Intérêt de traiter le VIH très précocement

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MAI 2013 - N°452 // 23 Un antidote pour les nouveaux anti-coagulants Les inhibiteurs directs du facteur X acti- vé (Xa) de coagulation constituent une nouvelle classe d’anticoagulants oraux, qui ont récemment émergé en tant que molécules antithrombotiques majeures. Ces molécules sont aujourd’hui indiquées en traitement préventif ou curatif de nom- breuses pathologies thrombo-emboliques, mais leur utilisation reste à ce jour limitée par l’absence d’antidote spécifique, uti- lisable en cas de surdosage et de com- plications hémorragiques. Cette lacune pourrait être comblée par le développement d’une forme recombinante du facteur Xa, rapporté dans la revue Nature Medicine par une équipe californienne. Cette protéine recombinante, nommée r-Antidote, PRT064445, est une forme modifiée du facteur Xa, dépourvue de son domaine de liaison membranaire et de toute activité catalytique au sein de la cascade de coagulation. La protéine Xa modifiée maintient en revanche sa capacité de se lier aux inhibiteurs directs du facteur Xa, et c’est par ce biais qu’elle peut exercer sa fonction d’antidote. Elle se lie également à l’antithrombine III, protéine anticoagulante notamment activée par les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), ce qui pour- rait élargir son spectre d’activité correctrice. L’antidote s’est montré capable d’inverser in vitro, et de façon dose-dépendante, l’activité anti-Xa de différents inhibiteurs directs du facteur Xa (tels betrixaban, riva- roxaban and apixaban). Cette réversion s’accompagne d’une normalisation rapide des tests de coagulation et de l’activité anti-Xa plasmatique. L’efficacité clinique de l’antidote a été vali- dée dans différents modèles de saigne- ments sur modèle animal, et notamment le lapin et le rat surdosés en inhibiteurs directs du facteur Xa. L’activité correctrice de l’an- tidote s’exerce également sur des animaux traités par une HBPM ou par le fondapa- rinux (inhibiteur indirect du facteur Xa), ce qui confirme son potentiel pro-coagulant à spectre large. Cette preuve de concept doit maintenant être confirmée par l’obtention d’une forme facilement administrable de l’antidote, dont l’efficacité pourra alors être validée chez l’homme. Lu G, DeGuzman FR, Hollenbach SJ, et al. Nature Med 2013;19:446-51. doi:10.1038/nm.3102. Validé en expérimentation animale, l’antidote des inhibiteurs du F Xa attend chez l’homme une forme facilement administrable. Par leur efficacité, les combinaisons d’an- tirétroviraux (ARV) ont totalement boule- versé le pronostic de l’infection chronique liée au VIH. Ces molécules ne permettent toutefois pas d’éradiquer le virus de l’or- ganisme et donc de guérir les patients. La solution pourrait venir d’une mise sous traitement très précoce des sujets infectés, au moment de l’infec- tion aiguë. C’est en tout cas ce que laisse espérer la description de l’évo- lution immuno-virologique d’une petite cohorte de patients traités à ce stade. Cette cohorte est française et a été nom- mée VISCONTI, pour Viro-Immunologic Sustained CONtrol after Treatment Inter- ruption. Elle est constituée de 14 sujets auxquels a été prescrite une combinaison d’ARV dans les 10 semaines ayant suivi la contamination. La durée médiane du trai- tement, au moment de la primo-infection, a été de 3 ans (de 12 à 92 mois selon les sujets), puis ce traitement a été inter- rompu. Les 14 patients de la cohorte ont été identifiés par leur capacité à maîtriser remarquablement leur infection, plusieurs années (sept ans et demi en médiane) après cet arrêt thérapeutique. Cette maîtrise (contrôle), définie par l’ab- sence de virus circulant dans le sang, ne signifie pourtant pas la guérison complète des patients, car quelques cellules infec- tées demeurent détectables. Ce réservoir cellulaire est quantitativement très faible, avec un pool de cellules infectées qui continue même de diminuer chez cer- tains patients, ce qui traduit la capacité du système immunitaire à maîtriser sans traitement le virus. Selon le Pr Christine Rouzioux, qui a coor- donné cette étude, c’est probablement l’instauration précoce du traitement qui a limité ainsi l’expansion des réservoirs viraux et préservé les réponses immuni- taires. En raison de l’intervention thérapeu- tique, il est bien sûr impossible d’affirmer que ces patients n’auraient pas spontané- ment contrôlé leur infection, à l’instar des contrôleurs naturels, qui représentent moins de 1 % des sujets infectés. Cela reste peu probable, car les patients de la cohorte VISCONTI présentent des caractéristiques génétiques et immunitaires très différentes de celles de ces contrôleurs spontanés, et notamment un profil HLA moins favorable. En se basant sur les données de cohortes plus importantes, les auteurs estiment à 15 % les chances d’aboutir à un tel suc- cès, en cas de traitement de l’infection au stade aigu. Il faut maintenant valider cette hypothèse dans le cadre d’un essai thérapeutique, mais également améliorer le diagnostic des infections aiguës, qui ne sont pas toujours symptomatiques au début. Saez-Cirion A, Bacchus C, Hocqueloux L, et al. Plos Pathogen 2013;9:1-12 Des ARV au stade aigu de la contamination pourraient permettre une maîtrise à long terme de l’infection. Intérêt de traiter le VIH très précocement

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MAI 2013 - N°452 // 23

Un antidote pour les nouveaux anti-coagulantsLes inhibiteurs directs du facteur X acti-vé (Xa) de coagulation constituent une nouvelle classe d’anticoagulants oraux, qui ont récemment émergé en tant que molécules antithrombotiques majeures. Ces molécules sont aujourd’hui indiquées en traitement préventif ou curatif de nom-breuses pathologies thrombo-emboliques, mais leur utilisation reste à ce jour limitée par l’absence d’antidote spécifi que, uti-lisable en cas de surdosage et de com-plications hémorragiques. Cette lacune pourrait être comblée par le développement d’une forme recombinante du facteur Xa, rapporté dans la revue Nature Medicine par une équipe californienne.Cette protéine recombinante, nommée r-Antidote, PRT064445, est une forme modifi ée du facteur Xa, dépourvue de son domaine de liaison membranaire et de toute activité catalytique au sein de la cascade de coagulation. La protéine Xa modifi ée

maintient en revanche sa capacité de se lier aux inhibiteurs directs du facteur Xa, et c’est par ce biais qu’elle peut exercer sa fonction d’antidote. Elle se lie également à

l’antithrombine III, protéine anticoagulante notamment activée par les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), ce qui pour-rait élargir son spectre d’activité correctrice. L’antidote s’est montré capable d’inverser in vitro, et de façon dose-dépendante, l’activité anti-Xa de différents inhibiteurs

directs du facteur Xa (tels betrixaban, riva-roxaban and apixaban). Cette réversion s’accompagne d’une normalisation rapide des tests de coagulation et de l’activité anti-Xa plasmatique.L’effi cacité clinique de l’antidote a été vali-dée dans différents modèles de saigne-ments sur modèle animal, et notamment le lapin et le rat surdosés en inhibiteurs directs du facteur Xa. L’activité correctrice de l’an-tidote s’exerce également sur des animaux traités par une HBPM ou par le fondapa-rinux (inhibiteur indirect du facteur Xa), ce qui confi rme son potentiel pro-coagulant à spectre large. Cette preuve de concept doit maintenant être confi rmée par l’obtention d’une forme facilement administrable de l’antidote, dont l’effi cacité pourra alors être validée chez l’homme.

Lu G, DeGuzman FR, Hollenbach SJ, et al. Nature Med 2013;19:446-51. doi:10.1038/nm.3102.

Validé en expérimentation

animale, l’antidote des

inhibiteurs du F Xa attend

chez l’homme une forme

facilement administrable.

Par leur effi cacité, les combinaisons d’an-tirétroviraux (ARV) ont totalement boule-versé le pronostic de l’infection chronique liée au VIH. Ces molécules ne permettent toutefois pas d’éradiquer le virus de l’or-ganisme et donc de guérir les patients.La solution pourrait venir d’une mise sous traitement très précoce des sujets infectés, au moment de l’infec-tion aiguë. C’est en tout cas ce que laisse espérer la description de l’évo-lution immuno-virologique d’une petite cohorte de patients traités à ce stade. Cette cohorte est française et a été nom-mée VISCONTI, pour Viro-ImmunologicSustained CONtrol after Treatment Inter-ruption. Elle est constituée de 14 sujets auxquels a été prescrite une combinaison d’ARV dans les 10 semaines ayant suivi la contamination. La durée médiane du trai-tement, au moment de la primo-infection,a été de 3 ans (de 12 à 92 mois selon les sujets), puis ce traitement a été inter-rompu. Les 14 patients de la cohorte ont été identifi és par leur capacité à maîtriser remarquablement leur infection, plusieurs

années (sept ans et demi en médiane) après cet arrêt thérapeutique.Cette maîtrise (contrôle), défi nie par l’ab-sence de virus circulant dans le sang, ne signifi e pourtant pas la guérison complète des patients, car quelques cellules infec-tées demeurent détectables. Ce réservoir

cellulaire est quantitativement très faible, avec un pool de cellules infectées qui continue même de diminuer chez cer-tains patients, ce qui traduit la capacité du système immunitaire à maîtriser sans traitement le virus.Selon le Pr Christine Rouzioux, qui a coor-donné cette étude, c’est probablement l’instauration précoce du traitement qui

a limité ainsi l’expansion des réservoirs viraux et préservé les réponses immuni-taires. En raison de l’intervention thérapeu-tique, il est bien sûr impossible d’affi rmer que ces patients n’auraient pas spontané-ment contrôlé leur infection, à l’instar des contrôleurs naturels, qui représentent moins de 1 % des sujets infectés. Cela reste peu probable, car les patients de la cohorte VISCONTI présentent des caractéristiques génétiques et immunitaires très différentes de celles de ces contrôleurs spontanés, et notamment un profi l HLA moins favorable.En se basant sur les données de cohortes plus importantes, les auteurs estiment à 15 % les chances d’aboutir à un tel suc-cès, en cas de traitement de l’infection au stade aigu. Il faut maintenant valider cette hypothèse dans le cadre d’un essai thérapeutique, mais également améliorer le diagnostic des infections aiguës, qui ne sont pas toujours symptomatiques au début.

Saez-Cirion A, Bacchus C, Hocqueloux L, et al. Plos Pathogen 2013;9:1-12

Des ARV au stade aigu

de la contamination

pourraient permettre

une maîtrise à long

terme de l’infection.

Intérêt de traiter le VIH très précocement