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    Je

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    Ce rapport porte sur le second volet de la lettre de mission : linnovation.

    Il est le fruit dun travail collectif interne ESCP Europe. Y ont notamment contribu : Ganal Bascoul, professeur de marketing Sylvain Bureau, professeur de systmes dinformation et technologies de

    linformation David Chekroun, professeur de droit Emmanuel Combe, professeur affili dconomie Pascale Delvaille, professeur de comptabilit et audit Jacqueline Fendt, professeur dentrepreneuriat Marie-Pierre Fenoll-Trousseau, professeur de droit Frdric Frry, professeur de stratgie Andreas Kaplan, professeur de marketing Herv Laroche, professeur dorganisation Anne Le Manh, professeur affilie de comptabilit et audit ainsi que Nicolas Binctin, professeur de droit luniversit de Poitiers

    Deux chargs de mission la Direction gnrale de ESCP Europe ont particip la ralisation des entretiens et lanalyse de la documentation: Julie Fabbri-Ruff Pierre-Arnaud Moreau-Portejoie

    Prsentation des auteursPascal Morand est directeur gnral de ESCP Europe. Professeur

    dconomie, ses travaux portent sur lconomie internationale, ainsi que sur les relations entre conomie et culture. Il a prsid le groupe de travail ayant donn lieu au rapport Mondialisation : changeons de posture en 2007. Contact : [email protected]

    Delphine Manceau est professeur ESCP Europe. Spcialiste de marketing, elle a crit plusieurs ouvrages et articles sur linnovation et le marke-ting de linnovation. Contact : [email protected]

  • 7Remerciements

    Remerciements

    Ce rapport a t nourri par de nombreux entretiens avec des diri-geants dentreprises et des experts. Nous sommes extrmement reconnaissants tous ceux qui ont bien voulu partager leur vision de linnovation et enrichir notre rflexion en nous accordant de leur temps.

    Nous tenons remercier tout particulirement les dirigeants dentre-prises qui ont clair, par leurs tmoignages, notre approche de linnovation et notre analyse de laction des pouvoirs publics : Loc Armand, directeur gnral des affaires publiques, du dveloppement

    durable et des relations consommateurs, et Nicolas Rosselli, directeur de linnovation, LOral

    Andrew Baum, Managing Director Equity Research, Morgan Stanley Valentin Chapero, CEO, Hans Leysieffer, Vice President R&D, Stefan

    Launer, Vice President Advanced Concepts and Technologies, Sonova Michel Dahan, General Partner, Banexi Ventures Olivier Desurmont, directeur gnral, Sineo Serge Foucher, Executive Vice President European Operations, Renaud di

    Francesco, General Manager Technology Standard Office, Arnaud Brunet, directeur des relations extrieures, Sony Europe

    Reinold Geiger, PDG, LOccitane Daniel Harari, directeur gnral, et Andr Harari, prsident du conseil dad-

    ministration, Lectra Mat Hunter, Head of Consumer Experience Design, IDEO Dominique Jakob, associ, et Brendan McFarlane, associ, cabinet Jakob &

    McFarlane Hasse Johansson, Vice President, Head of R&D, Scania Guillaume de Marcillac, fondateur dEgencia, aujourdhui CFO de

    Fastbooking Jean-Franois Minster, directeur scientifique, Total Vronique Morali, PDG, Terrafemina Didier Morisseau, Sourcing & Supplier Development Director Innovation

    Partnerships, Kraft Grgoire Olivier, directeur des programmes, PSA Peugeot Citron Ren Pnisson, prsident, Vivendi Games Inc. Corinne Poux, directeur de linnovation, Herms Yves Tyrode, Executive Vice President Technocentre, Orange

  • 8 Pour une nouvelle vision de linnovation

    Nous souhaitons galement exprimer notre gratitude aux profes-seurs et aux experts qui ont bien voulu partager leurs ides avec nous et ragir aux ntres : Cline Abecassis-Moedas, professeur, FCEE-UCP Universidade Catolica

    Portuguesa Andr Beirnaert, prsident, Union des industries textiles du Nord, prsident

    du ple de comptitivit UP-TEX Jean-Luc Biacabe, directeur de la prospective conomique et sectorielle,

    Chambre de commerce et dindustrie de Paris Franois de Charentenay, ancien directeur de la recherche de PSA, membre

    de lAcadmie des technologies, Germain Sanz, membre de lAcadmie des technologies, ancien directeur de linnovation dArcelor Mittal, Thierry Weil, professeur Mines ParisTech, Jrme Fontaine, charg dtudes, tous quatre experts au sein de lANRT- FutuRIS

    ric Cornuel, CEO, European Foundation for Management Development (EFMD)

    George Cox, Chairman, Design Council David Evans, Director of Innovation, Dius Malcolm Gillies, Vice Chancellor, et Peter Kunzlik, Director of The City

    Law School, Pro Vice Chancellor, City University London Armand Hatchuel, professeur, Pascal Le Masson, professeur, et Benot Weil,

    professeur, Mines ParisTech Dominique Jacomet, directeur gnral, Institut franais de la mode (IFM) Jean-Claude Karpels, membre lu de la Chambre de commerce et dindus-

    trie de Paris, charg des affaires europennes Grard Laiz, directeur gnral, Valorisation de linnovation dans lameuble-

    ment (VIA) Jason Potts, Senior Lecturer, Queensland University of Technology, Centre

    for Creative Industries and Innovation Alain Quvreux, chef du service Europe, ANRT

    Enfin, nous souhaitons exprimer notre gratitude Alexandre Pbereau, prsident de la Fondation ESCPEurope, et Patrice Lefeu, CEO de la Fondation Europe+, pour les contacts quils nous ont donns et pour les changes fructueux que nous avons eus avec eux.

    Pascal Morand et Delphine Manceau

  • 9Synthse

    Synthse

    Ce rapport plaide pour une vision largie de linnovation conforme lapproche quen ont les entreprises et donc la manire dont elle se dploie effectivement dans le tissu conomique.

    En France, les discours publics voquant linnovation sont souvent centrs sur la recherche et linnovation technologique. Outre le fait que ces deux sujets sont distincts, ils sont aujourdhui dcals par rapport aux pratiques des entreprises et la ralit des processus dmergence et de ralisation de linnovation.

    Si linnovation constitue un facteur essentiel de comptitivit co-nomique, elle ne saurait tre rduite la recherche et aux brevets. La France sest traditionnellement davantage intresse linvention qu linnovation, tandis que dautres pays dveloppaient de relles comptences pour dvelopper et com-mercialiser les innovations.

    Il semble aujourdhui essentiel de stimuler la capacit dinnovation des entreprises franaises. lheure de la mondialisation, les investissements en recherche ne pourront y suffire. Linnovation constitue une source de valeur et de revenu pour les entreprises et pour lconomie si elle se traduit dans lactivit commerciale et oprationnelle des firmes.

    Dans ce contexte, ce rapport prsente une vision largie de linnova-tion reposant sur quelques ides-cls. Linnovation revt des formes multiples. Elle porte la fois sur loffre, sur les

    processus et sur les modles conomiques. Linnovation dusage joue un rle essentiel, dont il ne faut pas sous-estimer limpact conomique. Mme pour les innovations technologiques, une analyse des usages constitue un facteur essentiel pour stimuler leur adoption et leur utilisation, seules gnratrices de revenus.

    La recherche, lorsquelle aboutit, gnre une invention qui ne saurait tre assimile linnovation. Pour que les entreprises soient innovantes, de nom-breux autres lments fonctionnels et facteurs organisationnels doivent inter-venir, notamment le marketing, le design, la crativit.

    Linnovation ne survient pas par hasard ou par -coups, elle rsulte de pro-cessus itratifs de long terme intgrant des ingrdients, des dmarches et des rsultats. Cest pourquoi il convient de stimuler la capacit dinnovation des entreprises en sinscrivant dans le long terme.

    linstar des activits de cration, linnovation repose sur une conomie de la quantit o les succs sont rares et souvent difficiles prvoir, et o la quantit de projets mens en parallle permet lquilibre conomique de len-semble. Il ne sagit pas de remettre en cause lopportunit de grands projets lchelle europenne, mais de souligner la ncessit, pour les entreprises et les pouvoirs publics, de ne pas se focaliser sur linnovation de rupture,

  • 10 Pour une nouvelle vision de linnovation

    difficile prvoir, plus encore planifier. Une trop forte volont de planifica-tion et de tri a priori peut asscher lensemble.

    Linnovation ne peut tre considre du seul ressort de certains secteurs, de certaines tailles dentreprises, voire de certaines fonctions puisque par, dfi-nition, elle se nourrit de la complmentarit des secteurs, des entreprises et des fonctions. Le sujet exige une vision transversale, large et volontariste, seule mme de faire voluer les mentalits, qui jouent un rle essentiel sur ce sujet et sont aujourdhui peu propices.

    Ladoption dune vision largie de linnovation suppose de faire voluer les indicateurs utiliss pour valuer la capacit du pays innover, en ne se rfrant plus uniquement aux dpenses en recherche et dveloppement et aux brevets. Nous proposons plusieurs indicateurs refltant la ralit de linnovation dans les entreprises.

    En matire de politique publique, de nombreuses mesures trs posi-tives ont t prises au cours des annes rcentes, en particulier propos du cr-dit impt recherche, des ples de comptitivit, de la cration dentreprise ou encore de lenseignement suprieur.

    Pour nous, la priorit lheure actuelle nest pas tant de modifier la marge ces mesures que de les inscrire dans une vision largie de linnovation et de faciliter la tche des entreprises qui innovent. Nous avons donc propos une srie de mesures dans ce sens :1. Llaboration dun discours public sur linnovation dans sa dimension lar-

    gie afin de faire voluer les mentalits.2. La cration dun label valorisant les entreprises ayant mis en place des pro-

    cessus favorables linnovation.3. Des procdures dachat public montrant lexemple et valorisant linnova-

    tion.4. La cration dune annexe comptable facultative valorisant les actifs imma-

    triels porteurs dinnovation.5. Laffirmation de limage franaise autour de linnovation et de la cration.6. des efforts dexportation des normes europennes dans le monde.7. Une politique denseignement valorisant la crativit, la prise de risque, le

    dveloppement de projets et la transversalit.8. La mise en place du brevet communautaire.9. Des procdures simplifies facilitant les dmarches des entreprises auprs

    des pouvoirs publics et des laboratoires de recherche publics.10. La cration dun Institut de la comptitivit et de linnovation.

  • 11Sommaire

    Sommaire

    Lettre de mission 3

    Remerciements 7

    Synthse 9

    Introduction : linnovation vue par les entreprises 13

    Enjeux et ides reues sur linnovation 17

    1. Linnovation, facteur-cl de la comptitivit des entreprises europennes 192. La performance encore insuffisante des entreprises franaises en matire dinnovation 213. Un sujet souvent apprhend dans les politiques publiques par des champs connexes, la R&D ou lentrepreneuriat 24

    Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes 33

    1. Linnovation, un objet protiforme 352. Innovation incrmentale et de rupture, un objet non dissociable dans les stratgies des entreprises et dans les politiques publiques 463. Limportance de dissocier la capacit dinnovation des entreprises des ingrdients susceptibles de la stimuler 494. Pour une autre mesure de la capacit dinnovation 58

    Des pistes dactions publiques pour stimuler la capacit dinnovation des entreprises 65

    1. Limportance du discours public pour faire voluer les mentalits 702. La cration dun label valorisant les entreprises ayant mis en place des processus favorables linnovation 713. Un achat public montrant lexemple et valorisant linnovation 734. Une annexe comptable facultative valorisant les actifs immatriels, porteurs dinnovation 755. Laffirmation de limage franaise autour de linnovation et de la cration 77

  • 12 Pour une nouvelle vision de linnovation

    6. Des efforts dexportation des normes europennes 807. Une politique denseignement valorisant la crativit, la prise de risque, le dveloppement de projets et la transversalit 818. La mise en place du brevet communautaire 849. Des procdures simplifies facilitant les dmarches des entreprises auprs des pouvoirs publics et des laboratoires de recherche publics 8510. La cration dun Institut de la comptitivit et de linnovation 87

    Conclusion 89

    Bibliographie 91

    Annexes 97

  • 13Introduction : linnovation vue par les entreprises

    Introduction : linnovation vue par les entreprises

    On considre en gnral linnovation et la mondialisation comme les deux principaux moteurs de la performance conomique 1. Dans cette optique, la stratgie de Lisbonne met laccent sur lconomie de la connaissance, consid-re comme le principal facteur de comptitivit des pays de lUnion europenne et vcue comme un moyen de rivaliser avec des conomies particulirement per-formantes en termes de production et de cots. Lobjectif le plus couramment cit consiste atteindre un ratio R&D/PIB de 3 % alors quen 2006 ce ratio atteignait 2,10 % pour la France, 1,77 % pour lUnion europenne, et 2,26 % pour la zone OCDE dans son ensemble. Un autre indicateur suivi attentivement repose sur le nombre de brevets dposs.

    La formulation de la stratgie de Lisbonne fait certes rfrence linnovation non technologique, voquant notamment le design et la crativit, mais ce qui en est retenu se rsume souvent aux critres voqus ci-dessus. Or, llaboration de lconomie et de la socit de la connaissance va bien au-del de cette dimension, et ne peut tre que bancale si elle nintgre pas lensemble des facteurs immatriels qui lui donnent corps et linscrivent dans la ralit.

    Du point de vue des entreprises et de leurs dirigeants, une vision de linnovation centre sur la Recherche & Dveloppement et les brevets est extr-mement partielle. Pour eux, linnovation est le fruit dun processus global dans lequel la R&D nest quun ingrdient parmi dautres, intgrer dans une dmarche organisationnelle complexe. Linnovation relve la fois de la R&D, du dveloppement et de la protection des technologies, de lorganisation, du marketing, du design, de la crativit, de la stratgie dentreprise, de lorga-nisation, des politiques de recrutement, et de toutes les composantes du mana-gement. Mme dans les secteurs o la recherche joue un rle fondamental, les entreprises innovantes sont celles qui savent construire une vritable interaction entre la R&D et le marketing. Linnovation est le fruit de processus multiples associant de nombreux facteurs fonctionnels et organisationnels.

    1. Partout dans le monde, linnovation et la mondialisation sont les deux prin-cipaux moteurs de la performance conomique. Elles influent directement sur la productivit, la cration demplois et le bien-tre des individus, et aident faire face des enjeux de dimension mondiale, comme la sant et lenvironnement. ; OCDE, Science, technologie et industrie : Tableau de bord de lOCDE, 2007.

  • 14 Pour une nouvelle vision de linnovation

    Il apparat en outre que de nombreuses innovations nintgrent aucune dimension technologique (50,98 % selon lOCDE 2) et relvent de lusage ou des modles daffaires. Le tableau de bord europen de linnovation 3 montre, par ailleurs, que prs de la moiti des entreprises europennes innovantes (46 %) ne sappuient sur aucune activit de recherche en leur sein. Ce chiffre atteint seulement 30 % pour la France 4.

    On observe donc un dcalage entre une vision macro-conomique de linnovation, trs centre sur la R&D et les brevets, et la ralit des entre-prises. Celles-ci savent que la recherche doit tre combine avec de nombreux autres facteurs pour gnrer une innovation. Ce nest pas tant la recherche et son issue - linvention - qui leur importent, que linnovation aboutie et la valeur quelle cre en cas de succs commercial. Cest particulirement vrai dans les services, qui reprsentent 71 % du PIB franais, 40 % de lemploi et 46 % de la valeur ajoute de lUnion europenne, et pour lesquels lidentification de bud-gets de recherche est souvent dlicate 5.

    Tout comme on pouvait appeler il y a deux ans changer de posture sur la mondialisation 6, nous faisons le mme appel sur linnovation aujourdhui. Il sagit de ne plus se focaliser seulement sur la recherche ou sur linnovation technologique, pour adopter une vision et une politique largies, qui intgrent les diffrents types dinnovation de manire favoriser globalement la capacit dinnovation et la comptitivit des entreprises.

    Ce rapport vise donc proposer une vision holistique de lin-novation, accompagne de suggestions dinitiatives publiques propres la stimuler.

    Pour mieux apprhender comment les entreprises voient linnova-tion, nous avons adopt une approche inductive en ralisant une vingtaine dentretiens avec des dirigeants dentreprises de secteurs extrmement divers, certaines forte dimension technologique, dautres moins, et de tailles trs variables, depuis la jeune entreprise innovante et lentreprise moyenne jusquaux groupes de dimension mondiale. Ces entreprises ont t choisies pour leur diver-sit de profils mais aussi pour leur forte capacit dinnovation et leur succs sur les marchs internationaux. La plupart dentre elles exercent des activits en France, avec quelques exceptions puisque nous avons souhait confronter cette vision avec des entreprises dautres pays europens (Royaume-Uni, Sude, Suisse). Lorsque nous avons contact les dirigeants des entreprises, certains

    2. Part des entreprises engageant des activits dinnovation non technologique (en % de toutes les entreprises) ; OCDE, Science, technologie et industrie : Perspec-tives de lOCDE, 2008.

    3. Pro Inno Europe, European Innovation ScoreBoard 2007, comparative analysis of innovation performance, 2008.

    4. Voir annexe 1.

    5. Pro Inno Europe, European Innovation ScoreBoard 2007, comparative analysis of innovation performance, 2008.

    6. Morand P., Mondialisation : changeons de posture, Paris, La Documentation franaise, 2007.

  • 15Introduction : linnovation vue par les entreprises

    nous ont reus eux-mmes, dautres nous ont orients vers les spcialistes du sujet dans leur organisation.

    Les entretiens raliss ont port sur la manire dont les dirigeants dentreprises apprhendent linnovation, sur les outils avec lesquels ils mesu-rent et suivent leur performance en la matire, sur les freins auxquels ils sont confronts et les facteurs qui pourraient les aider tre plus innovants, ainsi que sur les politiques publiques actuelles ou possibles pour stimuler leur capacit dinnovation. Lensemble de ce rapport sappuie sur les propos que nous avons ainsi recueillis.

    Soulignons ds prsent la trs grande convergence de propos entre les dirigeants rencontrs. Quils appartiennent de grands groupes internatio-naux, des entreprises de taille moyenne ou de petites firmes innovantes, quils exercent leur activit dans des secteurs forte dimension technologique, des industries plus traditionnelles ou dans les services, ils nous ont communiqu une vision extrmement large de linnovation et ont mis en avant les mmes types dactions publiques pour la favoriser.

    En complment, nous avons sollicit un certain nombre dexperts qui appartiennent des institutions acadmiques et professionnelles franaises et europennes. Nous les avons interrogs sur leur vision de linnovation et du rle que peuvent jouer les pouvoirs publics. Nous avons analys avec eux un certain nombre dides formules par les dirigeants dentreprises.

    Les propos qui suivent cherchent ainsi contribuer une meilleure adquation entre la ralit vcue par les entreprises et la reprsentation de linno-vation du point de vue des pouvoirs publics, au bnfice de lconomie franaise et de son dveloppement.

    La mthodologie

    Approche inductive fonde sur des entretiens semi-directifs avec des diri-geants dentreprises.

    Interviews de 24 dirigeants dans 17 entreprises : Fastbooking, Herms, Ideo, Jakob & McFarlane, LOccitane, LOral, Kraft, Lectra, PSA Peugeot Citron, Orange, Scania, Sineo, Sonova, Sony Europe, Terrafemina, Total, Vivendi Games Inc.

    Entretiens avec des spcialistes de 2 institutions financires : Morgan Stanley et Banexi Ventures.

    Consultation de 20 experts dans 13 institutions acadmiques, professionnelles et publiques.

    Ce rapport est structur en trois parties. La premire analyse les per-formances de la France en matire dinnovation, essentielle pour la comptiti-vit, en particulier en priode de crise. Elle souligne que ce sujet est aujourdhui systmatiquement apprhend de manire indirecte travers des thmatiques connexes mais distinctes, et souvent partir dun certain nombre dides reues errones. La deuxime partie expose une vision globale de linnovation telle

  • 16 Pour une nouvelle vision de linnovation

    quelle apparat chez les dirigeants dentreprises rencontrs et dans nombre de recherches sur le sujet. Elle analyse ce quest linnovation et tablit une typologie, avant danalyser les facteurs susceptibles de favoriser la capacit dinnovation des entreprises. La troisime partie tudie en quoi laction publique au niveau franais et europen peut stimuler cette capacit dinnovation en voquant les mesures rcentes les plus significatives et en tablissant dix propositions.

  • Enjeux et ides reues sur linnovation

  • 19Enjeux et ides reues sur linnovation

    1. Linnovation, facteur-cl de la comptitivit des entreprises europennes

    Selon la dfinition schumpetrienne de linnovation, celle-ci se rap-porte un nouveau produit, un nouveau processus de production ou une nou-velle source dapprovisionnement. Cette vision per se holistique est bien souvent rduite sa deuxime composante. Outre une surestimation et une dconnexion du facteur technologique, ceci provient de ce que linnovation est souvent pr-sente comme un facteur de gains de productivit, avant toute chose. La ralit est plus complexe. Dans une conomie telle que lconomie europenne, dont les cots salariaux sont sans commune mesure avec ceux des pays en dvelop-pement, linnovation se rapporte lensemble des processus qui permettent de renouveler la demande pour les biens et services et de transformer les modles conomiques. Il sagit dun facteur-cl pour permettre aux entreprises dviter la concurrence par les prix, en dplaant les termes de lchange (nouveau business model) et en crant des prfrences spcifiques chez les clients via linnovation doffre. Elle constitue un facteur essentiel de croissance des entreprises et per-met la diffrenciation.

    Ainsi, linnovation rassemble les facteurs de cration de valeur des entreprises et devient une composante de la comptitivit des conomies euro-pennes qui prouvent des difficults concurrencer les pays mergents sur les facteurs de cots et de prix.

    Au Royaume-Uni, cest la raison pour laquelle George Cox, prsi-dent du Design Council, a t sollicit en 2004 par Gordon Brown, alors chance-lier de lchiquier, en vue de rdiger un rapport relatif la comptitivit et la crativit de lconomie britannique 1. Il sagissait de stimuler la capacit dinno-vation des entreprises pour chapper une concurrence par les prix. Lapproche adopte reposait sur le constat que la R&D ne saurait suffire fonder la comp-titivit des conomies europennes puisque de nombreux pays mergents dispo-sent aujourdhui dexcellents chercheurs, dune R&D performante et de com-ptences fortes dans les emplois qualifis, savrant par l mme extrmement performants sur les activits forte valeur ajoute. Seule la crativit permet de transformer les ides et la R&D en outil comptitif grce des comptences en matire de design et de conception de produits et services. Lide sous-jacente au rapport Cox, qui a donn lieu depuis lors plusieurs mesures publiques, tait de sappuyer sur la performance reconnue et ancienne de lconomie britannique dans les industries cratives afin de diffuser cette capacit crative et ce modle conomique particulier lensemble de lconomie et notamment aux PME.

    1. Cox G., Cox Review of Creativity in Business: Building on the UKs strengths, HM Revenue and Customs, 2005.

  • 20 Pour une nouvelle vision de linnovation

    Les visions franaise et britannique de linnovation

    La vision franaise La vision britannique

    Une vision centre sur linnovation technologique

    Secteur de rfrence : les hautes technologies

    Facteur-cl peru : la recherche publique et prive

    Zoom sur la cration dentreprise et sur les grandes entreprises

    Une vision centre sur linnovation cratrice et sur linnovation dusage

    Secteur de rfrence : les industries cratives (mdia et multimdia, mode, cinma, jeux vido, musique, dition, architecture, design, publicit...)

    Facteur-cl peru : la crativit

    Zoom sur les petites et moyennes entreprises

    En cohrence avec le fait que linnovation constitue un facteur-cl de comptitivit, de nombreuses enqutes montrent limportance que les diri-geants dentreprises accordent au sujet, cit par 65 % dentre eux parmi leurs trois priorits stratgiques 2.

    Cest en temps de crise quil faut investir dans linnovation.

    Aujourdhui que lconomie mondiale connat une crise conomique majeure, linnovation apparat comme un levier essentiel pour sortir dune spi-rale dflationniste et dune tendance lintensification de la concurrence par les prix. Elle constitue un moteur positif pour relancer la consommation et le renou-vellement des produits et services, tout en donnant au grand public une autre vision de lactivit des entreprises. La vision mdiatique de lconomie voque bien souvent une lutte dsespre et voue lchec des entreprises pour rduire les cots et les prix. Linnovation russie apparat au contraire comme un moyen de sortir de cette logique centre sur les cots pour stimuler la consommation des particuliers et renouveler les quipements des entreprises. Elle pourrait rconcilier les Franais avec leurs entreprises, dautant quelle porte la fois sur de nouveaux objets et services consommer avec plaisir, mais aussi sur de nou-velles manires de travailler qui peuvent rendre le travail plus intressant ou plus facile. Dans le premier volet, linnovation peut relancer lenvie de renouveler des biens et des services. Sur le second aspect, il sagit de valoriser linnovation organisationnelle et de processus comme source damlioration du quotidien des employs. Un de nos interlocuteurs soulignait cet gard quil reprait la pr-sence dune innovation dans une entreprise lapparition de nouveaux mtiers.

    Comme le soulignait un dirigeant dOrange que nous avons rencon-tr, cest en temps de crise quil faut investir dans linnovation, pour prparer la sortie de crise mais aussi parce que linnovation exige du temps . En effet, les investissements dans linnovation doivent tre contra-cycliques, cest--dire quil faut dpenser davantage lorsque la situation conomique est peu propice pour contribuer relancer la croissance.

    2. Chan V., Musso C., Shankar V., McKinsey Global Survey Results: Assessing innovation metrics, McKinsey Quarterly, 2008.

  • 21Enjeux et ides reues sur linnovation

    Linnovation, facteur-cl de comptitivit

    viter la concurrence par les prix. Relancer la demande et stimuler le renouvellement des quipements. Renouveler les termes de lchange par de nouveaux modles conomiques. Valoriser linnovation organisationnelle comme source dvolution des

    emplois. Renouveler limage de lentreprise.

    Prparer la sortie de crise.

    2. La performance encore insuffisante des entreprises franaises en matire dinnovation

    LEurope semble sengager dans cette voie depuis plusieurs annes. Linnovation et la crativit sont souvent cites comme des avantages spcifiques et comme un facteur essentiel de comptitivit des conomies dveloppes 3. Les succs de Nokia, Zara et des moyennes entreprises allemandes sont voqus comme des exemples de russites europennes fondes sur la valeur ajoute, la crativit, linnovation et le design.

    Pourtant, force est de constater que la performance des entreprises europennes et franaises est encore insuffisante en la matire. Parmi les cin-quante entreprises les plus innovantes identifies en 2008 par BusinessWeek et le BCG 4, on ne compte que huit entreprises europennes dont quatre britanniques, deux allemandes, une hollandaise, une finlandaise et aucune franaise. Certes, ce type de classement est discutable dans sa mthodologie et intgre implicitement

    3. Levy M., Jouyet J.-P., Lconomie de limmatriel : la croissance de demain, Paris, La Documentation franaise, 2006. Cest bien dans cette perspective que 2009 a t proclame anne de linnovation et de la crativit par la Commission europenne.

    4. Ce classement est fond sur une enqute auprs de cadres et dirigeants den-treprises mondiaux. Un questionnaire est envoy par e-mail aux dix responsables principaux de linnovation des 2 500 plus grandes entreprises mondiales par leur valeur boursire. Lenqute est galement envoye aux membres du Market Advi-sory Board de BusinessWeek. Les 2 950 rponses collectes ont dtermin 80 % du classement, tandis que la croissance du chiffre daffaires, de la marge et de laction ont un poids respectif de 5 %, 5 % et 10 % dans le classement final. Ce classement est parfois discut par le fait quil repose sur des perceptions et intgre donc impli-citement la notorit et limage dinnovation associe aux entreprises. Toutefois, la taille de lchantillon interrog et le fait quil repose sur lavis de responsables de linnovation rend linformation extrmement intressante. http ://bwnt.busi-nessweek.com/interactive_reports/innovative_companies/. Voir annexe 6.

  • 22 Pour une nouvelle vision de linnovation

    la notorit des marques et des entreprises. Pour autant, la faible prsence euro-penne et franaise parmi les cinquante entreprises cites ne manque pas de nous interpeller et met en vidence la ncessit dune mobilisation sur le sujet.

    Ce classement concerne les grandes entreprises, seules susceptibles de prtendre entrer dans un classement mondial des entreprises les plus inno-vantes. De manire plus globale, lOCDE considre que 50,1 % des grandes entreprises franaises sont innovantes en produits (et 44,5 % en processus), classant notre pays en sixime position de lUnion europenne 5 (cinquime en processus), derrire la Belgique, le Luxembourg, lAllemagne, la Grce et lAutriche.

    La situation des PME est proccupante. Avec 14,8 % dentre elles innovatrices en produits, la France se situe dans le groupe des pays les moins performants de lUnion europenne. En revanche, les PME franaises se dis-tinguent comme innovatrices en processus (17,8 % contre 15,4 % pour lAl-lemagne). Cette situation peut peut-tre expliquer en partie la faible capacit exportatrice des PME franaises, qui reprsentent moins du quart des exporta-tions du pays. Certes, les PME innovantes sont aujourdhui plus performantes, mais seules 36 % dentre elles ralisent plus du quart de leur chiffre daffaires lexport et 13 % plus de la moiti 6.

    Comparatif de cinq pays en matire dinnovation

    France Allemagne Sude Japon tats-Unis

    Capacit dinnovation (1) 0,47 0,59 0,73 0,60 0,55

    Nombre dentreprises dans les 50 plus innovantes (2) 0 2 0 4 31

    Entreprises ralisant des innovations non technologiques (3) 23 47 Ns 60 Ns

    Entreprises innovantes sans R&D interne (4) 30 % 40 % 22 % Ns Ns

    Ratio R&D/PIB 2,1 % 2,49 % 3,74 % 3,15 % 2,68 %

    Nombre de brevets (5) 12 112 17 739 1 287 164 954 157 283

    (1) Selon lindice de synthse de linnovation (Summary Innovation Index, SII) du Tableau de bord europen de linnovation ; Pro Inno Europe, European Innovation ScoreBoard 2007, comparative analysis of innovation performance, 2008.(2) Selon le classement 2008 effectu par BusinessWeek et le BCG. http://bwnt.businessweek.com/interactive_reports/innovative_companies/.(3) OCDE, Science, technologie et industrie : Perspectives de lOCDE, 2008.(4) Pro Inno Europe, European Innovation ScoreBoard 2007, comparative analysis of innovation per-formance, 2008. Voir annexe 1.(5) Nombre total de brevets dposs par chacun des pays en 2007 selon lOrganisation Mondiale de la Proprit Intellectuelle, dcembre 2008.

    5. OCDE, Science, technologie et industrie : tableau de bord de lOCDE, 2007.

    6. OSEO, PME 2006, rapport OSEO sur lvolution des PME, Paris, La Documen-tation franaise, 2006. Voir annexe 4.

  • 23Enjeux et ides reues sur linnovation

    Il semble donc essentiel de renforcer la capacit dinnovation des entreprises franaises, notamment des PME, et de faciliter leur dmarche din-novation. On peut noter cet gard quen France, la part des entreprises ralisant de linnovation non technologique slve 23 % seulement, contre 47 % en Allemagne et 60 % au Japon. En outre, les entreprises innovantes ne sappuyant pas sur une R&D interne reprsentent 30 % en France, 40 % en Allemagne et 52 % au Royaume-Uni. Ces chiffres soulignent le potentiel de dveloppement de notre pays en matire dinnovation non technologique et dinnovation non fon-de sur la R&D interne, pour lequel une tape indispensable rside dans ladop-tion dune vision largie du sujet.

    Ajoutons quil faut prendre garde aux typologies sectorielles. Il existe une certaine tradition franaise distinguant les secteurs de haute technolo-gie, qui formeraient une sorte daristocratie de linnovation, tandis que dautres secteurs, tels que celui du luxe, auraient lapanage de linnovation non technolo-gique. Cette distinction est obsolte et dangereuse : tous les secteurs et toutes les entreprises doivent tre en mesure dassocier tous les attributs de linnovation, et lexcellence avre de tel ou tel secteur ou entreprise doit faire cole et se diffu-ser dans lensemble du tissu conomique.

    La capacit dinnovation de la France

    La France se situe au 10e rang dans lUnion europenne derrire les pays scandinaves, lAllemagne et le Royaume-Uni.

    50 % des grandes entreprises franaises (6e place europenne) et 15 % des PME (14e) sont innovantes en produits.

    Aucune entreprise franaise nest prsente dans le classement des 50 entre-prises mondiales les plus innovantes de BusinessWeek/BCG.

    23 % des entreprises ralisent des innovations non technologiques (contre 51 % dans lOCDE).

    30 % des entreprises innovantes nont pas dactivit de R&D en interne (contre 46 % dans lUnion europenne).

    2,1 % du PIB est consacr la R&D en 2006. 12 112 brevets ont t dposs en 2007. 74 411 nouvelles marques ont t recenses en 2007.

    71 ples de comptitivit existent aujourdhui.

  • 24 Pour une nouvelle vision de linnovation

    3. Un sujet souvent apprhend dans les politiques publiques par des champs connexes, la R&D ou lentrepreneuriat

    Aujourdhui, linnovation est principalement apprhende dans les politiques publiques dans sa dimension technologique et de recherche. Comme le souligne le Conseil danalyse conomique 7, on se concentre sur la R&D et sur le dpt de brevets.

    Si la R&D est essentielle dans de nombreuses activits, elle ne peut tre considre ni comme une condition ncessaire, ni comme une condition suffisante de linnovation : pas ncessaire comme en tmoignent les nombreuses innovations dusage, qui seront voques dans la suite de ce rapport ; pas suffi-sante car le processus qui mne de la R&D linnovation est indirect et sem dembches, la R&D aboutissant en cas de succs linvention, qui elle-mme peut gnrer - ou non - des innovations. On confond trop souvent en France inno-vation et invention, alors quil sagit de ralits distinctes. Ainsi, si Thomson et linstitut Fraunhofer ont invent le codec de compression MP3, ce sont dautres entreprises qui ont dvelopp les produits en rsultant, lecteurs MP3 et autres iPod 8. Mme aprs une invention russie, 45 % des projets dinnovation sont abandonns ou retards 9. En cas de lancement, les risques dchecs commer-ciaux et de non-cration de valeur pour lentreprise et lconomie sont encore trs importants puisque le taux de russite des produits innovants est souvent infrieur 50 %. Or, pour accrotre la comptitivit des entreprises et crer de la valeur, il faut que non seulement il y ait innovation, mais en plus que celle-ci gnre des revenus. La R&D constitue donc une source privilgie mais non exclusive de linnovation et de la croissance.

    En parallle, on associe bien souvent la question de linnovation la thmatique de lentrepreneuriat. Les exemples emblmatiques dentrepre-neurs trs innovants - comme les crateurs de Google, deBay ou de Facebook - incarnent lide selon laquelle la cration dentreprise est le moteur de lin-novation et du renouvellement de lconomie. Bien quils soient importants en tant que symboles, ces exemples nen sont pas pour autant reprsentatifs. En ralit, la cration dentreprise et linnovation sont des thmatiques disjointes. Aucune des dfinitions les plus courantes de lentrepreneuriat ne comprend la

    7. Madis T., Prager J.-C., Innovation et comptitivit des rgions, rapport du Conseil danalyse conomique, Paris, La Documentation franaise, 2008.

    8. Le premier baladeur utilisant la technologie MP3 fut commercialis sous le nom de Mpman en Asie et sous la marque Eiger Labs aux tats-Unis en 1998.9. SESSI, Tableau de bord de linnovation, 20e dition, Ministre de lconomie, de lIndustrie et de lEmploi, 2008.

  • 25Enjeux et ides reues sur linnovation

    notion dinnovation 10, et la plupart des crations dentreprises ne reposent sur aucune innovation, que ce soit en termes doffre, de processus ou de modle conomique. Selon certains sondages 11, seul un tiers des entrepreneurs dclare apporter une innovation via des nouveaux produits et services, des concepts de vente novateurs ou de nouvelles mthodes et processus de travail.

    Innovation et invention

    Il est essentiel de bien distinguer linnovation et linvention. Linvention est unique et dpend des capacits inventives des inventeurs et des moyens disposition (argent, matriel). Linnovation a vocation tre adopte par des utilisateurs, clients, employs, et doit donc avoir un march.Une invention peut ne donner lieu aucune innovation lorsquelle nest int-gre aucune offre ou aucun modle conomique ; cest le cas des inventions protges par des brevets inexploits. linverse, une invention peut donner lieu de multiples innovations, linstar du nylon ou du tflon employs dans de trs nombreux textiles et matriaux. Une invention peut galement donner lieu des gnrations successives dinnovations, comme lillustre lexemple de la souris informatique.Linvention de la souris fut faite en 1963 au PARC de Xerox par Douglas Engelbart du Stanford Research Institute : la souris tait alors un objet en bois avec deux roues en mtal. Plus tard, elle fut transforme en innovation doffre avec un produit qui apparut alors comme trs innovant, commercia-lis avec quelques stations de travail puis avec les premiers PC. Toutefois, la souris ne connut un vritable succs commercial quavec lapparition du Macintosh en 1984. Depuis lors, de nouveaux types de souris sont apparus, comme les souris sans fil infrarouges ou les souris optiques, et le design a beaucoup volu dans le sens dune plus grande ergonomie 12.Cet exemple illustre la fois larticulation entre linvention et linnovation, le besoin de travailler sur le design et le sens des inventions pour en faire des innovations, ainsi que les innovations en cascade qui peuvent dcouler dune invention russie une fois quelle a touch le march.

    10. Stevenson, H.H., A perspective on entrepreneurship, Harvard Business School Working Paper, 1983 ; Entrepreneurship is the pursuit of opportunity beyond the resources currently controlled. Stevenson, H.H., Sahlman W.A., Introduction to the Entrepreneurial Venture, Harvard Business School Press, Boston, 1991 ; Entre-preneurship is a way of thinking and acting that is opportunity obsessed, holistic approach, leadership balanced with the purpose of value creation and value capture.

    11. INSEE, Crations et crateurs dentreprises - Premire interrogation 2006, profil du crateur , enqute Sine gnrations, INSEE Rsultats, no 34, 2008.

    12. Le Nagard E., Manceau D., Marketing des nouveaux produits, Paris, Dunod, 2005.

  • 26 Pour une nouvelle vision de linnovation

    Au-del de lentrepreneuriat, on associe souvent la capacit dinno-vation dun pays avec son tissu de PME. Effectivement, certains pays comme lAllemagne ou la Suisse fondent leur capacit dinnovation sur un tissu den-treprises de taille moyenne, spcialistes de mtiers prcis sur lesquels elles ont dvelopp une relle expertise, devenant parfois leader mondial de leur activit. Nous en avons rencontr quelques-unes comme Lectra, LOccitane ou Sonova. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que linnovation est lapanage des PME (voir notre encadr sur les ides reues). En effet, les recherches sur le sujet ne convergent pas et les donnes de lOCDE laissent plutt entendre que les grandes entreprises sont plus innovantes que les PME.

    En revanche, les facteurs qui favorisent la capacit innover vo-luent avec la taille des entreprises : pour lentreprise en cration, il sagit prin-cipalement de son savoir-faire, de la crativit de ses fondateurs, de la matrise technologique, de la capacit lever des fonds et sappuyer sur des conseils adapts ; pour lentreprise de taille moyenne, le marketing devient prpond-rant pour largir son portefeuille de clientle et favoriser le succs dinnovations successives aux caractristiques distinctes ; pour la grande entreprise, il sagit de parvenir dcloisonner les diffrentes fonctions dans des organisations trs structures o la pense transversale, lchange interfonctionnel et linitiative deviennent moins naturels.

    Cest pourquoi les politiques lies linnovation ne doivent pas, selon nous, se focaliser sur une taille dentreprises, dautant quil existe une trs forte complmentarit entre les types dacteurs. Des grands groupes comme LOral ou Total dveloppent dailleurs des relations intenses avec des PME innovantes pour stimuler leur capacit dinnovation sans les brider. lheure o linnovation est ouverte et fonde sur linterconnexion entre des structures dif-frentes, les petites entreprises, les grands groupes et les entreprises moyennes ont des rles extrmement complmentaires. Il est vrai que le modle italien des districts, centr sur le partage et les synergies entre les PME a largement contri-bu dvelopper leur capacit dinnovation. Mais dans le cas franais, cest tous azimuts que les synergies peuvent sexercer. Cest dailleurs une vocation des ples de comptitivit de les accompagner.

    Les manires indirectes dapprhender linnovation dans les politiques publiques

    Par la recherche, qui ne constitue ni une condition ncessaire ni une condition suffisante linnovation.

    Par laide la cration dentreprise, alors que celle-ci est dconnecte des problmatiques dinnovation et que seul un tiers des entrepreneurs dclare apporter une innovation.

    Par le soutien aux PME, qui sont en moyenne moins innovantes en France que les grandes entreprises. Une focalisation sur certaines tailles dentreprise semble peu cohrente avec la complmentarit des diffrents types dentre-prises et avec le dveloppement de linnovation ouverte et en rseau qui pr-domine aujourdhui.

  • 27Enjeux et ides reues sur linnovation

    Sept ides reues sur linnovation

    1. Linnovation relve forcment dune technologie nouvelle.Comme le souligne lOCDE, linnovation non technologique constitue un volet essentiel de lactivit des entreprises, la fois dans les services et dans les produits. En France, 23 % des entreprises ralisent des innovations non technologique, contre 47 % en Allemagne et 51 % dans la zone OCDE 13. Lhypermarch et le club de vacances, deux innovations majeures attribues des entreprises franaises, portent sur des concepts de services et ne revtent aucune dimension technologique. Plus rcemment, le transport arien low cost de Ryanair, les modles renouvels en permanence de Zara, le concept de distribution Daily Monop, le transport en commun Vlib, ou encore les bou-quets de bonbons dAquarelle, constituent autant dexemples dinnovations non technologiques.Linnovation non technologique inclut toutes les innovations marketing et les innovations organisationnelles. Les premires reposent sur des nouveaux concepts de produits ou services, de nouveaux designs, de nouvelles mthodes de vente, et visent accrotre lattrait de loffre ou pntrer de nouveaux marchs. Les secondes correspondent des changements de structure ou de modes de management de lentreprise en vue damliorer lefficacit du tra-vail, la gestion des flux de marchandises et dinformation, la qualit, ou plus globalement la connaissance interne. Certaines innovations purement mana-griales comme la franchise, la planification budgtaire, les tudes de march, les dmarches de qualit totale ou les tableaux de bord de gestion, ont eu un impact extrmement important sur la prosprit des entreprises.

    2. La performance dune entreprise en matire dinnovation se mesure son nombre de brevets.La proprit intellectuelle est un pilier fondamental de linnovation. Elle permet lentreprise de rentabiliser son invention et, par l mme, ses inves-tissements en recherche et dveloppement. De nombreuses entreprises sui-vent en interne cet indicateur pour valuer la performance de leur R&D. De plus, les tudes montrent que les dpenses de R&D sont statistiquement lies au nombre de brevets dposs 14.Pour autant, cet indicateur reflte davantage la performance de lactivit de recherche que de linnovation. Comme le notent Madis et Prager, les brevets ne mesurent en fait quune partie mal prcise de linnovation : linnovation, dans son sens le plus large, recouvre, [] les processus, le marketing, lorganisation et mme lapplication dans lentreprise de produits ou mthodes venues dailleurs mais nouvelles pour elle, qui ne donnent pas

    13. OCDE, Science, technologie et industrie : Perspectives de lOCDE, 2008.

    14. Jaruzelski B., Dehoff K., Bordia R., Peladeau P., Romac B., Kandybin A., R&D : largent ne fait toujours pas le bonheur ! , Booz Allen Hamilton, Stra-tegy+ business, 2005.

  • 28 Pour une nouvelle vision de linnovation

    lieu brevets 15. Entre 2004 et 2006, 52 % des entreprises ont protg leur activit par un moyen juridique et 32 % lont fait par un dpt de brevet 16.En outre, on peut identifier quatre limites au nombre de brevets en tant quin-dicateur de performance de lactivit de R&D de lentreprise : La qualit des brevets varie considrablement et les brevets sont difficilement assimilables une unit homogne. On a observ, de 1996 2006, un dcuplement des dpts de brevets en Chine et un doublement en Core du Sud. Au niveau mondial, on assiste une prolifration de brevets de qualit ingale 17 , qui remet en cause leur qualit. Il existe en outre des diffrences importantes dans les critres de brevetabilit dun continent lautre, et notamment entre lUSPTO amricain (qui satisfait 80 90 % des demandes de dpts) et lOEB europen (50 60 %) 18. Certaines entreprises font le choix de ne pas dposer de brevets cause du cot et de la complexit du dpt au niveau international ou parce quelles prfrent prserver le secret sur leurs dcouvertes. Certains champs de lconomie, notamment dans les services, ne font quasiment pas lobjet de dpts de brevets malgr la prsence de relles innovations. Dans lalimentaire, une recette ou une bactrie ne peuvent tre brevetes. Seulement 15 % des entreprises des industries agricoles et alimentaires ont dpos des brevets entre 2004 et 2006, 25 % dans les industries des produits minraux, 24 % pour la mtallurgie et la transformation des mtaux, contre 61 % pour les industries de production de combustibles et de carburants 19. De nombreux brevets ne sont pas exploits commercialement par les entreprises qui les dposent. Celles-ci cherchent alors protger leur invention sans forcment savoir si et quand elles lintgreront des innovations. Parfois, il sagit surtout pour elles de se rserver la possibilit de la cder ultrieurement un tiers. Certaines firmes procdent des dpts de manire augmenter leur nombre de brevets pour mieux mettre en valeur lefficacit de leur R&D, mme si leur utilisation est incertaine. Au final, la part des brevets non utiliss slverait, selon la Commission europenne, 36 % 20.

    15. Madis T., Prager J.-C., Innovation et comptitivit des rgions, rapport du Conseil danalyse conomique, op. cit.

    16. SESSI, Tableau de bord de linnovation, op. cit.

    17. Centre danalyse stratgique, Porte et limites du brevet comme indicateur dinnovation : la qualit des brevets en question, note de veille no 81, 2007.

    18. Un des lments explicatifs de ce diffrentiel est le critre de nouveaut absolue qui fait partie intgrante du systme europen, tandis que lAmrique du Nord et le Japon bnficient dun dlai de grce . Le dlai de grce permet une communication et une publication des innovations sans remettre en cause le critre de nouveaut.

    19. Voir annexe 5.

    20. Nooteboom E., The future of the Patent system in Europe Background and Purpose, Industrial Property Unit, European Commission, 2006.

  • 29Enjeux et ides reues sur linnovation

    Ainsi, comme le souligne une note de veille du Conseil danalyse strat-gique, tout dpt de brevet ne permet pas une mesure fidle de lactivit inventive dploye par son titulaire et, [] inversement, toute invention nest pas brevete 21.

    3. Linnovation est le fait de petites entreprises et non de grands groupes.De nombreux travaux ont compar la capacit dinnovation des petites et des grandes entreprises. Les rsultats varient selon les indicateurs de mesure employs et naboutissent aucun consensus 22. Selon lOCDE 23, 40 % des grandes entreprises dveloppent des innovations en interne dans plus de la moiti des pays tudis, alors que le pourcentage de PME faisant de mme ne dpasse 20 % que dans un tiers des pays. Les grandes entreprises dvelopperaient des innovations plus novatrices que les PME, mme si les chiffres varient considrablement selon les pays 24. Selon lInnobarometer de la Commission europenne 25, les entreprises innovantes 26 ont en moyenne trois fois plus demploys que les entreprises non innovantes, avec des scores moyens respectifs de 217 et de 66 employs. En ralit, on observe des disparits selon les secteurs : dans les industries de haute technologie, par exemple llectronique ou les logiciels, les grandes entreprises sont pro-portionnellement moins innovantes que les petites ; elles le sont davantage dans les services.Les entreprises disposent davantages distincts selon leur taille. Les grandes ont des ressources plus importantes et plus varies, ce qui leur permet de rassembler les diffrents lments ncessaires linnovation et notamment dinvestir dans la R&D ; elles peuvent prendre plus de risques puisquelles peuvent amortir plus facilement le cot dun chec ; elles ont la possibi-lit de sappuyer sur des actifs comme leurs marques ou leurs canaux de distribution pour mieux russir la commercialisation de leurs innovations. Les petites entreprises disposent dautres avantages : un meilleur partage des connaissances entre les membres et une transversalit facilite pour le travail en commun sur des projets ; une grande flexibilit et une moindre bureaucra-

    21. Centre danalyse stratgique, Porte et limites du brevet comme indicateur dinnovation : la qualit des brevets en question, op. cit.

    22. Scholes K., Johnson G., Whittington R., Frry F., Stratgique, Pearson, Paris, 2008 ; Camisn-Zornosa C., Lapiedra-Alcam R., Segarra-Ciprs M., Boronat-Navarro M., A meta-analysis of Innovation and Organizational Size, Organiza-tion Studies, Vol. 25, No 3, p. 331-361, 2004 ; Lee C.Y., Sung T., Schumpeters legacy: a new perspective on the relationship between firm size and R&D, Research Policy, Vol. 34, No 6, p. 914-931, aot 2005.

    23. OCDE, Science, technologie et industrie : tableau de bord de lOCDE, 2007.

    24. Voir annexe 1.

    25. Commission europenne, Innobarometer 2007: Analytical Report, Flash Eurobarometer 215 - The Gallup Organization, 2008.

    26. Parmi les entreprises de plus de vingt employs.

  • 30 Pour une nouvelle vision de linnovation

    tie, qui leur permettent dinnover plus rapidement et de manire plus auda-cieuse ; une forte motivation pour innover car leur survie en dpend.Pour ce qui est de la France, le dernier tableau de bord OCDE de linnova-tion 27 (2002-2004) montre que la part des grandes entreprises innovatrices en produits tait consquente (50,1 %, chiffre qui place la France au sixime rang de lUnion europenne), linverse du taux relatif aux PME (14,8 %, quatorzime rang). En revanche, les PME franaises se distinguent comme innovatrices en processus (17,8 % contre 15,4 % pour lAllemagne).

    4. Linnovation saccompagne forcment de hausses de prix.Linnovation est effectivement loccasion doffrir une plus forte valeur aux clients et donc souvent daugmenter les prix. Pourtant, on assiste depuis plusieurs annes au dveloppement dinnovations associes des prix bas. Par exemple, iDTGV, dvelopp par la SNCF autour de prix bas et dune rservation en ligne, intgre des services ferroviaires innovants comme la location de lecteurs DVD, de jeux ou de kits de sommeil, des animations bord (massages, coiffure) et, la nuit, de la musique et une salle de jeu. On peut galement citer le cas du BicPhone, un tlphone mobile moins de 50 euros, prt lemploi sans abonnement auprs dun oprateur tlpho-nique. Le low cost est fond sur de nouveaux modles conomiques qui per-mettent souvent dallier des innovations doffre avec des baisses de prix 28. En outre, les innovations de processus permettent bien souvent de rduire les cots, et donc les prix.

    5. Parce quelle est un facteur de comptitivit essentiel des entreprises, linnovation est fortement valorise par les marchs financiers dans leur valuation des firmes.Les marchs financiers ont une attitude paradoxale lgard de linnovation. Les analystes la jugent indispensable pour crer de la valeur et ils suivent attentivement la part de chiffre daffaires ralise par les nouveaux produits. Selon les tudes du BCG, les entreprises innovatrices gnrent un retour sur laction cinq ans suprieur de 3,8 % aux moyennes de leur secteur au niveau mondial et de 1 % au niveau europen.Pour autant, les marchs financiers considrent linnovation comme risque et les retours sur investissement trop longs ds lors que les projets exigent des efforts importants en matire de R&D. Ils marquent donc une prfrence pour les acquisitions externes, lachat de brevets lextrieur, voire la sous-traitance de linnovation 29.

    27. OCDE, Science, technologie et industrie : tableau de bord de lOCDE, 2007.

    28. Beigbeder C., Le low cost : un levier pour le pouvoir dachat, Paris, La Docu-mentation franaise, 2007.

    29. Kotler P., Keller K., Manceau D. et Dubois B., Marketing Management, 13edition, Pearson Education, Paris, 2009.

  • 31Enjeux et ides reues sur linnovation

    En outre, les outils dvaluation financire des projets utiliss par les direc-tions financires et les directions gnrales ne semblent pas toujours adapts au fort degr de risque et la logique de long terme inhrents aux projets de R&D 30. Dans une enqute rcente, un directeur marketing racontait mme quil dguisait ses budgets de dveloppement pour ne pas faire peur sa direction gnrale tout en tant sr davoir des projets dans les cartons pour le jour o on lui demanderait de ragir une attaque de la concurrence 31.

    6. On manque en France de financement pour la cration dentreprises innovantes.Selon lOCDE 32, le financement du capital-risque reprsentait en 2005 0,08 % du PIB en France, contre 0,11 % dans lUnion europenne, 0,06 % en Allemagne et 0,29 % au Royaume-Uni. Notre pays se caractrisait donc alors par un sous-investissement global, mme si certaines conomies per-formantes, comme lAllemagne, se situaient un taux infrieur. Cependant, plusieurs systmes ont t mis en place depuis 2005 pour favoriser le financement de la cration dentreprises. Les dispositifs daide et de finan-cement sont aujourdhui trs nombreux. On peut par exemple citer le prt la cration dentreprise, la garantie de caution, lavance plus laide la cration dentreprise innovante, le prt participatif damorage, la garantie du finance-ment de la cration, ou encore le contrat de dveloppement cration.Les experts que nous avons interrogs soulignent quaujourdhui, les bons projets de cration dentreprises trouvent un financement. Les sys-tmes publics et privs de financement de la cration sont performants. En revanche, les faiblesses du systme sont doubles : et (1) on manque de struc-tures daccompagnement qui aident les crateurs dentreprises et dans les-quelles danciens crateurs ou dirigeants dentreprises expriments assurent une fonction de conseil ; cette deuxime mission des business angels anglo-saxons est aujourdhui insuffisamment assure ; (2) les jeunes entreprises qui progressent prouvent parfois des difficults assurer leur croissance. Si les crateurs dentreprises se sentent bien accompagns au moment de la cra-tion elle-mme, ils soulignent la solitude, le manque daccompagnement et parfois de financements efficaces lors de la deuxime phase, lorsquil sagit de composer un deuxime tour de table et de passer de 30 100 sala-ris. Il semble que les structures manquent pour aider les crateurs crotre et faire voluer leur entreprise une fois le succs obtenu. Cest souvent cette tape que les jeunes entreprises sont rachetes par de grands groupes ou font entrer dans leur capital des investisseurs trangers qui, parfois, les conduisent dplacer une partie de leur activit.

    30. Charentenay (de) F., Sanz G., Weil T., Les processus dinnovation des entre-prises et leurs perspectives dvolution : lentreprise et son cosystme, FutuRIS ANRT, 2009.

    31. Cit par Benot-Moreau F., Entre consommateurs et marchs financiers, quel rle pour la direction marketing ? , Revue franaise du marketing, no 213, p. 57-71, juillet 2007.

    32. OCDE, Science, technologie et industrie : tableau de bord de lOCDE, 2007.

  • 32 Pour une nouvelle vision de linnovation

    7. Les pouvoirs publics constituent en France le principal financeur de la recherche.La France consacrait en 2006 2,10 % de son PIB la R&D. 52 % des investis-sements de recherche y taient financs par le secteur priv 33. Les entreprises avaient financ 80 % de leurs travaux de recherche, tandis que le compl-ment manait des structures publiques (11,5 %), sous la forme de contrats de recherche ou de subventions, et de ltranger (entreprises et autres orga-nismes). Lautofinancement assurait prs de 85 % du financement par les entreprises.Pourtant, si lon compare ces chiffres avec les autres pays de lUnion euro-penne et de lOCDE, la France se caractrise par la plus forte proportion de la recherche publique et des financements publics. En outre, le financement public de la R&D du secteur priv est plus massivement concentr sur les grandes entreprises quil ne lest dans les autres pays (sauf le Royaume-Uni). Par exemple, [dans notre pays], la part des petites et moyennes entre-prises nest que de 12,8 %, contre 21,9 % en Allemagne 34.

    33. OCDE, Science, technologie et industrie : tableau de bord de lOCDE, 2007.

    34. OCDE, Science, technologie et industrie : tableau de bord de lOCDE, 2007 ; note de synthse sur la France.

  • Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

  • 35Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

    Un tat desprit et une dmarche.

    Nous avons expos en quoi la vision traditionnelle de linnovation, centre sur la recherche ou la technologie, nous semble en faible adquation avec la ralit des entreprises. Nous prsentons ici la vision largie qui nous semble aujourdhui pertinente.

    La Direction de linnovation chez Herms

    Herms a cr une Direction de linnovation il y a trois ans pour organiser les mcanismes de cration et dinvention, jugs essentiels pour la croissance de lentreprise. Cette Direction se situe au carrefour de la Direction artistique, de la direction des mtiers et de la direction industrielle, en vue dinnover, cest--dire de mettre quelque chose de nouveau dans ce qui existe .Le directeur de linnovation de lentreprise insiste sur le fait que linnovation est un tat desprit et une dmarche. Il sagit dveiller la curiosit et den-visager des voies inattendues, sans rien exclure a priori, pour prendre de la distance avec les pratiques habituelles. La direction rflchit aux nouveaux territoires de la marque et au sens des objets, explorant de nouvelles voies comme lhlicoptre luxueux ralis en collaboration avec Eurocopter. Son rle consiste galement protger des projets qui naboutissent pas forcment court terme mais peuvent savrer porteurs pour lavenir ou peuvent nourrir dautres projets futurs. Les six axes de linnovation dans lentreprise sont la recherche, les matires, la technologie, lvolution des produits, les nouveaux territoires et la communication.

    1. Linnovation, un objet protiforme

    La technologie est un capital, la R&D est un service, tandis que linnovation

    est une culture.

    Linnovation est un terme extrmement large qui dsigne ladoption de toute ide nouvelle par le march ou par lentreprise. Cest pourquoi elle est assimile par lensemble des dirigeants dentreprises rencontrs une dmarche et une mentalit, plus qu des rsultats concrets. Comme nous lexpliquait le prsident de Vivendi Games, linnovation est une forme de pense . Cette approche explique dailleurs la difficult de mesurer linnovation et la capacit dinnovation. cet gard, nous adhrons la dfinition cite par le directeur scientifique de Total selon laquelle la technologie est un capital, la R&D est un service, tandis que linnovation est une culture .

  • 36 Pour une nouvelle vision de linnovation

    Dfinition

    On considre en gnral linnovation comme lexploitation de nouvelles ides dans de nouveaux produits ou services, de nouveaux modles cono-miques ou de nouvelles manires de travailler.Selon lOCDE, linnovation est la mise en uvre dun produit (bien ou service), dun processus nouveau ou sensiblement amlior, dune nouvelle mthode de commercialisation ou dune nouvelle mthode organisationnelle dans les pratiques de lentreprise, lorganisation du lieu de travail ou les rela-tions extrieures (dernire dition du Manuel dOslo 1).

    La plupart des innovations intgrent plusieurs axes. Un site comme Google, par exemple, repose sur de nouvelles technologies tout en modifiant profondment les comportements des individus qui recherchent de linformation sur nimporte quel sujet. Il associe une nouvelle offre (un moteur de recherche) avec un nouveau modle conomique fond intgralement sur lachat despace publicitaire en ligne, sous forme de publicits de recherche qui apparaissent part.

    Un autre exemple emblmatique bien des gards concerne liPhone dApple. En effet, de nombreuses fonctionnalits et technologies intgres linnovation prexistaient dans des produits beaucoup plus complexes manier. En ce sens, liPhone est dabord dune innovation dusage qui a facilit consi-drablement la navigation sur Internet et lutilisation des applications multim-dias partir de son tlphone portable. La conception du produit repose sur une analyse fine de la manire dont les gens manient leur mobile, sur les diffrents usages quils en font et aimeraient en faire, ainsi que sur les freins lutilisa-tion. Le design est internalis travers un objet simple en apparence mais lergonomie exceptionnelle. LiPhone sappuie galement sur plusieurs innova-tions technologiques telles lcran tactile faible conductivit thermique. Cette nouvelle offre repose aussi sur une marque trs puissante qui la valorise et lin-carne, montrant une autre dimension importante du marketing de linnovation. Du fait des usages quil stimule, cet appareil gnre des revenus qui vont bien au-del des simples appels tlphoniques et modifie le modle conomique, en augmentant les connexions et en dveloppant lutilisation de services de contenu multimdias.

    Ainsi, linnovation rassemble bien souvent diffrentes dimensions dans son origine (technologie et usage) et dans les objets sur lesquels porte la nouveaut (produit, service, modle conomique, design, processus).

    Si lon essaie de structurer et de catgoriser linnovation afin de mieux apprhender le sujet dans sa diversit, deux critres apparaissent et abou-tissent la typologie ci-aprs.

    1. OCDE, Manuel dOslo, principes directeurs pour le recueil et linterprtation des donnes sur linnovation, 3e dition, Eurostat, 2006.

  • 37Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

    Usage Technologie Usage et technologie

    Innovation doffre

    (nouveau produit

    ou service)

    Rle essentiel du mar-keting et du manage-ment de la cration

    Importance de la R&D Importance du design pour rendre la techno-logie intuitive utiliser, rle du marketing pour analyser les usages

    Exemples : LOccitane et son cosmtique prpa-rer soi-mme, compotes boire Materne

    Exemples : biscuits Mikado de Lu, vlo lec-trique Matra, chaussures Geox

    Exemples : Nintendo Wii Fit, collant hydratant Dim

    Innovation de processus

    Nouvelle organisation du travail et des proces-sus de production

    Nouveaux processus fonds sur de nouvelles technologies

    Cration de nouveaux mtiers et dveloppement de nouvelles comptences

    Exemples : restaurant Relais de lentrecte

    Exemples : montres Swatch, lavage de voi-tures Sineo

    Exemples : agence de voyage BtoB Egencia, produits personnaliss

    Innovation de modle

    conomique

    Nouvelle structure de tarification

    Redfinition du rle des acteurs et de la rpartition des sources de revenu

    Rinvention et convergence sectorielle

    Exemples : classe affaires low cost LAvion, journal 20 minutes, Velib

    Exemples : iPod dApple, Airbus A380

    Exemples : Google, iPhone dApple, vido la demande, appareil photo numrique

    On peut dabord distinguer linnovation selon lobjet sur lequel porte la nouveaut. Il peut sagir de loffre de lentreprise (bien ou service), des processus internes (processus de production, organisation, pratiques managriales) ou du modle conomique. Linnovation doffre a vocation tre commercialise. Pour simposer sur le

    march, elle cre une valeur pour les clients qui peut tre fonde sur des res-sorts extrmement divers : une performance accrue, une qualit suprieure ou plus rgulire, de nouveaux usages fonds sur de nouvelles interfaces clients et une conception modifie (design), des produits personnaliss (customisa-tion), ou encore une mise en valeur diffrente du produit ou service (marque, packaging).

    Linnovation de processus peut aboutir des cots de production infrieurs, une meilleure qualit ou fiabilit, une mise sur le march plus rapide, ou encore des innovations doffre. Ainsi, les montres Swatch constituaient lors de leur conception une innovation en termes de processus, lie au fait quelles reposent sur lassemblage de cinquante et une pices contre plus de cent pices pour les autres montres de lpoque, ce qui a permis ensuite de renouveler compltement puis rgulirement le design des modles. Zara a rduit de manire drastique le temps scoulant entre la conception du produit et sa mise disposition dans le magasin, qui peut tre abaiss une semaine. Ou encore, la remise plat des processus de production dans de nombreux secteurs a permis de mettre en place une personnalisation des produits lie une fabrication aprs collecte des souhaits individuels sur Internet.

  • 38 Pour une nouvelle vision de linnovation

    La personnalisation des produits, une offre novatrice fonde sur un nouveau

    processus de production

    Dans le pass, les fabricants adaptaient leur offre chaque client : le tailleur, par exemple, ralisait ses costumes sur mesure. Puis, la rvolution indus-trielle a permis lavnement de la fabrication grande chelle : les entre-prises fabriquaient des produits standards avant quils ne soient commands et laissaient les clients choisir parmi les offres disponibles. Aujourdhui, nous entrons dans lre de la personnalisation de masse o de nombreuses entreprises disposent de processus de production qui permettent aux clients de personnaliser leur produit dans une certaine mesure.Ainsi, Laguiole permet de choisir le manche et la taille de son couteau. Nike propose sur son site Internet de choisir la couleur de ses chaussures de sport et dy faire porter une inscription rdige par le client, puis les fait pro-duire lunit. La marque identifie les combinaisons les plus porteuses et les fabrique en masse pour des ditions limites. Lego a fond une commu-naut de clients o chacun peut dfinir ses modles. Diesel Parfums permet ses clients de choisir parmi plus de 150 000 combinaisons possibles de fragrance, flacon et bouchon pour un surcot de 30 %. Mme dans lautomo-bile, les ingnieurs de BMW ont imagin 375 combinaisons possibles pour le design extrieur et lamnagement intrieur de la Mini.

    Linnovation de modle conomique consiste redfinir les sources de revenus de lentreprise et leur part respective. Ainsi, la presse gratuite fonde la totalit de ses revenus sur la publicit, laudience ntant dsormais quune manire indirecte de gnrer du chiffre daffaires. Cette innovation nin-tgre aucune dimension technologique. Autre exemple, les modles low cost constituent souvent une manire de rinventer la chane de valeur et dasso-cier des cots bas un service diffrent, comme en tmoigne lexemple de LAvion , service arien proposant uniquement la classe affaires sur des trajets Paris-New York.

    Globalement, ces diffrents types dinnovation ne sont pas exclusifs les uns des autres et vont mme souvent de pair. La personnalisation de masse repose sur un nouveau processus de production mais sapparente une nouvelle offre, valorise comme telle par les clients. Les sites Internet de contenu et la presse en ligne, comme le Journal du Net, constituent des innovations doffre associes un nouveau modle conomique. Une jeune entreprise comme Sineo a cr un nouveau service de lavage de voitures qui constitue une innovation doffre de service fonde sur de nouveaux processus de lavage cologique.

  • 39Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

    Sineo, le nettoyage cologique de vhicules

    Cre en 2004, Sineo a la particularit de nettoyer tous les types de vhicules (voiture, bateau, avion), sans eau ( sine o ) et la main. Agre entreprise dinsertion, Sineo a su se distinguer des activits classiques du nettoyage de vhicules grce de nouveaux processus de production. Le fondateur a mis au point, en partenariat avec un grand laboratoire franais spcialis en chimie verte, une gamme de produits 100 % biodgradables base dhuiles essen-tielles et dagrumes. Cette innovation technologique lui a permis de concilier lavage sans eau et produits non toxiques afin doffrir un service cologique de qualit, aux entreprises comme aux particuliers, dans les centres Sineo ou domicile. Le dveloppement fulgurant de cette socit se poursuit avec la com-mercialisation des produits de nettoyage aux particuliers et limplantation de la socit hors de France.

    Lorsquelles sont interroges sur leurs propres pratiques, les entre-prises internationales se jugent plus performantes en matire dinnovation pro-duits ou services (74 % des entreprises se trouvent meilleures que la moyenne en la matire 2), que dans le domaine de linnovation de processus (63 %) et de modle conomique (50 %).

    En France, les tudes indiquent que 27 % des entreprises indus-trielles sont innovantes en matire de processus et 23 % en matire de produits et services 3. Pour les firmes de plus de 250 salaris, les chiffres slvent respecti-vement 65 % et 67 %.

    Les diffrentes formes dinnovation dans lindustrie franaise

    Source : Enqute statistique publique, ralisation Sessi CIS 4 2004.

    2. Andrew J.P., Sirkin H.L., Haanaes K., Michael D.C., Innovation 2007, Boston Consulting Group, 2007.

    3. SESSI, Tableau de bord de linnovation, op. cit.

    23,0 %27,3 %

    17,3 %23,2 %

    41,0 % 42,4 %

    67,5 %64,5 %

    Innovantes en produitsInnovantes en processus

    Industrie De 10 49 salaris De 50 249 salaris 250 salaris et plus

  • 40 Pour une nouvelle vision de linnovation

    En second lieu, on peut distinguer les innovations selon quelles reposent sur une volution technologique importante et/ou sur un change-ment dans lusage 4. Une innovation dusage change la manire dutiliser le produit ou de

    consommer le service, pour les innovations doffre, ainsi que la manire de fabriquer, dinventer ou de raliser une prestation pour les innovations de processus. On peut citer ladoption des vtements destins traditionnellement aux hommes dans la mode fminine comme le smoking chez Yves Saint Laurent ; les compotes boire lors de leur cration - qui largissaient consi-drablement les moments et les contextes de consommation pour les enfants et taient commercialises des prix beaucoup plus levs que les compotes classiques, gnrant un surcrot dactivit et de revenus pour les entreprises concernes ; les cosmtiques dont on assemble soi-mme les ingrdients et que lon garde au rfrigrateur, modifiant ainsi la relation au produit ; ou encore les stickers muraux et les magnets dcoratifs 5 qui permettent de dco-rer soi-mme facilement son logement de manire momentane ou durable avec des supports amovibles. Autre exemple, le Velib modifie la manire dapprhender et dutiliser le vlo, que lon ne possde plus mais que lon loue pour quelques heures, souvent la place de prendre le mtro ou le bus. chaque fois, ces innovations modifient les comportements, renouvellent le march et crent de la croissance pour le secteur dactivit.

    Une innovation technologique intgre une technologie nouvelle. Ainsi, le vlo lectrique de Matra ne modifie pas la manire dont on utilise sa bicy-clette, mais facilite le pdalage dans les montes. De mme, le nouveau mascara Oscillation de Lancme intgre de petites batteries qui font vibrer lextrmit de la brosse du mascara, ce qui constitue une source de diffren-ciation marketing comme en tmoignent le succs remport par le produit et les ruptures de stocks enregistres aux tats-Unis la fin de lanne 2008.

    Les innovations fondes sur la technologie et lusage sont nombreuses. Ce sont probablement celles qui affectent le plus le march. La Nintendo Wii Fit repose sur une technologie qui modifie radicalement la manire de faire du sport, crant ainsi de nouveaux usages. Outre les exemples de liPhone ou de Google dj mentionns, on peut citer lappareil photo numrique ou la vido la demande.

    En ralit, la plupart des innovations fondes sur la technologie exigent, pour tre adoptes efficacement par leurs clients et gnrer des succs commerciaux et organisationnels, un travail sur lusage. Certains de nos interlo-cuteurs comme Lectra ont soulign que de nombreuses technologies nouvelles ne sont utilises par leurs acheteurs qu 20 % ou 30 % de leur potentiel, faute dune rflexion suffisante sur lusage et dun marketing dexplication permet-tant une appropriation de linnovation. Ainsi, les nouvelles offres destines aux entreprises exigent souvent que le fournisseur accompagne le changement induit par la technologie, travaillant sur lusage qui en sera fait en interne. Par exemple,

    4. Le Nagard E., Manceau D., Marketing des nouveaux produits, op., cit., 2005.

    5. Les stickers sont des dcors dont lune des surfaces est pralablement encolle pour adhrer toute surface lisse. Les magnets, eux, se posent et se dposent direc-tement sur un mur pralablement prpar avec une peinture magntique.

  • 41Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

    le recours aux prestations des agences de voyages daffaires en ligne, comme Egencia, implique que les entreprises clientes dveloppent en interne des com-ptences dorganisation du voyage, autrefois sous-traites leurs agences, ce qui exige des changements de pratiques importants.

    Egencia, une nouvelle pratique des voyages daffaires fonde sur la technologie

    Lanc en 2001 et aujourdhui membre du groupe Expedia, Egencia propose aux entreprises des solutions visant mieux grer les dplacements de leurs collaborateurs et rduire leurs cots. Pour ce faire, elle prsente systmati-quement les tarifs les plus intressants et conformes la politique de voyages tablie par lentreprise cliente. Comme nous lexpliquait lun des fondateurs dEgencia, il sagit du mme mtier que les agences de voyage classiques, mais ralis de manire diffrente : Internet a facilit la dsintermdiation et la rvision de la chane de valeur en faisant en sorte que le voyageur puisse rserver lui-mme son vol et/ou son htel grce un inventaire de loffre dis-ponible en temps quasi rel, plutt que via un expert du voyage qui avait la comptence de lanalyse des offres des diffrentes compagnies ou prestataires. Afin daiguiller efficacement les clients dans lappropriation de loutil et de les amener grer eux-mmes leur politique voyages, il sest avr ncessaire de faire voluer les comptences et les habitudes des personnes en charge des voyages dans les entreprises clientes et, pour ce faire, de crer des activits de formation.

    Une ncessaire dialectique entre recherche et marketing.

    Les innovations associant technologie et usage sont les plus impor-tantes pour stimuler la croissance des entreprises, remettre en cause la structure des marchs et bouleverser les modles conomiques. Elles doivent sappuyer sur une comprhension fine des comportements et des attentes des clients pour faire en sorte quils utilisent au mieux la nouvelle technologie. Le marketing joue alors un rle fondamental danalyse du march puis de valorisation des diffrentes dimensions de linnovation. Cest pour cette raison que linnovation apparat souvent comme le rsultat dune ncessaire dialectique entre recherche et marketing , pour reprendre les termes de nos interlocuteurs chez LOral.

  • 42 Pour une nouvelle vision de linnovation

    Linnovation chez LOral

    Le groupe LOral, qui ralise aujourdhui 88 % de son chiffre daffaires hors de France, accorde une place essentielle linnovation. La recherche y joue un rle fondamental : avec 576 brevets dposs en 2007 et 623 en 2008, le groupe se situe au premier rang mondial du secteur et au deuxime rang franais tous secteurs confondus. Parce que, dans lindustrie cosmtique, loffre stimule la demande, limagination et la crativit apparaissent galement comme des ressorts essentiels. LOral cherche les stimuler travers lobservation des marchs et des consommateurs mondiaux. Nos interlocuteurs lont soulign : cest louverture sur le monde et sur lextrieur, la fois des chercheurs et des responsables marketing, qui favorise linnovation. LOral accorde une place essentielle aux deux fonctions que sont la R&D et le marketing, chacune dentre elles regroupant environ 3 000 employs au niveau mondial. Pour les responsables que nous avons rencontrs, les innovations naissent, justement, du dialogue fusionnel et confrontatif permanent entre ces deux fonctions.

    Dans ce contexte, il semble essentiel pour les entreprises de ne pas seulement se concentrer sur la dimension technologique de la dmarche dinnovation, au risque de ne pas raliser dinnovations dusage (souvent sources de grands succs commerciaux) et, plus encore, de gcher le poten-tiel de leurs innovations technologiques faute dun travail suffisant sur les besoins et les comportements des clients. La France est souvent cite pour ses produits performants technologiquement mais nayant pas forcment rencontr un march faute dun travail suffisant sur les attentes du march et le design des produits et services. On y dissocie trop souvent technologie et design, perfor-mance intrinsque et marketing des produits.

    Globalement, le marketing est souvent mal compris dans notre pays, o il est assimil la publicit ou des techniques visant vendre davantage et tout prix. On oublie son rle en amont dans la conception des produits. Or, les dirigeants dentreprises rencontrs, mme dans les activits les plus techno-logiques (Lectra, Sonova, Orange), insistent sur limportance du marketing dans le processus dinnovation pour identifier des bnfices clients associs au produit, participer la conception des innovations et ensuite les com-mercialiser de manire adquate.

    Lectra, une entreprise technologique au marketing dvelopp

    Avec un effectif de 1 550 personnes, Lectra est leader mondial des solutions technologiques intgres pour automatiser les processus de conception, din-dustrialisation et de dcoupe dans les industries utilisatrices de matriaux souples (mode, automobile, ameublement, aronautique). Les dirigeants de lentreprise que nous avons rencontrs soulignent limportance de linnova-tion, lment-cl de leur modle conomique et moteur de leur comptitivit. Au-del de la recherche et du dveloppement technologique, bien videm-ment essentiels dans une telle activit, ils considrent linnovation comme une dmarche globale dans laquelle le marketing joue un rle essentiel.

  • 43Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

    Lectra cherche systmatiquement analyser les problmatiques de ses clients, dtecter leurs besoins, accompagner leurs mutations, afin de leur apporter des solutions innovantes adaptes. Elle les aide faire face la demande de renouvellement acclr de leurs modles, dvelopper leur crativit et leur flexibilit, afin de produire plus vite, mieux et moindre cot. Pour les diri-geants de Lectra, le meilleur soutien ladoption de linnovation rside dans laccompagnement technologique et la conduite du changement chez le client, afin de le guider dans les volutions dusage conscutives au renouvellement des solutions technologiques et de favoriser leur utilisation optimale.

    En matire dinnovation, les entreprises ralisent souvent un mar-keting de loffre o lon cre ce qui nexiste pas tout en faisant voluer les usages. On distingue, de manire trs schmatique, deux processus dinnovation. Lorsque lide de linnovation nat dune invention ou dune dcouverte tech-

    nologique (cas de figure souvent dsign sous le terme de technology push), le marketing doit contribuer, par sa connaissance des clients et de leurs usages, identifier une application de la technologie qui rponde une attente du march. Il sagit donc danalyser comment linvention peut se transformer en produit ou service susceptible dintresser des clients. Ensuite, le marketing participe la mise au point du produit ou du service, pour laquelle le design joue un rle central. Le marketing doit galement optimiser la manire dex-pliquer linnovation afin quelle soit comprhensible et facile apprhender pour les clients viss. Au final, dans de telles situations, le marketing nest pas lorigine de linnovation mais il contribue faire intgrer linvention dans une offre cohrente en termes dusage et dattentes, puis bien lexpliquer.

    Le livre lectronique de Sony

    Le livre lectronique sappuie sur une nouvelle technologie mais doit tre labor de manire pouvoir sinscrire dans les comportements usuels de lecture. Alors que les premiers livres lectroniques, comme le Cytale, taient peu pratiques transporter et peu agrables la lecture, le produit de Sony cherche offrir une qualit de lecture comparable au papier grce un cran tactile qui permet le geste de tourner la page et un poids allg qui per-met de transporter aisment des dizaines douvrages. Un lment cl pour le succs dune telle innovation qui bouleverse le modle conomique du secteur est la disponibilit lectronique de nombreux ouvrages, puisque lcosystme associe contenu et contenant.

    Lorsque lide de linnovation mane du constat que les clients sont insatis-faits des produits et services existants ou que certains de leurs souhaits ne sont pas remplis (cas de figure dsign sous le terme de market pull), la lgiti-mit du marketing est beaucoup plus vidente. Lidentification du besoin non satisfait peut avoir des sources diverses (vendeurs, service aprs vente, tudes de march, employs internes qui observent des dfauts de conception ou de fabrication). Les services de R&D et dingnierie travaillent alors lla-boration dun produit qui rsolve le problme ou le manque peru. Le rle du marketing consiste sassurer tout au long du processus de conception que

  • 44 Pour une nouvelle vision de linnovation

    le produit ou le service rponde bien au cahier des charges initial et que lon ne sloigne pas de lide de dpart. Ensuite, il est, comme dans le cas prc-dent, charg dlaborer les conditions de commercialisation de linnovation.

    Dans les deux cas voqus ici, linnovation sappuie sur des tech-nologies nouvelles. Mais le marketing a un rle jouer, soit pour transformer la technologie en usage susceptible dtre valoris par le march, soit pour identi-fier des pistes dinnovation auxquelles la technologie devra rpondre. Mais de nombreuses situations dinnovation associent les deux dmarches en un proces-sus dialectique et travers des allers-retours permanents.

    Dans tous les cas, le design joue lui aussi un rle fondamental la fois pour sassurer que lergonomie de lobjet en permette un usage optimis et que son apparence donne envie aux clients de se lapproprier. En effet, bien souvent, les innovations ne sont valorises par le march que si elles sont relativement aises utiliser. Plusieurs de nos interlocuteurs ont soulign limportance de la simplicit, voquant les checs commerciaux lis des tech-nologies trs performantes mais difficiles manier. Le design joue donc un rle fondamental.

    On peut dfinir le design comme une activit cratrice dont le but est de prsenter les multiples facettes de la qualit des objets, des processus, des services et des systmes dans lesquels ils sont intgrs au cours de leur cycle de vie 6. Le design constitue un moteur essentiel dhumanisation des techno-logies et des innovations. L encore, les entreprises franaises se distinguent puisquelles sont plus de 60 % ne jamais recourir au design, contre seulement 35 % au Royaume-Uni et 25 % en Norvge 7.

    La France souffre dune vision dichotomique du design. Cette vision nest autre que la transposition au design de la distinction entre innovation technologique et non technologique. Ainsi, coexistent et sopposent souvent une vision du design centre sur la technologie et la fonctionnalit, et une vision axe autour de lesthtique et de lart de vivre. supposer que cette distinc-tion ait pu avoir un sens, elle est tout fait inadapte au monde contemporain, o les consommateurs sont en permanence en qute de plaisir, dexprience et dmotion, quil sagisse de produits et services bien connus, de nouvelles fonc-tionnalits, ou encore de nouvelles technologies 8. Selon la tradition humaniste, la raison et lmotion se compltent plutt que sopposent. L usage auquel nous faisons rfrence doit tre compris de manire globale, bien au-del de la fonctionnalit du produit ou du service. Cest particulirement vrai dans les industries cratives (mode, design, cinma, musique, architecture, jeux vido, dition, mdia et multimdia), mais vaut pour toute loffre laquelle peuvent accder les consommateurs. cet gard la cration, au-del de la crativit des processus, et dans son inspiration artistique et esthtique, nourrit le dialogue avec les consommateurs en produisant une motion, faisant ainsi cho leur

    6. Dfinition lInternational Council of Societies of Industrial Design (ICSID), www.icsid.org

    7. Agence pour la promotion de la cration industrielle (APCI), Les pratiques du design en PMI, rapport dtude, Design France et Tremplin Protocole, 2002.

    8. Morand P., Laiz G., rapport sur le projet Cit de la mode et du design, 2002.

  • 45Linnovation, un objet multiple rsultant de processus complexes

    imaginaire. Linnovation ne peut se passer de la cration, car lusage dun produit ou service est indissociable de lmotion quil gnre 9.

    Ds lors que la dimension esthtique et artistique est reconnue sa juste valeur, encore faut-il la grer pour ladapter aux enjeux conomiques. Cest pourquoi le management de la cration (direction artistique, management des quipes cratives) revt une importance croissante. Lacclration du temps et laspiration des consommateurs ce que les produits qui leur sont proposs soient renouvels de plus en plus rapidement tmoignent de la vitalit de lacte cratif et de la gnralisation du systme de la mode, tout autant que de linten-sification du marketing au sens classique du terme. Linnovation se nourrit de lair du temps. Quant aux marques renommes et/ou rputes, elles jouissent dun potentiel accru dinnovation ds lors quelles sont porteuses dimaginaire.

    Enfin, il serait vain dimaginer que la monte en rgime du dve-loppement durable entrane ipso facto et de manire drastique linnovation et le design vers la technologie et la fonctionnalit. En tant que priorit co-nomique et sociale, elle requiert linnovation dans toutes ses d