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LA CONDUITE DU CHANGEMENT AU SEIN DU SECTEUR PUBLIC : UNE CONTRIBUTION POUR L’ACTION Aurélien Colson Chef du groupe de projet Ariane n° 13 – Septembre 2005

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LA CONDUITE DU CHANGEMENTAU SEIN DU SECTEUR PUBLIC :UNE CONTRIBUTION POUR L’ACTION

Aurélien ColsonChef du groupe de projet Ariane

n° 13 – Septembre 2005

Depuis quelques années, la réformede l’État est programmée par tous lesgouvernements de notre pays. Elle amême droit à un ministère, ce quin’était guère le cas dans notre Répu-blique. Elle fait l’objet de déclara-tions résolues, d’engagements fermeset d’approches multiples. Personne,ni à droite ni à gauche, ne s’oppose àl’idée. Quelques exemples étrangerslaissent penser que la France a prisdu retard. Ils sont souvent sollicitéspour dénoncer telle résistance dessyndicats attachés aux acquis sociauxdans la fonction publique ou tellereculade des décideurs politiquesattachés à calmer le jeu.

Le sens du mot réforme n’est certaine-ment pas identique dans tous les cas.Les uns veulent améliorer le fonction-nement du service public ; d’autresdésirent réduire le nombre de fonc-tionnaires ; pour les uns, il faut décen-traliser ; pour d’autres, seule la Répu-blique une et indivisible garantit sespropres principes, etc. Tous sont néan-moins troublés par les résistancesqu’ils rencontrent en voulant appli-quer une réforme localisée. La puis-sance des syndicats dans la fonctionpublique a souvent démontré auxdécideurs publics qu’ils avaient tortd’avoir raison.

On évoque alors sans cesse, pêle-mêle, la peur du changement, les cor-poratismes, la coalition des conserva-tismes, etc. La stabilité de ces argu-ments et leur distribution politiqueconvenue rendent sceptiques les ana-lystes et découragent les réforma-teurs : notre pays serait impossible àréformer !

Le groupe de projet Ariane a décidéd’aborder cette question essentielled’une autre manière. Ce n’est pas unhasard car la nouvelle identité du Plan– prospective de l’État stratège – metévidemment Ariane au cœur de notre

dispositif. Quand nous construisonsdes scénarios sur les rôles à venir del’État, chaque groupe de projet, quelqu’en soit l’objet, doit intégrer laréforme de l’État dans sa manière d’enconcevoir les rôles.

Le groupe Ariane devait donc fournir àchaque groupe du Plan un fil rougepour élaborer ses plans d’action. Àcette fin, il déplaça la question coutu-mière en la formulant autrement. Il nes’agit plus de réformer l’État en géné-ral, ni même de concevoir une réfor-me en particulier, mais nous devons,plus modestement, comprendre com-ment et pourquoi des changementsréussissent. Le problème pratiquen’est pas de réformer mais de condui-re le changement.

Ainsi le groupe Ariane examine-t-il leproblème central de toute réforme etde tout changement, ce problème quia réduit à néant les efforts de tous lesutopistes, qu’ils soient les concep-teurs constructivistes d’une sociétéidéale, ou les porteurs plus modestesd’un projet de société séduisant. Dansla sphère politique, il ne s’agit pasd’avoir les meilleures idées, ilconvient de savoir les mettre enœuvre, c’est-à-dire de penser le tempsde la transition entre l’état présent, cri-tiqué ou déploré, et l’état futurmeilleur et souhaité. La pensée pri-mordiale concerne la transition entreles deux états.

Tel est le sens du travail effectué par legroupe Ariane, en étayant son appro-che sur des analyses de cas convain-cantes. Cette approche empirique per-met de dégager une sorte de guidedont peuvent s’inspirer tous ceux quisont soucieux de réformer leur admi-nistration sans se contenter des effetsd’annonce. Ce n’est pas un hasard sile temps prend une telle importancedans les analyses d’Ariane. Une réfor-me, un changement ne s’effectuent

AVANT-PROPOS

que dans le temps compris avec toutesses dimensions : temps de décider,temps de convaincre, temps d’exécu-ter, temps d’évaluer, etc.

Nous percevons bien dans ces textestoutes les dimensions qu’implique uneréforme de l’État : le politique, letemps, l’humain, la connaissance.

Je tiens donc particulièrement àremercier Aurélien Colson pour laqualité de ces textes qui sont en phaseavec la qualité du management pro-posé à son groupe de projet.

Alain Etchegoyen

La réforme de l’État est une prioritéaffirmée par le gouvernement actuel,comme elle le fut par ses prédéces-seurs et comme elle le sera vraisem-blablement par ses successeurs. Il estpeu discutable, en effet, que “la” réfor-me, ou plutôt “les” réformes de l’État,forment une ambition de longue halei-ne. Ses justifications sont aussi nom-breuses qu’impérieuses : la nécessitéde proposer un meilleur service publicaux citoyens ; l’impératif rétablisse-ment des finances publiques ; toutcomme le légitime besoin d’améliorerles conditions de travail et les perspec-tives de carrière des agents de l’État.

En matière de réforme de l’État, lesobjectifs et les contenus des multipleschangements en cours ou à conduiresont, dans l’ensemble, bien connus. Enrevanche, le processus concret de miseen œuvre de ces changements reste,lui, moins étudié. Or le processus neva pas de soi. Une première série d’in-dications en ce sens est donnée parnotre histoire administrative. Celle-cine manque pas de tentatives avortéesde réformes, non pas tant parce que lefond du projet était contestable – cer-tes, il arrive qu’il le soit – mais surtoutparce que le processus de mise enœuvre n’était pas à la hauteur de l’en-jeu. Souvent, même, et c’est la secon-de série d’indications, la question duprocessus ne se pose pas car il n’y apas de passage à l’acte : nombreusessont les idées de réformes, pourtantdéveloppées par de prestigieuses com-missions mandatées par les plus hautesautorités, qui n’ont jamais franchi lecap de la mise en œuvre 1. Cela ren-force l’hypothèse selon laquelle lesconditions de mise en œuvre des réfor-mes posent problème et méritent, à cetitre, d’être explorées.

D’où le champ spécifique abordé parce Cahier du Plan : comment condui-re le changement dans le secteurpublic ? Quels sont les points clefs

pour réussir le changement ? Quelssont les blocages à surmonter, leserreurs à ne pas commettre, et com-ment ? Quelles méthodes ont fait leurpreuve dans de récentes réformesadministratives en France ? Peut-onapprendre des expériences passées ?

Pour trouver des éléments de réponsesopérationnels à ces questions, l’appro-che ne pouvait qu’être inductive : par-tir du terrain et de l’expérience desacteurs ayant directement contribué àla mise en œuvre de changements dansle secteur public, pour essayer d’endégager certains principes concretsd’action, assortis de recommandationsplus générales susceptibles de confor-ter, à l’avenir, les démarches de réformede l’État.

À cet effet, sept études de cas ont étémenées : les Douanes et la Directiondes relations économiques extérieures(DREE) au ministère de l’Économie,des Finances et de l’Industrie ; laDélégation générale pour l’armement(DGA) et la Direction des construc-tions navales (DCN) au ministère de laDéfense ; enfin, l’Agence nationalepour l’emploi (ANPE). À titre compa-ratif, afin d’avoir un aperçu de laconduite du changement dans le sec-teur privé, deux études de cas ont étéajoutées : le fabriquant de tabacAltadis, issu de l’entreprise publiqueSeita, et le constructeur automobileNissan depuis son alliance avecRenault. Ont également été consultéesdes personnalités étrangères pouvantrendre compte de l’expérience d’au-tres pays en matière de conduite duchangement.

Au total, 65 personnalités ont étéauditionnées au Plan ou interviewéeslors de visites dans leurs organisations,à différents niveaux hiérarchiques :ancien ministre, directeur d’adminis-tration centrale, directeur d’établisse-ment public, chef de service, sous-

RÉSUMÉ OPÉRATIONNEL

(1) Ce difficile passage à l’acte trou-ve en France une illustration supplé-mentaire, dans un autre registre,avec la forte proportion de lois quin’ont jamais été mises en vigueur,leurs décrets d’applicationn’ayant pas été rédigés.

directeur, membre de cabinet ministé-riel, membre des états-majors desarmées, responsable syndical, mem-bre de la direction d’entreprise privée,consultant dans des cabinets deconseil, chercheur.

Les témoignages et les analyses ainsirecueillis ne sauraient à eux seuls défi-nir une méthode imparable de condui-te du changement. Qui le pourrait, sitant est qu’une telle méthode existe ?Mais, ancrés dans des pratiques admi-nistratives et managériales, forts dechangements réussis, ils concourent àune réflexion tournée vers l’action,dont ce Cahier tente de synthétiser lesprincipaux aspects, après avoir briève-ment décrit dans sa première partie lesétudes de cas réalisées.

Cette réflexion tournée vers l’actioncomporte quatre contributions :

La première, analytique, décrit lescomposantes clefs de tout change-ment. Les études de cas font apparaî-tre systématiquement six composantesdont la maîtrise s’avère décisive pourla réussite du changement : un projet,un terrain, un moment, une volontépolitique, des hommes et des femmes,enfin un pilotage. Le succès d’unchangement réside dans la conjonc-tion – qui tient plus de l’alchimie quede la logique pure – de ces six com-posantes. S’il est impossible d’affecterà chacune une pondération, reste quetoutes ont leur pertinence pour éclai-rer les mécanismes de mise en mou-vement d’un changement.

La deuxième contribution, prescripti-ve, découle de la précédente. Elle pré-sente, à l’attention des responsablespublics chargés de conduire un chan-gement, des facteurs d’échec et desuccès. Les encadrés qui émaillent laseconde partie comprennent à la foisles erreurs typiques à ne pas commet-tre (cette liste, déjà impressionnantebien qu’elle ne prétende pas être

exhaustive, souligne la difficulté de latâche) et les préconisations de métho-de telles qu’elles résultent des entre-tiens menés.

La troisième contribution comprenddix propositions de réforme que cesentretiens ont permis de faire émerger.Axées sur l’amélioration des mécanis-mes de réforme dans le secteur public,elles visent à l’instauration d’un cadrestable et prévisible pour la réforme del’État. Elles corroborent souvent, maisparfois aussi contredisent, les mouve-ments actuels. Ces propositions sontsynthétisées ci-après.

• Instituer un ministre délégué auprèsdu Premier ministre, chargé de laModernisation de l’État. La réforme del’État est un enjeu transversal, qui souf-fre de n’être porté que par un ministè-re sectoriel, quel qu’il soit. Outre leregain d’interministérialité qu’il géné-rerait, le rattachement direct auPremier ministre conférerait au dossierun surcroît de légitimité administrativeet d’autorité politique.

• Stabiliser la structure gouvernemen-tale autour d’un nombre restreint dedépartements et créer, dans les minis-tères où ce n’est pas encore le cas, unposte de secrétaire général rassem-blant les fonctions transverses, notam-ment budgétaires et de ressourceshumaines, qui sont essentielles à lamodernisation.

• Assurer une interministérialité réellede la modernisation publique, en par-ticulier le travail collectif des secrétai-res généraux, réunis sous la présidencedu ministre délégué auprès du Premierministre, chargé de la Modernisationde l’État.

• Engager la réforme des corps de lafonction publique d’État au début de laprochaine législature. Comme la LOLFaujourd’hui, la réforme du système descorps constituerait non seulement une

modernisation de grande ampleur,mais aussi le levier pour faciliter,demain, d’autres réformes et l’instaura-tion d’une culture du changement.

• Développer la pluriannualité budgé-taire afin de donner à ceux quiconduisent le changement la visibiliténécessaire, souvent supérieure à uneannée. Assortir cette pluriannualité decontrats de progrès, ou équivalents,permettant à l’organisation qui seréforme de récupérer une partie desgains de productivité qu’elle génère.

• Instaurer, pour les nominations auxpostes de direction d’administrationcentrale, une procédure transparentede dépôt de candidatures permettantaux intéressés de présenter, devant uncollège à définir, leur projet, leur pro-fil et leurs engagements.

• Maîtriser et évaluer le recours à desconsultants extérieurs. L’évaluation ex-post de la contribution des consultantsdoit être rendue systématique. Cesévaluations doivent abonder une basede données interministérielle. À l’oc-casion de chaque mission confiée àdes cabinets extérieurs, le transfert decompétences vers les administrateursen place doit être assuré ; la capitalisa-tion du savoir-faire au sein de l’admi-nistration doit être recherchée.

• Encourager la constitution, au sein del’administration, d’équipes d’appui enconduite du changement : des “consul-tants” internes à l’administration,cumulant connaissance fine du secteurpublic et ayant capitalisé en techniquesde changement, susceptibles de prêtermain forte de façon ponctuelle. Cetteévolution ne doit pas être circonscriteaux grands corps de l’État.

• Développer une base de données surles expériences de changement au seindu secteur public, pour servir de sup-port à l’échange de bonnes pratiques.Créer, par exemple à l’ENA, un centrepermettant de capitaliser l’expertise enla matière, en organisant le dialogue

entre praticiens, chercheurs français etexperts étrangers. S’en servir pourdévelopper la formation des cadrespublics à la conduite du changement, àla gestion de projet et à la négociationdans le réseau des écoles du servicepublic, les instituts d’études politiques,les instituts régionaux d’administrationainsi qu’en formation permanente.

• Valoriser vraiment celles et ceux quiconduisent le changement et contri-buent, à tous les échelons, à son suc-cès, à travers des possibilités élargiesde promotion interne et d’intéresse-ment aux fruits de la réforme.

La dernière contribution consiste infine à éclairer certains paradoxes quiaccompagnent la réforme de l’Étatdans notre pays. Elle invite à construi-re un mouvement continu de moder-nisation de l’État, dans lequel les réfor-mes réussies aident à bâtir les réformessuivantes.

Cela suppose une conception élargiede ce qu’est un changement réussi,lequel est considéré comme tel lors-qu’il vérifie les dix critères suivants :

1. sur le fond, naturellement, ce chan-gement satisfait les motivations pro-fondes de la réforme (contra : le nou-veau dispositif, bien que formellementmis en place, n’est pas plus efficaceque le précédent) ;

2. il aboutit à une situation d’ensembleplus satisfaisante que le statu quo ex-ante (contra : l’amélioration constatéesur les objectifs fixés se fait au détri-ment d’autres objectifs que ne concer-nait pas la réforme, selon le principedes vases communicants) ;

3. il ne s’en tient pas à une approchea minima mais a su intégrer le maxi-mum d’idées innovantes (contra : lechangement, défini par en haut, n’aintégré aucune des idées émergeanten cours de processus, en provenancede tous les niveaux de la hiérarchie) ;

4. il est ancré dans des critères de légi-timité et de justification (contra : lechangement a été mis en œuvre par laseule contrainte, ou en invoquant uni-quement des pressions extérieures :“Bruxelles”, “les déficits”, etc.) ;

5. il maintient, et si possible améliore,les relations entre les acteurs de l’or-ganisation (contra : traumatisée par ledéroulement brutal de la réforme, l’or-ganisation est désormais figée par desrelations exécrables entre les acteursqui la composent) ;

6. il respecte le mandat fixé par l’auto-rité de tutelle (contra : à la faveur dujeu d’acteurs internes, le changement aété détourné des intentions initiales) ;

7. il tient compte des intérêts des par-ties prenantes qui, bien qu’absentes duchamp immédiat, sont intéressées à laréforme : typiquement, les usagers, lesorganismes partenaires, etc. (contra :le changement s’est accompli sur ledos de partenaires extérieurs qui, lors-qu’ils s’en rendront compte, auront lesmoyens de se faire entendre) ;

8. il est fondé sur une communicationclaire (contra : le changement a été

réalisé à la faveur d’ambiguïtés et demalentendus qui, lorsqu’ils se révéle-ront, nourriront blocages et conflits) ;

9. il a suivi un processus ayant permistout ce qui précède et qui, désormaisvalidé par les parties prenantes, pour-ra être reproduit ultérieurement(contra : le processus suivi n’a pasdonné satisfaction et ne peut servird’inspiration pour un prochain chan-gement) ;

10. il diffuse ailleurs dans l’administra-tion des leçons et des bonnes pratiques(contra : il reste confiné dans un espa-ce segmenté de l’administration).

Les enjeux et les difficultés propres à laconduite du changement dans le sec-teur public dépassent de beaucoup lesdimensions de ce Cahier du Plan. Il neprétend pas en traiter toutes les dimen-sions, ni surtout de façon définitive.Mais il aura atteint son but s’ilconcourt, avec d’autres initiatives pas-sées, présentes et à venir, à soulignerque la réforme de l’État a besoin, outrede projets solides sur le fond, de volon-té affirmée et de méthode éprouvée.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 13

PREMIÈRE PARTIEPartir du terrain : sept études de cas 19

1. Le choix des études de cas : éclairer l’État en mouvement 192. Présentation des études de cas 20

2.1. Les Douanes face à l’ouverturedes frontières intra-communautaires 202.2. Une décennie de changementsà la Direction des relations économiques extérieures (DREE) 222.3. La “réingénierie”à la Délégation générale pour l’armement (DGA) 232.4. Le changement de statutà la Direction des constructions navales (DCN) 242.5. La prise en compte de l’usagerà l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) 262.6. Du service administratif au groupe international :la Seita et Altadis 282.7. Le sauvetage de Nissan 29

SECONDE PARTIETirer les leçons du terrain : six composantes clefspour réussir le changement 33

1. Un projet, c’est-à-dire une vision 332. Un terrain, à connaître et à préparer 383. Un moment, à saisir ou à susciter 394. Une volonté politique, à maintenir 445. Des hommes et des femmes 506. Un pilotage 55

CONCLUSION 61

ANNEXE 1Liste des personnalités rencontrées 65

ANNEXE 2Bibliographie 69

1. État, changement et réforme

Entre État et changement se noue, dumoins si l’on s’en tient au vocabulaire,une contradiction dans les termes. Lerisque serait qu’elle se noue dans lesfaits. L’État, comme l’a soulignéGeorges Burdeau (1970, p. 48-49), 2

permet de construire la permanence,la pérennité, la stabilité du pouvoirpolitique. Le changement ne lui estdonc pas naturel. Mais il lui est pour-tant indispensable, s’il veut mieuxassurer ses missions dans un environ-nement que modifient l’évolution desattentes des citoyens, l’accélération duprogrès technique, la montée en puis-sance des collectivités territoriales, laconstruction européenne, laquelleimplique notamment une meilleureprise en compte des conditions de laconcurrence, enfin les enjeux de lanouvelle donne mondiale.

Pour le dire autrement, la pérennitédu service public implique le change-ment au sein du secteur public.Prendre en compte toutes ces évolu-tions à travers des changementsconcrets dans l’appareil institutionnelet administratif : telle est l’ambitionde la réforme de l’État.

Celle-ci est attendue par les citoyens,à plus d’un titre. D’abord comme usa-gers des services publics, attentifs àleur efficacité à remplir leur missionau cœur du lien national, de la cohé-sion sociale et de l’équilibre des terri-toires. La réforme de l’État doit confor-ter les services publics attendus par lescitoyens. Elle doit réduire le décalageentre les objectifs affichés par les poli-tiques publiques et les résultats qu’el-les atteignent. Elle doit aussi répondreà de nouvelles exigences sociales àl’égard de l’État, faites de transparence

accrue, de simplification, de partici-pation des parties prenantes et deresponsabilité. Elle intéresse lescitoyens aussi en tant que contribua-bles, d’autant plus soucieux du bonusage des deniers publics que lesfinances de l’État ont atteint une situa-tion de déséquilibre sans précédent :au sens du traité de Maastricht, ladette de l’État dépasse 66 % du pro-duit intérieur brut en 2005, contre56 % il y a seulement quatre ans 3.Enfin, la réforme de l’État préoccupeautant qu’elle intéresse les fonction-naires, auxquels elle doit offrir desconditions de travail améliorées etouvrir des perspectives de carrière,bref apporter une source nouvelle demotivation dans l’accomplissement dela mission essentielle qui est la leur.

On le voit : la réforme de l’État renvoiedirectement à l’intérêt général. Il estdonc logique qu’elle figure au nombredes priorités des gouvernements suc-cessifs. Apparue comme portefeuilleministériel dès janvier 1963 – LouisJoxe étant nommé ministre d’État char-gé de la Réforme administrative du gou-vernement de Georges Pompidou –,elle y a depuis constamment figuré,hors quelques rares exceptions. Depuismai 1995, le champ s’intitule “la réfor-me de l’État”.

L’expression est abusive : personne n’ajamais vu et ne verra jamais la “réfor-me de l’État”, entendue comme laréforme unique qui, un jour, transfor-merait l’État pour de bon. Cette réfor-me-là n’existe pas. Certes, pour unepart, l’interdépendance des problèmeset l’ampleur des sujets exigent desréformes d’ensemble, modifiant pro-fondément les structures publiques.Ce fut le cas, au début des années1980, de la décentralisation. C’est

INTRODUCTION

(2) Les références complètes de tousles ouvrages cités se trouventdans la bibliographie, en Annexe 2.(3) Source : Agence France Trésor.

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“Nous n’avons que le choix entre les changementsdans lesquels nous serons entraînés,

et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir”.Jean Monnet

semble-t-il ce que promet également“la nouvelle constitution financière del’État”, c’est-à-dire la loi organique du1er août 2001 relative aux lois definances (LOLF). C’est aussi ce quepermettrait, si elle advenait, la refontedu système actuel des corps dans lafonction publique d’État.

Mais, hormis ces cas, “la” réforme del’État résulte de l’articulation et de lasuccession permanente de change-ments multiples et sectoriels, plusmodestes dans leur ampleur mais plusdécisifs, au total, dans la transforma-tion de notre appareil administratif.Abandon de missions devenuescaduques au profit de nouvelles, ratio-nalisation des structures, modernisa-tion des façons de travailler, introduc-tion des nouvelles technologies, modi-fication des maillages territoriaux,changements de statuts, fusion dedeux organisations, gains de producti-vité, mesure de la qualité du servicerendu et certification, amélioration desconditions de travail : voilà quelquesexemples des changements qui for-ment le champ de ce Cahier du Plan.

2. Le pourquoi et le comment

Tous ces changements comportentdeux faces : le fond, c’est-à-dire lesobjectifs et les contenus des projets deréforme ; et le processus, c’est-à-direles conditions concrètes de leur miseen œuvre. Dans l’ensemble, les objec-tifs et les contenus des multiples chan-gements en cours ou à conduire sontbien connus. Ils occupent de nom-breux comités et commissions, setrouvent précisés de rapports en rap-ports et font l’objet de colloques aussisavants que récurrents.

En revanche, le processus de mise enœuvre de ces changements reste, lui,moins étudié. Comme si la mise enœuvre allait de soi, comme si “l’inten-dance” allait forcément suivre. Teln’est pas le cas. Le processus ne vapas de soi.

Une première série d’indications ence sens est donnée par notre histoireadministrative, qui ne manque pas detentatives avortées de réformes, nonpas tant parce que le fond du projetétait contestable – certes, il arrive qu’ille soit – mais surtout parce que le pro-cessus de mise en œuvre n’était pasadapté, ou pas à la hauteur de l’enjeu.Chacun a en mémoire les échecs de la“réforme de Bercy”, en 2000, ou lesdifficultés de bien des ministres del’Éducation nationale à traduire leursprojets dans les faits, ou encore, cettefois plus loin, l’échec de la loi de1971 sur la fusion des communes.Que la réforme soit présentée comme“difficile” voire “impossible” enFrance est un leitmotiv, y compris, enforme de défausse, chez ceux à quirevient la responsabilité de la mettreen œuvre.

Souvent, même, et c’est la secondesérie d’indications, la question du pro-cessus ne se pose pas car il n’y a pasde passage à l’acte du tout : nombreu-ses sont les idées de réformes, pour-tant développées par de prestigieusescommissions mandatées par les plushautes autorités, qui n’ont jamais fran-chi le cap d’une tentative de mise enœuvre. Prenons deux exemples.

• Le premier est offert par le rapport dela commission présidée par ChristianBlanc, Pour un État stratège, garant del’intérêt général, réalisé dans le cadrede la préparation du XIe Plan en 1993.Destiné à éclairer “l’État, l’administra-tion et les services publics de l’an2000,” il aboutit à dix propositionsayant fait consensus. Depuis la premiè-re (1. “Le gouvernement doit compterau plus une quinzaine de ministres,”(...) “Le ministre des Affaires européen-nes doit être placé auprès du Premierministre”, p. 81) jusqu’à la dernière (10.“Le nombre des corps de la fonctionpublique doit être réduit,” p. 103), enpassant par quelques autres (3. “Il fautlimiter à 100 personnes les effectifs des

Introduction

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cabinets ministériels,” p. 85 ; 8.“Accentuer l’effort d’évaluation despolitiques publiques,” p. 99), on a uneidée de la faible proportion des propo-sitions qui ont vu le jour.

• Dix-huit mois plus tard, sous unemajorité différente, la mission confiéeà Jean Picq par le Premier ministre,Edouard Balladur, a donné lieu à unrapport intitulé L’État en France - Servirune nation ouverte sur le monde, quia, là encore, marqué la réflexion sur laréforme de l’État. Ce comité de neufsages, fort de 700 auditions et du tra-vail de 30 rapporteurs à temps partielissus de 15 corps de l’État, a produitde très nombreuses idées de réforme.La plupart restent d’actualité, n’ayantpas encore été mises en œuvre.

De fait, trop souvent, la réforme del’État reste une incantation. PourNicolas Tenzer (2004), “le genre durapport administratif est célèbre : enFrance, à la différence d’autres pays, ilsert à enterrer une question ou à diffé-rer son traitement et non à préparerune décision rapide”. Au pointqu’évoquer la “réforme de l’État” sus-cite de plus en plus souvent l’ironie oule sarcasme.

Un point commun de ces rapports, tousdeux jugés excellents sur le fond, estqu’ils laissent dans l’ombre les ques-tions de processus et de mise enœuvre. Le rapport Blanc ne comportaitqu’une page et demi, in fine, sur lesaspects de méthode : l’accent étaitrapidement mis sur “l’écoute descitoyens,” la “mobilisation des fonc-tionnaires” grâce au dialogue social, au“retour collectif” – c’est-à-dire le verse-ment des “dividendes” de la réforme –et à la formation, enfin l’engagementdu gouvernement. Pour ce qui concer-ne le rapport Picq, la lettre de missiondu Premier ministre demandait “unrapport d’orientation et de propositionsassorti d’un calendrier et des modalités

de mise en œuvre”. L’orientation futdonnée, et de façon convaincante ; lespropositions furent nombreuses et pas-sionnantes ; mais le calendrier futabsent et les modalités de mise enœuvre ne furent qu’ébauchées.

Partant, on ne peut raisonnablementexclure l’hypothèse selon laquelle lepeu d’intérêt prêté à ces questions deprocessus et le faible “taux de trans-formation” d’une idée de réforme enactes ont partie liée. Notre capacité àproduire de bonnes idées de réformeest trop souvent associée à une inca-pacité à les mettre en œuvre. Ce neserait donc pas tant le “quoi changer”qui poserait problème que le “com-ment changer”. Le processus consti-tuerait l’angle mort de la réforme del’État. Certes, le travail sur la méthoden’est pas séparable de la réflexion surles missions : réformer pour mieuxaccomplir quelles missions ? Mais letravail sur le fond ne suffit pas à réglerles questions de méthode.

Acteurs et analystes de la réforme del’État sont de plus en plus nombreux àle penser. Qu’on en juge, à travers lesquelques témoignages suivants. Laconduite du changement a été identi-fiée par le Comité d’enquête sur lecoût et le rendement des servicespublics comme “un enjeu majeur etsous-évalué de la réforme de l’État” 4.Fins connaisseurs de l’administrationpublique, de ses forces comme de sestravers, et promoteurs inlassables desa modernisation, Roger Fauroux etBernard Spitz l’ont récemment souli-gné : “Tout Premier ministre pourraitavoir un panneau accroché au-dessusde son bureau où serait écrit : ‘’Ne medites pas ce que je dois faire. Je le saisdéjà. Dites-moi plutôt comment’’. Peude réformes restent en effet en pannepar ignorance. Ce qui fait plus souventdéfaut, c’est la volonté et la métho-de” 5. Alors ministre de la Fonctionpublique et de la Réforme de l’État,

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Introduction

(4) Perspectives d’évolution pour leComité d’enquête - Synthèse despropositions, Comité d’enquêtesur le coût et le rendementdes services publics, documentinterne, 11 juillet 2005, p. 7.(5) FAUROUX (R.) et SPITZ (B.), Étatd’urgence - Réformer ou abdiquer(Paris, R. Laffont, 2004), p. 302, et“Faire ou durer en politique,”Le Monde, 10 juin 2004.

Renaud Dutreil déclarait de même :“En France, il y a beaucoup d’expertspour répondre à la question : quefaire ? Il y en a très peu pour répond-re à la question : comment faire ? Etnous, nous sommes dans l’action,c’est-à-dire que nous nous posons laquestion du comment faire” (LeMonde, 10 mai 2004). Ou enfin, dela part d’un membre du Comité desuivi des stratégies ministérielles deréforme, le consultant BernardBrunhes : “L’État, en France, ne saitpas bien se réformer. Il manque peut-être aux gouvernements et à la hauteadministration le savoir-faire qui leurpermettrait de conduire le change-ment en douceur, avec leurs person-nels, et non malgré eux” (La Croix,1er février 2005).

Ces appréciations d’acteurs françaissont confirmées par les analyses desobservateurs étrangers. Pour JacquesBourgault, 6 la réforme de l’État enFrance ne saurait être étudiée sansprendre en compte une caractéris-tique proprement hexagonale : “laFrance, c’est le droit administratif, etl’on y croit trop souvent que le textefait la réforme. (…) Voilà un pays oùla prolifération de textes normatifssemble contraster avec la faiblessedes changements concrets observés”(audition au Plan). Le droit et les tex-tes seraient la voie que nous privilé-gions pour conduire le changement :mais on ne change pas par décret nipar circulaire, ou en tout cas cela nesuffit pas sans la mise en œuvre deméthodes managériales et d’outils deconduite de projet ou de gestion desressources humaines.

Contrairement à une analyse souventcomplaisante, l’échec de bien desréformes n’est pas forcément dû auconservatisme supposé de certainssyndicats. Il doit aussi beaucoup àl’archaïsme avéré de certainesméthodes managériales. Explorer

cette capacité à conduire le change-ment qui semble faire défaut : tel estl’objet de ce Cahier du Plan.

3. Objectifs et méthode de travail

Au service de la réforme de l’État, laconduite du changement constituedonc un enjeu de méthode fondamen-tal. Quels sont les facteurs favorableset défavorables à la mise en œuvred’une réforme ? Comment s’appuyersur les premiers et surmonter lesseconds ? Quelles leçons tirer deséchecs comme des réussites récentesen la matière ? Quelles compétenceset outils sont nécessaires ?

Ce sont ces questions de méthode et deprocessus que le Plan a souhaité éclai-rer à travers les travaux du groupeAriane. La question du “commentfaire” est inséparable de l’action. Elleimplique de sortir des sentiers théo-riques pour se pencher sur les aspectstrès concrets de diverses expériencesde réforme. La méthode ne pouvaitqu’être inductive : partir du terrain etde l’expérience des acteurs ayantdirectement contribué à la conceptionet à la mise en œuvre de changementsdans le secteur public, pour essayerd’en dégager certains principes conc-rets d’action, assortis de recommanda-tions plus générales susceptibles deconforter, à l’avenir, les démarches deréforme de l’État.

C’est pourquoi la source principale dece Cahier du Plan sont les témoigna-ges d’acteurs. 65 entretiens ont étéréalisés, soit sous forme d’auditions auPlan, soit lors de visites au sein desadministrations concernées, et ce àdifférents échelons de responsabilités(cf. Annexe 1). Toutes les personnalitéssollicitées ont répondu positivement àces demandes et se sont prêtées au jeudes questions-réponses avec d’autantplus d’allant que le thème de travailrenvoyait immédiatement à des préoc-

(6) Professeur d’administrationpublique à l’université du Québecà Montréal (UQAM) et à l’Écolenationale d’administration publique(ENAP), J. Bourgault provient d’unÉtat – le Canada – dont l’administra-tion s’est profondément réforméedepuis 1994 et d’une province– le Québec – qui donne au secteurpublic un rôle particulier qui n’estpas sans rappeler celui qu’il occupesur le continent européen,notamment en France.

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Introduction

cupations, des questionnements et desréflexions qui avaient été les leurs lorsde la réforme concernée. Qu’ellessoient ici à nouveau remerciées pourle temps qu’elles nous ont accordé etpour la qualité et la franchise de leurcontribution. Le contenu de ce Cahierreste cependant de la seule responsa-bilité de son rédacteur.

Ces entretiens ont nourri sept étudesde cas, menées avec des membres duCommissariat général du Plan, et quedécrit la première partie de ce Cahier.

Ces études de cas sont issues du sec-teur public, sauf deux, permettant uneapproche comparatiste. Toutes décri-vent des changements menés à bien,et non des tentatives avortées. Dansun champ prompt à ce que les échecssoient soulignés et les acteurs en pré-sence stigmatisés, il a semblé préféra-ble de mettre en lumière la capacitéde l’État à changer.

En outre, ce Cahier fait référence àcertains travaux antérieurs sur le sujet,rares mais de qualité. Citons en parti-culier le rapport dirigé par MichelCrozier en 1988, à la demande duministre de la Fonction publique.Intitulé Comment réformer l’État ? – etvisant à “accélérer le processus dechangement” –, ce travail analysait lesstratégies distinctes suivies par trois

pays étrangers, la Suède, le Japon etles États-Unis. D’intéressantes remar-ques en résultent quant aux condi-tions de réussite du changement ;elles sont toujours d’actualité. Citonsaussi le tonique et très accessibleouvrage que Jean-Jacques François atiré de son expérience, 7 la comparai-son avec la Grande-Bretagne etl’Australie réalisée par Sylvie Trosa 8 etun bref mais passionnant dossier diri-gé par Elisabeth Lulin 9.

Les informations recueillies lors deces entretiens, mêmes complétées pardes travaux bibliographiques, restentforcément fragmentaires et ne peu-vent prétendre aboutir, sur un sujet dece type, à des conclusions définitives.Mais elles aident à explorer lesméthodes, comprendre les écueils etcomment ils ont été contournés, ana-lyser les jeux d’acteurs et repérer les“bonnes pratiques”. Il n’y a pas, biensûr, un meilleur chemin unique ; maisil y a des outils et des approches quisemblent mieux fonctionner qued’autres. À bien des endroits, celapourra tenir du simple rappel de pré-cautions élémentaires et l’on voudrabien pardonner ces évidences, maisce sont précisément elles qui n’ontpas été prises en compte lors de mul-tiples tentatives et en ont précipitél’échec. Ce sont bien la simplicité, lebon sens et du pragmatisme qui fonttrop souvent défaut. Même des per-sonnes très compétentes peuventfaire des erreurs, lesquelles ont vitefait de mettre un terme à la tentativede changement.

L’objectif de ce Cahier du Plan n’estpas de porter un jugement sur l’effec-tivité, le succès ou l’échec supposésde telle ou telle réforme. Les motiva-tions de ces changements tout commeles objectifs qu’ils visent sur le fondont été – autant que possible – tenusà l’écart. La réflexion se concentredonc à dessein sur l’analyse des

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Introduction

Pourquoi avoir intitulé le groupe“Ariane” ? – Dans la mythologiegrecque, Ariane, fille du roi Minos, sou-haitant trouver le moyen de guiderThésée vers la sortie du Labyrinthe,consulta le concepteur de ce dernier,Dédale, et imagina le fameux “fild’Ariane”. La figure d’Ariane renvoie ainsià la mission du groupe, qui consiste àconsulter des acteurs de terrain pouréclairer le cheminement permettant,aujourd’hui et demain, de surmonter lesobstacles dans la conduite du change-ment au sein du secteur public.

(7) FRANÇOIS (J.-J.), Des servicespublics performants, c’est possible !(Paris, First, 2004) ; trésorier-payeurgénéral, Jean-Jacques François dirigel’Agence comptable centraledu Trésor.(8) TROSA (S.), Moderniser l’adminis-tration - Comment font les autres ?(Paris, Les Éditions d’Organisation,1995).(9) LULIN (E.), dir., “Comment fait-onpour réformer ?”, Sociétal,2001, n° 34.

méthodes employées et les processusconcrets utilisés pour concevoir, faireaccepter puis mettre en œuvre leschangements.

Bâtissant sur l’expertise réunie au seindu Service de la modernisation de l’É-tat du Plan, ce Cahier se veut unecontribution à la réflexion, mais tour-née vers l’action et ancrée dans destémoignages de terrain. Puisse cetteenquête contribuer à repérer lesmeilleurs processus permettant defaire aboutir les réformes dans le sec-teur public.

La première partie de ce Cahier partdu terrain et présente chaque étudede cas en une brève synthèse. Ledécor étant planté, la seconde partietâche de tirer les leçons de ces étudesde cas et des entretiens qui les ontéclairées.

Introduction

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Pour analyser la conduite du change-ment dans le secteur public, sesécueils comme les facteurs qui favori-sent sa réussite, la méthode fut induc-tive : partir du terrain afin de dégagercertains principes concrets d’action.

Dans cet esprit, sept études de cas ontété menées à bien : les Douanes et laDirection des relations économiquesextérieures (DREE) au ministère del’Économie, des Finances et de l’Indus-trie, la Délégation générale pourl’armement (DGA) et la Direction desconstructions navales (DCN) au minis-tère de la Défense ; enfin, l’Agencenationale pour l’emploi (ANPE). À titrecomparatif, afin d’avoir un aperçu dela conduite du changement dans lesecteur privé, deux études ont été ajou-tées : le fabriquant de tabac Altadis,issu de l’entreprise publique Seita, et leconstructeur automobile Nissan depuisson alliance avec Renault.

Après avoir brièvement rappelé les rai-sons pour lesquelles ces choix ont étéfaits, une synthèse présente les princi-paux traits de chaque étude de cas.

1. Le choix des études de cas :éclairer l’État en mouvement

Deux critères principaux ont été utili-sés.

Le premier fut le souhait d’éclairerl’État en mouvement. Partant duconstat, un peu déprimant, que lesréformes réussies sont toujours moinsconnues que les réformes avortées, cesont des changements menés à bienqui ont en priorité été étudiés, afin desouligner la capacité effective du sec-teur public à se transformer. L’Étatsemble changer le plus à ses frontiè-res. Il voit son périmètre évoluer et entout cas ses missions être modifiéessous l’influence de trois dynamiques :la décentralisation et la territorialisa-tion accrue des politiques publiques,

l’extension du marché à travers l’im-pact grandissant des règles de concur-rence, l’ouverture sur le monde et enparticulier à l’Europe communautaire.La pression budgétaire et les attentesdes usagers constituent les deux autresprincipaux facteurs de changement.

Le second critère fut d’avoir une diver-sité de terrains à étudier. L’échantillond’études de cas, s’il ne prétend biensûr pas être représentatif au sens statis-tique, propose une diversité suffisantepour illustrer une large proportion dessituations possibles au sein de l’État.Les études de cas rassemblent à la foisdes administrations très anciennes (lesDouanes) ou au contraire récentes(ANPE) ; des administrations centrales(DGA) comme des établissements plusautonomes (ANPE) ; des structures detaille réduite (la DREE) ou plus impor-tante (Seita) ; comptant (DREE) ou non(DCN) une proportion forte decontractuels ; des structures franco-françaises (DCN) comme d’autresdisposant d’un réseau à l’étranger(DREE) ou d’un important maillage enrégions (ANPE) ; des activités adminis-tratives et de services (DREE) face à desactivités à dominante industrielle(DCN, Seita) ; des administrations encontact direct avec le public (ANPE)ou non (DGA) ; sans compter le cas,volontairement à part, de Nissan.

Cette dernière étude de cas est justifiéecar la conduite du changement formeun champ exploré de longue date dansle secteur privé. Elle n’est pas spéci-fique à l’administration et les questionsde processus sont inhérentes à touteorganisation. Il faut naturellement évi-ter la confusion des genres, mais sanss’interdire l’échange de bonnes pra-tiques. Une entreprise qui fusionnedeux de ses établissements ou endéplace un de Paris en région fait faceà des problématiques de pilotage duchangement qui restent proches de cel-les à l’œuvre dans le secteur public

PREMIÈRE PARTIE

Partir du terrain :sept études de cas

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pour des réformes similaires. Des outilsde gestion des ressources humaines, denégociation et de communication sontpareillement mis en œuvre. Parmi cespratiques, lesquelles pourraient êtreune source d’inspiration pour lesresponsables administratifs en charged’une réforme ? De même, le secteurprivé ne manque pas d’échecs enmatière de conduite du changement,échecs dont les leçons peuvent êtred’intérêt aussi pour le secteur public.Le choix s’est porté sur le redressementde Nissan au lendemain de son allian-ce avec Renault. Plusieurs critères ontguidé ce choix : le changement animépar Carlos Ghosn est spectaculaire ; ilintervient dans une organisation façon-née par des principes (emploi à vie,avancement à l’ancienneté, absencede rémunération au mérite) qui ne sontpas si exotiques que cela du point devue de l’administration française ;enfin, Carlos Ghosn a explicitementréfléchi à la façon dont il a conduit cechangement.

Ces cas ont aussi l’avantage de pré-senter des réformes aussi ciblées quepossible dans le temps et dans l’espa-ce administratif, ce qui aide à appré-hender de façon concrète et précisedes processus de changement.

Des coups de sonde ponctuels ont enoutre été jetés vers d’autres espacesde changement, par exemple leministère de l’Équipement, départe-ment connaissant “une réforme conti-nue” (Serge Vallemont) depuis les loisde décentralisation de 1982 et 1983,ou encore la réforme des implantationsde la Marine nationale.

On le voit, le terrain du changementdans le secteur public est protéiforme.Conduire le changement peut signifierréunir deux structures administratives,comme deux ministères (ce fut le casde ceux de la Défense et des Ancienscombattants, ou des ministères des

Affaires étrangères et de la Coopé-ration, fusions réalisées sous le gouver-nement de Lionel Jospin) ou des direc-tions centrales (par exemple laDirection du Trésor formant avec deuxautres la nouvelle Direction généraledu Trésor et de la politique écono-mique). D’autres modifications destructure peuvent impliquer un chan-gement de statut juridique, pour trans-former un service en établissement oucréer une agence. À structure constan-te, il s’agit en général de changer desméthodes de travail et des façons defaire, par exemple en introduisant lesnouvelles technologies de l’informa-tion, des mesures de qualité du servicerendu et de performance ; cela peutpasser par une certification ISO. Desservices déconcentrés peuvent être fer-més ou regroupés (cas des bases de laDéfense nationale ou des succursalesde la Banque de France). Un servicecomplet peut-être délocalisé, commece fut le cas avec l’École nationaled’administration, dont l’essentiel desactivités se tient désormais à Stras-bourg.

Cette diversité, pour importante qu’ellesoit, n’empêche pas que les probléma-tiques managériales à l’œuvre dans laconduite de ces changements restentsemblables. Les entretiens réalisés ontsouligné que si les contextes diffèrent,les questionnements sont dans l’en-semble comparables et les méthodessusceptibles d’être transposées d’uncas à l’autre, en tout cas de servird’inspiration.

2. Présentation des études de cas

2.1. Les Douanes faceà l’ouverture des frontièresintra-communautaires

La Direction générale des Douanes etdes droits indirects (DGDDI) relève duministère de l’Économie, des Financeset de l’Industrie (MINEFI). L’échec de

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Première partie

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Partir du terrain : sept études de cas

“la réforme de Bercy” en 1999-2000ayant longtemps servi de repoussoir, ila semblé opportun de souligner, parcontraste, des changements réussis ausein de ce ministère qui occupe uneplace fondamentale dans notre appa-reil administratif.

Les Douanes offrent en outre l’exem-ple type d’une administration antici-pant un événement extérieur, suscep-tible de menacer son existence même :l’ouverture des frontières intra-com-munautaires au 1er janvier 1993. Cetteétape historique dans la constructioneuropéenne donna une réalité au prin-cipe de libre circulation des personnesprévu par les accords de Schengen.Cela constituait pour l’administrationdes Douanes, chargée depuis deux siè-cles du contrôle des flux aux frontièresnationales, un enjeu considérable,auquel on peut dire – avec une décen-nie de recul – qu’elle a largement sufaire face. L’exemple d’une administra-tion ancienne, déployée sur l’ensem-ble du territoire et caractérisée par uneforte culture professionnelle, qui voitdisparaître du jour au lendemain soncœur de mission, la contrainte tempo-relle forte, ou encore l’enjeu européensous-jacent, tout cela fait de la réformedes Douanes un sujet d’étude riche enmatière de conduite du changementdans le secteur public.

Derrière l’apparence d’une échéanceprécise et d’un enjeu unique, la réfor-me conduite à la DGDDI recouvre enréalité des transformations multiples etenchevêtrées. Cette complexité est enpartie liée à l’ampleur des missionsdont la DGDDI a la charge et qui ladistingue des autres institutions doua-nières européennes. Ses trois champsde compétence (fiscalité, économie,contrôle) se déclinent en effet en plusde 400 missions en évolution perma-nente. Le périmètre des réformes n’estdonc jamais constant pour lesDouanes : “on agit sur des cibles mou-

vantes,” selon l’expression de FrançoisMongin, DGDDI. Le bouleversementde 1993 ne s’est donc pas limité auseul redéploiement des agents en posteaux frontières. Quatre grandes réfor-mes peuvent être distinguées.

1. Anticipé dès 1988, le redéploiementconsécutif à l’ouverture des frontièresa constitué à lui seul un des change-ments administratifs les plus impor-tants des dernières décennies : lamodification des implantations doua-nières a entraîné le redéploiement de3.000 agents (soit un tiers des effectifs)dont 500 ont été mis en détachementdans d’autres administrations. Si, pourde nombreux personnels de la “Sur-veillance,” le passage “du terrain auxbureaux” n’a pas été sans difficultéd’adaptation, ces redéploiements ontété effectués en moins de dix-huit moiset sans déclencher de mouvementssociaux massifs.

2. La DGDDI a également modifié sesmissions fiscales. En se séparant dutraitement de la TVA intra-communau-taire au profit de la Direction généraledes impôts en 1992, elle a hérité encontrepartie de la gestion des contri-butions indirectes (CI), qu’elle a pro-fondément modernisée. Grâce à lasimplification des procédures, seulsdeux documents de déclaration subsis-tent parmi les dizaines qui existaientauparavant, soit la disparition de plu-sieurs millions de formulaires chaqueannée. Cette simplification au bénéficedes usagers s’est accompagnée d’unerationalisation du maillage territorial :fermeture de 230 recettes locales, libé-rant 600 postes. Sur les mille sites de laDGI et les 4.500 correspondantslocaux chargés des déclarations desCI, il ne reste aujourd’hui que 200 siteset 300 correspondants.

3. Avec l’ouverture des frontières, lanécessité d’impliquer davantage lesdouanes dans la lutte contre les frau-

des et les nouvelles formes de crimina-lité s’est traduite par la création d’uneDouane judiciaire, exercée par desofficiers de douane judiciaire (ODJ).Ses compétences en matière d’enquêtese sont également élargies avec la créa-tion du TRACFIN (traitement du rensei-gnement et action contre les circuitsfinanciers clandestins), soumis à l’au-torité du DGDDI.

4. D’une manière générale, la DGDDIa rationalisé son fonctionnement :modernisation du fret et de la garantiedes métaux précieux, fusion du labo-ratoire des Douanes et de celui de laDirection générale de la concurrence,de la consommation et de la répres-sion des fraudes (DGCCRF), etc.

Pour consolider leur avenir, lesDouanes ont su faire évoluer leurs mis-sions (lutte contre le terrorisme, rôlelors des crises sanitaires comme cellede la “vache folle”). Au total, pourMichel Charasse, ancien ministre duBudget, les réformes des Douanes ontpermis à “la plus vieille administrationdu monde” d’être “également aujourd’-hui la plus jeune et la plus dynamique,à la pointe au niveau mondial” ; de fait,les Douanes jouent un rôle clef à l’é-chelle internationale, au sein del’Organisation mondiale des douanes.

Les Douanes illustrent en outre lecaractère continu du changement,puisque cette administration est désor-mais engagée dans le programme“Douanes 2010”.

2.2. Une décenniede changements à la Directiondes relations économiquesextérieures (DREE)

Le processus de réforme à la DREE adémarré en 1992 et s’est poursuivi jus-qu’à ce jour : c’est ce changementcontinu qui est analysé, soulignantbien que “la” réforme de l’État recou-

vre en fait une évolution constantefaite de multiples modifications. Enoutre, le cas de la DREE est pertinentdans la mesure où il rassemble, parmiles facteurs qui “poussent à la réfor-me,” beaucoup de ceux qui concer-nent d’autres administrations de l’État.

La question budgétaire, tout d’abord :la diminution des budgets disponiblesimposait une rationalisation des outilset des moyens. La perspective de lamise en place de la LOLF, ensuite,encourageait l’identification des mis-sions, des moyens afférents et desrésultats attendus.

Autre facteur poussant au changement,la mise en concurrence de la DREEavec d’autres acteurs, tant publics queprivés. En effet, les trois métiers de laDREE pouvaient être exercés – et defait l’étaient de plus en plus – par d’au-tres acteurs : l’information économi-que (par les chambres de commerce etd’industrie, voire par des entreprisesspécialisées), le soutien financier auxentreprises (par le Trésor et la Coface)et les négociations commerciales mul-tilatérales (par la Commission deBruxelles). En particulier, le développe-ment de l’expertise économique dansles grandes entreprises et d’une offrede consultants spécialisés obligeait laDREE à évoluer vers une véritable“entreprise de production de services”en direction des entreprises, d’où l’im-portance nouvelle accordée à la factu-ration, aux délais de traitement desdemandes et à l’évaluation des servi-ces fournis.

Enfin, là comme ailleurs, l’introduc-tion des nouvelles technologies del’information, en transformant lesmétiers, appelait à une refonte desfaçons de travailler, à la suppressiondes tâches répétitives et à la réorgani-sation des structures.

Ces changements ont été menés selonles grandes étapes suivantes. Dans un

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premier temps, des groupes de travailinternes ont permis d’identifier lesattentes à l’égard de la DREE ; cettephase de consultation a été limitéeaux cadres, y compris le réseau régio-nal et mondial, mais en prenant soinde dépasser la hiérarchie habituelle.Cette concertation a donné lieu à uneréflexion sur les métiers de la DREE :un métier financier d’aide aux entre-prises, un métier multilatéral en matiè-re de négociation internationale, unmétier de l’information économiqueau service de l’entreprise. Sachant lesexigences nouvelles de ces métiers,deux outils ont été mis en place pourmieux les servir : un système d’infor-mation et un processus qualité, abou-tissant à une certification ISO 9001 del’ensemble du réseau. En parallèle, lacontractualisation des objectifs et desmoyens de la DREE avec la Directiondu Budget lui a permis de réinvestir leséconomies qu’elle avait réalisées, etce au bénéfice des ressources humai-nes, avec le recrutement de nouvellescompétences (juridiques et tech-niques), et des moyens informatiques.Le processus de réforme a nécessité unpilotage stratégique pour faire partagerles orientations à l’ensemble du réseaude la DREE.

Plusieurs éléments ont témoigné dusuccès de ces changements : les rap-ports favorables du Parlement, lesenquêtes de satisfaction auprès desentreprises, le fait que la DREE ait étéretenue pour concourir en 2004 au“Prix de l’Organisation des Nationsunies en matière de service public”.

Depuis mai 2002, un rapprochemententre les réseaux internationaux de laDREE et du Trésor avait été entrepris.Le 16 novembre 2004, la DREE arejoint la Direction du Trésor et laDirection de la Prévision pour formerun ensemble plus vaste, la nouvelleDirection générale du Trésor et de lapolitique économique (DGTPE).

2.3. La “réingénierie”à la Délégation généralepour l’armement (DGA)

Le champ de la Défense nationale estriche d’importants changements inter-venus au cours de la dernière décen-nie. Outre la chute du mur de Berlin,souvent citée, la première guerre duGolfe (1990) a joué un rôle détermi-nant dans la prise de conscience de lanécessaire réforme des armées françai-ses. Les difficultés pour constituer uncorps expéditionnaire, l’équiper et leprojeter sur un théâtre éloigné, apparu-rent alors au grand jour. La France avaitperdu du temps par comparaison avecses principaux alliés, États-Unis etGrande-Bretagne, lesquels avaient déjàengagé la reconfiguration de leur outilde défense.

Suivirent, à l’initiative du ministre de laDéfense de l’époque, Pierre Joxe(1991-93), une douzaine de rapportsfaisant le point sur les réflexions. Troislogiques étaient présentes : engagerune diminution inéluctable (mais non-dite) des dépenses militaires, et y faireface ; densifier l’appareil de défenseautour de quelques grandes plates-for-mes, à rebours de la logique antérieurequi consistait à quadriller le territoirepour prévenir une invasion terrestre ;engager une refonte organique et opé-rationnelle pour tirer les leçons de laguerre du Golfe. Ces objectifs avaientpour toile de fond la suppression duservice national et la professionnalisa-tion des armées, décidées en 1996. Sixans plus tard, les effectifs des arméesavaient diminué de 40 %, des garni-sons avaient été supprimées dans desdizaines de villes, des dizaines demilliers de contractuels avaient étérecrutés, etc.

Dans ce secteur en plein bouleverse-ment, deux cas particuliers ont étéanalysés : la Délégation générale pourl’Armement (DGA) et la Direction des

Partir du terrain : sept études de cas

constructions navales (DCN). Contrai-rement à l’idée reçue, ces cas n’ont pasde “spécificité militaire” : les agents del’État y sont en majorité des civils(85 % à la DGA). Ils mettent en lumiè-re des problématiques semblables àcelles identifiées ailleurs.

À la DGA, le principal facteur poussantà la réforme était budgétaire : pourtenir compte de la diminution desdépenses militaires, il s’agissait de faireaussi bien, voire mieux, avec moins demoyens. L’objectif était donc de gagneren productivité. L’approche a consistéà appliquer à la DGA les méthodesinspirées de restructurations utiliséesdans le secteur industriel privé : cereenginering fut conduit par un nou-veau Délégué, Jean-Yves Helmer, issude l’industrie automobile. Une appro-che classique dont on espérait qu’elleproduirait des résultats similaires : desgains de productivité d’environ 5 %par an, d’où un objectif de 30 % surcinq ans, fixé par le ministre de laDéfense en 1996. Cette réingénierie acomporté quatre grandes modalités.

1. Définir des objectifs clairs. Auniveau de l’institution dans son ensem-ble, recentrer les missions de la DGAsur son “cœur de métier,” c’est-à-diresur ses activités de préparation del’avenir, d’architecture et de maîtrised’ouvrage des programmes d’arme-ment, et en sortir ce qui restait d’activi-tés industrielles ; au niveau des direc-tions et des services qui composent laDGA, élaborer chaque année desdocuments d’orientation précisant lesobjectifs que ceux-ci doivent poursui-vre, d’une part dans une perspective demoyen terme (quatre ans), d’autre partpour l’année qui s’ouvre ; enfin, décli-ner des objectifs collectifs en objectifsindividuels pour l’année à venir.

2. Concevoir les activités comme desprojets pilotés par un responsable dési-gné à cet effet. Ont été constituées,

autour de responsables affectés à laconduite d’un projet, des équipesmobilisant des spécialistes et desexperts qui sont affiliés à des entitésconstruites selon des logiques “mé-tiers” (technique de base, méthodes,expertise qualité, achat, contrôle degestion, etc.). L’organisation d’ensem-ble de la DGA croise des directions deproduction et de projets auxquellesapportent leur concours des directionsde services et de prestations et desdirections fonctionnelles.

3. Allouer aux activités des moyensdimensionnés au plus juste : mise enœuvre d’une gestion très fine des res-sources nécessaires à la conduite desactivités, développement d’outilsconstitutifs d’une véritable gestionprévisionnelle des emplois et descompétences.

4. Instaurer un contrôle de gestion per-mettant la vérification active des diffé-rents paramètres qui caractérisent unprojet tout au long de son avance-ment.

La réforme fut lancée en avril 1996 àtravers douze chantiers qui déclinaientces quatre modalités. Six ans plus tard,la DGA fonctionnait avec un quart depersonnel en moins et avait obtenu lacertification ISO 9001.

2.4. Le changement de statutde la Direction des constructionsnavales (DCN)

La réforme de la DCN devait mettre unterme à une confusion des genres dansles missions qui lui étaient dévolues :depuis ses origines (création des pre-miers arsenaux par Richelieu en 1631)jusqu’aux années 1970, la construc-tion navale militaire a été organisée enune structure unique assumant à lafois des responsabilités “étatiques”(spécification des bâtiments, évalua-tion et mise en place du budget néces-

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saire, choix de l’industriel) et “indus-trielles” (réalisation proprement dite).Cette confusion des genres dont souf-frait la DCN, qui jouait à la fois le rôlede donneur d’ordres et de prestataire,était dénoncée depuis longtemps, derapports en rapports. La DCN était unoutil industriel peu contrôlé et modé-rément efficace. Cette situation, si elleétait gérable en période de vachesgrasses, est vite devenue probléma-tique avec la réduction du budget dela Défense.

Le statut s’avérait incompatible avecles contraintes d’une activité indus-trielle. Parmi les facteurs ayant pousséà la réforme, le secrétaire général deDCN cite des éléments que d’autresperçoivent comme des freins à laréforme. Le paradoxe n’est qu’appa-rent : c’est précisément parce que ceséléments sont des freins à l’action qu’ilétait impératif de réformer la DCN.

– Les achats : la gestion de la DCN étaitcaractérisée par une politique d’achatsinefficiente : la valeur moyenne desachats était inférieure à 7 000 F. et le“coût de production moyen” de cesachats était de 2 000 F. Le code desmarchés était jugé incompatible avecl’exercice d’une activité industrielle,incompatibilité renforcée par la judi-ciarisation de tous les actes administra-tifs qui l’accompagne. Pourquoi devoirlancer un appel d’offre chaque fois quel’on veut commander une hélice donton sait qu’un seul fournisseur est capa-ble d’en respecter les spécificationstechniques ? Alors qu’une frégate etson équipage attendent une réparation,pourquoi consacrer plusieurs mois à laprocédure d’appel d’offres avant depouvoir louer un bassin de cale sèchequ’une société de droit privé pourrait,elle, obtenir dans l’heure ?

– La gestion des ressources humaines :la DCN comprenait 27 corps, chacunavec son effectif budgétaire. Il en résul-

tait une impossibilité permanente desatisfaire les besoins de production etune absence de motivation (“le senti-ment général était que, efficace ou pasefficace, on avance quand même”).Surtout, la DCN souffrait de sureffectifsqui se conjuguaient à un sous-encadre-ment. La structure de l’emploi du per-sonnel montre qu’il y avait un agentdans les tâches de soutien pour unagent affecté à la production. Les char-ges de personnel étaient élevées parrapport au chiffre d’affaires au regarddes standards industriels usuels. En1998-2000, le ministère de la Défensea contraint la DCN à réduire ses coûtsd’intervention, et donc ses effectifs. Lestatut des ouvriers d’État interdisantque l’on procède à des licenciements,sauf à modifier les statuts, ce qui étaitpolitiquement inconcevable, c’est dansun premier temps le nombre de cadresque l’on a réduit, aggravant encore lesous-encadrement.

– Enfin, l’impossibilité de construiredes alliances avec des industriels étran-gers à capitaux privés, réticents à l’idéede s’engager avec l’État-actionnairepublic.

Compte tenu du caractère stratégiquedu champ, le processus de réflexionpour définir la réforme fut un tempsmené en secret, “avec des excroissan-ces visibles” : rapports Poimboeuf,groupe de travail Conze. Ces premièresréflexions se concentrèrent sur l’intérêtet la possibilité de séparer la fonctionindustrielle (réalisation) de la fonction“étatique” (maîtrise d’ouvrage). Àmesure de l’avancée du projet, les par-tenaires ont été de plus en plus asso-ciés : ministère de la Défense, MINEFI.

L’évolution vers le changement de sta-tut s’est accomplie en plusieurs temps.En 1997, deux entités distinctes furentchargées, au sein de la DGA, deconduire et réaliser les activités deconstruction navale : le Service des

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Partir du terrain : sept études de cas

programmes navals (SPN) et laDirection des constructions navales(DCN) chargée des seules activitésindustrielles.

En 2000, la DCN fut transformée enservice à compétence nationale, déta-chée de la DGA et placée sous l’auto-rité directe du ministère de la Défense.La séparation de la DCN de la DGAfut un début de solution au problèmemais ne résolvait pas tout. Le Rapportsur l’avenir de DCN réalisé par MarcelRoulet – qui avait connu le change-ment de statut de France Telecom en1992 – acheva de convaincre le gou-vernement.

Le 6 juillet 2001, l’État prit publique-ment la décision de modifier le statutde DCN. La transformation de la DCNen société anonyme permettait d’em-baucher du personnel avec des contratsde droit privé, nettement plus adaptés àune activité industrielle. En contrepar-tie, les personnels présents pouvaientconserver leur statut, et l’État garantis-sait à la DCN qu’il continuerait de luiconfier l’entretien de la Marine,moyennant des gains de productivité.

Une société dédiée, DCN Dévelop-pement, fut alors mise en place afinque la conduite de la réforme soit faci-litée par les règles des sociétés de droitprivé (“ne serait-ce que pour l’achatdes ordinateurs des membres de l’équi-pe”). Cette structure ad hoc permit defédérer des compétences indispensa-bles (notamment juridiques, financiè-res, de management) que l’administra-tion ne pouvait pas fournir dans lestemps. DCN Développement s’estappuyée sur des moyens internes àDCN (siège) et sur des consultants exté-rieurs d’Accenture (aujourd’huiBearingPoint). La société est aujourd’-hui dissoute et intégrée à la sociétéanonyme DCN. Mais elle a réalisé unconsidérable travail juridique et finan-cier pour traiter des conséquences de

la transformation de la DCN (réparti-tion des actifs immobiliers entre laMarine et la DCN, contrats de mise àdisposition de matériel, etc.).

Le 26 mai 2003 fut signé le traité d’ap-port, qui détermine les actifs apportéspar l’État à la société DCN. Les pre-miers clients de DCN restent la Marinenationale et la DGA. Depuis le 30 mai2003, DCN est une société de droitprivé à capitaux publics. Les effectifssont passés de 21.700 agents en 1995à 17.500 agents fin 1998 puis à15.600 fin 2000, grâce surtout à desmesures d’âge concernant les ouvrierssous statut dont le départ en retraite aété autorisé, jusqu’à la fin de 2000,dès l’âge de 52 ans. Ses effectifs sonten 2005 de 12 200 salariés.

2.5. La prise en comptede l’usager à l’Agence nationalepour l’emploi (ANPE)

À la fin des années 1980, l’organisa-tion et le fonctionnement de l’ANPEn’avaient que peu changé depuis sacréation par l’ordonnance du 13 juillet1967, alors même que ses attributionsn’avaient cessé d’augmenter et que lecontexte économique et social s’étaitprofondément transformé. L’Agencefonctionnait selon un modèle d’organi-sation très hiérarchisée et spécialisée,avec un rapport lointain entre les diffé-rents échelons. En 1990, ce fonction-nement était devenu inadapté pourrépondre aux attentes des demandeursd’emploi comme aux besoins desentreprises.

La satisfaction des usagers, deman-deurs d’emploi et entreprises, a consti-tué une pression extérieure essentiellepour déclencher et mener les réfor-mes. Côté demandeurs d’emploi, lesfiles d’attente s’étaient considérable-ment allongées en raison de la haussebrutale du taux de chômage. Danscertaines agences, les premières mani-

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festations de violence avaient fait leurapparition. Le personnel de l’ANPEput prendre conscience par lui-mêmede la nécessité d’une réforme en étantconfronté quotidiennement à unesituation devenue intenable. L’orga-nisation des agences n’était plus adap-tée pour accueillir et prendre en char-ge ces flux massifs de demandeursd’emploi. De leur côté, les entreprises,n’étant pas obligées de déposer leursoffres à l’Agence, imposaient à celle-cide sans cesse démontrer son efficacité.

Les différentes réformes ont été orien-tées vers la satisfaction de l’usager, dés-ormais considéré comme un “client”.Derrière ce changement de vocabulai-re, c’est toute l’organisation de l’Agen-ce et sa manière de travailler qui ontété bouleversées. “L’approche client” aimpliqué des transformations radi-cales : “ce n’est plus l’Agence qui déci-de ce qui est bon pour l’usager, mais leclient qui fait valoir ce qui est bon pourlui” (Michel Bernard).

Les réformes ont commencé avec lasignature du premier contrat de pro-grès en 1990, dans lequel les grandeslignes étaient fixées (satisfaire davan-tage d’offres d’emploi dans des délaisraccourcis, instaurer de nouvellesméthodes pour lutter contre la sélecti-vité du marché du travail...). Le cœurdu changement a reposé sur deuxbouleversements très concrets dumétier des agents et du cadre danslequel il est exercé : l’instauration dela pluricompétence des agents et l’ou-verture de l’espace dans les agenceslocales. En instaurant la pluricompé-tence des agents, les différentes fonc-tions ont été décloisonnées. L’ensem-ble du personnel devait être capablede s’occuper des relations avec lesentreprises comme de faire face à l’af-flux croissant des demandeurs d’em-ploi. En matière d’organisation spatia-le, les bureaux, où étaient reçusjusque-là les demandeurs d’emploi,

ont été supprimés et remplacés par unespace ouvert, réunissant l’ensembledu personnel de l’agence. Désormaisles demandeurs d’emploi seraientreçus dans un espace public et ouvert,afin d’établir un nouveau rapportdirect avec eux.

Une fois l’impulsion donnée en 1990,encore a-t-il fallu la maintenir pourpoursuivre durablement le mouvementengagé. La nécessité de réformerl’Agence a été entretenue par la pers-pective de l’ouverture à la concurren-ce. Celle-ci apparaît depuis longtempspour l’Agence comme un horizonincontournable, notamment sous l’in-fluence du droit communautaire de laconcurrence (l’arrêt Höffner de la CJCEen 1991, considérant l’ANPE alleman-de comme une entreprise, l’oblige à sesoumettre aux règles de la concurren-ce). Le placement est en réalité ouvertde longue date à certaines formes deconcurrence, dans le cadre ou enmarge des textes en vigueur (par exem-ple l’Association pour l’emploi descadres-APEC, les cabinets de recrute-ment privés et de “chasseurs de têtes”).L’abolition du monopole, qui existedéjà dans les faits et qui est program-mée depuis plusieurs années, a ainsiexercé une pression sensible surl’Agence, l’amenant à prouver son effi-cacité tout en conservant les exigencesde service public.

L’enjeu européen, intégré par lesministères successifs, a joué un rôledans la poursuite du changement. Lorsdu sommet de Luxembourg, en 1997,des lignes directrices pour l’emploiont été adoptées et traduites en objec-tifs quantifiables. Leur application faitl’objet d’une surveillance par laCommission européenne, sur la basede rapports annuels des États memb-res. Dès lors, les réformes menées parl’ANPE depuis 1997 ont été en partieorientées par les dispositions euro-péennes en matière de politique de

Partir du terrain : sept études de cas

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l’emploi. Depuis le sommet deLuxembourg, des échanges de bonnespratiques entre les différents établisse-ments de placement des pays mem-bres de l’Union se sont multipliés etdes comparaisons ont été régulière-ment menées. Une convergence desservices publics de l’emploi euro-péens est donc à l’œuvre depuis lesengagements communautaires.

Le changement conduit à l’ANPEdepuis 1990 recouvre nombre demesures, chapeautées par quatrecontrats de progrès successifs. Le suc-cès des réformes tient néanmoins àl’existence d’un projet clairement défi-ni pour l’Agence. La continuité straté-gique a joué un rôle décisif pour menerà bien le projet de l’ANPE : passerd’une administration à une “entreprisede service, qui ne doit son existencequ’au service rendu aux clients”. C’estce projet qui a guidé l’ensemble deschangements entrepris et qui n’ont étéque des outils ou des objectifs intermé-diaires pour atteindre cette fin.

2.6. Du service administratifau groupe international :la Seita et Altadis

Outre l’intéressante interaction entrele siège central et les établissementsen région qu’il présente, ce cas a étéretenu en raison de l’ampleur deschangements réalisés dans cetteentreprise issue du cœur du secteurpublic, en constante transformationdepuis quarante ans.

Enracinée dans le paysage françaisdepuis le XVIIe siècle, la Seita étaitdevenue une véritable institution. Sonorigine remonte au règne de Louis XIV,et plus précisément à 1674, date àlaquelle fut créée une Ferme desTabacs. Colbert a étendu le monopoleà la fabrication en 1681 etNapoléon Ier, en 1810, à la culture avecla création d’une régie d’État. Ce

monopole a pris le nom de SEIT(Service d’exploitation industrielle destabacs) en 1926, puis de SEITA en1935, quand la gestion du monopolede la fabrication des allumettes lui a étéconfiée. En 1962, le SEITA est passé dustatut de “service du ministère de l’Éco-nomie, des Finances et de l’Industrie” àcelui d’établissement public à caractè-re industriel et commercial (ÉPIC). Lepersonnel n’était alors plus soumis austatut général de la fonction publique,mais à un statut particulier. Le SEITA aconservé jusqu’aux années 1970 latotalité de ses monopoles (culture, pro-duction, distribution). Plusieurs fac-teurs sont alors venus modifier cettesituation. D’une part, la constructioneuropéenne a remis en cause lesgrands monopoles étatiques. Dès1976, les monopoles sur la distributionet l’importation de tabac et de cigaret-tes sont tombés. D’autre part, les pre-mières difficultés financières sontapparues à cette période. En raison desprix administrés, volontairement main-tenus en dessous de la moyenne euro-péenne pour lutter contre l’inflation,les déficits se sont creusés. De 1976 à1986, l’entreprise a ainsi enregistré 11exercices déficitaires. Le SEITA produi-sait des cigarettes à perte et s’endettait.

En 1980, l’ÉPIC est devenu une socié-té nationale – la SEITA – dont 30 % ducapital appartenait au privé. Ce chan-gement s’est apparenté à une premièretentative de privatisation partielle. Àcette occasion, le statut du personnel,qui datait de 1962, a été abandonné etremplacé par des conventions collecti-ves. Cette date représente a posterioriune étape cruciale de la conduite duchangement en ayant réglé l’épineusequestion du régime de retraite, bien enamont de la privatisation. Le régimespécial de retraite a été supprimé pourles salariés qui rejoignaient l’entrepri-se à partir de 1980. Ce compromis futune condition préalable essentielle àla privatisation de 1995.

Première partie

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De 1980 à 1984, l’entreprise a traver-sé une période très tendue, ponctuéede grèves houleuses (un mois et demide grève continue en 1984) et sur fondd’âpres négociations portant sur l’ou-verture du capital, le statut du person-nel et la question du régime de retrai-te. En 1984, si le régime de retraitedéfini quatre années plus tôt a été pré-servé, l’État est redevenu l’uniqueactionnaire de la SEITA et le statut de1962 a été presque intégralementrepris. Une clause autorisant les licen-ciements dans des cas particuliers atoutefois été insérée.

En 1993, le scandale des cigarettesChevignon fit apparaître le tiraille-ment, au sein de l’État, entre les pro-blématiques de santé publique et lesrentrées fiscales (“la Santé freine,Bercy encourage”). Cette contradictionau sein de l’État acheva de convaincrele gouvernement de privatiser la SEITA.Compte tenu de tous les changementsprécédents, “le contexte était mûr, lespratiques déjà initiées et les jalonsposés de longue date”. Au final, la pri-vatisation a entraîné 46 000 heures degrève, soit le quart seulement desconflits de 1980 ou de 1984. La SEITAa finalement été privatisée le 22décembre 1995 avant de fusionneravec l’espagnol Tabacalera en 1999pour donner naissance au groupeAltadis, un des leaders mondiaux.

L’ancrage de l’entreprise dans l’histoireet le paysage français devait entrer enligne de compte pour conduire lechangement, compte tenu de l’atta-chement à cette “institution” non seu-lement des salariés, mais aussi despopulations des villes où elle estimplantée et de leurs élus locaux. Telest notamment le cas pour les fermetu-res d’usines, anciennes manufacturesétablies de longue date en centres-villes. A Tonneins, par exemple, com-munément appelée “la capitale de laGauloise,” la fermeture de l’usine de

cigarettes a été d’autant plus délicate àmener que la manufacture, vieille detrois siècles, était située au cœur de laville et profondément inscrite dans letissu local : sur les 9 000 habitants, l’u-sine a employé jusqu’à 1 000 salariés,si bien que toutes les familles étaientplus ou moins directement concernéespar sa fermeture.

Les changements qui ont soulevé leplus d’opposition sont ceux qui remet-taient en cause cette culture fortementenracinée dans l’entreprise. Les repré-sentants syndicaux rencontrés, toutcomme le directeur d’usine, soulignenten effet que la réforme la plus difficileà vivre n’a pas été la privatisation, ni lafusion avec Tabacalera, mais “la fémi-nisation du SEITA,” c’est-à-dire le pas-sage, en 1980, du statut d’ÉPIC à celuide société anonyme. Cette réforme atouché l’ensemble du personnel, desateliers à la direction. Elle a constituéune transformation radicale pour l’en-treprise, mais a été également vécuecomme un “ébranlement personnel,”car “chacun a été individuellementatteint dans son statut et dans la per-ception de son métier” : fin de la garan-tie de l’emploi, avancement à l’appré-ciation et non plus à l’ancienneté, le“service” est devenu une “société”.

2.7. Le sauvetage de Nissan

En 1999, le troisième constructeurautomobile japonais, Nissan, fut enpartie racheté par Renault – dont l’Étatdétenait encore 44 % du capital.Fleuron de l’industrie japonaise,Nissan était alors au bord de la faillite.Accumulant les déficits, l’entreprisen’avait évité les pertes qu’une annéeau cours des huit précédentes ; sadette s’élevait à 20 milliards d’euros.Louis Schweitzer, président deRenault, nomma son bras droit, CarlosGhosn, au poste de directeur généralopérationnel de Nissan, avec pourmission de redresser l’entreprise.

Partir du terrain : sept études de cas

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Le 18 octobre 1999, C. Ghosn présen-ta le Nissan Revival Plan (plan derenaissance de Nissan, NRP), avec troisobjectifs majeurs : le retour à l’équi-libre financier dès 2000, la réductionde moitié de la dette et une marge opé-rationnelle de 4,5 % du chiffre d’affai-res d’ici trois ans. Les changementsexigés par ces objectifs étaient trèsimportants : rationaliser les achats,mettre un terme au système tradition-nel de fournisseurs – le Keiretsu – fer-mer cinq usines, supprimer 21 000emplois (soit 14 % des effectifs), renou-veler la gamme de produits, reconstrui-re l’image de l’entreprise.

Tous les observateurs jugèrent la mis-sion impossible et sans précédent auJapon. C. Ghosn prit en public l’enga-gement de démissionner s’il n’y parve-nait pas.

Les objectifs ont été atteints, et mêmeplus tôt que prévu. Le 9 mai 2001,moins de deux ans après le lancementdu NRP, C. Ghosn put annoncer quela dette était tombée à 4 milliardsd’euros ; la marge opérationnelle étaitde 7,9 % et le bénéfice d’exploitationpour 2001 de 4,5 milliards d’euros.Nissan, promis à la faillite, est ainsidevenu le constructeur automobilegénéraliste le plus rentable dumonde. Le changement est positif,massif et rapide.

Le NRP n’était pas fixé d’avance, necomportait pas d’idées préconçues,mais a été le fruit d’un long travaild’analyse du terrain, d’écoute du per-sonnel et de diagnostic de la situation.Pour le réussir, C. Ghosn s’est immergédans une entreprise japonaise aux tra-ditions profondément ancrées. Outre labarrière de la langue, il a dû faire faceà des différences colossales en matièred’organisation, de pratiques et de cul-ture d’entreprise. La phase d’ausculta-tion a pris fin en juin 1999, date àlaquelle C. Ghosn s’était fait une image

précise et sans concession de l’entre-prise, qu’il résume ainsi : “Chacun tiraitde son côté. Pas de vision, pas de stra-tégie, pas de priorités, pas d’instru-ments de mesure. Des territoires, desbaronnies, un corps désarticulé”.

L’enjeu a été de réussir le diagnostic dece terrain et de changer – uniquement,mais radicalement – ce qui devaitl’être : l’idée fut de s’attacher à despriorités stratégiques sans bouleverserle reste. Premier trait caractéristique dela culture Nissan, la dilution desresponsabilités, le recours constant au“ce n’est pas moi, c’est l’autre”. Autretrait, le système d’avancement à l’an-cienneté, qui décourageait les initiati-ves, nourrissait une subordination hié-rarchique aveugle et favorisait des jeuxde clans. Un changement fort a étéopéré pour lier la promotion et les salai-res à la satisfaction d’objectifs fixés enamont. L’avancement à l’ancienneté aété abandonné en expliquant pourquoi,comment, et pour quel nouveau systè-me. Autre pratique très chère à Nissan :l’emploi à vie. Pour C. Ghosn, l’emploià vie signifie une loyauté réciproque del’entreprise et du salarié ; mais lorsqu’ilest érigé en dogme mettant en péril lasurvie de l’organisation et faisant peserdes coûts de plus en plus lourds sur lesgénérations suivantes d’employés, iln’est plus justifiable.

Tirant les leçons de son expérience, C.Ghosn estime que les principales clefsà retenir sont “rigueur et franchise dansl’analyse d’une situation ; respect deshommes et des femmes qui fabriquentet vendent le produit ; connaissance duterrain et souci de l’échange ; transpa-rence dans les comptes et dans la com-munication ; et par-dessus tout engage-ment à long terme et sans compromisdes dirigeants”. Il estime que “lesmoyens du changement sont partoutles mêmes” : une attitude pragmatique,faite d’écoute, d’ouverture et derespect, tout en ayant un objectif très

Première partie

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précis et en se fixant une obligation derésultat. Pour le dire autrement, êtreferme sur l’objectif, souple sur sa miseen œuvre. Et non l’inverse, si fréquent :être inflexible sur un processus aupoint de devoir in fine abandonnerl’objectif. À cette attitude générale,Carlos Ghosn ajoute quatre ingrédientsclefs : la lucidité sur la situation, lavolonté de changement, la transparen-ce quant à la destination et le couragedans la mise en œuvre.

Les changements décrits à travers cessept études de cas diffèrent les uns desautres. Ils n’en présentent pas moinsdes problématiques communes, appa-rues lors des entretiens et des audi-tions. Ce sont ces problématiques,ainsi que les façons de les appréhen-der avec le meilleur des succès, quetâche de présenter la seconde partiede ce Cahier.

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Partir du terrain : sept études de cas

Les études de cas et les entretiens ontpermis d’identifier six composantesrécurrentes et déterminantes pour laconduite d’un changement : un projet,un terrain, un moment, une volontépolitique, des hommes et des femmes,enfin un pilotage. Le succès de toutchangement semble résider dans laconjonction – qui tient plus de l’alchi-mie que de la logique pure – de ces sixcomposantes. S’il est impossible d’af-fecter à chacune une pondération,reste que toutes ont leur pertinencepour éclairer les mécanismes de miseen mouvement d’un changement.

À chacune de ces six composantesclefs correspondent des écueils et desfacteurs d’échec, mais aussi des outilset des préconisations qui formentautant de facteurs de réussite. Cettepartie entreprend de présenter les unset les autres, toujours en s’appuyantsur les entretiens réalisés.

1. Un projet,c’est-à-dire une vision

Sur le fond, et d’évidence, un projetde réforme doit remplir certainesconditions incontournables : il doitêtre au point dans ses différentesdimensions, techniques, juridiques,financières, etc. (a contrario, la ques-tion de la mise en œuvre d’un projetqui ne tient pas debout ne se posemême pas). Ces dimensions sont d’or-dinaire les mieux approfondies : lesprojets de réforme sont, sur le fond,travaillés et mûris au fil des rapports etdes commissions.

C’est dire l’importance de la prépara-tion, laquelle requiert du temps, ingré-dient qui fera l’objet d’un développe-ment infra. L’anticipation est unefaçon de se garantir ce temps de pré-paration : toute organisation publiquedevrait périodiquement consacrer unmoment à un exercice collégial deréflexion prospective, portant sur ses

missions, ses façons de les accompliret l’environnement dans lequel elless’insèrent.

Mais le projet de changement, aussisolide soit-il dans son contenu, nepeut pas être qu’une affaire de tech-niques, de procédures, de mécanis-mes. Il doit être porté par une vision,qui fondera sa légitimité et lui donne-ra sa force. La vision est d’autant plusnécessaire que “la réforme de l’État,”en tant que telle, se heurte à uneforme de désillusion.

L’absence de vision, condition réso-lutoire de l’échec selon MichelRocard – “Trop souvent des minis-tres, sur une pression indéterminée(…), sont embarqués dans des inten-tions réformatrices qui n’ont d’autreorigine que l’air du temps, sans quel’objectif précis, délimité et fonda-mental de la réforme à laquelle il fautparvenir dans ce secteur de l’adminis-tration publique, soit clair. C’est évi-demment une condition résolutoirede l’échec programmé” (MichelRocard, “Oser la réforme de l’État,”Lettre du Management public, mai-juin 2002).

De l’avis de toutes les personnes inter-rogées, on ne réussit pas le change-ment si l’on ne sait pas où l’on va, nipourquoi, et si l’on ne sait pas com-muniquer à toutes les parties prenan-tes le sens de cette direction. Leséchecs soulignent en général l’incapa-cité des responsables à construire unevision compréhensible et à la partager.Pour le dire autrement, on ne changepas des habitudes, on ne heurte pasdes traditions, on ne déplace pas deshommes et des femmes, sans lemoteur qu’offre une vision motivée etmotivante (1.1.), laquelle doit être par-tagée aussi largement que possible(1.2.), voire coproduite (1.3.) et en toutcas adossée au dialogue social (1.4.).

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SECONDE PARTIE

Tirer les leçonsdu terrain :six composantes clefspour réussirle changement

1.1. Un changementdoit être porté par une vision

Les entretiens recueillis tracent quatreattributs souhaitables pour cettevision. Elle doit être substantielle,positive, claire et complète.

– Substantielle, c’est-à-dire porter surle fond. Un changement qui n’estdécrit qu’en termes procéduraux, tech-niques, échoue en général à emporterl’adhésion : “On a partout conscienceque la réforme technocratique de l’Étataboutit nécessairement à l’échec,”écrivait Michel Crozier en 1988 ; ceconstat-là n’a fait que se conforterdepuis. Seule une vision substantiellepeut donner son sens à un ensemblede mesures et de directives qui, prisesséparément, n’en auraient guère. Elledoit décrire un point d’arrivée concret,faisant directement écho à des mis-sions, à des contenus, à des résultats.Elle doit invoquer des principes quiaident à la justifier, notamment lesvaleurs fondatrices du service public etles règles fondamentales de la légitimi-té : la justice, l’efficacité. Les change-ments qui réussissent le mieux sontceux qui utilisent pleinement commeun levier le sens du service public.

– Positive, c’est-à-dire se garder de pré-senter le changement comme la consé-quence inéluctable d’une pression exté-rieure. Même lorsque celle-ci est pré-sente, et même lorsqu’elle s’annoncedéterminante, le changement ne peutseulement résulter d’une contrainte,d’une pression. Il doit participer d’unevision constructive, d’une perspective,aider à saisir des opportunités, à poserdes actes positifs. La réforme desDouanes est exemplaire à cet égard.

Transformer les menaces en opportu-nités : le cas des Douanes – Loin deconstituer un enjeu unique et mena-çant, l’ouverture des frontières intra-

communautaires au 1er janvier 1993 aété appréhendée par les Douanescomme “une fenêtre d’opportunités”.Les Douanes ont su se saisir de cetteoccasion, ainsi que des différentesquestions soulevées progressivementpar l’ouverture des frontières (premiè-res crises sanitaires, extension durisque terroriste, essor du coût écono-mique de la contrefaçon, évolutionsdes missions de la police, etc.), pourmettre à jour leur raison d’être et inté-grer de nouvelles missions d’intérêtgénéral. Une fois les enjeux anticipéset cette vision définie, il ne s’agissaitplus de subir une transformationimposée de l’extérieur, mais d’utiliserles différents contextes qui ont précé-dé et suivi l’ouverture des frontièrespour “faire avancer ses pions”.

– Claire, c’est-à-dire permettant uneformulation immédiatement compré-hensible par chacun, à tous lesniveaux de l’organisation concernée,et limitant au maximum les risquesd’interprétations erronées ou de mal-entendus. Si une bonne vision doitaller au-delà des chiffres, ceux-ci peu-vent aider à clarifier les enjeux.

Le plan “Nissan 180” – Carlos Ghosna intitulé “Nissan 180” un importantplan de changement chez leconstructeur automobile : son titreramasse en trois chiffres ses troisobjectifs fondamentaux : “1” millionde véhicules en plus, “8 %” de margeopérationnelle atteinte, “0” de dette.

– Complète, c’est-à-dire ne laissantaucun point dans l’ombre. Si, aucontraire, cette vision comprend “desinconnues,” le changement à venir estmenacé par des rumeurs ou desinquiétudes infondées. L’incertitudenourrit l’inquiétude. Mieux vaut clari-fier et stabiliser les anticipations desparties prenantes.

Seconde partie

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1.2. Cette vision doit être partagée

Une vision ne porte ses effets favora-bles au changement que si elle est par-tagée avec toutes les parties prenantes.Cette aptitude de la vision à être diffu-sée et comprise marque d’ailleurs saqualité. Un changement dont on nepeut, en quelques minutes, exposer lavision qui le justifie est déjà mal parti.

Le défaut de communication interne– Selon Bernard Brunhes, “les réfor-mes pensées en haut ne sont pasappropriées par le terrain parce queles hauts fonctionnaires, brillantsconcepteurs de la réforme, n’ont pasassez de considération à l’égard descadres qui vont la traduire et la réali-ser sur le terrain, pour accepter depasser des heures et des jours à tra-vailler avec eux, à les écouter, à leurfaire partager les projets, à adapter lesidées aux réalités qu’eux seulsconnaissent” (in Futuribles, juin2003).

Les enjeux de la réforme doivent doncfaire l’objet d’une pédagogie, laquellepasse par une communication eninterne. Communiquer, ce n’est pasréformer : mais réformer sans com-muniquer, c’est courir à l’échec.

L’expérience des personnes interro-gées le souligne : la diffusion de l’in-formation relative à un changementest systématiquement surestimée. Unchercheur américain a calculé que lediscours d’un chef d’entreprise consa-cré à un plan de réforme représente…0,005 % du flot d’informations quetraite chaque année un de sesemployés 10. Le contexte a beau êtredifférent, le problème n’en est pasmoins semblable dans le secteurpublic. Le souci de communiquer lavision doit donc être constant, utilisertous les canaux possibles, bénéficierde l’engagement direct et personnel

des dirigeants, et surtout être décen-tralisé à tous les échelons de l’organi-sation.

Communication en direction des sala-riés : le cas d’Altadis – Selon des son-dages effectués dans l’entreprise, 3salariés sur 4 s’informaient en prioritéauprès des syndicats plutôt qu’auprèsde la hiérarchie ; 4 sur 5 jugeaientcette information plus crédible quecelle de la direction ; les tracts de laCGT faisaient de facto office de notede service. Pour répondre à cettesituation, l’encadrement de l’usine deRiom a cherché à améliorer lesmoyens de communiquer directementavec les salariés. Un mensuel (Riom-point-com) a été créé. La directionentretient un dialogue régulier avecles représentants syndicaux. Comitésd’établissement et réunions de ladirection donnent lieu à un compterendu à destination du personneld’encadrement, y compris les chefsd’atelier. Les UEP (unités élémentairesde production) sont des organisationsde travail autonomes réunissant descadres, des agents de maîtrise et desouvriers. Elles constituent des encein-tes de dialogue entre l’encadrement etla base. Lors de la privatisation, desgroupes d’information d’une trentainede personnes ont été réunis pourexpliquer la réforme et se faire enten-dre ainsi directement par la base.

1.3. Cette vision gagneà être “coproduite”

La définition du changement à condui-re ne gagne pas à rester un exerciced’état-major. Le choix d’en “co-pro-duire” une partie au moins, selon desméthodes participatives, apporte unbon retour sur investissement. Nonseulement des idées nouvelles appa-raissent, mais cette “co-production”favorise l’appropriation du change-ment à venir et donc son acceptation.

Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

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(10) KOTTER (J. P.), “LeadingChange : Why Transformation EffortsFail,” Harvard Business Review,mars-avril 1995, p. 59-67.

La co-production des réformes insti-tutionnelles en Italie – Pour FrancoBassanini, ancien ministre de laFonction publique et de la Réformede l’État (1996-2001), tirant lesleçons de son expérience à la tête dela plus importante réforme depuis1865, “la participation d’une grandevariété d’acteurs institutionnels etsociaux élargit le consensus et facilitela mise en place de la réforme. Plus leleadership est fort, plus il est faciled’obtenir la participation d’un grandnombre d’acteurs sans que le projetde réforme perde en cohérence” (inLacasse et Verrier, 2005, p. 65).

Cette approche participative peutprendre différentes modalités. Elle doitêtre authentique, sous peine de seretourner contre ses auteurs.

Le club du management à la DGA –En complément de leurs activités deformation et de conférence, les cer-cles du management proposent uneformule originale à toute personne dela DGA souhaitant réfléchir et fairedes propositions pour le progrès dumanagement dans son environne-ment : le “Club de management”. Cetespace rassemble des agents animéspar la volonté de participer active-ment aux changements en cours. Lechoix des sujets traités est libre. Cetteformule ne concerne pas la seulepopulation des cadres dirigeants maisse veut très ouverte. Depuis la créa-tion du projet, une soixantaine declubs de management ont vu le jour àla DGA. Ces clubs ont proposé desrecommandations dont beaucoup ontété reprises et ont permis d’améliorerles pratiques managériales au quoti-dien.

Le plan TOP chez Altadis – Dans lecadre du programme “Performance2001,”, un objectif – réduire les coûtsde 40 % – était fixé par la direction de

l’entreprise. Mais les modalités pourl’atteindre ont fait l’objet d’une appro-che participative : le plan “TOP”devait faire appel à l’expérience detous les salariés. De larges initiativesont été laissées aux directions d’usinepour sa mise en œuvre ; le personneld’encadrement a animé des groupesde “brain storming” qui ont réuni l’en-semble du personnel par service, afinde proposer des améliorations per-mettant de réduire les coûts. Les pro-positions furent ensuite soumises à uncomité d’évaluation. Parmi les effetspositifs du plan TOP, MM. Codron etMachabert, responsables de l’usine deRiom, évoquent surtout l’écoute dupersonnel en direct : malgré les réti-cences initiales, 90 % du personnels’est exprimé et les opérateurs ont pufaire part des dysfonctionnementsconcrets dans leur travail quotidien(les étiquettes coincées dans la machi-ne, etc.). Cette méthode participative aaussi été l’occasion de sensibiliser lepersonnel sur la nécessité de réaliserdes économies, chacun devant prend-re ses responsabilités pour y parvenir ;des comparaisons avec les entreprisesconcurrentes (“benchmarking”) avaientété faites. L’aspect négatif tient au faitque finalement l’essentiel des réduc-tions de coûts a été décidé par le siègeet s’est surtout soldé par une contrac-tion du personnel. Dans l’esprit dessalariés, la démarche TOP a par consé-quent “frôlé la manipulation”.Lorsqu’on est participatif, il faut l’êtrejusqu’au bout.

1.4. Cette vision doit en tout casêtre adossée au dialogue social

“Partout en Europe, la réforme a étéconduite avec les syndicats et non mal-gré les syndicats,” souligne BernardBrunhes. Sur ce point, la situation fran-çaise présente deux difficultés pro-pres : d’une part, la représentation syn-dicale est éclatée en de nombreusesorganisations, entre lesquelles les phé-

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nomènes de surenchère sont courants.D’autre part, souligne FrancoBassanini, “il est plus facile d’obtenirl’appui des syndicats pour des réfor-mes administratives rigoureuses et cou-rageuses lorsqu’ils représentent enmême temps les travailleurs du secteurpublic et du secteur privé, car ils repré-sentent ainsi tant les acteurs que lesbénéficiaires de la réforme” (in Lacasseet Verrier, 2005, p. 61) : or, en France,les fédérations syndicales représentantles fonctionnaires sont traditionnelle-ment très autonomes par rapport aureste du mouvement syndical.

Dans ce contexte, tout ce qui dans leprojet peut concourir à solliciter ouaméliorer les instances du dialoguesocial est le bienvenu. La réforme dela DGA, bien qu’axée en priorité sur laréduction des coûts et les gains de pro-ductivité, fut aussi l’occasion d’y déve-lopper le dialogue social, ce qui cons-titua alors à la fois un objectif et unmoyen de la réforme.

Le développement du dialogue socialà la DGA – Dès 1997, un bureau de laDirection des ressources humaines aété chargé du développement du dia-logue social. À été créée laCommission d’information et deconcertation des personnels civils dela DGA. Placées sous la présidence duDGA, les séances de la commissionont lieu deux fois par an et l’ensemblede la direction y participe. La premiè-re édition du bilan social de la DGAest parue fin 2001. Enfin, une chartesociale DGA-syndicats fut élaborée etsignée. Par ailleurs, a été lancé ledéveloppement de procédures élar-gies d’information des organisationssyndicales par l’administration (bilansocial, enquête annuelle sur le climatsocial, résultats détaillés des électionsaux comités hygiène, sécurité etconditions de travail et aux comitéssociaux, organigrammes et affectation

des responsables) et, réciproquement,de l’administration par les organisa-tions syndicales (interventions auprèsdes parlementaires, communiqués,évolutions de leurs structures, saisinesystématique de l’administration avanttout déclenchement de conflit social).

Facteurs d’échec

• Présenter le changement comme unesimple mesure “technique” ; croirequ’être techniquement au point suffira.

• Concevoir le changement comme unexercice d’état-major, maîtrisé de bouten bout en comité restreint.

• Surestimer le degré d’informationdes parties prenantes de la réforme.Croire qu’un discours ou une lettreinterne suffit à informer.

• Laisser perdurer des situationscontraires à l’esprit de la réforme encours.

• Jouer uniquement de la contrainteextérieure et ne pas avoir de “grain àmoudre” en contrepartie.

Facteurs de succès

• Anticiper les enjeux, pour pouvoirmieux préparer le changement.

• Être techniquement au point.

• Proposer une vision de ce que signi-fie le changement à venir : une visionsubstantielle, positive, claire et com-plète. Etre capable d’expliquer cettevision en quelques minutes à tout typed’interlocuteur, et en suscitant aumoins son intérêt.

• Favoriser la co-production du projetde réforme via des dispositifs participa-tifs.

• Faire partager cette vision et lever lesincertitudes : donner des repères, faireune pédagogie de la réforme.

• Utiliser tous les vecteurs existants decommunication, de façon constante,

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Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

avec l’engagement personnel des diri-geants, et de façon décentralisée àtous les échelons de l’organisation.

Le projet de réforme et la vision qui leporte doivent en particulier tenircompte des contraintes du terrain.

2. Un terrain, à connaîtreet à préparer

Établissement public, direction centra-le, ministère tout entier : la réformes’opère sur un terrain dont l’histoire, laculture et d’autres caractères constitu-tifs de son identité importent, du pointde vue de la conduite de changement.

Ainsi, on ne change pas des structurescomme les Douanes, la Seita ou laDCN sans prendre en compte leurprofondeur historique. Cette ancien-neté a sédimenté une identité culturel-le d’une extraordinaire densité. Il estfaux de croire que cette identitécondamne à l’immobilisme ; il est illu-soire de ne pas en tenir compte ; il esten revanche possible de s’en servircomme d’un levier. Aux Douanes, parexemple, la fierté des douaniers d’ap-partenir à leur corps fut explicitementtransformée en énergie au service duchangement.

Plus un terrain est ancré dans une iden-tité, plus il est nécessaire de le prépareraux changements à venir. Soit endécomposant un changement fonda-mental en étapes successives – ce fut lecas pour la privatisation de la Seita –,soit en préparant les esprits en amontdu changement ; la fermeture de l’usi-ne Altadis de Lille en offre un contre-exemple.

Préparer le terrain par étapes : la pri-vatisation de la Seita – Intervenue en1995, la privatisation a été préparéepar plusieurs changements anté-rieurs : d’abord établissement public

à caractère industriel et commercialen 1959, le Seita est devenu sociéténationale et donc la Seita en 1980 ;en 1984 intervenait un changementdans le statut du personnel. Dans lemême temps, l’idée d’une privatisa-tion – dénouant la schizophrénie en-tre l’État producteur de tabac et l’Étatdéfenseur de la santé publique –gagnait peu à peu les esprits. La déci-sion de privatiser la Seita ne fut prisequ’en 1993, mais ces changementssuccessifs avaient permis de lever laquasi-totalité des difficultés et decréer un relatif consensus. Les princi-paux chantiers – retraites et statut despersonnels – avaient déjà progressélors des transformations précédentes.Seule la dimension symbolique de laprivatisation subsistait, et même dansl’esprit des représentants syndicaux,“le contexte était mûr, les pratiquesdéjà initiées et les jalons posés delongue date”. Au final, la privatisationa entraîné le quart seulement dunombre d’heures de grève enregis-trées en 1980 ou 1984.

Préparer le terrain : exemple et contre-exemple chez Altadis – Les usines de laSeita étaient classés en deux catégo-ries : les anciennes manufactures (“àconception verticale”) vouées à être fer-mées, et les usines modernes (“àconception horizontale”). En règlegénérale, une fermeture était précédéed’une longue période de ralentisse-ment de la production et de décruelente des effectifs. Ainsi, à l’heure de lafermeture, il ne restait que très peu desalariés en dessous de l’âge de laretraite et, le plus souvent, ceux-cipouvaient être mutés vers un autre éta-blissement. Lors de la fermeture del’usine de Nice, par exemple, seuleune personne ne pouvait bénéficierd’une retraite anticipée. La dernièrefermeture en date, celle de l’usine deLille, n’a pas suivi ce travail de prépa-

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ration du terrain ; elle a au contraire sur-pris et désemparé tout le monde. Unefois toutes les anciennes usines fermées,il ne restait que trois établissementsmodernes : Lille, Nantes et Riom. Lesinformations disponibles ont d’abordsemblé désigner l’usine de Riom, avantde menacer celle de Nantes. Contretoute attente, c’est la fermeture de l’usi-ne de Lille qui a été annoncée, alorsmême que ce site avait continué àembaucher, à investir en matériel et enformations jusqu’au dernier moment.La direction de l’entreprise elle-mêmereconnaît que ce revirement de stratégiecontribue aux difficultés rencontréesdans la suite de ce dossier, insuffisam-ment préparé aux yeux des personnels.

D’autres caractères sont pertinents. Lataille compte : la complexité semble pro-portionnelle à la taille de l’organismeconsidéré et du nombre de ses agents.Cela plaide pour la décomposition d’uneréforme globale en système de réformessectorielles. Par exemple, la DGA et laDREE constituent des sous-ensembles detaille réduite au sein de leur ministèrerespectif. Lorsqu’un changement estnécessairement global, cela invite entout cas à instiller une forte dose de sub-sidiarité dans sa mise en œuvre. Danscet esprit, à l’ANPE, si un cadre de réfor-me fut défini au niveau national, sa miseen œuvre a reposé sur la responsabilisa-tion personnelle des directeurs régio-naux et sur l’engagement de tous leséchelons jusqu’au directeur d’agence.

La proportion de personnels contractuelsimporte, puisque ces agents répondent àdes règles de mutation, de mobilité voirede licenciement plus souples que cellesrésultant du statut général de la fonctionpublique et de l’interprétation qui en estfaite. De ce point de vue, réformer laDREE posait moins de difficultés que laDCN ; reste que les réformes de la DREEont eu l’habileté de prendre en comptela situation des agents contractuels et del’améliorer sur plusieurs points.

Les précédents influent également :l’exemple de la DREE ou des Douanessouligne combien un changement réussipeut préparer le terrain pour un nouveauchangement, en un cercle vertueux favo-rable à la réforme. À l’inverse, l’échecd’une tentative précédente risque de ren-dre le terrain plus rétif à un prochain essai.

Facteurs d’échec

• Surestimer la capacité d’une démons-tration technique à l’emporter sur dessymboles, des perceptions et une iden-tité ancrés dans une histoire.

• S’en tenir au “one size fits all” pourl’ensemble d’une organisation, alorsqu’elle comprend des sous-ensemblesdistincts.

• Ne pas tirer les leçons des tentativesprécédentes.

Facteurs de succès

• Connaître intimement son terrain, cequi exige de s’y rendre et d’en rencont-rer personnellement les acteurs.

• Préparer le terrain et accepter de pren-dre le temps de le faire.

• Appliquer le principe de subsidiaritéet scinder un changement en sous-ensembles adaptés à des organisationsde tailles plus réduites.

Ce terrain n’est pas immuable : il chan-ge en fonction des moments. C’est lemoment le plus favorable au change-ment qu’il faut savoir saisir – ou susciter.

3. Un moment, à saisirou à susciter

De même qu’il doit intégrer la configu-ration du terrain, un projet de change-ment doit tenir compte des caractèresd’un moment. Il en est de plus favora-bles que d’autres. Qu’une réforme soitproposée au début, au milieu ou à la find’une législature n’est pas sans consé-quence : de l’avis de tous, la premièreannée d’une législature est le moment

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le plus propice, à ne pas laisser passer.Qu’une réforme soit lancée après unereculade sur un autre projet compteégalement : cela envoie un signalauprès des acteurs concernés.

L’enjeu est de réussir à saisir lemoment le plus favorable – mais, sicelui-ci ne survient pas, à le susciter.

3.1. Saisir le moment favorable

La capacité à saisir le moment propi-ce, celui qui favorise le basculementvers l’action, dépend de l’attitude faceau temps en amont du changement.Quatre attitudes-types sont possibles :la passivité (attendre en subissant), laréactivité (attendre puis réagir), la pré-activité (anticiper pour s’adapter) et laproactivité (agir en amont pour orien-ter le changement).

Les cas étudiés soulignent que la capa-cité des acteurs à anticiper et si possi-ble à se montrer proactifs est détermi-nante. Plus le changement aura pu êtreanticipé et mieux les objectifs fixéspour la réforme auront pu se fondersur un diagnostic approfondi de lasituation, plus les conflits potentielsauront pu être désamorcés, meilleureenfin aura été la préparation desesprits, laquelle exige un temps suffi-samment long pour comprendre,accepter et mûrir les projets de réfor-me. Cela plaide, en soi, pour une dif-fusion des approches prospectives.

Anticipation : l’exemple des Douanes– La réforme des Douanes fut caléesur une date butoir claire, incontesta-ble et indépendante des acteurs enprésence : l’ouverture au 1er janvier1993 des frontières intracommunau-taires. Cette échéance a favorisé unprocessus d’anticipation qui a permisaux Douanes d’établir, dans les délais,un projet définissant une ambitionpropre et des missions renouvelées.

Plusieurs travaux de réflexion et d’an-ticipation ont préparé les décisionsultérieures : le Groupe prospective-action mis en place aux Douanes en1985, un groupe de travail duCommissariat général du Plan en1988, enfin la mission Consigny en1991. Cette capacité à voir loinremonte à plus haut encore : dès1957, un administrateur des Douanesécrivait : “il ne faut pas se faire de lafrontière extérieure commune unereprésentation géographique à lamanière d’un mur périphérique aupied duquel les Douanes monteraientune garde vigilante. (…) Si, à l’inté-rieur de l’Union, les frontières doiventdisparaître un jour, la Douane exerce-ra son activité sur l’ensemble du terri-toire”. Ce qui est devenu le cas.

Une succession de changementsincrémentaux constitue une autreforme d’anticipation. Elle prépare leterrain au point que le moment oppor-tun pour le basculement final devientplus aisé à trouver. L’exemple déjà citéde la privatisation de la Seita illustrecette approche.

Il faut enfin considérer le cas danslequel l’anticipation n’est guère possi-ble, lorsque les circonstances rendent lechangement tant imminent qu’inélucta-ble. C’est la situation de crise, danslaquelle il faut transformer l’urgence enlevier. Un exemple en est donné par leplan de renaissance de Nissan mis aupoint par Carlos Ghosn en 1999. Dansle secteur public, le Canada ou d’Italieoffrent de bons exemples.

De la crise à la réforme budgétaireau Canada – De 1970 à 1996, 27budgets fédéraux déficitaires avaientgonflé une dette proche de 70 % duPIB. Le déficit annuel dépassa 6 % duPIB durant plusieurs exercices. Le ser-vice de la dette représentait alors untiers du budget, soit le premier poste.

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Entre 1984 et 1993, douze plans suc-cessifs de lutte contre les déficitsavaient échoué. Mais, en 1994, lacrise devint imminente – le FMI pré-parait une intervention – et les atten-tes du public basculèrent au pointque le gouvernement de JeanChrétien put engager une exigeante“revue des programmes budgétai-res”. Encore fallait-il avoir la luciditéde reconnaître la crise et le couragepolitique d’y répondre. Un plan deréforme fut animé par le plus hautfonctionnaire fédéral, Mme JocelyneBourgon. Trois ans plus tard, un pre-mier budget équilibré était voté.Depuis, le Canada n’a connu quedes budgets excédentaires et ledébat consiste à savoir à quels pro-grammes consacrer ces surplus.

Et en Italie – Au milieu des années1990, la situation de l’administrationitalienne était, selon FrancoBassanini, ancien ministre de laFonction publique et de la réformede l’État (1996-2001) “tout à fait dés-astreuse : un État délabré, bureau-cratique, interventionniste, centrali-sé, et une administration obsolète,inefficace et coûteuse” (in Lacasse etVerrier, 2003). En quatorze ans, ladette publique était passée de 58 %à 125 % du PIB. Convaincue quel’on avait touché le fond, la coalitionde l’Olivier (centre gauche) a engagéen 1996 une réforme globale de l’É-tat italien, conjuguant modernisa-tion des structures gouvernementa-les, décentralisation, réorganisationdes services déconcentrés, bascule-ment de 85 % des fonctionnairesvers le régime normal du droit dutravail, simplifications administrati-ves massives, certification de la qua-lité du service rendu, administrationélectronique, etc. En moins de dixans, pour ne prendre que deux indi-cateurs, la dette publique a décru de125 % à 106 % du PIB, tandis queles appréciations positives des usa-

gers concernant la qualité des servi-ces publics remontaient de 38 % à59 %. Et Franco Bassanini deconclure : “Plus un État est délabré,plus il est facile de trouver le consen-sus social nécessaire pour une réfor-me radicale”…

“Quand il est urgent, c’est déjà troptard,” prévenait Talleyrand. La condui-te du changement semble lui donnertort : l’urgence est un moteur fonda-mental du changement ; mais tort enpartie seulement : le changementconduit sous le seul aiguillon de l’ur-gence, sans vision ni moyens, ne tien-dra pas sur le long terme.

Ce dernier type de cas souligne lerisque qui accompagne la recherchedu moment le plus propice : celui detoujours remettre à demain les chan-gements qui s’imposent. Mais on nepeut pas toujours se permettre d’at-tendre une crise ou le délabrementgénéral. Et sans doute ne peut-on plusse permettre de changer à la faveur decrises, toujours coûteuses. Aussi faut-il convaincre que le moment est venu.

3.2. Susciter le moment favorable

Cela ne va pas de soi. À cela, uneexplication revient : “Au sein desstructures publiques, la pression enfaveur du changement n’existe pas, oudu moins est bien distincte de cequ’elle signifie dans le privé : la failli-te ou la disparition. Dans le public, siune structure ne se réforme pas, ellefonctionnera un peu moins bien et encoûtant un peu plus cher, mais conti-nuera de fonctionner”. Pour le direautrement : “dans le public, on vitdans l’éternité”.

Sur quels leviers peut-on compter ?Les entretiens réalisés mettent l’accentsur trois en particulier : la force d’undiagnostic objectif, l’appel aux usa-gers et l’existence d’une date-butoir.

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Le diagnostic objectif

Un diagnostic lucide et sans détour dela situation d’une organisation aide àconvaincre que le moment du chan-gement est venu. Les espaces organi-sationnels qui changent le moins sontd’ailleurs ceux qui évitent d’étudierleur situation et leur avenir possible. Àl’inverse, le changement démarre lors-qu’on décide de mener une réflexionlucide sur certains faits menaçants, ouau contraire sur des éléments promet-teurs à condition de les saisir. Un dia-gnostic sur les possibilités qu’offriraittel changement, ou sur les risquesqu’il permettrait d’éviter, peut suffire àcréer ce moment de basculement oùle changement, parce qu’il apparaîtsouhaitable, devient possible. La forced’un tel diagnostic est de faire appa-raître le statu quo comme moins inté-ressant que le changement, même sicelui-ci, à ce stade, peut encore inté-grer beaucoup d’inconnu.

Un diagnostic déclenche le change-ment chez Nissan – Le constructeurjaponais venait d’enregistrer neufexercices déficitaires en dix ans.L’entreprise, proche de la cessation depaiement, connaissait une situationd’urgence absolue, mais encore fal-lait-il accepter de le dire sans détour :“Nissan avait atteint un point de non-retour”. C’est ce qu’il s’agissait defaire comprendre et admettre à l’en-semble des parties prenantes. Cela serévéla la meilleure façon de déclen-cher les changements nécessaires.L’annonce officielle du plan fut lemoment d’un diagnostic sans fard dela situation de l’entreprise (alorsendettée de 20 milliards d’euros). Lechoc de l’annonce faisait partie de lathérapie : pour Carlos Ghosn, “si vousne criez pas au feu, mais si vous vouscontentez de dire : tiens, il fait trèschaud et peut-être qu’il y a des flam-mes quelque part, cela ne peut pasmarcher”.

Le diagnostic permet de mettre enexergue et de faire partager les fac-teurs qui “poussent à la réforme” : cepeut être la situation budgétaire, laconcurrence de l’administrationconcernée par d’autres acteurs privés(cas de la DCN par d’autres indus-triels) ou publics (cas de la DREE parla Commission européenne ou leTrésor) et l’émergence de nouvellesexigences chez les usagers.

L’expérience souligne que l’on gagne àdistinguer les fonctions de diagnostic etd’impulsion du changement. Le déci-sionnaire peut ainsi s’appuyer sur untiers pour construire le diagnostic. Cedernier peut, le cas échéant, y gagneren objectivité et son récipiendaireconserver une indépendance. Dans cetesprit, des audits sont parfois confiés àdes cabinets de conseil – cf. infra, sec-tion 6. Le diagnostic peut aussi êtreconfié à des fonctionnaires issus d’au-tres administrations, éventuellementavec la contribution d’autres partiesprenantes, en particulier les usagers.

La pression des usagers

Les attentes de l’usager sont un levieressentiel pour enclencher le change-ment. Deux des cas étudiés en témoi-gnent particulièrement.

Le rôle des usagers dans la réformede l’ANPE – Le premier élément surlequel Michel Bon (directeur généralde 1993 à 1995) s’est appuyé pourjustifier la réforme fut l’insatisfactiondes usagers, tant les demandeursd’emploi que les entreprises. Lors desa nomination, un sondage sur l’ima-ge des services publics plaçait l’ANPEau dernier rang, avec 2 % d’avis favo-rable. “Ce chiffre constitua pour moiun baromètre essentiel,” explique M.Bon, qui encadra ce sondage dansson bureau et y faisait référence avecses interlocuteurs chaque fois quenécessaire. À la fois objectif et indica-

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teur concret de l’avancée des réfor-mes, la satisfaction des usagers del’ANPE a été à la base de l’ensembledes mesures prises, qu’il s’agisse de laréorganisation spatiale des agences,du changement de statut des agents ouencore du processus de qualificationdes agences. Par exemple, l’ouvertureen continu des agences locales consti-tuait un “bouleversement des habitu-des administrative qui empoisonnaittout le monde ; tout le monde, sauf leclient” (Michel Bernard, directeurgénéral de 1995 à 2005).

À la DCN, l’usager, c’est l’État – Si lechangement a pu s’appuyer sur ungroupe de personnes convaincues quela survie de la structure dépendait de saréforme, la majorité du personnel nel’entendit d’abord pas ainsi. Mais en1998, la Marine nationale, principalclient de la DCN, décida, pour la répa-ration d’un pétrolier ravitailleur, demettre la DCN en concurrence avecune société privée de Marseille. Cetévénement provoqua une grève despersonnels de l’arsenal de Toulon ; leministre de la Défense, Alain Richard,profita de l’épisode pour donner “uneleçon de choses” à ses interlocuteursde la DCN sur le mode : “attention,vous n’êtes pas irremplaçables”.

Cet aspect va au-delà du désormais tra-ditionnel thème selon lequel l’adminis-tration doit traiter aussi bien ceux quifont appel à elle qu’une entreprise sesclients. En effet, l’usager de l’adminis-tration n’est pas un client dans la mesu-re où, contrairement à ce dernier, il n’apas le choix de son prestataire.L’exigence est donc distincte du marke-ting : il ne s’agit pas de satisfaire l’usa-ger parce que il serait un client, maisparce que la satisfaction de l’usager estune raison d’être du service public.

Une date butoir

L’existence d’une date butoir constitueun troisième facteur décisif dans le

déclenchement du changement. Maisle cas de la réforme des Douanes, ren-due incontournable par une échéanceextérieure, reste rare.

C’est pourquoi, lorsque cette datebutoir n’existe pas, conviendrait-il dese la donner, avec les dispositifsopportuns en l’espèce – budgétaires,réglementaires, politiques ou média-tiques. Une date éminemment symbo-lique peut aussi aider à “borner l’hori-zon”. Ce fut le cas pour la conduitedes travaux sur le site de La Villette àParis : l’inauguration de la Cité dessciences et de l’industrie devait impé-rativement avoir lieu le jour du passa-ge de la comète de Halley, soit le 13mars 1986. Là encore, la prospectivepeut aider à anticiper les faits porteursd’avenir et potentiellement lourdsd’une échéance qu’il faudrait alors,selon une sorte de principe de pré-caution, considérer comme telle.

Choisir le moment opportun ne signi-fie donc nullement qu’il faut l’atten-dre ad vitam aeternam. On peut lecréer, en réunir les conditions. Et,lorsque cela s’avère impossible pourl’heure, s’abstenir plutôt que de courirà un échec qui gèlera pour longtempsles possibilités de changement.

Facteurs d’échec

• Ne pas se donner les moyens d’anti-ciper.

• Attendre ad vitam aeternam lemoment le plus opportun.

• Ne pas suffisamment faire ressentirl’urgence du changement.

Facteurs de succès

• Soigner le diagnostic ; y consacrerdu temps ; le faire établir par unacteur tiers, neutre ; y faire réagir cha-cun.

• Élargir le cercle des parties prenan-tes : agents, élus, “sages,” grand

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public ; faire en particulier entrer dansle jeu les usagers et leurs attentes.

• Fixer ou faire fixer une date-butoirsusceptible de s’imposer à tous.

Un projet solide, répondant auxcaractéristiques du terrain comme auxenjeux du moment, ne suffit pas s’iln’est pas porté par une volonté poli-tique.

4. Une volonté politique,à maintenir

De l’avis unanime des personnes ren-contrées, le changement dans le sec-teur public a besoin d’être porté parune volonté politique. Celle-ci se tra-duit par l’engagement de personnali-tés politiques et par le lien de confian-ce qu’elles entretiennent avec lesresponsables administratifs chargés demener le changement (4.1.) ; maiscette volonté politique gagnerait às’institutionnaliser de façon stabledans l’appareil gouvernemental (4.2.).

4.1. L’engagementde l’autorité politique

Un facteur indubitable de succès estl’engagement résolu, public et cons-tant de l’autorité politique concernée.Cela apporte un surcroît de légitimitéau changement projeté, surtout si celui-ci résulte d’un engagement pris devantla représentation nationale. Cet appuipermet une meilleure position lors desnégociations budgétaires internes àl’administration. Il offre une garantiesupplémentaire contre les remises encause du changement, en interne ou enexterne. Il offre une plus grande visibi-lité au changement et à l’organisationqui l’entreprend, ce qui est en soi sour-ce de motivation et de mouvement. Enamont, il donne sa crédibilité aux tra-vaux préparatoires qui sinon resteraientlettre morte, comme en témoignel’exemple du Rincho au Japon.

Volonté politique et commissions desages : l’exemple du Rincho au Japon– De 1981 à 1983, au Japon, un puis-sant mouvement de réformes est nédes travaux d’une commission dehaut niveau, le Rincho, composée deneuf personnalités indépendantes(universitaires, anciens hauts fonc-tionnaires, industriels, syndicalistes),choisies intuitu personae, et dispo-sant d’un puissant secrétariat. La for-mule de la “commission de sages” estfréquente en France, depuis la mis-sion Picq en 1994 jusqu’au rapportCamdessus de 2004. Mais la ré-flexion et la concertation qui résul-tent de ces travaux, pour intéressan-tes qu’elles soient, risquent de resterlettre morte si la commission nebénéficie, dès sa formation, de l’en-gagement public et solennel d’unehaute autorité politique. En l’espèce,grâce à la médiatisation continue destravaux du Rincho vers le grand pu-blic, le Japon tout entier savait quecette commission bénéficiait de l’ap-pui personnel du Premier ministreNakasone et que la réforme adminis-trative serait la tâche essentielle deson gouvernement, lequel dura enoutre cinq années. De fait, le Rinchoa permis de réels résultats (réorgani-sation profonde d’une dizaine deministères, création d’une agencecentrale de management, plans deréduction du personnel, blocage desdépenses budgétaires).

En France, sans doute depuis MichelRocard et son action en faveur du“renouveau du secteur public,”,aucun Premier ministre n’a choisi des’engager personnellement, publique-ment et obstinément sur le dossier dela modernisation publique au pointd’en faire un des tout premiers enjeuxpour l’ensemble de son gouverne-ment. C’est pourtant essentiel, et entémoignent les exemples évoqués parles experts étrangers rencontrés :

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depuis Yasuhiro Nakasone au Japonjusqu’à Jean Chrétien au Canada enpassant par le vice-président Al Goreaux États-Unis – au moment de laNational Performance Review – ouGöran Persson en Suède. Ce dernier,au pouvoir depuis neuf ans, tend àdémontrer que contrairement auchoix cornélien présenté par RogerFauroux et Bernard Spitz – “faire oudurer en politique” 11 –, l’enjeu estbien de faire pour durer.

Au quotidien, cet appui politiquetrouve sa traduction dans la proximitéqu’entretient l’acteur clef de la réfor-me avec sa tutelle politique. Parexemple, Jean-Dominique Comolli,directeur général des Douanes, avaitété directeur de cabinet de MichelCharasse, ministre du Budget et char-gé de cette même administration ; demême, Jean-François Stoll à la DREE apu compter sur le soutien du ministrede l’Économie de l’époque, Domini-que Strauss-Kahn. Reste que le sou-tien ne doit pas se transformer en“marquage” politique, qui pourraitalors conduire à sa remise en causeen fonction des alternances poli-tiques.

La continuité dans la volonté estessentielle. Pour Francis Mer, “l’hori-zon de temps à se fixer est long, caron ne sait pas bouger vite. Il faut bou-ger tout de suite, mais de façon conti-nue”. En témoignent notamment lesréformes intervenues dans le périmè-tre de la Défense à partir des années1990, en dépit des alternances poli-tiques rapprochées. Alain Oudot deDainville, major général de la Marine,souligne que la réussite de la réformede la DCN tient en partie à “la conti-nuité politique de Pierre Joxe àMichèle Alliot-Marie en passant parAlain Richard, lequel a pu comptersur la durée” (cinq ans), Francis Merayant également apporté son appui entant que ministre des Finances.

Volonté et continuité politique enItalie – La réforme profonde et globaleengagée au milieu des années 1990s’est heurtée à de fortes résistances. Aunombre des facteurs ayant permis lesuccès, Franco Bassanini souligne “lerôle fondamental [joué] par le Premierministre. Les trois Premiers ministres,au cours de ces années [de 1996 à2001] (Romano Prodi, MassimoD’Alema et Giuliano Amato), ont tou-jours montré un strong commitment,un grand intérêt pour la réforme et untrès fort engagement personnel :l’énergique appui qu’ils ont donné auministre de l’Administration publiqueet de la Réforme de l’État a constituéun facteur décisif de succès” (inLacasse et Verrier, p. 63).

Une voie privilégiée pour garantircette continuité consiste à rechercherdès le départ un soutien bipartisan.Ce fut le cas pour la LOLF, portée parle tandem Migaud-Lambert, et votée àl’unanimité des parlementaires ; lesopposants à la réforme ne pouvaientplus parier sur une remise en causelors de la prochaine alternance. Uneéventuelle réforme des corps de lafonction publique d’État, compte tenude son importance, mériterait que lemême appui bipartisan soit recherchéet obtenu.

Cette continuité reste difficile à main-tenir, tant la réforme et la politique ontchacune leur temporalité et suiventdes logiques différentes, parfois incom-patibles 12. En bref, la vie politique esttrop souvent soumise à un horizon decourt terme ; elle est dominée par l’ur-gence, rythmée par les enjeux électo-raux et médiatiques, donc par la néces-sité de faire valoir des résultats rapi-des. 13 Au contraire, la temporalité dela réforme se déploie sur le long termeet dans la continuité : “Changer vrai-ment impose de changer la psycholo-gie des gens, ce qui requiert du temps,”

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Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

(11) Le Monde, 11 juin 2004.(12) Michel Rocard souligne avecironie : “je ne connais pointde réforme sérieuse qui soit capablede donner des résultats électorale-ment enregistrables avant l’électionprochaine” (Oser la réforme, op. cit.).(13) De là provient aussi la schizo-phrénie suivante, remarquable chezbien des élus : députés, ils exigent àParis des changements radicaux…dont ils sont les premiers à refuserles conséquences dans les villesou les départements dont ils sontégalement les élus.

note Michel Bernard. Le changementest un processus long qui implique unengagement dans la durée, même si lesgains sont incertains à court terme, cequi peut être coûteux politiquement.Le jeu se complique encore si on yajoute la temporalité médiatique et sesexigences simplificatrices.

Face aux médias, mettre le temps deson côté – Pour Michel Rocard, “lesmédias appellent réforme un actepublic parlementaire, longuementdisputé, brutalement conflictuel ethautement symbolique, destiné àchanger l’avenir. Quelque acte qui nerépond pas à ces conditions et qui neprétend pas à une intention aussivaste, ne mérite pas l’appellation deréforme. Ce rétrécissement du champest d’autant plus stupide que l’essen-tiel de ce qui se réforme le fait lente-ment : il n’y a de réforme que si onmet le temps de son côté” (Oser laréforme, op. cit.).

Tout cela concourt à souhaiter l’ancra-ge de la modernisation de l’État dansun dispositif institutionnel stable.

4.2. La questiondu rattachement institutionnelde la réforme de l’État

Cette question ne doit être ni suresti-mée, ni sous-estimée. Certains objec-teront qu’elle n’est pas essentielle ; onsoulignera au contraire qu’elle a sonimportance, au même titre que les au-tres composantes étudiées ici, et qu’ilserait contre-productif d’ignorer l’uneou l’autre. C’est un faisceau qu’il fautconstruire.

Une chose est sûre, et forme un para-doxe qui n’est qu’apparent : le change-ment a besoin de stabilité. Il ne faudraitpas que la seule “réforme de l’État”consiste à modifier tous les dix-huitmois les structures supposées porter

cette même “réforme de l’État”. Celle-cia besoin, avant tout, de continuité d’ac-tion. On ne peut que rejoindre le cons-tat, déjà fait maintes fois ailleurs, de lanécessaire stabilisation du nombre etdu périmètre des ministères.

La valse des dispositifs sous laIVe République – L’échec de la réfor-me de l’État sous la IVe Républiquetient pour beaucoup à l’instabilité desdispositifs chargés de l’analyser et dela mettre en œuvre. Des politiquesvolontaristes se sont succédé mais sontrestées à l’état de projet en raison del’absence de suivi. Chaque gouverne-ment entreprit son propre programmede réformes et mit en place une struc-ture pour l’animer, d’où d’innombra-bles comités et commissions : leComité de la réforme administrative etle Comité central d’enquête sur le coûtet le rendement des services publicsen 1946, l’Institut technique des admi-nistrations publiques en 1947, laCommission nationale d’économie en1950, le Groupe d’études pour laréforme administrative en 1952, leComité exécutif de la réforme admi-nistrative en 1953, le Commissariatgénéral à la productivité en 1954,remplacé en 1959 par le Service cen-tral d’organisation et de méthodes, leComité de déconcentration en 1955,le Conseil supérieur de la réformeadministrative en 1956, etc.

Le dispositif actuel

Le dispositif actuel, complexe, est enévolution en raison de deux décisionsimportantes prises par le gouverne-ment.

La plus récente a consisté à annoncer,le 27 juillet 2005, la création d’uneDirection générale de la modernisa-tion de l’État. Placée sous l’autoritédirecte du ministre délégué au Budgetet à la Réforme de l’État, elle reprendles attributions de la Direction de la

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réforme budgétaire et réunit en outretrois agences : la Délégation de lamodernisation de la gestion publiqueet des structures de l’État (DMGPSE),la Délégation aux usagers et aux sim-plifications administratives (DUSA) etl’Agence pour le développement del’administration électronique (ADAE).

Il est bienvenu de réunir dans un seulsystème des acteurs travaillant dans unmême champ, même si cela ne s’ap-parente qu’à un aller-retour : les troisagences désormais regroupées résul-taient d’un découpage, effectué par legouvernement Raffarin, de missionsdévolues à l’ancien Commissariat à laréforme de l’État, créé par le gouver-nement Juppé en 1995, et auquel avaitsuccédé la Délégation interministé-rielle à la réforme de l’État (DIRE).

L’autre décision, lors de la nomina-tion des membres du gouvernementactuel et de la signature de leurs déc-rets d’attribution, a consisté à ratta-cher au ministère du Budget la réfor-me de l’État, précédemment associéeau ministère de la Fonction publique.

Ce choix présente deux avantages etdeux inconvénients. Du côté desavantages, la réforme de l’État ne seconfond plus avec les questions de laFonction publique : rattacher la pre-mière aux secondes, c’était réduireune ambition transversale à un seulchamp. La fonction publique – sonorganisation, ses règles, la répartitionde ses forces – est le terrain privilégiéde la réforme de l’État, mais elle n’enest pas la finalité. Concrètement, leministre chargé à la fois de la réformede l’État et de la fonction publiquesemble en porte-à-faux, constammentpartagé entre des fonctions de gestion,dont l’expérience prouve qu’elles l’ac-caparent en général, et des fonctionsde conception et d’impulsion. Surtout,son autorité au niveau interministérielest insuffisante. Désormais, la réformede l’État rejoint le périmètre du minis-

tère de l’Économie, des Finances et del’Industrie, dont la puissance tradition-nelle au sein du système gouverne-mental pourrait profiter à l’impulsionréformatrice.

Ces avantages ne semblent cependantpas devoir l’emporter sur les inconvé-nients associés à cette formule. Toutd’abord, la modernisation de l’État estune question de première importance,dont les chantiers sont nombreux, et àlaquelle doit par conséquent se consa-crer un ministre à part entière. Àl’heure actuelle, force est de constaterqu’une seule personne est à la foisministre du Budget – et ce au momentoù la LOLF se met en place –, ministrede la Réforme de l’État et porte-paroledu gouvernement, ce qui représentetrois fonctions importantes ; d’autantque s’y ajoutent, en l’espèce, un man-dat de maire-adjoint d’une ville de50 000 habitants et un mandat deconseiller régional.

En second lieu, de même qu’il étaitanormal que la modernisation de l’Étatsoit confondue avec les questions rela-tives à la seule fonction publique, demême il serait contre-productif qu’ellese confonde avec une approche pure-ment budgétaire.

Ce même choix a déjà été fait àl’étranger, en particulier au début desannées 1980 aux États-Unis, où lafonction de réforme de l’État et de sti-mulation du management public avaitété confiée à une puissante directiondu Budget. L’analyse qu’a faite MichelCrozier (1988, p. 17-20), avec d’au-tres, de ce choix est sans appel : “ausein du Budget, les fonctions demanagement qui sont d’ordre qualita-tif et à moyen ou long terme semblentcomplètement étouffées par les fonc-tions budgétaires à court terme quisont en fait purement quantitatives(…) Après une quinzaine d’annéesd’expérience, l’échec paraît flagrant

Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

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pour tous les observateurs”. Et deconclure : “on peut écarter de façongénérale la solution qui consiste àfusionner l’agence de managementavec le Budget”. C’est pourtant lechoix qui vient d’être fait en France.

Chaque contexte étant spécifique, onne peut exclure que cette formuleconnaisse un succès ; mais la probabi-lité est forte que les préoccupationsquantitatives et privilégiant le courtterme chassent les préoccupationsqualitatives et managériales indispen-sables à la modernisation de l’État surle long terme. Sous la pression desdéficits publics, le risque est accru quece ministère privilégie les économiesde court terme là où il faudrait recher-cher des améliorations durables, ycompris au prix d’un investissement àcourt terme. Enfin, son travail pourraitêtre en partie déconnecté d’autreschamps pourtant essentiels de la réfor-me de l’État : la décentralisation, ladéconcentration, l’innovation, l’éva-luation des politiques publiques, laréforme de l’emploi public, etc.

Quel serait, alors, un dispositif préfé-rable ?

Pour un ministre délégué auprès duPremier ministre, chargé de laModernisation de l’État

Un rappel du rattachement institution-nel de la réforme de l’État depuis 1958peut utilement éclairer le sujet.

Le rattachement institutionnel de laréforme de l’État sous la Ve Répu-blique – Le sujet apparaît explicite-ment en janvier 1963, sous le gouver-nement de Georges Pompidou, LouisJoxe étant nommé ministre d’État,ministre de la Réforme administrative,jusqu’en avril 1967 ; EdmondMichelet lui succède au même rangavec en outre la fonction publique. Lesujet disparaît en mai 1968 pour refai-re surface avec Jacques Chaban-

Delmas, qui nomme en juin 1969Philippe Malaud secrétaire d’Étatauprès du Premier ministre, chargé dela Fonction publique et des Réformesadministratives, puis, en janvier 1971,Roger Frey, ministre d’État, ministrechargé des Réformes administratives,jusqu’en juillet 1972. À une brèveexception près, le sujet n’apparaît plusdans les intitulés ministériels jusqu’enoctobre 1980 : Jean-François Deniauest alors nommé ministre déléguéauprès du Premier ministre (RaymondBarre), chargé des Réformes adminis-tratives. À partir de juin 1981, AnicetLe Pors occupe le même positionne-ment, la Fonction publique en plus.De 1986 à 1988, Camille Cabana estministre délégué auprès du Premierministre, chargé de la Réforme admi-nistrative. Depuis 1988, le sujet aconnu des appellations diverses :“réformes administratives,” “moderni-sation de l’administration,” la “réformede l’État” étant de mise depuis 1995.Le sujet est porté par des ministres dedifférents niveaux (ministre d’État de1988 à 1993, puis ministre, secondéd’un secrétaire d’État entre 2002 etjuin 2005). Depuis 1995, neuf minist-res ont eu en charge le sujet : MM.Claude Goasguen, DominiquePerben, Emile Zucarelli, Michel Sapin,Jean-Paul Delevoye et Henri Plagnol(secrétaire d’État), Renaud Dutreil etEric Woerth (secrétaire d’État), enfinJean-François Copé (source : DGAFP).

Trois remarques peuvent être faites. Laréforme de l’État a été placée à plusieursreprises directement auprès du Premierministre, mais cela n’a plus jamais été lecas depuis 1988. Depuis 1986, le sujetn’a plus jamais constitué un portefeuilleministériel à part entière, étant relié à lafonction publique ainsi, de mai 1995 àavril 2000 et de mai 2002 à mars 2004,qu’à la décentralisation ou à l’aménage-ment du territoire. Enfin, au cours desdix dernières années, pas moins de neufministres ont eu en charge le sujet.

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Morcelée parmi d’autres champs alorsqu’elle est une exigence transversale,portée par des ministres n’apparaissantplus aux premiers rangs du gouverne-ment et se succédant à un rythme troprapide, la réforme de l’État ne bénéfi-cie plus d’un ancrage favorable ausein de l’appareil gouvernemental.

Sans trancher le débat, il est intéressantaussi d’observer le rattachement insti-tutionnel chez nos voisins européens.Si l’on s’en tient aux quinze États mem-bres que comptait l’Union européenneavant son élargissement du 1er mai2004, cinq modes de rattachementapparaissent :

– le rattachement direct au Premierministre : Autriche, Belgique, Irlande,Portugal, Royaume-Uni ;

– le rattachement au ministère del’Intérieur : Allemagne, Grèce, Pays-Bas ;

– le rattachement au ministère desFinances : Danemark, Finlande, France(depuis juin 2005) ;

– le rattachement au ministère de laFonction publique : Espagne, Italie,Luxembourg ;

– une agence spécialisée en Suède.

Compte tenu de tout ce qui précède, ilconviendrait d’instituer un ministredélégué auprès du Premier ministre,chargé de la Modernisation de l’État.Du point de vue sémantique, et lesmots ont leur importance, la “moder-nisation de l’État” gagnerait à se sub-stituer à la “réforme de l’État” : onréforme un matériel devenu inutilisa-ble, tandis que la modernisation tra-duit mieux le mouvement continu quidoit animer l’État. Du point de vueinstitutionnel, cette configuration pré-senterait plusieurs avantages :

– le caractère transversal et interminis-tériel de la réforme de l’État seraitmieux assuré ;

– dans le travail gouvernemental, laréforme de l’État bénéficierait d’unsurcroît d’autorité politique ;

– la continuité de l’effort pourrait êtremieux assurée ;

– l’affichage politique serait meilleur,à destination du Parlement et descitoyens ;

– un ministre s’y consacrerait à partentière.

Ce ministre délégué disposerait pourson action de l’ensemble des agencesintervenant dans le champ. Pour lesquestions de réforme de l’État, il seraitle “chef de file” de l’équipe forméeavec ses collègues chargés du Budgetet de la Fonction publique.

Pour assurer la continuité de l’actiondans sa dimension technique et admi-nistrative – en deçà du politique –, ilfaut “placer, aux côtés des ministrespolitiques, des ministres administra-tifs, c’est-à-dire des secrétaires géné-raux, dotés d’un vrai pouvoir et pourlongtemps,” comme cela se fait delongue date en Grande-Bretagne, enSuède ou au Canada (avec le titre de“sous-ministres”). Ce mouvement,amorcé avec la création des postes desecrétaire général dans les ministères,doit s’achever. Dans chaque ministè-re, un secrétaire général, assisté d’unadjoint spécialement chargé de lamodernisation, et ayant autorité sur lesdirections, doit pouvoir s’appuyer surune équipe projet dédiée.

Le travail interministériel des secré-taires généraux doit être amplifié,sous l’impulsion du ministre déléguéauprès du Premier ministre, chargé dela Modernisation de l’État.

Facteurs d’échec

• L’absence de volonté politique etd’engagement personnel de l’autoritépolitique compétente.

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• Le manque de contact entre l’autori-té politique et les responsables admi-nistratifs chargés d’animer le change-ment, notamment si un cabinet faitécran entre un ministre et un directeurd’administration centrale.

• La faible longévité – et parfois la fai-ble disponibilité – des titulaires duportefeuille de la réforme de l’État.

Facteurs de succès

• Un engagement fort, public, constantet personnel au plus haut niveau poli-tique possible.

• Un appui politique bi-partisan auParlement.

Propositions

• Instituer un ministre délégué auprèsdu Premier ministre, chargé de laModernisation de l’État. Le ministreexerce cette mission à plein temps,sans cumul.

• Lui confier la responsabilité d’animer,pour ce qui concerne la modernisationpublique, le travail interministériel detous les secrétaires généraux des minis-tères.

5. Des hommes et des femmes

La cinquième composante semble laplus décisive et la plus délicate à maî-triser : les hommes et les femmes parqui le changement se réalise. Il s’agit,de façon schématique, de celui oucelle qui donne l’impulsion du chan-gement et qui l’incarne (5.1.), de sonéquipe rapprochée (5.2.) et, naturelle-ment, de tous les agents appelés àmettre en œuvre la réforme (5.3).

5.1. Choisir un leaderpour porter le changement

Pour le meilleur ou pour le pire, unchangement tend à s’incarner dans unefigure, plus ou moins dotée en charis-

me, en légitimité ou en autorité – élé-ments impossibles à quantifier, maisqui n’en sont pas moins déterminants.Il s’agit de celui ou celle à qui revientla responsabilité de conduire le chan-gement, et avec qui celui-ci finit sou-vent par s’identifier. L’équation per-sonnelle est clef ; d’ailleurs, bien deschangements ne commencent qu’avecla nomination d’une nouvelle person-ne à la tête d’une organisation. Lesnominations aux postes de directiondevraient d’ailleurs se faire au termed’une procédure permettant aux can-didats de se déclarer publiquement etde présenter, devant un collège à défi-nir, leur projet pour le service en ques-tion.

Dans l’esprit de ceux qui les ont vécus,les changements intervenus à la DREE,chez Nissan, à la DCN ou à la DGAsont inséparables, respectivement, despersonnalités de Jean-François Stoll,Carlos Ghosn, Jean-Marie Poimboeufet Jean-Yves Helmer.

Le choix de Louis Schweitzer pourchanger Nissan – Avant de signer l’al-liance avec Nissan, le président-direc-teur général de Renault, LouisSchweitzer, s’est adressé à CarlosGhosn en ces termes : “Je n’ai qu’uncandidat pour ce travail. Ce qui veutdire que si vous n’y allez pas, je nesigne pas”. Carlos Ghosn était pourLouis Schweitzer la condition sine quanon de l’opération. D’origine libanai-se et né au Brésil, Carlos Ghosn a faitses études en France avant de travaillerau Brésil et aux États-Unis. Au-delà decette expérience multiculturelle essen-tielle pour “passer d’une culture àl’autre,” il avait déjà mené avec succèsdes projets de restructuration, notam-ment le “Plan 20 milliards” chezRenault. Enfin, il avait compté parmiles premiers à apporter son soutien auprojet, alors très controversé, d’allian-ce avec Nissan.

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Un leadership d’un nouveau style àla DGA – En 1996 fut nommé à latête de la DGA Jean-Yves Helmer.Celui-ci, ingénieur, disposant d’uneexpérience de 25 ans dans l’industrieautomobile et maîtrisant les proces-sus de restructuration qui y ont per-mis les augmentations de productivi-té que l’on connaît, est arrivé seul àla DGA, dans une maison tradition-nellement dirigée par les ingénieursde l’armement. Il a modifié la struc-ture de direction, instauré le vouvoie-ment (c’est-à-dire “la distance quipermet de commander”), déménagétous les directeurs pour les avoir àcôté de lui, au même étage, et ainsi“s’imposer aux barons de la DGA”.

En la matière, la notion de leadershipsemble aussi importante que délicateà définir : elle rassemble une capacitéà faire partager une vision, à assurer lacohésion d’une équipe, à impulser unrythme, à écouter, à décider, à délé-guer, à motiver des individus, etc. Iln’est pas anodin que la question duleadership, outre qu’elle n’a pas detraduction satisfaisante en français,soit absente des cursus de formationdans les écoles d’application de l’État.Dans d’autres pays européens ouoccidentaux, le leadership est unchamp académique à part entière,sujet de recherche et d’enseignement,donc de transmission. En Suède, lerôle du leadership dans la conduite duchangement est particulièrementreconnu (Crozier, p. 25-27). Aux États-Unis, pour ne donner qu’un exemple,un professeur aussi important queJames March a, des années durant,réfléchi avec ses élèves de l’universitéde Stanford sur le sens du leadership,à travers les œuvres de Shakespeare,Cervantès ou Tolstoï 14.

En retour, le risque de cette personna-lisation est que tout nouveau respon-sable veuille conduire “sa” réforme.

Or tout changement de directionn’implique pas forcément une nouvel-le réforme. Et les cas étudiés le souli-gnent : le bon leader ne reste pas unhomme (ou une femme) seul(e).

5.2. Réunir une équipe rapprochée

Réussir un changement, c’est d’abordconstruire la bonne équipe. Cette“garde rapprochée” peut être réunieen interne ou en faisant appel à despersonnes d’autres administrations. Lamobilité inter-administrative est à cetégard nécessaire mais se heurte sou-vent à la gestion des effectifs et au sys-tème des corps. Elle peut aussi faireappel à des équipes de consultants,comme ce fut le cas à la DCN.

La faculté laissée au dirigeant de choi-sir son équipe est essentielle, y comprisen dehors des hiérarchies habituelles.Carlos Ghosn s’est entouré d’une équi-pe restreinte, qu’il a pu constituer selonses vœux, grâce à l’appui de LouisSchweitzer : “C’est vous qui choisirezvotre équipe. C’est tellement importantqu’il est indispensable que vous voussentiez en confiance avec ceux et cel-les qui vous accompagneront”.

Carlos Ghosn forme son équipe – Unpetit groupe a été sélectionné de marsà juillet 1999 : 17 noms sur la pre-mière liste qui deviendront une tren-taine au fil des mois. “Trente hommeset femmes pour faire changer de cap àun colosse employant 140 000 per-sonnes dans le monde”. Ces person-nes ont été choisies intuitu personaeen fonction de quatre critères : lacompétence (pour répondre aux dys-fonctionnements majeurs repéréschez Nissan), l’enthousiasme (“quandils étaient hésitants, j’abandonnaistout de suite”), l’ouverture (“quellesque soient la compétence de la per-sonne et sa motivation, si j’avais lemoindre soupçon d’une fermetured’esprit sur le plan culturel (…) elle

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(14) MARCH (J.) et WEIL (T.),Le leadership dans les organisations,préface de J.-C. THOENIG, Paris,Presses de l’École des Minesde Paris, 2003.

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était écartée d’office”) et venir de chezRenault (“il était indispensable que lesgens qui venaient chez Nissanconnaissent bien Renault”). Une foisla liste arrêtée, l’équipe a suivi unséminaire intensif de 48 heures consa-cré à la découverte du Japon et desti-né à souder ses membres. Une fois surplace, l’adaptation de chacun n’a pasété facile, d’autant moins qu’il fallaitéviter de créer un “clan de Français,”distinct des autres salariés. CarlosGhosn réunissait son équipe deux foispar an dans un endroit discret pour“soutenir le moral des troupes”.

La constitution de l’équipe pose laquestion de la formation intellectuellede ses membres. En dépit de lieux d’ex-cellence, la conduite du changementdans le secteur public ne bénéficie pasen France d’un réseau suffisammentétoffé où échangeraient chercheurs etpraticiens. Un modèle abouti est celuide la Kennedy School of Governementde l’université de Harvard, aux États-Unis. Cette institution remplit simulta-nément les fonctions d’institut derecherches – avec des publications –,de centre de formation initiale et sur-tout permanente, enfin de fondationdisposant de moyens financier permet-tant d’encourager directement desinnovations sur le terrain.

La réforme de l’ENA est à cet égardprometteuse. Sous la houlette de sondirecteur, Antoine Durlemann, le nou-veau cursus, inauguré par la promo-tion 2006-2008, établit un lien plusfort entre pratiques administratives etenseignements, au sein desquels l’ap-proche théorique et magistrale clas-sique recule au profit des mises ensituation et des études de cas. Sansdoute faut-il aller plus loin pour déve-lopper la part, dans le cursus, desoutils de management public et destechniques de GRH, de négociation,de communication, de gestion de pro-jet ; mais ces enseignements, se prêtant

moins bien à une notation “scolaire,”impliqueraient que l’ENA soit libéréede la contrainte du classement. Afind’en dédramatiser l’importance, lerecrutement dans les grands corpsgagnerait à n’intervenir que dans unsecond temps, par exemple au retourde la mobilité, et sous la forme d’unconcours interne.

La constitution de l’équipe soulèveaussi la question de son lien avec l’or-ganigramme habituel de l’organisa-tion à transformer. Il n’y a pas de règleabsolue, mais le fonctionnement “enmode projet,” pour gagner en rapiditéd’exécution, semble privilégié.

Des structures ad hoc pour conduirele changement – En 1995, la SEITA amis en place des “task forces” pourpréparer la privatisation dans troisdomaines précis : la communication,les ressources humaines et les ques-tions financières. Les trois cellules seréunissaient pour traiter des sujetstransversaux. Il s’agissait de petiteséquipes (pour éviter “la tour deBabel”), composées de membres de ladirection et de leurs proches collabo-rateurs. Ces personnes ont été choisiespour leur expérience dans l’entreprise(carrière longue à différents postes, ycompris dans les usines). Elles s’étaientimprégnées des réactions et des atten-tes des personnels sur le terrain. Cesgroupes avaient toute liberté pour faireappel à des consultants extérieurs ouinterroger le personnel de l’entreprise.

Pour préparer les Douanes à l’ouvertu-re des frontières en 1993, une équipeinterne ad hoc fut montée à laDGDDI, composée de personnesdédiées à la réforme, avec un mandatclair fixé par le directeur général. Cetteéquipe “projet” ne dépendait pas d’unservice, mais était rattachée auprès dela direction.

La continuité de ces équipes s’avèreessentielle à la constance de l’action,

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évoquée supra. C’est là un des princi-paux facteurs de réussite du change-ment. Or, remaniements ministérielset alternances politiques se traduisentsouvent par des changements dedirection, rompant la continuité deséquipes et des réformes en cours. Il estlégitime qu’un nouveau pouvoir sou-haite imprimer sa marque et choisir sadirection. Mais trop de changementsengagés et bénéficiant d’un soutiennon partisan souffrent de ces ruptures.C’est vrai en particulier en France,estiment les experts étrangers interro-gés, en raison d’une part de la faiblelongévité des gouvernements depuis1981 (hormis la période 1997-2002)et, d’autre part, du rôle que les cabi-nets ministériels occupent au détri-ment des directions permanentes desministères.

5.3. Motiver tous les agentsappelés à mettre en œuvrela réforme

“Il faut donner aux gens envie de chan-ger, et maintenir cette envie” : tel est undes leitmotiv des entretiens. La ques-tion centrale est celle de la motivation.Sans motivation à tous les niveaux de lastructure, le changement sera très diffi-cile. Le problème est plus compliquéencore : le changement prend dutemps, mais il est difficile de maintenirun niveau élevé de motivation sur lelong terme. C’est pourtant ce qu’il fautréussir, en amont, pendant puis en avaldu changement.

La motivation et ses conditions –“Partout, si le cap, la destination, estsimple, si les objectifs sont précis etquantifiés, si la reconnaissance desrésultats obtenus est réelle, les gensvous croiront, et vous donneront unde vos meilleurs atouts : leur motiva-tion” ; Carlos Ghosn, conférence àl’IFRI, 5 mars 2004.

“Donner envie” de changer : cela peutrenvoyer aux opposants à la réforme,qui sont en fait moins nombreuxqu’on ne le pense. Ils sont d’ailleursdivisés en groupes aux motivationsdistinctes : (a) ceux qui estiment quele changement n’est pas nécessaire,(b) ceux qui se sentent menacés par lechangement prévu et (c) ceux qui crai-gnent de ne pas être capables de met-tre en œuvre ce que leur confie le pro-gramme de changement. Il faut surtoutdonner envie de changer aux scep-tiques, finalement les plus nombreux :agents de la fonction publique etcitoyens devant lesquels on brandit defaçon récurrente le talisman de laréforme de l’État, mais qui tardent àvoir celle-ci se traduire dans les faits.Le scepticisme est proportionnel à laquantité de discours rabâchés sur “laréforme de l’État” 15.

En amont, comment motiver, et cedans les deux sens du terme ? Motiverla réforme : en faire partager les motifs,mais aussi motiver concrètement ceuxqui devront la traduire en actes. Il adéjà été souligné combien il est impor-tant de partager la vision qui justifie lechangement à venir. Cela se fait, rap-pelle un ancien ministre, “en mouillantsa chemise : il faut parler aux direc-teurs, parler aussi aux troupes, et mon-trer l’exemple, car vous nettoyez unescalier en commençant par la marchedu haut”. De ce point de vue, il “fautfaire prendre conscience aux gens quele changement ne signifie pas qu’avant,‘ce n’était pas bien’”. Le changementdoit regarder de l’avant, non attribuerdes responsabilités sur ce qui ne fonc-tionne pas bien.

“Donner constamment du positif etdes perspectives aux agents” : le casdes Douanes – En 1985, le LivreBlanc de la Commission européennesur l’achèvement du marché intérieurs’opposait sans nuance à la présence

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(15) Ce travers n’est d'ailleurs pasnouveau : André Tardieu, auteuren 1934 d’un ouvrage remarquésur la réforme des institutions de laTroisième République, L’heure de ladécision, le reconnaissait lui-même :quand un ministre veut être applaudià bon compte, il lui suffit d’annoncer“la réforme administrative”.

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douanière aux frontières, considéréecomme “la manifestation la pluséclatante de la division persistantede la Communauté” (Commissariatgénéral du Plan, La France dansl’Europe de 1992). La presse relayaitalors volontiers l’idée selon laquelle“plus de frontière, donc plus dedouaniers” (M. Charasse). J.-D.Comolli, alors DGDDI, se souvientde “la pesanteur de l’atmosphèreextérieure” et du “sentiment d’aban-don” qui poussaient les douaniers à“rentrer la tête dans les épaules”.L’intuition, qui s’est révélée juste,était que l’on ne pouvait conduire untel changement dans un contexte sidéprimé. L’espoir devait être ranimépuis constamment entretenu à tra-vers un projet stratégique, donnantaux agents la certitude que l’institu-tion se forgeait un avenir cohérent ense réformant. Cela a constitué unfacteur de succès. La méthodeconsistait notamment à communi-quer à l’extérieur sur les succès desDouanes dans leurs nouvelles mis-sions (en matière de saisie de stupé-fiants, de lutte contre les trafics), afinde valoriser aux yeux des douaniersleur propre métier dans ses orienta-tions nouvelles et leur redonner un“sentiment d’utilité”.

Pendant la conduite du changement, ilfaut prévenir “les chutes de moral”. Àcet effet , il faut “pouvoir faire mesurerle changement aux personnels defaçon tangible et positive, et ce le plusvite possible” (Michel Scialom). Il fautpour cela organiser le processus dechangement de façon à ce qu’il fasseapparaître, rapidement, de premiersrésultats. Il ne suffit pas d’espérer l’ap-parition de premiers signes ; il faut,d’entrée de jeu, fixer certains objectifssimples et vraisemblablement à portéelors des premiers mois. Le meilleur car-burant du changement sont ses pre-miers résultats.

Comment démotiver en quelquesmots – “Nous sommes à l’an I de laréforme de l’État” : cette formulen’est pas seulement fausse, elle estcontre-productive. Fausse, car l’États’est déjà transformé à de multiplesreprises et que la réforme de l’Étatconstitue un processus continu qui adéjà connu, par le passé, des tempsforts. Elle est aussi contre-productive,car elle envoie un signal démotivantà tous ceux qui ont porté, ou portentaujourd’hui, des projets de réformeset s’entendent implicitement dire quetout cela ne compte pour rien.

En aval, comment valoriser une réfor-me réussie et ceux qui y ont pris part ?Se pose en particulier la question de lapromotion, comme récompenseconcrète des agents ayant joué un rôledécisif dans un changement. On seheurte là à deux problèmes.

– Le premier renvoie à la place émi-nente du concours interne dans lesmécanismes de promotion au sein del’administration. Trop d’agents sevoient renvoyés devant une copied’examen, alors que leur contributionjustifierait de l’avis de leur chef de ser-vice une promotion directe, laquelleest rarement possible. Une difficultésimilaire apparaît pour l’attribution deprimes, compte tenu des mécanismesindiciaires et des grilles de rémunéra-tion.

– Le second problème se rencontreaux échelons plus élevés de l’adminis-tration. Il concerne les conditionsd’accès aux postes de responsabilité(chef de service, directeur et directeurgénéral). Des personnels d’encadre-ment, ayant accompli la majeure par-tie de leur carrière dans un départe-ment ministériel et ayant positivementcontribué à sa modernisation, ne peu-vent pour autant accéder aux postesde direction de ce même ministère

auxquels leur expérience et leur com-pétence les destinent. En effet, cespostes sont pourvus par décret enconseil des ministres, sans procédurepréalable et transparente de dépôt decandidature, donc sans audition etsans évaluation possible des projets deservice et des qualités personnellesdes candidats. Une forte proportion deces postes revient aux membres desgrands corps de l’État (Conseil d’État,Inspection générale des Finances,Cour des comptes) 16. Cette pratique,qui a peu d’équivalent à l’étranger,n’est pas sans conséquence sur lesperspectives de carrière des person-nels auxquels il vient d’être fait réfé-rence et, partant, sur leur motivation.

Facteurs d’échec

• Sous-estimer la personnalisation d’unchangement, laquelle tend à rejeter lesquestions de fond à l’arrière-plan.

• Sous-estimer les effets dynamiquesd’entraînement ou au contraire derépulsion que peut provoquer celui oucelle dans lequel s’incarne le change-ment.

• Croire que le changement est l’affai-re d’un seul responsable.

• Croire que la cohésion d’une équipede direction va de soi.

Facteurs de succès

• Choisir les responsables appelés àconduire un changement non seule-ment en fonction de leurs compéten-ces techniques, mais aussi de leurexpérience managériale et de leur lea-dership personnel.

• S’entourer d’une équipe dont lesmembres sont choisis intuitu perso-nae. Créer le niveau le plus élevé pos-sible de cohésion et de confiance ausein de cette équipe (séminaires,retraites, etc.). En assurer la continuité.

• Observer et maintenir la motivationde tous les acteurs tout au long du

changement, notamment en valorisantles premiers résultats.

Propositions

• Introduire dans le cursus des écolesdu service public une réflexion, nour-rie de témoignages, sur le leadership,ses composantes et ses effets.

• Inclure la conduite du changementdans les cursus des écoles du servicepublic. Amplifier l’échange d’expé-rience à la faveur de séminaires deformation continue.

• Modifier les conditions de nomina-tions aux postes de direction d’admi-nistration centrale, par une procédurepermettant aux intéressés de faire actede candidature et de présenter leurprojet. Repérer, via les secrétairesgénéraux des ministères, de façoncoordonnée et interministérielle, lescadres susceptibles de se voir confierdes missions de direction.

6. Un pilotage

Piloter, c’est maintenir le cap dans ladurée jusqu’à ce que les objectifssoient atteints. Cette sixième compo-sante dans la conduite du changementest celle qui permet de lier ensembleles précédentes. Les acteurs interrogésont soulevé notamment trois aspectsprincipaux : gérer le rythme du chan-gement (6.1.), bénéficier d’un cadrebudgétaire offrant une visibilité suffi-sante (6.2.) et faire appel, ou non, àdes consultants extérieurs (6.3).

6.1. Gérer le rythmedu changement

Le temps constitue un ingrédient clefde la conduite du changement. Ilreprésente tant une ressource surlaquelle compter qu’une contrainteavec laquelle il faut composer. Gérerle rythme du changement est doncessentiel, depuis la conception de la

Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

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(16) Par exemple, un tiers desconseillers d’État et la moitiédes maîtres des requêtes sontactuellement en service à l’extérieurdu Conseil d’État(source : www.conseil-etat.fr).

réforme jusqu’à la vérification de samise en œuvre et l’évaluation de sespremiers résultats.

À chaque étape du changement, sonrythme : autant la préparation duchangement requiert de la circonspec-tion, autant son exécution plaide pourdes délais serrés. La conduite duchangement connaît donc un rythmediscontinu, fait d’accélérations et deralentissements, de temps de matura-tion et de moments d’action décisifs.

La préparation requiert du temps, nonseulement pour définir le changementlui-même, mais aussi pour s’assurerqu’il est partagé par la plus grande pro-portion possible de parties prenantes.Pour C. Ghosn, “la méthode d’éla-boration du plan devait être le gage deson futur succès” : le peu de tempsdont il disposait, C. Ghosn l’a d’abordconsacré à l’analyse du terrain et àl’écoute du personnel, à travers desréunions à tous les niveaux de l’entre-prise, avec les fournisseurs et lesclients, au Japon comme dans le restedu monde, rencontrant plus de millepersonnes en trois mois. Pour M.Bernard, s’il y a eu “de vraies révolu-tions” à l’ANPE, elles ont toujours étéprécédées d’un délai conséquent pourexpliquer les réformes, laisser mûrir lesesprits, “porter le changement sur leterrain, face aux agents”. Avant de lan-cer le changement de statut par exem-ple, “six mois de négociations infor-melles, de brainstorming et d’appro-priation de la problématique” ont éténécessaires. Cette préparation a comp-té dans la réussite de cette réforme, quin’a déclenché que deux journées degrèves : les approches brutales sontvaines, car “si l’on arrive à piéger lesgens une fois, on ne peut pas le fairedeux fois”.

Sauter des étapes ne donne qu’uneillusion de rapidité et n’aboutit jamaisà des résultats satisfaisants. “Une des

leçons que je tire de ma propre expé-rience, c’est que j’étais allé trop vite,”a reconnu Alain Juppé.

L’exécution gagne, à l’inverse, à suivreun rythme rapide.

– D’abord parce que le changementoccasionne forcément une transitionperturbante : des méthodes ou desstructures sont abandonnées avantque d’autres ne soient instaurées etvalidées. L’incertitude n’instaure pasun climat favorable ; d’où la nécessitéde ne pas prolonger cette transition.

– Ensuite, on l’a vu, parce que lemeilleur combustible pour alimenter lechangement, ce sont ses premiersrésultats tangibles. C. Ghosn considèreainsi la rapidité d’exécution comme“un paramètre d’une importance capi-tale,” car si les premiers résultats duchangement arrivent dans un délaicourt, ils aident à générer un “cerclevertueux de la réforme” en suscitant“une confiance grandissante dans leprojet et en motivant les troupes”.Cette exigence de rapidité était d’au-tant plus forte que les salariés deNissan avaient fait l’expérience deplans de redressement successifs quiavaient tous échoué. Si les premiersrésultats tardent à venir, les remises enquestion de la réforme apparaissentvite et la motivation à poursuivre lesefforts s’essouffle. J.-F. Stoll confirmequ’il faut pouvoir présenter rapidementde réelles avancées, non seulementpour nourrir l’intérêt et “la fierté desagents” à participer au changement,mais aussi pour conforter le soutienaccordé par l’autorité politique.

Cette rapidité dans l’exécution n’estpas pour autant toujours souhaitable.L’exécution sur une longue durée peutaider à atténuer l’intensité d’un chan-gement et contribuer à son accepta-tion. Par exemple, la restructurationdes forces armées sur une longue

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durée (plus de dix ans) a permis d’évi-ter le recours à des lois de dégage-ment des cadres. Au total, la réforme aété coûteuse car longue, mais le faitde la conduire dans la durée a permisde la rendre moins brutale qu’ailleurs.D’où un dilemme dont il faut peserchaque branche avec soin, précisé-ment dans la phase de préparation.

Au moins faut-il que cette longuedurée ne se mue pas en horizon incer-tain : elle doit être balisée, rythmée,d’échéances intermédiaires. Certainscabinets de conseil, sollicités par desadministrations en réforme, ont mis aupoint des systèmes de planification dela conduite du changement, étape parétape (“time boxing”).

6.2. Un cadre budgétaireoffrant une visibilité suffisante

Pour gérer cette durée, il faut disposerd’une visibilité suffisante, souventsupérieure à une année. C’est ce quedoit offrir le cadre budgétaire, notam-ment à travers les contrats de perfor-mance ou de progrès. Ceux-ci per-mettent d’organiser une visibilité surles moyens à venir pour la structure enphase de changement et d’assurercelle-ci de bénéficier d’une partie desgains de productivité obtenus. Touteffort de réforme est profondémentdissuadé si ses résultats sont accaparéspar le Budget ; il est indispensablequ’un contrat négocié en amont fixe lepartage des gains de productivité entrela structure qui les réalise et le Budgetqui les reversera au “pot commun”.

La pluriannualité budgétaire est souli-gnée par tous les acteurs commeindispensable. La DREE a négocié unecontractualisation budgétaire sur troisans qui lui permettait de conserver lesmêmes moyens sous réserve d’uneréduction d’effectifs, et de bénéficierdes gains de productivité obtenus. Cescontrats triennaux de performance ont

instauré une fongibilité des crédits etde mettre en regard objectifs etmoyens, ce qui était en quelque sorteune préfiguration de la LOLF.

Les contrats de progrès passés entrel’État et l’ANPE – Ils ont servi d’outilde négociation avec le ministère desFinances et contribué à garantir lacontinuité des réformes. En contre-partie des engagements pris parl’Agence pour se réformer et prendreen charge de nouvelles prestations,l’État assurait son soutien financier,au-delà du principe de l’annualitébudgétaire, pour des périodes dequatre ans. Les contrats ont été “sour-ces de stabilité” (S. Clément) en assu-rant un cadre fixe au changement. Ilsn’ont pas seulement bénéficié àl’ANPE, mais ont représenté un inté-rêt pour toutes les parties prenantesde la réforme : Bercy a pu suivre l’u-sage qui était fait des augmentationsde crédits et, en tenant la DGEFPinformée des évolutions de l’Agence,ils lui ont permis de jouer réellementson rôle de tutelle. Par ailleurs, lesengagements pris de part et d’autreont été soumis à des comités d’éva-luation, dont la composition garantitl’objectivité.

La même visibilité doit être accordéeaux acteurs clefs de la réforme, mieuxassurés de la durée de leur mandat.On pourrait imaginer, comme enSuède, que les directeurs d’adminis-tration centrale ou les préfets soientnommés pour une durée déterminée,correspondant à un contrat fixant leursobjectifs et leurs moyens.

Le pilotage des réformes en Suède :priorité au temps long – Les direc-teurs généraux d’administrations cen-trales, d’ailleurs choisis selon uneprocédure assurant une grande sélec-tivité, disposent en général d’uncontrat d’emploi de six ans renouve-

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Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

lables, assortis d’objectifs égalementcontractualisés. Le président del’Agence centrale fiscale, nommé parle ministre des Finances pour unedurée déterminée, traverse par consé-quent les alternances. Les budgétisa-tions se font sur des périodes longues– trois ans –, permettant une plus gran-de souplesse dans l’emploi des fondset offrant une meilleure visibilité.

6.3. La question du recoursà des consultants extérieurs

Que ce soit à la DCN, à la DREE ou àl’ANPE, l’appel à des consultants exté-rieurs pour contribuer à la définitiond’un changement et/ou à son pilotageapparaît fréquent. Sur l’utilité de cerecours, les avis restent partagés. Pourles uns, une aide extérieure lors de laconception du changement est indis-pensable pour éviter de garder “le nezdans le guidon” et pour “connaîtred’autres expériences et s’en inspirer”(benchmarking). Pour d’autres, “lechangement doit émaner de l’intérieuret les aides extérieures demeurer ponc-tuelles”. Pour ce qui concerne le pilo-tage du changement, les avis sont plushomogènes : “on ne peut conduire lechangement avec des personnes exté-rieures à l’institution,” leur rôle devantse limiter à celui de témoins ou d’ex-perts sur des points très précis. Lerisque est de donner l’impression d’unedéfaillance de l’encadrement, qui seraitressentie comme telle par les agents.

Le rôle des consultants dans le sec-teur public est en croissance –Depuis 2002, le secteur publiccompte en France parmi les quatreplus importants clients des cabinetsde conseil, après la banque, l’indus-trie et les services. Il représentait12 % du chiffre d’affaires des cabi-nets de conseil en 2003, soit un mar-ché d’environ 2,5 milliards d’eurospar an. L’informatique et l’accompa-

gnement des systèmes d’informationconstituent le gros des besoins (envi-ron 1,5 milliard d’euros), suivis par laformation (500 millions d’euros) et leconseil en organisation et stratégie(200 millions d’euros). Si les établis-sements et les entreprises publicssont les premiers clients (environ50 %), l’État représente 30 % de l’ac-tivité, suivi des collectivités locales(source : Syntec).

La tendance est à la hausse, encoura-gée par la refonte du code des marchéspublics, qui facilite l’achat de presta-tions intellectuelles. Au niveau euro-péen, le secteur public et les associa-tions représentent désormais le premierclient des cabinets de conseil. La plu-part des cabinets ont créé des équipesdévolues au secteur public. Il faut noterqu’une proportion importante de ceséquipes dédiées est composée… d’an-ciens fonctionnaires ; par exemple,c’est le cas de la moitié de la centainede personnes du pôle secteur publicchez Ineum Consulting (Le Monde, 1er

février 2005). Cela appelle réflexion,pour expliquer que des hauts fonction-naires rejoignent le secteur privé afind’y conseiller les structures qu’ils vien-nent de quitter. Quelle information celadonne-t-il sur l’attractivité du secteurpublic ? A-t-on idée du coût caché quecela représente ?

De l’avis de la plupart des personnesinterrogées, l’administration a suffisam-ment de ressources pour pouvoir orga-niser, en son sein, des équipes de“consultants internes,” administrateursayant déjà conduit des changements etpouvant venir aider une autre entité àpréparer puis éventuellement mener unchangement. Cela suppose de capitali-ser le savoir-faire, de valoriser vraimentceux qui le détiennent et de se donnerla flexibilité nécessaire pour organiser,au sein de l’administration, des déta-chements de courte durée.

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Sans doute faut-il évaluer, pour mieuxle maîtriser, le recours à des consul-tants extérieurs. L’appel à des cabi-nets de conseil constitue souvent unepratique indispensable, mais on nepeut exclure qu’il soit parfois unesolution de facilité. Il est une optionen général coûteuse. C’est pourquoiune évaluation ex-post de la contribu-tion des consultants devrait être ren-due systématique. Ces évaluationsdevraient abonder une base de don-nées interministérielle. À l’occasionde chaque mission confiée à des cabi-nets extérieurs, le transfert de compé-tences vers les administrateurs enplace doit être assuré ; la capitalisa-tion des savoir-faire au sein de l’admi-nistration doit être recherchée.

Un risque final, en terme de pilotage,est de déclarer victoire trop tôt. Sil’objectif du changement est déclaré“atteint,” alors les forces du mouve-ment font relâche et les tropismes habi-tuels reprennent. Le changement, avantd’avoir pu s’enraciner, est déjà remisen cause, ou détourné. Ce risque sem-ble réel concernant la LOLF, par exem-ple ; cette réforme est d’une ampleur siimportante qu’elle a déjà donné lieu, àjuste titre, à de nombreux commentai-res positifs. Mais certains frôlent lescommuniqués de victoire : or rien n’estjoué tant que n’auront été évalués lesimpacts réels de la LOLF.

Facteurs d’échec

• Précipiter la phase de préparation.

• L’état de “sur-confiance” des promo-teurs du changement.

• Faire faire (sous-traiter à des consul-tants) par crainte d’échouer soi.Oublier que l’on ne sous-traite que ceque l’on ne sait pas faire (qualitative-ment) ou ce que l’on ne peut pas faire(quantitativement).

• Déclarer victoire trop tôt.

Facteurs de succès

• Avoir un calendrier clarifiant les éta-pes et le rendre public.

• Planifier la possibilité de réussitesvisibles à court terme.

• Ouvrir des horizons temporels pluslong que le budget annuel, notam-ment grâce à des contrats de progrès.

Propositions

• Établir un bilan quantitatif et qualita-tif des interventions de consultantsextérieurs pour des missions de straté-gie et de réorganisation dans le sec-teur public.

• Faciliter la mise en place, au sein del’administration, d’équipes de “consul-tants internes” susceptibles d’être déta-chées pour des missions de courtedurée.

Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs

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Cette affirmation, extraite de l’ouvra-ge publié par Pierre Mendès Franceen 1962, La République moderne,demeure juste aujourd’hui. Il en va dugouvernement comme de la moderni-sation de l’État, celle-là étant insépa-rable de celui-ci. Et l’on voudrait écri-re, paraphrasant l’ancien président duConseil, qu’il n’est pas vrai que lesréformes soient plus difficiles àconduire en France qu’ailleurs, àcondition qu’elles participent d’unevision légitime, qu’elles prennent encompte les caractéristiques de leurterrain comme les enjeux du moment,qu’elles s’appuient sur des équipescompétentes et motivées, associant àl’action les parties prenantes, et queleur mise en œuvre avec méthode soitportée par une volonté politiqueconstante.

Sur chacun de ces points, partant duterrain grâce à plusieurs études de cas,ce Cahier s’est efforcé de souligner lesfacteurs d’échecs et de réussite pourconduire le changement. L’approches’est voulue opérationnelle. Elle n’in-terdit pas, in fine, quelques réflexionsplus larges ; d’une part pour éclairerquelques paradoxes qui accompa-gnent la réforme de l’État, d’autre partpour exposer les conditions auxquel-les pourrait s’instaurer un cercle ver-tueux du changement au sein du sec-teur public.

1. Paradoxesde la réforme de l’État

Analyser la conduite du changementau sein du secteur public offre un pointde vue intéressant pour observer l’Étataujourd’hui : ses atouts, ses défis, sescontradictions. Au fil des entretienssont peu à peu apparus trois paradoxes

de nature à éclairer le champ de laréforme de l’État.

1.1. Le paradoxe budgétaire

Il faut réformer pour économiser,mais il faut dépenser pour réformer.La situation des finances publiquesn’est pas bonne. Aucun gouvernementn’a encore réussi à retourner profondé-ment et durablement la part de la dettepublique dans le produit intérieur brut.Cette proportion augmente à nouveaurapidement depuis quatre ans.

La rigueur budgétaire est donc un desprincipaux facteurs déclenchant lechangement, au point qu’économiserles deniers publics s’impose parfoiscomme le but dominant de la réforme,au détriment d’autres objectifs, notam-ment l’amélioration du service publicrendu à l’usager ou les conditions detravail des agents. Mais bien réformerexige des moyens budgétaires, permet-tant d’accompagner le changement,par exemple pour faciliter le reclasse-ment ou une nouvelle implantationgéographique des agents.

L’état actuel des finances publiques adonc un effet ambivalent. Aiguillon enfaveur du changement, il limite parailleurs les moyens qui lui sont pour-tant nécessaires. Or une réforme diffé-rée ou mal menée finit par coûter cher.Pour plusieurs des acteurs interrogés,l’état des finances publiques devienttel que celles-ci n’offrent plus lesmoyens suffisants pour conduire lechangement de façon pertinente et sur-tout durable. “L’impasse” budgétaire sedouble d’une impasse managériale.

Aussi est-il indispensable de concevoirla réforme de l’État comme un investis-sement. Tout chef de projet, lorsqu’il

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CONCLUSION “Il n’est pas vrai que les Français soient plus difficiles à gouverner que d’autres– à condition qu’ils soient loyalement informés, qu’on les associe à l’action et que leurvolonté ne soit pas continuellement ignorée ou bafouée par ceux qui les gouvernent”.

Pierre Mendès France

réussit à réaliser des économies, doitpouvoir en conserver une proportion,définie à l’avance, pour la redistribueren interne, soit sous la forme d’inves-tissement bénéficiant à la structure,soit sous la forme de récompensesindividuelles.

1.2. Changersans changer de système

Plusieurs acteurs interrogés soulignentqu’il leur faut conduire des change-ments au sein d’un système quidemeure, lui, inchangé et dont descadres fondamentaux sont de puis-sants freins au changement.

Des progrès sont en cours. La LOLF avocation à améliorer la fongibilité descrédits et à augmenter l’autonomie –mais aussi la responsabilité – des ges-tionnaires. La réforme du code desmarchés publics peut, là encore, facili-ter l’action.

Malgré les progrès enregistrés, la ges-tion des ressources humaines reste leprincipal obstacle, notamment en rai-son de l’éclatement de la fonctionpublique en nombreux corps et de ladifficulté à promouvoir ou récompen-ser les agents contribuant au change-ment. Avec plus de 900 corps en pré-sence, la fonction publique d’État esten miettes. Une réforme du systèmeactuel apporterait une grande facilitédans la conduite des multiples change-ments à venir au cœur de l’appareiladministratif.

1.3. Le paradoxede la réforme réussie

Il arrive qu’un changement réussi seretourne contre l’administrationconcernée. Bien des acteurs interrogésreconnaissent un risque en la matière.Ce paradoxe revêt différentes manifes-tations.

En premier lieu, une réforme réussiene rencontre pas toujours auprès de

l’opinion publique la reconnaissanceattendue. À l’instar des trains qui arri-vent à l’heure, il semble qu’une réfor-me réussie connaisse une moindrerenommée que les réformes avortées.Il faut valoriser les réformes réussies,ceux qui les portent, et encouragertout ce qui peut “disséminer” lesleçons de réformes récentes ou encours, afin d’assurer une sorte d’ap-prentissage collectif de l’État en matiè-re de conduite du changement.

En deuxième lieu, loin d’être récom-pensé, le changement mené à bienpeut s’avérer pénalisant. D’une part,les gains d’efficacité et de productivitése traduisent – du point de vue desacteurs – par une perte de pouvoirdans le système global. À la DGA parexemple, le sentiment domine quecette réforme, “qui devrait être citée enexemple,” semble in fine lui portertort : son poids au sein du ministère dela Défense ayant diminué avec seseffectifs, la DGA est en situation de fai-blesse lors des arbitrages. Le sentimentest similaire aux Douanes : les gains deproductivité réalisés, avance-t-on, sontsupérieurs à ceux enregistrés dans les“grandes” directions du ministère del’Économie, des Finances et del’Industrie. Mais pesant moins lourdque celles-ci, les Douanes y gagnentune moindre reconnaissance.

D’autre part, il semble que des effortssupplémentaires soient en prioritédemandés aux administrations qui ontdéjà apporté la démonstration qu’ellessavaient se réformer ; c’est l’impressionau ministère de l’Équipement, réputé“efficient” et vers lequel on se tournedonc volontiers lorsqu’il s’agit de gelerdes crédits. Il en est de même pour laDGA, qui est mise à contribution plusque d’autres dans les réductions bud-gétaires : “on est parti pour payer deuxfois”. Au contraire, ailleurs dans l’État,des administrations réputées “irréfor-mables” restent à l’écart des efforts.

Conclusion

62

En dernier lieu, il arrive qu’une admi-nistration se soit tellement bien réfor-mée… qu’elle disparaisse, happée ourécupérée par d’autres : ce fut le cas dela DREE, désormais fondue dans lanouvelle direction générale du Trésoret de la politique économique. Unemanifestation plus extrême de ce para-doxe serait que les services de l’Étatqui se réforment le mieux soient vouésà quitter le périmètre public.

Il y a là un obstacle diffus mais poten-tiellement puissant face à la dyna-mique de changement, qu’il convientau contraire de rendre perpétuelle.

2. Du changement ponctuelau mouvement continu

Annoncer sans fin “la réforme del’État,” l’ériger en moment drama-tique, en proclamer “l’an I” tous lesdix-huit mois, ce n’est pas la servir.Ce qu’il faut, au contraire, c’estdédramatiser et “routiniser” le chan-gement, l’installer en quelque sortedans le logiciel permanent de l’État.Les seuls modèles d’organisationspérennes sont ceux capables de remi-ses en cause permanentes, spontané-ment ouverts à de nouvelles formesd’action et d’administration, capablesde détecter les meilleures pratiques etde les diffuser largement.

Tous les acteurs rencontrés évoquentainsi “un cercle vertueux du change-ment” dans lequel les réformes réus-sies aident à conduire les suivantes. Lechangement ne s’apparente donc pas àun moment, borné dans le temps parun début et une fin. Il a vocation àdevenir un processus permanent.Plutôt qu’une fin, c’est un point d’irré-versibilité qu’il faudrait atteindre afind’enclencher une dynamique d’amé-lioration continue, à la condition deveiller à la cohérence d’ensemble duprocessus de changement, en distin-

guant nettement les étapes et en amé-nageant des temps de pause ou de “di-gestion” entre les réformes successives.

Pour y parvenir, il faut que chaquechangement réussi rende le change-ment suivant moins difficile à condui-re. Encore faut-il dépasser une appro-che formaliste et évoluer vers uneconception élargie de ce que signifieun changement réussi. Dans cetteoptique, le changement n’est pas réus-si s’il se contente d’atteindre les objec-tifs qui, sur le fond, étaient fixés (parexemple améliorer la qualité du servi-ce rendu d’un facteur X, ou réduire lescoûts d’un facteur Y). Car cet objectifest peut-être atteint au détriment d’unautre aspect, ou au prix de la margina-lisation d’un acteur.

Selon cette conception élargie, unchangement est réussi lorsqu’il vérifieles dix critères suivants 17 :

1. sur le fond, naturellement, il satisfaitles motivations profondes de la réfor-me (contra : le nouveau dispositif, bienque formellement mis en place, n’estpas plus efficace que le précédent) ;

2. il aboutit à une situation d’ensembleplus satisfaisante que le statu quo ex-ante si le changement n’avait pas étéopéré (contra : l’amélioration constatéesur les objectifs fixés se fait au détri-ment d’autres objectifs que ne concer-nait pas la réforme, selon le principedes vases communicants) ;

3. il ne s’en tient pas à une approche aminima mais a su intégrer le maximumd’idées innovantes (contra : le change-ment, défini par en haut, n’a intégréaucune des idées émergeant en coursde processus, en provenance de tousles niveaux de la hiérarchie) ;

4. il est ancré dans des critères de légi-timité et de justification (contra : le

Conclusion

63

(17) Ces dix points sont inspirésd’une typologie devenue classiquedans les théories de la négociation ;cf. PEKAR LEMPEREUR (A.)et COLSON (A.), Méthode de négo-ciation, Paris, Dunod, 2004.

Conclusion

64

changement a été mis en œuvre par laseule contrainte, ou en invoquant uni-quement des pressions extérieures :“Bruxelles,” “les déficits,” etc.) ;

5. il maintient, et si possible améliore,les relations entre les acteurs de l’orga-nisation (contra : traumatisée par ledéroulement brutal de la réforme, l’or-ganisation est désormais plombée pardes relations exécrables entre lesacteurs qui la composent : par exempleentre dirigeants / dirigés, centre / servi-ces déconcentrés, directions opé-rationnelles / services communs, etc.) ;

6. il respecte le mandat fixé par l’auto-rité de tutelle (contra : à la faveur dujeu d’acteurs internes, le changement aété détourné des intentions initiales) ;

7. il tient compte des intérêts des par-ties prenantes qui, bien qu’absentes duchamp immédiat, sont intéressées à laréforme : typiquement, les usagers, lesorganismes partenaires, etc. (contra : lechangement s’est accompli sur le dosde partenaires extérieurs qui, lorsqu’ilss’en rendront compte, auront lesmoyens de se faire entendre) ;

8. il est fondé sur une communicationclaire, exempte de malentendus(contra : le changement a été réalisé àla faveur d’ambiguïtés et de malenten-dus qui, lorsqu’ils se révéleront, nour-riront blocages et conflits) ;

9. il a suivi un processus ayant permistout ce qui précède et qui, désormaisvalidé par les parties prenantes, pour-ra être reproduit ultérieurement(contra : le processus suivi n’a pasdonné satisfaction et ne peut servir defeuille de route pour un prochainchangement) ;

10. il diffuse ailleurs dans l’administra-tion des leçons et des bonnes pratiques(contra : il reste confiné dans un espa-ce segmenté de l’administration).

C’est en tâchant de respecter ces dixprincipes qu’une conduite raisonnéedu changement permettra de fairevivre, en lui rendant sa modernité, leprincipe d’adaptabilité qui est au fon-dement du service public. Avec l’éga-lité et la continuité, l’adaptabilité – oumutabilité – restent plus que jamaistrois principes essentiels à conforterdans les faits.

Direction générale des douanes et desdroits indirects (DGDDI)

Francis Bonnet, sous-directeur desRessources humaines, des Relationssociales et de l’Organisation, DGDDI

Michel Boudet, chef du bureau Orga-nisation, DGDDI

Michel Charasse, ancien ministre duBudget, sénateur du Puy-de-Dôme

Jean-Dominique Comolli, anciendirecteur général des Douanes et desDroits indirects

Anne Kletzen, chercheuse, Centre derecherches sociologiques sur le droitet les institutions pénales (CESDIP,CNRS)

François Mongin, directeur généraldes Douanes et des Droits indirects

Jean-Claude Saffache, ancien chef deservice à la DGDDI, trésorier-payeurgénéral de la région Nord–Pas-de-Calais

Direction des relations économiquesextérieures (DREE)

François Benaroya, conseiller tech-nique au Cabinet du ministre desAffaires européennes, ancien conseilleréconomique à la Direction, DREE

Philippe Delleur, chef de service, DREE

Jean-Marie Demange, sous-directeurAnalyse financière et Information,DREE

Jean-Daniel Gardère, ancien directeurgénéral du CFCE, conseiller écono-mique à Bruxelles

Clara Gaymard, présidente de l’Agen-ce française pour les investissementsinternationaux

Christophe Lecourtier, directeur decabinet adjoint du ministre délégué auCommerce extérieur

Philippe Moraillon, directeur de laDREE

Jean-François Stoll, trésorier-payeurgénéral, ancien directeur de la DREE

François Villeroy de Galhau, anciendirecteur général des Impôts, prési-dent-directeur général de CETELEM

Défense nationale, Direction desconstructions navales (DCN) et Délé-gation générale pour l’Armement(DGA)

Louis Gautier, conseiller-maître à laCour des comptes, ancien conseillerdu Premier ministre pour la Défense

Philippe Magnien, secrétaire général,DCN

Vice-amiral d’escadre Alain Oudot deDainville, major général de la Marine

Yves Reymondet, commissaire-colonelde l’armée de l’Air, conseiller auCabinet militaire du Premier ministre,puis à l’état-major de l’armée de l’Air

Alain Richard, ancien ministre de laDéfense

Capitaine de vaisseau Anne-Françoisde Saint-Salvy, adjoint au sous-chefd’état-major Programmes de la Marine

Michel Scialom, conseiller pour lesAffaires industrielles auprès du chefd’état-major de la Marine

Jacques Tournier, délégué généraladjoint pour l’Armement

Hughes Verdier, directeur exécutif,responsable du Secteur public, BearingPoint

Agence nationale pour l’emploi (ANPE)

Evelyne Antonio, ancienne directriced’agence, à la Direction de l’audit,Direction nationale de l’ANPE

Michel Bernard, directeur général del’ANPE

Michel Bon, ancien directeur généralde l’ANPE

Françoise Bouygard, chef de service à

65

ANNEXE 1

Liste des personnalitésrencontrées

Le titre indiqué est celui en vigueurlors de l’entretien ou de l’audition ;est ajoutée, le cas échéant, uneresponsabilité passée au titre delaquelle la personnalité était sollici-tée. Le contenu de ce Cahier duPlan n’engage aucunement laresponsabilité des personnes inter-rogées.

la Délégation générale à l’emploi et àla formation professionnelle du minis-tère de l’Emploi, du Travail et de laCohésion sociale

Stéphane Clément, délégué adjoint,Délégation générale à l’emploi et à laformation professionnelle

Jean-Louis Daguerre, directeur généraladjoint, ANPE

Raymond Lagré, directeur régional,Direction régionale Midi-Pyrénées,ANPE

Seita et Altadis

Frédérique Bartlett, secrétaire généra-le, CGT-Tabac

Gérard Blanc, directeur des Ressour-ces humaines - France et Cigarettes

Michel Charasse, ancien ministre duBudget, sénateur du Puy-de-Dôme

Christian Codron, directeur de l’usinedes tabacs de Riom

Jean-Dominique Comolli, ancien direc-teur de Cabinet du ministre du Budget,co-président du groupe Altadis

Gérard Davion, secrétaire général del’UNSA / FSAS

Antoine Filippi, directeur des Rela-tions sociales

Christian Geffroy, secrétaire de laCGT-Tabac

Bernard Machabert, responsableRessources humaines de l’usine destabacs de Riom

Gilbert Montant, secrétaire de la CGT-Tabac

Experts étrangers

David Albright (Royaume-Uni), chefde projet au sein de la Prime Minister’sStrategy Unit et du Prime Minister’sOffice of Public Services Reform

Jacques Bourgault (Canada), profes-seur d’administration publique, uni-versité du Québec à Montréal

(UQAM) et École nationale d’adminis-tration publique (ENAP)

S. E. Jocelyne Bourgon (Canada), repré-sentante permanente du Canadaauprès de l’OCDE, greffière du Conseilprivé, secrétaire du Cabinet du gouver-nement du Canada de 1994 à 1999

Yann Duzert (Brésil), professeur,Fondation Getulio Vargas, animateurauprès de la Présidence brésilienned’un programme de formation destinéà accompagner le mouvement deréformes au Brésil

Jean-Louis Hérivault (Canada), chef duBureau du Québec, Ottawa

Gary Matthews (États-Unis), directeurdes Affaires internationales, Académienationale d’administration publique

Geoff Mulgan (Royaume-Uni), direc-teur de la Prime Minister’s Strategy Unit

Wolfgang Nowak (Allemagne), ancienconseiller du Chancelier Schröder,porte-parole de l’Alfred HerrausenGesellschaft

Dr. David Osborne (États-Unis), ancienconseiller auprès du Vice-PrésidentGore, animateur de la “NationalPerformance Review”, collaborateur duPublic Strategies Group

Jamie Rentoul (Royaume-Uni), direc-teur adjoint de la Prime Minister’sStrategy Unit

Adriaan Schout (Pays-Bas), professeurassocié, Institut européen d’adminis-tration publique

Dr. Wendy Thomson (Royaume-Uni),conseillère du Premier ministre britan-nique pour la Réforme de l’État

Barry White (États-Unis), Council forExcellence in Government, après unecarrière de trente ans au sein del’Office of Management and Budget

David Willets MP (Royaume-Uni),député, ancien conseiller pour les étu-des de Margaret Thatcher et ShadowSecretary for Pensions et Social Security

Annexe 1

66

Janice Wykes (Australie), secrétaireadjointe chargée de la Réforme del’État au sein du Cabinet Implementa-tion Unit, Bureau du Premier ministre

Autres personnalités rencontrées

Marc Benayoun, vice-président, TheBoston Consulting Group, Paris

Renaud Dorandeu, professeur desUniversités, directeur des études,École nationale d’administration

Renaud Dutreil, ministre de laFonction publique et de la Réforme del’État

Vincent Léna, conseiller référendaire àla Cour des comptes, secrétaire géné-ral du Comité d’enquête sur le coût etle rendement des services publics

Elisabeth Lulin, inspectrice généraledes Finances, présidente-directricegénérale de Paradigmes etc.

Claude Martinand, vice-président duConseil général des Ponts et Chaussées

Francis Mer, ancien ministre de l’Éco-nomie, des Finances et de l’Industrie,président du Comité d’évaluation desstratégies ministérielles de réforme

François-Daniel Migeon, conseiller deM. Éric Woerth, secrétaire d’État à laRéforme de l’État

Serge Vallemont, directeur honorairedu Personnel et des Services, ministè-re de l’Équipement, ingénieur généraldes Ponts et Chaussées

Ont apporté leur contribution auxtravaux du groupe Ariane

Aurélien Colson, chef de projet,rédacteur de ce Cahier du Plan, char-gé de mission, Commissariat généraldu Plan

Les études de cas ont pu compter sur lescontributions des membres suivants duCommissariat général du Plan :

Sylvie Bénard, chargée de mission,chef de projet du groupe Cosmos

Pierre-Yves Cusset, chargé de mission

Nathalie Guichard, assistante

Bruno Hérault, chargé de mission,chef de projet du groupe transversalAleph

Cécile Jolly, chargée de mission, chefde projet du groupe Isis

Lucile Schmid, chef du Service de lamodernisation de l’État, chef de projetdu groupe Sigma

Marguerite Lebrec, chargée d’études(du 08.03. au 08.10. 2004)

François Géraud, stagiaire (du 02.10.2003 au 09.07. 2004)

Mounir Corm, stagiaire (du 07.07. au20.09. 2004)

Chantal Quinquies, stagiaire (du13.12. 2004 au 11.03. 2005)

Liste des personnalités rencontrées

67

Sur la conduite du changement et laréforme de l’État en général

ADAM (G.), REYNAUD (J.-D.), Conflits dutravail et changement social, PUF,1978

ALBERTINI (J.-B.), Réforme administrati-ve et réforme de l’État en France : thè-mes et variations de l’esprit de réformede 1815 à nos jours, Economica, 2000

BLANC (C.), L’État stratège, garant del’intérêt général, rapport du groupe detravail du Commissariat général duPlan, 1993

BRUNHES (B.), “Moderniser l’État,moderniser le service public”,Futuribles, n° 287, juin 2003, p. 29-39

BURDEAU (G.), L’État, Seuil, 1970

CONSEIL D’ÉTAT, Perspectives pour lafonction publique, La Documentationfrançaise, 2003

CROZIER (M.), État modeste, Étatmoderne. Stratégies pour un autrechangement, Fayard, 1987

REVUE ESPRIT, “Le pari de la réforme”,dossier spécial, mars-avril 1999,p. 138-229

FAYOL (F.) ET KERVELLA (M.-C.),“Réformer avec les fonctionnaires”, LeMonde Initiatives, n° 37, janvier 2005.

FAUROUX (R.) ET SPITZ (B.), dir., NotreÉtat : le livre vérité de la fonctionpublique, Robert Laffont, 2001

FAUROUX (R.) ET SPITZ (B.), dir., Étatd’urgence - Réformer ou abdiquer : lechoix français, Robert Laffont, 2004

FRANÇOIS (J.-J.), Des services publicsperformants, c’est possible !, First,2004

GUILLAUME (H.), DUREAU (G.) et SILVENT

(F.), Gestion publique : l’État et la per-formance, Dalloz, 2002

GUYON (C.) et ALII, Moderniser les ser-vices publics : mission possible, LesÉditions d’organisation, 1998

HUREAUX (R.), “Le bêtisier de la réfor-me de l’État,” Commentaire, n° 107,automne 2004, p. 757-764

LACASSE (FR.), VERRIER (P.-E), 30 ans deréforme de l’État. Expériences françai-ses et étrangères : stratégies et bilans,Dunod, 2005, notamment la contribu-tion de F. BASSANINI sur les leçons del’expérience italienne, p. 57-82

MARINI (Ph.), dir., Services publics :réussir le changement, Prélude etFugue, 2004

MONTBRIAL (T. DE), dir., Réformes-révo-lutions – Le cas de la France, actes ducolloque de l’Académie des sciencesmorales et politiques, PUF, 2003

PADIOLEAU (J.-G.), Le réformisme per-vers. Le cas de la réforme des pom-piers, PUF, 2002

PADIOLEAU (J.-G.), “Une piété françai-se : ‘la réforme de l’État’”, Le Débat,n° 119, mars-avril 2002, p. 20-34

PICQ (J.) dir., L’État en France – Servirune nation ouverte sur le monde, rap-port de la mission sur les responsabili-tés et l’organisation de l’État, rendu auPremier ministre, mai 1994

PICQ (J.), “Faut-il réformer notre État ? :exigences et leviers de changement”,Revue française d’administrationpublique, n° 75, août-septembre1996, p. 473-482

ROUBAN (L.), “La classe politique fran-çaise face à la réforme de l’État”,Pouvoirs locaux, n° 55, décembre2002

ROUBAN (L.), “Quelle réforme pourl’État en France ?”, Futuribles, n° 263,avril 2001, p. 5-22

SCHMID (L.), “Crise et réforme de lahaute fonction publique”, Notes de laFondation Saint-Simon, 1997

THOENIG (J.-Cl.), “La réforme de l’État,ou comment s’en débarrasser ?”,Pouvoirs locaux, n° 55, décembre 2002

69

ANNEXE 2

Bibliographie

TROSA (S.), Moderniser l’administration– Comment font les autres ?, Les Édi-tions d’Organisation, 1995

TRUCHET (D.), “Unité et diversité desgrands principes du service public”,AJDA, numéro spécial, juin 1997

VALLEMONT (S.), Gestion dynamique dela fonction publique : une méthode,rapport du Commissariat général duPlan, 2000

TENZER (N.), France : la réforme impos-sible ?, Flammarion, 2004

“Moderniser les administrations publi-ques”, Cadres CFDT, n° 399, mai2002, p. 3-62

Expériences étrangères

ANNUAIRE EUROPÉEN D’ADMINISTRATION

PUBLIQUE, “25 ans de réformes admi-nistratives en Europe : pour quel ave-nir ?” Bilan et perspectives, volumen° 25, Presses universitaires d’Aix-Marseille, Faculté de droit et sciencepolitique, 2002

BRAUN (G.), La réforme de l’État àl’étranger, rapport d’information surune étude comparative portant sur laréforme de l’État à l’étranger, Sénat, 31mai 2001

ENAP-OBSERVATOIRE DE L’ADMINISTRA-TION PUBLIQUE (Québec), “La réformebritannique après 20 ans : éléments debilan”, Télescope, volume 7, numé-ro 3, septembre 2000

GOMEZ (M.-J.), “La modernisation del’État en Espagne”, Gérer et Compren-dre, septembre 1996, p. 16-24

GOUVERNEMENT DU QUEBEC, Pour demeilleurs services aux citoyens : unnouveau cadre de gestion pour lafonction publique, Bibliothèque natio-nale du Québec, 1999

GRINDLE (M.), Designing Reform :Problems, Solutions, and Politics,Kennedy School of Government,Harvard University, Faculty Researchdocuments de travail, novembre 2000

KETTL (D. F.), The Global Public Mana-gement Revolution – A report on theTransformation of Governance,Washington, DC, Brookings Institution,2000

MEININGER (M.-C.), dir., et PAUZIES (J.-C.), collab., La modernisation des ser-vices publics dans cinq pays d’Euro-pe : étude comparative. Introductiongénérale, Institut international d’admi-nistration publique, mai 1999

OCDE, “Construire aujourd’hui l’ad-ministration de demain. La réforme dela gestion publique : un objectif com-mun”, PUMA, note de synthèse, n° 9,juin 2001

OSBORNE (D.), Banishing Bureaucracy :The Five Strategies For ReinventingGovernement, Reading, Massachusetts,Addison-Wesley, 1997

TALBOT (C.), “La réforme de la gestionpublique et ses paradoxes : l’expérien-ce britannique”, Revue française d’ad-ministration publique, n° 105/106,2003, p. 11-24

Processus

DUPUY (F.), L’alchimie du changement,Dunod, 2001

KOTTER (J. P.), “Leading Change : WhyTransformation Efforts Fail”, HarvardBusiness Review, mars-avril 1995,p. 59-67

LULIN (E.), dir., “Comment fait-on pourréformer ?”, Sociétal, n° 34, 2001

MINISTÈRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE

LA RÉFORME DE L’ÉTAT ET DE LA DÉCENTRA-LISATION, Comment piloter le change-ment dans l’administration ?, journéesd’étude, Direction générale de l’admi-nistration et de la fonction publique,Délégation interministérielle à laréforme de l’État, compte rendu du 27novembre 1998

PEKAR LEMPEREUR (A.) ET COLSON (A.),Méthode de négociation, Dunod,2004

Annexe 2

70

SCHICK (A.), “Opportunité, stratégie ettactique pour la réforme de la gestionpublique”, Revue de l’OCDE sur lagestion budgétaire, volume 2, n° 3,décembre 2002, p. 7-39

TENZER (N.), “Qui a peur de la réfor-me ?” et “Petit vade-mecum de laréforme”, Le Figaro, 26 et 27 janvier2004

Place des usagers

BON (M.), “Sur la réforme de l’État : del’usager au client”, Commentaire, volu-me 25, n° 97, printemps 2002, p. 13-18

BRUNHES (B.), dir., rapport du Groupen° 5 : Syndicalisme, négociations etconflits sociaux dans le service public,ENA, promotion “Victor Hugo”,décembre 1990

DUPUY (F.), Le client et le bureaucrate,Dunod, 1998

WELLER (J.-M.), L’État au guichet : socio-logie cognitive du travail et modernisa-tion administrative des services publics,Desclée de Brouwer, 1999

Études de cas

ANPEASSEMBLÉE NATIONALE, rapport de lacommission d’enquête de l’Assembléenationale sur les aides à l’emploi, 27juin 1996

BON (M.), “Sur la réforme de l’État : del’usager au client”, Commentaire, vol.25, n° 97, printemps 2002, p. 13-18

ÉTAT / ANPE, Premier contrat de progrèsÉtat / ANPE (1990-1993) ; Deuxièmecontrat de progrès État / ANPE (1994-1998) ; Troisième Contrat de progrèsÉtat / ANPE ; Orientations pour le qua-trième contrat de progrès

MARIMBERT ET JOLY, Le rapprochementdes services de l’emploi, rapport auministre des Affaires sociales, duTravail et de la Solidarité, LaDocumentation française, 2004

MINEFI, DREE, DouanesBERT (T.) ET CHAMPSAUR (P.), Construireensemble le service public de demain,rapport au ministre de l’Économie, desFinances et de l’Industrie, janvier2000

BRANA (P.), Les conventions européen-nes de coopération douanière”, rap-port de l’Assemblée nationale,n° 2448, juin 2000

CHOUSSAT (J.), PALLEZ (F.) ET PAVE (F.),“Contre l’ankylose administrative. Grosplan sur l’administration des finances”,Annales des Mines, “Gérer et Compren-dre”, n° 34, mars 1994, p. 72-86

CONSIGNY (P.), La gestion de la fiscalitéet du contrôle des marchandises, aprèsla disparition des frontières douanièreset fiscales intracommunautaires, au 1er

janvier 1993, rapport, 1991

KLETZLEN (A.), “La Douane face aux tra-fics de cigarettes et de monnaies”, Étu-des et données pénales, n° 94, CES-DIP, 2003

KLETZLEN (A.), “La Douane, un acteurde la justice pénale”, Questions péna-les, CESDIP, janvier 2003

PAULARD-LAPANATS (Cl.), Les douaniersfrançais, la frontière et la constructioneuropéenne, IHESI, janvier 1999

PERNOT (J.-M.), “Le ministère desFinances et la mission 2003 : regardssur une réforme manquée”, Revue del’IRES, n° 39, 2002, p. 115-155

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71

Bibliographie

Annexe 2

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GAUTIER (L.), Mitterrand et son armée :1990-1995, Grasset, 1999

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GHOSN (C.) et RIES (Ph.), Citoyen dumonde, Grasset, 2003

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72