Jusqu'à toi – Tome 2- Délivrée (J'ai lu Passion intense...

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J.L.MAC

JUSQU’À TOI – 2

Délivrée

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Anaïs Goacolou

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J. L. Mac

Délivrée

Jusqu'à toi 2

Maison d’édition : J’ai lu

© J.L. Mac, 2013Pour la traduction française by c© Éditions J’ai lu, 2015Dépôt légal : Dépôt légal : juin 2015.

ISBN numérique : 9782290087695ISBN du pdf web : 9782290085691

Le livre a été imprimé sous les références :ISBN : 9782290087695

Composition numérique réalisée par Facompo

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Présentation de l’éditeur :Après avoir vécu une enfance des plus chaotiques, Jo a découvert ce qu’étaient le désir et l’amour dans les bras de Damon, qui a bouleversé son univers tout entier.Pourtant, après que ce dernier lui a fait une terrible révélation, Jo, incapable de contrôler ses émotions, l’a violemment rejeté. Et lorsqu’elle comprend son erreur, aprèsavoir découvert une lettre de Damon, il est déjà trop tard : l’homme qu’elle aime plus que tout a, par sa faute, tenté de mettre fin à ses jours ! Une fois Damon rétablisuite à d’intensifs soins hospitaliers, Jo le ramène chez elle. Mais il l’ignore et refuse obstinément de lui parler. Leur passion sera-t-elle assez forte pour s’en sortirindemne ?

Biographie de l’auteur :Originaire du Texas, où elle réside, J. L. Mac est l’auteur de romances contemporaines et érotiques à la fois graves et sensuelles. La série Jusqu’à toi en est le parfaitexemple.

Couverture : © Victoria Davies / Trevillion Images

© J.L. Mac, 2013

Pour la traduction française© Éditions J’ai lu, 2015

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Du même auteuraux Éditions J’ai lu

JUSQU’À TOI1 – AltéréeN° 10994

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À ceux qui m’ont dit que je ne pourrais pas.À ceux qui m’ont dit que je ne devrais pas.

C’est précisément pour vous que je l’ai fait.Merci.

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Sommaire

Couverture

TitreCopyright

Biographie de l’auteur

Du même auteur aux Éditions J’ai lu

Remerciements

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

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Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Épilogue

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Remerciements

Les remerciements sont peut-être la partie la plus difficile dans la rédaction d’un livre. Je neveux laisser personne de côté, mais je ne veux pas non plus énumérer des noms pendant des pages etdes pages. C’est bien simple. Il y a une poignée de personnes dans ma vie que j’apprécie beaucoup.Beaucoup de gens passent leur temps à dire qu’ils « adorent » tel truc, tel machin, Untel ou Unetelle.

Pour moi, apprécier, c’est beaucoup plus significatif. Je dois apprécier quelqu’un avant de lefaire entrer dans mon petit monde de folie. Il existe des personnes que j’apprécie, tout simplement !

Mon agente, Maria Corviesero, est sans doute l’une des plus cool et des plus calées surl’édition que je connaisse, et elle n’a pas peur des grossièretés à l’occasion. Une grande dame

comme je les aime.Vous, blogueuses qui vous décarcassez pour rien de plus que la satisfaction de lire et partager

vos lectures, merci d’aimer autant lire.Angela McLaurin ! Jamais, jamais je ne te dirai « Dieu bénisse ton cœur ». Promis. Tu es une

super maquettiste et une femme tout aussi super. Merci.Ma super éditrice free-lance, Erin ! Je suis toujours pour que tu rebaptises ton Wise Owl Editing

en Wise Ass Editing. C’est un nom cool et adapté, tu le sais comme moi. Merci de t’être montrée lameilleure éditrice surmenée et sous-payée de la planète !

Robin Harper, tu es quelqu’un de très doué. Tu es arrivée pour tout sauver à la dernière minute,et tu m’as fait deux couvertures magnifiques en un temps record. Je devrais peut-être t’offrir un coupà boire, un de ces jours. Je dis ça comme ça…

Heather Halloran ! Je ne sais pas ce que je ferais sans nos conversations quotidiennes. Tu esquelqu’un de génial, une super blogueuse et j’ai de la chance de dialoguer avec toi presque tous lesjours.

À ma famille : merci de soutenir ma carrière. Cela rend mon métier d’autant plus gratifiant.À mes lecteurs : votre amour pour mes personnages et mes histoires est toujours une grande leçon

d’humilité pour moi. Ce n’est que grâce à vous que tout ce monde prend vie.

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Prologue

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Samedi 8 juin 1996— Ferme ta gueule, Damon ! Je veux pas t’entendre ! Tu es aussi bête et inutile que ta pétasse de

mère ! Pas étonnant qu’elle n’ait pas voulu s’embarrasser de toi. En plus d’être une vraie salope, elledevait avoir un don d’extralucide. Elle devait savoir que tu vaudrais rien en grandissant. C’est pourça qu’elle t’a refourgué à moi. Y aurait pas eu ta chieuse de grand-mère, je me serais débarrassé detoi à la minute où cette pouffiasse t’a largué.

Je devrais avoir l’habitude, mais j’ai toujours envie de me recroqueviller dans un coin quand ilm’assène des propos comme ça. Je déteste ça. Je préfère quand il me cogne carrément dessus. Jecrois que je guéris de la violence physique beaucoup plus vite que des atrocités qu’il me dit. Je necomprends pas que quelqu’un puisse haïr autant son enfant. C’est comme si dès le départ, il nem’avait laissé aucune chance. Il m’a détesté dès le jour de ma naissance, et dix-sept ans plus tard,rien n’a changé. Peut-être même me hait-il un peu plus. Il est saoul et agressif, et le pire, c’est qu’ils’estime tout à fait capable de conduire quand il se trouve dans cet état. Ça me terrifie.

— Papa, je devrais prendre le volant, tu sais, au cas où on serait arrêtés. Tu sens le whisky.Il se doute que je me fiche éperdument qu’il ait une amende, et qu’en fait, j’ai peur. Il sent

toujours quand j’ai peur, et ça lui plaît.— Tu connais rien à rien, petit con. Ferme-la et tiens-toi tranquille. Ce serait que de moi, je

serais encore à la maison. Il fallait que tu pourrisses ma journée, c’est ça ?— Ce n’était pas prévu. Le copain qui devait m’amener a décommandé. Je suis désolé.Oui, je regrette vraiment de ne pas être plutôt dans la voiture d’Erik en ce moment, mais il a enfin

un rencard avec Ashley Wilcox et je lui ai dit de foncer. Je ne vais pas jouer les casse-pieds avecmes potes.

— Ouais, c’est ça, t’es désolé. Tu devrais t’excuser, même.Je regarde par la vitre pour qu’il ne me voie pas grincer des dents. Je ne supporte plus de me

faire insulter. J’ai dix-sept ans passés : je suis bientôt adulte. Il pourrait me témoigner plus derespect. Mon père est un connard et je le hais, mais je ferais n’importe quoi pour lui plaire. J’ai touttenté pour le contenter. Même si c’est un abject ivrogne, j’ai toujours cet étrange désir de susciter safierté, et ça me rend dingue. Je veux toujours qu’il m’aime, ce qui constitue un gâchis. Il ne m’aimerajamais. En attendant, j’essaie, et j’essaierai peut-être toujours…

— Pardon, papa, mais s’il te plaît, arrête-toi sur le bas-côté et passe-moi le volant !Je t’en supplie, arrête-toi.— Tu rêves. Je suis pas bourré, et même si je l’étais, je conduirais quand même mieux que toi, du

haut de tes dix-sept ans. Si tu me demandes encore de m’arrêter, je le ferai, et ce sera pour te flanquer

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une raclée ici, devant tout le monde. Tu ne prendras pas ma voiture, Damon, alors laisse tomber !Évidemment. Quel crétin ! Je m’agite dans mon siège et je resserre un peu ma ceinture. Il ne le

remarque pas et c’est tant mieux. Je n’ai pas envie d’entendre que je suis une chochotte, par-dessus lemarché.

— Papa, tu es saoul. Allez, s’il te…Ses yeux froids me transpercent et je tique. L’espace d’une seconde, j’ai bien cru qu’il allait

m’envoyer un coup de poing là, dans la voiture. Nous zigzaguons un peu sur la chaussée, mais il neme frappe pas. Il se contente de me river à mon siège par son regard haineux, celui qui me faittoujours aussi mal. Je pense ne jamais l’avoir vu me regarder avec amour, comme un père normal.Pas une seule fois. Cela me pousse à le détester et à détester ma mère, qui qu’elle soit. Peut-êtreencore plus que je ne le déteste lui. Elle ne voulait pas de moi, alors elle m’a refilé. C’est à caused’elle que je vis ce calvaire. Je voudrais qu’ils soient morts tous les deux. D’ailleurs, qui sait ? Ellel’est peut-être déjà.

— Tais-toi tout de suite, ou je te réduirai au silence, comme la pute menteuse qui t’a tenu lieu demère.

— Papa, tu roules n’importe comment ! Gare-toi. Je t’en prie !Maintenant, il me fait vraiment flipper. S’il continue, on va foncer dans un poteau. Je dois faire

quelque chose. Il lève la main bien droit et prend de l’élan pour me balancer une énorme baffe,comme il l’a déjà fait tant de fois.

— Je vais t’apprendre à obéir, sale petit morveux !En tournant la tête pour l’éviter, j’aperçois quelque chose. Oh, putain ! Je tends les mains vers le

volant.— Papa, fais gaffe !L’impact est assourdissant. Du verre qui casse, du métal qui s’enfonce, des pneus qui crissent sur

la chaussée, de la fumée. Je suis projeté en avant, mais heureusement, retenu par la ceinture desécurité. Je relève la tête pour essayer de distinguer des formes à travers les émanations quis’échappent du capot. J’ai réagi trop tard. Je suis entièrement responsable. Nous avons heurté uneautre voiture, de plein fouet. La vieille Caprice Classic d’une solidité à toute épreuve de papa adéfoncé une petite guimbarde bon marché. J’aurais dû rentrer à pied ou appeler quelqu’un d’autre.J’aurais dû le forcer à s’arrêter pour me tabasser. C’est bien ça, je suis une chochotte, et j’aurais dûme comporter en homme. Merde, merde et merde ! Je détache ma ceinture, les mains tremblantes,puis je déboucle celle de mon père. Il a l’air d’avoir peur, ce con. Ça alors…

— Écoute un peu, garçon. C’était toi qui conduisais, compris ?Quoi ? Il veut que ce soit moi qui sois déclaré fautif ?— Papa, je…Il se penche vers moi et j’ai l’impression d’être au-dessus d’une bouteille ouverte.— Tu-étais-au-volant. Essaie de voir ce qui arrive si tu dis autre chose, chochotte ! Essaie un

peu !Il postillonne sur ma joue et j’esquisse un mouvement de recul.Je ne dis rien. Je dégage ma mâchoire, qu’il a emprisonnée dans sa main, et je sors par mon côté.— Oh, putain ! C’est pas vrai !Ma propre voix me paraît très lointaine.Je suis comme figé. Je n’arrive pas à bouger. L’avant de notre voiture est maintenant imbriqué

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dans l’autre véhicule, en plein milieu. On dirait un accordéon. Putain de merde ! Il y a du sangpartout sur le pare-brise. J’ai peur, je ne veux pas y aller. Je ne peux pas. Je passe les mains dansmes cheveux. Papa arrive à côté de moi, l’air indemne. Je n’ai rien non plus. Dans l’autre voiture,c’est évident qu’ils sont touchés.

— S’il vous plaît !Il y a quelqu’un en vie là-dedans ! Vite, je surmonte ma terreur et je me précipite vers l’auto. Du

peu que je vois par la vitre éclatée, les deux personnes sur les sièges avant sont inconscientes. Toutest couvert de sang.

— Oh, mon Dieu. Oh, mon Dieu, je suis désolé. Oh, mon Dieu !Je n’arrive pas à cesser de parler, comme si ça pouvait aider.— Aidez-moi, s’il vous plaît !Je la vois facilement, car la vitre n’est plus là. C’est une petite fille coincée derrière le siège du

conducteur. Elle est plus jeune que moi, a les cheveux sombres et ouvre de grands yeux effrayés. Lecœur explosant dans ma poitrine, je rassemble toutes mes forces pour tirer sur la portière défoncée.Elle s’ouvre avec une telle rapidité que j’en tombe presque à la renverse. En temps normal, je seraismortifié, mais là, je m’en fous complètement. Tout ce que je veux, c’est aider ces gens.

— C’est bon, je m’occupe de toi. Allez. Papa, sors-les de devant. VITE !Le choc a tout fait reculer. Le capot se trouve maintenant là où devrait être le tableau de bord, et

les deux sièges avant sont compressés. Je dois la tirer de là. Je jette un bref regard à l’avant etle regrette aussitôt. La femme, sûrement la mère, a du sang qui coule de l’orbite gauche. Tellement desang que je ne vois pas si son œil s’y trouve encore. Ses cheveux aussi sont englués de liquiderougeâtre et elle ne bouge pas. Je ne sais pas si elle respire, mais j’ai appris au lycée à prendre lepouls de quelqu’un, donc je tends le bras au-dessus de la petite fille et garde les doigts juste à côté dela montre de la femme. Comme j’ai appris. Je ne sens rien, peut-être à cause de mon cœur qui bat, lui,à un rythme effréné, et de mes mains qui tremblent ? Non, rien. Il faut que je sorte cette enfant de là.Je l’attrape avec prudence. Le plus tôt sera le mieux, je suppose. Sa jambe est en sale état et letransport va lui faire mal, mais elle doit être examinée. Je la tire vigoureusement du véhicule et laprends dans mes bras. Oh, merde ! Je défaille presque en voyant l’os qui affleure à travers sa peau.Quelle horreur. Je réprime un haut-le-cœur. Ça doit faire atrocement mal. C’est ma faute.

— C’est ma faute. Je suis désolé. Je suis vraiment désolé. Je vais m’assurer que tu vas bien.Il faut que je l’aide. Je ne peux pas changer la situation, mais je peux l’améliorer, peut-être. Il y a

sans doute quelque chose à faire. Je dois essayer. L’ambulance arrive et je tends aussitôt la petite auxinfirmiers, qui me repoussent. Bien sûr, je dois les laisser s’occuper d’elle, mais j’aurais voulurester à ses côtés. Elle n’a personne d’autre. Elle a besoin de quelqu’un, qui regarde et attende. Sesparents ne vont pas s’en sortir, c’est évident. C’est ma faute, alors je serai là pour elle. Je serai sonquelqu’un.

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1

Toujours debout6 août 2012

Je suis toujours debout, même si c’est tout juste. Je ne vais pas me mentir en prétendant que jesuis plus forte d’avoir traversé toutes ces horreurs. Ça ne m’a rien apporté du tout. J’ai le sentimentd’avoir détruit à moi toute seule l’unique bonheur que m’offrait mon existence : Damon. Le fardeaude la culpabilité me paralyse. Je n’ose pas imaginer ce qu’a pu vivre mon Grand Mec toutes cesannées. Comment a-t-il pu se sentir fautif ? Ce n’était qu’un ado. Il n’était pas plus responsable decet accident que moi. Je voudrais pouvoir affirmer la même chose de ce qui s’est produit il y a unesemaine. Si seulement je l’avais laissé s’expliquer… Le souvenir des événements est encore frais etpour une fois, je souhaite que le temps l’efface. Un instinct profondément enfoui me souffle que je nedevrais pas attendre. Le rôle que j’ai joué dans ce que Damon s’est infligé me poursuivraprobablement jusqu’à ma mort et je ne vais pas raconter que je mérite mieux. C’est moi qui ai merdéce jour-là.

Son dernier geste, c’était il y a une semaine – un lundi, comme aujourd’hui.Mon téléphone avait tellement sonné que j’avais fini par carrément l’éteindre. Damon avait

tambouriné à ma porte pendant des jours, jusqu’à ce qu’une voisine snob appelle la police pour lefaire partir. Je n’avais pas regardé mes e-mails, je n’étais allée nulle part… et je n’avais rien fait.Rien. J’avais passé quatre jours sur le vieux canapé de Sutton, chanceuse de simplement continuerd’exister. Quatre jours que je n’avais pas vu Damon, et c’était, je croyais, tout mon monde qui avaitvolé en éclats.

Maintenant, je sais que mon monde s’était juste fissuré quand j’ai appris qui était vraimentDamon. Je me suis vraiment effondrée quatre jours plus tard, et ça a commencé par des coups sur laporte. Des coups plus doux que les précédents, mais insistants, qui ont fait japper Hemingway tandisque je poussais des râles d’animal mourant. Et c’est exactement ce que j’avais l’impression d’être.

— Vaaaa-t’eeeeeeeeeeen !On a frappé plus fort.— Ma fille, tu as intérêt à ouvrir.Gramz ! Oh non, c’était Gramz ! Par cette chaleur, elle allait tourner de l’œil. J’ai roulé au bas du

canapé et marché un temps à quatre pattes, avant de me mettre debout et d’ouvrir la porte en grand, sivite qu’un énorme courant d’air chaud a déferlé dans la pièce.

Gramz m’a jeté un coup d’œil rapide et s’est presque étranglée.

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— Tu as une tête de déterrée ! Mais alors, tout droit sortie de la tombe ! Avec encore la crasseet…

C’était bien plus mortifiant venant d’elle que de quelqu’un d’autre.— C’est bon, j’ai compris. Entrez, Gramz.Elle a esquissé un sourire poli et levé un doigt tremblant vers la voiture qui l’attendait. Puis elle

est entrée à petits pas avec son déambulateur.— Je suis venue te mettre les idées au clair, jeune fille !Comment ça, me mettre les idées au clair ? Je me suis renfrognée et elle a plissé le nez. Ça ne

doit pas être ma plus jolie tête.— Moi ?— Oui, toi ! a-t-elle affirmé d’un ton sévère en agitant un doigt menaçant. Ça me désole, mais il

faut que tu saches.Ça la désolait ? Bon, mon affection pour elle n’était pas forcément réciproque, comme je le

croyais.— Je t’aime énormément, m’a-t-elle assuré en me tapotant la main. J’espère qu’une fois que tu

m’auras écoutée, tu iras à la recherche de Damon, que vous vous embrasserez et que vous serezréconciliés.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? Le chercher ? Où est-il passé ?Mon cœur s’est emballé et je me suis mise à paniquer un peu à l’idée de ne jamais le revoir.— J’y arrive dans une minute. Une chose à la fois.J’ai acquiescé et me suis efforcée de paraître calme et attentive.— Donc, j’ai reçu deux lettres ce matin. L’une était pour toi et l’autre pour moi. Dans la mienne,

Damon disait qu’il savait que tu finirais par venir me voir, et me demandait de te donner la tienne.Mais avant tout, il faut que tu saches que ce n’était pas Damon au volant.

— Quoi ?Gramz a hoché fermement la tête pour confirmer ses dires.— Il ne conduisait pas. C’était mon gros nul de fils ivrogne. Il a demandé à Damon de se

dénoncer à sa place parce qu’il était mineur, et surtout, parce qu’il n’avait pas bu. Damon s’en esttoujours voulu de ne pas avoir convaincu Eddie de lui laisser le volant.

Oh, non. Je me suis penchée en me tenant le ventre. J’avais envie de vomir. Ce n’était pas lui. Iln’était pas responsable.

— Comment peut-il penser… Comment… Pas sa faute…J’ai traversé la pièce pour aller m’asseoir à côté de Gramz, qui a pris ma main tremblante dans

les siennes et m’a laissée sangloter un moment.— Je dois le voir. Il faut que je lui parle !Je commençais à chercher les clés de la voiture quand Gramz a sorti l’enveloppe.— Il ne répond pas et personne ne sait où il est. Ouvre ta lettre. Il t’a peut-être dit où il allait.Je lui ai arraché l’enveloppe des mains et l’ai déchirée avec empressement. Je l’ai lue tant de

fois cette semaine que je la connais maintenant par cœur.

Ma Joséphine,J’aurais dû être plus malin ce jour-là. J’aurais dû avoir plus de courage. J’aurais dû l’arrêter

à tout prix. Si j’avais réussi, rien de tout cela ne serait arrivé. Tu n’aurais jamais été blessée.

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Nous aurions pu nous rencontrer et passer notre vie ensemble. Il faut que tu saches que j’ai passédes jours innombrables à penser aux façons dont j’aurais pu changer le cours des événements decet été si lointain. Si seulement j’avais su comment les choses allaient tourner, j’aurais faitn’importe quoi pour t’épargner la tragédie qui a frappé ta famille, et dont je m’estimeresponsable. Mon père ne s’est pas contenté de détruire des voitures et de tuer tes parents, cejour-là. Il a détruit ta vie et la mienne en même temps. Et j’étais le seul qui aurait pu arrêter toutça. Si je le pouvais, je prendrais la place de tes parents. Je ferais tout pour te faire connaître lebonheur. Je vais m’assurer de n’être plus qu’un souvenir pour toi. Tu n’auras plus à endurer lasouffrance de me revoir. L’agonie que j’ai lue dans tes yeux il y a quatre jours est bien plus que jene puis supporter. Je ne peux qu’espérer qu’un jour, peut-être, tu sois capable de sourire enrepensant à nous, à la passion et à l’amour que nous avons partagés. Ce sont des souvenirs qui metourmentent et me réconfortent à la fois. Quand tu étais mienne, tu rendais tout meilleur. Ma vieétait meilleure, et moi aussi. Tu as été mon remède. Tu as fait disparaître la douleur. Je ne pourraijamais échapper à mon passé, j’en suis conscient désormais. Sache que je ferais tout, je donneraistout, pour être en mesure d’arranger les choses. Je tiens à te remercier de m’avoir fait le plusbeau cadeau que j’aie connu. Pendant ce qui semble un instant éphémère, j’ai vécu dans lebonheur de ton affection. Ne jamais connaître à nouveau ce bonheur est une souffrance que je nepuis supporter. Mon cœur est avec toi pour toujours, Joséphine. Je t’aime.

Damon

P.-S. : Je te laisse tout.

Des larmes ont jailli de mes yeux exorbités. Mon cœur battait si fort dans ma poitrine quej’arrivais à peine à respirer. Gramz m’a pris la lettre des mains et l’a parcourue à son tour. J’ai bondide mon siège et commencé à chercher mes chaussures. Je me suis emparée de la paire de sandales laplus proche et je me suis déshabillée là, dans le séjour, devant Gramz. J’ai enfilé un haut propre et unshort. Où pouvait-il être ? Je ne savais même pas par où commencer.

— L’accident, a murmuré Gramz, qui regardait la lettre.— Quoi ?Elle a relevé vers moi sa tête aux cheveux argentés et j’ai aperçu des larmes dans ses yeux.— L’emplacement de l’accident. Il y allait souvent et se garait en face. Il y restait des heures,

jusqu’à ce que je vienne le trouver. Tu dois aller le chercher.Sans hésiter, j’ai attrapé les clés sur la table basse et j’ai couru à la porte. J’ai failli m’étaler sur

le trottoir en sautant de la marche du haut directement au bas du perron. J’ai couru vers la voiture deSutton. Je savais où s’était déroulé l’accident, j’y étais retournée des milliers de fois, moi aussi. Jerestais là, malheureuse, je repensais à papa et maman et au garçon qui m’avait sortie de la voiture.

Pendant toutes ces années j’avais pensé à Damon. Je n’avais jamais oublié le grand garçon quin’arrêtait pas de répéter qu’il était désolé et qu’il allait s’assurer que je m’en sortirais. Et c’est cequ’il a fait. Il a fait en sorte que j’aille mieux que bien. Il m’a retrouvée à la librairie, et c’est commesi tout avait changé en un instant.

Il fallait que je le retrouve, que je lui dise que ce n’était pas sa faute. Je devais lui dire à quelpoint je l’aimais.

J’ai conduit au-dessus de la limite autorisée aux abords de Las Vegas. Quand j’ai emprunté

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l’étroite route familière, mon cœur me faisait mal. Mon estomac s’est noué atrocement. Il y avaitquelque chose qui n’allait pas. Pas du tout. Je le savais. Je le sentais, comme j’avais senti venir lamort de Sutton. J’ai écrasé l’accélérateur et la voiture s’est élancée encore plus vite, jusqu’à ce quej’aperçoive des feux arrière. Je me suis penchée dans mon siège pour mieux voir.

— La camionnette !J’ai freiné d’un coup, soulevant des nuages de poussière. À peine au point mort, j’ai sauté de la

Sedan, mais je n’ai pas vu Damon dans la camionnette… J’ai couru vers le véhicule et me suis hisséesur le marchepied pour jeter un œil à l’intérieur.

— Damon !Affolée, je suis redescendue pour ouvrir la portière. Une odeur d’alcool m’est parvenue par

bouffées au visage.— Damon ! Mon chéri, réveille-toi !Il était allongé en travers du siège. Je suis montée dans le véhicule, utilisant toutes mes forces

pour le soulever. Je suis parvenue à le redresser, mais j’ai pris conscience que la bonne nouvelles’était transformée en mauvaise. Dans sa main immobile, il serrait un flacon de médicaments.

— Oh, merde, merde ! Qu’est-ce que t’as fait ? ai-je hurlé.J’ai sauté au bas du véhicule et j’ai couru à ma voiture.— Allez, allez, allez.J’ai trouvé mon téléphone pour appeler les secours.— De l’aide, s’il vous plaît ! On est à Scenic Loop, il y a eu un accident. Envoyez-nous une

ambulance !Je suis retournée à la camionnette, où j’ai giflé plusieurs fois Damon, sans effet.— S’il te plaît, chéri, réveille-toi !J’ai posé deux doigts sur son cou, puis son poignet. Rien.— Non, non, non… Damon !J’ai posé son grand corps lourd et inanimé sur mes genoux et je l’ai secoué.— Non, pas toi. Ne me quitte pas. Ne me quitte pas. Je t’aime ! Je t’en prie, Damon !Il ne réagissait toujours pas et j’ai craint qu’il ne soit vraiment parti.Enfin, j’ai entendu l’ambulance qui arrivait et des portières qui claquaient.— Madame, il faut que vous sortiez.J’ai glissé en dessous de Damon et laissé son corps inanimé sur le siège. Un officier de police

m’a attrapée et tirée en arrière pour m’éloigner de la camionnette.— Damon ! Je t’en supplie ! Réveille-toi !Impuissante, j’ai regardé les infirmiers le sortir du véhicule et l’étendre sur un brancard. L’un

d’eux s’est penché au-dessus de lui pour tenter de le ranimer. Les deux autres ont embarqué la civièredans l’ambulance pendant que le premier poursuivait ses manœuvres.

Je suis tombée à genoux et la dureté du bitume n’est même pas arrivée à mon cerveau, oblitéréepar la douleur dans ma poitrine. J’ai regardé le gyrophare de l’ambulance s’éloigner et je suis restéelà, paralysée par le choc et la peur.

Une semaine plus tard, je suis là. Toujours au même endroit. Là où j’ai rencontré Damon.

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2

BasculéTout a basculé. Le monde à mes pieds est devenu un chaos. Toute ma vie est passée à l’essoreuse

et j’en ressens les effets. Je suis un zombie, je marche sans aucune idée de quoi faire ou comment lefaire. Je ne me souviens pas d’avoir un jour souffert ainsi, même à la mort de papa et maman.L’homme que j’aime a choisi de mettre fin à ses jours et je ne comprends pas. L’apercevoir là, danssa camionnette au bord de la route, m’a complètement détruite. En le trouvant, j’ai ressenti une terreurabsolue, comme je n’en avais jamais connue. Jamais. Pas pendant l’accident. Pas quand j’étais à larue. Pas quand je savais que la librairie allait couler. Pas même quand j’ai aperçu le capitaineécroulé à terre, avec à peine encore une lueur de vie dans les yeux. Voir Damon, inanimé, sansréaction, m’a fait découvrir un abîme d’effroi insondable.

Je n’étais même pas au courant qu’il était possible d’avoir aussi peur.Je m’arrête devant le dressing de Damon. Je ne sais pas du tout ce que je fais. Je dois lui choisir

des vêtements, mais je ne sais pas ce qu’il voudrait s’il était là. Pas un costume, déjà. Chaque foisque je l’ai vu en porter, c’était de façon on ne peut plus décontractée : la cravate nouée, maisdesserrée ; les manchettes déboutonnées et remontées ; la veste laissée dans un coin ; le col de lachemise assez ouvert pour laisser apparaître le creux des clavicules à la naissance de son cou.

Je me dirige vers l’interminable portant. Mes mains se soulèvent d’elles-mêmes pour effleurerles habits un à un. De la flanelle toute douce. Du velours usé. Des chemises bien repassées. Je saisque je ne fais que me torturer, mais je ne résiste pas : j’enfouis le visage dans les tissus. Je chercheson odeur, j’inspire à fond… Je veux l’imaginer dans ces vêtements, dans ce dressing avec moi, entrain de parler de tout et de rien. On se toucherait et on se regarderait. Mais les vêtements n’ont passon parfum. Pas celui du Damon que je connais, et dont je suis tombée amoureuse si vite. Ils dégagentdes effluves de propre, une odeur presque stérile qui me ramène à la réalité. Je veux qu’il revienne.Notre temps ensemble a filé comme l’éclair, c’est vrai, mais tout ce que je sais, c’est que je veuxqu’il revienne. Exactement comme avant. Je veux mon Damon. Mon amour.

L’envie de pleurer, c’est tout ce que je connais depuis des jours. Au début, j’ai sangloté. J’aipleuré comme un veau, tellement que j’en étais presque malade. Maintenant, la sensation brûlante deslarmes toutes proches est toujours là, mais elles ne sortent plus. J’avais déjà entendu l’expression« pleurer toutes les larmes de son corps », mais je n’y avais pas réfléchi. Je supposais qu’ils’agissait d’un de ces dictons débiles que les gens aiment à répéter : « choisir entre la peste et lecholéra » ; « le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre » ; « il n’y a pas de fumée sans feu », et toutes

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ces platitudes que je n’écoute jamais. En fait, je n’écoute pratiquement rien de ce qu’on me dit. Jeconsidère comme une chance d’en être capable.

J’opte pour une chemise, un pantalon, un blouson, des chaussures et je les place dans un sac.Avec des gestes mécaniques, je rassemble aussi quelques affaires à moi. Mon pauvre petitHemingway se demande ce qui se passe. Il voit seulement que quelque chose ne tourne pas rond. Leschiens sentent ces choses-là. Il me regarde depuis le sol, mon petit chiot, les yeux étonnés sous sonpelage hérissé. Je lui ébouriffe les poils de la tête et le prends dans mes bras.

— Allez, il faut y aller. Inutile de remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même.Je grince des dents en entendant la maxime ridicule sortir de ma bouche. Marre des maximes

ridicules.Je tourne à l’étage, comme dans un brouillard, le sac de Damon dans une main, Hemingway dans

l’autre. En traversant la bibliothèque, je m’arrête un temps et je sens les larmes monter. J’attends,espérant l’émotion qui se dérobe à moi. Encore un signe de mon comportement autodestructeurpathologique. Quelque part dans ma tête dérangée, je me dis que si j’arrivais à pleurer assez, je mesentirais mieux. J’évacuerais tout et je m’en remettrais. Comme si, en pleurant fort et longtemps, laculpabilité allait disparaître.

— Ri-di-cule.Je regarde sans les voir les rayonnages de livres, j’aperçois le fauteuil où Damon s’est emparé

de mon esprit, de mon âme et de mon corps. Aucune larme ne pourra effacer mon ressenti. C’est mafaute s’il a voulu en finir. C’est moi qui n’ai pas voulu écouter son récit de l’accident. Moi qui suispartie du principe que c’était lui au volant. Forcément, le garçon qui était venu me voir sur le momentn’arrêtait pas de dire que c’était sa faute, alors j’ai toujours cru que c’était lui qui conduisait. Si jen’avais pas quitté Damon, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Je serre Hemingway sous mon bras, si fort qu’il émet un petit aboiement condescendant, genre« mollo, m’dame ! », puis je sors du loft. Dans une demi-heure, je dois retrouver Brian, le fidèleassistant de Damon, pour régler les « détails » que je redoute, et je commence à être en retard. Je n’aipas hâte d’y être, mais il faut bien.

Je ferme la porte de l’appartement aussi doucement que possible. À ce moment précis, j’ai lesentiment d’avoir ouvert la porte sur notre avenir.

Trente minutes plus tard, je suis dans mon bureau de la librairie. Je pose mes affaires et regardeautour de moi. La réfection a été remise à plus tard et une couche de poussière de crépi recouvre tout.Des cartons sont empilés à la diable, par quatre ou cinq, dans le magasin désert. L’ancienne caisseenregistreuse a été enlevée pour faire place à un nouveau système informatisé. Sans les livresdébordant des étagères et leur senteur familière d’encre et de papier, l’endroit a une odeur bizarre.

— Pas terrible, hein ? dis-je à Hemingway.Il souffle un grand coup et s’installe dans son panier douillet sous mon bureau.— Oui, je sais, c’est le bordel.Je regarde à nouveau mon chiot, qui s’est déjà endormi.Super, je suis encore en train de parler toute seule.Le sac que j’ai rapporté de l’appartement m’attend, et enfin, je m’y colle. Je n’ai pas beaucoup

de temps avant l’arrivée de Brian, alors je dois me dépêcher. Avec soin, je mets de côté lesvêtements de Damon pour Brian, puis je décharge mes affaires pêle-mêle. Je range ma cafetièrequatre tasses, place quelques stylos dans un tiroir du bureau, flanque de petits ustensiles de toilette

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dans mon sac à main et pose dans le coin une photo du capitaine.Je l’ai fait encadrer cette semaine et je suis passée la récupérer en allant à la librairie. Je voulais

un souvenir du capitaine et j’ai donc fouillé sa maison de manière éhontée avant de trouver cettephoto dans une vieille cantine au grenier. J’ai frôlé la crise cardiaque lors de mes recherches : aumois d’août, la chaleur du désert est torride. Le temps de trouver, j’étais dégoulinante detranspiration, mais ça valait le coup. C’est un cliché d’un capitaine bien plus jeune, posant devant lalibrairie, fier comme Artaban. L’écriture au dos dit : « Inauguration, 3 avril 1972 ». Quand je l’aitirée de la liasse de papiers et autres photos, j’ai su que c’était exactement ce qu’il me fallait. Cela nefaisait que deux jours que j’avais trouvé Damon sur le bas-côté et je me traînais lamentablement.J’avais besoin de voir le capitaine, j’avais envie de me confier à lui, ce qui, évidemment, étaitimpossible. Mais je préférais parler à une photo qu’à une pierre tombale. J’ai effleuré les contoursde son visage sur le papier glacé et j’ai pleuré pendant une bonne heure, seule dans le grenierétouffant. Je n’ai pas versé une larme depuis.

Sa photo rend bien sur mon bureau. Quand la réfection du magasin sera terminée, je la déplaceraià l’avant, près de la caisse, pour que le capitaine voie ce que sa librairie est devenue. Je sais que detoute façon, il regarde par-dessus mon épaule depuis là-haut, mais autant en avoir un rappel physique.Il me manque plus que jamais. J’aimerais qu’il soit là pour qu’on se chamaille, qu’on rivalise debons mots, qu’on mange des mauvais plats chinois à emporter. Il me manque, surtout maintenant.

Je n’avais jamais perçu que mon attachement au capitaine était si fort. Je l’ai compris une foisqu’il est parti. Je l’aimais et maintenant qu’il m’a laissée en me désignant comme héritière, je saisque lui aussi m’aimait, ce vieux sacripant. Notre relation semblait se fonder sur une tolérancemutuelle, et je ne sais pas si elle aurait pu évoluer. Je suis un désastre ambulant et il l’était aussi. Ilparlait très peu de son divorce, qui s’était très mal déroulé, et de sa famille qu’il ne voyait plus, maisil était miné. Je ne connais pas les raisons exactes de cet éloignement, mais c’est ce qui l’a achevé.Cette situation l’a rendu solitaire et amer, et ensemble nous pratiquions donc la solitude etl’amertume. Ce mode de vie nous convenait. J’avais quelqu’un à qui rendre des comptes etinversement. Nous entretenions un lien, même si nous l’aurions nié férocement.

Ma gorge se serre et je fais de mon mieux pour ravaler mon chagrin sans suffoquer. Toujours pasde larmes. S’il était en vie, je le serrerais dans mes bras, le plus fort possible, et je lui dirais que sinous sommes tous les deux amochés par la vie, ce n’est pas grave : au moins, on est amochésensemble. Même les rescapés de ce monde ont besoin de quelqu’un à aimer, d’une personne sur quicompter. C’est peut-être pourquoi ça a aussi vite collé entre Damon et moi ; j’avais une longuepratique de coexistence avec le capitaine, triste et mal en point.

— Toc, toc !Je reprends contenance et sors du bureau pour retrouver Brian dans la librairie. Il n’est pas à

l’aise au milieu du chantier, avec sa besace sur l’épaule. Il est l’image même du gay sorti du placard,si tant est qu’il ait dissimulé son homosexualité un jour. Je crois qu’il est né avec des jeans slim, uneveste ultra-mode et des lunettes de créateur.

Je respire profondément pour me reprendre après mon moment de faiblesse.— Entre ! dis-je avec autant d’enthousiasme que je peux. Attention à tous les trucs partout, on se

croirait dans les tranchées, ici.— Alors là, tu l’as dit, approuve-t-il en scrutant les alentours d’un œil critique.— Viens par ici, dis-je en lui faisant signe de me suivre dans le bureau du capitaine.

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Après s’être frayé un passage entre les piles de cartons et le matériel de rénovation, Briandécolle mon vieux fauteuil du mur pour s’asseoir près de moi. Pendant un temps, nous nous regardonstous les deux.

— Comment te sens-tu ? demande-t-il en me tapotant la main avec douceur.Je prends une grande inspiration et m’emplis les poumons au maximum avant d’expirer. Je

m’enfonce dans le fauteuil brinquebalant du capitaine et je garde les yeux au plafond un instant enm’intimant de rester calme. Je dois me rappeler que pour Brian aussi, c’est difficile. Lui et Damonétaient proches. Ils se connaissaient depuis des années et Brian était son assistant depuis longtemps.Il a passé plus de temps avec Damon que personne d’autre.

— Ça va aller mieux, je t’assure. Tu ne peux pas t’en vouloir, d’accord ?Je ne le trouve pas condescendant comme je le pourrais. Il a la voix douce, mélodieuse, et tout à

coup, j’ai envie de tout lui dire.Bien sûr que je peux m’en vouloir ! C’est ma faute ! J’aurais pu l’arrêter. J’aurais pu tout

empêcher. Mais je n’y suis pas arrivée et je le paye. Je mérite de souffrir. Je le réduis au silence parun regard noir qui lui signifie clairement de fermer sa gueule. Le problème, c’est que Brian a encoreplus d’assurance que moi et qu’il sait recevoir ce genre d’amabilités comme un pro. Il hausse sessourcils bien dessinés, pince ses lèvres hydratées au beurre de cacao et claque la langue. Je croisbien que ce petit blondinet aux yeux bleus est en train de devenir un ami et je ne peux pas prétendreque ça me dérange. J’aurais bien besoin d’une épaule de plus.

— Tu peux me regarder comme tu veux, ça ne changera rien au fait que j’ai raison.Il plisse les yeux et croise les bras, secouant la tête d’un air exagérément peiné.J’hésite entre rire et m’effondrer. Je ne sais pas où je vais et j’ai l’impression de vivre un

cauchemar depuis des jours. Malgré tout, la présence de Brian m’a aidée. J’aime son attitude « on-me-la-fait-pas », son franc-parler et son excentricité. Il me soutient vraiment depuis que j’ai retrouvéDamon inanimé.

Sans mes deux quasi-amis, lui et Noni, la serveuse entre deux âges, je serais complètement seule.Je pensais l’être auparavant, mais c’était faux. Je n’ai pas été vraiment seule depuis bien longtemps.Pendant sept ans, j’ai eu le capitaine et Noni. Je ne m’étais jamais rendu compte que, sans m’être liéspar le sang, ils étaient ma famille. Ils veillaient sur moi et moi sur eux ; c’était suffisant. Ensuite, j’aieu Damon l’espace d’un éclair et maintenant, Brian a rejoint les rangs. C’est sans doute trivial pourla plupart des gens, mais pas pour moi. Maintenant, je comprends la valeur de ce que j’ai : je crée mapropre famille qui me soutient.

Enfin, j’acquiesce à ce que dit Brian. En théorie, je le sais : je ne devrais pas me sentir coupablede ce qui s’est produit. Même si je ne suis pas entièrement d’accord, je vais tranquilliser mon nouvelami pour le moment.

Il m’envoie un pâle sourire, prend sa tablette dans son sac et ouvre une liste à cocher :— Tu as apporté ses vêtements ?Cette allusion fait paraître la petite pièce encore plus confinée. Ses vêtements.Je me penche dans le fauteuil qui craque et pose mon front sur mes bras repliés.— Oui, je murmure d’une voix sans timbre.— Très bien, dit-il en poursuivant sa liste. Je t’ai pris rendez-vous avec le docteur Versan. Tu

iras, c’est compris ?— Moui.

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Je n’ai pas spécialement envie de voir le psy, mais je dois le reconnaître, peut-être est-il un peufamilier de ce genre de mécanismes de l’esprit. C’est vrai qu’il m’incite à réfléchir, même si je ne luien fais pas forcément part. De toute façon, après toute mon histoire avec Damon, il faut à tout prix queje le consulte régulièrement. C’est la seule façon de supporter la situation.

— Tu as parlé à Bernice ?— Brian, il faut dire Gramz. Elle déteste son prénom, donc appelle-la Gramz quand tu la verras.— D’accord. Et elle a parlé à Edward de ce qu’on a prévu ?Je frissonne un peu à la mention du connard de père de Damon.— Oui, elle est en contact avec Edward, je confirme. Il le sait, mais il ne sera pas présent.Brian hoche la tête, fait apparaître plusieurs pages sur sa tablette et prend des notes.— Bon, tu n’as plus qu’à donner le top départ, conclut-il en refermant l’étui de sa tablette, qu’il

replace dans sa besace.Je gémis intérieurement, sachant ce que j’ai à faire. Ça va me vider de toute mon énergie, mais je

n’ai pas le choix. C’est Damon qui a décidé pour moi. Je prends mon chien sous le bras et le donne àBrian.

— OK. Allons-y.

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3

Lot de consolationJe tape deux fois sur la porte à peine entrouverte de la chambre 210 et je m’y glisse aussi

discrètement que possible. C’est mon infirmière préférée, Diane, qui vérifie où en est Damon, etj’attends patiemment qu’elle ait terminé ses soins de routine. C’est elle son infirmière de jour depuisqu’il est arrivé dans cet hôpital il y a une semaine et je l’aime beaucoup. Elle est bien plus sympa queles infirmières de nuit. Elle est assez âgée, amicale et abordable. Elle me demande toujours commentje vais et fait de son mieux pour me mettre à l’aise. Elle ne rit jamais de mes questions et me donnetoujours autant de renseignements que possible. Elle ne s’est jamais montrée condescendante, et jel’apprécie beaucoup plus que certains médecins que j’ai vus entrer et sortir de la chambre.

Elle se retourne en m’entendant entrer dans la pièce calme. Son petit sourire m’apprend que rienn’a changé et je me sens abattue, mais je veux quand même lui demander, au cas où. Elle m’adresseun signe de tête, m’indiquant que nous pourrons parler d’ici une minute. Elle tapote la grande main deDamon et s’écarte de lui.

— Je crois bien que vous n’étiez jamais restée partie aussi longtemps depuis qu’il est là, lance-t-elle avec un sourire entendu.

Merde alors ! Je ne suis partie que quelques heures ! Je sais que ce n’est pas un reproche, maisça éveille quand même ma culpabilité. Apparemment, Diane lit dans les pensées, parce qu’en mevoyant regarder mes pieds, elle poursuit :

— Je suis contente que vous soyez capable de faire une pause, Jo. Il n’y a rien de mal às’éloigner un petit moment. Parfois, ça donne une nouvelle perspective.

— J’avais juste besoin de dépatouiller, pardon, je veux dire, de régler quelques trucs pour savoircomment l’accueillir quand il rentrera. Ça me fait peur.

Les paroles franchissent mes lèvres avant que j’en aie conscience et je me sens idiote. Elle n’estpas psy, elle n’a pas besoin de savoir que j’ai une trouille monstre de faire revenir Damon chez lui.

Elle pose la main sur mon bras qu’elle presse de façon rassurante.— Ça va simplement prendre du temps. Il va guérir. Il paraît que le docteur Versan est parmi les

meilleurs. Il l’aidera, ayez confiance.J’ai envie de rejeter sa main quand elle parle de confiance. Je n’ai confiance en rien ni en

personne ; surtout pas en l’aptitude du docteur Versan à guérir des patients dans l’état de Damon.Diane m’adresse l’un de ces sourires compatissants que je méprise tant et me contourne pour quitterla pièce.

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Je me retrouve face à l’amour de ma vie, à part que ce n’est plus celui de ma vie. Je n’ai pas lamoindre idée de l’identité de l’homme allongé dans ce lit, mais ce n’est pas le Damon que je connaiset que j’aime. Le Damon de qui je suis tombée amoureuse, on le croirait mort et parti très loin d’ici.Je souhaiterais plus que tout au monde le récupérer, mais je ne sais pas comment faire. J’essaie detoutes mes forces, depuis des jours, de l’amener à me regarder. À me dire quelque chose. À direquelque chose tout court.

Il refuse de parler. Il ne réagit à rien. Il reste allongé, sans bouger, sans expression. Quand j’ai pualler le voir une fois son état stabilisé, j’ai couru à son côté et j’ai pris son visage entre mes mains.Je pleurais si fort et avec tant de soulagement que j’en avais mal aux poumons. Je lui ai pressé lamain, mais il ne l’a pas serrée en retour. Des larmes s’échappaient de ses yeux impassibles, maisdepuis, rien. Je sais qu’il a conscience de ma présence. Je sais qu’il entend et voit tout le monde. Ledocteur Versan m’a tout expliqué. Quand j’ai compris qu’il était aussi… parti, j’ai flippé et j’aiinsisté pour que les médecins procèdent à des analyses plus approfondies. J’étais certaine qu’il avaitsubi un dommage cérébral ou en tout cas, quelque chose qui cause ce silence. Évidemment, aprèsqu’il a menacé d’appeler la sécurité pour la deuxième fois, je me suis tue et je l’ai écouté. Ce n’estpas que je ne les croyais pas, mais c’était très douloureux de les prendre au mot. Le docteur Versan,comme tous les médecins qui sont passés examiner Damon, et comme les infirmières, m’a expliquéqu’il s’agissait d’un phénomène courant : un choc peut traumatiser quelqu’un au point que cettepersonne se ferme complètement, et se retire dans sa tête.

J’entendais bien ce qu’ils me disaient. Je les croyais, mais je refusais que l’amour de ma vie soitincapable de me parler.

Damon bouge dans le lit et d’instinct, j’accours à son côté. Il sait que je suis là et je pense, ou dumoins je veux croire que ces mouvements sont sa manière de m’appeler. Je suis peut-êtrecomplètement larguée. Je ne sais plus rien. Je pose mon sac par terre à côté du lit.

— Salut. Alors, comment ça va ?Je m’assieds sur le rebord du lit et je prends l’une de ses grandes mains dans les miennes. Je la

caresse et je prie… – allez savoir qui… – pour qu’enfin, il sorte de cette léthargie et m’adresse laparole. Ce silence est insupportable. Je préférerais qu’il ouvre la bouche pour me dire d’aller mefaire foutre plutôt que de le voir réduit à l’état de légume.

Le docteur Versan appelle ça un syndrome de stress post-traumatique aigu. On croirait unscénario de film. Quand quelque chose d’abominable arrive à quelqu’un et qu’il commence à secomporter comme un zombie, que les gens lui donnent des gifles pour lui faire retrouver ses esprits.Ça paraît ridicule à la télé, mais c’est un véritable trouble. Je n’arrive pas à m’imaginer asseztraumatisée pour disparaître dans ma propre tête. Ça semble impossible, mais clairement, ça ne l’estpas. Damon a vraiment l’air… ailleurs. Je ne sais pas du tout où il est ni comment le récupérer, maisje ne l’abandonnerai pas. Il devrait s’en sortir, paraît-il, même s’il risque de faire une amnésie pourocculter l’événement lui-même. S’il ne se souvient de rien, comment vais-je lui expliquer ça ? Dois-je lui rappeler que je me suis barrée sans lui donner l’occasion de se justifier et qu’il a terminé sur lebas-côté, en arrêt cardiaque ? À cette pensée, j’en ai l’estomac révulsé et le cœur qui s’affole. Quandle jour viendra, j’aviserai.

Il est toujours là et ne me donne aucun signe pour confirmer que c’est bien à mon Damon que jesuis en train de parler. Je me fiche des apparences. Je sais au fond de mon cœur que, où qu’il soitdans sa tête, il veut en sortir. Il veut revenir à moi. Il le doit.

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Je me déplace un peu sur le lit et encadre son visage de mes mains pour le faire pivoter vers moi.— Je sais que tu m’entends. Chéri, dis quelque chose. S’il te plaît. Ou alors, bouge juste la tête.

Ses yeux d’ambre, d’ordinaire si chaleureux et vifs, sont vides. Je suis laminée de les voir ainsi.

Je ne parle pas au Damon que je connais, je parle à sa carapace.— Écoute-moi, Damon. Je ne t’abandonnerai pas. Je sais que tu es là, quelque part, et je te jure

que je te ramènerai. Je te le promets.Ses yeux indifférents me rappellent qu’il ne va pas me répondre. Ça fait mal. Tout ce que je

souhaiterais, c’est être emportée dans ses bras et dans son lit. Pour l’instant, ce n’est qu’un douxrêve. Je lui lance un sourire factice et l’embrasse sur la joue. Je sais que je suis dégueulasse desimuler un sourire, mais c’est le mieux que j’aie en stock pour l’instant. C’est tout ce que j’ai enstock pour l’instant. Merde.

— Tu vas bientôt rentrer. Je t’ai apporté des vêtements confortables pour la sortie. Brian est venuaussi.

En entendant son nom, Brian, qui pianotait sur son téléphone dans le couloir, nous rejoint.— Salut, mec. Prêt à rentrer ?Rien.J’éprouve le besoin de combler le silence.— Le docteur Versan va nous aider à nous installer à l’appart. Tout est prêt pour toi à la maison.

J’ai amené Hemingway, tu veux le voir ?Je déteste parler à tort et à travers. Pourquoi les gens font-ils ça ? C’est insupportable ! Je déteste

ressentir ce besoin de remplir le silence, mais la vue de Damon me met tellement mal à l’aise…Chaque seconde qui passe sans même une ombre de mon Damon ne fait qu’amplifier la vérité : il

est parti et je dois le retrouver. Le ramener. Je dois lui faire comprendre ce que je crois. L’accidentn’était pas de sa faute et nous sommes faits l’un pour l’autre. Le passé tragique, on s’en tape.

J’entends frapper à la porte et je vois les docteurs Stevens et Versan. Le docteur Stevens est unbel homme noir au sourire naturel. Il a été le premier médecin à venir me parler quand j’étais encoredans la salle d’attente, il a été très bien avec Damon et s’est montré patient avec moi quand je faisaisma crise.

— Ah, je voulais justement vous voir, docteur. Les papiers de décharge sont prêts ?— Oui, madame Géroux, ils sont prêts, répond le docteur Stevens avec un sourire étudié. Vous en

aurez une copie avant de partir. J’ai ajouté une liste des signes à surveiller, mais vous n’avez pas àvous en faire. D’un point de vue physique, Damon est en bonne santé. Il a sans doute mal à la cagethoracique à cause de la procédure de réanimation et il se peut qu’il souffre d’un inconfort digestifsuite au lavage gastrique. Mais à part ça, il faudra simplement le ramener pour un contrôle dans deuxsemaines.

J’acquiesce et le docteur Stevens me tend la main, que je serre avec encore un sourire factice.— Merci, docteur.— Maintenant, je vous laisse entre les mains du docteur Versan. Bonne chance, madame Géroux.

Damon, je vous revois dans deux semaines.Je ne le regarde pas, mais je sens les yeux de Versan m’étudier. Je commence à rassembler les

affaires en espérant que l’infirmière va se dépêcher de nous libérer.— Comment allez-vous, Joséphine ?

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Bingo. C’est parti pour la séance de psy.— Ça va bien. Ça ira mieux quand on aura dégagé d’ici.Je fais mine d’être occupée à parler avec Brian et à plier les vêtements de Damon. J’espère qu’il

remettra à un autre jour son projet de farfouiller dans mon cerveau. Ça suffira bien quand je seraicoincée dans son bureau à le regarder écrire allez savoir quoi sur son cahier relié de cuir.

— Ça ne m’a pas l’air d’aller très fort.Je serre les dents et l’espace d’un instant, j’ai bien peur de perdre mes moyens, juste là, dans la

chambre d’hôpital.— Ah, non ! Réservez ces conneries-là pour mon rendez-vous.Pendant un temps, nous nous mesurons du regard et je suis bien contente de gagner.— OK ? Ça va aller. On a Brian, et vous viendrez tout le temps, pas vrai ? Faire des visites à

domicile ?Il hoche la tête et je pousse un soupir de soulagement. Je suis terrorisée de ramener Damon à la

maison. Et s’il a un coup de folie ? S’il est malade à cause du lavage d’estomac ? Je n’ai aucunequalification médicale, et c’est peu dire que je suis nerveuse à l’idée de jouer les infirmières aveclui. Je ne me suis jamais occupée de personne jusqu’ici. Pas comme ça. Je suis pétrifiée de frousse.Je n’ai peut-être pas envie de le reconnaître, mais le soutien de Brian et du docteur Versan ne serapas de trop.

— Madame Géroux ?Je fais volte-face pour apercevoir l’infirmière de nuit. Apparemment la relève s’est faite pendant

que j’essayais de briser la carapace de Damon. C’est celle qui est toujours super enjouée, avec sesboucles qui rebondissent et ses sourires perpétuels. Elle me tend des papiers et un stylo.

— Merci de lire ces instructions concernant les soins post-hospitaliers et de signer en bas. Est-ceque vous avez des questions ?

Son ton est un peu trop réjoui et ça me rend dingue. Qu’est-ce qu’elle a pour être aussi heureuse ?Moi, je ne suis pas heureuse. Je suis terrifiée, inquiète et je me sens coupable. Je secoue la tête, jerefuse de poser des questions. Pourtant, j’en ai des tas, mais pour l’instant, je veux juste de sortir delà. Je veux ramener Damon à son appartement pour qu’il aille mieux. Je veux me mettre au lit avec luijusqu’à ce qu’il sorte de son état. L’infirmière ôte le sparadrap de sa main pour avoir accès à sonintraveineuse. Il ne réagit même pas quand elle l’enlève. Tout ce qu’il avait sur lui est retirérapidement et je regarde bouche bée quand elle le fait bouger. C’est comme si le corps de Damonacceptait de faire les gestes, mais que son esprit était complètement ailleurs. C’est la chose la plusproche que j’aie vue d’un robot.

— Avez-vous besoin d’aide pour l’habiller ?Je l’entends, mais je n’arrive pas à traiter l’information.— Madame Géroux ?Brian me donne un coup de coude.— Jo !— Hein ?J’arrête de fixer Damon et je regarde l’infirmière.— Avez-vous besoin d’aide pour l’habiller ?— Non, c’est bon. (J’ai répondu un peu trop sèchement. Et voilà, je me remets à être vache sans

le faire exprès.) Brian va m’aider.

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Brian s’est montré très discret jusqu’ici. Il est resté juste à côté de moi presque tout le temps,comme une ombre, depuis son arrivée.

— Pas de problème. Tu auras besoin de mes muscles pour arriver à habiller cette force de lanature.

— OK, très bien. N’hésitez pas à utiliser la sonnette au besoin. À part ça, vous êtes prêts. Bonnechance à tous les deux.

Sans rancune, elle me tapote l’épaule. Je la regarde sortir, puis me retourne vers Versan.— Je vais attendre dans le couloir.Il se relève de son fauteuil adossé au mur, quitte la pièce et referme la porte derrière lui.Brian attrape les vêtements que nous avons apportés et s’approche de Damon, qui ne le voit

même pas.Je tends le bras pour l’arrêter.— Laisse-moi essayer, Brian, tu veux bien ? (Je respire un grand coup.) Je vais devoir

m’entraîner à le faire seule.— Tu es sûre ? Ça me fait plaisir de t’aider. (Il roule des mécaniques comme un débile complet

et j’étouffe un rire.) Vraiment, il faut que j’y arrive seule.De toute façon, je dois bien peser dix ou douze kilos de plus que lui, donc je ne sais pas s’il

m’aiderait beaucoup.— Va parler au docteur Versan. Tu pourrais peut-être rapprocher la voiture ?Brian pose les vêtements sur le lit, me tapote l’épaule et presse la main de Damon.— Sois sympa avec elle, mon pote. On te ramène bientôt à la maison. Chez toi.Il prend le sac contenant Hemingway, qui dort comme d’habitude, et nous laisse seuls.Seuls.Nous y voilà.Je prends une grande inspiration et je passe la main sur le dos de Damon pour le redresser. Je

n’ai pas à beaucoup forcer, car son corps réagit comme une machine. C’est à briser le cœur.Je pose le pantalon de survêtement sur ses genoux et j’étends le reste de ses habits. Une fois que

tout est prêt à enfiler, je passe les deux mains sous ses aisselles pour le faire lever. Il s’exécute. Unvrai zombie.

— Je vais t’aider à te préparer, j’explique en dénouant la chemise de nuit de l’hôpital sur sanuque, puis dans son dos. Le tissu glisse de ses épaules pour atterrir à nos pieds. Il est entièrement nuet n’a pas l’air de s’en apercevoir.

J’appuie les paumes sur ses omoplates.— Assieds-toi.Il s’assied au bord du lit. Chaussettes et caleçon à la main, je m’accroupis à ses pieds. Ses yeux

ne dévient pas de ce point invisible sur lequel ils sont focalisés. Je tire les deux chaussettes, puis jeremonte le caleçon sur ses jambes. Ensuite, j’attrape le pantalon et fais de même avec, le faisantglisser aussi haut que possible pendant qu’il est assis. Je lui intime doucement de se lever et passeles mains sous ses aisselles à nouveau. Il se lève comme tout à l’heure, machinalement. Le caleçon etle pantalon ne sont pas difficiles à relever. Je redresse l’élastique du pantalon et je repose mes mainssur ses épaules pour le faire rasseoir. Ce qu’il fait. Je lui enfile le tee-shirt et je guide ses bras dansles manches. Il est maintenant entièrement habillé, mais ne bouge pas. Même ses battements de cilssont rares. Il n’y a rien.

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Je suis dans tous mes états de le voir aussi déprimé. On croirait un serpent qui vient de muer. CeDamon-là a les mêmes traits que l’ancien, mais il est cassé et vide à l’intérieur. C’est comme si monamour était mort dans cette camionnette et m’avait laissé sa mue, cette ombre comme lot deconsolation, pour me récompenser d’être à l’origine de ce désastre. Si c’est bien ça, je mérite cechâtiment.

Du bout des doigts, j’effleure ses joues et fais de mon mieux pour rassembler un peu de courage.La tâche qui m’attend est immense et effrayante, mais l’autre solution serait bien pire. Soit je leramène avec moi, soit je le perds pour toujours. L’idée terrifiante de ne jamais le revoir comme ilétait avant me coupe le souffle.

Je le trouverai.Je le ramènerai.Je le dois.Ce n’est pas seulement pour lui que je veux le ramener. Le besoin de sauver Damon de son

propre enfer est de l’auto-préservation dans sa forme la plus pure.— C’est l’heure, Grand Mec.

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4

Dans le noir— Merci de nous avoir aidés, Howard, dit Brian en octroyant au portier un pourboire généreux.Je suis navrée pour ce dernier, qui a l’air un peu perdu. Damon a toujours une telle mainmise sur

tout que ça doit lui faire peur de voir son boss comme un mort-vivant.— Pas de problème, Brian. Jo, dit-il avec un signe de tête. S’il y a autre chose pour vous aider,

n’hésitez pas.— Merci, je lance dans son dos pendant qu’il regagne l’ascenseur à la hâte.Dis donc, il flippe.Le docteur Versan nous observe en silence, comme il l’a fait toute la journée. Je ne sais pas s’il

lui arrive de s’arrêter. Il pourrait très bien sortir le stylo et se mettre à gribouiller maintenant, parceque je vois qu’il prend note de tout. C’est irritant. Je suppose qu’il a quelque chose en tête pour moi,et je veux savoir de quoi il s’agit.

— Donc, c’est quoi le plan, doc ?Mon attitude trop tranquille fait naître une moue amusée sur ses lèvres.— Je veux vous voir dans mon bureau demain matin. Neuf heures.Mon sourcil haussé exprime parfaitement ce que je pense : qu’est-ce qui lui prend ? Je lance à

Brian un regard noir.— C’est le rendez-vous que tu avais pris ?Brian lève les mains en signe de reddition.— Ah non m’dame ! J’en ai pris un pour la semaine prochaine ! Je te jure !— Bon…Je ne sais pas si j’y crois.— Vous voulez dire, tous les deux ?Le docteur fait signe que non.— Non, juste vous. Et appelez-moi tout de suite si vous avez besoin de moi.J’ai envie de faire une crise, mais je me dis que c’est mieux de la fermer. Si je commence à

perdre les pédales, je ne saurai pas où m’arrêter. Ce n’est pas moi qui viens de faire une énormedépression. Évidemment, j’ai des problèmes, mais je n’ai pas essayé de me suicider ces derniersjours. Je pourrai supporter Versan demain matin.

— OK. À demain.Il hoche la tête et prend congé.

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— Brian, je pense que Joséphine et Damon vont s’en tirer, maintenant. Elle m’appellera sibesoin.

— Je vais passer leur prendre de quoi manger, déclare Brian. Je reviendrai d’ici une heure, parlà ? (Il dit au revoir à Damon version zombie et me serre fort dans ses bras.) Bonne chance, ma puce,souffle-t-il.

La porte se referme et je me retrouve entièrement seule. La dernière fois que j’étais seule danscet appartement avec Damon, il était agenouillé devant moi et me suppliait de rester. Pourquoi nel’ai-je pas écouté ?

Je regarde Damon version zombie et constate qu’il s’est assis sur le canapé ultramoderne, superdesign et dur comme de la pierre. Je prends note intérieurement de penser à étrangler miss Barbiedécoratrice d’avoir choisi des meubles aussi inconfortables pour les pièces de vie.

— Tu as fait peur à Howard. Tu devrais peut-être aller lui parler. Lui donner des ordres, histoirequ’il se sente mieux.

Non, je viens vraiment de lui faire des reproches ? Ça ne doit pas aider.Je pose le sac par terre et je m’approche doucement de Damon. J’appréhendais de l’avoir ici

seule et maintenant qu’il est là, je me sens plus à l’aise que je ne l’aurais cru. Je m’assieds à côté delui et attends une réponse. Je sais qu’il ne va rien dire, mais ça ne m’empêche pas d’espérer.

L’espoir est un concept qui m’est plutôt étranger, mais quand ça concerne Damon, j’ai toutl’espoir du monde, multiplié par un million, et ce n’est toujours pas une estimation suffisante. Quisavait que l’espoir pouvait être aussi frustrant et effrayant ? J’ai l’impression de jouer au casino,avec une mise irremplaçable. C’est mon cœur que j’ai mis sur le tapis et je prie Dieu ou celui quivoudra de bien distribuer les cartes. Juste cette fois-ci. Si le fait que Damon redevienne ce qu’il étaitauparavant est la seule chance du reste de mon existence, alors je la recevrai avec joie. Je m’encontenterai et je ne demanderai jamais rien de plus. L’homme chez qui résident mes espoirs esttoujours à côté de moi, silencieux. J’aimerais vraiment savoir quoi lui dire là, maintenant, pour lefaire sortir de… cette brume.

Le problème, c’est que je me creuse la tête depuis des jours sans résultat, à part peut-être lescernes sous mes yeux. Je suis épuisée. D’un point de vue physique, émotionnel et mental. Je tiens surles nerfs. Je prends une grande inspiration par le nez et j’étouffe un bâillement. Je pose la main sur lajoue de Damon et effleure la barbe qui a poussé depuis son accident.

— Il va falloir tailler ça.Pas de réponse.— Tu as l’air fatigué. Viens t’allonger.Pas de réaction. Je m’étends sur le canapé et tire sur son bras. Il se couche à côté de moi, la tête

sur mes genoux. J’emmêle les doigts dans ses cheveux sombres et en bataille. On se croirait avant.Est-ce que lui aussi a cette impression ? Je chuchote :

— Je ne plaisantais pas. Je t’aime. Je n’abandonnerai pas. Je t’aiderai à te sortir de là. Si je doisattendre, alors j’attendrai.

Le bâillement que j’avais retenu refuse de partir et la fatigue prend le pas sur ma volonté derester éveillée. Je m’affaisse en arrière et ferme les yeux, les doigts encore dans ses cheveux.

— Jo.Je sursaute et ouvre les yeux. D’instinct, je tâtonne autour de moi dans le noir. Pourquoi fait-il si

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sombre ici ?— Jo.J’entends quelqu’un m’appeler, mais je n’y vois rien. Je tâtonne encore et me rends compte que je

suis dans le lit de Damon. Comment ai-je pu arriver là ? J’étais sur le canapé. Je cherche la lampesur la table de nuit, en vain. Je commence à paniquer en me réveillant un peu plus. Quelqu’unm’appelle. Ce n’est pas la voix de Damon.

— Il y a quelqu’un ?Maintenant, je suis complètement réveillée et complètement paniquée. Mais qui a pris la lampe ?

Où est Damon ? Qui est-ce ?— Jo, c’est moi.La voix bourrue familière me frappe de plein fouet.J’arrive à dire :— Capitaine ? Capitaine, c’est toi ?— Je suis ton seul capitaine, non ?Sa repartie apaise un peu ma peur, mais je suis toujours perdue. Pourquoi les lumières sont-elles

éteintes ? Comment me suis-je retrouvée au lit ? Comment se fait-il que je l’entende maintenant ?— Je… Comment… comment es-tu arrivé ici ?Son rire habituel me réchauffe de l’intérieur. Ça ne peut pas être vrai.— Je suis toujours là, Jo. Je ne suis jamais parti.Sa voix est plus tendre que je ne l’ai jamais entendue en vrai et je me mets à pleurer. Peut-être

est-ce ce qu’il dit ou l’accumulation de tout ce qui s’est passé, mais en tout cas, je sanglote. Enfin.— Je veux te voir. Allume la lumière.— Tu n’as pas besoin de me voir pour savoir que je suis là. Sache que je ne t’ai pas abandonnée

et tes parents non plus.— S’il te plaît, je veux te voir ! je crie avec désespoir.— Je sais que tu n’aimes pas être dans le noir. Personne n’aime l’obscurité.— S’il te plaît !Je sens des mains sur mes épaules. Ça me fait super peur. Je ferme les yeux.— Qui est là ? Allumez la lumière !— Ma puce, réveille-toi !J’ouvre les yeux. Je suis sur le canapé et je distingue un Brian très pâle.— Putain de merde ! je lâche en haletant.— Cauchemar ? demande-t-il en s’installant sur un autre canapé, tout aussi hors de prix et

inconfortable, en face de moi.Je me frotte les yeux. Mes joues sont mouillées de larmes. Le visage dans mes mains, je prends

une profonde inspiration. La pièce semble vide et dix fois plus grande qu’elle n’est en réalité. Merde.— Damon ! Où est Damon ?Je bondis du canapé et je commence à parcourir l’appartement au pas de course, regardant dans

toutes les pièces. Damon !Pas de réponse.Pas de trace de lui.Bordel de merde ! Brian est juste derrière moi et regarde en même temps. Je pousse la porte de

la salle de bains pour les invités. Rien.

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— Je vais voir dans la chambre d’amis, dit Brian qui a l’air aussi inquiet que moi.D’un pas précipité, il s’éloigne dans le couloir menant aux chambres.Le bureau. Mes jambes m’y portent comme dans un rêve. La porte est fermée et je ne prends pas

la peine de frapper. Je sais qu’il est là. J’ai vraiment peur d’ouvrir. Et si…Je débranche mon cerveau et me force à entrer. Le bouton de la porte est frais sous ma main. Je le

tourne doucement, la porte s’ouvre avec une lenteur d’escargot. J’avance d’un pas dans le bureau et ilest là.

Damon version zombie se tient devant un grand meuble à dossiers qui fait très « grandeentreprise ». Il a dû m’entendre entrer, parce qu’il le referme brutalement, ce qui me fait sursauter. Lapanique qui me consumait il y a encore un instant fait soudain place à l’euphorie. Il s’est levé etdéplacé sans qu’on l’y oblige ! Il s’est rendu dans son bureau ! Il a ouvert un meuble à dossiers ! Jesuis en extase de le voir fonctionner un tant soit peu comme un être humain.

— Oh, putain, Damon ! Tu m’as filé une crise cardiaque. (Je me penche vers le couloir et jecrie.) Brian ! Il est là !

Brian bondit dans le bureau, clairement soulagé.— Ça alors ! Je crois que je transpire.Il s’appuie à l’encadrement de la porte et s’évente de ses mains manucurées.— Tu vois, Damon ? Tu as même fait transpirer le plus propre sur lui des hommes.Je ris un peu intérieurement en voyant Brian pincer les lèvres.— Bon, maintenant que tu n’as plus de cauchemar, qu’il est retrouvé et que le dîner est livré, je

vais rentrer chez moi.Brian se penche vers moi et m’embrasse.— Merci pour le dîner.Il hoche la tête et se dirige vers la porte, quand Damon version zombie se tourne vers nous. Nous

nous immobilisons, tendus par l’attente. Les yeux de Damon se posent sur Brian et le soulagement mesubmerge quand j’y aperçois une once de vivacité. Ouf !

— Brian, je dois te parler. Seul à seul.Quoi ? Damon version zombie parle ?Il ne me regarde même pas en prononçant ces paroles. Je me sens complètement ignorée. Rejetée.

Sans valeur. Pour la première fois de toute ma putain d’existence, je ne trouve absolument pas lesmots.

Brian regarde avec une expression de choc mêlé de pitié. Ça me file la chair de poule et jem’efforce d’afficher un peu d’assurance avant de quitter la pièce. Je hoche la tête et m’éloigne d’euxà grands pas. J’avance dans le couloir comme si me tenir près de Damon était dangereux pour masanté. Et ça l’est sans doute. J’ai complètement perdu les pédales. Incroyable comme l’amour, çarend les gens dingues.

Je trouve Hemingway endormi dans sa petite niche de voyage derrière le canapé.— Salut, mon petitou. Tu m’as manqué. Je parie que Damon t’a manqué aussi.Je prends la petite boule de poils contre ma poitrine. Je le grattouille derrière les oreilles et

regarde ses petits yeux se fermer en signe d’extase canine. Hemingway dans les bras, je monte lesmarches de l’escalier et passe à la bibliothèque ouverte. Je me plante sur l’un des fauteuilscapitonnés et je tiens mon chiot devant moi pour lui montrer les milliers de livres.

— Alors, à qui tu veux rendre visite ? Cachalots géants ? Ado compliqué qui se fait virer de son

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école privée ?Parler de la sélection de livres à Hemingway montre que je déraille complètement, mais j’ai

vraiment besoin de me changer les idées. Pas moyen d’améliorer la situation. Causer bouquins à monchien, c’est beaucoup mieux que rester à ne rien faire et me sentir blessée par l’exclusion de Damonversion zombie. Après une dépression totale, il décide enfin de communiquer avec son assistant.Non, pas sa copine. Son assistant, putain.

Si le capitaine était en vie, j’inventerais une excuse pour aller lui parler. Il ne m’envoyait jamaisbalader. Jamais. Penser au capitaine me rappelle mon rêve douloureux. Il a raison. Personne n’aimeêtre dans le noir, je n’aime pas ça au sens propre et il est clair que je me sens dépassée au sensfiguré. Dans le noir. Je suppose que j’y suis plongée depuis que Damon m’a rejetée comme si j’étaisune nuisance.

Peut-être qu’il est dans le noir, lui aussi.

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5

Soit on se bat, soit on se barreLa réceptionniste de Versan me fait signe d’entrer et je sais que je devrais dire quelque chose,

mais je passe à côté d’elle et je gagne directement le bureau. Un coup d’œil et mon niveau de colèrecrève le plafond. Il est aussi calme que d’habitude, assis dans son fauteuil de psy.

— Entrez. Mettez-vous à l’aise, Joséphine.— Putain de merde, appelez-moi Jo ! je lance d’une voix sèche en m’asseyant sur le divan. Son

cuir taupe est hyper confortable, surtout comparé aux canapés pourris de Damon.Il hoche la tête d’un air résigné et se cale dans son fauteuil.— D’accord. Désolé, dit-il d’un ton cordial.Et hop, je ressens cette stupide culpabilité que je déteste. Il a l’air tellement gentil que je me sens

bête de l’avoir jeté. Je regarde par terre et pose mon sac à mes pieds.— Vous aviez l’air agitée, ce matin. Vous avez envie d’en parler ?Il ouvre l’objet qui me fait le plus peur dans ces visites, le cahier relié de cuir, puis saisit le

super stylo-plume, prêt à prendre des notes.— Pas vraiment.C’est un mensonge, car j’ai envie d’ôter ce poids. Je suis tellement frustrée que je pourrais

envoyer un coup de pied à la tête d’un inconnu, là, tout de suite.— Je crois que vous devriez. Ça pourrait aider.Il penche la tête de côté, en me regardant comme si j’étais une expérience scientifique.— D’aaaaccord.Je traîne pour répondre comme une vraie fille insupportable, puis j’ajuste mon débardeur juste

pour m’occuper les mains. Je m’agite comme une poule mouillée. Ce n’est pas ça qui va m’aider.— Hier, c’était dur, voilà tout… Après votre départ, je me suis endormie et j’ai fait un rêve très

bizarre. Ensuite, Damon a décidé de me faire me sentir encore plus invisible. Brian nous a apporté àdîner et ils se sont retirés dans son bureau. Damon ne parle toujours pas. Pas à moi, en tout cas. Il adiscuté avec Brian. Il n’a pas dormi dans son lit. Donc oui, je suis un peu à cran. Je navigue àl’aveugle.

— Si on parlait d’abord du rêve ?Ben voyons, docteur Freud. J’acquiesce à contrecœur, lui donnant le feu vert pour tout analyser.— Alors ?Il croise les jambes et se met à l’aise. Prêt à écrire.

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— Voilà, j’ai rêvé que je dormais et que Sutton, mon ancien patron, me réveillait, me disait queje n’étais pas seule et qu’il ne me quitterait jamais. Je flippais parce que je ne trouvais pas lalumière. Il m’a dit que personne n’aimait être dans le noir. Il a ajouté que le fait que je ne le voie pasne signifiait pas pour autant qu’il n’était pas là.

Après ce résumé, je hausse les épaules comme si ça ne voulait rien dire. En réalité, j’ai du mal àgarder la face. Hier matin, je cherchais en vain de l’émotion, des larmes. Maintenant, j’aimeraispouvoir étouffer tout cela. Je suis en miettes.

— Vous pensez avoir manifesté dans ce rêve une peur inconsciente ?— Une peur de quoi ? Du noir ?Je fais comme si je ne comprenais pas pendant que le docteur me regarde d’un air perplexe.— Pas vraiment du noir, Jo. Quand je dis le noir, il n’y a rien d’autre qui vous vient à l’esprit ?

Allez-y. Dites-moi.— Euh… Froid. Seule. Pas prête. Aveugle. Lésée. Faible. Vulnérable, je marmonne.Je regarde Versan en face, mais mes yeux ne sont pas du tout fixés sur lui.Il écrit et je n’arrive pas à penser à autre chose qu’aux mots qui viennent de sortir de ma bouche.

Pas prête. Vulnérable. Faible.— J’ai envie que vous réfléchissiez aux raisons que vous avez d’associer ces mots avec le noir,

pour notre prochain rendez-vous, où nous allons poursuivre sur ce sujet. Mais j’aimerais maintenantaborder la façon dont vous et Damon communiquez.

Je pousse un grognement sarcastique.— Communiquer ? Ce n’est pas ce que je dirais. Mais c’est vous le psy, donc allez-y.— Pourquoi est-ce que vous n’utiliseriez pas ce mot ?Versan a l’air décontenancé, ce que je ne comprends pas du tout. Il a vu Damon version zombie !

Il a essayé de « communiquer » avec lui.— Parce qu’il fait comme si je n’existais pas, tiens ! Je croyais qu’il était stressé, sous le choc

ou je ne sais quel nom vous donnez à son état, mais c’est encore pire. Il a reconnu Brian, il lui amême parlé ! Mais moi ? Rien.

— Et pourquoi pensez-vous qu’il fait ça ? demande-t-il en regardant ses notes qui s’accumulent.— Je sais pas. Peut-être qu’il me reproche d’avoir causé toute cette merde. Peut-être qu’il me

déteste. Je ne peux pas lui en vouloir. J’aurais dû lui laisser l’occasion de s’expliquer. De me donnersa version des faits.

Je suis nerveuse et j’ai besoin de faire quelque chose de mes mains. C’est quoi, ce bordel ? Jefinis par les poser à plat sur mes genoux et j’essaie de les garder immobiles.

— Je ne pense pas qu’il vous déteste, Jo, dit Versan, un semblant de compassion dans la voix. Jepense qu’il fait une grave dépression. Vous devez comprendre que le chemin de la guérison est long.Pour tous les deux.

Je baisse la tête.— Je comprends, maintenant, mais je ne me rendais pas compte de la gravité de son état. C’est

ma faute s’il a voulu se tuer. Je ne vaux rien pour lui. Dites-le.Mon genou se met à tressauter et Versan le remarque, bien sûr. Il écrit quelques lignes sans même

regarder son cahier. Ces psys, sérieux !— Si vous attendez de moi que je vous dise de le laisser tomber, parce que vous ne seriez pas

bons l’un pour l’autre, je ne le ferai pas. Je sais que ça rendrait les choses plus faciles pour vous,

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mais je regrette, c’est impossible. Que savez-vous de ses parents ?Enfin ! Une question à laquelle je connais la réponse.— Je sais que sa mère l’a largué et que son père est un sale connard qui vit dans une bouteille de

whisky.— J’imagine donc que vous savez quels sont ces sentiments sur l’abandon.Je hoche la tête. J’ai envie de me cacher le visage entre les mains.— Je trouve horrible qu’il vive les choses ainsi et je me déteste d’avoir provoqué ça.Je me redresse très vite, j’ai vraiment besoin de bouger. Pendant un moment, Versan se contente

de me regarder. Il a dû compter le nombre de fois où j’ai fait craquer mes doigts. Je retourne sur ledivan et je croise son regard en m’assurant qu’il ne fuit pas le mien.

Il me regarde aussi et je sais qu’il va me poser une question importante. Il lâche même son stylo.— Je peux vous demander quelque chose, doc ? Pourquoi je n’arrive pas à lui dire non ? C’est

comme ça depuis le moment où on s’est rencontrés. Ça me rend marteau.— Je crois que ce n’est pas la bonne question. Plutôt que pourquoi vous ne pouvez pas, ce serait

pourquoi vous ne voulez pas lui dire non ? Vous êtes-vous demandé si vous en avez déjà vraiment euenvie ?

Il a la voix calme et douce, comme d’habitude, mais d’un coup, cette fois, j’ai l’impression qu’ilme comprend vraiment, qu’il comprend ce qui se passe entre moi et Damon. Je pense qu’il est doué,ce mec.

— Je n’y avais jamais réfléchi comme ça.— Le lien que vous partagez est profond, il y a au moins ça d’évident. La tragédie que vous avez

connue vous a liés tous deux. Pour toujours. Il sera toujours le garçon dans la voiture qui a percuté lavôtre. Pour le restant de vos jours, vous serez celle qui a perdu sa famille, la petite fille qu’il aessayé de sauver. C’est un fait qui ne changera jamais. Ce que vous pouvez changer, en revanche,c’est votre façon de le gérer. Si vous êtes tous les deux prêts à vous impliquer, je pense que vouspourrez avoir une relation saine et enrichissante.

— Donc ce que vous me dites, en gros, c’est que soit on se bat, soit on se barre ?— D’une certaine façon, oui.— OK. Je vois. (Je secoue la tête et regarde l’heure. J’ai beaucoup de choses à penser et ça

devrait m’aider de faire un tour en voiture.) La séance est terminée, doc.Je ramasse mon sac et je me lève. Versan m’accompagne à la porte de son cabinet, et pose une

main douce sur mon bras. Il ne l’a jamais fait auparavant et c’est tout juste si je n’ai pas unmouvement de recul.

— Jo, chuchote-t-il. C’est permis de ne pas se sentir bien.Je reste immobile et absorbe ce qu’il vient de me balancer. On a vraiment le droit d’être

déglingué ?— J’espère que vous avez raison.— Et moi, j’espère que vous en prendrez conscience un jour. À la prochaine fois, Jo.Je prends mon temps pour retourner à ma voiture. Je ne suis pas pressée d’aller voir Damon

version zombie, froid et distant. Brian est avec lui. Il est venu tôt ce matin en disant que Damonvoulait rattraper du retard dans son travail. Évidemment, impossible pour moi d’être au courant,sachant qu’il ne m’accorde même pas un regard.

Comme dans un rêve, je traverse le parking pour me rendre à ma voiture. Damon est super gêné

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par mon horrible tas de ferraille. Pourtant, Frank, mon fidèle véhicule, s’est montré fiable, à défautd’autre chose, et j’aime bien son côté patchwork. C’est singulier. Je mets la clé dans le contact etj’attends que le moteur fatigué se lance. La ceinture bouclée, je me penche et pose le front contre levolant. Je suis épuisée et il est à peine plus de dix heures du matin. Ces dernières semaines, j’airessenti toute une palette d’émotions, pour la plupart nouvelles. C’est clair que je n’avais jamais étéamoureuse. Je n’avais donc jamais eu le cœur brisé, et jamais eu peur de tout perdre. J’allume l’airconditionné pour me rafraîchir. Peine perdue, je sais bien qu’il est HS. Il m’envoie à la figure d’unair tiédasse et je grimace.

— Vraiment, je devrais prendre la voiture du capitaine.Je pousse un grand soupir et passe une vitesse. Mes pensées tourbillonnent et je conduis sans

faire attention, sans destination en tête. Je ne sais pas où aller. Je pourrais aller travailler, mais jesuis toujours en train de lutter contre le chagrin qui me submerge chaque fois que j’entre dans lalibrairie. Je pourrais aller voir mes parents et le capitaine, mais faire passer mes visites au cimetièred’une fois à deux fois par an m’effraie un peu. Avant que je m’en sois rendu compte, Frank s’arrêtedans le parking des visiteurs, devant la maison de retraite de Gramz.

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6

RefletL’air frais dans le large couloir est une sensation agréable sur mon visage. Je me dirige vers

l’appartement de Gramz. Sa porte est ouverte, comme toujours, et je frappe un petit coup avantd’entrer. Le visage de Gramz s’éclaire, puis s’assombrit aussitôt. Bon, génial.

— Bah, c’est sympa de vous voir, Gramz, dis-je d’un ton irrévérencieux.— Allez, ramène tes petites fesses par ici et assieds-toi, exige-t-elle en pointant un doigt osseux

sur le fauteuil à côté d’elle.Je m’exécute à pas pressés comme une enfant obéissante.— C’est quoi ce bordel, Bernice ?Elle me foudroie de son regard bleu acéré et je ravale mon envie de rire pour lever les mains en

signe de résignation. Je sais qu’elle déteste son prénom et je ne l’ai jamais appelée autrement queGramz.

— Pose-toi et prend l’air naturel, pour l’amour du ciel. Il va être là d’une minute à l’autre. Tupues ! Mets-toi du parfum !

J’écarquille les yeux à l’entendre m’insulter et un sourire arrive à percer ma tristesse.— Oh, ben excusez-moi. J’ai un peu transpiré, figurez-vous. L’air conditionné est flingué dans ma

voiture. Je peux savoir qui on attend ?Elle n’arrête pas de jeter des coups d’œil à la porte. Qui peut-elle bien être aussi excitée de

voir ? Elle n’attend sûrement pas Edward, et c’est peu probable qu’il s’agisse de Damon. Peut-êtreun nouvel aide-soignant qu’elle trouve à son goût, ou une histoire dans ce genre.

— Le gars de l’entretien ! m’annonce-t-elle en joignant les mains, survoltée. Mais bon, ce n’estpas très important. Je ne me doutais pas que tu viendrais me voir aujourd’hui, mais je suis contente.Comment va mon petit-fils ?

À l’évocation de Damon, mes épaules se contractent et mes sourcils se froncent. Je ne sais quepenser de son état actuel. Je ne sais pas quoi faire de son aversion évidente pour moi. Je suiscomplètement nouée à l’intérieur et pour la première fois depuis que j’ai plongé dans ses yeuxd’ambre, je regrette d’avoir accepté d’être en couple avec lui. Je dois trouver au moins quelquechose de positif à dire à Gramz.

— Alors, bonne nouvelle, il parle. Par contre, il ne m’adresse pas la parole. Je crois qu’il medéteste d’avoir tout détruit.

Je secoue la tête de dégoût. Dégoût envers les circonstances. Envers la vie. Envers moi-même.

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Gramz tousse comme si elle venait de s’étouffer avec sa propre langue.— T’es trop intelligente pour te montrer aussi bête, ma fille ! Je le saurais. Toi et moi, on est

pareilles, tu sais ? fait-elle en me tapotant la main affectueusement. Il ne te déteste pas, Jo. Donne-luidu temps. Il va revenir à de meilleures dispositions, et tu dois trouver comment l’y aider.

— Comment ?J’ai gémi comme une enfant boudeuse et mes épaules s’affaissent. Gramz claque la langue.

Difficile de lui en vouloir. Moi-même, je me répugne à l’idée de ma propre faiblesse.— Tu trouveras, j’en suis sûre. Ça me rappelle le chien qu’on avait.Intriguée, je tends l’oreille. Cette histoire m’intéresse.— Il devait avoir treize ans et je lui ai pris un chien pour qu’il puisse jouer à la maison. C’était

un bâtard de lévrier et le pauvre n’avait pas de maison. Bref, Damon est tombé sous le charme de cechien.

— Comment l’a-t-il appelé ?— Toutou.Elle hausse les épaules et je lève les yeux au ciel devant l’originalité de Damon ado.— Et donc, un jour, le chien est sorti par le portail de derrière et a failli se faire écraser dans la

rue. Ça a beaucoup affecté Damon et après, il ne voulait plus du chien.Je fronce le nez en comprenant l’analogie.— Sérieusement, vous êtes en train de me comparer à un lévrier.— À une levrette. C’était une femelle. Je te compare à une levrette. (Elle me lance un clin d’œil

suggestif.) Tu sais, c’est l’hôpital qui se fout de la charité, et compagnie.Je souris et secoue la tête avec indulgence. J’adore cette femme.— Et alors, qu’est-il arrivé à la… levrette ?Elle sourit largement, ce qui expose son dentier trop grand.— Ça a pris du temps, mais il s’en est remis. Ce satané animal a été son compagnon le plus

proche jusqu’à sa mort.— Je comprends pas. Pourquoi ne voulait-il plus de la chienne une fois qu’elle est sortie ?— Il avait peur, en fait. Il s’est rendu compte que s’il aimait quelqu’un, alors il risquait aussi de

le perdre. Il essayait de se protéger. Toutou s’est mise en quatre pour lui faire plaisir : elle luirapportait des animaux qu’elle avait chassés, elle remuait la queue et le regardait toujours avec sesyeux de chiot en détresse… Damon a mis du temps à vaincre son angoisse, mais lui et la chienne sontredevenus inséparables.

On tape à la porte, ce qui interrompt la fin de l’histoire. Tout de suite, les yeux de Gramz sefocalisent au-dessus de mon épaule. Je suis son regard pour découvrir celui qu’elle attend avec tantd’impatience.

— Entrez, dit-elle d’une voix claire.— Bonjour madame Cole.Ah, la vache ! Ce mec est à tomber et Gramz est tout simplement rayonnante. Non, je crois qu’elle

rougit ! Pas étonnant qu’elle l’attende. Je ferais pareil, à sa place. Son sourire éclatant dévoile desdents blanches parfaites.

— Voyons, Andy ! Combien de fois faut-il que je te dise de m’appeler Bee ! Mes amis medonnent ce surnom, alors tu dois m’appeler comme ça aussi.

Je regarde, bouche bée, Gramz flirter ouvertement avec le beau mec musclé à la porte. Il a une

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sacoche accrochée à ses hanches étroites et une boîte à outils dans la main gauche. Gramz lui envoieun clin d’œil et je ne peux m’empêcher de m’esclaffer devant la scène qui se déroule.

— Désolé, Bee, j’oublie toujours. (L’agent d’entretien avance dans la pièce et s’arrête au côté dulit de Gramz, où je suis assise.)

— Andy, je te présente Joséphine, et Joséphine, voici Andy. Le meilleur agent d’entretien de laville. Pas trop désagréable à regarder non plus, pas vrai ?

Gramz me plante un doigt dans le bras et je me lève, un peu réticente. Je rougis des pieds à la têteet je note bien qu’elle a utilisé mon prénom entier. C’est sa petite vengeance, j’imagine.

— Bonjour Andy, dis-je en tendant la main. Appelez-moi Jo.De ses yeux bleu foncé, Andy m’évalue rapidement tout en me serrant la main avec un sourire

poli.— Enchanté, Jo. J’aime bien votre prénom.Je hoche la tête et lui renvoie son sourire. Eh ben, il est carrément sexy !— Merci, c’est vrai qu’il est pas vilain. Ça pourrait être pire, genre Bernice ou un truc horrible

dans ce goût-là.Je décoche un sourire sardonique à Gramz, qui me tire la langue. En regardant le grand mâle aux

yeux bleus, je m’aperçois qu’il a les yeux ronds comme des soucoupes. C’est bon de savoir que jen’ai pas perdu mon charme pendant ma pause cœurs brisés. J’ai toujours des gros mots plein labouche et le sens de la repartie.

— Joséphine fréquentait mon petit-fils, mais elle l’a plaqué. Quel dommage !Elle secoue la tête et lisse ses cheveux argentés, feignant la déception.— Mais c’est faux ! Enfin, non, pas vraiment, mais…Le pauvre Andy me coupe avant que je ne m’enfonce encore plus toute seule. Ouf !— Très bien, je dois donc vous changer une ampoule, madame Co… Bee. Je vais vous faire ça.Pauvre Andy, il se retrouve encerclé par deux femmes très tenaces et très sarcastiques. Il va en

baver. Je lance un grand sourire à Gramz, qui part dans un caquètement de sorcière. Andy se dirigevers l’applique sur le mur et entreprend de retirer l’abat-jour. Illuminés par un rai de lumière venantde la fenêtre, ses cheveux châtain clair semblent presque dorés. Si je n’étais pas complètementsubjuguée par Damon, j’irais tout de suite donner mon numéro de téléphone à ce mec. Je me penchevers Gramz et lui chuchote bien fort à l’oreille :

— C’est lui que vous attendiez ?Son sourire machiavélique me souffle qu’elle ne prépare rien de bon.— Tu l’as dit ! Je crois qu’il en veut à ma vertu.Je secoue la tête aux propos de cette vieille pie dévergondée.— Et comment le savez-vous ?— Edith, ma voisine snob. Elle fait toujours des demandes pour qu’il vienne réparer des choses

dans sa chambre, et en général, c’est quelqu’un d’autre qui vient. Mais quand moi, j’appelle, c’esttoujours Andy qui vient. Chaque fois.

Je fronce les sourcils, incrédule.— J’en conclus que vous n’êtes pas amie avec Edith ?— Pff, tu plaisantes ? Plutôt crever comme un rat que m’acoquiner avec cette traînée ! Elle arrive

à faire fuir à peu près tous les employés bien de leur personne ! Ils ne supportent pas son œil detraviole.

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— Quoi ? je couine, avant d’être secouée d’un gros rire.Nous ricanons ouvertement toutes les deux, comme deux horribles commères.— Elle louche d’un œil. Quand elle ne porte pas ses lunettes en cul de bouteille, il a tendance à

dévier par là.Gramz met un doigt sur sa paupière pour imiter la position de l’œil en question. C’est

complètement ridicule, mais ça m’offre une pause bienvenue dans mes pensées.— Putain, c’est vraiment le feuilleton, ici, parviens-je à bredouiller entre deux goulées d’air.— Alors là, tu as tout compris, ma poulette. À part qu’au lieu d’Amour, gloire et beauté , c’est

Alzheimer, corbillard et mots croisés !Elle hennit de rire et engouffre une cacahuète au sucre.— T’en veux une ?Elle me tend le sachet et j’en prends quelques-unes. Je m’enfonce dans mon siège et pose les

pieds sur le lit de Gramz. On reste toutes les deux à mater le postérieur d’Andy pendant qu’il changel’ampoule.

J’avais vraiment besoin de déconnecter un peu.— Bee, votre mur est un peu défoncé, par ici. Je vais aller chercher de la peinture et vous

arranger ça, non ?Il se retourne vers nous, et nous relevons toutes les deux les yeux, jusque-là braqués sur ses

fesses, vers son visage.— Oh, oui, roucoule Gramz. Il va falloir arranger ça, jeune homme, si vous le dites. Vous pouvez

revenir demain ?Andy sourit avec politesse et opine de la tête. Cette vieille bique n’a vraiment aucune honte. Je

me demande si je suis aussi mauvaise qu’elle. Andy rassemble ses outils et s’approche du lit.— Enchanté de vous avoir rencontrée, Jo.Il me tend la main, que je prends en vue d’un salut amical. À ce moment, je sens la caresse de son

pouce. Direct, le petit salaud ! Je lui envoie un sourire entendu et interromps aussitôt notre échange.— À demain ! lance-t-il par-dessus son épaule en sortant de l’appartement.Ébahie, je me retourne vers Gramz.— C’était quoi, ça ?— Ah, mon homme doit s’intéresser à toi, Jo.Gramz hausse les épaules et enfourne encore une cacahuète. Je plisse les yeux. Impossible de

savoir ce qu’elle a dans la tête.Je regarde de plus près les traces grisâtres sur le mur.— Je peux savoir comment ces marques sont arrivées sur votre mur, juste au niveau du regard ?— Quoi ? Ah, oui. Ma canne.Sa réponse est aussi blasée que possible.— Comment ?Elle m’a encore embrouillée !— Il se pourrait que j’aie donné quelques coups de canne dans le mur pour obliger M. Beau P’tit

Cul à revenir me voir.Avec un haussement d’épaules désinvolte, elle ouvre le magazine sur ses genoux et fait un sort à

une nouvelle cacahuète. Vraiment, elle en mange des tonnes. C’est un vrai miracle qu’elle ne soit pashippopotamesque ou diabétique.

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— Non, Gramz ? Sérieux ?Elle hausse encore les épaules et, d’un geste tranquille, tourne une page du magazine.

Mon téléphone gazouille, me tirant de ma stupéfaction. Je fouille dans mon sac en bazar, trouve lemaudit objet et passe le pouce sur l’écran pour ouvrir le message.

— Brian.Où es-tu ? D’après le boss, tu devrais être rentrée.

D’un côté, je suis un tout petit peu soulagée que Damon soit en état de s’inquiéter de mes allées etvenues, mais de l’autre, merde à la fin ! Il ne me dit pas un mot et ne tient même pas compte de monexistence, mais il utilise Brian comme détective pour se renseigner sur moi ? Eh ben mon pote, c’estniet. Je déplace les pouces à la vitesse de l’éclair pour renvoyer un SMS.

Dis-lui d’arrêter de faire le con. S’il en a qch à faire, il m’envoie un message lui-même.

Je pose le téléphone sur mes genoux et me détends à nouveau.— Gramz, j’ai une question.Elle referme son magazine et tourne vers moi ses yeux bleus.— J’ai une réponse, lance-t-elle du tac au tac.Encore une manière de me rappeler pourquoi je la trouve géniale.— Pourquoi vous êtes en maison de retraite ? Vous êtes en forme.— Peuh ! Je suis vieille comme Mathusalem, ma fille !— Arrêtez de raconter n’importe quoi. De nos jours, soixante-dix-huit ans, ce n’est pas très

vieux.— J’aime bien être ici. Je ne suis un fardeau pour personne. Les employés sont bien payés.

Damon se charge de l’aspect financier.Évidemment.— Oui, mais si vous étiez ma grand-mère, je vous prendrais chez moi, plutôt que de vous mettre

dans une maison de retraite ennuyeuse avec une voisine à l’œil qui se barre en sucette.Nous sommes prises de fou rire à la mention d’Edith-Œil-de-Traviole.Mon téléphone pépie de nouveau pour annoncer un autre SMS. Encore Brian.Tu l’as mis sur le sentier de la guerre. Je suis mort.

Exaspérée, je prends une profonde inspiration. Damon ne peut quand même pas s’imaginer que jevais jouer à ce petit jeu, avec Brian comme intermédiaire ! C’est débile et je suis énervée contre lui.Pourquoi ne peut-il pas me parler, merde ?

— Qu’est-ce qui ne va pas, ma poulette ?Gramz m’observe avec attention.— Je ne sais pas quoi faire avec Damon.L’air désapprobateur, Gramz me répond :— Tu es trop intelligente pour t’arrêter à ça, Jo. Tu sais quoi faire. Retourne le voir et aide-le à

retrouver ses esprits. Tu trouveras un moyen. On y arrive toujours.Elle s’est penchée pour chuchoter la dernière phrase, ce qui fait tourner mon cerveau à plein

régime.Elle a raison. Arrête tes jérémiades et provoque le destin. Je me suis dit que je pouvais forcer le

cours des choses quand j’étais sans-abri, et j’y suis parvenue. Je n’étais pas inscrite à l’école, maisj’ai bossé comme une dingue à la bibliothèque pour obtenir mon équivalence de diplôme. J’arriveraià rendre à Damon sa véritable identité. Je l’aime et il doit forcément encore ressentir de l’amour pour

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moi, lui aussi. Ce sentiment ne s’évapore pas du jour au lendemain, quelles que soient lescirconstances.

— Vous avez raison, Gramz. Vaut mieux que j’y aille, dans ce cas. C’est le moment de fairesortir Damon de son brouillard.

Je me relève et prends Gramz dans mes bras. C’est tellement agréable de la sentir m’étreindre…C’est ainsi que j’ai toujours imaginé un câlin de grand-mère ! Vigoureux, réconfortant, même si letemps a affaibli son corps.

— Je vous aime, Gramz, vous le savez. Je ne sais pas ce que je ferais sans vous.— Moi aussi, je t’aime, ma poulette. Tu es quelqu’un de bien. C’est très égoïste de ma part, mais

je suis contente que tu sois entrée dans notre vie. Malgré les circonstances.Aussitôt, une boule se forme dans ma gorge. Elle a raison. C’est horrible de le reconnaître : cet

accident m’a enlevé mes parents, mais il m’a apporté Damon et Gramz, que j’aime de tout mon cœur.— Moi aussi, dis-je d’une voix étouffée, avant de me détacher d’elle.— Tu reviens demain, j’espère ?Je souris. Je suis incapable de refuser.— Ouaip. J’apporterai de quoi manger à midi.— Ah, fabuleux ! Tu me prends un cheeseburger, tu veux ?Impossible de dire non. J’aime cette dame comme si elle était de ma famille. Je lui apporterai un

déjeuner tous les jours si elle me le demande. Et même, je préférerais la sortir de là pour qu’ellevive dans une vraie maison, avec une vraie famille et une vraie vie.

— Je vous apporte tout ce que vous voudrez. À demain.Je lui presse une dernière fois la main et quitte la pièce, à nouveau bien décidée à reprendre le

contrôle de ma vie.Je l’ai déjà accompli, et je le referai.

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7

LevretteForte de mon projet pour le reste de la journée, je m’arrête à l’épicerie du coin pour prendre

quelques provisions avant de retourner au loft. Je me dirige vers l’ascenseur, les sacs à la main, etrefuse l’aide proposée par Howard. Une vraie petite femme au foyer indépendante. Une fois arrivéesur le palier, j’ajuste ma prise sur les sacs de courses et tape le code sur le clavier pourdéverrouiller la porte du loft. D’un coup de hanche, j’ouvre pour entrer.

Je suis en mission. J’ai envie de laisser toutes les courses par terre sur le seuil et d’aller trouverDamon, de lui dire que je suis rentrée et de voir où il en est. Mais je dois me concentrer sur unechose à la fois. Je ne le cherche pas et préfère me focaliser sur le rangement des courses à la cuisineet sur la préparation du dîner, comme une vraie petite amie qui offre un vrai soutien.

Je sors du vestibule et arrive à la cuisine avant de le voir. Il est debout devant le réfrigérateurouvert, dos à moi. Nu, le dos. Merde, j’en ai l’eau à la bouche rien qu’à le regarder. Son jean tombejuste assez bas pour m’offrir un aperçu de son caleçon. J’avance dans la cuisine et pose les sacs surle comptoir. À ce moment, Damon claque la porte du frigo et se retourne pour me faire face. Je n’aijamais vu cette expression sur son visage auparavant. Il est furieux et je me sens un poil intimidée.

— Où t’étais passée ? demande-t-il.Il peut être dans une colère noire, sa voix reste une douce musique à mes oreilles. Je reste telle

une statue à me délecter du son que je n’avais pas entendu depuis si longtemps. Il s’est adressé à moi.— Euh… Je…— Euh, ce n’est pas une réponse, Joséphine.Incrédule, je lance :— C’est toi qui es en colère contre moi ?Je sens les muscles de mon cou se crisper douloureusement et je plisse les yeux. Damon se dirige

vers moi, à côté de l’îlot central.— Ça ne me plaît pas de recevoir des messages où tu fais ta maligne alors que je m’inquiète de

savoir où tu es.Son ton est impassible, mais ça le rend d’autant plus effrayant.Le Damon qui se trouve devant moi est un inconnu. Il est complètement différent. Ses yeux ne sont

pas chaleureux et emplis d’amour comme avant. Même sa voix a changé.— En principe, le message était adressé à Brian. Si tu voulais savoir où j’étais, tu n’avais qu’à

me contacter toi-même, sans utiliser d’intermédiaire.

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Il franchit l’espace qui nous sépare. La chaleur qui émane de son torse est suffisamment prochepour que je la sente affluer vers moi. Je suis dans mes petits souliers, mais j’ai tout de même envie dele prendre dans mes bras et de lui dire que tout va bien se passer.

— Ne me teste pas, m’avertit-il.Quelque chose me dit que je devrais l’écouter, mais tant pis. Je n’ai jamais été du genre à

m’asseoir gentiment et me la fermer. S’il a envie de connaître mes moindres faits et gestes, alors il vafalloir qu’il arrête de se comporter comme si quelqu’un venait de pisser dans ses céréales. Avec cegenre d’attitude distante, je ne suis même pas sûre qu’il veuille de ma présence. De toute façon toutreste en suspens entre nous. Nous n’avons parlé de rien, et surtout pas du fait que je l’ai quitté. Jeveux sauver notre couple, et j’espère qu’il a cette même volonté. À l’heure actuelle, c’est trèsdifficile à deviner.

— Tu te comportes comme si tu me détestais, dis-je. La première fois que tu m’adresses laparole, c’est pour me faire des reproches ? Si tu ne veux pas de moi ici, je peux appeler Brian pourque vous puissiez vous occuper entre vous et moi, je retourne à la maison du capitaine.

Je détourne les yeux et m’efforce de paraître beaucoup plus courageuse que je ne me sens. Jeserais prête à donner mon prochain souffle là, maintenant, pour entendre trois mots de sa bouche.

Il empoigne mes hanches et me fait pivoter pour que nous soyons tous deux face au comptoir. Sontorse nu et chaud est plaqué contre mon dos, son bassin me maintient immobile contre l’îlot central.Purée, c’est une sensation merveilleuse. L’une de ses mains remonte sur ma hanche, glisse sur mescôtes, sur la courbe de ma poitrine et s’arrête à ma joue. Il me prend la mâchoire d’une main ferme etse penche encore sur moi. Ses lèvres effleurent mon oreille :

— Tu ne crois pas que tu es déjà assez partie comme ça, Joséphine ?Cette question oratoire est comme un pieu dans mon cœur. J’en reste effarée sur place. Je

n’arrive plus à respirer. La chaleur qui naissait entre mes jambes s’éteint et mon cœur se fend. Jeferme les yeux et encaisse ce coup de poing verbal comme une femme forte. Je répète avec le peu devoix qui me reste :

— Si tu ne veux pas que je sois là, je partirai.— Et si tu me laissais décider si tu dois partir, cette fois ?Il me relâche et je me tourne pour le voir s’éloigner, sans aucun doute vers son putain de bureau.— Damon ! S’il te plaît !Mon cri est angoissé et il s’arrête, mais sans faire mine de se tourner vers moi. D’après Gramz,

je vais trouver un moyen de l’atteindre. Elle a raison : les femmes peuvent avoir une grande capacitéde persuasion et je sais qu’il ressent la même chose que moi quand nos corps se touchent. J’ordonneà mes pieds de se déplacer. Je peux y arriver. Damon ne peut pas rejeter ni oublier ce qui existe entrenous. Nous nous aimons, et je le ramènerai à moi.

J’entre, je m’approche de lui et pose les mains sur ses omoplates. Je fais courir mes paumes dansson dos musclé. Il relâche la tête et prend une grande inspiration qui lui gonfle le torse. Un signerassurant dont j’ai besoin de sa part. Je me penche et dépose un baiser chaste au milieu de son dos.

— Chéri, s’il te plaît, dis-je d’une voix cajoleuse. Parle-moi !Il se retourne pour me faire face, ce qui me surprend.— Que veux-tu de moi ?— Je veux juste que tu communiques avec moi. Qu’on soit sur la même longueur d’onde en ce qui

nous concerne, tous les deux.

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J’ai balbutié ces mots, et j’attends ce que j’ai envie d’entendre de sa part.— Joséphine, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. En fait, je pense que nous ne

sommes même pas sur la même fréquence radio.Il prononce ces paroles sur un ton exaspéré, comme si je l’irritais au plus haut point. Cela me fait

l’effet d’un couteau chauffé à blanc sur ma peau.— Je ne suis pas moi-même, reprend-il. Je suis hors de contrôle et je ne sais pas comment

revenir.Il passe ses grandes mains dans ses cheveux en bataille et j’aperçois une expression de désespoir

sur son superbe visage. Je ne la connais que trop bien.Je m’avance vers lui et lui prends la main.— Avant que tu arrives dans ma vie, j’avais l’impression que le sol s’écroulait sous mes pieds.

Et puis tu es apparu et j’ai eu quelqu’un à qui me raccrocher. Laisse-moi faire la même chose pourtoi. Au moins essayer. S’il te plaît.

— Je ne représente rien de bon pour toi. Je ne peux pas te donner ce que tu mérites, avoue-t-il.Je secoue la tête. Je refuse de croire ce qu’il me dit. Même s’il avait raison, je voudrais quand

même des miettes qu’il voudrait bien m’abandonner.— Non, c’est faux. Je veux t’aider.— Impossible. Tu…Il baisse la tête et fronce les sourcils. Je lui répète de me laisser l’aider.Je pose la main sur sa joue et de mon pouce, je trace de petits cercles apaisants sur sa pommette.

Il ferme les yeux à mon contact, presque comme Hemingway quand je lui caresse la tête, et il pousseun soupir.

— Dis-moi ce que je peux faire pour toi, je chuchote.Il rouvre lentement les yeux et son regard rencontre le mien. Il hoche doucement la tête et ses

yeux se posent sur ma bouche. J’entrouvre les lèvres et je les humecte de ma langue.— Donne-toi à moi entièrement.Mon rythme cardiaque s’accélère à cette demande. Ma poitrine se soulève rapidement. Est-ce

qu’il vient vraiment de dire ce que je pense qu’il a dit ? Je déglutis à grand-peine et lui fais signeque oui.

— D’accord.Si c’est ce qu’il lui faut pour revenir à lui-même et à moi, je lui donnerai tout ce que j’ai.Aussitôt, une expression soulagée se peint sur son visage.— Oh, putain, halète-t-il.Je suis prise d’un frisson involontaire. De ses bras puissants, il m’enveloppe et m’attire contre

son torse. Nos corps entrent en collision et je suis soulevée de terre. Il a posé les mains sur mesfesses pour me prendre dans ses bras, et ça n’a jamais été aussi bon d’être là.

— Au lit. Tout de suite.Ses yeux d’ambre sont illuminés d’une lueur féroce.— Oui, je chuchote.Je ne sais pas trop si le docteur Versan approuverait cette thérapie, mais si c’est la façon que

choisit Damon pour se remettre à communiquer avec moi, je peux le soutenir.Il me remet sur mes pieds et prend ma main dans la sienne pour nous guider vers l’escalier, que

nous gravissons main dans la main, sans prononcer un mot. Je m’arrête au pied du lit et me tourne

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vers Damon. Il est si proche de moi que je pourrais m’approcher d’un simple centimètre pour que mabouche touche son torse. Du fait de notre différence de taille, mes yeux sont au niveau de son sternumet pour la première fois, je remarque des hématomes violacés sur sa peau.

— Tu as des bleus.Je soulève la main pour les effleurer.— La réanimation, ça fait mal, répond-il simplement d’une voix monocorde.C’est un rappel du fait que j’ai failli le perdre et que c’était entièrement ma faute.— Je suis désolée, Damon, si tu savais. J’aurais dû te laisser tout expli…— Chut. On ne peut pas revenir dessus.Je hoche la tête pour clore ce sujet sensible. Je cherche à embrasser son sternum malmené mais il

recule.— Déshabille-toi.Sa requête me décontenance. C’est toujours lui qui m’a dévêtue avant. Je me débarrasse de mes

sandales et déboutonne mon short en jean, sans jamais quitter des yeux mon Grand Mec. Le shortglisse sur mes jambes et atterrit à mes pieds. Mon boxer de dentelle suit le même chemin. Les yeux deDamon ne quittent pas les miens pendant que je me dévoile à lui. Il a l’air froid et indifférent. Lui quia toujours vénéré mon corps, il me regarde maintenant comme un morceau de viande. Tant pis. Sic’est ce qu’il veut et ce dont il a besoin, c’est ce que je lui donnerai. D’un mouvement rapide, je lèvemon débardeur de coton par-dessus ma tête et le fais tomber à terre. Je dégrafe mon soutien-gorge,dont les bretelles glissent sur mes épaules, puis il rejoint mes autres vêtements sur le sol. Je suis enface de Damon, complètement nue et empourprée.

D’une main, il déboutonne son jean, qu’il enlève d’un geste vif. Je ne peux m’empêcher deregarder son pénis rigide qui soulève le tissu de son caleçon. La trace d’humidité déjà déposéedessus me donne l’eau à la bouche. J’imagine ma langue se déroulant sur la couronne de chairsoyeuse jusqu’à ce qu’il frissonne de plaisir.

— Écoute-moi, demande-t-il avec douceur.Je reporte les yeux sur lui. J’écoute.— Si tu me dis que tu vas te donner à moi, je te prendrai tout entière. Je te posséderai de toutes

les façons possibles entre un homme et une femme. Je te mettrai sur ce lit, ou n’importe où d’ailleurs,et je te baiserai jusqu’à ce que tu me supplies d’arrêter. Je prendrai tout ce que tu as, et encore plus.Tu m’as demandé de quoi j’ai besoin, et c’est ça. J’ai besoin de toi. Tout entière.

J’en reste bouche bée et je suis sûre que j’ai l’air complètement hébétée. Bien sûr, il n’a pastoujours été doux avec moi : il m’a bandé les yeux et attachée au lit. Mais rien au-delà de ça. C’étaittoujours dans la recherche du plaisir et j’ai toujours été d’accord. Je devrais hésiter, mais c’est ceque ferait une femme normale. Je sens mon hochement de tête avant même de me rendre compte de ceque je fais, mais peu importe. Je crois que je dirais oui à Damon quoi qu’il me demande. Je l’airejeté une fois et cela s’est révélé être la plus grosse, la plus dangereuse erreur que j’aie jamaiscommise. Sans parler du fait que l’amour de ma vie a failli mourir. Je ne referai pas la même erreur.Je ne veux pas rejeter mon Grand Mec. Je suis à lui et il peut me prendre.

— Oui ?Damon hausse les sourcils, l’air incrédule, comme s’il ne m’estimait pas capable de me

soumettre à ses moindres désirs, ce qui est de la pure invention. Il devrait savoir que je suis prête àtout pour le récupérer comme il était avant. C’est peut-être complètement contraire à ma personnalité

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mais, merde, je l’aime et je consens à m’en remettre à lui si cela signifie retrouver l’ancien Damon.— Oui, dis-je d’un ton confiant.— Sur le lit, ordonne-t-il.Je recule jusqu’à ce que mes fesses heurtent le pied du lit. Je m’agrippe au bord et me renverse

en arrière, puis recule jusqu’aux oreillers sous l’œil attentif de Damon, qui ne me quitte pas.— Retourne-toi sur le ventre.Je lui lance un dernier regard avant de m’exécuter. Il a l’air d’être à des millions de kilomètres et

cela me fend le cœur de le voir si… renfermé. Damon version zombie est de retour.J’entends des mouvements derrière moi, puis le matelas se creuse sous son poids. Mon estomac

se contracte en sentant son corps contre le mien. Un tissu familier s’abat sur mes yeux, me rendantaveugle.

Damon ajuste le bandeau, puis me soulève les bras.— En V.J’acquiesce et le laisse manipuler pour me mettre en position. Il utilise les mêmes sangles que

l’autre fois. Je m’en souviens bien. Il tend complètement mon bras gauche, puis s’occupe d’attachermon autre bras. Il étire bien le lien pour ne pas laisser de mou.

— Serre les jambes.Sa voix est douce et calme mais le ton de commandement est bien présent. Il ferme mes jambes.

Mes cuisses se touchent, ce qui rend le désir né entre elles quasiment intolérable. Damon prend bienson temps pour me ligoter. C’est une torture, mais en même temps c’est extrêmement excitant. Moncorps ne désire que lui et il le sait. Je crève d’envie de l’avoir sur moi. Il me replie les jambes et lesrelève de façon que mes plantes de pied pointent vers le haut. Je sens les mêmes liens souples maisfermes autour de mes chevilles une fois, deux fois, trois fois, pour me lier les jambes. J’entendsDamon respirer. Mon corps vibre d’anticipation et je sens ses yeux sur moi. Mes jambes sont toutestremblantes et des papillons voltigent à toute vitesse dans mon corps tandis que je suis là, allongée,attachée et les yeux bandés. Complètement offerte.

— À genoux. Laisse la poitrine bien contre le lit.Il m’empoigne les hanches et les relève pour que je puisse passer mes genoux sous moi. J’ai les

fesses dressées devant lui comme un putain de trophée et je suis plus qu’heureuse de les exposer à savue.

— Tu es prête, Joséphine ?Sa voix et rauque est empreinte d’une séduction que je n’ai jamais entendue à ce point. Ses

grandes mains chaudes glissent sur mes fesses, puis s’enfoncent dans mes flancs.— Hmm.Le large gland heurte de façon excitante ma fente humide. Mes paupières frémissent derrière le

bandeau. Damon prend tout son temps pour plonger en moi centimètre par centimètre, avec unelenteur délicieuse. Mon corps reçoit son sexe aux dimensions impressionnantes comme s’il avait étéfait pour lui. Damon s’arc-boute contre moi, s’enfonce jusqu’à la garde avec un gémissement gutturalqui me fait me mordre les lèvres. Oh putain, c’est sexy. Ce qui est encore plus sexy, c’est que c’estmoi qui lui arrache un tel son.

Il crispe davantage encore les doigts sur mes hanches et se retire complètement, puis coulissedoucement pour revenir. Je sens chaque veine gonflée, chaque aspérité contre mes chairs sensibles.Encore une fois, il repart pour ne laisser que l’extrémité et s’interrompt. Je gémis, pour en demander

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plus. Je le sens se pencher par-dessus moi. Son torse sculptural effleure à peine mon dos. De l’une deses grandes mains, il rassemble une poignée de cheveux, qu’il tire juste assez pour m’arracher un râlerauque. Je le sens trembler contre moi. Il va tout lâcher avec moi et je ne pourrais pas le désirer plusqu’en ce moment. Ses lèvres humides se pressent tendrement sur ma peau. C’est un minuscule aperçudu Damon que je connais et que j’aime tant. Le Damon que je veux récupérer. Sa bouche quitte mondos et au bout d’une fraction de seconde, il recule et se déchaîne comme je pensais qu’il le ferait. Uncoup rapide, profond, d’une intensité hallucinante, et je n’ai plus d’air dans les poumons. Je pousseun grognement et tire sur les liens qui m’empêchent de bouger. Les mains de Damon me maintiennenten place, bien positionnée pour recevoir sa queue, et il me pilonne, avec force et en profondeur.

— Ah ! s’exclame-t-il, le souffle fort.La pression de ses doigts est douloureuse, mais c’est tellement bon. Chaque poussée agressive

me fait contracter plus le ventre. Damon relâche mes cheveux et de cette main, me donne unevigoureuse tape sur les fesses. Le claquement sec retentit juste au moment où l’extrémité de son pénisparfait épouse les recoins les plus secrets de mon corps. Un tout petit éclair de douleur zigzague dansmon bas-ventre et j’ai l’impression d’avoir le derrière en feu. Une nouvelle fois, sa main s’abatdessus et je pousse un cri. Il passe la main sous ma cuisse et ses doigts habiles viennent à l’assaut demon clitoris. En réponse au traitement infligé à mon bouton de chair, je suis prise de soubresauts.D’un doigt, il applique des caresses circulaires, ce qui me coupe le souffle entre deux gémissements.Je suis déjà prête à exploser.

— C’est pas vrai ! Ah !Mon sexe palpite avec force et j’approche de l’orgasme. Les à-coups de Damon deviennent

frénétiques, toujours plus intenses. J’ai les jambes qui tremblent de façon incontrôlée. Je remue envain les bras pour me libérer. Mes orteils se recroquevillent si fort que j’en ai des crampesdouloureuses dans les pieds. Un feu d’artifice prend sa source au plus profond de moi et exploseviolemment. C’est comme si mes veines étaient emplies de sexe à l’état liquide et en ébullition.

Mon orgasme me consume et me coupe le peu de souffle que je pouvais avoir. Je serre très fort lahampe de Damon, qui frémit en retour. Il replonge encore une fois, ce qui prolonge mon orgasme,puis il émet des soupirs étranglés et se vide en moi.

Nous peinons tous deux à retrouver notre souffle et Damon se retire, encore entièrement érigé. Ildénoue vite les liens autour de mes chevilles. Le lit bouge pendant qu’il s’active pour libérer mesbras. Visiblement, pas de câlin prévu au programme. Je me rassieds sur mes pieds, puis étire mesdoigts et roule des épaules. Damon dénoue le bandeau et le retire de mes yeux. Je bats rapidementdes cils pour chasser le brouillard. Même si je sais ce qu’il en est, l’espoir s’insinue quand jeretrouve ma vision et aperçois Damon devant moi. Une fraction de seconde, j’espère qu’il y aura dela vie dans son regard et des émotions sur son visage.

Évidemment, la vie est une saloperie et tout ce que je vois, c’est ce même Damon versionzombie, froid et stoïque qui s’est réveillé à l’hôpital il y a plus d’une semaine.

Je devais penser que me donner à lui déclencherait le changement. Faut vraiment être conne. Jeviens juste de me faire baiser à en mourir et c’est tout. Pour la première fois de ma vie d’adulte, quin’a pas été avare en nuits sans lendemain, je me sens utilisée, comme une fille à pas cher.

Je lève la main pour lui caresser la joue, mais il se retourne et s’éloigne vers la salle de bains.La porte se referme et j’entends le verrou cliqueter.

J’ai l’impression d’être monstrueuse. Sale. J’ai très envie de foncer sous la douche pour me laver

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et tout faire partir. Je crois que je sais exactement comment se sentait la levrette.

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8

Des effortsLe temps que Damon sorte de la douche, j’ai déjà fouillé dans mes affaires pour trouver des

vêtements propres à enfiler. Je sors du dressing en très vieux short de coton ample et tee-shirt fincomme du papier à cigarette et me retrouve face au torse sculptural de Damon. Il a une serviettepassée autour de la taille et même s’il s’est séché, quelques gouttes d’eau se sont attardées au creuxde son sternum couvert de bleus. Je le regarde avec espoir, mais ses yeux sont aussi froids quejamais. Je lève la main pour toucher son torse mais il m’attrape par le poignet.

— Ne fais pas ça.— Arrête !Après ce cri, je dégage mon bras de sa poigne.Il pourrait facilement me retenir, mais il me lâche. Comme il refuse de me regarder dans les yeux,

je lève la main vers son torse encore une fois et il reste immobile telle une statue pendant que jepasse les doigts sur les hématomes.

— Ça fait encore mal ? je demande doucement en effleurant les dommages infligés à son torse.Il repousse ma main.— J’ai vu pire, marmonne-t-il, avant de me contourner pour se rendre dans le dressing.Je sais qu’il a mal mais, putain de merde, jusqu’à quel point pourrai-je endurer cette punition ?

Bon, il me parle, au moins. Il faut qu’il sache que je ne le quitterai pas de nouveau. Je ne le laisseraiplus jamais en plan comme ça, mais le traitement qu’il me fait subir reste dur à encaisser. Je tourneles talons et le suis dans le dressing. Dans l’embrasure de la porte, j’attends qu’il se retourne.

— Tu me détestes ? Tu préférerais que je ne sois plus la ? C’est ça, mon châtiment ? Dis-moi !Mes lèvres tremblent et les larmes menacent. Le cœur battant, je sens l’adrénaline courir dans

mes veines. Je suis complètement frustrée par son attitude, par toute sa personne, par tout ce qui s’estpassé. Je me sens comme une fille facile, jetable et jetée.

Ses yeux ne sont plus chaleureux, ses mains sur moi ne sont plus tendres et sa voix est emplied’une indifférence froide. Cela entame ma résolution. Ce n’est pas mon Damon. Ce Damon versionzombie est une carapace sordide et agressive de mon Damon. Je lutterai pour lui de toutes mesforces, mais même moi, j’ai mes limites.

— Te détester ? demande-t-il d’un air étonné. Non, Joséphine, je ne te déteste pas. Si c’était lecas, je t’aurais donné une généreuse somme d’argent et je t’aurais demandé de partir.

Le salopard. Son commentaire est un coup bas et il le sait. Il sait que son argent n’a jamais été ma

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motivation pour être avec lui. S’il veut me punir, si ce traitement est la peine à purger pour l’avoirabandonné au moment où il avait le plus besoin de moi, alors je l’endurerai aussi longtemps que je lepourrai. J’espère seulement que mon point de rupture est encore loin. De fait, nos deux volontéss’affrontent et je n’ai pas l’intention de le perdre.

— Je ne veux pas de ton argent, Damon, bordel ! Je n’en voulais pas avant, je n’en veux pasmaintenant, et c’est clair que je n’en veux pas pour plus tard !

Il s’approche et je reste fièrement campée sur mes pieds. Ses yeux inexpressifs sont rivés auxmiens. Il s’arrête à quelques centimètres seulement de moi et, dans un doux murmure effrayant, il medemande :

— Alors que veux-tu de moi ?Je ne l’ai jamais entendu ainsi, et après qu’il m’a « prise en entier », je reconnais avoir un tout

petit peu d’appréhension quant à l’issue de ce combat de volontés.— Tout ce que je veux, c’est toi. Je veux récupérer mon Damon.J’ai fait cet aveu en toute franchise, mais ses yeux restent vides, sans une once d’émotion. Il passe

à côté de moi et me laisse toute seule. Pas de réaction. Juste son dos qui s’éloigne. Je m’appuiecontre l’encadrement de la porte du dressing et me laisse glisser au sol en une masse informe. Undésespoir familier m’envahit et je l’autorise à s’emparer de moi. OK, tant pis. Il n’y a pasd’échappatoire, alors autant ne pas lutter. Mieux vaut épouser la douleur plutôt que la repousser. Jesais cela mieux que personne. C’est comme être emporté par une vague et choisir entre lutter en vainà contre-courant ou se laisser emporter par les eaux. Je la laisse me submerger, mais j’espère bienpouvoir refaire surface à un moment, avec encore un souffle de la vie.

Si c’est comme ça que compte être Damon, je vais le laisser m’entraîner sous les vagues.J’espère seulement qu’une fois cet épisode passé, nous pourrons émerger de nouveau. Je sais ce quile torture, Gramz m’a bien expliqué qu’il avait déjà réagi ainsi auparavant. Alors je m’accrocherai àla vie. Je serai son radeau. Je le laisserai se purger et quand il en aura fini avec cette phase négative,il verra que je suis toujours là, debout, et lui aussi. S’il a besoin d’un punching-ball pour libérer sesémotions, je serai le meilleur du monde ! Ça va faire mal à en crever de me sentir rejetée alors que jeveux qu’il m’aime comme avant, mais ne pas l’avoir du tout, ce serait encore pire.

Je ne veux aucune partie de ma vie sans Damon. Ce serait une existence triste pour moi. Personnene pourrait être à sa hauteur. Il est le seul. Je le sortirai de là. Quand il se comportera comme unconnard, je le lui signalerai, mais je lui rappellerai aussi combien je l’aime et combien l’ancienDamon me manque. Je lui répéterai, autant qu’il le faudra, que rien de tout ça n’est sa faute. Plusimportant encore, j’essaierai d’imprimer ce message dans sa caboche : je ne partirai pas. J’aitraversé des épreuves au cours de mon existence, mais j’ai l’impression qu’en ce moment, je mène lecombat de ma vie avec Damon. Pour Damon.

Je me relève péniblement et descends l’escalier. À la cuisine, je trouve Damon en train defouiller dans les placards. Bien entendu, il a faim : il est toujours affamé après le sexe. Un vraianimal. Je propose :

— Je vais te cuisiner un truc.Il fait un signe d’assentiment, sans même regarder vers moi, et commence à s’éloigner. C’est

maintenant ou jamais.— Tu peux jouer les connards autant que tu voudras. Je ne suis pas un chien que tu peux chasser.

Je t’aime toujours, et je ne bougerai pas d’ici.

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Il y a un ton définitif dans ma voix et je me sens à nouveau courageuse. Ouf.Il s’arrête un court instant, comme s’il envisageait de se retourner, puis il continue sa progression

dans le couloir. Il va se cacher dans son bureau. Pour l’heure, je vais le laisser se terrer.La préparation du dîner est une distraction bienvenue et je ne perds pas de temps pour m’y

mettre. Mon Grand Mec a un sacré appétit, mais il va devoir se contenter de ma soupe de légumes.Avec le lavage d’estomac qu’il a subi, j’ai peur de lui donner des aliments trop lourds.

Je coupe, je mets à bouillir, je mixe et le dîner est vite prêt. Plus qu’à ramener le Grand Mec àtable. Je ne sais pas ce qu’il trafique dans son bureau pendant des heures d’affilée, maisapparemment, c’est l’endroit où il se sent bien. Je croyais que c’était la bibliothèque, mais ça a dûchanger. Je tape deux coups à la porte avant d’entrer. Damon se tient dos à moi, encore une foisdevant ce meuble de classement, toujours le même. Il regarde par-dessus son épaule et esquisse unsigne de tête, puis le referme à clé. Il place la clé dans sa poche et se retourne vers moi.

— Le dîner ?— Je t’ai fait de la soupe.— De la soupe ? s’exclame-t-il, incrédule.— Oui, je me suis dit qu’il fallait que tu continues à absorber de la nourriture légère à cause de

ces histoires d’estomac.— Non, fait-il en secouant la tête avec véhémence. Je vais bien, mais j’ai faim et la soupe, ce

n’est pas un vrai repas.— Mais si, c’est un vrai repas.Je croise les bras sur ma poitrine et dévisage avec sévérité ce mec têtu.— Joséphine, j’ai faim. Je n’ai à peu près rien mangé pendant toute une semaine. Je veux de la

nourriture.— Alors va manger, dis-je en haussant les épaules. Allez, goûte-la, cette soupe, elle est

délicieuse, j’ajoute en tentant d’user d’un peu de charme féminin. Et il y a du bon pain, aussi.Bien entendu, il m’offre zéro réaction, seulement un regard inexpressif, et me contourne pour

aller vers la cuisine. Il se dirige tout droit sur la marmite et prend une louche de soupe pourl’examiner. Mais pour qui il se prend ? Un inspecteur des travaux finis ? Après avoir farfouillédans les placards, il en extirpe un grand saladier, où il verse trois énormes louches de soupe. Puis ilse dirige vers le frigo, qu’il explore également.

— Mais qu’est-ce que tu fais ?Sans rien répondre, il sort un sachet de fromage râpé, dont il verse une bonne moitié sur la soupe.

Abasourdie, je suis sa progression. Il ouvre encore un placard, où il s’empare de toute une boîte debiscuits salés. Il ne va quand même pas manger tout ça, c’est impossible.

— Il y a du pain, je lui rappelle en montrant la miche achetée à la boulangerie, à côté du beurre,sur le comptoir.

Il prend le pain entier ainsi que le beurrier, les ajoute à son butin, et retourne dans sa grotte sansmême m’accorder un deuxième regard.

Je sens la truffe humide d’Hemingway contre ma cheville et je le regarde.— Tu veux un petit dîner, mon chou ?Il s’assied gentiment et me regarde de ses grands yeux bruns.— On est juste tous les deux. Allez, on va manger, mon petit.Je mange ma soupe seule. Enfin, avec le chien… Ensuite, je range la cuisine et le plus incroyable

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dans l’histoire, c’est que je ne suis pas tout à fait au fond du trou. Au moins, je sais que Damonressent la faim. Et ressentir quelque chose, c’est un début, pas vrai ?

Hemingway a fini de lécher consciencieusement son écuelle et il se met à sautiller sans relâche àmes pieds.

— D’accord, d’accord, je t’emmène te promener.Je prends mon chiot dans les bras et passe mon sac sur mon épaule.Je fais signe à Howard en sortant et comme d’habitude, il me gratifie d’un sourire sévère. Je

prends la laisse d’Hemingway dans mon sac et l’attache à son collier. Je le promène dans notreespace vert habituel jusqu’à ce qu’il se montre prêt à retourner à l’intérieur. Il adore être dehors etprend toujours son temps pour se promener. Je récupère les déjections du chiot dans un sac prévu àcet effet, et nous remontons.

Quand j’ouvre la porte du loft, je trouve Damon dans le vestibule, l’air agité.— Où tu vas ? demande-t-il. Tu pars ?Étonnée, je secoue la tête.— Pas du tout. Hemingway avait envie d’une promenade. On rentre juste.Apparemment satisfait de ma réponse, Damon opine de la tête. Bon, j’aurais sans doute dû le

prévenir de ma sortie, car il a pensé que je voulais le quitter à nouveau. Quelle conne ! Je détache lalaisse d’Hemingway et la pose à terre. Je m’avance vers Damon et place la paume sur sa mâchoirebien dessinée. Il ferme des yeux emplis de douleur.

— Je t’aime, Damon.Il ne répond pas et son indifférence est une souffrance atroce pour moi. Je sais qu’il m’aime,

même s’il ne parvient pas à le dire. Je laisse retomber ma main et il s’éloigne de moi avec uneprofonde inspiration, en se passant les mains dans les cheveux. Ce que mon Grand Mec est tourmentéen ce moment, le pauvre ! J’aimerais savoir comment l’aider.

— Bon, ben je vais au lit.Mon petit chiot dans les bras, je monte l’escalier. J’embrasse la tête poilue d’Hemingway avant

de le coucher dans sa niche. Il s’installe sur son petit lit pour chien et pousse un soupir satisfait. Aumoins un qui a la belle vie.

Damon disparaît dans le dressing pendant que je me dirige vers la salle de bains. J’ai besoind’une douche et d’une bonne nuit de sommeil. Je suis épuisée par les événements de la journée. J’ôtemes vêtements et entre sous la douche. Le jet chaud apaise mes muscles tendus. Je laisse tomber matête et affaisse les épaules. Il me manque. Si c’était mon Damon, il serait avec moi en ce moment.Nous prenions toujours notre douche ensemble. Je veux le récupérer, c’est une obsession. Je l’aiperdu. J’espère simplement que ce n’est pas pour toujours. Je m’attarde sous l’eau pendant ce quiparaît être des heures. Enfin, je coupe le robinet et sors de la cabine de douche. Ma peau se couvrede chair de poule et je frissonne dans l’air froid. Je me sèche le corps et les cheveux aussi vite que jepeux, à coups de serviette rapides et je fonce dans le dressing. Je passe en revue les vêtements queDamon a achetés, à la recherche de quelque chose qui ressemblerait à un pyjama, mais sans succès.

Je sens ses yeux sur moi et je me retourne pour le voir appuyé à l’encadrement de la porte, entrain de me regarder. Ma serviette se trouve par terre et je suis nue comme un ver. Je me senspudique, ce qui n’est pas mon habitude. Damon tend sa grande main et mon cœur manque de s’arrêter.Ce n’est pas grand-chose, mais ça me touche. Je n’hésite pas, me dirige vers lui et place la main dansla sienne. Il se retourne et nous conduit vers le lit, où il se déshabille et tire les couvertures. Nous

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entrons tous les deux dans son grand lit. Je me mets de côté pour le voir ; il passe le bras autour dema taille pour m’attirer plus près de lui. J’ai l’impression de commencer à respirer après avoirretenu mon souffle pendant toute une vie. Je me love contre lui. Son menton se pose au sommet de matête et j’embrasse son torse bleui. Je savoure ce moment.

— Je fais des efforts, chuchote-t-il.— Je vois bien.Il ne prononce pas un mot de plus. Je sens son corps se détendre. Le sommeil arrive.— Je t’aime.Mon chuchotement était à peine assez fort pour que je l’entende moi-même. Je ferme les yeux et

me laisse emporter. La réalité s’efface pour laisser la place à des rêves où il m’avoue son amour.

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9

CommunicationCe matin, je me suis réveillée pour trouver un mot.Trucs à faire. Je reviens. D.Ce n’est pas exactement la façon dont je rêvais de commencer la journée, mais au moins, j’ai

dormi dans les bras de Damon cette nuit. Je n’ai vraiment pas à me plaindre. Il a dit qu’il faisait desefforts et je le crois. Cela va simplement lui prendre du temps, comme Gramz me l’avait dit. Enattendant, je lui donnerai tout ce qu’il voudra, y compris « moi » par le biais de sexe détaché etglauque. Le sexe dans l’indifférence, c’était ce que je préférais il y a encore peu de temps, maisdésormais je me sens volée et frustrée, après. Mais cela n’a pas d’importance. Si c’est ce dont il abesoin, je le lui accorderai. J’ai dû supporter bien pire.

Je ramasse le bout de papier et l’examine à nouveau. Il n’a pas dit où il allait, ni quand ilrentrerait. Je regarde l’heure sur mon téléphone et lui envoie un SMS.

Je déjeune avec Gramz aujourd’hui. On se voit après ?

J’attends une réponse, qui ne vient pas. Une partie de moi ne peut s’empêcher de s’inquiéter pourlui, aussi j’envoie à Brian un SMS dans l’espoir qu’il soit avec Damon.

Il est avec toi ?

J’ébouriffe le pelage d’Hemingway, puis je prends mon sac.— Tu ne vas pas pouvoir m’accompagner aujourd’hui, mon petitou. Pas de chiens à la maison de

retraite. Sois sage.Dans l’ascenseur, mon téléphone émet un bip. Ouf. Un message de Brian.Oui, on travaille. T’en fais pas, ma puce.

Soulagée, je prends une grande inspiration. Je sais que je n’ai pas à m’inquiéter quand Brian estavec lui. Il plaisante toujours en affirmant qu’il est pour lui comme une épouse, sans les avantages.Ah, quel personnage ! Sur le chemin de la maison de retraite, je m’arrête au Petit Resto pour nousprendre à manger. Cela fait des semaines que je n’y suis pas passée, et j’ai appelé pour commander,parce que je n’avais pas envie d’attendre des heures et de faire la conversation à Noni. La dernièrefois que je suis venue, Damon était avec moi et elle s’est comportée de manière vraiment bizarre.Peut-être qu’elle se la joue Gramz et envisage de draguer un homme plus jeune qu’elle.

Noni se jette sur moi quand elle me voit arriver et me lance un grand sourire.— Alors, comment ça va ? Je commençais à avoir peur que tu en aies marre de notre Petit Resto.

D’ailleurs, moi j’en ai marre.

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Elle fait un grand sourire et je m’efforce de rire à sa petite blague.— Oh, Damon et moi, on a pris le large quelque temps. Il avait juste envie de faire un break.L’histoire officielle, c’est que Damon et moi sommes partis en vacances. Brian nous a sauvé la

vie en faisant courir cette rumeur et il a tenu les rênes pour son patron pendant qu’il se remettait.Personne n’est au courant de ce qui s’est passé et nous n’avons pas l’intention que cela s’ébruite.

— Ah, super ! Où t’a-t-il emmenée ?Brian a raconté à tout le monde que nous étions allés à Miami passer du temps à la plage. Encore

un point pour lui. Il est sûrement allé jusqu’à envoyer des cartes postales aux gens et tout et tout.— En Floride. C’était très sympa.— Et où est le bronzage ?Elle me scrute des pieds à la tête.— Ah ? je balbutie en réfléchissant à toute vitesse. En fait, on n’est pas beaucoup sortis de la

chambre d’hôtel.Noni ouvre de grands yeux et rougit comme une pivoine avant de retourner à la cuisine pour aller

chercher mes plats à emporter. Elle revient tout de suite, un sac en papier à la main, et je lui faispasser les billets sur le comptoir.

— Ne me refais pas le coup de disparaître ! Et n’oublie pas d’amener plus souvent ici toncharmant copain !

J’adresse un signe par-dessus mon épaule à Noni la Cougar et je me dépêche de retourner à lavoiture avec nos hamburgers. Un autre point positif avec Frank, c’est que je n’ai jamais à m’inquiéterque les plats emportés refroidissent dedans. Il doit faire quarante degrés à l’ombre, donc il fait aumoins trente-neuf à l’intérieur de l’habitacle. Je vais aussi vite que possible à la maison de retraitesans risquer l’amende, pour pouvoir sortir de cette fournaise et profiter de l’air conditionné.

Quand j’arrive à la porte de Gramz, je toque deux fois et j’entre.— Madame, votre déjeuner ! dis-je d’une voix chantante.Et là je découvre Andy à côté de Gramz, en habits de tous les jours. Le choc.— Miam ! Allez, on mange, décrète Gramz, qui joint ses mains ridées.Elle est impatiente. Non mais quand même, ce n’est qu’un hamburger. Certes, le Petit Resto fait

les meilleurs de toute la ville, mais ce n’est pas non plus du caviar. J’avance la tablette à roulettesvers son lit.

— Oh non. Nous pouvons manger à table.Gramz désigne de la main une vraie table dans un coin de la pièce, que je ne l’ai jamais vue

utiliser auparavant. Je hausse les sourcils pendant qu’elle se redresse pour sortir du lit.— Joignez-vous à nous, Andy, nous pouvons partager.Elle lui adresse un sourire éblouissant et il ressemble à une biche prise dans la lumière des

phares.— D’accord, je peux m’attarder un peu. Bonjour Jo.Je lui adresse un sourire poli.— Bonjour. Pas d’uniforme, aujourd’hui ?— En principe, je ne travaille pas aujourd’hui, mais j’avais promis à Bee de venir m’occuper de

ses marques sur le mur.Du menton il désigne le mur fraîchement repeint de Gramz ; toute trace du sabotage à la canne a

disparu. Cette vieille dame est vraiment impossible. C’est hilarant.

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— Il n’est pas gentil, ce garçon, Jo ? s’exclame Gramz avec délice.— Si, génial.J’ouvre le sac en papier et commence à sortir notre repas pendant que Gramz s’installe de son

côté de la petite table. C’est qu’en plus, elle est toute élégante. Elle a revêtu l’un de ces joggings envelours appréciés des vieilles dames américaines. Il est bleu roi et complètement ridicule. J’aperçoisl’une de ses chaussettes et sans surprise aucune, constate qu’elle est parfaitement assortie à sonaccoutrement. Des chaussettes bleu roi. Je ne saurais même pas où en trouver de cette couleur. Satenue dans son ensemble manque de me faire exploser de rire. Quand Gramz va-t-elle sortir faire unjogging, franchement ?

— On partage ?Gramz pousse son hamburger et ses frites vers Andy.— Oh, non merci, madame. J’ai déjà mangé.Elle opine de la tête et sourit au pauvre agent d’entretien, puis mord dans son hamburger avec un

appétit que je croyais réservé aux cacahuètes enrobées de sucre.Andy me consacre son attention.— Alors, Jo, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?Il est sérieux, là ? Je me reprends avant de lever les yeux au ciel devant une tentative aussi

convenue de faire la conversation.— Euh, je dirige une librairie.Il fait semblant d’être intéressé et pose des tas de questions sur le magasin, depuis combien de

temps j’y suis, bla-bla-bla, rendant mon exaspération encore plus difficile à masquer.— Oui, Damon a acheté tout le magasin juste pour pouvoir la fréquenter. Il n’est pas incroyable,

mon petit-fils ? intervient Gramz.Andy m’envoie un sourire charmeur et hoche la tête d’un air entendu.— C’est ce qu’il faudrait faire si je voulais vous fréquenter ? Vous acheter une librairie ? Ou un

magasin de bricolage, peut-être ?Je manque de m’étouffer sur une frite et il me tape dans le dos.— Non merci, ça ira, finis-je par articuler.Il garde la main sur mon dos et décrit des cercles dessus. Ma tentative d’inhaler une frite me

donne les larmes aux yeux. Je bois une ou deux gorgées et m’éclaircis la gorge.— Très drôle, mais je suis en couple.La main d’Andy passe de mon omoplate à mon bras.— Ah bon ? fait Gramz.Bien sûr que je le suis. Merci de ton soutien, vieille bique !— Oui, elle est en couple ! lance une voix.Je me tourne d’un coup vers la porte. Damon est là, l’air pas du tout ravi, mais très élégant, en

chemise et pantalon de costume. Chouette, il s’est remis à s’habiller pour le travail, ce qui signifiequ’il doit avoir des rendez-vous. C’est un pas dans la bonne direction, je suppose. Il est rasé de fraiset s’est fait couper les cheveux ; physiquement, il ressemble au Damon que je connais et apprécietant. Il foudroie Andy du regard, mais celui-ci n’a pas l’air particulièrement défrisé par sa présence.Cependant, ils se toisent, je le sais. Je vois presque commencer le concours du qui pissera le plusloin. Ah, les hommes ! J’écarte ma chaise de la table pour me débarrasser de la main d’Andy.

— Damon ! Viens donc m’embrasser, mon garçon ! lance Gramz en pleine bouchée de

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hamburger.Damon écoute Gramz et ajoute :— Gramz, je suis venu t’enlever Joséphine. Nous avons quelques affaires à régler.— Très bien ! gazouille Gramz, tout heureuse.Bien sûr qu’elle veut que je parte. Le pauvre Andy va rester coincé avec elle, mais moi, je suis

ravie de sortir de là, parce que l’ambiance était vraiment étrange.— Je veux que tu m’appelles tout à l’heure. Il faut qu’on parle, dit Gramz en agitant le doigt vers

Damon d’un air d’autorité.— Il le fera, je lui assure en me levant et en passant mon sac en bandoulière.Je contourne la table et embrasse Gramz.— N’oubliez pas de vous protéger, je chuchote de façon à ce qu’elle seule entende.Elle s’esclaffe, ravie, et repousse ma main en manière de jeu. J’adresse un sourire froid à Andy.La main de Damon s’installe, possessive, au creux de mon dos, et il ne fait aucun doute qu’il veut

me sortir de là, lui aussi. Une fois que nous sommes dans le couloir, il laisse retomber sa main. Jecommence à anticiper son rejet, donc cette distance ne me surprend pas. Elle me déçoit, évidemment,mais je ne peux pas prétendre être surprise. Il souhaitait simplement montrer à Andy que je suis à lui.

— Où allons-nous ?Sans effort, il avance à grands pas pour sortir du bâtiment et je me hâte pour me maintenir à sa

hauteur. D’un coup de poignet, il écarte les branches de ses lunettes de soleil pour les coiffer. Mêmequand il agit ainsi, il est irrésistible. Peut-être surtout quand il agit ainsi.

— Nous allons nous débarrasser de Frank.Il regarde droit devant lui pendant que nous traversons le parking.— Et pourquoi j’irais me débarrasser de Frank ?Je sais qu’il n’y a pas de quoi se vanter de mon tas de ferraille, mais il est à moi. Je l’ai acheté

avec mon propre argent, et c’était important pour moi à l’époque.— C’est tout juste si elle roule encore et elle n’offre à peu près aucune sécurité. La plupart des

femmes adoreraient avoir une nouvelle voiture.

D’un ton sec, je réponds :— Eh bien, faut croire que je ne suis pas la plupart des femmes !Damon s’arrête d’un coup, et je manque de percuter son dos. Il se tourne vers moi et arrache les

lunettes de soleil de son visage.— Tu n’es en aucun cas la plupart des femmes, Joséphine, et c’est pourquoi tu ne vas pas te

traîner dans cette vieille guimbarde, ni fricoter avec des agents d’entretien qui n’hésitent pas à tedéshabiller du regard !

Il gronde littéralement et pointe ses lunettes noires sur moi. Il est énervé. Non, il est en rage. Lajalousie lui va plutôt bien. Il remet ses lunettes et poursuit son chemin vers sa BMW.

— Beaucoup d’hommes me déshabillent du regard. Ce n’est pas le premier et ce ne sera pas ledernier, reconnais-je en toute honnêteté.

— Ne joue pas avec moi, à essayer de me rendre jaloux, Joséphine. Je ne le tolérerai pas.— Eh bien, excuse-moi. Je n’essayais pas de te rendre jaloux. Il va falloir que tu travailles sur

toi-même tout seul, Grand Mec.— Les clés.

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Il tend la main, impatient. Je suis surprise qu’il ne soit pas en train de taper du pied.Pendant un temps, j’hésite. J’ai travaillé dur pour acheter Frank. J’ai économisé pendant ce qui

m’a semblé une éternité. Ce n’est pas que ça me déplairait d’avoir une nouvelle voiture ; personne nerefuserait une nouvelle voiture. Soyons honnête, j’ai Frank depuis longtemps. Plus de cinq ans. Cettevoiture m’a été fidèle, mais Damon insiste pour que j’en aie une nouvelle, moins dangereuse, moinsvoyante. Quel mal y aurait-il à accepter ? Je le regarde avec sa main tendue. Une idée me traversel’esprit et j’ai envie de me donner des tapes dans le dos. Donnant-donnant, voilà le nom de ce jeu.Mon plan est au point, et je commence :

— Tu as envie de me savoir en sécurité ?— Oui, répond-il, tout à fait irrité.— Tu as envie de me savoir heureuse ?— Oui.— Pourquoi ?Je m’approche de lui. Si je le dois, je ferai sortir les mots de sa bouche par la cajolerie. Je n’ai

honte de rien. Il y a une chose dont je suis consciente, mais qu’il ne m’a pas exprimée une seule foisdepuis qu’il s’est réveillé à l’hôpital. Je reprends :

— Dis-le.— Parce que je t’aime, répond-il d’un ton résigné, sans même me regarder dans les yeux.Ces mots sont une victoire à mes oreilles. J’ai acculé Damon pour qu’il les prononce, mais je me

contente de ce que j’ai. Si lui extirper cette vérité signifie faire mes adieux à Frank, alors qu’il ensoit ainsi. À mon idée, c’est un échange qui en vaut la peine. Avec une moue suffisante, je sépare leporte-clés patte de lapin de la clé, que je fais tomber dans la grande main de Damon. J’avoue avecsincérité :

— Je t’aime, moi aussi. Beaucoup plus que Frank.Il ouvre la portière de sa BMW tout en tripotant son téléphone. Il appelle Brian pour qu’il vienne

chercher Frank, c’est clair.— Plus que n’importe quelle voiture, Damon, je chuchote, pas même certaine qu’il puisse

m’entendre. Plus que tout.

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Prête à toutTrois concessionnaires automobiles, deux combats de regards en public et un numéro de macho

qui sort son chéquier plus tard, je suis en possession d’un utilitaire sport tout neuf. C’est un trèschouette véhicule, mais franchement trop cher, surtout pour quelqu’un comme moi. J’ai dit à Damonque si je prenais une nouvelle voiture, ce serait une berline toute bête. Je ne voulais pas laVolvo XC90. Pour la moitié du prix de la Volvo super classe, j’aurais pu avoir une Nissan Rogue. Laseule raison pour laquelle Damon l’a emporté, c’est parce qu’il a mêlé Hemingway à notre dispute. Ilsait que je l’emmène à peu près partout avec moi, et il lui a suffi de me dire qu’il trouvait la Volvoplus sûre pour moi et pour notre chien. Ridicule ! Je ne suis pas une mère qui transporte sesenfants ! C’est un chien !

Mon argument reposait sur le prix et sur le fait que le nom est super cool. Nissan Rogue. Ça meva bien, ça lui va bien, c’est parfait pour tous les deux. Inutile de dire que c’est la sécurité qui l’aemporté. Je veux bien reconnaître que Damon n’a pas forcément tort.

Et puis, j’ai pu choisir la couleur, un beau bleu nuit. Damon n’avait pas d’objection à ce sujet,donc j’ai eu mon bleu.

— Est-ce vraiment nécessaire que tu sois aussi têtue tout le temps ?Damon ouvre la porte du loft et me fait signe d’entrer avant lui.— Est-ce vraiment nécessaire que tu joues au mec qui pisse le plus loin partout où on va ? La

prochaine fois tu n’as qu’à la sortir carrément pour montrer comme elle est grosse !Je ris sous cape, il me gratifie de son regard le plus noir et c’est hilarant. Les hommes sont

d’étranges créatures. Je devrais sans doute jouer les grandes dames et en finir. Dans le salon, je posemon sac sur la table en verre au bout du canapé et je viens me planter devant mon homme énervé.

— La voiture me plaît beaucoup. Merci. Et parfois, j’aime bien avoir des disputes sans raisonavec toi, j’avoue, les orteils juste contre les siens.

Je lève les mains vers son torse. Ses muscles bien dessinés jouent sous sa chemise. Il prend uneprofonde inspiration et desserre la mâchoire.

— Pourquoi ? marmonne-t-il.— Ça doit être la perspective de réconciliation sur l’oreiller. C’est très émoustillant.Je noue les bras autour de lui et pose la joue contre son torse, en prenant garde d’éviter des

hématomes.— Et puis, je veux juste que tu me parles.— Je te l’ai dit, je fais des efforts, répond-il doucement.Je sens son cœur s’accélérer sous mon oreille ; cette conversation doit le rendre anxieux. Je ne

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veux pas lui mettre la pression et c’est vrai qu’il a l’air de faire de tout petits pas dans la bonnedirection. Je hoche la tête contre son torse. De la patience. Ça n’a jamais été mon fort.

Il pose les mains sur mes épaules, effleure mes bras tout du long pour les défaire autour de sataille et se libérer. Voilà, je suis renvoyée dans mes buts.

La distance entre nous est vraiment une plaie à vif.— Au fait, quand penses-tu liquider l’héritage de Sutton ?Damon aborde cette question comme s’il me parlait de la météo et je la reçois comme une gifle

en pleine figure.— Ben, je n’avais pas l’intention de vendre sa maison, ni sa voiture.Damon version zombie s’assied, tel un robot, sur le canapé inconfortable de l’autre côté de la

table basse et je m’installe en face de lui.— Il va falloir que tu y réfléchisses, Joséphine. Tu n’en as aucune utilité et tu ne peux pas laisser

la maison vide. Elle a besoin d’être entretenue. Même chose pour la voiture. (Il consulte sontéléphone.) Je vais charger Brian de s’occuper de la vente.

— Alors là, sûrement pas ! je m’écrie. Je louerai la maison et j’utiliserai un peu la voiture. Nonidu Petit Resto cherche à déménager, alors je pourrais la lui louer à moindres frais. Juste de quoipayer les factures et les taxes.

Je mens comme je respire et j’en ai déjà honte. Simplement, je ne suis pas prête à me séparer dela maison du capitaine, et au pire, si entre Damon et moi ça ne marche pas, j’aurai besoin d’unendroit où habiter.

Il est évident qu’il ne croit pas un mot de mes élucubrations. Pendant une seconde, son expressionest sévère et il garde les doigts en place pour appeler Brian.

— C’est encore trop tôt, Damon, lui dis-je avec honnêteté.— Je sais. Dans ce cas, parles-en à Noni, s’il te plaît.Il se lève du canapé et commence à s’éloigner. Devant moi, il s’arrête un instant et caresse ma

lèvre inférieure du pouce, puis s’interrompt. Il fait vraiment des efforts, mais ses yeux sont toujoursvides.

Je vais devoir être patiente et me contenter de ce que j’ai. Je veux tellement récupérer monDamon chéri que je suis prête à n’importe quoi ou à peu près.

La sonnerie de mon téléphone me tire de ma contemplation de Damon qui disparaît dans lecouloir menant à son bureau. Je sors le portable de mon sac et appuie sur le bouton pour prendrel’appel.

— Salut, Brillant Brian, tu brilles de mille feux.Je m’esclaffe, toute contente de mon trait d’esprit.— Ah, celle-là, je ne l’ai jamais entendue ! Cela dit, venant de toi, Jo, j’aime assez. Ça fait

classe. Je devrais peut-être m’habiller en drag-queen et me faire appeler comme ça, s’exclame Brian.— Si tu t’inscris à un concours de drag-queens, je serai ta plus fervente supportrice. Je te

prêterai mes Jimmy Chou. Je veux dire, mes Jimmy Choo.Brian éclate de rire. Je regarde l’heure et me dirige vers la cuisine, où je recense les provisions

afin de trouver quelque chose à préparer pour le dîner.— Bon, j’aurais pu envoyer un texto, mais ça aurait pris des heures.Je lève les yeux au ciel. C’est plutôt sympa de parler à un ami au téléphone.— De quoi s’agit-il ?

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— C’est la décoratrice de la librairie qui a appelé. Tu sais, Carrie l’Orange, celle qui abuse del’autobronzant ? Elle a posé des milliers de questions, mais je ne savais pas quoi lui répondre, alorsj’ai juste pris son message.

C’est à mon tour de me marrer comme une baleine.— Elle a peut-être exactement la couleur d’une orange, mais elle ne doit pas en avoir le goût,

parviens-je à articuler entre deux fous rires.— Ça, c’est à Damon qu’il faudrait demander.Brian se rend compte de son erreur au moment où il prononce ces paroles.— Il se l’est faite ?— Aïe. Je… Euh… En fait… Je sais pas trop. Oh, merde, il va me tuer.La jalousie pointe son nez hideux et mon sang ne fait qu’un tour. Putain de bordel, il a engagé une

pauvre pouffe avec qui il avait couché pour décorer la librairie ? Ma librairie ?Hors.De.Question.— Ne t’en fais pas pour ça, Brian. Ce n’est rien. Je peux supporter Carrie l’Orange givrée. Je me

demande ce qu’il penserait si je demandais à Andy-les-doigts-d’or de venir s’affairer par ici.— Oh ! Mais attends, c’est qui, Andy-les-doigts-d’or ?J’émets un ricanement espiègle dans le combiné.— C’est l’agent d’entretien super beau gosse qui travaille à la maison de retraite de Gramz. Lui

et Damon se sont mesurés du regard quand Damon est venu me chercher aujourd’hui. Ça puait latestostérone. Mon Grand Mec est encore plus sexy quand il est énervé, au fait. Mais tu le savais sansdoute déjà.

Nous rions tous les deux. Je me retourne pour m’appuyer contre l’îlot central et, surprise…Damon est là. Super !

— Raccroche, gronde-t-il, les narines gonflées, la mâchoire serrée.J’envisage de l’ignorer, mais je me ravise. Inutile de le provoquer.— Et merde. Il était dans la pièce, c’est ça ? chuchote Brian, même si Damon ne peut pas

l’entendre.— Ouais. Je te rappelle, Brillant Brian.Je raccroche et pose le téléphone sur le comptoir derrière moi. Je me prépare à la confrontation

et j’espère qu’il est prêt aussi, parce que je ne suis toujours pas ravie qu’il ait contracté les servicesde Carrie l’Orange. Je croise les bras et j’attends.

— Je ne veux plus jamais t’entendre reparler de ce gros naze.Les veines de son cou et de ses bras sont gonflées et ma colère prend le dessus.— Ah oui ? Eh bien moi, je n’ai pas envie de travailler avec une pouffiasse que tu as baisée !Damon ne cille même pas.— Mais je suis sûre que c’est très pratique pour toi. Ta copine actuelle qui travaille avec une ex.

Ça te permet de garder toutes les possibilités sous le coude.Pour ce qui était d’éviter les provocations, on repassera. Et merde…— Qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-il.Dans la cuisine ? Alors là, je ne comprends plus.— Comment ça ? Je cherche de quoi préparer le repas, je meurs de faim.

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— On va se faire livrer quelque chose.Il se dirige sur moi à grands pas et je sais que je suis dans le collimateur. Qui va se retrouver

attachée avec un bandeau sur les yeux, ce soir ?— Je peux te cuisiner quelque chose plus vite que…Il m’interrompt en mettant le doigt sur mes lèvres et m’éloigne de l’îlot. Il me contourne et écarte

mes cheveux de mon visage. Ses lèvres sont si proches de mon cou que des frissons me parcourent dela tête aux pieds.

— On va se faire livrer, répète-t-il avec fermeté.Je ferme les yeux et prends une grande inspiration. Il teste le peu de patience et de maîtrise de

moi dont je dispose.— Nous avons des choses à éclaircir avant de passer la commande.Ses lèvres humides se posent sur mon cou et il m’embrasse doucement, faisant durer le lien entre

nous.Un gémissement s’échappe de ma bouche avant que je puisse l’arrêter. Cela montre à quel point

je suis prête à tout pour lui. J’ai besoin de son contact, de ses lèvres sur ma peau, de mon Damon.

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EnsembleLe souffle de Damon éveille mes sens à fleur de peau.— Il n’y a pas de place pour la jalousie dans notre relation, chuchote-t-il à mon oreille, ce qui

me fait frissonner. Nous avons assez de problèmes comme ça.Il glisse une main dans mon dos pour me maintenir contre lui et l’autre descend avec une lenteur

douloureuse entre mes cuisses. Mon corps est rivé au sien, ma poitrine contre son torse, et je senschacun de ses muscles. Il presse son sexe engorgé contre moi, avivant mon désir. Un désir brûlant,qui couvre ma chair d’un voile de transpiration et me met le feu aux joues. Il excite mon corpspantelant de caresses lentes et circulaires sur mon clitoris. Je me tords entre ses mains.

— C’est ça que tu veux ? me dit-il d’une voix enjôleuse.Ses mouvements trouvent un rythme délicieux, décadent. Mon cœur se met à battre à tout rompre

et je halète sous ses doigts qui m’amènent toujours plus près de l’orgasme.— Hmm, je soupire, cherchant désespérément un soulagement.Il ralentit, me laissant frustrée. Qu’est-ce qui te prend, mon gars ?— Avance, ordonne-t-il.Après un mouvement de surprise, j’obéis et esquisse un pas hésitant. Il me guide jusqu’à la salle

à manger, une main au creux de mes reins et l’autre toujours occupée à tracer des cercles lents surmon clitoris. Il me relâche sans prévenir et je gémis lorsqu’il cesse ses caresses.

— Déshabille-toi, exige-t-il.Il s’enfonce dans le canapé et me regarde avec attention. Je profite de la situation et me dévêts le

plus lentement possible, prenant tout mon temps pour replier le moindre bout de tissu, y compris maculotte trempée.

— C’est moi que tu veux ? demande-t-il d’une voix rauque.Je le surprends à rajuster son pantalon. Sa question paraît bête, mais je comprends maintenant

que Damon a toujours quelque chose derrière la tête.— Bien sûr, réponds-je avec vigueur. Toujours.Il recourbe les doigts pour me faire signe de venir à lui.— Alors prends ce qui te revient, Joséphine.J’avance entre ses jambes et me mets aussitôt à genoux. Je déboucle sa ceinture sans me presser,

à un rythme tranquille, comme il aime. Je tire la bande de cuir des passants et la jette à l’autre bout ducanapé. Damon me regarde, attentif, les yeux troubles de désir. Je déboutonne son pantalon, défais labraguette avec aisance et le repousse à terre. Son pénis durci, lourd contre son bas-ventre, émerge deson boxer. Je fais glisser en douceur le sous-vêtement pour révéler sa beauté triomphale, centimètre

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après centimètre. Chaque veine palpite, ce qui agite le membre engorgé à chaque battement de cœur.Je le prends dans ma main et le caresse une fois pour voir où il en est. Je me penche, repousse leboxer sur le sol et fais glisser le bout de ma langue de la base jusqu’au bout, avec quelques tours surle gland imposant. Damon pousse un râle sourd qui résonne dans sa poitrine et repose la tête contre lecanapé en empoignant les coussins des deux côtés.

J’aspire l’extrémité dans ma bouche et l’accueille aussi loin que je le peux. La chair exquise deson membre bute sur ma gorge à chaque va-et-vient. Damon geint et saisit ma tête entre ses mains, sesdoigts s’emmêlant dans mes cheveux. Sa peau est soyeuse sous ma langue et je prends le tempsd’explorer chaque aspérité, chaque veine. L’association du goût et de la sensation m’enivre et medonne le désir irrésistible d’être remplie. Il cambre les hanches et je le prends aussi loin que je lepeux, m’arrêtant de temps à autre pour le regarder. Apparemment, la vue d’une femme à genoux entrain de le sucer est encore meilleure quand la femme croise son regard, parce que très vite, Damonse met à respirer avec peine. Son corps se tend et il tire sur mes cheveux. Avec un soubresaut et ungémissement guttural, il jouit, profondément, dans ma gorge. Je suis si contente de moi que j’avalechaque goutte et prends tout mon temps pour bien lécher sa semence sur son sexe.

— Viens, me dit-il, les joues rosies et la respiration saccadée.Je me relève sans hâte et m’étire langoureusement avant de monter à califourchon sur lui. Ma

fente s’ouvre juste au-dessus de son sexe toujours en érection.Il me prend le menton entre le pouce et l’index.— La prochaine fois que tu parles d’Andy-les-doigts-d’or, rappelle-toi à quelle queue appartient

ta bouche de dévergondée.Ses mots me rendent encore plus folle de désir et avant que je puisse en prononcer un en retour, il

se positionne et me fait descendre sur lui. La délicieuse sensation de son membre velouté quis’introduit en moi en une lente progression me coupe le souffle.

— Et maintenant, fais-toi plaisir.Il croise les mains derrière sa tête et m’observe, les yeux mi-clos.Je regarde nos corps soudés, admire sa verge qui disparaît encore et encore en moi. C’est la

perfection. Mon corps l’accepte avec une telle promptitude. J’appuie la main sur mon bas-ventre et jeme complais dans la plénitude physique. Les yeux de Damon suivent ma main, puis reviennent seplanter dans les miens. Les hanches rivées aux siennes, j’ondule. Je me penche en avant pour agripperle dos du canapé, frottant mon clitoris en une sensation délicieuse contre sa peau. Ses mainss’arrêtent sur mes seins, les pétrissent de façon presque douloureuse et me pincent les mamelons. Ilse penche pour les sucer, ce qui envoie un éclair d’électricité en moi et me pousse à me mouvoiravec encore plus de vigueur sur lui. Je gémis en approchant de l’orgasme.

— Ne t’arrête pas, gronde-t-il, les dents serrées, en enfouissant le visage entre mes seins. S’il teplaît, ne t’arrête pas.

Une monstrueuse décharge d’énergie me coupe le souffle. Je rejette la tête en arrière dans monextase et je crie :

— Oh, putain !Mon corps se contracte encore et encore autour de son érection brûlante. Je profite à fond de mon

explosion de jouissance.Les mains de Damon glissent sur mes hanches et ses doigts s’enfoncent dans ma chair. Après

encore un à-coup puissant, il explose, et dans un soubresaut, il se répand encore une fois en moi.

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Waouh, c’est fabuleux.— Regarde-moi. (Il m’attrape le menton et me force à le regarder dans les yeux avant de m’être

remise.) On ne joue pas.J’opine de la tête, comprenant très bien ce qu’il veut dire.— Si tu te l’es faite, je ne veux pas la voir. Point.Il me tapote la hanche pour me signifier de me relever. OK, c’est terminé. Je me redresse

doucement. Damon m’imite et reboutonne son pantalon.— C’est arrivé une fois et ça n’a aucune importance. Dis à Brian de t’aider à trouver un autre

décorateur, si tu veux, mais je refuse d’en reparler. Et je te défends de t’approcher de ce gros nazed’Andy.

Il pointe sur moi son doigt comme s’il s’agissait d’un revolver.Damon version zombie, tout en froideur et distance, refait surface. Il est très doué pour me faire

me sentir comme un vieux mouchoir usagé. On vient juste de s’envoyer en l’air, et pas qu’à moitié. Ila joui deux fois, quand même, ce n’est pas ce qui se fait de plus courant pour un mec ! Et déjà, il agitcomme si ce n’était rien. Et comme si moi, je n’étais rien. J’en ai ras la casquette.

D’un geste vif, je ramasse mes vêtements et les presse d’un geste protecteur contre ma poitrine.Je lance sèchement :

— Tu sais, quand tu dis que tu fais des efforts, je te crois, mais n’oublie pas que moi aussi, j’enfais !

Damon se passe la main dans les cheveux et me regarde péter les plombs.— Tu refuses de me parler, tout simplement. Tu me baises et tu te barres. Ça me donne

l’impression d’être une vieille chaussette, Damon ! C’est toi que j’aime, toi que j’attends, alors si tucrois que j’en ai quelque chose à battre d’un agent d’entretien, tu te plantes complètement !

Je me rhabille à toute vitesse et pars au pas de course chercher Hemingway.Je trouve mon chiot et me laisse tomber à terre pour le caresser. J’ai envie d’aller faire un tour

en voiture. J’ai parlé à Damon sans ménagement, mais l’espace de cinq secondes, ça m’a soulagée.Maintenant, évidemment, j’ai l’impression d’être une grosse connasse. Je ne sais pas ce qu’il pense,mais j’essaie vraiment de le savoir. S’il voulait bien s’ouvrir à moi et me le dire, je pourrais l’aider.

Une heure entière s’est écoulée depuis que je me suis réfugiée à l’étage en tapant des pieds. Jedevrais aller m’excuser. C’est ce que font les couples, non ? Ils se disputent, ils s’excusent et la viecontinue. Je tapote la tête d’Hemingway et me relève d’un bond. Je descends l’escalier pieds nus,puis me dirige vers le bureau. Il y est tout le temps, alors je n’ai plus besoin de chercher. S’il n’estpas en train de dormir ou de manger, il est dans son bureau. J’entends un grand coup sourd enm’approchant, et je me dépêche d’ouvrir la porte.

Damon s’éloigne en boitant du fameux meuble de classement. Le bois est fendu au bas d’une desportes. De petits éclats sont éparpillés partout. Pas possible. Je devrais peut-être lui acheter unpunching-ball. Ce serait moins dangereux que de donner des coups de pied dans les meubles.D’une voix forte, je demande :

— On peut savoir ce que t’a fait ce meuble ?Damon se tourne vers moi, les yeux luisants de larmes. Il a pleuré. Merde. Je me sens vraiment

nulle, maintenant. Il s’affale dans le fauteuil à son bureau et je me précipite vers lui. Maladroitement,je m’assieds sur lui.

— Écoute-moi, dis-je en prenant son visage entre mes mains pour le forcer à me regarder. Je suis

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désolée. On fait tous les deux des efforts, et c’est tout ce qui compte. Ce n’est pas l’idéal, ça n’a pasbesoin d’être idéal, mais il faut que ça existe. Ça suffit, c’est déjà bien. On est peut-être en sale état,mais on l’est ensemble, d’accord ?

Je passe les pouces sous ses yeux si beaux et si tristes et je l’embrasse sur le front. Il ne réagitpas vraiment et ce n’est pas grave. Cette relation n’est pas toujours géniale, mais c’est la mienne, etje n’y renoncerais pour rien au monde. Damon a besoin de moi et je le sais, même si lui ne peut pasou ne veut pas l’avouer.

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SouvenirsUn mois plus tard

C’est la même chose tous les jours. Damon se lève et part « au travail », ce qui consiste engénéral pour lui à passer le plus gros de la journée dans son bureau, au téléphone et devant sonordinateur. Il possède plusieurs bars, night-clubs et autres entreprises dont il doit s’occuper. Ildélègue beaucoup à Brian et semble avoir confiance en ses managers sur place. Il s’y rendpériodiquement, mais la plupart du temps, il travaille à domicile.

Je me lève et fais mine de supporter en toute sérénité son attitude distante. En fait, ce n’est pas lecas. Je me sens seule et l’ancien Damon me manque toujours. Mes réflexions se font surtout dans lavoiture, pendant mon trajet vers le boulot. À la maison, j’essaie de ne pas en faire une histoire, parceque je ne veux pas lui rappeler nos problèmes. Je dois croire qu’il fait en sorte de se reprendre enmain.

Toutes les deux semaines, je vais à la maison du capitaine dans ma nouvelle Volvo ultra-classe etje fais rouler la voiture de Sutton. Je ne supporte pas l’idée de la vendre et Damon a l’air de bienvouloir me laisser faire, tant que je la conduis régulièrement pour qu’elle ne reste pas à rouiller dansl’allée. J’essaie encore de louer la maison à Noni, et j’envisage d’ajouter la voiture dans le lot.

La tranquille Taurus Sedan du capitaine se met en route avec un ronronnement satisfait. Conduiresa voiture me permet de me sentir proche de lui. Je perçois toujours son odeur dedans. Son après-rasage bon marché, infâme et bleu électrique, imprègne encore les sièges. Il me demandait de lui enracheter quand il oubliait. Je l’apportais à la librairie, il s’en aspergeait et ça dégageait une atroceodeur d’alcool à 90 ° mélangé à du savon. Sur le moment, je détestais ça. Maintenant, je suis tentéed’aller en acheter un flacon juste pour pouvoir le humer quand j’en ai envie. Pour me souvenir qu’ilétait là. Mon capitaine, il était à moi. C’était ma famille.

J’ai passé sept ans en sa compagnie et la seule chose qui pourra me le dérober, c’est le temps.J’ai des souvenirs, pour l’instant, mais ils s’éloigneront, comme ceux de mes parents. Après seizeannées, mes souvenirs se sont tellement effacés que j’ai du mal à réentendre la voix de maman quandelle me chantait des berceuses. Je dois fermer les yeux et me concentrer à fond pour revoir le visagede papa qui me sourit.

Mes souvenirs du capitaine sont encore frais. Cela fait plus de deux mois qu’il est mort et je levois encore en gardant les yeux ouverts. Je le sens encore dans sa voiture. Je l’entends encore dansma tête. Mais je sais que le temps va passer et me dépouiller de ces souvenirs aussi. J’en ai tropmarre d’être laissée pour compte. J’en veux au monde de ne pas être l’une de ces sales chanceusesqui passent leur vie avec un sourire bêta sur le visage et une petite vie bien tranquille.

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Sans faire très attention, je suis retournée entière au loft. Je grommelle et gare la voiture ducapitaine. Est-ce que je rentre, ou est-ce que je ramène la voiture d’abord ? Je suis à bout et j’aienvie de me cacher. Je ne veux plus me montrer forte et courageuse. Je souhaite que Damon ailleenfin mieux d’un coup de baguette magique. Que mon chagrin disparaisse par miracle. Que lalibrairie se rénove toute seule. Tout ça pendant que je reste cachée, de préférence dans les bras deDamon. Tout ça, ça reste des paroles en l’air. Je n’ai pas d’autre choix que de me ressaisir et de meforcer à avancer.

— Chaque chose en son temps. D’abord, tu t’occupes de Damon. Brian pourra toujours secharger de la voiture plus tard.

Je me suis parlé toute seule, les mains sur le volant. Je devrais appeler Gramz. Les discussionsavec elle réussissent toujours à m’arracher un sourire. Pendant les deux mois et demi qui viennent des’écouler, j’ai tissé des liens forts avec cette vieille pie. Je l’adore et je dois remercier Damon denous avoir rapprochées, toutes les deux. Elle et Versan me disent la même chose : il faut attendre.Être patiente, c’est ce qu’ils répètent chaque fois. J’en ai marre de cette chanson. Je suis près deperdre la tête avec toute cette histoire.

J’entre dans le loft en m’attendant à deux choses : à voir Hemingway accourir pour me faire lafête et à trouver Damon dans son bureau, soit en train de regarder son meuble d’un air vide ou dem’adresser un signe de tête distant depuis son fauteuil. Tous les jours, la même chose.

Bizarrement, Damon n’est pas dans son bureau. J’y entre pour vérifier, mais je ne le vois nullepart. Hemingway et moi montons pour le chercher, mais toujours rien. Je jette un œil dans la cuisine.

— Par ici, Hemingway.Je sors mon portable. Pas de message de sa part. Je retourne à son bureau pour voir si, par un

coup de chance, il a laissé un mot. Je contourne son bureau et je regarde un peu partout. Son bureauest exceptionnellement rangé, pas de papiers intéressants éparpillés ni rien. Ma hanche heurte lepanneau de bois, l’écran se rallume. Un e-mail arrive et mes yeux peinent à se focaliser dessus. Jem’assois dans son fauteuil pour voir de plus près.

Je sais que la dernière fois que nous nous sommes vus, nous nous sommes disputés, mais je t’aimebeaucoup et je t’aimerai toujours. Je suis au courant que tu es en couple et je suppose que c’est pour celaque je n’ai pas de tes nouvelles. Je voudrais vraiment que tu me parles. Pouvons-nous nous retrouver àl’endroit habituel ? Appelle-moi.

Élise

Mon pouls s’accélère quand je découvre la signature. Je me souviens que Gramz m’avait donnéle prénom de la sœur de Damon : Élise. D’après ce que j’ai compris, ils ne se voient et ne se parlentque rarement. Encore quelque chose à demander à Gramz, je suppose. Damon est sans doute parti laretrouver. Je m’apprête à me retirer, quand je remarque la clé de ce fameux meuble juste à côté del’ordinateur. Sincèrement, mon mec a une meilleure relation avec ce meuble de classement qu’avecmoi. Je regarde mon chiot à la recherche de son approbation.

— Ne me juge pas, je chuchote.Hemingway penche la tête de côté et me regarde prendre la clé et me diriger d’un pas décidé vers

le meuble.— Depuis tout ce temps, je crève d’envie de savoir ce qu’il y a là-dedans. Vous savez bien que

je suis curieuse, n’est-ce pas, monsieur Hemingway ?Je tourne la clé dans ma main pour l’inspecter avant de la glisser dans la serrure. Après un demi-

tour, le mécanisme émet un clic, et je peux ouvrir.— Ça alors !

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Je fronce les sourcils en découvrant plusieurs dizaines de cahiers, empilés en trois tas. J’enattrape un au sommet d’une pile. C’est un cahier d’écolier noir et blanc. Une écriture d’enfant sur lapage de garde annonce le propriétaire :

Damon Cole, 1989Il devait avoir dans les dix ans à ce moment-là. Juste un an de plus que moi quand j’ai eu

l’accident. L’image d’un Damon enfant se fait jour dans ma tête, m’arrachant un sourire. Je l’imaginepetit garçon avec un sourire espiègle, une moustache de lait et des yeux d’ambre curieux. Je l’imagineles cheveux ébouriffés, qu’il devait peigner seulement quand quelqu’un l’y obligeait. Je parie qu’ilétait adorable. Mon sourire s’efface rapidement quand j’ouvre le cahier pour lire une ligne au hasard.Je déchiffre la suivante, la suivante. Encore la suivante. Mon sourire disparaît complètement etj’agrandis les yeux en me couvrant la bouche.

Ligne après ligne, je découvre ce que Damon petit avait écrit. Je suis sans voix, complètementeffarée. Oh, Damon… Je passe au cahier suivant de la pile :

Damon Cole, 1994— Quinze ans, je marmonne.Je choisis une page vers le milieu du cahier et je commence. Je lis autant que je peux avant que

mes yeux refusent d’aller plus loin. Je réinsère le cahier dans la pile d’un geste approximatif, puisj’en attrape un autre au bas du tas. Un papier plié en trois se détache d’entre deux cahiers et je mebaisse pour le ramasser. Je pousse une exclamation étouffée. Son certificat de naissance. Je parcoursle document officiel jusqu’à trouver les renseignements concernant ses parents :

Père : Edward William Cole, 25 ans. Las Vegas (Nevada).Mère : Beverly Winona Davis, 17 ans. Las Vegas (Nevada).Il connaît le nom de sa mère ! Alors pourquoi ne l’a-t-il pas encore retrouvée ? Est-ce qu’il a

essayé, au moins ?Mon téléphone émet un bip pour me signaler un SMS et je regarde ce que me dit Brian :Avertissement : le boss est de sale humeur.

Je lui en renvoie un aussitôt :Pourquoi ?

Je range le certificat de naissance dans le tiroir au bas de la pile, mais je garde le dernier cahierque j’ai pris. Je regarde le titre en attendant la réponse de Brian.

Damon Cole, 1996— L’année de l’accident.Il avait dix-sept ans. Un grand garçon à mes yeux de fillette de neuf ans.Mon téléphone bipe encore une fois et je mets de côté le cahier dans le tiroir.À cause de sa sœur. Il est en train de rentrer.

— Oh, merde.Je renvoie un SMS vite fait à Brian, pour lui demander en y mettant toutes les formes de ramener

la voiture pour moi. Je m’agite comme une folle pour refermer le meuble, remettre la clé à sa place àcôté de l’écran de l’ordinateur avant que Damon rentre. Je me dépêche de faire sortir Hemingway dubureau et je m’active dans la cuisine. Bon, ça devrait devenir intéressant.

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SauveuseBrian ne mentait pas en me prévenant que Damon était de mauvaise humeur. Il fulmine, mais

évidemment il ne me dit pas à quel propos. Il ne se confie toujours pas à moi. Aujourd’hui, il ne m’apas adressé un mot. Il a mangé son dîner, puis a disparu dans la chambre. J’ai perdu ma maîtrise demoi et il est temps de jouer cartes sur table. Après un petit passage par le bureau pour faire le pleinde munitions, j’entre dans la chambre, une énorme pile de cahiers sous le bras. Ils sont lourds, maismon taux d’adrénaline et la palette d’émotions que je ressens me font oublier leur poids.

Il se redresse, le dos à la tête de lit, arborant l’expression d’indifférence que j’en suis venue àmépriser.

— Est-ce qu’au moins tu sais que je suis là ?Je balance la pile de cahiers au pied du lit et le regarde avec, comme chaque fois, l’espoir

pitoyable qu’enfin nos yeux se retrouveront et que dans les siens je verrai la vie, ou au moins uneémotion. C’est lamentable, j’ai l’impression d’être un chien qui mendie un lambeau de nourriture. Cen’est pas sa faute, j’en suis consciente. Je le sais mieux que personne, mais je perds patience. Je suisen pleine tempête émotionnelle et je ne supporte plus d’être rejetée.

— Encore en vacances, à ce que je vois. Ça doit être sympa de se contenter de jeter l’éponge !Tu laisses tout tomber et tu t’éloignes de la réalité, tranquille ?

Je serre les dents si fort que je sens un éclair de douleur me traverser la mâchoire.Il ne relève pas les yeux sur moi, remue à peine les paupières.— Damon, je t’en supplie. Tu vois, je te supplie ! Reviens. Je n’en peux plus. Je me sens trop

seule, arrête !Mes supplications tombent dans l’oreille d’un sourd car il ne montre pas la moindre réaction, me

renvoyant simplement un regard vide.— J’ai trouvé quelque chose aujourd’hui, et tu veux savoir quoi, Damon ?J’attrape l’un des cahiers d’écolier et je l’ouvre. Avant de me mettre à lire, je lui jette un coup

d’œil. Je ne sais pas si c’est mon imagination, mais j’ai l’impression que sa poitrine se soulève untout petit peu plus vite qu’avant. Pourvu que ça marche.

— J’ai trouvé tous ces journaux intimes. Des tas, empilés dans le meuble classeur de ton bureau.Alors imagine ma surprise, quand j’ai décidé d’être curieuse et de voir ce qu’il y avait dedans.

Je pose le doigt sur une ligne au hasard et je me lance :— « Je ne comprends pas pourquoi il pense que j’irais voler de l’argent dans son portefeuille.

Ce n’était pas moi. Il n’a pas voulu écouter et maintenant, je dois me faire recoudre la lèvre. Je ne ledéteste que parce qu’il me déteste. »

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Je lui jette un coup d’œil, et je vois que ce n’est pas seulement mon imagination. Il respirevraiment plus fort. D’un geste sec du poignet, je referme le cahier, que je jette comme un frisbee àtravers la pièce. Damon sursaute quand il atterrit, mais ne me regarde toujours pas.

— Ce n’était pas ta faute, j’articule à travers mes dents serrées.J’attrape un nouveau cahier, que j’ouvre d’un coup.— « Je ne sais pas pourquoi il me déteste. J’aimerais savoir, parce que si je connaissais ses

raisons, peut-être que je pourrais arranger ça. Je pourrais être un enfant plus gentil et alors ilm’aimerait. Je voudrais qu’il m’aime. »

Je jette le cahier, qui atterrit près de l’autre. Je remplis un catalogue des maltraitances qu’asubies Damon enfant !

— Pas ta faute, Damon. Ce sont ces horreurs que tu essaies de fuir, ou c’est moi ? Hein ?Réponds-moi !

Ma lèvre tremble et je cherche un autre cahier. C’est reparti. Mes yeux se posent au milieu de lapage et mon cœur se serre.

— « Pour… pourquoi utilise-t-il un cintre ? »J’ai peur de vomir, mais je continue.— « Un cintre, c’est le pire, surtout chauffé avec son briquet… »Je jette le cahier comme s’il était en feu. Des larmes coulent sur mes joues et je suis aussi

désespérée qu’il est possible de l’être.Damon rougit. Sa respiration est précipitée et ses mains agrippent les couvertures avec tant de

force que les jointures de ses doigts en sont presque blanches.— Ce n’était pas ta faute non plus.Avant de m’en rendre compte, j’ai déjà ouvert un nouveau cahier. Mes yeux trouvent une phrase

en gras au bas de la page.— « Peut-être qu’un jour, quelqu’un pourra me sauver. »Je ferme les yeux et j’absorbe la douleur qui me saisit à la lecture de toutes ces entrées de journal

horrifiantes. Les yeux toujours fermés, j’envoie le cahier rejoindre ses semblables par terre. Il s’abatsur les autres et Damon sursaute encore. Mon pauvre Grand Mec.

— Pas. Ta. Faute.J’ai le regard rivé sur un Damon qui s’effondre. Je le vois revenir à lui. Il n’y arrivera pas. Non,

il ne pourra pas lutter contre moi. J’esquisse un pas hésitant vers le lit.— Pas ta faute, je répète d’une voix plus douce.Il fronce les sourcils, mais ses yeux sont toujours fixés sur un point autre que moi. Les larmes

coulent sur son visage.— Ce n’est pas ta faute, Damon.Il secoue la tête avec force. Ses sourcils se rapprochent encore, ses mâchoires se serrent, je vois

sa gorge bouger et il grince des dents. Je m’approche encore d’un pas.— Rien de tout ça n’était ta faute, dis-je avec douceur.— Arrête ! rugit-il si fort que je fais un bond en arrière.Je ne sais pas si je dois m’enfuir en courant ou tomber à genoux de soulagement. Je ne fais ni l’un

ni l’autre et reste clouée sur place. Je suis allée trop loin pour reculer maintenant.— Non. Tu voulais quelqu’un pour te sauver de ces atrocités ? Eh bien, me voilà. Laisse-moi te

sauver. Tu étais un enfant innocent. Rien de tout ça n’était ta faute et l’accident non plus.

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— Non ! Arrête !Il tonne d’une telle façon que je sursaute encore, mais je ne peux pas lâcher l’affaire. Je desserre

ses mains crispées sur les couvertures.— Je te sauverai. Il faut que tu acceptes que je te sauve.Je guide l’une de ses grandes mains sur mon ventre, puis sur ma poitrine. Je l’appuie du côté

gauche :— Mon cœur bat pour toi. Laisse-moi te sauver.Ses yeux s’égarent de-ci, de-là, avant de rencontrer les miens. L’agitation que j’y perçois est

déchirante.— S’il te plaît, mon chéri.Il resserre les poings sur mon tee-shirt et ferme doucement les yeux.— Je suis dé… désolé. (Sa voix se brise, tremble, et je respire comme si j’avais retenu mon

souffle depuis toujours.) Je suis vraiment désolé.— Stop, tout va bien maintenant.Je chuchote en montant sur le lit pour me mettre à califourchon sur lui. De nouvelles larmes

jaillissent de ses yeux ambrés et mon cœur se brise encore une fois. Le voir dans une telle détresseest vraiment douloureux pour moi. Je ne supporte pas qu’il soit malheureux, je ne veux pas qu’il aitmal.

— Je voulais t’en parler, dit-il enfin. J’ai été tellement bête. Je t’ai fait vivre un enfer. Je…Les larmes coulent de plus belle et c’est une vision poignante. J’attire Damon tout contre moi. Il

passe ses bras autour de ma taille et pose sa tête sur ma poitrine. Puis mon Grand Mec se met àsangloter, complètement effondré. Trente-trois ans de tourments ont atteint leur apogée et je suis làpour le voir en miettes.

Et je serai là pour recoller les morceaux.— Regarde-moi, dis-je au bout de longues minutes.Je prends sa tête dans mes mains et le détache de ma poitrine pour pouvoir le regarder. Ses yeux

qui me font fondre plongent dans les miens.— Damon, je t’aime. Tu vas t’en sortir. On va s’en sortir tous les deux. Ensemble.Ses yeux se referment et il prend une profonde inspiration. J’ai la tentation irrésistible de me

pencher en avant pour poser les lèvres sur son front tendu. Je passe les pouces sous ses yeux pouressuyer les larmes. Je lui prends le menton et relève la tête pour qu’il me regarde encore. Monhomme si adorable et brisé a besoin de moi. Franchement, je ne suis pas sûre de savoir qui a le plusbesoin de l’autre en ce moment. J’ai besoin de me sentir proche de lui à nouveau. Besoin qu’il medésire, besoin de lui offrir de la douceur. J’appuie mes lèvres contre les siennes. J’ai l’impression dene pas l’avoir embrassé depuis des millénaires. La sensation de sa bouche contre la mienne, c’estcomme respirer pour la première fois. Douloureux et parfait. Je prends pleinement conscience quemon amour pour Damon peut se révéler très dur à vivre, mais une vie sans lui peut être une souffranceatroce.

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PromessesÀ cheval sur lui, je tiens son visage trempé entre mes mains. Je suis encore choquée par le fait

que Damon ait subi des maltraitances aussi affreuses de la part de la personne qu’il appelle son père.Cela me brise le cœur de voir cet homme fort, volontaire, qui a réussi dans la vie, si tourmenté parson passé.

— Si tu veux me quitter, je comprendrai, propose-t-il d’un ton faible.Je ressens ses paroles comme un coup de poing, que j’encaisse en pleine figure.— Mais pourquoi je voudrais te quitter ? Je ne t’ai pas quitté avant, pourquoi partirais-je

maintenant ?S’il croit que je vais déguerpir alors que je viens juste de le récupérer, il a perdu l’esprit.— Parce que maintenant tu sais, tu as lu.Il baisse la tête, honteux, et je suis chamboulée de le voir aussi défait. Je relève son visage et

regarde dans ses yeux tristes.— Damon, écoute-moi. Je ne suis pas une experte, mais je crois savoir ce que c’est que l’amour.

C’est connaître la vérité dans toute sa laideur et s’en foutre complètement. Je me fiche de tout ça. (Jefais un geste pour désigner les cahiers éparpillés dans la pièce.) Ce n’est pas toi. Ça ne te définit pas.Ça ne nous définit pas. (J’agite la main entre ma poitrine et la sienne, approchant mon front du sien.)C’est nous qui nous définissons.

— C’est nous qui nous définissons, répète-t-il.— Oui, Damon. Nous. Personne d’autre.En un instant, je vois l’inquiétude s’envoler de son visage. Ses yeux si chaleureux, ceux qui m’ont

tant manqué, sont de retour. J’enlace mon homme et l’étreins avec force. Ses muscles se détendent àmon contact et je connais un tel soulagement que je pourrais en pleurer. J’ai bien cru qu’il resteraittoujours Damon version zombie, et je suis très heureuse de m’être trompée. En un seul geste, Damonm’allonge sur le dos et ses hanches trouvent une place avantageuse entre mes cuisses. Il se relève surles coudes et m’adresse un sourire timide.

— Je vais te rendre très heureuse, Joséphine.En deux mois, je ne l’ai pas vu sourire et j’en ai presque le vertige. Je suis prise d’un rire aigu de

jeune fille insouciante et son sourire s’élargit. J’effleure ses joues.— Tu me rends déjà heureuse. (C’est la vérité.) Quand tu dis des choses comme ça. C’est tout ce

qu’il me faut pour prouver que j’ai fait le bon choix. J’ai choisi un homme courageux, attentionné,merveilleux. Je voudrais seulement que tu voies à quel point tu es génial.

— Moi aussi, j’aimerais. J’aimerais qu’on y arrive tous les deux. Un jour, Joséphine. Un jour, on

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arrivera à se convaincre l’un l’autre qu’on est des gens bien.Il pousse un soupir pensif, puis s’avance pour m’embrasser à me faire perdre haleine. Ses lèvres

sont douces mais fermes sur les miennes. Sa langue s’engage entre mes lèvres pour caresser lamienne. Je gémis dans sa bouche et son baiser se fait plus audacieux. Je mords sa lèvre inférieure, cequi provoque chez lui un grognement appréciateur. Ce Damon-là, mon Grand Mec, est un démon deséduction virile et je l’adore. Il dépose encore un petit baiser sur mes lèvres et se détache de moi.

Il se met à genoux et attrape l’ourlet de mon tee-shirt pour le soulever d’un geste vif. J’ail’estomac qui papillonne. Il déboutonne mon short, qu’il descend le long de mes jambes. Il parcourtmon corps d’un regard scrutateur. Je suis allongée sous lui en sous-vêtements. Il retire sa chemise ;son torse est une vue dont je ne me lasserai jamais. C’est un chef-d’œuvre parfait qui me met l’eau àla bouche à l’idée d’en embrasser la moindre parcelle. Je glisse la main dans mon dos pour dégrafermon soutien-gorge tout en regardant Damon se défaire de son pantalon. Aujourd’hui il ne porte rienen dessous et c’est une raison de plus pour moi d’adorer ce mec obsédé. Un coup de main rapide etma culotte rejoint la pile de vêtements envoyés à terre à côté du lit. Damon s’agenouille à nouveauentre mes jambes dans toute sa nudité monumentale, son pénis palpitant lourdement, délicieusementengorgé. Mon cœur se met à battre à un rythme effréné à l’idée de ce qui va suivre.

Damon se penche sur ses avant-bras et m’emprisonne sous son corps divin. Il embrasse mon couavec tendresse et je ferme doucement les yeux. Il sait que je suis très sensible à cet endroit et je metortille sous lui. Il trace un chemin de baisers brûlants derrière mon oreille, sur mon menton, jusqu’àma bouche. Au moment où ses lèvres prennent les miennes, son sexe ouvre ma fente humide ets’enfonce en moi. Entièrement. J’en ai le souffle coupé. Je griffe son dos musclé. Chaque coup dereins est en rythme parfait avec sa langue qui caresse la mienne. Il me pilonne le sexe et la bouchesimultanément et je n’ai jamais ressenti une telle plénitude. Je le laisse prendre de moi tout ce qu’ilpeut. Le rythme n’est pas lent, mais pas effréné non plus. Je sens l’extrémité turgescente de sa vergebattre sourdement au plus profond de moi. J’adore ce sentiment d’euphorie et j’ai appris à comptersur Damon pour me le donner. Il sait comme moi qu’il est le seul à pénétrer dans ce territoire.J’espère qu’il sera le seul homme à jamais connaître mon corps de façon aussi intime.

Ma sensation favorite sourd des profondeurs de mon ventre, qui se contracte et s’enflamme àchaque poussée de Damon. Un gémissement sonore s’échappe de ma bouche. Damon gronde enréponse, et accélère le rythme. Mes orteils se contractent, mon souffle reste coincé dans ma gorge. Lasensation explose violemment et envoie des ondes de choc jouissives dans mon corps pantelant. Lestremblements qui agitent mes membres accompagnent l’apogée de mon plaisir. Le regard de Damonest rivé au mien, je vois la transpiration embuer son front. Après encore deux poussées, tout soncorps tremble et tressaute : il se répand profondément en moi, me donnant tout jusqu’à la dernièregoutte.

Je ne me souviens pas avoir jamais été aussi heureuse. Jamais. Je reste allongée, la tête sur sonépaule, et du bout des doigts, je suis les creux et les pleins de son corps nu.

— Est-ce que Versan est au courant pour tes journaux ?Je relève la tête pour croiser son regard.— Je crois que je lui ai signalé que je tenais un journal dans mon enfance, mais personne ne les a

jamais vus. Tu es la première.Je ne suis pas surprise par cet aveu. Je suis impressionnée qu’il me parle, même s’il peut s’agir

d’une joie post-coïtale. Nous sommes en progrès !

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— Pourquoi tu les gardes ?— Pour me rappeler comme je le déteste.Je me redresse sur mon coude pour le regarder bien en face.— Je crois qu’il faudrait que tu en parles à Versan. S’il les lisait, il pourrait t’apporter son aide.

Tu ne peux pas garder tout ça pour toi pour toujours.Il hoche la tête. Il sait que j’ai raison.— Je les lui apporterai, souffle-t-il.— Tu me le promets ?Son sourire en coin me fait fondre. Ah, ce qu’il m’a manqué, ce fameux sourire !— Je te le promets.

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MaisonCela fait maintenant un mois que j’ai récupéré mon Damon. Un mois très chaud et paradisiaque

de bonheur. Nous faisons l’amour tous les jours. Nous mangeons quasiment chaque repas ensemble. Ilse joint même à mon rituel du matin et vient prendre son petit déjeuner au Petit Resto avec moi. Nonifait de grands yeux et flirte avec lui chaque jour. Elle passe son temps à rougir, à se recoiffer et àlisser son tablier quand elle le voit entrer. C’est sacrément comique.

Les relations de Damon avec les autres progressent également. Il voit Élise tous les quinze jourslors d’un dîner et ils semblent réussir à se supporter de nouveau. Il s’est remis à travailler à pleintemps, et Brian comme le psy m’assurent qu’il va bien. Ses rendez-vous avec le docteur Versan sonthebdomadaires et même s’il ne me fait pas de compte rendu, il paraît un peu plus apaisé après chaqueséance. La rénovation de la librairie se passe bien. Damon s’arrête le plus souvent pour déjeuneravec moi et nous évoquons ensemble toutes mes idées. Si tout est fait dans les temps, j’espèrepouvoir organiser une grande réouverture d’ici quelques semaines.

— Alors tu penses que c’est une bonne idée ?— Mais oui. Tu m’as dit des tas de fois que Noni était super. Ça me paraît être la bonne personne

pour ce boulot. À mon avis, fonce !Damon me tapote la jambe de manière rassurante pendant que nous garons la Volvo devant le

Petit Resto.— Génial.Je pensais engager Noni dans tous les cas, mais cela me plaît d’avoir son soutien. Je change

complètement de sujet :— Est-ce que tu as réfléchi au sujet de ta mère ?Il m’envoie un regard éloquent et je recule. La dernière fois que j’ai abordé le sujet, il m’a

promis d’y réfléchir, mais je suppose que la réflexion n’est pas terminée. Je comprends qu’il ressenteune sacrée haine pour cette femme, mais je ne peux m’empêcher de penser que quelque part sous sesairs de grand mec bien musclé, se trouve un garçon qui attend depuis très, très longtemps que sa mèrevienne lui dire qu’il est son fils.

— OK, mais sache que si tu ne te décides toujours pas, il se pourrait que je demande à Brian cequ’il en pense. Et si on prenait l’avis d’Élise, de Brian, de Noni, du docteur Versan et de Gramz ? Onpeut faire un sondage pour voir si c’est une bonne idée.

Je lui donne un petit coup d’épaule sur le chemin du Petit Resto et il secoue la tête pour rejetermon idée d’un simple geste. Il n’est pas prêt.

Comme sur commande, Noni rougit, arrange ses cheveux et son tablier, puis se dirige vers nous.

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Je commence à ressentir de l’anxiété à l’idée de la proposition que je vais lui faire. Et si jamais elleme prend pour une folle ?

— Bonjour Jo, bonjour Damon.Noni se tourne vers mon mec et lui adresse un petit signe de tête. Damon lui répond par un bref

sourire et se plonge dans le menu.— Salut, Noni, dis-je pendant que nous nous installons sur notre banquette habituelle.Je ne prends pas la peine de regarder le menu car je prends toujours la même chose. Damon, en

revanche… Le Grand Mec aime commander deux ou trois petits déjeuners en un tous les matins.— Tu sais ce que je veux, je marmonne avant de regarder Damon, qui étudie encore les choix.— Je prendrai l’intégral avec un café, mais est-ce que je pourrais avoir double ration de bacon et

d’œufs ?Damon replie le menu et envoie à Noni son sourire en coin caractéristique.Noni a du mal à s’empêcher de sourire bêtement. Elle acquiesce et gribouille notre commande,

puis retourne à la cuisine.J’enroule une boucle autour de mon doigt et souris à Damon comme une tourterelle énamourée. Je

me fiche complètement de l’impression que je peux donner. Je suis sans conteste l’une de ces « saleschanceuses » à la petite vie bien tranquille, maintenant, et ça me plaît beaucoup. Tout s’arrangecomme il faut et je suis bien satisfaite. Le capitaine et mes parents me manquent tous les jours, maisDamon est avec moi pour atténuer la douleur. Il sent quand je suis en mauvais état. C’est lui qui merattrape quand je me débats en eaux profondes et que je flanche. Tout le monde devrait avoirquelqu’un, n’importe qui pour faire ça pour lui.

— Faisons un pari, dit-il sans prévenir.Je suis surprise, mais je ne vais pas reculer devant un petit jeu.— Qu’as-tu en tête, Grand Mec ?— Cinq dollars que tu ne lui demandes pas quand elle revient à notre table.— Ça marche. J’espère que tu as un billet de cinq dollars dans ton luxueux portefeuille en cuir.Je regarde par-dessus mon épaule et repère Noni. Le timing est parfait : elle se dirige vers nous,

cafetière en main. Tout en présentant ma paume ouverte à Damon, je me lance sans plus attendre :— Merci, Noni. Au fait, est-ce que ça te dirait de venir travailler au coin café de ma librairie ?Du coin de l’œil, je vois Damon secouer la tête et attraper son portefeuille.Noni hausse les sourcils, surprise et confuse à la fois.— Comment ça ?L’espace d’une seconde, j’ai peur qu’elle ne laisse tomber la cafetière tellement ses mains

tremblent.— Tu ne te souviens pas ? Je t’avais parlé de faire une librairie-café, parce que servir des

boissons chaudes et des petits gâteaux apporterait des clients à la librairie. (Elle hoche la tête.) Ehbien, j’aurais besoin de quelqu’un pour s’occuper de cette partie-là. Tu me sers mon café tous lesmatins depuis des années et Damon et moi on est tous les deux d’accord pour dire que tu seraisparfaite.

— Moi ?Son menton se met à trembler et la fontaine se met en marche. Oh, merde.— Ce serait un temps plein ?— Oui, aux horaires du magasin, en journée.

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Elle s’arrête un instant, clairement inquiète.— Tu es sûre, Jo ? Je n’y connais rien en librairies-cafés.Je lui prends la main.— Noni, moi non plus je n’y connais rien. Je te fais confiance et je suis sûre qu’on pourra

apprendre le reste ensemble.— Je suis partante !Elle m’envoie un sourire rayonnant ainsi qu’à Damon.— Tu ne veux pas connaître le salaire ?— N’importe quoi serait mieux qu’ici, chuchote-t-elle.Damon me fourre un billet de cinquante dollars dans la main et hausse les épaules.— OK, tu as gagné. Tu as de la monnaie ?— Tu rigoles, Grand Mec.Je glisse mon gain dans ma poche, toute fière de moi. J’ai la certitude que tout va bien se passer.Noni essuie ses larmes et éclaire la pièce d’un sourire que je n’ai jamais vu sur son visage.— Quand peux-tu commencer ?Elle se tourne vers sa patronne, Margaret, qui essuie le comptoir en bavardant avec les clients

réguliers.— Margie ! Je démissionne.Margaret lui envoie un regard sceptique.— Tu démissionnes toutes les semaines.La patronne poursuit son travail pendant que nous rions tous les trois de sa réponse bougonne.— Tu passes à la librairie demain, Noni, d’accord ? On parlera des projets et on établira ton

contrat, ce genre de choses.Elle hoche la tête, incapable de s’arrêter de sourire.— Merci, Jo, chuchote-t-elle. Toi aussi Damon. Vous n’imaginez pas ce que ça représente pour

moi.Après mon rituel du matin avec Damon, je le dépose au loft « pour travailler » et je pars pour la

librairie. Il me promet de rester à la maison toute la journée, de passer des appels et de déposer notreenfant poilu au magasin s’il doit s’absenter. Hemingway n’aime pas rester seul.

Ma journée passe vite et sans m’en rendre compte, j’arrive au moment où mon téléphone affiche16 h 50. Je vais chercher mes affaires dans mon bureau fraîchement rénové et souris à la photo ducapitaine sur mon bureau. Je dépose un baiser au bout de mon doigt, que je presse sur le cadre deverre.

— Ça rend bien, pas vrai, capitaine ?Je ressors et regarde le magasin. De nouveaux rayonnages ont été installés, les murs repeints en

couleurs dynamiques. De petites suspensions accrochées au plafond créent une ambiance chaleureuse.Des fauteuils capitonnés, exactement les mêmes que ceux de la bibliothèque de Damon, sont répartisde façon aléatoire dans le magasin. Le petit bar offrant des boissons chaudes à l’avant du magasin estbientôt terminé. Il est doté d’une vitrine réfrigérée pour exposer ce que nous déciderons de proposer :des muffins et des bagels, sans doute. J’en discuterai avec Noni. Elle qui est serveuseprofessionnelle, elle saura ce que les gens veulent avec leur café. Des cartons de stock à n’en plusfinir sont empilés jusqu’au plafond et n’attendent que d’aller remplir les étagères. C’est Damon qui apermis tout cela et je suis encore ébahie d’avoir autant de chance : un homme qui m’aime et qui me

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soutient dans mon rêve.J’arrête de zyeuter ma belle librairie et me prépare à partir. Je prends mon téléphone, passe mon

sac en bandoulière et m’apprête à mettre en route le système d’alarme. C’est une opération encoredélicate pour moi, aussi je tape le code avec soin et sélectionne le bouton « activer ». Ce qui medonne soixante secondes pour vider les lieux avant de mettre en branle tout le bataclan. Je cours versla porte, que je referme d’une main tout en appelant Damon de l’autre. Il répond à la premièresonnerie, la voix renfrognée.

— Salut, ma chérie.— Hé bien, on est grognon ?Je m’attarde à faire les cent pas devant la vitrine pour admirer le panneau « Ouverture

prochaine ».Damon pousse un gros soupir.— Ma sœur s’est invitée à dîner. D’après elle, on a besoin de parler, mais je peux annuler si tu

veux.— Mais non. Il faut bien qu’on se rencontre un jour ou l’autre, non ? Je ferai la cuisine. Tu aurais

envie de quoi, ce soir ? (J’entends presque son sourire démoniaque. Obsédé.) Et non, je ne suis pasau menu. Je veux bien faire office de dessert, après le départ de ta sœur.

— Oh, que oui ! Si tu refaisais ton truc au fromage et aux pommes de terre ?Il est bien trop enthousiaste pour mon ragoût du pauvre. Je commence à me dire qu’il cherche du

réconfort dans la nourriture simple et roborative : nous mangeons du gratin de macaronis une fois parsemaine à sa demande.

— Ça marche, Grand Mec. À tout de suite.Il me salue aussi et je raccroche, puis m’empresse de retourner à la voiture pour rentrer chez moi.

Chez moi. Ces mots m’éblouissent encore. J’ai un chez-moi, auprès de Damon et d’Hemingway. Je nepourrais rêver mieux.

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Une invitéeJe déverrouille les portières de ma nouvelle voiture de loin avec ma clé ultramoderne. Je lance

mon sac à l’intérieur et m’apprête à monter.— Jo ?Je me retourne pour voir qui m’a appelée.— Andy ? Mais qu’est-ce que vous faites là ?Il rit, montrant ses belles dents blanches.— Mon appartement est dans cette rue. Nous changeons d’itinéraire, je crois que Caramel

commence à se lasser de notre promenade habituelle.Je regarde son chien et la première chose que je remarque, c’est que c’est un beau labrador tout

noir.— Vous avez baptisé votre labrador noir Caramel ?Andy hausse les épaules et baisse la tête.— Comme beaucoup de chiens.Je fronce les sourcils et secoue la tête.— Comment se fait-il que les hommes soient incapables de donner des noms aux animaux ?Andy éclate de rire et penche la tête.— Parce que vous, vous l’appelleriez comment ?Je m’agenouille et prends la tête soyeuse de Caramel entre mes mains. Ses yeux couleur chocolat

me renvoient un regard paisible. Facile à nommer, celui-ci.— Chaucer. C’est un chien poétique, aucun doute là-dessus.Je me relève et pose une main sur ma hanche, contente de mon choix.Évidemment, le maître se contente de rire.— Je crois que je vais m’en tenir à Caramel.Je ris un peu aussi.— Évidemment.Je rends son sourire à Andy, puis je caresse la tête noire satinée de Chaucer/Caramel.— À une autre fois.— Oui, j’espère.Je lève les yeux au ciel et m’esclaffe devant les manières directes d’Andy.— Au revoir, Andy.Je m’installe sur le siège en cuir et ferme la portière. Damon ne sera pas content que j’aie

bavardé avec Andy-les-doigts-d’or. Je ne prendrai pas la peine de lui en parler, cela ne fera que le

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rendre encore plus grognon, et il l’est déjà, merci Élise. Ça promet, comme soirée.Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent avec un tintement, j’ai l’estomac en vrac. Sa sœur me

déteste déjà. Cette idiote m’en veut parce que Damon ne lui a pas parlé pendant qu’il se remettait deson overdose. N’importe quoi. Je me fous de ce qu’elle pense, mais pour Damon, j’aimerais au moinsque nous arrivions à nous supporter toutes les deux. Allez, peut-être qu’on arrivera à discuterpoliment. Voilà une idée originale.

À l’instant même où j’entre dans le loft, j’entends la voix grave de Damon à plein volume. Super,il est déjà en colère. J’entre dans la salle à manger aussi silencieusement que possible. Assis face àÉlise, Damon est effectivement furieux. Il m’aperçoit aussitôt. Élise, dos à moi, suit le regard deDamon et se tourne dans son siège. Elle ne ressemble pas du tout à son frère, et si je ne l’avais passu, je n’aurais jamais cru qu’ils étaient de la même famille. Par contre, je constate qu’elle a les yeuxbleus de Gramz. Je lui adresse un sourire froid et Damon se lève pour nous présenter. Élise l’imite,prenant bien soin de lisser sa robe bustier d’été.

— Élise, je te présente ma petite amie, Joséphine. Joséphine, voici ma sœur, Élise.Je hoche la tête et m’avance pour lui tendre la main. Elle la prend, mais son joli visage clair

affiche une expression très soupçonneuse. Un silence inconfortable s’abat sur la pièce et je bondis surcette occasion de fuir.

— Élise, c’est un plaisir de te rencontrer. Je vais commencer à préparer le repas et vous laisserbavarder tous les deux.

— Oh non ! Viens donc t’asseoir pour parler avec nous. Apparemment, tu as beaucoupd’influence sur mon frère, peut-être pourras-tu le ramener à la raison.

Pardon ? Je plisse les yeux devant tant d’audace, puis je regarde Damon qui passe les mains dansses cheveux déjà ébouriffés et s’affale sur le canapé.

— Très bien.Je traverse la pièce pour m’asseoir à côté de Damon. Pas étonnant qu’il ne veuille pas lui parler,

c’est vraiment une sale conne autoritaire.Élise rassied son petit postérieur sur le canapé et tapote ses cheveux blonds parfaitement coiffés.— J’étais en train de dire à Damon que la famille, c’est important. Même si nous ne nous

entendons pas forcément, nous devons quand même nous soutenir les uns les autres.— Oh, arrête tes conneries, Élise ! la coupe Damon d’une voix grave qui nous surprend toutes les

deux. Ça ne m’étonne pas qu’il ait besoin d’argent, il n’a jamais un sou devant lui. Par contre, ça mesurprend de te voir obéir à ses ordres.

— C’est notre père ! fait-elle d’un ton sec.— Alors tire-le de sa merde, si tu y tiens, la rabroue Damon.Je reste à regarder leur concours de cris. Comme je n’ai pas de frères et sœurs, c’est très

divertissant, surtout qu’ils savent ce qui va faire réagir l’autre.— Je ne peux pas. Isaac refuse de lui donner quoi que ce soit.Élise a le regard fixé sur ses genoux, clairement honteuse.— On dirait bien que mon beau-frère et moi avons la même opinion de cet ivrogne.— S’il te plaît, Damon. Il a l’air vraiment dans la panade, cette fois-ci.— Est-ce qu’il t’a dit combien il devait ?— Quarante-cinq, marmonna-t-elle.Je me tourne vers Damon pour le voir afficher un air estomaqué. Ensuite, il feint l’amusement et

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part d’un gros rire.— Voilà, c’est fabuleux. Il a réussi à se faire une ardoise de quarante-cinq mille dollars auprès

d’un usurier ou d’un bookmaker qui va lui mettre une pression de dingue pour qu’il raque. Quel grosnaze ! Eh bien, je ne l’aiderai pas. Il va devoir se faire défoncer la tronche comme un homme ettrouver comment payer ses dettes.

— Mais s’il se fait tuer ? hurle Élise. Tu peux acheter une voiture neuve à une fille entretenue, etmême tout un magasin, mais tu refuses d’aider ton propre père ?

C’est à mon tour de trahir ma surprise. Elle ne manque pas de toupet, je peux le lui accorder,mais m’insulter en face ? Après m’avoir demandé de rester et de participer à leur discussion ?

Damon bondit sur ses pieds, agité d’une respiration saccadée, les joues cramoisies.— Joséphine représente plus pour moi qu’il ne représentera jamais. Je préférerais jeter chaque

centime que j’ai pu gagner plutôt que de donner quoi que ce soit à ce mec. Élise, je te préviens, c’estla première et la dernière fois que tu parles de la femme que j’aime de cette manière. Si tu t’avises dele refaire, tu seras morte à mes yeux. Et maintenant, dehors ! rugit-il.

Je souris qu’il me défende ainsi. Mon Grand Mec peut se montrer assez intimidant.— Damon… proteste-t-elle.— Dehors ! beugle-t-il en désignant la porte du doigt.Élise tourne la tête comme si elle venait de se prendre une claque. Elle se dirige vers la sortie et

j’ai presque de la peine pour elle. Il est clair qu’elle ne sait rien de la relation de Damon avecEdward, de ce qu’il a enduré des mains de son père. Damon m’a dit lui-même que personne n’était aucourant. Seulement moi et Versan, même si j’imagine que Gramz se doute de quelque chose. Jem’avance devant lui et pose les mains sur son torse. Son cœur bat à toute allure. Il faut qu’il oublietoutes ces horreurs. Il se pourrait que nous passions tout de suite au dessert ce soir.

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Couverture— Regarde-moi.Je prends le menton de Damon entre mes mains et essaie de ramener son attention à moi.Il me résiste et je me hausse sur la pointe des pieds pour l’embrasser en donnant tout. Il a besoin

de se défaire d’un peu de stress et c’est ce que je veux faire. Il émet un son étranglé quand j’insère lalangue dans sa bouche et explore sa langue agile. Je me détache juste un petit peu pour pouvoir leregarder dans les yeux.

— Le dessert est prêt, je murmure contre ses lèvres.— Tu lis dans mes pensées, gronde-t-il avant de se pencher pour me prendre par la taille et me

charger sur son épaule.Je ris, suspendue dans son dos, et lui administre de petits coups sur les fesses. Mes boucles

châtaines rebondissent à chaque pas. Damon m’emporte dans la cuisine. J’ai été son hors-d’œuvreune fois dans cette pièce. Logique que je fasse aussi le dessert. Il se baisse pour me remettredoucement sur mes pieds, puis pose un genou à terre devant moi et relève les yeux. Mon cœurs’arrête de battre un instant quand je vois comme il est beau, avec tout ce que cette position pourraitimpliquer. Il sait exactement ce qu’il fait, parce qu’il me lance un sourire espiègle. Le con !

— Pas aujourd’hui, Joséphine, précise-t-il avec une moue moqueuse.Il relève l’un de mes pieds et retire la sandale à semelle compensée. Il dépose un doux baiser sur

ma cheville, puis repose mon pied par terre. Il lève mon autre pied et renouvelle ce geste sensueld’ôter ma chaussure puis d’embrasser la cheville dénudée.

Je suis contente qu’il ne voie pas mes joues s’empourprer. Je suis très gênée qu’il ait distinguémon expression. L’image de lui un genou à terre devant moi est maintenant gravée dans mon cerveauet y fait naître toutes sortes de pensées. J’en suis vite distraite, car il a passé ses grandes mains sousma robe de coton et les remonte le long de mes jambes, pour venir s’emparer de mes fesses. Il sepenche et pose la tête sur mon ventre un moment. Je vois ses paupières se fermer. Je me sens vénérée.Chérie.

Il recourbe les doigts, les accroche à mon string de dentelle trempé, qu’il fait glisser le long demes cuisses, puis tomber à mes pieds. Je m’en libère et Damon le jette plus loin dans la cuisine. Il serelève et m’empoigne les hanches pour me poser sur le comptoir. J’attends. Avec un sourirediabolique, il se dirige vers le réfrigérateur. Comme la porte le cache, je ne peux pas savoir ce qu’ilcherche. Enfin, il la referme et présente sa trouvaille.

— Fraises à la Joséphine, annonce-t-il. Mon nouveau dessert préféré.Mon estomac tressaute, puis s’enflamme. Je ne sais pas ce qu’il a l’intention de faire de ces

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fraises, mais j’ai la nette impression que ça va me plaire. Beaucoup.Damon ouvre la barquette et prend son temps pour choisir une belle fraise rouge sombre et bien

dodue. Il la tient en l’air comme si c’était le cadeau de toute une vie.— Allonge-toi, murmure-t-il.J’obéis tout de suite et j’étends le dos sur le comptoir. Il retrousse ma robe autour de ma taille de

façon à me voir entièrement. Le regard sur moi, il s’humecte les lèvres avec délice, puis soulève mesjambes, se penche et place la paume de sa main libre sur le comptoir à côté de moi, le creux de mesgenoux maintenant sur ses épaules.

Mon estomac fait des bonds, mon bas-ventre picote et j’ai très envie de sentir sa bouche sur moi.La fraise dans sa main disparaît entre mes cuisses. La fraîcheur de l’air vient apaiser mon clitoris quifrémit : Damon souffle dessus. La pointe de la fraise froide me fait sursauter et je pousse un cri en lasentant s’enfoncer dans ma moiteur chaude. Damon retire lentement la fraise pour la faire glisser versmon clitoris délaissé. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Il porte la fraise à ses lèvres eten prend une bouchée, puis me la tend.

— Goûte, demande-t-il.J’ouvre la bouche et je mords à mon tour dans le fruit présenté. Damon m’observe pendant que je

savoure ce qu’il m’a donné.— Tu comprends pourquoi tu es mon parfum préféré ? murmure-t-il.Je suis clouée sur place, complètement sous le charme. Waouh, c’était sexy. Avant que j’aie eu

le temps de me rendre compte, sa bouche atterrit sur ma fente humide et palpitante. Ses lèvresexpertes se referment autour de mon clitoris et la sensation est délicieuse. En même temps sa langues’active sur mon point le plus vulnérable. Je rejette la tête en arrière et gémis. Il laisse échapper unmurmure d’appréciation, et les vibrations se propagent dans tout mon corps. J’ai du mal à respirer etmon rythme cardiaque s’emballe. La langue de mon Grand Mec plonge à l’intérieur de moi et il semet à effectuer de lentes caresses.

— Ah ! je crie.Mes hanches se soulèvent en rythme avec sa langue, sans que je leur aie commandé. J’ai des

crampes dans les pieds à force de me raidir. La langue de Damon retourne à mon clitoris et je sensdeux doigts encercler ma fente, puis s’enfoncer profondément en moi, décrivant des mouvementscirculaires à l’intérieur. Sa bouche se referme une fois de plus sur mon clitoris, mais cette fois, salangue est si rapide que je peux à peine respirer. Un orgasme décadent prend sa source très bas dansmon ventre. Un cercle de plus sous ses doigts, et j’explose. Damon ralentit et adoucit sa caressependant que je vogue sur mon orgasme. J’ai à peine une seconde pour respirer qu’il me fait déjàbasculer sur son épaule.

— Par ici, Joséphine. Je vais prendre le plat de résistance au lit.Mon visage s’anime d’un sourire machiavélique en regardant ses pieds monter les marches. Je

n’ai pas à me plaindre. Nous pourrions prendre notre repas au lit tous les soirs.

— Miss USA.J’entends le capitaine m’appeler exactement comme avant. Tout est sombre autour de moi et

même si cette impression est familière, je ne peux m’empêcher de chercher la lumière à côté du lit. Jetâtonne sur la surface fraîche de la table de nuit mais je ne peux pas trouver la lampe.

— Ne t’emballe pas. Ce n’est que moi.

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Je m’immobilise et écoute cette voix bourrue. C’est un vrai réconfort. Je me rends compte que çafait une éternité que je n’ai pas entendu sa voix. Ma poitrine est douloureuse et lourde de mélancolie.Quelque part dans les tréfonds de ma conscience, je sais qu’il s’agit d’un rêve, comme l’autre fois. Jesuis en sécurité, je sais que Damon est à côté de moi dans le lit, mais je chuchote malgré tout,nerveuse :

— Ta voix me manque, capitaine.— Je sais bien. Jo, est-ce que tu te rappelles la fois où tu as trouvé sur l’étagère le livre qui

n’avait pas la bonne jaquette ?Je repense à nos sept années passées ensemble et je souris au souvenir de ce détail. Ces

réminiscences de l’époque du capitaine sont douces-amères. Je ne voudrais surtout pas le chasser dema mémoire, mais la fouiller c’est comme rouvrir une blessure.

— Oui, je me souviens. C’était un roman qui avait hérité d’une jaquette de livres de loisirscréatifs. Le truc complètement improbable. Tu ne me croyais pas jusqu’à ce que je vienne te lemontrer.

— Tu ne peux pas me reprocher d’avoir voulu voir ça de mes yeux. Je n’avais pas à te croire surparole pour tout, ma petite.

Je me souviens et lâche à voix haute :— Papier mâché. C’était un thriller sanguinolent à l’intérieur, mais il était couvert d’une jaquette

sur la confection du papier mâché.— Oui voilà, c’est ça. L’horrible pâte gluante que les enfants tartinent sur des ballons de

baudruche pour faire des maquettes de planète, ce genre de trucs…— Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences, pas vrai ?— Ouais. Parfois les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, Jo. Parfois il y a tromperie sur

la marchandise.— Qu’est-ce que ça veut dire ?J’attends un moment mais il ne répond pas.— Capitaine ?Rien. Il est parti. Encore une fois.

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Tromperie sur la marchandiseMon rêve de cette nuit occupe mon esprit toute la journée. J’avais complètement oublié que Noni

viendrait ce matin jusqu’au moment où je suis entrée dans le Petit Resto et que, pour la première foisd’aussi loin que je me souvienne, elle n’était pas là pour m’accueillir. J’ai quand même mangé monpetit déjeuner, seule parce que Damon était en rendez-vous toute la matinée, mais ce n’était pas lamême chose sans avoir Noni avec qui bavarder. Bien sûr, je suis très heureuse pour elle. Elle n’enparlait pas beaucoup, mais cela lui pesait de travailler jour après jour au Petit Resto. Maismaintenant que je suis obligée de manger en solo, je me dis que je fréquentais sans doute ce lieudepuis toutes ces années pour Noni autant que pour la nourriture et le très bon café.

Une fois que j’ai garé ma Volvo, je l’ai aperçue qui m’attendait devant la vitrine de la librairie.Cela m’a fait un choc de voir Noni en habits de tous les jours, les cheveux lâchés. Je ne l’avais vuejusqu’ici qu’en uniforme de serveuse style années 1950, avec les cheveux relevés en chignon. C’estvraiment une belle femme et elle paraît dix ans de moins avec les cheveux lâchés. Ses cheveuxchâtains sont semés de gris et ses yeux marron entourés de fines pattes-d’oie, mais dans l’ensemble,le temps l’a plutôt épargnée.

Je l’applaudis d’avoir eu le cran de démissionner d’un emploi qu’elle a occupé aussi longtemps.Je lui dis que Margaret, sa patronne au Petit Resto, avait l’air carrément constipée quand je l’ai vuele matin et nous rions une minute ou deux.

J’ouvre le magasin et je tiens la porte ouverte pour Noni. Elle entre et balaye du regard l’endroit.Avec deux doigts, elle essuie la poussière sur le comptoir où se trouve la caisse pour inspecter lasaleté ramassée. Pour moi, c’est bon signe : elle est consciente de la nécessité de garder les lieuxpropres. Ce sera chouette d’avoir quelqu’un avec qui partager les tâches ménagères.

— Avant tout, je veux savoir pourquoi ton café est dix mille fois meilleur que le truc infâme quem’a servi Margaret ce matin.

Je fais la grimace en me souvenant du goût.— Je ne révélerai jamais mon secret ! (Elle avance le menton et garde la tête haute, visiblement

fière de son astuce.) Bon, peut-être qu’à toi, je le dirai un jour.Je hoche la tête, satisfaite de sa réponse, et je l’emmène à son futur lieu de travail pour lui

montrer ce que nous avons déjà.— Alors, quand est-ce que je rencontrerai le manager ? demande Noni.Alors là, je ne sais pas quoi lui répondre. Pourquoi imagine-t-elle que quelqu’un d’autre que

nous deux travaillera ici ?— Ce sera juste toi et moi, mon amie. La partie café, c’est toi qui t’en occupes. Voilà, dis-je en

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désignant un coin avant du magasin, là c’est le monde de Noni. Et par ici, dis-je en désignant de monautre bras l’endroit de la caisse, c’est le petit monde un peu taré de Jo.

Je termine mon explication par un grand sourire, mais Noni me regarde comme si je venais de luidire que les poules avaient des dents. Ben quoi, où est le problème ?

— Je croyais que quelqu’un me superviserait à la partie café.Je secoue la tête.— Non, ce sera seulement toi. Tu n’as pas besoin d’être supervisée. Je t’ai vue au Petit Resto te

débrouiller comme une chef pendant des années. C’est justement pour ça que je savais que tu serais lapersonne rêvée.

Sans prévenir, Noni me serre fort dans ses bras. Bon, elle doit être contente d’être là.Nous passons le reste de la journée en brainstorming, mais le rêve de cette nuit occupe mes

pensées en permanence. Il ne faut pas se fier aux apparences. Parfois, il y a tromperie sur lamarchandise. D’un coup, la lumière se fait et j’ai l’impression de comprendre ce que monsubconscient a essayé de me souffler. Damon. Je sors mon téléphone portable de ma poche pourenvoyer un texto à Brian.

Moins de dix minutes plus tard, mon copain préféré franchit la porte du magasin d’un pas élégant.— Alors, qu’y avait-il de si important qui m’a forcé à annuler mon rendez-vous avec Jérémie

pour un café latte ? Damon m’a donné ma demi-journée en disant qu’il avait des affaires personnellesà régler, alors il y a intérêt à ce que ça soit intéressant.

Il croise les bras et avance un pied revêtu d’une chaussure bateau.Je le regarde, interdite.— Quelles affaires ?— Ma puce, si je le savais, je te le dirais, mais je n’en ai aucune idée. Alors, c’est quoi cette

histoire ?— En fait, j’ai juste besoin de ton opinion. Ton café, tu peux le prendre ici, Noni commence à

tester nos machines perfectionnées. Noni, par ici !Noni s’avance vers nous. Je prends une grande inspiration et me lance.— Alors Noni, tu n’es pas au courant, mais Brian, si. Damon prétend détester son père et sa mère

et ne vouloir avoir de contact avec aucun des deux, mais il y a quelque chose qui me dérange. Jen’arrive pas à croire qu’il ne veuille vraiment pas rencontrer Beverly. C’est son nom, Beverly. Jel’ai vu sur son certificat de naissance et je vais essayer de la retrouver.

Je les regarde tous les deux ; ils sont stupéfaits.— Eh bien, dites quelque chose !Je pose les poings sur mes hanches et les observe.— Tu creuses ta propre tombe, ma puce. Je te promets de m’assurer que toutes tes fleurs seront

assorties.Je donne une bourrade à Brian, puis me tourne vers Noni pour avoir son avis à elle.— Je, euh, je ne le connais pas très bien, alors suis ton instinct.Noni sourit et me tapote l’épaule.— Tu vois, Brian, ça s’appelle donner son avis. C’est un concept étrange que des amis utilisent

tout le temps, dis-je en appuyant bien sur les mots.Il hausse un sourcil et lève les yeux au ciel.— Eh bien, je vous soutiens tous les deux, mais tu es consciente qu’il va te tuer, d’accord ? Il ne

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veut pas d’une relation avec elle et il déteste qu’on se mêle de ses affaires.Brian a tout à fait raison, mais je m’en fiche. Je sais que quelque part au fond de lui, Damon

voudrait autre chose que ce qu’il prétend vouloir. C’est ce que me disait ce fameux rêve. Il faut queje le fasse. Je connais déjà son nom, il ne me reste plus qu’à la trouver.

— Merci pour vos avis, les amis et les autres.Noni éclate de rire et Brian et moi rions avec elle. Le reste de la journée s’écoule rapidement.

Nous testons plusieurs sortes de café et nous débattons des mérites qu’il y aurait à ajouter plus demuffins ou plus de cookies au menu de la librairie, qui s’allonge de jour en jour. Noni envisage mêmequ’une fois tout en route, nous puissions nous mettre à offrir des déjeuners légers. À la fin de lajournée, j’ai le cerveau en compote et je suis remontée comme un coucou suisse.

Noni et Brian prennent congé aux environs de dix-sept heures, et un quart d’heure plus tard, j’aiabandonné l’idée d’abattre plus de travail et je rassemble mes affaires pour rentrer à la maison. Letéléphone et les clés à la main, je lance l’alarme et me dirige vers ma voiture. Je regarde l’écran pourvoir si j’ai des messages : deux en attente.

Vu Gramz aujourd’hui. Elle veut te voir. Je t’aime. D.

J’ouvre rapidement le deuxième SMS :Serai en retard. Trucs à faire. Je t’aime. D.

« Serai en retard ? »Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? Je réponds à son SMS et reste perdue dans mes pensées, à me

poser des questions au sujet de Damon, quand je vois Andy et Caramel qui se dirigent vers moi.— Salut, Chaucer. Bonjour, Andy.Je pointe la clé vers ma Volvo pour la déverrouiller, j’ouvre la portière et y lance mon sac.— Alors, il aime la nouvelle promenade ?Caramel s’assoit sur ses pattes arrière et halète gaiement.— Oui, ça lui plaît. En vérité, je crois qu’il aime bien vous voir tous les soirs, plus que le

paysage en lui-même. Je ne peux pas lui en vouloir.Andy me dédie un grand sourire.C’est qu’on n’y va pas avec le dos de la cuillère !— Très bien, Casanova, dis-je en tapotant la tête de Caramel, avant de voir qu’Andy m’observe,

ce qui commence à me flanquer la trouille. Il est temps de partir. À bientôt, les gars.— Si j’ai de la chance, dit Andy.Je ne tiens pas compte de sa tentative de flirt et j’entre dans ma voiture. Gramz a exigé de me

voir et allez savoir ce que cette vieille folle a à me dire.

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La véritéJ’entre dans l’appartement de Gramz au pas de charge. La surdose de caféine m’a rendue ultra-

nerveuse. À tous les coups, elle souhaite simplement me voir parce qu’avec toutes mes occupations àla librairie, je ne lui ai pas rendu visite depuis plusieurs jours, mais avec Gramz, allez savoir.Parfois, elle nous réserve des coups fourrés, du style Andy-les-doigts-d’or.

Ma première vision est celle d’Élise assise sur le fauteuil des invités, qui parle à Gramz, bienposée et parfaite comme d’habitude dans une jupe crayon, un petit haut sans manches et des talons.Super génial, youpi ! Elle triture ses rangs de perles et je me demande comment elle gagne sa vie.Damon me l’a sûrement dit, mais elle me met tellement mal à l’aise que tout ce qui la concerne rentrepar une oreille et sort par l’autre. Je me compose un sourire factice et me dirige vers elle.

— Bonjour.Je me penche pour étreindre Gramz, comme toujours. Élise ne répond même pas à mon salut et se

contente d’afficher un air condescendant. Connasse.— Alors, où était l’urgence ? Il y a un nouvel agent d’entretien qui vous fait de l’œil ?Je ris, mais pas Gramz. Inquiète, je m’approche une chaise.— Qu’est-ce qui se passe ?Gramz se met à fourrager dans des papiers sur la tablette et me montre une lettre.— Tu n’as qu’à lire toi-même, fait-elle, visiblement épuisée.

Chère Madame Cole,

Le Crédit fédéral de Las Vegas souhaite vous remercier de votre fidélité. Vous êtes une cliente

privilégiée et nous sommes heureux que vous bénéficiiez d’un compte chez nous depuis tantd’années. Toutefois, notre service prévention et détection des fraudes a récemment relevé desactivités inhabituelles et potentiellement frauduleuses sur votre compte. Merci de nous rappelerdès que possible, afin d’éclaircir les faits au plus vite.

Soyez assurés, Madame, de nos sentiments les meilleurs,David Herring

Directeur du service détectionet prévention des fraudes.

Les sourcils froncés, je regarde Gramz.— Mais qu’est-ce qui se passe ?

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— On dirait bien que quelqu’un vole ma grand-mère depuis quelque temps, répond Élise d’un tonsarcastique.

Je comprends tout de suite ses insinuations et j’ai l’impression de m’être pris un coup de poingdans la figure. Je plisse les yeux face à cette snob insupportable et j’avance droit sur elle.

— Alors toi, je ne te donne pas le droit d’insinuer que j’aurais pu faire une chose pareille ! Je tejure que si tu oses…

— Stop ! Allons, je sais bien que ce n’est pas toi. (Gramz interrompt la menace qui allait sortirde ma bouche.) Ma question, c’est : qui pourrait voler des chèques dans mon chéquier ?

Edward, bien sûr.— Edward ! je crie, beaucoup trop fort.Elles se regardent, surprises, puis se retournent vers moi à nouveau. Elles n’y ont pas encore

pensé ? Ce n’est pas une idée plaisante, mais il est évident que ce serait mon premier suspect. Élisenous a déjà dit qu’il était aux abois et Damon a clairement fait comprendre qu’il n’aiderait pas sonvaurien de père.

— Ça doit être possible. J’ai regardé mon chéquier et tous les chèques ont été arrachés sauf un.Le chéquier entier y est passé ! s’écrie-t-elle.

Cela me met en rage de savoir que quelqu’un a profité de Gramz. C’est l’une des raisons pourlesquelles je pense qu’elle devrait habiter avec nous plutôt qu’ici. Je grince des dents et fais tous lesefforts possibles pour rester calme.

— Damon est au courant ?Gramz secoue la tête d’un air dégoûté.— Non, je ne lui en ai pas parlé. Seulement à vous deux.— Eh bien, tu sais quoi ? Si papa a volé quelque chose, c’est parce qu’il est désespéré et que

Damon est un sale égoïste de refuser d’aider son propre père ! lance Élise d’une voix sifflante.Je me penche vers elle et crache le venin que j’arrive à réunir.— Élise, espèce de pauvre idiote mal informée !Elle ouvre la bouche d’un coup et gonfle les narines. C’est bon, j’ai son attention.— Et d’une, Edward aurait pu demander l’argent, plutôt que de le voler à sa mère ! Et de deux, et

plus important encore. Ton petit papa chéri, celui pour qui tu essaies de culpabiliser Damon, c’estaussi celui qui a causé l’accident qui a tué mes parents. Il a tabassé Damon pendant toute son enfanceet c’est pour ça qu’il ne mérite pas son aide. Il l’a maltraité verbalement et physiquement pendanttoute sa vie.

Élise se tient coite, mais je vois qu’elle m’écoute. Gramz pleure sans bruit, et je suis certaine dene jamais l’avoir vue aussi silencieuse.

— Tu ne me crois pas ? Je t’amènerai tous les journaux intimes qu’a écrits Damon. Ils sontremplis de tous les détails sordides. Une fois, ton père a cassé une bouteille de bière par terre, l’aécrasée en tous petits éclats avec sa botte, et il a obligé Damon à rester à genoux dans le verrependant des heures. Il lui donnait des coups de cintre chauffé au briquet dans le dos. Une fois, il acassé les orteils de Damon avec un marteau, putain !

— Non !Élise se couvre la bouche de la main et les larmes lui montent aux yeux.— Si ! Si ! Tout ça, c’est arrivé. C’est ce que ton père a fait à son propre fils. Alors tu n’as pas

intérêt à le juger. Ce monstre ne mérite pas un kopeck !

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— Oh, mon Dieu, souffle Gramz, qui pose ses mains ridées sur sa tête. J’aurais dû le savoir. Jesavais que c’était un mauvais père mais je n’ai jamais cru… Damon ne m’a jamais rien dit. J’auraisdû le savoir.

Gramz renifle et ses larmes de compassion se transforment en sanglots de culpabilité.— Non, Gramz. Ce n’est pas votre faute. Damon s’est arrangé pour tout dissimuler. Je crois que

de toute façon, ça a commencé quand ils sont partis de chez vous. Ce n’est pas votre faute.— Je l’appelle, décrète Élise, qui essuie ses propres larmes et sort son téléphone comme si

c’était un pistolet chargé.— Qui ça ? Damon ?Je t’en supplie, ne l’appelle pas. Je ne devais le dire à personne !— Non ! hurle-t-elle. Notre putain de père !Après deux ou trois manipulations, elle porte le téléphone à son oreille.— Papa, c’est moi. (Elle s’arrête pour le laisser parler.) Est-ce que tu as fait du mal à Damon ?Silence.— Tu m’as entendue. Est-ce que tu le maltraitais ? Réponds-moi !Elle est maintenant furieuse et fait les cent pas dans la pièce. Je suis presque fière d’elle.Il doit avoir reconnu quelque chose, car Élise soupire et s’effondre. Après ce qui semble des

minutes entières de pleurs, elle finit par parler à nouveau.— Pendant toutes ces années, papa ?Encore du silence.— Ne me balance pas des excuses merdiques ! Il n’y a pas d’excuse pour infliger ces traitements,

à qui que ce soit ! Jo vient de tout nous raconter, à moi et Gramz, alors tu peux aller te faire voir !C’est pas vrai ! Pourquoi est-ce que je me sens coupable pour elle maintenant ?Élise raccroche, baisse la tête et revient d’un pas lent vers Gramz et moi.— Je suis vraiment désolée d’avoir jugé Damon, Jo. Et toi aussi. Quel connard ! Pourquoi

Damon ? Pourquoi pas moi ? Pourquoi est-ce que je ne savais pas ?Elle retire ses talons d’un coup de pied et se roule en boule sur le lit de Gramz.Sa grand-mère caresse ses cheveux blonds et lui murmure des paroles de réconfort. D’un côté,

j’ai envie de me joindre à leur étreinte, mais je ne suis pas très douée pour ce genre de choses.— Voyons, tu ne savais pas. Aucune de vous ne savait ce qui se passait dans cette maison. (Je

regarde tour à tour Élise et Gramz, puis à nouveau Élise.) Ce qui est fait est fait. Damon m’en voudrasans doute de vous l’avoir révélé, mais je suis contente que vous soyez au courant. Peut-être quemaintenant, vous pourrez mieux le comprendre.

Gramz ne dit rien, ne fait rien. Élise hoche la tête. Elles sont toutes les deux en état de choc et jene vaudrais pas mieux à leur place.

— Gramz, je dois aller voir Damon pour lui parler de ces chèques manquants.Elle fait un signe de tête. Je me penche pour l’embrasser.— Je vous aime, Gramz. Bientôt, je vous fais sortir d’ici. Attendez de voir.Elle ne dit rien, visiblement encore en train de digérer tout ce que j’ai révélé. Elle hoche la tête

et caresse ma joue, ce qui me suffit comme communication.Quand j’arrive à la porte, Élise saute du lit et me suit.— Jo, je suis désolée. Je… (Elle pleure encore et les mots sortent entre de gros hoquets.) Je

suis… hic. Vraiment… hic. Désolée, Jo.

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Je secoue la tête et elle se tait.— Ne t’excuse pas, tu ne savais pas. Ce n’est pas ta faute non plus. (Je lui effleure le bras

amicalement et je quitte la pièce.) C’est le moment d’aller affronter mon Grand Mec.Je reste en long moment dans ma voiture sans démarrer et essaie de remettre en ordre tout ce

fouillis dans ma tête. Parler d’Edward et de Damon, c’était difficile et il faut que je sois la premièreà mettre Damon au courant de mes révélations, au cas où Gramz et Élise parviendraient à lui enparler. Cependant, le chéquier de Gramz reste le premier sur ma liste. Damon doit le savoir aussitôtque possible. Je demande à Brian de passer un coup de fil pour s’informer sur les employés de lamaison de retraite. Qui d’autre resterait dans la chambre de Gramz assez longtemps pour prendre seschèques ? Ce n’est pas comme si elle allait et venait tout le temps…

La situation de Gramz est préoccupante, mais pas question que j’oublie non plus de chercher lenom trouvé sur le certificat de naissance : Beverly Winona Davis.

Mon intuition me dit que c’est la bonne chose à faire, alors je ne peux pas laisser tomber. Pasavant de trouver des renseignements à donner à Damon. Je sais qu’il m’en voudra, mais j’espèrequ’un jour, qui sait, il me remerciera.

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RéceptiveDamon n’est pas rentré quand je reviens de la maison de retraite, mais le temps que j’aille

promener Hemingway, c’est lui qui m’attend. Il a l’air de très bonne humeur et ça me désole degâcher sa journée, mais si je lui cache les problèmes bancaires de Gramz et mes révélations, il serafâché.

— Salut, mon chéri, je murmure en l’enlaçant avec tendresse.Son odeur est le remède parfait à mon stress. Je ferme les yeux et respire profondément.— Justement la personne que je mourais d’envie de voir. (Il m’entoure de ses bras puissants et

pose sa bouche sur la mienne en un baiser sensuel.) Tu m’as manqué aujourd’hui, dit-il avec douceur.— Tu m’as manqué aussi.Je prends une grande inspiration et ouvre les yeux. C’est incroyable de penser au chemin

parcouru ce dernier mois. Le docteur Versan doit être très fier.Je n’ai vraiment pas envie de gâcher tout ça.— Allons dîner, suggère-t-il.Il effleure ma lèvre inférieure du pouce comme il le fait toujours. Et je frissonne, comme je le

fais toujours.Je n’ai pas vraiment envie de lui dire ce qui va le mettre en colère, mais mieux vaut prendre les

devants avant qu’il ne soit carrément furieux.— D’accord, mais d’abord je dois te parler de ma visite chez Gramz.Mieux vaut tout déballer au plus vite.— Quelqu’un la vole. Je pense qu’elle n’est pas bien à la maison de retraite, Damon. Elle n’est

pas malade et le fait d’être là-bas la rend vulnérable à des gens qui sont susceptibles de lui faire dumal.

— Quoi ?Damon devient tout rouge et ses veines palpitent sous sa peau.— Quelqu’un a pris les chèques de Gramz dans son chéquier. On se dit que ça pourrait être ton

père.Il gonfle les narines et secoue la tête, complètement écœuré.— Je vais m’en occuper. Quel connard !Je recule devant son éclat. Il est déjà en colère, mais je dois continuer.— J’ai aussi ôté les illusions de ta sœur au sujet d’Edward. Elle sait ce qu’il a fait et Gramz

aussi, dis-je très vite.Il me regarde de toute sa hauteur.

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— Et pourquoi es-tu allée faire ça ? demande-t-il doucement.J’ai l’impression d’être sous le feu des projecteurs et la chaleur qui pèse sur moi me fait

transpirer au niveau de la nuque. Je vais devoir remettre du déodorant avant de sortir, parce qu’avectoute cette anxiété je sue comme une vache.

— Il le fallait ! je crie. Elle était insupportable et le défendait tout le temps. En gros, elle a ditque c’était ta faute si Edward avait piqué des chèques à Gramz.

Il laisse tomber ses bras le long du corps, se détourne de moi et passe la main dans ses cheveuxbruns.

Je vois son niveau de frustration passer de moyen à fort en quelques secondes. Il serre lamâchoire.

— Tu aurais dû m’appeler, pas leur en parler. Elles n’ont pas besoin de supporter ça.— Et toi, si ? je demande, les poings sur les hanches.— Oui. C’est moi qui ai supporté tout ça toute ma vie.C’est bien de lui, de ne pas vouloir faire porter le fardeau de ses problèmes à quelqu’un d’autre.— Jusqu’ici, ça t’a réussi ? je lance.Damon prend l’air mécontent, mais il sait très bien que j’ai raison.— Tu sais quoi ? Tu ne sais pas la chance que tu as ! Moi, je me suis démerdée toute seule parce

que je n’avais pas le choix. Je n’avais pas de sœur ou de grand-mère qui m’adorait à qui parler. Maistoi, si ! Elles t’aiment. Donne-leur une chance de te soutenir. Parle-leur.

Il se retourne vers moi et je vois le tourment sur son visage. Il a des instincts très protecteurs et jesais qu’il ne voudrait pas que Gramz ou Élise inverse les rôles, mais ce sont toutes les deux desfemmes fortes dotées d’un sacré tempérament, et si quelqu’un peut prendre cette place, c’est bienelles.

— Tu les sous-estimes, Damon. Je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais tu as trois femmes decaractère énervantes qui ont pour toi un amour inconditionnel.

Mes évidences le font pouffer.— Oui, je suis au courant. Crois-moi.Je passe les doigts sous sa ceinture et l’attire contre moi.— Je suis désolée de leur avoir révélé, Damon. Je ne pouvais pas écouter Élise dire une seule

chose de plus sur toi et soutenir Edward. C’était insupportable.Il pose son front sur le mien.— Je sais, Joséphine. (Il repousse mes cheveux derrière mon oreille et je sens un poids de moins

sur ma poitrine.) Je sais que tu cherches seulement à aider, et je t’aime d’être aussi attentionnée. Enrevanche, si tu t’avises de refaire quelque chose comme ça…

— Hé, attention à toi, Grand Mec.Un sourire se forme sur mes lèvres tandis que je profère cette menace en l’air.Les yeux de Damon s’allument d’une lueur lascive et cette soirée va finalement prendre un tour

très plaisant.— Oui oui. (Je recule lentement tout en secouant la tête avec vigueur.) Mangeons d’abord.— Je te mange d’abord, dit-il en s’approchant dangereusement.Je pousse un couinement et cours vers l’escalier, Damon sur mes talons. Je ne suis pas assez

rapide et il me rattrape sans effort. Cependant, je ne peux pas prétendre être fâchée. Être rattrapée parDamon, c’est comme ça que notre relation a commencé. Il est la meilleure chose qui me soit jamais

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arrivée.

Deux jours incertains ont passé depuis que j’ai révélé à Gramz et Élise les mauvais traitementsendurés par Damon. Personne n’en a parlé à personne, pas encore de confrontation, mais je retiensmon souffle à l’idée de ce qui risque de me sauter à la figure. Damon et Brian ont fait beaucoup derecherches concernant la débâcle du compte chèques : ils ont vu les employés de la maison deretraite, parlé au directeur des fraudes de la banque et je pense que Damon va même aller voirEdward bientôt.

Je regarde l’heure sur mon téléphone portable, puis jette un œil au Post-it qui indique l’adresse.Il est collé à mon ordinateur et je l’ai regardé tant de fois que je la sais par cœur.

Beverly W. Davis227 Poplar DriveLas Vegas, NV 86115Je tape nerveusement des pieds sous mon bureau. Je ne pensais pas que ce serait si facile de

trouver une adresse. J’ai été encore plus estomaquée de découvrir que l’adresse la plus récente deBeverly Davis est ici même, à Las Vegas. Quand j’ai tapé son nom dans le moteur de recherche,j’étais loin d’imaginer que je trouverais quelque chose. Pour tout dire, j’espérais peut-être ne pastrouver. Cela aurait rendu les choses beaucoup plus faciles. S’il n’y avait pas d’adresse, alors il n’yaurait pas besoin d’écrire la lettre.

— Et merde, je marmonne.Il faut en finir. Je lève mon stylo et commence à écrire.

Chère madame Davis,Je vous écris à propos d’un homme appelé Damon Cole. Si ce nom ne vous dit rien, veuillez ne

pas tenir compte de cette lettre, cela signifie que je me suis adressée à la mauvaise personne.J’espère cependant que ce nom vous dit vraiment quelque chose. J’ai trouvé votre nom sur un

certificat de naissance et j’aimerais entrer en contact avec vous. Je sais que vous aviez dix-septans lorsque vous avez donné naissance à Damon et je suis sûre que vous aviez une très bonneraison de ne pas vouloir sa garde, mais j’aimerais malgré tout vous parler. Soyez assurée de madiscrétion ; j’espère pouvoir attendre la même chose de vous.

Veuillez m’appeler si vous vous sentez à l’aise pour parler. Sincères salutations,Joséphine Géroux

Je me lève, prends la lettre sur mon bureau et retourne dans la librairie. Je trouve vite Noni dans

la pièce, encore une fois en train de réorganiser son café. Elle hésite à ranger les cafés en vrac parcode couleur ou par ordre alphabétique, car elle a décidé que le magasin serait plus classe si nousvendions du café à boire sur place, mais aussi des sachets de café moulu. Nous sommes désormais enpossession d’un large choix de cafés de la région. Elle n’a pas demandé mon avis – franchement,ordre alphabétique… on est quand même dans une librairie ! –, mais je suis à peu près convaincuequ’elle prend des photos de toutes les combinaisons possibles. Cela lui donne de l’occupationpendant les dernières semaines avant l’ouverture.

— Dis-moi, dis-je en m’asseyant sur l’un des hauts tabourets alignés devant le comptoir, j’aiécrit une lettre à Beverly, la femme qui figure sur le certificat de naissance. Tu veux bien la lire et me

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dire ce que tu en penses ?— Ah ? D’accord.Noni s’essuie les mains et me prend la lettre. Je regarde ses yeux parcourir les quelques lignes

qui vont droit au but. Elle lève les sourcils et l’inspecte une fois de plus, puis me la rend.— Alors, qu’est-ce que tu en penses ? je demande, nerveuse.— Eh bien, je la trouve vague. Tu ne crois pas qu’elle voudrait savoir ce que tu attends d’elle ?Je n’y avais pas réfléchi comme ça et elle a raison. Je donne de vigoureux signes de tête.— Bien pensé.— Et si c’est elle, qu’est-ce que tu as envie de savoir ? Que penses-tu que Damon voudrait

savoir ?Elle secoue la tête et fait claquer son chiffon sur le comptoir, ce qui me fait sursauter.— Je n’arrive pas à croire que tu fais ça sans son accord, Jo. Tu es sûre que c’est bien ?— Ben, si elle ne répond pas, il n’aura pas à le savoir. Je voudrais juste connaître sa version des

faits. Je sais que Damon dit la détester, mais je n’arrive pas à croire qu’elle l’ait juste largué commeça, tu vois ? (Noni hoche la tête et pousse un soupir. Je poursuis.) Je veux savoir à quoi elleressemble, aussi. À mon avis, il doit tenir d’elle, parce qu’on ne retrouve ni Edward, ni Gramz dansses traits. Je veux savoir s’il a d’autres frères et sœurs. Je veux savoir si elle est en vie, d’ailleurs.(Je hausse les épaules.) L’idée qu’il ait une famille quelque part doit exercer une fascination surl’orpheline que je suis.

Noni m’adresse un gentil sourire et me tapote la main.— Tu n’es pas orpheline, ma fille. Tu m’as, moi. Tu as Gramz, Élise, Brian, et surtout Damon. Tu

ne te débarrasseras pas de nous comme ça.Elle roule des yeux exorbités comme une folle dangereuse et nous rions toutes les deux.— OK, je vais réécrire cette lettre et lui dire que je veux juste connaître l’essentiel de l’histoire,

et je vais l’envoyer.Elle pousse un gros soupir et lève les pouces.Je vais le faire.Je réécris la lettre en quelques minutes et la glisse dans l’enveloppe adressée. Elle rejoint la pile

de courrier en partance et j’envoie une prière silencieuse pour qu’elle parvienne à la bonne personneet que celle-ci se montre réceptive. Ou encore mieux, intéressée.

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SecretsDamon a un comportement étrange depuis quelques jours et je ne sais pas si c’est ce qui arrive à

Gramz ou s’il est encore ennuyé que j’aie parlé de son enfance avec Edward. Il « s’occupe dequelques trucs » depuis l’autre soir. Je sais que pour partie, il s’agit de repérages pour l’affaireGramz et pour partie, de travail, mais son comportement me rend légèrement paranoïaque : ai-je bienfait d’écrire à Beverly ? À certains moments, je le regrette et à d’autres, je suis tout excitée de medire que c’est peut-être elle.

Il se passe quelque chose, je le sens. Et j’ai bien l’intention de découvrir ce que mijote Damon.Sans y penser, je range notre nouveau stock sur les étagères. Il n’y a pas plus agréable que

l’odeur des livres neufs. À part peut-être de voir des rangées et des rangées de livres flambant neufssur mes nouvelles étagères toutes belles dans ma librairie rénovée.

Nous ouvrons dans deux semaines et enfin, tout a l’air au point. Engager Noni a été ma meilleuredécision. Je pensais mettre en vente des muffins et des bagels préemballés, mais elle a eu l’idéegéniale de faire appel à une boulangerie en centre-ville, qui nous livrera régulièrement. Tout lemonde en sortira gagnant, grâce à Noni, dont j’ai également découvert le secret du merveilleuxbreuvage : elle ajoute de la chicorée aux grains de café, et elle moud le tout. C’est aussi simple queça, et j’envisage d’en faire la spécialité maison, que je baptiserai « Café du capitaine ».

Le tintement familier de la clochette de l’entrée retentit et je me tourne vers le visiteur. Sensationde déjà-vu, il s’agit de Damon, qui se tient dans l’embrasure, illuminé par la lumière du soleilderrière lui. Je me lève pour le rejoindre.

— Salut, toi.Il prend mon visage entre ses mains et m’embrasse avant que je puisse prononcer un mot.— Salut aussi, dis-je avec le sourire.Damon lance un regard à Noni derrière moi.— Noni, tu sais fermer le magasin, je suppose ?Avec un regard ébahi pour mon Grand Mec, Noni acquiesce sans mot dire.— Très bien. Je te vole Joséphine pour le reste de la journée, si ça ne t’ennuie pas.Elle fait signe que non et je ne peux m’empêcher de rire devant le gros clin d’œil qu’elle

m’adresse. Je me hâte d’aller prendre mon sac et de récupérer Hemingway, qui se trouve à sonendroit habituel, sous mon bureau.

— Où allons-nous ?Il ouvre ma portière et j’entre dans sa grosse camionnette.— Tu verras.

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— Ça ne te va pas, comme véhicule. Pourquoi tu prends tout le temps le pick-up ?Je lui ai déjà posé la question avant, mais je n’ai jamais obtenu de réponse franche. Aujourd’hui,

j’ai droit à la vérité.— Les camionnettes sont plus grosses et plus lourdes que des voitures. Elles supportent

beaucoup mieux les chocs.— Oh.Encore un aspect de nos vies qui a été bouleversé par l’accident.Je regarde par la vitre pendant que Damon atteint les abords de la ville, où les maisons et les

bâtiments sont plus espacés. Il emprunte une route et continue sur environ deux kilomètres. J’attendstoujours. Où nous emmène-t-il donc ?

Nous ralentissons à l’approche d’une superbe demeure à deux étages en brique et stuc. Damons’arrête dans l’allée, devant un grand portail en fer forgé. Il descend la vitre et tape un code sur leclavier numérique, déclenchant l’ouverture des grilles. Il me regarde avec ce sourire en coin quej’aime tant. Il avance et se gare dans l’allée circulaire devant l’immense maison. Méfiante, jedemande :

— Qui habite ici ?— Nous.Il ouvre la porte d’un geste léger et saute du pick-up.Sonnée, j’essaie d’imprimer l’information. Il a acheté une… maison ?Damon ouvre ma portière et Hemingway, ravi, bondit à terre pour aller trouver de l’herbe. Je

reste les yeux rivés sur Damon, sous le choc.— Allez, remets-toi.Il me prend par la hanche et me met debout dans l’allée de pierre.La maison mêle le style colonial espagnol, avec sa toiture de tuile ocre, au stuc typique du sud-

ouest des États-Unis. La porte d’entrée, sculptée à la main, est une impressionnante œuvre d’art enacajou massif, dotée d’un heurtoir en fer assorti au portail. Devant, deux hauts piliers de briquesoutiennent une avancée du toit. L’allée circulaire est bordée de sagoutiers, qui encadrent égalementla maison. Elle est magnifique, mais un peu écrasante aussi.

Damon me prend par la main et m’entraîne.— Viens visiter.Il siffle Hemingway, qui monte en courant les marches du perron.Sans voix, je regarde autour de moi. Maintenant, je comprends ce qu’il complotait dans mon dos.

Damon ouvre la porte et nous pénétrons dans une maison entièrement meublée. Je me retourne verslui, bouche bée.

— C’est moi qui me suis chargé de l’aménagement.Je m’en doutais, car l’intérieur ressemble plus à sa chambre et à la bibliothèque qu’au reste du

loft, décoré par une professionnelle de façon beaucoup plus froide. J’approuve dans ma tête endécouvrant qu’il n’y a pas un seul meuble moderne ou design. Les hauts plafonds attirent mon œil enl’air, sur les rampes de spots. Les murs sont couleur sable et le sol est en parquet massif, de la mêmeteinte que les anciennes étagères de la librairie, du temps du capitaine. Petit détail auquel Damon apensé pour moi.

— Oh, Damon, c’est époustouflant.Je crois que j’en pleure même un tout petit peu. Il a fait tout ça pour moi.

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— Viens, je veux te montrer ma partie préférée de la maison, dit-il doucement.Il entrelace ses doigts aux miens et me fait traverser l’immense habitation. Comme une idiote,

j’admire d’un air béat les meubles et la décoration absolument superbes. L’espace d’un instant, jecrois qu’il évoque la cuisine, mais nous passons à côté et poursuivons vers l’arrière de la demeure.

Damon ouvre la porte-fenêtre et m’emmène sur la splendide terrasse, d’où il me désigne unendroit au fond du jardin. Une petite bicoque assortie à la maison, en stuc et toit de tuiles, avec unemême porte à heurtoir. Perplexe, je regarde Damon afin qu’il m’explique.

— C’est pour Gramz, pour qu’elle puisse vivre avec nous. Elle aura son appartement.Stupéfaite, je regarde la dépendance. C’est tout simplement parfait. Gramz sera sur place, je la

verrai tout le temps et nous pourrons prendre nos repas ensemble. Nous pourrons papoter autant quenous le désirons et personne ne pourra plus la voler. Je n’essaie pas de masquer le sourire idiot quinaît sur mon visage. Je n’ai jamais vu mon Grand Mec aussi fier de lui. Son sourire en coin est aurendez-vous, ses yeux de miel que j’aime tant brillent et il a l’air de nager dans le bonheur. J’attrapesa main, regarde nos doigts mêlés en m’efforçant de rassembler mes pensées pour trouver les motsadéquats. Face à moi, il attend.

— Damon, je… je ne sais pas quoi dire. Je ne mérite pas tout ça.Il soulève mes deux mains qu’il noue autour de sa taille afin de m’attirer contre lui. Il entoure

mon visage des siennes, si grandes, et me scrute de ses yeux chaleureux.— Tu mérites tout, tout, tout. Tu es ma raison.— Ta raison de quoi ?— Ma raison de tout faire, Joséphine. Sans toi, je serais perdu. Tu me sauves mille fois dans une

journée, de mille fois différentes, et tu n’en es même pas consciente. Je me souviens d’avoir penséque je voulais devenir « ton quelqu’un » le jour de l’accident. Même à ce moment précis, jesouhaitais être là pour toi. On devrait t’appeler « madame ».

Je fronce les sourcils, parce que je ne vois pas du tout pourquoi il voudrait m’appeler comme çaet je ne saisis pas le rapport avec cette maison magnifique. Il perçoit mon incompréhension etpoursuit :

— Le jour de notre rencontre, quand je t’ai appelée « madame » en entrant dans la librairie, tum’as dit de ne pas m’adresser à toi de cette façon. Pour toi, on n’appelait ainsi que les personnespossédant une stature, un titre ou un mari, me rappelle Damon à toute vitesse. Je veux que tu sois« madame ».

J’absorbe ses mots par chaque cellule de mon corps et m’imprègne de leur signification. C’estvrai qu’il m’avait appelée « madame », au magasin.

— Sois ma femme. Épouse-moi, Joséphine.Il s’agenouille devant moi, un brin anxieux, ce qui me fait fondre complètement.Je l’ai entendu. J’ai vu ses lèvres bouger. Je le vois attendre ma réponse, mais mon cerveau est

bloqué sur la fonction « imbécile heureuse ». Je n’arrive qu’à le dévisager. Mon cœur tambourinetant dans ma poitrine que je suis à bout de souffle, sans rien faire de plus. Je souris si largement quej’en ai mal aux joues. Je relève Damon et me jette à son cou. Il me soulève et me plaque si fort contreson torse ferme que je peux à peine respirer. Je chuchote à son oreille :

— Dis-le encore une fois.Son torse est soulevé par l’hilarité.— Épouse-moi, répète-t-il entre deux rires.

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Je demande :— Encore une fois ?Il me repose sur mes pieds et me regarde avec de grands yeux.— Joséphine, si tu ne me dis pas que tu veux bien te marier avec moi tout de…— Ouiii ! Je veux t’épouser.J’interromps sa menace en l’air par la réponse la plus claire et nette possible.Son rire s’éteint et ses poumons se gonflent.— Je vais te rendre très heureuse, me promet-il d’une voix douce.Promesse familière qui appelle une réponse familière.— Tu me rends déjà très heureuse.Il sourit et me coince une mèche de cheveux derrière l’oreille. Glissant une main dans sa poche,

il en sort une bague d’une beauté hallucinante. J’ouvre la bouche quand il me la présente.— Lis l’inscription.Il me montre l’anneau pour que je regarde l’intérieur de plus près.Mon cœur est avec toi.C’est une partie de la phrase que papa avait fait graver sur la montre offerte à maman. J’aurai

toujours une partie d’eux sur la bague qui symbolise mon union avec Damon. Je ne pourrais demanderplus.

Mon père ne me donnera pas le bras le jour du mariage. Je n’aurai pas de petit discours où ils’émerveille que j’aie tant grandi, mais me prévient que je serai toujours sa petite fille. Je n’ouvriraipas le bal avec lui non plus.

Ma mère ne m’aidera pas à choisir ma robe de mariée. Elle n’admirera pas ma coiffure, monmaquillage le jour J et ne m’accompagnera pas pour décider quelles fleurs décoreront au mieux lasalle.

Ils ne seront pas à mon mariage, mais mon Damon a trouvé une façon pour qu’ils soient présentsau cœur de cette journée, ainsi que de notre vie. Une boule se forme dans ma gorge et des larmes memontent aux yeux, brouillant ma vision. Damon reprend l’anneau dans ma main tremblante, y déposeun baiser puis la retourne pour me passer la bague au doigt. Elle me va comme un gant. Comme sielle avait toujours été là.

— Elle est parfaite. Merci, parviens-je à articuler d’une voix éraillée.Je regarde le bijou, fascinée. Il brille de mille feux à la lumière du soleil. C’est un solitaire

maintenu par six élégantes griffes, et c’est tout moi.Damon recourbe les doigts sous mon menton et me relève la tête pour que je le regarde. Ses yeux

dorés me consument, comme toujours. Il emmêle les doigts dans mes cheveux, se penche sur moi. Jem’humecte les lèvres et il s’empare de ma bouche, affamé, et m’emporte dans un baiser solennel poursceller notre union. Le souffle court, je lui donne ce que j’ai de mieux. Après un deuxième baiser,plus doux, il se détache de moi.

— Bien, puis-je emmener ma belle fiancée fêter ça ?L’accent mis sur mon nouveau titre fait naître encore un sourire débile sur mes lèvres.— Après tout ce qui vient de se passer… (Je désigne les alentours d’un geste, puis pose un

nouveau regard sur ma bague.) Tu devrais arriver à faire de moi ce que tu veux. Je suis au paradis.Il sourit et hausse des sourcils suggestifs. Ah, j’adore mon Grand Mec lubrique.— Partons d’ici.

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De son bras musclé, il me prend par les épaules et nous nous dirigeons vers la porte d’entrée.Comme il s’apprête à fermer derrière nous, mon téléphone se met à sonner dans ma poche. Noni. Ellem’appelle tout le temps ces jours-ci, pour me faire part de ses idées concernant le café. Je saisqu’elle est en effervescence, mais là, ce n’est pas le moment. Laissez-moi sur mon nuage !

— Salut Noni, tout va bien ?Ma voix sonne trop gaie à mes propres oreilles. Peut-être que l’énorme caillou à mon doigt et

la superbe maison y sont pour quelque chose. Je souris encore en y pensant. Noni ne dit rien, aussije reprends :

— Alors, tu as eu une idée de nom pour les viennoiseries ?La pause se prolonge et je commence à m’inquiéter. Il y a un truc qui cloche.— Qu’est-ce qui ne va pas ?— Euh, rien, Jo. J’appelais juste… au sujet de la lettre. Tu m’as dit d’appeler si j’étais prête à

parler. C’est moi, sa mère.C’est un tel choc que je sens le sang se retirer de mon visage. Damon tourne les yeux vers moi et

fait volte-face. Il contracte la mâchoire et commence à grincer des dents. Il faut que je me reprenne,sinon il va comprendre que je lui cache des choses.

— Mais ton nom de famille n’est pas Davis !— Non, c’est une longue histoire. Et je me fais appeler Noni depuis des années. C’est mon

surnom.— Euh, d’accord, ben, c’est pas bien grave. On pourra parler du menu demain matin.Je me concentre pour faire comme si j’avais une conversation de travail tout à fait normale.— Il est à côté de toi, c’est ça ?— Oui, oui.Je donne un coup de pied dans le vide. Comment vais-je empêcher cette histoire de me nuire ? Je

viens de me fiancer, nom de nom ! Hors de question de tout gâcher en laissant Damon découvrir ceque j’ai fait.

— Je suis désolée, Jo.Le remords que j’entends dans la voix de Noni est authentique. Je ne parviens pas à me faire à

l’idée qu’elle, ma Noni, soit Beverly, la mère biologique de Damon.— OK, pas de souci. On verra tout ça. Allez, à demain.Je m’empresse de raccrocher et fourre le téléphone dans ma poche.— C’est Noni ? demande Damon.Le temps d’une seconde, je crois qu’il a compris. Ma bouche s’assèche, mon cœur tambourine

dans ma poitrine et mon estomac se révulse. Je dois mentir. Il n’est pas prêt.— Il y a un problème ?— Elle voulait que je vienne régler certains détails pour le café, mais là, j’ai envie de rester

avec toi. D’oublier tout le reste.Ce n’est pas un pur mensonge. J’ai vraiment envie de rester avec Damon et de tout oublier.

Pourtant, impossible de revenir sur les événements passés. J’ai déjà retrouvé sa mère sans leconsulter.

— Suis-je autorisé à emmener la femme de ma vie en vacances ?Je souris et me détends. Il me reprend par la taille et nous repartons vers son pick-up.— Ma foi, une petite pause loin d’ici ne serait pas de refus.

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Il me relâche pour ouvrir la portière.— Vraiment ?Il me dévisage avec une expression d’incrédulité. Là, je crois que je l’ai stupéfié.— Vraiment.Avec un sourire triomphant, mon Grand Mec referme ma portière et va prendre place au volant. Il

soulève ma main gauche, regarde la bague qu’il vient de me passer au doigt et me regarde avec lesourire le plus doux, le plus craquant et le plus enfantin que j’aie jamais vu sur son visage.

Je sais qu’il mérite de savoir ce que j’ai fait. Moi qui avais toujours cru que si Noni rougissaitdevant Damon, c’était parce qu’elle aimait les petits jeunes ! Je n’aurais jamais imaginé qu’ellepuisse être sa mère. Puis-je le révéler à Damon, alors qu’il commence enfin à aller mieux ? Pour toutdire, nous commençons tous les deux à aller mieux…

Et je ne pense pas que nous soyons au bout de nos peines. À mon avis, je passerai le restant demes jours à remonter la pente, à réparer toutes les parties endommagées de ma vie. Ça ne me dérangepas, et j’espère que Damon peut l’accepter aussi. Comme dit le docteur Versan, c’est permis de nepas se sentir bien. Je suis en plein dedans, et je n’ai plus qu’à espérer, pour nous, que le psy ne setrompe pas. J’ai tellement à perdre. C’est un pari que je ne suis pas sûre de vouloir tenter. Tant pis,j’oublie tout et j’épouse l’amour de ma vie. Je me suis tant battue pour le récupérer… Je ne veux pasrisquer une nouvelle fois de le perdre à cause de son passé.

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Épilogue

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EdwardJe commence à ne plus avoir beaucoup de solutions, et cette pauvre conne fout en l’air mon seul

plan. La petite salope ! C’est ce qu’elle est, et je sais comment m’y prendre avec les petites salopes.Mon téléphone se met à sonner dans la poche de ma chemise et je le sors sans même regarder l’écran.Je sais qu’il doit appeler aujourd’hui.

— Oui.— Bonjour, il faut qu’on parle.Il a l’air sur les nerfs, ce petit con. Il est de plus en plus anxieux, et s’il ne se calme pas, il va tout

foutre en l’air.— Ouais, tu l’as dit. Tu as fait ce que je t’ai dit ?Il pousse un soupir. Mauviette, va. Il n’a rien fait.— Pas encore. Je suis dessus, mais on a des problèmes, là.Ça, c’est pas ce qui va m’étonner. Nous avons toujours des problèmes.— Qu’est-ce qui se passe, maintenant ?— Elle est peut-être au courant. Et ce grand connard avec qui elle est, il me fout la trouille. Il a

l’air fou.— Écoute. Tu as un boulot très simple, et je te paie grassement pour le faire. Si t’en veux pas, je

le file à quelqu’un d’autre. Compris ?— Et la fille ?— Tu t’occupes pas de cette salope, ni de son copain. Je m’en charge. Tu fais ce pour quoi je t’ai

payé !— Bon, d’accord. Je vais le faire.— Bon. Tu me rappelles pas avant d’avoir fini.Je referme mon téléphone d’un coup sec et avale une bonne rasade de whisky. C’est une marque

bas de gamme qui a un goût de pisse de chèvre. En fait, la pisse de chèvre est peut-être meilleure quece truc infâme. J’achèterais bien du bon alcool, mais les temps sont durs et niveau fric, ça tire. Il fautvraiment que je mette la main sur ce pognon, ou je n’aurai même plus à m’inquiéter de la qualité dece que je me mets dans le gosier. Je serai dans le désert, bouffé par les vautours. Il me le faut. Monbon à rien de fils ne veut pas me céder un rond, mais il reste sa mère. Je lui prendrai à elle, et si çamarche pas, ça sortira de la poche de Damon. Faudra que j’y arrive. Ce nul de fils, c’est une erreurdepuis sa conception. Cette pouffe a essayé de tout gâcher en tombant enceinte. Je lui ai montrécomment fermer sa gueule et se tirer. Je peux offrir la même démonstration à la petite salope deDamon.