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Journal du regard

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DU MÊME AUTEUR

aux éditions P.O.L aux éditions Flammarion

Onze romans d'oeil Les Premiers Mots

Treize cases du je Poèmes 1Le 19 octobre 1977 aux éditions Gallimard

La Reconstitution Le Château de Cène

Portrait du Monde André Masson

L'Ombre du double La Chute des temps

Le Syndrome de Gramsci aux éditions Ryoan-JiLa Castration mentale (André Dimanche)

Le Reste du voyage Marseille New York

La Langue d'Anna Trajet de Jan Voss

L'Espace du poème aux éditions Talus d'ApprocheMagritte Le Sens la Sensure

à reparaître La Rencontre avec TatarkaDictionnaire de la Commune aux éditions Unes

URSS aller retour Fables pour ne pas

Olivier Debré Extraits du corps

David Le Lieu des signes

Gericault Vers Henri MichauxMatisse Correspondances (avec Georges

aux éditions Fata Morgana Perros)Une messe blanchee aux éditions StockUne messe blanche

Souvenirs du pâle Le Roman d'Adam et EveSouvenirs du pâtee

Le Double Jeu du tu (en coll. aux éditions Ombresavec Jean Frémon) La Maladie de la chair

D'une main obscure aux éditions du Scorff

Le Château de Hors Site transitoire

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Journal du regard

P.O.L

33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e

Bernard Noël

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© P.O.L éditeur, 1988

ISBN: 2-86744-115-3

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L'idée de l'espace et le compor-tement de l'homme sont toujoursliés. L'homme se réfléchit dans

l'espace et l'espace conçu le fa-çonne en retour.

Olivier Debré

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Parfois, un éclair blanc traverse tout, et l'image dela réalité devient radiographique. C'est une apparition,mais on n'y voit que la chose la plus simple. Exemplela Ruelle de Vermeer. Tout y est si minutieusementexact, qu'on ne comprend pas d'où vient le saisisse-ment, et qu'il persiste. La lumière est intérieure; cetintérieur est dehors. On voit la matière en train de se

penser lumineusement on la voit devenir mentale sanscesser d'être de la matière.

Les images pop sont inscrites dans un présent quin'a de lieu nulle part. Les choses qu'elles représentent

1970

1971

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sont exilées de leur usage et de leur propre nom. Ellesnous signifient que tout ce qui existe est au-delà de nous

que le monde dans ce qu'il a de plus quotidien estnotre au-delà.

Dada pratiquait la dérision, qui est une négationsubtile; le pop art cultive le dérisoire, qui est uneaffirmation déguisée. L'affirmation que la sarabande dela consommation est une danse de mort.

A force de gros plans et d'instantanés, qui mettenten gloire ce que l'artiste d'autrefois aurait traité enaccessoires, le pop art crée un mouvement de panique,qui brouille les proportions, les perspectives, et quiprécipite le regard vers le vide.

1972

Les choses sont-elles sous les mots ? Qu'y fe-raient-elles ? Inutile de les chercher sous leur imageelles n'y sont pas non plus. Mais alors, où est la réalité ?

Et qu'est-ce qu'un lieu ?Qu'est-ce qu'un regard ?

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Mettre en mots consiste à projeter le monde surson intimité mettre en images entraîne à projeter sonintimité sur le monde. Dans le premier cas, on fabriquedu lisible; dans le second, on pense faire un objet visuel,mais lui aussi sera lu.

L'objet écrit est un objet imaginaire l'objet repré-senté par la peinture ou la photographie est, soit unecopie sans intérêt, soit un objet ambigu puisqu'il appar-tient à deux espèces la réalité, où il fut prélevé; lamentalité, qui, en le choisissant, le métamorphosa enelle-même.

L'objet réel ne suscite que son nom, qui le faitoublier l'objet mentalisé retrouve parfois dans l'oeil saréalité.

Le réel se convertit imperceptiblement en visibletout comme le visible se convertit en mental. Le regardles entraîne l'un vers l'autre, tantôt changeant les chosesen signes, tantôt déchirant le tout pour VOIR.

Le regard est l'espace communicant. Il fait del'espace l'élément de la communication. Sa matière.

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1973

Toute forme est sa propre limite ce qui la gonfleest également ce qui pourrait l'excéder. La surface est lelieu où s'équilibre la tension. Le tableau n'existe que s'ilrésout cette contradiction il n'est pas seulement ce qu'ilmontre, mais la poussée contenue d'une énergie il n'estpas achevé, il est un élan vers l'achèvement. Par là, ilséduit le regard et le met dans son jeu, qui est d'éliminerla lecture au profit de la contemplation.

Parce qu'il est à la fois emblème et présence, letableau se comporte davantage comme un corps quecomme un signe.

L'invention du cinéma parlant a peut-être retardél'évolution du langage cinématographique. La parole, leplus souvent, double l'image et empêche de la voir. Onparle au cinéma comme si voir ne suffisait pas. Commesi voir n'articulait pas.

La phrase a une vitesse linéaire, qui est en contra-diction avec la fixité de l'image peinte. L'intensité de lapeinture est liée à son immobilité, alors que l'intensitéde la parole est liée à son déplacement.

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Ce qui bouge dans la peinture, c'est uniquement leregard du spectateur.

Le travail du peintre est le dessous de la peinturecomme la réalité est le dessous du visible. Le travail et

la réalité sont ainsi dissimulés par la visibilité qu'ilscréent.

1974

Le dessin est la nudité du visible il se donne

entièrement à voir, et dans l'instant même se retient

pour indiquer qu'il possède également un dessous, uneintériorité. Un dessin se touche comme une chose, et ilse regarde comme un corps. Le toucher du regard faitlever à sa surface l'imminence d'une apparition, qui vala déchirer. Ce déchirement, qui ne vient pas, fait partiede sa force d'expression. Le dessin émet du désir etn'articule pas du sens, c'est un appelant.

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ton sourire

dans mes yeuxpense ton visage

Graffiti relevé sur un banc Ici, assieds-toi etregarde, mais tant pis pour toi, si tu ne fais que t'asseoir.

1975

L'œil, qui ne lui fait confiance? Nous avons foidans ce que nous voyons. Le regard nous sert de critèrede réalité. Mais ce que nous voyons, le regardons-nousencore ?

Le visible se présente à nous comme une totalitéqui recouvre la fragmentation du monde, qui l'unifie.L'œil ne retrouve la réalité recouverte qu'en fixant l'unde ses fragments.

La peinture propose une surface d'illusion, qui està son propos ce que le visible est à la réalité.

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Voir l'illusion est une manière de penser la limite,car la limite n'est elle-même qu'une illusion dans le jeude la pensée.

Qu'est-ce que le fond dans la peinture, puisqu'iln'est pas un fond mais un recouvrement ? Et qu'est-ceque le fond de la pensée, qui en elle-même n'a pas defond, mais qui, tout de même, se représente bienquelque part ? Montrer le fonctionnement de la penséeconsisterait à détruire sa représentation au profit de sonseul surgissement, mais en quel lieu ? Il faut une surfacevolumineuse, une surface d'illusion.

Dans les années soixante, beaucoup de peintresont employé l'épiscope, qui leur permettait à la foisd'être des manipulateurs d'illusion et des réalistes im-personnels ils travaillaient alors directement avec l'om-bre des objets une ombre qui était la projection de leurvisibilité. A partir des années soixante-dix, la plupart ensont revenus au dessin, qui est la manipulation directed'une ombre mentale.

Les titres transforment les objets peints en objetsd'illusion, mais les mots peints sont eux-mêmes desobjets des objets conceptuels à double fonctionne-ment celui de l'écriture, qui s'adresse à l'imaginaire;celui du visible, qui s'adresse aux yeux.

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Tout objet est un objet visuel. Sa représentation neprélève en lui que sa visibilité aux dépens de sa réalité.Quand le peintre colle un objet réel, il rend sa réalitéreprésentative; alors, la réalité et la représentation seviolent l'une l'autre.

Le ready made conteste aussi violemment sa pro-pre réalité que l'art il trahit les deux.

L'utilisation d'une photographie comme sujet detableau trahit les deux systèmes de représentationtrahison douce-amère dont le charme masque la double

agressivité.

Nos images de la réalité ne sont le plus souvent quedes images d'images, donc des fantômes. Les médiasnous bourrent de ces ombres au nom de l'information,

laquelle n'est ainsi que l'illusion de l'illusion tout en sedonnant pour la réalité.

Qu'est-ce que le sens d'une image ? Tout le visiblepeut devenir image, et l'image entretient avec la réalitéle même rapport qu'entretient le regard. Nous neconnaissons la réalité que sous l'espèce du vu. Cetteressemblance nous satisfait. Après tout, l'objet se définitpar son usage, et nous n'en demandons pas plus àl'image de l'objet. La représentation est un jeu, quifonctionne parfaitement même si nous oublions que la

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mise comporte toute notre relation avec le monde.

Ne suffirait-il pas de changer le nom d'une chosepour en changer l'usage ?

Nous cherchons dans les images une ressemblancequi nous rassure, mais le visible n'est-il pas d'autant plusvisible qu'il nous dérange ?

Il faut que l'Autre soit mon semblable pour que jereconnaisse en lui l'Autre. L'altérité a besoin de l'écran

de la ressemblance.

Que se passe-t-il si ce n'est plus moi qui pense,mais cet objet peint qui me fait penser ? Il y a eu uninstant où la pensée du peintre a pénétré dans l'objetque le peintre représentait mais cet objet était déjà enelle. C'est en quoi la pensée ressemble au visible, et enquoi elle invente aussi le visible, qu'elle fait surgir decette ténèbre en nous où la matière se soulève invisible-

ment vers le jour.

L'œil contient le vu et contient le regard. L'œilréfléchit l'image et il en est la réflexion. Je pense en moi,mais je pense également hors de moi dans un renverse-

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ment perpétuel du dedans et du dehors, du projeté etdu réfléchi, dont le croisement produit cet objet mentall'image.

La peinture est un objet mental qui m'oblige à levoir dans son propre regard, c'est-à-dire à le débarrasserde ses référents pour le voir selon la vision du peintre.Ma pensée entre alors dans ce qui fut pensé en lui.Tâche infinie, car cet objet n'est ni un constat, ni la cléd'une vérité à laquelle il peut me faire accéder. Non, iln'est que lui-même que la trace d'une pensée qui mefait penser.

L'objet mental est un défi, qui nous propose, sousson alibi artistique, la détresse de l'impensable dans lapensée. Mais de cela il se moque aussi, car en tantqu'objet, il renvoie à la réalité, et en tant qu'illusion àla mentalité.

Il s'agit de remonter de l'aspect représentatif del'objet peint à ce qu'il formalise et de là, par une espècede flexion, à une métamorphose, qui ne relève pas de lareprésentation mais de la pensée.

L'écriture, dit Magritte, est une description invisi-ble de la pensée et la peinture en est la descriptionvisible.

L'art de peindre, dit encore Magritte, est un art de

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