Islam - Recherches Sur La Religion Des Berberes - 1910

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RECHERCHESSUR

LA RELIGION DES BERBRESPAR

REN BASSETDIRECTEUR DE LCOLE SUPRIEURE DES LETTRES DALGER MEMBRE DES SOCITS ASIATIQUES DE PARIS, LEIPZIG ET FLORENCE, DE LA SOCIT DE LINGUISTIQUE DE PARIS, ETC.

REVUE DE LHISTOIRE DES RELIGIONSPUBLIE SOUS LA DIRECTION DE MM. REN DUSSAUD ET PAUL ALPHANDRY

PARISERNEST LEROUX, DITEUR28, RUE BONAPARTE (VIe)

1910

Livre numris en mode texte par : Alain Spenatto.1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. [email protected] Dautres livres peuvent tre consults ou tlchargs sur le site :

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RECHERCHES SUR LA RELIGION DES BERBRES(1)

I Quelle que soit lopinion sur lorigine complexe des populations qui sous le nom gnral de Berbres ont occup et occupent encore tout le nord de lAfrique septentrionale, de la Mditerrane au Soudan et de lAtlantique lgypte, elles forment une unit linguistique et cest en se plaant ce point de vue quon peut essayer de reconstituer leur religion dans le pass. Mais, ds labord, nous nous trouvons en prsence dune difcult presque insoluble. Si lunit tait cre par la langue, il nen a pas t de mme de la religion, jentends la religion paenne, et de plus lincertitude o nous sommes encore en ce qui concerne le dchiffrement des inscriptions libyques, nous prive de leur secours et nous oblige avoir recours aux maigres renseignements fournis par des trangers qui nont pas toujours distingu ce qui tait indigne ou ce qui tait emprunt dans les croyances et les crmonies dont ils nous ont transmis le souvenir. Il semble que les accidents de terrains, montagnes, grottes, rochers, aient t regards par les Berbres, sinon comme des divinits, du moins comme le sige dun tre divin. A ce titre, au moins dans lOuest, le mont Atlas(2), la colonne du ciel ____________________ (1) La traduction anglaise de ce mmoire a paru dans lEncyclopaedia of Religion and Ethics dirige par M. James Hastings. t. II, p. 506-519. (2) La thorie de J. Wetten, sur lorigine phnicienne du nom dAtlas ne me parait pas acceptable (Der Mythus vom Atlas. Mayence, 1858, in-8, p. 1 et suiv.).

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comme le nommaient dj les gens du pays au temps dHrodote (Histoires, IV, 184) dut tre lobjet de leur vnration. Cest ce quobserve dj Pline lAncien (Histoire naturelle, t. I, ch. 1, 6). Cest au milieu des sables que slve vers les cieux le mont Atlas, pre et nu, du ct de lOcan auquel il a donn son nom ; mais, plein dombrages, couvert de bois et arros de sources jaillissantes du ct qui regarde lAfrique, fertile en fruits de toute espce qui y croissent spontanment et peuvent rassasier tout dsir. Pendant le jour, on ne voit aucun habitant ; tout y garde un silence profond, semblable au silence redoutable des dserts. Une crainte religieuse saisit les curs quand on sen approche, surtout laspect de ce sommet lev au dessus des nuages et qui semble voisin du cercle lunaire . Ces renseignements sont conrms par Maxime de Tyr (Dissertations, VIII, 7). Les Libyens occidentaux habitent une bande de terre troite, allonge et entoure par la mer. A lextrmit de cette langue de terre, lOcan lenveloppe de ots abondants et de courants. Cest pour eux le sanctuaire et limage dAtlas. Or lAtlas est une montagne creuse, assez leve, souvrant du ct de la mer comme un thtre du ct de lair. Lespace qui stend au milieu de la montagne est une valle troite, fertile et couverte darbres sur lesquels on voit des fruits. Si on regarde lu sommet, cest comme si on regardait dans le fond dun puits ; il nest pas possible dy descendre cause de la raideur de la pente ; du reste, ce nest pas permis. Ce quil y a dadmirable en cet endroit, cest lOcan qui, au moment du ux, couvre le rivage et se rpand sur les champs ; les ots slvent vers lAtlas et lon voit leau se dresser contre lui comme un mur, sans couler vers la partie creuse ni toucher la terre ; mais entre la montagne et leau, il y a beaucoup dair et un bois creux. Cest pour les Libyens et un temple et un Dieu, lobjet par lequel ils jurent et une statue . Ces lgendes sont encore reproduites par Martianus Capella (De Nuptiis philologi, I. VI, p. 229-230, d. Eyssenhardt). LAtlas

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dont il est question et dont Strabon (Geographica. l. XVII. ch. 3, 2), Pline lAncien (Histoire naturelle. V, ch. 1. 13) et Solin (Polyhistor, 25) nous ont conserv le nom indigne. Dyris et Addiris (cf. dans le guanche de Tnrife, Adar, falaise, en touareg aouelimmiden Adar, montagne) est videmment lAtlas marocain. Mais la conception grecque et manichenne dAtlas soutenant le monde, se retrouverait-elle dans le nom que les Guanches de Tnrife donnaient Dieu, daprs Galindo : Atguaychafunataman(1). celui qui soutient les cieux ? Il aurait t appliqu naturellement au pic de Tnrife, mais cependant la mythologie guanche assignait un autre rle cette montagne. Faut-il supposer que le Boul Qornin actuel, lancien Balcaranensis qui domine Tunis et dont le nom se retrouve dans la divinit quon y adorait (Saturnus Balcaranensis) tait primitivement vnr par les Berbres avant que les Phniciens y eussent install leur Baal(2) auquel on superposa Saturne reprsent quelquefois mont sur un lion (Corpus inscriptionum latinarum, VIII, 20437, 20448) on accompagn de lpithte de Sohare(n)sis Henchir bou Bekr (C. I. L. VIII, 12390, 12392). Le Baal Qarnin, qui y tait ador par les Phniciens et, sans doute . leur imitation, par les indignes, tait une divinit toute smitique comme le Baal de lHermon ou le Baal du Liban(3) qui avait comme pardre la Tanit Pen Baal dont on a retrouv une mention dans une inscription punique de Bordj Djedid. Peut-tre en fut-il de mme du culte de Baal Hamn Dougga(4). Les ddicaces Saturne sont du reste frquentes dans les inscriptions latines dAfrique et le nom.____________________ (1) Dans ce nom extraordinaire et videmment altr, on ne peut dgager, et encore approximativement, que le dernier lment ataman, avec une faute graphique pour achaman, ciel. (2) Cf. Toutain, Le sanctuaire de Saturnus Balcaranensis au Djebel Bou Kornin, Mlanges de lcole de Rome, t. XII ; id., De Saturni Dei in Africa romana cultu, Paris, 1894 ; Ferrire, La situation religieuse de lAfrique romaine depuis la n du IVe sicle, Paris, 1897, p. 80. (3) Cf. Lagrange, tude sur les religions smitiques, Paris, 1905, in-8. (4) Cf. Carton, Le sanctuaire de Baal Saturne Dougga, Paris, 1897, in-8.

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de Saturnius souvent mentionn. On peut citer An Zana (Diana) une ddicace Deo frugum Saturnus frugifero Augustus (C. I. L. VIII, 4581) et Fontaine-Chaude une inscription Deo Sancto frugifero (C. I. L. VIII, 17720). Une inscription latine, trouve quelque distance dAumale, sadresse au gnie de la montagne Pastoria(nen)sis qui protge contre la violence du vent (C. I. L. VIII, 9180) ; Chemton en Tunisie, au Gnie de la montagne (C. I. L. VIII, 14586). De nos jours encore, certaines montagnes excitent chez les Touaregs une crainte religieuse quils ne peuvent surmonter ; mais ce nest plus laspect redoutable de la montagne qui leur inspire la terreur, ce sont les gnies qui lhabitent. Cette croyance existait dj du temps de Pline lAncien. Reproduisant un passage du Priple de Hannon, il place dans lAtlas les Aegipans et les Satyres que le voyageur carthaginois signale bien plus au sud (Priple, 14), ce qui est galement reproduit par Solin (Polyhistor, 25). Au XIIe sicle de notre re, un crivain anonyme arabe signale des choses semblables dans une montagne du Sahara, mais son rcit porte manifestement lempreinte des croyances musulmanes(1) ; il sagit de la montagne de Felfel, renfermant les traces de nombreuses villes abandonnes cause des gnies ; pendant la nuit, on y voit leurs feux et lon entend leurs sifements et leurs chants. Chez les Touaregs Azgers, le massif de lIddinen, 30 kilomtres au nord de Ghat, est lobjet dune terreur superstitieuse et nul noserait y pntrer. Barth qui lexplora faillit y mourir de soif, sans avoir trouv, du reste, aucune des ruines quon y plaait(2). Chez les Ahaggar, il en est de mme du mont Oudan, et le nom donn aux tres mystrieux qui lhabitent, alhinen (de larabe eldjinn) montre bien qu une superstition berbre dorigine____________________ (1) A. de Kremer, Description de lAfrique, Vienne, 1852, in-8, p. 69. (2) Barth. Reisen und Entdeckungen in Nord-und Central Africa, Gotha, 1856, 5v. in-8, t. I, p. 228-236 ; Duveyrier, Les Touaregs du Nord, Paris, 1864, in-8, p. 416.

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est venue se joindre une croyance arabe(1). La Koudiat, au nord de Temanghaset et lEst de IIlaman, est galement lobjet de craintes de ce genre(2). Aux Canaries, le pic de Teyde, o tait lenfer (Echeyde) tait habit par un dmon du nom de Guayota ou Huayota ; celui de Palma se nommait Irnene(3). Le culte des rochers se joint naturellement celui des montagnes. Pline lAncien (Histoire naturelle , l. II, ch. 7 44) et Pomponius Mla (De situ orbis, l. I ch. 8), nous mentionnent en Cyrnaque un rocher consacr lAuster Sil est touch de la main des hommes, aussitt, le vent slve violemment, agitant des sables comme des mers et svit comme sur des ots . Aux Canaries, prs du cratre de la Caldera, Palma, existait un rocher ayant la forme dun oblisque et quon nommait ldafe. Pour viter sa chute, les gens de la tribu de Tanansu qui tait tablie aux environs, lui offraient, en procession et avec des chants, les entrailles des animaux quils mangeaient, et quelquefois des victimes entires taient prcipites du haut des montagnes voisines(4). Dans la Grande Canarie existaient deux rochers : lun nomm Tismar, dans le district de Galdar, lautre Vimenya, dans celui de Telde. Dans les temps de dtresse, les habitants, accompagns par des religieuses nommes Magadas (Viana, p. 22, les appelle Harimaguadas), faisaient des plerinages ces deux rochers, tenant dans leurs mains des branches de palmiers et des vases remplis de lait et de beurre quils versaient sur ces____________________ (1) Duveyrier, ibid., p. 416-417 ; Benhazera, Six mois chez les Touaregs Alger, 1908, in-8, p. 60. (2) De Motylinski, Voyage Abatassa et d la Koudia, Bulletin du Comit de lAfrique franaise, octobre 1907, p. 257 et suiv. (3) Viana, Antiguedades de las lslas Afortunodas, Tubingen, 1883, in8, p. 24 ; Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des Canaries t. I, part. 1, p. 173-174, Paris, 1842, in-8 ; Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, Paris, 1891, in-8, p. 94. (4) Glas, The history of the Canary Islands, Londres, 1764, in-4 ; Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des les Canaries, t. I. part. I, p. 172 ; Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, p. 94.

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rochers, dansant tout autour et chantant des airs lugubres comme des chants funbres, que les Espagnols appelaient Endechas. De l, ils allaient sur le bord de la mer et battaient fortement leau avec leurs baguettes en poussant en mme temps des cris de leur voix la plus haute(1). On voit que nous avons affaire une espce de culte : dailleurs les Guanches, la diffrence des autres Berbres, semblent avoir eu une religion constitue, si lon doit prendre la lettre ce que nous en ont transmis les crivains espagnols. Quoi quil en soit, on serait tent de rattacher cette institution des sacrices, lusage dune pierre situe prs de Guertoufa, entre Tiharet et Relizane, et connue sous le nom de Hadjar Gad. En un endroit, un repli de lescarpement laisse une pente entre lui et la route, et lon voit comme une pierre norme, videmment tombe du sommet et retenue sur les autres rochers. Elle a quatre mtres dans sa plus grande paisseur et un mtre soixante-dix dans sa moindre ; sa face suprieure a dix mtres de long et six au moins dans sa plus grande largeur... Lorsque lon grimpe sur cette roche parfaitement irrgulire, mais prsentant une plate-forme telle quelle, incline trente degrs, on y remarque trois bassins formant en quelque sorte cascade, ingaux de taille et de profondeur, et dans lesquels il est facile de voir quont coul des masses de liquide. A droite sont deux petits trous ronds ; gauche, deux petits trous carrs, larges tous de dix quinze centimtres. Il nest pas douteux quon nait l un autel primitif, une table sacrices(2) . La conclusion de cette description est acceptable. Le Hadjar Gad tait un lieu magniquement choisi pour une religion sanglante. Le sacricateur lev huit ou dix mtres au-dessus de la foule,____________________ (1) Glas, The history of the Canary Islands, I. II, ch. 3, p. 70 ; Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des les Canaries, t. I, part. I, p. 169. (2) La Blanchre, Voyage dtudes dans une partie de la Maurtanie Csarienne, Paris, 1883, in-8, p. 42.

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faisait couler le sang de la victime de lun des bassins dans lautre. Le sacrice saccomplissait en face dun horizon immense : tous les peuples de la plaine le voyaient et le feu quon allumait, sans doute, sapercevait des cimes lointaines de Lalla de la montagne de Lalla Krua (1). Mais ce nest quune hypothse. Cependant il existe encore aux Canaries des endroits o se faisaient des libations de lait, des trous et des canaux creuss dans la roche dure et qui taient destins recevoir le liquide. Il y avait mme des fosses sacrices, simples cavits entoures de pierres amonceles avec assez de rgularit(2). Dans le qsar de Tementit, au Touat, un arolithe est encore aujourdhui lobjet dune vnration gnrale. La lgende prtend que, quand il tomba du ciel prs de Noum en Nas, il tait en or, mais que Dieu le changea en argent, puis en fer, pour empcher les convoitises(3). A ct des roches naturelles, ou travailles par la main des hommes, se placent des dolmens, mais comme ce ne sont que des tombeaux, il ny a pas lieu den parle ici(4). Les cavernes paraissent aussi avoir t en vnration chez les anciens Berbres, conformment la parole de Snque (Lettres Ludlius, XLI) : Et si quis specus saxis penitus exesis montem suspenderit, non manu factus, sed naturalibus causis in tantam laxitatem excavatus, animum tuum quadam religionis suspicione percutiet . Mais rien nest venu jusquici conrmer lexistence dun dieu des cavernes, Ifrou ou Ifri, afrme par Masqueray(5). La plus clbre divinit qui soit mentionne est le dieu Bacax,____________________ (1) La Blanchre, op. laud., p. 43. (2) Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, p. 90-91. (3) Rohlfs, Reise durch Marokko, Bremen, 1862, p. 145 ; Laquire, Les reconnaissances du gnral Servire, Paris, s.d., in-4, p. 21-22, avec une photographie de larolithe ; E. F. Gautier, Le Sahara algrien, t. I, Paris, 1908, in-8, p. 253. (4) Cf. sur les dolmens en Algrie, Gsell, Les monuments antiques de lAlgrie, Paris, 1901, 2 v. in-4, t. I, p. 10-36 avec une bibliographie trs complte de la question. (5) Comparaison du vocabulaire des Znagas (Archives des missions scientiques, Paris, 1879, p. 481).

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dont on a retrouv et explor la grotte, prs dAnnouna (Thibilis). Dans cette caverne, les salles ne sont pas disposes sur un mme plan horizontal, ni relies simplement par dtroits couloirs ; elles sont souvent superposes et communiquent entre elles par des escaliers naturels, quelquefois mme par de vritables puits. Entre ce couloir dentre et le fond de la caverne, la diffrence de niveau ne doit pas tre moindre de trois ou quatre cents mtres(1) . Le nom du dieu Bacax, mentionn dans un certain nombre dinscriptions latines, C. I. L. VIII, 5504 (18828), 5505 (18829), 5517 (18847), 5518 (18850), 18831, 18838, a rsist jusquici toutes les tentatives dinterprtation. Ctait devant lentre de la grotte quon offrait les sacrices. Peut-tre est-ce un culte de ce genre quil faut attribuer les trs nombreuses inscriptions libyques qui se trouvent dans lexcavation dIfri n dellal(2). Cest encore une divinit des cavernes dont il faut reconnatre le nom dans lnigmatique G D A S par o commencent un certain nombre dinscriptions releves dans la grotte appele Rar Zemma, situe sur un peron du Djebel Chettaba, aux environs de Constantine. Bien que contest par M. G. Mercier(3) qui en donne une description minutieuse, le rapprochement du nom actuel Chettaba, avec la montagne de Giddaba mentionne par S. Augustin, propos par Mgr Toulotte et M. Hron de Villefosse, est sduisant et G D A S signierait Giddab deo augusto sacrum(4). A la Grande Canarie, deux lieues de Trede, au sommet dune montagne volcanique, existe une grotte spacieuse, ouverte dans le rocher, o lon entre par quatre ouvertures de quatorze pieds de haut, do le nom populaire de Montagne des quatre portes. Les ouvertures sont spares par des____________________ (1) Monceaux, La grotte du dieu Bacax au Djebel Taia, Paris, 1887, in-8 ; G. Mercier, Les divinits libyques, Constantine, s. d. in-8, p. 6-7. (2) Cf. R. Basset, Notes sur les inscriptions libyques dlfri n dellal, Comptes rendus de lAcadmie des inscriptions, aot 1909, p. 590-593 ; Sad Boulifa, LInscription dira, Revue archologique, 1909, p. 179-200. (3) La grotte du Chettaba, Recueil archologique de Constantine, t. XXXV, p. 156, 166. (4) Cf. Gsell, Chronique africaine, Rome, 1903, in-8, p. 44, 45 et note 8.

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piliers dont la largeur varie depuis sept jusqu neuf pieds. Devant chaque pilier, sur une esplanade taille dans le roc et servant comme de pristyle la grotte, lon voit des espces de niches, les unes rondes, les autres carres, qui paraissent avoir t destines enfermer les objets du culte : les niches sont plus de cinq pieds du sol(1). Dans lle de Fer, aux Canaries, la grotte dAsteheyta, dans le pays de Tacuitunta, servait de retraite celui qui, en temps de scheresse, allait implorer la divinit. Elle lui apparaissait et lui remettait un porc quil prsentait lassemble comme signe que ses prires taient exauces(2). Nous ne savons si les Berbres ont ador lair ou le vent, mais ce ne fut sans doute que sous une inuence trangre. Nous avons une inscription en vers latins, trouve Naraggara (Sidi Yousof) o lair est invoqu sous le nom de Junon (C. I. L., VIII, 4635) et cest peut-tre un culte de ce genre quil faut rapporter une inscription de An Mtirchou (C. I. L., VIII, 17763). Elles doivent tre rapproches dun passage de Firminus Maternus (Erreur des religions profanes, III), daprs qui les Assyriens et une partie des habitants de lAfrique ont donn lair une espce de principaut sur les lments. Mais comme il ajoute quils lont consacr sous le nom de Junon ou de Vnus vierge, il est vident quil sagit ici dun culte punique. Les rivires, ou du moins les sources des rivires, taient consacres une divinit particulire ; les inscriptions qui les mentionnent, les seules que nous possdions, nous font connatre le nom de la divinit dsigne, probablement sous linuence romaine, par le mot gnie (Genius). Cest ainsi quau Sig, on a trouv une ddicace au Gnie du euve (Genio uminis, C. I. L., VIII, 9749) ; la source du Bou Merzoug, prs de lancienne____________________ (1) Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des les Canaries, t. I, Ire, partie, p. 159-160. (2) Viara y Clavijo ap. Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des les Canaries, t. I, part. I, p. 168 ; Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, p. 92-93.

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Sila, on a relev une inscription mentionnant le Gnie de lAmsaga, ancien nom du euve (C. I. L., VIII, 5884)(1) ; il en existe la divinit de leau Alexandriana (C. I. L., VIII, 2662) ; la divinit des eaux (C. I. L., VIII, 2663), au Gnie de la Fontaine (Genio fontis), associ Jupiter, Fontaine du Cad, prs de Batna (C. I. L., VIII, 4291). Lapplication du nom de Gnie dune ville, quon rencontre frquemment dans les inscriptions parait tre le rsultat dune imitation des coutumes romaines qui personniaient la ville en un gnie particulier, quand ce ntait pas luvre de colons romains plutt que de populations indignes. Ainsi le gnie dun village Lambse (Genio vici, C. I. L., VIII, 2604, 2605) ; le Gnie de Lambse (Genio Lambaesis, C. I. L., VIII, 2528, 2596, 2598, 2599) ; le Gnie de Rusicada (Genio coloniae Veneriae Rusicadae augusto, C. I. L., VIII, 7959, 7960) ; le Gnie de Henchir Masfouna (Genio Lamasbae augusto) ; le Gnie dune bourgade Sour Djouab (Genio pagi augusto, C. I. L., VIII, 9196), le Gnie des colonies cirtennes (C. I. L., VIII, 5693, 10866) ; le Gnie de la colonie Mila (C. I. L., VIII, 7960, 8202 = 19980) ; le Gnie de Mactar (C. I. L., VIII, 6352), le Gnie de Subzavar (C. I. L., VIII, 6001) ; le Gnie de Phua (6267-91) ; le Gnie du municipe Testour (C. I. L., VIII, 1353, 14891) ; le Gnie du municipe de Sataf (An Kebir, C. I. L., VIII, 8389) ; le Gnie de la Civitas celtianensium, chez les Beni Oualbn (C. I. L., VIII, 19688) ; le Genius populi Cuiculitani Djemila (C. L., VIII, 20144) ; le Gnie de la colonie Henchir Sidi Ali bel Qsem (C. I. L., VIII, 14687) ; le Gnie de loppidum Lamsortense Henchir Mafouna (C. I. L., VIII, 18596) ; le Gnie de la colonia Julia Veneria Chirtae novae Henchir Djezza (C. I. L., VIII, 16367) ; le Gnie de la bourgade (Genio vici Augusto) Marcouna (C. I. L., VIII, 424) ; le Gnie de Thibar Henchir Amamet (C. I. L., VIII, 15345) ; le Gnie dupeuple An Zana____________________ (1) Cf. aussi Cherbonneau, Excursion dans les ruines de Mila, Sufavar, Sila et Sigus, Constantine, s. d., in-8, p. 30-31.

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(C. I. L., VIII, 4575), Constantine (C. I. L., VIII, 6947, 6948) ; le Gnie de Novar... chez les Beni Fouda (C. I. L., VIII, 20429, 20430) ; le Gnie de Gadimefala (? C. I. L., VIII, 18752). On peut y joindre la divinit invaincue de Goura (Ksar Goura, prs de Tbessa, C. I. L., VIII, 1843) et celui qui est mentionn dans une inscription de Bordj Hamza, Auzio Deo Genio (C. I. L., VIII, 9014). Le gnie est le plus souvent une divinit latine ou punico-latine comme Ksar el Ahmar dans la rgion de An Beida : dans une ddicace Saturne, du IIIe sicle, ce Dieu y est quali de Genius saltus Sorothensis(1) ; dans une autre adresse Jupiter, Uzeli, cest le Genius arcae frumentar (C. I. L., VIII, 6639). A ct des montagnes, des rochers, des grottes et des rivires, les Berbres adoraient aussi les astres, et, en premire ligne, le soleil. Son culte existait chez les Berbres nomades, entre lgypte et le lac Triton (Hrodote, Histoires, l. IV, 188) et chez les Berbres en gnral(2). Dans la vie de saint Samuel de Qalamon, nous voyons que le Berbre qui avait rduit le saint en esclavage voulait lui faire adorer le soleil(3). Nous trouvons des inscriptions latines qui lui sont consacres : Soli deo invicto dans la plaine de Batna (C. I. L., VIII, 2675) ; Soli deo Augusto, Zara (C. I. L., VIII, 4513) ; Soli invicto Souk Ahras (C. I. L., VIII, 5143), Slouguia (C. I. L., VIII, 1329) ; Cherchel (C. I. L., VIII, 9331) ; Affreville (C. I. L., VIII, 9629) ; au soleil et la lune, prs de Sidi Ali bel Qsem en Tunisie (C. I. L., VIII, 14688, 14689), mais il est douteux quil sagisse de lancienne divinit berbre quand on voit le soleil assimil Mithra El Gan (C. I. L., VIII, 18025) ainsi qu An Toukria (C. I. L., VIII, 21523). Il semble au contraire quil sagisse du dieu berbre dans____________________ (1) Gsell, Chronique archologique africaine, Rome, 1899, in-8, p. 40. (2) Ibn Khaldoun, Kitb et Iber , Boulaq 1284 hg., 7 vol. in-8, t. VI, p. 89. (3) R. Basset, Synaxaire arabe-jacobite, Paris, s. d., in-8, p. 331 ; F. M. Esteves Pereira, Vida de Abba Samuel, Lisbonne, 1894, in-8, p. 22, 99, 154.

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une inscription latine dAumale, de lan 207 de lre de la province, o il est parl des crmonies en lhonneur du Tonnant Porteur de cornes et dune Panthea qui lui serait adjointe, qui serait vnre sur les bords libyens et maures et qui sigerait entre Jupiter, Hammon et Dis (C. I. L., VIII, 9018). Les Guanches de Palma vnraient aussi le soleil et lui donnaient le nom de Magec(1), et aussi celui dAman qui parait avoir signi Seigneur ; en touareg aoulimmiden, Amanai a le sens de Dieu . Au dire de Macrobe (Saturnales, l. I, ch. 21), ces Libyens adoraient le soleil couchant qui tait gur par Hammon (Amen) : on le reprsentait avec des cornes de blier dans lesquelles rsidait sa principale force, comme celle du soleil dans ses rayons(2). Dans le discours de S. Athanase contre les Gentils ( 14), il est dit que, chez les Libyens, la brebis se nommait amen et quelle tait vnre comme une divinit. On a du reste, et avec toute apparence de raison, mis lopinion quAmmon (Hammon, Amen) : tait un dieu dorigine berbre. On peut y rapporter la gravure rupestre trouve Bou Alem dans le Sud Oranais, reprsentant des bliers dont la tte est surmonte dune coiffure, ayant la forme dun disque solaire, anqu dun urus(3). On aurait tort cependant dy voir le prototype de lAmen gyptien ; je crois, avec M. Gsell, que cest une espce plus ou moins heureuse de reprsentation gyptienne, comme probablement les dessins rupestres dcouverts par Barth Telissau, louest du Fezzan(4) et le basrelief trouv dans les fondations du bordj Tasko Ghdams(5).____________________ (1) Cf. Alvise de C da Mosto, Relation des voyages la cte occidentale dAfrique, trad. J. Temporal, d. Schefer. Paris, 1895, in-8, p. 34 ; Viana, Antigedades de las Islas Afortunadas, p. 24 ; Glas, The history of the Canary Islands, p. 139. (2) Cf. aussi Martianus Capella, De nuptiis philologiae, l. II, d. Eyssenhardt, Leipzig, 1866, in-12, p. 44. (3) Gsell, Chronique archologique africaine, Rome, 1900, in-8, p. 83 ; Les Monuments antiques de lAlgrie, t. I, p. 53. (4) Reisen und Entdeckungen, t. I, p. 210-217. (5) Les Touaregs du Nord, pl. X.

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Mais il est une autre preuve de ladoration du blier reprsentant le soleil et o lon ne peut voir une imitation gyptienne ; il sagit dun monument trouv en 1851 au Vieil Arzeu, reprsentant une tte grossirement sculpte avec un nez accus trs faiblement, deux petits trous ronds pour les yeux et les oreilles et la bouche gure par une ligne creuse ; cornes recourbes et la pointe en bas, bras colls au corps et dont les mains viennent se joindre au-dessus du nombril. La partie infrieure du corps se termine en gaine (1). Cest aussi une idole de ce genre qui a t trouve au Touat et quon dsigne sous le nom d idole gtule (?)(2). On peut lassimiler Gourzil qui avait pour prtre lerna et pour pre Jupiter Ammon (Corippus, Johannide, II, 109-110 ; V, 494495 ; VI, 116), qui lavait eu dune gnisse (Johannide, II, 111). Ce Gourzil est considr comme un Apollon : il tait reprsent par une image de taureau quon portait la guerre (Johannide, IV, 666-673 ; V, 22-29). Le culte de cette divinit se maintint longtemps, car au XIe sicle de notre re, El Bekri mentionne en Tripolitaine une idole en pierre, leve sur une colline et nomme Gorza, laquelle les tribus des environs, entre autres les Hoouaras, offraient des sacrices et adressaient des prires pour obtenir la gurison de leurs troupeaux(3). El Bekri(4) ne nous donne malheureusement pas de renseignements sur la forme de cette idole. tait-ce aussi une idole berbre du mme genre, celle que le mme auteur appelle Maghmades (peut-tre le Macomades des anciens) et quil dit tre dresse sur le rivage de la mer entre lgypte et le Maghrib et entoure de plusieurs autres ? (Description de lAfrique, p. 7). Cette appellation de Gorza qui parat se retrouver comme lment des noms de localits dans une____________________ (1) Berbrugger, Bibliothque-Muse dAlger, Alger, 1861, in-16, p. 29-30. (2) E. F. Gautier, Le Sahara algrien, p. 253. (3) Cf. J. Partsch, Die Berbern in der Dichtung des Corippus, Breslau, 1896, p. 16. (4) El Bekri, Description de lAfrique septentrionale texte arabe, d. de Slane, Alger, 1857, in-8, p. 12.

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ville place par Polybe (Histoire, I, 74) non loin dUtique et de Carthage, et dans une tessera dhospitalit et de patronage de L. Domitius Ahenobarbus (C. I. L., VIII, 68). Senatus populusque civitatium stipendariorum Pagogurzenses hospitium fecerunt... Faciundum craverunt Ammicar, Milchatonis f., Cynasyn Bonoar Azzrubalis f., Aethogurzensis Muthunbal f... (1) On remarquera les noms puniques des donateurs. Une autre plaque dairain mentionne la civitas Gurzensis (C. I. L., VIII, 69) et peut-tre faut-il voir Gurza dans la Gurra de la table de Peutinger. Au XIe sicle galement, El Bekri signale dans lAtlas, prs des B. Lams, entre Aghmt et le Sous, une tribu de Berbres idoltres qui adoraient un blier : aucun dentre eux nosait venir, sinon dguis, dans les marchs des tribus voisines (Description de lAfrique, p. 161). A ce culte du soleil, une seule tribu aurait fait exception : les Atlantes (variante Atarantes) ; nayant pas de noms qui les distinguaient, ils regardaient le soleil levant ou couchant en prononant des imprcations terribles comme contre un astre funeste eux et leurs champs ; ils navaient pas de songes comme les autres hommes. Cest ce que rapportent Hrodote (Histoires, l. IV, 184) et Pline lAncien (Histoire naturelle, l. V, ch. 8) ; Nicolas de Damas (fragment 140 d. Mller) ne mentionne dinjures que contre le soleil levant. La lune tait adore de mme par les Berbres nomades entre le lac Tritonis et lgypte (Hrodote, Histoires, l. IV, 188), par dautres Berbres de lOuest (Ibn Khaldoun, Kitab el Iber, t. VI, p. 89) et par les Guanches. Ceux-ci observaient exactement ses phases, surtout pour la nouvelle lune ou la pleine lune(2). Les Berbres lavaient-ils assimile la desse cleste de Dougga et de Carthage, celle-ci apporte, suivant la tradition par Didon, appele par les Phniciens Astro Arkh et transporte Rome par____________________ (1) Egger, Latini sermonis reliqui, Paris, 1843, in-8, p. 327. (2) Alvise de C da Mosto, Relation, p. 34 ; Glas, The history of the Canary Islands, p. 139.

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Caracalla ? (Hrodien, Histoire romaine, l. V. ch, VI, 4). Comme on le voit par un passage de lHistoire auguste, les prdictions sorties du temple de Clestis Carthage causrent en Afrique un grand nombre de sditions auxquelles prirent part probablement les Berbres et que Pertinax dut rprimer pendant son proconsulat dAfrique (J. Capitolin, Vie de Pertinax, ch. IV). Le croissant de la lune se rencontre au-dessus dun grand nombre dinscriptions (Cf. C. I. L. passim) dont une, chez les Beni Oukden, est en caractres libyques et phniciens (C. I. L., VIII, 20184), mais il est vraisemblable que ce signe qui avait primitivement dsign un culte lunaire tait devenu un ornement sans signication. Il ny a pas lieu dadopter lhypothse, mise daprs des tymologies et des rapprochements inexacts, suivant laquelle Tanit, la grande divinit punique, serait de provenance berbre(1). Si lon remarque quen berbre, le nom de la lune est masculin, Aiour ou Aggour, on reconnatra quelle na pu tre gure par une desse. Il y a beaucoup plus de vraisemblance dans lhypothse de M. G. Mercier(2) qui tend retrouver Aiour dans lnigmatique leru mentionn avec lpithte dauguste, dans une inscription dcouverte sur le Guechgach, seize kilomtres de Constantine (C. I. L., VIII, 5673). Les autres corps clestes taient-ils lobjet de ladoration des Berbres ? cest ce qui est probable, bien que nous navions de preuves que pour un petit nombre dentre eux. Alvise de Ca da Mosto lafrme pour les Guanches de Tnrife (Relation, p. 34). La plante Vnus porte aujourdhui en zaouaoua le nom de Lemrar ; chez les Aouelimmiden, en tant qutoile du soir, celui de tatari, et qutoile du matin, amaouen n ehad ou amaouen achimmelech ; chez les Ahaggar, elle est appele Tatrit ta n toufat ce qui traduit exactement toile du matin . A lexemple dautres nations, les Ahaggar ont plac dans le ciel un certain nombre de scnes, sans____________________ (1) Bertholon, Essai sur la religion des Libyens. Revue tunisienne, novembre 1908, p.484-450. (2) Les divinits libyques, p. 12-16.

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quon puisse dcider si elles correspondent un sentiment religieux. Ainsi les Pliades sont les Filles de la nuit (Cht Ahadh) : six des toiles de cette constellation ont chacune leur nom ; la septime est lil dun garon qui a t dtach et sest envol au ciel. Cette tradition est donne dans les vers suivants : Les lles de la nuit sont au nombre de sept :Mteredjr et Erredjot, Mteseksek et Essekot Mtelaghlagh et Elleghot. La septime est lil dun garon qui sest envol au ciel(1).

On voit que les six toiles se rduisent trois couples dont les noms appartiennent la mme racine. Les Aouelimmiden leur donnent aussi le nom de Chettahat (= Cht Ahadh). Orion, en touareg Amanar, a deux interprtations. Suivant lune, il sort dun puits vaseux et Rigel (Adar ne lakou, le Pied dans la vase) est le dernier pied quil sort de la boue, cest-dire la dernire toile, quand la constellation monte dans lEst. Daprs lautre, cest un chasseur, ceint de sa ceinture (en ahaggar et en aouelimmiden Tadjebest en Amanar, baudrier dOrion), qui est suivi par un chien (Eidi = Sirius) et prcd par des Gazelles (Ihenkadh, constellation du Livre)(2). La Grande Ourse et la Petite Ourse reprsentent une chamelle et son petit (Talemt de roris) : lEtoile Polaire est une ngresse appele Lemkechen (cest--dire tiens ) parce quelle doit tenir le jeune Chameau (Aoura) pour quon puisse traire sa mre. Mais les toiles , , , , , reprsentent une assemble qui dlibre si lon doit tuer la ngresse : celle-ci (la Polaire) se tient immobile de peur(3). Suivant une lgende contamine par la religion musulmane, la Grande Ourse serait une chamelle qui aurait appartenu No. Elle fut tue par sept nobles dont un Touareg :____________________ (1) Duveyrier, Les Touaregs du Nord, p. 424-425. (2) Duveyrier, op. laud., p. 424. (3) Duveyrier, op. laud., p. 424.

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celui-ci fut mtamorphos en ourane (arata, sorte de grand lzard), les autres en chacal, en camlon etc. La chamelle fut transporte au ciel. Depuis lors, les Touaregs ne mangent pas lourane quils regardent comme leur oncle maternel(1). Le Scorpion est appel tantt Tagherdamt (scorpion), tantt Tazzeit (palmier). Un jeune homme, Amrot (Antars) veut monter sur le palmier ; mais, arriv mi-hauteur de larbre, il aperoit de belles jeunes lles, Tibaradin, vtues de haoulis rouges, venant de la mare (Teshak), il reste mi-hauteur pour les contempler(2). Dautres constellations ont un nom, mais aucune lgende ne sy rattache. La Voie lacte se nomme Bougie ajgou u tignaou poutre du ciel ; chez les Touaregs, Mahellaou. Les toiles , , du Grand Chien sont appeles Ifarakraken (bruit dun ventail ou dun oiseau) et , Aouhem, le petit de la Gazelle ; et du Navire sont la Richesse (Tenfalet) et la Pauvret (Tzzert) ; Aldebaran se nomme Kkoyyodh et Canope, Ouadit(3). Les Africains (Afri) passaient du reste dans lantiquit pour tre trs verss dans la science des horoscopes, et particulirement Septime Svre, comme on le voit par un mot qui lui est attribu. Parlant de son ls Gta Juvnal, prfet du prtoire, il lui disait : Il est tonnant que notre ls Gta doive tre divinis, sa constellation nayant mes yeux rien dimprial (Spartien, Vie de Gta, 2, dans lHistoire auguste). Le nom de larc en ciel, chez quelques tribus berbres, nous a conserv la trace dun mythe. Si lOued Rir, on lappelle abechchi et en harakta, abeggas (la ceinture), en zouaoua, il se nomme thislith b ouanzar ; chez les Botioua dArzeu, thisrith n ounzar ; chez les B. lznacen, thaslit nounzer, qui signie la ance de la Pluie , et chez les Beni Menacer, taslith n oujenna, ance du ciel . La pluie, Anzar est donc considre comme un tre____________________ (1) Benhazera, Six mois chez les Touaregs, p, 60, 61. (2) Duveyrier, op. laud., p. 425. (3) Duveyrier, op. laud., p. 426.

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masculin. Dans le Jurjura, les enfants kabyles, en temps de scheresse, vont de maison en maison en chantant : Anzar ! Anzar ! O Dieu, abreuve-nous jusqu la racine(1). Au Mzab, les enfants chantent en dpiquant le grain : Donne-nous, Dieu, leau dAnzar(2). Dans un conte populaire de Ouargla, Amzar (= Anzar) est personni(3). Larc-en-ciel est par consquent regard comme la ance de la pluie. Ce mythe nest pas sans rapport avec la manire dont on provoque la pluie chez certaines populations berbres et arabes du Maghrib. A An Sefra, Tlemcen, Mazouna, on prend une cuiller en bois (en kabyle aghendja) quon habille avec des chiffons, de manire en faire une sorte de poupe reprsentant une ance ou une marie, appele Ghondja, que lon promne solennellement aux tombeaux des marabouts locaux, en chantant des couplets qui varient suivant les localits. Ainsi celui-ci : Ghondja ! Ghondja a dcouvert sa tte. O mon Dieu, tu arroseras ses pendants doreilles ; Lpi est altr ; Donne-lui boire, notre Matre(4). Tit, dans les oasis du Touat, pendant la scheresse, les gens sortent du qar, hommes, femmes, garons et lles. Ils prennent une cuillre de bois et lhabillent de vtements fminins. Une jeune lle la porte et les gens rptent : O cuiller! prairie ! (Arendja ia merdja) ; Seigneur, amliore le temps de la chaleur ! Seigneur ! au____________________ (1) Ben Sedira, Cours de langue kabyle, Alger, 1887, in-8, p. XCVIII, note 1. Cf. Masqueray, Inscriptions indites dAuzia. Bulletin de correspondance africaine, t. I, 1882, p. 11-12. (2) De Motylinski, Le dialecte berbre de Rdams, Paris, 1907, in-8, p. 147. (3) Biarnay, tude sur le dialecte berbre de Ouargla, Paris, 1908, in8, conte IX, p. 247-249. (4) Cf. A. Bel, Quelques rites pour obtenir de la pluie en temps de scheresse chez les Musulmans Magribins, Recueil de mmoires et de textes imprims en lhonneur du XIVe Congrs des orientalistes, par les Professeurs de lcole des Lettres, Alger, 1905, in-8, p. 49-98 ; Doutt, Magie et Religion dans lAfrique du Nord, Alger, 1909, p. 584-586.

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nom du Prophte ! Dj dans son apologtique, XXIII. Tertullien donne la Virgo Clestis le titre de Pluviarum Pollicitatrix. Chez les Guanches, le fonds de la crmonie pour provoquer la pluie consistait faire jener les hommes et les troupeaux et mme, Tnrife, les petits quon sparait de leurs mres et dont les cris devaient mouvoir le ciel(1). Ctait aussi un don de certains magiciens. Un historien de lantiquit nous raconte comment chez les Berbres, une arme romaine, commande par Hosidius Gta, successeur de Sutonius Paulinus faillit mourir de soif dans les sables la poursuite des rebelles et de leur chef Subulus. Un indigne alli persuada au gnral romain davoir recours aux incantateurs et la magie, afrmant que souvent un pareil moyen avait amen de leau en grande quantit. Cette fois encore, le procd russit, mais nous ignorons eu quoi il consistait (Dion Cassius, Histoire romaine, l. IX, ch. 9). A ces divinits, il faut joindre celles que nous a fait connatre lpigraphie latine, mais sur les attributions et la nature desquelles nous ne sommes pas xs. Ainsi nous avons des ddicaces aux Dieux Maures sur divers points de lAfrique du Nord : Cherchel (C. I. L., 9327) ; prs de lOued Marcouna (C. I. L., 2639) ; prs de lOued Tezzoulet (C. I. L., VIII, 2640) ; Lamoricire (C. I. L., VIII, 21720) ; Henchir Remdan en Tunisie (C. I. L., VIII, 1442) ; aux Dieux Maures sauveurs et au Gnie de Satas An Kebira (C. I. L., VIII, 20251). Ces Dieux Maures sont-ils les rois diviniss dont il sera parl plus loin ? La chose est possible, mais rien ne vient lafrmer ; ainsi Autiman, associ Mercure dans une inscription de Lambse (C. I. L., VIII, 2650) et quon a compar au Mastiman de Corippus (Johannide, VIII, 306-307), que quelques-uns prenaient pour le dieu de la guerre(2). Dautres Maures voyaient en lui le Jupiter Tnarius quon a____________________ (1) Viera, daprs Espinosa, ap. Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des les Canaries t. I, part. 1 p. 173 ; Verneau, Cinq annes de sjour aux les Canaries, p. 92-93. (2) Cf. G. Mercier, Les divinits libyques, p. 1.

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propos de corriger en Jupiter Tartarius correspondant au Dis Severus de linscription latine (C. I. L., VIII, 9018)(1) et qui on immolait des victimes humaines en temps de peste (Johannide, VIII, 307-309). On peut rapprocher ce passage de celui o Pline lAncien (Histoire naturelle, V, 8) nous dit que les Augiles nadmettaient que les dieux infernaux, ou, suivant Pomponius Mela, les Mnes (De situ orbis, I, 8). Aulisva tait ador dans la rgion de Tlemcen, comme le montrent deux inscriptions trouves Agadir (C. I. L., VIII, 9906, 9907) et une autre An Khial (C. I. L., VIII, 21704). Je ne crois pas ncessaire dinsister sur Kautus Pates, nom dont la lecture dans une inscription de Khenchela nest rien moins que sre, non plus que sur Kaub, mentionn dans le Chettaba. Une inscription de Henchir Matkides (C. I. L., VIII, 16749) semble indiquer cinq dieux du pagus de Magifa : elle est ddie Masidenis, Tikikv, Sugganis, Iesdanis, qui avaient des statues. Une autre, Sidi Yousof (C. I. L., VIII, 18809) mentionne un Iocolo (Iocoloni deo patrio). Cette pithte de Deus patrius est donne Baliddir ou Baldir, dans les inscriptions qui le nomment : Guelaat bou Sba entre Bne et Guelma (C. I. L., 5279), Sigus (C. I. L., VIII, 19121, 19122, 19123) : est-ce le mme que le Genius patrius dont un prtre fut enterr Zettara (Kef Bezioua) ? Un autre Deus patrius, qui avait des prtres, est signal Henchir el Bez (C. I. L., VIII, 12003). Ce nom de Baliddir, ou du moins son second lment iddir estil berbre comme la soutenu M. G. Mercier(2) qui le traduit par le Dieu vivant ? La principale objection viendrait de ce que ce nom serait hybride, compos de punique et de berbre. On la rapproch aussi, mais sans grande vraisemblance, de celui dAbbadiri Sancto(3), mentionn dans une inscription de Miliana (C. I. L., VIII, 21481) et compt parmi les divinits puniques par____________________ (1) Partsch, Die Berbern in der Dichtung des Corippus, p. 16. (2) Les divinits libyques, p. 8-12. (3) Schmidt, Cagnat et Dessau, Inscriptionum Mauritaniae latinarum supplementum, Berlin, 1904, in-fol., p. 2028.

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S. Augustin (p. XVII, 2). Priscien (VII, 313) donnait le nom dAbbadia au btyle aval par Saturne. Mais quel que soit le sens donn Iddir, il ne parait pas quon puisse en faire un dieu suprme de lAfrique septentrionale. Peut-tre stait-il produit, sous linuence romaine et son imitation, un mouvement qui dgagea un des dieux locaux et le plaa au-dessus des autres, au moins pour la Mauritanie ; cest ce que sembleraient indiquer deux inscriptions, dont lune, Bougie est ddie Numini Mauretaniae et Genio Thermarum (C. I. L., VIII, 8926) et une autre An Kebira, Numini Maur. aug. (C. I. L., VII, 2052). M. Halvy a cru voir ce dieu suprme dans Iolaos mentionn, ce quil dit, dans le trait entre Carthage et le Snat romain et quil croit avoir retrouv dans une inscription libyque(1). La lecture de ces dernires est trop peu sre et dailleurs Iol est un dieu punique. Si lon en croit les Espagnols, les Guanches auraient eu, au moment de la conqute des Canaries, un dieu suprme. Viana(2) rapporte quils adoraient un seul dieu, inni, tout-puissant, juste, clment, appel en leur langue Hucanech, Guayaxarax (nomm par Viera Achguoyaxiraxi le conservateur du monde ), Acucanac (nomm par Galindo Achucana), Menceito, Acoron, Acaman, Acuhurajan (nomm Achahurahan et Achxurahan par Viera, Achahuaban par Galindo), pithtes signiant tout-puissant, protecteur et crateur de tout tre, sans principe et sans n, cause des causes . Le sens de ces mots na pu se retrouver en berbre sauf pour Acoron et Acaman qui signient le grand et le ciel . Les noms guanches transmis par les Espagnols sont trs fortement altrs, ce qui sexplique par des fautes graphiques et par lignorance, o taient les crivains, de la langue parle aux Canaries. Ainsi Achaman donn par Viera, avec le sens de Dieu suprme est plus____________________ (1) Essais dpigraphie Libyque, Paris, 1874, in-8, p. 157-158. (2) Antiguedades de las Islas Afortunadas, p. 19 ; de Goldberry, Fragments dun voyage en Afrique, Paris, an X, in-8, t. I, p. 90 ; Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des Iles Canaries, t. I, part. I, p. 170.

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correct quAcaman et parat apparent au touareg aouelimmiden aochina le ciel (cf. guanche de Tenerife achano, anne) ; il se rattache la racine G N qui a donn en zouaoua thignouth nuage et igenni, ciel, et dans dautres dialectes ajenna et ijenni avec le mme sens. Mais on ne saurait accorder une conance entire Viana chez qui se manifeste la tendance reconnatre chez les Guanches une doctrine semblable au Christianisme avec un dieu suprme et un dmon. Il dit mme que jamais ils ne crurent une idole, ni nen adorrent et quils ne vnrrent quun seul Dieu. M. Chil y Naranjo restreint cette assertion aux naturels de Lanzarote(1). Le mme auteur a relev des donnes inexactes de ce genre(2), et du reste, lassertion est dmentie par la dcouverte, au XIVe sicle, didoles la Grande Canarie(3) et ladoration de celle qui reprsentait une femme nue dans un dice appel Tirma(4). Au dire de Viera, le dieu des hommes se serait appel lle de Fer Eraoranhan (Eraorangan daprs Galindo) ; il aurait sig avec Aroreyba, desse des femmes, sur les deux rochers de Bentayga, appels encore aujourdhui Santillos de los Antiguos. Aprs leur conversion au christianisme, les naturels de lle de Fer adorrent Jsus et Marie sous les noms dEraoranhan et de Moreybo(5). Le dieu suprme, au dire dEspinosa, aurait cr lhomme de la terre et de leau, tant les hommes que les femmes : les troupeaux leur avaient t donns pour se nourrir. Ensuite, il cra plus dhommes, mais il ne leur donna plus de troupeaux. Comme ils en demandaient, il leur rpondit : Gardez ces autres, et ils vous nourriront. Cette dernire classe dtre crs se composait des Achicaxac, paysans, tandis que la premire comprenait____________________ (1) Estudios historicos de las Islas Canarias, t. I. Las Palmas, in-8, 1876-1879, p. 427-428. (2) Chil y Naranjo, op. laud., p. 517-518. (3) Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, p. 88-90. (4) Bernaldes ap. Parker Webb et Sabin Berthelot, Histoire naturelle des les Canaries, t. I, part. I, p. 170. (5) Parker Webb et Sabin Berthelot, op. Laud., t. I, part. I, p. 168.

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les nobles, Achimencei, et les chevaliers Cichiciquitzo(1). Cette liste de divinits pourrait tre accrue, si nous avions les noms indignes de celles dont les Grecs et les Latins font mention, mais en les assimilant aux leurs ; quelquefois mme les Berbres sont alls plus loin et lassimilation est devenue un emprunt fait par eux. Toutefois, il me parait inutile de marrter sur le roman mythologique bti de toutes pices sur les Amazones, les Atlantes et leurs rois, Ammon etc., qui termine le IIIe livre de la Bibliothque historique de Diodore de Sicile. Il na absolument rien de commun avec les traditions et les coutumes religieuses des Berbres. Hrodote (Histoires. l. II, ch. 50) nous dit que ce sont les Libyens qui ont rvl Posidon ; que nul avant eux navait prononc son nom et quils lavaient toujours honor comme un Dieu. Amplius (Liber memorialis, ch. IX) nous parle dun cinquime Apollon, n en Libye (Gourzil ?). Mais la plus clbre de toutes ces divinits est Athn Tritognis, ne, suivant Hrodote (Histoires, l. IV, ch. 180), Pomponius Mela (De situ orbis, l. I, ch. 7) et Pausanias (Description de la Grce, l. I, ch. IV) de Posidon et de la nymphe du lac Tritonis. Ce nest pas le lieu dtudier ici le personnage de Triton comme lont reprsent les monuments grecs(2), mais Hrodote mentionne des rites paternels que les Vierges des Auses excutaient en lhonneur dune desse indigne, par consquent berbre, et qui ntait autre que celle appele Athn par les Grecs. Le jour de la fte annuelle dAthn, les vierges se rangent en deux bandes combattant les unes contre les autres coups de pierres et de btons. Celles qui meurent de leurs blessures sont rputes fausses vierges. Avant le combat, celle qui est reconnue pour la plus belle est orne dun casque corinthien et dune armure grecque ; on la fait____________________ (1) Alonso de Espinosa, The holy image of your Lady of Candelaria L. I, ch. 8, trad. par Markham, The Guanches of Tenerife, Londres, 1907, in-8. (2) Cf. Vater, Triton und Euphemos, Saint-Ptersbourg, 1849, in-8 ; Tissot, De Tritonide lacu, Dijon, 1863, in-8 ; Escher, Triton und seine Bekmpfung durch Heracles, Leipzig, 1890, in-8.

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monter en outre sur un char et on la promne autour du lac. Les Grecs expliqurent cette coutume comme un souvenir de la lutte que se livrrent Athn, leve chez Triton et Pallas, lle de ce dernier, et dans laquelle elle prit (Apollodore, Bibliothque, III, 12). Cet usage aurait encore exist au temps de Pomponius Mla, moins quil nait simplement copi Hrodote. Ce dernier pensait quavant le casque et le bouclier grecs, elles portaient des armes gyptiennes (Histoires, l. II, ch. 276)(1). Une inscription latine trouve An Goulea en Tunisie (C. I. L., VIII, 15247) et une autre Henchir El Matria (C. I. L., VIII, 15378) mentionnent une ddicace un dragon (Draconi augusto). Peut-tre cette divinit est-elle rapprocher du serpent de bronze tte dore que les paens adoraient Tipasa, sur la colline des Temples, et que, au Ve sicle, sainte Salsa jeta la mer, ce qui causa son supplice. Il nest pas certain que ce soit un reste du culte dEschmoun(2), et le rsum de la passion de sainte Salsa nest pas probant ce sujet(3). Toutefois, rien ne dmontre que le culte du serpent ait jamais t indigne chez les Berbres. Dun autre ct, le panthon berbre a pu senrichir grce lapothose des rois, du moins au temps de lindpendance. On connat la phrase de Minucius Flix : Et Juba, Mauris volentibus, Deus est (Octavius, ch. XXIII). Une inscription latine (C. I. L., VIII, 17159) est prcisment consacre Juba et au Gnie Vanisuensis Tassammert(4). De son ct, Tertullien disait : Unicuique etiam provinciae et civitate deus est... et Mauritaniae reguli sui (Apologtique, ch. XXIV). On a trouv Bougie un fragment dinscription ddie au roi Ptolme, ls de Juba (C. I. L., VIII, 9127) ; un autre Alger (C. I. L., VIII 9257) ; Cherchel, au Gnie du roi Ptolme (C. I. L., VIII, 9342). Peut-tre est-ce un culte rtrospectif qui dtermina les habitants de Thubursicum Numidarum____________________ (1) Cf. Escher, Triton und seine Bekmpfung, p. 79. A. J. Reinach, Itanos et linventio scuti dans Rev. de lhist. des Relig., mars-avril 1910, p. 198-201. (2) Cf. Gsell, Tipasa, Rome, 1894, p. 310-311. (3) Gsell, Recherches archologiques, p. 1-3. (4) Cf. Gsell, Recherches archologiques, p. 286-287.

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(Khamissa) consacrer comme une divinit Hiemsal, ls de Gauda (C. I. L., VIII, 7* (17159), ce qui explique lhommage rendu Gulussa, roi de Numidie, ls de Masinissa (C. I. L., VIII, 7*) daprs deux inscriptions traites de fausses avec une lgret malveillante par Mommsen qui dut ensuite se rendre lvidence et confesser son erreur(1). Mais il est probable que lAfrique suivit lexemple donn par Rome pour lapothose des empereurs, comme on peut le reconnatre par ce rapprochement fait par Lactance : Hac scilicet ratione Romani Caesares suos consecraverunt et Mauri reges suos... et plus loin : Singuli populi... summa veneratione coluerunt ut Aegyptii Isidem, Mauri Jubam (Migne, Patrologia latina, t. VI, col. 194) ; Pomponius Mela (De situ orbis, l. I, ch. 6) avait constat le fait : Les habitants des rivages de lAfrique, depuis les colonnes dHercule, ont adopt en tout point nos murs et nos usages, si ce nest que quelques-uns ont conserv leur langue primitive, ainsi que les dieux et le culte de leurs anctres . Cette remarque de Pomponius Mela est conrme par ibn Khaldoun : Il arriva que, de temps autre, les Berbres professaient la religion des vainqueurs, car des nations puissantes les avaient soumis (Kitb el Iber, t. VI, p. 106). Faut-il ajouter que Septime Svre, Africain dorigine, tait regard comme un dieu par les Africains (Histoire Auguste, Vie de Septime Svre, ch. XIII). Cest ce qui explique limmense quantit dinscriptions en lhonneur de divinits adoptes, et non pas mme assimiles, par les Berbres qui prenaient les dieux de Rome aprs ceux de Carthage : Jupiter, Junon, Pluton, Pallas, Vnus, Apollon, Diane, les Nymphes, Neptune, Mercure, Silvain, Bellone, Crs, Hercule, Minerve, Mars, Esculape, les Dioscures, Tellus, Hygie etc. et mme les divinits orientales comme Mithra, Malagbel, Mater Magna, Jupiter Dolichenus, Jupiter Heliopolitanus, Isis, Sarapis. Il faut y joindre Bacchus-Liber, car cest par erreur quon a cru retrouver le nom de____________________ (1) Cf. Masqueray, Les Additamenta ad Corporis volumen de M. Schmidt, Bulletin de correspondance africaine, 1885, Alger, in-8, p. 161-163.

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Bacchus par une fausse lecture du nom de Yakouch qui est dorigine berbre(1), et la traduction dune pithte arabe qui na rien de commun avec Dionysos. Lexistence de vignes en Afrique ne justie nullement les hypothses dans lesquelles sest aventur M. Lefbure(2) et aprs lui M. Bertholon(3). Mais il est peu prs impossible de faire le dpart entre les adorateurs, colons ou soldats romains, soldats trangers, habitants dorigine punique, mtis de Berbres et de Phniciens ou de Latins, ou enn de Berbres purs. Peut-tre faut-il attribuer aux Berbres, ct du culte de leurs rois celui de personnages analogues aux demi-dieux de lantiquit et dont la naissance et la taille gigantesque forment le sujet de diverses lgendes. Ils racontaient en effet que la sur de Yala ben Mohammed el Ifreni donna le jour un ls sans avoir eu commerce avec un homme, stant baigne dans une source deau chaude o les btes froces allaient boire et ayant conu par leffet de la bave dun lion : Lenfant fut nomm Kelmrn ibn al Asad (ls de lion) et on rapporte de lui des traits extraordinaires. Ibn Khaldoun ajoute que les Berbres racontent un si grand nombre dhistoires de ce genre que si on les mettait par crit, on en remplirait un grand nombre de volumes(4). Cest des croyances semblables, adaptes des traditions grecques ou juives, quil faut rattacher la lgende de la dcouverte du corps dAnte, qui ne mesurait pas moins de soixante coudes, comme Sertorius le constata, au dire de Gabinius, dans son Histoire romaine, lorsquil t ouvrir prs de Legna en Mauritanie le tombeau de ce gant, de qui prtendait descendre Juba par son ls Sophax (Strabon, Gographe, l. XVII, III, 8 ; Plutarque, Vie de Sertorius, ch. IX). Estce un souvenir de ce genre quon peut relever dans lhymne VIII____________________ (1) Voir plus loin, p. 50. (2) La politique religieuse des Grecs en Libye, Alger, 1902, in-8, p. 22-38. (3) Essai sur la religion des Libyens. Revue Tunisienne, janvier 1909, p. 31-32. (4) Kitb el Iber, t. VI, p. 106. Cf., sur des traditions de ce genre, Lucina sine concubitu, ap. Van Gennep, Religion, murs et lgendes, Paris, 1903, in-8, js., p. 14-25.

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du Peristephanon de Prudence, quand il dit que Tingis possde les monuments funraires des rois Massyliens(1). De nos jours encore, les habitants dArzilla au Maroc montrent sur une roche lempreinte dun pied gigantesque, trace de leur anctre(2). Un autre gant, que les traditions juives et musulmanes se sont appropri sous le nom de Sidi Oucha (Josu) est enterr au bord de la mer, chez les Beni Chaban, dans la rgion de Nedromah. Une range de pierres marque la longueur du corps qui dpasse le mur de la qoubbah o se trouve son tombeau et vient nir dans une sorte de haouitah(3). Parmi les tres fabuleux dont le culte se conserva bien aprs la conversion de lislam, il faut mentionner une catgorie de gnies que nous ne connaissons que par le nom arabe de Chamrikh, au XIe sicle de notre re, chez les Benou Oursifan. Quand ils veulent entreprendre une guerre, ils immolent une vache noire aux Chamrikh qui sont leurs satans et ils disent : Voil un sacrice pour les Chamarikli. Quand ils vont le matin au combat, ils observent jusqu ce quils voient un tourbillon de poussire et disent : Les Chamrikh, vos amis, viennent votre secours. Alors ils chargent avec la certitude de triompher. Ils prtendent que jamais cela ne leur a fait dfaut et leur foule ne se cache pas pour y croire. Quand ils donnent lhospitalit un hte, ils mettent de ct leur nourriture par les Chamrikh et soutiennent que ceuxci mangent ce quon leur a rserv. Dans tout cela, ils se gardent de prononcer le nom de Dieu (4). Les historiens arabes nous ont conserv le souvenir des gnies familiers de la Kahinah, Dihya, lle de Tbet (?) de la tribu des Djeraouas qui rsista longtemps et avec succs aux Musulmans et les chassa mme de lIfriqya. Ce sont ces dmons familiers qui lui annoncrent la victoire nale des____________________ (1) Migne. Patrologia latina, t. LX, Paris 1862, col. 364. Le commentaire de D. Ruinart, Acta primorum martyrum sincera, Amsterdam, 1713, in-4, p. 469, note 11, reconnait son incertitude. (2) L. de Campou, Un empire qui croule, Paris s. d., in-18, js., p. 233. (3) Cf. R. Basset, Nedromah et les Traras, Paris 1901, in-8, p. 76-77. (4) El Bekri, Description de lAfrique, p. 188-189.

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Arabes et la dterminrent envoyer ses ls se livrer eux avant la suprme bataille o elle succomba(1). Cette facult prophtique est encore rapporte par Procope (De bello Vandalico, L II, ch. 8) : lors de lexpdition de Blisaire contre les Vandales, les Maures, craignant quil ne leur en rsultt quelque dommage, eurent recours aux prdications des femmes. Aprs quelques crmonies, elles prdirent lavenir comme les anciens oracles. Au milieu du Xe sicle de notre re, chez les Ghomara du Maroc, Tangrit, tante de Ha-Mim, et Dadjdjou, sur de ce dernier, qui fonda, comme on le verra plus loin, une religion particulire, taient des devineresses renommes et la croyance en la premire faisait partie du Qorn de son neveu(2). Procope ne nous a pas fait connatre les crmonies prparatoires employes par les femmes des Maures pour la vaticination, mais la pratique suivante a cours chez les Touaregs El Esnam prs de Ghadams. Pendant labsence des hommes, les femmes pares de leurs plus beaux vtements vont se placer auprs des tombes des Zahbr (de larabe Djabbr, gant) quils (les Touaregs) croient de race antrieure la leur et elles voquent le gnie qui les renseignera. Son nom est Adebni (le tombeau lui-mme se nomme Adebni) ; il leur apparat sous la forme dun gant, avec des yeux comme ceux dun chameau et il leur donne les renseignements demands. Les femmes, pour cette consultation, doivent viter de porter sur elles quoi que ce soit en fer ou en acier, ftce une aiguille(3). La mme crmonie a lieu dans lAr, mais de____________________ (1) Ibn Adzari, Histoire de lAfrique et de lEspagne, d. Dozy, Leiden, 1848-51, 2 vol. in-8, t. I, p. 22 ; Ibn Khaldoun, Kitb et Iber, t. VI, 109110 ; t. VII, p. 9 ; Et Tidjni, Voyage, tr. Rousseau, Paris, 1863, in-8, p. 65 ; Voyage de Mouley Ahmed, ap. Berbrugger, Voyages dans le Sud de lAlgrie, Paris, 1846, in-4, p. 236, 237. (2) El Bekri, Description de lAfrique, p. 100 ; Ibn Abi Zer, Roudh el qirts, d. Tornberg, Upsala, 1843-1846, 2 vol. in-4, t. I, p. 62 ; Ibn Khaldoun, Kitab el Iber, t. VI, p. 216. (3) Duveyrier, Les Touaregs du Nord, p. 415: Sahara algrien et Tunisien, Paris 1905, p. 203 ; Ben Hazera, Six mois chez les Touaregs, p. 63.

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nuit(1). Sur les ancs dun ghour qui domine lOued Aoudjidit, dans le nord du Sahara, on trouve de grandes tombes analogues celles qui existent sur les pentes rocheuses de Tabelbalet. Elles ont la forme dune ellipse, dont le grand axe, orient est-ouest, varie entre 20 et 45 mtres. Les contours sont forms damoncellements de pierres de moyenne grosseur. Les Touaregs Azger attribuent ces spultures une race antrieure. Lorsquune femme a un ami, un parent ou son anc loign delle pour une cause quelconque, si elle va se coucher au milieu du jour dans une de ces enceintes de pierres, elle est certaine dy obtenir des visions, dy recevoir des esprits, des nouvelles de labsent. Les Touaregs prtendent aussi que ces tombes renferment des trsors (2). Mais, quoi quen dise Procope(3), le don de prophtie tait galement accord aux hommes chez les Berbres. Pour nen citer que deux exemples, chez les Kotama, le devin Felaq prdit, loccasion de leurs guerres civiles, quils verraient la vraie guerre quand viendrait chez eux lOriental, la mule blanchtre. Cette prdiction fut rappele par un maitre dcole larrive du di Abd Allah, le missionnaire fatimite mont sur une mule blanche (Ibn Adzari, I, 120). De mme les devins avaient annonc que, dans une nation du Maghrib, lorsquaurait lieu la conjonction des deux plantes suprieures, un roi slverait qui changerait la forme de la monnaie. Malik ben Ouahib persuada lmir lemtouna Ali ben Yousof que ctait le Mahdi Ibn Toumert que dsignaient cette prdiction et les vers populaires : Mets-lui les entraves aux pieds, Sinon, il te fera entendre le tambour. (Ibn Khaldoun, VI, 238.) Il faut encore signaler la croyance aux ogres qui jouent un____________________ (1) E. von Barry, Ght et les Touaregs de lAir, Paris, 1898, in-8, p. 187-188. (2) Foureau, DAlger au Congo, Paris. 1902, in-8, p. 65-66. (3) Cf. Doutt, Magie et religion dans lAfrique du Nord, p. 31-33.

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rle important dans les contes populaires des Berbres, mais il faut prendre soin dcarter ce qui est d lemprunt, tant donne la facilit avec laquelle les contes voyagent. Cependant, on peut trouver les traces de loriginalit de quelques-unes de ces traditions. Chez les Fadhilah et les Benou Aqidn, tribus berbres louest de lgypte, on racontait que frquemment la lle nouvellement ne changeait de forme, prenait celle dun ogre (ghoul) ou dune silah et se jetait sur les gens jusqu ce quon la lit et la garrottt (El Bekri, p. 4). Lauteur arabe cite mme un tmoin oculaire de ce fait ! Cest la donne dun conte moderne recueilli Ouargla : Histoire dun pre et de sa lle logresse(1), et le fond dune accusation porte contre les Ould Settout (les ls de la mgre), tribu du Rif, rpute pour son penchant au brigandage. A lorigine, on voyait Settout leur mre parcourir avec ses trois enfants un territoire encore dsert, dvorant les gens et nourrissant ses petits de chair humaine. On ne savait do elle venait ; on ne lui connaissait aucun mle, ogre ou homme, ce qui t dire plus tard que les Ouled Settout navaient pas de pre. Aprs avoir dsol la contre pendant de longues annes, elle disparut subitement ; on ne la revit plus. Mais ses petits restrent dans le dsert de Garet : ils furent la souche des Ouled Settout actuels(2). Les noms par lesquels les ogres sont dsigns sont, pour la plupart, dorigine berbre. Si lon en rencontre qui sont venus de larabe, comme ghoul ou zellouma, ailleurs, dans le Rif marocain, dans les Kour, Ouargla, on trouve amza, chez les Beni Menacer amez, au fminin thamzat ou tamzat, qui drive de la racine M Z, saisir, prendre ; chez les Zouaouas aouaghzeniou. Logresse porte aussi le nom de taghouzant en chelha du Tazeroualt, de tserial en zouaoua. Mais, dans les contes, il sest fait un mlange confus de traditions relatives aux anciens habitants du pays, paens ou chrtiens,____________________ (1) Biarnay, Etude sur le dialecte berbre de Ouargla, p. 255-257. (2) Mouliras, Le Maroc inconnu, t. I, Oran, 1895, in-8, p. 183.

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dsigns aussi sous le nom de Djohala (en arabe, ignorants) et de celles qui ont les ogres pour objet, en sorte que les uns sont souvent pris pour les autres. Quelles taient les crmonies dont se composait le culte des dieux ? Nous sommes rduits des conjectures, au moins en ce qui concerne les dieux purement berbres. Partout, en effet, o il y eut rapprochement et assimilation, les crmonies furent celles des Phniciens et des Romains et probablement, sur quelques points, celles des Grecs. Prservs par leur isolement, les Guanches avaient pu se constituer un culte particulier. La faon dont ils pratiquaient la conservation des momies, par exemple, cone une caste spciale, prouve chez eux, ct de traits communs, un dveloppement original, encore quils ne fussent pas arrivs lide de limmortalit de lme ou celle des rcompenses et des peines futures(1). Viana cite une caste de religieuses appeles Harimaguadas (var. Harimaguas, Maguas) qui vivaient en commun, faisaient vu temporaire de virginit, instruisaient les enfants et, comme on la vu plus haut, assistaient certaines crmonies pour obtenir la pluie ; il tait, en ce cas, interdit aux hommes de les regarder(2). La maison o elles habitaient se nommait Tamogantin acoran, maison de Dieu (en berbre tigimmi tin amoqran ?). En fait de crmonies, nous pouvons mentionner la consultation par le sommeil(3) ; il en a t cit plus haut des exemples auxquels on peut ajouter celui-ci : Dans lantiquit, les Augiles (de loasis dAoudjila) se couchaient sur les tombeaux et prenaient pour rponses les songes quils avaient pendant leur sommeil (Pomponius Mla,____________________ (1) Alonso de Espinosa, The Guanches of Tenerife, t. I, ch. IX, The Mode of lnterment, p. 40-41 ; Glas, The history of Canary Islands, p. 74 ; Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, p. 79-84. (2) Antignedades de las lslas Afortunadas, p. 22-23 : Gomez Escudero ap. Chil y Naranjo, Estudios, t. I, 520, 521, 522, 526 ; Glas, The history of Canary Islands, p. 69-70 ; Verneau, Cinq ans de sjour aux les Canaries, p. 86, (3) Cf. Doutt, Magie et religion dans lAfrique du Nord, p. 410-416, et les auteurs cits.

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De situ orbis, l. I, ch. 8) ; ctait galement la coutume des Nasamons (Hrodote, Histoires, l. IV, ch. 172). El Bekri signale toutefois un cas o ce genre de divination ntait pas en rapport avec les tombeaux ou les morts. Ctait dans le Rif, sur les bords de lOued Laou. Il faut parler aussi des ftes quon a justement appeles saisonnires et qui ont continu de marquer chez la plupart des Berbres, les principaux changements de lanne. On y a vu, non sans raison, les traces dun culte naturiste, auxquelles on peut associer des restes de rites agraires. Elles semblent dautant plus anciennes quelles sont pratiques sans lintervention de ministres spciaux, quelles ne sont point clbres dans les mosques, mais prs des tombeaux des marabouts populaires, quelles sadressent des formes invisibles et non des personnalits sacres. Les principales sont celle dEnnar, dcisive pour toute lanne ; celle de l ansera qui peut tre appele la fte de leau, la fte de l achoura etc. Mais il est remarquer que les traits qui caractrisent ces ftes, renaissance ou mort de la vgtation, purication par le feu et leau, nont rien de particulier aux Berbres et quon les trouve chez les populations les plus diverses. Il sufra donc de les mentionner(1). On ne saurait afrmer que les traditions suivantes, bien quayant cours en Afrique, soient dorigine berbre. Pline lAncien nous rapporte que dans ce pays personne nentreprend quoi que ce soit sans avoir prononc auparavant le mot Afrique, tandis que dans dautres pays, on commence par demander aux Dieux leur bonne volont (Histoire naturelle, LXXVIII, ch. V, 2, reproduit par Aulu Gelle, Nuits attiques, LXXVIII, ch. V, 2). Isidore et Nymphodore, cits par le mme auteur (Histoire naturelle, VII, 2,____________________ (1) Cf. tout particulirement sur ces ftes, Doutt, Magie et religion dans lAfrique du Nord, p. 541-584, et parmi les sources cites, Destaing, LEnnar chez les Beni Snous, Alger, 1905, in-8 ; id., Les ftes saisonnires chez les Beni Snous, Alger, 1907, in-8 ; Sad Boulifa, Textes berbres en dialecte de lAtlas marocain, Paris, 1909, in-8, p. 146-167.

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et reproduits galement par Aulu Gelle, Nuits attiques, l. IX. ch. 4) rapportent quil existait en Afrique des familles de fascinateurs qui, par la vertu de paroles enchantes, font prir les troupeaux, scher les arbres et mourir les enfants (1). Mais il sagit bien des Berbres dans les exemples suivants : A Tamerna, dans le dsert, entre Sabb et les montagnes de Targhn, localit habite par les Beni Geldn et les Faznah, lorsquun vol a t commis, les habitants tracent un crit quils se communiquent les uns aux autres : le voleur est sur le champ saisi dun tremblement qui ne cesse que quand il a avou sa faute et restitu ce quil a pris ; il ne recouvre de calme que quand on a effac cet crit (El Bekri, Description de lAfrique, p. 10). Dans une des montagnes des Medjeksa du Rif, vivait un magicien appel Ibn Kosyah : ce nom qui signie le ls (lhomme) du petit manteau tait videmment un sobriquet emprunt sa manire de procder. Personne nosait le contredire ni dsobir ses volonts : sinon, il retournait le manteau dont il senveloppait et alors une maladie frappait sur le champ cet homme ou ses bestiaux ; si nombreux que fussent les opposants, il leur arrivait tous comme lui. Il leur faisait mme accroire quun clair brillait sous ses vtements. Ses ls et ses descendants avaient hrit du mme pouvoir (El Bekri, Description de lAfrique, p. 201). galement dans le Rif, chez les Ghomara, tribu des Beni Chaddd, branche des Ou Halaourt, vivait un homme qui portait toujours un sac rempli de ttes de btes, de dents danimaux de terre et de mer, enles dans une corde ; il sen servait comme dun chapelet ; il le passait au cou de celui qui le consultait, puis le secouait et larrachait avec violence ; il se mettait ensuite airer chaque pice une une jusqu ce que sa main sarrtt sur lune delles. Alors, il rpondait la question quon lui avait adresse quelle quelle ft, et annonait, sans se tromper, la maladie, la mort, le gain, la perte, la prosprit, le chagrin, etc. (El Bekri, Description____________________ (1) Sur le mauvais il dans les croyances plus rcentes, cf. Doutt, Magie et religion dans lAfrique du Nord, p. 317-318, et les auteurs cits.

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de lAfrique, p. 101). Ctait encore un Ghomara que ce Mousa, ls de Salih, qui aurait exist avant lhgire et de qui lon avait encore au XIVe sicle des sentences fatidiques, rdiges dans la langue du pays et renfermant en grand nombre des prdictions relatives lempire que les Zenatas devaient exercer dans le Maghrib . On citait, comme preuve de lexactitude de ses prophties, laccomplissement de celle qui annonait la dvastation de Tlemcen : les maisons de cette ville devaient devenir un champ labour par un ngre, au moyen dun taureau noir et borgne. Lvnement aurait eu lieu aprs la destruction de Tlemcen, entre 760 et 770 de lhgire, par les Mrinides. Mais si quelques-uns le considraient comme un prophte, dautres le tenaient pour un magicien ; en tout cas, tous lui accordaient un pouvoir surnaturel (Ibn Khaldoun, Kitb el lber, VI, 106, 276 ; VII, 51). On trouverait encore, chez les crivains arabes, mention de personnages qui pratiquaient la magie, tels que Mohammed El Kotami, ou Omar et son ls Abd Allah, chef des Seksioua, mais cette expression doit sentendre de la magie telle quelle est comprise par les Musulmans, science dimportation et non dorigine indigne. La rputation des femmes berbres comme sorcires tait dj tablie dans lantiquit comme le montre lanachronisme de Virgile qui fait consulter par Didon une prtresse massylienne pour retenir ne par ses artices magiques (nide, IV, 483-198, 504-521). De nos jours encore, les femmes du Jurjura pratiquent des incantations, pour lesquelles elles utilisent certaines plantes ; nous en avons un tmoignage dans une chanson populaire qui commence ainsi :Salut sur toi, aubpine (idmim) : Les hommes tont nomme aubpine Moi, je tappelle le qad qui commande ; Transforme mon mari en ne(1) A qui je ferai porter de la paille. ____________________ (1) Les contes populaires berbres renferment de nombreux exemples de mtamorphoses, mais ce sont des emprunts.

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Les autres plantes nommes sont les racines du palmier nain (thagounsa), le jujubier sauvage (thazouggarth), le fruit des conifres, pin, cdre ou sapin (azinba), le chne vert (kerrouch)(1). II On a remarqu que la majeure partie des Juifs du nord de lAfrique, exception faite de ceux qui des poques bien connues, furent chasss dEurope par des perscutions, nappartiennent pas la race isralite, et on les considre avec raison comme les descendants de Berbres convertis au judasme lpoque romaine. Au temps dAuguste, nous voyons des colonies juives prosprer en Cyrnaque et en Libye et la sauvage insurrection qui clata simultanment, sous Trajan, Chypre, en Babylonie, en gypte et en Cyrnaque et qui fut durement rprime, nempcha pas le dveloppement des communauts juives, comme on le voit par linscription dune synagogue dcouverte Hammam El Enf (C. I. L., 12457). Leur importance devint telle que lglise catholique prit, pour empcher les relations entre chrtiens et juifs, des prcautions qui, sous les empereurs chrtiens, devinrent bientt des mesures de rigueur, suspendues seulement par le triomphe des Vandales et reprises avec la victoire de Blisaire et des Byzantins. Le proslytisme sexera naturellement dans les classes infrieures de la population et mme chez diverses tribus berbres. Mais de quelle nature tait ce proslytisme chez ces derniers ? Jusquo taient pousse les pratiques du culte et lobservation des prescriptions de la loi judaque ? Cest ce que nous ignorons et lon ne saurait ajouter foi un roman de basse poque qui na pas plus dautorit que le Fath Ifriqya par exemple, Les crivains arabes nous ont cit quelques tribus____________________ (1) Hanoteau, Posies populaires de la Kabylie du Jurjura, Paris, 1867, in-8, p. 308-312.

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qui, larrive des Musulmans, taient juives. Mais leurs renseignements sont contradictoires. Ainsi, dans un passage, Ibn Khaldoun mentionne parmi les tribus juives, les Djeraoua qui habitaient lAours, les Nefousa, les Fendelaoua, les Mediouna, les Bahloula, les Ghiatha et les Fazaz dans le Maghreb el Aqsa (Kitb et lber, VI, 107). Mais on a vu que la Khinah, nom tranger chez les Arabes, avait, suivant la tradition, des gnies familiers. El Bekri (Description de lAfrique, p. 9-10) et Ibn Adzri (Histoire de lAfrique et de lEspagne, t. I, 3), tous deux antrieurs Ibn Khaldoun, nomment comme chrtiens les Nefousa, et les vestiges dglises qui ont conserv leur nom dans le Djebel Nefousa leur donnent raison. En outre Ibn Khaldoun lui-mme, dit ailleurs (Kitb et lber, t. IV, p. 12) que les tribus des Fendelaoua, les Bahloula, les Mediouna et les populations du territoire des Fazaz professaient soit le magisme (le paganisme), soit le judasme, soit le christianisme. Lemplacement o sleva la ville de Fas tait habit par deux tribus znata : les Zouagha (Benou l Khar) et les Benou Yarghoch ; les uns pratiquaient lislamisme, dautres le judasme, dautres le paganisme. Ces derniers avaient mme un temple Chibouba, o se construisit plus tard le quartier des Andalous. Ibn Abi Zer qui nous a conserv ce dtail (Roudh el Qirts, I, 15) dsigne les paens par le nom de Madjous (mages) ; il appelle naturellement leur temple une demeure du feu. Ce passage a t reproduit par Ibn Khaldoun (Kitb el lber, t. IV, p. 13). De mme, le pays de Temsna (la Chaoua actuelle) et les villes de Chella et de Tadla taient peupls en partie de juifs et de chrtiens qui durent accepter lislm lors de la conqute de cette rgion sous Idris I. Il est donc aventur de vouloir spcier que telle ou telle tribu tait exclusivement juive ou chrtienne : il me parait plus conforme la vrit de dire que chaque tribu renfermait des familles, peut-tre des fractions, juives en nombre assez considrable pour avoir pu rester indpendantes, dans le Maghrib du moins, jusqu la n du IIe sicle de lhgire,

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longtemps aprs les conqutes de Oqbah et de Mousa. Mais le judasme profess actuellement par les descendants des Berbres convertis noffre rien qui le distingue du judasme pratiqu dans les autres rgions du monde civilis et quant aux superstitions locales, elles leur sont communes avec les Musulmans(1). III Nous ignorons de quelle faon le christianisme fut apport chez les Berbres, mais il est probable que le point de dpart doit se chercher dans les grandes villes et que les premiers foyers durent tre, comme Rome, les communauts juives. La sparation ne tarda pas se faire et lglise dAfrique devint bientt prospre. Mais son histoire appartient surtout celle du christianisme, et lon ne peut dmler ce qui, dans ses dveloppements et ses vicissitudes, tient particulirement aux Berbres. On peut admettre cependant que ce fut chez ces derniers, du moins dans les territoires directement soumis Rome, que se recrutrent les donatistes, plutt schismatiques quhrtiques, et les Circoncellions dont le mouvement, malgr sa teinte religieuse, fut, comme celui des Bagaudes, plutt social que national. La liste des vchs dAfrique (Proconsulaire, Byzacne, Numidie, Mauritanies : Sitienne, Csarienne et Tingitane, Tripolitaine) contient une foule de noms dont la grande majorit est berbre, encore quil soit difcile de les identier tous : ces noms taient souvent ceux de simples bourgades, car ltendue de lvch tait excessivement restreinte. Les monuments pigraphiques ont permis den reconnatre quelques-uns et il semble bien que la masse de la population, dfalcation faites des colons____________________ (1) Cf. Cahen, Les Juifs dans lAfrique septentrionale, Notices et mmoires de la Socit archologique de Constantine, t. XI, 1867, p. 102-108 ; Monceaux, Les colonies juives dans lAfrique romaine, Revue des tudes juives, t. XLIV ; R. Basset, Necromah et les Traras, p. VII-XVII.

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romains et de quelques trangers, se composait de Berbres, ou du moins de mtis chez lesquels dominait le sang berbre. Quant aux tribus demi soumises ou indpendantes chez qui le christianisme se rpandit, nous pouvons supposer que le proslytisme, comme sur bien des points du monde barbare, eut lieu par le moyen des captifs que leur procuraient leurs incursions. La domination des Vandales ariens ne changea rien cet tat de choses, sinon que, de perscuteur, le catholicisme devint, sauf en de rares priodes, perscut son tour et ne triompha que grce aux succs des Byzantins(1). Il faut signaler cependant, comme intressant lhistoire du christianisme chez les Berbres de lOuest de lAlgrie, lexistence dune dynastie chrtienne indigne au commencement du Ve sicle, aprs la chute des Vandales et avant linvasion arabe. On voit, quelque distance de Frenda, les tombeaux de ces princes dont nous connaissons deux noms, Mephanias et Massonas, qui parat avoir t le mme que Masema, rex gentium Maurorum ac Romanorum, mentionn dans une inscription latine de Hadjar er Roum (Lamoricire, C. I. L., VIII, 9835). Ctait une dynastie berbre, chrtienne, comme le montrent les emblmes et les traces de peinture quon a relevs sur les tombeaux connus sous le nom de Djedr et dj signals par les historiens arabes. Ces princes disparurent probablement avec le christianisme, lors des premires conqutes des musulmans(2). Mais, sur dautres points, le christianisme se maintint encore longtemps. En Tripolitaine, chez les Nefousa dont le terri____________________ (1) Ferrire, La situation religieuse de lAfrique romaine depuis la n du IVe sicle jusqu linvasion des Vandales, Paris, 1897, in-8 ; Diehl, LAfrique byzantine, Paris, 1896, in-8, l. III, 2e partie, ch. II, Lglise dAfrique sous le rgne de Justinien, p. 408-449 ; I. IV, 2e partie, ch. II, Lglise dAfrique et ladministration byzantine, p. 503-517 ; Monceaux, dans Revue de lHist. des Relig., 1909, II, p. 1 et suiv. ; 1910, I, p. 20 et suiv. (2) Cf. La Blanchre, Voyage dtudes dans une partie de la Mauritanie csarienne, p. 78-79 ; Gsell, Les monuments antiques de lAlgrie, t. II, p. 418-427, et la bibliographie cite.

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toire renferme encore un certain nombre dglises en ruines : dans lAours, chez les Bernes ; dans le Rif, chez les Ghomara et les Sanhadja. Nous avons vu que du temps dIdris, cest--dire plus dun sicle aprs lapparition de lIslam dans ce pays, il existait encore dans le Maghrib el Aqsa des tribus ou des fractions de tribus chrtiennes. L o un trait fut conclu entre les envahisseurs et la population indigne, celle-ci, conformment la lgislation musulmane, put conserver sa religion, mais lisolement et des divisions intestines prcipitrent la dcadence. Au Xe sicle, on comptait encore quarante vques ; en 1054, sous Lon IX, nen restait plus que cinq et deux dentre eux se disputaient la prminence. En 1076, nous voyons par la correspondance de Grgoire VII quils ntaient plus que deux : Cyriaque, mtropolitain de Carthage, et Servandus, sur le sige dHippone. Il y avait encore un vque la Qalaah des Beni Hammd ; il portait le titre arabe de Khalifah et il migra sans doute avec son troupeau Bougie sous En Nser(1). Une communaut chrtienne existait la mme poque Tlemcem, mais nous ne savons si elle tait sous lautorit dun vque : En 1068, El Bekri(2) fait mention dans cette ville dune glise frquente par les restes dune population chrtienne qui stait conserve jusque l. Mais tout fut emport par le ot des Almohades ; il ne resta comme souvenir, ct de lgendes imprcises, que quelques mots, entre autres celui de Tafaski (la Pques = ) qui fut donn au quatrime mois de lanne chez les Tatoq, au douzime chez les Ahaggar : Afasko et Tisko signient le printemps chez les Aouelimmiden et Tonbouktou, et ce nom a pntr jusque chez les Dyolofs du Sngal o Tabaski dya correspond dcembre.____________________ (1) Cf. De Mas Latrie, Traits de paix et de commerce, Paris, 1868, in-4, p. 14-17, 18-23. (2) Description de lAfrique septentrionale, p. 76.

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IV Nous navons pas de renseignements prcis, en dehors des rcits parfois romanesques de la conqute, sur la faon dont lislm se propagea dans le nord-ouest de lAfrique, mais il est certain quil y rencontra une vive rsistance. Les premires expditions ne furent que des raids de cavalerie, ayant surtout le pillage pour but et dans lesquels les Arabes vitaient les places fortes o se rfugiaient les populations indignes et les descendants des colons romains. Le littoral lui-mme, protg par les montagnes et les ports dont les Grecs restaient les matres fut respect. La fondation de Qaroun par Oqbah donna seule un caractre de stabilit et de permanence la propagation de lislm, mais non dune faon absolue. Les Musulmans furent rejets plus dune fois jusquen Tripolitaine et, en ce cas, on na pas tort de supposer que les conversions quils avaient pu faire ne se maintinrent pas. Les historiens arabes eux-mmes avouent que les Berbres abjurrent douze fois lislm et lon peut croire que sils avaient trouv un appui chez une puissance voisine, forte et bien organise, au lieu de lempire byzantin ou du royaume des Goths, ils auraient victorieusement repouss les invasions musulmanes. Mais leurs divisions et leur isolement, surtout aprs la conqute de lEspagne par Mousa, nirent par assurer le triomphe de lislm, triomphe qui ne fut absolu et dnitif quau XIIe sicle. Mais sils se convertirent, par la force plus que par la persuasion, au moins, ds les premiers temps, ils ne laissrent pas de porter dans leur nouvelle religion lesprit dindpendance et de parti quils avaient dj montr dans le christianisme, en adoptant les schismes contre lorthodoxie. Lhistoire des Berbres musulmans est simple exposer : Au commencement ils sont sonnites, mais bientt ils accueillent avec enthousiasme les ides les

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plus galitaires de lislm et se dclarent pour les diverses sectes kharedjites. Par un sentiment analogue, hostilit contre le khalifat lointain de Baghdad, ou plus proche de Cordoue, ils prennent parti pour les Alides, lautre ple de lIslm, et cest chez eux quldris ben Abdallah et plus tard Obed Allah recrutent des partisans, pour fonder, lun au Maroc actuel une dynastie hostile aux Omayades dEspagne et aux Abbasides de Baghdad, lautre Mahadiah, une dynastie qui chassa les derniers reprsentants des Abbasides en Ifriqyah, faillit succomber sous un retour offensif des Kharedjites. mais victorieuse au dernier moment, redevint la matresse de lAfrique du Nord et conquit lgypte. Cest alors quune raction sonnite intervint, appuye par les Berbres du Sahara mridional, les Lemtouna, rcemment convertis, dont la fortune fut aussi brillante quphmre. Dautres Berbres, les Masmouda de lAtlas, dont les chefs ragissaient contre lanthropomorphisme grossier des Almoravides (Lemtouna), fondrent un khalifat, rival de celui de Baghdad (celui de Cordoue nexistait plus et celui du Caire allait disparatre), mais, rests dans lorthodoxie, ils anantirent les derniers dbris du christianisme et ce qui pouvait subsister du chiisme alide en mme temps quils portaient au kharedjisme dj affaibli par sa lutte contre les Fatimides, un coup dont il ne se releva pas, du moins en tant qutat indpendant. Ds lors, le nord de lAfrique, cest--dire les Berbres et les Berbres arabiss, resta sonnite, sauf quelques communauts industrieuses et opinitres qui se maintinrent au Mzab, au Djebel Nefousa et Djerba. Remplir le cadre que je viens de tracer serait faire lhistoire du Nord de lAfrique et dpasserait les limites de cet article. Je passerai donc sur lorthodoxie chez les Berbres, ninsistant que sur ce que leur islamisme eut de spcial, cest-dire les doctrines kharedjites, que du reste ils ne furent pas seuls professer, et sur les tentatives de crer une religion qui devait tre lislam ce que celui-ci tait au christianisme et au judasme. A part cet essai, on doit reconnatre que les rvoltes des Berbres,

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sous le drapeau dune secte religieuse, furent surtout sociales et neurent pas pour cause une divergence dopinion ou dinterprtation sur ce qui tait un dogme. En ralit, les Berbres ont eu des thologiens disputeurs mais non de grands esprits orthodoxes ou htrodoxes, Souvent, ils sattachrent ce que le texte du Qorn avait de plus troit : mme les Lemtouna en prirent la lettre toutes les expressions gures et devinrent anthropomorphites. Cest ainsi que, des quatre sectes orthodoxes, les Berbres adoptrent la plus troite, la moins librale, la plus esclave de la lettre (aprs les Hanbalites), celle de Mlik ben Anas. Traqus en Orient, depuis la dfaite de Nahraoun et les victoires de Hadjdjdj qui avaient sauv le khalifat de Damas et arrach lIraq aux Kharedjites, ceux-ci, diviss en deux sectes, les Sofrites et les Abadhites migrrent en Occident et neurent pas de peine propager leurs doctrines chez les Berbres, victimes de lavidit des gouverneurs musulmans. Dans lintrt du trsor public, et aussi du leur propre, ceux-ci ne dispensaient pas de limpt du cinquime (impt pay par les non-musulmans) ceux qui se convertissaient lislm. Les Sofrites, qui tiraient leur nom de Abd Allah ben Sofar, des Benou Tamim, taient les plus avancs dans la doctrine du kharedjisme, refusant le titre de Musulman quiconque tait coupable dun pch, mme vniel, et ds lors rendant licites sa mort et le pillage de ses biens. Cette doctrine stait surtout dveloppe dans le nord du Maroc actuel, et particulirement chez les Matghara et les Miknsa. Ayant leur tte un ancien porteur deau de Tanger, Masara, qui prit le titre de Khalife, plus de deux cent mille Berbres, la tte rase, portant devant eux le Qorn attach la pointe des lances, battirent les armes du Khalife et semparrent de Tanger et du Sour (122 hg. 739-40). Aprs une bataille douteuse, ils turent leur chef Masara, le remplacrent par Khled ben Hamid ez Zenti. Lanne suivante, il dtruisit deux nouvelles armes arabes, ce qui amena un soulvement gnral dans le Maghrib central. Les

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deux victoires dEl Qarn et dEl Asnam rejetrent, sans les dtruire, les Berbres sofrites dans lOuest et leur chef, Abou Qorrah, fonda un tat dans la rgion de la Molouyya. Les Idrisiles dtruisirent ce centre du kharedjisme intransigeant sur lequel nous navons que de rares renseignements fournis par les crivains orthodoxes. Il nen subsista quun petit tat fond Sidjilmasa dans le Talelt : il disparut dans la grande tout mente fatimite(1). Un autre groupement stait form dans le Djebel Nefousa, au S. E. de Tripoli et ne tarda pas rayonner jusque dans les oasis de Ouargla et de lOued Righ. Il nous est mieux connu car il nous a laiss des crits historiques et religieux. Ces Kharedjites taient des Abadhites, remontant Abd Allah ben Abdh qui vivait au premier sicle de lhgire. Cette secte se montra relativement plus tolrante que les sofrites et son fondateur aurait mme t en relation avec le khalife omayade Abd el Mlik. Ses doctrines furent portes dans le Maghrib par Salma ben Sad et plus tard par Omar ben Imkaten, Ismail ben Darrar, Asim es Sedrati. Le plus illustre de ses chefs, Aboul Khattb, prit le titre dimm et constitua un tat que la dfaite et la mort de son fondateur en 155 hg. rduisit ltat de province, mais qui nen est pas moins rest jusqu nos jours un des principaux centres abadhites(2). Un de ses lieutenants, dorigine persane, Abd er Rahmn ben Rostem alla fonder Tahe