Jerry Lewis est le seul, à Hollywood, à...

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Jerry Lewis est le seul, à Hollywood, à ne

pas tomber dans les catégories et normes

établies." Lorsqu'il écrit cette louange, en

1963, Jean-Luc Godard vient de tourner

Le mépris. Un sentiment que portent,

précisément, les critiques américains au

"génie" vanté par JLG. "Vivre aux États-

Unis, constate l'historien du cinéma David

Thompson, c'est affronter l'incrédulité

des gens quand on leur parle avec sérieux

de Jerry Lewis.

Peu de griefs peuvent être retenus ici

contre les Français qui soient aussi graves

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que leur amour pour lui." Le petit juif de

Newark aurait ainsi vécu sa vie d'artiste

dans l'incompréhension de ses

compatriotes, tandis qu'il serait une valeur

comique prisée de ce côté-ci de

l'Atlantique ? Méfions-nous des

raccourcis, même si la condescendance des

médias new-yorkais pour ses réalisations

accentua la schizophrénie d'un créateur à

la fois primitif et complexe, enfantin et

malin, cool et névrosé.

Né en 1926 dans le New Jersey, Joseph

Levitch observe, dès son plus jeune âge,

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ses parents faire la tournée des cabarets.

Il n'est pas rare que sa mère, Rae

Brodsky, accompagne au piano son père,

Danny Lewis, dans ses numéros de clown et

de vaudeville... loin de leur fils élevé,

pendant ce temps, par mamie Brodsky.

"Toute ma vie, j'ai eu peur d'être seul",

racontera plus tard Jerry. Redoutant

d'être abandonné et désireux d'imiter ses

parents, Joey a 6 ans lorsqu'il monte, pour

la première fois, sur scène afin de

chanter. Cinq ans plus tard, il met au point

un gag avec une amie, lui faisant remuer la

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bouche en play-back sur un disque de

chansons interprétées par des célébrités.

Peu après, Joey quitte l'école et aborde, à

15 ans, le one-man show avec ce même

sketch de pantomime sur de la musique

enregistrée.

Rebaptisé Jerry Lewis, le jeune homme de

17 ans, maigre et rongé par l'ambition,

multiplie les engagements. "Si Jerry avait

du génie pour faire l'idiot, se souviendra

son agent Abby Greshler, c'était aussi un

gamin terrorisé, avec une petite voix haut

perchée. Il avait peur de s'exprimer. En

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faisant un numéro de play-back, il n'était

pas obligé de parler, les disques le

faisaient à sa place." Il est cependant un

domaine où Lewis se surpasse. En 1944,

après une cour effrénée, Jerry épouse

Patti Palmer, chanteuse dans des

orchestres de jazz. Quelque temps plus

tard, le mime en play-back fait une autre

rencontre décisive. Celle d'un crooner qui

ne tarde pas à remplacer le frère qu'il n'a

pas eu.

Fasciné par l'aisance et l'allure de Dean

Martin, Jerry décèle en lui un don

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inexploité: "Il avait un sens de l'humour

qui tombait juste à chaque fois." La paire

improvise, un soir, un numéro d'après-

spectacle, durant lequel les grimaces et le

jeu outré de Lewis s'opposent à la

nonchalance et aux chansons sucrées de

Martin. Ils mettent pourtant deux ans

avant d'exploser en duo, à Atlantic City,

en 1946. "Il suffisait que j'écrive

l'ossature d'un sketch, expliquera Jerry,

et Dean me suivait, personne ne sachant à

partir de quel moment on improvisait! " Au

public enamouré de Martin s'ajoute celui,

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plus enfantin, conquis par les pitreries de

Lewis.

Ayant acquis la protection des

propriétaires mafieux des plus grands

cabarets de la côte Est, Jerry et Dean

séduisent bientôt Hollywood, sans pour

autant faire l'unanimité. "Le Rital est pas

mal, mais qu'est-ce que je fais du singe? ",

demande ainsi Louis B. Mayer à ceux qui le

poussent à les engager. Doublant la MGM,

Hal Wallis fait signer Lewis et Martin à la

Paramount. Alors qu'il tourne Le soldat

récalcitrant, le duo affiche complet dans

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toutes les salles du pays et anime ses

propres shows à la radio et sur NBC.

Installé avec Patti et leurs six fils à Los

Angeles, Lewis partage ses journées entre

un travail acharné et la drague compulsive

de starlettes. "Jerry venait chez nous

moins souvent que Dean, se rappellera le

propriétaire du Ciro's Herman Hover. Il

était impétueux et aimait tirer la

couverture à lui. Tout le monde aimait

Dean et quasiment personne n'appréciait

Jerry. "

Pourtant, si l'affabilité de Martin

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recouvre une profonde indifférence, l'ego

surdimensionné de Lewis n'est que la

traduction d'un besoin insatiable d'être

aimé. Perfectionniste intervenant de plus

en plus dans la production de leurs films,

Jerry devient l'élément dynamique du duo.

Celui, également, qui fait rire le public. Le

déséquilibre s'accentue dans les œuvres

de Frank Tashlin qui permettent au

comique visuel et burlesque de Lewis de

s'exprimer au détriment d'un Martin

chantant, mais réduit aux utilités. Après

Artistes et modèles et Un vrai cinglé de

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cinéma, le tandem s'autodétruit.

Jerry s'affranchit en créant, en 1959, sa

propre maison de production puis en

abordant, après Cendrillon aux grands

pieds, la réalisation. Premier essai et coup

de maître, Le dingue du palace est un

merveilleux hommage au slapstick,

virtuose et abstrait, dans lequel Jerry se

réserve un rôle muet. "Dans leur profusion

même, notera Jacques Lourcelles, les gags

de Lewis produisent une double impression

de plénitude et d'inquiétude." Revenant

pour Le tombeur de ces dames à son

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personnage d'ado frustré, plongé dans

l'univers coloré et criard d'un matriarcat

hystérique, Jerry "fait, selon Jean-Pierre

Coursodon, de sa mise en scène un jeu et

un exercice de pouvoir" et livre une vision

décapante de l'Amérique.

Plus tard, l'artiste s'en défendra: "Je ne

me suis jamais lancé dans la moindre satire

de l'american way of life! " Mais comment

ne pas voir, dans l'expérimental Zinzin

d'Hollywood, un démontage de l'usine à

rêves, le cinéma y étant réduit à sa plus

simple mécanique? Et comment ne pas

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relever, avec Docteur Jerry et Mister

Love, où s'affrontent pulsions et raison,

une critique acerbe du show-biz et d'une

société pratiquant le culte de la jeunesse

et de la beauté ? Que Lewis y parodie

Dean Martin n'empêche pas le public et,

pour une fois, la critique d'adhérer.

Mais après Jerry souffre-douleur, qui

souligne ses désillusions, Lewis amorce un

déclin. Les thèmes de la régression

infantile et de la folie tournent au

procédé. Ses gags perdent en qualité. Et

l'Amérique, plongée dans le drame du

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Vietnam et l'explosion des ghettos, ne

s'accepte plus dans le miroir grimaçant

que lui tend son clown schizo. D'autant que

ce dernier souffre aussi dans sa chair.

Victime, en 1965, d'un tassement des

vertèbres, suite à une cascade sur scène,

Jerry devient accro aux antidouleurs, qui

en font un drogué, et à la rancœur.

L'impossibilité d'achever The Day the

Clown Cried, dans lequel il incarne, avant

Benigni, un clown accompagnant des

enfants dans les chambres à gaz, renforce

sa dépression.

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Lewis traverse les années 70 sans

repères, suicidaire, pour se retrouver

divorcé de Patti, puis remarié. Il ne sait

toujours pas où il en est, tient le cap grâce

au Téléthon, auquel il participe depuis 1951

et dont il devient l'ambassadeur, mais sans

renoncer à tourner quasi simultanément

dans d'affligeantes comédies françaises

et pour Martin Scorsese. La valse des

pantins, face à De Niro, le voit, en clone

glaçant de lui-même, tomber le masque. "Il

y a une grande colère en lui, racontera

Scorsese. Je l'entends encore marmonner:

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"Tu veux être une star? Alors tu en baves

pendant quarante ans ou tu descends dans

la rue abattre quelqu'un de célèbre! "

"Jerry est un dur! "

Il est surtout résistant, alternant

prestations télé, apparitions chez

Seidelman et Kusturica, rechutes de

santé... pour finir par décrocher, en 1995,

le rôle du diable dans Damn Yankees, avec

le plus gros cachet de Broadway. Et si

Lewis avait été plus méconnu

qu'incompris? Le clown en colère de

Newark âgé de 87 ans mais déclarant

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"9 ans d'âge mental", a inspiré des

comiques aussi différents que le Français

Michel Leeb, le Canadien Jim Carrey et,

dans son propre pays, Adam Sandler et les

frères Farrelly. De quoi rendre ce grand

mégalo encore plus schizo...

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A 80 ans, vous voilà maintenant écrivain.

C'est pour vous une manière de faire

défiler votre vie, et d'abord d'évoquer la

mémoire de votre ami Dean Martin, avec

qui vous aviez formé ce duo comique

légendaire.

Ecrire m'a rendu heureux. J'ai vraiment

ouvert mon cœur à chaque page. En

écrivant, j'avais le sentiment que Dean

était à mes côtés, qu'il approuvait ce que

je faisais. Cela a donné à l'enfant qui est

en moi de la force, de la fierté, de

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l'innocence. L'écriture m'a servi de

thérapie. Si je revenais déprimé d'un

spectacle, elle me remettait en selle. J'ai

envoyé mon manuscrit à Elie Wiesel, qui

est un très bon ami, avant de me décider à

le publier. Il m'a dit qu'il y avait retrouvé

ma voix, mon amour, ma souffrance, aussi...

Dean Martin me manque aujourd'hui

autant que lorsque nous nous sommes

séparés il y a cinquante ans.

Pendant dix ans, de 1946 à 1956, votre

duo Martin & Lewis s'est produit sur

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scène, à la radio, à la télévision, au cinéma

J'ai revu récemment quelques sketchs de

l'émission télé Martin & Lewis Colgate

Comedy Hour. C'est surprenant, hilarant,

magique. La comédie, c'est comme le bon

vin: si elle est servie comme il faut, tout le

monde l'apprécie. Quand elle est pure, elle

devient intemporelle. Je crois que Dean et

moi avions cette pureté. Quand nous

sommes passés devant les caméras, après

avoir été ensemble sur scène durant trois

ans, nous étions terrifiés. Je lui ai dit:

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"Continuons à faire ce que nous avons fait

jusqu'ici. Nous avons notre matériau

comique, notre formule. Essayons de nous

en dégager pour nous envoler, mais en cas

de pépin, on peut toujours y revenir." Eh

bien, nous avons toujours décollé! A un

fameux comique de l'époque qui

s'interrogeait sur notre succès, un

serveur a répondu: "On les paie pour qu'ils

s'amusent et pour montrer aux gens qu'ils

s'amusent." Mais il y avait aussi autre

chose: Dean et moi étions constamment

sur la même longueur d'onde, nous nous

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comprenions instinctivement. Dean était

une sorte de pêcheur: il me lançait comme

on lance une ligne. Puis, soit il me ramenait

doucement à lui, soit il me relâchait.

Personne n'a jamais compris qu'il était le

pilier de notre duo. Sans lui, Jerry Lewis

n'aurait été que de la merde! Mais on ne

l'a jamais pris au sérieux. Et cela fut très

dur pour lui. Il était comme un grand frère

que j'aimais encore plus que mon père.

Dean n'a jamais rien dit, il a toujours tout

encaissé. Je savais qu'il se noyait. Lui, il ne

le savait pas, et je ne pouvais rien dire ni

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rien faire.

Votre séparation fut un énorme choc pour

le public des années 1950, mais aussi pour

vous.

Elle était inévitable. Dean et moi étions

d'accord pour arrêter pendant que nous

étions encore debout, au centre de

l'arène, et pas à terre. Nous aurions pu

continuer deux ou trois ans encore, mais le

public aurait vu que nous ne nous amusions

plus. Il y a eu une réunion au sommet avec

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les patrons de toutes les compagnies

associées à notre duo: Paramount, NBC,

Decca, Universal. On valait 300 millions de

dollars, ils voulaient qu'on continue, et on

avait un contrat de huit ans. Dean a dit:

"Regardez mon partenaire. Il y a quelque

chose qu'aucun de vous ne peut

comprendre. Moi, je peux continuer à aller

sur scène avec lui, pas de problème. Mais

lui ne tiendrait pas le coup plus de dix

minutes s'il avait le sentiment de ne plus

être aimé, d'être là juste pour l'argent, et

il vous dirait ce que je vais vous dire: allez

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vous faire foutre!" Voilà ce qu'il a dit! Je

l'aimais. Je ne cesserai jamais de l'aimer,

mais je ne pouvais plus travailler avec lui.

Dean avait la comédie en lui, son sens de

l'humour était extraordinaire, mais c'est

moi qui recevais les ovations. A sa place, je

n'aurais pas tenu cinq jours. Une semaine

avant sa mort - le jour le plus dur de toute

mon existence - il m'a dit: "Je t'aimais

suffisamment pour continuer sans rien

recevoir, juste pour te voir briller..."

[Jerry Lewis se reprend.] Non, il n'y aura

jamais un duo comique qui fera autant rire

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que nous le fîmes. Nous étions simplement

deux hommes qui n'avaient pas peur de

montrer leur affection.

Votre carrière solo a donc démarré après

1956. Vous avez alors fait preuve d'une

passion dévorante pour le cinéma, écrivant,

jouant, réalisant...

C'est l'amour des enfants. Une caméra,

c'est comme une mère. Son ventre, c'est

la bobine. Son vagin, c'est l'objectif. Cela

peut donner un merveilleux bébé. Quand je

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dis: "On tourne!", je sais que ce que ma

caméra capture sera vu à travers le

monde, que des millions d'enfants, du

Japon à l'Argentine, riront. Je les vois

quand je filme. Je vois aussi leurs parents,

et comment je parviens à libérer en eux

l'enfant qu'ils ont été. Lors d'une visite à

Shanghai, 400 enfants m'attendaient à la

sortie de l'avion, et ils disaient: "Jerry

rigolo!" On m'a raconté qu'une mère de

famille avait économisé pour envoyer son

fils me voir au cinéma afin qu'il oublie un

peu qu'il avait faim. De telles choses me

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vont droit au cœur. Comment ne pas y

penser quand je tourne ?

A votre propos, on parle toujours de

"passion", associée à l'humour...

Certains de mes amis, membres du

Congrès, m'ont dit que je devrais me

présenter comme président des Etats-

Unis. J'ai répondu que je faisais déjà de la

comédie et que je ne voulais pas perdre ma

passion, justement. J'ai besoin de cela, je

ne veux pas mentir. Un écrivain anglais a

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écrit: "On n'est pas supposé être un objet

de sacrifice lorsqu'on naît. On est là pour

prendre la vie à pleines dents et donner du

bonheur à ceux qu'on aime." Je suis

toujours très frustré de voir tant de gens

s'interdire de profiter des rites de

passage de l'existence. Dans un ascenseur,

par exemple, tout le monde regarde par

terre. Mais amusez-vous, bon sang ! Moi,

dans cet ascenseur, je les ferais rire... Je

suis comme ça depuis l'âge de 5 ans! Déjà,

enfant, j'étais conscient du bonheur de

faire rire. Quel instrument extraordinaire

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que l'humour !

Vous l'avez préféré à l'école, n'est-ce

pas?

Je détestais l'école. Si je n'avais pas été

un clown, je ne m'en serais jamais sorti.

Grâce à l'humour, je n'avais pas peur

d'être rejeté. Quand j'ai quitté l'école, à

16 ans, j'ai décidé de faire ma propre

éducation. Je suis allé à la rencontre des

gens, j'ai appris à écouter, à regarder. Il

n'y a pas eu un débat télévisé, une opinion

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qui m'ait échappé. J'ai lu tout ce que je

pouvais trouver sur Freud, je l'ai étudié

pendant des années, je pouvais même dire

le numéro de la rue où il habitait. A 25

ans, je pouvais parler avec des gens

extrêmement cultivés. Il fallait que je me

fasse cette éducation...

Vous avez aussi inventé l'assistance vidéo

pendant les tournages, un processus

devenu monnaie courante sur tous les

plateaux. L'aspect technique du cinéma

vous a toujours fasciné.

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J'adore la technique! En regardant les

comiques muets, Charlot, Charlie Chase,

Buster Keaton, je voyais bien qu'ils étaient

limités par la technologie et qu'il leur était

difficile d'élargir le champ de la comédie.

Alors, pendant ma première année à

Hollywood, j'ai tout appris sur ce qui se

fait sur un plateau, j'ai tout étudié, au

point que j'aurais pu prendre n'importe

quel boulot, charger une caméra ou

m'occuper du son. D'ailleurs, pour ne pas

avoir de problèmes, je me suis inscrit au

syndicat des accessoiristes (cela fait

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soixante ans que je paie ma cotisation!).

Quand je fais un film, je suis très préparé,

je travaille énormément en amont. Mais,

sur le plateau, je cherche à créer une

atmosphère de bonne humeur. J'applique

sur mes tournages ce qui faisait

fonctionner le duo Martin & Lewis.

Quels comédiens vous ont-ils inspiré ?

Chaplin! Sans lui, je serais vendeur de

légumes ! Quand j'ai fait l'Olympia en

1970, le Tout-Paris était là: Truffaut,

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Callas, Tati... Le lendemain, j'ai pris un

petit déjeuner avec Géraldine Chaplin. Elle

m'a confié que son père avait assisté au

spectacle, caché dans la cabine des

lumières pour ne pas se faire remarquer.

Il n'avait pas voulu me voler la vedette par

sa présence. Quelle classe! J'en ai eu la

chair de poule. Et puis, il y a Stan Laurel,

bien sûr. Il était tellement brillant! Je

voulais même qu'il travaille avec moi. Son

duo avec Oliver Hardy était similaire à

mon duo avec Dean Martin, et nous en

parlions souvent. Stan créait, tandis

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qu'Ollie jouait au golf. Après la mort

d'Ollie, Stan a dépéri, c'était très

douloureux à voir. Comme moi, lorsque

Dean est mort, j'ai traversé un moment

terrible... Je m'en suis sorti grâce à ma

fille.

Vous êtes arrivé très jeune à Hollywood,

alors en plein âge d'or. Comment avez-vous

vécu cela ?

J'avais une vingtaine d'années et j'allais

être payé des centaines de milliers de

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dollars pour un film ! Dean et moi

travaillions très dur pour protéger notre

duo, notamment des réalisateurs qui

risquaient de ne pas capturer ce qui nous

rendait intéressants. Ça nous a pris deux

ou trois films pour pouvoir faire passer

notre amour à l'écran. Hal Wallis, notre

producteur, m'aimait comme un fils, et en

même temps j'étais son super-ennemi: il

détestait avoir tort. Un jour, il m'a lancé:

"Ça fait quarante ans que je fais des

films!" J'ai rétorqué: "Ça fait peut-être

quarante ans que vous les faites mal !"

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Qu'est-ce que cela avait à voir avec le

talent ? Il était un brillant producteur de

films dramatiques comme Casablanca, mais

nul pour la comédie. J'ai énormément

appris de lui: tout ce qu'il ne faut pas

faire sur un tournage ! Le réalisateur

Frank Tashlin, qui a fait les quatre

derniers films du duo Martin & Lewis, m'a,

lui, beaucoup apporté. Il venait de

l'univers du cartoon, et mes gags ont

toujours été liés à cet univers-là: c'est

vraiment le chat et la souris. J'adorais le

système hollywoodien. On vivait dans un

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monde fermé de glamour étincelant. J'ai

tourné avec des tas d'actrices

fantastiques - je me les suis toutes

tapées! Pendant que Dean regardait des

westerns, moi, boum! La prochaine? Bon,

j'avais 20 ans... Maintenant, à 80, tout ce

que je peux faire, c'est d'essayer de me

souvenir pourquoi je faisais ça...

Tous les films que vous avez réalisés sont

devenus des classiques de la comédie

américaine. Un favori ?

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J'ai une préférence pour Docteur Jerry

et Mister Love. C'est un vrai travail

d'amour. J'avais envie de faire ce film

depuis vingt-cinq ans, depuis le jour où

j'avais vu Fredric March dans Docteur

Jekyll et Mister Hyde. Ce film m'avait

toujours déçu parce qu'on n'y riait pas.

Montrer les deux facettes de l'homme, le

bon et le mauvais, pourquoi cela ne

pouvait-il pas être drôle ? J'ai attendu

vingt-cinq ans avant d'oser toucher à

Robert Louis Stevenson. Mais je l'ai fait.

Bientôt, je vais l'amener sur scène, dans

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une adaptation musicale à Broadway.

Contrairement aux Français, les critiques

américains n'ont jamais voulu voir en vous

un auteur. Pourquoi ?

Les critiques américains sont des snobs.

Ils pensaient qu'ils n'avaient rien de

commun avec le personnage de Jerry. Ce

n'est pas le genre de personnes qu'ils

croisent dans leurs soirées, et ils

détestaient que je leur renvoie cette

image. En France, les gens répondaient

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plus directement à ce qu'ils voyaient. Mais

parfois les Français sont aussi un peu

cinglés! Quand on me dit que telle scène,

dans tel film, vient de la pression que ma

mère mettait sur moi... Bertrand

Tavernier m'a interviewé à la

Cinémathèque française et parlait de

toutes mes phobies ! Oh la la ! Je lui ai dit:

"Mais, Bertrand, si j'aime venir en France,

c'est parce que ici personne ne me fout la

pression !"

Vous avez vraiment une relation privilégiée

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avec la France.

Un éditorialiste du Figaro a écrit que,

lorsque Jerry Lewis venait à Paris, le roi

était de retour ! Pour les Français, pas de

milieu: soit vous êtes Dieu, soit vous êtes

de la merde ! J'ai eu de la chance ! Ma

première à l'Olympia reste un souvenir

extraordinaire. A la fin, la scène était

couverte de cadeaux du public, bouteilles

de vin, pains, bonbons, jambons ! J'ai eu

tellement de rappels, je n'oublierai jamais.

Ça a duré vingt-huit nuits comme ça. Les

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Français savaient que je les aimais et que

j'étais sincère. Avant chaque film, je

venais y faire un saut de quelques jours,

pour avoir mon jambon-fromage, aller

dîner dans mon restaurant favori dans le

XVIe où on se croirait chez papa et

maman. Et puis pour retrouver le portier

de l'InterContinental qui chaque fois me

raconte que, enfant, après le divorce de

ses parents, comme il était suicidaire, le

docteur l'avait envoyé voir un de mes

films, et ça l'avait sauvé. Des histoires

comme ça me touchent toujours. Je viens

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souvent à Paris, juste pour renouveler mon

énergie.

Vous vous produisez encore et toujours

sur scène.

Oui. Sur scène, il faut projeter, plus fort,

plus loin, pour toucher les gens tout en

haut des gradins. Entendre 1 800

personnes unies par un même rire, c'est

comme être emporté par une tornade qui

vous fait vaciller. En ce moment, je

participe à des séminaires où des

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célébrités, comme Rudolph Giuliani, ex-

maire de New York, et Margaret

Thatcher, viennent enseigner

l'automotivation aux gens. J'apparais à la

fin de la journée: j'ai vingt-huit minutes

pour les faire rire et, croyez-moi, je mets

le paquet! Quand je sors de scène, j'ai

l'impression de mesurer 2 mètres! On me

paie beaucoup d'argent pour avoir du bon

temps! Mais, le lendemain, si je donne un

spectacle dans une petite salle pour 100

personnes, j'ai la même passion, je donne

tout. Mon public l'a toujours su. Chaque

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fois que j'entre sur scène, je lui suis

infiniment reconnaissant d'être là. Ma

passion, l'amour de mon métier, c'est ce

qui me différencie de beaucoup de

comiques. Mon père m'avait offert ce

conseil: "Ne termine jamais un spectacle

sans avoir transpiré." Il avait raison: un

comique qui ne transpire pas est un

amateur. J'ai toujours donné mon

maximum à mon public. Et cela fait

soixante-quinze ans que ça dure! En fait,

je suis très égoïste: le spectateur en me

voyant n'aura jamais autant de bonheur

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que j'en ai, moi, sur scène.

Vous avez accumulé les triomphes. Le plus

grand ?

Avoir été nommé pour le prix Nobel de la

paix. On ne peut pas faire mieux, non ?

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Comme Jacques Tati, Jerry Lewis cinéaste

invente sa forme à la fois pour continuer la

voie alternative au réalisme qui fut celle

du burlesque “primitif” et “classique”, et

pour échapper à l’académisme qui menace

univers et procédés du genre. De même

donc que chez Tati, l’originalité portera

sur les éléments fondamentaux du

burlesque : gag et personnage central.

La réflexivité de la forme

cinématographique -cette proposition que

nous fait la modernité de réfléchir notre

rapport au film- s’établit cependant chez

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Lewis autour d’une notion différente de

celle que privilégie Tati. Le cinéaste

français nous demande de prendre

conscience de son comique comme d’une

opération sur l’espace ; l’espace, d’une

part, séparant les éléments du film les uns

des autres (Hulot, par exemple, provoque

les catastrophes à distance et sans rien

faire), l’espace, d’autre part, existant

entre nous et le film (le fait notamment de

devoir écarquiller les yeux et tendre

l’oreille relève du gag). “C’est la distance,

semble donc nous dire Tati, parce qu’elle

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oblige le regard ou les choses à observer

une trajectoire, qui est une condition

importante du rire.”

Jerry Lewis, lui, travaille et joue avec le

temps.

Une première opération de Jerry Lewis

sera la suppression de l’histoire et de

l’intrigue. The Bellboy(1960), sa première

réalisation, se présente ainsi comme une

suite de gags mis bout à bout, gags qui

n’entretiennent entre eux aucune relation

de complémentarité des situations

comiques, mais qui produisent à chaque

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fois l’effet d’un recommencement de

l’action. Stanley, le groom de l’hôtel

(Jerry), agit jusqu’à ce qu’il ait gag, puis

réapparait dans le plan suivant au cœur

d’un contexte entièrement nouveau, lequel

se soldera à son tour par un dénouement

comique. L’évacuation du récit dramatique,

ici, ne nécessite plus la constitution

préliminaire d’un monde suturé que le gag

alors viendrait interrompre ; elle est

immédiate, accomplie, produite par un

temps et un espace articulés selon la seule

nécessité de la mise en place du gag.

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Curieusement proche du dessin animé (à

l’exemple d’un Tex Avery), ce refus de la

transition, du raccord entre les séquences

marque la volonté de ne plus produire le

rire burlesque dans la dépendance d’une

déstabilisation du réalisme. Le film,

précisément, cherche moins à provoquer

ce mouvement brutal et répété de

l’identification au monde à la distanciation,

qu’à fonctionner comme une mise à plat -

une présentation- des logiques

antagonistes qu’il contient. Le réalisme y

vaut comme idée et non plus comme

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sensation, il est l’idée d’une organisation

rationnelle des choses (la “toile de fond”

que constitue par exemple l’hôtel de The

Bellboy) et est ainsi désigné par le

cinéaste comme modèle esthétique, mis en

référence. Face à lui, bien sûr, est le gag ;

mais ce dernier, à son tour, tend moins à

exister par la drôlerie de la chute que par

l’enchaînement de ses instances, par le

mouvement qu’il imprime aux choses.

Une seconde opération du cinéaste, en

effet, portera sur le gag lui-même.

L’inachèvement du gag lewisien, cependant,

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ne se traduira plus par l’amorce d’une

situation visuelle (c’est-à-dire une

organisation donnée de l’espace du film)

que nous viendrions compléter, mais par le

recours à l’ellipse. R. Benayoun résume

ainsi : “considérant d’emblée que tout gag

a déjà été exploité une fois au moins,

Jerry décide de nous faire deviner les

siens. Tout se passe en coulisse, et nous

voyons seulement l’avant suivi de l’après.”

Il devient plus intéressant, ainsi, de suivre

pas-à-pas Stanley recevant cet ordre de

monter les bagages d’une touriste dans sa

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chambre, découvrant alors que le coffre

arrière de sa Dauphine contient un

moteur, sonnant enfin à la porte de la

chambre et remettant ledit moteur dans

les bras de sa propriétaire ; plutôt que

restreindre l’attention à l’événement final

de la séquence. On remarque alors que la

construction du gag laisse volontairement

dans l’ombre une grande part de l’action,

celle précisément qui nous montrerait le

groom enlevant le moteur du coffre et le

montant à l’étage. La séquence fait donc

l’économie de la phase de développement,

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puisque nous passons directement de

l’exposé de la situation à la chute. Le gag,

malgré cela, fonctionne. Mieux : le fait

d’escamoter de l’espace et du temps crée

un effet de montage dynamique qui

renforce notre surprise devant la chute.

En retour, ce qui s’est nécessairement

passé entre le rez-de-chaussée et l’étage,

et que nous n’avons pas vu, reste à

inventer : n’est-ce pas au spectateur qu’il

revient de combler ce vide ? Ainsi, le gag

de Lewis est comique par ce qu’il nous

montre… et ce qu’il nous laisse imaginer. Il

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n’est pas possible, semble-t-il nous dire,

qu’une chute aussi extravagante ne soit

précédée hors-champ d’une série de

catastrophes et de situations tout aussi

risibles.

La réflexivité du cinéma de Lewis, ainsi,

s’établit autour d’une mise à distance du

gag. Le cinéaste nous demande au fond de

relativiser notre attrait pour les chutes

“efficaces” et de prendre goût, en retour,

à la poésie d’un procédé. Cela revient à

dire, de même finalement que pour Tati,

que nous prendrons plaisir devant une

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situation pourvu que nous y mêlions notre

propre fantaisie, notre attrait pour

l’invention et le jeu. Lewis nous renvoie en

cela à notre capacité à nous étonner, à la

fois devant les choses figurant à l’écran et

les libertés qui peuvent être prises en

cinéma : c’est en fonction de cette idée,

dès lors, que s’élaborera son univers.

On rejoint en fait la modernité d’un Tati :

la forme burlesque se définit moins par le

comblement de l’attente du comique que

par ce qu’elle autorise. Le gag, à la limite, y

prend la valeur d’un motif exemplaire et

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refuse de limiter le rire à sa propre

sphère. Il se contente de livrer en images,

en rythmes, sa vision saugrenue du

monde… sans parfois même fonctionner

réellement sur le plan de la tonalité

comique. Cela explique le fait que certains

gags se permettent de tomber à plat, de

faire de leur chute une demi-surprise, à la

limite de la déception : le comique du non-

sens est en partie laissé à l’initiative du

spectateur, il est souvent celui que l’on ira

chercher dans la contradiction entre les

faits que suppose l’ellipse, et l’innocence, la

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facilité feintes par la chute.

L’extravagance qu’il est tentant de

reprocher au cinéaste, du coup, s’estompe

si l’on y voie autre chose qu’une volonté de

divertir. Son univers, en basculant dans

l’irréalisme, bascule en quelque sorte dans

un autre “temps”, que l’on pourrait

qualifier de féerique. Quand le groom

prend une photo de l’hôtel au flash et

change du même coup la nuit en jour, c’est

probablement l’effet visuel obtenu grâce

au montage qui crée l’émotion, car il est

une utilisation surprenante de la lumière,

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et un bouleversement radical de notre

notion du temps. Y-aurait-il un intérêt, par

ailleurs, à rendre vraisemblable le gag des

armures vides qui s’animent comme par

miracle après être tombées à terre (The

Errand Boy, 1961) ? Le merveilleux

lewisien est donc particulier : il ne se

développe pas à partir d’événements

extraordinaires rendus crédibles, donnés

comme naturels, mais est articulé au fait

que le spectateur conserve toujours le

sentiment d’assister à un film… ou mieux,

d’approcher le cinéma comme une réalité

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singulière.

Au recours à l’ellipse répondront

également d’autres procédés d’exploitation

comique de la manipulation temporelle. Le

plus remarquable est probablement le

“slow-burn”, forme particulière dont les

productions Hal Roach et surtout Laurel

et Hardy s’étaient fait une spécialité. Elle

consiste à se placer à l’échelle de la

séquence pour aggraver une situation

initiale par une succession d’événements

catastrophiques, et ce jusqu’à son

explosion finale. Pratiquement, cela

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revient à espacer chaque action d’un temps

de relâche, un temps “mort” pendant lequel

la tension monte d’un cran. Le slow-burn le

plus connu de Lewis est certainement celui

de The Ladies’ Man (1961), où l’on assiste à

la destruction progressive par Herbert

(Jerry) du chapeau d’un gangster

menaçant. Le comique existe ici entre

chaque tentative faite par Herbert pour

ajuster le couvre-chef sur la tête de son

propriétaire : le gangster, parce qu’il ne

fait rien d’autre que contenir une rage

grandissante, nous permet de prendre

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conscience que ce qui est drôle est non pas

l’acte destructeur en lui-même, mais la

possibilité qui nous est donnée de prendre

toute la mesure, après-coup et posément,

de l’étendue des dégâts.

Fréquemment, enfin, le cinéaste fait

reposer le gag sur le principe d’un décalage

entre le temps de l’action et le temps de

sa conséquence. Dans le même film, le

technicien du son de l’équipe de télévision

hurle dans le micro relié aux écouteurs

que porte Herbert. Ce dernier ne cille pas,

retire son casque pour faire quelques pas

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en souriant… puis s’écroule soudain,

tétanisé.

Jerry Lewis nous rappelle sans cesse son

appartenance à Hollywood. Alors que nous

attendons volontiers de son burlesque le

registre d’une franche satire, son rapport

au symbole du cinéma américain reste

ambigu, mêlant affinités et distance.

Ainsi, outre ce sentiment d’assister

parfois au numéro de music-hall d’un

simple amuseur public, les films de Lewis

produisent en particulier cette impression

dérangeante -et agaçante- qu’une idéologie

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typiquement américaine, moralisatrice,

vient se mêler au genre. C’est à cette idée

que renvoient, du moins, ces moments où le

personnage brise le rythme et la gratuité

de son comportement extravagant pour se

tourner vers nous dans un appel aux bons

sentiments et à l’indulgence.

“Personne ne m’a jamais demandé de

parler”, explique le groom de The Bellboy

quand on lui demande enfin les raisons de

son silence tout au long du film. La

confession de Morty, dans The Errand

Boy, est plus douloureuse encore : le

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personnage avoue à une gentille

marionnette qu’il ne peut se résoudre à

assumer sans remords la tâche méprisable

que lui ont confiée les producteurs de la

“Paramutual”, à savoir espionner les

studios et signaler les raisons de leur

faible productivité (c’est-à-dire dénoncer

les personnes). Mais c’est avec The Nutty

Professor (1963), cependant, que l’on

entre réellement dans les principes et la

sentimentalité de l’esthétique réaliste. La

métamorphose finale de Buddy Love en

professeur Kelp s’accomplit devant tous

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les personnages du film, révélation visuelle

de la supercherie accompagnée d’un

discours où Kelp avoue ses fautes et

promet de ne plus jamais se dédoubler.

C’est le moment, précisément, où notre

identification au personnage devient

possible, car ce dernier s’humanise en

s’assumant tel qu’il est et en tirant un

trait sur le mensonge.

Ces transgressions du fantasque de

l’acteur, malgré tout, ne réussissent pas

tout à fait à infirmer le registre comique

vers un propos plus grave et émouvant. Le

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pathétique et le comique restent en

réalité disjoints dans le temps plutôt

qu’intimement mêlés, comme chez un

Chaplin, dans une même action. Jerry

Lewis aurait beau, autrement dit, opérer

des revirements abrupts du rire vers la

morale, la folie de son jeu d’acteur n’en

resterait pas moins intacte : hormis le cas

de The Nutty Professor (où le thème de la

dualité, parce qu’il est justement le

moteur de l’intrigue dramatique, installe le

film dans la logique du discours final), le

message reste toujours clos sur lui-même,

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sans prise convaincante sur l’exubérance

burlesque du personnage. Mais plus encore

: cette juxtaposition du mélodramatique et

du comique produit l’effet inverse d’un

rapprochement en pensée des deux pôles.

L’un et l’autre sont si appuyés, si

fortement délimités par leur registre

respectif, que l’idée de l’inconciliable

l’emporte finalement sur celle de la fusion.

Le résultat est celui du grotesque, comme

le relève L. Skorecki : “Ce n’est pas la

grimace qui est sublime, ni le discours

maladroitement pieux, c’est l’entre-deux :

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l’obscénité radicale qui lie deux

balbutiements hétérogènes, l’effet de

non-sens assumé jusqu’au délire, le clivage

revendiqué comme esthétique de dernière

instance.”

Alors, de même que le discours se

présente comme discours, dans l’évidence

d’un didactisme ne pouvant que susciter la

distance, Jerry Lewis s’attachera à

montrer le cinéma sous son aspect

artificiel. En nous révélant “l’envers du

décor”, le cinéaste démystifie Hollywood :

The Errand Boy nous fait visiter l’univers

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des studios jusqu’à son centre de gravité,

la salle de réunion des producteurs. Le

cinéma apparaît alors comme une industrie

dont les dirigeants sont motivés -et

aveuglés- par la seule recherche du profit.

Il est certain que cela n’a rien de

surprenant… mais le propos du cinéaste

est ailleurs, dans le nouvel écart

perceptible, cette fois-ci, entre la voie

inventive, originale qu’emprunte son

registre et un système hollywoodien

faisant du film un produit, conduisant le

cinéma vers son uniformisation. Quand J.

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Lewis, ainsi, semble revendiquer le terrain

du cinéma-spectacle par des

considérations plutôt commerciales -”le

décor doit être de couleur vive, être

luxueux, beau et vaste, et valoir le prix du

ticket”, c’est bien de la survie de l’Art qu’il

parle- de manière certes inavouée : “si l’on

ne sauvegarde pas la magie de Hollywood,

nous n’aurons bientôt plus d’industrie

cinématographique.” Il ne s’agit donc pas

de détruire le réalisme (l’académisme s’en

charge !) mais bien de faire du

bouleversement de ses règles la condition

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d’un art comique. Le luxe et la

magnificence que l’on rencontre parfois

chez Lewis cessent en effet d’être le fait

d’un réalisme à la recherche d’un

supplément de séduction (à l’exemple du

“grand-spectacle”). Ils s’intègrent au

contraire dans le processus burlesque lui-

même : l’intérieur de la pension de The

Ladies’ Man, en particulier, surprend

autant par sa somptuosité (dimensions

impressionnantes, architecture

recherchée, dynamisme des couleurs,

etc…) que par le fait de se présenter

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explicitement … comme un décor de

cinéma. Les étages et les chambres de la

pension nous sont en effet montrés en un

seul plan d’ensemble et en coupe. Ne nous

sentons-nous pas au coeur d’un studio, et

non dans une demeure réelle ? Le comique

se construira alors à partir de l’irréalisme

des lieux : il exploitera l’espace en jouant

sur son morcellement, tantôt s’appuyant

sur l’insolite d’une vision globale (nous

voyons toutes les chambres, leurs

locataires, donc des situations se

développant en parallèle), tantôt en se

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rapprochant de l’action pour considérer

chaque pièce comme une configuration

nouvelle qui apporte son lot de surprises

et de gags (un jeu, plus précisément, entre

le champ et le hors-champ).

Il faut avant tout, sur la question des

personnages burlesques interprétés par

Jerry Lewis, faire un sort à la

problématique spéculative du

dédoublement de la personnalité. « Comme

thème, le dédoublement se suffit à lui-

même, écrit J. L. Comolli : il est tout

ensemble son énoncé, son exemple, son

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énumération ; l’analyser de surcroît, c’est

vite se livrer au piège de ses doubles

parois, renchérir sur la cascade. Ainsi, l’on

aura tout et rien dit en établissant états

ou passages de l’un au double dans The

Nutty Professor, de la multiplication des

oncles dans The Family Jewels » »). Il y a

une différence importante, autrement dit,

entre le cinéaste/acteur qui conçoit et

réalise le film, et les nombreux Jerry qui

peuplent la fiction, ces derniers ne créant

la confusion qu’entre eux seuls, dans les

limites de cette fiction, en

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s’affranchissant de tout symbolisme du

Double entre l’auteur réel et ses

créatures. La multiplication doit par

ailleurs être prise comme une dynamique

du comique, comme une liberté proprement

cinématographique. C’est cette idée que le

burlesque peut se permettre de donner

corps, de représenter très simplement sa

vision du monde, qui nous intéresse : les

personnages se répartissent en deux

ensembles relativement bien délimités, l’un

étant placé sous le signe de la figure

burlesque de l’inadapté, l’autre faisant agir

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-mais toujours comme personnage de

fiction- le Jerry Lewis du “star-system”,

le personnage public et populaire

forcément fabriqué par l’artiste.

L’esthétique de Lewis se caractérise une

nouvelle fois par le partage entre deux

pôles, chacun s’appropriant une part de

comique et la faisant évoluer de film en

film selon ses propres lois.

Si le cinéaste, avec The Bellboy, tourne

franchement en dérision le Jerry Lewis

adulé par les foules, il confronte avec The

Errand Boy la star et l’inadapté d’une

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façon nettement plus troublante. Morty,

enfin reconnu et fêté par ses pairs, tombe

nez-à-nez avec Jerry le minable colleur

d’affiches du début du film : n’est-il pas

soudainement rappelé à la difficile

condition qui était la sienne ? Lequel des

deux, finalement, remporte notre

sympathie ? Il fallait cependant que le

vedettariat soit décrit dans tout son

cynisme, qu’il se synthétise dans un

personnage qui en serait l’emblème : ce

sera l’inquiétant Buddy Love de The Nutty

Professor, aboutissement de la bêtise, du

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mépris de l’Autre, mais également de

l’aliénation du public (dans le film, la

jeunesse). L’existence de Love est une

étape importante : elle termine, d’une

part, le processus entamé dans les films

précédents, la réalisation de ce que le

thème de la star contenait en substance ;

elle ouvre l’œuvre ultérieure d’autre part,

sur une clarification importante, sur le

fossé désormais perceptibles entre les

réapparitions de Love et celles du (ou des)

Jerry cher(s) à l’auteur. Le cinéaste a

donc fini par se désolidariser

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définitivement du jeu de la domination du

public par la séduction, en rejetant cette

dernière dans un archétype solide, au

besoin réaliste, mais foncièrement

négatif. On le retrouvera ainsi avec le

clown de cirque de The Family Jewels

(1965) qui méprise les enfants et leur

préfère l’argent, ou à travers le

milliardaire de Which Way to the Front ?

(1970), qui mène un projet mlitaire.

The Nutty Professor est également

passage d’un personnage burlesque à

l’autre, un film-bilan où Kelp, au fond,

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prend la parole au nom de tous ses

prédécesseurs : il n’y aura plus de

tentative de changer de masque pour être

aimé mais une revendication, désormais, de

l’être différent.

Ce registre de l’inadapté, avant The Nutty

Professor, aura marqué intensément le

spectateur. On retiendra de cette période

une première caractéristique du

personnage.

“Tout ce que je fais finalement, dit Lewis,

c’est tendre un miroir aux gens et me

montrer dans des situations où ils peuvent

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se sentir supérieurs”. Jerry, par sa

loufoquerie, par un comportement qui

atteint les limites de l’acceptable dans le

domaine du jeu d’acteur (les grimaces), est

bien une figure intolérable pour

l’identification. Son immaturité, tant

devant ses semblables que devant l’amour,

est difficile à partager ; elle est la cause

de notre rapport problématique à la

principale source de comique du film, le

personnage central. Or, c’est à partir de

cette immaturité qui nous met à distance

de Jerry que le cinéaste favorise une plus

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grande réflexivité. Nous sommes en effet

rapidement amenés, par l’inégalité de

notre rapport au personnage, à prendre

conscience d’une position plutôt

embarrassante : notre supériorité est

analogue à celle que ne cesse de subir le

personnage, dans la fiction, de la part de

son entourage. Et l’écart de la norme, chez

Lewis, est l’objet d’une répression féroce.

Il est ainsi fréquent que Jerry ne puisse

placer un mot d’explication à son

interlocuteur, alors que celui-ci le noie de

menaces, voire d’injures, en raison d’une

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maladresse quelconque. “L’isolement du

personnage -écrit J. L. Leutrat- concerne

aussi la parole, instrument courant de

communication, qui lui manque totalement

dans The Bellboy où il ne sait que siffler.

[…] De plus, les autres l’empêchent de

s’exprimer en l’interrompant, d’où ces

innombrables mimiques qui le montrent

prêt à parler”. La peur et la rancœur

qu’éprouve Herbert envers les femmes et

qui nous font rire (The Ladies’ Man),

renvoient, elles, au matriarcat et à la

misogynie que l’on trouve dans la société

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américaine. Le personnage n’exprime qu’un

jugement fondé sur une confortable image

négative (sa fiancée l’a trahi au début du

film), dans laquelle il se complaît d’une

manière toute adolescente Les demoiselles

du pensionnat sont tout au contraire

sympathiques, peut-être malicieuses, mais

au bout du compte sincères et naturelles.

Le professeur Kelp, enfin, sera la négation

vivante du culte de la beauté, de la force

et de la réussite qui domine l’université

américaine : il est “l’intellectuel américain

brimé et ridiculisé, que maltraitent les

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sportifs, et dont le génie est matière à

plaisenteries perpétuelles”.

Une seconde caractéristique importante

du personnage est sa rupture avec

l’immuabilité de la figure burlesque

traditionnelle : à l’intérieur de chaque film

comme sur l’ensemble de l’œuvre, la

logique de Jerry est celle d’une

transformation. Celle-ci, bien sûr, et dans

la mesure où les normes du réalisme nous

restent séduisantes, est espérée de notre

part. Mais l’évolution vers la maturité

prend chez Lewis un tour subversif : elle

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se présente comme conquête personnelle

du protagoniste et, au delà, comme

décision arbitraire du cinéaste. Quand

Herbert entre dans la chambre interdite

et tombe nez-à-nez avec une mystérieuse

femme-panthère qui évolue au plafond, sa

réaction sera de dépasser la peur pour

communier dans la danse, d’abandonner sa

gaucherie pour s’ouvrir avec brio et grâce

à sa partenaire, de s’accomplir enfin… mais

sans que cela ressemble au règlement

d’une dette envers le spectateur. En

d’autres termes, le jeune homme

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incapable, raté, comique par là-même,

grandit seul contre toute attente, et nous

force à nous interroger. N’était-il pas

commode pour nous de rire d’un pitre ?

Rassurant que ce dernier soit

radicalement anormal pour que nous nous

sentions relativement dans la norme ?

Jerry Lewis ne se contente donc pas de

camper l’immaturité américaine, il la

confronte à l’idée contraire, celle de l’être

adulte.

La modernité de son personnage -c’est-à-

dire l’originalité de son caractère

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subversif- découle de son attitude

paradoxale : l’inadapté nous fait rire tout

en nous affirmant qu’il faut grandir. C’est

en réalité moins la maturité en soi qui

importe que ce qui se sera dégagé

auparavant du comportement de Jerry :

l’idée de processus.

Du Stanley muet et sifflotant (The

Bellboy) à Herbert conquérant la parole

(The Ladies’ Man), de la misogynie

adolescente d’Herbert au soudain intérêt

de Morty pour les femmes (The Errand

Boy), de la reconnaissance des capacités

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de Morty au professeur Kelp socialement

installé, le personnage burlesque de Lewis

est une figure comique de plus en plus

autonome. Libéré du vedettariat (Love), il

sera autorisé avec The Family Jewels à se

multiplier et à conduire à travers les

oncles de la petite fille Donna Deyton, un

comique sans retenue. Cette émancipation

donne dans le même temps naissance à un

nouveau type de personnage : Willard,

chauffeur de Donna, sous les traits non

grimés de Lewis. Visiblement seul et amer

il rappelle les accès d’humanisme et de

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gravité auxquels nous avait habitué le

cinéaste. La nouveauté, cependant, est qu’il

conserve devant les événements du film

une certaine neutralité, qu’il se garde de

tout discours sur le monde. Sa mélancolie

n’ayant d’égal que son amour pour l’enfant,

il la transporte d’un oncle à l’autre afin

qu’elle choisisse son père adoptif. Le

cynique clown manquant seul à la réunion

familiale (il a, en quelque sorte, déserté

l’univers comique), Willard revêtira sa

défroque afin que Donna ait le droit de le

choisir : elle ne s’y trompera pas.

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Willard est figure du cinéaste. Son

rapport à Donna est analogue à celui de

Jerry Lewis (créateur) à nous mêmes

(spectateurs) : il met sa protégée en

présence de ses oncles comme s’il

s’agissait de visiter le cinéma burlesque.

Première réflexivité du procédé : Willard,

organisateur des rencontres de Donna, est

un cinéaste qui reste en dehors de

l’univers comique des oncles. Lewis défend

ici sa conception de créateur burlesque :

c’est bien avec le spectateur qu’il noue une

relation, non avec ses créatures. Il ne se

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confond pas avec elles et nous interroge

en retour : envisagez-vous l’univers

burlesque en faisant abstraction de la

personne du cinéaste ? L’adoption de

Willard par Donna est alors un second

point de réflexivité. Il faut, afin de

rendre l’adoption possible, que le

chauffeur prenne le risque de se déguiser

en l’oncle clown honni par Donna.

Le cinéaste, autrement dit, réclame notre

amour en retour du sien au risque d’être

confondu avec la star comique bien connue

du public. Saurons-nous voir en lui celui qui

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invente son univers pour le partager à

égalité avec le spectateur ?

Hardly Working (1979) reprend cette

figure de l’artiste clown faisant

sincèrement son métier et qui désigne, au

fond, le cinéaste. Mais la situation est

autrement plus grave : le clown a, cette

fois, effectivement perdu ses spectateurs

et se retrouve au chômage. Il sera comme

Willard une liaison entre les divers emplois

occupés le temps d’un sketch, contrastant

leur comique débridé (séquence délirante

du cuisinier japonais, par exemple) par le

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temps de la solitude.

Smorgasbord (1983), dernière réalisation

où Jerry Lewis se met en scène, est cette

fois plus déroutant que réellement

comique, et est au fond un film plutôt

pessimiste. Pour S. Daney, ”nous sommes,

dès les premières images du film (les

suicides ratés) dans un monde où tout,

ostensiblement, est devenu symptôme.”

Le personnage traîne en effet son

inadaptation comme une réelle pathologie,

une souffrance (traitée de manière

comique) qui le conduit au divan du

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psychiatre.

Construit comme une suite de sketches -

un décousu qui renvoie à The Bellboy- le

film laisse une impression de vide, un vide

qui s’installe en retour de gags “énumérés”

par le cinéaste, “exécutés” par l’acteur, et

qui mêlent à leur tonalité comique une

certaine angoisse. Reste en revanche une

note d’espoir, à travers la réconciliation

finale du film : Jerry, guéri, peut enfin

rencontrer une femme en étant

visiblement son égal, et partir en formant

avec elle un véritable couple.

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Smorgasbord est au fond symptomatique

d’une Amérique vide de sens… ou n’en

comportant plus qu’un, celui qui fonde

l’incompréhension que le public voue

désormais à l’artiste. La file d’attente d’un

cinéma se désagrège lorsqu’il lui raconte

son propre film, Smorgasbord, puis c’est

un public massif -et non des spectateurs-

qui accourt quand Jerry clame soudain que

son film correspond aux critères les plus

racoleurs du cinéma commercial (tout ce

que Smorgasbord, justement, refuse) :

séduction par le sexe, la violence, le luxe,

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l’action, etc…

“Qu’est devenu le cinéma hollywoodien ?”

demande finalement le film. Pour son

auteur, le compromis que réalisait son

personnage entre le comique public

(l’amuseur, si l’on veut) et le portrait

implicite et moins flatteur d’un “pur

produit de son époque”, n’est plus viable.

La silhouette adulte de la fin de

Smorgasbord est à l’image d’un ultime

règlement de comptes entre celui qui joue

l’inadapté et une société n’acceptant

décidément pas l’individu sortant de la

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norme.

C’est encore seul, sans concession, que

Jerry Lewis quitte la folie et le comique

pour les faire endosser au psychiatre, qu’il

abandonne également la foule qui se rue au

cinéma.

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Cinq films du début des années 60, dont

quatre réalisés par lui-même, édités en

DVD : la bombe Jerry Lewis est lâchée.

Cible double : le public français, qui a

perdu l'habitude d'admirer le génie

comique de ce grand enfant aux grimaces

ahurissantes ; ensuite, les Américains qui

détestent le cinglé du New Jersey autant

que nous l'avons aimé.

Pour faire le point sur ce désaccord

profond, on peut se plonger dans Inventing

Jerry Lewis. L'auteur, Frank Krutnick,

professeur d'études filmiques à l'institut

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Rockampton de Londres, y avoue d'abord

combien il lui fut difficile de trouver un

éditeur. Un contrat passé avec une maison

londonienne a été annulé par la direction

new-yorkaise qui ne supportait pas d'être

associée à un ouvrage sur cet «idiot».

Krutnick se rappelle alors ce que David

Thompson, Britannique de San Francisco,

admirateur comme lui de Jerry le cinoque,

écrit dans son dictionnaire du cinéma :

«Vivre aux Etats-Unis, c'est affronter

l'incrédulité des gens quand on leur parle

avec sérieux de Jerry Lewis. Peu de griefs

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peuvent être retenus ici contre les

Français qui soient aussi graves que leur

amour pour lui.»

Culte. Au temps du Dingue du palace,

Positif et les Cahiers du cinéma, qui

s'étripaient sur tous les autres sujets -

Rossellini, Hitchcock, la nouvelle vague -

communiaient dans le culte de Jerry.

Roger Tailleur évoquait dans Positif le

«grimacier génial» ; Robert Benayoun,

même chapelle, célébrait «le plus grand

artiste comique depuis Buster Keaton».

Aux Cahiers, Jean Domarchi affirmait que

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Lewis était un auteur avant même de

signer ses mises en scène, tant sa seule

présence dans un film était décisive et

géniale. En 1963, Jean-Luc Godard, pour

qui Jerry Lewis était «le seul à Hollywood

à ne pas tomber dans les catégories et

normes établies», comptait Dr. Jerry et

Mr. Love parmi ses dix meilleurs films de

l'année.

Au même moment, les Américains

commençaient à détester notre héros.

Pourquoi cette divergence ? Krutnick

essaie une réponse en citant Shawn Levy,

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biographe non autorisé de l'acteur

metteur en scène : Lewis fonctionnerait

«comme un test de Rorschach, où les

Américains voient un reflet inquiétant

d'eux-mêmes, tandis que les Français y

découvrent une incarnation de l'Amérique

de l'après-guerre».

L'Amérique n'a pas toujours été

«lewisophobe». Krutnick rappelle qu'après

ses classes, faites auprès de ses parents,

artistes de music-hall, dans des cabarets

de la côte Est et des hôtels juifs des

monts Castkills, près de New York, Joseph

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Levitch, alias Jerry Lewis, a assez vite

rencontré le succès. Quand, à 20 ans, en

1946, il s'associe à Dean Martin, c'est

même la gloire. Le numéro de Jerry &

Dean est simple. Basé sur le contraste

entre l'impassible séducteur et le zinzin

agité, entre le crooner formidable et le

désossé qui l'interrompt avec sa voix de

fausset. A la fin des années 40, ils ne sont

pas seulement le duo qui détrône Laurel et

Hardy, Abott et Costello, Bob Hope et

Bing Crosby, mais un phénomène - gros

succès, délires des filles, détestation de

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l'establishment - qui préfigure l'ère Elvis

Presley.

Quand, en 1956, le duo se sépare, tout le

monde s'attend au pire pour le clown.

Heureusement, il est souvent convoqué par

Frank Tashlin, grand cinéaste dont

l'humour formé au dessin animé est

adapté à l'acteur. En plus, Lewis met lui-

même en scène des longs métrages

merveilleux. Le Dingue du palace, le

premier, reste aussi hilarant et étonnant

par sa créativité qu'en 1960. L'utilisation

de la couleur et de la mise en scène dans le

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Tombeur de ces dames (1961) laisse

encore pantois. Et si le Zinzin d'Hollywood

(1962) est une réussite, c'est moins par

son comique que par sa poésie nostalgique

du grand Hollywood. En revanche, Docteur

Jerry et Mister Love, dernier succès, a

perdu de son éclat avec l'âge, même si sa

thématique révèle les angoisses de

«l'auteur». Quant à Jerry souffre-

douleur, il témoigne du déclin précoce de

Lewis. Comme asséché par l'aigreur.

Amer. En 1983, Martin Scorsese utilise le

nouveau Lewis, plus lourd et amer, dans le

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rôle d'un fantaisiste, vedette de la télé,

enlevé par un artiste raté (Robert De

Niro). C'est la Valse des pantins. La

critique américaine ne sera convaincue que

par sa performance en 1996 à Broadway

dans Damn Yankees, une comédie musicale

séduisant même le New York Times,

traditionnellement anti-Lewis, qui salue-là

un amuseur plus classique.

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Dans le Tombeur de ces dames, Jerry

Lewis mêle tous les genres de la comédie.

On y trouve du pastiche avec des effets

exagérés de la caméra, ironisant ainsi sur

le cinéma dramatique, mais également un

hommage à la farce avec les grimaces et le

faciès loucheur de Jerry Lewis. Le genre

le plus présent dans ce film est le

burlesque.

Durant tout le film on assiste à une

cascade de gags, assez gros mais

ininterrompus. Le plus remarquable est

probablement le slow-burn, forme

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particulière dont les productions Hal

Roach et surtout Laurel et Hardy s’étaient

fait une spécialité. Elle consiste à se

placer à l’échelle de la séquence pour

aggraver une situation initiale par une

succession d’événements catastrophiques,

et ce jusqu’à son explosion finale. Dans la

pratique, cela revient à espacer chaque

action d’un temps de relâche, un temps

mort pendant lequel la tension monte d’un

cran. Le slow-burn le plus connu de Lewis

est la scène où l’on assiste à la destruction

progressive par Herbert du chapeau d’un

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gangster menaçant. Le comique existe ici

entre chaque tentative faite par Herbert

pour ajuster le couvre-chef sur la tête de

son propriétaire : le gangster, parce qu’il

ne fait rien d’autre que contenir une rage

grandissante, nous permet de prendre

conscience que ce qui est drôle est non pas

l’acte destructeur en lui-même, mais la

possibilité qui nous est donnée de prendre

toute la mesure de l’étendue des dégâts.

Fréquemment, le cinéaste fait reposer le

gag sur le principe d’un décalage entre le

temps de l’action et le temps de sa

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conséquence. On trouve également cet

effet à retardement dans la scène où le

technicien du son de l’équipe de télévision

hurle dans le micro relié aux écouteurs

que porte Herbert. Ce dernier ne cille pas,

retire son casque pour faire quelques pas

en souriant… puis s’écroule soudain,

tétanisé.

Le réalisateur introduit l'aspect parodique

dès le générique; une femme feuillette un

magazine qui présente des photos de

grands films hollywoodiens, et par le biais

d'un photomontage, les acteurs célèbres

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sont remplacés par un Jerry Lewis

grimaçant (il reprend notamment

Cléopâtre, Ivanohé, etc.) Jerry Lewis

s'amuse de l'héritage hollywoodien et en

montre l'importance, on retrouve plus tard

dans le récit, des photos d'acteurs ou de

spectacles de cabarets accrochés au mur

de la maison. On notera aussi la présence

d'un acteur célèbre des années

1930/1940, George Raft, dans son propre

rôle. Cet acteur, qui doit sa notoriété à

son personnage de gangster dans

Scarface, est malmené par Jerry Lewis qui

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s'amuse avec son image et la tourne en

dérision; on citera pour exemple la scène

où ils dansent ensemble un tango. Tout

cela témoigne de la volonté du réalisateur

d'évoquer les symboles du cinéma

hollywoodien.

Il assume la facticité de son art par le

biais de la distanciation, en effet la maison

dans laquelle se déroule l'action est

présentée comme un décor de cinéma, en

supprimant le mur du foyer et proposant

une vue en coupe, la caméra passe de pièce

en pièce et présente des plans d'ensemble

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où on peut alors observer ce qui se passe

dans plusieurs chambres à la fois. Le foyer

se transforme en maison de poupée,

renvoyant les personnages à leur côté

fictif, personnages au service du

divertissement, de la farce. Dans la

deuxième moitié du film, une équipe de

télévision s'installe dans la maison pour

réaliser un documentaire, transformant

ainsi la pension en plateau de tournage. Le

cinéma est donc physiquement présent, il

est intégré au récit. L'équipe filmée est

une image déformée de l'équipe filmante

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et Jerry Lewis fait comme s'il nous

invitait à voir les coulisses de son film. Le

véritable espace du film n'est plus la

maison de miss Welenmelon mais le studio

de la Paramount qui contient cette maison;

cette idée est renforcée par un plan large

qui permet de voir les limites du décor. Un

jeu de miroir, une mise en abîme qui

permet au réalisateur de mettre en scène

sa vision du cinéma et d'Hollywood.

Le cinéma de Jerry Lewis, celui qu'il aime

comme celui qu'il fait, est celui de

l'entertainement, un spectacle proche du

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cabaret. Il pastiche ainsi tout un pendant

de l'histoire cinématographique

américaine et ses icônes telles que Marilyn

Monroe où Marlène Dietrich. Les filles de

la pension ont ce côté pin up, vedette de

cinéma sexy et glamour mais en même

temps elles sont désacralisées. Elles

jouent du trombone, de la trompette, le

récit est ponctué de moments musicaux ou

chorégraphiés. Ainsi, tous les attributs du

spectacle de cabaret sont présents, y

compris les fauves ! Il n'est pas question

de considérer le cinéma comme une

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mimesis, peu importe que le spectateur

soit conscient des ficelles du spectacle,

qu'il sache être face à quelque chose de

faux. "Je ne crois pas qu'un couple qui a

vécu toute sa vie dans un deux pièces

pense à dépenser 8 dollars pour

contempler pendant une heure un autre

couple dans un deux pièces. Je crois qu'il

est important pour eux de sortir de leur

petit intérieur et de voir là-haut, sur

l'écran quelque chose comme le glamour, la

fantaisie, inaccessible, tout ce qui a fait

Hollywood et ce que tout le monde oublie."

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La mise en scène de Jerry Lewis est

difficile à cerner. Frustré dans les films

où il n'est que simple acteur, il met, dès

ses premières réalisations, tout son talent

dans une mise en scène décalée et en

dehors des normes de l'époque. Tout en

utilisant les ressorts comiques les plus

grossiers il tente d'illustrer la société

dans laquelle il vit, les humains qu'il côtoie.

Dans tous ces films, Lewis utilise la même

typologie de personnage confronté à des

situations diverses. C'est avec ce

personnage qu'il crée la plupart des

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situations comiques. On ne sait jamais ce

qu'il va lui arriver, dès qu'il frappe à une

porte, qu'il entre dans une pièce ou en

sort, il provoque une réaction en chaîne de

catastrophes qui empirent dès qu'il essaie

d'arranger les choses. Cependant ce

personnage qui paraît tout d'abord naïf

provoque un malaise, il révèle de manière

symbolique la difficulté d'exister dans une

société américaine impitoyable, qui broie

l'homme-enfant effrayé par le monde.

Lewis installe le comique par l'incongruité

d'une situation mais il provoque également

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le spectateur. Le rire naît du malaise mais

le malaise est rapidement balayé par

l'énormité de la situation. Tout au long du

film il caricature les émotions de son

personnage, sa peur des femmes étant

vécue comme une réelle pathologie parfois

proche de l'hystérie, notamment quand,

sous le coup d'une émotion forte il appelle

sa mère en hurlant.

Quelle que soit la situation qu'il met en

scène, Jerry Lewis n'est jamais

complaisant. On retient souvent de ses

films seul l'enchainement effréné de

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chutes, de grimaces, de cris en oubliant

qu'en filmant ce spectacle affolant Lewis

le dénonce, le juge.

Il impose sa vision du monde, son jugement

sur ses contemporains. Jerry Lewis fait

preuve d'une vraie audace dans sa

réalisation. Il n'attache aucune importance

aux règles traditionnelles de la fiction, il

entasse dans un ordre aléatoire des

séquences sans réelle cohérence entre

elles mais qui fonctionnent toutes

indépendamment les unes des autres.

Jerry Lewis joue énormément sur les

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vides et les pleins, une scène où règne un

calme apaisant précède presque toujours

une scène de frénésie totale.

À travers sa mise en scène, Lewis se

révèle être un plasticien inattendu. Il

utilise des couleurs luxuriantes, criardes,

parfois à la limites de la vulgarité, qui

donne un effet plastique étonnant,

renforçant l'idée d'irréalité du lieu. Ce

lieu bien particulier lui permet également

des audaces techniques, notamment en

créant une sorte de polyvision dans la

scène où la caméra passe de chambre en

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chambre au réveil des filles. Cet ensemble

des couleurs et du décor paraît irrationnel

mais l'utilisation audacieuse qu'en fait

Lewis provoque l'adhésion du spectateur à

ce monde extravagant. Jerry Lewis fait

barrage à toute réflexion avec une mise en

scène complètement dépourvue

d'intellectualisme et en imposant une

vision personnelle, désabusée et burlesque

du monde dans lequel il vit.

Jerry Lewis a toujours été un réalisateur

controversé, déchaînant les extrêmes. Son

œuvre est jugée par ses détracteurs

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comme vulgaire et grossière. On retrouve

effectivement rarement trace de bon goût

dans le déchaînement excessif des effets

comiques et la répétition des mimiques

outrancières ou sa gestuelle démesurée

qui peuvent lasser. À la sortie de The

Ladies'man, certaines critiques sont très

dures, un critique de Libération parle d'un

« gâtisme précoce qui doit donner bonne

conscience au plus attardé des américains

qui trouve […] plus bête que lui ». À

l'inverse, ses fervents défenseurs

trouvent que le génie de Lewis s'illustre

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dans l'excès même de la caricature. C'est

par son absence de limites et son audace

stylistique qu'il provoque le rire. Un

critique belge résumera assez bien l'esprit

du film : « Avec The Ladies'man, Lewis

nous donne un chef-d'œuvre, bête et

méchant, mais chef-d'œuvre »

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Il y a presque trente ans, Jerry Lewis se

lançait dans un projet fou, celui de tourner

un film sur l'Holocauste intitulé le Jour où

le clown pleura. A première vue, ce long

métrage de fiction tenait plus du mélo que

de la comédie. Difficile de le savoir, il n'a

jamais été distribué. Mais le réalisateur-

acteur a raconté cette histoire dans un

livre: Jerry Lewis in Person, coécrit en

1982 avec Herb Gluck (ed. Athenum).

Il y explique qu'en 1965, son agent lui a

apporté un scénario de Joan O'Brien. Le

personnage central en était Helmut Doork,

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surnommé Helmut le Grand, un clown très

fameux en Allemagne, qui démolissait son

talent en buvant pour cacher sa haine du

régime nazi. Un jour, Helmut a été arrêté

par la Gestapo. Interné dans un camp de la

mort, il a été utilisé par les SS pour mener

les enfants à la «douche», aux chambres à

gaz. Avec ses simagrées et ses gags, il

devait les empêcher de réclamer leur

mère. «C'est un script qu'on n'oublie pas»,

ajoute Lewis. Mais il a refusé alors d'y

travailler parce qu'il n'était pas prêt

(Benigni aurait fait la même réponse à

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Radu Mihaileanu).

Producteur français. En 1971, le

réalisateur du Chéri de ces dames et du

Zinzin d'Hollywood arrive à Paris. Il dîne

avec Chaplin, est reçu à la Cinémathèque

par Henri Langlois. Il se produit dans un

one man show à l'Olympia. Un soir, dans sa

loge, il reçoit un message d'un producteur

français qui lui annonce qu'il a fait affaire

avec Joan O'Brien et ajoute: «Nous

sommes d'accord que vous êtes le seul qui

puisse incarner Helmut comme elle

l'imagine. Puis-je avoir votre accord pour

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être le réalisateur et la vedette de ce

film?»

Jerry y repense. L'Holocauste a toujours

été une énigme pour lui. Il se demande

encore comment le monde entier n'a pu

empêcher le massacre de six millions de

Juifs. Il se dit aussi qu'il saurait rendre le

désespoir d'Helmut. Même si ce n'est pas

un défi facile. Il demande donc au

producteur qui doit financer le film. «Moi

et une société suédoise», lui répond-il.

Lewis commence alors sa propre

recherche. Il raconte qu'il va à Belsen,

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Dachau et Auschwitz. Il y fait la

connaissance de Hans Geibler, un homme

de 70 ans, qui autrefois mettait en marche

les chambres à gaz. Ce type, qui fait

pénitence depuis, s'en veut à tout jamais

de son passé; Lewis le charge d'être son

conseiller technique pour le Jour où le

clown pleura.

Tournage en Suède. Pour se préparer à son

rôle, l'acteur perd 17 kilos en six

semaines. Et il commence à tourner en

Suède. Les scènes de camp sont filmées

sur une base militaire. «Je pensais que le

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Jour où le clown pleura pouvait aider mes

semblables à ne pas lâcher prise dans

l'adversité la plus absolue. Helmut nous

aurait enseigné cette leçon. C'était tout

ce que je voulais faire, un film qui nous

fasse nous souvenir.»

Après deux semaines de tournage, les

problèmes financiers commencent. Selon

Lewis, les fournisseurs s'impatientent.

Eastman, qui envoie la pellicule, n'a jamais

touché un sou. Pire, les membres de

l'équipe et même certains acteurs sont

payés avec des chèques en bois. A

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Stockholm, le New-Yorkais passe une

bonne partie de son temps au téléphone à

essayer de joindre son producteur en

France. Quand il le contacte, celui-ci lui

dit: «Mais Jerry, payez, je vous

rembourse par retour de courrier.» Lewis

avance l'argent. Il ne sera jamais

remboursé. La situation devient chaque

jour plus tendue. Il tourne la dernière

scène, une sorte de remake du joueur de

flûte d'Hamelin. «Quand j'y pensais,

j'étais pétrifié.»

Jusqu'à aujourd'hui, le Jour où le clown

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pleura n'a jamais été distribué. Problèmes

de droits entre, d'un côté, Joan O'Brien

et Jerry Lewis, et, de l'autre, le

producteur français. «Je ne possède que

les trois dernières scènes du film,

explique Jerry Lewis dans son livre.

J'espère qu'un jour le public le verra.

Chaque enfant dans le monde doit savoir

que quelque chose comme l'Holocauste a

existé.»

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On avait annoncé Jerry Lewis en décalage,

irritable et sourd comme un pot. Il s'est

présenté vif d'esprit, blagueur, de bonne

humeur et fanfaron... Jusqu'à ce qu'un

journaliste suédois ose lui parler de The

Day the Clown Cried (Le jour où le clown

pleura), mythique long métrage tourné par

Lewis en Suède en 1972, qui ne vit jamais

le jour. L'acteur et cinéaste en a interdit

la diffusion à l'époque, après des

projections-tests catastrophiques.

«Ce film était mauvais, a-t-il répondu

sèchement, courroucé, à mon confrère

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scandinave. Mauvais parce que j'avais

perdu la magie, c'est tout ce que je peux

dire. Vous ne verrez jamais ce film.

Personne ne le verra jamais parce que j'en

ai honte tellement il est mauvais.»

Je ne sais pas si c'est pour lui faire

ravaler ses paroles, ou pour rendre le

clown triste, mais des extraits du

tournage de The Day the Clown Cried,

intégrés à un vieux reportage de la

télévision néerlandaise, ont fait leur

apparition sur YouTube le week-end

dernier. Hier après-midi, ces images

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inédites avaient déjà été vues par près

d'un demi-million de curieux.

Il faut dire que The Day the Clown Cried a

atteint un statut de film-culte chez les

historiens du cinéma depuis qu'il a été

renié et interdit de projection par son

auteur (Lewis a réalisé et Co scénarisé le

film). Peu de gens ont vu le long métrage,

mais tous ont déclaré unanimement qu'il

s'agissait d'un irrécupérable gâchis.

Sa qualité est difficile à juger sur la base

d'un reportage de sept minutes, où l'on

voit Jerry Lewis, seul sous le chapiteau

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d'un cirque, s'exercer à quelques tours de

magie burlesques ou jonglant difficilement

avec des balles, sous l'œil amusé de Jane

Birkin et de Serge Gainsbourg, invités sur

le plateau. Mais les signes d'un chef-

d’œuvre incompris sont inexistants. On

croira le maître du slapstick sur parole

lorsqu'il dit que c'est «mauvais, mauvais,

mauvais» (pour une rare fois qu'un

cinéaste a autant de lucidité devant son

œuvre).

The Day the Clown Cried, qui met en

vedette Lewis et l'une des actrices

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fétiches d'Ingmar Bergman, Harriet

Andersson, fut sélectionné au Festival de

Cannes en mai 1973 et devait prendre

l'affiche aux États-Unis dans la foulée. Il

fut désavoué sur-le-champ par Lewis, ainsi

que par ses coscénaristes, qui estimaient

que le cinéaste avait pris trop de libertés

avec le scénario d'origine. «Je suis fier de

tous mes films, mais pas de celui-là", a-t-il

déclaré à Cannes, où on lui a rendu

hommage en mai.

Son célèbre «film perdu» raconte

l'histoire d'un clown allemand, Helmut

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Doork, envoyé dans un camp de

concentration pendant la Seconde Guerre

mondiale pour s'être moqué de Hitler.

Doork est contraint par les nazis de

distraire les enfants, trop turbulents,

pendant qu'on les mène aux chambres à

gaz. Pris de remords, il décide de les

accompagner jusqu'au bout, dans la scène

finale du film.

The Day the Clown Cried serait l'un des

plus grands naufrages du septième art, si

l'on en croit les historiens. Jerry Lewis

espérait se faire valoir auprès des

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électeurs des Oscars grâce à cette

tragicomédie sur l'Holocauste, dans son

premier rôle dramatique. À la lumière des

projections-tests, il a changé d'idée,

craignant de susciter un tollé.

Vingt-cinq ans plus tard, La vie est belle

de Roberto Benigni, sur un thème

similaire, a reçu un accueil triomphal à

Cannes et aux Oscars. Mais de l'avis

général, ce n'est pas parce qu'il était trop

avant-gardiste que The Day the Clown

Cried a été renié par ses artisans;

seulement parce qu'il était trop mauvais.

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Cette histoire, évidemment, pose de

nouveau la sempiternelle question de la

paternité d'une œuvre artistique. Est-il

vrai, comme le veut le cliché, que

lorsqu'une oeuvre est créée, elle cesse en

quelque sorte d'appartenir à son auteur

(comme un enfant que l'on met au monde)?

Dans quelle mesure un artiste reste-t-il

maître de son oeuvre? Il aura beau la

désavouer, elle existe, pour un public qui

veut bien se l'approprier (pour débiter un

autre cliché).

La question s'est posée récemment avec la

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diffusion du premier long métrage de

Stanley Kubrick, Fear and Desire, que le

regretté cinéaste considérait comme un

brouillon et dont il avait réussi à

confisquer la plupart des copies. Ce film,

réalisé en 1953 lorsque le cinéaste de The

Shining n'avait que 24 ans, «disparu»

ensuite durant 60 ans, existe en DVD

depuis près d'un an. Pour le bonheur des

exégètes, mais au détriment de la volonté

de son auteur.

Le même dilemme se pose avec The Day

the Clown Cried, à la différence

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fondamentale, à mon sens, que le film de

Kubrick a bel et bien pris l'affiche. Celui

de Jerry Lewis, en revanche, a été

préservé du regard public depuis sa

création. Et pour cause, si l'on se fie à son

auteur.

Jerry Lewis a 87 ans. Il se déplace en

fauteuil roulant. Il a fait rire des millions

de gens grâce à son personnage de Crazy

Jerry, et pas seulement en France. S'il

préfère que l'un de ses films demeure

inédit, cela me semble tout à fait légitime.

Est-ce trop demander que de respecter la

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volonté d'un artiste en de pareilles

circonstances? On dirait malheureusement

que oui.

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157

Filmographie

comme acteur

1949 : How to Smuggle a Hernia Across

the Border (court métrage)

1949 : Ma bonne amie Irma (My Friend

Irma), de George Marshall : Seymour

1950 : Irma à Hollywood (My Friend Irma

Goes West): Seymour

1950 : Le Soldat récalcitrant (At War

with the Army)): Première classe Alvin

Korwin

1951 : Bon sang ne peut mentir (That's My

Boy) : "Junior" Jackson

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1952 : La Polka des marins (Sailor

Beware): Melvin Jones

1952 : Parachutiste malgré lui (Jumping

Jacks): Hap Smith

1952 : En route vers Bali (Road to Bali) :

Femme dans le rêve de Lala (non crédité

au générique)

1952 : Le Cabotin et son compère (The

Stooge): Theodore "Ted" Rogers

1953 : Fais-moi peur (Scared Stiff) :

Myron Mertz

1953 : Amour, délices et golf (The Caddy)

: Harvey Miller, Jr.

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1953 : Un galop du diable (Money from

Home): Virgil Yokum

1954 : Ce n'est pas une vie (Living It Up) :

Homer Flagg

1954 : Le clown est roi (Three ring circus),

de Joseph Pevney : Jerome F. "Jerry"

Hotchkiss

1955 : Un pitre au pensionnat (You're

Never Too Young) : Wilbur Hoolick

1955 : Artistes et Modèles (Artists and

Models) : Eugene Fullstack

1956 : Le Trouillard du far west

(Pardners) : Wade Kingsley Jr. / Wade

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Kingsley Sr.

1956 : Un vrai cinglé de cinéma (Hollywood

or Bust) : Malcolm Smith

1957 : Le Délinquant involontaire (The

Delicate Delinquent) : Sidney L. Pythias

1957 : P'tite tête de troufion (The Sad

Sack) : Meredith C. Bixby

1958 : Trois bébés sur les bras (Rock-a-

Bye Baby) : Clayton Poole

1958 : Le Kid en kimono (The Geisha Boy) :

Gilbert Wooley

1959 : Tiens bon la barre matelot (Don't

Give Up the Ship): John Paul Steckler I /

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John Paul Steckler IV / John Paul

Steckler VII

1959 : Li'l Abner : Itchy McRabbit (brève

apparition)

1960 : Mince de planète (Visit to a Small

Planet) : Kreton

1960 : Raymie : Chanteur du générique

1960 : Le Dingue du Palace (The Bellboy) :

Stanley / Lui-même

1960 : Cendrillon aux grands pieds

(Cinderfella) : Cinderfella

1961 : Le Tombeur de ces dames (The

Ladies Man) : Herbert H. Heebert / Mama

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Heebert

1961 : Le Zinzin d'Hollywood (The Errand

Boy) : Morty S. Tashman

1962 : L'Increvable Jerry (It'$ Only

Money) : Lester March

1963 : Docteur Jerry et Mister Love (The

Nutty Professor) : Professeur Julius Kelp

/ Buddy Love / Baby Kelp

1963 : Un chef de rayon explosif (Who's

Minding the Store?) : Norman Phiffier

1964 : Jerry souffre-douleur (The Patsy) :

Stanley Belt / Chanteurs du trio

1964 : Jerry chez les cinoques (The

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Disorderly Orderly) : Jerome Littlefield

1965 : Les Tontons farceurs (The Family

Jewels) : Willard Woodward / James

Peyton / Everett Peyton / Julius Peyton /

Capitaine Eddie Peyton / Skylock Peyton /

"Bugs" Peyton

1965 : Ligne rouge 7000 (Red Line 7000) :

Le chauffeur (brève apparition)

1965 : Boeing Boeing : Robert Reed

1966 : Trois sur un sofa (Three on a

Couch) : Christopher Pride / Warren /

Ringo / Rutherford / Heather

1966 : Tiens bon la rampe, Jerry (Way...

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Way Out) : Pete Mattemore

1966 : Un monde fou, fou, fou, fou (It's a

Mad Mad Mad Mad World) de Stanley

Kramer (brève apparition)

1967 : Te casse pas la tête Jerry (Don't

Raise the Bridge, Lower the River):

George Lester

1967 : Jerry la grande gueule (The Big

Mouth): Gerald Clamson / Syd Valentine

1968 : Silent Treatment

1969 : Cramponne-toi Jerry (Hook, Line &

Sinker) : Peter Ingersoll / Fred Dobbs

1970 : One More Time : Bandleader (voix)

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1970 : Ya ya mon général ! (Which Way to

the Front?) : Brendan Byers III

1972 : The Day the Clown Cried : Helmut

Doork

1980 : Rascal Dazzle : Narrateur

1980 : Au boulot... Jerry ! (Hardly

Working) : Bo Hooper

1982 : Slapstick (Of Another Kind) :

Wilbur Swain / Caleb Swain

1983 : La Valse des pantins (The King of

Comedy) : Jerry Langford

1983 : T'es fou Jerry (Smorgasbord ou

Cracking Up) : Warren Nefron / Dr. Perks

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1984 : Par où t'es rentré ? On t'a pas vu

sortir : Clovis Blaireau

1984 : Retenez-moi... ou je fais un malheur

! : Jerry Logan

1987 : Fight for Life (TV) : Dr. Bernard

Abrams

1989 : Cookie : Arnold Ross

1990 : Super Force ("Super Force") (série

TV)

1992 : Mr. Saturday Night : Invité

1993 : Arizona Dream : Leo Sweetie

1995 : Les Drôles de Blackpool (Funny

bones) : George Fawkes

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167

1995 : Jerry Lewis Stars Across America

(TV) : Présentateur

2007 : New York, unité spéciale (TV) :

Andrew Munch

2008 : The Nutty Professor (TV) :

Professeur Julius Kelp / Buddy Love (voix)

2013 : Max Rose de Daniel Noah : Max

Rose

comme réalisateur

1949 : How to Smuggle a Hernia Across

the Border

1960 : Le Dingue du Palace (The Bellboy)

1961 : Le Tombeur de ces dames (The

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168

Ladies Man)

1961 : Le Zinzin d'Hollywood (The Errand

Boy)

1963 : Docteur Jerry et Mister Love (The

Nutty Professor)

1964 : Jerry souffre-douleur (The Patsy)

1965 : Les Tontons farceurs (The Family

Jewels)

1966 : Trois sur un sofa (Three on a

Couch)

1967 : Jerry la grande gueule (The Big

Mouth)

1969 : The Bold Ones: The New Doctors

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(série TV)

1970 : One More Time

1970 : Ya ya mon général ! (Which Way to

the Front?)

1972 : The Day the Clown Cried

1980 : Au boulot... Jerry ! (Hardly

Working)

1983 : T'es fou Jerry (Smorgasbord ou

Cracking Up)

comme producteur

1957 : Le Délinquant involontaire (The

Delicate Delinquent)

1958 : Trois bébés sur les bras (Rock-a-

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Bye Baby)

1958 : The Geisha Boy

1960 : Le Dingue du Palace (The Bellboy)

1960 : Cinderfella

1961 : Le Tombeur de ces dames (The

Ladies Man)

1964 : Jerry chez les cinoques (The

Disorderly Orderly)

1965 : Les Tontons farceurs (The Family

Jewels)

1966 : Trois sur un sofa (Three on a

Couch)

1967 : Jerry la grande gueule (The Big

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Mouth)

1969 : Cramponne-toi Jerry (Hook, Line &

Sinker)

1970 : Ya ya mon général ! (Which Way to

the Front?)

1996 : Le Professeur Foldingue (The Nutty

Professor)

2000 : La Famille Foldingue (Nutty

Professor II: The Klumps)

comme scénariste

1949 : How to Smuggle a Hernia Across

the Border

1960 : Le Dingue du Palace (The Bellboy)

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1961 : Le Tombeur de ces dames (The

Ladies Man)

1961 : Le Zinzin d'Hollywood (The Errand

Boy)

1963 : Docteur Jerry et Mister Love (The

Nutty Professor)

1964 : Jerry souffre-douleur (The Patsy)

1965 : Les Tontons farceurs (The Family

Jewels)

1967 : The Big Mouth

1972 : The Day the Clown Cried

1980 : Au boulot... Jerry ! (Hardly

Working)

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1983 : T'es fou Jerry (Smorgasbord ou

Cracking Up)

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Ladies and Gentlemen, bienvenue dans ma

piaule!" Au Sand's, à Las Vegas, il n'avait

qu'à traverser un couloir entre sa suite et

la scène pour aller chanter. Sinatra

habitait toujours le rez-de-chaussée. Il

souffrait de vertige. Dès qu'il prenait le

micro, c'étaient les ladies qui avaient des

suées. Frankie provoquait l'hystérie. Les

Beatles n'étaient pas nés, ou à peine,

quand sur Times Square on dut, dans les

années 40, convoquer les ambulances.

Frankie avait simplement l'oreille absolue.

Pas un son pur qui échappe à son diapason.

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Cela peut donner Mozart ou des ravages.

Le rital choisit les ravages. Les choisit-il?

Il fit avec. Avec sa voix, ses copains et

ses poings. Sur tout ce qui ose une

plaisanterie, une perfidie, une saloperie

sur les juifs et les Noirs, Frankie cogne.

Comme Clark Gable, qui pourfend les

racistes au nom de Billie Holiday, ou

Humphrey Bogart, autre chaud des

phalanges. Frankie, c'est le rital méprisé,

quand cela ne s'en tenait qu'au mépris. Les

années 50: le KKK régnait plus que jamais.

A Vegas, le Sand's était interdit aux

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Noirs. Pas pour Sammy Davis Jr. "Mon

copain couche ici, pas dans une bétaillère."

Le Sand's fut ouvert. Sinatra a lancé

Vegas, lieu de perdition niché dans un

désert, créé sur un coup de coeur par un

gangster. Le Caesar Palace, ce Pompéi live

et sur décoré, le Sand's, disparu depuis,

c'est lui. L'oreille absolue avait celle des

gangsters et des présidents. Une bonne

oreille est une grande vertu pour un

ambassadeur. Il fut celui de Joe Kennedy

(papa de JFK) auprès des parrains. Sinatra

voyage, va à Palerme pour la mort de Vito

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Genovese (modèle de Brando-Don Corleone

chez Coppola, comme Frank Sinatra

inspirera le personnage de Gini Fontana),

réside à l'hôtel des Palmes, au rez-de-

chaussée, souhaite aux successeurs gloire

et prospérité.

L'amitié est un amour vierge

Pourquoi ces fréquentations ? Sinatra est

passé de la chansonnette au cinéma et

l'argent du cinéma vient de New York, de

Chicago. Pas des ligues de vertu ou de

tempérance. A Chicago règne Sam

Giacanna, qui financera quelques chefs-

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d’œuvre hollywoodiens, avec ou sans

Sinatra, mais L'Homme au bras d'or, de

Preminger, sur la drogue, grand rôle de

Frankie, lui devrait beaucoup, comme la

campagne présidentielle de John Kennedy.

Pas propre ? Où se place-t-on ? D'où juge-

t-on ? La fin ou les moyens ? Et les amis.

L'amitié est un amour vierge. Frankie

change de femmes, pas d'amis. Sammy

Davis, juif et noir, Jerry Lewis, juif tout

court, Dean Martin (le comparse et héros

de Comme un torrent), alcoolo notoire. On

ne peut pas boire que du Coca dans ce

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monde-là. Ça nuirait au râpeux de la voix,

au râpeux profond du velours, à la densité

filtrée par les micros; à l'image, au

burinage des visages. Un jour, Jerry et

Dean, partenaires de comédies débiles -

mais drôles - ne s'aimèrent plus. Ne se

virent plus, ne se parlèrent plus. Pendant

dix, quinze ans. Et Jerry lança le Téléthon.

Il demande évidemment à Frankie

Supercrooner de présider. Il préside.

Annonce devant les smokings empesés et

les robes longues défaillantes: "Jerry, je

me suis permis d'inviter un tocard." Dean

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arrive, la Pall Mall dans la main gauche,

dans la droite le triple bourbon. Jerry

fond en larmes. Le Téléthon a eu quelque

avenir, on dirait. Jusque dans nos

contrées. Les petits pauvres, quand ils

sont bien nés, peuvent avoir un joli sens de

la charité. Même devenus riches, gros,

vieux, usés. L'humour conserve et

ennoblit. Qui aurait l'idée d'épouser la

veuve d'un des frères Marx ? Certes,

c'est celle du moins connu, le beau gosse,

Zeppo. Elle se nomme Barbara.

Aujourd'hui, elle est de nouveau veuve.

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Frankie est mort du cœur. Il en avait un.

Trop. Le mariage et Sinatra, c'est

aléatoire mais fulgurant. Nancy Barbato,

une amie d'enfance, mariage à la mode

italienne. Ava Gardner, le plus bel animal

du monde, tellement désirée que cela ne

devait que mal tourner. Pas si mal, en fait,

l'amour, ça résiste vraiment, quand on sait

rigoler. Amusante Ava. Elle eut ce mot

quand son Frankie chéri épousa Mia

Farrow (elle va tourner Rosemary's Baby,

a les cheveux quasi rasés par Vidal

Sassoon, compte 20 printemps et demi, lui

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50): "Je savais bien que Sinatra finirait

avec un garçon." Entre Mia et Ava, pour la

silhouette, il n'y avait pas photo. Mais Ava,

infidèle Ava pour Frankie instable (on

parle de Lana Turner, de Marlene Dietrich,

de Lauren Bacall, de Natalie Wood), fut

peut-être La Seule. Là-haut, en arrivant,

Sinatra n'aura pas que la tape dans le dos

de Lucky Luciano ou le sourire dents

blanches de JFK; l'ange si noir, si brun, si

beau, Ava, se jettera dans ses bras. Vous

voyez bien, la mort n'est pas une fin. The

End.

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FIN