Indices, traces, chasse - Oeuvres de Robert Hainard ... · ... de jour, en plein sommeil et même...

8
Indices, traces, chasse Pelage roux plus ou moins orangé, le plus vif à la tête, plus ou moins teinté de gris (aux flancs par exemple), ou de brun (souvent rosâtre à l'arrière train, avec la pointe des poils claire). Queue terminée de blanc, faces inférieures blanchâtres, parfois noirâtres (renard charbonnier, croisé s'il a des bandes noires le long du dos et à travers les épaules). Pieds plus ou moins noirs. Oreilles noires à la face externe, iris roux plus ou moins clair, à pupille légèrement ovale, à grand axe vertical. Femelle plus menue, à tête plus effilée, celle du mâle plus large, à museau plus épais. (texte inédit de Robert Hainard) Renard au bord de la rivière, Embouchure de l'Aubonne, 11.11.1943 Gravure Robert Hainard 27,7 x 36 cm, Col. 11 Pl. 1

Transcript of Indices, traces, chasse - Oeuvres de Robert Hainard ... · ... de jour, en plein sommeil et même...

Indices, traces, chasse

Pelage roux plus ou moins orangé, le plus vif à la tête, plus ou moins teinté de gris (aux flancs par exemple), ou de brun (souvent rosâtre à l'arrière train, avec la pointe des poils claire). Queue terminée de blanc, faces inférieures blanchâtres, parfois noirâtres (renard charbonnier, croisé s'il a des bandes noires le long du dos et à travers les épaules). Pieds plus ou moins noirs. Oreilles noires à la face externe, iris roux plus ou moins clair, à pupille légèrement ovale, à grand axe vertical. Femelle plus menue, à tête plus effilée, celle du mâle plus large, à museau plus épais.

(texte inédit de Robert Hainard)

Renard au bord de la rivière, Embouchure de l'Aubonne, 11.11.1943Gravure Robert Hainard 27,7 x 36 cm, Col. 11 Pl.

1

Renardeaux endormis devant le terrierAire-la-Ville, 9 mai 1936

Renardeau,le museau dans l'oreille de son frère devant le terrier Aire-la-Ville, 25 mai 1945

Le chasseur parcourt de vastes espaces, les bêtes se déplacent aussi, se cachent. Un simple calcul des probabilités montrerait que les chances de rencontre sont rares, bien plus que ne l'imaginent les gens sans expérience. Mais l'animal a dévidé le chapelet de ses traces, persistant plus ou moins, et le chasseur les croise. En haute montagne, où la vue porte loin, où, par surcroît, vivent des gibiers à poil franchement diurnes, comme le chamois et la marmottes, les traces n'ont pas le même intérêt qu'en forêt.

La trace la plus importante est l'odeur. C'est l'affaire du chien, et je n'ai pas à en parler. Remarquons en passant qu'il n'est probablement pas d'animal qui suive des empreintes à vue. La facilité qu'offre la neige n'est que relative, car l'entrecroisement des voies d'un ou plusieurs individus, de plusieurs jours, peut en rendre le débrouillage bien difficile. Je ne parlerai pas ici de l'art de suivre une trace, mais seulement de la connaissance des divers gibiers, éventuellement du sexe, de l'âge.

Une trace est rarement parfaite. Dans la neige poudreuse, le pied se moule mal et la neige retombe dans l'empreinte. Cette dernière, sur les sols durs, est incomplète. L'empreinte du pouce, si importante pour distinguer les carnassiers qui le possèdent de ceux qui n'ont que quatre doigts, manque souvent. La disposition des pieds, leur forme même changent avec les allures; et entre les allures principales, marche, trot, galop ou bond, se placent bien des intermédiaires, bien des irrégularités. Une description ou une figure de trace n'est qu'un schéma, auquel la réalité ne correspond jamais tout à fait. On apprend à connaître une espèce à quelques signes caractéristiques, on la reconnaît ensuite à son aspect général. Il faut se méfier du fait que la moindre fonte élargit beaucoup une empreinte dans la neige, sans grande déformation, donnant l'illusion des bêtes énormes.

J'ai donné le plus souvent la mesure de la largeur du pied. Celle de la longueur me semble moins précise, parce que la bête glisse souvent un peu et parce que le talon, arrondi, peut donner une mesure très différente, selon la profondeur de l'empreinte et la façon de mesurer. Ces dimensions, excessivement variables, ne sont que de simples indications.

La belle renarde, Nant des Crues, 23.4.1978

Les traces des canidés sont très faciles à distinguer de celles des autres familles: symétriques, elles sont caractérisées par deux lignes droites, en X, séparant les deux doigts médians, rapprochés, des doigts latéraux et du talon. Par contre, les traces des chiens, très diverses selon les races, peuvent être difficiles à distinguer de celles du renard... le plus souvent, le renard laisse un chapelet de traces bien alignées, droites, tandis que celles des chiens sont croisées, le pied de derrière exactement dans le pied de devant. Au trot, les empreintes sont groupées deux par deux, obliquement, ces groupes séparés par un long espace. Au galop enfin, les quatre pieds figurent un rectangle, d'autres fois un trapèze qui peut être très allongé. Ces groupes séparés par un bond de plus d'un mètre (de patte antérieure en patte antérieure). Largeur de la trace d'un gros renard, doigts serrés : 5 cm. Pas : 45 cm.

2

Les laissées (terme proprement réservé aux excréments du sanglier, du loup, tandis qu'on doit dire fumées pour le cerf, le daim, le chamois, le bouquetin, moquettes pour le chevreuil, crottes pour le lièvre et le lapin, fientes pour les bêtes puantes, sauf pour la loutre qui fait des épreintes), les laissées, donc, sont parmi les indices les plus intéressants.

Les laissées de l'ours ressemblent à celles de l'homme, ce qui nous fait beaucoup d'honneur, ou à une bouse de vache; celles du loup, à celles du chien, blanchâtres, mêlées de poils et de plumes. Le mâle les dépose sur une éminence, la louve sur un sentier ou autre lieu plat. On dit que la même différence selon les sexes se retrouve chez le renard. Ses fientes, épaisses de 2 cm, sont le plus souvent grises, feutrées de poils de souris et terminées en pointe. Elles contiennent des fragments d'os, des débris d'insectes, de fruits. En juin, elles sont souvent formées presque entièrement de noyaux de cerises (comme celles d'autres carnassiers). Leur odeur forte rappelle le parfum musqué du renard, qui se retrouve beaucoup plus pur dans son urine.

Il ne faut pas confondre avec des fientes (celles du renard surtout) les boulettes de réjection des rapaces nocturnes...

Les carnassiers abandonnent rarement des proies (le renard laisse la signature de son urine à celles qu'il enterre, mais nous ne savons pas s'il le fait toujours). Les plumes qu'ils laissent sont souvent tranchées, tandis que les rapaces les arrachent...

Les animaux se signalent aussi par leur domicile, reposée du cerf et couchettes du chevreuil, simples creux un peu débarrassés de feuilles mortes... gîte du lièvre, bauge du sanglier assez profondément creusée en bassin, cattiche de la loutre, terrier dont l'entrée est sous l'eau... les terriers les plus remarquables sont ceux du renard et du blaireau...le blaireau peu carnassier, ne ramène jamais de proies au terrier, même lorsqu'il a des petits. On n'en trouve donc pas les restes aux alentours, comme c'est le cas pour le renard.

D'autres indices sont les coulées, passages du gibier dans l'herbe, à travers une haie, à une lisière, les foulées dans l'herbe, les feuilles mortes... Les poils, isolés ou en touffe lorsque l'animal mue, sont aussi intéressants...

Robert Hainard, Le grand livre de la chasse et de la nature Ed. Kister et Schmid, Genève Monaco 1952

Terrier de Renard fraîchement creusé. Les terriers de cette espèce sont facilement repérablescar les déblais s'accumulent devant l'entrée.

Coulée de Renard. Pour franchir la clôture l'animal a creusé un passage au-dessous

Terrier et Coulée in Guide des traces d'animaux, Delachaux & Niestlé Neuchâtel Paris, 1974-1987

3

Le renard n'a rien de typiquement alpin mais il est un élément important de la faune alpine. On le trouve partout, de la plaine à la montagne. Le terrier le plus haut que je connaisse est vers 1900 m mais ce ne doit pas être une limite et je ne sais si c'était un terrier d'élevage. Mes observations concernent surtout les renards de plaine, pour autant qu'on puisse qualifier de plaine les ravins du plateau suisse. En montagne, il est plus difficile à localiser les terriers: il y a trop d'endroits favorables, surtout dans les éboulis. Par contre les renards y semblent plus diurnes, probablement parce qu'ils ont moins de chances de rencontrer l'homme.

La réputation de ruse du renard n'est pas usurpée. Parmi nos mammifères, il est de ceux qui ont bonne vue, il décèle souvent l'observateur même immobile. Mais il peut être aussi très distrait, du moins est-ce ainsi que j'interprète ce renard, par exemple, qui marcha à côté de mon ami Maurice Blanchet poussant son vélo dans une côte, si près qu'il se frotta le museau aux rayons de la route. Plusieurs observateurs m'ont dit l'avoir surpris, de jour, en plein sommeil et même ronflant (ceux que j'ai surpris endormis, je me suis contenté de les dessiner à une distance raisonnable.

Il a beaucoup de discernement. Lorsque les renards étaient persécutés, à Genève, une femelle qui surprenait quelqu'un près du terrier abritant sa nichée, avait déménagé le jour suivant. Depuis qu'on ne chasse plus, elle tente plutôt d'intimider l'observateur. C'est une chose impressionnante que son cri rauque, rocailleux, soufflé, fêlé, rageur, répété. Sa gueule rouge laisse voir ses dents aiguës, ses oreilles sont couchées en arrière, son oeil fauve, plissé, étincelle. Il y a tant de fureur et de désespoir à la fois, dans son attitude, qu'il est difficile de ne pas en être touché.

Typique du discernement de la renarde, le fait suivant: avec un ami,nous guettions la sortie d'un terrier, une autre renarde sortit d'un terrier, de l'autre côté du ravin, à quelques 80 mètres. Malgré nos habits couleur du sol, elle remarqua le geste de lever nos jumelles, rentra précipitamment mais sa queue restant encore, se ravisa: après tout, nous n'étions pas dangereux. Et elle fila au haut de la pente. A ce terrier là, j'avais vu le renard descendre au fond du ravin et sauter le ruisseau. Le lendemain, j'étais caché, près de l'endroit où il avait sauté. Il sortit, fixa mon poste ordinaire de guet, rentra, ressortit à l'instant et descendit dans le ravin... mais sans franchir le ruisseau.

Si l'on dispose de quelques heures pour faire le lézard soi-même, on peut guetter par des jours clairs, dans les premières tiédeurs de fin d'hiver soit au terrier (en se plaçant au-dessus) soit près des nids de paille que renards et blaireaux se font aux endroits bien exposés. Je dois avouer que le rendement de telles entreprises a été pour moi faible. Assez souvent on peut ainsi voir des renards endormis au soleil, de loin, mais l'approche est souvent difficile...

La renarde pleine va faire un tour au soleil, Nant des Crues, 9.3.1976

La période du rut dure de fin janvier au début de mars. Malgré mes très nombreux affûts au terrier à cette époque, je n'en ai pas surpris grand chose. Souvent, trois, quatre renards, différents d'un soir à l'autre, sortent du même trou mais à quelques minutes d'intervalle. J'ai vu de folles poursuites, avec des cris secs et saccadés, j'ai surtout entendu toutes sortes de cris fantastiques: cris de paons, de hulottes ou semblables à des cailloux entrechoqués... A part cela, le renard a deux cris principaux: le glapissement dont j'ai déjà parlé, généralement répété à intervalles réguliers, souvent pendant longtemps, et un petit jappement clair, répété trois ou quatre fois en série ascendante. Le premier est attribué à la femelle, le second au mâle. Cela me semble assez vrai mais les gardes qui ont vacciné les renardeaux contre la rage ont remarqué que ces cris peuvent appartenir aux deux sexes. La renarde appelle ses jeunes, pour les faire sortir du terrier, par un gloussement contenu, rapidement répété, le cri d'alarme est un "grrou" étouffé. Dernièrement encore, en guettant l'ours au charnier, j'ai pu apprécier à nouveau la richesse du vocabulaire de quatre renards (sans doute des jeunes de l'année restés groupés en octobre) crissements, caquêtements secs et répétés, gémissements, miaulements.

4

La renarde pleine se gratte, Nant des Crues, 9.3.1976

Les renardeaux sortent du terrier du début d'avril au début de mai. Ils doivent avoir quelque trois semaines (la gestation est de 65 jours) mais plus ou moins précocement. Parfois ils sont noirâtres, queue et oreilles très courtes, leur gros ventre mal assuré sur leurs courtes pattes, d'autres fois plus clairs, tirant au roux à la tête d'abord et plus dégourdis...

Les petits sortent beaucoup en plein jour; très grossièrement, on peut dire qu'ils font alterner deux heures de jeux et deux heures de repos. On reconnaît facilement qu'un terrier est habité par une nichée à la netteté de l'aire située devant les entrées, balayée de toutes feuilles sèches, légèrement pulvérulents par temps sec et aux reliefs de repas, plumes, ailes, pattes d'oiseaux, souris entamées qui y traînent (mais qui peuvent manquer complètement)...

Selon Brosset, la mère reste avec les petits les premiers temps et le père la nourrit. Cela me paraît bien difficile à constater dans la nature. Pour certaines nichées, on ne voit jamais le mâle...

En automne ils se dispersent.

Trois renardeaux, bronze, H 22 cm, modèle plâtre, Robert Hainard

5

Le renard se nourrit avant tout de souris. Il chasse les campagnols dans les prés, marchant avec précaution, les oreilles dirigées vers les sol, faisant un bond en hauteur pour retomber sur sa proie. Il chasse aussi les sauterelles, les hannetons à leur envol... Ils exploitent aussi les poulaillers mal fermés mais sont aussi capable de franchir avec une proie une clôture de 2 mètres.... Le renard a le triste privilège de focaliser (il a un peu succédé au loup) l'hostilité du chasseur et du paysan envers le prédateur. Il est le "puant", le "mordant", l'animal malfaisant par excellence. L'optique de nos ancêtres néolithiques devait être différente: ils mangeaient le renard et délaissaient le lièvre.

La récente épizootie de rage sylvatique (transmise surtout par le renard, alors que la rage des rues est le fait du chien) a cristallisé la haine du renard, renforcée par quelques craintes innées (la nuit, la forêt, la bête féroce, la morsure, la peste). Certes, c'est une maladie dramatique, presque toujours mortelle lorsque les symptômes sont déclarés. Cependant, si l'on compte 42 cas mortels en Allemagne depuis 1950 (2 cas contractés hors d'Allemagne, 26 dus aux chiens, 6 aux renards, 3 à des chats et un à un bovin) il n'y en a eu aucun en France depuis l'irruption de la rage en 1968, tandis que les accidents de chasse font en France 50 à 70 morts par an, ce qui fait 50 fois plus que la rage dans toute l'Europe. A l'échelon européen également, la rage tue 20 fois moins que les morsures de chiens non enragés, moins les piqûres d'insectes (lesquelles en Suisse, tuent 3 personnes par an tandis que les vipères en tuent une tous les 10 ans). Quant aux accidents de la route...

Le renardeau émancipé, Ruisseau du Crêt, 4.6.1980

Il ne s'agit nullement de minimiser une maladie qui, en France, avait exigé, le traitement de 2000 personnes dans les vingt années précédant 1975, en Suisse, de 1967 à 1976, celui de 189 cas de personnes mordues par un animal reconnu enragé et causé le traitement préventif (heureusement moins pénible, compliqué et dangereux depuis ces dernières années) d'un très grand nombre de personnes particulièrement exposées (vétérinaires, gardes etc). Mais il faut éviter l'exagération, l'obsession. Les cas de morsures par renards sont rares. On les remarque, on les traite. Plus dangereux, le chat domestique ne présente pas, en général, de symptômes bien apparents. Il se cache, grognon. On veut le tirer de son coin, le soigner et une griffure ou morsure peu apparente peut infecter. La mesure la plus efficace est donc la vaccination des chiens et chats, principaux agents de transmission entre la faune sauvage et l'homme. Quant à la rage vulpine, chaque siècle a eu sa grande épizootie en Europe (en Suisse, de 1800 à 1840). Personne ne sait comment elles sont apparues et se sont éteintes.

On a pensé que si le nombre de renards était réduit à un par 250 ha, la rage disparaîtrait faute de transmission mais la persécution des renards n'a ralenti en rien sa progression. On répète qu'il ne s'agit pas d'exterminer les renards mais, croyez-en un vieil observateur, lorsqu'une espèce est raréfiée et persécutée, elle est perdue pour l'observation. On ne peut plus avoir de sa vie que des aperçus décousus.

6

Dans ma jeunesse, à Genève, nous avions un vieil inspecteur forestier qui mettait au printemps ses chiens dans quelques terriers, tirait quelques femelles pleines. Après quoi, si je trouvais une famille, je pouvais la suivre jusqu'en juin. Ensuite on nomma des gardes auxiliaires, dépendant des sociétés de chasse et non de l'Inspecteur cantonal, véritables braconniers officiels. Lorsque je découvrais une nichée de renards, peu de temps après, il y avait des traces de souliers devant le terrier et les renards avaient déménagé, si les petits n'étaient pas là, dévorés d'asticots. Je ne crains pas la rage, phénomène naturel quelque peu catastrophique mais les mesures contre la rage. Si l'on rencontre un animal enragé et qu'on le lui présente, il le mordra et ne pourra plus le lâcher. Le passage de la rage ne m'a pas empêché de dormir par terre, au mépris d'un danger que je ne crois pas inexistant mais négligeable.

(texte inédit de Robert Hainard)

L'influence de la suppression de la chasse sur les renards et blaireaux est bien difficile à établir parce qu'elle a été complètement masquée par l'apparition de la rage.

En 1974, 1975 et 1976, nous avions formé une équipe de plus de trente observateurs pour dénombrer, au moment des nichées, les renards et les blaireaux sur la rive gauche du Rhône, entre Chèvres, Chancy et Plan-les-Ouates à l'Est.

Renards, père et fils, Treulaz, 12.4.1970

En 1974, après la dernière année de chasse, nous trouvâmes douze familles de renards et quarante-huit jeunes. En 1975, après la première année sans chasse, dix familles et cinquante-cinq jeunes. Mais en 1976, six familles et vingt-trois jeunes. Nous n'avons pas d'explication pour cette diminution de plus de la moitié. La plupart des gens ont voulu voir les renards plus nombreux après la suppression de la chasse. Suggestion? Ou est-ce le fait, bien réel, que les renards sont devenus moins méfiants et se montrent davantage?...

Depuis le passage de la rage, avec un décalage de trois ans entre la rive droite, atteinte la première, et la rive gauche, l'effectif des renards varie avec les recrudescences de la maladie mais leur effectif semble se maintenir assez bien (en 1983, il y avait une famille de 14 renardeaux résultant du fait que deux femelles avaient réuni leurs portées, ce qui n'est pas exceptionnel. A cent mètres de là, en 1984, une renarde n'avait que deux petits).

10 ans sans chasse, Dept de l'intérieur et de l'agriculture, Genève

Renard sortant du terrier, La Gryonne, 2.12.1940

7

Le renard polaire, renard bleu ou IsatisAlopex lagopus L.

Allemand : der Eisfuchs. Anglais: Arctic fox

Régions arctiques continentales de l'Europe et de l'Asie jusqu'aux montagnes du sud-ouest de la Norvège, visiteur occasionnel jusqu'au sud de la Suède. Dans les îles plus au nord, remplacé par la race plus petite Alopex Spitzbergensis Barrett-Hamilton. Bien que protégé en Suède et en Norvège, il n'augmente pas. La cause en serait le réchauffement du climat. Le renard rouge lui fait concurrence, le renard bleu ne vit qu'au-dessus et au-delà des forêts.

Il existe deux formes qui peuvent se trouver dans la même nichée. Le renard blanc est tout blanc en hiver, en été gris bleu roussissant au soleil avec faces inférieures blanches. Le renard bleu va du noir au gris acier, chatain ou gris clair, avec une tache blanche à la poitrine. La couleur roussit aussi en été. Les jeunes sont toujours plus foncés. Le renard bleu est plus commun où la neige reste moins longtemps, sur les pentes des montagnes, sur les îles, les côtes. Mais partout le renard blanc devient de plus en plus fréquent par rapport au bleu. Le poil d'hiver est beaucoup plus long, avec queue très touffue et plante des pieds garnie de longs poils raides.

Tête et corps 60 à 66 cm, queue 35 cm. Pattes, museau, oreilles plus courts que chez le renard. Souvent très nombreux et vivant en bandes, mangeant tout, au contact des hommes, volant tout, capables d'enterrer en commun un ours blanc, selon le navigateur Steller qui passa une année avec eux sur la terre de Behring, à la fois hardi, astucieux et incroyablement imprudent (même selon Brehm dans les montagnes de Norvège où il connaît pourtant l'homme). Mais son milieu principal est le bord de la mer. Il est assez sédentaire, mais il est souvent transporté par les glaces flottantes et les mâles en rut peuvent faire de longs voyages. Sa densité dans la toundra russe est estimée à une paire par 32 km2. Dans les îles de Behring, elle atteint de 1 à 2 jusqu'à 10 ou 15 individus au km2. Se nourrit de tout ce qu'il trouve, lemmings, oiseaux et oeufs, cadavres, reliefs des repas de l'ours blanc. Son terrier est creusé de préférence dans les collines sablonneuses ou d'argile sableuse. La femelle creuse un nouveau terrier à chaque nichée. Le terrier est relié aux précédents, il peut y avoir 100 bouches sur 35 m, ce qui donne une fausse impression de colonie. Cependant, dans de bonnes conditions de nourriture, plusieurs femelles peuvent nicher dans un même groupe de terriers. Ces terriers se signalent par une verdure intense. Dans les îles rocheuses, les terriers sont creusés dans des crevasses garnies de terre ou sous de grosses pierres. Le renard polaire vit souvent aussi à découvert, en hiver au fond de tunnels creusés dans la neige. Le rut a lieu de mi-mars à début mai, la gestation est de 52 jours en moyenne. Nombre de jeunes : 6 à 8, jusqu'à 16, surtout les années de pullulation des lemmings (tous les 4 ans). L'année suivante, qui voit leur presque totale disparition, beaucoup de jeunes naissent morts, meurent en bas âge et nombre de renards ne se reproduisent même pas. L'année des lemmings, la population peut doubler. Les renards des régions où manque le lemmings n'atteignent jamais la même fécondité. Le mâle participe à l'éducation.

Comme l'a établi Sten Larson*, le renard polaire est un facteur déterminant de la distribution des oiseaux arctiques. Dans les régions sans lemmings, les renards se nourrissent presque exclusivement, au printemps, d'oiseaux. Dans ces régions surtout, la possibilité de subsister dépend de l'adaptation défensive au renard, nichée sur des îlots, falaises, dans des cavités, capacité d'intimider le renard en nichant en colonies activement défendues (goéland bourgmestre, sterne arctique) ou en s'intégrant à de telles colonies (tournepierre) ou pour les oiseaux nichant sur la toundra ouverte, ténacité au nid, sans se laisser effrayer de loin, couleur protectrice des oeufs et poussins, manèges capables de distraire le renard. Sten lui-même m'a fait constater dans la nature combien le bécasseau violet, se traînant loin de son nid (quitté sous les pieds de l'intrus) ressemble à un gros lemming.

Mammifères sauvages d'Europe, Robert Hainard, 1997

* Sten Larson, artiste et naturaliste suédois, ami de Robert depuis 1948, année où il le guida pour la première fois en Laponie.

©Fondation Hainard/mmdp/0811208