L Abbe Combalot

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Vie de L'Abbe Combalot

Transcript of L Abbe Combalot

  • L ' A B B C O M B A L O T MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE

    L'ACTION CATHOLIQUE DE 1820 A 1870

    I

    Il y a des livres heureux : ce sont les livres crits leur jour et leur heure, assez rapprochs de la ralit pour en conserver l'ini-mitable parfum, assez distants cependant de cette mme ralit pour qu'elle puisse apparatre dj sous l'aspect lev et idal que l'histoire doit lui conserver. La vie de l'abb Combalot, mission-naire apostolique, rpond pleinement ces conditions difficiles et dlicates. C'est une priode bien courte que celle pendant laquelle les hommes d'une gnration ont pu. s'initier la vie de la foi et de la croyance, au bruit flatteur des applaudissements qui saluaient les premiers triomphes du missionnaire et qui, rests debout, aujourd'hui mme peuvent recueillir et juger les derniers chos de cette gloire. L'abb Combalot restera aux yeux de la postrit ce qu'il nous est apparu nous-mmes et nous avons pour le juger le souvenir encore vivant de ses luttes et l'exemple chrtien de ses vertus.

    Il

    Sous le rgne de Louis-Philippe, le nom de l'abb Combalot avait le don de mettre les mes en moi; les mes timides ne rptaient ce nom, objet tout la fois de terreur et d'amour, qu'avec une certaine hsitation. Il semblait alors quelques pieuses personnes qu'on prononait le nom de quelque rvolutionnaire incorrigible, de quel-

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    que socialiste farouche, impuissant se renfermer dans les sages limites de la vie relle et possible. On citait de lui, avec plus ou moins d'exactitude assurment, mais avec une relle terreur et une entire sincrit des mots, des exclamations, des jugements faire trembler sur leurs bases les antiques cathdrales. En mme temps, des rumeurs sinistres prenaient naissance et se propagaient avec une trange rapidit : tantt le missionnaire allait soulever le midi de la France, tantt il allait mettre en branle contre le pou-voir toute une lgion de travailleurs. On avait, disait-on, arrt le prdicateur au milieu de ses sermons, et je regrette que l'historien de l'abb Combalot ait sans doute cru, indignes de lajoiajest de l'histoire, ces bruits sans fondement, qui finirent, sur bien des points, par constituer une espce de lgende autour du mission-naire apostolique. Je me permettrai de regretter ici que l'auteur de cette belle histoire n'ait pas cru devoir tirer plus expressment la morale de ce long et intressant rcit. Il y eut une lutte engage contre le prtre par l'entremise des diffrents fonctionnaires dont disposait le pouvoir central et, comme toujours, il y eut cette lutte ingale des rpressions imaginaires traduites par des amendes, des suspensions, des emprisonnements. Tous les ressorts de la puissance civile furent monts et manuvres avec beaucoup d'art pour endiguer ce torrent d'loquence populaire qui menaait de tout inonder. L'abb Combalot, ordinairement si ardent et si emport, devient tout d'un coup doux et calme lorsqu'il parle de ces perscutions temporelles. Il attend avec confiance que cet orage passe et que les choses reprennent leur cours habituel.

    Il ne se peut pas, en effet, que le prtre tmoin des dsordres de la terre, soucieux de l'avenir que sa haute raison lui rvle, ait des difficults nouvelles que des maladresses ou des erreurs de conduite lui font pressentir coup sr ; il ne se peut pas que le prtre ne soit pas toujours s'il veut rester fidle son rle, la voix qui crie dans le dsert : Rendez droites les voies du Seigneur. Il ne peut pas, quelque considration qui le retienne, laisser s'teindre en lui cette soif du bien des mes qui seule donne sa parole les accents inimitables de la tendresse chrtienne,

    III

    Il faut louer ici Mgr Piicard d'avoir si bien compris le fond mme de l'abb Combalot,et de l'avoir traduit, pour le lecteur,

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    par des anecdotes si expressives et si touchantes. Mgr Ricard a trs bien montr que la vaillante ardeur de cette me tait comme un feu intrieur, lequel dbordait dans toutes ses actions, et c'est prcisment ce mot actions qui explique toute la vie et toutes les oeuvres de l'abb Combalot. 11 ne dlibrait pas, il agissait avec cette promptitude et cette nergie qui ne lui ont ja-mais fait dfaut aucune poque de sa vie. Il entend son profes-seur discuter en pleine classe les mrites de son devoir et du devoir de son concurrent ; cette comparaison et ce commentaire aboutis-sent le placer au second rang; Messieurs,dit Combalot en levant tout d'un coup la voix, levez le doigt et attestez que mon devoir vaut mieux que celui de Poncet. Aprs cette incartade, il est renvoy de la classe et passe la nuit chez sa mre. Que faire, que ne faire pas ? Le cas tait grave et l'exclusion invitable. Sa mre son aspect refusa de le serrer dans ses bras. Avec un bon sens suprme, elle se garde bien d'entrer en discussion avec lui. De tels caractres ne peuvent pas tre rduits par la parole : argumenter contre eux c'est rveiller dans leur me toutes les ardeurs de la polmique et tendre, parla contradiction, toutes les nergies de leur caractre. Au contraire, il faut tout attendre de ces mes gnreuses et loyales jusqu'au sacrifice,qui savent se donner tort d'elles-mmes se con-damner et se repentir. Cette affaire si mal engage et qui pouvait aller jusqu' arrter la carrire et mettre en pril la vocation de l'abb Combalot, eut un dnouement bien digne de lui. Il est vrai que le jeune sminariste avait mis la main chez sa mre sur un tout petit livre qui sufft pour clairer cette jeune me et devenir vis--vis d'elle l'instrument de la grce divine. Ce petit livre trai-tait de l'humilit; en effet son emportement n'tait au fond qu'un mouvement froce de Tamour-propre humain : Comment s'y preh- dre pour attendrir le suprieur du petit sminaire, et obtenir de lui la leve du cas d'exclusion que le fugitif avait encouru ? Tout coup une ide lui vient, suggre par ses fonctions d'en-

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    lui.... Aussitt les condisciples, reconnaissant la voix de leur en-ce tonneur, de poursuivre avec enthousiasme le chant commenc, ce Le suprieur dsarm n'hsita plus. Il s'en alla prendre par la c main le spirituel chapp et le rintgra sa place la grande ce joie de tous, matres et lves.

    IV

    Cette anecdote peint au vif l'abb Combalot tel que nous l'avons connu, tel qu'il a apparu tous ceux qui ont eu le bonheur de le voir de prs. C'est cette dcision tonnante qui semble toujours prte improviser les actions les plus inattendues et cependant, la rflexion, les plus sages et les plus pratiques. Un soir d't, la campagne et pendant la rcration, un de leurs camarades, emport par sa course sur la pente d'une colline qui dominait les flots dangereux d'un torrent, tombe dans l'eau et on ne retire plus des flots qu'un cadavre. Le jeune Combalot vient d'assister ce spec-tacle, il en est encore tout mu. C'est l'heure o ses camarades et lui vont regagner le silence du dortoir. Combalot n'y peut pas tenir, et sur le palier mme de l'escalier, au tournant des marches, pendant que ses camarades oublient de monter, le jeune aptre lve la voix pour raconter, avec les rflexions qu'elle inspire, la fin tragique de ce jeune homme, ainsi appel comparatre inopinment devant Dieu. Voil bien l'abb Combalot tel qu'il nous apparatra toute sa vie, prenant, dans toutes les occasions, cette initiative hardie, et sachant ensuite, par l'ardeur de son nergie, se main-tenir la hauteur de ses propres inspirations.

    V

    Mgr Ricard nous parat avoir admirablement compris le carac-tre essentiel de l'loquence de l'abb Combalot. Il est regretter que la sobrit de l'auteur se soit renferme dans d'aussi troites limites. Visiblement Mgr Ricard ne partage point un prjug trop commun et trop rpandu. 11 ne manque pas de gens pour se figurer que rien n'est prendre dans cette loquence si rapide et si prime-sautire, comme si de pareils dons n'avaient rien dmler avec l'art et la mthode oratoire. L'abb Combalot suffirait nous

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    donner la preuve du contraire. Le dfaut ordinaire des jeunes prdi-cateurs, ou si l'on veut gnraliser, des jeunes orateurs, est le plus souvent de pitiner sur leur propre pense. Je m'explique: ils traduisent intrieurement, par un acte mental, la pense qu'ils veulent faire connatre, et se la reprsentent eux-mmes au moyen d'une phrase qu'ils construisent silencieusement sans pro-frer aucune parole. J'oserais dire qu'ils se tracent tout bas un brouillon, une sorte d'esquisse de leur propre pense. Seulement cette premire tentative reste absolument ignore, le jeune orateur s'essaye pour ainsi dire huis clos. Il n'a plus pour lui l'entrane-ment de sa propre parole, l'excitation du discours, rien en un mot de ce qui peut mettre en branle la pense. Une pareille improvi-sation est ncessairement hsitante et incertaine ; il n'y a plus l ni mouvement ni essor donn au discours, mais tout au contraire une srie d'essais plus ou moins heureux, d'hsitations entremles de silence, de tentatives sans suite, de vues sans dveloppement, d'aperus sans continuit. Avec une aussi fausse mthode, les jeunes auteurs ne tardent pas contracter la funeste habitude de mler fort mal propos les rflexions de la critique aux lans de l'improvisation. Ils viennent bout, avec plus ou moins de labeur, d'un passage qui se tient debout et dont il faut ensuite construire pniblement le commencement et la fin. Ils ressemblent, si l'on veut me permettre une comparaison un peu fantastique, ils ressem-blent un homme qui, pour parler haute voix, jugerait ncessaire de faire une pause et de prendre un temps spcialement pour respirer, toutes les minutes ou toutes les minutes et demies. -Dans la ralit, ce n'est point ainsi que les choses se passent : on respire sans s'en apercevoir, et le jeu naturel des organes suffit les pourvoir de la quantit d'air ncessaire pour approvisionner la voix.

    C'est l tout fait l'histoire de la vritable improvisation. C'est une grande erreur de mthode de prendre sparment un temps pour penser et un temps pour parler, un temps pour construire mentalement l'expression orale d'une pense, et un second temps pour la pro :oncer. Avec ce systme, aucune vritable improvisation n'est possible. Pour improviser, il faut que l'me s'embarque tout entire dans son propre lan : il fout qu'une priode soit commen-ce sans que l'orateur se doute lui-mme de la tournure que prendra cette priode et de l'issue laquelle elle pourra aboutir ; et je ne parle pas seulement d'une priode longue et complique, mais d'une simple phrase qui dbute, ainsi que cela doit tre, par un sujet

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    sans que celui qui parle sache lui-mme par quelles pithtes, quels-rgimes, quels complments s'achvera l'ensemble de la phrase. C'est ce prix seulement que l'orateur peut esprer ces rencontres heureuses de la pense et de la parole, qui font passer tout entire l'me de l'orateur dans l'me de ses auditeurs.

    VI

    Pour arriver ces grands effets d'loquence, il ne suffit pas que celui qui parle s'oublie lui-mme et se garde de chercher aucun effet dans ses discours, il faut encore qu'il perde compltement de vue l'effet obtenir et l'incertitude laquelle est toujours soumise l'improvisation la plus fconde. 11 n'est pas possible de s'en tenir au domaine de la rhtorique, quelque riche que soit la langue, quelque accompli que soit le talent. Le bonheur de l'improvisation se mesure avant tout la force morale qui anime le discours. C'est dans l'animation de la pense qu'il faut chercher la seule vritable improvisation. Les grandes mes sont toujours loquentes. Sous ce rapport, le livre de Mgr Ricard nous montre dans l'abb Combalot une me vritablement sacerdotale. Le digne prtre ne s'embarrasse point de rserves faire, dmnagements garder, de susceptibilits satisfaire ou tout au moins mnager. Il a devant les yeux le bien des mes dont il aura rendre compte et le devoir d'avertir ceux qui font fausse route. L'abb Combalot nous apparat ici, non plus avec l'ardeur passionne d'un missionnaire auquel on pourrait reprocher trop de zle, mais avec la majest solennelle du pontife chrtien qui regarde les choses du ct du cieL Quels que soient les dtails de la vie, lorsqu'il s'agit de la conduite tenir dans telle ou telle question, quelque avenir que la Providence rserve aux Bourbons de la branche ane ou de la branche cadette, il adresse avec la mme srnit ses paroles d'aptre ceux qui sont au sommet de la puissance humaine comme il le ferait pour le plus simple des chrtiens. Il en-rsulte, au point de vue de la majest de la parole et de la grandeur de la pense, des effets abso-lument inattendus. Quoi de plus simple et de plus paisiblement grandiose que ces lignes crites l'impratrice Eugnie : Madame, je suis si profondment convaincu que l'empereur se perd et perd sa dynastie, en faisant les affaires de la Rvolution, que j'ose supplier Yotre Majest de vouloir bien mettre sous les yeux du

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    monarque les lignes que mon zle apostolique me dicte pour le salut de sa personne et de sa race.

    VII

    Ces nobles paroles ne sont point, comme on pourrait le supposer, un de ces cris instinctifs adresss l'pouvante d'une femme ; c'est l'excution d'un plan dont l'abb Combalot poursuit l'accomplis-sement avec tout l'effort de sa persvrance chrtienne. Il faut entendre sur ce sujet dlicat les propres paroles de l'abb Combalot et la lettre qu'il adressa ce sujet madame de Saulcy. Puisque c'est votre aimable intrt que je dois l'honneur d'avoir pu entre-tenir pendant prs d'une demie heure, la gracieuse princesse que la Providence divine a place sur le premier trne de ce bas monde, je veux vous dire quel fut le sujet de ce royal entretien.

    Aprs avoir dit l'impratrice quelles avaient t, pendant prs de quarante ans, mes relations amicales avec l'abb de Salinis, devenu, plus tard, vque d'Amiens, puis archevque d'uch, lequel avait t connu trs intimement de sa Majest, je me permis d'esquisser grands traits ma vie de prdicateur, soit la cour de Charles X, soit dans les chaires de la capitale, soit dans toutes les villes de France, de Belgique, de Savoie, etc., etc. Je sondai devant elle les plaies vives de la France, celles des jeunes gnrations, de la classe bourgeoise, des classes populaires, de la dmocratie sauvage qui menace l'Europe. Je lui fis connatre l'tat vritable de Paris, sous la branche ane, sous la dynastie d'Or-lans, et sous l'empire, au triple point de vue de la religion, des murs, des doctrines politiques, sociales, etc., e t c . .

    VIII

    Les vnements se prcipitent et il faut lire encore les paroles de l'abb Combalot au moment o l'abandon le Rome est dcid. 11 y a dans la vhmence de cette lettre, dans cet oubli de tout mna-gement, un accent de sincrit terrible, qui rappelle les grands v-nements et les prophties des pontifes les plus autoriss. Il faut reproduire encore cette lettre,pour rsumer et pour clore ce-doulou-reux sujet :

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    Madame. a Le vieux Mardoche, en face d'un arrt d'extermination sus-

    pendu sur le peuple de Dieu, disait la reine Esther : Ne comptez

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    teinte comique, mme lorsque les vnements semblent l'exiger, autrement il n'aurait pas manqu d'occasions pour se donner beau jeu sur telle ou telle maladresse du pouvoir. Les prfets, malgr tout leur zle et peut-tre mme cause de ce zle, ne sont pas tou-jours leur aise avec cet esprit la fois hardi et prudent. N'est-il pas bien juste de sourire un peu de la mprise comique o tomba un certain jour un des agents les plus aviss du pouvoir? L'abb Combalot allait reprendre Paris le cours de ses prdications et,sur le seul bruit de cet vnement, l'attente du public se trouvait inquite et surexcite ; il s'agissait donc d'exercer sur le vieux prtre une surveillance active et intelligente. Un personnage d'une certaine importance est dlgu cet effet. Il accomplit sa tache de son mieux et vient fidlement rendre compte de sa mission, ce Eh quoi ! s'inquiter pour si peu ! 11 avait trouv,au milieu d'un auditoire clairsem ,un vieux prtre qui dbitait d'une voix dolente, au milieu d'une inattention marque, une espce d'homlie sur la nature et les effets de l'eau bnite. Rien de moins passionnant qu'un pareil sujet et surtout que la manire dont il tait trait ; rien de moins dangereux et de moins inquitant que la somnolence bnvole de cet auditoire clairsem. Vous vous y tes rendu vous-mme ? Assurment ; et je n'ai guTe trouv qu'un troupeau de bonnes femmes. Mais enfin o vous tes-vous rendu ?

    Le pauvre fonctionnaire suivait pniblement les sermons d'un vieux chanoine Notre-Dame, et il y avait bien des jours que l'abb Combalot tait remont dans la chaire de Saint-Sulpice avec l'clat et la solennit que lui avaient. justement mrits ses anciens triomphes.

    X

    L'histoire de la vie de M. l'abb Combalot se termine comme un pome bien ordonn, dont l'intrt ne manque pas de se soutenir et de s'augmenter de page en page.

    Il est bien glorieusement veng de tous les dboires et de toutes les mfiances qu'il a eus supporter. Le temps n'est plus o il passait, sans contestation, pour un homme dangereux ou tout au moins imprudent. Il lui a t donn, aprs bien des annes, de revenir sur sa propre vie, et, si on peut le dire ainsi, de la recom-mencer. 11 est remont,sous la protection et avec la majest de ses cheveux blancs,dans les mmes chaires qui avaient vu les premiers

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    pas et entendu les premiers accents du jeune prtre. H a retrouv partout sur son passage les curs encore ouverts et les mes palpi-tantes de la bonne parole qu'il y avait seme si longtemps aupara-vant. Il n'est pas donn atout le monde de concevoir dans tout l'lan de sa spontanit et dans toute la verve de sa jeunesse, les devoirs de la vie sous un certain aspect et de reconnatre, l'autre bout, que du premier coup on ne s'tait tromp en rien ni sur l'en-semble ni sur les dtails. Ce qui, la premire heure, pouvait passer pour une ardeur irrflchie, n'tait qu'un zle bien entendu, et il n'avait fait que conduire les mes par le chemin le plus direct remplir leurs destines de chrtiens. Rien de plus touchant que de voir revivre ces vieux souvenirs dans cette me vnrable. Il parle alors de lui-mme et de ses vieux travaux, comme un homme d'un autre temps et d'un autre ge, et il a l'air tonn de se retrou-ver debout et agissant et en possession des facults sur lesquelles il lui semblait que son ge ne lui donnait plus le droit de compter.

    XI

    L'histoire de l'abb Combalot laisse l'me du lecteur sous une impression minemment littraire, et, j'oserais presque le dire, sous une impression potique. Il semble beaucoup de gens que l'histoire, et surtout l'histoire d'un homme ou d'une poque soit un genre dfini d'une faon inexorable et qui ne laisse rien faire aux imaginations. On ne saurait trop se garder de cette erreur. Il convient, en effet, de ne pas perdre de vue que l'historien est rduit ne rapporter qu'un bien petit nombre de faits. C'est avec ce petit nombre de faits, bien choisis et sobrement dpeints, qu'il doit aboutir cependant faire connatre un homme ou une poque, qu'il doit nous laisser une impression suffisante pour dominer et pour dicter tous nos jugements. Nous saurons ainsi de cet homme, non pas seulement ce qu'il a dit ou ce qu'il a fait dans une circonstance donne, mais, nous sommes assez au courant de cette me pour savoir ce qu'il a d penser et ce qu'il ne dit peut-tre pas. C'est ainsi que nous pouvons, en toute assurance, rpondre d'un ami et, travers le silence de sa parole, lire d'une faon sre les impressions les plus secrtes de son cur.

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    XII

    C'est ainsi, par un contraste trange, qu'aprs avoir lu le rcit de cette noble existence, si remplie d'inquitudes apparentes et d'agitations extrieures, il nous reste dans Tme un sentiment pro-fond de calme et de paix. C'est ainsi que sur ls hautes montagnes et dans les valles profondes, on a beau entendre le fracas du ton-nerre frappant les cimes ou le bruit du torrent entranant les rocs, la nature n'en demeure pas moins ce qu'elle tait avant Forage, et elle redevient, sans effort, majestueuse et puissante sur ses bases inbranlables.

    Tel a t le beau caractre de M, Combalot. Cette haute intel-ligence, cette indomptable nergie se sont montres constamment suprieures tous les vnements qui pouvaient agiter le monde. On voit bien que de telles mes ont plac leurs esprances au-des-sus de ce qui passe. Malgr tant de bien ralis, elles ont vcu plus encore de ce qu'elles ont voulu que de ce qu'elles ont fait.

    ANTONIN RONDELET.

    bslURL

    bslRevue du monde catholique, janvier-mars 1892.