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L A R E V U E D E S B I B L I O T H Q U E S
J A N V I E R - F V R I E R 2 0 1 4 B I M E S T R I E L
LE MTIER DE BIBLIOTHCAIRE EN FDRATION WALLONIE-BRUXELLES
184
-
1
-
1 D I T O R I A L
1
Des bibliotheques tous publics pour dessiner le monde futur
D es changements importants sont visibles dans les bibliothques publiques depuis une dizaine dannes. Le dcret du 30 avril 2009 relatif au dveloppement de pratiques de lecture, adopt mon initiative, y a contribu.
Ce dcret a suscit des volutions importantes voire mme
radicales dans lapproche du ncessaire dploiement de la lec-
ture et de lcriture, dans lapprhension du dveloppement
de leurs pratiques au cur de nos villes et de nos communes.
Si chaque bibliothque affirme la singularit de son action
avec la population quelle dessert directement, je peux obser-
ver certaines tendances qui me rjouissent.
Les bibliothques se sont ouvertes des publics qui leur
taient peu habituels prcdemment. Elles ont aussi compris
que susciter lapptit de lire et dcrire impliquait de propo-
ser des actions diverses, adaptes des publics diffrents aux
attentes varies. Des partenariats se construisent progressi-
vement, par exemple avec des groupes daction locaux, des
CPAS, des centres de jeunes, des crches, des centres cultu-
rels, des centres cratifs, des services de cohsion sociale ou
encore avec des prisons. Tous ces liens constituent des syner-
gies durables et fortes dans lesquelles les comptences des
bibliothques publiques sont de plus en plus valorises et
reconnues.
On connaissait dj tout le travail men dans les biblio-
thques, depuis le dbut du XXIe sicle, pour viter ce quil est
convenu dappeler la fracture numrique et ses effets dexclu-
sion. Ce travail dinformation, de formation, danalyse critique
des sources et daccompagnement se poursuit sans discon-
tinuit. De plus, des bibliothques amnent leurs publics
utiliser les rseaux sociaux, les facilits dInternet pour crer
des contenus (avec des citoyens de leur territoire) et surtout
pour les changer.
Je retiens aussi toutes les activits hors les murs qui sont
ralises aujourdhui. Tant et si bien que cette expression sera
bientt obsolte, si elle ne lest dj. Car le point dancrage
des bibliothcaires et de leurs animateurs nest plus constitu
par les locaux de la bibliothque et leur contenu, mais par
le territoire et sa population. Les ressources documentaires
des bibliothques sont de plus en plus considres comme un
moyen daccomplir une mission de dveloppement culturel,
intellectuel, citoyen, et non comme une fin en soi.
Les bibliothques publiques ont galement pris en compte
la question de lapprentissage et de lappropriation du fran-
ais pour les personnes illettres ou qui ne pratiquent pas le
franais, notamment en synergie avec les associations ddu-
cation permanente.
Le rseau des bibliothques locales et itinrantes remplit
une mission de service public dimportance fondamentale
puisquelle vise une des composantes de base de nos pra-
tiques citoyennes et dmocratiques : lcrit. charge pour
les professionnels et leurs partenaires de construire cette
mission et les services qui la concrtisent en respectant des
principes de libert et dgalit.
Le renouvellement du travail mener avec les enfants et les
adolescents en ge scolaire et les collaborations nouer avec
linstitution scolaire constituent encore un dfi rencontrer.
Comme ces jeunes constituent plus de quarante pour-cent de
la population qui frquente les bibliothques, il ne saurait en
tre autrement.
Je veille ce que ce travail progresse travers plusieurs pro-
jets. Je soutiens limplantation de classes-lecture et la diss-
mination de cette action. Avec mon collgue Jean-Claude
Marcourt, ministre en charge de lenseignement suprieur, je
soutiens galement la rflexion sur la formation des matres
lapprentissage de la lecture et de lcriture en relation avec les
bibliothques. Le 13 fvrier prochain, nous ferons le point ce
sujet, lors dun colloque organis au Parlement de la Fdration
Wallonie-Bruxelles qui rassemblera bibliothcaires, animateurs,
enseignants, formateurs et responsables communaux. Il sagira
dun moment important pour baliser cette nouvelle volution.
Je veux enfin souligner la structuration relle du rseau public
de la lecture, bnficiant dune attention soutenue des opra-
teurs dappui qui, eux aussi, ont rvis fortement leur rle et
lont adapt. Cest dans ce cadre mutualis que se construit
un rservoir important de ressources partages et de projets
communs en devenir, de services mutualiss, de partage de
travail et de complmentarits.
Puisse laction des bibliothques, de leurs personnels, de
leurs usagers et participants, tre un ferment visible des
changements qui permettent aux citoyens de se former, de
senculturer . Puissent les professionnels et les citoyens
dvelopper leur travail en commun, dessiner ensemble leur
place et leurs relations dans un monde o linformation est
multiple, abondante, redondante. Puissent-ils dvelopper en-
core davantage lorganisation de rencontres avec dautres, le
partage du plaisir et de leffort de lire et dcrire, de dcrire
et danalyser le monde, de le transformer par la circulation de
lcrit. Bref, de produire de la culture. F a d i l a L a a n a n ministre de la Culture , de l Audiovisuel ,
de la Sant et de l gal it des chances
-
21 DITORIAL
Des bibliothques tous publics
pour dessiner le monde futur
par Fadila Laanan
4 INTERNET
La communication numrique de la bibliothque
par Philippe Allard
9 SOCIT
9 - Environnement. mois ! Et moi ?
par Michel Bougard
14 - Rire et sourire
par Vinciane Strale
17 - Moi mon colon, celle que jprfre,
cest la guerre de 14-18
par Pol Charles
24 - Lart autrement
par Lara de Mrode
28 - Alfred Wallace, lautre inventeur
de la thorie de lvolution
par Jean-Franois Feg
Lectures n18432e anne Janvier-Fvrier 2014Ne parat pas en juillet-aotISSN 0251-7388
Photo de couv :La Bibliothque communale Herg Etterbeek Photo Rino Noviello
29 AVENTURE
Dsesprance, vasion
par Jacques Crickillon
33 DOSSIER
Le mtier de bibliothcaire
en Fdration Wallonie-Bruxelles
118 JEUNESSE
118 - Je ne retournerai plus lcole
par Michel Defourny
121 - Des romans chez Didier Jeunesse
par Maggy Rayet
125 - Chlo Perarnau et Fanny Dreyer,
jeunes talents
130 - Festival des illustrateurs jeunesse 2013
Moulins
133 - Humour et littrature de jeunesse
par Isabelle Decuyper
B I M E S T R I E L
S O M M A I R ERR
-
3137 BD
Grandeur et dcadence
par Franz Van Cauwenbergh
142 JEU
Salon de Essen 2013
par Pascal Deru
147 BRVE
Fureur de Lire 2013 et 2014
148 POCHE
par Marie-Angle Dehaye
155 RECENSION
176 RDACTION DE LECTURES
29
125
J A N V I E R - F V R I E R 2 0 1 4
Bibliothque de Berchem-Sainte-Agathe tienne Bernard
33 D O S S I E RLE MTIER DE BIBLIOTHCAIRE EN FDRATION WALLONIE-BRUXELLES
-
4 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
I N T E R N E T
La communication numrique de la bibliothque ne se rsume pas un site web
Un site web, cest sans doute une vitrine mais
une vitrine qui doit tre anime. Cest un outil dchange et de
transaction avec le lecteur. Et la communication
numrique de la bibliothque doit aussi se
dcliner sur les rseaux sociaux...
Les plus beaux sites web de bibliothques
La tendance est aux classements, aux tops .
Sauf que sil est facile de trouver des classe-
ments des plus belles bibliothques (btiments)
du monde, il nen est pas de mme des sites
web des bibliothques ! Pas de classement dans
le monde francophone donc, mais on essaiera
nanmoins ici de reprer quelques articles
amricains partir desquels tirer quelques en-
seignements : 20 Great Public Library Websites1,
Top 10 Public Library Websites 20122.
par Philippe ALLARDjournaliste
1 In Blog mattanderson.org (www.mattanderson.org/
blog/2013/02/11/20-great-public-library-websites/).
2 In The cloudy librarian (emilysingley.net/top-10
public-library-websites-2012/).
Bibliothque Adresse CMS RWD
Arlington Public Library library.arlingtonva.us Wordpress Non
Birmingham Public Library www.bplonline.org Non affi ch Non
Brantford Public Library brantford.library.on.ca Non affi ch Non
Carnegie Library of Pittsburgh www.carnegielibrary.org Non affi ch Non
Cleveland Public Library www.cpl.org DotNetNuke Non
Columbus Metropolitan Library www.columbuslibrary.org Drupal Non
Daniel Boone Regional Library www.dbrl.org Drupal Non
Iowa City Public Library www.icpl.org Non affi ch Non
Lawrence Public Library www.lawrence.lib.ks.us/ Wordpress Oui
Los Angeles Public Library www.lapl.org Drupal Non
McAllen Public Library www.mcallenlibrary.net Sitefi nity Non
Monterey Public Library www.monterey.org/library/Home.aspx DotNetNuke Oui
Multnomah County Library www.multcolib.org Drupal Oui
New York Public Library www.nypl.org Drupal Oui
Oak Park Public Library www.oppl.org Drupal Non
Princeton Public Library princetonlibrary.org Drupal Non
Salt Lake City Public Library www.slcpl.org Non affi ch Non
Scottsdale Public Library www.scottsdalelibrary.org Non affi ch Non
St. Louis County Library slcl.org Drupal Non
Steamboat Springs Public Library www.steamboatlibrary.org Drupal Non
Topeka and Shawnee County Public Library www.tscpl.org Wordpress Non
William F. Laman Public Library www.lamanlibrary.org Non affi ch Non
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5Lectures 184, janvier-fvrier 2014 5
3 La Carnegie Library of Pittsburgh propose plusieurs blogs et podcasts (www.carnegielibrary.org/books/blogs.cfm). 4 Wikipdia (fr.wikipedia.org/wiki/Portail_web). 5 Dans certaines communes, la bibliothque est prsente sur le web travers un sous-site du site communal (biliotheque.nimes.fr). 6 Citons AFI, Aquabrowser, Archimed, Decalog, Ex Libris, Koha, Infor, Innovative, Vubis Smart, Worldcat. 7 La bibliothque de Princeton (www.princetonlibrary.org/connect/contact/ask) permet de prendre rendez-vous pour une consultation, de poser des questions par mail ou mme de chatter partir du site de la bibliothque. Le Chat with a Librarian (www.lawrence.lib.ks.us/contact-us/chat-with-a-librarian/) la bibliothque de Lawrence. 8 Par la voie numrique, on peut accder des documents prcieux comme la Bibliothque Valenciennes (bibliotheque.valenciennes.fr/fr/bibliotheque-de-valenciennes/patrimoine/patrimoine-en-ligne/manuscrits-a-feuilleter-en-ligne.html) qui permet de feuilleter en ligne ses plus beaux manuscrits enlumins du IXe au XVIe sicle. 9 Comt de Saint-Louis (2012.slcl.org). 10 Le site des Bibliothques de Brest comprend un organigramme (sans schma) avec les noms et coordonnes des contacts.
11 Les questions sur le rseau des mdiathques de Montpellier (mediatheque.montpellier-agglo.com/le-reseau/web-tv-114121.khtml?RH=1159291833487). 12 Ressources en ligne dans Lire au Havre (lireauhavre.fr/fr/ressources). Lille (www.bm-lille.fr/index.php?id=207&L=1), ces ressources sont accessibles via le compte lecteur ou via la plateforme du service en ligne.
I N T E R N E T
Quels sont les lments mis en valeur dans
les sites ainsi slectionns ? La recherche dans
le catalogue, les services de la librairie, lutili-
sation des rseaux sociaux, la mise en valeur
des nouvelles acquisitions, lutilisation mobile,
lexistence dun blog3, loffre de livres num-
riques (ebooks), lattention porte au jeune
public.
Le blog du cloudy librarian insiste sur
lutilisabilit (usability) savoir la facilit
de navigation (par exemple la possibilit de
revenir sur le site de la bibliothque lorsquon
est dans le catalogue), le caractre compr-
hensible de linformation (pas de jargon), la
facilit de recherche, lattractivit (grce au
webdesign).
Site ou portail
Parce quun site est beau et anim doit-il ab-
solument se prsenter comme un portail ?
Un portail web (de langlais Web portal)
est un site web qui offre une porte dentre
commune un large ventail de ressources
et de services accessibles sur lInternet et
centrs sur un domaine dintrt ou une
communaut particulire. Les ressources
et services dont laccs est ainsi rassembl
peuvent tre des sites ou des pages web, des
forums de discussion, des adresses de cour-
rier lectronique, espaces de publication,
moteur de recherche, etc. [] Un site portail
institutionnel est un portail web servant de
voie daccs vers les diffrents sites dun or-
ganisme. [] Le site portail permet de redi-
riger linternaute vers le site de lorganisme
qui correspond le mieux ses attentes en
fonction de son profil 4.
Il ne faudrait donc pas confondre un site mo-
derne5, riche avec un portail. Il sera par contre
question dun portail lorsquun site municipal
sert de porte dentre aux sites ou pages web
des bibliothques communales ou lorsquun
site de bibliothque donne accs un service
tel quun catalogue en ligne.
Par OPAC (Online Public Access Catalogue), on
dsigne littralement un catalogue en accs
public en ligne. Si ce catalogue est accessible
via le web et non plus uniquement depuis les
locaux de la bibliothque on le qualifiera de
webOPAC (ou de webpac)6.
Des informations de base
Une srie dinformations lies la biblio-
thque, son administration, son fonctionne-
ment quotidien doivent tre mises en ligne. Il
sagit de :
- ladresse ;
- la localisation avec un plan dynamique
dans lequel peuvent figurer les autres bi-
bliothques, avec les moyens daccs ;
- les horaires ;
- les moyens de contact (tlphone, ven-
tuellement fax, le courrier lectronique via
un ou plusieurs e-mails ou formulaires)7 ;
- les services proposs (bibliothque, espace
public numrique, bibliothque mobile,) ;
- lorganisation de la bibliothque ;
- la prsentation des fonds8 ;
- les rgles de prt et de fonctionnement
(rglement intrieur, reproduction de
documents) ;
- une foire aux questions (FAQ).
Des rubriques peuvent tre cres pour dis-
tinguer des publics (enfants, adolescents,
adultes).
Des bibliothques racontent leur histoire, celle
des lieux, publient leur rapport annuel9, pr-
sentent leur vision et les membres du per-
sonnel10. Toutes les prsentations et explica-
tions ne sont pas ncessairement textuelles ;
elles peuvent aussi tre proposes sous forme
vido11.
Des liens relient la bibliothque la commune
puisque parmi les liens utiles peuvent figu-
rer les liens vers le site communal, lagenda
culturel communal, des sites de rfrence. Des
ressources en ligne12 peuvent aussi tre pro-
poses. Elles peuvent aussi tre accessibles
via des sites de partage. Des bibliothques
donnent accs une offre de presse en ligne
propose aux abonns.
Des informations renouveles
Linformation sur les documents ne consiste
pas seulement en une prsentation gn-
rale des fonds. Dans les diffrentes rubriques
(selon la nature du document, son genre, son
public) sont mis en valeur les nouveauts, des
recommandations des bibliothcaires (ou des
lecteurs), un livre du jour (Book of the Day)
-
6 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
exposition, elle peut lannoncer, couvrir le ver-
nissage (avec des photos par exemple), rap-
peler des vnements qui sintgrent dans le
programme comme des confrences, avertir
quelle sera prochainement termine Il faut
soi-mme se manifester. Un auteur vient la
bibliothque ? Il faut le faire savoir sur mon
mur facebookien... sans oublier celui de
son diteur ou de ses fans. Cest un spcialiste
dans un domaine dtermin (science-fiction),
ny a-t-il pas des pages de fans de ce genre sur
lesquels intervenir ? Il ne sagit pas seulement
de diffuser ses propres messages mais aussi de
partager les messages susceptibles dint-
resser les lecteurs.
Facebook ne se limite pas du texte et il faut
donc pouvoir attirer lattention avec des pho-
tos et des vidos susceptibles dtre vues et
partages.
Il ne faut pas non plus ngliger les mdias
sociaux plus visuels comme Pinterest16. Le
recours la vido et aux sites de partage peut
simaginer pour annoncer une activit (une
bande-annonce ou trailer) et la couvrir, par
exemple en diffusant une confrence ou une
interview du confrencier.
La possibilit pour le lecteur de commenter
un ouvrage ou de ragir lapprciation dun
bibliothcaire favorise les changes lecteurs-
bibliothque et entre lecteurs.
Dans un registre davantage de diffusion, une
bibliothque peut proposer labonnement
une lettre dinformation.
Des outils de recherche
La recherche dans un catalogue peut tre
simple ou avance. La recherche peut tre
affine en tenant compte de la localisation
(dans quelle bibliothque doit se trouver le
document ?), des termes de la recherche
(avec hyperboolens), le champ dans lequel
doit se porter la requte (titre, auteur, sujet,
diteur, indice CDU, ISBN, ISSN ou ISMN,
type de document ou support, type de no-
tice, genre littraire), de mots-cls intgrs
dans un thesaurus... Le systme peut ven-
tuellement stocker le nombre de rsultats
(notices) par page (liste) et les prfrences
de lutilisateur en ce qui concerne le mode
de recherche.
ou un livre mis sous les projecteurs (In the
Spotlight).
Les activits venir (upcoming events) telles
que les confrences et dbats, rencontres
avec des auteurs, animations pour enfants,
doivent tre prsentes et les annonces les
plus proches devraient apparatre en page
daccueil.
Un blog (ou un Tumblr) permet de mettre en
ligne des informations gnralement courtes
sur un ton diffrent de la prose officielle de
la bibliothque. Cest l que les bibliothcaires
utilisent le je pour mettre en vidence des
trouvailles.
Des images
Le site dune bibliothque se doit dtre visuel.
La tendance est aujourdhui au diaporama
(slideshow) en page daccueil. On peut y faire
figurer des images illustrant les diffrentes ac-
tivits de la bibliothque. On utilise un mode
carrousel pour mettre en valeur des couver-
tures de livres.
Une animation permanente
Pour quun site vive, son contenu doit tre
renouvel. Il sagit bien videmment de lan-
nonce dactivits de type confrences, ren-
contres, ateliers,... Des contenus peuvent
aussi tre renouvels aisment et automati-
quement en intgrant des contenus achemi-
ns via des fils RSS.
Une interaction
Il faut interagir avec le public. Cette interac-
tion consiste aussi rpondre au courrier
lectronique (des formulaires en ligne peuvent
favoriser cet change) et ragir, si besoin est,
des commentaires sur le blog de la biblio-
thque ou dans les rseaux sociaux. Certains
sites incitent poser une question aux biblio-
thcaires, ventuellement via chat.
La prsence de la bibliothque sur des r-
seaux sociaux13 comme Facebook14, Twitter,
Google+15 lui permet dattirer lattention sur
son activit. Par exemple, si elle accueille une
13 Les bibliothques de Brest par exemple sont actives sur Facebook
(www.facebook.com/bibliobrest), Twitter (twitter.com/bibliobrest),
galement DaiyMotion (www.dailymotion.com/bibliobrest).
14 Page Facebook des
Mdiathques Municipales Saint-tienne (www.facebook.com/
mediathequesmunicipales.saintetienne).
15 Bib2strasbourg sur Google+ (plus.google.
com/u/0/105145113610088370470/posts).
16 Comme la Lawrence Public
Library (http://www.pinterest.com/lawrencelibrary/).
I N T E R N E T
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7Lectures 184, janvier-fvrier 2014
pour permettre de noter un titre emprunt, de
le recommander, de recevoir des recomman-
dations personnalises.
Au regard du dcret
En Fdration Wallonie-Bruxelles, un tel por-
tail saccorde avec le dcret du 30 avril 2009
qui vise dans son article Ier favoriser laccs
au savoir et la culture par la mise dispo-
sition de ressources documentaires et cultu-
relles sur tous supports, matriels et immat-
riels de mme qu permettre leurs utilisations
multiples par le plus grand nombre .
Le portail peut favoriser les pratiques de lec-
ture18 dautant plus que certaines sont num-
riques. Par pratiques de lecture, on entend
en effet toutes formes de lecture sur tous
supports concernant diffrents types dcrits
ou de documents tels que notamment, livres
fonctionnels et non fictionnels, revues, maga-
zines, journaux, courriels, pages web, blogs,
forums, cdroms, dvd, e-books ou weblivre,
jeux qui permettent aux lecteurs des pratiques
dchanges avec dautres afin de reconstruire
le sens dun contenu .
Par ailleurs, on rappellera que, lors de la recon-
naissance de la bibliothque, une attention est
porte sur la qualit des stratgies de visibilit
et de marketing de la bibliothque.
Les catalogues peuvent diffrer dans leur
manire dafficher les premiers rsultats (avec
vignettes plus ou moins importantes chez
Iguana par exemple, avec des menus dploys
chez AFI), den favoriser le tri via une recherche
facettes17 et, finalement, de prsenter le
rsultat final de la recherche (avec la dispo-
nibilit de louvrage). Les possibilits offertes
par les webopac actuels sont sans doute as-
sez similaires. Certains webopac prsentent
des petits plus dont chacun valuera lutilit :
Decalog propose de sauvegarder la recherche,
de lintgrer dans un fil RSS, de limprimer,
dobtenir un lien permanent vers la fiche du
document, Iguana encourage le partage de
cette fiche sur les rseaux sociaux, Innovative
permet dajouter un commentaire ou un tag
(tiquette ou mot-cl).
La diffrence peut rsider dans le design adap-
t au web et son intgration dans le portail
de la bibliothque. Autrement dit, le mme
outil avec les mmes fonctionnalits peut ap-
paratre comme dsuet ou tendance selon le
style quon aura bien voulu lui donner.
Des accs peuvent tre rservs aux membres
(via nom dutilisateur, indication dun code
barres, dun pin ou carte didentit lec-
tronique) pour accder certaines fonction-
nalits du catalogue comme demander un
ouvrage, examiner ses anciennes recherches,
sauvegarder des listes douvrages favoris, ou
17 La recherche facettes (ou recherche facette, ou navigation facettes) est une technique en recherche dinformation correspondant une mthodologie daccs linformation base sur une classification facettes. Elle donne aux utilisateurs les moyens de filtrer une collection de donnes en choisissant un ou plusieurs critres (des facettes comme, par exemple, le type de ressource, la langue, la priode de publication, le genre,... ou, encore, la disponibilit). Il nest donc pas tant question de recherche que de filtrage (une recherche brute, taxonomique, pouvant tre utilise en complment). Source : Wikipdia (fr.wikipedia.org/wiki/Recherche__facettes).
18 La matire principalement traite par les bibliothques aujourdhui nest pas le livre, mais bien lcrit, sous toutes ses formes. Cf. Construction dun plan de dveloppement de la lecture local, CESEP.
I N T E R N E T
-
8 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
Quelle solution choisir ?
Une solution consiste opter pour un CMS
(content management system ou systme
de gestion de contenu) permettant dasso-
cier toutes les briques permettant de
construire le portail souhait. Cest ainsi que
les bibliothques amricaines distingues plus
haut, ont souvent eu recours Drupal, une
solution libre.
Une autre solution consiste utiliser une
plateforme cl en main comme Iguana19.
Celle-ci offre effectivement la possibilit de
rassembler en un seul site un catalogue et des
pages web ce qui permet den faire un espace
attractif et vivant avec des informations moins
raides que dans la prsentation usuelle
dactivits (on sait y ajouter des liens vers des
livres). Iguana permet aussi lintgration des
flux des rseaux sociaux, la possibilit de par-
tage via les rseaux sociaux, la possibilit de
faire de cette page un vritable centre dinfor-
mation (vers des applications, des journaux
et revues, bases de donnes). Linconvnient
rside dans le caractre propritaire de la solu-
tion. Autrement dit, lutilisateur en est cap-
tif . Il faut donc mettre en balance avantages
et inconvnients en terme de cots, dassis-
tance, de dveloppements, dautonomie ou
dindpendance
Dans un cas comme dans lautre, il faut que
le portail soit beau et quil volue graphi-
quement en fonction des tendances (les sites
sont de plus en plus purs) et des exigences (le
responsive web design pour une utilisation avec
des appareils mobiles). Mais ce qui fera le suc-
cs dun tel portail, cest le travail permanent
denrichissement et danimation. Pas seule-
ment sur le portail dailleurs puisque le travail
sur les mdias sociaux doit aller de pair. Do
un besoin en professionnels curieux capables de
semparer de ces nouveaux usages. 19 www.infor.fr/bibliotheques/
solutions/iguana/
I N T E R N E T
-
S O C I T
9Lectures 184, janvier-fvrier 2014
par Michel BOUGARD
chimiste, historien des sciences,
professeur honoraire lUniversit
de Mons-Hainaut (UMH)
Biodiversit menace, rchauffement de lat-
mosphre terrestre, pollution Il y a comme un
air de catastrophisme depuis le dbut du XXIe
sicle. Si chacun saccorde sur lvolution sen-
sible du climat et les consquences que cela
entrane dj, il y a encore de nombreux dbats
sur les causes de ce rchauffement et le monde
politique ne saccorde pas sur les solutions
mettre en place. Ces derniers mois, plusieurs ou-
vrages sont venus clairer ces questions denvi-
ronnement en proposant des analyses originales
et des pistes pouvant mener des amliorations.
Nous sommes entrs dans lanthropocne
voquons dabord la nouvelle collection du
Seuil : Anthropocne . Plusieurs scientifi ques
estiment que la Terre est entre dans une nou-
velle poque gologique quils nomment an-
thropocne. Pour eux, les activits humaines
ont maintenant un impact si important et
dynamique sur lenvironnement global quelles
entrent en rivalit avec les grandes forces de
la nature dans le fonctionnement du systme
Terre. Trois premiers ouvrages sont sortis lau-
tomne 2013 dans cette collection qui entend
discuter des enjeux cologiques globaux et de
lavenir de notre plante.
Dans Lvnement Anthropocne, deux histo-
riens, Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste
Fressoz, font lanalyse historique de lappari-
tion de cette re nouvelle dans laquelle les ac-
tions humaines seraient devenues une vritable
force gophysique agissant sur notre plante, y
provoquant une crise cologique profonde. Les
traces de notre ge urbain (notamment nos
dchets chimiques et nuclaires) vont impr-
gner la structure terrestre pendant des mill-
naires. Les auteurs souhaitent que science et
histoire puissent dialoguer afi n de dresser
un inventaire cologique qui pourrait conduire
une vritable prise de conscience environne-
mentale afi n dagir politiquement pour mettre
fi n ce quils nomment un modle de dve-
loppement devenu insoutenable .
Le deuxime livre de cette collection (Les ap-
prentis sorciers du climat) nous est propos par
Clive Hamilton, essayiste, conomiste et phi-
losophe australien, spcialiste des enjeux envi-
ronnementaux. Lauteur considre demble
que la hausse globale de la temprature sur la
Terre entranera des vnements mtorolo-
giques extrmes et des souffrances humaines
diffi ciles apprcier. Malgr lchec rpt des
ngociations internationales sur le climat, cer-
tains chercheurs ont rfl chi des technologies
(on parle de go-ingnierie) qui permettraient
de refroidir la plante sans changer notre mo-
dle de dveloppement, ni notre consomma-
tion. Pour rparer le climat , certains nh-
sitent pas songer modifi er la composition
chimique des ocans, imaginer la capture du
gaz carbonique de notre atmosphre pour le
stocker en un endroit jug moins dangereux,
de pulvriser du soufre dans la haute atmos-
phre, etc. La question que pose C. Hamilton
est claire : ces gocrates (ingnieurs, scien-
tifi ques et hommes daffaires) ont-ils le droit
de jouer aux apprentis sorciers en essayant de
rgler le thermostat de notre plante ?
Hamilton analyse alors les enjeux cono-
miques de cette go-ingnierie. Et ce nest bien
entendu pas un hasard sil constate que der-
rire ces projets, on trouve plusieurs grandes
compagnies ptrolires et des magnats de lin-
formatique comme Bill Gates. Le philosophe
australien nhsite dailleurs pas parler de
corruption morale guettant les chercheurs
tents daccepter le soutien fi nancier de ceux
qui utilisent encore largement les combustibles
fossiles et qui, par leurs dons , chercheraient
en quelque sorte se soustraire leurs obli-
gations. Malheureusement, les dfenseurs de la
go-ingnierie sont aujourdhui les matres du
monde et ils ont pour meilleurs soutiens les d-
fenseurs du libre march qui voient dans de tels
projets le meilleur moyen de sauver la crois-
sance tout en jouant les sauveurs de la plante.
Changer radicalement nos modes de vie
Faudrait-il donc dfi nitivement dsesprer ?
Ce nest pas lavis dAndr Cicolella, chimiste
et toxicologue (cest lui qui fut au dpart de
la disparition du bisphnol A dans les biberons
des nourrissons), qui, dans Toxique plante, ap-
porte un exemple prcis de laction toxique
des activits humaines, mais aussi des remdes
Environnement. mois ! Et moi ?
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S O C I T
10 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
Unis (mais aussi le reste du monde) peuvent
se passer compltement de ptrole, de charbon
et du nuclaire dici 2050, condition que les
entreprises concernes soient motives par
des incitants (le profi t) et encourages par une
lgislation adapte. Il ne sagit pas de dcou-
vrir un nouveau feu , mais plutt de revoir
compltement les pratiques actuelles autour
de six grands dfi s. Dabord, il faudrait trans-
former lindustrie automobile (des moteurs de
plus en plus sobres et, court terme, le tout
lectrique). Ensuite il conviendrait de rduire
de faon drastique les distances quon parcourt
ainsi que le poids et le volume des marchan-
dises transportes. Il faudrait aussi construire
des immeubles totalement isols, acclrer
les conomies dnergie dans lindustrie et
encourager la cognration. Sans oublier de
faire baisser au maximum le cot des nergies
renouvelables et modifi er la rglementation
et les modles opratoires des fournisseurs
dnergie.
cologie et conomie
Dans une autre perspective lie lconomie,
il faut lire Le capital vert. Une nouvelle pers-
pective de croissance par Christian De Perthuis
et Pierre-Andr Jouvet. Les auteurs sont tous
deux professeurs dconomie dans des univer-
sits parisiennes et spcialistes dune nouvelle
discipline : lconomie du climat. Leur ouvrage
prend le contre-pied de lapproche politique
actuelle voulant une reprise rapide de la crois-
sance au mpris des consquences cologiques.
Les auteurs tentent dexpliquer que la sortie
de la crise peut au contraire tre amorce par
une nouvelle vague dinvestissements et din-
novations reposant sur un rapport diffrent
de lhomme au capital naturel. Pour eux, il ne
faudrait plus considrer la nature comme un
stock limit de ressources (dont lpuisement
menace la croissance), mais il faut plutt voir
dans la nature une sorte de systme rguler.
Ainsi, la stabilit du climat et de la biodiversit
ne peut rester gratuite si on veut maintenir la
possibilit dune croissance. Bien document,
voil un livre qui entend remettre lcologie au
cur de la politique conomique.
Pour proposer le contrepoint du livre prc-
dent, il y a le petit ouvrage de Fabrice Flippo,
Michelle Dobr et Marion Michot aux ditions
Lchappe : La face cache du numrique.
quon pourrait y apporter. Selon lui, il y a au-
jourdhui une pidmie de maladies chroniques
(maladies cardio-vasculaires, cancers) lie
notre environnement (pollution de lair et de
leau) et nos conditions de vie (alimentation,
stress, habitat). Mais A. Cicolella nous pr-
vient : les lobbies industriels freinent tant quils
peuvent cette reconnaissance en intervenant
tant au niveau politique que dans les lieux dex-
pertise. Et pourtant la crise est mondiale : on
meurt plus de ces maladies chroniques que par
des maladies infectieuses. La dcouverte des
perturbateurs endocriniens est venue aggraver
ce constat. Ainsi le bisphnol A est dabord une
hormone de synthse qui, de mdicament rat,
est devenu une matire plastique succs. Si
lauteur fait un constat svre et alarmant de
ce quil faut bien appeler une catastrophe sani-
taire, il nest nullement pessimiste car il y a,
selon lui, des solutions. A. Cicolella voque ainsi
ce qui pourrait tre une vritable rvolution de
la sant. Une des pistes est lagro-cologie, de
mme que la chimie verte dont lobjectif
serait la dcontamination de lenvironnement.
Ce sont en tout cas l des dfi s qui imposent
des innovations intgrant la protection de la
sant ( loppos des pratiques actuelles o
la question de limpact sanitaire est nie). Le
message dA. Cicolella est clair : il faut repen-
ser notre faon de consommer, de nous dpla-
cer, de communiquer, de produire et dutiliser
lnergie. Cest videmment plus facile crire
qu raliser mais lauteur veut rester lucide en
jouant la carte de la mobilisation de la socit
civile afi n de faire merger le nouveau modle
de socit cologiquement et socialement
responsable.
Cest bien l le projet qui alimente les r-
fl exions du Rocky Mountain Institute, un centre
de recherche amricain sur lnergie qui fut
cr en 1982. Son prsident et directeur
scientifi que est le physicien Amory B. Lovins,
crateur du concept ngaWatt prnant la
transition vers leffi cacit nergtique et les
nergies renouvelables. Lovins et ses collabora-
teurs proposent aux ditions Rue de lchiquier
un gros ouvrage (Rinventer le feu) qui pr-
sente plusieurs moyens concrets de parvenir
un tel basculement dans les activits les plus
nergivores (comme le transport, le btiment,
lindustrie et la production dlectricit). Lide
matresse de ces chercheurs est que les tats-
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S O C I T
11Lectures 184, janvier-fvrier 2014
cosystmes face la monte des change-
ments environnementaux. On explicite dabord
les concepts et les approches en rapport avec
ladaptation aux changements climatiques :
les scnarios socio-conomiques associs aux
gaz effet de serre, les incertitudes lies aux
modles climatiques, les dynamiques de la
biodiversit et la conservation des ressources
biologiques, les vulnrabilits et les capacits
dadaptation des sociosystmes. Ensuite est
aborde ladaptation au changement clima-
tique des principaux biotopes au regard de
leurs usages par lhomme. Enfi n, la dernire
partie du livre traite des dfi s de ladaptation
aux nouveaux climats pour leau et la qualit
des sols, pour la lutte contre leffet de serre et
la production dnergie partir de la biomasse.
Cest un ouvrage dense qui offre plusieurs
pistes avec diverses fi nalits : agir pour la scu-
rit et la sant publique, rduire les ingalits
devant les risques, limiter les cots, tirer parti
des bnfi ces potentiels et prserver le patri-
moine naturel.
On vient dvoquer la biodiversit. Deux ou-
vrages quelque peu diffrents abordent ce su-
jet. voquons dabord celui dAlexandra Liarsou
(Biodiversit - Entre nature et culture) dit
aux ditions Le sang de la Terre. Archologue,
ethnologue et prhistorienne la Sorbonne,
lauteure nous rappelle quelques points essen-
tiels quand on se pique de parler dcologie.
Elle prcise demble que ce fut dabord une
science complexe, limite quelques spcia-
listes, touchant la fois les sciences naturelles
et humaines. Ces cologues taient plei-
nement conscients que lapproche rduction-
niste (si effi cace par ailleurs dans certains
domaines scientifi ques) se rvlait quasiment
impraticable vu la complexit des situations et
leurs interactions. Quand le monde politique
sempara de lcologie, il ne sencombra gure
de ces diffi cults rencontres par la discipline
scientifi que ponyme, et ce fut trs vite un fl o-
rilge de discours simplifi cateurs. La question
de la conservation de la nature se traita alors
de faon manichenne, les mauvais contre
les bons, les premiers tant les tres humains
saccageant la nature, et les bons tant ceux
qui laissaient la nature sauto-organiser. A.
Liarsou tudie les interactions entre les soci-
ts humaines et les autres socits animales, et
sa critique des discours, structures et politiques
Limpact environnemental des nouvelles tech-
nologies. Il sagit l de rfl chir aux vritables
impacts environnementaux du numrique. Car
il y a des consquences cologiques directes de
linfrastructure des techniques de linformation
et de la communication (TIC). Avec un souci
dobjectivit, les auteurs examinent aussi les
arguments de ceux qui prtendent que lusage
des TIC peut se substituer dautres usages
moins cologiques (une vidoconfrence
est en effet moins polluante quun trajet en
avion). Dans une autre partie de louvrage, les
auteurs analysent le comportement des divers
acteurs qui dterminent lvolution du sec-
teur, en constatant que lenvironnement reste
un facteur marginal dans la prise de dcision
collective.
Toujours dans une perspective o conomie et
environnement ont partie lie, il faut signaler
lessai dApoli Bertrand Kameni (Minerais stra-
tgiques. Enjeux africains) qui a remport le
prix de la recherche universitaire dcern par
Le Monde. Lauteur dmontre dans cet ouvrage
que le dclenchement, la poursuite et la fr-
quence des confl its en Afrique sarticulent
constamment avec la conjecture conomique
et les avances technologiques internatio-
nales. Derrire une faade ethnicoculturelle
se cachent en ralit des enjeux industriels
majeurs pour le contrle des minerais strat-
giques. Ainsi le besoin en tain (pour rempla-
cer le plomb, jug trs polluant) a dclench la
recherche en cassitrite (minerai dtain) trs
abondante au Congo. Et cela a provoqu un
regain des hostilits ds 2003, avec une inten-
sifi cation des combats partir de dcembre
2006, cet vnement concidant parfaitement
avec laugmentation du cours mondial de
ltain. Kameni pose ainsi les fondements de
la nouvelle stratgie de scurit mondiale en
suggrant une gouvernance mondiale de ces
ressources stratgiques si on veut assurer la
scurit en Afrique et la paix dans le monde.
Dbats autour de la biodiversit
Dans un ouvrage collectif (Sadapter au chan-
gement climatique) coordonn par Jean-
Franois Soussana (directeur scientifi que du
secteur environnement lInstitut natio-
nal de la recherche agronomique - INRA), vous
trouverez plusieurs tudes qui tentent dexpli-
quer comment prserver la biodiversit et les
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S O C I T
12 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
de la gestion de la biodiversit est difi ante.
Pour lauteure, lidologie du dveloppement
durable et de la biodiversit oppose les espces
autochtones (forcment prserver) et alloch-
tones (ncessairement combattre). Avec un
paradoxe : lhomme serait la fois celui qui
nuirait lenvironnement, et celui qui devrait
juger des dgts commis et les rparer. Il nest
gure sage dtre juge et partie, et le constat
dA. Liarsou est sans appel : lhistoire de len-
vironnement rvle bien des cueils que ren-
contre invitablement toute planifi cation co-
logique. Au travers de deux analyses (celles de
la rintroduction du castor et du couple carpe-
tanche), lauteure montre que lhomme est une
espce parmi les autres, favorisant et dfavo-
risant dautres tres vivants selon les circons-
tances et les activits. Il convient donc dabord
de comprendre la complexit des structures
cologiques pour mieux se rendre compte que
les consquences de certaines dcisions co-
logiques sont toujours trs diffi ciles valuer.
Lautre livre (La biodiversit : une chance - Nous
avons un plan B) a t crit par Sandrine Blier
et Gilles Luneau (lune est spcialiste en droit
de lenvironnement et dpute europenne,
lautre est rdacteur en chef de Global Magazine
et spcialiste en matire de globalisation des
changes). Les auteurs nous rappellent que
pour la premire fois dans lhistoire, lhumain
est la fois la cause et la victime dune crise de
la biodiversit, celle-ci ne se limitant pas une
liste despces animales et vgtales, mais en-
globant aussi les changes continuels que nous
avons avec ces milieux vivants. travers des
changes souvent passionns, les deux spcia-
listes entendent nous interpeller sur limpor-
tance de faire de la prservation de la biodiver-
sit un engagement quotidien. Et ces changes
nont rien de dsesprant. Mlant analyse
politique, clairage historique et exemples
concrets dactions positives (dans lesprit de
la collection Domaine du possible dActes
Sud), dinitiatives originales et innovantes, pour
trouver des solutions au drglement colo-
gique, lexclusion sociale ou lexploitation
sans limites des ressources naturelles.
Et nous ? Que pouvons-nous faire ?
Pour terminer, on voquera la traduction du
clbre ouvrage de Ba Johnson (Zro dchet),
Franaise vivant aujourdhui aux tats-Unis.
Cet ouvrage percutant nous propose den
arriver supprimer quasiment tous les dchets
dun mnage. Aprs avoir compris que le recy-
clage ntait pas la solution miracle la crise
environnementale, B. Johnson et son mari ont
peu peu compltement chang leur mode
de vie et de consommation. Lauteure est bien
entendu consciente que ce que nous consom-
mons infl ue directement sur notre environne-
ment, notre conomie et notre sant. Pour elle,
il faut dsencombrer et moins recycler, en
respectant cinq rgles de base : refuser ce dont
on na pas besoin, rduire ce dont nous avons
besoin, rutiliser ce que nous consommons,
recycler ce que nous ne pouvons ni refuser,
ni rduire, ni rutiliser, et enfi n, composter le
reste ! Ce nest bien sr pas un ouvrage scienti-
fi que, mais une sorte de manuel pratique bas
sur une exprience personnelle russie, avec
des dizaines de trucs et astuces. Remarquons
que tout cela nest pas toujours transposable,
mais chacun y trouvera lun ou lautre moyen
de rduire ses dchets en acceptant des alter-
natives simples dans sa vie quotidienne.
Plusieurs autres ouvrages ont t rcemment
publis sur cette problmatique de lenviron-
nement, analysant les nouvelles sources de
pollution (en Chine en particulier) mais aussi
les solutions qui commencent tre proposes,
tant au plan international quau quotidien. Au-
del de lmoi justifi par la dgradation vi-
dente de notre environnement, il y a donc une
vague despoir qui apparat. Simple frmisse-
ment aujourdhui, elle peut devenir une rvo-
lution salvatrice demain si lhumanit prend
vraiment conscience de limpact du prsent sur
son avenir. BONNEUIL, Christophe, et FRESSOZ, Jean-BaptisteLvnement Anthropocne. -Paris : Seuil, 2013. - 320 p. ; 19 cm. - (Anthropocne). - ISBN 978-2-02-113500-8 (Br.) : 18,00 .
HAMILTON, CliveLes apprentis sorciers du climat / traduit de langlais par Cyril Le Roy. -Paris : Seuil, 2013. - 352 p. ; 19 cm. - (Anthropocne). - ISBN 978-2-02-112026-4 (Br.) : 19,50 .
CICOLELLA, AndrToxique plante. -Paris : Seuil, 2013. - 320 p. ; 19 cm. -
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13Lectures 184, janvier-fvrier 2014
(Anthropocne). - ISBN 978-2-02-106145-1 (Br.) : 19,00 .
LOVINS, Amory B.Rinventer le feu / traduit de langlais par Agns El Kam. -Paris : Rue de lchiquier, 2013. - 676 p. ; ill. ; 20 cm. - ISBN 978-2-917770-51-1 (Br.) : 29,00 .
DE PERTHUIS, Christian et JOUVET, Pierre-AndrLe capital vert. Une nouvelle perspective de croissance. -Paris : Odile Jacob, 2013. - 288 p. ; 22 cm. - ISBN 978-2-7381-2919-2 (Br.) : 24,90 .
FLIPO, Fabrice, DOBR, Michelle, et MICHOT, MarionLa face cache du numrique. Limpact environnemental des nouvelles technologies -Montreuil : Lchappe, 2013. - 138 p. ; 18,5 cm. - (Pour en fi nir avec). - ISBN 978-2-9158-3077-4 (Br.) : 12,00 .
KAMENI, Apoli BertrandMinerais stratgiques. Enjeux africains. -Paris : Presses Universitaires de France, 2013. -
244 p. ; ill. ; 24 cm. - (Partage du savoir) ISBN 978-2-7381-2919-2 (Br.) : 22,00 .
SOUSSANA, Jean-Franois (sous la directionde)Sadapter au changement climatique. -Paris : Quae, 2013. - 284 p. ; ill. ; 24 cm. - (Synthses) ISBN 978-2-7592-2016-8 (Br.) : 43,25 .
LIARSOU, AlexandraBiodiversit - Entre nature et culture. -Paris : Le sang de la Terre, 2013. - 288 p. ; 22,5 cm. - ISBN 978-2-8698-5296-9 (Br.) : 13,50 .
BLIER, Sandrine, et LUNEAU, GillesLa biodiversit : une chance - Nous avons un plan B ! -Arles : Actes Sud, 2013. - 190 p. ; 19 cm. - (Domaine du possible) ISBN 978-2-330-02580-9 (Br.) : 20,00 .
JOHNSON, BaZro dchet / traduit de langlais par Laure Motet. -Paris : Les Arnes, 2013. - 400 p. ; 19 cm. - ISBN 978-2-35204-257-0 (Br.) : 17,00 .
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S O C I T
14 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
Rire et sourire
par Vinciane STRALE
sociologue
Notre raction face aux faits ou situations
drles seront de rire ou de sourire, voire mme
de rire aux clats ou de sourire en grinant un
peu des dents. Les registres de lhumour sont
divers, nuancs et faire rire ou sourire renvoie
des ressorts divers. Parmi les ouvrages consid-
rs comme drles, tous ne le sont pas vraiment.
Accueillons donc ceux qui le sont rellement.
Le srieux et lhumour
Rire des travers dautrui a souvent t une forme
dhumour et cest dautant plus vrai que ceux
dont on rit sont connus. Ainsi, Alain Battagion
nous rgale avec Ridicules. Les dossiers inavous
des grands personnages de lHistoire. Cest une
manire particulire de parcourir les sicles que
de sarrter, comme le fait lauteur, aux pisodes
drles. Par exemple, un chef viking, Rollon, refuse
de baiser le pied de son nouveau roi. Il dlgue
la tche lun de ses offi ciers. Celui-ci accepte
de baiser le pied royal, mais non de sincliner. Il
lve donc le pied du roi pour le baiser et envoie
terre Charles III le Simple qui reoit au sol lhom-
mage attendu. Des histoires drles de ce genre
o la cocasserie se mle lironie des situations,
Alain Battagion nous en fait connatre un bon
nombre. De quoi rconcilier les plus rcalcitrants
avec lhistoire tout court.
Dans Le bonheur au travail. Regards croiss de
dessinateurs de presse et dexperts du travail,
un collectif inhabituel parcourt les questions
lies au travail, lemploi et aux entreprises.
Travailler est aujourdhui une activit trs
encadre, mais pas toujours pour le bonheur
des travailleurs. Les mthodes actuelles de
management font peser de lourdes contraintes
et suscitent souvent une inscurit qui mine
ceux qui travaillent. 30% dentre eux dsirent
quitter leur emploi, mais sont inquiets lide
de se retrouver sans emploi du tout. La plu-
part ne se reconnaissent pas dans leur travail
qui na plus vraiment de signifi cation, sinon
fi nancire. Ces diffi cults, ces vcus complexes
sont ici explors et analyss par des experts
du travail. Manque de reconnaissance, confl its
dthique, perte de qualit du travail, rgne du
court terme, restructurations, dlocalisations,
prcarisations et autres problmes, les sala-
ris sont frquemment malmens durant leur
vie professionnelle. En miroir des analyses, les
dessinateurs de presse jettent un regard caus-
tique et souvent froce sur les situations que
vivent les travailleurs, mais cest un humour
le plus souvent grinant que le leur. Ces situa-
tions, analyses ou caricatures, sont celles
que connaissent des millions dhommes et
de femmes. Au terme de la lecture de cet ou-
vrage, notre approche des questions actuelles
du travail sera diffrente et nous rappellera
lurgence quil y a repenser ces activits qui
sont une part si importante de la vie de nos
contemporains.
Humour et roman
Bien quil ne soit plus aussi pris que prc-
demment, lhumour anglais est nanmoins l-
gendaire. Cest avec un rel bonheur quon lira
un ouvrage reprsentatif du genre, La dernire
conqute du major Pettigrew dHelen Simonson.
Un major retrait et veuf vit dans un village de
la campagne anglaise. Contre toute attente, il
va tomber sous le charme dune picire pakis-
tanaise qui lui livre son th. Entre la modeste
trangre et lex-militaire aux ides tradition-
nelles va natre une vritable idylle. Cependant,
les prjugs des villageois sont aussi virulents
que ceux du neveu pakistanais qui a dcid de
reprendre lpicerie de sa tante. Par ailleurs, le
fi ls du major entend bien contrler la vie de son
pre et multiplie les oppositions la majorit
de ses dcisions. Verres au club, parcours de golf,
promenades en bord de mer, discussions autour
dune tasse de th, la vie du major Pettigrew va
se trouver bouleverse par la rencontre avec sa
nouvelle amie et dstabiliser ses habitudes. Au
milieu de pripties inattendues et quelquefois
cocasses, limperturbable major et son amie
vont dvelopper leur relation dans des situa-
tions pour le moins compliques. Le lecteur ap-
prciera le dcalage entre les personnages, leurs
ractions et les normes bien tablies rgnant
dans un village anglais.
Le clan Kabakoff sest install Memphis aprs
avoir quitt lUkraine natale. Yankel va consacrer
sa vie ltude de la Torah. Il laisse la respon-
sabilit du Grand Bazar Kabakoff son pouse.
Mose, leur fi ls, soccupera des Presses Kabakoff.
Parmi les enfants, Itchy est le mouton noir . Il
mdite et accomplit souvent quelques mauvais
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S O C I T
15Lectures 184, janvier-fvrier 2014
coups. Cette famille de loosers traverse lexis-
tence avec une ardeur intrpide et connat bien
des tribulations que nous suivons dans La fabu-
leuse histoire du clan Kabakoff. Entre culture yid-
dish et vie amricaine, Steve Stern, conteur inta-
rissable, inventeur dhistoires imprvisibles, nous
raconte avec une drlerie et une verve jamais
dmenties lpope burlesque des Kabakoff.
Lon Robillard lve des cochons dans le Perche.
Il a 51 ans et vit avec sa mre. Il est aussi un
internaute zl. Il rpond tous les courriels,
spams et autres messages imprvus quil reoit.
Dans ces courriels - authentiques - les perspec-
tives de gains fi nanciers, dhritage inattendu
et autres promesses allchantes sont lgions et
largent - notamment - stimule toujours len-
thousiaste Lon. Le courrier reu vient dAfrique
et, sil y rpond scrupuleusement, ses rponses
trahissent une bonne foi nave, mais aussi une
malice indfi nissable. Riche pouse improbable,
matre vaudou peu crdible, affairistes intres-
ss, la collection de cyberescrocs avec lesquels
correspond notre hros est diversifi e. Dans Les
milliards de dollars de Lon Robillard, Vincent
Malone nous dcrit les arnaques invraisem-
blables qui guettent linternaute imprudent. Les
changes surralistes entre les correspondants
nous font dcouvrir des histoires incroyables et
aussi incroyablement drles.
La drlerie comme but avou : les BD
Ce nest pas pour rien que les Anglo-Saxons ont
appel les premires bandes dessines Comics,
une des veines du genre tant le comique de si-
tuations ou de personnages. Ct francophone,
dcouvrons ce que nous donnent voir Edgar
Kosma et Pierre Lecrenier dans un album qui
sintitule simplement Le Belge. Aprs une intro-
duction de sa majest le roi des Belges , les
pages qui se succdent prcisent qui est le Belge.
Bien sr, il aime la bire et les frites. Il est plein de
bonnes rsolutions, mais un peu passif. Il passe
des vacances la mer ou en Ardenne. Cest au
fond quelquun comme tout le monde, le Belge,
mme quand il nest pas vraiment belge. Cest
dans Le Vif / LExpress que sont parues dabord
ces planches. Avec un dessin pur et un style un
peu minimaliste, cest un regard ironique et sou-
riant qui nous fait voir et comprendre ce quest
le Belge.
Entre situations et personnages, on accueillera
avec un sourire parfois un peu aigre-doux, voire
doux-amer Mres anonymes, de Gwendoline
Raisson et Magali Le Huche. Les mres ano-
nymes , linstar des alcooliques anonymes, se
runissent rgulirement pour changer et par-
tager leurs expriences et apporter chacune le
soutien du groupe. Des angoisses prnatales au
baby blues, des pressions sociales sur les mres
limpression dtre dpasse par les vne-
ments, le vcu des jeunes mamans est dissqu
avec une ironie souvent acide. Les dessins sobres
et effi caces de Magali Le Huche desservent
parfaitement les dialogues et situations de cet
ouvrage. La maternit telle que la dcrivent les
auteures est loin de limage dpinal, cest du
vcu avec toutes ses contraintes. La drlerie ici
se joue sur le dcalage entre la maternit idale
et les ralits souvent diffi ciles. On y trouve
bien sr des histoires de couple, mais aussi des
squences sur la solitude, les incertitudes, la
fatigue et la dprime, la monoparentalit, les
images fausses dune certaine presse people.
Esprons que cet excellent premier tome verra
dautres lui succder.
Classique parfait, les vieilles dames de Faizant
restent rsolument drles. Aussi quand parat
lalbum Les vieilles dames. Lintgrale, on re-
trouve avec un sourire ces odieuses bourgeoises
qui maltraitent leur entourage. Leur embonpoint
perch sur des hauts talons, elles traversent la
vie en tyrans inconscients, mais aussi nafs.
Ouvrage organis selon des thmatiques, la pre-
mire rubrique est celle de lamour, registre de
choix. Les autres thmes sont aussi allchants :
leur mari, les animaux, les cartes, la peinture,
la musique, la mdecine, leurs amies, etc. Ces
vieilles dames qui ont fait rire les lecteurs de
Paris-Match pendant des dcennies ont gard
toute leur drlerie. Ne boudons pas notre plaisir
et dgustons cette intgrale.
Chez nous comme ltranger, un person-
nage devenu une vritable icne est le chat
de Philippe Geluck. Le dernier opus paru, La
bible selon le chat, est un dlice. Notre hros y
est devenu rien moins que dieu et les situations
quil traverse sont remarquablement irrvren-
cieuses. Dieu le chat nest pas vraiment dans le
droit fi l de lorthodoxie religieuse. Dans les t-
nbres de la Gense, il ne trouve pas linterrup-
teur et ensuite est en pleine interrogation pro-
pos de sa cration. Disons que quelques liberts
sont prises avec le texte biblique. Dieu le chat a
des tats dme, il souffre de la solitude jusqu
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S O C I T
16 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
ce quun mouton imprvu vienne lui apporter une
prsence. Dieu a des dboires avec certaines des
cratures, dont la femme ou les dinosaures. Mais
heureusement, partager une bonne bouteille avec
son ami le mouton, a remonte le moral. Adam
et ve sont cause de soucis et leurs descendants
galement. On laura compris, cette bible est un
peu hors normes, mais, part les esprits grin-
cheux, elle rjouira bien des lecteurs.
Faire rire et sourire, tel tait lobjectif des ou-
vrages prsents. Les registres utiliss sont, on
la vu, bien diffrents. Lhumour peut se retrouver
en miroir de textes des plus srieux. Le comique
peut scrire et/ou se dessiner. Romans ou BD,
les deux genres peuvent se prter la drlerie,
mais pourquoi, si souvent, rencontre-t-on lopi-
nion que les livres drles ne sont pas srieux ?
Comme si rire et sourire ntait pas important !
Que certains se limitent aux seules lectures
srieuses , cest un choix. Mais lhumour peut
tre aussi parlant et signifi catif que des textes
explicatifs et austres. Les lecteurs qui rient et
sourient dans leurs lectures apprhendent au-
trement les ralits. Par ailleurs, ils connaissent
des moments heureux et ce seul fait nest pas
ngligeable. BATTAGION, Alain Ridicules. Les dossiers inavous des grands personnages de lHistoire. - Paris : First, 2013. - 267 p. ; 23 cm. - (First Histoire). - ISBN 978-2-7540-5317-4 (Br.) : 22,70 .
PRUNIER-POULMARE, Sophie (sous la direction de)Le bonheur au travail ? Regards croiss de dessinateurs de presse et dexperts du travail. -Paris : Le Cherche Midi, 2013. - 175 p. ; 24 cm. - ISBN 978-2- 7491-3173-3 (Br.) : 17,00 .
SIMONSON, Helen La dernire conqute du major Pettigrew / traduit de langlais. - Paris : 10/18, 2013. - 541. ; 18 cm. - ISBN 978-2-264-05884-3 (Br.) : 8,36 .
STERN, Steve La fabuleuse histoire du clan Kabakoff / traduit de langlais (tats-Unis). - Paris : Autrement, 2013. - 254 p. ; 22 cm. - (Littratures). - ISBN 978-2-7467-3526-2 (Br.) : 18,00 .
MALONE, Vincent Les milliards de dollars de Lon Robillard. - Paris : Versilio, 2013. - 259 p. ; 24 cm. - ISBN 978-2-3613-2082-9 (Br.) : 16,70 .
KOSMA, Edgar, et LECRENIER, Pierre Le Belge. -Paris : Delcourt, 2013. - 96 p. ; 24 cm. - ISBN 978-2-7560-4775-1 (Rel.) : 16,00 .
RAISSON, Gwendoline, et LE HUCHE, Magali Mres anonymes. -Paris : Dargaud, 2013. - 125 p. ; 27 cm. - ISBN 978-2205-06934-1 (Br.) : 17,05 .
FAIZANT, Jacques Les vieilles dames. Lintgrale. -Paris : Michel Lafon, 2013. - 285 p. ; 31 cm. - ISBN 978-2-7499-2042-9 (Rel.) : 24,95 .
GELUCK Philippe & DIEU La bible selon le chat, Livre premier, Livre second. -Bruxelles, Casterman, 2013. - 96 p. ; 15 cm. - (Boitage). - ISBN 978-2-203-07710-2 (Rel.) : 14,95 .
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17Lectures 184, janvier-fvrier 2014
S O C I T
Moi mon colon, celle que jprfre, cest la guerre de 14-18 (Brassens)
par Pol CHARLES
docteur en philosophie et lettres
Un passionnant cours dhistoire
Professeur mrite de la Sorbonne, Antoine
Prost prside le comit scientifi que de la Mission
Centenaire 2014. Le spcialiste du confl it publia
en 2005, La Grande Guerre explique mon petit-
fi ls, rdit lidentique dans le prsent ouvrage
et ravigot par une iconographie riche et varie :
photos, croquis, tableaux, documents militaires,
cartes postales, affi ches de propagande, cartes
de ravitaillement, etc.
Mais cest lexpos historique en onze chapitres
qui retient surtout lattention, en raison de la
prcision et de la clart pdagogique du dia-
logue entre un enfant et son grand-pre, o se
trouvent poses les bonnes questions : sur les
causes du confl it, les tapes de la mobilisation, la
vie et la mort des poilus, la bataille de la Marne,
lconomie de guerre, le rle des femmes, len-
tre en guerre des USA, la survenue dune paix
grosse du confl it venir.
Bonnes questions. Encore fallait-il y apporter des
rponses pertinentes. Le lecteur savoue combl.
Comment on mobilise une arme de plusieurs
millions dhommes, les rassemblant au son du
tocsin et des cloches des glises ; comment
la campagne fi lles et pouses terminent les r-
coltes ; comment les recrues peu informes ne
savent gure pourquoi la guerre a clat ; com-
ment elles dfi lent en pantalons rouges qui leur
donnent fi re allure mais que les mitrailleuses
allemandes vont reprer de loin ; comment
lAutriche voulait rgler son compte la petite
Serbie et sauterait sur loccasion de lattentat de
Sarajevo ; comment la guerre senliserait dans
les tranches pour ne plus ressembler en rien
ce que les gnraux avaient imagin ; comment
lartillerie tua beaucoup plus que les attaques
de linfanterie ; comment les Allemands ont
rpondu au blocus conomique par la guerre
sous-marine qui provoqua lentre en guerre
des Amricains ; comment lchec du Chemin
des Dames a suscit des mutineries dont les
Allemands ont t informs trop tard ; comment
larrive de Lnine au pouvoir entrane la signa-
ture de la paix entre la Russie et lAllemagne ;
comment les tentatives de Ludendorff pour
percer dfi nitivement le front franco-anglais
ont chou ; comment lempereur Guillaume
parti, ses gnraux demandrent larmistice ;
comment lAllemagne voulut au plus tt effa-
cer lhumiliation du trait de Versailles. Et un
constat fi nal : en 1920, lEurope ntait plus le
centre du monde.
Adieu la vie / Adieu lamour / Adieu toutes
les femmes , Chanson de Craonne
On loublie souvent, la Grande Guerre fut la pre-
mire guerre mondiale : de la Nouvelle-Zlande
la Baltique en passant par lAfrique noire. Aussi
les auteurs Loez et Offenstadt, dans La Grande
Guerre - Carnet du Centenaire, ont-ils voulu
raconter dans quelle mesure cette guerre fut
grande : montrer les lieux dont la guerre a pris
possession et quelle a marqus, les portraits de
ceux qui ont travers le confl it et dont les des-
tins cumuls fi nissent par dessiner une histoire
propre, les mots et les objets crs ou faonns
par le confl it. Nous voulions aussi faire entendre
plus directement les voix [], et non pas les plus
autorises. Tout ceci complt par une slec-
tion iconographique o abondent les images
rares ou indites, et organis en 9 chapitres : le
rcit dune guerre interminable, les lieux quelle
concerna, les femmes et les hommes qui y
furent plongs, le vocabulaire spcifi que quelle
produisit, les objets invents, les tmoignages
de lpoque, les approches divergentes des his-
toriens, les traces de la guerre, les uvres artis-
tiques quelle suscita.
La boucherie dbute Charleroi (21-23 aot) :
40 000 morts. La violence ne connat pas de
frontires : en avril 15, lempire ottoman dporte
les Armniens : un million de victimes. De quoi
entretenir le culte des morts - la Tour de lYser
hrose sept Flamands - ; de quoi provoquer
mutineries et critiques de la guerre - la Chanson
de Craonne ; et Abel Ferry peut sindigner : Il
ny a pas une note, pas un document, pas une
sanction prise pour viter le gaspillage terrifi ant
fait partout de vies humaines Fin juin 17,
des fantassins se mutinent : Les soussigns
sous-offi ciers caporaux et soldats vous prient de
soumettre au Colonel du 298e Rgiment dInfan-
terie leur intention bien dtermine de ne plus
retourner aux tranches
On rencontre des personnages dont le des-
tin sinverse ou se confi rme : Gring pilote de
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S O C I T
18 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
chasse mrite avant de devenir le dauphin
dHitler ; Darnand cit sept fois lordre du jour
futur chef de la Milice ; George Patton crit sa
femme en octobre 18 : La paix semble pos-
sible mais jespre plutt que non car jaimerais
encore faire quelques combats.
La guerre lgue un langage. Bourrage de
crnes auquel excelle lacadmicien Lavedan :
Le soldat franais rit partout. [] Le rire des
tranches, cest un rire exceptionnel, merveil-
leux. Il apaise la faim, il trompe la soif. En
1930 la Loterie nationale viendra en aide aux
gueules casses , qui contribueront crer
le Loto en 1976.
La Grande Guerre na cess de rsonner dans
lart et la littrature. Pguy rencontre rapide-
ment une mort conforme son idal : Heureux
ceux qui sont morts pour la terre charnelle ,
et Camille Saint-Sans incarne le nationalisme
musical, do le mot assassin de Ravel : Si, au
lieu de cela, il avait tourn des obus, la musique
y aurait peut-tre gagn. Quand la peinture
clbre les sentiers de la gloire qui ne mnent
qu la tombe , le War Offi ce londonien lin-
terdit dexposition, et les noires visions dOtto
Dix seront condamnes par les nazis : art
dgnr !
Entres dans la folie
Dans Du front lasile 1914-1918, Stphane
Tison et Herv Guillemain, deux universitaires,
spcialistes lun de lhistoire de la Grande
Guerre, lautre de celle des pratiques mdicales,
ont dpouill les archives indites de la 4e r-
gion militaire (Alenon, Mayenne, Le Mans), pro-
venant des hpitaux de campagne, des centres
neurologiques du front, des asiles et des conseils
de guerre. Ils en ont exhum les dossiers de
quelque dizaines dhommes (pour tous les bel-
ligrants, on compte en centaines de milliers !),
indemnes en apparence mais psychotiques,
mlancoliques, cafardeux, dlirants, idiots, trem-
bleurs, paralyss, fugueurs Autant de blesss
lme au sujet desquels, avec la loi de 1919
sur les pensions et son application en faveur de
nombreux alins interns, ltat reconnaissait
que la guerre pouvait rendre fou puisquil fal-
lait, pour en bnfi cier, tablir clairement le lien
entre lvnement et la pathologie.
En quatre chapitres (entres dans la folie, lieux
de prise en charge, comprendre la folie en temps
de guerre - soit dresser ltat des savoirs mdi-
caux de lpoque et les querelles dcoles qui les
divisaient -, la guerre et aprs ?) mthodiques,
prcis, sobres mais souvent dchirants, voici le
panorama affl igeant des horreurs de la der des
ders .
Les frayeurs des poilus rcemment mobiliss :
la peur dtre atteints physiquement, dtre
dmembrs ; la peur dtre pris par lennemi ;
la peur dtre punis par les autorits. Et chaque
fois, au bout du compte : la mort. Ceux qui
sont souffl s par lexplosion dobus sont laisss
dans un tat de dmence provoqu par la com-
motion crbrale. Le cafard svre conduit la
psychose : les soldats cafardeux prsentent des
signes physiques dpuisement : essouffl ement
au cours des marches, drglement digestif, mal
de tte matinal, palpitations, perte dapptence.
Ceux-ci se conjuguent une anxit diffuse qui
se traduit notamment par la multiplication des
mauvais pressentiments. Lincorporation de
dbiles est rapidement rendue ncessaire par
les hcatombes et des mdecins bourrs dhu-
mour noir laborent une grille dvaluation
des pathologies susceptibles de faire merveille
au front (sic). Rdiges par des dlirants, on lit
des lettres jointes leurs dossiers mdicaux ;
sy multiplient les dlires tactiques : tel troufi on
sidentifi e son gnral et propose ltat-
major de percer de longues galeries dans les car-
rires de Champagne pour atteindre le sol alle-
mand et ainsi faire sauter dun seul coup tous les
Allemands depuis Reims jusqu Berlin. Hlas,
mme le retour la paix ne permettra pas tou-
jours de gurir de la guerre
Psychiatre et photographe
Avant 1914, Frantz Adam est mdecin psy-
chiatre lasile de Charenton. Il servira quatre
ans comme mdecin militaire au 23e rgiment
dinfanterie et ne se sparera jamais de son
Kodak Vest Pocket, appareil souffl et pratique
en raison de sa lgret - en 1917, il cotait 55
francs quand la solde dun mdecin aide-major
slevait 220 francs/mois (1,50 franc pour le
pioupiou !). On dcouvre ses photos dans Ce que
jai vu de la Grande Guerre.
Catholique dorigine alsacienne, le doct. Adam
est un vibrant patriote, qui ne se privera cepen-
dant pas de stigmatiser les massacres inutiles
la Nivelle (Chemin des Dames 1917) ; aprs la
guerre, en Alsace, il se signalera par ses efforts
en vue dhumaniser les asiles et livrera ses
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S O C I T
19Lectures 184, janvier-fvrier 2014
rfl exions sur la mdecine de guerre. Ses pho-
tos couvrent presque toute la dure du confl it
sur le front ouest (Vosges, Somme, Argonne,
Champagne, Verdun, Lorraine, Mont Kemmel) ;
le prsentateur de louvrage en a slectionn
147, lgendes grce aux souvenirs dAdam et
au journal de son rgiment.
Ce qui frappe en priorit, cest lempathie
du photographe : certes lgard des blesss
(mme si les clichs restent assez avares de pra-
tiques de soins) et des morts (bon nombre de
tombes htives, photographies pour tre mon-
tres aux familles), lgard des compagnons de
tranche (nulle suffi sance du grad envers les
hommes de troupe), lgard mme de lenne-
mi (dans ses commentaires, sil arrive Adam
dcrire Boches , il se reprend aussitt) ; les
lgendes des photos insistent sur lesprit de
corps et la camaraderie, qui sexpriment lors de
baignades printanires ou de soires assez arro-
ses ( Le soir, il y a un peu de vent dans les
voiles ; le soldat dpense sa monnaie, qui saurait
len blmer ? ) Lagacement pointe lors dune
remise de la croix de guerre un amput : ces
vieux militaires [] qui vous embrassent, vous
appellent mon brave [] me fatiguent.
Quelques images dures ne nous sont pas par-
gnes : le crne momifi dun Allemand merge
du terrain ventr par une offensive. En contre-
point, des clichs anecdotiques : soldats indiens,
cossais en kilt, fanfare anglaise, poilu posant
devant une guirlande de rats excuts (cha-
cun rapporte un sou). Lhumour ne perd pas ses
droits : Une jeune religieuse est bien malheu-
reuse davoir me montrer la fesse dans laquelle
elle a reu un clat dobus ; je peux cependant lui
arracher un sourire en lui disant avoir appris au
catchisme que rien narrive sans la permission
du bon Dieu.
Vu Ypres
Sous la houlette de Piet Chielens, lquipe scien-
tifi que du muse In Flanders Fields dYpres a,
pour La grande Guerre 14-18, slectionn 175
documents visuels (dont une centaine din-
dits) provenant des archives de particuliers et
appartenant la collection du muse : photos
prives prises par les soldats eux-mmes ou,
destines au public, prises par des photographes
de presse. Un dernier groupe de documents est
compos de clichs techniques, soit ariens, soit
mdicaux.
Disons tout de suite que plusieurs de ces der-
niers sont insoutenables : la vue de fi llettes d-
membres et calcines lors dun bombardement
arien sur la cte belge provoque rpulsion et
indignation ; tait-il indispensable de les retenir
quand les horreurs des guerres, des fascismes, des
intgrismes, des rvolutions et des colonisations
survenues depuis un sicle nous ont submergs
jusqu la nause pour les uns, hlas jusqu lac-
coutumance et la rsignation pour les autres ?
Disons encore que la consultation des documents
est pour le moins inconfortable ; au lieu davoir
sous les yeux des documents lgends, le lecteur
est contraint de se reporter aux deux dernires
pages du volume, o la formulation des lgendes
est parfois curieuse : Des brancardiers retirent
un offi cier bless par une malheureuse balle. /
Le roi Albert et le prince Charles qui est ins-
truit. / Un gros lot de prisonniers capturs.
Ce quon retient nanmoins : des chars antdi-
luviens pigs par les dunes et les barbels ; un
leurre casqu mergeant de la tranche ; linhu-
mation Lierre dun cadavre momifi ; les inon-
dations de lYser ; lexplosion dun obus ct
dun soldat rparant son vlo ; des unijambistes
allemands faisant la gymnastique dans un hpi-
tal berlinois.
La reproduction sous luniforme
des hirarchies du monde civil
Tous unis dans la tranche ? 1914-1918, les in-
tellectuels rencontrent le peuple est sign par
Nicolas Mariot. Le point dinterrogation du titre
laissait prsager la conclusion de lenqute :
Quel que soit lindicateur retenu, la hirarchie
militaire parat refl ter celle du monde social.
Les postes doffi cier sont largement rservs
aux classes moyennes et suprieures ; larme
organise le maintien au front dune domesti-
cit militaire travers le statut dordonnance ;
la grille des soldes apparat plus ingalitaire que
celle des salaires.
Lauteur, sociologue et historien, a traqu dans
les correspondances, carnets et tmoignages
laisss par ces intellectuels combattants toutes
les mentions, jusquaux plus infi mes et apparem-
ment anodines, qui racontent ltat des rapports
sociaux dans les tranches. Mariot a retenu
42 tmoins, dont Apollinaire, F. Lger, Duhamel,
Elie Faure, Pergaud, Genevoix, Alain, Dorgels,
Isaac (du fameux duo dhistoriens Malet-Isaac),
Teilhard de Chardin.
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S O C I T
20 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
Le fruit de lectures scrupuleuses est une thse
de doctorat ; cela nchappera pas au lecteur,
accabl par la surabondance de citations, le ca-
ractre redondant qui est trop souvent le propre
de ce genre de travaux. Nen retenons quun
exemple. Dans le chapitre Une domesticit
militaire se trouvent rassembls les extraits
de correspondances o les offi ciers voquent
leurs ordonnances peu prs dans les mmes
termes : paternalisme du galonn manifest par
les attentions portes celui quil faut bien ap-
peler son valet - monnaie glisse dans la main,
partage de colis reus, reliefs de repas, etc. Et dy
consacrer 13 pages grand format
Ah, si louvrage avait t rduit disons de moi-
ti ! Cet t passionnant, car les thmatiques
sont originales : lintello souffre-douleur, les
embusqus, le regret du temps davant, la rsi-
gnation, lhorreur de la violence gratuite, la rsi-
gnation, les peu dgourdis, le poids du sac dos,
la promiscuit, les odeurs
Soyons de bon compte pour voquer ce qui sus-
cite lintrt. Popotes doffi ciers qui shonorent
de leurs cuisiniers de marque. Risques encourus
pour aller chercher les cadavres de grads, ceux
des troufi ons peuvent attendre. Poilus balayeurs
installant des petites claies charmantes pour
que mes godasses ne se mouillent point.
Admonestation de Dorgels sa mre : je te
demanderai de ne plus menvoyer de homard
amricaine []. Il empestait la cassonade. Solde
de sous-lieutenant 147 fois plus leve que celle
du soldat. Colre du philosophe Wittgenstein
excrant les soldats qui lentourent : stupidit,
insolence, mchancet. Dsespoir du normalien
rduit ltat de terrassier. Campagne effrne
du peintre Lger pour sembusquer ; eh bien,
cest rat. Absence didal patriotique dplore
chez le soldat ordinaire - ah, on est loin de la
dissertation du professeur Carrire : Mourir au
champ dhonneur est coup sr une belle fi n,
surtout pour un soldat qui se bat pour une belle
cause comme cest notre cas.
Des vies de martyrs
Professeur mrite dhistoire contemporaine,
E. Baratay a consacr de nombreux ouvrages
lhistoire des animaux, dont Lanimal en politique.
Btes de somme, Et lhomme cra lanimal. On
nest donc pas surpris, dans Btes de tranches -
Des vcus oublis, de le voir adopter un point de
vue novateur sur la Grande Guerre en sefforant
de faire comprendre, laide de lthologie, ce
quont t les expriences guerrires des animaux,
diffrentes selon leur origine, leur histoire propre,
les rapports que les hommes entretiennent avec
eux. Cest la fois mouvant et passionnant.
La traction hippomobile tant largement majo-
ritaire, onze millions dquids furent mobiliss
par les belligrants. Le stress des chevaux est
dintensit diffrente selon quils ont t accou-
tums travailler en groupe ou seuls ; le trans-
port en chemin de fer perturbe des btes par
nature craintives, dont le pouls sacclre, qui
roulent des yeux effars et tremblent de tous
leurs membres - et que dire des chevaux amri-
cains et britanniques ballotts dans lAtlantique
et la Manche !
Les pigeons voyageurs se trouvent aussi rquisi-
tionns comme messagers, surtout en Belgique,
terre de colombophilie ; eux nprouvent pas le
stress de la sparation puisquils sont laisss en
couple, voire en famille, pour assurer ensuite leurs
retours. Des chiens se rvlent parfois dton-
nants volontaires, comme ce fox intress par les
exercices de ses congnres au dressage ; il ny
tient plus, bondit au-dessus de la barrire et se
joint eux. Des chiens sanitaires sont entrans
pour aller rechercher exclusivement les blesss
en uniforme franais. Dautres deviennent for-
mateurs, excds par les bvues des bleus, et
prchent dexemple. Lhistorien tient montrer
la diffrence des rgimes imposs aux cabots
des deux cts de la Manche ; les Franais les
logent et les nourrissent mal, ce qui scandalise
les Britanniques qui engagent une arme de vt-
rinaires au sein dune socit de protection ani-
male ; les oprations sy droulent sous anesth-
sie, au contraire des interventions vif pratiques
tant par les Allemands que par les Franais.
On voque encore les oiseaux et les rats charo-
gnards, les mascottes (le hrisson de Cendrars), la
prolifration des poux, et les profi teurs de guerre :
les mouches qui nont pourtant pas que des
inconvnients [] puisque leurs larves pondues
dans les pansements des blesss cicatrisent les
plaies en mangeant les chairs mortes et le pus
Pour le commerce, la guerre prsente
beaucoup davantages, mme aprs. ,
Au revoir l-haut
Ah, les critiques Avant la loterie du Goncourt,
ils se refi laient lpithte : jubilatoire - une
seule occurrence dans le roman. Nempche, ils
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S O C I T
21Lectures 184, janvier-fvrier 2014
nen dmordraient pas : le roman Au revoir l-
haut de Pierre Lemaitre tait jubilatoire ! Certes,
certes, mais
quelques jours de larmistice, les gars
ntaient plus trs presss daller chatouiller
les Boches, la seule manire de les pousser
lassaut, ctait de les foutre en ptard, o donc
tait Pradelle lorsque les deux gars se sont fait
tirer dans le dos ? Limmonde crapule : le lieu-
tenant dAulnay-Pradelle.
Et Lemaitre de tirer les fi celles ; vous me direz, un
faiseur de polars, a doit savoir y faire. Ajoutez-y,
cest moins frquent, une dgaine de la phrase
volontiers la Louis Aragon, un embrouillamini
dintrigues rocambolesques dont le lecteur se de-
mande comment Lemaitre va se dpatouiller pour
que le mme lecteur en redemande, et des person-
nages, oh, des personnages poustoufl ants, tenez,
ce Merlin o lon devine, cest voulu, le Cripure du
dchirant Sang noir de Guilloux, ses normes pa-
luches et son dentier qui fait tsitt tsitt tandis quil
entreprend la tourne des cimetires militaires.
Cest quil sen passe de belles, et de pas rago-
tantes, dans les cimetires militaires : le Pradelle
a la haute main sur la juteuse fabrication de cer-
cueils (si on en bricole de 1,30 m de long, on
peut toujours casser du fmur ou de la nuque
pour y fourrer un bonhomme de 1,80 m), il em-
ploie aux exhumations et inhumations une fl o-
pe de coolies chinois analphabtes, allez vous
tonner si le pioupiou X est identifi Y, on ne
vous dit pas le pastis.
Sans dfl orer lintrigue, haletante, sans cesse
relance, que dire ? On lit successivement :
Albert Maillard, soldat, vient de mourir ,
englouti dans un trou dobus pour sy retrouver
nez nez avec une tte de canasson putrfi e ;
ensuite : Il [Edouard] ne dessinerait jamais
plus . Deux mensonges ! En prime : substitu-
tion didentit, gueule casse (la gorge ciel
ouvert / Les chairs, replies, composaient de
gros coussins dun blanc laiteux. [] On aurait
dit un contorsionniste capable davaler entire-
ment ses joues et sa mchoire infrieure, et in-
capable de faire le chemin inverse. ), on se sou-
tient coups de morphine, deux survivants aux
antipodes sociales lun de lautre, deux arnaques,
celle de Pradelle et la mystifi cation style Pieds
Nickels mitonne par Albert et douard en vue
de lrection de monuments patriotiques. Enfi n,
pour couronner le tout, une histoire ddipe
inverse, le pre tue le fi ls.
Tout cela en valait-il la peine ?
Mais que stait-il pass Verdun en 1916 ?
Personne navait remport la bataille de position,
la bataille dattrition stait acheve sur une par-
tie nulle, et les Franais avaient gagn la bataille
du prestige parce quils avaient su remporter sans
aide extrieure une bataille dfensive sur leur
propre sol. Dans Verdun, Paul Jankowski, histo-
rien amricain, dfend sur le sujet une thse que
daucuns trouveront iconoclaste ; tout le moins,
elle va lencontre des ides reues.
Lesquelles ? Verdun serait lune des batailles
qui ont fait la France. Un mythe entretenu par
lHistoire : le 21 fvrier 1916, 1 200 canons alle-
mands pilonnent les dfenseurs de Verdun - un
million dobus en 24 heures - ; ainsi dbute une
bataille de dix mois ensanglants par 300 000
morts, o saffrontent le droit, ct franais, et
la force, ct allemand, en une nouvelle version
des Thermopyles ; bataille lentame de laquelle
Falkenhayn, chef suprme de larme allemande,
annonce son intention de saigner blanc (ce
quon appelle guerre dattrition) son adversaire ;
bataille o sillustre Ptain en stratge de la
guerre dfensive : Verdun, on ne passe pas !
La mythifi cation et la clbrit de Verdun inter-
pellent, observe lhistorien. Il ne sagit en rien
dune bataille dcisive, lissue de laquelle un
camp perd la main, et au point de vue politique,
elle neut aucun effet notable. La ville ne prsen-
tant gure non plus de valeur symbolique, pour-
quoi un tel acharnement la dfendre, et pour-
quoi, si lintention allemande tait de saigner
mort les forces franaises, ne pas engager plus de
divisions ?
Trs fi nement, et de manire solidement argu-
mente, lhistorien distingue les trois piges
dans lesquels se sont englus les adversaires :
ceux de loffensive, du prestige, de lusure. Pige
de loffensive : aucun des belligrants ne put
jamais russir Verdun une perce dcisive, un
encerclement de ladversaire ou une attaque
denvergure sur les fl ancs. Pige du prestige :
personne ne devait donner limpression davoir
perdu la face, et la conqute de quelques arpents,
perdus, repris et reperdus, tait cense soutenir
le moral des fronts et de lintrieur : Les poilus
avaient sauv la France et contribu sa gloire
universelle Pige de lusure : un ancien com-
battant voqua, aprs la guerre, son arrive
Verdun : Nous savions davance que nous ne se-
rions relevs quaprs avoir perdu 75 % de notre
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S O C I T
22 Lectures 184, janvier-fvrier 2014
effectif. Ctait le tarif, et ce fut en effet le tarif.
Dans lautre camp, un gnral de linfanterie
bavaroise se plaindrait dun excs de cadavres
et de membres pars, car cela mettait en pril la
sant et le moral de ses hommes .
Pareil carnage manifestait-il la haine que se
vouaient de