Jeudi, Thomas Chabrol est re- · quelqu'un qui vient, on l'emm-ne boire un coup ici, confie Pierre....
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2 SAMEDI 2 JUIN 2018 CENTRE-FRANCE
LE FAITDU JOUR
LE FAITDU JOURSardent a perdu
Creuse
C’était bien, c’était
Séverine Perrier
I ls sont venus, ils sonttous là. Les piliers du zinc comme les autres. Jeudi matin, laporte n’en finit pas de s’ouvrir.Les allersretours du comptoiraux deux grandes tablées n’enfinissent pas non plus. Et entredeux larmichettes de vin, y ades yeux qui sont pas loin des’en remplir. Non, pas ceux deJeanPaul : c’est pas le genre dela maison de montrer qu’on estému. Pas le genre non plus àtrop parler. De toute façon, jeudi matin, il n’a pas le temps. « Jedois encore faire des glaçons.Faut que je serve, regardez, y aencore du monde qui rentre. Etpuis, qu’estce que vous voulezque je vous dise ? ».
Ben, rien JeanPaul. Trois foisrien. Juste finalement ce quevont nous raconter tes clientsqui, à force de pousser la portede chez Bichette, sont devenusdes potes, presque de la famille.Parce que c’est bien pour çaqu’on vient ici : pas tant pour lecafé resté dans son jus que pourl’impression de rentrer chez soi.En se posant sur un des bancsautour d’une des grandes tables.En s’accoudant au zinc, ce fameux zinc qui « vaut une fortune », nous raconte Pierre. Entrinquant avec des gens qu’onconnaissait pas avant d’entrer.Pour parler du temps qu’il fait,du temps qui passe, d’un tempsque les moins de 20 ans…
JeanPierre est de ceuxlà.« J’ai toujours connu, ici. Je venais déjà au bar quand j’allais àl’école primaire. Et je passe icitous les jours, sur le coup des11 heures, en revenant de Guéret. C’est familial. On se connaîtpresque tous. Bien sûr que çame fait un petit pincement aucœur. On va se retrouver avecplus rien à Sardent. » Valérie, elle, ne connaît pas le bistrotdepuis longtemps. El le n’amême pas connu celui qui adonné son nom au lieu, Bichette, le frère de JeanPaul, mort en2015. « Mes grandsparents habitaient Sardent. Ça ne fait quedeux ans que je viens là. J’ai pasété élevée ici. En vieillissant, jeme suis dit que ça serait bien devenir voir à quoi ça ressemble. »
« Chez Bichette, ça faisait partie de notre triangle des Bermudes »
À quoi ça ressemble ce barmythique où les tournées n’ontrien envoyé valser, pas même lapoussière : les vieux cuivres, lesvieilles piles de journaux, lesmurs retapissés de calendriersde camionneurs, de photos,d’annonces, de cartes postales,le vieux poêle et la vieille horloge, massive, plantée, égrenant sans relâche les heures d’un temps presque arrêté. À quoi çaressemble vraiment ce bar qui aplanté le décor dans Le BeauSerge d’un Chabrol voisin mi
Derniers pour la routeLes cuves sont vides, on viendra plus faire le plein chez Bichette. Plusd’essence, plus de petit verre : on ne remet plus ça. Hier matin,Jean-Paul n’a pas ouvert chez Bichette. Mais jusqu’à jeudi soir, lesfidèles, ceux de toujours et les autres, sont venus faire le plein desouvenirs.
Thomas Chabrol : « Ici, c’est du pré-Facebook avec de vrais amis »Évidemment qu’il était là pour leclap de fin chez Bichette : ThomasChabrol n’aurait pas raté ce der-nier jour.
Chez Bichette, c’est presqueune deuxième maison pour lecomédien et réalisateur français. Faut dire que la maison dela famille Chabrol est mitoyenne : « J’ai encore dans la tête lesclacs que faisait la vieille pompeà essence, le matin, que j’entendais de ma chambre. » Et cen’est pas le seul souvenir du filsde Claude Chabrol qui y a tourné là son fameux Beau Sergesorti en 1958. Dans ce bourg où Thomas Chabrol est venu pourla première fois à trois ans« d’abord tous les ans, puis deplus en plus souvent et de plusen plus longtemps, j’ai toujoursentendu parler des relations entre les Peyrot et les Chabrol.Mon grandpère me racontaitque pendant le Front populaire,le grandpère de Bichette etJeanPaul diffusait L’Internatio
nale dans des hautparleurs surla place ! Des petites joyeusetéscomme ça. » Des souvenirs, le
comédien s’en est créé à sontour. En poussant la porte de cebar comme n’importe quel qui
dam du coin. « Chez Bichette,c’est du préFacebook. Maisavec de vrais amis. On connaît
pas forcément les gens mais onest assis à la même table. Ondiscute de tout et de rien. Ilsavaient un truc les frères pourvous faire rentrer : vous venezpour faire le plein, ils vous disent de rentrer pour vous rendrela monnaie et hop, un petitcafé. En fait, on est là pour cinqm i n u t e s e t o n re s t e t o u t el’aprèsmidi. Nous, ça va. Onhabite juste à côté. Il y a justeles trois marches à monter… »
Jeudi, Thomas Chabrol est revenu spécialement pour être dela soirée des au revoir. « C’est leprincipe de la page qui se tourne, confietil. Comme, du jourau lendemain, il n’y a plus eu decirculation dans Sardent. Petit à petit, on coupe tout. » Depuishier, on ne pousse plus la portede chez Bichette. « Un jour,mon fils, quand on parlait deSardent, il avait eu cette phrase :”Sardent, ça sent l’odeur”. »Il manquera désormais un peude cette saveur d’enfance à plusd’un.
EN FAMILLE. Voisin, Thomas Chabrol est un habitué de ce bar où son père a planté le décor du Beau Serge.
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LE FAITDU JOUR
LE FAITDU JOURson petit supplément d'âme
Creuse
chouette chez BichetteC’était bien, c’étaittoyen. « Moi, je venais gamineici. Ça faisait partie de notretr iangle des Bermudes : il yavait trois bistrots dans Sardent,se souvient Cécile, venue pourcette dernière avec une bandede copines. On venait après lefoot pour la troisième mitempsou après les concours de pétanque. Mon grandpère s’était marié ici : à l’époque, ça faisaithôtelrestaurant. » À l’époquedes grandsparents de Bichetteet de JeanPaul.
Comme au siècle dernier, comme à la maison
À quoi ça ressemble ce bar quitient tout ce qui se boit au fraisdans la cave ? Qui aligne sur sesétagères les bouteilles de jus defruits réglementaires mais bienplanquées sous la poussière,comme un pied de nez à cesnormes qui n’ont pas leur placeici. Qui se visite comme un monument. Parce que c’est du patrimoine, ce bar. Du vivant. Del’humain. Du comme on n’enfait plus. Immortalisé dans unChabrol, oui, mais pas que.« Quand on a du monde, onvient systématiquement boireun coup ici, raconte Céline.Tout le monde s’assoit à lamême table. C’est comme ausiècle dernier. » Comme à lamaison. « À chaque fois qu’on aquelqu’un qui vient, on l’emmène boire un coup ici, confiePierre. Des bars comme ça, çan’existe plus. Regardez ce zinc :il y en a que deux en Francecomme ça. Et les cuivres… Jesais pas combien de gens ontdemandé à les acheter. Et cestables, là… C’est une très longue période qui s’achève. Ouais,ça va manquer tout ça. »
Ouais, ça va manquer. Tellement d’ailleurs que jeudi, tout
le monde parle encore au présent sans réveiller la chiennequi dort sur une vieille chaiseprès de la fenêtre. Sauf David,prêt à passer cette histoire aufutur. Ce conteur, débarqué enpays creusois, est venu avec labande de copines. Il découvre :« Je suis heureux d’être tombéce jourlà. À un jour près, jepassais à côté. J’adore. Ça vafaire son chemin dans ma tête.Dans mes contes, j’ai une Madame Billou. Je pense que jepourrais bien la cousiner avecchez Bichette. »
Ouais, ça va manquer. C’estbien pour ça que la lumière abrillé tard ces derniers soirschez Bichette. Et qu’elle pourrait bien s’allumer encore quelques matins, comme ça, sans faire exprès. « J’habite au dessusalors sans doute que le matin,en ouvrant les volets en bas, jevais appuyer machinalementsur le bouton, raconte (enfin) JeanPaul. Mais bon, c’est comme ça. Si j’avais pas eu des petits soucis de santé, sans douteque j’aurais continué. Mais il y amoins de monde, aujourd’hui :les jeunes, ils viennent plus, c’est les ordis et les jeux vidéo.Et puis, bientôt, il y aura les mises aux normes, la caisse enregistreuse et tout le fourbi… »
Jeudi aprèsmidi, JeanPaul aenfin pu se poser. En attendantque la porte n’en finisse plus des’ouvrir une dernière fois. « Oui,ça fait chaud au cœur de voirtous ces gens qui viennent. Çafait plaisir. Mais bon, c’est pasmoi qui ai fait tout ça. Tout lemérite, il en revient à mon frère.Bichette, il tenait le bar avec mamère depuis les années 80. Moi,je suis revenu en 2005 quandnotre mère est morte. Pouraider mon frère. La solidarité familiale. Et quand il est mort, il ya trois ans, j’ai continué. Ensouvenir de lui. » Et jeudi, Bichette, il était bien là, lui aussi.Derrière le comptoir, dans toutes les têtes.
UN DERNIER VERRE. Pour un dernier souvenir : jeudi, les fidèles de chez Bichette sont passés prendre un petitverre de nostalgie. PHOTOS BRUNO BARLIER
Thomas Chabrol : « Ici, c’est du pré-Facebook avec de vrais amis »pas forcément les gens mais onest assis à la même table. Ondiscute de tout et de rien. Ilsavaient un truc les frères pourvous faire rentrer : vous venezpour faire le plein, ils vous disent de rentrer pour vous rendrela monnaie et hop, un petitcafé. En fait, on est là pour cinqm i n u t e s e t o n re s t e t o u t el’aprèsmidi. Nous, ça va. Onhabite juste à côté. Il y a justeles trois marches à monter… »
Jeudi, Thomas Chabrol est revenu spécialement pour être dela soirée des au revoir. « C’est leprincipe de la page qui se tourne, confietil. Comme, du jourau lendemain, il n’y a plus eu decirculation dans Sardent. Petit à petit, on coupe tout. » Depuishier, on ne pousse plus la portede chez Bichette. « Un jour,mon fils, quand on parlait deSardent, il avait eu cette phrase :”Sardent, ça sent l’odeur”. »Il manquera désormais un peude cette saveur d’enfance à plusd’un.
« Surtout,ne touche à rien »« Regardez, ce contrat. L’entreprise portait encore le nom de mon grandpère et c’est mon père qui l’a signé avec le père de JeanPaul et Bichette en 1957. » Michel Picoty n’était pas peu fier de son “cadeau” jeudi matin. Alors que les deux pompes à essence de chez Bichette ont cessé le service la semaine dernière, le PDG de Picoty Avia a retrouvé dans ses archives ce fameux contrat daté de 1957. « Il était signé pour cinq ans. Renouvelable par tacite reconduction. Imaginez combien il y en a eu de tacites reconductions : 61 ans de collaboration ! Je viens de temps en temps ici. Quand on passe devant, on s’arrête. Mais c’était important d’être là aujourd’hui : c’est la mémoire, c’est le respect du poids de l’histoire. C’est un endroit mythique. Il y a eu le tournage de ce film que tout le monde connaît. Il y a aussi le décor. JeanPaul me disait tout à l’heure : “Faudrait que je nettoie…”. Je lui ai dit : “Surtout, touche à rien, laisse comme ça”. »
Ça s’efface pas comme ça, un siècle d’histoire, d’un revers de main sur le zinc. Pas brève, l’histoire de ce comptoir qui n’a jamais plié sous le poids des coudes qui ont trinqué à l’amitié. Qui en a entendu des vertes et des pas mûres au fur et à mesure que les “tu remets ça” se sont étendus à la nuit tombée et que les soifs de confidences se sont épanchées. Sans jamais cafter : ici, les murs n’ont pas d’oreilles. De toute façon, y a pas la place. Gardées au frais, les confidences, comme les bouteilles : à la cave. Jeudi soir, la lumière a dû veiller tard derrière la lourde porte en bois. On a dû remettre ça plus d’une fois pour oublier que c’était la dernière tournée. Trinquer jusqu’à plus soif, histoire de ne pas tourner la page tout de suite. En boire un dernier à la mémoire de Bichette. Et vider les fûts pour faire une ultime fois le plein de souvenirs.
Séverine Perrier
LE BILLET
90 ans et des poussières…
UN DERNIER VERRE.. Pour un dernier souvenir : jeudi, les fidèles de chez Bichette sont passés prendre un petit verre de nostalgie. PHOTOS BRUNO BARLIER