J'ai mal à mon village

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J'AI MAL À MON VILLAGE

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MAURICE FOMBEURE

J'ai mal à mon village

HAUTÉCRITURE Les Bordes

86340 NOUAILLÉ

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© Jean-Claude Valin, 1993. ISBN 2.905937.22.X

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PRÉFACE

Joubert, hostile aux écrivains qui «créent des nuits artificielles pour donner un air de profondeur à leur superficie et plus d'éclat à leurs faibles clar- tés», eût aimé Maurice Fombeure pour le naturel de ses nuits et de ses songes, la réalité de ses profondeurs et la fragrance de ses clartés person- nelles, plus instinctives qu'érudites, plus insidieuses qu'éclatantes.

Déjà, en 1930, dans la revue Jeunesse, il envoyait rouir les trop roués rêveurs surréalistes (le « stupéfiant image », très peu pour lui !). Toute l'œuvre qui allait suivre, y compris ces inédits (du moins en volume) dont le ras- semblement m'enchante, allait prouver que Pégase, un temps nommé Dada, s'accommode fort bien des

... sabots de bois (Quatre livres chacun), hérités du grand-père

pour peu qu 'on le nourrisse de mémoire vivrière, de lyrisme authentique et d'humour verdoyant plutôt que noir.

Prenant au hasard Les anges, les mésanges, la nuit, poème daté de juin-juillet 1947 (le passage que je viens de recopier en est extrait), j'y trouve du reste la preuve que Fombeure ne perdit jamais de vue, d'une part l'uti- lité pour un poète d'avoir, comme dit Valéry, un critique en lui, d'autre part la légitimité d'une diction aventureuse qui invente quasiment ce qu'elle profère.

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Ainsi ces deux vers rustauds :

Tout ça c'est trop léger, les anges, les mésanges ? Il nous faut du solide, il nous faut du pesant.

procèdent-ils d'une réflexion malicieuse mais dûment fondée, alors que «le caporal Bragard» qui guette sournoisement «la vierge des hameaux» est à peu près sûrement né d'une provocation phonétique (la rime en «gar» du vers qui précède, fournie par un «hangard» dont le «d» superflu n 'altère pas la sonorité) à laquelle le poète s'est empressé de céder.

Humour, malice, aventure... Maints exemples s'en proposent à chaque «époque» de ces reliquiæ. En 1927 (Fombeure vient d'avoir vingt-et-un ans) le vers libre l'emporte encore chez lui mais admet pourtant les vertus du calembour qu'est en soi la rime si bien que de «grecque enturbannée» on en vient spontanément à «Pallas Athénée», dont, soit dit en passant, une statue admirable a été découverte peu avant à Poitiers. Plus hardie quant à la forme serait peut-être «la fille aux yeux d'âne» d'un précédent poème qui ne fait nulle concession à la prosodie. Quant au fond, nous serons vite rassurés par un autre poème, Adieu. Y est en effet affirmé que si «les yeux des bêtes sont plus beaux» le poète n'en aime pas moins les femmes. Plutôt trop, même, et il en meurt... avec humour (nous y voici) :

Je meurs amère maladie... mais aussi avec une fabulante ivresse verbale qui ressortit bien à l'aven- ture de langage que notre poésie court depuis Rimbaud :

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Au loin la route où je fus roi, Rose des routes, mon rosaire Trente routes en patte d'oie... Que forme et fond se tiennent et même s engendrent mutuellement, si

libre ou contraint que se veuille l'un ou l'autre, Adieu le prouve au demeu- rant, ce texte étant d'une parfaite régularité octosyllabique et, à un vers près, plus ou moins précisément rimé. S'y affirme d'autre part qu'entre l'acquiescement à l'enchaînement spontané des vocables et le recours ins- tinctif au chant, il n'y avait pour le jeune Maurice Fombeure (on est tou- jours en 1927) qu'un pas.

Ce pas, le voilà franchi et, renouvelant à la fois les harmonies com- plaintives de Rutebœuf, les « fatrasies » qui leur sont contemporaines, l'esprit baroque de Saint-Amant, l'entreprise rhapsodique et légendaire à laquelle se complut Apollinaire et le registre populaire adopté par Max Jacob quand il se dit Morven le Gaëlique, Fombeure va devenir le grand poète que nous aimons, à la fois familier et rusé, plein de verve et de réserve, expert à nous «apprivoiser par jeu» tout autant qu 'à nous désarçonner par quel- que foucade de sa façon, de sa faconde.

Mémoire vivrière, disais-je... Au vrai, jamais Fombeure ne se nourrira d'autre chose que des souvenirs de sa jeunesse campagnarde, sans cesse dévi- dés, retramés, revécus, dont il devait narrer, dès sa vingt-sixième année, dans La Rivière aux oies, toute la partie antérieure à son adolescence, le meilleur compliment qu 'il reçut lui étant donné par son père : « c 'est bien, Maurice, tu as eu de la mémoire ».

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J'ai mal ô mal à mon village J'ai plâtré ses murs de mes torts

écrivait-il déjà en 1928. Ce village du haut Poitou où Descartes pactise avec Rabelais dans une ceinture d'eaux vives et de forêts à l'ombre des- quelles la chasse à courre du châtelain local se transforme, les nuits de grand vent, en horrifique Chasse Gallery, nous ne cessons de le voir, de le humer et de l'entendre en feuilletant aussi bien ces vers inédits que ceux qui avaient eu meilleure fortune. Même quand Fombeure compose un Hommage à Verlaine qui ne saurait surprendre, tant il est proche par sa tendresse et sa musicalité du poète de La bonne chanson, «la petite flûte brisée des crapauds» et les « quadrilles d'hirondelles» de Bonneuil-Matours sont toujours là. De même, «le soliloque entêté des enclumes», les «fris- sons des peupliers» et les «caquets» des «vieilles beurchaudes» qui tenaient la chronique d'un pays, à la fois gouailleur et résigné,

où l'on vivait de peu, de chiche. Prendre plaisir aux mots, jusqu 'à l'ébriété créatrice, ne fut pas peu favorisé

chez Fombeure par sa naissance en un terroir de longue mémoire où l'oc et l'oïl se rejoignent en catimini pour composer un vocabulaire (un «cha- brenas», dit ailleurs notre ami) dont seuls aujourd'hui les vétérans dont je suis savent encore se servir. Parfois, Fombeure en traduit une bribe («dorne», par exemple, qui veut dire «giron»), mais, le plus souvent, il laisse le lecteur aux prises avec les «bergots» les «cancoines», le «casson», les «bêtes aumailles» et les «guindous». J'aime à penser, du reste, que celui-ci jouira de leur commerce autant que de celui de certains mots bien

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français dont Fombeure fait élection dans le Littré à raison de leur charme spécieux bien plutôt que de leur sens; ainsi des «bavolettes», «vanesses», «scolopendres», «alytes», «sycophantes», «caroncules» et autres «apo- névroses» dont fourmille cette liasse mise de côté jusqu 'alors.

J'ai personnellement beaucoup de goût pour tels démarrages allitératifs et telles rencontres phonétiques de hasard (un point d'interrogation précise que le poète s'en étonna lui-même) qui suggèrent tout un paysage de haute lice allègrement culbuté par i'anachronisme :

Forêts, orées et rivières Ô rois ô renards dorés... Parfois se penchaient des princes Voyageant incognito... Émus par ce peuple honnête Ils pleuraient sous leurs lunettes Puis, saluant de la tête Remontaient dans leur auto (?) Mélangeant les gens et les genres, les dieux et les lieux aussi bien que

les siècles, Fombeure avait de la fantaisie à revendre. En 1967, Les escargots qui font le tour du monde

dans ses Impromptus attestent qu'il en avait toujours autant qu'en 1927 où «le cousin Benoît» avait «une gueule à casser des noix» (entre temps, on avait jonglé avec Les Hespérides, le Commandant Neptune, la belle Hélène, Minerve, Amphion et le «péché originel», tout en restant très poli avec le Seigneur, etc.)

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Avouerai-je toutefois ma prédilection pour les poèmes où Fombeure s'avère plus «solide» sans être pour autant plus «pesant» ? Tout à fait du même niveau que les hautes réussites des Arentelles ou des Étoiles brûlées, voici, pour n'en citer que quelques-uns à titre d'exemple, des vers qu'il était temps de tirer du silence :

Lune, russule de l'ombre, Lune, Espagnes de l'oubli... Des fantômes réveillés Secouent la cendre des songes... Le ciel avait des lenteurs de calèche Où le soleil mourait en profondeur... J'entends Ma mort qui marche, qui s'approche Venue depuis le fond des temps Soit : je l'attends. Je n'ai choisi d'arrêter mon propos sur cette citation funèbre que parce

que l'initiative de la présente édition la contredit en rendant la vie à des poèmes occultés par son auteur. Mort, où est ta victoire ? Tous les poètes

droits et profonds comme des puits te diront qu'en tous cas elle n'est qu'une contingence dans l'histoire de la Poésie.

Jean Rousselot

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L'horizon des pays humides Que je porte à même la peau. ... (La Vienne à Bonneuil-Matours)

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Au service militaire (1931), en compagnie du philosophe Jean Pucelle.

Sur le balcon de l'appartement parisien, rue du Vieux-Colombier, face à l'Église Saint-Sulpice.

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LE PLUS GRAND POÈTE

Le plus grand poète Il est mort chez moi Fuis Orphée. Sa tête Chante sur le toit.

Le plus grand poète Brille sur mes pleurs Du cœur à la tête Suppôt des douleurs.

Le plus grand poète De la tête au cœur

La tête s'est tue Mépris à la tête... Décidément c'est Le plus grand poète.

Un cœur en poitrine Pour trois cris d'entrailles Une bouche louche Tordue sous les pleurs

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Publié avec le concours de l' OFFICE DU LIVRE en Poitou- Charentes et de la VILLE DE

POITIERS. Il était bien assuré de sa richesse et

de sa postérité le poète qui s'offrait le luxe de laisser dormir parmi ses inédits en recueils, dans des publications par- fois obscures, des trouvailles de cette trempe, bonheurs d'écriture surréaliste et paysanne (Fombeure était poitevin et universel) :

Silence somnambule Qui glisse sur les flots Des marais du Doute Aux pays sans nom Tourne grande roue zodiacale Charrette du silence ailé

Nous avons, avec quelque difficulté, retrouvé ces merveilles, en avons choisi près d'une soixantaine (sur une centaine de poèmes inédits existant probable- ment). Les quelques proses, proches par- fois des poèmes (Maintenant nous faisons tous partie de cette maison solaire / Où Circé nous a changés en animaux-enfants / Mais pour lui montrer parfois ma colère / Je déniaise les éléphants), nous aident à comprendre la poétique consciente de Fombeure.

Que soient remerciés pour leur aide : Philippe Pineau, Jean Bouhier, André Pacher, Michel Martin, Jean Rousselot et, bien sûr, Madame Carmen Fom- beure, dont la confiance nous honore. L'éditeur

Hautécriture a publié des livres de Georges Bonnet, Charles Bourgeois, Pascal Commère, Pierre Dhainaut, Jean- Paul Gavard-Perret, Christian Hubin, François Huglo, Alain Lacouchie, Gil- les Lades, Jean-Baptiste Lysland, Jean- Michel Maulpoix, Robert Marteau, Denis Montebello, Daniel Reynaud, Jean Rousselot, Jean-Claude Valin, Alexis Zakythinos, etc.

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