti le besoin de distinguer la partie « cours » de la partie « exercices »69. La figure 3 présente la grille d’analyse utilisée pour les manuels scolaires. Dans le présent texte, nous ne reprendrons pas tous les éléments de la grille d’analyse. Après avoir situé l’importance de l’arithmétique dans chacun des manuels, nous situerons le contenu couvert en regard de chacune des catégories du tableau 1 (en annexes), pour passer enfin aux types de traitements privilégiés par les auteurs de ces manuels pour approcher ces contenus. À partir de ces différents éléments, nous conclurons en revenant sur la finalité associée à l’arithmétique dans chacun des manuels.

68 Des manuels ont aussi été choisis pour la fin du secondaire (Ducharme Rivard, 2007). Nous ne reprenons dans le cas de ce texte que deux de ces manuels. 69 Ce que nous entendons par la section « cours » est ce qui pourrait servir à l’élaboration de la leçon par l’enseignant, tout ce qui est en lien avec la présentation des contenus dans le manuel. En ce qui concerne la section « exercices », elle concerne le répertoire de questions, la banque de problèmes, que l’on retrouve dans le manuel pour faire travailler l’élève sur le contenu.

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Figure 3 Grille d’analyse des manuels adaptée

4. Résultats

4.1. La place accordée à l’arithmétique dans chacun des manuels

Nos résultats mettent clairement en évidence que l’arithmétique n’a pas toujours eu la même importance dans l’enseignement des mathématiques au secondaire. Au début du siècle, elle occupait en effet 70,9 % du manuel (figure 4). Nous notons dans la collection de manuels de la fin du siècle, que la place occupée par l’arithmétique occupe seulement 43,1 % (figure 5).

70,9%

29,1%

A rithmétique

A utres Notions

Figure 4 La place occupée par l’arithmétique dans le manuel Arithmétique, cours supérieur

Présentation des notions

Place occupée par l’arithmétique

Types d’arithmétiques

Finalités associées à l’arithmétique

Types d’exercices utilisés

Facettes des nombres utilisés (abstraits versus concrets)

Contenus arithmétiques abordés

Statut de Classement des contenus l’arithmétique par rapport aux autres

domaines

Traitements des contenus arithmétiques

Facettes des nombres utilisés (grandeurs versus multitude d’unités)

Sur l’ensemble du manuel

Sur la section cours Sur la section exercices

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151

43,1%

56,9%

Arithmétique

Autres Notions

Figure 5 La place occupée par l’arithmétique dans les manuels Carrousel Mathématique 1 (Breton,

1993) et dans Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994), résultats combinés.

4.2. Les contenus arithmétiques abordés dans chacun des manuels

Au début du XXe siècle, tout comme à la fin du siècle, les contenus abordés apparaissent davantage en lien avec la numération, les opérations et les applications (figures 7 et 8).

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

En lien avec la théorie

des nombres

Numération, opérations

et applications

No

mb

res

de

pa

ge

s

Section

cours

Total

Figure 7 Les contenus arithmétiques dans Arithmétique, cours supérieur (F.E.C., 1916)

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

En lien avec la thˇorie

des nombres

Numˇration, opˇrations

et applications

No

mb

re d

e p

ag

es

Section cours

Total (cours et

exercices)

Figure 8 Les contenus arithmétiques dans Carrousel Mathématique 1 (Breton, 1993) et dans Carrousel

Mathématique 2 (Breton, 1994), résultats combinés

Deux différences peuvent cependant être mises en évidence lors de la comparaison de ces manuels. Tout d’abord, et ce malgré le peu d’espace qu’occupent les contenus en lien avec la théorie des nombres dans les deux cas, une importance plus grande est accordée à ces derniers dans le manuel Arithmétique, cours supérieur (F.E.C., 1916) que dans les manuels homologues de la fin du siècle. Ainsi, même si le type d’arithmétique abordée dans les deux cas se rapproche davantage d’un contenu pratique (opérations, calcul, applications), une certaine présence d’une arithmétique portant sur les nombres et leurs propriétés est présente en début de siècle. Par ailleurs notre analyse des deux collections de manuels nous montre que plus de pages sont consacrées aux exercices dans les manuels de la collection Carrousel (Breton, 1993, 1994) qu’à la section reliée au cours, ce qui n’est nullement le cas au début du siècle (Ducharme Rivard, 2007). L’accent semble donc mis davantage dans ce cas sur une mise en pratique des notions que sur une présentation théorique des contenus.

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4.3. Les types de traitements des contenus arithmétiques

Notre analyse montre tout d’abord que les définitions occupent la majeure partie des traitements dans le manuel du début du siècle (figure 9). La présentation de règles, d’algorithmes occupe le cinquième des types de traitements et l’approche inductive représente 28 % des types de traitements utilisés. Nous retrouvons aussi la présentation de méthodes de vérification des calculs (pour 5 % des types de traitements). Les manuels de la fin du siècle Carrousel Mathématique (Breton, 1993, 1994) laissent apparaître différents changements notables (figure 10). Ainsi, la présence de définitions y est moins marquée (30 % par rapport à 47 % pour le manuel de 1916), l’accent y est donc moins mis sur une présentation théorique des contenus. De plus, la présentation de règles/algorithmes et l’approche inductive subissent toutes deux une hausse de 11 % par rapport au manuel du début du siècle. Cette tendance nous indique que les approches ont surtout recours à des règles, des méthodes, que ces dernières soient énoncées à la suite de plusieurs exemples (approche inductive) ou données. Par ailleurs, dans les manuels analysés de la fin du XXe siècle, nous ne retrouvons plus de traitement de type vérification de calculs. Enfin, dans les deux cas, la présence d’approche déductive est absente.

47%

20%

28%

5%0%

Définitions

Règles

Induction

Déduction

Vérification

Figure 9 Types de traitements utilisés pour présenter les contenus arithmétiques dans Arithmétique,

cours supérieur (F.E.C., 1916)

30%

31%

39%

Définitions

Règles

Induction

Figure 10 Types de traitements utilisés pour présenter les contenus arithmétiques dans Carrousel

Mathématique 1 (Breton, 1993) et dans Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994), résultats combinés

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Conclusion Les résultats présentés précédemment nous montre que l’arithmétique occupait une place prédominante dans l’enseignement des premières années du secondaire au début du siècle. À la fin du siècle, son importance a diminué considérablement. Sur les deux premières années du secondaire, la place qu’elle occupe dans les manuels de la collection Carrousel Mathématique (Breton, 1993, 1994) correspond en effet à moins de 50%. L’analyse réalisée par ailleurs aux autres niveaux du secondaire pour ces manuels confirme encore davantage ce qui précède, puisqu’en secondaire 3, 4 et 5, cette dernière est quasi inexistante à la fin du siècle, alors qu’elle occupait une place centrale au début du siècle (Ducharme Rivard, 2007). Son statut dans l’enseignement a donc radicalement changé au cours du siècle. L’importance accordée aux contenus classés dans la catégorie « Numération, opérations et applications » (cf. tableau 1), et les types de traitements privilégiés nous renseignent par ailleurs sur les finalités accordées à l’arithmétique dans l’enseignement secondaire. Dans les manuels analysés, l’accent est en effet mis sur une arithmétique pratique au plan des contenus (opérations, calcul, applications). La présence de règles, induites ou données, est très importante dans les types de traitement utilisés pour présenter les contenus arithmétiques, un autre indice qui nous indique que la finalité accordée à l’arithmétique dans les deux cas est davantage pratique. Même si la finalité dans les deux cas est pratique, une analyse plus fine des manuels nous montre toutefois qu’il ne s’agit peut-être pas de la même pratique, rejoignant en cela les analyses réalisées par Bednarz (2002) sur les programmes d’études. Ainsi dans le manuel de 1916, la présence de problèmes de commerce, de règles (d’alliage, d’intérêt simple et composé....) fait référence à des situations de commerce ou de la vie quotidienne. Dans le cas des manuels de la fin du siècle, l’accent semble davantage mis sur un travail sur les opérations et le calcul sur des nombres abstraits (Ducharme Rivard, 2007). Références

Auger, P. (Ed.). (1928). LAROUSSE DU XXe SIÈCLE EN SIX VOLUMES. Paris : Librairie Larousse. Sous « Arithmétique », t. 1.

Bednarz, Nadine.(2002). Pourquoi et pour qui enseigner les mathématiques ? Une mise en perpective historique de l’évolution des programmes au Québec au Xxième siècle. Zentralblatt für Didaktik der Mathematik [ZDN], vol. 34, no 4. Grenoble. p. 146-157.

Breton, Guy. (1993). Carrousel mathématique 1, première secondaire. 2 tomes, Anjou (Qué.) : Les Éditions CEC .

Breton, Guy. (1994). Carrousel mathématique 2,deuxième secondaire. 2 tomes, Anjou (Qué.) : Les Éditions CEC .

Caron, F., Artaud, M., Touré, H. (à paraître). Rapport synthèse du groupe de travail Enjeux de l’enseignement des mathématiques dans leurs liens avec les autres disciplines. Actes du colloque Espace Mathématique Francophone. Université de Sherbrooke. 27-31 mai 2006.

Charbonneau, L. (1984). L’enseignement des mathématiques dans les collèges classiques du Québec au XIXe siècle (partie I). Bulletin de l’AMQ, 24 (2), 41-44.

Diderot, D. & d’Alembert, J. le Rond. (1751). Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers. Paris : le « libraire » (éditeur) Le Breton. Sous « Arithmétique », t. 1.

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Ducharme Rivard, A. (2007). Qu’est-ce que l’arithmétique ? Que couvre son enseignement ? Regard historique et analyse de manuels québécois du début et de la fin du XXe siècle au secondaire , Mémoire de maîtrise, UQAM.

Euclide d’Alexandrie. (1994). Les Éléments, volume 2 : livres V-VI : proportions et similitude, livres VII-IX : Arithmétique. Traduits du texte de Heiberg, traduction et commentaires par Vitrac, B. Paris : Presses Universitaires de France.

Flegg, G., Hay, C. & Moss, B. (Eds) (1985). Nicolas Chuquet, Renaissance Mathematician, A study with extensive translation of Chuquet’s mathematical manuscript completed in 1484. Dordrecht : D. Reidel Publishing Company, a member of The Kluwer Academic Publishers Group.

Frères des Écoles chrétiennes (Les) (1916). Arithmétique, cours supérieur, ancienne arithmétique commerciale modifiée, Montréal : Les Frères des Écoles chrétiennes.

Gispert, H. (2002). Pourquoi, pour qui enseigner les mathématiques ? Une mise en perspective historique de l’évolution des programmes de mathématiques dans la société française au XXe siècle. Zentralblatt für Didaktik der Mathematik [ZDN] 2002, vol. 34, no 4. Grenoble. p. 158-163.

Larousse, P. (Dir.) (1866). Grand DICTIONNAIRE Universel du XIXE Siècle. Paris : Administration du Grand Dictionnaire Universel. Sous « Arithmétique », t. 1.

Lavoie, P. (1994). Contribution à une histoire des mathématiques scolaires au Québec : L’arithmétique dans les écoles primaires (1800-1920), Thèse de doctorat, Univ. Laval.

Lavoie, Paul. 2004. Enseigner les mathématiques au Québec (1800-2000) : l’émergence d’une spécialité, Bulletin de l'AMQ, vol. XLIV, no 1, p. 15-38.

Ministère de l’éducation nationale, Direction de l’enseignement scolaire. (2002a). Mathématiques, classe de seconde, Collection Lycée – voie générale et technologique, série Programmes, Paris : Centre Nationale de documentation pédagogique.

Ministère de l’éducation nationale, Direction de l’enseignement scolaire. (2002b). Mathématiques, classe de première, séries ES, L, S, Collection Lycée – voie générale et technologique, série Programmes, Paris : Centre Nationale de documentation pédagogique.

Ministère de l’éducation nationale, Direction de l’enseignement scolaire. (2002c). Mathématiques, classe terminale, séries ES, L, S, Collection Lycée – voie générale et technologique, série Programmes, Paris : Centre Nationale de documentation pédagogique.

Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement scolaire. (2003). Enseigner au collège, Mathématiques. Programmes et accompagnement, Paris : Centre National de documentation pédagogique.

Ozanam, J. (1691). Dictionnaire Mathématique ou Idée Générale des Mathématiques. Reproduction de textes anciens, 1982, par l’Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques [IREM] : Université Paris VII. Édition reproduite : Paris : Étienne Michalet.

Robbins, F. & Karpinski, L. (1926). Introduction to Arithmetic, traduction de l’œuvre de Nicomaque de Gerasa. New York : The Macmillan compagnie.

Schubring, Gert. (1983). Introduction à la chronique historique sur l’enseignement des mathématiques. Recherche en didactique des mathématiques, vol 4, no 3, p. 325-344.

Singler, L. E. (2003). Fibonacci’s Liber Abaci : Leonardo Pisano’s Book of Calculation. Traduction du livre de Leonardo Pisano Liber Abbaci (1202). New York : Springer.

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Alexandre DUCHARME RIVARD

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Annexes Tableau 1 Le contenu mathématique couvert par l’arithmétique (sources où il se retrouve)

1. Numération, Opérations et Applications

- Fonctionnement du système de numération : décimal, binaire, sexagésimal, etc. (Fibonacci, Chuquet, Ozanam, Diderot et d’Alembert, Larousse, Auger) ; - Fonctionnement des systèmes de mesures (mesure de distance, de temps, mesure monétaire, de poids, de capacité, etc.), conversion, opérations sur les mesures (Ozanam) - Opérations sur les nombres (entiers, rationnels, irrationnels) : addition, soustraction, multiplication, division, puissance, extraction de racines, simplification de fractions, etc. (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Vérification des opérations/ des calculs effectués : Preuve par 9, par 8, par 7, etc. (Fibonacci, Chuquet) ; - Proportions, incluant la recherche d’une 4e proportionnelle (Euclide, Nicomaque, Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle de trois ou règle d’or : pour trouver la 4e proportionnelle (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle de fausse position et de double fausse position (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle composée (Ozanam) ; - Règle de compagnie (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle testamentaire (Ozanam) ; - Règle d’alliage (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle du cent (Ozanam) ; - Règle d’intérêt simple et composé (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle d’escompte (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ; - Règle de change (Fibonacci, Chuquet, Ozanam).

2. Contenu en lien avec la théorie des nombres

- Parité (Euclide, Nicomaque, Chuquet, Ozanam) ; - Critère de divisibilité (Fibonacci) ; - Nombres premiers et nombres premiers entre eux (Euclide, Chuquet, Ozanam) ; - Facteurs d’un nombre, le PGCD et le PPCM (Euclide, Fibonacci, Ozanam) ; - Nombres plans, solides, plans-plans, etc. (Euclide, Ozanam) ; - Nombres parfaits et imparfaits (Euclide, Chuquet, Ozanam) ; - Nombres abondants et défaillants (Ozanam) ; - Nombres amiables (Ozanam) ; - Nombres figurés (Nicomaque, Ozanam) ; - Nombres circulaires (Ozanam) ; - Triplets de Pythagore (Ozanam). - Progressions arithmétiques, géométriques et harmoniques (Euclide, Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;

Tableau 2 Le traitement de l’arithmétique dans les ouvrages consultés

Types de traitements Présentation de règles/d’algorithmes/de méthodes70 : présentation détaillée illustrée par des exemples numériques (Nicomaque, Fibonacci, Chuquet) ; Présentation de procédure permettant de vérifier le calcul, par exemple la preuve par 9 (Fibonacci, Chuquet) ; Présentation de définitions appuyées par des exemples (Ozanam) ; Approche inductive conduisant, à partir d’exemples numériques, à l’énoncé de lois (Nicomaque, Chuquet) ; Approche déductive énonçant des propositions sur les nombres et les démontrant (Euclide).

70 Nous entendons par méthode : un ensemble de démarches que suit l’esprit pour découvrir et démontrer la vérité d’un énoncé (Dictionnaire Le Robert, 1988, p. 1191) Ce que nous entendons par algorithme est un « ensemble de règles opératoires propres à un calcul » (Dictionnaire Le Robert, 1988, p. 48). La différence entre une méthode et un algorithme est que la méthode n’impose pas une écriture des calculs, mais suggère une démarche à suivre. Dans l’algorithme, le lecteur sait exactement où il doit écrire chacune des étapes.

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Tableau 3 Les types d’arithmétiques Type d’arithmétique Arithmétique Pratique (ou Vulgaire) : l’arithmétique est ici appliquée dans des situations contextuelles, de marchand, de commerce, de la vie. On y donne des règles pratiques : règles d’alliage, de compagnie, etc. Le calcul y est aussi important comme outil de travail. Il est travaillé avec différents types de nombre. (Fibonacci, Chuquet, Ozanam, Diderot et d’Alembert, Trêvoux) ; Arithmétique « en soi » : dans laquelle on travaille sur les nombres de façon abstraite, sur le système de numération, les types de nombres, leurs propriétés et les propriétés des nombres entre eux, les opérations sur les nombres (addition, soustraction, multiplication, division, puissances, etc.), les nombres figurés, les carrés magiques, les proportions et les progressions, et ce sans tenir compte des démonstrations (Nicomaque, Ozanam, Diderot et d’Alembert, Trêvoux, Larousse, Auger) ; Arithmétique Théorique : l’arithmétique est « la science des propriétés et des rapports des nombres abstraits, avec les démonstrations des différentes règles » (Trêvoux, 1777, p. 502). L’idée de démonstration est ici très importante (Euclide, Diderot et d’Alembert, Trêvoux, Larousse, Auger) ; Arithmétique instrumentale où l’on apprend à concevoir et à utiliser des instruments matériels (ex. les bâtons de Neper) ou abstraits (ex. les tables de logarithmes) permettant d’effectuer des calculs (Ozanam, Diderot et d’Alembert, Trêvoux, Auger) ; Des Arithmétiques qui dépendent du système de numération : arithmétique binaire, décimale, sexagésimale, etc. (Diderot et d’Alembert, Larousse, Auger) ; Arithmétique Politique où l’on traite des statistiques en lien avec la gérance d’état (Larousse) ; Arithmétique Universelle ou Spécieuse qu’on appelle aujourd’hui algèbre (Diderot et d’Alembert, Trêvoux).

Tableau 4 Les finalités de l’arithmétique

Finalités Visée théorique ○ Introduction des propriétés des nombres et des propriétés entre eux (sans les démonstrations) ; ○ Sens « art de démontrer » où la présence des démonstrations sur les propriétés est importante. Visée pratique ○ Arithmétique commerciale, problèmes de marchand, résolution de problèmes concrets ; ○ Développement d’habiletés de calcul (pas nécessairement en utilisant des contextes) Visée instrumentale ○ Conception et utilisation d’instruments (ex. Calculatrice, tables de logarithmes).

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Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN

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UNE NOUVELLE PERSPECTIVE POUR LA LÉGITIMATION DU REGISTRE GRAPHIQUE.

UN EXEMPLE AVEC DES INTÉGRALES IMPROPRES.

Alejandro S. González-Martín Université de Montréal (Département de Didactique)

[email protected]

RÉSUMÉ Cet article présente les résultats d’une recherche sur l’enseignement et l’apprentissage

du concept d’intégrale impropre au niveau universitaire. Nous mettons en évidence certaines difficultés et obstacles qui surgissent lors de l’apprentissage de ce concept et

nous discutons aussi de l’importance de l’utilisation du registre graphique pour l’enseignement. En utilisant la théorie des registres de représentation sémiotique de

Duval et la construction d’une ingénierie didactique, nous évaluons tant l’apprentissage réalisé par nos étudiants que leur acceptation du registre graphique comme registre de

travail mathématique.

1.- INTRODUCTION La recherche décrite dans cet article constitue une partie de notre travail de thèse doctorale (González-Martín, 2006a), développé à l’Université de La Laguna (Espagne). L’idée de développer cette recherche est partie du constat que les étudiants du baccalauréat en mathématiques de cette université ne parvenaient pas à une bonne compréhension des concepts relatifs à l’intégrale impropre, et ce même s’ils réussissaient à obtenir de bonnes notes lors des examens portant sur ce sujet. Ce fait est assez inquiétant, car l’intégrale impropre a plusieurs applications qui s’avèrent importantes pour un étudiant en mathématiques (calcul de probabilités, distances dans des espaces fonctionnels, transformées intégrales, …), en plus de ses applications dans d’autres domaines (comme l’analyse de signaux ou la compression de données grâce aux séries de Fourier ou les wavelets). L’intégrale impropre se conçoit comme une généralisation de l’intégrale de Riemann, dont l’application première est le calcul de l’aire de figures non-rectilignes. Pour réaliser ce calcul, deux conditions doivent être imposées :

1. L’intervalle où l’on calcule l’aire sous une courbe doit être fermé et borné.

2. La courbe sous laquelle on calcule l’aire doit être bornée dans cet intervalle (voir Figure 1).

Dans ces conditions, on dit que l’aire S sous la courbe donnée par la fonction f(x), entre x = a et

x = b est donnée par l’intégrale de Riemann de f : ∫=b

adxxfS ).( .

Figure 1

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Cependant, bien que ces deux conditions aient l’air d’être nécessaires pour le calcul d’aires, on peut donner une définition d’intégrale quand une de ces conditions (ou les deux) n’est pas remplie, ce qui rend possible le calcul de l’aire de figures non bornées. Dans cet article, nous allons seulement aborder le cas où la première condition n’est pas remplie, c’est-à-dire lorsque l’intervalle où l’on calcule l’aire sous une courbe est infini. Dans ce cas, si l’on veut calculer l’aire sous une courbe f(x) à partir d’un point x = a, on écrira :

∫∫ ∞→

=b

abadxxfdxxf ).(lim).(

Paradoxalement, la valeur de cette aire peut être parfois finie. On dira alors que l’intégrale impropre converge. Ainsi une des grandes questions de la théorie sur les intégrales impropres est de pouvoir déterminer a priori si cette aire sera finie ou pas.

2.- ANTÉCÉDENTS Le premier constat qui est apparu quand nous avons commencé notre recension d’écrits était le manque de travaux de recherche centrés sur l’apprentissage de la notion d’intégrale impropre. Ce constat est en accord avec l’affirmation d’Artigue (1999, 2001) selon laquelle pour l’instant beaucoup d’efforts ont été concentrés sur très peu de domaines parmi ceux qui sont enseignés au niveau universitaire. Dans ce sens, une recherche sur l’apprentissage de l’intégrale impropre pourrait fournir des résultats dans un domaine peu exploré jusqu’à présent. Étant donné que l’origine historique de l’intégrale impropre est liée à l’utilisation du registre graphique (voir section 5), nous nous sommes intéressé aux résultats de la recherche concernant l’utilisation de ce registre dans l’enseignement. Les résultats trouvés montrent clairement d’une part que les étudiants universitaires sont réticents à utiliser le registre graphique, ceci étant dû, entre autres, au manque de pratique dans les niveaux inférieurs (ce qui rend difficile son utilisation d’une façon naturelle et spontanée dans les niveaux universitaires ultérieurs) et d’autre part au fait que pour l’enseignement universitaire, ce registre est vu comme étant « peu mathématique ». Eisenberg et Dreyfus (1991) font une classification des raisons principales pour le rejet du registre graphique :

� Cognitives : le visuel est considéré comme plus difficile. � Sociologiques : le visuel est considéré comme plus difficile à enseigner. � Croyances sur les mathématiques : le visuel n’est pas considéré comme étant mathématique.

Par contre, plusieurs auteurs ont souligné le rôle potentiel du registre graphique pour résoudre

des problèmes (Maschietto, 2001). Cependant, c’est normalement le registre algébrique qui est enseigné et privilégié, malgré les difficultés qu’il entraîne. Plusieurs auteurs ont déjà remarqué la prédominance de l’algébrique sur le graphique chez les étudiants (Orton, 1983), ainsi que le fait que les étudiants manipulent des aspects formels des concepts mathématiques sans avoir d’idées intuitives de ceux-ci (Calvo, 1997).

En bref, beaucoup d’auteurs montrent que les étudiants développent une compréhension mécanique des concepts de base de l’analyse, sans atteindre une compréhension visuelle des notions essentielles sous-jacentes et qu’il n’y a pas de compréhension visuelle des intégrales de fonctions positives considérées en termes d’aires sous une courbe. Ils montrent aussi que les étudiants ont une tendance très forte à penser algébriquement, même quand ils sont poussés à penser visuellement et que plusieurs des difficultés de l’Analyse pourraient être atténuées si les étudiants apprenaient à intérioriser les composantes visuelles des concepts de base (voir Hitt, 2003; Mundi, 1987; Orton, 1983; Swan, 1988; Vinner, 1989, pour plus de détails).

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En accord avec ces résultats, nous sommes convaincu que l’utilisation du registre graphique peut aider à éviter des nombreux calculs et qu’il peut même être utilisé comme un registre de « contrôle » et de « prédiction » pour le travail purement algébrique. C’est avec cette certitude, que nous avons conçu nos activités (voir section 6).

En relation avec l’apprentissage de l’intégrale impropre, les résultats de notre mémoire de maîtrise (González-Martín, 2002) montrent, chez les étudiants, une préférence pour les énoncés de type algorithmique, comportant des consignes claires sur ce que l’on demande. En plus, les questions non-algorithmiques posées dans le registre graphique font apparaître de grandes difficultés chez les étudiants, ou un taux élevé de non-réponse. Certains étudiants ne reconnaissent même pas le registre graphique comme un registre pour le travail mathématique et d’autres montrent un manque de coordination entre registres, ce qui produit des difficultés et de l’hésitation face à certains paradoxes. Tout ceci les prive d’outils d’anticipation des résultats et d’outils de contrôle des résultats obtenus.

Nous avons aussi identifié deux obstacles spécifiques au concept d’intégrale impropre, soient l’obstacle de liaison à la compacité (incapacité de concevoir qu’un volume, ou une aire, est fini à moins que la figure ne soit fermée et bornée) et l’obstacle d’homogénéisation des dimensions (attribution à un volume des propriétés de l’aire qui l’a généré par rotation; ainsi, on pense qu’une aire infinie doit forcément générer un volume infini). Pour plus de détails, voir González-Martín (2002; 2006a) et González-Martín et Camacho (2004). Nos résultats nous portent à croire que ces deux obstacles sont aggravés par un manque de coordination entre registres. Alors, en prenant en compte cette raison et les résultats de recherche nommés précédemment, notre recherche essaie d’améliorer l’apprentissage du concept d’intégrale impropre, moyennant l’utilisation active du registre graphique.

3.- OBJECTIFS Les objectifs spécifiques de notre recherche abordés dans cet article sont les suivants :

1. Générer une séquence d’enseignement du concept d’intégrale impropre qui incorpore les systèmes de représentation graphique et symbolique.

2. Analyser si l’utilisation active d’exemples et de contre-exemples dans l’enseignement de l’intégrale impropre, de même que l’utilisation du registre graphique comme registre de travail mathématique valable, produisent des améliorations dans l’apprentissage et l’acceptation du registre graphique des étudiants.

Notre travail envisage une double question. D’un côté, l’utilisation du registre graphique pour améliorer l’apprentissage de nos étudiants et donner plus de sens au concept d’intégrale impropre. D’un autre côté, pour ce faire, nous voulons construire une séquence d’enseignement qui joue au même temps le rôle d’outil de recherche. C’est autour de ces deux pôles que s’articule notre cadre théorique.

4.- CADRE THÉORIQUE Pour modéliser la construction des concepts mathématiques chez les apprenants, nous avons considéré la théorie des registres de représentation sémiotique de Duval (1993, 1995). Le cœur de cette théorie est l’idée qu’« il n’y a pas de connaissance sans représentation » (Duval, 2000). En particulier en mathématiques, la distinction entre un objet mathématique et sa représentation est fondamentale pour la compréhension des concepts; nous pouvons seulement appréhender les concepts mathématiques à travers leurs représentations, mais nous ne devons pas confondre les objets mathématiques avec ces représentations. Pour achever la compréhension des concepts mathématiques, il est nécessaire d’utiliser différentes représentations sémiotiques, car chacune d’entre elles donne des informations partielles de l’objet en soi.

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Par contre, l’enseignement traditionnel considère que l’activité de conversion entre représentations est automatique à partir du moment où l’on peut former ces différentes représentations. Cependant, les recherches montrent d’une part que le fait de ne pas coordonner différentes représentations nuit à la compréhension des objets mathématiques, et d’autre part, que le développement de ces activités de conversion et de coordination n’est pas automatique et que l’étudiant doit apprendre à le faire. Nous avons aussi pris en compte les apports de plusieurs auteurs en relation avec l’importance de l’utilisation d’exemples et de contre-exemples dans l’enseignement (voir Hitt, 2000; Selden et Selden, 1998; Watson et Mason, 2002), ce qui peut aider les étudiants à mieux comprendre les définitions. De plus, cette utilisation d’exemples et de contre-exemples n’est ni algorithmique ni procédurale et requiert une pensée mathématique flexible et dynamique. Enfin, nous avons aussi pris en compte le rôle de la résolution de problèmes dans la théorie de Duval (Duval, 2000; Hitt, 2000). En deuxième lieu, pour la construction de notre séquence d’enseignement, nous avons pris en compte la théorie des situations didactiques de Brousseau (1998). En particulier, nous nous sommes assuré que les milieux construits pour nos activités gardent les trois caractéristiques principales : antagonisme (en offrant des contradictions, des difficultés et des déséquilibres aux étudiants, avec le but de produire des adaptations), autonomie (pour permettre le fonctionnement de la connaissance comme une production libre de l’étudiant et lui permettre d’expérimenter le savoir acquis) et source de savoir (pour conduire à la maîtrise du savoir mathématique identifié comme tel). D’autres aspects de la théorie des situations didactiques nécessaires pour la construction d’ingénieries didactiques seront exposés dans la section 6.

5.- DIMENSION ÉPISTÉMOLOGIQUE La construction d’une ingénierie didactique se base sur le développement de trois analyses préalables. Ces analyses prennent en compte trois dimensions des concepts mathématiques à étudier : épistémologique, didactique et cognitive. Les raisons les plus importantes pour développer l’analyse de la dimension épistémologique sont que notre travail en éducation est gouverné par nos représentations épistémologiques et que notre expérience avec les mathématiques dans le monde scolaire éducatif tend à les réduire aux objets enseignés (Artigue, 1995). De cette façon, la prise en compte de la dimension épistémologique nous aide à avoir une vision extrinsèque des objets enseignés et à être conscients de leur évolution et des difficultés qu’ils ont mises en lumière. L’Histoire nous montre que les premiers calculs d’intégrales impropres apparaissent au 17ème siècle selon une approche géométrique. Les premiers mathématiciens à effectuer ces calculs, dont Wallis et Oresme, avaient comme but de rechercher et de généraliser certains résultats, mais pas le but de construire une théorie C’est pourquoi il n’y avait pas de théorie générale formalisée. En réalité, ils ont développé des techniques pour des cas spécifiques, se basant sur l’utilisation de suites géométriques. On peut même trouver des réticences dans l’histoire pour accepter certaines figures paradoxales. En particulier, le mathématicien Wallis a eu une correspondance avec le philosophe Hobbes où celui-ci exprime son incompréhension des figures comme la « trompette de Gabriel », figure infinie qui enferme un volume fini (ayant une surface latérale infinie, voir Figure 2)71.

71 Pour plus de détails sur cette dispute, voir Imaz (2001).

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C’est au 18ème siècle, avec la naissance de l’Analyse, que l’approche locale (ce qui se passe au voisinage de l’infini) change pour une approche globale (les propriétés des fonctions). Le processus de formalisation commence et les approches géométriques sont moins utilisées. Ce n’est qu’aux 19ème et 20ème siècles que cette approche géométrique revient, avec l’intégrale de Lebesgue, mais cette fois-ci revêtue du formalisme mathématique. Bien que cette révision historique soit très brève, elle nous permet de voir que la naissance de l’intégrale impropre est liée à l’approche géométrique et à la visualisation. En plus, la formalisation d’une théorie a pris du temps; les mathématiciens ont d’abord abordé quelques cas avant de formuler une théorie générale sur l’intégrale impropre. Enfin, la naissance des intégrales impropres est aussi liée à l’utilisation de séries et certains paradoxes sont présents. Ce sont ces éléments que nous avons pris en compte pour construire notre séquence sur les intégrales impropres en leur donnant plus de sens.

6.- MÉTHODOLOGIE Face aux difficultés observées chez nos étudiants, nous avons envisagé la construction d’une séquence d’enseignement pour introduire le concept d’intégrale impropre. En particulier, une ingénierie didactique a été construite, car elle combine parfaitement les rôles d’outil d’enseignement et de recherche. L’ingénierie didactique est une méthodologie privilégiée qui permet d’observer mais aussi d’analyser d’une façon objective l’apprentissage réalisé par les étudiants. Nous avons accordé une grande importance aux variations du contrat didactique, en particulier en milieu universitaire. Le nouveau contrat instauré était complètement nouveau pour nos étudiants. Nous avons commencé avec des situations plus proches d’eux. De plus, nous avons veillé à construire un milieu adéquat pour chaque situation, afin qu’il produise des contradictions, des difficultés et des déséquilibres, et qu’il permette aussi à l’étudiant d’utiliser ses connaissances antérieures, en favorisant l’adaptation, en lui demandant un travail le plus autonome possible. Notre recherche a été développée avec des étudiants de première année du Baccalauréat en Mathématiques à l’Université de La Laguna (Espagne). Nous avons choisi ce programme parce qu’il s’agit du programme qui étudie le plus en profondeur le concept d’intégrale impropre. Environ 21 étudiants en moyenne ont participé à notre expérimentation, qui s’est déroulée pendant le deuxième semestre de la première année, où le cours sur les intégrales impropres se donne. Nous avons mené 8 séances de 1 heure dans la salle de classe et deux séances d’une heure et demie dans la salle d’ordinateurs. Le nombre d’étudiants participant à chaque séance a été le suivant72 :

S1 S2 S3 S4 S5 S6 M1 S7 S8 M2 23 24 21 21 23 23 18 22 19 22

72 S représente les séances en salle de classe et M les séances en salle d’ordinateurs.

Figure 2

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Figure 3

Comme instruments de collecte de données, nous avons enregistré en vidéo toutes les séances, et, pendant les séances, nous avons distribué aux étudiants trois fiches de travail et nous leur avons demandé de remplir un tableau de convergences et de résoudre quelques problèmes. Enfin, à la fin de la séquence, les étudiants ont rempli un questionnaire d’opinion sur les éléments principaux de notre séquence et un autre questionnaire sur l’utilisation de contre-exemples. Finalement, les étudiants ont passé un test de contenus pour évaluer leurs apprentissages à la fin de la séquence. Notre séquence s’est articulée autour de certains choix macro-didactiques à caractère mathématique et didactique. Du côté mathématique, nous avons choisi de légitimer le registre graphique et de l’articuler avec l’algébrique, de reconstruire la connaissance afin que l’intégrale impropre apparaisse comme une généralisation de concepts déjà connus et d’établir des relations explicites avec ces connaissances antérieures. Du point de vue didactique, nous avons choisi premièrement d’aborder les limitations cognitives et didactiques liées au statut du registre graphique à travers d’une introduction graduelle, deuxièmement d’aborder la complexité des techniques liées tant à l’absence d’une primitive qu’à la visualisation de fonctions non-élémentaires à travers l’assistance de l’ordinateur, et troisièmement d’aborder les limitations de temps à travers une réduction dans la résolution algébrique, changeant ainsi le statut privilégié donné traditionnellement à la résolution directe. Tout ceci, a été combiné avec un partage de responsabilités avec les étudiants et l’implémentation de débats (sans arriver à de vrais débats scientifiques73, en raison du manque d’habitude de nos étudiants).

Les caractéristiques principales de notre séquence sont :

� Articulation du registre graphique avec le registre algébrique. � Reconstruction de la connaissance à partir de concepts déjà étudiés (séries et intégrales

définies). � L’étudiant est investi d’une plus grande responsabilité. � Utilisation de problèmes non-routiniers. � Construction systématique d’exemples et de contre-exemples.

Les activités construites visent à montrer l’utilité du registre graphique pour interpréter certains résultats ainsi que pour prédire et appliquer des critères de divergence. Nous avons aussi montré certaines limitations de ce registre, ce qui motive l’intérêt pour connaître les résultats théoriques. D’après notre approche, l’utilisation du registre graphique, avec ses forces et ses faiblesses, à côté de l’utilisation du registre algébrique facilite la coordination entre les deux registres. 6.1.- Quelques activités de notre ingénierie En raison des limitations de l’espace alloué pour cette contribution, nous ne pouvons pas donner ici plus de détails sur nos activités. Certaines ont déjà été présentées dans González-Martín et Camacho (2004) et González-Martín (2006b). La première situation montrait aux étudiants un ensemble d’intégrales afin d’identifier celles qui ne pouvaient pas être calculées avec la définition de Riemann. Dans le milieu se trouvaient des intégrales dans un intervalle infini et de fonctions non-bornées, qui ont été identifiées par les étudiants. Le milieu incluait aussi l’intégrale de fonctions non-continues, non-dérivables, etc., pour amener les étudiants à réfléchir sur les conditions nécessaires (mais non-suffisantes) pour intégrer dans le sens de

73 Voir Legrand (2001).

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Riemann (voir González-Martín, 2006a). Cette activité a rendu les étudiants conscients des conditions que l’on allait affaiblir (en commençant par avoir un intervalle infini) et nous leur avons demandé ensuite de construire une définition pour l’intégrale dans le cas d’un intervalle infini. Le registre graphique a été très utile pour raisonner sur l’utilité d’intégrer dans des intervalles fermés et d’en faire varier la limite supérieure (voir Figure 3). L’activité suivante consistait à opérationnaliser la nouvelle définition avec deux cas simples. Les

étudiants ont calculé que 10

=∫∞

− dxe x et que ∞=∫∞

1

3/1 dxx , ce qui introduit une prise de conscience

que l’aire d’une figure infinie peut être finie (convergence) ou infinie (divergence). En plus, les étudiants sont conscients que deux fonctions avec un graphe très similaire peuvent enfermer des aires très différentes. La question que nous avons posée ensuite est : « Peut-on donner des critères pour savoir à l’avance quand l’intégrale sera divergente? ». L’utilisation du registre graphique a été très utile et les étudiants ont affirmé que : si f(x) tend vers l’infini, son intégrale sera divergente; si f(x) est constante, son intégrale sera divergente. Le débat a aidé les étudiants à intégrer ces deux critères dans un nouveau critère plus général : « Pour f(x) positive, si à partir d’une certaine valeur de x : f(x) ≥ k > 0, l’intégrale sera alors divergente ». Cette conclusion, avec les deux exemples calculés, permet aux étudiants de voir les potentialités du registre graphique pour conclure la divergence d’une intégrale donnée74, ainsi que ses faiblesses pour prédire la convergence, ce qui justifie le développement d’outils plus formels. Une autre activité que nous avons développée avec les étudiants a été la construction d’une table où nous évaluons le caractère de l’intégrale des familles de fonctions. La classe a été divisée en équipes et chacune d’entre-elles a étudié l’intégrale d’une famille différente, ce qui a fait que le tableau est une production commune et a favorisé l’implication des étudiants dans la construction de la connaissance. De plus, les résultats encerclés dans le tableau (voir Figure 4) peuvent être trouvés en utilisant simplement le critère de divergence, ce qui permet de faire des économies de calculs (en particulier avec la fonction lnkx) et de montrer la puissance de ce résultat si simple. Enfin, comme ce tableau sera utilisé plus tard (comme répertoire de fonctions avec lesquelles comparer avec les critères de convergence), les étudiants peuvent se sentir participants au développement théorique des concepts. L’étude locale d’une fonction dans un voisinage de l’infini et la prédiction du caractère de son intégrale impropre (voir Figure 5) a mené les étudiants à se questionner si l’on peut prédire le caractère de l’intégrale des fonctions sans limite. La plupart des étudiants, en suivant ce qui se passe avec sinx et cosx, concluent que l’intégrale sera divergente. À ce moment, le professeur est intervenu pour présenter une nouvelle activité : la construction de contre-exemples à travers le registre graphique. En particulier, en utilisant les résultats connus pour

74 Ce qui est aussi nouveau, car d’habitude l’enseignement met l’accent sur les critères de convergence et ignore un critère de divergence si simple et puissant à la fois que celui-ci.

Figure 4

Figure 5

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les séries, une fonction non-continue, non-monotone et non-bornée a été construite en construisant sur chaque entier n, des rectangles dont l’aire égale à 1/n2 (voir Figure 6).

Dans ce cas, l’intégrale de cette fonction égalera ∑∞

=1

2/1n

n , qui est finie.

Ce contre-exemple est assez riche, car il permet aussi de voir qu’avoir une aire finie n’implique nécessairement pas avoir une fonction bornée, ce qui aide à faire face à l’obstacle de liaison à la compacité. Pour terminer cette section, nous montrons aussi deux fonctions qui peuvent être facilement construites dans le registre graphique et qui permettent de répondre aux deux questions suivantes (Figure 7):

∞<⇒/∞< ∑∫∞

=

1

)().(n

anfdxxf ∞<⇒/∞< ∫∑

∞∞

=a

n

dxxfnf ).()(1

Figure 7

Ces deux questions aident à introduire le théorème intégrale, qui énonce sous quelles conditions les caractères de la série et de l’intégrale sont pareils.

7.- RECUEIL DE DONNÉES, ANALYSE ET DISCUSSION Notre séquence a été évaluée de plusieurs façons. En premier lieu, à travers la confrontation entre les analyses a priori et a posteriori, qui nous a aussi aidée à étudier l’apprentissage des étudiants et l’efficacité des situations construites. Les étudiants ont aussi rempli des feuilles de travail en petites équipes, en répondant à de nouvelles questions en utilisant les nouveaux concepts. Puis ces feuilles ont été ramassées et analysées. Ils ont aussi dû résoudre quelques problèmes à remettre au professeur. Enfin, il y a eu un test de contenus et les étudiants ont rempli deux questionnaires sur la séquence. Les observations de classe nous permettent d’affirmer que les étudiants ont accepté graduellement le registre graphique pour formuler des conjectures à partir du moment où le critère de divergence a été institutionnalisé. Nous avons pu voir comment les étudiants se servent de ce critère et du registre graphique pour appuyer certains de leurs raisonnements (Figure 8).

n.(1/n3)

Figure 6

Figure 8

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La construction de contre-exemples a aussi été une activité que les étudiants ont appréciée et ils ont même été capables de construire des contre-exemples non-simples pour répondre à certaines questions. Par exemple, pour répondre à la question

« ∞<⇒/∞< ∫∑∞

=a

n

dxxfnf ).()(1

», une équipe

d’étudiantes a construit une fonction qui, pour chaque entier, a la valeur 1/n2, mais dont l’aire est infinie car elle tend vers la somme d’infinis rectangles (voir Figure 9). En rapport avec l’utilisation de graphes comme une partie du travail mathématique, tous les étudiants (échantillon de 24) ont considéré ceux-ci comme intéressants ou très intéressants pour leur travail et ils ont avoué que les graphes les aident à comprendre bien mieux les choses. La construction d’exemples et de contre-exemples a aussi été très bien acceptée par les étudiants, qui la considèrent utile pour leur formation (9 sur 19 la considèrent utile et 9 sur 19 la considèrent très utile). De plus, 15 étudiants sur 16 ont considéré la construction d’exemples et de contre-exemples très efficace pour l’apprentissage. Le travail en équipes a aussi été très bien accueilli par les étudiants. 11 étudiants sur 19 l’ont considéré utile et qu’il aide à éclaircir les doutes, et 7 étudiants sur 19 l’ont considéré très utile et qu’il leur a été très bénéfique. Enfin, on peut même voir dans les résultats du test de contenus (répondu par 26 étudiants) que les étudiants sont, en général, plus outillés pour répondre aux questions non-routinières ainsi qu’à celles présentant des informations dans le registre graphique. Par exemple, pour la question présentée dans la Figure 10, nous avons obtenu que 13 étudiants ont répondu correctement à la question sur la première intégrale en utilisant clairement le graphe. De plus, 8 étudiants ont répondu correctement à la question sur la deuxième intégrale en utilisant un raisonnement graphique. Ces résultats deviennent plus éloquents lorsqu’on les compare avec les résultats d’une expérimentation menée en 2002 avec un échantillon de 31 étudiants (González-Martín, 2002) : seulement un étudiant a été capable de répondre aux questions en utilisant le graphe donné.

Figure 9

Figure 10

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8.- CONCLUSIONS Dans cet article, nous avons vu quelques difficultés et obstacles qui surgissent chez les étudiants universitaires pour apprendre et comprendre le concept d’intégrale impropre. Puis, nous avons montré quelques activités qui tentent de donner plus de sens au concept « intégrale impropre » et de renforcer le statut mathématique du registre graphique chez les étudiants universitaires. Nous croyons que nos changements dans le contrat didactique usuel (travail en équipes, débats, production de résultats par les étudiants, …) et le travail de construction d’exemples et de contre-exemples, ainsi que l’interprétation graphique des résultats, permettent aux étudiants de reconnaître ce registre, de s’entraîner à son utilisation et de l’accepter comme outil mathématique pertinent. En plus, l’« acceptation » de son utilisation de la part du professeur renforce son statut mathématique, ce qui permet plus tard l’institutionnalisation de son utilisation. Les résultats de recherche montrent, et les résultats de notre expérimentation appuient, que les étudiants (surtout au niveau universitaire) ont une grande réticence pour utiliser ce registre, ce qui peut être la conséquence d’une formation où ce registre n’est pas présent. Étant donnée cette réticence, l’utilisation du registre graphique ne devrait pas être faite d’une façon isolée, mais comme une partie habituelle de l’instruction, de sorte que les étudiants l’acceptent et que son recours soit institutionnalisé. Dans ce sens, son utilisation comme une partie d’une expérimentation est positive, mais elle risque de devenir anecdotique si, une fois acceptée, son utilisation n’est pas renforcée ultérieurement. Ceci laisse ouverte la question de déterminer s’il serait possible d’organiser un semestre entier en proposant l’utilisation régulière du registre graphique. Nos résultats, bien qu’ils soient locaux, appuient l’hypothèse que les étudiants de l’enseignement universitaire peuvent accepter le registre graphique si son utilité est motivée et s’il est utilisé d’une façon raisonnable. BIBLIOGRAPHIE ARTIGUE, M. (1995). The role of epistemology in the analysis of teaching/learning relationships in

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Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE

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Approche écologique pour le développement de situations didactiques visant la construction de connaissances arithmétiques chez les élèves de première

secondaire en difficultés d’’’’apprentissage

Geneviève Lessard et Gisèle Lemoyne75

Université de Montréal

RÉSUMÉ

Les rapports des élèves aux nombres rationnels, comme le montrent plusieurs études, sont fort problématiques. Traiter de cet objet d’enseignement, auprès d’une population d’élèves du premier cycle du secondaire présentant des difficultés d’apprentissage, représente un défi particulier. Notre recherche vise : à 1) concevoir, mettre à l’essai et évaluer des situations engageant les élèves en difficultés dans des pratiques de résolution de problèmes qui leur permettent de construire, voire de reconstruire des rapports plus adéquats aux nombres rationnels; 2) montrer comment la prise en compte du fonctionnement de l’institution didactique permet d’orienter et d’enrichir les situations didactiques. Dans ce texte, nous procédons à une première analyse de quelques situations d’enseignement qui se sont avérées particulièrement fécondes. INTRODUCTION Dans le cadre de la recherche doctorale effectuée par la première auteure de ce texte, diverses situations d’enseignement des nombres rationnels ont été mises à l’épreuve auprès d’élèves du premier cycle du secondaire présentant des difficultés d’apprentissage. Ces situations émanent d’une collaboration précieuse entre les chercheures et l’enseignante titulaire de la classe. Dans un premier temps, nous présenterons brièvement la problématique et le cadre conceptuel de notre recherche. Par la suite, nous aborderons les orientations privilégiées dans le développement de situations d’enseignement des nombres rationnels, ce qui nous permettra de préciser les objectifs et la méthodologie de notre recherche. Enfin, nous procéderons à une première analyse de quelques situations d’enseignement qui se sont avérées particulièrement fécondes. PROBLÉMATIQUE ET CADRE CONCEPTUEL La problématique et le cadre conceptuel de notre recherche prennent appui sur un nombre important de recherches. Dans ce texte, nous traiterons des contextes socio-éducatif et didactique de notre recherche et des défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Les rapports problématiques des élèves aux nombres rationnels seront ensuite examinés et les orientations privilégiées dans le développement de situations d’enseignement des rationnels aux élèves du premier cycle du secondaire présentant des difficultés d’apprentissage seront définies.

75 Nous tenons à remercier Madame Christine Ménard, enseignante à l’École secondaire Vanguard, qui nous a si généreusement accueillies dans sa classe de mathématiques, qui nous a permis de mieux comprendre les enjeux de l’enseignement à ces élèves, qui nous a fait participer aux situations d’enseignement qu’elle a réalisées, qui nous a fait bénéficier de ses expertises dans la préparation, la réalisation et l’évaluation des situations que nous avons proposées. Nos remerciements s’adressent aussi à tous les élèves qui ont accepté de relever plusieurs défis et dont les conduites ont été des sources d’apprentissage fort importantes.

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Contextes socio-éducatif et didactique Les élèves présentant des difficultés d’apprentissage constituent l’effectif le plus important de la population en adaptation scolaire au Québec (Tardif et Presseau, 2000). Depuis les dernières années, on note une augmentation sensible de cet effectif dans le secteur de l’adaptation scolaire de l’enseignement secondaire, plus particulièrement, en première secondaire (MELS, 2006). Faire en sorte qu’un plus grand nombre d’élèves puisse compléter leurs études secondaires et accéder à des emplois honorables est une priorité sociale. C’est dans ce contexte que nous nous intéressons à l’enseignement des mathématiques auprès d’élèves en difficultés d’apprentissage. Les défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage Les défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage76 sont nombreux. Pour en apprécier l’importance, nous aborderons brièvement les études qui ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du système didactique et les aménagements de ce fonctionnement dans des classes spéciales. La chronogénèse et l’avancé du temps didactique Dans les classes régulières, la gestion du temps didactique est, en principe, facilitée par les progressions des savoirs appris par un nombre appréciable d’élèves. (Sensevy, 1998; Mercier, 1995a, 1995b, 1998). Dans l’enseignement spécialisé, on assiste régulièrement à des régressions, à des piétinements (Lemoyne et Lessard, 2003), à des surinvestissements (Conne, 2003), à des recyclages de dispositifs d’enseignement. Si la gestion du rapport ancien-nouveau détermine l’avancement du temps didactique (Mercier, 1995b, 1998), le recyclage de dispositifs ne peut faire illusion, les élèves percevant très vite qu’ils n’avancent pas et réagissant souvent en désinvestissant les tâches (Desbiens et Bowen, 2002; Hinshaw, 1992; Sensevy, 1998). La topogénèse des savoirs

Comme l’ont montré Mercier (1995a, 1995b) et Sarrazy (1996), la tendance fort compréhensible de plusieurs enseignants est souvent de piloter pas à pas la situation d’apprentissage, minimisant ainsi l’engagement des élèves dans la construction de leurs connaissances. Nous pouvons ainsi facilement percevoir que si les difficultés d’apprentissage ne sont perçues que du côté de l’élève, l’enseignant prend davantage en charge la responsabilité77 de l’apprentissage. Une prise en charge « presque complète » de la situation d’apprentissage par l’enseignant met ainsi en place un contrat didactique (Brousseau, 1980) qui devient un obstacle, souvent très résistant et durable, à l’engagement des élèves, à la construction des connaissances. Comment ne pas s’enliser dans le cercle vicieux d’une réduction des enjeux de l’apprentissage et des possibilités d’apprentissage de l’élève en difficultés, celui-ci n’ayant pas la chance de mettre à l’épreuve ses connaissances, d’oser s’engager dans une démarche de construction de connaissances et d’apprécier les effets de son engagement cognitif? Les rapports problématiques des élèves du secondaire aux nombres rationnels

76 De façon générale, nous pouvons parler des difficultés d’apprentissage en termes d’écart entre les attentes didactiques d’une situation d’apprentissage et les apprentissages réalisés. 77 La topogénèse constitue l’ensemble des tâches dont respectivement le professeur et les élèves ont la charge (Chevallard, 1991).

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Les élèves présentant des difficultés d’apprentissage, mais également plusieurs élèves faisant partie de classes régulières, ont souvent aussi des rapports problématiques avec des savoirs plus anciens, notamment en arithmétique. Comme le rappelle Rouche (1998, p. 1) ;

« Les fractions sont un des premiers et principaux terrains où se développe le dégoût des mathématiques et la conviction, à peu près toujours fausse, que l’on est incapable de cette activité « réservée aux plus intelligents ». « Oh moi les mathématiques » dit-on dans l’âge adulte, en repensant entre autres aux fractions. Celles-ci sont comme des insectes nuisibles qui s’attaquent aux écoliers et dont les piqûres entraînent d’interminables séquelles intellectuelles et morales. »

Les rapports des élèves aux nombres rationnels ont été maintes fois examinés par les chercheurs en didactique, ce qui a permis de clarifier le concept de fractions, concept clé dans l’enseignement des rationnels (Desjardins et Hétu, 1974 ; Kieren, 1992, 1994, 1995 ; Rouche, 1998), de mieux comprendre les difficultés des élèves, voire des enseignants du primaire, dans l’interprétation et l’utilisation des nombres rationnels (Bezuk et Bieck, 1992; Charnay et Mante, 1992; Chevallard et Jullien, 1989; Heller, Post, Behr et Lesh, 1990; Kieren, 1980, 1988) et enfin, de concevoir et de mettre à l’épreuve divers dispositifs didactiques sur l’enseignement des nombres rationnels (Blouin, 2002; Blouin et Lemoyne, 2002; Guy et Nadine Brousseau, 1987; Mack, 1990; Moseley, 2005). Transformer les rapports des élèves aux nombres rationnels constitue un défi important. Les orientations privilégiées dans le développement de situations d’enseignement Concevoir et intégrer des situations visant une construction, voire une reconstruction, de connaissances et de savoirs sur les nombres rationnels, n’est évidemment pas chose facile. La compréhension, l’implication et l’imbrication de l’institution « classe » permettent de penser l’enseignement/apprentissage en termes de transformation de ces rapports, de ces habitus (Bourdieu et Passeron, 1970). L’inscription écologique de situations didactiques

L’inscription écologique de situations didactiques positionne le chercheur en tant qu’« écocitoyen [qui] doit mieux comprendre comment situer et insérer son action locale dans un système global (de Rosnay, 1994, p.1) ». Le processus d’intégration écologique de situation didactique engage forcément la responsabilité des divers acteurs, acteurs devant occuper « des positions symétriques » pour reprendre les propos de Van der Maren et Poirier (2007). Le concept d’approche collaborative nous appert être une condition favorable à une intégration écologique féconde. En effet, la recherche collaborative « prend forme autour de l’idée de faire de la recherche « avec » plutôt que « sur » les praticiens » (Lieberman, 1986, dans Desgagné, Bednarz, Couture, Poirier et Lebuis, 2001, p. 34). Il s’agit donc de favoriser davantage une attitude participative (Davis, 2005) dans laquelle la complicité est de mise. Les questionnements suivants nous apparaissent alors fort pertinents : Comment la recherche peut-elle être viable dans un milieu particulier? Que livre ce milieu si complexe qui favorisera la construction de situations qui puissent permettre aux élèves en difficultés de transformer leurs rapports aux nombres rationnels, aux mathématiques? L’importance du concept de « dé-transposition didactique » dans la conception de situations

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Intervenir efficacement auprès d’élèves présentant des difficultés d’apprentissage est loin d’être évident. Le concept de « dé-transposition didactique » proposé par Antibi et Brousseau (2000) nous apparaît particulièrement précieux pour repenser un enseignement qui évite les dérives évoquées précédemment et pour montrer l’intérêt du recours à l’inscription écologique. Antibi et Brousseau (2000, p. 23) utilisent ce concept «pour désigner une action didactique intentionnelle, orientée vers le traitement des conséquences d’une transposition didactique reconnue explicitement comme antécédent légitime, et entreprise dans le cadre d’une transposition didactique nouvelle présentée elle-même comme légitime.». Dans cette définition, l’idée d’une transposition didactique nouvelle semble particulièrement importante, voire cruciale, lorsque l’action didactique est réalisée auprès d’élèves présentant des difficultés. Elle invite à user d’ingéniosité pour concevoir des situations « originales », des situations « défis », des situations qui puissent permettre aux élèves de mobiliser leurs connaissances, de les transformer, voire de les rejeter au profit de connaissances qui leur permettent de contrôler les situations.

Qui dit transposition nouvelle, dit aussi prise en compte du fonctionnement de l’institution « scolaire » et de l’institution « classe de mathématiques », des manuels en usages, des situations usuelles proposées en classe, des pratiques des élèves, etc. Une telle prise en compte montre toute l’importance d’une inscription écologique des situations d’enseignement. OBJECTIFS ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE La recherche en cours a pour objectifs principaux de: 1) concevoir, mettre à l’essai et évaluer les apports et les limites de situations engageant les élèves en difficultés dans des pratiques de résolution de problèmes qui leur permettent de construire, voire de reconstruire des rapports plus adéquats aux nombres rationnels; et, 2) montrer comment le fonctionnement de l’institution didactique est pris en compte dans ce travail.

Notre recherche a été réalisée dans une des écoles Vanguard vouées à l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Les écoles Vanguard visent à établir une « transition didactique, cognitive, sociale » entre l’enseignement dans ces classes et l’enseignement dans les classes régulières. En fait, diverses modalités sont prises en compte pour supporter le travail de ces élèves: effectif réduit (14-17 élèves par classe), aménagements variés lors des examens, possibilité d’effectuer leur première secondaire en 2 ans, cheminement personnalisé (possibilité de multi-niveaux), enseignement offert par des orthopédagogues. Nous donnons un très bref aperçu du processus d’élaboration et de gestion des situations d’enseignement des rationnels qui ont été réalisées auprès des élèves d’une classe du premier cycle de l’enseignement secondaire.

Notre entrée dans la classe coïncide avec le début de l’enseignement des fractions, notamment de l’enseignement des techniques usuelles de calcul sur les fractions. Nous avons pu ainsi mieux comprendre les visées d’un tel enseignement et apprécier les ouvertures aménagées par l’enseignant, et par certains élèves, pour mieux comprendre le sens des opérations sur les fractions. Les rôles de l’étudiante-chercheure (EC) et de la directrice de la thèse (CH) ont été définis durant ces premiers moments. Ils résultent, entre autres, d’une entente avec l’enseignante (ENS) concernant: a) l’observation et la prise de notes durant les activités régulières d’enseignement effectuées par l’enseignante); b) l’assistance à l’enseignante, apportée par l’étudiante-chercheure, lors de la correction de devoirs, d’examens; c) les échanges avec l’enseignante, l’étudiante-chercheure et la directrice de la thèse, avant, pendant ou après les activités d’enseignement; d) les interventions de l’enseignante, de l’étudiante-chercheure et de la directrice de la thèse pendant l’enseignement. C’est à la suite de ces premières participations à l’enseignement que l’enseignante a invité l’étudiante-chercheure et la

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directrice de la thèse à concevoir certaines situations d’enseignement, situations qui étaient ensuite examinées avec l’enseignante et adaptées pour tenir compte des suggestions de l’enseignante. Dans la construction de ces situations, nous avons d’abord procédé à un examen des situations proposées dans le manuel utilisé dans la classe et effectué certaines adaptations pour un travail plus « pertinent » sur les nombres rationnels. Nous avons aussi proposé des situations, certaines étaient puisées ou adaptées de situations présentées dans des études didactiques et d’autres, construites à la suite d’une analyse des conduites des élèves et des échanges avec l’enseignante. ANALYSE DE QUELQUES SITUATIONS « PIVOTS » DE LA SÉQUENCE

Dans cette section, nous avons choisi d’effectuer une première analyse de trois situations ayant suscité un investissement « enthousiasme » et « significatif » chez les élèves. Il importe de préciser que ces situations s’inscrivent dans un continuum, au regard de l’historicité de la classe. Cette prise en compte fera l’objet d’une analyse ultérieure. Première situation

La première situation, « Dites-le avec des fleurs78 » (voir la figure ci-bas), a retenu l’attention de l’enseignante lors d’un échange portant sur les activités proposées aux étudiants en formation des maîtres et les raisonnements déployés par ceux-ci.

L’enseignante propose alors d’inviter ses élèves à réaliser cette tâche et à noter leur raisonnement. Nous procédons donc ainsi. Lors du cours suivant, l’enseignante invite les élèves à présenter leurs démarches et à interpréter celles des autres. Ce travail fait, nous présentons aux élèves quelques démarches d’étudiants universitaires, ce qui leur permet de mieux apprécier leurs démarches. Les conduites de l’ensemble des élèves sont particulièrement intéressantes, les élèves effectuant des raisonnements qui sont loin d’être triviaux. Il nous apparaît donc judicieux de rapporter, et d’examiner brièvement, les raisonnements de quelques élèves (pour identifier les élèves, nous recourons au code suivant : En : n étant différent d’un élève à l’autre). Pour compléter cette présentation, nous avons choisi de reproduire le raisonnement d’un étudiant universitaire, raisonnement qui a fait l’objet d’une étude par les élèves.

78 Bélisle, J.-G. (1999). La résolution de problèmes dans ma classe. Suggestions pour une gestion efficace. Instantanés Mathématiques, vol. XXXV, numéro 4, 5 – 13. Ce problème est inspiré d’une situation publiée dans la revue Math-École, no. 156, 1993, p. 20.

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Les raisonnements de quatre élèves sont présentés. Tous ces élèves réussissent à solutionner correctement le problème.

Raisonnement de l’élève E1 : « J’ai comparé les prix, j’ai regardé en premier le A, quand je suis arrivé au B, j’ai vu qu’il avait 50 sous celui-là. Vu qu’il y avait deux grosses fleurs jaunes, ça ne pouvait pas être ceux-là qui a les 50 sous alors c’est une des deux petites, je suis allé au bouquet C. Je me suis dit un de ces deux-là à 50 sous dans son prix à cause d’ici [Bouquet B], mais j’ai remarqué qu’au A, la blanche était toute seule alors ça ne pouvait pas être elle. Alors je suis allé par essais/erreurs en mettant toujours 50 sous à celle-là … pis quand...mettons, au début j’ai mis 2,50$ ici [Bouquet C] à mettons... pis là j’ajoutais l’argent qu’il fallait pour 17.» Raisonnement de l’élève E9 : « Ben là, j’ai regardé le premier bouquet, j’ai fait ouin; le 2e ouin, oui, l’autre ouin, pis là … Ici j’ai vu qu’il y avait deux pareils et qu’ils revenaient 2 fois. Après j’ai fait 17,00$ divisé en 2 ça m’a donné 8,50$. Là, j’ai regardé le B, j’ai vu qui revenait … J’ai fait 14,50 – 8,50$, ça m’a donné 6$ … pis là je l’ai divisé en 2 pour savoir le prix de celle-là ... 3 dollars. Pis là icitte y revient encore là, ça me donne 8,50$ + 3$ ça donné 11,50$... pis là j’ai fait 15,00$ -11,5$ ça donne 3.50$. Pis après, quand j’ai trouvé le prix de chacun, j’ai pu trouver le prix en bas. » Raisonnement de l’élève E16 : « On a regardé le numéro A et C, on a vu que la différence est de 2$ et la A et le B 50 sous. On a vu la seule chose qui différencie les 2, c’est les grosses fleurs …Ici, y manque 1 petite fleur bleue et une grosse fleur, alors on s’est dit la petite était plus de 50 sous [l’élève veut dire que la grosse vaut 50 sous de plus que la bleue en en comparant A et B] et la grosse moins de 2$ [l’élève veut dire la différence entre la grosse et la blanche est de 2$ en comparant A et C]. Ben là on a commencé à utiliser des chiffres... On a fait des essais et erreurs.» Raisonnement de l’élève E3 : «Comme E3 on sait qu’entre le A et le B il y a une différence de 50 cents et qu’entre A et C… différence de 2$... Bon, moi j’ai donné des noms aux plantes, A, B, C Alors on sait que Be = Ja + 0,50 ; Ba = Ja + 2$; alors là... on sait la différence entre la bleue et la jaune et entre la blanche et la jaune, y faut trouver la différence entre la bleue et la blanche ... Tu fais 2$ - 0,50$ = 1,50$. Maintenant [en regardant C], on sait qu’il y a 2 blanches donc 1,50$ x 2 …. 3 $ de différence …17 + 3 = 20…. / 4 = 5, etc. » Raisonnement d’un étudiant universitaire : « J’ai vu que le bouquet D est comme les bouquets A et B mis ensemble sauf qu’il y a une fleur blanche et une fleur bleue de trop. Si je regarde le bouquet C, je sais qu’une fleur bleue et une fleur blanche valent 8,50$. J’ai donc fait 15,00$ plus 14,50$ et ensuite j’ai soustrait 8,50$, ce qui m’a donné 21,00$ ».

Au terme de ces présentations, tous les élèves étaient ébahis par le nombre de démarches possibles qui, pour la plupart, leur ont été accessibles. Ainsi, si l’on s’attarde plus particulièrement aux raisonnements déployés par les élèves précédents, nous remarquons que plusieurs connaissances ont été mises en jeu, menant à des niveaux fort variés de modélisation de la situation. En tenant compte d’un certain nombre de relations entre les données liées aux divers bouquets de fleurs, certains ont eu recours à une méthode d’essais/erreurs plus ou moins efficace. Par exemple, l’élève E1 s’est plutôt appuyé sur une valeur hypothétique du prix des fleurs, en établissant des relations entre les prix des bouquets exprimés par des nombres décimaux et le nombre de fleurs, tandis que l’élève E16 a considéré les relations79 entre

79 Certains élèves qui ont déployé un raisonnement similaire à celui de l’élève E3 ont rencontré des difficultés dues à l’incomplétude du modèle des relations qui orientait leurs démarches. Ces élèves notaient uniquement les nombres, sans indiquer le sens des relations entre ces nombres. Nous les avons donc amenés à compléter leurs représentations.

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les prix des fleurs (bleu/jaune et blanche/jaune). En revanche, si à l’instar des élèves précédents, l’élève E9 procède à l’examen des relations entre les prix de chacun des bouquets et la composition de ces bouquets, il constate rapidement qu’il est possible de déterminer rapidement le prix total d’une fleur bleue et d’une fleur blanche. En effet, puisque le nombre de fleurs bleues et blanches dans le bouquet C est le double du nombre de fleurs bleues et blanches dans le bouquet B et que ce dernier bouquet comporte un même nombre de fleurs que le bouquet C, il conclut alors, fort à propos, que le prix total d’une fleur bleue et d’une fleur blanche est la moitié du prix du bouquet C, soit 8,50$. Et, puisque le bouquet B comporte aussi deux fleurs jaunes, il lui est facile de calculer le prix d’une fleur jaune, en effectuant les calculs suivants : 14,50 – 8,50 = 6; 6 ÷2 = 3; 3$ est donc le prix d’une fleur jaune. Il lui est tout aussi facile de trouver le prix d’une fleur bleue et enfin, le prix du bouquet D. Le raisonnement de cet élève, n’oublions pas qu’il s’agit d’un élève présentant des difficultés d’apprentissage, est particulièrement « brillant ». Le raisonnement de l’élève E3, comme le montre sa démarche, prend appui sur une coordination de connaissances importantes, voire sur une articulation entre les raisonnements arithmétique et algébrique. Cet élève a non seulement considéré les relations entre les fleurs bleues et jaunes, puis entre les fleurs blanches et jaunes, mais a aussi déduit la relation entre les fleurs blanches et bleues. Ce qui le mena à substituer le coût des fleurs bleues par celui des fleurs blanches dans le bouquet C. En choisissant de présenter la démarche de cet élève, à la suite de l’examen des démarches précédentes, plusieurs élèves ont pu alors comprendre le raisonnement de cet élève. Comme nous l’avons évoqué antérieurement, nous avons choisi de présenter aux élèves la démarche d’un étudiant universitaire, à la suite de l’analyse des démarches précédentes, ce qui a permis aux élèves de donner sens au raisonnement de cet étudiant. Remarquons d’abord que cet étudiant, comme l’a fait l’élève E9, trouve facilement qu’une fleur blanche et une fleur bleue valent 8,50$. Cet étudiant effectue aussi un examen de l’ensemble des bouquets et du bouquet D, ce qui lui permet aisément de trouver que le prix du bouquet D correspond à la somme des prix des bouquets A et B, à laquelle toutefois il importe de déduire le prix d’une fleur bleue et d’une fleur blanche. La représentation de la situation, chez cet étudiant et chez les étudiants universitaires, se distingue de celle des élèves, par l’établissement de relations entre la composition du bouquet D et les compositions des différents bouquets, relations faisant l’économie de la recherche du prix unitaire de chacune des fleurs. Il nous semble qu’une telle représentation témoigne aussi « d’un regard algébrique » sur les relations, regard différent de celui que nous avons retrouvé chez l’élève E3. La comparaison entre les conduites des étudiants universitaires et des élèves en difficultés d’apprentissage a fait émerger l’importance et la nécessité de prendre le temps de bien examiner les relations entre les données de la situation, avant de s’engager dans des calculs. Cette situation et les interactions en classe constituent « un point tournant » dans les rapports de plusieurs élèves aux mathématiques. L’enseignante, les chercheures, et les élèves, ont également été impressionnées par les raisonnements que les élèves ont pu mettre en place.

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Deuxième situation La deuxième situation portant sur la comparaison de fractions, situation que nous avons proposée, répond à l’invitation de l’enseignante qui nous avait demandé d’assumer cet enseignement qui, selon elle, était abordé différemment dans le nouveau manuel scolaire. Elle avait plutôt l’habitude de privilégier le recours au dénominateur commun; elle souhaitait que les élèves construisent d’autres stratégies. Les tâches que comporte cette situation ont été construites en prenant en considération ce qui était prôné dans le manuel, mais en y apportant des modifications, à savoir: le recours à différentes représentations des rationnels; le recours à la comparaison de nombres, par exemple 2/3 et 5/6, sans faire intervenir les calculs usuels. Rappelons que, dans la tâche d’entrée proposée dans le manuel en usage, les élèves étaient invités à ordonner différentes fractions, par exemple, 3/5, 3/9, 3/15....3/5, 4/5, 2/5, etc. Compte tenu des fractions proposées, cette tâche offrait peu d’occasions d’effectuer un travail essentiel sur les différents sens de la fraction et sur les représentations des nombres rationnels. Dans la première tâche que nous avons conçue, les élèves étaient invités à ordonner les nombres rationnels suivants : 3/7; 5/9; 1/2 ; 255/510; 0,500001; 7/35; 171/340; 0,76; 3/8; 6/11; 7/8; 21%; 251/504; 8/9; ils devaient faire ce travail individuellement. Notre intention était de présenter à nouveau cette tâche, au terme de l’enseignement sur les nombres rationnels, ce que nous n’avons pu faire, faute de temps. La seconde tâche que nous avons conçue, à la suite d’une analyse des productions des élèves à la tâche précédente, et qui a reçu l’approbation de l’enseignante, comportait diverses représentations des fractions, obligeant les élèves à une analyse des rapports entre numérateurs et dénominateurs. Nous avons jugé bon d’inclure également un nombre décimal. Dans cette tâche, les élèves étaient invités à former des équipes et à placer en ordre croissant les nombres suivants: 5/12; 0,50001; 7/12; 141/240; 7/10; 2/3; 5/6. Il leur était également fortement conseillé de bien regarder les relations entre les nombres pour trouver des façons « économiques » de comparer les nombres. Le tableau suivant fait état des réponses de ces équipes. Nous commentons brièvement ces résultats.

Équipes plus petit -----------------------------------------------------> plus

grand

E11/E16 0,50001

[5,0001/10 ; 1/2 = 0,5]

5/12 7/12 141/240 2/3

[8/12] 7/10

5/6 [10/12]

E2/E10/E17 5/12 0,50001 7/12 141/240 7/10 2/3

[8/12] 5/6

E4 7/10 (70%) ; 0,50001 (50,1%); 5/6 (83%) – notez que les nombres ne sont pas ordonnés E14/E8 7/10 7/12 5/12 5/6 2/3 141/240

E1/E3 5/12 0,50001 [5/10 …]

141/240 [7/12…]

7/12 2/3

[8/12] 5/6 [10/12] 7/10

E6/E9 5/12 7/12

141/240 [7,1/12]

2/3 [8/12]

5/6 7/10

[14/20]

E5/E12 0,50001

[5,0001/10] 5/12 7/12

141/240 [7,1/12]

2/3 4/ 6 = 8/12

5/6 7/10 [14/20]

E7/E15 2/3 5/6 0,50001 (5/10)

5/12 7/10 7/12 141/240

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Plusieurs élèves ont essayé en vain de trouver un dénominateur commun pour l’ensemble des fractions. Certains ont ensuite remarqué que deux des fractions, soit 5/12 et 7/12, partageaient un même dénominateur et, comme en fait état les données du tableau précédent, ont ensuite utilisé ce dénominateur pour représenter les fractions 2/3, 5/6. Parmi eux, certains ont aussi utilisé ce dénominateur pour représenter la fraction 141/240. Il s’agit de conduites fort pertinentes qui montrent bien que, lorsque les situations le commandent, les élèves peuvent mettre à profit leurs connaissances et trouver des façons originales de comparer des fractions. Il est aussi fort intéressant de noter que quatre équipes ont su interpréter correctement le nombre 0,500001, même si une seule équipe (E3/E1), a pu situer correctement ce nombre dans la liste ordonnée des nombres. Certains élèves ont aussi considéré le rapport entre le numérateur et le dénominateur et comparé ce rapport à une demie : a) les élèves E3 et E17 ont ainsi rapidement conclu que 5/12 était un nombre inférieur à ½, puisque la moitié de 12 est 6; b) l’élève E11 a aussi conclu que 0,50001 est « juste un peu plus qu’une demie », bien que son équipe ne soit pas parvenue à situer correctement ce nombre, inscrivant ce nombre avant 5/12; c) les élèves E2 et E7 concluent correctement que 141/240 est un nombre supérieur à ½, l’élève E7 disant alors : « t’as juste à regarder… C’est plus qu’une demie t’as 21 de plus ». Fait également intéressant, dans la comparaison des fractions 7/10 et 7/12, les élèves E2, E10 et E17 font référence au sens partie-tout de la fraction, disant alors : « dans une tarte, il y a des morceaux plus petit dans le 7/12… 7/12 plus petits morceaux que le 7/10 ». Il nous semble enfin important de noter le fait que l’élève E4 a représenté les fractions par des pourcentages, en recourant à la technique du « produit croisé », technique utilisée antérieurement dans la classe; par exemple, pour transformer 5/6 en pourcentage, il a effectué les calculs suivants : 5 x 100 = 500 ; 500 ÷6 = 83%. Les conduites précédentes montrent bien que, placés dans des conditions favorables, les élèves peuvent prendre appui sur plusieurs connaissances pour élaborer des démarches « originales » et qui sont loin d’être « triviales. » Au terme de cette situation, plusieurs élèves étaient étonnés de ce qu’ils étaient parvenus à faire. Troisième situation La troisième situation, soit l’« Épaisseur d’une feuille de papier », est empruntée à Brousseau (N. et G. Brousseau, 1987). Il s’agit d’une situation reconnue « exemplaire » par plusieurs communautés de chercheurs en didactique des mathématiques. Cette situation répond à une requête de l’enseignante, requête effectuée à la suite de la réalisation en classe de diverses activités impliquant les nombres rationnels. L’enseignante souhaitait que soient traités les divers sens de la fraction et, plus spécifiquement, les sens rapport et mesure. Nous rappelons brièvement les diverses phases que comporte cette situation. Des enveloppes contenant divers types de feuilles sont distribuées aux élèves de chacune des équipes formées par l’enseignante. Les élèves doivent inventer un code permettant d’identifier les types de feuilles que comporte chacune des enveloppes, en essayant de rendre compte de leur épaisseur, sachant cependant que l’épaisseur d’une feuille est trop petite pour qu’on puisse la mesurer directement avec le pied à coulisse dont ils disposent. Il leur est dit également qu’il est possible que certaines équipes aient des enveloppes qui contiennent les mêmes types de feuilles et qu’ils auront par la suite à comparer leurs réponses pour déterminer quelles sont les enveloppes qui contiennent les mêmes types de feuilles.

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Pour réaliser la première tâche, les élèves adoptent généralement trois conduites, soit : 1) Choisir une mesure et compter le nombre de feuilles; 2) Trouver l’épaisseur d’une feuille; 3) Choisir un nombre de feuilles et mesurer son épaisseur. Pour montrer la richesse de cette situation et des connaissances mises en œuvre par les élèves, nous examinons la réalisation de la seconde phase de cette situation, au cours de laquelle les élèves doivent trouver les équipes ayant les mêmes types de feuilles. Pour ce faire, nous avons présenté, au tableau, les mesures obtenues par les différentes équipes; ces mesures sont reproduites dans le tableau suivant. Dans ce tableau, les nombres entre parenthèses représentent, selon l’ordre chronologique, les types de feuilles jugés identiques par les élèves.

Équipe1 5 mm pour 49 f (3) 5 mm pour 2 f (2) 5 mm pour 26 f 5 mm pour 117 f (4) Équipe2 1,1 cm pour 267 f 1,1 cm pour 48 (1) 9mm pour 36 f Équipe3 1cm pour 44 f 1cm pour 44 f (1) 5mm pour 22 f Équipe4 2,1 cm pour 8 f (2) 2 mm pour 50 f (4) 2mm pour 20 f (3)

La présentation de ces résultats a généré des échanges fort pertinents, voire étonnants, en ce qui concerne l’identification des mesures représentant le même type de papiers. À la question initiale formulée par EC, à savoir : « Est-ce qu’on peut voir si certaines équipes avaient les mêmes papiers? », l’élève E16 déclare : « Il y a plein de centimètres qui se ressemblent mais aucune feuille qui peut être reliée ». L’élève E3 réplique en disant qu’il faut regarder et il ajoute que « c’est 48 pis 44 de l’équipe 2 et 3 », ce que l’élève E1 conteste. L’élève E3 poursuit en disant « parce que le 1,1 et 4 de plus ». L’élève E3 ajoute aussi : « les 0,1, pour 4 à 1 pour 44 ». Après quelques échanges suscités par EC qui demande aux élèves de se prononcer, l’élève E11 dit : « nous on a 44 eux 48, 44 + 4 … 48 … C’est 4 feuilles de différence qui est égal à 0,1 cm… ». C’est alors que CH formule la question suivante : « c’est combien de fois plus … de 4 à 44 ». « Et ici? » poursuit EC, en proposant de comparer 0,1 à 1. La discussion se poursuit et plusieurs élèves sont convaincus qu’il s’agit bien des mêmes types de feuilles. Il leur est demandé enfin de trouver un moyen pour mesurer l’épaisseur d’une seule feuille. EC suggère alors de trouver une notation pour écrire « 1 cm pour 44 feuilles ». L’élève E12 dit alors « 1/44 ». Il leur est ensuite demandé de trouver un nombre décimal qui corresponde à 1/44. Cette demande suscite plusieurs interactions, interactions impliquant une coordination des sens rapport et mesure de la fraction, ainsi que des relations entre les écritures fractionnaires et décimales. Certains élèves parviennent à exprimer l’épaisseur d’une feuille de papier appartenant à divers types de feuilles, ce qui constitue un pas important. Les échanges qu’a occasionnés l’examen des autres mesures que comporte le tableau précédent sont tout aussi riches et montrent une intégration de connaissances sur les nombres rationnels, intégration à laquelle ont sûrement contribué l’ensemble des situations qui ont précédé cette situation.

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CONCLUSION Bien que l’analyse de cette recherche soit encore à l’état embryonnaire, nous avons pu remarquer un changement de perspectives qui amène les élèves à regarder les relations entre les nombres, avant de «se réfugier» dans des calculs «conventionnels», que l’on peut d’ailleurs mettre en parallèle avec les propos de l’enseignant : «Ce qui est bien de tes activités, c’est que ça travaille le raisonnement pas le calcul ». Cette expérience fort instructive nous porte à croire que l’on n’insistera jamais suffisamment sur l’importance de considérer l’hétérogénéité didactique, qui réfère à l’appropriation du savoir et caractérise la situation d’échec en termes de position de l’élève dans une tâche particulière (Sarrazy, 2002). La variété et la richesse des situations didactiques et des contrats qu’elles sollicitent sont plus à même de rendre compte des variations individuelles que les seules caractéristiques psychogénétiques de l’élève. Les élèves nous ont clairement démontré qu’ils peuvent s’extraire du rang « d’élève faible » -étiquette générale stigmatisante-, pour occuper une position qui leur rend davantage justice. Encore faut-il qu’ils en aient l’opportunité ! La complicité qui s’est construite s’est bien fait ressentir dans les pratiques, parfois même, à l’insu de ses acteurs! Grâce à cette collaboration « didactique », les élèves ont eu l’opportunité de mettre à l’épreuve leurs connaissances, de s’engager dans une démarche de construction de connaissances et d’apprécier les effets de leur engagement cognitif.

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Voix multiples dans l’invention d’une situation : réflexion sur la recherche en

didactique des mathématiques

Jean-François Maheux, UQAM Résumé

La collaboration entre chercheurs et enseignants gagne en popularité au sein du monde de la recherche en didactique des mathématiques. Parallèlement, le développement de modèles théoriques comme celui que j’ai choisi d’explorer (modèle de Wenger (1998) pour le design de communautés de pratique) appelle à faire considérer plusieurs approches telles que l’ethnologie de l’éducation, la recherche collaborative et celle des « Learners’ perspective studies ». De fait, mon expérience comme étudiant gradué m’a conduit à développer un regard sur la recherche en didactique des mathématiques comme réalisée avec, sur, pour et par tout à la fois les chercheurs, les enseignants et les élèves concernés. Ce texte présente une réflexion autour de ma démarche et du modèle qui s’en dégage. Introduction

Mon parcours comme étudiant à la maîtrise débute autour de trois points d’ancrage. D’abord, ce qui ressemble à un problème de recherche, formulé sous l’angle d’un intérêt pour l’expérience de la classe de mathématiques que font les élèves du secondaire, guidé naturellement par celui de comprendre comment en faire éventuellement une expérience plus positive pour eux. Ce premier point s’accompagne pour moi d’une « piste à explorer » : le modèle de Wenger (1998) pour les communautés de pratique. Ce modèle, développé dans le paradigme de la cognition située (Lave et Wenger, 1991), se présente en effet comme un outil permettant de saisir les conditions selon lesquelles les participants (tels les élèves) dans une communauté de pratique (qui pourrait être la classe de mathématiques) construisent leur identité comme membres de cette communauté par la réalisation d’apprentissages leur permettant de participer de manière centrale et légitime. En troisième lieu, se dégage un autre aspect important du projet qui m’habite : le désir de faire de cette investigation une recherche dans le cadre de la didactique des mathématiques, suggérant par là l’engagement dans une certaine démarche de recherche (encore à découvrir).

Cette communication présente certains éléments de ce parcours qui m’ont menés, au terme du mémoire déposé (Maheux, 2007), à développer une compréhension élargie de l’activité de recherche en didactique des mathématiques, dans laquelle plusieurs « voix » se font entendre. Réalisée autour de l’invention d’une situation pour l’apprentissage destinée au contexte régulier d’un enseignant du secondaire, j’illustre enfin comment on peut reconnaître dans cet itinéraire la présence d’une épistémologie transcendante allant de la construction de connaissance chez les élèves à la production de savoir par le chercheur, en passant par le développement de compétences professionnelles chez les enseignants. Ce regard particulier permettra éventuellement de soulever des questions fondamentales en lien avec l’activité de recherche et la conception de projets futurs, dont, j’espère, pourra profiter l’ensemble de la communauté éducative.

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L’expérience de la classe explorée sous L’angle de l’identité

Le mémoire réalisé à partir de mon intérêt pour l’expérience des élèves s’ouvre et se ferme sur une citation tirée des aventures du Petit Nicolas : « Vous avez remarqué que quand on veut parler avec les copains en classe, c’est difficile et on est tout le temps dérangé ? » (Sempé et Goscinny, 1963). Imaginé dans les années soixante, ce mot d’enfant représente bien ce que j’ai eu maintes fois l’occasion d’observer en classe, tout en accentuant un malaise profond pour moi : comment se fait-il que des élèves n’aient pas une expérience de la classe et de l’apprentissage des mathématiques qui fasse en sorte que ce soit le bavardage, et non pas le discours du maître, qui apparaisse comme une distraction ?

La question de l’identité s’est alors progressivement imposée comme une manière d’approcher cette question, suivie de la surprise et de l’excitation de découvrir qu’il existait tout un corps de recherches sur cette question, principalement dans les branches de la Mathematics Education développées aux États-Unis, en Angleterre et en Australie.

De façon très sommaire, des questions concernant la perception que les élèves développent d’eux-mêmes dans leurs rapports à la classe de mathématiques abordent le « travail identitaire » inextricablement lié à ces expériences (Bartholomew, 2005). Approchée sous ces aspects les moins reluisants, Lerman (2005) ou Boaler (2002), par exemple, stigmatisent la manière dont s’effectue la rupture entre la classe de mathématiques et les autres dimensions de l’existence des élèves : « Develop a mathematical consciousness but leave your life, ideas, and feelings at the door of the mathematics classroom » (Lerman, 2005, p. 4). Dans le même esprit, Cotton (2002) parle d’un rejet de ce qu’est et de ce que connaît l’élève de la part de la classe de mathématiques, tandis que Solomon (2007) aborde la question en termes d’inclusion et d’exclusion (notamment à propos de la place réservée aux filles) lors d’une étude s’intéressant aux classes de mathématiques de niveau universitaire.

D’autre part, le potentiel d’une construction positive de l’identité, offert par l’activité mathématique, est également souligné par plusieurs, tels Boaler et Greeno (2000). Cité par Lerman (2005), Mendick (2003) suggère ainsi que ce que les élèves apprécient quand ils font des mathématiques, c’est également le travail identitaire qu’ils réalisent à travers elles. Dans des travaux portant sur des élèves du début de secondaire, Cobb et Hodge (2002) attirent également l’attention sur la manière dont les élèves parviennent à construire leur identité comme personne faisant des mathématiques à travers l’activité mathématique elle-même. Boaler, quant à elle, fait des observations du même ordre dans certaines des classes qu’elle a observées :

« Students are asked to contribute to the judgment of validity and to generate questions and idea [...] they were not only required to contribute different aspects of their selves, they were required to contribute more of their selves. [...] Students are required to propose 'theories', provides critiques of each other's ideas, suggest the direction of mathematical problem solving, ask questions and 'author' some of the mathematics methods and directions in the classroom. [...] Students have more agency [...] and more authority [... However,] the nature of the agency in which students engage [...] is related to the discipline of mathematics and the practices of mathematicians in important ways. […] » (Boaler, 2002, p. 48)

Se dresse, à partir de cette rapide esquisse, un visage de l’apprentissage des mathématiques dans sa dimension individuelle et collective, sur le plan biographique et social, dans la classe et dans le monde. Cette vision, par ailleurs, s’inscrit parfaitement avec ma découverte, en parallèle, du travail de Lave et Wenger dans le paradigme de la cognition située (Lave et Wenger, 1991) et de la théorie des communautés de pratiques (Wenger, 1998 ; 2005), que je vais à présent exposer brièvement.

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Le modèle de Wenger

Sans entrer ici dans les détails du modèle de Wenger pour les communautés de pratiques (Wenger, 1998 ; 2005), que l’on pourra apprécier dans le mémoire (Maheux, 2007) ou, plus succinctement, dans une publication destinée aux enseignants (Maheux, 2006), un bref tour d’horizon s’impose.

Dans son ouvrage, Wenger nous propose une « théorie sociale de l’apprentissage » qui s’inscrit dans le paradigme de la cognition située (Lave et Wenger, 1991). En considérant l’apprentissage du point de vue d’une expérience de changement de la participation au sein d’un groupe, Wenger tente en quelque sorte un rapprochement entre la dimension biographique et la dimension ethnographique du parcours d’un individu. S’appuyant sur le concept de communauté de pratique (Lave et Wenger, 1991), défini comme un groupe d’individus partageant certaines façons de faire, une entreprise commune et ce que l’on peut reconnaître comme un engagement mutuel, Wenger articule le concept d’apprentissage et le concept d’identité autour de celui de participation.

L’apprentissage, dans son approche, correspond donc à une transformation de l’identité comme membre d’une communauté de pratique par un changement dans participation au sein du groupe. À partir de cette perspective, Wenger développe alors un modèle en deux volets, que j’ai souhaité explorer, dans le cadre du mémoire, en relation avec la classe de mathématiques du secondaire.

Wenger conceptualise la dimension identitaire autour de 3 modes d’appartenance à une communauté de pratique : l’engagement, l’imagination et l’alignement. En quelques mots, il donne donc un sens au processus de formation de l’identité et d’apprentissage autour de l’idée d’engagement, laquelle correspond à un processus de négociation de sens et de mutualité; d’imagination, par laquelle des représentations du monde et de sa propre activité sont créées; et d’alignement, qui conceptualise la mobilisation des énergies et l’ajustement avec les entreprises auxquelles sa communauté de pratique contribue. Pour la classe de mathématiques, cela peut vouloir dire de se pencher sur (1) les relations que les élèves entretiennent tout en s’engageant dans une activité mathématique (engagement), (2) les rapports aux mathématiques des élèves et à la manière dont ils font sens de leur expérience de la classe de maths avec les autres dimensions de leur existence (imagination), et (3) la façon dont le savoir se construit collectivement dans la classe, et s’adapte aux attentes curriculaires ou au savoir mathématique, par exemple (alignement).

Wenger développe ensuite un modèle pour le « design pour l’apprentissage » qui propose 4 dimensions dont le rôle est de soutenir l’appartenance à une communauté de pratique. Ces dimensions sont en fait des dualités, l’enjeu consistant à faire part aux deux aspects qu’elles réunissent. Ainsi, le conçu et l’émergent forment une dimension où, par exemple, la planification de l’activité mathématique et l’adaptation à ce qui survient en classe se répondent. La participation et la réification en forment une seconde, par laquelle l’exploration et la création trouvent autant leur place que le savoir codifié (une forme de réification). Une troisième dimension identifiée par Wenger est celle du local et du global, qui invite à concevoir l’activité de la classe pour elle-même et dans un contexte plus large. Enfin, la dualité identification et négociabilité correspond aux formes de participations possibles, demandant que des modèles, des attentes, soient proposés tout en ouvrant à d’autres manières de faire.

Dans son ensemble, le travail de Wenger se veut donc à la fois un cadre analytique et un appareillage conceptuel pouvant s’appliquer à des questions de design en éducation, dans l’idée générale de former des communautés de pratique plus « efficaces » et « satisfaisantes » pour ses membres : par exemple les élèves d’une classe de mathématiques. En explorant ce cadre, un des aspects intéressants que j’y ai découvert, en contraste avec les cadres que nous utilisons généralement en didactique, est son caractère très « ouvert ». Wenger, en effet, ne cherche pas à produire des catégories « hermétiques » qui circonscrivent parfaitement une « réalité », mais propose des points d’entrée sur un phénomène

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complexe et changeant en fonction du contexte. Ces différents points de vue, qui peuvent alors se recouper plus ou moins, mettent aussi en lumière des aspects différents, invitant à faire des liens, mais où le « faire » l’emporte sur le « lien » : des liens qui seront toujours à faire, et à refaire…

Enseignants et élèves

Pour passionnant qu’il soit, le travail de Wenger, n’ayant pas été développé dans le cadre de l’enseignement des mathématiques, se trouve par ailleurs à une certaine distance de la réalité du travail des enseignants et des élèves en classe. En tant que développement théorique, son adaptation risquait ainsi de me plonger dans une perspective « top-down » de construction de savoir d’un modèle avec laquelle mon contact avec le domaine de la recherche en didactique, et en particulier à travers mes échanges avec mes directrices de recherche, Nadine Bednarz et Caroline Lajoie, me laissait de plus en plus mal à l’aise.

Le besoin de prendre en compte le rôle de l’enseignant et son savoir pratique ouvrait la porte à une nouvelle dimension dans mon parcours. Les travaux menés autour de la culture de la classe (Seeger et al., 1998) ou de la formation des maîtres (Bauersfeld, 1994), par exemple, montrent bien la nécessité de prendre en compte la dialectique «activités – élèves – enseignant» pour comprendre comment et à partir de quoi se construit la pratique d’une classe. Ainsi, les savoirs pratiques des enseignants dans l’exercice de leur métier (dans le contexte « ordinaire » de la classe du secondaire), de même que les éléments qui, à leur échelle, interviennent de façon déterminante dans la préparation et la réalisation d’activités pour l’apprentissage, apparaissent mériter une attention particulière. Ces éléments sont essentiels pour éclairer l’intérêt ou le potentiel d’un modèle comme celui de Wenger pour l’enseignement, d’autant plus, dirais-je, que ce modèle conduit à s’intéresser à la fois aux relations qui s’installent autour d’une certaine vie commune (penser à l’idée de contrat pédagogique, de métier d’élève) et à un ensemble de façons de faire en classe de mathématiques (en lien, entre autres, avec la mise en place d’une certaine pratique mathématique de la classe).

D’heureuse façon, la collaboration entre chercheurs et enseignants, qui gagne en popularité au sein du monde de la recherche en didactique des mathématiques (Bednarz et al, 2001; Desgagné et al., 2001), offre une alternative à cette approche prescriptive. Orientées vers une prise en compte du contexte de pratique des enseignants dans la construction de connaissances liées à la pratique, ces méthodologies (et tout particulièrement la recherche collaborative) ont un intérêt non seulement pour le rapprochement entre la théorie et la pratique, mais pour une véritable synchronisation entre ces perspectives (Couture et al., 2007).

Les recherches dont il est question ici sont menées dans un esprit de collaboration où chercheurs et enseignants se réunissent pour travailler ensemble sur des problématiques communes (Desgagné et al., 2001). Elles mettent à contribution des savoirs contextualisés des enseignants et rendent compte du fait que l’on ne peut pas concevoir la théorie d’un point de vue purement prescriptif. Au contraire, on y défend l’idée selon laquelle il est essentiel, pour comprendre l’apport d’une perspective théorique, d’être attentif à ce qui est réellement mis en œuvre dans la pratique.

Gravemeijer (1998) aborde aussi cette question dans la présentation qu’il donne de l’approche de recherche-développement (developmental research). Il explique comment la construction et l’expérimentation d’activités pour la classe de mathématiques sont utilisées comme un moyen pour élaborer et pour mettre à l’épreuve une théorie : « the development of instructional activities is used as a mean to elaborate and test an instructional theory » (Gravenmeijer, 1998, p. 277). L’activité du chercheur se porte alors sur le processus de construction et sur les situations elles-mêmes. Du côté de la recherche collaborative, on remarque aussi qu’une démarche qui s’intéresse au processus qui prend

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place entre chercheurs et enseignants fait « ressortir l’intérêt de la prise en considération de […] multiples angles d’attaque dans la structuration de situations d’enseignement des mathématiques » (Bednarz et al., 2001, p. 206).

Trois mondes

De cet ensemble, émerge progressivement ce qui allait devenir, au terme de mon analyse, un élément clé pour comprendre la façon dont allait se réaliser la recherche en cours. Cet élément serait la présence, au cœur de cette entreprise, de trois mondes d’influence : celui du chercheur, celui de l’enseignant et celui des élèves.

Ainsi, pour le chercheur, la prise en compte de « savoir existant » et la création de nouveaux savoirs apparaissent comme des facteurs de première importance. Ce serait en particulier le cas dans mon projet d’adapter une théorie développée à l’extérieur de la didactique des mathématiques au contexte ordinaire de la classe. Ce projet, côté chercheur toujours, s’accompagne du besoin d’adopter une certaine démarche de recherche associée (en relation avec ma position comme étudiant gradué) à une expérience de formation à la recherche dans laquelle j’allais moi-même apprendre beaucoup.

Du côté des enseignants, le besoin d’inscrire la démarche à l’intérieur de sa réalité prendrait la forme de préoccupation au niveau du programme de formation, de la planification des séances en classe, de l’ancrage dans le contexte particulier d’une école, d’un groupe d’élèves dont il faudrait tenir compte. Il serait aussi important de composer avec une certaine vision de l’enseignement et des mathématiques qui ne correspondraient pas nécessairement à celle du chercheur, de savoir tirer parti d’un savoir d’expérience, tout en faisant de la recherche un tremplin pour stimuler et soutenir un certain développement professionnel.

La même richesse d’enjeux, et donc de sources d’influence, se retrouve dans le monde des élèves. On pense au premier chef, évidemment, à l’importance de faire de la recherche une expérience de formation signifiante, y compris en termes d’apprentissages mathématiques. Suivant une approche didactique, il devient alors essentiel de tenir compte et de s’appuyer sur leurs connaissances en mathématiques et leurs difficultés, par exemple. Et l’on voudrait également tenir compte de leur rapport aux mathématiques et à la classe, pour les comprendre et, éventuellement, les transformer. S’ajoute donc naturellement la nécessité, une fois encore, de s’ancrer dans un contexte, une réalité, et de tenir compte des spécificités des élèves avec lesquelles la recherche sera effectivement conduite.

La présence de ces trois mondes, en relation avec ce que je découvrais comme mes responsabilités premières en tant que chercheur en didactiques des mathématiques, enrichissait ainsi ma compréhension du projet dans lequel j’étais engagé. Cette réflexion me menant à considérer l’entreprise de recherche (en didactique, mais aussi de manière beaucoup plus générale) comme conduite avec, sur, pour et par tout à la fois les chercheurs, les enseignants et les élèves concernés.

Je dis « avec » dans la mesure où la recherche se présente alors comme un lieu de rencontre de ces trois mondes, où les contributions proviennent de divers points de vue, tous participants, bien que de façon différente, à la recherche. En disant « sur » je souligne par ailleurs qu’il s’agira de porter un certain regard sur ces trois mondes, sur l’apprentissage des élèves, les façons de faire des enseignants, et aussi la démarche de recherche elle-même! L’enjeu fondamental correspondant à apporter une contribution à la communauté éducative se trouve reconnu dans le « pour », et concerne à la fois le présent et le futur, qu’il s’agisse de construire de nouveaux savoirs pour la didactique des mathématiques, d’encourager le développement de nouvelles façons de faire pour des enseignants, ou de conduire apprentissages pour les élèves, par exemple. Enfin, et de manière sans doute un peu surprenante, le « par » correspond

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quant à lui à l’idée que le regard, les contributions de chacun ne servent pas seulement de décors ou de matériau, mais le processus même de la recherche, en tant qu’expérience de formation et de construction de savoir, en relation avec des rationalités théoriques, pratiques, et expérientielles, à travers des appréciations des problèmes, de l’entreprise, du produit de la recherche…

Un défi méthodologique de taille : vers l’examen de l’invention d’une situation pour l’apprentissage

À partir de tout cela, pour avancer dans la recherche, il me fallut cerner un objectif, choisir un angle. L’articulation de l’ensemble de ces perspectives présentait en effet un défi méthodologique de taille! Le point d’entrée qui nous apparut, à mes directrices et à moi, une manière plausible d’engager cette démarche, fut du côté des situations pour l’apprentissage des mathématiques.

De fait, lorsqu’elle est tournée vers la classe et le travail avec les élèves, la recherche en didactique des mathématiques prend souvent la forme d’une élaboration de situations pensées a priori par le chercheur sur la base d’analyses préalables (Artigue, 1990 ; Bednarz et al., 2001; Brousseau, 1998) qui sont expérimentées en classe. La préparation et l’expérimentation de situations peuvent par ailleurs offrir des occasions exceptionnelles de collaboration avec des enseignants, se présentant comme des points d’ancrage autour desquels on pourra équilibrer les préoccupations d’ordre théorique avec celles issues du contexte réel du travail des enseignants et des élèves.

Une telle démarche pourrait clairement permettre d’examiner le modèle proposé par Wenger en s’attardant à la manière dont on cherchera à l’utiliser pour la conception de situations pour la classe de mathématiques au secondaire, à la façon dont il interviendra vraiment dans la préparation et la réalisation de ces situations et, enfin, aux bénéfices qu’en retireront éventuellement les élèves vivant ces activités en classe.

Mais pour faire sens, il me faillait néanmoins inscrire cette démarche dans une entreprise plus large, un véritable programme de recherche! Ce programme, je le développai en quatre points :

1. Un travail théorique sur le modèle de Wenger (en lien avec la conception de situations); 2. Une observation du processus de création et de réalisation de situations dans le contexte réel du

travail d’un enseignant; 3. Une mise en relation de ces deux points pour revisiter le modèle de Wenger (pour concevoir des

situations); 4. Une observation de l’intérêt des situations ainsi conçues pour les élèves.

Trop vaste entreprise pour faire l’objet d’un mémoire, je me penchai donc sur les deux premiers aspects, que je mis en pratique par :

• Une analyse et une interprétation du modèle de Wenger en relation avec la classe de mathématiques

• Une identification de situations pour la recherche • Un travail collaboratif avec une enseignante • Une expérimentation en classe avec des élèves • Une observation en classe et des entrevues avec les élèves

Ce processus pouvait ainsi s’inscrire dans une certaine tradition de recherche. Proche des travaux en ethnologie de l’éducation (e.g. Woods, 1990), on y retrouve l’idée de faire entendre différentes voix, tout en se plaçant dans un contexte réel, dont on cherchera à rendre compte. Suivant une approche

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qualitative/interprétative (Savoie-Zajc, 2002), l’objectif dans un premier temps serait de dégager des pistes pour la recherche. Une analyse de théorisation ancrée (Glasser et Strauss, 1967; Strauss et Corbin, 1990) pourrait permettre de faire émerger un modèle de ce qui serait observé, le tout étant inscrit dans une démarche de recherche collaborative (e.g. Bednarz et al., 2001) visant à mettre à profit le savoir d’expérience des enseignants. Éventuellement, s’inspirer de la méthodologie développée dans le cadre des Learners’ perspective studies (e.g. Clarke, 2002), mettant les élèves à contribution dans l’interprétation de leurs expériences en classe, inviterait même à les considérer comme des « co-chercheurs ». Formant un tout cohérent, ces éléments me permirent effectivement de mener le projet à terme, faisant en particulier le suivi de l’invention d’une situation depuis la première idée jusqu’à sa réalisation dans une classe, en passant par un travail collaboratif d’élaboration avec une enseignante.

Un aperçu des résultats : familles et sources d’influences

Ici encore, il ne m’est pas possible d’entrer dans une présentation approfondie ne serait-ce que d’une partie des résultats, mais je puis néanmoins offrir un aperçu en relation avec un des éléments mentionnés précédemment : les trois sources d’influences. Au terme du travail d’analyse duquel ces sources ont continué d’émerger, se sont également dégagées ce que j’ai appelé des familles d’influences permettant de concevoir de manière un peu plus articulée la façon dont ces influences interviennent. On y retrouve six familles grâce auxquelles les influences se précisent, les familles s’exprimant néanmoins différemment pour chacune d’elles. Ce sont les intentions, les rationnels sous-jacents, les manières de faire, les contraintes, les rôles et les ressources. Produit à partir des données même de la recherche, le tableau suivant en présente une illustration contextualisée, que l’on trouvera commentée dans le mémoire (tableau 1) :

Tableau 1 : Familles et mondes d'influence Recherche Enseignants Élèves

Intentions S’intégrer à la recherche, explorer le modèle de Wenger

Vivre avec les élèves une situation riche sur le plan éducatif

Vivre des activités motivantes, variées…

Rationnels sous-jacents

Faire place aux savoirs théoriques et aux savoirs des enseignants

Organiser le travail, faire le suivi, solliciter la participation

Avoir des rapports aux savoirs, à l’apprentissage, aux mathématiques, à la classe…

Manières de faire

Adopter une approche didactique, de collaboration et d’observations

Avoir ses modes de fonctionnement, une manière de questionner, etc.

Contribuer à la classe, se plier aux demandes, se partager le travail…

Contraintes Maintenir l’objectif de la recherche au cœur de ce qui est vécu

Fonctionner dans une grille horaire, disposer de temps pour préparation, suivre le programme

S’engager, reporter son engagement dans le temps, passer à l’écrit

Rôles Identifier des situations, préparer des documents, observer…

Valider, ajuster, mettre en oeuvre

Résoudre des problèmes, partager le travail, s’investir…

Ressources

La recherche comme source d’information, d’inspiration, savoirs, les enseignants, les élèves

Des savoirs pratiques, des ressources matérielles, des collègues, le chercheur, les élèves…

Ses connaissances mathématiques, l’enseignante, les pairs.

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On y voit ainsi que les intentions correspondent à ce qui motive, ce qui paraît important et significatif dans la démarche tandis que les rationnels sous-jacents constituent ce qui guide l’action. Les manières de faire en sont alors une forme d’expression, inscrite néanmoins dans des pratiques qui se développent au-delà du projet lui-même, dans lesquelles on pourrait reconnaître certains attributs des « métiers » de chercheur, d’enseignant et d’élèves. Les contraintes viendront généralement d’un cadre qui se situe au-delà de son activité immédiate, comme c’est le cas chez le chercheur qui, pour s’inscrire dans son univers de recherche en didactique doit assurer une place à son objectif de recherche lors du travail de collaboration, ou du côté des élèves, par exemple, lesquels sont amenés à fonctionner à l’intérieur des règles définies par l’enseignante et par l’école. Les rôles déterminent le partage des tâches, les contributions directes de chacun des modes d’influence par les acteurs qui les représentent tandis que les ressources constituent ce qui permet, tant au plan matériel, conceptuel, qu’humain, de soutenir l’ensemble et permettre à chacun d’arriver à bon port.

Conclusion : une transcendance épistémologique

En guise de conclusion, c’est l’idée, fondamentale dans ma démarche, d’une épistémologie transcendante que je voudrais souligner. Allant de la construction de connaissance chez les élèves à la production de savoir par le chercheur en passant par le développement de compétences professionnelles chez les enseignants, je retrouve une égale préoccupation pour sa présence à tous les niveaux de ma réflexion. Il s’agit d’une épistémologie dans laquelle le savoir se construit « en contexte », qui s’appuie sur l’expérience, et qui participe à une trajectoire de construction identitaire.

Dans ma recherche, je me trouve ainsi engagé dans une production de connaissances contextualisées dans ma propre expérience de formation, mon devenir de chercheur en didactique des mathématiques, et dans les relations que je crée avec d’autres : une enseignante, ses élèves, mes directrices de recherches, le groupe du SÉDiM, formé d’étudiants gradués, avec qui j’ai plusieurs fois partagé ma démarche, etc. Ces connaissances sont construites à même mon expérience et en coordination avec d’autres « voix » : celle en particulier d’une enseignante qui fait entendre son propre rationnel, sa propre expérience, ses idées, ses contraintes, et qui construit également, à travers son implication dans la recherche et dans sa pratique, des savoir-enseigner nouveaux, ou enrichis. Et je dirai la même chose des élèves, qui ont leurs propres besoins, leurs propres attentes, et leur propre imagination également ; des élèves qui construisent en contexte font sens de leur expérience. Et ce faisant, ils nous informent également (chercheur(s), enseignant(s)) en même temps qu’ils apprennent, en même temps qu’ils deviennent, par leur participation dans la recherche, dans l’enseignement, dans leur propre apprentissage. En anglais, le "présent continu" permet cette formulation fabuleuse de l’être, du faire et du savoir : « all knowing is doing is being » (Davis et al. 1996).

J’ai voulu, pour traduire cette transcendance, articuler recherche, enseignement et apprentissage, de manière à faire entendre ces multiples voix, leur trouver des points de convergence ou de tension selon qu’elles s’accordent ou discordent (Bertolini Bussi, 1998) dans cette vaste entreprise où nous sommes tous engagés : une entreprise dédiée à faire de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques des expériences signifiantes et significatives, positives et réussies. Il me semble fondamental, pour nos recherches futures, non seulement de reconnaître l’importance d’une telle épistémologie (où, de la même manière que les élèves construisent socialement leurs connaissances en mathématiques, chercheurs et enseignants construisent des connaissances et des savoir-faire), mais de la valoriser et

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mieux encore : de s’en servir. Comment, dans la conception de prochain projets, dans le travail au jour le jour, dans les interactions directes que nous avons, comme chercheurs, avec les élèves et les enseignants (de même que les autres acteurs impliqués), comment allons-nous nous appuyer sur de telles observations pour aller de l’avant? Voilà une vaste question qui, je crois, ouvre à de riches perspectives pour la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Et un regard sur sa genèse, me semble-t-il, pourrait nous apporter de nombreux éléments à partir desquels, tous ensemble, nous pourrons cheminer dans cette voie.

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La recherche sur les enseignants du secondaire en mathématiques : Un phénomène beaucoup plus complexe qu’on ne le pense

Jérôme Proulx80 Université d’Ottawa

RÉSUMÉ Un aperçu des deux courants majeurs de recherche sur la formation des enseignants est donné pour permettre de bien situer la présente recherche, en marge des deux. Un travail de formation continue a été entrepris avec des enseignants du secondaire, possédant des connaissances mathématiques fortement techniques et procédurales, dans le but d’approfondir leurs connaissances des concepts mathématiques scolaires en construisant sur ce qu’ils connaissent. Les retombées de la formation mettent en évidence (1) un développement important de connaissances mathématiques chez les enseignants, développement qui leur a offert des possibilités mathématiques et pédagogiques nouvelles et (2) plusieurs aspects forts intéressants à considérer lors de la formation des enseignants du secondaire. La recherche, par ses résultats et son approche, met aussi en valeur l’importance du travail en profondeur des concepts mathématiques (scolaires) chez les enseignants en contexte de formation (initiale et continue).

INTRODUCTION AUX PROBLÉMATIQUES ACTUELLES La recherche actuelle sur les enseignants du secondaire est d’une certaine façon séparée en deux clans difficilement conciliables. D’un côté, on retrouve une littérature étiquetée « déficitaire », qui fait état de recherches portant sur les difficultés mathématiques des enseignants du secondaire, sur leurs (mauvaises) croyances, sur leurs (mauvaises) pratiques, etc. De façon assez équivoque, cette recherche s’attarde à montrer les difficultés qu’éprouvent les enseignants et réclame d’importants changements chez ces derniers, et ce, sur plusieurs points de vue. De l’autre côté du spectre, on retrouve une littérature qui se dit « positive » et qui critique le côté négatif des recherches précédentes81. Ce courant parle davantage de s’adapter aux besoins des enseignants et de « partir » d’où ils sont et de ce qu’ils savent. Elle s’intéresse aussi à faire ressortir les « bons coups » des enseignants plutôt que de s’attarder à leurs difficultés. La situation « vécue » de l’enseignant est placée au cœur du processus de recherche et de formation. Malgré le résumé un peu caricatural qui vient d’être tracé82, il apparaît assez clair que ces deux types de littératures et recherches sont assez éloignés l’une de l’autre et sont ainsi difficilement conciliables. Toutefois, entre ces deux perspectives, il existe quelques autres positions qui ne se réclament pas d’aucun courant spécifique et qui, il m’apparaît, offrent un portrait de la situation qui est davantage nuancé et prometteur. Une première de ces perspectives apparaît chez Blouin (2000), une formatrice d’enseignants à l’élémentaire constamment confrontée au phénomène récurrent de la baisse des

80 Ce texte est tiré de ma recherche doctorale qui a été subventionnée par le Conseil de recherches en science humaine du Canada (CRSH) et le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC). 81 Il est à noter que c’est le courant « positif » qui a donné l’étiquette « déficitaire » à l’autre groupe de recherche (par exemple, voir Davis & Simmt, 2006). 82 Toutefois, on peut se demander si d’une certaine façon un résumé n’est pas toujours une caricature ?

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connaissances mathématiques des enseignants du primaire83. Blouin nous explique qu’il est très légitime de partir de la situation des enseignants pour leur fournir une formation plus adaptée en lien avec ce qu’ils « sont » et avec leurs attentes. Toutefois, elle explique aussi que nous devons nous rappeler que, en tant que formateurs, nous avons aussi notre contexte, c’est-à-dire nos propres attentes et intentions (vis-à-vis ces enseignants) envers lesquelles nous voulons agir. Pour Blouin, cette perspective nuance beaucoup la situation de formation (et par le fait même le continuum préalablement tracé). Un autre chercheur apportant une couleur particulière à une situation similaire est Brousseau (1988). Ce dernier, de façon implicite, nous signale le piège offert par le continuum soulevé précédemment en expliquant qu’il est possible de reconnaître une situation, un phénomène, sans nécessairement tomber dans le jeu du blâme. La citation suivante traduit bien les pensées de Brousseau :

« Je ne suis jamais critique envers l’enseignement tel qu’il se pratique. Si vous voyez 200 000 profs faire la même chose et que ça vous paraisse idiot, c’est pas parce qu’il y a 200 000 idiots. C’est parce qu’il y a un phénomène qui commande la même réaction chez tous ces gens. Et c’est ce phénomène qu’il faut comprendre. […] On l’optimisera pas avec de l’idéologie, ni avec des leçons de morale vers les maîtres. »

Dans ces deux perspectives (qui m’apparaissent) « plus nuancées », on perçoit une certaine reconnaissance d’une situation sur laquelle on ne ferme pas les yeux, mais avec laquelle on s’intéresse à travailler – tout en ne portant pas de jugement ou de blâme inutile envers quiconque. Cette perspective « mitoyenne » m’apparaît utile pour faire davantage de sens du contexte dans lequel la présente recherche se situe.

LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE La présente recherche s’intéresse à la formation continue des enseignants de mathématiques du secondaire. Six enseignants ont participé au projet, constitué de dix sessions de trois heures distribuées sur toute une année scolaire, le tout précédé de quelques visites de classes et d’entretiens individuels permettant de mieux connaître les participants et leur contexte de classe. Les enseignants dans la recherche étaient très compétents au niveau mathématique (selon ce que j’ai pu observer), c’est-à-dire qu’ils ne faisaient pas vraiment d’erreurs ou n’avaient pas de difficultés à résoudre des problèmes et expliquer les concepts en mathématiques. De plus, leur relation avec les mathématiques, au niveau académique et émotionnel, était très positive84. Ils appréciaient et aimaient beaucoup faire des mathématiques, ayant en effet décidé de les enseigner à temps plein dans les écoles secondaires. Ils avaient aussi très bien réussi en mathématiques durant leur carrière scolaire. Les mathématiques recevaient un statut privilégié pour eux, faisant d’une certaine façon partie de leur vie quotidienne. Toutefois, leurs connaissances mathématiques étaient très procédurales/techniques ; les mathématiques étaient vues et comprises comme un ensemble de faits et de procédures à appliquer. Ces enseignants possédaient, d’une certaine façon, ce que Skemp (1978) appelle une compréhension instrumentale des mathématiques, qu’il distingue d’une compréhension relationnelle. La

83 Ce phénomène est soulevé à plusieurs reprises dans le recueil collectif à l’intérieur duquel le texte de Blouin est paru (Blouin et Gattuso, 2000). 84 Ceci semble important puisque plusieurs recherches sur les enseignants du primaire font ressortir la relation problématique, au niveau académique et émotionnel, envers les mathématiques que ces enseignants vivent (voir, entre autres, Héraud, 2000).

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compréhension relationnelle se décrit comme la connaissance du comment faire et de la rationalité sous-jacente à l’action (le « pourquoi »), alors que la compréhension instrumentale est uniquement la possibilité de connaître comment faire, sans savoir pourquoi et le tout fonctionne. Par exemple, dans le cas d’un algorithme mathématique, une compréhension relationnelle représente la connaissance du « comment » utiliser l’algorithme ainsi que du pourquoi il fonctionne, alors qu’une compréhension instrumentale se résume à uniquement savoir comment l’utiliser, étape par étape. En résumé, les enseignants avaient une attitude très positive envers les mathématiques et de très bonnes connaissances (les connaissances mathématiques procédurales sont très importantes en mathématiques). Toutefois, il est possible d’affirmer que leurs connaissances mathématiques étaient quand même « limitées », la présence des raisonnements et significations sous-jacentes étant peu présente. Il va sans dire que toute cette situation avait des répercussions importantes sur leurs pratiques de classe, qui étaient fortement axées sur l’apprentissage des faits et des procédures mathématiques. Et, les enseignants étaient très conscients de la « limite » de leurs connaissances mathématiques et de l’impact de ces dernières sur leurs pratiques de classe. (En fait, cette situation représentait pour eux une des raisons principales de participer à la recherche et au programme de formation continue.) Ces enseignants expliquaient qu’ils avaient eu peu sinon aucune occasion de raisonner les mathématiques dans leur carrière scolaire et ceci leur était manquant – surtout face aux demandes du curriculum qui leur demande de travailler plus en profondeur les concepts et les raisonnements85. Voici quelques exemples de commentaires que les enseignants ont fait ressortir pour expliquer la nature de leurs connaissances mathématiques et l’influence de ces dernières sur leurs pratiques :

Mon enseignant me disait: « tu fais ça, ça, ça, ça, ça et tu obtiens la réponse ». Et bien, j’arrivais toujours à la réponse, j’obtenais une très bonne note et tout allait très bien. (Danielle)

Quand mes élèves me demandent pourquoi, je leur dis simplement que c’est comme ça (rires)! (Lana)

Vous savez pourquoi on n’est pas capable de résoudre par raisonnement ? C’est parce que nous n’avons pas été enseignés à raisonner en mathématiques. Moi, j’ai fait copier-coller, répète et “let’s go!” … et j’ai eu 95% en mathématiques! (Carole)

On observe ainsi que les connaissances mathématiques de ces enseignants jouent un rôle important et les contraignent à enseigner les mathématiques différemment de l’enseignement qu’ils ont reçu. Ces enseignants semblent ainsi pris à l’intérieur d’un cycle (cycle qu’ils perpétuent eux-mêmes chez leurs élèves) : s’étant fait enseigner les mathématiques comme un ensemble de faits et de procédures/techniques, ils ré-enseignent les mathématiques de cette façon par la suite. Après un certain temps, ce cycle se fortifie et en vient même à transformer les mathématiques elles-mêmes, qui ne sont plus uniquement enseignées comme un ensemble de faits et de techniques mais deviennent cet ensemble de faits et de techniques pour les enseignants et les élèves (voir Figure 1).

85 Post et al. (1991) et Russell (2000) font ressortir le fait que souvent on demande aux enseignants d’enseigner des concepts et raisonnements mathématiques avec lesquels ils ne sont pas toujours familiers…

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LE PROGRAMME DE FORMATION CONTINUE MIS DE L’AVANT Toute cette situation a grandement influencé la mise en place et la nature du programme de formation continue pour ces enseignants. Une des premières recommandations qui vient en tête est de faire faire plus de mathématiques aux enseignants afin d’intervenir et peut-être même de briser ce cycle de reproduction. Toutefois, ceci paraît trop simpliste et on peut se demander, comme le font Cooney et Wiegel (2003), « De quelles mathématiques parle-t-on ici ? »

Le cycle après quelques temps …

Les mathématiques sont apprises comme un ensemble de faits et de techniques

Les mathématiques sont enseignées comme un ensemble de faits et de techniques

Le cycle au début …

Les mathématiques sont apprises comme un ensemble de faits et de techniques

Les mathématiques sont enseignées comme un ensemble de faits et de techniques

Le cycle après fort longtemps …

Les mathématiques sont apprises comme un ensemble de faits et de techniques

Les mathématiques sont enseignées comme un ensemble de faits et de techniques

Les mathématiques deviennent CET ensemble de faits et de techniques

Figure 1: Le cycle de reproduction des mathématiques techniques

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Un aspect que les recherches ont démontré est que le travail des mathématiques universitaires n’est probablement pas la meilleure option à adopter dans ce cas. En effet, comme le montre les recherches et écrits de Ball et al. (2001), Gattuso (2000) et Thompson et Thompson (1994, 1996), le travail et l’étude des mathématiques avancées a souvent un effet très pervers chez les enseignants du secondaire, puisque le côté très avancé et formel des mathématiques universitaires a comme répercussion de consolider et d’endurcir le (travail du) côté abstrait, technique et formel des mathématiques chez ces enseignants. C’est en effet la nature et la force même des mathématiques universitaires de pouvoir rendre les raisonnements mathématiques « compacts » et « comprimés » pour qu’ils soient plus efficaces, maniables et utilisables (Adler et Davis, 2006; Ball et Bass, 2003; Bass, 2005; Moreira et David, 2005). Et, comme ces chercheurs l’expliquent, c’est en effet l’habileté contraire qu’il faut maîtriser pour enseigner les mathématiques de façon efficace. Afin de favoriser les raisonnements des élèves, l’enseignant doit être en mesure de décortiquer les concepts mathématiques (les « décompacter ») pour en faire ressortir le sens, les relations, les nuances et les subtilités cachées sous leur structure compacte. Ce concept rejoint l’idée de Skemp (1978) exprimée plus haut au niveau de la compréhension relationnelle des concepts mathématiques, c’est-à-dire la connaissance du sens sous-jacent aux concepts utilisés. Il est alors davantage question du travail des mathématiques scolaires en profondeur (contrairement au travail des mathématiques universitaires), et c’est sur cet aspect que la formation (et la recherche) s’est penchée. En considérant la richesse des connaissances mathématiques des enseignants du secondaire participant au projet et leur intérêt/enthousiasme marqué envers les mathématiques, le programme de formation continue s’est intéressé à s’appuyer et construire sur les connaissances des enseignants et leurs intérêts86. De façon simplifiée, la formation s’intéressait à faire travailler les concepts des mathématiques scolaires aux enseignants, à offrir aux enseignants des occasions d’explorer les mathématiques scolaires de façon plus approfondie et sous un angle autre que celui uniquement centré sur les procédures mathématiques. Ainsi, le programme n’était pas centré sur les pratiques d’enseignement, mais sur les concepts mathématiques scolaires, à enseigner. Par contrainte d’espace, il est difficile de fournir des exemples détaillés de ce qui a été travaillé durant les sessions de formation. Toutefois, une illustration assez représentative des orientations empruntées et du type de travail réalisé durant les sessions sont en lien avec les travaux, très connus au Québec, de Claude Janvier (1994a, 1994b) dans lesquels le volume des solides est travaillé sous un aspect davantage géométrique que mécanique ou procédural (par exemple, les prismes sont travaillés en tant qu’une accumulation de couches d’aire et en lien avec le principe de Cavalieri). D’autres exemples de concepts explorés furent les fractions où les enseignants, à l’aide de matériel didactique, ont tenté de faire du sens des opérations sur les fractions et autres concepts (dénominateur commun, simplification de fractions, référence au tout, etc.) ; la géométrie analytique, où un travail a été fait sur le sens associé aux formules usuelles et une analyse de l’émergence historique de la géométrie analytique en discutant des travaux de Descartes ; la résolution de problèmes en mots et la mathématisation des énoncés sous forme algébrique, et bien d’autres.

86 Cette approche se distingue de façon importante de la perspective de faire « réapprendre » les connaissances aux enseignants (de l’anglais unlearn, Ball, 1988) et s’intéresse à offrir des occasions d’apprentissage en mathématiques.

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CE QUI RESSORT DE LA FORMATION Le développement de connaissances L’analyse des vidéos de sessions de formation démontre que le travail des mathématiques scolaires a permis aux enseignants de vivre des expériences mathématiques fort enrichissantes et très différentes de ce qu’ils avaient vécu comme élève (et comme enseignants). Tout au long de la recherche, lors des sessions de formations, mais aussi lors d’entretiens individuels avec les enseignants, un commentaire qui ressortait fréquemment était : « Wow ! Je n’avais jamais vu cela comme ça ! ». Ceci, il va sans dire, alimentait fortement leur enthousiasme face aux sessions et face aux mathématiques travaillées. Une motivation intrinsèque était palpable envers les différents concepts mathématiques à traiter dans le but d’en connaître et comprendre davantage.

Les procédures et les formules Le travail en profondeur des concepts mathématiques a de plus amené les enseignants à questionner le rôle des procédures et formules en mathématiques, tant au niveau de leur présence accrue à l’intérieur des mathématiques scolaires que de leur nécessité. Par exemple, face à l’exploration du volume, plusieurs des enseignants ne voyaient plus vraiment le besoin de connaître les différentes formules de volume pour les différents prismes et pyramides puisque ces derniers étaient reliés entre eux par une seule façon de faire (prismes : accumulation de couches d’aire) ou une relation (pyramides : 1/3 du volume de leur prisme associé87), ce qui pour eux chamboulait fortement leur compréhension du concept de volume. Une enseignante a résumé le tout en expliquant qu’elle allait mettre à la poubelle son poster sur lequel toutes les formules pour chacun des solides apparaissaient et que même son manuel scolaire lui semblait tout à fait inadéquat pour travailler ce concept, car ce dernier atomisait les solides par des formules distinctes. Une réflexion similaire s’est produite avec le travail en géométrie analytique, par exemple, où les enseignants ont questionné fortement le besoin d’apprendre les formules pour travailler dans le plan avec, entre autres, les questions de distances. En plus de questionner la pertinence de ces dernières, les enseignants se sont mis à parler des formules et des procédures de façon différente, puisqu’elles faisaient maintenant du sens pour eux. Par exemple, ils ont expliqué que les formules du volume ne représentaient plus vraiment des formules, mais plutôt des raisonnements et que lorsque quelqu’un comprend le volume de cette façon, on ne peut pas vraiment affirmer qu’il utilise des formules mais qu’il déploie un raisonnement. Ceci est similaire à ce qu’Hiebert et Lefèvre (1986) écrivent concernant les procédures mathématiques, c’est-à-dire que ces dernières peuvent représenter une sorte de cristallisation des compréhensions et raisonnements mathématiques. Toutes ces réflexions sur les procédures ne sont évidemment par banales, car les procédures mathématiques représentaient pour ces enseignants, en grande partie, les mathématiques elles-mêmes. Ainsi, leurs connaissances mathématiques ont énormément « bougé »88.

87 Les lecteurs non-familiers avec les travaux de Janvier sont fortement invités à les consulter, particulièrement la vidéo, pour des raisons qui paraîtront évidentes sous plusieurs aspects lors de son écoute. Ces travaux sont d’une qualité et d’une ingéniosité exceptionnelles. 88 Pour en savoir davantage, j’invite le lecteur à consulter ma thèse doctorale (Proulx, 2007a).

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L’émergence de discussions sur l’enseignement En plus de questionner la présence et l’importance des formules et procédures diverses en mathématiques, le travail approfondi des concepts mathématiques scolaires a fait ressortir de nombreuses discussions pédagogiques chez les enseignants. Les nouvelles façons de raisonner les concepts mathématiques ont fait réfléchir les enseignants sur leurs pratiques et sur les mathématiques qu’ils enseignaient dans leurs classes. L’apprentissage de nouveaux concepts a fait émerger de nouvelles façons de pouvoir les enseigner ; les nouveaux raisonnements mathématiques déclenchaient des réflexions concernant des façons (novatrices) d’aborder les concepts mathématiques en classe. Encore une fois, pour ces enseignants, leur compréhension mathématique semblait avoir un impact direct sur leurs façons de concevoir leur enseignement de ces mêmes mathématiques. Ainsi, en leur offrant l’occasion d’approfondir les concepts mathématiques scolaires, cela leur a offert des nouvelles possibilités mathématiques « qu’ils n’avaient tout simplement pas avant », et ces possibilités mathématiques ouvraient, en retour, des nouvelles possibilités d’enseignement. La formation a ainsi eu un impact important sur les enseignants au niveau mathématique et pédagogique. Toutefois, l’étendue que ce développement de connaissances a pu avoir sur leurs pratiques est difficile à saisir, puisque la recherche ne s'est pas intéressée à leurs pratiques de classe et comment elles avaient pu bouger. Pour le moment, ce sont les explications que les enseignants ont données sur la façon avec laquelle cela les amenait à concevoir leurs pratiques différemment qui nous sont accessibles. Des recherches subséquentes s’intéresseront à suivre les enseignants au niveau de leurs classes et de leurs pratiques.

Autres aspects intéressants concernant les enseignants La recherche a aussi permis de mettre en évidence certains aspects fort intéressants concernant les enseignants, en lien avec leurs façons de faire les mathématiques et d’en faire du sens. Il apparaît fort enrichissant au niveau de la recherche et de la formation, de les faire ressortir. Ces aspects, se situant davantage à un niveau observatoire, offrent un éventail fort incomplet toutefois de certains enjeux importants à considérer lors du travail à la formation des enseignants du secondaire possédant des connaissances mathématiques fortement procédurales. Il est souhaitable que ce compte rendu puisse éclairer, informer et orienter certaines pratiques futures de formation.

Engagement de façon technique À travers les sessions, on constate que les enseignants entrent de façon « naturelle » de façon technique dans les problèmes qui leur sont proposés. C’est-à-dire que, lorsqu’un problème leur est donné, ils cherchent automatiquement, comme premier « réflexe », la technique ou procédure à appliquer pour le résoudre. D’une certaine façon, on pourrait dire que c’est leur orientation première, c’est-à-dire une orientation vers les procédures mathématiques. À titre d’exemple, dans le problème suivant (Figure 2), les enseignants ont automatiquement essayé d’appliquer la formule de l’aire du carré pour trouver la réponse, même si cette dernière s’avérait quelque peu inefficace au premier abord.

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Figure 2: Problème sur l’aire du carré (inspiré de Jamski, 1978)

Trouve l’aire du carré dans le géoplan

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Évidemment, comme un des aspects centraux de la formation offerte était de travailler sur autre chose que le travail unique des procédures, les premiers essais se soldaient fréquemment par un échec. Ceci avait un côté intéressant puisque les enseignants étaient alors amenés d’eux-mêmes à tenter quelque chose d’autre et à fouiller pour trouver d’autres avenues possibles – souvent ils clamaient haut et fort que c’était encore une fois leur orientation technique qui les avait dirigés89. Ainsi, cette « orientation » n’a pas nécessairement à être vue de façon négative, mais apparaît toutefois intéressante pour mieux comprendre la façon avec laquelle les enseignants se sont investis dans les problèmes proposés.

Recherche de techniques Les enseignants, à plusieurs reprises, ont manifesté le besoin de trouver, connaître ou découvrir une technique spécifique pour faire du sens de certaines notions mathématiques qui étaient travaillées. Par exemple, lors d’une session consacrée au travail de création d’équations algébriques pour représenter un problème en mots, les enseignants ont continuellement, durant toute la session, tenté de trouver une technique « ultime » qu’ils pourraient donner à leurs élèves pour pouvoir créer une équation par rapport aux problèmes en mots. Cette technique, pour eux, permettrait à leurs élèves d’éviter de commettre des erreurs – les enseignants avaient en effet souligné le fait que leurs élèves éprouvaient d’énormes difficultés avec la création d’équations algébriques à partir d’un problème en mots et espéraient ainsi enrayer ces difficultés avec la découverte d’une technique universelle. Ainsi, plusieurs tentatives/options ont été proposées : offrir d’autres lettres que x et y car ces dernières sont difficiles pour les élèves, souligner les mots clés dans le problème, créer une étape intermédiaire où les élèves auraient à écrire ce que chacune des inconnues représente, écrire les relations dans un tableau, etc. Ces façons de faire ont toutes, d’un certain point de vue, des aspects intéressants, mais les enseignants se sont rendus compte que la « mathématisation » des énoncés demandait un raisonnement mathématique important qui ne pouvait se traduire par une simple technique à appliquer. Ainsi, les enseignants ont

89 Il était en effet très intéressant de constater que les enseignants étaient eux-mêmes très au courant de leur « tendance » ou orientation envers les techniques en mathématiques. Ceci simplifiait, comme on peut l’imaginer, plusieurs interventions de ma part comme formateur.

Figure 2: Problème sur l’aire du carré (inspiré de Jamski, 1978)

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poursuivi leurs réflexions concernant le fait que pas tout en mathématiques peut se décrire et se réduire à une technique quelconque. Toutefois, ils éprouvaient fréquemment une forte envie pour trouver ces types de techniques en mathématiques (on voit ici un effet important du cycle de reproduction sur eux).

Centralité des techniques Comme mentionné, les techniques occupaient une place importante en mathématiques pour ces enseignants. Ceci avait souvent pour effet de diriger leurs efforts mathématiques vers, et de concevoir le but final des mathématiques comme étant, l’atteinte et l’utilisation des techniques. Au cœur de leur questionnement sur l’enseignement résidait la présence des procédures et techniques. Dans le travail du volume, une question fréquente de leur part était « Quand doit-on montrer les formules, avant ou après le travail des concepts ? », illustrant ainsi l’importance centrale qu’occupait les formules ou les procédures dans l’enseignement du concept, souvent vu comme l’objectif de leur enseignement90. Au cours des sessions, à l’occasion, un des enseignants (ou moi-même) soulignait le commentaire « Et si c’était jamais ? », provoquant alors des discussions animées au niveau mathématique et pédagogique. Cette orientation amenait aussi les enseignants à éprouver des difficultés à apprécier certains raisonnements d’élèves face à des problèmes pour lesquels ils n’avaient pas correctement utilisé les procédures nécessaires pour résoudre un problème, mais avait tout de même démontré une compréhension du concept. Par exemple, une solution d’élève à un problème de taux de variation dans lequel ce dernier avait inversé l’ordre du ∆y et du ∆x a été donnée aux enseignants. Face à ce problème, les enseignants en question ont tout de suite conclu que « cet élève ne comprend absolument rien au taux de variation » et que c’est tout ce qu’il y avait à dire à ce sujet, montrant la concaténation pour ces enseignants de l’ordre (arbitraire) du taux de variation et la compréhension du concept lui-même91. Ainsi, l’orientation vers les techniques et l’importance de ces dernières en mathématiques amenaient les enseignants à avoir des difficultés à discerner autre chose que les techniques elles-mêmes comme source de compréhension mathématique, les faisant d’une certaine façon « tourner en rond » face à certaines situations mathématiques. Les enseignants ont aussi démontré à l’occasion une certaine valorisation des procédures et calculs effectués en mathématiques. Par exemple, face à trois solutions d’élèves à un problème donné, dont deux réponses courtes et concises et une très longue remplie de calculs mathématiques mais fautive, un des enseignants insistait pour que beaucoup de points soient alloués à la longue solution, car l’élève « avait fait beaucoup de calculs » – mettant même en cause l’attribution de plus de points aux solutions concises qui ne montraient que très peu de calculs. Malgré leur caractère quelque peu anecdotique, ces situations démontrent assez bien l’attachement et l’importance accordés aux procédures de la part de ces enseignants et comment ces dernières peuvent avoir des répercussions sur les façons de faire et de comprendre les mathématiques, mais aussi sur les pratiques d’enseignement – ici en lien avec l’évaluation des solutions d’élèves.

Lecture technique du curriculum Ce point est imbriqué dans les autres, mais mérite quand même qu’on s’y attarde car il a une répercussion directe sur l’enseignement de ces enseignants. Dans la question soulevée plus haut « Quand doit-on montrer les formules, avant ou après le travail des concepts ? », il y aussi toute l’idée que l’étude du volume, dans cet exemple, se représente par où se réduit à l’étude et l’apprentissage des

90 Je discute ailleurs, de façon plus détaillée, le phénomène présent chez certains enseignants à voir et à placer les procédures comme but ultime de l’enseignement des mathématiques (voir Proulx, 2008). 91 Le lecteur peut obtenir plus de détails sur cette situation et le travail fait avec les enseignants dans Proulx (2007b).

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formules. En effet, la lecture des concepts ou du programme est influencée par leur orientation technique. Comme le dit Bauersfeld (1977), même si le curriculum change, ces enseignants ont développé un œil technique pour lire le curriculum et donc les concepts du curriculum seront lus comme une demande pour le travail des techniques. En prenant encore l’exemple du volume ou de la géométrie analytique, lorsque les enseignants lisaient « volume du prisme » ou « travail de la distance entre deux point », ils voyaient le besoin de travailler et d’enseigner les formules associées à ces concepts. La même chose se produit concernant le travail des opérations sur les fractions, qui est « lu » comme une requête pour le travail des algorithmes.

Simplification des concepts mathématiques Finalement, le dernier aspect à souligner concerne la question de simplification des concepts (pour les élèves). Cette situation est en fait très louable et démontre, à un certain point, l’essence même de ce que signifie « enseigner ». Ce qui ressort de façon importante des sessions est l’intention des enseignants de simplifier les concepts mathématiques pour les rendre accessibles aux élèves et leur faire ainsi éviter le plus possible les erreurs ou provoquer de la confusion. Par exemple, lors du travail des solides, une discussion a eu lieu concernant ce qui devait être considéré comme étant la base d’un prisme rectangulaire ayant quatre rectangles et deux carrés comme faces latérales. Alors que certains enseignants soulignaient que n’importe quelle paire de côtés parallèles pouvait être choisie, une enseignante était totalement contre et voulait uniquement considérer les deux bases carrées, car si les autres faces pouvaient être considérées comme bases, « cela mélangerait les élèves » lors de l’étude des autres prismes. Une discussion très intéressante a alors émergé concernant la définition d’une base. Toutefois, au cœur de la discussion résidait l’importance pour l’enseignante de rendre accessible et simple l’étude des bases – et elle éprouvait la même réticence face au concept de base, hauteur et longueur pour un rectangle en deux dimensions. Ce type d’exemple (et d’autres similaires se sont produits durant l’étude) est intéressant, car il démontre toute l’influence de vouloir simplifier les concepts mathématiques pour les élèves et éviter qu’ils commettent des erreurs. Malheureusement, certains concepts mathématiques sont difficilement simplifiables sans les dénaturer ! De plus, toute la question de la présence de l’erreur est mise de l’avant ici alors qu’on veut l’éviter à tout prix ; cette dernière n’est pas vue comme (1) étant inhérente au processus mathématique, mais surtout comme étant (2) importante en tant qu’apprentissage mathématique. Mais, cela est une toute autre question méritant un tout autre traitement d’idées. Ainsi, les cinq aspects soulignés offrent des informations intéressantes concernant le travail des enseignants et permettent de jeter la lumière sur et de mieux comprendre les enseignants eux-mêmes dans le processus de formation. Par-dessus tout, cette étude permet d’éloigner l’idée mythique que les enseignants apprendront et élargiront directement leurs connaissances des suites d’une étude approfondie des mathématiques. Il y a tout un processus à long terme et de longue haleine à l’intérieur duquel les enseignants doivent être plongés. Ceci m’amène aux remarques finales.

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REMARQUES FINALES Ce texte rend compte d’une situation très riche mais tout de même complexe pour laquelle plusieurs aspects doivent être considérés. En effet, tout un solide réseau d’influence s’opère en même temps chez les enseignants, partant d’un intérêt pour faire des mathématiques et allant vers une orientation spécifique dans la façon de faire ces mêmes mathématiques (de façon technique et par l’application de procédures mathématiques diverses). Néanmoins, un aspect fortement mis de l’avant dans ces données est le rôle que les connaissances mathématiques (des mathématiques scolaires) semblent jouer dans cette problématique. La compréhension des concepts mathématiques scolaires par les enseignants oriente de façon importante leur façon de faire des mathématiques, de les comprendre, d’en apprendre de nouvelles, mais surtout de les enseigner. Loin de moi l’idée de tomber dans le piège de « cause à effet » ; il apparaît toutefois évident que la « limite » soulevée de leurs connaissances mathématiques agit de façon contraignante – comme l’ont mentionné ces enseignants – sur leurs « possibilités » d’enseignement des concepts eux-mêmes. Tel qu’indiqué par le truisme : « on ne peut enseigner ce qu’on ne connaît pas ». Cette situation fait ressortir l’importance et l’intérêt au niveau de la formation des enseignants de prendre en compte et de travailler les concepts mathématiques scolaires en profondeur – une pratique qui peut potentiellement ouvrir des possibilités mathématiques et d’enseignement pour ces enseignants. Finalement, il apparaît important de (re-)souligner certains aspects concernant la formation des enseignants de mathématiques du secondaire. Un des premiers aspects à considérer est que ces enseignants montrent un intérêt marqué pour l’apprentissage des mathématiques et sont ainsi très curieux d’en apprendre davantage. Ainsi, le travail des mathématiques scolaires avec eux est vu de façon très positive : ils « embarquent », veulent en apprendre davantage et sont très curieux mathématiquement. Ensuite, il est important de se rappeler que les enseignants du secondaire en connaissent beaucoup au niveau mathématique, et ce, bien que certaines de leurs connaissances soient techniques. Ceci pointe vers ce que Cooney et Wiegel (2003) et Swafford et al. (1997) appellent une certaine « disposition », c’est-à-dire la capacité des enseignants du secondaire à en apprendre davantage en mathématiques. Leurs succès scolaires en mathématiques ne sont pas à négliger et ces derniers démontrent une capacité très développée à pouvoir continuer d’apprendre et de faire encore plus de sens en mathématiques (s’ajoute également à cela leur intérêt et relation positive envers les mathématiques…). L’importance d’un travail important à la formation axé sur le travail des concepts mathématiques scolaires et leur approfondissement semble motivé par ces résultats et analyses. Non pas que le travail mathématique à la formation représente la panacée, mais il apparaît comme un des aspects fondamentaux envers lesquels nous devons diriger d’importantes énergies à la formation – aspect qui est trop souvent tenu pour acquis ou simplement négligé et laissé pour compte au profit du travail pédagogique.

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Jean DIONNE

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Un passé tourné vers l’avenir Jean Dionne

Université Laval

Nous présentons ici une esquisse des débuts de la didactique des mathématiques au Québec, alors que le terme didactique commence à être utilisé dans son acception actuelle. Cette histoire s’ouvre ailleurs mais se transporte rapidement ici où elle prend une riche couleur locale. Et nous pouvons en tirer quelques idées pour notre époque «troublée» par les renouveaux pédagogiques qu’il nous faut vivre avec l’arrivée du nouveau curriculum.

On ne saurait espérer répondre en dix minutes aux deux questions qui doivent ici orienter nos propos. Car comment résumer en si peu les préoccupations qui ont inspiré et celles qui devraient inspirer les chercheurs en didactique des mathématiques? Et expliquer dans la foulée comment la recherche a changé et pourra changer l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques de même que la formation des maîtres? Aussi vais-je plutôt retenir ces questions comme des balises pour encadrer un portrait sommaire de quelques moments que j’estime importants dans le développement de la didactique des mathématiques chez nous.

Et pour relativiser mes dires, je les fais précéder d’une réflexion de David Wheeler qui, fort de sa riche expérience, a proclamé lors d’une rencontre du GCEDM (Groupe Canadien d’Études en Didactique des Mathématiques) qu’il ne connaissait aucune recherche en éducation dont les résultats avaient bouleversé l’enseignement… Ces mots m’ont d’abord sonné : comme tous les chercheurs, je bossais avec enthousiasme et détermination pour apporter ma pierre à l’édifice et faire bouger les choses. Mes espoirs étaient-ils vains? N’étions-nous tous que des prétentieux à l’influence négligeable? Perspective déprimante qui m’a amené à réfléchir autrement, en regardant l’histoire de la didactique d’une part et les transformations de l’enseignement des mathématiques d’autre part. Cela m’a conduit à certaines constatations rafraîchissantes, sinon réconfortantes. Notamment celle voulant que le monde de l’éducation soit, fort heureusement, plus un univers en évolution qu’un domaine de révolutions : les vrais changements, ceux qui s’installent dans le temps, le font avec le temps. Et cela sera même vrai, j’en suis persuadé, des transformations de programmes auxquelles nous assistons maintenant. Ceci pour dire que David avait profondément raison : aucun résultat de recherche n’a pu bouleverser l’enseignement des mathématiques car celui-ci ne se laisse pas faire. Cela n’a pas empêché ces résultats de jouer leur rôle dans les changements, dans, j’ose le mot, les améliorations apportées. Car on sait mieux faire aujourd’hui, dans la mesure où l’on comprend mieux les phénomènes liés à l’enseignement /apprentissage, où l’on a aussi des outils pour cerner et décrire les situations que l’on y rencontre ou que l’on y provoque.

Des débuts modestes

L’histoire qui nous a amené où nous sommes est à la fois belle à raconter et riche de leçons pour la suite. Ce que je vais en dire, je l’ai retrouvé dans divers documents et notes, certaines prises lors d’une longue conversation avec Fernand Lemay, un pionnier qui a été un témoin privilégié de cette histoire dans laquelle il s’est révélé un acteur important.

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Paradoxalement, cette histoire de la didactique des mathématiques chez nous commence loin d’ici, dans le petit village belge de Thuin. Œuvre là un modeste instituteur, personnage aussi humble qu’imaginatif et qui remporte avec ses élèves des succès remarquables, particulièrement en mathématiques. Remarquables au point que ces succès attirent l’attention de pédagogues patentés. Ils découvrent l’approche que ce maître, un certain George Cuisenaire, a élaborée, méthode féconde s’appuyant, entre autres choses, sur un matériel composé de bâtonnets de différentes longueurs et diversement colorés… Cuisenaire est conscient des résultats qu’il obtient mais sa modestie l’empêche de pavoiser et de publiciser ses travaux. Ceux-ci demeurent sommaires sous plusieurs aspects et, malgré l’admiration étonnée qu’ils suscitent et la qualité qu’on leur reconnaît, passent bien près de demeurer inconnus et de constituer ainsi un nouvel exemple de succès «local».

Heureusement, parmi les gens qui s’intéressent à ce succès, il est un pédagogue plus fonceur —d’aucuns qui l’ont connu diraient « défonceur ». Il collabore avec Cuisenaire et contribue à l’élaboration des idées de ce dernier, leur donnant plus d’extension, mais surtout, il les diffuse largement. Ce pédagogue —sans doute peut-on ici parler de didacticien même si, à cette époque, on ne sait pas encore trop bien ce que ce terme peut vouloir dire —, c’est Caleb Gattegno qui a signé, conjointement avec Cuisenaire, beaucoup d’ouvrages sur les nouvelles approches imaginées par ce dernier. Or, ce monsieur Gattegno a des amis à Québec qui l’invitent à y venir. Il n’accepte pas, mais envoie une personne de grande qualité qui travaille avec lui, Madeleine Goutard. Lors d’un premier mais trop bref séjour, elle donne une leçon privée à quelques enfants, bientôt suivie de deux autres leçons dans une école, anglaise et protestante, de Sillery en banlieue de Québec. Elle rencontre aussi quelques personnes qui travaillent dans le milieu scolaire et à l’université, dont Fernand Lemay de qui je tiens une bonne part de ces détails. Ces leçons suscitent ici, comme cela avait été le cas avec Cuisenaire en Belgique, étonnement et intérêt, de sorte que madame Goutard est rapidement invitée à nouveau à Montréal et à l’Université Laval de Québec. Et finalement, ce qui sera un événement important pour l’enseignement des mathématiques au Québec, elle vient travailler pendant deux années dans la région de Sherbrooke. Elle y œuvre dans une école un peu particulière, dirigée par des religieuses qui font preuve d’une grande audace et ne craignent pas les innovations, tant au plan de l’apprentissage des mathématiques avec Goutard et ses approches nouvelles que dans l’enseignement du français (méthode dynamique), des arts, de la musique, etc. À l’influence de Goutard, il faut ajouter celle de Gattegno qui, entre-temps, a finalement accepté de visiter le Québec et a contribué à y diffuser les idées et approches nouvelles.

Il faut aussi noter que c’est dans cette même école de Sherbrooke qu’œuvrera un peu plus tard Dienes. Il a ainsi pu profiter du travail des gens qui l’ont précédé et préparé le terrain, autant auprès des autorités prêtes à accepter l’innovation qu’auprès des enfants chez qui on avait, davantage que dans les écoles « ordinaires », cultivé des qualités d’imagination, un esprit de découverte, de créativité qui n’a certes pas nui au succès de ce qu’il a proposé.

Didactique, apprentissage et matériels pédagogiques

Je me plais à voir dans cette époque et dans les travaux de Goutard, Dienes et des autres qui collaborent avec eux, l’émergence de la didactique des mathématiques au Québec : on a là des gens qui ne sont pas seulement psychologues ou pédagogues, non plus que simplement mathématiciens, mais des personnes qui œuvrent au confluent ou à l’intersection, qu’ils contribuent d’ailleurs à délimiter, de ces domaines.

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Autre remarque, beaucoup vont associer cette première période de la didactique à la création de matériels pédagogiques. Il est vrai que plusieurs ont été introduits à ce moment, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus fondamental à retenir de ce qui s’est alors passé. Car l’essentiel, il se trouve dans la façon qu’avaient ces personnes de travailler avec les enfants et qui transparaît notamment dans les ouvrages qu’elles ont laissés, comme ce petit bijou de Madeleine Goutard, Les mathématiques et les enfants92.

Première caractéristique du travail de Goutard, l’immense et authentique respect qu’elle a pour l’enfant et sa pensée. Elle parle très peu dans ses leçons, ne propose qu’un minimum de choses et laisse les enfants se débrouiller par eux-mêmes. Gattegno abonde dans le même sens, affirmant, je ne sais hélas plus où, que les enfants sont ses maîtres.

Autre aspect fondamental, aux yeux de Gattegno comme de Goutard, le matériel demeure un accessoire et ils n’y placent jamais la substance du savoir ou de l’apprentissage. L’étape essentielle de cet apprentissage, c’est ce que Goutard décrit comme la « prise de conscience » qui permet justement à l’enfant de dépasser le matériel. Ce qui appelle quelques commentaires sur le matériel, celui qu’utilise Goutard et d’autres matériels élaborés par la suite. Le matériel auquel Goutard recourt et en particulier, les réglettes conçues par Cuisenaire, est plus ou moins structuré. On n’y trouve par exemple aucune graduation et c’est l’enfant qui découvre les relations qui peuvent s’établir entre les longueurs. Beaucoup d’efforts seront mis par la suite pour construire de nouveaux matériels pédagogiques, « kits » souvent fort ingénieux et utiles, mais qui laissent moins de place à l’imagination, à la créativité des utilisateurs : il devient difficile de parler d’exploration et de découverte lorsque les objets sont conçus uniquement en fonction de telle découverte particulière, au point que tout est rendu tellement visible qu’il faut faire exprès pour passer à côté.

Les précurseurs s’attachaient, disions-nous, à la pensée de l’enfant et les matériels se voulaient l’occasion pour cette pensée de se manifester et de s’exercer, sans avoir pour but de la pousser dans une seule direction strictement délimitée et encadrée. D’autres ont par la suite utilisé les mêmes matériels, mais sans toujours adopter la même attitude. C’est sans doute un peu normal : voulant « démocratiser » ce qui avait été produit, on a aussi souhaité « jouer sûr », emprunter une voie sans danger, d’où la rédaction de fiches accompagnant les matériels existants et l’élaboration d’autres matériels plus contraignants, dans lesquels la « vraie » nature de la construction des savoirs est hélas un brin perdue de vue. Fermons cette parenthèse avant de nous enrhumer… et revenons à notre petite histoire.

La suite de l’histoire jusqu’à aujourd’hui

C’est autour de Madeleine Goutard et animée par l’esprit qui marquait son travail qu’est fondée, au début des années soixante, l’Association Cuisenaire du Québec, avec des pionniers comme Jeanne d’Arc Girard, Fernand Lemay, Claude Gaulin, Raymond Caron et quelques autres. Cette ACQ se transformera par la suite pour devenir l’APAME de regrettée mémoire, mouvement dont l’influence a été décisive pour l’avancement des mathématiques de l’école primaire au Québec. Et dans la foulée, d’autres associations ont vu le jour dont l’Association mathématique du Québec. S’en est suivie une période de grande effervescence où l’on a vécu quelques réformes, assisté à quelques changements de programmes et vécu quelques errements, heureusement limités… C’était l’époque où tout le monde apprenait de tout le monde avec l’embauche de conseillers pédagogiques dans les Commissions scolaires, la tenue de sessions d’études, de colloques et de congrès, tous très fréquentés, la mise sur

92 Madeleine Goutard. Les mathématiques et les enfants. Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1963. 189 p.

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pied de programmes de perfectionnement comme PERMAMA; époque aussi où la recherche en didactique, lancée avec Goutard puis Dienes, a finalement pris un véritable envol. Nadine Bednarz en traite en profondeur, ailleurs dans ces pages, expliquant les problèmes abordés, les cadres théoriques et conceptuels dans lesquels les recherches sont menées, les articulations entre recherche et pratique, le souci toujours présent pour la formation des maîtres, les préoccupations concernant les élèves en difficulté, etc. Je ne vais pas ici redire ce qu’elle présente de manière exemplaire, mais profiter de ce qu’elle décrit pour effectuer un grand saut et placer quelques mots à saveur plus prospective autour de la réforme actuelle des curriculums mathématiques.

Mais non sans rappeler que c’est dans le contexte effervescent évoqué tout juste plus haut que l’enseignement des mathématiques s’est chez nous transformé sans souffrir de bouleversements trop radicaux, sans tomber dans certains pièges comme le rétrograde mouvement dit du « back to basics » qui a marqué les curriculums américains. Non que nous soyons demeurés à l’écart de toute influence : c’est en suivant un courant lancé par le NCTM que nous avons, par exemple, pris le virage de la résolution de problèmes, événement heureux comme l’ont montré des résultats récents. Mais nous avons réussi à donner nos propres couleurs à ces changements, tout en évitant les dérapages malheureux parce que, comme nous l’avons dit plus haut, ce qui a parfois été présenté comme une révolution a, dans les faits, été vécu comme une évolution. En évitant de tourner trop vite, on risque moins de capoter…

C’est avec cela en tête que nous devons vivre les changements actuels apportés à nos programmes. Ceux-ci sont souvent décriés, en mathématiques comme dans les autres disciplines. Je ne me sens guère à l’aise pour juger ici de ce qui se passe en français ou en histoire (où certains agendas politiques me semblent toutefois inspirer plusieurs critiques…), mais je pense que notre domaine mathématique n’a pas été et n’est pas si mal traité ou maltraité qu’on veut parfois le croire. D’abord parce que ce virage des compétences qui touche toutes les matières ou disciplines, nous l’avons beaucoup inspiré. J’en veux comme exemple cette présence quasi mur- à-mur, comme compétence disciplinaire, mais aussi comme compétence transversale, de la résolution de problèmes qui fonde nos programmes de mathématiques depuis le début des années quatre-vingt. Ensuite, parce que les compétences disciplinaires retenues pour le domaine mathématique se situent dans le droit fil de ce que nous avions comme objectifs globaux dans les programmes précédents. En somme et pour faire une histoire courte, je dirais que l’esprit du nouveau programme relève, encore une fois, plutôt de l’évolution que de la révolution et que son arrivée n’entraîne pas, pour ce qui concerne le champ mathématique, de rupture brutale avec ce qui existait déjà, on a réussi à y préserver la richesse de ce qui a été élaboré au fil des années.

Ceci dit, des problèmes sont apparus qu’il faut vraiment prendre au sérieux, à la fois au plan de la recherche et au plan de la pratique. Ainsi, dans les nouveaux programmes, on insiste sur l’idée d’interdisciplinarité. Aussi généreuse que potentiellement féconde, une approche décloisonnée des disciplines n’est toutefois pas évidente à mettre en place. On peut notamment craindre que les mathématiques n’y trouvent pas leur compte. Pour beaucoup de maîtres du primaire, les mathématiques demeurent la matière difficile à enseigner et il n’est pas dit qu’ils arriveront à toujours profiter des situations d’apprentissage pour y intégrer les mathématiques non plus qu’ils réussiront à profiter adéquatement de la richesse mathématique potentielle de ces situations. Au secondaire, le décloisonnement est peut-être encore plus difficile à réaliser car il n’appartient pas vraiment à la « culture » du milieu. La concertation entre spécialistes de disciplines différentes ne fait pas partie des habitudes.

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C’est dire à quel point, si les mathématiques veulent tirer leur épingle du jeu du renouveau, il y a du travail pour les enseignants et enseignantes, les didacticiens et les didacticiennes, les formateurs et les formatrices de maîtres, les rédacteurs et les rédactrices de manuels : pour préparer les gens, le matériel pédagogique, des canevas d’activités ou de projets et des manuels où les mathématiques tiendront une belle place tout en laissant de l’espace aux autres disciplines.

Autre problème, celui de l’évaluation. Il y a déjà deux ou trois ans, Gérard Scallon, un des grands spécialistes de l’évaluation chez nous et en particulier de l’évaluation dite formative dont les nouveaux programmes reconnaissent l’importance primordiale, avait confié à quelques-uns d’entre nous que la seule voie possible pour continuer à avancer dans son domaine était la collaboration avec les didacticiens; en effet, il ne pouvait plus, disait-il, se contenter de principes plus généraux et de développement d’outils tout azimuts, il lui fallait plus spécifiquement prendre en compte les contenus disciplinaires en compagnie de véritables spécialistes de ces contenus pour arriver à poser des jugements qui rendent mieux justice aux compétences des élèves.

L’évaluation demeure le tendon d’Achille des nouveaux programmes. C’est pour l’instant le lieu de beaucoup d’incohérences comme me l’a révélé le tout dernier projet de recherche auquel j’ai eu le bonheur de participer93. Ainsi, à la fin du premier cycle du primaire (2e année), les enseignantes doivent fournir un bilan des acquis de leurs élèves. Pour les aider, le Ministère fournit un matériel touchant toutes les disciplines94. En mathématiques, les activités proposées comme les critères d’évaluation proprement dits tournent toujours autour de la compétence à résoudre des situations-problèmes alors que rien n’est prescrit pour les deux autres compétences touchant respectivement le raisonnement et la communication. Comme si ces deux dernières se trouvaient incluses dans la première. Pourquoi alors les avoir distinguées dans le programme? Mais plus encore, pourquoi et comment peut-on, dans ces conditions, exiger que les enseignantes posent un jugement sur les capacités de raisonner de leurs élèves à part et en sus de celui qu’elles doivent rendre sur leur habileté à résoudre des problèmes ?...

Les didacticiens se sont plaints de n’avoir pas toujours été partie prenante dans la préparation des nouveaux programmes. Ceux-ci ont, pour une part, ont été définis à l’écart de notre communauté que l’on a le plus souvent consultée après coup (tout en prenant correctement en compte ce qu’elle a pu dire, je le reconnais). Il nous faut maintenant prendre notre place. Le domaine de l’évaluation m’apparaît comme une porte d’entrée d’autant valable que les problèmes y sont criants, mais que des solutions intelligentes peuvent être apportées : pensons au projet décrit dans ces pages par France Caron et Sophie René de Cotret. On a parfois regretté que l’enseignement soit conditionné par l’évaluation. En travaillant sur celle-ci, nous pourrons cette fois la soumettre de façon cohérente aux visées de l’école et des apprentissages qui doivent s’y vivre.

93 Bolduc Martine et Céline Drolet. Évaluation des compétences mathématiques au premier cycle du primaire. Essais de maîtrise. Université Laval, 2007. 94 À la recherche d’une île merveilleuse. Situation d’apprentissage et d’évaluation. MELS, 2005 (repris en 2006 et 2007), xiii-235 p.

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Importance didactique et sociale des recherches sur l’enseignement des mathématiques aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage

Gisèle Lemoyne Université de Montréal

Résumé La recherche en didactique des mathématiques est imprégnée des courants de pensée et des préoccupations socio-éducatives et disciplinaires de son époque, qui font écho au développement des connaissances en éducation, en sociologie, en sciences cognitives, en didactique des mathématiques et en mathématiques. Pour mieux apprécier la complexité et l’importance des orientations de la recherche en ce domaine, nous procédons à un bilan d’événements qui, au cours des dernières décennies, ont marqué le développement des assisses théoriques et méthodologiques des recherches en didactique des mathématiques réalisées au Québec, recherches concernant l’enseignement régulier, l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage et la formation des maîtres.

INTRODUCTION

La didactique des mathématiques constitue actuellement un champ disciplinaire de formation et de recherche socialement et scientifiquement reconnu. Nous faisons d’abord état de l’évolution de ce champ au cours des dernières décennies. Nous poursuivons notre démarche en retraçant l’évolution des recherches sur l’enseignement des mathématiques aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage, ces recherches ayant été au centre de nos préoccupations depuis plusieurs années. ASSISES THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES : UN BILAN PROMETTEUR POUR UN ANCRAGE DIDACTIQUE ET SOCIAL DES RECHERCHES

Plusieurs événements ont modulé la construction des assises théoriques et méthodologiques de la recherche en didactique des mathématiques. Nous faisons d’abord état d’événements qui ont marqué l’enseignement et la recherche en ce domaine. Nous rappelons ensuite les contributions des chercheurs québécois qui ont jeté les bases de la recherche en didactique des mathématiques, conçu et mis à l’épreuve un nombre important de situations didactiques, et participé à la formation des chercheurs québécois qui œuvrent actuellement au sein de nos institutions universitaires. Nous traitons enfin de l’évolution des pratiques de recherches. Quelques événements qui ont marqué l’enseignement et la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques

Un nombre non négligeable d’événements ont marqué l’enseignement et la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Nous retenons deux événements majeurs: le passage d’un paradigme béhavioriste à un paradigme constructiviste et socio-constructiviste; l’élaboration de la théorie des champs conceptuels et de la théorie des situations didactiques. Nous complétons cet inventaire en rappelant l’importance de la création de centres de recherche et de l’inscription universitaire de la formation des enseignants.

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Le passage d’un paradigme béhavioriste à un paradigme constructiviste et socio-constructiviste

Le passage d’un paradigme béhavioriste à un paradigme constructiviste et socio-constructiviste constitue un événement marquant dans l’enseignement et la recherche en didactique des mathématiques. Il ne s’est toutefois pas fait sans heurts. En effet, le paradigme béhavioriste, paradigme ayant entraîné des recherches « présentant les caractéristiques des recherches scientifiques, voire expérimentales », a eu une vie longue et qui perdure encore, comme le soulignent, Jonnaert et Vander Borght (1999), Larochelle et Bednarz (1994), Legendre (2004). Larochelle et Bednarz indiquent que « l’effet majeur actuel du « constructivisme » sur la pédagogie » est d’avoir considéré le point de vue des élèves, des étudiants » (Larochelle et Bednarz, 1994, p. 5). Récemment, lors du colloque en Hommage à Ernst von Glaserfeld (Jonnaert et Masciotra, 2004), les approches constructivistes en éducation ont à nouveau été examinées. Dans l’ouvrage qui rend compte des contributions des chercheurs (Jonnaert et Masciotra, 2004, éditeurs), Legendre rappelle que « Le projet d’enseignement ne coïncide pas toujours avec le projet d’apprentissage, de sorte que la clarté du contrat pédagogique n’implique pas seulement la communication des objectifs, mais aussi leur négociation (Meirieu, 1993), laquelle n’est jamais totalement indépendante du contexte. […]. Comme l’a bien montré Perrenoud (1994d), les objectifs pédagogiques s’insèrent dans une situation sociale plus large dont ils tirent en partie leur signification, si bien que l’objectif, tel qu’il est conçu par l’enseignant dans une situation scolaire, ne sera pas nécessaire perçu de façon identique par l’élève » (p. 65). Il nous semble aussi important de mentionner l’article publié par Sierpinska (2006), qui fait état de la complexité de l’application des réformes en éducation, des changements de paradigmes, des communications complexes entre « idéologie et théorie ». La théorie des champs conceptuels et la théorie des situations didactiques

Plusieurs théories et dispositifs ont orienté les recherches en didactique des mathématiques (voir, entre autres, les œuvres réalisées par Michelle Artigue, Nicolas Balacheff, René Berthelot et Marie-Hélène Salin, Guy et Nadine Brousseau, Jean Brun, Yves Chevallard, François Conne, Régine Douady, Colette Laborde, Claire Margolinas, Alain Mercier, André Rouchier, Gérard Vergnaud). Nous choisissons de souligner plus particulièrement la théorie des champs conceptuels (Vergnaud, 1991) et la théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998). La théorie des champs conceptuels a permis de clarifier les notions de schème et de concept. Des analyses originales et fécondes du développement des connaissances sur l’arithmétique et l’algèbre ont été effectuées. Il serait étonnant de parcourir aujourd’hui un article sur la résolution de problèmes (du moins, un article dans une revue de langue française) qui ne fasse référence aux travaux de Vergnaud. La théorie des situations didactiques élaborée par Brousseau constitue également un événement marquant. Les situations construites et mises à l’épreuve par Brousseau ont servi de tremplins à un nombre important de recherches en didactique. Même si peu de situations présentent les caractéristiques des situations définies par Brousseau, il nous semble important de référer aux travaux de Brousseau pour penser des « situations », pour créer des milieux propices à l’apprentissage. Ces situations nous ont permis de réfléchir, de penser, de sortir des sentiers battus pour un travail conséquent en didactique des mathématiques, notamment auprès des élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Elles nous apparaissent encore plus indispensables aujourd’hui, compte tenu de l’importance que revêtent l’activité de résolution de problèmes et le développement de compétences en mathématiques.

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La création de centres de recherches en didactique

Au Québec, le premier centre en didactique a été créé par Albert Morf, dans les années ‘70. Ce centre est à l’origine de la création ultérieure du CIRADE (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur l’Apprentissage et le Développement en Éducation). Les directions du CIRADE ont été assumées avec une compétence et une générosité sans pareille par Maurice Bélanger, Claude Janvier, Nadine Bednarz, Richard Pallascio, Catherine Garnier et Philippe Jonnaert. Ces centres ont joué un rôle essentiel dans le développement des recherches en didactique des mathématiques, dans l’acculturation des étudiants gradués et des chercheurs. Les colloques réunissant des chercheurs québécois, canadiens, américains et européens, ont été des sources indéniables de questionnement, d’apprentissage, d’orientation des recherches. L’inscription universitaire de la formation des enseignements

Nous ne saurions passer sous silence l’inscription universitaire de la formation des enseignants. Disposant actuellement d’outils conceptuels et méthodologiques pertinents, il nous semble fondamental d’investir davantage la recherche sur la formation des maîtres.

Contributions des chercheurs québécois qui ont jeté les bases de la recherche en didactique des mathématiques Au cours des dernières décennies, notre compréhension des problèmes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques a grandement bénéficié des recherches pionnières effectuées par les chercheurs québécois (André Boileau, Nadine Bednarz, Maurice Bélanger, Jacques Bergeron, Benoît Côté, Jean Dionne, Bernadette Dufour, Claude Gaulin, Linda Gattuso, Maurice Garançon, Bernard Héraud, Joël Hillel, Claude Janvier, Carolyn Kieran, Bernard Lefebvre, Nicole Nantais, Richard Pallascio, Ewa Puchalska, Luis Radford, Anna Sierpinska, David Wheeler). Plusieurs de ces recherches sont à l’origine de situations didactiques qui ont bénéficié d’un accueil fort positif du milieu scolaire. Ces chercheurs ont également contribué à la formation d’une grande majorité des chercheurs qui œuvrent aujourd’hui dans nos institutions universitaires et qui effectuent des recherches fondamentales et originales. Soulignons également les recherches effectuées par Bernard Lefebvre et Louis Charbonneau, sur l’histoire des mathématiques et son rôle « non négligeable » dans la compréhension des orientations, des pratiques, des paradigmes de recherche. Quelques événements qui ont marqué les pratiques de recherche Les pratiques de recherche ont fondamentalement évolué au cours des dernières décennies. Pendant longtemps, s’inspirant en cela d’une approche béhavioriste, les études en didactique faisant peu de cas des interactions didactiques. La prise en compte des interactions didactiques n’est pas sans liens avec la prise en compte des praticiens (Bednarz, Poirier, Desgagné et Couture, 2001). Dans un récent numéro thématique de la Revue des sciences de l’éducation, consacré à la « Médiation entre recherche et pratique en éducation », Desgagné et Bednarz (2005, rédacteurs invités) présentent les contributions de plusieurs chercheurs participant à ce numéro. Ils rappellent que « Faire de la recherche « avec » plutôt que « sur « les praticiens (Lieberman, 1986), voilà sans doute la phrase par laquelle on peut le mieux résumer la contribution de ce numéro thématique. » (p. 245). Ils soulignent, entre autres, les propos de Van der Maren qui définit ainsi la démarche de recherche collaborative : « […] démarche par laquelle chercheurs et praticiens de l’éducation, de l’intérieur des différents projets menés, négocient un rapport de collaboration en vue de construire un savoir pertinent pour l’éducation […] ;

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« négociation des rôles et un partage d’expertises entre les partenaires engagés dans l’activité de recherche » (p. 245). Fort intéressants également sont les propos suivants de Barbier, dans ce numéro thématique: « la rationalité pratique a ouvert la voie à l’investigation et à la valorisation du savoir d’action des praticiens» (p. 248). Également dans ce numéro, Davis rappelle que les chercheurs et les enseignants sont liés, il ne faut pas l’oublier, à leurs engagements respectifs et rencontrent le « Besoin de s’ajuster ou de s’adapter aux particularités d’une situation donnée et à l’évolution inévitable de cette situation. » (p. 398). Enfin, Margolinas (2004) montre bien que les projets d’enseignement des enseignants, pensés en fonction des contraintes institutionnelles, orientent les interactions avec les élèves et font quelquefois écrans à une réception de conduites inattendues des élèves qui, faut-il le rappeler, ne sont pas toujours faciles à comprendre, à interpréter. ASSISES THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE SUR L’ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES AUX ÉLÈVES PRÉSENTANT DES DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE

La recherche actuelle sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage partage peu d’assises théoriques et méthodologiques avec la recherche effectuée dans les années 60’. Quelques événements qui ont marqué l’évolution de la recherche sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés en mathématiques

L’évolution de la recherche sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés en mathématiques est concomitante à une transformation radicale des perceptions de ces difficultés, transformation faisant écho à l’évolution des recherches en didactique des mathématiques. De l’élève en difficulté à l’élève en difficulté dans une institution didactique

Pendant plusieurs années, l’élève en difficulté était examiné à la loupe – pour rapporter uniquement à l’élève – les difficultés éprouvées par cet élève. Cette approche est heureusement révolue. Comme le rappelle Rogalski (2003), l’enseignement est la gestion d’un environnement dynamique, ouvert. L’issue du processus d’enseignement, comme le souligne Conne (1999), dépend de l’enseigné et l’enseignant ne peut ainsi anticiper la nature et les formes des savoirs qui émergeront. Conne ajoute également que « les acteurs ne contrôlent que très mal les ajustements cognitifs sans cesse à l’œuvre dans les interactions d’enseignement (enseignant-enseigné-milieu). » (Conne, 1999, p. 62). Les difficultés d’un tel contrôle sont encore plus apparentes, lorsque l’enseignement s’adresse aux élèves en difficulté (C. Mary et S. Schmidt, 2003 (rédactrices invitées), Numéro thématique de la revue Éducation et francophonie, auquel ont participé plusieurs chercheurs québécois (G. Lemoyne et G. Lessard; D. Gauthier et J.-R. Poulin, C. Mary, S. Schmidt et L. Thivierge, S. René de Cotret et J. Giroux, L. Deblois) et européens (J. Focant, F. Conne, C. Cange et J.-M. Favre, M. Collet). Lorsque les élèves éprouvant des difficultés sont intégrés dans des classes régulières, soutenir l’apprentissage de ces élèves, sans pour autant ralentir la progression des apprentissages des autres élèves (Mercier, 1995, 1998; Roditi, 2003; Sarrazy, 2002; Sensevy, 1998), est encore moins évident. Comme le soulignent Conne, Favre et Giroux (2006), il n’est pas évident de repérer les connaissances mises en œuvre dans une situation par les élèves et de poursuivre « en prenant en compte ces connaissances », d’interagir de « manière non ostensive » (voir, à ce propos, l’étude effectuée par Salin (1999). Ils ajoutent : «C’est sans doute la raison pour laquelle le pilotage conduit en plusieurs cas, même chez des enseignants chevronnés, rompus aux situations didactiques (Salin, 1999), à de l’enseignement ostensif

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caractérisé, selon Bloch (Bloch, 1999), par «le fait que l’enseignant ne fait usage, dans la situation, que des savoirs95 qu’il vise pour les élèves en fin d’apprentissage» » (p.173). Regarder ce que produit l’enseignement (Conne, 1999 ; Favre, 1999), aller au-delà des réussites et des échecs, obligent souvent l’enseignant à «refaire», à mobiliser (remobiliser) certains concepts mathématiques pour pouvoir avoir accès au raisonnement de l’élève (on pourrait dire aussi « à refaire les mathématiques de l’élève »). L’importance de se donner des défis majeurs dans les recherches en didactique des mathématiques réalisées auprès d’élèves présentant des difficultés d’apprentissage

Les questions suivantes montrent toute la complexité de la recherche en didactique conduite auprès d’élèves éprouvant des difficultés importantes en mathématiques : 1- Comment penser des dispositifs qui puissent permettre aux élèves de construire ou de re-construire des savoirs (Antibi et Brousseau, 2000), de développer des pratiques étudiantes et mathématiciennes adéquates (Conne, 1999) et, d’accéder à une position plus « satisfaisante » dans la classe?; 2- Avec la complicité et la collaboration des enseignants, comment assumer le risque de présenter aux élèves en difficulté, des situations « cognitivement et mathématiquement » plus riches que celles qu’on leur propose généralement? Comment amener les élèves à prendre également ce risque? Plusieurs études réalisées récemment montrent qu’il est possible de recevoir ces questions, de les traiter et, avec la complicité des enseignants, de permettre à plusieurs élèves présentant des difficultés de construire des connaissances fondamentales, de modifier leurs rapports aux savoirs et à leur métier d’élèves (voir, entre autres, les études effectuées au Québec par Pascale Blouin, Lucie De Blois, Diane Gauthier et Jean-Robert Poulin, Jacinthe Giroux, Claudine Mary et Hassane Squalli, Sylvine Schmidt et Louise Thivierge, Suzanne Vincent, etc.). Dans une étude effectuée récemment (Lemoyne et Bisaillon, 2006; étude présentée au congrès de l’AQETA), nous avons présenté aux élèves en difficulté des problèmes non triviaux sur les nombres rationnels. Nous avons alors repéré des conduites « atypiques » (voir les analyses effectuées par Jacinthe Giroux (à paraître, 2008) sur ce type de conduites), « intrigantes », « non prévues », qui nous ont amenées à refaire un « travail important de compréhension didactique des conduites en mathématiques des élèves ». Plusieurs des élèves en difficulté ont alors pris « une longueur d’avance » sur les autres élèves de leurs classes respectives ne présentant pas de difficultés d’apprentissage. Nous avons alors invité les élèves en difficulté à présenter aux autres élèves des problèmes « relativement complexes » et à gérer le travail de ces élèves, ce qu’ils ont fait avec un doigté qui mérite d’être souligné. La recherche sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques soulève des défis importants, défis qui ne peuvent être relevés qu’en s’appuyant sur des assises théoriques et méthodologiques « non réductrices ». Elle suppose également la prise en compte du fonctionnement institutionnel. Les pratiques de recherches qui ont évolué au cours des dernières décennies, pratiques dont nous avons brièvement fait état à la section précédente, ne peuvent qu’être bénéfiques pour l’avancement des connaissances en ce domaine et la maximisation des retombées didactiques et socio-éducatives des recherches sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage.

95 Nous adjoignons une remarque pour les puristes. Dans le texte original, I. Bloch avait écrit « connaissances », mais si nous avons remplacé ici ce terme par celui de « savoirs », c’est dans un souci de cohérence avec la définition de « savoir » qui précède. Dans la mesure où un savoir est considéré comme une connaissance utile, une connaissance dont on fait usage est effectivement un savoir. Nous savons par ailleurs qu’I. Bloch, dans ce texte, se réfère bien au propos de Conne (1992) concernant la distinction « savoir » et « connaissances » et nous sommes donc certains de ne pas avoir altéré le propos de notre collègue.

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CONCLUSIONS

L’évolution de la recherche en didactique des mathématiques, au cours des dernières décennies, a été marquée par des événements déterminants qui contribué à établir des assises théoriques et méthodologies de la recherche en ce domaine, assises dont les retombées sont actuellement significatives et qui nous permettent de tenir compte de la complexité du système didactique et d’envisager des recherches originales, scientifiquement et socialement importantes. En terminant, tenant compte de mes arrimages privilégiés à la recherche sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques, je soumets aux lecteurs éventuels de ce texte, les « propositions suivantes » : 1) L’enseignement aux élèves en difficulté : enjeux importants pour l’intégration sociale de ces élèves et occasions souvent inattendues pour « mettre en place » des situations qui souvent sont « plus riches et denses » que les situations proposées aux élèves qui n’éprouvent pas de difficultés; la construction de telles situations suppose une acculturation aux recherches effectuées en didactique des mathématiques et une implication également dans les recherches effectuées dans les classes régulières; 2) L’importance didactique et sociale de l’établissement d’une complicité avec les enseignants et les élèves, pour assurer une pérennité des situations mises en place dans les classes; un indice de pérennité non équivoque pourrait être le fait qu’un enseignant présente une nouvelle situation d’enseignement intégrant des caractéristiques des situations que nous avons effectuées en classe, situation qu’il dit « originale »; 3) Les élèves en difficulté peuvent aussi être des étudiants inscrits dans des programmes en adaptation scolaire; l’importance de présenter des situations qui ont été menées auprès d’élèves en difficulté pour transformer les positions idéologiques et didactiques des étudiants inscrits, non seulement dans ces programmes, mais également dans les programmes de l’enseignement primaire et secondaire; 4) l’importance de penser des dispositifs « originaux », tel celui présenté aux étudiants en adaptation scolaire par France Caron, tels ceux proposés par des mathématiciens et des didacticiens des mathématiques (voir, entre autres, l’ouvrage publié sous la direction de Richard Pallascio et Éric Doddridge, 2006, ainsi que les articles de la revue Accromath, 2007).

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Richard PALLASCIO

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LA DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES AU QUÉBEC : QUELQUES ÉTATS D’ÂME…

RICHARD PALLASCIO, PH.D. DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES, UQAM

RÉSUMÉ

Aux deux questions posées, je répondrai par des états d’âme livrés spontanément. Concernant la 1ère question, je présenterai des constats déjà posés, toujours d’actualité, de même que des créneaux devenus importants, en lien avec le nouveau programme de formation de l’école québécoise. Je terminerai en proposant d’accentuer la recherche liée aux conceptions des enseignants et d’oser aller de l’avant avec davantage de recherches longitudinales. Concernant la 2e question, j’insisterai sur la nécessité de mieux chercher à transférer aux enseignants, futurs et actuels, les résultats des recherches et de développer davantage de matériel didactique pour la formation initiale. Je terminerai avec un questionnement au niveau méthodologique.

QUELLES ONT ÉTÉ ET QUELLES POURRONT ÊTRE LES PRÉOCCUPATIONS ET LES COURANTS DE LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES? Pour répondre à cette question, je suis retourné en premier lieu au texte de ma collègue Gisèle Lemoyne (1996), suite à son exposé lors du colloque du GDM célébrant les 25 ans de la didactique des mathématiques au Québec, tenu en mai 1995, au CIRADE. J’y ai relevé deux constats, lesquels sont encore importants aujourd’hui, ne serait-ce parce qu’ils sont encore trop rarement appliqués. Le premier est celui-ci :

« Parler d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques en situation ou en résolution de problèmes ne suffit pas. Encore faut-il que les situations ou les problèmes soient choisis à la suite d’analyses qui définissent une genèse artificielle des notions mathématiques, qui en montrent les enjeux et les limites. Encore faut-il enfin que les connaissances des élèves qui leur permettent de s’adapter aux situations et aux problèmes soient explicitées, validées, décontextualisées, institutionnalisées. » (p. 32) Et voici le second :

« … inscrire les recherches en didactique des mathématiques dans une perspective épistémologique qui tienne compte de la construction au cours de l’histoire des objets ou des outils mathématiques transposés dans l’enseignement. » (p. 33) Par contre, je suis demeuré perplexe devant l’extrait suivant : « Le terme agir est alors trop souvent associé à des manipulations concrètes et ces manipulations se voient conférer des pouvoirs constructeurs presque magiques. » (p. 36). À mon sens, l’agir physique doit aussi être considéré comme aussi prégnant que l’agir cognitif (par exemple, des recherches bibliographiques à la bibliothèque ou sur Internet, des consultations auprès de personnes-ressources…, des gestes fréquents en pédagogie du projet), de la même façon que nous résolvons nous-mêmes des problèmes de mathématiques, de didactique ou de toute autre nature.

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Ma seconde réflexion a porté sur les recherches qui m’apparaissent fortement lacunaires, du moins ici au Québec. Nous devrions d’abord nous pencher sérieusement sur les manuels et les méthodes d’évaluation, en les étudiant sous l’angle du socio-constructivisme. N’êtes-vous pas exaspérés d’entendre les démagogues et journalistes non moins démagogues de tout poil exiger le retour des bulletins chiffrés, pur fantasme sur un outil soi-disant objectif?

Également, nous devrions nous pencher sur les programmes, surtout depuis qu’ils sont tous rédigés sous un même concept, celui des compétences, incorporant plusieurs ressources, dont les savoirs. Les activités interdisciplinaires, que ce soit des situations-problèmes permettant de donner du sens à des concepts mathématiques dans des contextes signifiants de la vie, ou que ce soit des propositions de projets visant d’autres applications mathématiques, demeurent difficiles quand vient le temps d’y intégrer les concepts mathématiques en vue de réels apprentissages. Je me permets de noter au passage, qu’il ne faut pas attendre une prochaine génération de programmes pour corriger les programmes actuellement implantés, car ceux-ci ont été construits avec la perspective d’une adaptation continue suite à des changements scientifiques, sociaux, didactiques ou autres.

J’ajouterais qu’il est nécessaire d’enclencher des recherches permettant d’examiner les conceptions des enseignantes et des enseignants au sujet des mathématiques elles-mêmes, de leur apprentissage, de leur enseignement et de leur évaluation (voir la thèse d’Anne Roy, 2005). Les enseignants, à ce sujet, me semblent très en retard et ne lisent toujours pas ou peu les revues qui leur sont destinées : accepterions-nous une société où les ingénieurs construiraient des ponts avec les concepts et les techniques d’un autre siècle? Qui va dire aux enseignants, sinon nous, qu’ils devraient s’activer davantage à ce niveau? Dans d’autres disciplines, tels les arts plastiques, c’est la créativité et le besoin des enseignants d’être plus que des enseignants, à savoir des artistes-enseignants, qui causent des problèmes d’identité professionnelle! (voir la thèse d’Hélène Bonin, 2007). On ne peut en dire autant des enseignants de mathématiques, qui délaissent pour la plupart l’activité mathématique pour eux-mêmes dès qu’ils débutent dans l’enseignement!?

Enfin, dans le même sens que Seymour Papert l’indiquait lors du colloque Psychologie et didactique (1971/2007), je pense que nous devons travailler sur des scénarios de recherche plus globaux et moins parcellaires. Par exemple, lors d’une recherche sur une approche réflexive en mathématiques au 3e cycle du primaire, des changements majeurs ne sont apparus qu’au 8e mois d’interventions (au rythme d’une heure par semaine) en philosophie pour enfants au sujet des mathématiques, au niveau de certains développements permettant de pister l’évolution étonnante d’une pensée critique, créative, métacognitive et responsable (Daniel, 2005). Dans ce contexte longitudinal et exigeant, le concept de recherches collaboratives semble incontournable. COMMENT LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES A-T-ELLE CHANGÉ ET POURRA-T-ELLE CHANGER L’ENSEIGNEMENT ET L’APPRENTISSAGE DES MATHÉMATIQUES ET, DANS LA FOULÉE, LA FORMATION DES MAÎTRES?

Ma première observation est à l’effet que peu de changements dans les faits ont été réalisés dans les classes régulières. Doit-on s’étonner des résistances liées à l’implantation du renouveau pédagogique? Albert Morf (1994) écrivait que « L’acceptation des paradigmes constructivistes par la didactique ne va pas de soi. ». À titre d’exemple, les recherches dans ce paradigme, entre autres celles réalisées au CIRADE, ont permis de distinguer deux concepts fondamentaux, les savoirs, c’est-à-dire des connaissances socialement et communément partagées, et les connaissances personnelles, fruits de constructions du sujet cognitif. (Jonnaert et Masciotra, 2007). Il faudrait de toute urgence transférer ces informations aux enseignants et aux futurs maîtres, tant au primaire qu’au secondaire.

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Deuxième remarque! Les théories de l’apprentissage, telle la théorie des situations didactiques, laquelle ouvre sur une pédagogie situationnelle, devraient être enseignées de façon plus systématique, de telle sorte que les enseignants puissent distinguer les fondements de celle-ci en particulier d’une pédagogie du projet, où l’intention didactique passe de l’enseignant à l’élève, bien qu’il n’y ait pas d’incompatibilité entre les deux, dans un plan d’ensemble où les pédagogies doivent se diversifier. La remarque de Michel Carbonneau (1971/2007) reste d’actualité : comment développer des situations-problèmes pour les futurs maîtres qui vont leur permettre de comprendre l’épistémologie constructiviste? Enfin, un questionnement sur le plan méthodologique. Les méthodologies en didactique des mathématiques sont passées d’un extrême à l’autre, c’est-à-dire de méthodes presqu’exclusivement quantitatives à des méthodes presqu’exclusivement qualitatives. N’avons-nous pas perdu quelque chose, au profit de résultats parfois trop mous, sur lesquels se poursuivent d’autres recherches reprenant ces résultats comme s’ils étaient l’aboutissement de recherches quantitatives et à propos desquels nous ne sommes souvent pas certains de ce que nous avançons, cela dit en toute relativité? Ne faudrait-il pas insister pour que les recherches qualitatives soient confirmées par des recherches quantitatives subséquentes? BIBLIOGRAPHIE BONIN, H. (2007). La conciliation de composantes identitaires chez des enseignants en arts plastiques au secondaire. Thèse de doctorat inédite. Sciences de l’éducation, UQAM.

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Richard PALLASCIO

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RÉACTION À LA TABLE RONDE Jérôme Proulx

Les recherches en didactique des mathématiques : Perspectives personnelles sur les perspectives d’avenir…

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Jérôme PROULX

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Les recherches en didactique des mathématiques : Perspectives personnelles sur les perspectives d’avenir…

Jérôme Proulx

Université d’Ottawa

« For a long time research outcomes have influenced the reality of mathematics instruction and mathematical learning on a very small scale only. Research has followed the need of school practice rather than hurrying on ahead. »

– Heinrich Bauersfeld, 1977

« De ces rencontres, que Frédéric aurait préféré voir se tenir à trois heures du matin plutôt qu’à dix, chacun ressortait non point meilleur, mais enrichi. »

– Jean-Michel di Falco & Frédéric Beigbeder, 2004 J’ai placé ces deux citations en évidence, car ce sont des citations qui m’ont beaucoup frappé dans mon cheminement et qui me sont constamment revenues en tête tout au long de la préparation de cette présentation96. Je les souligne, non pas parce qu’elles sont vraies ou fausses – on peut y adhérer comme s’y opposer – mais parce qu’elles font beaucoup réfléchir. Et, je les laisserai à l’écran tout au long de ma présentation, en guise de réflexion. Il est vrai, comme plusieurs me l’ont souligné durant le colloque, que c’est une tâche assez difficile qui m’est demandée aujourd’hui de réagir à cette table ronde ainsi que de conclure le colloque. Une table ronde qui est composée de chercheurs chevronnés et un colloque qui a été démarré par Nadine Bednarz, tous des gens pour qui j’éprouve une sincère admiration et un grand respect. J’ai donc pris cette tâche très au sérieux d’agir comme réactant sur ce qui avait été présenté, discuté et accompli lors de la table ronde et de l’ensemble du colloque. Vous m’avez sûrement vu être très attentif et poser plusieurs questions tout au long des deux jours du colloque. Certains items que je présenterai ont été envisagés à l’avance et confirmés durant le colloque (d’autres ayant été mis de côté), alors que d’autres ont été réfléchis et produits de toute pièce durant le colloque et souvent confirmés et enrichis lors des présentations de ce matin. Ma présentation est donc une sorte de réaction à l’ensemble du colloque, de la conférence d’ouverture à la table ronde. Évidemment, de par la nature émergente de mes réflexions, il est fort probable que la présentation ait des airs quelque peu décousus, ressemblant par le fait même davantage à une mosaïque rapidement assemblée qu’à une toile bien définie et polie. Toutefois, malgré le défi que comportait la tâche, j’ai la chance d’avoir deux couvertures pour me protéger et me camoufler en cas de difficultés ou d’incohérences majeures. La première, obtenue probablement par mégarde de la part de ma collègue Patricia Marchand, concerne mon invitation pour offrir cette conférence de clôture. J’ai été invité, et je cite, en tant que « chercheur du Canada anglais et faisant parti de la relève ». Ainsi, je pourrai me cacher sous cette étiquette au besoin. La deuxième

96 Eisner (1997) explique que la forme et le contenu peuvent difficilement être séparés. Ainsi, tout comme il le fait, j’ai décidé de conserver la forme initiale avec laquelle ce texte a été préalablement produit et offert, c’est-à-dire sous forme de présentation orale.

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couverture concerne l’utilisation abusive que je ferai du mot « perspective ». La subjectivité de mes propos me permettra d’offrir quelques perspectives que je crois importantes concernant la recherche en didactique des mathématiques, mais ces perspectives seront toujours offertes à titre de perspectives, c’est-à-dire tout simplement en tant que ma propre perspective sur les perspectives d’avenir en didactique des mathématiques. Sur ce, la voici ! PERSPECTIVES POUR LA DIDACTIQUE DES MATHEMATIQUES

Il est évident que j’aurais pu prendre le temps de faire les éloges des recherches, courants et idées provenant du Québec et de toute la richesse inhérente à ceux-ci. Il y aurait beaucoup à dire et à souligner. Toutefois, je crois que mes collègues, tout au long du colloque, et particulièrement Nadine Bednarz lors de la conférence d’ouverture et les panélistes de ce matin à la table ronde, ont souligné brillamment toute cette richesse par leurs propos. Ce que j’ai plutôt tenté de faire est de faire ressortir des points généraux qui sont ressortis, souvent de façon implicite, à travers les communications, les travaux et les idées partagés lors du colloque. Je m’attarderai donc plus spécifiquement sur ces points ici. Évaluation

Le premier point concerne toute la problématique au niveau de l’évaluation, une question qui est revenue à la charge maintes et maintes fois durant le colloque. Ces aspects ont, entre autres, été soulevés lors de la présentation de Lucie Deblois concernant les enquêtes PISA et toute l’interprétation possible (voire même problématique) des résultats des élèves, ainsi que des classements des provinces et pays entre eux. Cela nous sensibilise beaucoup à toutes les questions d’évaluation et Lucie nous a d’ailleurs invité à participer davantage et, en tant que didacticiens des mathématiques, à mettre notre nez à l’intérieur de ces études lorsque l’occasion se présente. Une des raisons importantes pour répondre à cet appel est, comme Lucie l’a expliqué, qu’un des buts de l’OCDE est « le développement de systèmes éducatifs » par la passation de ces tests internationaux. Ceci peut avoir un impact énorme. De là l’intérêt d’y mettre son grain de sel lorsque possible ! Les questions d’évaluation ont aussi été traitées dans les autres présentations, comme dans celle de Sophie René de Cotret et France Caron. Elles ont souligné l’intéressante évolution du programme en lien avec toute la question d’évaluation, un aspect qui n’est pas toujours très clair et qui pose d’importants défis autant aux enseignants qu’à nous didacticiens puisque ces idées entraînent souvent de nombreuses interprétations. D’autres collègues, entre autres Dominic Voyer, Alexandre Rivard et ce matin Jean Dionne, ont mis en évidence toute la question de l’étude du rôle que joue (ou peut jouer) l’évaluation chez l’enseignant au niveau de ses pratiques de classe et de ce qui est mis de l’avant dans son enseignement. Nous en savons peu sur cette dynamique et elle me semble fort riche comme sujet d’étude. Les aspects concernant l’évaluation représentent des questions et problématiques au niveau de la recherche qui semblent importantes à souligner et à étudier plus en profondeur. Et, comme l’ont souligné la plupart des présentateurs et collègues, il y a place pour beaucoup d’innovation dans ce domaine.

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Histoire et historique

Le deuxième point à souligner est en lien avec l’histoire de notre champ, et ce, sous différents aspects. Rapidement, on se rend compte à la lecture des recherches plus anciennes (par exemple, dans les années 70) ou des comptes rendus de recherches et articles sur l’histoire de notre champ d’études (par exemple, Kilpatrick, 1992, 1994) que de nombreuses préoccupations « anciennes » sont toujours d’actualité, autant au niveau théorique qu’au niveau des problématiques de recherche. Nous l’avons fréquemment noté dans le colloque à l’intérieur des différentes présentations. Par exemple, celle de Nadine Bednarz dans laquelle nous retrouvions des similitudes concernant les buts de la recherche et les centres de recherche97, l’identité du champ, les positions théoriques et les intérêts, etc., celles de Lucie Deblois et de Sophie René de Cotret et France Caron sur l’évaluation et l’évolution des programmes et leur amélioration, celle de Philippe Jonnaert et Richard Pallascio ce matin sur Piaget, l’apprentissage, le constructivisme, etc., et celle d’Alexandre Rivard sur l’évolution historique des manuels en lien avec l’arithmétique, pour n’en nommer que quelques-unes. Nous pouvons nous demander si la présence de préoccupations similaires est quelque chose de bon, de mauvais, ou caractéristique d’un champ qui n’évolue pas ? Ces questions sont peut-être importantes à débattre, mais elles peuvent aussi être vues comme tout simplement non-pertinentes. Non-pertinentes, car les préoccupations en didactique des mathématiques vont sensiblement demeurer les mêmes puisque nous nous intéressons au même objet de recherche, c’est-à-dire l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Toutefois, ce qui est important d’apprécier est qu’un travail de recherche est continuellement entrepris pour fouiller et aborder ces phénomènes de différentes façons et avec différentes approches, et qu’on tente ainsi de développer des manières et voies encore plus riches et prometteuses de faire du sens de toutes ces problématiques. Comme le dirait Varela, Thompson et Rosch (1991), le monde évolue constamment et donc notre intérêt est de continuer à faire de plus en plus de sens de ce monde en constante évolution. En recherche, nous ne concluons pas chacune des préoccupations pour de bon – comme si le but était de fermer et résoudre chacune des portes jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus à fermer (ce qui mettrait un terme à la recherche en passant !). En recherche, nous faisons et créons du sens des préoccupations en jeu afin d’arriver à mieux les comprendre et à continuer de fonctionner le mieux possible. Ainsi, ce processus est continuel et des orientations et compréhensions nouvelles sont apportées constamment. Évidemment, tout cela peut causer des situations de « déjà vu » pour certains et peut même causer des difficultés d’appréciation des nouveaux développements et des nouvelles approches – voir des découragements. Dernièrement, lors de la rencontre 2007 du CSSE à Saskatoon en Saskatchewan, j’ai assisté à un panel d’experts sur la formation des maîtres. Un des panélistes s’époumonait à dire que toutes les initiatives de formation actuelles n’étaient que des idées recyclées déjà essayées par le passé et qu’il n’y avait aucune innovation quelconque. Pour un jeune chercheur, ce discours était assez horrible à entendre (et surtout très faible selon moi), mais en disait aussi très long sur la situation actuelle. En effet, tout au long de cette « montée de lait », j’ai pu saisir deux points très importants : la difficulté à apprécier la différence et le caractère novateur des nouvelles approches utilisées et la difficulté pour la « jeunesse » d’être à l’écoute de ce qui s’est passé avant. Ceci met de l’avant toute la question de l’inspiration et de la passation. Les jeunes chercheurs doivent s’intéresser à et s’inspirer de ce qui s’est fait avant eux, non seulement dans les écrits des dernières années, mais aussi dans les écrits plus anciens. Ceci est important pour ériger des positions solides et construire sur ces idées qui sont 97 On revoit en ce moment, entre autres, ré-émerger plusieurs questionnements et intérêts envers la mise en place de centres de recherche et de développement (voir, par exemple, Burkhardt et Schoenfeld, 2003).

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très inspirantes. Aussi, pour ne pas tomber dans le piège que Balacheff, m’a-t-on dit, a déjà reproché à notre champ, c’est-à-dire d’être « un champ qui n’a pas de mémoire ». Les travaux faits en didactique des mathématiques, les ressources historiques sur l’évolution de l’enseignement des mathématiques (la présentation d’Alexandre Rivard à ce sujet était fort éloquente), voire même les ressources historiques sur l’évolution des concepts mathématiques, sont des sources d’inspiration importantes auxquelles nous devons porter attention dans le but de les étudier et explorer en profondeur. Mais, en plus de l’importance de s’inspirer des travaux, il y a aussi tout un travail de passation historique des ressources « humaines ». Nous sommes dans une époque très particulière au Québec, où une importante partie des chercheurs de pointe part à la retraite et une vague de nouveaux chercheurs arrive. Il est important d’assurer ce passage et il revient donc aux nouveaux chercheurs, mais aussi aux plus anciens, de prendre en charge ce passage. Il y a beaucoup pour nous, jeunes chercheurs, à apprendre de vous tous et il est important de prendre soin de bien le faire. C’est donc un appel à nous, les jeunes chercheurs, et à vous tous, les « un peu moins jeune » chercheurs (ceux, ici présents, qui me viennent à l’esprit : Claude Gaulin, Gisèle Lemoyne, Jean Dionne, Nadine Bednarz, Philippe Jonnaert, Richard Pallascio) d’assurer cette transition. Épistémologie de la recherche

Le troisième point que je veux mettre en évidence concerne l’épistémologie. Il est clair que les questions épistémologiques sont toujours fondamentales et orientent de façon importante nos travaux de recherches, nos pratiques et nos réflexions – de nombreux chercheurs au Québec ont écrit sur les questions épistémologiques. Il y a aussi toute la question de l’épistémologie de la recherche et du chercheur, un point que Jean-François Maheux nous a très brillamment souligné dans sa présentation. Cette épistémologie est présente au niveau des positions empruntées guidant nos actions, nos pensées et nos recherches, c’est-à-dire la façon avec laquelle nous nous engageons dans le processus de recherche. L’épistémologie joue donc un rôle non seulement au niveau du cadre théorique emprunté dans la recherche, mais au niveau de notre façon de faire la recherche – c’est un cadre implicite de référence qui guide le chercheur dans ses actions et ses pratiques. Toutefois, cette épistémologie est aussi présente au niveau de la recherche elle-même et de son cheminement, un phénomène qu’on ne parle que trop peu en recherche. En effet, le déroulement de la recherche est quelque chose que nous tendons à cacher lorsque nous rapportons nos recherches ; nous ne parlons pas des embûches que nous rencontrons et des difficultés vécues. Jardine (1997) ainsi que Valero et Vithal (1998) parlent de ce phénomène en expliquant qu’en recherche nous cachons le tout pour faire paraître le processus parfait, comme dans un compte de fée où aucun problème ne survient. Toutefois, toutes les difficultés et embûches font partie intégrante de la recherche et lui apportent aussi une couleur toute spécifique. Il est important de le faire ressortir, car dans ces embûches résident des informations cruciales pour, entre autres, la recherche, la pratique, la formation de chercheurs, etc. Par exemple, la nature des difficultés/obstacles rencontrés lors du travail avec des enseignants – en recherche collaborative, en formation continue, etc. – peut en « dire beaucoup » sur les enseignants avec lesquels nous travaillons et sur les initiatives et cadres théoriques empruntés, ce qui représente en soi des résultats fort intéressants pour la recherche. De plus, et il ne faut pas le nier, ceci nous en « dit beaucoup » sur nous comme chercheur et sur nos approches et positions théoriques (la recherche n’est-elle pas en fait une de nos formes de développement professionnel ?).

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De plus, il y a beaucoup à apprendre des difficultés et du processus vécu, et ceci est fondamental au niveau de la formation de nouveaux chercheurs. Personnellement, j’ai toujours trouvé que la présentation la plus intéressante que j’ai faite concernant mon mémoire de maîtrise fut celle donnée à l’UQÀM en 2003 à l’occasion des séminaires de didactique des mathématiques. Dans cette présentation, dirigée vers des chercheurs en formation, en plus de décrire la recherche et ses résultats, j’ai donné une couleur à ces derniers en expliquant les choix qui avaient été faits et les difficultés rencontrées – éléments qui n’apparaissaient pas dans mon mémoire lui-même. Cette présentation était ainsi plus intéressante, mais aussi elle fut révélatrice pour moi, car j’ai appris beaucoup en faisant ressurgir ces difficultés et ces choix tout en me replongeant dans mes vieilles notes de recherche. Il y a beaucoup à apprendre du processus de recherche et ceci semble manquer dans notre communauté – peut-être n’est-ce pas assez scientifique pour être publiable, certains éditeurs nous diront… et pourtant ! La place des mathématiques

Le dernier point que je veux souligner, avant de conclure, concerne la place qu’occupent les mathématiques dans nos recherches en didactique des mathématiques – un point quelque peu touché lors de la présentation de Collette Laborde. En examinant les développements s’étant opérés en recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques, nous pouvons apercevoir un certain changement subtil qui semble s’opérer bon an mal an au niveau de la présence des mathématiques dans les travaux, les écrits et les recherches. Par exemple, un coup d’œil à trois des revues scientifiques anglophones les plus primées dans notre domaine (ESM, JRME, FLM), qui – pour la cause – représentent assez bien le pouls international, peut amener un chercheur à y percevoir une baisse subtile, mais importante, au niveau de la présence des mathématiques (suite à une comparaison des articles des premiers numéros aux plus récents98). Ce phénomène se fait aussi sentir au niveau de plusieurs revues professionnelles. Entres autres, Glenda Lappan (2006), dans un numéro commémoratif de la revue Mathematics Teacher du NCTM, faisait observer que cette revue est maintenant davantage remplie d’idées d’enseignement et de projets de toute sorte et que de moins en moins d’importance semble être accordée à l’étude de ce qui est enseigné – les concepts mathématiques eux-mêmes – c’est-à-dire que peu est mis sur le fond et davantage est mis sur le format99. J’ai une anecdote très intéressante à vous raconter à ce sujet concernant les recherches sur la formation des maîtres. Lors de la rencontre ICMI-15 en 2005 au Brésil sur la formation des enseignants en mathématiques, une collègue s’est levée durant la période de questions pour une des séances plénières et a lancé « Est-ce que vous vous rendez compte que quelqu’un pourrait entrer dans la salle et n’avoir aucune idée que nous parlons de mathématiques ici ? Notre discours est uniquement au niveau général et de l’éducation, il n’y a pas de mathématiques là-dedans. Peut-être devrions-nous y réfléchir. » Ce commentaire, qui paraissait bizarre au premier abord, peut nous faire beaucoup réfléchir et est d’une certaine façon au cœur des réflexions et controverses actuelles à l’intérieur de la communauté scientifique internationale de recherche.

98 Ceci ne doit pas nécessairement être vu négativement, puisque le champ « va où il va », pour reprendre les mots d’Alan Bell reportés par Lins (2006). Toutefois, ceci représente un fait intéressant à noter et qui peut faire réfléchir. 99 Ce type d’appel résonne aussi avec certaines critiques envers une grande partie des recherches au niveau de la formation des maîtres. Celles-ci sont critiquées parce qu’elles s’intéressent davantage à décrire la forme et le comment (la structure) des formations et des activités que de reporter sur les contenus eux-mêmes travaillés dans les sessions de formation (Crockett, 2002; Adler et Davis, 2006).

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La communauté scientifique internationale en « mathematics education » et en didactique des mathématiques est présentement, en effet, en grand questionnement quant à son identité. Plusieurs chercheurs se plaignent de la place de plus en plus marginale que prend l’aspect mathématique dans les recherches. Dans les congrès de la communauté internationale scientifique, il est maintenant fréquent et même naturel d’entendre un commentaire du genre « Mais où sont les mathématiques là-dedans ? ». Ceci a même atteint un point culminant lors du dernier congrès PME à Prague en 2006 où le thème même était « Les mathématiques au centre » – mathematics in the centre. En particulier, lors du panel de mi-conférence, le président du panel, Romulo Lins du Brésil, a soulevé l’intérêt de plusieurs, ainsi que la controverse chez d’autres, en affirmant que dans toutes les courtes présentations du panel, il avait été surpris de ne voir aucune trace, sinon infime soit-elle, des mathématiques (les présentations s’attardant sur des thèmes généraux comme le lien entre les départements de mathématiques et ceux d’éducation, le contexte des enseignants, etc.). Ceci n’a pas manqué d’alimenter le débat, et d’en déplaire aux panélistes eux-mêmes il va s’en dire ! Toutefois, ceci a également permis d’alimenter de nombreuses discussions, et ce, lors des conférences plénières et même lors des sessions séparées. Entres autres, je pense à Brousseau, qui, en regardant la salle de façon convaincante a lancé dans sa présentation que « c’est l’enseignement des mathématiques qui est au centre ». Ceci a évidemment fait beaucoup réagir. D’autres se sont aussi prononcés sur la problématique tout au long du congrès. Un exemple particulièrement saisissant est celui de Markku Hannula qui a clamé que, pour lui, « au cœur des ‘mathematics education’ réside l’apprentissage des mathématiques ; et en périphérie, alimentant nos travaux, réside la sociologie, la psychologie, l’histoire, l’anthropologie, les mathématiques, etc. ». Ce commentaire en a fait réagir plus d’un, non pas face à l’importance accordée à l’apprentissage, mais face à l’aspect périphérique offert aux mathématiques elles-mêmes. Cet aspect périphérique me semble quelque peu surprenant, voir bizarre ou même incompatible avec notre champ. Mais par-dessus tout, il porte beaucoup à réfléchir. La question pouvant être ainsi formulée : « Quelle est la place qui devrait être accordée aux mathématiques en didactique des mathématiques ? Peut-on dire que les mathématiques sont en périphérie ? » Brousseau dirait très fort « non » car selon lui les mathématiques sont centrales dans toute étude en didactique des mathématiques (voir Brousseau, 2006). Mais il n’est pas clair que cette perspective est partagée par tous. En fait, quelle place occupe ou devrait occuper les mathématiques dans nos recherches ? Je serais tenté de dire qu’il n’est pas si important d’en arriver à un consensus, car ceci s’avèrerait assez difficile face à la diversité des perspectives. Par contre, en reprenant la question d’identité soulevée par Nadine Bednarz lors de la conférence d’ouverture, tout ceci s’avère fondamental pour orienter les travaux et construire l’identité du chercheur – et donner du sens à ce qu’il fait. Ce qui m’amène en quelque sorte à la conclusion de ma présentation.

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CONCLUSION, PAR UN DERNIER POINT

Comme l’a souligné Nadine Bednarz dans sa conférence d’ouverture, la communauté de recherche en général est orientée par deux approches (toutefois non-exclusives) : l’approche scientifique, qui s’intéresse à comprendre et à étudier les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques, et l’approche pragmatique, qui s’intéresse à participer à améliorer l’état de l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Ceci ne représente pas une division ou une scission, mais simplement des orientations différentes (qui souvent s’alimentent l’une et l’autre). Il est important de les distinguer car leurs objets de recherche ne sont pas du tout les mêmes. On m’a déjà raconté que Kath Hart, à ce moment présidente du groupe international PME, avait déjà affirmé à la fin d’un de ses discours que le but des travaux de tous était au fond l’amélioration de l’état de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques. Un commentaire qui n’avait pas tout à fait plu à tous, il va sans dire ! Cette distinction au niveau des intérêts et objets de recherche est très importante. Dans un premier temps, elle l’est au niveau de l’identité du chercheur, pour son positionnement de recherche et toute la légitimation de ses travaux et leur pertinence. En effet, le chercheur ne se définit pas de la même façon selon l’orientation prise et n’entreprend pas les mêmes types de travaux et recherches (qui n’ont évidemment pas du tout le même type d’intentions et de buts). Dans un deuxième temps, cette distinction est importante au niveau des attentes face aux travaux produits en didactique des mathématiques, formulées ou non, de la part de nous comme chercheurs, mais aussi des enseignants, des gens du ministère, des parents, etc. Les travaux n’amènent pas du tout le même type de résultats et de retombées si l’on se place dans une perspective scientifique ou pragmatique. Ce serait de réduire tous les travaux au même niveau que de ne pas faire cette distinction fondamentale. Cette distinction permet de rediriger le tir de nos recherches d’une certaine façon. En effet, au cœur de tout cette problématique réside d’une part les attentes et les questions venant de l’extérieur concernant nos travaux et nos recherches et, d’autre part, toute la question de l’application et des répercussions de la recherche dans la pratique (souvent demandée sous forme de prescriptions). Comme le dit Brousseau (2006), le plus grand obstacle aux travaux en didactique des mathématiques est l’impatience… Mais, de toute cette impatience, ou de ces requêtes incessantes, découle des orientations que je qualifierais de très dangereuses, dont celle de la « consommation de la recherche », qui est malheureusement mise de l’avant par certains de nos collègues américains (par exemple, Cochran-Smith, 2006). Même le conseil supérieur de l’éducation est tombé dans le piège, à mon grand regret, de cette idée de consommation de la recherche (CSE, 2006). Tout ce mouvement réduit notre travail et ses retombées à une visée d’utilitarisme fortement logée dans une orientation positiviste et techniciste qui est totalement dépassée lorsqu’on clame haut et fort un discours de praticien réflexif, d’enseignant professionnel, d’innovation pédagogique, etc. (voir, entre autres, Schön, 1983, pour une critique de ce mouvement). Avec une visée utilitariste et de consommation, nous nous retrouvons encore une fois dans un fameux mouvement « top-down » (où l’enseignant est vu comme un technicien où son travail est réduit à l’application de techniques pré-préparées100). La plus grande ironie est que les recherches qui sont soi-disant à « consommer », pour la plupart, prônent justement l’abolition de cette perspective « top-down » !

100 Voir Bednarz (2000, pp. 63-64) pour une discussion similaire.

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Mais, à cette situation s’ajoute tout le discours sur le lien entre la théorie et la pratique, ou l’application des théories dans la pratique. Ce discours (et ses requêtes) est toutefois très intriguant, car il semble dénaturer les intentions mêmes des théories éducationnelles. Ainsi, en s’attardant à ce que les théoriciens de l’éducation nous disent (par exemple, Standish, 2005), on voit ressortir, entres autres, deux aspects importants. Ce que les théoriciens expliquent en fait est que les changements profonds proviennent non pas de recherches empiriques démontrant l’efficacité ou l’intérêt de telle ou telle approche, mais plutôt de changements de paradigmes qui orientent les pratiques et actions. Ce sont donc les changements paradigmatiques des théories éducationnelles qui apportent des changements importants – toute la vague béhavioriste ou celle constructiviste en éducation permet de bien comprendre ce point. Un autre point que les théoriciens de l’éducation nous expliquent est qu’une théorie, aussi bonne soit-elle, n’est pas créée pour être appliquée, mais plutôt pour inspirer, pour faire mieux comprendre les situations et phénomènes et ainsi pouvoir mieux travailler et améliorer ses pratiques. La théorie a pour but d’inspirer, de générer et de faire réfléchir à de nouvelles pratiques. Les théories doivent être vues comme ayant des implications et non pas des applications. Il semble donc y avoir plusieurs mauvaises questions qui sont dirigées vers les recherches, questions qui paraissent simplement manquer le tir. Ainsi, plutôt que de poser la question « À quoi sert la didactique des mathématiques ? » nous devrions demander « Qu’est-ce que permet la didactique des mathématiques ? ». À la question « Qu’est-ce que la didactique des mathématiques a changé ? » nous devrions entendre « Qu’est-ce que la didactique des mathématiques a permis de comprendre, de générer ? ». Et, plutôt qu’avoir la question « Qu’est-ce qui marche ? » nous devrions avoir « Qu’est-ce qu’on connaît ? ». Ces questions amènent des orientations et des réponses très différentes concernant la didactique des mathématiques et ses intérêts et retombées. Ces propos m’amènent à conclure ma présentation par une discussion de la question de « généralisation » de la recherche, point qui a aussi été soulevé par Richard Pallascio lors de la table ronde. Je vous offre premièrement cette anecdote. Lors de ma maîtrise, un de mes collègues se questionnait beaucoup et éprouvait un malaise face à l’intérêt et la pertinence de ses recherches. Il se questionnait car ses résultats n’étaient pas généralisables et il se demandait « à quoi bon » avoir fait cette recherche – qui était, ma foi, fort intéressante il va sans dire. Pour ce nouveau chercheur, toute la question de pertinence de ses recherches et de son identité de chercheur était remise en cause face à ce besoin de rendre la recherche généralisable. Il est évidemment tentant de voir ou vouloir la recherche comme étant généralisable, décontextualisable et applicable. Mais, en plus d’être simplement impossible, cette intention apparaît aussi peu intéressante. Comme l’explique Valero et Vithal (1998), l’intérêt de la recherche est tout autre : la recherche est génératrice. Elle permet de générer, d’inspirer, d’informer, d’orienter, et ce, de différentes façons. Elle génère de nouvelles recherches, de nouvelles pratiques, de nouvelles idées, de nouvelles méthodes d’enseignement et de recherche, de nouvelles questions et réflexions, etc. Le but de la recherche est exactement là pour moi, dans une idée de générer davantage et d’offrir des façons de mieux comprendre et de mieux agir. Une orientation générative, en somme, s’éloigne énormément d’une idée de consommation de la recherche ou de « top-down » et amène les gens à s’approprier des idées, à travailler avec elles, à s’en inspirer (ce qui est loin de l’idée « d’appliquer » ou « d’étendre » des résultats « généralisables »). Elle place le lecteur ou l’audience en contexte actif et non passif, elle amène à la production. Et c’est exactement ce que la recherche fait et c’est aussi uniquement ce qu’elle peut faire. La recherche n’est pas là pour généraliser, mais pour générer et inspirer – là réside son intérêt et sa force.

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En fait, si j’avais un seul élément à mettre en valeur et à offrir quant à ma perspective sur l’avenir et l’intérêt futur de la didactique des mathématiques (en recherche, en formation des maîtres, en formation des futurs chercheurs, au niveau des organismes subventionnaires, des concepteurs de programmes, etc.), je dirais que c’est dans ce paradigme de générativité et de voir la recherche comme « génératrice » que le tout devrait se situer.

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