In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... ·...

344
In honorem professoris Frédéric Barbier 6 0

Transcript of In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... ·...

Page 1: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

In honoremprofessorisFrédéric

Barbier

60

Page 2: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 3: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

SYMPOSIUM INTERNATIONALLE LIVRE. LA ROUMANIE. L’EUROPE.

20–23 Septembre 2011

INTERNATIONAL SYMPOSIUMTHE BOOK. ROMANIA. EUROPE.

20–23 September 2011

Page 4: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Couverture 4 : Avers de la médaille émise par la Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest pour célébrer six siècles d’écrits en langue roumaine – La Lettre de Neacşu de Câmpulung, 1521.

Page 5: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

BIBLIOTHÈQUE MÉTROPOLITAINE DE BUCAREST

ACTES DU SYMPOSIUM INTERNATIONAL

LE LIVRE. LA ROUMANIE. L’EUROPE.

4ème édition20 – 23 Septembre 2011

TOME IPremière section – HISTOIRE ET CIVILISATION DU LIVRE

Textes réunis et présentés par

Frédéric Barbier

Editura BIBLIOTECA BUCUREŞTILORBUCAREST – 2012

Page 6: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Comité éditorial :

Florin Rotaru, Dr., Directeur général, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest

Section 1 : Frédéric Barbier, Directeur de recherche au CNRS (IHMC/ENS Ulm),Directeur d’Études, Histoire et civilisation du livre, École Pratique des Hautes Études, Sorbonne, Rédacteur en chef de Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (Genève, Librairie Droz)

Section 2 :Réjean Savard, Dr. – Président de l’ASTED et de l’AIFBD, Professeur de bibliothéconomie, Université de MontréalChantal Stanescu – Directrice adjointe, Bibliothèque Publique Centrale pour la Région de Bruxelles‑CapitaleHermina Anghelescu – Professeur Associé, School of Library & Information Science, Wayne State University, Michigan, USACristina Ion – Conservateur, Chef du service Sciences sociales, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme de la Bibliothèque nationale de France, Paris, France

Section 3 A :Martin Hauser, Prof. Dr., Département‑Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturele et Interreligieux, Université de Bucarest, Roumanie

Section 3 B :Ioana Feodorov, Dr., Institut d’Études Sud‑Est Européennes de l’Académie Roumaine, Bucarest

Section 3 C :Nicholas Viktor Sekunda, Prof. Dr., Chef du département d’Archéologie Méditerranéenne, Institute of Archaeology, Gdansk UniversityAdrian George Dumitru, Dr., Université de Bucarest – Paris IV Sorbonne, Assistant de recherche, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest

Rédaction : Dr. Marian NencescuSecrétariat de rédaction : Cornelia RaduFormat électronique du livre : Anca IvanPages couvertures : Mircia Dumitrescu

ISSN 2068 ‑ 9756

Page 7: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

TABLE DES MATIÈRES GÉNÉRALE

FLORIN ROTARU – Allocution XVII

TOME I

Première section – HISTOIRE ET CIVILISATION DU LIVRELivres et bibliothèques de la noblesse,

du Moyen Âge au XXe siècle

First section – HISTORY AND BOOK CIVILIZATIONBooks and libraries of the nobility,

from the Middle Ages to the XXth century

INTRODUCTION : Livres et bibliothèques de la noblesse, du Moyen Âge au XXe siècle – FRÉDÉRIC BARBIER 5

LIVRES ET BIBLIOTHÈQUES DE LA NOBLESSE EN EUROPE, FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE

BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY IN EUROPE, LATE MIDDLE AGE‑XIXth CENTURY

Sacra Parallela – RODICA PALÉOLOGUE 7L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts de lecture des romans de chevalerie publiés en espagnol, italien et français – JAROŠLAVÁ KASPAROVA 15Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps – RADIMSKA JITKA 35Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres : la prééminence des armes ou des lettres sous la « Restauration » du Portugal – DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA 54

Page 8: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

VIII Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France aux XVIe‑XIXe siècles : l’exemple des La Rochefoucauld – FRÉDÉRIC BARBIER 75Transformations linguistiques et thématiques dans les bibliothèques aristocratiques de la Hongrie du 18e siècle – MONOK ISTVÁN 108« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia par l’évêque de Transylvanie, le comte Ignace Batthyány » – DOINA HENDRE BIRO 122Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines (XVIIIe siècle). Bilan et perspective de recherche – RADU G. PĂUN 140Cantemir : bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires – ŞTEFAN LEMNY 169Les bibliothèques Kaunitz : des catalogues et des lectures multiples – CHRISTINE LEBEAU 179Un grand commis bibliophile : le marquis de Méjanes – RAPHAËLE MOUREN 189Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur ne doit pas être facile à remplir: Les bibliothèques de Napoléon Ier – CHARLES‑ÉLOI VIAL 198Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles d’Europe au XIXème siècle – ANDREA DE PASQUALE 214Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle: l’inventaire du Marquis de Monte Alegre – MARISA MIDORI DEAECTO 227Śrī Bhavānrao Panta‑Pratinidhi (1868‑1951), Chief of Aundh: Founder and Patron of Institutions and Libraries – SHREENAND L. BAPAT 239

ÉTUDES D’HISTOIRE DU LIVRE

STUDIES OF BOOK HISTORY

Livres des bibliothèques médiévales roumaines, conservés dans la Bibliothèque du Saint Synode de Bucarest – POLICARP CHIŢULESCU 251Protecting the books: chains, curses – IOANA COSTA 265The British Museum Library and Romania: the beginnings of a Romanian collection – MILAN GRBA 277« La Belgique de l’Orient ». Les relations Belgique – Roumanie à travers l’imprimé au milieu du XIXe siècle – JACQUES HELLEMANS 298

Page 9: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition IX

The Metropolitan St. Varlaam of Moldavia‘s “Romanian Book of teaching”: History of a Book – RADU ŞTEFAN VERGATTI 306

TOME II

Deuxième section – LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES BIBLIOTHÉCAIRES ET DOCUMENTALISTES,

DANS TOUS SES ÉTATS

Second section – EDUCATION AND CONTINUING PROFESSIONAL TRAINING FOR LIBRARIANS AND ARCHIVISTS

INTRODUCTION : La formation professionnelle des bibliothécaires et documentalistes dans tous ses états ! – RÉJEAN SAVARD 9

QUESTIONS GÉNÉRALES SUR LA FORMATION PROFESSIONNELLEGENERAL QUESTIONS ON PROFESSIONAL TRAINING

La bibliothèque : un espace de formation participative pour et par le bibliothécaire ? – LIONEL DUJOL 13Enseigner la pratique : la formation des bibliothécaires entre missions et expériences – CRISTINA ION 1912 bénéfices offertes au pays par les bibliothèques – LEONARD KNIFFEL 25Les représentations des bibliothèques : l’impact des clichés culturels relatifs aux bibliothèques et aux bibliothécaires sur le public et les personnels – PASCAL SIEGEL 29

MODÈLES NATIONAUX

NATIONAL PATTERNS

Library & Information Science Education in the United States & Canada: Issues & Trends in the 21 Century – HERMINA G.B. ANGHELESCU 57L’évolution des formations de bibliothécaires et documentalistes : l’enssib dans un environnement changeant – BENOÎT EPRON 62

Page 10: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

X Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Le modèle actuel de la formation professionnelle en Bulgarie : entre les influences historiques et la perspective européenne – JULYA SAVOVA 72Les métiers des sciences de l’information et de la documentation en Belgique : état des lieux des formations existantes – NATACHA WALLEZ 83

DÉFIS POUR LA FORMATION

CHALLENGES FOR THE TRAINING

L’enseignement des TIC en bibliothéconomie. Cas de la formation professionnelle des bibliothécaires et documentalistes en Algérie – RADIA BERNAOUI, MOHAMED HASSOUN 93Comment accompagner le développement du numérique ? L’expérience de la Bibliothèque nationale de France – MICHEL NETZER 110Les besoins de formation des bibliothécaires francophones du Sud – RÉJEAN SAVARD 117La formation des bibliothécaires en langues étrangères à l’heure de la mondialisation : étude du cas français – ANNA SVENBRO 126

FORMATION CONTINUE

LIFELONG LEARNING

Professional Association Membership. Supporting and Enhancing Library Education and Individual Librarians – MARIANNE HARTZEL 141L’accompagnement individuel (coaching), une alternative à la formation – MARIELLE DE MIRIBEL 146Un panorama de la formation continue en Belgique – CHANTAL STANESCU 175

ÉVALUATION QUALITATIVE

QUALITY ASSESSMENT

Library & Information Science Accreditation: Assurance of Quality? – JOSEPH MIKA 185

Page 11: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition XI

Quality Recommendation for Public Libraries in Finland – BARBRO WIGELL‑RYYNÄNEN 193

TOME III

Troisième section – LATINITÉ ORIENTALE

Third section – ORIENTAL LATINITY

Section III A

Aspects diplomatiques, historiques, économiques et culturels des relations roumano – helvètes

Diplomatic, historical, economic and cultural aspects of the Romanian‑Swiss relations

INTRODUCTION: Relations multiples en Europe: Roumanie et Suisse – MARTIN HAUSER 13

Towards a critique of the world order. Considerations regarding the bilateral relations between countries – political, cultural and academic aspects – RADU BALTASIU, OVIDIANA BULUMAC, GABRIEL SĂPUNARU 15

The Politics of Culture. The Representation of Roma in Film – BOTOŞĂNEANU ALECSANDRA 30

Relations historiques entre la Suisse et la Roumanie au niveau du christianisme : Quelques exemples – LILIAN CIACHIR 45Connaissance de l’humaniste Denis de Rougemont en Roumanie – IOANA FEODOROV 58Multinational Corporations within a Concentric Circles’ Paradigm – NINA IVĂNESCU OLTEAN 68L’éducation des femmes en Roumanie et en Suisse – NICOLETA NEGOI 87Les relations internationales et la collaboration scientifique de l’Université de Fribourg avec la Roumanie – TUDOR‑AUREL POP 102

Page 12: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

XII Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Livres suisses du XVIe siècle dans les collections de Sibiu – ANA SELEJAN 119

From the History of Swiss‑Romanian Ecclesiastical Relations – MIHAI SPĂTĂRELU 128

Section III B

Européens et Levantins aux XVIe‑XXe siècles: histoire, société et culture

Europeans and Levantines in the 16th‑20th centuries: history, society, and culture

INTRODUCTION : Européens et Levantins aux XVIe‑XXe siècles : histoire, société et culture – IOANA FEODOROV 135

English captivity narratives as a source of information in the Ottoman period – PAUL AUCHTERLONIE 138

L’apport de Zallony dans la conception grecque et roumaine du Phanariote – JACQUES BOUCHARD 150

Témoignages de la présence des moines roumains en Terre Sainte et au Sinaï – TĂNASE BUJDUVEANU 167

Astrological Translations in Byzantium – CHARLES BURNETT 178

The Iviron Monastery of Mount Athos in the 15th‑19th C. History, Pilgrims, and Manuscripts – EKA DUGHASHVILI 184

Notes sur les livres et l’imprimerie chez Paul d’Alep , Voyage du patriarche Macaire III d’Antioche aux Pays Roumains, au « Pays des Cosaques » et en Russie – IOANA FEODOROV 200

Le phénomène des feuillets transposés dans les manuscrits arabes chrétiens de St. Pétersbourg – SERGE A. FRANTSOUZOFF 210

Un voyageur roumain au Proche‑Orient au début du XXe siècle – CONSTANTIN IORDAN 221

The Atabag Court and Georgian Miniature Painting of the 15th‑16th Centuries – NINO KAVTARIA 230

Page 13: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition XIII

Le livre du Proche‑Orient – Réception et diffusion dans les Balkans – STOYANKA KENDEROVA 243

Sagesse et folie du corps. Préface à une psychologie des viscères. Projet de livre de Lizica Codréano – DOÏNA LEMNY 257

Les relations entre les Pays Roumains et l’Épire au cours des siècles. Présentation d’ensemble – FLORIN MARINESCU 268

Kurbet among the Albanians in the Ottoman period. Characteristics and destinations – IVAYLO MARKOV 275

Livres européens anciens pour l’étude des langues classiques et orientales dans les collections de la Bibliothèque Documentaire de Zalău – IOAN MARIA OROS 286

The Antiochian Greek‑Orthodox Patriarchate and Rome in the Late 16th C. A Polemic Response of the Metropolitan Anastasius Ibn Mujallā to the Pope – CONSTANTIN PANCHENKO 302

The Greek Political Emigrants in Romania (1948‑1982) – APOSTOLOS PATELAKIS 316

The Habsburg Empire and printing in languages of the Ottoman Empire, 16th‑19th Centuries – GEOFFREY ROPER 330

From the Digital Catalogue to the Digital Library – NIKOLAI SERIKOFF 347

Ottoman Terms in the Rural Economy on the Danube Banks: Arman and Mera – STELU ŞERBAN 352

L’épigraphiste hagiographe : l’apparition de la légende du saint archimandrite Coumnènos en Russie – VERA TCHENTSOVA 370

Une histoire universelle traduite en roumain au XVIIIe siècle – ANDREI TIMOTIN 382

Traduire de l’italien au roumain au XVIIIe siècle. La vie de Skanderbeg traduite par Vlad Boţulescu – EMANUELA TIMOTIN 389

Aspects balkaniques de l’édification de l’identité culturelle bulgare. La «filière roumaine» – KIRIL TOPALOV, VESKA TOPALOVA 402

Page 14: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

XIV Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Section III C

Relations militaires, commerciales et culturelles dans les Balkans, de l’époque classique à la période byzantine

Military, trading and cultural relations in the Balkans, from classical times to the Byzantine era

INTRODUCTION: Greek and Roman Armies in the North Balkans – NICHOLAS V. SEKUNDA 413

INTRODUCTION: Some Introductory Remarks – ADRIAN GEORGE DUMITRU 415Ethnic and Social Composition of the Roman Army in Lower Moesia Province: Soldiers with Thracian Origin – OLEG ALEXANDROV 418A Roman general on the Danube: L. Scipio and his war on the Scordisci – PETER DELEV 431Some Remarks about Thrace, Thracians and Antigonids – in between the wars, allegations and propagandas, from Kynoskephalai to Pydna – ADRIAN GEORGE DUMITRU 445Bellum Pannonicum: The Roman armies and indigenous communities in southern Pannonia 16‑9 BC – DANIJEL DZINO 461Army and Coins in Roman Dacia – CONSTANTINA KATSARI 481Tacitus and Thrace: Balkan auxiliaries from an historian’s perspective – KATHERINE LOW 487Thrace under Roman sway (146 BC‑46 AD) Between Warfare and Diplomacy – MARIA‑GABRIELLA PARISSAKI 500The ‘Victory’ coinage of Patraos of Paionia. – NICHOLAS V. SEKUNDA 512The Statuary‑Art‑Gathering Policy of the Early Byzantine Emperors, 4th‑5th Centuries – LILIANA SIMEONOVA 524Roman Sailors at Philippopolis, Thrace – IVO TOPALILOV 545

LISTE DES AUTEURS (GÉNÉRALE) 559

Page 15: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Allocution

Avec chacune de ses éditions annuelles, le Symposium Le livre. La Roumanie. L’Europe renforce son identité et l’autonomie de sa vocation historique et se détache progressivement de l’image d’une aventure de l’illusion. Parallèlement à ce symposium, la bibliothèque qui l’organise, la plus ancienne bibliothèque roumaine de lecture publique, créée en 1831, est elle aussi en quête d’une réponse concernant son avenir institutionnel et professionnel, dans le contexte des crises économiques, financières, religieuses et politiques actuelles.

La volonté d’exister des bibliothèques est un droit qu’elles ont conquis malgré une multitude d’illusions brisées tout au long de l’histoire. Cette réalité nous séduit. Car une bibliothèque vit dans le temps et, durant son existence, elle engrange la mémoire de l’humanité. C’est grâce au trésor de leur patrimoine que les bibliothèques chassent les leurres. Pour ces raisons‑lá, la prise de conscience de sa mission institutionnelle s’accroît proportionnellement à la capacité de la bibliothèque de fixer l’instant pour l’éternité. Pourtant, à présent, l’équilibre précaire entre les préoccupations professionnelles détachées de l’actualité et la nécessité d’adopter une attitude imminente devant une histoire pressée et tumultueuse entraîne une série d’hypothèses, dont beaucoup sont contradictoires. Comme la bibliothèque n’est pas à même de vivre uniquement par elle‑même, un polymorphisme est engendré par les oscillations inhérentes entre les différents champs de valeurs et l’affirmation naturelle de certaines inquiétudes profondément humaines. C’est pourquoi la bibliothèque a été, est et sera influencée par tout ce qui est lié à la nature humaine, mais aussi par ces vastes mobilités et les formes plurielles divergentes difficiles à synthétiser de façon unitaire. L’histoire contemporaine a engendré d’autres dimensions existentielles inconnues auparavant. Ce mélange de passions et de tensions spirituelles, toute cette mobilité dramatique différente à chaque nouvelle étape historique, différente d’un pays à l’autre, nous élève en même temps qu’elle nous abaisse. Notre époque où tout est programmé n’aime pas la réalité. La vie extérieure automatisée, la primauté des moyens et des techniques deviennent autant d’habitudes dans l’existence de l’homme contemporain.

Parmi les voies actuelles de développement de notre institution, la recherche scientifique occupe une place prioritaire. Dans un proche avenir, la compatibilité entre la bibliothèque de lecture publique et la recherche académique s’affirmera progressivement comme un desideratum. Modeler et soutenir la conscience de

Page 16: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

XVI Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

l’appartenance à la communauté locale, réécrire ou même écrire les monographies des lieux restent les responsabilités des bibliothèques publiques. Il faudra persévérer à explorer le possible d’une histoire effective, car il reste suffisamment d’inconnues à mettre en lumière aussi bien dans le passé que dans le présent, tout comme il s’impose un éclairage sur les ouvertures du futur. D’ailleurs, au niveau mondial, la numérisation de l’ensemble du patrimoine de presse va bientôt accorder aux faits éphémères la valeur de documents officiels publics. Un de ses effets directs sera reflété par une nouvelle écriture de l’histoire déjà marquée par la capacité de synthèse des choses éphémères. Dans le contexte actuel, où les tendances vers une dématérialisation du document deviennent un véritable phénomène, où l’accès au livre s’est radicalement modifié, l’importance croissante accordée aux fonctions de documentation, de recherche scientifique et de mise en valeur des informations pertinentes offre des alternatives de développement pour les bibliothèques de lecture publique aussi.

Nous y avons répondu de façon concrète par un partenariat (de collaboration) conclu avec la Bibliothèque de l’Académie, véritable bibliothèque nationale du pays, afin de mettre en place la Bibliothèque Numérique de la Roumanie. En effet, une mise en commun des ressources budgétaires et des ressources humaines des deux institutions responsables est ainsi devenue possible, vu qu’une stratégie nationale pour la numérisation de la culture écrite reste inexistante. Ce partenariat sera bientôt élargi en y rattachant les Archives Nationales Historiques de la Roumanie. C’est ainsi que des conditions internes particulières nous conduisent vers une expérience unique: l’initiative institutionnelle comble la lacune d’une stratégie nationale cohérente.

Par ailleurs, le Symposium Le livre. La Roumanie. L’Europe représente notre proposition de mise en place d’une forme de collaboration internationale professionnelle qui s’ouvre sur des suggestions de métamorphose interne institutionnelle des bibliothèques et qui devienne, grâce à ces efforts, une expérience complexe.

La IVe édition a été le corollaire des éditions précédentes par le nombre important de participations mais aussi par le succès de l’organisation, dans le cadre de la IIIe Section, de la Conférence des sciences védiques, que l’on a décidé de faire à Bucarest, concurrencé par l’Université Oxford et l’Université Marburg, en signe d’encouragement pour l’étude des sciences orientales en Roumanie ainsi qu’en Europe centrale et orientale.

Ce symposium est, sans l’ombre d’un doute, le résultat d’un effort international de collaboration, il est espoir, il est confiance dans l’avenir.

Florin Rotaru

Page 17: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

TOME I

SECTION 1

– HISTOIRE ET CIVILISATION DU LIVRE –

– HISTORY AND BOOK CIVILIZATION –

Page 18: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 19: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

INTRODUCTION

Livres et bibliothèques de la noblesse, du Moyen Âge au XXe siècle

FRÉDÉRIC BARBIER

Dans la série des symposiums d’histoire du livre organisés en Roumanie traditionnellement dans les premiers jours de l’automne, nous voici déjà à la cinquième édition.

La manifestation scientifique s’est imposée au fil des années comme un rendez-vous incontournable, à l’occasion duquel se retrouvent aussi bien des spécialistes d’Europe centrale et orientale, que d’Europe occidentale, voire de continents plus éloignés. À Bucarest d’abord, puis en 2011 dans la villégiature royale de Sinaia, chaque fois nous nous retrouvons pour travailler, pour tisser des liens d’amitié, et aussi pour découvrir une nouvelle facette de la Roumanie – cette année à Mamaia, sur les bords de la mer Noire. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et nous ne pouvons qu’en être reconnaissants aux organisateurs et à nos hôtes de Roumanie.

En 2011, le symposium de Sinaia avait adopté comme thématique la question de la noblesse, de ses livres et de ses bibliothèques. Peu de domaines semblent en effet se prêter aussi bien à des relectures historiographiques, en même temps qu’à des comparaisons internationales, en particulier en Europe centrale et orientale.

De longue date, l’image de la noblesse ne se limite plus à celle du second ordre privilégié, pour faire simplement référence à la tradition de l’Ancien Régime français. La noblesse se définit d’abord par sa naissance, mais aussi par une obligation de service, le service des armes, selon cette logique tripartite propre aux populations indo-européennes qu’a mise en évidence Georges Dumézil. Mais elle devra aussi, parallèlement, se définir par un style de vie « noble », dont le modèle s’inspire de la tradition de l’otium romain. Dans le système féodal, le noble est celui qui se réserve pour les service du suzerain, et celui auquel ses moyens financiers permettent de ne pas travailler, pour se consacrer à des activités qui ne sont évidemment pas celles du « commun » : le

Page 20: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

INTRODUCTION

cadre de vie (le château, plus tard l’hôtel en ville) et l’entourage (la « maison » des serviteurs et des affiliés), les curiosités, les plaisirs nobles (la chasse) sont autant de signes de reconnaissance et d’identité.

Autour du noble et de ceux qui l’entourent, c’est le modèle de la civilisation « policée », théorisé par Norbert Elias, qui s’impose à partir de l’époque moderne, et qui rend d’autant plus scandaleuse l’existence d’autres nobles, plus ou moins ruinés, vivant au fond de châteaux délabrés, et sans plus de culture que les manants dont ils sont les seigneurs. Pour eux, la chasse est une ressource indispensable avant que d’être un plaisir, et il n’est bien sûr pas question de formation intellectuelle ni d’arts d’agrément. Restons en France : au fond de son château du Poitou, Ysoré de Pleumartin arrête des moines et les prive de nourriture pour les faire maigrir, mais il se livre aussi à des voies de faits plus graves, s’amusant à tirer des coups de fusil sur ses paysans avant de résister, les armes à la main, aux gens du roi venus procéder à son arrestation. Aux antipodes de son contemporain le comte de Buffon à Montbard, le marquis de Pleumartin n’est pas si éloigné de l’image du chevalier brigand, mais il finira arrêté et exécuté à la conciergerie de Paris.

Ces cas sont pourtant de plus en plus exceptionnels. Les nobles de la période moderne, s’ils s’engagent toujours pour le métier des armes, trouvent désormais aussi dans la formation intellectuelle et dans les plaisirs artistiques les voies de la distinction privilégiée. Le jeune noble reçoit une éducation plus poussée, il se forme et il s’informe dans les livres, dans les plaquettes et dans les périodiques, bientôt le château aura une salle de bibliothèque à côté de son théâtre, le seigneur publiera lui-même, il financera la formation de jeunes gens fréquentant les universités, et il entretiendra une cour, ou une maison, où se rencontrent auteurs, artistes et savants. Pour finir, il s’engage dans la vie publique, un modèle envié étant souvent celui de l’Angleterre gouvernée des Lords et des Communes, et où le gentleman farmer travaille activement à la modernité et au développement économiques.

Même si les trajectoires socio-politiques ne sont nullement les mêmes sous l’Ancien Régime, de l’Angleterre libérale à la France absolutiste, à l’Allemagne des despotes éclairés et aux États d’Europe centrale et orientale où se construisent les identités collectives nouvelles, les problématiques sont analogues : les nobles définissent et redéfinissent les catégories et les instruments par lesquels ils justifieront leur statut, et le média – l’imprimé – occupe une position stratégique dans ce schéma. C’était tout l’enjeu du symposium de Sinaia, que de permettre de réévaluer ainsi le rôle de la noblesse, et de comparer, d’une expérience historique à l’autre, non seulement en Europe, mais aussi dans les anciennes géographies coloniales (le Brésil…), les voies et les moyens de sa réussite… ou de son échec, en tout les cas de sa transformation.

Page 21: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

LIVRES ET BIBLIOTHÈQUES DE LA NOBLESSE EN EUROPE, FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE

*

BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY IN EUROPE, LATE MIDDLE AGE‑XIXth CENTURY

Page 22: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 23: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

SACRA PARALLELA1

RODICA PALÉOLOGUE

Quelques mots d’introduction…

Vaste anthologie de sentences et d’exhortations morales;Compilation de citations attribuée à Saint‑Jean Damascène (676‑749);Regroupant sous chaque lettre de l’alphabet grec des extraits :• Scripturaires • Patristiques• Hagiographiques Point de départ d’une abondante illustration volontairement marginale

de 1.658 images.

Le Codex – Le plus ancien, le plus somptueux et l’unique exemplaire illustré.

Manuscrit sur parchemin, 394 f. Première moitié du IXe siècle;

Atelier grec d’Italie, Rome;Reliure orientale en maroquin

brun sur ais de bois estampés à froid avec fermoir en laiton et cuir tressé;

Écriture onciale inclinée sur deux colonnes;

Riche de 1658 images, toutes marginales, dont 456 portraits en buste peints directement sur le parchemin ou inscrits dans des médaillons d’or perlés: (imagines clipeatae). (voir : l’église Saint‑Praxède, Rome)

1 « Don du prince de Valachie [Nicolae Mavrocordat] pour la Bibliothèque du roi ». Manuscrit du IXe siècle « à peintures » sur parchemin.

Page 24: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

8 RODICA PALÉOLOGUE

36.5 cm

25.5 cm

La bibliothèque de N. Mavrocordat – Une bibliothèque humaniste exceptionnelle et convoitée

Nicolae Mavrocordat possédait deux prestigieuses bibliothèques : une à Constantinople, et une en Valachie.

A partir d’un noyau déjà créée par Alexandru Mavrocordat l’Exaporite, enrichi en permanence par :

• Échanges, acquisitions de livre neufs, ventes aux enchères et dons • Récupération d’une partie des bibliothèques de Constantin

Brancovan, Dimitrie Cantémir et Constantin CantacuzinoEn 1725, il installe ses milliers de livres et de manuscrits grecs, latins,

turcs et persans au Monastère Văcăreşti.

Page 25: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Sacra Parallela 9

Plus tard après sa disparition (1730), la mise en vente forcée de son fonds autour de 1750, a attiré les offres de la Bibliothèque du roi de France, de la Biblioteca Imperial de Vienne, de la King’s Library de Londres et de l’Aposolica Vaticana.

Présence d’ouvrages à la Bibliothèque de l’Académie roumaine, un volume actuellement à la BCU et le Codex Mavrocordatianus à Bratislava.

La mission archéologique française en Orient de 1728‑1730 – Une expédition délicate, couronnée d’un éclatant succès

Elle témoigne d’une politique d’acquisition dynamique et intelligente de la Bibliothèque royale.

En 1728, le Maître de la librairie du roi, l’abbé Bignon organise une mission au Levant :• Deux membres de l’Académie des Inscriptions et Belles‑Lettres: l’abbé Fourmont et l’abbé Sevin partent à Constantinople à la recherche de monuments de l‘antiquité.

En 1730, Nicolas Mavrocordat fait don du manuscrit Sacra Parallela.

Au total plus de 600 manuscrits turcs, arabes, persans et grecs entrent à Paris, dont un seul provenant de la bibliothèque du prince.

L’iconographie – De multiples similitudes avec le 749 Vaticana et 49‑50 AmbrosianaPuise dans toutes les sources chrétiennes de la fin de l’antiquité, plus particulièrement syriennes et palestiniennes;

• Évidents apports des peintures carolingienne et italienne;

• Le style, relativement fruste trahit la distance prise par rapport aux modèles antiques;

• Le dessin est sommaire;• Les images sont plates, sans

modelé;• Contours appuyés de traits épais

posés sur une uniforme couche d’or.

Page 26: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

10 RODICA PALÉOLOGUE

Sur fond d’or, des cadres simples pour les titres, et des lettrines à grosses tresses.

Sur une plaquette rectangulaire dorée, i.e. lumière divine, la main de Dieu qui bénit du haut du ciel.

Page 27: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Sacra Parallela 11

Deux styles alternent pour figurer les animaux :‑ tantôt schématisés et revêtus d’une couche d’or ‑ tantôt style antique réaliste ex. ces divers oiseaux

Deux images insolites suscitent l’intrigue : 1. La lettrine ventrue qui occupe tout la colonne réservée à l’illustration2. L’orant à la tête tournée. Il semble se fondre dans le parchemin.

Page 28: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

12 RODICA PALÉOLOGUE

Les expositions – Une exposition par génération

1931 – Art byzantin. Exposition internationale d’art byzantin, Paris, Musée des Arts décoratifs

1958 – Byzance et la France médiévale. Manuscrits à peintures du IIe au XVIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale

1992 – Byzance. L’art byzantin dans les collections publiques françaises, Paris, Musée du Louvre, Bibliothèque nationale

2001 – Trésors de Byzance. Manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale de France, Paris, Bibliothèque nationale de France

Conclusions

Un véritable manifeste contre l’iconoclasme.• Ce chef d’œuvre provient du scriptorium

d’un monastère grec de Rome, créé au début du IXe siècle, d’après un modèle oriental du siècle précédent, avec des influences italiennes contemporaines;

• Il représente un trésor inestimable de l’art byzantin;

• Il conviendrait de faire une description systématique des miniatures, bien que les plus importantes scènes soient déjà décrites;

• Des annotations sont visibles, qui attendent un déchiffrement.

Une œuvre puissante de richesse et… de mystère.

Page 29: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Sacra Parallela 13

BIBLIOGRAPHIE

Catalogus codicum manuscriptorum Bibliothecae regiae. Parisiis : e typografia regia, 1739‑1744. 4 vol. ; in vol. II, 1740

Dictionnaire de théologie catholique, Letouzet et Ané, 1924Dictionnaire de spiritualité, Beauchesne, 1964Jannic Durand, Byzance: l’art byzantin dans les collections publiques françaises, Musée

du Louvre, Bibliothèque nationale (France), 1992 Christian Förstel, Trésors de Byzance : manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale

de France [exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, Galerie Mazarine, 20 août – 2 septembre 2001] / : [catalogue par Christian Förstel], Bibliothèque nationale de France, 2001

Jean Porcher, Marie‑Louise Concasty, Charles Astruc, Julien Cain : Byzance et la France médiévale; manuscrits à peintures du IIe au XVIe siècle; [exposition], Paris, Bibliothèque nationale, [24 juin 1958 – 31 janvier 1959]; [catalogue réd. par Jean Porcher et Marie‑Louise Concasty]; par Charles Astruc; [préf. par Julien Cain]

Nicolae Iorga Stiri noui despre biblioteca Mavrocordatilor, MSI, Seria III, tomul VI, Cultura nationala, Bucuresti, 1926

Daniel Barbu, Manuscrise bizantine în colecţii din România, Meridiane, 1984Andrei Pippidi, Byzantins, Ottomans, Roumains – Le sud‑est européen entre l’héritage

impérial et les influences occidentales, Paris, Honoré Champion – Bibliothèque histoire moderne, 2006

Andrei Pippidi, Manuscritos bizantinos de la Biblioteca de los Mavrocordato, Epi Geios Ouranos – El cielo en la tierra. Estudios sobre el monasterio bizantino, p. 329‑340

Georges K. Papazoglou, Revue des études byzantines, tome 46, 1988. Le Michel Cantacuzène du codex Mavrocordatianus et le possesseur homonyme du Psautier de Harvard

Jean‑Marie Olivier et Marie‑Aude Monégier Du Sorbier. Catalogue des manuscrits grecs de Tchécoslovaquie / Institut de recherche et d’histoire des textes ; Paris : Éditions du C.N.R.S., 1983 – (Documents, études et répertoires publiés par l’Institut de recherche et d’histoire des textes)

Alexandru Stourdza, L’Europe orientale et le rôle historique des Maurocordato, 1660‑1830... , Paris, Plon, 1913

Virgil Cândea, Mărturii româneşti peste hotare, vol. I Albania‑Grecia, Ed. Enciclopedică, Bucureşti, 1991

Florin Rotaru, Coup d’oeil sur l’histoire des bibliothèques de Bucarest, BBF, 2008, no. 1, p. 52‑56

Corneliu‑Dima Dragan Biblioteci umaniste româneşti : istoric, semnificaţii, organizare/; cuvînt înainte de prof. dr. docent Gheorghe Cronţ ; Muzeul judeţean Dîmboviţa, Bucureşti : Litera, 1974

Évelyne Patlagean, Un Moyen âge grec : Byzance, IXe‑XVe siècle, Paris : A. Michel, impr. 2007

Ioachim Craciun, Pietre pentru templul bibliologiei, Magazin bibliologic, 2003, no 1, p. 16‑22

Page 30: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

14 RODICA PALÉOLOGUE

Elena Dumitriu, Monica Andriesi, Sylvia Todea, Bibliothèques publiques de Roumanie, Bull. Bibl. France, 1991, t. 36, no. 6, p. 518‑528

André Grabar, Les Manuscrits grecs enluminés de provenance italienne : IXe‑XIe siècles Paris : Klincksieck, 1972

Doru Badara, O carte din biblioteca Mavrocordatilor in colectiile BCU din Bucuresti, Valori bibliofile...

Axinia Dzurova. La miniatura bizantina : i manoscritti miniati e la loro diffusione/, Milano : Jaca Book, cop. 2001

Axinia Džurova. Répertoire des manuscrits grecs enluminés (IXe ‑ Xe s.). Vol. 1 : Centre de recherches slavo‑byzantines Ivan Dujčev / Texte bulgare avec traduction française en regard. 2006

Henri Omont. Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la bibliothèque nationale, Paris, Picard, 1886

Henri Omont, Missions archéologiques françaises en Orient aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris : Impr. nationale, 1902

Cavallo, Scritture, libri e testi nelle aree provinciali di Bisanzio : atti del seminario di Erice (18‑25 settembre 1988, a cura di Guglielmo Cavallo, Giuseppe De Gregorio e Marilena Maniaci Spoleto : Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 1991

Gabriel Millet , Recherches sur l’iconographie de l’Evangile aux XIVe, XVe et XVIe

siècles d’après les monuments de Mistra, de la Macédoine et du Mont Athes, Paris: Fontemoing, 1916

Hans Belting. Studien zur beneventanischen Malerei, F. Steiner, 1968 Kurt Weitzmann. Die byzantinische Buchmalerei des 9. und 10 Jahrhunderts , Berlin :

Gebr. Mann, 1935Kurt Weitzmann. Illustrations in roll and codex : a study of the origin and method of text

illustration, Princeton (N. J.) : Princeton university press, 1947V. Mihordea. Biblioteca domneasca a Mavrocordatilor, Bucuresti, 1940

Page 31: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’Aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts de lecture des romans de chevalerie

publiés en espagnol, italien et français

JAROSLAVA KAŠPAROVÁ

La littérature de chevalerie espagnole de la Renaissance qui s’était devenue le genre dominant de la littérature récréative de toute la première moitié du XVIe siècle en Espagne gagna le coeur de larges couches de consommateurs non seulement en France où les traductions d’Amadis furent intégrées de façon organique dans la tradition littéraire des romans courtois du moyen Âge, Italie où la chevalerie survécut en épopées écrites par poètes géniaux, mais sa renommée ayant surmontée les barrières linguistiques et culturelles, arriva même en Europe centrale, espace qui jouait un rôle de carrefour important des transferts culturels. Les récits de chevalerie, conçus comme „historia fingida“, avec sa formule narrative génial se devinrent un des genres litteraires „más sorprendentes e imaginativos de todo el siglo XVI“.1 Les récits sur la prouesse, la fidélité à l’amour, aux idées et

1 Cf. LUCÍA MEGÍAS, José Manuel, Amadís de Gaula: un héroe para el siglo XXI, accessible de: http://parnaseo.uv.es/Tirant/Butlleti.11/Art.6_Lucia_Amadis.pdf, pp. 109‑110. De la littérature bibliographique très riche et nombreuse à propos du phénomène de la littérature de chevalerie (elle se multiplie après 2008, année du 500e anniversaire de la publication d’Amadis de Gaula de Garci Rodríguez de Montalvo en 1508) il se peut citer au moins des articles publiés dans la revue électronique „Tirant. Bulletí informatiu i bibliogràfic de literatura de cavalleries“, projet de l’Université de Valence ( accessible de: http://parnaseo.uv.es/tirant.htm), une nouvelle liste bibliographie des ouvrages de chevalerie – Daniel EISENBERG, Daniel, MARÍN PINA, M.a Carmen, Bibliografía de los libros de caballerías castellanos, Zaragoza, 2000, un catalogue de l’exposition réalisée dans la Bibliothèque nationale d’Espagne – Amadís de Gaula 1508. Quinientos años de libros de caballerías, editor literario José Manuel LUCÍA MEGÍAS, Madrid 2009 (il y a d’autres citations) et aussi les articles de la revue „E‑Humanista. Journal of Iberian Studies“, Santa Barbara, Department of Spanish and Portuguese University of California,

Page 32: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

16 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

vertus de chevalerie ne connaissent pas les frontières, ils sont universels et intemporels.

Notre propos d’aujourd’hui consistera à présenter la réception des romans de chevalerie espagnoles et leurs versions françaises et italiennes circulés en imprimés dans les milieux culturels aristocratiques de l’Europe centrale avant la naissance de „Don Quichotte“ de Cervantes; pour des raisons pratiques nous avons laissé de côté la réception du chef d’oeuvre de Cervantes par le public. Ce sujet était bien traité dans le catalogue de l’exposition El Caballero de la Triste Figura en las tierras de Bohemia (Le Chevalier de la Triste Figure dans les Pays tchèques) présentée dans la Bibliothèque nationale de Prague, il y a six ans (à l’occasion de 400e anniversaire de l’édition de la première partie de „Don Quichote“ de Cervantes).2

L’espace centre‑européen, nous le comprenons non seulement comme territoire des anciens pays de la Couronne tchèque, mais aussi comme espace culturel de la noblesse européenne d’origine étrangère dont les activités de vie sont liées d’une façon ou d’une autre avec les destins des Pays tchèques, de la noblesse qui s’est devenue centre‑européenne par la circulation et conservation des collections livresques, dans cet territoire, source importante de contacts culturels entre l’Europe et les Pays tchèques.

La production littéraire espagnole de romans de chevalerie, importée à l’espace de l’Europe centrale en originaux comme en textes traduits, a été conçue par lecteurs comme une lecture récréative historique, „agréable amusement des honnêtes paresseux“.3 Sans doute, les lecteurs

vol. 16, 2010, El dominio del caballero: nuevas lecturas del género caballeresco áureo (Homenaje a Francisco López Estrada), ed. by Ana Carmen Bueno Serrano & Antonio Cortijo Ocaña, accessible de: http://www.ehumanista.ucsb.edu/. Cf. aussi CAZAURAN, Nicole, Amadis de Gaule en 1540: un nouveau ‘roman de chevalerie’, in: „Les Amadis en France au XVIe siècle au temps de la Renaissance“, M.T. Jones‑Davies (dir.), Paris, J. Touzot, 1987, pp. 29‑48.

2 Voir KAŠPAROVÁ, Jaroslava, ŠTĚPÁNEK, Pavel, Rytíř smutné postavy v Čechách (El Caballero de la Triste Figura en las tierras de Bohemia), Prague, Národní knihovna, 2005 et voir aussi KAŠPAROVÁ, Jaroslava, Rabelais, Cervantes et la Bohême. A propos de la réception de leur oeuvre par les lecteurs tchèques du XVIe au début du XXe siècle, in: „L'EST‑OUEST. Transferts et réceptions dans le monde du livre en Europe (XVIIe‑XXe siècles)“, édité par Frédéric Barbier, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2005, pp. 221‑233.

3 A la citation cf. MONTORSI, Francesco, «Un fatras de livres a quoy l’enfance s’amuse». Lectures de jeunesse et romans de chevalerie au XVIe siècle, in: „Camenulae“, n°4, février 2010, accessible de: comp. <http//www.paris‑sorbonne.fr/IMG/pdf/Montorsi.pdf> (extrait de HUET, Daniel, Traité de l’origine des romans, Paris, Barbin, 1670‑1671). Ce n’est pas sans raison que les auteurs et libraires utilisent dans les titres des récits les

Page 33: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 17

entre‑européens, eux aussi, furent passionnés par ce nouveau genre littéraire „con aparencia de ‘historia’… que narra las aventuras de personajes y no de héroes verdaderos“.4

Il paraît que dans les milieux intélectuels tchèques, le goût du public très vif pour les récits de chevalerie de la Renaissance fut venu avec un certain retard; mais leur diffusion était plus lente et plus longue. Le boom bibliophile ne correspond trop avec le zénith de la vogue européenne entre les années trente et quatre‑vingt dix du XVIe siècle. De l’autre côté, la popularité était plus durable. Aussi le passage à la réception des changements de genre en reéditions adaptées qui commençaient à s’imposer plus sensiblement à partir de la seconde moité du XVIIe siècle fut‑il évidement moins saisissable et plus continu. Cela nous amène à nous poser les questions suivantes: Dans quelles sociétés et quels milieux la réception s’est‑elle passée et pourquoi? Qui sont ceux qui lisaent les récits de chevalerie, quels ont été leurs pratiques de lire? Et l’âge et le sexe des lecteurs ont‑t‑il joué un rôle? Quels étaient les titres les plus recherchés par lecteurs? Et en quelle langue?

Lecteurs et lectrices des romans de chevalerie espagnole

L’appropriation des textes fut plus vite et imposante auprès du public aristocratique ou intélectuel qui avait des connaissances en langues étrangères. Les publics espagnol, français ou italien pratiquèrent la lecture en langue vernaculaire – soit silencieuse, soit celle à haute voix, orale ou oralisée. En Espagne, France et Italie le succès du genre se manifesta dans toutes les couches sociales, auprès des lettrés ainsi qu’ignorants, lecteurs ainsi qu’auditeurs. En Europe centrale, au contraire, la diffusion d’ouvrages de chevalerie fut limitée aux lettrés ou peu alphabétisés capables lire ou écouter les textes traduits en langue étrangère, vue l’inexistence des versions du genre de chevalerie espagnol en tchèque. On suppose que dans l’espace centre‑européen les récits de chevalerie furent généralement recherchés, lus ou écoutés, éventuellement mémorisés. Au XVIe et au début du XVIIe siècles, c’étaient surtout les sujets du Moyen Age, parfois d’origine française, traduits en tchèque de l’allemand,5 qui furent consumés expressions comme „entretenimiento“, „historia entretenida“, „relación muy graciosa“ , en français „histoire plaisante“, „histoire récréative“ etc.

4 Cf. LUCÍA MEGÍAS, José Manuel, Amadís de Gaula: un héroe para el siglo XXI, op. cit., p. 110.

5 Historie o krásné kněžně Mageloně a udatném rytíři Petrovi [Histoire de Pierre de Provence et de la belle Magelonne] fut publiée en tchèque en première édition en 1565 (cf. KNIHOPIS, 3021), reéditions à la fin du XVIIIe siècle. Kronika kratochvilná o ctné

Page 34: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

18 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

(„La Mélusine, Histoire de Pierre de Provence et de la belle Magelonne“ etc.). Au XVIIIe siècle, quand les récits de chevalerie européens vinrent de nouveau à la mode, les versions tchèques du XVIe siècle furent rééditées (activité éditoriale de la „Expédition tchèque“, librairie de Václav Matěj Kramerius). La première traduction tchèque des romans de chevalerie espagnole ne fut publiée qu’à la moitié du XIXe siècle. En février de 1853, la revue Lumír apporta quelques passages du roman d’Amadís de Gaula en traduction tchèque due à Josef Bojislav Pichl (1813‑1888), hispaniste et connaisseur de la litérature espagnole – Kterak Amadis byl velice vážen v domě krále Lituarta a jak zprávu dostal o svém bratru Galaoru (Comment Amadís fut respecté à la maison du rois Lisuarte et comment il reçut une nouvelle sur son frère Galaor).6 Pichl fut bien occupé par sa traduction de Cervantes – en 1838 il publia sa version de Novelas ejemplares de Cervantes (Příkladné novely), les extraits de la première partie du roman „Don Quichotte“ furent parus dans la revue Květy en 1840 et dans les années de 1864‑1866 toute la version tchèque du roman fut parue. Il est donc bien probable que pour la réalisation de la traduction complète du célèbre Amadís de Gaula lui manqua la force créatrice.7

Comme il résulte des faits cités plus haut, en Europe centrale de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, la réception et la popularité suivante des ouvrages littéraires en originaux ainsi qu’en traductions et adaptations allemandes, italiennes ou françaises, furent limitées aux milieux sociaux aristocratiques et ceux urbains, exceptionnellement ecclésiastiques.8 Pour se faire une idée concrète de la réception des récits de chevalerie espagnols auprès du public centre‑européen, il faut bien étudier toute la documentation a šlechetné panně Meluzině [La Mélusine] – première édition en 1555 (cf. KNIHOPIS, 3516) et les rééditions en XVIIe et XVIIIe siècles.

6 Extraits de Pichl d’Amadís de Gaula – accessible de: <http://leccos.com/index.php/clanky/amadis‑walesky>.

7 Le public tchèque d’aujourd’hui n’a à sa disposition qu’une traduction tchèque d’Amadís de Gaula (seulement les premiers trois livres) – c’est une traduction de Luděk Kult de 1974 – cf. KULT, Luděk, Příběhy chrabrého rytíře Amadise Waleského. Kniha první až třetí, jak je zpracoval Amadís Ordóñez de Montalvo [Histoires du chevalier vaillant d’Amadis de Gaule. Les livres premier‑quatre, adaptés par Ordóñez de Montalvo]. Ze špaň. orig. Amadís de Gaula přel., předml. ‘Rytířský román a Amadis Waleský’ a pozn. napsal Luděk Kult. Praha, Odeon, 1974 (Živá díla minulosti, vol. 72).

8 Pour donner une preuve testimoniale, on peut mentionner un exemplaire du second livre de Palmerín de Oliva – Primaléon d’édition vénitienne due à Michele Tramezzino de 1548, conservé en reliure d’époque de la Renaisance avec exlibris manuscrit des Jésuites de Clémentinum ou les exemplaires d’Amadís de Gaula des XVIe et XVIIe siècles imprimés en français ou italien qui se conservèrent dans la Bibliothèque Archiépiscopale de Kroměříž et dans la bibliothèque des Prémontrés de Strahov de Prague.

Page 35: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 19

qui est à notre disposition: collections de livres, soit dispersées, soit conservées jusqu’à nos jours, catalogues des bibliothèques, inventaires après‑décès, mémoires, de la correspondance etc. Il en résulte que les romans de ce genre se conservèrent dans toutes les sortes de bibliothèques, quoique dans celles ecclésiastiques et bourgeoises rarement. Mais il est bien évident que le plus grand nombre d’admirateurs et consommateurs des lectures de chevalerie était formé par ceux d’origine de couches de la haute et moyenne noblesse. A cet égard, le goût de l’aristocratie tchèque du XVIe et XVIIe siècles ne différa en aucune façon des intérêts de la noblesse européenne. J’aimerais orienter votre attention au moins vers quelqu’unes de collections nobiliaires de prestige, conservées en espace des Pays tchèques. Voilà leur petite caractéristique que je vais vous donner ici.

Par coïncidence heureuse, au château Kunín situé au nord de la Moravie, les restes de la bibliothèque des contes Hohenembs, originaires de la région de Vorarlberg de l’Autriche occidentale, se sont conservés.9 La présence des récits de chevalerie dans la collection bien correspond aux intérêts et goûts de lecture de leur propriétaire Jakob Hanibal I. conte de Hohenembs (1530‑1587), guerrier ambitieux de l’armée de l’empereur Charles V. et du roi Philippe II. Jakob Hanibal préfera des acquisitions néo‑latines et il est fort probable qu’il les acquit pendant ses séjours en Espagne ou en Italie. Sa collection regroupe de nombreux imprimés de Venise de la première moitié du XVIe siècle parmi lesquels il y a aussi deux romans du cycle d’Amadís de Gaula, traduits par Mambrino Roseo da Fabriano et édités par Tramezzino, et sept romans du cycle Palmerín de Oliva, aussi en version italienne.10

Les histoires de chevalerie figurèrent aussi dans les collections des Hoffman von Grünbüchel und Strechau, famille protestante d’origine de bourgeoisie styrienne anoblie.11 Les fondateurs de la bibliothèque de

9 Pendant la vie de Jacob III. von Hohenembs (1653‑1730), les collections des livres furent transportées de la résidence familiale dans une ville Embs dans les Pays tchèques. Jacob fit l’achat des terres seigneuriales Bystrá près de Polička dans les monts de Bohême‑Moravie. Plus tard, la bibliothèque de famille fut transférée au château de Kunín en Moravie du Nord. Sur la bibliothèque des Hohenembs cf. LIFKA, Bohumír, Knižní dědictví Hohenembsů z Kunvaldu, [Héritage de livres de la famille Hohenembs de Kunvald], in: „Strahovská knihovna. Sborník památníku národního písemnictví“, 4, 1979, pp. 152‑185.

10 Cf. LIFKA, B., op. cit., p. 160.11 La famille Hoffman exista en Styrie depuis le XVe siècle. Au début du XVIe siècle,

les membres de la famille exercèrent les fonctions importantes à la cour, augmentèrent les biens familiales. En 1527 la famille fut anoblie (anoblissement confirmé par l’empereur en 1532).

Page 36: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

20 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

famille furent Fridrich Hoffman von Grünbüchel (m. devant 1533) et son fils Hans Hoffman (1492‑1564), grand homme politique en Styrie et en Autriche qui jouissait de la faveur personnelle de l’empereur Ferdinand I. Néamoins, c’était notamment Ferdinand Hoffman (1540‑1607), fils de Hans, un des plus grands bibliophiles et mécènes culturels d’époque, qui rassembla une riche bibliothèque caractérisée par une forte présence des oeuvres en italien, français et espagnol parmi lesquels se brillent les romans de chevalerie espagnols publiés en italien. Ferdinand dirigea ses ambitions politiques vers Prague et vers la Moravie: en 1581 il fut reconnu par la noblesse morave, en 1588 il acheta le château de Grabstein au nord de la Bohême et le château de Janovice près de Rýmařov en Moravie. Ayant reçu une bonne connaissance de langues étrangères (le tchèque inclus)12 et une bonne formation universitaire, il fut au service de Rodolphe II et exerça des fonctions importantes à la cour. Avant 1656, sa bibliothèque plurilingue placée au château de Janovice, dans ses maisons de Brno et d’Olomouc compta plus de 4000 volumes de manuscrits et livres de tous les genres littéraires et disciplines scientifiques. Après s’éteindre en ligne masculine en 1664, la famille laissa faire le transport de la bibliothèque à Mikulov, château des Dietrichstein, seigneurs auxquels passèrent les biens des Hoffman. Leurs collections ne furent pas conservées qu’en partie (avant leur transport à Mikulov, les Jésuites de Brno et ceux d’Olomouc confisquèrent une quantité de livres, surtout ceux suspects et prohibés; plus tard, dans les années de 1933‑1934, c’étaient les Dietrichstein mêmes qui vendèrent de nombreux manuscrits et imprimés aux enchères à Luzern de Suisse).13 Le nombre de livres et la composition thématique des collections des Hoffman sont connus grâce aux catalogues d’époque conservés.

12 Dans les années 1547‑1550, il fut élévé au château de Český Krumlov, ensemble avec Petr Vok et Vilém seigneurs de Rožmberk – la maison Hoffman et celle Rožmberk furent apparentées par celle Roggendorf). Ses études furent couronnées par la Grande Tour en Italie et son séjour à l’université de Padoue.

13 Pour la bibliothèque de Hoffman cf. p. ex. MAŠEK, Petr, WIENDLOVÁ, Zdena, Soupis knih z knihovny Ferdinanda Hoffmana z Grünpichu ve fondu zámecké knihovny Mikulov, [Le catalogue des livres de Ferdinand Hoffman de Grünpich conservés au fonds de la bibliothèque du château de Mikulov], in: „Sborník Národního muzea“, řada C, 39‑40, 1994‑1995 [ed. 1997], nr. 1‑4, pp. 78‑110; GLONEK, Jiří, KRUŠINSKÝ, Rostislav, Jazyk a řeč knižních vazeb z hlediska majitele. Sbírka Ferdinanda Hoffmana z Grünpühelu ve Vědecké knihovně v Olomouci, [La langue et la parole de reliures de livres du point de vue de leur propriétaire. La collection de Ferdinand Hoffman de Grünpühel conservée dans la Bibliothèque Scientifique d’Olomouc], in: ,“K výzkumu zámeckých, měšťanských a církevních knihoven“ [Pour une étude des bibliothèques aristocratiques, bourgeoises et conventuelles], Jazyk a řeč knihy, České Budějovice, Jihočeská univerzita v Českých Budějovicích, 2009, pp. 481‑500.

Page 37: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 21

Dans la bibliothèque, il y a une considérable quantité des oeuvres de la littérature récréative et les romans de chevalerie espagnols en traductions italiennes de Mambrino Roseo publiées par Michele Tramezzino à Venice n’y manquèrent pas. I quattro libri di Amadis de Gaula et aussi d’autres continuations d’Amadís de Gaula, trois livres de Palmerín de Oliva, la continuation italienne du troisième livre de Flortir de 1554, une première édition de la traduction de Mambrino Roseo de Florambel de Lucea de 1554, une édition de Venise de „Chevalier du sol“ de 1557 et un second livre de la continuation italienne du roman El caballero de la cruz due à Pietro Lauro en édition vénétienne de 1560 représentent les plus anciennes acquisitions. Dans la bibliothèque, il y avaient aussi deux versions du récit de „Tristan et Isolde“ – celle allemande de la fin du XVe siècle et celle italienne de la mi‑XVIe siècle. Malheureusement, aucun des romans cités ne se conserva à nos jours.

La présence de la littérature de chevalerie fut attestée aussi dans le fonds de la première bibliothèque familiale des Dietrichstein de Mikulov, collection renommée dont l’origine remonte à l’époque de la Renaissance. Son histoire est bien connue. Les collections, fondées par le humaniste Adam de Dietrichstein (1527‑1590), bibliophile passionné, enrichies par les acquisitions de ses fils Maxmilien Ier (1561‑1611), Sigismond (†1602) et notamment François, cardinal de Dietrichstein (1570‑1636) comprennent en 1645 environ de 10 000 volumes de livres.14 On sait que le cardinal enrichit

14 A propos de la bibliothèque des Dietrichstein cf. VESELÁ, Lenka, Knihovna Františka z Ditrichštejna v dobovém kontextu, [La bibliothèque de François de Dietrichstein dans le contexte de l’époque], in: „Kardinál František z Ditrichštejna a jeho doba. XXIX. mikulovské sympozium, 11.‑12. října 2006“, Brno, Moravské zemské muzeum 2007, pp. 233–235; PETR, Stanislav, Rodové knihovny Ditrichštejnů v Mikulově, jejich osudy a nálezy ditrichštejnských rukopisů v Národní knihovně v Praze [Les bibliothèques de famille de Dietrichstein, leur destin et les manuscrits de Dietrichstein trouvés dans la Bibliothèque nationale de Prague], in: „Kardinál František z Ditrichštejna a jeho doba. XXIX. mikulovské sympozium, 11.‑12. října 2006“, Brno, Moravské zemské muzeum, 2007, pp. 239‑258. Cf. aussi MĚSÍC, Cyril, Knihovny kardinála Františka z Dietrichsteina [Les bibliothèques du cardinal de François de Dietrichstein], in: „Kardinál František z Dietrichsteina (1570‑1636). Prelát a politik neklidného věku“, Olomouc, Muzeum umění, 2008, pp. 52‑55 etc. Voire aussi KAŠPAROVÁ, Jaroslava, Acerca de dos impresos españoles procedentes de la Biblioteca de Ditrichstein, in: „Iberoamericana Pragensia“ 23, 1989, Praga, Universidad Carolina, 1991, pp. 177‑182 et KAŠPAROVÁ, Jaroslava, Hispanika ve šlechtických knihovnách konce 16. a první poloviny 17. století. K možnostem virtuální rekonstrukce neexistujících či rozptýlených knižních sbírek na základě dochovaných knihovních katalogů a inventářů [Hispanica dans les collections aristocratiques de la fin du XVIe siècle à la première moitié du XVIIe siècle. Pour les possibilités de la reconstruction virtuelle des collections inexistantes ou dispersées sur la

Page 38: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

22 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

la bibliothèque de famille non seulement par ses achats profitables, mais aussi par les biens confisqués de la noblesse opposée au pouvoir impérial.15 Vu son destin triste à la fin de la Guerre de Trente Ans, il est aujourd’hui très difficile de caractériser son contenu aussi bien que toutes les provenances de livres. Les catalogues conservés (celui de Dingenauer de 161416 et celui de la Bibliothèque Royale de Stockholm17 dressé en 1645 avant le transport des livres par le commissaire de guerre suédois Johan Bussow) notent quelques titres de romans de chevalerie espagnoles en original et aussi en traductions au français et italien. Les catalogues notent quelques titres de romans de chevalerie espagnoles en original (en format folio p. ex.: Amadís de Grecia en édition de Lisbonne de 159618, Libro del inuencible

base des catalogues et inventaires conservés], in: Problematika historických a vzácných knižních fondů. Sborník z 18. odborné konference Olomouc, 14.‑15. října 2009 (ed. Rostislav Krušinský), Olomouc, Vědecká knihovna v Olomouci – Sdružení knihoven České republiky, 2010, pp. 129‑144.

15 Son oncle János Ágoston Dudith (1550‑1552), évêque, fut tué dans la bataille avec les Turcs. A propos d’András Dudith (1533‑1589), et sa bibliothèque cf. FALUDI, Jean, André Dudith et les humanistes français, „Etudes françaises, Institut français de l'Université de Szeged“, Szeged, 1927, 1, 65 p., ou bien COSTIL, Pierre, André Dudith humaniste hongrois 1533‑1589. Sa vie, son oeuvre et ses manuscrits grecs, Paris, Société D'édition “Les Belles Lettres”, 1935. La bibliothèque de Dudith fut vendue par la veuve en 1609 ou 1610 et dispersée dans les nombreuses collections européennes (cf. MONOK, Istvan, JANKOVICS, Jozsef, Dudith Andras Konyvtar: Reszleges Rekonstrukcio, Szeged, Scriptum Kft, 1993). D’après le catalogue reconstruit il reste 340 titres des livres existés jusqu’à nos jours, dont lesquels 110 oeuvres passèrent par la bibliothèque de Dietrichstein de Mikulov. La littérature récréative et divertissante n’était pas typique pour le bibliophile Dudith (les romans de chevalerie ne furent pas enregistrés).

16 DINGENAUER, 1614. Georg Dingenauer, jésuite (mort en 1631), fut confesseur du cardinal, préfet du collège jésuite d’Olomouc. A propos du catalogue de Dingenauer cf. aussi TRANTÍREK, Miloslav, Dějiny mikulovské zámecké knihovny [L’histoire de la bibliothèque du château de Mikulov], Část I, Mikulov, Vlastivědné muzeum a Okresní archiv v Mikulově, 1963, pp. 10‑11 et VESELÁ, Lenka, Knihovna Františka z Ditrichštejna v dobovém kontextu, [La bibliothèque de François de Dietrichstein dans le contexte de l’époque], op. cit., pp. 233‑235.

17 Cf. BUSSOW, 1645. Voir aussi ZAORAL, Prokop, Stockholmský inventář mikulovské knihovny z r. 1646 [L’inventaire de Stockholm de la bibliothèque du château de Mikulov daté de 1646], „Studie o rukopisech“, 10, 1971, pp. 237‑256 (analysant des problèmes, l’auteur consacre son attention notamment à la liste des manuscrits). Cf. aussi VESELÁ, Lenka, Knihovna Františka z Ditrichštejna v dobovém kontextu, op. cit., p. 235. Le catalogue de Bussow est à la disposition d’après les photocopies déposées dans la Bibliothèque de l’Académie des sciences à Prague.

18 DINGENAUER, 1614: 192. BUSSOW, 1645: 234 – Amadie de grecia (Lisboa 1596, 2°).

Page 39: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 23

cauallero Lepolemo (La cronica del invencible Cauallero Lepolemo) écrite par Alonso de Salazar19 et aussi en traductions au français et italien.20 Parmi les traductions excellent une édition vénitienne de Primaléon21, le premier livre d’Amadís de Gaula en version française de 1544 („Le premier liure de Amadis de Gaule“)22 avec sa continuation „Le sixiesme liure d’Amadis de Gaule“ de 156023 et Palmerín de Oliva parue à Vénice en 1526.24 Les Dietrichstein possédèrent aussi une version espagnole du célèbre poème en vers d’Olivier de La Marche „Le chevalier determiné“ (El cauallero de terminado) traduit par Hernando de Acuña – en deux éditions; l’une de Salamanca de 157325, l’autre richement illustrée publiée en Anvers en 1555.26 L’inventaire de 1645 enregistre aussi une édition espagnole du roman La Cryselia de Lidacelli publiée en 1609 à Paris.27

La littérature de fiction, romans de chevalerie inclus, forme un groupe important et nombreux dans la collection baroque des Eggenberg, famille d’origine styrienne dont les membres unirent leur destin avec l’histoire des pays de la Couronne tchèque. Leur bibliothèque se conserva en partie au château de Český Krumlov. Le fondateur des collections familiales fut Hans Ulrich von Eggenberg (1568‑1634), duc de Český Krumlov, riche politique et diplomate, grand admirateur et collectionneur des récits de chevalerie en espagnol et en italien.28 Eggenberg posséda une des plus riches collections

19 BUSSOW, 1645: 273 – La coronica del inuencible Cauallero Lepolemo (S. l., 1517 [sic! =1577?], 2°). Le date d’édition 1517 est évidemment erroné (l’oeuvre fut publiéé pour la première fois en 1521).

20 DINGENAUER, 1614: 185 – enregistre une version italienne du roman – Historia del Valerosissimo Caualier della Croce.

21 BUSSOW, 1645: 229 – Primaleon los tres libros del muij esforcado cauallero primaleon (Venetia, 2°). Cf. DINGENAUER, 1614: 192 – Historia del famoso Cauallero Palmerin.

22 BUSSOW, 1645: 275 – Le premier livre de Amadis de Gaule ([Paris] 1544, 2°).23 BUSSOW, 1645: 287 – Le sixiesme livre d’Amadis de Gaule (Paris 1560, 8°).24 DINGENAUER, 1614: 192 – Historia del famoso Cauallero Palmerín. BUSSOW,

1645: 237 – Primaleon de Oliva et sus grandes fechos nueuamente emprimido (Venetia 1526, 2°).

25 BUSSOW, 1645: 116 – Elcauallero de terminado [sic!] (En Salamanca 157[3], 4°).

26 BUSSOW, 1645: 117 – El cauallero de terminando del Lengus [sic!] Francesa (En Enuers 1555, 4°). Cette édition est déjà enregistrée par l’invetaire de 1614 – cf. DINGENAUER, 1614: 185.

27 BUSSOW, 1645: 270 – La Cryselia de Lidacelli famosa Verdadera historia de uarios acontestimientes de amor yarmas (Paris 1609 8°).

28 Cf. KAŠPAROVÁ, Jaroslava, Die Hispanika in der eggenbergischen Büchersammlung der Schlossbibliothek in Český Krumlov, in: „Sammeln, Lesen,

Page 40: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

24 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

aristocratiques de la littérature de chevalerie en langues romanes en Europe centrale, soit en original, soit en traductions et continuations italiennes. C’est attesté non seulement par les livres conservés jusqu’au présent, mais aussi par les titres des ouvrages inscrits dans l’inventaire après‑décès fait en 1649 après la mort de Johann Anton von Eggenberg, fils de Hans Ulrich. L’ensemble de littérature de chevalerie fut à la disposition non seulement au duc de Český Krumlov, lecteur passionné, mais probablement aussi à sa famille (femme Sidonie‑Marie, fils Johann Anton et trois filles). Dans la collection, nous pouvons trouver surtout les récits de chevalerie du cycle Amadís de Gaula et Palmerín de Oliva. Dans la bibliothèque d’Eggenberg, les romans Amadís de Gaula furent preséntés en versions italiennes et aussi en originaux espagnols (malgré que beaucoup de titres ne furent pas conservés jusqu’à nos jours).29 Dans la collection se trouvent notamment les romans de Feliciano de Silva en versions italiennes de Mambrino Roseo: Lisuarte de Grecia (probablement en une édition d’octavo de la moitié du XVIe siècle),30 Amadís de Grecia en édition de 1615,31 Florisel de Niquea publié par Giorgio Valentini32 et sa continuation Aggiunta de 161933 et Rogel de Grecia (Valentini 1619).34 La version italienne du premier roman de Palmerín de Oliva est conservée en édition de Venise de 1575

Übersetzen als höfische Praxis der frühen Neuzeit. Die böhmische Bibliothek der Fürsten Eggenberg im Kontext der Fürsten‑ und Fürstinnenbibliotheken der Zeit“ (Wolfenbütteler Forschungen, Bd.126), ed. Jill Bepler und Helga Meise,Wiesbaden, Harrassowitz, 2010, pp. 117‑143 et PELÁN, Jiří, Italienische Bücher aus den Sammlungen der Fürsten Eggenberg, in: „Sammeln, Lesen, Übersetzen als höfische Praxis der Frühen Neuzeit: Die böhmische Bibliothek der Fürsten Eggenberg im Kontext der Fürsten‑ und Fürstinnenbibliotheken der Zeit“, (Wolfenbütteler Forschungen, Bd.126), ed. Jill Bepler und Helga Meise, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2010, pp. 145‑154. Voir aussi RADIMSKÁ, Jitka et al. Ve znamení havranů. Knižní sbírka rodiny Eggenbergů na zámku v Českém Krumlově [Pour le signe des corbeaux. Les destins de la collection de livres de famille Eggenberg], České Budějovice‑Pelhřimov, Jihočeská univerzita v Českých Budějovicích, 2011.

29 INVENTARIUM, 1649: 82, 84, 87, 88 et 90 comprend les notices des livres du cycle d’Amadís de Gaula assez difficilement identifiable soit par le titre, soit par la langue.

30 INVENTARIUM, 1649: 82 et 88.31 Voir KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr.

148, cote 30 C 6427, Eggenberg cote C 5 95.32 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 424, cote

30 F 6487, Eggenberg cote C 1 67.33 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2001: nr. 423, cote

30 F 6487, Eggenberg cote C 1 67.34 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 740, cote

28 D 5971, Eggenberg cote C 5 95.

Page 41: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 25

avec l’exlibris manuscrit de Hans Ulrich d’Eggenberg daté de 1587.35 Les Eggenberg lisaient en italien aussi le deuxième et le quatrième roman du cycle – Primaleón36 et Palmerín de Inglaterra37 (exemplaire signé par Hans Ulrich). Il Cavallier Flortir édité en 1573 fut acheté par Hans Ulrich en 1589; dans le livre, nous pouvons lire une de ses devises préférées typique pour les années 80. et 90 du XVIe siècle – „Ricordanza Amor con tua licenza“.38 Les Eggenberg possedèrent aussi la troisième partie de la version italienne du roman de chevalerie de Martorell Tirante il Blanco39, les petits récits comme p. ex. Roberto El Diablo40, Historia de Enrique fi de Oliva41, livre publié en Séville en 1524, La Cronica de los nobles caualleros Tablante de Ricamonte y Jofre, récit de la tradition française du cycle arthurien42, ou version italienne du roman „Histoire d’Olivier de Castille et Artus d’Algarbe“ (Historia dei valorosi cavalieri Olivieri di Castiglia et Artus di Dalgarve) laquelle Hans Ulrich acquit 16 ans après son apparition (elle fut publiée en 1612 à Vénise).43 Dans la collection d’Eggenberg, il y avaient aussi une version italienne du roman El caballero de la cruz de Pietro Lauro (en original espagnol publié pour la première fois en 1521)44, un récit sur Olivante de Laura d’Antonio de Torquemada (1507‑1569), probablement en editio princeps de 1564 (Historia del invencible cavallero Don Olivante de Laura)45, un exemplaire de la traduction italienne d’Orazio Rinaldi du roman Belianís de Grecia de Jerónimo Fernández46 et aussi une édition

35 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 676, cote 25 D 5293, Eggenberg cote C 1 83.

36 Cf KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 677, cote 30 F 6495, Eggenberg cote C 1 72.

37 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 678, cote 30 F 6495, Eggenberg cote C 1 70.

38 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 425, cote 29 F 6231, Eggenberg cote C 1 68.

39 INVENTARIUM, 1649: 88 et KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 599, cote 30 F 6488, Eggenberg cote C 1 71. En catalán Tirant lo Blanch – pour la première fois en 1490 en Valence. Parfois, l’oeuvre est prise pour le premier roman moderne mondial.

40 INVENTARIUM, 1649: 71.41 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ŠPANĚLSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 48 (il

s’agit de la troisième édition, assez rare). 42 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ŠPANĚLSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 27.43 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 270, cote

30 B 6381, Eggenberg cote C 1 85.44 INVENTARIUM, 1649: 83 – Historia del cavallier della croce.45 INVENTARIUM, 1649: 54.46 INVENTARIUM, 1649: 66.

Page 42: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

26 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

vénitienne de 1557 de la version italienne de Pietro Lauro du roman Il Cavallier del Sole47 écrit par Pedro Hernández de Villalumbrales. Le roman de Jerónimo de Sanpedro Cavallería celestial del pie de la Rosa Fragante, en traduction d’Alfons de Ulloa éditée à Venise de 160748, plus tard figuré à l’index des livres prohibés, ne figure qu’à l’inventaire d’Eggenberg, hélas. Parmi les livres conservés jusqu’à nos jours, nous pouvons citer la deuxième édition de Cristalián de España (Alcalá de Henares 1586) en exemplaire bien usé49, l’édition de Venise de 1609 de Florambel de Lucea, récit écrit par Francisco Enciso de Zárate et traduit par Mambrino de Roseo (Hans Ulrich l’acquit en 1628).50 Hans Ulrich posséda aussi le dernier roman de chevalerie espagnol Historia del principe don Policisne de Boecia (Valladolid 1602), ou l’épopée „El Chevalier determiné“ (Cavallero determinado) d’Olivier de La Marche.51 Pour la caractéristique la plus détaillée, je renvoie à la littérature portée sur le fonds hispanique de la collection, déjà publiée et à la monographie collective complétée par le catalogue de livres de la bibliothèque d’Eggenberg Ve znamení havranů. Osudy knižní sbírky rodiny Eggenbergů („Pour le signe des corbeaux. Les destins de la collection de livres de famille Eggenberg“).52

Les récits de chevalerie jouissent d’une grande vogue exceptionnellement durable. La collection baroque de la famille des Nostitz (aujourd’hui placé au Palais Nostitz à Prague) est en bon example. Son noyau fut constitué par la bibliothèque personnelle d’Otto Nostitz de Seifersdorf et Heidersdorf, homme politique au service de Ferdinand II (1608‑1665), chancelier de la magistrature de Silésie, plénipotentiaire de la principalité de Svídnice et Javory en Silésie et grand collectionneur. Son inventaire „post mortem“,

47 INVENTARIUM, 1649: 90.48 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 756, cote

22 C 4675, Eggenberg cote C 3 14.49 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ŠPANĚLSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 8.50 KAŠPAROVÁ, SOUPIS JAZYKOVĚ ITALSKÝCH TISKŮ, 2011: nr. 426, cote

24 B 5083, Eggenberg cote C 1 80.51 INVENTARIUM, 1649: 75.52 La monographie publiée en édition „BIBLIOTHECA VIVA“, nr. II comprend

une étude sur l’histoire de la collection de livres, une caractéristique des intérêts de lecture des membres de la famille d’Eggenberg et le catalogue des livres conservés comme ceux perdus (imprimés en espagnol, en italien, en allemand et en latin). Cf. le premier volume de cette édition: RADIMSKÁ, Jitka, Knihovna šlechtičny. Francouzské knihy Marie Ernestiny z Eggenbergu na zámku v Českém Krumlově [La bibliothèque d’une aristocrate. Les livres en français de Marie Ernestine d’Eggenberg au château de Český Krumlov], České Budějovice: Jihočeská univerzita České Budějovice‑Nová tiskárna Pelhřimov, 2007.

Page 43: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 27

conservé à nos jours53, montre que la bibliothèque d’Otto située du château de Javory en Silésie regroupa environ 5000 volumes de livres parmi lesquels figurèrent aussi quelques titres de la littérature de chevalerie, dans la plupart en versions italiennes et françaises. Ce sont p. ex. quelques romans de la série d’Amadís de Gaula, ceux du cycle Palmerín de Oliva, version italienne du roman de Beatrice Bernal Don Cristalián de España (La famosa et degna historia de gli inuitti caualieri don Cristaliano di Spagna).54

Parmi d’autres consommateurs des lectures de chevalerie appartinrent aussi les familles Martinitz, Kinský ou Lobkowicz. Bernard Ignác de Martinitz (1603‑1685), homme politique important de foi catholique, grand bibliophile et mécène, posséda une édition italienne d’Amadís de Gaula de 1589 (I quattro libri di Amadis di Gaula), donnée plus tard à la bibliothèque du couvent des Théatins de Prague). Il paraît que les principes de Kinský55 lisèrent Amadís de Gaula notamment en français (cette hypothèse est confirmée p. ex. par une édition parisienne de 1577 de Jean Poupy, aujourd’hui conservée dans la Bibliothèque Nationale de Prague).56 Dans la bibliothèque des Lobkowicz de Roudnice, une des plus grandes collections aristocratiques en Europe, survivée jusqu’à nos jours, se conservèrent des éditions du XVIe siècle acquises assez tard – entre la fin du XVIIe et le XVIIIe siècles. Elles sont représentées par romans de série d’Amadís de Gaula – traduits en italien (le cinquième, le septième et le neuvième livre, tous publiés à Venice par Tramezzino), en français („Le dixième et onzième livre d’Amadis en édition lyonnaise de 1577“) et en allemand (éditions de Francfort) et aussi un exemplaire d’édition italienne de Tramezzino de Palmerín de Inglaterra, le quatrième roman du Palmerín de Oliva. La bibliothèque des Lobkowicz de la branche de Hořín‑Mělník, dite Bibliothèque Lobkowicz de Prague, fondée à la fin du XVIIIe siècle, abrite le cinquième livre d’Amadís de Gaula en traduction d’Herberay des Essarts publié à Paris en 1548 („Le Cinquiesme livre d’Amadis de Gaule“)57, aussi une acquisition postérieure.

53 Inventarium der freiherrlichen Nostitzischen Verlassenschaft, manuscrit des années 1667‑1668. Nostická majorátní knihovna, cote Ms 21.

54 Nostická majorátní knihovna, cote dg 583.55 C’étaient les collections particulières de la famille Kinský lesquelles en 1777

le conte František Josef Kinský (1739‑1805), homme de science, général et directeur de l’Académie Militaire de Vienne, legua à la Bibliothèque publique et universitaire de Prague, soumise à l’autorité de l'État (sa bibliothèque personelle, celle de famille et celle de militaria).

56 Bibliothèque nationale de la République tchèque, cote B.XI. 43‑44.57 Bibliothèque nationale de la République tchèque, cote 65 E 8148. Le livre ne

passa aux collections de Lobkowicz qu’au XVIIIe siècle.

Page 44: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

28 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

Les histoires de chevalerie furent possédées aussi par les bourgeois anoblis, nouveaux riches de l’époque de la Guerre de Trente Ans, comme p. ex. par la famille Michna de Vacínov. Les collections familiales furent fondées probablement par le catholique zélé Pavel Michna (1572‑1632), politique et guerrier de l’armée impériale, mais ce n’était que son fils Václav Jan Michna58 qui eut le fort mérite de l’enrichissement des collections bien estimées dans leur époque.59 Nous pouvons peut faire une idée sur son contenu d’après leur inventaire „post mortem“ (dressé en 1667) qui apporte le catalogue de la bibliothèque familiale, autrefois située au Palais Michna de Prague; il enregistre plus de 1800 livres dont les livres en langues néolatines représentent environ 368 titres. L’inventaire comprend 30 titres des hispaniques, rélativement un grand nombre d’oeuvres en italien (109 unités) et étonnamment beaucoup de livres en langue française (229) – deux fois autant des ouvrages en italien. Sur les possibilités de la reconstruction de cette excellente bibliothèque baroque, aujourd’hui soit perdue soit dispersée au fonds de la Bibliothèque du Musée National, et sur la présence de la production imprimée en langues néo‑latines inscrite dans l’inventaire, j’en ai référé à la conférence internationale concernant l’histoire du livre qui fut tenue en Slovaquie à Oponice en automne de 2011 (Európske cesty románskych kníh v 16.‑18. storočí. V. ročník medzinárodnej konferencie k výskumom historických knižníc a romanistiky, Oponice, le 25‑27 octobre 2011).60

A propos des livres diffusés aux milieux urbains du XVIIe et XVIIIe siècles, nous avons de preuves que les romans du célèbre Amadís de Gaula avaient ses admirateurs même parmi les intélectuels urbains capables de les lire en allemand et aussi en français. Il existe deux exemples de notices inscrites dans les inventaires après‑décès d’époque: Jan Schmidt,

58 Cf. SVOBODOVÁ, Milada, „Weiter folgen alten pargamenene geschriebene Bücher“ Sbírka středověkých rukopisů v knihovně Václava Jana hraběte Michny z Vacínova (+ 1667) [„Weiter folgen alten pargamenene geschriebene Bücher“. La collection des manuscrits du Moyen‑Âge dans la bibliothèque de Wenceslas Jean conte de Michna de Vacínov], „Miscellanea oddělení rukopisů a starých tisků“, 21, 2011, Praha, Národní knihovna ČR, 2011, pp. 27‑31.

59 L’inventaire de Michna enregistre p. ex. une version espagnole d’épopée de chevalerie „Le Chevalier determiné“ ou une édition espagnole d’„Histoire d’Olivier de Castille“.

60 Cf. KAŠPAROVÁ, Jaroslava, Jazykově románské tisky v knihovně Václava Jana Michny z Vacínova (+ 1667), syna významného katolického šlechtice Pavla Michny z Vacínova [Les éditions néolatines dans la bibliothèque de Wenceslas Jean conte de Michna de Vacínov (+ 1667), fils de Paul Michna de Vacínov, aristocrate tchèque renommé] – sous la presse.

Page 45: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 29

magistrat de la Vieille Ville, posséda une version allemande, probablement en édition de Strasbourg de 1597 – „Šackammer Ammadis (in octavo)“ et Jan Jindřich Klein, conseiller et copiste de la même ville praguoise, était propriétaire d’une édition en français (Čtyry knihy v francauzské řeči Amadis intitulirované (in quarto).61 Dans ce contexte, nous pouvons citer aussi un exemplaire de la version française d’Amadís de Gaula de la fin du XVIe siècle qui avant ayant entré dans le fonds de la Bibliothèque nationale de Prague circula pendant presque quatre siècles dans les couches franco‑allemandes de l’Europe centrale plus basses. Il contient, outre un exlibris manuscrit et des notes de lecture de son propriétaire, certain „Petr Ernst Haydrich, probablement d’origine allemande, les vers français suivants –„Le Jeu La femme et le vin friant font l’homme pauvre en riant“.62

Lectrices

Pour la période analysée, dans les bibliothèques des femmes aristocrates et bourgeoises centre‑européennes, la présence des romans de chevalerie espagnols n’est pas attestée. Cela ne veut pas dire que le public féminin n’avait pas d’une conscience de leur existence et que les lectures féminines ne soient pas réalisées. Si les femmes bibliophiles n’avaient pas leurs exlibris personnels ou si les livres potentiaunellement lus par elles, ne contenaient aucunes notes de lecture, il est bien difficile identifier leurs possessions et leurs lectures. Nous supposons qu’il existe des raisons objectives pour l’expliquer: prolifération des genres de la littérature vernaculaire avec une part modeste de la littérature divertissante, codification des lectures féminines par les manuels didactiques consacrés à l’instruction des femmes et jeunes filles, ainsi que les barrières de langue ou analphabétisme notable du public féminin.63 Ce sont aussi des raisons pourquoi les discussions sur

61 La version complète de la traduction allemande en 24 volumes fut publiée dans les années 1561‑1594 au Francofort. L’édition de Strasbourg de 1597 parut sous le titre Schatzkamer schöner zeirlicher zusammen gezogen; il s’agit d’une traduction basée sur l’édition française d’Amadís de Gaula „Thrésor de tous les livres d’Amadis de Gaule“.

62 Bibliothèque nationale de la République tchèque, cote H 9139.63 Cf. une édition critique des manuels pour les femmes, catholiques comme

protestantes, existants dans la littérature tchèque dans l’époque moderne antérieure: RATAJOVÁ, Jana, ŠTORCHOVÁ, Lucie, edd., Nádoby mdlé, hlavy nemající? Diskursy panenství a vdovství v české literatuře raného novověku [Les vases faibles, têtes sans cervelle? Les discours de la virginité et du veuvage dans la littérature tchèque de l’Époque moderne antérieure], Praha, Scriptorium, 2008 et ici l’étude de STORCHOVÁ, Lucie, Gender a „přirozený řád v českojazyčných diskursech vdovství, panenství a světectví raného novověku [Le paritarisme et „l’ordre naturel“ dans les discours de la langue tchèque du veuvage, de la virginité et de la sainteté de l’Époque moderne antérieure], ibidem, pp.

Page 46: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

30 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

les interdictions de récits de chevalerie comme lecture nuisible pour la jeunesse et les femmes, connues des littératures espagnole ou française64, représentent un phénomène inconnu au contexte tchèque. En comparaison avec la situation en Espagne ou en France, dans l’espace des Pays tchèques, les manuels populaires consacrés à la formation des jeunes filles, publiés en tchèque, ne s’occupent point de la problématique de l’adéquation ou la nocivité des lectures des romans de chevalerie pour les femmes. Les manuels supposent que le répertoire des lectures de femmes de tous les âges et états ne comprennent que l’Écriture sainte, la littérature didactique de caractère religieux (sermonnaires, heures, manuels du bon comportement).

Les appropriations des romans de chevalerie par le public féminin ne se changea qu’au XVIIIe siècle, quand la noblesse francophone de l’Europe centrale prit goût aux „livrets bleus“ bien recherchés juste par les lectrices nobles.

Pratiques de lectures

Tout porte à croire qu’ à la fin du XVIe et du XVIIe siècle dans les milieux intélectuels c’étaient les pratiques des lectures individuelles, silencieuses qui dépassaient celles à haute voix, notamment en ce qui concerne la prose narrative avec quelques lignes d’action compliquées. Toute fois, pour cette hypothèse fragile nous manqueons de preuves suffisantes. Les lectures oralisées – celles à mi‑voix pour soi ou celles à haute voix aux auditeurs (membres de la famille) ne soient pas exclues.

Titres les plus préférés

Outre la grande popularité de „Don Quichotte“ de Cervantes dans le cercles aristocratiques du public, attestée par sa circulation en original et aussi en versions italiennes et françaises, il est incontestable que c’était

508‑541 (notamment pp. 517‑541) et aussi RATAJOVÁ, Jana, ŠTORCHOVÁ, Lucie, Žena není příšera, ale nejmilejší stvoření boží. Diskursy manželství v české literatuře raného novověku [La femme n’est pas un monstre, mais la plus belle créature de Dieu. Les discours du mariage dans la littérature tchèque de l’Époque moderne antérieure], Praha, Scriptorium, 2009 et ici une étude de ŠTORCHOVÁ, Lucie, Vedení manželství a etika sebe samé(h)o v českých preskriptivních spisech 16. a 17. století [L’administration du mariage et l’éthique de soi‑même dans les écrits préscriptifs tchèques], ibidem, pp. 776‑820.

64 Cf. MARÍN PINA, María del Carmen, La mujer y los libros de caballerías. Notas para el estudio de la recepción del género caballeresco entre el público feminino, „Revista de literatura medieval“, nr. 3, 1991, pp. 129‑148. Accessible de: http://www.a360grados.net/sumario.asp?id=1598.

Page 47: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 31

surtout la série d’Amadís de Gaula (ses quatre romans et aussi ses continuations) qui fut la plus connue auprès des lecteurs de toutes couches sociales. La deuxième place est occupée par celle de Palmerín de Oliva, surtout Primaléon, suivie par la version française du récit Historia de los nobles caualleros Oliueros de Castilla y Artus Algarue („Histoire d’Olivier de Castille d’Artus d’Algarbe“), Don Cristalián de España ou par le poème „Chevalier déterminé“ en traduction espagnole (Cavallero determinado).

Langue de lectures des romans de chevalerie espagnole

Éditions espagnoles

Dans les couches aristocratiques, orientées vers la culture espagnole (Dietrichstein et Eggenberg), le genre de romans de chevalerie fut répandu principalement en langue espagnole. Les bibliothèques des familles citées comprirent un nombre assez considérable de récits de chevalerie en espagnol. La collection personnelle de romans et d’histoires de chevalerie possédée par Hans Ulrich von Eggenberg fut absolument unique, sans pareil et sans concurrence. Malheureusement, cela on ne peut pas affirmer en égard aux collections de la famille Lobkowicz (branche de Roudnice comme celle de Hořín et Mělník). Quoique les bibliothèques des Lobkowicz sont très riches en hispaniques, la présence de la littérature tout à fait récréative ou la celle de fiction, y reste assez faible (ce sont des ouvrages religieux, historiques, politiques et géographiques qui prédominent). Il paraît que dans l’époque de la fin du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe siècle, les éditions des romans de chevalerie en langue espagnole (sauf ouvrages de Cervantes) ne furent pas acquises. En considérant leur engagement politique et la situation idéologique générale au centre de l’Europe d’époque, la première génération de possesseurs des collections de livres, Zdeněk Vojtěch Popel de Lobkowicz et sa femme Polyxena de Lobkowicz, née de Pernestein, préfera les autres genres de lectures, évidemment. Dans les collections Lobkowicz ne se sont conservées que de tardives acquisitions éditées au XVIe siècle – romans de série d’Amadís de Gaula traduits en italien, français et allemand et aussi Palmerín de Inglaterra, exemplaire d’édition italienne de Tramezzino.

Éditions italiennes

Il est connu que les traducteurs, imprimeurs et libraires italiens étaient capables de réagir à l’énorme popularité du genre et aux demandes des

Page 48: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

32 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

consommateurs avec souplesse; nouvelles éditions et rééditions malgré leur typographie mauvaise, papier de qualité fort basse, manque d’illustrations, parues à tirage plus élevé, au format plus commode (le plus souvent in octavo) et à bon prix, inondaient le marché européen. A Venise, Michele Tramezzino publie ce genre littéraire même aux années vingt et trente du XVIIe siècle et les libraires et bouquinistes le vendaient longtemps après sa disparition de la haute littérature.65

En Europe centrale, vers la fin du XVIe siècle, c’étaient juste les éditions en italien de romans de chevalerie qui étaient les plus diffusées. Elles prédominent notamment dans les sociétés aristocratiques, préférées par la noblesse catholique (les Dietrichstein, Lobkowicz, Eggenberg, Nostitz, Martinitz) comme celle protestante (les Hoffman). A la fin du XVIe siècle, grâce à leur prix et leur langue et grâce aux fréquents voyages d’études et les Grands Tours des jeunes nobles vers l’Italie, des acquisitions de la littérature de chevalerie produite en Italie ne furent pas tellement difficiles. Les aristocrates intélectuels centre‑européens avides de lecture visitèrent les foires de livres (le plus souvent celui de Francfort)66, se lièrent des contacts commerciaux et ils achetèrent des livres par l’intermédiaire des agents étrangers même après leur retour à la maison. La popularité des versions italiennes auprès du public centro‑européen survit même au siècle suivant.

Éditions en français

Elles figurent dans les bibliothèques en éditions parues entre le XVIe et le XVIIIe siècles, en traduction de Nicolas de Herberay des Essarts, parfois illustrées. A partir de la deuxième moitié du XVIIe et tout au long du XVIIIe siècle, Amadís de Gaula et les autres récits de chevalerie furent très à la mode aussi grâce au goût du public pour la culture et civilisation françaises manifesté par lecture des traductions et adaptations françaises de

65 A propos de l’activité éditoriale de Michele Tramezzino et de la bibliographie des éditions italiennes des romans de chevalerie cf. le projet „Progetto Mambrino“ (responsabilité de Stefano Neri et Anna Bognolo), de Università degli studi di Verona (Dipartimento Lingue e Letterature Straniere), information en:. http://www.engramma.it/Joomla/images/60/Poster/neri_poster.jpg. Sur la biographie de Mambrino cf. p. ex. BOGNOLO, Anna, Vida y obra de Mambrino Roseo da Fabriano, autor de libros de caballerías, in: El dominio del caballero: nuevas lecturas del género caballeresco áureo, op. cit., pp. 78‑98. Accessible de: http://www.ehumanista.ucsb.edu/volumes/volume_16/post/2%20articles/5%20ehumanista%2016.bognolo.pdf.

66 A la fin du XVIe siècle, les foires de Francofort firent l’offre les versions allemandes du roman d’Amadís de Gaula qui ne furent trouvées dans les collections aristocratiques du XVI et XVIIe siècles que rarement.

Page 49: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

L’aristocratie centre‑européenne des XVIe et XVIIe siècles et ses goûts... 33

la littérature espagnole. Les versions en français étaient très recherchées par lecteurs centre‑européens non seulement à cause de la hégémonie générale de la langue et littérature françaises en Europe, mais aussi à cause de la stratégie éditoriale française – éditions de lectures „plus légères“ orientées à large public de lecteurs et d’auditeurs. Il est bien évident que le choix d’une langue de lectures influença la réception de la littérature de chevalerie espagnole auprès du public. Traduire des oeuvres littéraires, ce n’est pas que verser le contenu d’une langue en autre. Au XVIe et XVIIe siècles, traduire signifia aussi actualiser, assimiler et adapter (on peut rappeler la première traduction d’Amadís de Gaula en langue vernaculaire, c’est dire en français, et les méthodes du traducteur qui était sous l’influence de la situation politique d’époque ainsi que des rélations mutuelles France‑Espagne).67 Les changements de langue et ceux de contenu effectués dans les oeuvres traduites influencent le rapport texte‑source‑texte‑traduction et marchent la main dans la main avec le rayonnement des doubles contextes „idéologico‑politiques“, sociaux et culturels (ceux du texte‑source et de la traduction).

La stratégie des traducteurs et libraires, la situation économique du marché, les exigences et les goûts des consommateurs (lecteurs comme auditeurs) et leurs conditions politiques et sociales, ainsi que psychobiologiques et sexuelles jouent aussi le rôle important. Il faut penser à tout cela, si nous voulons parler sur l’écho et la réception des romans de chevalerie espagnols dans l’espace centre‑européen par la voie de traductions.

Bibliographie

BUSSOW, Johann. Catalogus Bibliothecae Nicolsburgensis Anno 1646. Stockholm: La Bibliothèque Royale de Stockholm, cote U 377 (d’après les photocopies conservées dans la Bibliothèque de l’Académie des sciences à Prague).

67 A propos des méthodes de traduction de Nicolas de Herberay des Essarts cf. DUCHÉ‑GAVET, Véronique, L'Espagne au miroir du roman (1525‑1608), in: „La cultura del otro: español en Francia, francés en España. La culture de l’autre: espagnol en France, français en Espagne“, ed. Manuel Bruña Cuevas et al., Sevilla: Asociación de Profesores de Francés de la Universidad Española, Société des Hispanistes Français, Departamento de Filología Francesa de la Universidad de Sevilla, 2006, pp. 157‑165. Accessible de: http://www.culturadelotro.us.es/actasehfi/pdf/2duche_gavet.pdf.

Page 50: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

34 JAROŠLAVÁ KASPAROVA

DINGENAUER, Georg. Catalogus librororum. Instructissimae iuxta atque locupletissimae Bibliothecae. Illustrissimi Principis et Domini, Domini Francisci Cardinalis a Diettrichstein. In Arce Nicolspurgensi. FF.a Georgio Dingenauero). Brno: Moravský zemský archiv, Cerroniho sbírka G 12, II.

Inventarium über weilland des dürchleichtig hochgebornen Fürsten und Hernn, Hernn Johann Anthony [...] Fürsten zu Eggenberg [...] etc inn und ausser Grätz zu Eggenberg befundenen verlass[...]. Český Krumlov: Státní oblastní archiv Třeboň, la succursale Český Krumlov, Collection des manuscrits nr. 127.

KAŠPAROVÁ, Jaroslava. Soupis jazykově španělských tisků (Catalogue de livres en espagnol), in: RADIMSKÁ, Jitka et al. Ve znamení havranů. Knižní sbírka rodiny Eggenbergů na zámku v Českém Krumlově [Pour le signe des corbeaux. Les destins de la collection de livres de famille Eggenberg]. České Budějovice‑Pelhřimov: Jihočeská univerzita v Českých Budějovicích, 2011.

KAŠPAROVÁ, Jaroslava. Soupis jazykově italských tisků (Catalogue de livres en italien) nr. 148, cote 30 C 6427, Eggenberg cote C 5 95, in: RADIMSKÁ, Jitka et al. Ve znamení havranů. Knižní sbírka rodiny Eggenbergů na zámku v Českém Krumlově [Pour le signe des corbeaux. Les destins de la collection de livres de famille Eggenberg]. České Budějovice‑Pelhřimov: Jihočeská univerzita v Českých Budějovicích, 2011.

Knihopis českých a slovenských tisků od doby nejstarší až do konce XVIII. století. Díl 2. Tisky z let 1501‑1800 [Bibliographie des imprimés en tchèque et slovaque depuis jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Partie 2. Imprimés 1501‑1800]. Část I–IX. Založil Zdeněk V. Tobolka; pokračovali František Horák a Bedřiška Wižďálková. Praha: Komise pro knihopisný soupis českých a slovenských tisků až do konce XVIII. století, 1939‑1967. (Část I. Praha, 1939. Část II. Praha, 1941; Část III. Praha, 1946; Část IV. Praha, 1948 Část V. Redigoval Dr. František Horák, odborná spolupráce Dr. Zdeněk Tobolka a poradní sbor. Praha: Národní knihovna v Praze, 1950; Část VI. Red. Dr. František Horák. Praha: Nakladatelství ČSAV, 1956; Část VII. Praha, 1961; Část VIII. Praha, 1963; Část IX. Praha: Academia, 1967). Suppléments. Praha: Národní knihovna v Praze, 1994‑2010 (Část I. Písmeno A. ed. Bedřiška Wižďálková. Část II., 1995. Část III., 1996. Část IV., 1998. Část V., 2000. Část VI., 2006. Část VII., eds. Vladimír Jarý, Jan Andrle. 2010).

Page 51: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l‘œil vivant de son temps

JITKA RADIMSKÁ

Introduction

« La critique complète n‘est peut‑être ni celle qui vise à la totalité (comme fait le regard surplombant), ni celle qui vise à l‘intimité (comme fait l‘intuition identifiante) ; c‘est un regard qui sait exiger tour à tour le surplomb et l‘intimité, sachant par avance que la vérité n‘est ni dans l‘une ni dans l‘autre tentative, mais dans le mouvement qui va inlassablement de l‘une à l‘autre. »

Jean Starobinski, « Le voile de Poppée », in : L‘œil vivant, 1961

Les bibliothèques particulières de la noblesse ont leurs histoires : histoire de personnes qui les ont édifiées, histoire de lieux qui les ont influencées, histoire de livres qu’elles ont abritées, histoire d’idées qu’elles ont contribuées pour une large part à répandre. Si nous limitons notre intérêt à l’espace de l’Europe centrale appellé en allemand Mittel‑Europa, nous trouverons beaucoup d’exemples de bibliothèques nobiliaires, conservées dans leurs locaux d’origine ou dispersées par la suite, dont la destinée mérite d’être raconté parce qu’elles nous relatent leur temps.

À ce titre, l’histoire de la bibliothèque familiale Eggenberg est tout à fait exemplaire : constituée à partir du fonds privé de Hans Ulrich d’Eggenberg et enrichie par ses successeurs, comprenant d’environ trois milliers d’ouvrages et couvrant tout le siècle de « l’honnête homme », cette collection livresque est, malgré les pertes, accessible aujourd’hui sur les rayons de la bibliothèque du château à Český Krumlov en Bohême du Sud. En plus, le fonds Eggenberg n’a rien perdu de son identité.

Nous essayerons de la démontrer de trois points de vue : comme collection choisie édifiée par trois générations familiales des nobles, comme lieu de rencontres des livres et des lecteurs avertis, comme carrefour

Page 52: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

36 RADIMSKA JITKA

d’idées et de langues, voire croisement d’influences dans un espace ouvert et/ou clos. Notre regard, loin d’être figé, cherchera à présenter ce modèle de l’une des bibliothèques privées qui fait partie de nos recherches depuis d’une quinzaine d’années.

Hans Ulrich d’Eggenberg, duc de Krumlov (1568‑1634)

1 – Bibliothèque Eggenberg – collection choisie plurilingue

La bibliothèque Eggenberg est une bibliothèque dont on connaît le contenu grâce à des inventaires manuscrits qui sont devenus les sources premières de toute notre information concernant ce fonds privé. Il s’agit de deux inventaires après décès, rédigés en allemand et conservés dans les archives familiales au château de Český Krumlov, celui réalisé après la mort de Johann Anton d’Eggenberg en 16491 et le catalogue de la bibliothèque

1 Inventarium über weilland des dürchleichtig hochgebornen fürsten und hernn, hernn Johann Anthony [...] fürsten zu Eggenberg [...] etc inn und ausser Grätz zu Eggenberg befundenen verlass [...]. Archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, ms n° 127.

Page 53: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 37

de Marie Ernestine d’Eggenberg, née comtesse de Schwarzenberg, établi entre 1719 et 1721.2

Marie Ernestine d’Eggenberg, née comtesse de Schwarzenberg (1649‑1719).

2 Catalogus über die in der hochfürstlichen Schwarzenbergischen Bibliotek zu Böhmische Krumau befindliche in der deutschen, franzözisch, wälisch, lateinisch und spanischen Sprache bestehende Bücher, welcher anno 1721 errichtet worden. Archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, ms n° 418.

Page 54: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

38 RADIMSKA JITKA

Inventarium über weilland des dürchleichtig hochgebornen fürsten und hernn, hernn Johann Anthony [...] fürsten zu Eggenberg [...] etc inn und ausser Grätz zu Eggenberg

befundenen verlass [...]1649.

Page 55: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 39

Catalogus über die in der hochfürstlichen Schwarzenbergischen Bibliotek zu Böhmische Krumau befindliche in der deutschen, franzözisch, wälisch, lateinisch und spanischen

Sprache bestehende Bücher, welcher anno 1721 errichtet worden.

Page 56: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

40 RADIMSKA JITKA

Les deux permettent de reconstituer l’histoire de la bibliothèque de la famille Eggenberg, bien que la partie rédigée en 1649 se distingue de celle précédant 1719. Établis à des fins économiques et juridiques, les deux inventaires ne portent pas en soi, comme dans les cas semblables,3 des limites de l’occultation des livres de petits formats, des lectures récréatives (contes, nouvelles, romans), des ouvrages d’usages quotidiens (exercices spirituels de la dévote, ouvrages du « savoir‑faire » ou d’instruction), des livres prohibés. Ce qui compliqua parfois l’identification de certaines notices des clers, c’étaient les titres racourcis ou trop généralisant, sans indications d’auteur ni de date de parrution des exemplaires, ou des fautes d’orthographe d’un copiste d’origine germanophone qui n’avait pas eu de suffisantes connaissances des langues romanes (espagnole, française ou italienne). L’étude comparative des deux inventaires se rendit très efficace pour la naissance du fonds Eggenberg et nous permit de reconstituer virtuellement la collection personnelle de Hans Ulrich d’Eggenberg portée aujourd’hui en partie disparue. Malgré les 120 ouvrages perdus, les 243 titres de livres espagnols, figurant sur la liste de 1649 et couvrant la période des années

3 Comme c’est le cas de la bibliothèque de Mme de Chamillart par exemple. Cf. Jitka RADIMSKÁ, « Bibliothèque Eggenberg – modèle français à suivre ? » in : Le rayonnement français en Europe centrale du XVIIe siècle à nos jours. CHALINE O., DUMANOWSKI J., FIGEAC M. (éds.), Maison des Sciences de l'homme d'Aquitaine Pessac, p. 318‑324. ISBN: 2‑85892‑364‑7; EAN/ISBN: 978‑2‑85892‑364‑9.

Page 57: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 41

quatre‑vingts du XVIe siècles jusqu’aux années quarante du XVIIe siècle, apportent la preuve d’un ensemble de lecture remarquable d’un aristocrate autrichien. Avec environ 1060 titres acquis avant 1649, la collection de Hans Ulrich d’Eggenberg reflète l’horizon de la culture livresque européenne de la fin de la Renaissance et du début du Baroque du point de vue linguistique – l’italien et l’espagnol y dominent – ainsi que thématique : les exemplaires conservés dotés d’ex‑libris manuscrits et de reliures simples témoignent une préférence marquée du duc de Krumlov pour la littérature de loisir en histoire, belles‑lettres et arts dramatiques. La plupart des livres ont été acquis par Hans Ulrich lui‑même, son fis Johann Anton n’ayant que très peu enrichi le fonds. En outre, ses livres lui ont souvent été offerts. Le fonds ancien de la bibliothèque représentant la collection de base ne nous est pas parvenu dans son entité.

La seconde source de notre recherche en vue de la recontruction du fonds Eggenberg fut constituée par la recension systématique des titres et la description détaillée de tous les imprimés de la collection plurilingue dite Eggenberg qui se trouvent aujourd’hui sur les rayons de la bibliothèque nobiliaire des Schwarzenberg au château à Český Krumlov. Grâce à des travaux efficaces des chercheurs de notre petite équipe, surtout Mme Jaroslava Kašparová pour les imprimés espagnols, cette dernière avec M. Jiří Pelán pour les imprimés italiens, M. Václav Bok pour les imprimés en allemand et M. Vojtěch Balík pour les imprimés en latin, les catalogues des livres concervés à nos jours et des livres perdus, rappellons‑le, furent publiés en 2011 dans l’ouvrage intitulé « Sous le signes des trois corbeaux. La collection de livres de la famille Eggenberg au château de Český Krumlov ».4 La publication parrut comme volume II de la série Bibliotheca viva et compléta largement l’image de la bibliothèque française de la duchesse de Krumlov, parue en 2007 sous le titre « Bibliothèque d’une aristocrate. Les livres français de Marie Ernestine d’Eggenberg au château de Český Krumlov ».5 Les spécialistes en histoire du livre ont donc la possibilité de les consulter et de comparer par la suite avec d’autres bibliothèques nobiliaires. Nous nous attendons un peu au jeu du hasard – à la possibilité de trouver d’éventuels échos d’existence des imprimés eggenbergiens dans les collections privées ou publiques européennes, au moins de ceux qui portent les marques de possession de leurs propriétaires.

4 RADIMSKÁ, Jitka et al., Ve znamení havranů. Knižní sbírka rodiny Eggenbergů na zámku v Českém Krumlově. Bibliotheca viva II, Jihočeská univerzita České Budějovice‑Nová tiskárna Pelhřimov 2011, 1024 p. ISBN 978‑80‑7394‑348‑6

5 RADIMSKÁ, Jitka, Knihovna šlechtičny. Francouzské knihy Marie Ernestiny z Eggenbergu na zámku v Českém Krumlově. Bibliotheca viva I, Jihočeská univerzita České Budějovice‑Nová tiskárna Pelhřimov 2007, 416 p. ISBN 978‑80‑7040‑982‑4

Page 58: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

42 RADIMSKA JITKA

Quant à la troisième source – documents divers conservés dans les archives familiales des nobles en question – une grande partie de la recherche reste encore à faire. Les documents historiques comme testaments, livres de compte et autres furent pris en considération. Les documents manuscrits de caractère personnel, comme la correspondance des membres de la famille Eggenberg avec les familles apparentées des Schwarzenberg, Lichtenstein, Dietrichstein etc., ou d’autres écrits privés, attendent encore dans les archives en Bohême et en Moravie à des chercheurs. Excepté l’édition commentée du journal de tour de fin d’études à travers l’Europe, entrepris entre 1663‑1665 par les princes Johann Christian (futur mari de Marie Ernestine) et son frères Johann Seyfried, qui fut mise sous presse par M. Václav Bok. Cependant, la collection livresque plurilingue des seigneurs Eggenberg représente un cas d’étude exceptionnel car on peut faire connaissance non seulement de son contenu mais on peut suivre à travers de nombreuses signes de possession ou de lecture active, souvent sous forme de notes manuscrites concernant les passages qui suscitèrent l’intérêt des lecteurs, ce que ce contenu représenta pour ses propriétaires.

2 – Une bibliothèque qui en cache une autre ...

Une autre particularité de la bibliothèque dite Eggenberg consiste en deux, voire trois collections personnelles : celle de Hans Ulrich d’Eggenberg (1563‑1634), fondateur de la bibliothèque, celle de son fils Johann Anton d’Eggenberg (1610‑1649), décédé prématurément, les deux antérieures à l’année 1649, et celle de Marie Ernestine, née comtesse de Schwarzenberg (1649‑1719), épouse de Johann Christian d’Eggenberg (1641‑1710), l’un des petits‑fils de Hans Ulrich. C’est elle qui assura la continuité de la tradition d’une bibliothèque familiale : dans son testament, elle mentionna explicitement que « tous les livres qui se trouvent dans ma bibliothèque ou ailleurs et portent mon nom seront transportés dans la bibliothèque Schwarzenberg ; les autres peuvent être disposés où l’on voudra ».6 Après la mort de Marie Ernestine en 1719, le fonds Eggenberg demeura au château de Český Krumlov dans l’état où il avait été du temps du couple Eggenberg. Installée dans une salle du château spécialement aménagée à cet effet, cette partie de la bibliothèque reflète les goûts bibliophiles « baroque » de ses propriétaires. De par son contenu, son mobilier, le décor de ses reliures, son classement par langue et par sujets que suivent les cotes, elle est typique des bibliothèques aristocratiques de la seconde moitié du XVIIe et du début du

6 [Testament ME]. Archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, Famille Eggenberg, III 1 S No 14, Article 9.

Page 59: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 43

XVIIIe siècle. Elle a la particularité d’avoir été composée principalement par une femme, une lectrice avertie, aux goûts littéraires sûrs qui lui firent préférer entre toutes la langue et la littérature française, alors généralement appréciée, et la littérature religieuse et de belles‑lettres de toute l’Europe qu’elle lisait souvent en français, en allemand ou en italien. Pour cette liseuse de livres français, maîtriser l’écrit fut aussi le produire : sa traduction manuscrite du français en allemand des 14 premiers Epîtres de Sénèque, offerte par son auteur à la bibliothèque en 1717, en est la preuve.7

Les livres qui entrèrent dans la bibliothèque de Marie Ernestine firent l’objet d’une appropriation soigneuse : reliés avec une simplicité élégante, ils sont en grande majorité uniformément revêtus de maroquin marron ou de parchemin et portent son chiffre couronné, entouré de lauriers, placé sur les plats. La princesse avait mis sa signature à l’intérieur du plat supérieur de la reliure ou à la page de garde de beaucoup d’imprimés français, par contre ses marques de possession manuscrites dans les imprimés italiens ou allemands sont moins fréquentes.8 Sa signature varia de « Marie Ernestine de Crumau et d’Eggenberg, comtesse de Schwarzenberg » à travers « Marie Ernestine Princesse d’Eggenberg » jusqu’à l’initiale majuscule « E » placée discrètement derrière l’adresse de l’imprimeur et la signature respecta la langue de l’imprimé signé (allemande, française ou italienne). Dans la vie de la duchesse de Krumau, les livres et la lecture tenaient une place majeure. Elle s’entoura des livres qu’elle aimait lire sans s’occuper des éditions précieuses ou des pièces rares. Ce n’était pas la quantité des livres ni la rareté de l’édition, mais la qualité du contenu qui l’intéressa. Grâce à son éducation, elle ne manquait de savoir pour connaître les livres, son esprit pénétrant sembla orienter le choix et les stratégies de ses lectures. Quant à son mari, lui, il aimait le théâtre et la musique et il lisait en allemand

7 Auserlesene Epistolen des Weltweisen Annaei Senecae, so Ihro Durchlaucht Marie Ernestina Herzogin zu Crummau und Fürstin zu Eggenberg [...] aus französischen ins deutsch versetzt und mit aigener Hand geschrieben, dann dieselbe zur Bibliothek geschenket im Jahr. 1717. Archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, ms n° 93. Voir aussi Sammeln, Lesen, Übersetzen als höfische Praxis der Frühen Neuzeit Die böhmische Bibliothek der Fürsten Eggenberg im Kontext der Fürsten‑ und Fürstinnenbibliotheken der Zeit. (Herausgegeben von Jill BEPLER und Helga MEISE). Gedruckt mit Förderung der Dorothee Wilms‑Stiftung (Wolfenbütteler Forschungen 126, herausgegeben von der Herzog August Bibliothek), Harrassowitz Verlag, Wiesbaden 2010. ISBN: 978‑3‑447‑06399‑9.

8 Pour les livres en français voir Jitka RADIMSKÁ, « Une collectionneuse de livres français au château de Český Krumlov à l’Âge classique. » In: « Lecteurs & collectionneurs de textes clandestins à l’Âge classique », La Lettre Clandestine, 12, 2003, Presses de l'Université Paris‑Sorbonne 2004, p. 23‑35. ISSN 1242‑3912; ISBN 2‑84050‑348‑4

Page 60: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

44 RADIMSKA JITKA

les livres concernant le règne de Léopold Ier et des événements principaux de la scène internationale de la seconde moitié du XVIIe et du début du XVIIIe siècles et les ouvrages de géographie et d’histoire et la littérature de voyage qui sont en lien avec cette littérature d’actualité.

Marie Ernestine fit installer sa bibliothèque dans une salle prévue à cet effet pendant la reconstruction du château Renaissance de Český Krumlov en une résidence baroque dans les années quatre‑vingts. Les livres furent rangés par taille sur les rayons des armoires baroques : les inscriptions en bois sculpté, aujourd’hui déposées à la réserve du château9, en témoignent le classement d’après les langues : « A Germanici, B Gallici, C Italici, D Latini, E Hispanici, F Geographi ». La disposition des rayons reflètent le milieu germanophone de la région de Krumlov (l’allemand en position de tête), les préférences linguistiques de la propriétaire de la collection (le français comme sa première langue, l’italien et le latin comme langues maîtrisées par la princesse) ou le fait de ne pas maîtriser l’espagnol. La collection fut ainsi rendue utilisable, puisque les cotes permirent de retrouver aisément les livres sur les rayons. La bibliothèque reflétait les horizons intellectuels de ses fondateurs et de l’époque: deux tiers de livres en langues romanes, dont presque huit cents en français ; le fonds en langue française comptait trois quarts de livres profanes, dont deux tiers de livres de lecture : romans et récits, pièces de théâtre, écrits instructifs, littérature de civilité.

Le catalogue réalisé après son décès inventorie 2296 titres parmi lesquels figurent 632 ouvrages en allemand (rayon A), 788 ouvrages français (rayon B), 557 ouvrages italiens (C)rayon, 141 ouvrages en latin (rayon D), 124 ouvrages espagnols (rayon E) et 54 livres de géographie en diverses langues (rayon F). Le fonds français fut subdivisé de la manière suivante : 247 livres d’histoire profane « Weltliche Historien », 119 livres de religion « Geistliche Historien und Bücher », 155 livres de morale et de civilité « Moral und Politische », 149 livres d’amour « Liebesgeschichten », 88 livres de poésie et de théâtre « Poëten und Comoëdien » et 30 ouvrages divers « Unterschiedlich », livres de cuisine, de médicine, du jardinage, de géographie etc. Nous avons pu apprécier le classement moderne des livres par langues et par genre, cet ordre qui est « l’âme et la forme des bibliothèques, comme les livres en sont le corps et la matière. »10 Proposé par la duchesse elle‑même, il reflète le changement du goût et du statut des bibliothèques privées de la noblesse à l’âge baroque.

9 Le château de Český Krumlov, réserve Románská komora, cote RK 602a/6.10 Pierre Gallois, Traité des plus belles bibliothèques de l’Europe, Suivant la Copie :

A Paris : chez Estienne Michallet, 1685. – 240 s. ; 12°, p. 214. Imprimé de la bibliothèque de Český Krumlov, cote 41 A 7603, cote Eggenberg BI/148.

Page 61: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 45

L’ordre dans lequel Marie Ernestine d’Eggenberg fit disposer les livres ne respectait plus le schéma proposé par Pierre Gallois dans son Traité des plus belles bibliothèques de l’Europe, qui s’est inspiré, à son tour, par l’ouvrage de Gabriel Naudé (1600‑1643) Advis pour dresser une bibliothèque (1627) : « je crois que le meilleur est toujours celui qui est le plus facile, le moins intrigué, le plus naturel, usité, et qui suit les Facultés de Théologie, Médecine, Jurisprudence, Histoire, Philosophie, Mathématiques, Humanités et autres, lesquelles il faut subdiviser chacune en particulier suivant leurs diverses parties. »11 Le classement hérité de l’époque de l’humanisme, rappelons‑le, fut recommandé à des éditeurs français pour les catalogues encore vers la fin du XVIIe siècle : pour les disciplines scientifiques Théologie, Jurisprudence, Histoire, Sciences et Arts, pour la Littérature, ils ont préférer la Poésie et les Belles‑Lettres.12

Postérieur au moment de sa fondation et, d’après les témoignages des contemporains, proposé par la duchesse lettrée de Krumlov elle‑même, le classement de cette collection livresque peut aider à éclairer l’évolution de la perception des genres littéraires dans la deuxième moitié du XVIIe siècle dans le milieu germanophone de l’empire autrichien : l’expression « Romans » figure sur la liste pour 19 titres italiens, l’indication « Liebsgeschichten oder Romans » pour 60 titres allemands, pour 149 titres français est employé l’expression « Liebsgechichten ». Les 40 titres espagnols portent l’indication « Poëtae », les 202 titres italiens et les 88 titres français restent classés « Poëtae und comöedien », tandis que quelques poèmes et pièces de théâtre en allemand se retrouvent parmi les 46 titres dans le rayon « Moralische, Politische und Poëtische Büchr ».13 Nous pouvons admettre l’hypothèse que le genre du roman, très mal vu par l’esthétique du classicisme et ne faisant pas partie des genres nobles, ne se heurtait pas aux mêmes problèmes en Europe Centrale. Il s’agit d’un exemple du fait, d’ailleurs rare, comment l’histoire littéraire du livre peut servir d’un outil à la théorie littéraire.

3 – Bibliothèque Eggenberg – carrefour d’idées et de langues dans un espace clos

La bibliothèque Eggenberg rassemble, rappelons‑le, des collections personnelles de deux membres bien identifiés de la famille dont l’un est un homme politique de haut rang de la monarchie autrichienne dans le

11 Cité d’après Martin, H.‑J., Histoire de l’Edition française, I, Paris 1982, p. 440. 12 Ibidem, p. 441. 13 Jitka RADIMSKÁ, Knihovna šlechtičny, p. 20‑21.

Page 62: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

46 RADIMSKA JITKA

premier tiers du XVIIe siècle et l’autre est une femme cultivée de la très haute noblesse de l’entourage de la cour de Léopold Ier à Vienne dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. L’analyse des marques inscrites dans les imprimés, des notes personnelles et des stratégies de lecture démontrent les horizons intellectuels de ses propriétaires, leur préoccupations, leur goût de la littérature de loisir ou de celle d’accès au savoir. De ce point de vue, la collection est vraiment rarissime. Elle l’est encore du point de vue des usages linguistiques de ses propriétaires : les livres en langues romanes y dominent nettement. Hans Ulrich d’Eggenberg maîtrisait l’espagnol et parlait courramment l’italien et l’allemand, Marie Ernestine d’Eggenberg, issue du milieu francophone de Bruxelles, maîtrisait parfaitement la langue française et parlait couramment l’allemand et l’italien. Cependant, les notes manuscrites en allemand dans les imprimés en allemand des deux collections personnelles ne sont pas très fréquentes. Nous nous proposons donc de présenter le contenu littéraire de la bibliothèque Eggenberg suivant le critère de la langue du classement du fonds entier tout en espérant que l’analyse des rayons linguistiques nous éclaire, elle aussi, sur ce sujet.14

Pratiquement tous les ouvrages allemands ont été acquis par Johann Christian et Marie Ernestine d’Eggenberg, c’est‑à‑dire entre 1665 environ et 1719. Selon M. Václav Bok, tous les thèmes de la production littéraire allemande de cette époque y sont représentés, depuis les imprimés liés aux événements politiques, jusqu’aux ouvrages pratiques destinés à la gestion et à la vie quotidienne de la seigneurie, de même que tous les domaines scientifiques et les belles‑lettres. Ils acquirent progressivement la production de leur époque et la complétèrent des ouvrages importants de la littérature baroque allemande plus ancienne. Si Hans Ulrich ne manquait pas de noter dans ses livres la date, le lieu – et bien souvent le prix – de son achat, dans les livres allemands achetés par le couple Eggenberg, on ne trouve aucune information sur leur acquisition. Simplement, Marie Ernestine inscrit‑elle parfois son nom ou ses initiales sur la page de titre, le plus souvent sans mention de lieu ni de date. Très peu de livres portent la marque d’un propriétaire antérieur ce qui indique que Johann Christian et Marie Ernestine achetaient sans aucun doute leurs livres eux‑mêmes par l’intermédiaire d’agents, comme il était alors d’usage. En 1721, le fonds allemand, comme nous l’avons dit, forme un véritable ensemble d’une grande valeur qui reflète les goûts du couple Eggenberg. Dans le rayon

14 Nous nous appuyons ici sur les analyses faites par des co‑auteurs de la publication Bibliotheca viva II (Ve znamení havranů) MM. Václav BOK, Jiří Pelán, Vojtěch BALÍK, Mme Jaroslava KAŠPAROVÁ et sur la traduction française de la résumé réalisée par Mme Claire MÁDL.

Page 63: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 47

de religion on notera, outre des ouvrages alors répandus de piété baroque, en particulier du culte marial. La bibliothèque des Eggenberg contient moins d’ouvrages de droit que l’on pourrait en attendre pour une collection aristocratique. Elle se distingue en revanche par sa richesse dans le domaine des belles‑lettres allemandes baroque de la seconde moitié du XVIIe siècle. Elle semble posséder toute la production romanesque galante et héroïque allemande ou traduite des langues romanes.

Parmi les ouvrages en français édités entre 1585 et 1717, les imprimés de la seconde moitié du XVIIe siècle sont les plus nombreux ; ils constituent la bibliothèque personnelle de la princesse Marie Ernestine d’Eggenberg. Le classement d’époque livre l’image d’une bibliothèque moderne, orientée par la pratique de la lecture où 31% des livres sont d’histoire (section B1), 30% sont de belles lettres (sections B5 et B6), 20% sont des écrits moraux ou épistolaires (section B4), 15% de religion (sections B2 et B3) et 2,5% sont des ouvrages éducatifs ou spécialisés (section B7). Si l’on considère en revanche les domaines tels que nous les définissons aujourd’hui, la part de belles‑lettres croît car la section d’histoire (B1) contient pour moitié des recueils d’anecdotes ou livres « d’histoires » lues pour le plaisir et que nous placerions sur le rayon des belles lettres. Comme les femmes de son époque, Marie Ernestine Eggenberg apprécie particulièrement le genre romanesque, en particulier le roman pastoral (Scudéry) et les romans des cercles aristocratiques (Préchac, Madame de Villedieu15, Madame de la Fayette), de préférence aux histoires réalistes (Scaron, Furetière). Elle lit les romans allemands dans leur langue et les auteurs italiens16 et espagnols17 dans leur traduction française (Boccace, Pétrarque, Cervantes). Progressivement, ses goûts la portent vers des lectures plus sérieuses, par exemple celles des auteurs moralistes. Cette évolution ou maturation est visible, comme sa sensibilité toute féminine à la question des relations entres les personnes. Pour Marie Ernestine d’Eggenberg, la lecture fut non seulement une distraction, mais aussi un travail intellectuel d’étude et de

15 Jitka RADIMSKÁ, L'Amour dans le roman du XVIIe siècle. À propos des romans de Madame de Villedieu conservés dans la bibliothèque d'Eggenberg à Český Krumlov. Etudes Romanes de Brno, Sborník prací FF BU, L 24, Brno, 2003, p. 35‑53. ISBN 80‑210‑3117‑4; ISSN 0231‑7532.

16 Jitka RADIMSKÁ, « Francouzské překlady « belles infidèles » z osobní knihovny kněžny Marie Ernestiny z Eggenbergu. » Jazyk a řeč knihy (=Opera romanica 11), Radimská J. (éd.), Jihočeská univerzita, České Budějovice, s. 359‑370. ISBN 978‑80‑7394‑202‑1.

17 Jitka RADIMSKÁ, « La literatura española en las traducciones francesas en el fondo de los Eggenberg de la biblioteca del castillo de Český Krumlov », Opera romanica 3, JU České Budějovice 2002, p. 113‑154. ISBN 80‑7040‑632‑1.

Page 64: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

48 RADIMSKA JITKA

réflexion qui portait vers des questions plus générales. La plupart des propos manuscrits de sa plume qui abondent dans les imprimés français et que l’on trouve dans les imprimés italiens, représentent des vérités ou des moralités qui correspondaient (au moins, nous le supposons) à sa vision du monde, à ses pensées, ou éventuellement, à sa propre expérience.18 En matière de religion, elle se montre tolérante, plutôt conservatrice, jamais extrémiste, ce qui vaut aussi pour les livres jansénistes qui sont assez nombreux.19 Sa collection de livres en langue française est très variée et riche, quasiment exhaustive pour le XVIIe siècle français. Sa curiosité était universelle, il paraît qu’elle voulait posséder tout ce qu’il était possible d’avoir ou au moins tout ce qui était proposé dans les catalogues imprimés.

L’exemple de cette liseuse montre comme la bibliothèque personnelle peut devenir un lieu privé qui échappe, dans une certaine mesure, aux contrôles des autorités, un lieu de compensation qui console des inévitables frustrations, un moyen d’émancipation de l’individu. Dans d’autres cas, l’achat des livres nouveaux, reliés et marqués d’un chiffre, les intègre dans un ensemble, ce qui peut être manifestation de la richesse et de la supériorité intellectuelle, mais aussi et par là, une preuve de fidélité aux valeurs traditionnelles de la famille. Il est évident que la bibliothèque d’une aristocrate exprime par le choix des titres et la manière dont la collection est mise en scène les aspirations de sa propriétaire. Les inventaires font apparaître les grands principes d’organisation des bibliothèques, mais elles peuvent avoir été conçues comme un ensemble cohérent et moderne. L’étude des langues dans lesquelles sont écrits les livres achetés fournit de riches indications sur les usages linguistiques des utilisateurs, ce qui est important dans la période où le français s’impose progressivement comme langue internationale mondaine et diplomatique et où l’allemand et l’italien sont largement connus et pratiqués. Particulièrement intéressante dans une

18 Jitka RADIMSKÁ, « Les bibliothèques de la noblesse à l’époque baroque. À propos de la bibliothèque privée de Marie‑Ernestine d’Eggenberg, née comtesse de Schwarzenberg, duchesse de Krumau (1649‑1719). » Familles nobles, châteaux et seigneuries en Bohême, XVIe‑XIXe siècles. Histoire, Economie et Société, 26e année, n. 3, Paris, Armand Colin 2007, p. 101‑109. ISBN: 2‑85892‑364‑7; EAN/ISBN: 978‑2‑85892‑364‑9.

19 Jitka RADIMSKÁ, « Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême. » Le jansénisme et l’Europe. Baustert, R. (éds.), Biblio 17, vol. 188, Supplément aux Papers on French Seventeenth Century Literature, Narr Verlag Tübingen, 2010, s. 95‑110. ISSN: 1434‑6397; ISBN: 978‑3‑8233‑6576‑1. Jitka RADMSKÁ, « Le jansénisme dans les bibliothèques de Bohême au XVIIe siècle. » Le jansénisme et la franc‑maçonnerie en Europe Centrale aux XVIIe et XVIIIe siècles, (éd. Daniel TOLLET), PUF Paris 2002, p. 93‑116. ISBN 2‑ 13051‑515‑0; ISSN 0246‑6120.

Page 65: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 49

région d’échanges divers se montre la place des traductions et des éditions de textes français exécutées hors de France.20

Le fonds italien de la bibliothèque Eggenberg comprend la production italienne du cinquecento et du seicento, la littérature des époques précédentes n’est représentée que dans des éditions du XVIe siècle. Le cœur du fonds d’imprimés italiens est constitué des livres de Hans Ulrich d’Eggenberg, comme le montre la présence de sa devise : « Homines sumus » et de son ex‑libris manuscrit. Toutefois, son fils Johann Anton puis, à partir de 1665, son petit‑fils Johann Christian partagèrent son goût pour la littérature italienne. Le fonds a ensuite été enrichi des acquisitions italiennes de la femme de Johann Christian, Marie Ernestine, dont le monogramme est porté par de nombreux exemplaires. Les successeurs de Hans Ulrich n’ont pas acheté de livres anciens mais principalement des ouvrages qui leur étaient contemporains. Selon M. Jiří Pelán, le fonds de livres italiens reflète tous les courants de cette époque, qu’il s’agisse du roman, des nouvelles, de la poésie mariniste, des imprese et des emblèmes ou encore des traités du ragion di stato ou du drame pastoral. Le point fort des belles‑lettres sont les ouvrages baroques du seicento qui ont été acquis après la mort de Hans Ulrich. L’on y trouve tous les textes désormais considérés comme canoniques, depuis que les études littéraires des années 1960 ont réhabilité la littérature baroque. La bibliothèque des Eggenberg témoigne ainsi du prestige dont jouissait la littérature Renaissance et baroque italienne parmi l’aristocratie en pays tchèque, après la bataille de la Montagne Blanche (1620). Ces livres, en revanche, ne sortaient que rarement de ce cercle étroit. Ainsi, le phénomène européen que représente l’influence du modèle italien ne s’exerça que de façon indirecte sur la production littéraire locale des pays tchèques car cette dernière n’était pas issue des milieux aristocratiques.

La collection des livres en latin comprend moins de livres, mais elle mérite d’être présentée, car c’est là où se trouve un lien entre la Bohême et les seigneurs. Beaucoup de titres latins portent comme lieu d’édition Vienne (13), Cologne (20) ou Prague (31) et l’adresse des éditeurs éminents pour le marché du livre de la région qui était celle des Eggenberg. Les imprimés de Bohême représentent plus de 25% du fonds en latin des Eggenberg avec trente‑huit titres. La forte présence d’imprimés des pays tchèques pourrait indiquer que les Eggenberg entretenaient de denses relations avec cette région mais elle témoigne principalement de leur intérêt intellectuel pour ce pays, pour son histoire, les personnages qui y ont vécu, etc. Les

20 Cf. Jitka RADIMSKÁ, Les fonds français dans les bibliothèques aristocratiques de Bohême à l'époque baroque, La cultura latina (latino, italiano, francese) nell'Europa Centro‑orientale, Viterbo, 2004, p. 215‑233. ISBN 88‑86091‑92‑3.

Page 66: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

50 RADIMSKA JITKA

ouvrages des auteurs antiques y sont peu nombreux (quatre titres) alors que les traductions des grands auteurs latins sont très bien représentées dans les autres rayons de la bibliothèque. L’on remarque aussi un certain intérêt pour l’histoire de France.

La majorité des 150 ouvrages latins concervés à Krumlov jusqu’à nos jours proviennent du XVIIe et du début du XVIIIe siècle, seulement dix‑sept titres sont du XVIe siècle. Plus de la moitié des imprimés latins touchent d’une façon ou d’une autre à la religion (vies de saints, méditations et textes liturgiques les concernant, œuvres de piété mariale, ouvrages de méditation ou manuels de prières, etc.). Tous ces ouvrages sont entrés dans la bibliothèque à l’époque de Marie Ernestine et sont le reflet de sa vie spirituelle. Les défenses de la religion catholique et les ouvrages de polémique ouverte avec le protestantisme datés des trois premières décades du XVIIe siècle témoignent de l’intérêt de Hans Ulrich pour la polémique religieuse virulente de son époque dont les implications politiques menèrent à la structuration confessionnelle de l’Europe à laquelle il prit lui‑même une part active. Neuf ouvrages témoignent de l’intérêt des Eggenberg pour les ordres religieux, leurs règles, leurs rites et l’histoire de leurs membres éminents. Cinq ouvrages issus du milieu cistercien sont à rapporter à la présence du monastère de Vyšší Brod à proximité de Český Krumlov, comme le montrent les notes inscrites par les propriétaires des livres. Les textes bibliques sont présents sous la forme tout d’abord d’une bible catholique courante dans ce milieu, Biblia sacra vulgatae editionis approuvée par les papes Sixte V et Clément VIII (Lyon 1684) mais aussi avec une édition grecque du Nouveau testament avec sa traduction latine par Erasme (Strasbourg 1523). La philosophie au sens large n’est représentée dans le fonds latin que par deux ouvrages très répandus à leur époque. L’un embrasse à la fois la morale, la politique et l’enseignement religieux : Dictamina seu scita variae doctrinae politicae, moralis, stoicae, Christianae et spiritualis (Prague, Clementinum, 1707). Il est dû à un jésuite espagnol d’origine allemande Juan Eusebius Nieremberg particulièrement apprécié par Marie Ernestine qui possèdait plusieurs de ses ouvrages dans d’autres langues. Les ouvrages scientifiques et pratiques font partie du fonds latin comme par exemple la médecine, représentée par de solides compendiums d’œuvres ou des manuels de médecins éminents et célèbres.

D’après les recherches de M. V. Balík, un tiers des ouvrages latins peuvent être considérés comme des ouvrages rares ou précieux. Onze ouvrages semblent être des exemplaires uniques en Europe parmi lesquels les Epistolarum familiarium libri de Ciceron (Cologne 1576). Plus souvent

Page 67: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 51

(39 titres), l’exemplaire que l’on trouve dans la bibliothèque des Eggenberg est le seul exemplaire connu en République Tchèque mais il y en a ailleurs en Europe. Pour huit autres titres, l’édition de la collection des Eggenberg est certes représentée en République tchèque mais nulle part ailleurs. Il s’agit dans tous les cas d’éditions de la Compagnie de Jésus issues d’un même ensemble régional : deux sont de Prague, trois d’Olomouc, deux de Linz et deux de Vienne. D’autres imprimés sont certes connus ailleurs en Europe ou sur le territoire tchèque mais de façon tout à fait exceptionnelle.

Passons à la présentation de la collection des imprimés espagnols faite à la base des donnée des recherches minutieuses réalisées par Mme Jaroslava Kašparová. Au milieu du XVIIe siècle, la collection des Eggenberg rassemblait un nombre relativement élevé d’imprimés relevant de la littérature espagnole, que ce soit en langue espagnole, en latin ou dans des traductions françaises ou italiennes. En 1649, on trouvait environ 243 titres de livres imprimés en espagnol, dont 123 ont été conservés tandis que les 120 autres ont été perdus, sans doute après avoir été transmis à la branche styrienne de la famille Eggenberg.21 Parmi les imprimés qui se sont conservés, l’on trouve sept titres édités avant 1550, cinquante‑cinq entre 1551 et 1600 et soixante‑deux entre 1601 et 1632. Le plus ancien ouvrage est un recueil des poèmes de Juan de Mena, imprimé à Saragosse en 1509. Les lieux d’impression les mieux représentés sont Madrid et Anvers. Un premier groupe d’ouvrages est constitué de romans de chevalerie que l’on trouve en espagnol (ou en italien, rappelons‑le) et que Hans Ulrich à l’évidence appréciait énormément. La poésie est plus particulièrement représentée dans son genre épique mais l’on trouve aussi un ensemble de livres de poésie lyrique. Parmi les œuvres dramatiques, les pièces de Lope de Vega (1462‑1635) sont particulièrement bien représentées. Ce poète, prosateur et auteur dramatique de l’âge d’or espagnol faisait sans aucun doute partie des lectures favorites de Hans Ulrich. Durant la seconde période d’enrichissement de la bibliothèque (1649‑1719), nous pouvons de même attribuer les acquisitions à une seule personne : Marie Ernestine d’Eggenberg. Quelques ouvrages permettent de faire le lien entre les « goûts espagnols » du fondateur de la collection (Hans Ulrich)

21 Ce fonds disparu a pu être reconstitué à partir de l’inventaire concis effectué en 1649 (Inventarium 1649) qui est tantôt très précis, tantôt au contraire trop évasif. Nous nous sommes néanmoins efforcés d’identifier les titres, en indiquant au besoin les œuvres ou éditions différentes susceptibles d’avoir été dans la bibliothèque, car cette identification nous apprend beaucoup sur la naissance de la bibliothèque et l’activité de collectionneur des premières générations des Eggenberg (c’est‑à‑dire Hans Ulrich et son fils Johann Anton). Cf. J. KAŠPAROVÁ, « Jazykově španělská deperdita a Invertarium 1649 ». In : J. RADIMSKÁ et all., Ve znamení havranů, p. 265‑294.

Page 68: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

52 RADIMSKA JITKA

et ceux de l’épouse de son petit‑fils, Marie Ernestine. Malgré l’écart existant entre ces deux générations – il s’écoule 15 ans entre la mort de Hans Ulrich et la naissance de Marie Ernestine –, ces deux lecteurs se « rencontrent » en quelque sorte par leurs lectures. Marie Ernestine a très certainement apprécié toute une série de titres de la littérature espagnole. Non seulement elle les lisait dans leurs traductions, mais elle jugea encore nécessaire de manifester ses préférences et de s’approprier ses livres favoris en les transférant dans sa bibliothèque personnelle. Ainsi, certains livres de Cervantes entrés dans la bibliothèque durant la première période sont reliés à son monogramme comme le second volume du célèbre Don Quichotte ou un exemplaire des Nouvelles de Cervantes. Le Buscón, roman picaresque de Quevedo (1626), avait été acquis dans sa langue originale par Hans Ulrich (édition de 1627) tandis que, cinquante ans plus tard, Marie Ernestine achète L’Aventure de Buscón en français dans une édition de Francfort de 1671. Hans Ulrich s’achète à Prague, le 9 novembre 1627, les Sueños de Quevedo ; Marie Ernestine, à la fin du XVIIe siècle, inscrit son monogramme de jeune fille M[arie] E[rnestine] S[swarzenberg] dans une édition parisienne de 1647 des mêmes Visions. Bien que représentant un nombre de volumes relativement limité, le fonds de littérature espagnole traduite (en français, italien ou allemand) de la seconde moitié du XVIIe et du début du XVIIIe siècle est très bien construit si on le compare avec les collections aristocratiques contemporaines d’Europe centrale telles celles des Lobkowicz, des Sternberg, des Nostitz ou des Fürstenberg.

Conclusion

La bibliothèque aristocratique de la famille des Eggenberg de Styrie qui s’insère dans l’histoire des pays tchèques pour la période 1622‑1719, est une collection où dominent les livres en langues romanes et en allemand. Elle fut constituée entre les années 1680 et 1719 par trois générations, au départ en Styrie puis au château de Český Krumlov. Malgré l’absence de livres tchèques, la bibliothèque est ancrée dans l’espace de la Bohême auquel de nombreux ouvrages sont liés tant par leurs auteurs, leur lieu d’édition, leur contenu ou par les dédicaces qu’ils portent. Elle reflète ainsi l’intérêt que les Eggenberg ont accordé aux pays de la couronne de Bohême auxquels ils consacrèrent leur carrière politique et où ils vécurent une partie de leur vie. Bien que de taille modeste par rapport aux collections aristocratiques comparables (celle des Dietrichstein de Mikulov, par exemple) et quoique son fonds soit concentré sur un court laps de temps, la collection est excellente par sa cohérence et l’image achevée qu’elle fournit

Page 69: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Bibliothèques de la noblesse : l’oeil vivant de son temps 53

d’une bibliothèque européenne baroque formée par deux bibliophiles à la forte personnalité. Réservée à l’usage exclusif de ses propriétaires, la bibliothèque n’a pas attiré l’attention de ses contemporains (à la mort des derniers Eggenberg, elle n’a pas été complétée). Elle demeure néanmoins un témoignage éminent de l’ambition politique et sociale, des horizons intellectuels à l’échelle européenne et des lectures bibliophiles d’une des grandes familles aristocratiques d’Europe centrale qui joua un rôle actif dans la vie politique et sociale des pays tchèques.

Tableaux – références bibliographiques

Inventarium über weilland des dürchleichtig hochgebornen fürsten und hernn, hernn Johann Anthony [...] fürsten zu Eggenberg [...] etc inn und ausser Grätz zu Eggenberg befundenen verlass [...]. Archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, ms n° 127.

Catalogus über die in der hochfürstlichen Schwarzenbergischen Bibliotek zu Böhmische Krumau befindliche in der deutschen, franzözisch, wälisch, lateinisch und spanischen Sprache bestehende Bücher, welcher anno 1721 errichtet worden. Archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, ms n° 418.

Hans Ulrich d’Eggenberg. In : Collection des gravures, archives du district de Třeboň, succursale de Český Krumlov, sine cote.

Marie Ernestine d’Eggenberg. In : Collection de portraits, château de Český Krumlov, cote 1693/69.

Page 70: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres : la prééminence des armes ou des lettres sous la

« Restauration » du Portugal

DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

Probablement élaborée au sein du milieu intellectuel de la ville d’Évora à cheval sur les XVIe et XVIIe siècles, une traduction paraphrastique de l’Éloge de la Folie se servit des satires d’Érasme pour critiquer ouvertement la société portugaise.

Imprégnée d’un fort anti‑castillanisme, la critique développée par l’adaptation lusitanienne du texte était plus politique que religieuse. En plus des accusations portées à l’encontre des Castillans, décrits comme les bourreaux que le Diable avait amenés au Portugal, on y trouve plusieurs plaintes relatives à l’organisation de l’État et au monde laïc en général, parmi lesquelles figure le désagrément causé par le nombre excessif de gens de lettres dans le royaume1.

Ce discours s’inscrivait dans la longue controverse des armes et lettres, largement répandue dans la littérature humaniste par la plume de grands personnages tel que Cervantes, Castiglione et Érasme lui‑même2.

Après la séparation du Portugal de la Monarchie Catholique d’Espagne, ce qui est normalement entendu comme un topos littéraire cachait cependant une vraie lutte pour le pouvoir.

1 Dans un contexte de décadence marqué par la soumission du pays à la Monarchie Catholique d’Espagne, ce manuscrit présentait la multiplication des lettrés comme une des causes de la débâcle portugaise, considérant inacceptable que des « philosophes » prissent la place des capitaines et des combattants expérimentés dans les Conseils du royaume, particulièrement en matière de guerre. CURTO, Diogo Ramada, « Os louvores da Parvoíce », in Península. Revista de Estudos Ibéricos, nº 1, 2004, pp. 191‑199, 195.

2 Sur le topos des armes et lettres au Portugal, voir REBELO, Luís de Sousa, « Armas e letras. Um topos do humanismo cívico », in Idem, A tradição clássica na literatura portuguesa, Lisbonne, Livros Horizonte, 1982, pp. 195‑240.

Page 71: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 55

En décembre 1640, quelques mois à peine après la rébellion de la Catalogne, une insurrection connue comme la « Restauration » renversa le gouvernement castillan au Portugal et proclama le duc de Bragance roi sous le nom de João IV.

S’il est vrai que le coup d’État fut réalisé presque sans contestation, les premières années de la Monarchie des Bragance furent néanmoins caractérisées par des tentatives de conspiration et intrigues, la séparation du pays de la Monarchie Catholique d’Espagne n’étant pas un sujet consensuel.

Par la suite, conscient du fractionnement du royaume et de l’instabilité politique auxquels il était confronté, le nouveau gouvernement entreprit une campagne de propagande en faveur de la Restauration, donnant lieu à une véritable explosion de publications parmi lesquelles ressortent de nombreuses relations de guerre, textes informatifs portant des nouvelles du front.

Dans ce climat de crainte et de suspicion, d’autres manifestations de mécontentement envers les lettrés apparurent, reprenant l’argument avancé par la traduction du texte érasmien au début du siècle. Mais déclarer que les gens de lettres ne pouvaient pas prendre la place des gens d’armes dans les Conseils royaux avait alors un sens très particulier.

Même si la Restauration avait décrété l’écartement des Castillans de la direction du royaume portugais, la composition du nouveau gouvernement demeurait toutefois indéfinie3. Francisco de Lucena, secrétaire d’État de D. João IV, s’efforça apparemment de maintenir le status quo ante pour éviter les désordres4. La tentative échoua complètement. Pas plus tard qu’en février 1641, un groupe de nobles s’enfuit vers Castille ; en juillet de la même année fut mise à jour une conspiration contre le nouveau roi dans laquelle étaient engagées quelques figures insignes de la noblesse et du clergé portugais, dont l’inquisiteur‑général D. Francisco de Castro5.

Selon le comte d’Ériceira, la réaction populaire aux deux événements fut violente. Une fois la nouvelle des fugitifs de février répandue, le « Peuple », ce « monstre aveugle », se résolut à punir les fidalgos restants des crimes commis par les fuyards. Pour apaiser la colère générale, le roi

3 Sur la composition du gouvernement, voir COSTA, Leonor Freire et CUNHA, Mafalda Soares da, D. João IV, Temas e Debates, 2008, pp. 103‑127.

4 CUNHA, Mafalda Soares da, « Elites e mudança política. O caso da Conspiração de 1641 », in PAIVA, Eduardo França (org.), Encontro Brasil‑Portugal: sociedades, culturas e formas de governar no mundo português (Séculos XVI‑XVIII), São Paulo, Annablume, 2006, pp. 325‑343, 326 et COSTA et CUNHA, ouvr. cité, 2008, pp. 105‑106.

5 CUNHA, ouvr. cité, 2006, p. 328.

Page 72: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

56 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

se présenta aux révoltés rassemblés sur l’esplanade du Palais depuis les fenêtres de celui‑ci, et ordonna qu’on leur assurât « qu’aucun délinquant resterait sans châtiment ». On publia également des textes et en afficha d’autres sur les portes de la ville, encourageant la fidélité des sujets et promettant de réprimer rigoureusement les trahisons, tandis que les prédicateurs exhortaient la défense de la Restauration du haut des pupitres6.

En juillet, la scène se répéta. Quand la prison des conspirateurs fut connue, les manifestations de haine envers les nobles furent si intenses que ceux qui étaient au Palais royal eurent du mal à rentrer chez eux. Au lendemain des arrestations, l’archevêque de Lisbonne présida une procession de grâces au nom de la découverte et la contention de la conspiration, mais les esprits mirent du temps à se calmer, et les aristocrates continuaient de se faire insulter dans les rues de Lisbonne.

La difficulté d’identifier avec certitude tous les responsables fut à l’origine de maintes intrigues. Matias de Albuquerque, qui gagnerait quelques années plus tard la réputation de héros de la bataille de Montijo, fut arrêté en Estremoz, suspecté d’être mêlé à la conspiration. Sur le chemin le menant à Setubal, Ericeira raconte qu’Albuquerque reçut les offenses des mêmes hommes qui quelques heures avant l’admiraient en raison de son prestige de commandant militaire, et une fois arrivé à destination et emprisonné dans la tour d’Outão, il fut persécuté par « les voix désordonnées du Peuple ». Pour lui épargner ce sort, le roi ordonna qu’on le reconduisît à la tour de Belém, à Lisbonne7.

Le monarque lui‑même avoua publiquement, dans un petit imprimé publié après les arrestations de juillet et adressé aux fidalgos du royaume, son sentiment que les coupables de cette conspiration étaient très nombreux, tout en affirmant sa conviction de pouvoir se fier à ceux qui restaient à ses côtés8.

D’après le père António Seyner, ecclésiastique espagnol arrêté à Lisbonne lors du coup d’état de décembre 1640, Francisco de Lucena était farouchement engagé dans la poursuite de traîtres depuis la fuite des fidalgos en février 16419.

Selon D. Francisco Manuel de Melo, Lucena aurait procédé pareillement 6 MENEZES, D. Luiz de, História de Portugal Restaurado, Lisbonne, Domingos

Rodrigues, 1751, v. I, pp. 133‑134.7 Ibid., pp. 303‑305.8 Pratica que fez El Rey N. S. Dom João IV o Prudentissimo, Legitimo Rey de

Portugal, aos fidalgos, em 28 de julho em que fez a prizão. Anno de 1641, Lisbonne, Antonio Alvarez, 1641.

9 SEYNER, Antonio, Historia del levantamiento de Portugal, Saragosse, Pedro Lanaja y Lamarca, 1644, pp. 147‑148.

Page 73: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 57

lors de la conjuration de juillet, encourageant le roi à ne pas se montrer faible devant ceux qui avaient attenté à sa vie10.

Puis, alors que D. João IV était de plus en plus représenté comme un monarque faible, conduit par ses ministres, le secrétaire d’État était accusé de s’emparer des pouvoirs royaux.

Un exemple notable de ces griefs fut donné par Antonio de Freitas Africano, qui publia le 12 septembre 1641 un livre dans lequel il énumérait les attributions et les privilèges du prince, aussi bien que ses devoirs.

Nommant D. João IV « notre Aquille », l’auteur ne laisse aucun doute quant à sa conception du monarque idéal. En ouverture de son texte, il relève que, lorsque Dieu fonda Sa République en Egypte, Il lui donna plutôt des ducs pour la protéger que des rois pour la gouverner. Par le biais de cette allusion biblique, l’auteur rappelait à D. João IV qu’avant d’être un roi il était un duc, c’est‑à‑dire que son devoir était de défendre le royaume par les faits d’armes qui avaient dignifié ses pairs11.

Puis l’auteur condamne vigoureusement l’essor de la figure du « valido » – le favori du roi –, dont les conseils n’étaient que des délits et dont la convoitise et l’hypocrisie l’amèneraient, tel Icare, jusqu’aux cieux pour mieux le précipiter ensuite au sol12.

Africano souligne également le caractère indispensable de la présence de D. João IV aux Conseils du royaume, et maudit les rois qui, se contentant de leur titre et se laissant gouverner par ministres et validos, ne règnent qu’en apparence13.

Pour Africano, le bien‑être de la République dépendait du juste équilibre entre les armes et les lettres14. Selon l’auteur, ce rapport était déstabilisé au Portugal, où la demande grandissante pour la carrière de lettres aurait diminué le nombre de soldats15.

10 MELO, D. Francisco Manuel de, Tácito Português : vida, mote e feitos de El Rey Dom João IV de Portugal, Lisbonne, Sá da Costa, 1995, pp. 110‑115.

11 AFRICANO, António de Freitas, Primores políticos e regalias do nosso rei. Lisbonne, Principia, 2005, p. 31 (édition originale publié en 1641, à Lisbonne, dans l’officine de Manoel da Sylva).

12 Ibid., pp. 91‑92.13 Ibid., pp. 69 et 81.14 Sur l’impact de la multiplication des universités et des postes lettrés sur la

société portugaise, voir CURTO, Diogo Ramada, « As escolas e as universidades », in MATTOSO, José, História de Portugal, v. III, Lisbonne, Estampa, 1997, pp. 117‑119, et Idem, O Discurso Político em Portugal (1600‑1650), Lisbonne, Universidade Aberta, 1988, pp. 73‑80.

15 Ibid., pp. 59‑60. Africano soutient également que les grands postes du royaume soient donnés aux nobles. Cf. Ibid., pp. 43‑45. Cela atteste en outre la complexité de cette

Page 74: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

58 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

Un autre aspect remarquable est l’importance accordée par Africano au secret d’État, surtout en matière militaire. L’auteur affirme ainsi qu’il est prudent « de ne pas divulguer les secrets ou les avisos16 de guerre » susceptibles d’arriver aux « oreilles de la foule, puisque les nouvelles tristes publiées hors occasion découragent le vulgaire », tandis que « les [nouvelles] joyeuses » favorisent l’imprudence de tous. Livrer bataille au moment opportun revient à « assurer la victoire, [tandis que] laisser passer l’occasion qui l’invite serait aventurer l’honneur et l’opinion », ce qui mettrait en péril « le repos et le bien commun »17.

Compte tenu de la diffusion systématique des relations de batailles mentionnées ci‑dessus, il est remarquable qu’Africano ait trouvé nécessaire de déclarer expressément que c’était une erreur stratégique de divulguer publiquement des informations relatives à la guerre, soumettant ainsi aux yeux de la foule un sujet qui devait rester sous le couvert du secret d’État.

Par coïncidence, quelques jours plus tard, le 28 septembre, l’imprimeur royal Antonio Álvares fut appelé par les inquisiteurs du Saint Office pour se prononcer sur la publication d’un imprimé sans leur approbation. L’ouvrage en question était justement un pamphlet informatif relatant une incursion des forces portugaises en territoire castillan18. Interrogé sur le fait qu’il avait imprimé le texte sans l’autorisation ecclésiastique, Antonio Álvares affirma qu’il avait reçu un commandement officiel du secrétaire d’État lui ordonnant, au nom du roi, de publier ladite relation le plus tôt possible, concluant ainsi qu’il était dispensé de toute autre censure.

En réponse, les inquisiteurs lui demandèrent s’il sous‑entendait que le roi était investi de pouvoirs ecclésiastiques, et si la publication de cet imprimé démontrait son intention de passer outre la censure du Saint Office19. La simple mise en circulation d’une relation de guerre sans que les inquisiteurs l’eurent préalablement révisée fut suffisante pour les amener

dispute, vu qu’Africano, tout en étant un juriste, assumait une posture critique à l’égard des lettrés.

16 La traduction est ici problématique, parce que le mot avisos, littéralement « avertissements » ou « annonces », peut aussi désigner les feuilles volantes contenant des nouvelles diverses, genre très à la mode à l’Europe moderne, comme les « avvisi » italiens. Donc, nous préférons garder le terme original.

17 AFRICANO, ouvr. cité, pp. 79‑80.18 Relaçam do que em sustancia contem a carta que o general Dom Gastam

Coutinho…, Lisbonne, António Álvares, 1641.19 Cf. PEREIRA, Isaías da Rosa, « Livros, livreiros e impressores na Inquisição de

Lisboa nos séculos XVI e XVII », in Miscelânea de estudos dedicados a Fernando de Melo Moser, Lisbonne, Comissão Científica do Departamento de Estudos Anglo‑Americanos da Faculdade de Letras de Lisboa, pp. 215‑232, p. 228.

Page 75: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 59

à concevoir l’existence d’une sorte de « menace gallicane » derrière ce conflit de censures. La campagne de propagande du gouvernement avait à peine commencé que l’Inquisition semblait déterminée à démontrer qu’elle ne tolérerait aucune intromission dans sa sphère de pouvoir.

Malgré les frictions, le besoin de pacifier le royaume était à l’ordre du jour, et la monarchie des Bragance semblait comprendre que la propagande était une mesure de guerre indispensable.

Dans ce sens, en décembre 1641, un autre instrument de diffusion d’information – sans aucun précédent dans l’histoire lusitanienne – fut fondé : la Gazeta, premier périodique portugais20. Publiée mensuellement, elle était composée de deux sections : l’une dédiée aux nouvelles du pays et l’autre aux nouvelles étrangères.

En juin 1642, un petit détail y fut toutefois inséré : les tirages suivants portèrent dès lors la signature du secrétaire d’État demandant son impression, comme si la Gazeta nécessitât un effort supplémentaire pour être publiée.

Apparemment, cet effort ne fut pas suffisant car le 19 août 1642, le périodique fut supprimé en raison du caractère invraisemblable d’une partie de son contenu et du style des nouvelles divulguées21.

Il est possible que des informations incorrectes aient effectivement été divulguées22, mais ce qui semble expliquer la vraie raison de la suppression de la Gazeta est l’altération faite après sa republication en novembre 1641 : le retrait de la section dédiée aux nouvelles du pays, qui mit fin à la narration des événements de la politique interne. Dorénavant, le périodique, qui était devenu une sorte de tableau de la géopolitique européenne, ne porterait plus la signature du secrétaire d’État.

Toujours en 1642, D. João da Costa, commandant militaire distingué et l’un des « restaurateurs » de 1640, fut chargé d’envoyer un « mémorial » au roi au nom des nobles mécontents. Signalant l’insatisfaction généralisée à l’égard du gouvernement de D. João IV, D. João da Costa déclare que « le Peuple » murmurait ouvertement, tandis que la noblesse se lamentait de la négligence avec laquelle le royaume était défendu. Le Conseil de Guerre n’avait pas assez de ministres, et même quand leurs propositions étaient

20 Gazeta em que se relatam as novas todas, que ouve nesta corte, e que vieram de varias partes do mes de novembro de 1641, Lisbonne, Lourenço de Anveres, 1641 (Eurico Gomes Dias a publié une édition transcrite du périodique : DIAS, Eurico Gomes, Gazetas da Restauração : [1641‑1648]. Uma revisão das estratégias diplomático‑militares portuguesas, Ministério dos Negócios Estrangeiros, 2006).

21 SILVA, Inocêncio Francisco da, Diccionario Bibliographico Portuguez, Lisbonne, 1858, tome III, p. 137.

22 Le périodique arriva même à se rectifier une fois. DIAS, ouvr. cité, p. 50.

Page 76: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

60 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

justes, le roi ne les acceptait pas, se fiant toujours au « conseil d’autres personnes qui [avaient] beaucoup moins d’instruction militaire »23.

D. João da Costa se plaint de voir toutes les affaires décidées par « les quatre Conseillers d’État » qui s’occupaient des dépêches du roi24 et prie le

23 D’après le mémorial, en un an et demi de gouvernement, le monarque n’avait jamais assisté au Conseil de Guerre, le Conseil de la Fazenda (les finances) souffrant le même sort. En revanche, le roi en gaspillait plusieurs dans d’autres tribunaux, s’occupant d’affaires toujours moins urgentes que la défense du royaume. Cf. MENESES, ouvr. cité, p. 398. Costa et Cunha rappellent que D. João IV assistait souvent au Tribunal de la Relação (tribunal d’appel pour les causes civiles et criminelles), l’exercice impératif de la compétence judiciaire inhérente à la fonction royale étant selon elles en désaccord avec les priorités du moment. Cf. COSTA et CUNHA, ouvr. cité, pp. 161‑162.

24 Selon Costa et Cunha, la « confrontation de plusieurs sources » permet de présumer que ces quatre personnages étaient les marquis de Ferreira et Gouveia, l’archevêque de Lisbonne et le vicomte de Vila Nova de Cerqueira, auxquels se joindrait plus tard le comte de Penaguião (d’après Anastácio, Penaguião était une sorte de mécène des propagandistes de la Restauration. Cf. ANASTÁCIO, Vanda, « ‘Heróicas virtudes e escritos que as publiquem’. D. Quixote nos papéis da Restauração », in Revue der iberishen Halbinseln, nº 28, Berlin, Instituto Ibero‑Americano, 2007, pp. 117‑136, p. 123). Malheureusement, dans l’édition que j’ai consultée, lesdites sources ne sont pas citées (COSTA et CUNHA, ouvr. cité, p. 162). On trouve en revanche un indice plus précis dans l’avis du Conseil d’État adressé à la reine D. Luísa de Gusmão le 23 novembre 1656, après la mort de D. João IV. Il s’agit d’une claire démonstration de pouvoir de la part des conseillers d’État envers la régente, laquelle est emphatiquement exhortée à respecter les lois du royaume et à ne rien décider ni entreprendre sans la consultation des ministres, comme l’aurait fait son mari D. João IV, qui au début de son règne aurait choisi trois ministres – « l’Archevêque de Lisbonne, le Marquis de Gouvea, et celui de Ferreira » auxquels s’ajouterait plus tard un quatrième, « le Vicomte de Villanova » – pour s’occuper de toutes les dépêches royales. Ils venaient tous les après‑midi au Palais, recevaient du monarque « les papiers qu’il avait » et donnaient leur avis sur toutes les questions, indiquant les mesures à prendre et les directions à suivre, de sorte qu’« aucun papier ne se dépêchait autrement ». Le comte de Penaguião rappelait pourtant la jalousie que cette pratique aurait suscitée chez les autres conseillers d’État, d’où il conseilla la reine de choisir trois ministres différents par mois ou par semaine pour assumer la fonction. Ce document, un des seuls qui survécurent au tremblement de terre de Lisbonne responsable de la destruction quasi totale des archives du Conseil d’État, fut publié par Edgar Prestage (PRESTAGE, Edgar Prestage, « O Conselho de Estado de D. João IV e D. Luiza de Gusmão », in Arquivo Histórico Português, v. XI, 1917, pp, 242‑275, p. 256, 264). Le comte de Tovar, dans son article sur l’état des archives du Conseil d’État après le tremblement de terre, fait lui aussi mention de la création d’une sorte de « Conseil privé » par D. João IV le 22 septembre 1641, dont l’activité, parallèle à celle du Conseil d’État, serait attestée par la multiplicité des avis individuels dispersés dans les archives et bibliothèques (cf. TOVAR, Comte de, « Arquivo do Conselho de Estado », in Anais da Academia Portuguesa da História, 1940, v. 11, 2e série, 1961, pp. 53‑67, p. 60).

Page 77: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 61

monarque de se conformer le plus possible aux consultations des tribunaux, étant donné que leurs membres, malgré leur ignorance, connaissaient mieux leur office que ces « ministres des dépêches » ne connaissaient les offices d’autrui25.

La critique du mémorial touchait la personne même du monarque et ses occupations. Selon D. João da Costa, la plupart des plaintes qu’il entendait faisait référence à la faible inclinaison de D. João IV à l’exercice militaire.

Le remède proposé pour guérir ces maux était simple : le roi devrait prendre part au gouvernement et améliorer ses conseillers, instrumentalisant les Conseils de Guerre et de la Fazenda avec les plus grands spécialistes de chaque domaine, et renforcer leur autorité en y assistant au moins une fois par semaine. Enfin, pour apaiser l’« opinion du Peuple », il faudrait que D. João IV s’appliquât à l’exercice de l’art militaire, quittant la Cour pour l’Alentejo, où il pourrait animer les soldats et les récompenser avec justesse26.

En septembre 1642, lors de l’ouverture des séances des Cortes, assemblée politique la plus importante du royaume27, le secrétaire d’État fut la cible d’attaques féroces qui culminèrent dans la réquisition de sa déposition. Parmi ses crimes présumés, on comptait la signature de décrets à l’insu du monarque, l’ordre donné de publier des textes sans l’autorisation de l’Inquisition ainsi que la tentative d’ébranler la noblesse28.

Quelques jours plus tard, les protestations s’intensifièrent et la demande visant à déposer Francisco de Lucena donna lieu à l’exigence de son exécution, résultat d’une action concertée que D. Francisco Manuel de Melo taxa de « conspiration »29. L’élément déterminant fut un paquet de lettres apporté par D. João da Costa, celui‑là même qui avait représenté les plaintes de la noblesse auprès du roi. Théoriquement, les documents devaient prouver que le secrétaire avait entretenu des conversations sécrètes avec les Espagnols30.

25 MENESES, ouvr. cité, p. 398.26 Ibid., pp. 398‑399. Ayant le monarque soumis le mémorial au jugement du Conseil

d’État, il finit par suivre l’avis du marquis de Montalvão, selon lequel le déplacement du roi à la frontière était trop dangereux, surtout en temps où la malice de Castille, dont il avouait craindre plus « le silence que le bruit », contaminait tellement de cœurs portugais. Cf. Ibid., pp. 401‑404.

27 Sur les réunions des Cortes, voir CARDIM, Pedro, Cortes e cultura política no Portugal do Antigo Regime, Lisboa, Cosmos, 1998.

28 AMARO, José Emídio, Francisco de Lucena. Sua vida, martírio e reabilitação, Lisbonne, Instituto para a Alta Cultura, 1945, p. 158.

29 MELO, ouvr. cité, pp. 161‑174.30 AMARO, ouvr. cité, pp. 183‑191.

Page 78: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

62 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

Le 22 avril 1643, le secrétaire fut exécuté en place publique – impossible de ne pas rappeler les paroles d’Africano sur la chute icarienne à laquelle le valido était destiné. D’autre part, D. Francisco de Castro, inquisiteur général arrêté pour avoir conspiré contre D. João IV, fut remis en liberté et reconduit dans ses fonctions31.

En septembre 1644, environ un an et demi après l’exécution du secrétaire d’État, le juriste et conseiller du roi João Pinto Ribeiro32, l’un des principaux organisateurs du mouvement de la Restauration, envoya aux censeurs un traité qui constitua peut‑être à l’époque la prise de position la plus emblématique en faveur des lettrés. Le texte, intitulé « La préférence des lettres aux armes », fut analysé par les censeurs et vit le jour en janvier 164533.

Employant un ton véhément, Ribeiro affirme que les puissants considèrent toujours qu’il est juste de satisfaire leurs désirs arbitraires. Les riches et les seigneurs blessent tous ceux qu’ils considèrent inférieurs. Même les rois n’échappent pas à leur prétention. Il s’ensuit que les « militaires » veulent l’emporter sur les « professeurs des sciences »34.

Selon le juriste, les lettres élèvent l’esprit et enseignent la vertu. Tous les sujets leur appartiennent, y compris la guerre, parce que s’il revient aux soldats de combattre, guerroyer est une science qui s’apprend dans les livres.

Ce n’est qu’à la fin du traité que l’on reconnaît néanmoins toute son envergure et sa motivation primordiale. Au fur et à mesure de la lecture, ce qui se présentait en principe comme une défense générique et abstraite de la supériorité des lettres aux armes – et qui pourrait être compris comme une nouvelle reprise d’un ancien topos littéraire – se transforme en une protestation publique contre un des plus grands changements politico‑institutionnels opérés au Portugal depuis la Restauration, à savoir, la fondation du Conseil de Guerre35.

31 MENEZES, ouvr. cité, p. 320. 32 Pour une liste de titres sur le juriste, voir OLIVEIRA, António de, « Uma

declaração de bens de João Pinto Ribeiro como titular de ofício público », in Revista portuguesa de historia, Coimbra, tome 27, 1992, pp. 221‑231, p. 224, notamment l’article de Luís Miguel de Oliveira Andrade sur la controverse des armes et lettres chez Ribeiro.

33 RIBEIRO, João Pinto, « Preferência das letras às armas », in Obras varias, Coimbra, Joseph Antunes da Sylva, 1730, tome II, pp. 168‑204 (Le texte original fut publié en 1645, à Lisbonne, chez Craesbeeck).

34 Ibid., pp. 168‑169.35 Créé par D. João IV le 11 décembre 1640, dix jours à peine après son acclamation,

le Conseil était censé formuler des orientations sur les questions impérieuses concernant le combat contre Castille. Composé essentiellement de nobles expérimentés en affaires militaires, il était cependant loin d’être un simple organe de consultation, et jouissait en fait des fonctions de commandement, logistique, vigilance et justice sur l’armée et la guerre en général (DORES COSTA, Fernando, « O Conselho de Guerra como lugar de

Page 79: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 63

Institution inédite au Portugal, son apparition provoqua d’innombrables conflits de juridiction avec d’autres instances de décision du royaume, dont le Desembargo do Paço, plus haut tribunal lusitanien36.

Ribeiro, homme de lettres, polémiste habile et lui‑même conseiller du roi et desembargador do Paço depuis janvier 1641, critiquait alors radicalement la séparation des gouvernements civil et militaire perpétrée par l’avènement du Conseil de Guerre et l’éloignement subséquent des lettrés de la conduite des affaires militaires, soutenant fermement le droit des lettrés – surtout des desembargadores do Paço – à assister au Conseil du roi37.

poder : a delimitação de sua autoridade », in Análise Social, v. XLIV, (191), 2009, pp, 379‑414, pp. 381‑385.). Pour une analyse de l’activité du Conseil et les problèmes qui en découlèrent, voir également Idem, « As forças sociais perante a guerra : as Cortes de 1645‑46 e de 1653‑54 », in ouvr. cité, v. XXXVI (161), 2001, pp. 1147‑1181.

36 Les attributions du Conseil restèrent d’ailleurs imprécises et indéfinies pendant longtemps. Début janvier 1644 le roi n’en avait pas encore imprimé le règlement intérieur, dont la rédaction datait du 22 décembre 1643. Cf. DORES COSTA, ouvr. cité, 2009, pp. 384‑385.

37 La question est en vérité plus compliquée qu’il n’y paraît, car pour mieux comprendre le sens de l’argumentation de Ribeiro, il faudrait d’abord préciser l’étendue exacte du rôle politique exercé par le juriste sous le règne de D. João IV, tâche qui n’est pas aisée. Pour le sujet qui nous occupe ici, le point central est de savoir quelles prérogatives le titre de « conseiller du roi », octroyé à Ribeiro le 11 janvier 1641, accordait en effet à son bénéficiaire. Homem souligne que, sous le règne de D. João I, la condition de conseiller du roi était moins un office qu’une dignité possédée et exhibée en permanence, mais pratiquée irrégulièrement, vu que le monarque n’était pas obligé à les convoquer (HOMEM, Armando Luís de Carvalho, « Conselho real ou conselheiros do rei? A propósito dos ‘privados’ de D. João I », in Revista da Faculdade de Letras. História, IIe série, IV, 1987, pp. 9‑68, pp. 20‑22). Même si depuis D. Sebastião l’on constate une réglementation progressive de la fonction des hauts conseillers du roi – surtout avec la publication des régiments du Conseil d’État, dont les membres se réunissaient périodiquement (cf. TOVAR, ouvr. cité, p. 57 et suiv.) – cela ne signifie pas pour autant que d’autres détenteurs du titre de « conseiller royal » ne fussent convoqués sporadiquement à prendre part aux discussions. De fait, le nom de Ribeiro ne figure sur aucune des deux listes des membres du Conseil d’État que nous avons consultées (SOUSA, D. António Caetano de, Conselheiros de Estado desde D. Sebastião até D. João V, Bibliothèque Nationale de Lisbonne – COD 427, pp. 208‑220 et PRESTAGE, ouvr. cité, p. 254), ce qui pourrait suggérer qu’il n’exerçait la fonction de conseiller qu’épisodiquement. Les sources en question demeurent pourtant lacunaires, ne permettant pas d’en tirer une conclusion définitive. Il est quand même intéressant de constater que, sauf erreur de notre part, les seuls lettrés dont le nom figurait dans les listes citées (excepté les prélats) étaient les présidents du Desembargo do Paço. Si cette information s’avère vraie, cela expliquerait pourquoi Ribeiro se prononce si énergiquement contre la création de ce poste dont il remet en question la légitimité, et justifierait également son effort pour prouver que les desembargadores do Paço

Page 80: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

64 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

Dans la partie finale du texte, parmi les nombreuses citations historiques qui soutiennent son discours, Ribeiro en insère pourtant une dont l’importance n’est pas négligeable. Selon lui, au temps des Romains, le Sénat avait compétence en matière de guerre et de paix jusqu’à ce qu’Auguste César la lui retira. Cette décision ne fut toutefois pas motivée par ce qui était convenable à la République, mais par les aspirations tyranniques de l’empereur, puisqu’en retirant aux « sénateurs, proconsuls et gouverneurs de province » leur autorité sur les sujets de guerre, il voulait en fait miner le pouvoir du « Senat » et du « Peuple » pour se faire « seigneur absolu »38.

Or, la mention du juriste lusitanien est tout sauf gratuite et naïve : son César est D. João IV – en accusant de tyranniques les desseins de l’empereur, ce sont les intentions du roi portugais que Ribeiro mettait implicitement en cause.

Certes, la réaction de Ribeiro envers le Conseil de Guerre n’était pas du tout isolée. Comme énoncé précédemment, ce dernier était en effet confronté à une opposition systématique de divers noyaux de pouvoir, et jouissaient intrinsèquement de la condition de membre du Conseil, d’où les lettrés furent apparemment écartés. Selon Ribeiro, il n’a jamais existé au Portugal plus qu’« un Conseil », auquel les desembargadores do Paço avaient toujours accédés. Ainsi, la dépréciation des lettrés dans le royaume serait le résultat d’un désir pour que le Portugal devînt un « imitateur de Castille », où la création d’un Conseil de Guerre précéda l’existence d’une pareille institution dans la monarchie lusitanienne (Cf. RIBEIRO, ouvr. cité, pp. 198‑203). Puis, en 1653, dans une claire réaction à ses positions, D. Francisco Manuel de Melo, adversaire déclaré de Ribeiro, proposa justement que le Portugal employât les structures politiques espagnoles comme modèle d’organisation institutionnelle, soulignant qu’en Castille les « Ministres d’État » étaient également « Ministres de Guerre », tandis que les ministres « de Lois n’[étaient] jamais Ministres d’État ». En outre, le seul poste que les conseillers d’État pouvaient exercer chez d’autres tribunaux était celui de président, ce qui renvoie au problème présenté ci‑dessus (Cf. MELO, Aula Política e Cúria Militar, disponible sur le site internet http://www.uc.pt/uid/celga/recursosonline/cecppc/textosempdf/04aulapolitica, consulté le 29/02/12). Quoiqu’il en soit, il est sûr que Ribeiro nourrit longtemps une rancune à l’encontre de D. João IV, comme en témoigne son testament, dans lequel le juriste, se proclamant avec fierté « du Conseil de Sa Majesté et Son desembargador do paço », priait le monarque de démontrer envers sa veuve « cette obligation de roi » qu’il n’aurait pas su lui donner (Cf. BAENA, Vicomte de Sanches de, Notas e documentos inéditos para a biografia de João Pinto Ribeiro, Lisbonne, Mattos Moreira e Cardosos, 1882, pp. 57‑58). Ce problème met de toute façon en évidence le danger de se fier aux traités juridico‑politiques de l’époque pour décrire l’architecture des pouvoirs et des institutions lorsqu’on omet la nature éminemment polémique de ces textes.

38 D’après Ribeiro, cela aurait engendré la chute de Rome et la perte de sa grandeur. Dans le meilleur style de l’historia magistra vitæ, il ajoute enfin que chez tous les peuples où une telle séparation eut lieu, elle fut toujours animée par l’ambition personnelle et entraîna inévitablement les mêmes conséquences funestes. Ibid., pp. 196‑197.

Page 81: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 65

particulièrement du Desembargo do Paço dont les membres réclamaient fréquemment le droit de se prononcer dans les affaires judiciaires relatives aux soldats et à la gestion de la guerre. D’après Costa, il ne s’agissait pas seulement de rivalités corporatives, mais d’un conflit entre différents modes de gouverner39.

Compte tenu du fait que, en vertu des statuts qui régissaient le Conseil de Guerre, des lettrés étaient régulièrement convoqués aux réunions pour se prononcer sur des questions d’ordre juridique, les disputes devaient être quotidiennes, de telle sorte qu’il n’était d’ailleurs pas rare que des juristes refusassent d’y participer40.

De plus, le moment choisi par Ribeiro pour la publication du traité ne semble nullement arbitraire. En 1641, lors de leur première réunion après l’indépendance du Portugal, les Cortes approuvèrent pour une durée de trois ans l’imposition de taxes supplémentaires destinées au financement de la guerre, notamment les décimes (décimas), tribut universel imposé à tous les sujets du royaume et correspondant à dix pour cent de leur revenu41. En revanche, si le conflit devait se prolonger au delà de cette date, le renouvellement des impôts n’aurait pu – du moins en principe – dispenser une nouvelle convocation des trois états du royaume, c’est‑à‑dire, une renégociation du pacte politique en vigueur42.

A la mi‑1642, les sommes levées étaient néanmoins en deçà du montant accordé l’année précédente et les Cortes furent à nouveau convoquées pour le 15 septembre. Après les pourparlers, on réévalua les contributions et lança une nouvelle cible, qui devait être atteinte par le payement de la décime de la décime, c’est‑à‑dire, 11% des rentes43.

39 DORES COSTA, ouvr. cité, 2009, p. 413.40 Ribeiro lui‑même, ayant été appelé en 1644 au Conseil de Guerre, excusa son

absence alléguant qu’il avait trop de travail à faire à la Torre do Tombo, archives royaux desquels il s’occupait depuis avril de cette année. Ses excuses furent acceptées, mais en 1648 il fut à nouveau convoqué à y comparaître, recevant le bienfait d’être exempté de ses obligations à la Torre do Tombo pendant les après‑midi où il assistât au Conseil. C’était, bien entendu, un jeu cynique d’outrages réciproques. Les disputes touchaient même la question du cérémonial et la définition des places à prendre pour chacun lors des visites des lettrés au Conseil de Guerre ou lors des réunions de celui‑ci avec le Conseil d’État. En 1645, par exemple, les corregedores de Lisbonne, ayant été appelés au Conseil de Guerre, refusèrent d’y entrer, sauf si on leur donnât des chaises pour qu’ils s’assissent, ce qui enfreignait le régiment du Conseil selon lequel le droit de s’asseoir était uniquement un privilège des fidalgos et desembargadores. Cf. DORES COSTA, ouvr. cité, 2009, p. 398.

41 Sur ce sujet, voir MAGALHÃES, Joaquim Romero, « Dinheiro para a guerra : as décimas da Restauração », in Hispania, LXIV, nº 216, 2004, pp. 157‑182.

42 DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, p. 1148. 43 MAGALHÃES, ouvr. cité, p. 165.

Page 82: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

66 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

Sur le plan international, la Guerre de Trente Ans touchait à sa fin, les conversations de paix ayant été entamées à Münster et à Onasbrück en 1643. L’espoir de pacification n’arriva toutefois pas au Portugal44.

La situation empira en 1644, lorsque le premier grand combat entre les armées portugaise et castillane eut lieu45. La nécessité de compenser les pertes de l’armée après la rencontre et l’ancien, mais toujours pressant, besoin de fortifier les places frontalières s’ajoutaient à d’autres revers économiques – surtout ceux provenant des harcèlements subis par les conquêtes lusitaniennes d’outre‑mer –, contraignant le gouvernement à intensifier la pression fiscale.

L’insatisfaction qui suivit l’imposition des nouveaux tributs ne s’étant cependant pas affaiblie, la chambre de Lisbonne défendait fermement que les contributions ne devraient pas être prorogées sans une réunion préalable des trois états du royaume46, rappelant le compromis assumé par le roi lors des Cortes de 164247.

L’expectative de la prochaine célébration des Cortes, instance par excellence où les représentants des trois ordres présentaient au monarque leurs plaidoyers, agita alors la scène politique lusitanienne, poussant la constitution d’alliances et la préparation des stratégies pour la négociation à venir48.

44 Exclue de la table des négociations par l’influence de Philippe IV, la monarchie des Bragance se retrouvait dans une position fort défavorable, étant donné que la signature d’un traité unilatéral de paix voire des trêves entre l’Espagne et ses ennemies permettrait à celle‑ci de concentrer ses forces dans une attaque frontale aux rebelles lusitaniens. Sur l’action des envoyés portugais à Westphalie et les difficultés de la diplomatie des Bragance, voir CARDIM, Pedro, « Portuguese Rebels at Münster. The Diplomatic Self Fashioning in mid‑17th Century European Politics », in DUCHHARDT, Heinz (éd.), Der Westfälische Friede, Historische Zeitschrift, Beiheft 26, Munich, 1998, pp. 296‑300.

45 Au mois de mai, des milliers de soldats s’affrontèrent sur les champs de l’Estrémadure espagnole lors de la bataille de Montijo, transformant la face d’une guerre qui n’avait jusqu’à lors été constituée que d’une suite de pillages et petites incursions de part et d’autre de la frontière. Sur la guerre, voir DORES COSTA, A Guerra da Restauração 1641‑1668, Lisbonne, Livros Horizonte, 2004.

46 MAGALHÃES, ouvr. cité, p. 165.47 DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, p. 1149.48 Quoique les Cortes n’eussent été convoquées que pour le 20 novembre 1645, les

tensions se firent sentir tout au long de l’année. Le 20 avril, par exemple, une lettre de la chambre de Viseu en réponse aux prétentions royales sur la levée des impôts manquants déclarait qu’il était impossible de satisfaire les demandes exigées, vu l’oppression que subissaient la ville et la comarque depuis l’acclamation de D. João IV, lesquelles, malgré leur contentement de la liberté restituée, étaient « scandalisées » du « mauvais gouvernement » des « ministres de guerre ». DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, pp. 1148‑1149.

Page 83: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 67

Ayant reçu la première évaluation de la censure le 23 septembre 1644 et n’ayant obtenu l’autorisation définitive d’être publié que le 23 janvier 1645, le traité de Ribeiro se situe ainsi dans l’ambiance d’insoumission fiscale qui précéda les Cortes de 164549.

Il ne sera donc pas étonnant de constater que la polémique des armes et lettres fut l’un des sujets qui animèrent les débats de l’assemblée entre fin 1645 et début 1646. Son auteur étant parfaitement conscient que cette problématique était au centre de la conjoncture critique de la moitié des années 1640, la « Préférence des lettres aux armes » correspond à la fois à une prise de position publique de Ribeiro face au conflit existant et à une intervention politique à chaud visant à influencer les futures conversations des Cortes50.

Ainsi, dès l’ouverture des Cortes de 1645‑1646, les procureurs des Peuples – grosso modo les représentants des villes à l’assemblée –, accusèrent les ministres militaires de malversation d’impôts et déplorèrent l’accablement auquel les populations étaient soumises.

La polémique des armes et lettres révélait encore une de ses facettes : majoritairement au service des oligarchies locales51, les procureurs des Peuples s’attaquaient au Conseil de Guerre dans le but de préserver l’autonomie des pouvoirs municipaux et soulager les villes du fardeau d’entretenir l’armée52.

Derrière l’image simpliste d’une controverse littéraire se cachait ainsi une pluralité de disputes concrètes entre plusieurs institutions et agents politiques du royaume formant un énorme conflit de juridiction qui mettait en relief des problèmes d’ordre majeur relevant de la guerre, à savoir, les modalités de recrutement des troupes, le payement des soldes, la punition des crimes militaires, l’administration des tributs et même la conduite du combat proprement dite53.

49 Ibid., p. 1148.50 Les décrets successifs du roi réglant la question de la hiérarchie des conseillers

pendant les années 1644 et 1645 témoignent de la gravité des tensions entre les membres des Conseils du royaume et à l’intérieur même de chaque institution. Le 17 octobre 1645, par exemple, D. João IV prit explicitement et concrètement le parti des nobles : ayant accordé à António Cavide une place au Conseil de la Fazenda, le monarque déclare nominalement que les conseillers de cape et d’épée, tel que Cavide, précédaient les conseillers lettrés dans le siège et dans le vote, ordonnant ainsi qu’on lui rendît l’honneur dû à son rang. Les décrets sont disponibles sur le site internet www.iuslusitaniae.fcsh.unl.pt.

51 CARDIM, Pedro, « Cortes e Procuradores do Reinado de D. João IV », in Penélope, nº 9/10, 1993, pp. 63‑71, pp. 65‑67.

52 DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, p. 1160. 53 Il faut toutefois se mettre en garde contre la dynamique rhétorique de cette querelle,

car si les pétitionnaires des Peuples, autoproclamés avocats des pauvres, des paysans

Page 84: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

68 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

Contrairement à ce que le traité de Ribeiro suggère, le roi semblait être étranglé par une lutte acharnée de factions qu’il ne réussissait pas à contrôler. Si par la création du Conseil de Guerre le monarque prétendait vraiment concentrer le pouvoir en ses mains, tel que suggéra Ribeiro, force est de reconnaître que son projet fut un échec total. Les conseillers militaires lui firent opposition maintes fois54. En vérité, les deux partis en jeu se montraient disposés à faire pression sur le roi à chaque fois qu’il menaçait de pencher vers un des camps55.misérables et des soldats affamés, accusaient les militaires d’immoralité, le contraire n’était pas moins vrai. D. Álvares Abranches, conseiller de guerre et ancien gouverneur des armes de la province de Beira, critiqua par exemple le cynisme des plaintes de la chambre de Viseu selon lesquelles les militaires détournaient l’argent des impôts de guerre à des fins personnelles et enrôlaient les habitants de force, les obligeant à abandonner leur récolte pour accourir à la frontière, bien qu’ils eussent déjà gaspillé toutes leurs ressources afin de financer le solde des soldats – financement qui visait justement à dispenser les sujets de tout engagement personnel au champ de bataille. D’après Abranches, la vraie motivation de ses plaintes résidait pourtant dans le ressentiment des officiers de la chambre envers les préjudices que la guerre avait portés au pouvoir abusif qu’ils détenaient à l’échelle locale. A part la population honnête qui avait toujours vécu de ses propres métiers, ces hommes vivant des offices de l’État voulaient uniquement conserver leurs privilèges injustifiables. Avant la guerre, ces officiers, dont le poste de capitaine leur octroyait le contrôle du recrutement, exploitaient les travailleurs en leur demandant de nombreuses faveurs en échange de l’exemption du service militaire. Ainsi, une fois que chacun d’eux était auparavant comme un « roi dans le lieu où il habitait », ils se levaient alors contre les nouvelles modalités de mobilisation de troupes et d’organisation de la guerre, menaçant de ne plus payer les décimes. Cf. DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, pp. 1158‑1159.

54 Au début des années 1650, le roi, tendant vers une politique de trêves, essaya par exemple de prohiber les pillages dans le territoire castillan. Le Conseil de Guerre lui désobéit alors systématiquement et le général de cavalerie André de Albuquerque arriva même à contester ouvertement ses orientations, argumentant que la plupart des ressources qui servaient à entretenir les troupes venait justement des sacs, la majorité des chevaux de la cavalerie portugaise étant prise aux Castillans. De plus, du point de vue du général, l’établissement des trêves aurait été désastreux à ce moment‑là, car il aurait permis aux ennemis de composer enfin une armée suffisamment puissante pour reconquérir le Portugal. Selon Dores Costa, le roi ne disposait tout simplement pas des moyens de commander l’armée ; au début des années 1650, la force militaire en activité dépendait moins de l’argent octroyé par l’administration royale que des biens pillés. Ce n’est qu’à partir de 1657 que l’intensification de la guerre changerait cette situation, ce qui exigerait dès lors une quantité bien plus importante de ressources, devenant alors impératif de faire appel aux aides des provinces et du roi. Cf. Ibid., pp. 1170‑1172.

55 En 1654, dans une occurrence révélatrice de l’étendue et de l’instabilité du conflit, les membres du Conseil de Guerre se soulevèrent à nouveau, cette fois‑ci contre la supposée intention de D. João IV de supprimer l’institution. L’altercation fut déclenchée par la décision royale de retirer aux conseillers le droit de proposer les noms des candidats

Page 85: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 69

La querelle des armes et lettres semble en effet avoir traversé tout le règne de D. João IV, constituant l’un des enjeux les plus significatifs de la politique interne du Portugal56. Lors des Cortes de 1653‑1654, le débat était encore vivant57. A l’époque, l’un des points épineux était la tentative de

aux postes lettrés du Conseil de Guerre. Dans sa réponse aux doléances des conseillers, le roi nia que cette initiative fût venue du Desembargo do Paço et insinua que les membres du Conseil s’étaient montrés incapables d’indiquer des personnes compétentes pour ces offices. Les conseillers répliquèrent au monarque – même si le message ne lui fut jamais envoyé – que si c’était son désir de dissoudre le Conseil, il valait mieux le satisfaire une bonne fois pour toutes plutôt que de manière graduelle, rognant peu à peu ses compétences jusqu’à ne plus lui laisser qu’un rôle décoratif. Dores Costa affirme que le début des années 1650 représente une deuxième phase du règne de D. João IV, caractérisée par la chute de l’importante du Conseil de Guerre, contrastant avec la période initiale, marquée par l’influence déterminante de l’institution dans la politique portugaise. Cf. Ibid., p. 1179.

56 Loin d’être exclusivement circonscrit aux discussions internes des Conseils, le débat atteignit une dimension publique expressive, mobilisant la plume de quelques personnalités notoires du XVIIe siècle portugais, tel que D. Francisco Manuel de Melo, déjà mentionné auparavant (sur Melo, voir TORGAL, Luís Reis, Ideologia Política e Teoria de Estado na Restauração, Coimbra, Biblioteca Geral da Universidade, 1981, v. I, pp. 331‑332, 379‑380), et António de Sousa de Macedo, qui écrivit en 1651 : « La fin ou l’objet de la jurisprudence, n’est pas seulement le traitement des plaintes, comme le croient les incompétents, mais également la bonne organisation politique du gouvernement de la paix, les besoins légitimes de la république dans la guerre, la juste raison d’État face aux étrangers, la souveraineté décente avec les vassaux, et tout ce qui appartient à la direction du prince parfait » (Armonia politica, 1651, apud HESPANHA, António Manuel, « Paradigmes de légitimation, aires de gouvernement, traitement administratif et agents de l’administration », in DESCIMON, Robert, SCHAUB, Jean‑Frédéric et VINCENT, Bernard (dirs.), Les figures de l’administrateur. Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal 16e‑19e siècle, Paris, EHESS, 1991, pp. 19‑28, p. 21). Ribeiro reviendra encore sur ce sujet en 1649, prenant la défense du Desembargo do Paço (RIBEIRO, João Pinto, Lustre ao Desembargo do Paço…, Lisbonne, Craesbeeck, 1649). Faisant preuve d’une conception philosophique fort pessimiste, la célèbre Arte de Furtar se moquerait de la polémique, en réduisant l’argumentation à un simple jeu opportuniste où chacun défend ses intérêts personnels : « Et la première maxime de toute la Politique du monde est que tous ses préceptes se résument à deux, tel que nous l’avions dit, le bon pour moi, le mauvais pour vous » (Arte de Furtar, apud TORGAL, ouvr. cité, p. 381).

57 Les tensions entre le Conseil de Guerre et les lettrés aux alentours des Cortes de 1653‑1654 étaient très intenses. Faisant suite à une demande des procureurs des Peuples, une décision royale restreignant l’étendue de l’obligation d’entretenir des chevaux déclencha discussions et débats. Le Conseil de Guerre exprima alors son opposition à la restriction et dénonça l’incompétence militaire du groupe de lettrés (« junta de letrados ») qui analysa le chapitre des Cortes ayant trait à cette mesure (DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, p. 1167). Il est utile de rappeler à ce propos que, selon Cardim, le juriste et procureur de la Couronne Tomé Pinheiro da Veiga essaya en 1645 de centraliser la

Page 86: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

70 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

confier aux lettrés la mission d’inspecter périodiquement des gouverneurs des armes et d’autres dirigeants militaires.

Cela entraîna une réaction furieuse des conseillers de guerre (y compris le comte de Soure, D. João da Costa, celui‑là même qui avait apporté aux Cortes les preuves accablant Lucena58). Ils communiquèrent au roi leur indignation le 23 décembre 1654, déclarant qu’il était inacceptable de donner permission à « un ministre » afin qu’il pût, sur la seule foi de son jugement personnel, « diffamer les personnes les plus méritantes » en les exposant et les « discréditant (…) vis‑à‑vis des peuples et des soldats », de sorte qu’elles furent maudites par la « voix et fama du vulgaire ». Après la concession d’un pouvoir si démesuré aux lettrés, une simple fausse information suffirait pour « décomposer un général », ce qui équivaudrait à exposer ces individus à la « malveillance de leurs ennemis »59.

Voilà encore une dimension inattendue de cette polémique, à savoir, la place centrale du rôle politique de l’opinion des hommes dans la société portugaise du XVIIe siècle. Aux yeux des membres du Conseil de Guerre, la réussite d’un général dépendait énormément de son prestige

procédure d’appréciation des plaintes formulées par les Cortes, sous prétexte de ne pas retarder la réponse aux questions posées, comme lors des Cortes de 1641 et 1642, où plusieurs groupes étaient chargés d’analyser les pétitions, chacun d’eux s’occupant d’une aire thématique différente. Ainsi, aux Cortes de 1645, une seule « junta » fut nommée. Elle avait comme membres Pinheiro da Veiga, Jorge Araújo Estaço, André Franco et, épisodiquement, Francisco de Carvalho, tous officiers de la Relação de Lisbonne. Pinheiro da Veiga exerça apparemment un rôle central dans les Cortes de 1645, étant dispensé de toutes ses autres obligations pendant le déroulement de l’assemblée. Cardim signale que l’écriture de Pinheiro da Veiga, facilement identifiable dans les documents, atteste qu’il étudia soigneusement tous les chapitres, soulignant les passages principaux, résumant les sollicitations en marge et suggérant la réponse que le monarque devrait donner. Cardim déclare ne pas être sûr de la continuité de cette procédure lors des Cortes suivantes, mais la similitude entre l’action de la « junta » de Pinheiro da Veiga et les plaintes des conseillers de guerre n’est pas négligeable (CARDIM, Pedro, Cortes e cultura…, 1998, pp. 163‑165).

58 D. João da Costa semble avoir en effet maintenu une solide opposition face aux lettrés dans le royaume. En accord avec d’autres commandants militaires, il soutenait la prison des parents des soldats comme une procédure efficace contre les évasions. Les ministres de lettres, de concert avec les élites locales, sabotaient cette pratique, essayant d’interdire les envoyés des commandants militaires d’entreprendre lesdits emprisonnements. L’argument de Costa renvoie à la préservation de la hiérarchie militaire : sans un moyen effectif de punir les soldats évadés, il n’y en aurait aucun qui ne s’enfuît, étant donné que les combattants, voyant que « les justices » protègent les fugitifs, « se moquent des ordres des gouverneurs des armes ». Cf. DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, p. 1157.

59 Cf. Ibid., p. 1175.

Page 87: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 71

(ou de sa réputation, pour employer un terme courant du langage politique moderne60), lequel ne relevait pas seulement des avis des élites, mais aussi de ceux des soldats et des gens « vulgaires ».

La suite du discours est très révélatrice de l’instabilité produite par cette controverse qui risquait de remettre en cause plusieurs des fondements de la société portugaise de l’Ancien Régime, tel que le secret d’État, les limites de la participation politique voire la hiérarchie sociale proprement dite :

« Comment un soldat peut juger la raison qu’a eue le Général pour ne pas entreprendre l’une ou l’autre action, ou pour ne pas lutter contre l’ennemi, s’il ne connaît pas les ordres qu’il avait reçus de son Prince ou les considérations qui l’ont poussé à ne pas combattre l’ennemi, ou comment un ministre de lettres peut juger si les considérations que le Gouverneur des armes a eues pour combattre furent justes ou non, ceci étant le point le plus difficile de l’art militaire qu’il n’enseigne pas, ni ne l’a vu ou appris ? »61

Bien entendu, l’argumentation renvoie à celle d’Africano en 1641 selon laquelle il était une erreur crasse de divulguer des nouvelles de guerre et d’exposer ce qui devait rester secret. Il ne s’agit alors plus simplement d’établir qui doit gouverner et comment, mais de définir qui doit prendre part à la politique.

Une dernière remarque : en juillet 1645, à peu près six mois après la publication du traité de Ribeiro, la Gazeta recommença à publier des nouvelles relatives au royaume du Portugal, notamment des relations sur les mouvements de troupes lusitaniennes à la frontière et leurs affrontements avec les Castillans – le genre même de nouvelles qui avait provoqué sa suppression en 1642.

Pendant trois mois consécutifs, le périodique maintint cette pratique, élargissant progressivement l’espace dédié aux nouvelles du royaume. Au mois de septembre, ce changement éditorial atteignit son paroxysme, aussi bien que sa fin.

Après avoir démenti la nouvelle d’une invasion espagnole, la Gazeta justifia le besoin de divulguer les succès des troupes lusitaniennes en affirmant que la foule répétait à droite et à gauche n’importe quelle rumeur, si absurde fût‑elle, et ajouta ensuite que si les Portugais aimaient la déchirure

60 À titre d’exemple, voir l’importance donnée par le jésuite Giovanni Botero aux notions de « réputation », « opinion » et « fama ». Cf. BOTERO, Giovanni, Da Razão de Estado, Coimbra, Instituto Nacional de Investigação Científica, 1992, pp. 25‑26, 50‑51, 57‑66.

61 DORES COSTA, ouvr. cité, 2001, p. 1176.

Page 88: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

72 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

de la plume autant que la coupure de l’épée, d’innombrables relations de leurs victoires pourraient être écrites, et une fois la vérité manifestée, les triomphes des Castillans seraient convertis en tombes62.

A la suite de cette protestation, le périodique disparut pendant onze mois. Des deux années suivantes, il ne reste que trois exemplaires de la Gazeta, qui finit par disparaître définitivement en septembre 1647.

Force est de remarquer que la Gazeta utilisa exactement les mêmes termes que ceux employés dans la querelle des armes et lettres pour exprimer son déplaisir par rapport à la soi‑disant pénurie de relations sur les succès militaires lusitaniens.

Existerait‑il alors un lien entre cette controverse et la campagne de propagande entreprise par le gouvernement pour pacifier un royaume plongé dans une ambiance de peur et d’incertitude ? Y aurait‑il un rapport quelconque entre le rejet de la présence des lettrés aux Conseils royaux et un certain désagrément causé par la publication de nouvelles de guerre par le biais de l’impression systématique d’une multitude de feuilles informatives et du premier périodique portugais, ou la lamentation enflammée de la Gazeta relèverait‑elle d’un simple lieu commun rhétorique ?

La question est fort difficile résoudre. Quoiqu’il en soit, il ne s’agit nullement ici de formuler des réponses définitives aux interrogations énumérées ci‑dessus, mais de mettre en relief quelques nuances d’une problématique dont la complexité ne doit pas être sous‑estimée.

Ladite « controverse des armes et lettres », expression vague sous laquelle peuvent être dangereusement rassemblés plusieurs phénomènes sociaux essentiellement distincts, constitue le carrefour d’anciennes traditions littéraires et de vifs conflits politiques en cours de déroulement, un prisme qui déploie les composantes cachées d’une lumière souvent réputée homogène.

Sous l’angle littéraire, il en ressort un topos qui traverse les siècles et invite de nombreux écrivains à travers les âges à revisiter les mêmes lieux communs dont la survie a l’apparence de dépendre plus des conditionnements formels et esthétiques – voire d’une sorte d’inertie de la tradition savante – que des événements du temps présent.

D’un point de vue panoramique, sur le long terme émerge l’image d’un conflit générationnel de groupes sociaux rivaux, auquel on ne saurait guère attribuer un sens téléologique quelconque63.

62 DIAS, ouvr. cité, pp. 389‑390.63 Schaub voit le problème en termes d’un choc entre deux cultures politiques

antagoniques : « L’opposition des armes et des lettres constitue un des lieux communs littéraires les plus répandus dans le monde hispanique et portugais, au tournant des XVIe

Page 89: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les livres de la noblesse ou la noblesse des livres... 73

Dans la perspective de la conjoncture historique, il convient de constater l’essor de ce qui fut peut‑être un des clivages politiques les plus significatifs du règne de D. João IV. Ignorer cette dernière dimension serait certainement mépriser l’aspect le plus concret, semble‑t‑il, du débat entrepris pendant les premières années de la Restauration64.

Bien entendu, l’approche adoptée ici consiste moins à considérer les textes juridico‑politiques de l’époque comme une pure exposition descriptive des structures institutionnelles et pratiques sociales ancestrales de la monarchie lusitanienne que comme une proposition pour l’organisation de cette même société selon tel ou tel critère, valorisant certaines institutions, personnes et pratiques au détriment d’autres, quoiqu’ils demeurent formellement dans le cadre des modèles littéraires consacrés.

Cette spécificité est, de notre avis, responsable de la tournure

et XVIIe siècles. Il présente l’affrontement de l’hidalguia fondée sur la notoriété et la transmission héréditaire, d’un côté, et du statut privilégié par acquisition des compétences de lettré, de l’autre. De plus, il organise un champ d’affrontements entre acteurs politiques installés dans l’entourage royale, en raison de leur rang, et spécialistes du droit ou de la théologie écoutés par le roi, en raison de leurs compétences ». Le contraste se manifestait aussi dans les modalités d’accéder à la politique, le parcours politique de la noblesse se faisant par le biais des charges de la maison royale et de la carrière des armes, tandis que les lettrés suivaient le chemin de la formation universitaire et des offices de magistrature. Ainsi, aurait existé une culture politique « anti‑letrada » qui exprimait le mépris des aristocrates à l’égard de la fonction lettrée, réputée inférieure à leur rang. Les cadets des familles nobles investirent les collèges, mais cela « ne signifie pas qu’ils aient fait leurs les valeurs professionnelles des gradés de l’Université » (SCHAUB, « Identification du jurisconsulte. Composition et conflits d’autorités dans les sociétés ibériques au XVIIe siècle », in GARAVAGLIA, Juan Carlos et SCHAUN, Jean‑Frédéric (dirs.), Lois, Justice, Coutume. Amérique et Europe latines. 16e‑19e siècle, Paris, EHESS, 2005, pp. 29‑55, pp. 38‑41). L’auteur souligne qu’il faut pourtant « se garder de livrer une chronologie trop simple » à ce débat : « La confrontation des héritiers et des hommes nouveaux se produit à chaque génération, par épuisement des uns et ascension des autres, sans qu’on puisse distinguer les rois hostiles aux aristocrates et favorables aux lettrés des monarques qui font le choix inverse » (Ibid., p. 53).

64 Certes, il est absolument nécessaire de bien connaître le langage et la pensée politique de l’époque pour pouvoir situer chaque texte à sa juste place. En revanche, les analyses qui se limitent à considérer les arguments énoncés par les auteurs comme de simples reprises de lieux communs du discours politique, les liant à une sorte d’omniprésence anhistorique de la tradition sans prendre en compte leur relation avec les événements d’actualité qui les rendent intelligibles au‑delà de leur cohérence textuelle interne, décontextualisent irrécupérablement les ouvrages, ne pouvant à peine expliquer pourquoi tel ou tel écrit fut publié à telle ou telle date. D’ailleurs, si les textes politiques ne sont plus qu’une reproduction du paradigme culturel établi, à quoi bon publier, si tout a déjà été dit ?

Page 90: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

74 DANIEL MAGALHÃES PORTO SARAIVA

apparemment contradictoire d’un ensemble d’écrits à la fois conservateurs – dans le sens où ils font appel à la tradition, à la coutume et au respect à l’ordre naturel des choses – et transformateurs – dans la mesure où ils réinterprètent, dans des limites plus au moins étroites, les rôles des hommes dans la société, soumettant les lieux communs du discours politique aux objectifs pragmatiques qu’ils sont censés atteindre. Ainsi, un même argument de fond pouvait servir à la rigueur de base justificative à des factions manifestement adverses.

Autrement dit, lorsqu’on sort de l’océan tranquille des paradigmes séculaires de la pensée ibérique pour entrer dans le fleuve turbulent de la conjoncture historique, il s’opère une inversion de perspectives à la suite de laquelle l’action ne se présente plus comme le simple résultat de la tradition – ce sont plutôt les agents sociaux qui, tout en puisant dans une même source culturelle, emploient des références théoriques communes pour légitimer dans une circonstance donnée des positions politiques tout à fait inconciliables au niveau pratique.

La compréhension adéquate de ce mécanisme subtil est susceptible d’aider à surmonter l’écrasante sensation de conservatisme – qui semble parfois nous donner l’impression illusoire que rien de nouveau ne se passait au Portugal avant la fin de l’Ancien Régime – dont est imprégnée une partie significative de l’historiographie lusitanienne.

Si l’on se laisse plonger dans l’effervescente contingence de la vie quotidienne, l’analyse approfondie de la controverse des armes et lettres pendant le règne de D. João IV peut révéler la face fréquemment oubliée d’une société où la fonction des hommes et des livres, de la politique et des idées, n’était pas entièrement figée dans une orthodoxie totalitaire et immobile.

Si au contraire, l’analyse s’arrête au niveau du discours, la culture lusitanienne à l’époque moderne aura tendance à ressembler à un monolithe où le miracle d’Ourique, le sébastianisme, l’hégémonie catholique, l’Inquisition et le monarchisme jamais contesté65 composeront la figure d’un pays renfermé sur lui‑même, quasi invulnérable à l’effet du temps, voire exotique aux yeux des sociétés dont l’histoire est considérée avoir jeté les fondations du monde contemporain.

65 Il n’est pas inutile quand même de rappeler que, selon Ericeira, les « restaurateurs » de 1640 étaient disposés à fonder une République, dans le cas où le duc de Bragance n’acceptât pas la couronne. Cf. MENEZES, ouvr. cité, pp. 97‑98.

Page 91: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France

aux XVIe‑XIXe siècles : l’exemple des La Rochefoucauld

FRÉDÉRIC BARBIER

[En France], ce n’est pas aux frontières sociales des ordres, mais à l’intérieur de la société cultivée que prend corps peu à peu l’alternative politique du siècle (…). Une société des élites (…) qui exclut non seulement les classes populaires, mais une grande partie de la noblesse du royaume. Mélange instable et séduisant de l’intelligence et du rang, de l’esprit et du snobisme, ce monde est capable de critiquer tout, y compris et surtout lui‑même 1.

I – LA NOBLESSE ET LES LIVRES

1) Prolégomènes

Les catégories universitaires sont souvent critiquables, en tant qu’institutionnalisation d’un certain état de la connaissance, mais elles sont aussi signifiantes. L’enseignement de l’histoire est réparti, en France, en quatre grandes périodes : histoire antique (jusqu’à la disparition de l’Empire romain d’Occident), médiévale (jusqu’à la chute de Constantinople), moderne (jusqu’à la Révolution de 1789) et contemporaine. Ces catégories paraîtront quelque peu étranges aux non spécialistes, pour qui la Révolution et le Premier Empire, voire le XIXe et une partie du XXe siècle, ne relèvent pas de la contemporanéité. Certes, cette périodisation rend impossible d’étudier les processus que l’on a désignés comme la première et la seconde

* [email protected], et : http://histoire‑du‑livre.blogspot.com/1 François Furet, Penser la Révolution française, Paris, 1978, p. 181‑182.

Page 92: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

76 FRÉDÉRIC BARBIER

révolutions du livre, celle de Gutenberg2 et celle de l’industrialisation : l’industrialisation de la « librairie » en Europe occidentale ne se donne à comprendre que par l’élargissement antérieur des marchés, et par les déplacements de l’économie de l’imprimé sous l’Ancien Régime3. Plus globalement, le XVIIIe siècle est dominé par la problématique de la modernisation, dans les domaines économique, social et politique, et la clé de cette modernisation réside dans la diffusion des Lumières, donc du média – le livre et, de plus en plus, le périodique.

Le projet de modernisation est porté par des acteurs et par des intermédiaires, parmi lesquels les représentants de la noblesse occupent déssormais une position clé : de sorte que l’on en arrive, notamment en France, à la situation en apparence paradoxale qui fait d’un certain nombre de nobles les partisans de réformes politiques tendant possiblement à remettre en cause leurs propres privilèges4. Pareillement, un peu partout en Europe, des représentants de la noblesse (et de la plus haute noblesse) s’engagent en faveur des Lumières : ils se forment et ils s’informent, ils financent et mettent en application5, ils travaillent et ils publient, ils constituent des bibliothèques et, parfois, les mettent à la disposition de leurs contemporains membres de la République des Lettres. Cette prise en charge de la chose publique par la noblesse, qui pose le problème de son articulation avec le statut et le rôle du souverain, a une incidence certaine sur l’« économie » du livre au sens large. Nous voudrions nous arrêter ici sur les origines et sur la typologie du phénomène, en privilégiant le paradigme de l’histoire sociale. Précisons que cette contribution n’a pour objectif que de jalonner

2 Frédéric Barbier, L’Europe de Gutenberg. Le livre et l’invention de la modernité occidentale (XIIIe‑XVIe siècle), Paris, 2006.

3 Donc témoignent, par exemple, la réorganisation de la branche, en Allemagne avec la Réforme de Reich, en France avec les arrêts de 1777.

4 La bibliographie à développer serait immense. Bornons‑nous à rappeler ici quelques titres : H. Carre, La Noblesse de France et l’opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, 1920 ; Jean Meyer, Noblesse et pouvoir dans l’Europe d’Ancien Régime, Paris, 1973 ; Guy Chaussinand‑Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle : de la féodalité aux Lumières, Paris, 1976 (plusieurs rééd., dont celle présentée par Emmanuel Le Roy‑Ladurie, Paris, 2000), ou encore la thèse de Jean Meyer consacrée à La Noblesse bretonne au XVIIIe siècle (Paris, 1966). Et surtout, s’agissant d’histoire des bibliothèques de la noblesse, l’article de Daniel Roche, « Noblesse et culture dans la France du XVIIIe siècle : les lectures de la noblesse », dans Buch und Sammler. Private und öffentliche Bibliotheken im 18. Jahrhundert, Heidelberg, 1979, p. 9‑27. Voir aussi : Marie‑Pierre Dion, « Die französische Forschung zur Geschichte der Adelsbibliotheken im 18. Jahrhundert : Fakten und Perspektiven », dans Wolfenbütteler Notizen zur Buchgeschichte, 1984, III, p. 125‑143.

5 Surtout pour l’agronomie, mais on pourrait aussi songer à la métallurgie (cf. les forges de Buffon à Montbard), etc.

Page 93: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 77

une problématique très large, d’en éclairer la typologie et, peut‑être, de proposer quelques hypothèses. Nos exemples seront pris en France, la situation de l’Allemagne et de l’Europe habsbourgeoise étant marquée par l’émergence d’autres « intermédiaires » que la noblesse, ceux de la « bourgeoisie des talents » (Bildungsbürgertum), des « fonctionnaires » (y compris les ecclésiastiques) et des monarques éclairés.

2) Qu’est‑ce qu’être noble à l’époque moderne ?

La première question à poser porte sur l’identité de la noblesse : qu’est‑ce qu’être noble, et pourquoi certains représentants de la noblesse se sentiraient ou non appelés à prendre en charge le processus de transfert culturel dans le sens de la modernisation ? Dans quelle mesure le statut de la noblesse induit‑il un certain rôle au sein de la société, et comme ce rôle se déplace‑t‑il au cours des siècles jusqu’à intégrer, à l’époque des Lumières, la responsabilité de la modernisation sociale, économique et politique ? Daniel Roche explique :

Le terme de noblesse est commode, mais il vaut mieux l’écrire au pluriel tant il recouvre de réalités différentes et complexes6.

Il y a de fait plusieurs « noblesses », que, s’agissant de la France, Beaumarchais évoque sur le mode ironique dans la célèbre « Préface » de son Mariage de Figaro : la « haute » et la « moyenne » noblesse, la noblesse « antique » et la noblesse « moderne », etc.7 La base de la noblesse reste, en principe, la naissance (on naît noble), mais les voies de l’anoblissement s’ouvrent de plus en plus. Une typologie brève nous ferait passer en revue la noblesse de cour, la noblesse de robe (la magistrature) et la noblesse d’offices8, la haute noblesse (les ducs et pairs si chers à Saint‑Simon) et la petite noblesse (dans le monde rural), sans oublier les négociants et financiers anoblis par l’achat d’une terre à laquelle est attaché un titre. Ces composantes de la noblesse ne se valent évidemment pas, et leurs traditions

6 Daniel Roche, art. cité, p. 10.7 Antoine Caron de Beaumarchais, La Folle journée, ou le Mariage de Figaro.

Comédie en cinq actes, en prose, par M. de Beaumarchais. Représentée pour la première fois par les Comédiens Français ordinaires du Roi, le mardi 27 avril 1784, Au Palais‑Royal, chez Ruault, libraire, près le Théâtre, n° 216, M.DCC.LXXXV (À Paris, de l’imprimerie de Ph.‑D. Pierres, imprimeur ordinaire du Roi, &c), [4‑]LVI‑237 p., 1 p. bl., 8°. À la fin du texte de la pièce, p. 236, se trouve la mention : « S’adresser pour la Musique de l’ouvrage, à M. Baudron, Chef d’Orchestre du Théâtre Français » (Collectio Quelleriana). Voir surtout p. XLVII et suiv.

8 François Furet, Mona Ozouf, art. cité, p. 447.

Page 94: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

78 FRÉDÉRIC BARBIER

culturelles sont très diverses (il y a, par exemple, pratiquement toujours plus de livres dans les bibliothèques des nobles issus de la magistrature, que chez les militaires ou les courtisans). La diversité s’accroîtrait encore si nous passions au stade du comparatisme européen : la noblesse, qui se veut un ordre héréditaire et fermé, se révèle en définitive une catégorie poreuse – on devient noble, mais on peut aussi perdre ce statut –, et dont la typologie est très complexe. Trois caractéristiques principales se combinent :

1‑ La définition traditionnelle du noble se fonde sur la naissance et sur le métier des armes : le noble est tenu de servir son suzerain lors d’un conflit et, en conséquence, un certain nombre d’activités lui sont en principe interdites. Cette première facette reste présente jusqu’à la fin de l’Ancien Régime (combien de cadets de familles servent dans les armées jusque sous Louis XVI), même si la définition du noble change de plus en plus à l’époque moderne.

2‑ À côté du service des armes, le noble est aussi celui « vit noblement ». L’environnement et le mode de vie sont spécifiques : le château, le personnel de serviteurs, la somptuosité du cadre de vie, les jardins, la chasse, la danse, et, de plus en plus, les intérêts artistiques ou intellectuels, le mécénat, les collections d’objets d’art – et les livres. Ce mode de vie excluant le travail suppose d’avoir certains revenus, et on connaît l’hypothèse de Marc Bloch, suivi par nombre d’historiens, sur la crise de la petite noblesse à la fin du Moyen Âge et au XVe siècle en France9.

3‑ Nous reviendrons sur le rôle que la noblesse aura à jouer dans l’État10, mais les XVIe‑XVIIIe siècles semblent marqués par la montée en puissance d’un troisième impératif : le noble devra avoir reçu une formation intellectuelle relativement solide. L’ignorance est plus choquante dès lors que, dans toute l’Europe, il est admis que la noblesse se manifeste aussi par sa culture intellectuelle, et François Métra se moquera du fermier général Marin de La Haye, qui a une magnifique bibliothèque, mais ne manifeste aucun intérêt pour les livres :

Dorés sur tranche et bien couverts, / Et tout neufs, ainsi qu’on peut croire, Le défunt, de riche mémoire, / Ne les avait jamais ouverts…11

9 François Bluche, Les Magistrats du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, 1715‑1771, Paris, 1960.

10 Voir aussi : Jean Meyer, « Un problème mal posé : la noblesse pauvre », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine (ci‑après RHMC), 1971, p. 161‑188.

11 Pour la France, voir, outre François Furet, ouvr. cité : Denis Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, 1973. Plus récemment, Robert Descimon : « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France

Page 95: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 79

Le noble aura à se former (Bildung), et, progressivement, à « informer » ses contemporains moins privilégiés. À la fin du XVIIe siècle, les membres de la noblesse font, en France, figure de privilégiés s’agissant des taux d’alphabétisation, tant en ville que dans le monde rural, et il est significatif que la présence de l’écrit et du livre concurrence de plus en plus celle de l’armure et des armes dans les portraits de souverains et de nobles réalisés au XVIIIe siècle. L’un des premiers est peut‑être, en 1743, le portrait par Jacques Aved du « marquis de Mirabeau, dans son cabinet, appuyé sur le Polybe de M. Folard »12.

Avec l’argument politique, nous sommes au cœur de notre thèse : dans la tradition du royaume, la noblesse d’essence féodale s’oppose, d’une certaine manière, à l’essor de l’État moderne sous la forme d’une monarchie absolutiste rationalisée et centralisée. Cette tension déplace en profondeur le statut et le rôle de la noblesse : non seulement le service du prince anoblit, mais le rapport avec la bourgeoisie s’en trouve déséquilibré, tandis que la logique ancienne des ordres perd progressivement de sa pertinence. L’apogée est atteint avec le règne personnel de Louis XIV, qui marque le triomphe du politique sous la forme d’une monarchie absolue :

La servitude générale, la vente ou la renégociation des titres et des privilèges, l’arbitraire des promotions bureaucratiques ont moins privé la noblesse de son rôle que de sa définition même13.

Ce nouveau rapport de forces a trois conséquences.1) D’abord, la noblesse aura à servir l’État, et, pour ce faire, elle

devra en effet suivre un certain cursus scolaire. Qu’il s’agisse d’armée, d’administration ou de justice, il faut désormais, pour remplir nombre de charges, un socle relativement élevé de connaissances, comme le souligne Alexandre Nicolas de La Rochefoucauld (1709‑1760), plus connu sous son titre de marquis de Surgères. Surgères est un militaire, qui finira sa carrière comme lieutenant général d’Aunis et de Saintonge à La Rochelle, et qui ouvre son manuscrit du Traité sur l’art de la guerre par plusieurs pages consacrées à la nécessité, pour les officiers, de recevoir une formation théorique poussée :

Je ne prétends pas nier ici l’utilité de l’expérience ; mais j’aurai le courage d’avancer qu’on n’en peut acquérir que fort imparfaitement,

moderne. La noblesse, ‘essence’ ou rapport social ? », dans RHMC, 46, n° 1, janv.‑mars 1999, p. 5‑21.

12 François Métra, Correspondance secrète, politique ou littéraire,…, London, 1787‑1790, 18 vol., ici t. VII, p. 338‑339.

13 Daniel Roche, art. cité, p. 9, et ill. 1.

Page 96: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

80 FRÉDÉRIC BARBIER

si la théorie ne nous met pas en état de profiter de ce qui se passe sous nos yeux. (…) Une application continuelle, une étude assidue, et une expérience consommées peuvent à peine faire d’un homme d’esprit et de courage un bon général d’armée ; comment se pourra‑t‑il que des gens qui n’étudient ni ne lisent, qui s’occupent bien plus de leur intérêt et de leurs plaisirs que de leur métier, deviennent capables de commander ? En vieillissant, ils acquièrent le grade, et non la capacité. La nature nous donne les talens, mais c’est l’étude et le travail qui les développent et qui les mettent en valeur…

2) Mais la conjoncture politique bouge après le temps de la « crise de conscience européenne » (Paul Hazard) : la noblesse et les élites de la société civile éclairée cherchent à s’approprier face à la monarchie la réflexion sur l’organisation politique de l’État. Pour Boulainvilliers comme pour Mably, l’histoire du royaume est celle d’une « dégradation » du pacte originel sous la poussée du despotisme royal. En outre, si le droit naturel impose l’égalité et la liberté de tous, la distinction de la noblesse comme ordre privilégié devient plus difficile à justifier sans faire appel à des compétences spécifiques.

3) Dès lors, la distinction (qui ne se limite plus à la seule noblesse) s’acquerra par l’engagement au service des Lumières, c’est‑à‑dire du bien public : la noblesse doit intervenir dans le domaine public pour éclairer les autres ordres et pour travailler à la perfection de la « civilisation ». Cet engagement n’est nullement d’ordre démocratique, et Mably explique d’ailleurs que, si tout homme est libre, il ne saurait pour autant participer aux affaires. La masse est en effet représentée par une « populace sans crédit, sans considération, sans fortune, qui ne peut rien par elle‑même » et qui est avilie par l’obligation quotidienne du travail14. La noblesse au contraire, qui bénéficie d’une manière d’otium antique, aura à tâche de cultiver la vertu et de s’engager activement pour le bien commun. Le duc de La Rochefoucauld‑Liancourt, que nous retrouverons, ne dira pas autre chose en 1789 : il faut rétablir l’équilibre entre le mouvement de la société civile et des institutions figées, et qui lui correspondent de plus en plus mal.

En 1789, les hommes les plus sages et les plus dévoués à la monarchie (…) désiraient surtout que les institutions fussent mises en rapport avec l’état de la société. Ils voulaient assurément affermir le trône et non

14 François Furet, Mona Ozouf, « Deux légitimations historiques de la société française au XVIIIe siècle : Mably et Boulainvilliers », dans Annales Économie Société Civilisation, 1979, 34, p. 438‑450, ici p. 439.

Page 97: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 81

le renverser, (…) [et] croyaient nécessaire, pour atteindre ce but, de changer les principes et les formes du gouvernement15.

Dans ce dispositif, le livre et l’imprimé joueront un rôle décisif en tant que principal média des Lumières, c’est‑à‑dire du changement.

3) La bibliothèque moderne : trajectoire d’un paradigme

L’histoire des bibliothèques privilégie souvent les monographies (parfois présentées sur le mode hagiographique), et tend parfois à la téléologie16. À partir du XIe siècle en Occident, les bibliothèques passent des seules maisons religieuses aux institutions d’enseignement (notamment les collèges) et aux familles princières ou nobles17. Plus tard, l’humanisme s’accompagne d’une ouverture des collections au groupe des amis et des familiers, tandis que les bibliothèques privées commencent à se multiplier, certaines particulièrement riches. La bibliothèque moderne apparaît à partir surtout du XVIIe siècle, et la téléologie déroule dès lors la trajectoire d’institutions tendant comme naturellement à s’ouvrir de plus en plus pour être mises à la disposition de tous. Dans le long terme, le paradigme dominant est celui de l’ouverture et de la publicité (Öffentlichkeit). Ce qui précède la « bibliothèque publique moderne », notamment à l’époque des Lumières, est tout simplement de l’ordre de la préfiguration, sur un mode presque religieux :

Au siècle des Lumières s’affirment deux mouvements de portée internationale et longue durée. L’un concerne les grandes bibliothèques privées (…). L’autre, plus général, annonce la bibliothèque publique moderne18.

15 Frédéric Gaëtan, marquis de La Rochefoucault‑Liancourt, Vie du duc de La Rochefoucauld‑Liancourt (François‑Alexandre‑Frédéric), Paris, de l’imprimerie de A. Henry, 1831, ici p. 26.

16 Histoire des bibliothèques françaises, [II]. Les bibliothèques sous l’Ancien Régime, 1530‑1789, dir. Claude Jolly, 1ère éd., Paris, 1988. On remarquera que cet ouvrage devenu pour la France le principal usuel sur le sujet, développe un plan implicitement téléologique, en faisant appel au syntagme double « de… à » dans l’énoncé de certaines têtes de chapitre : « Des librairies humanistes à l’essor du modèle lettré », ou encore « De la bibliothèque de Mazarin à la bibliothèque Mazarine ». Le syntagme « vers » renvoie quant à lui à une orientation plus explicite, comme dans le titre : « Vers la bibliothèque publique ».

17 Fréderic Barbier, « Représentation, contrôle, identité : les pouvoirs politiques et les bibliothèques centrales en Europe, XVe‑XIXe siècles », dans Francia, 1999, t. 26, n° 2, p. 1‑25.

18 Denis Pallier, Les Bibliothèques, 10e éd., Paris, 2002, ici p. 29.

Page 98: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

82 FRÉDÉRIC BARBIER

Pour autant, c’est l’Église, et non pas le prince, les nobles ni les « lettrés », qui joue le rôle initiateur en matière de modernité bibliothéconomique autour des années 1600. Nous avons montré ailleurs19 comment la théorie de la bibliothèque moderne apparaissait d’abord en Italie, avec la fondation par certains prélats de bibliothèques ouvertes et disposées dans une grande salle faisant office de salle de lecture et de magasin à livres : la Bibliotheca Ambrosiana, fondée à Milan par le cardinal Federico Borromeo, sert à partir de 1609 de prototype à d’autres réalisations en Europe. La conjoncture est celle de la reconquête catholique et de la Contre‑Réforme post‑tridentine, dans laquelle il s’agit de mettre à disposition une bibliothèque savante, conçue comme devant fournir aux catholiques les outils nécessaires pour répondre à l’érudition réformée.

Le modèle italien sera importé en France par Gabriel Naudé (1600‑1653), qui fait la théorie de la bibliothéconomie moderne dans son célèbre Advis (1627)20. Naudé, qui travaille comme bibliothécaire pour le président Mesmes, puis pour le cardinal Bagni à Rome, rentre en France en 1642, à la demande de Mazarin, pour prendre en charge la gestion de sa collection – la demande est précisément faite alors que Richelieu vient de disparaître, après avoir recommandé Mazarin comme son successeur21. Naudé est un représentant idéaltypique des libertins érudits et des cercles de la sociabilité savante22, et le titre IX de l’Advis justifie la fondation d’une bibliothèque

19 Frédéric Barbier, « Contenus, pratiques, représentations : qu’est‑ce qu’une bibliothèque des Lumières en France au XVIIIe siècle ? », à paraître dans les Actes du colloque de Fribourg (Suisse), 2010.

20 Gabriel Naudé, Advis pour dresser une bibliothèque. Présenté à Monseigneur le Président de Mesme, À Paris, chez François Targa, 1627 (nouv. éd., 1644). Le XVIIe siècle voit, outre le classique de Naudé, la publication des traités de Claude Clément, S. J. (Musei sive bibliothecae tam privatae quam publicae extructio, instructio, cura, usus, Libri IV, accessit accurata descriptio Regiae Bibliothecae S. Laurenti Escurialis, insuper Paraenesis allegorica ad amorem litterarum, Lyon, J. Prost, 1635), et de Louis‑Jacob de Saint‑Charles, S. J. (Traicté des plus belles bibliothèques publiques et particulières qui ont este et qui sont à présent dans le monde, Paris, Rolet le Duc, 1644). Voir aussi l’abbé P. Le Gallois, Traité des plus belles bibliothèques de l’Europe. Des premiers livres qui y ont été faits. De l’invention de l’imprimerie. Des imprimeurs. De plusieurs livres qui ont été perdus & recouvréz par les soins des sçavans. Avec une méthode pour dresser une bibliothèque, Paris, Étienne Michalet, 1685.

21 Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, 2000 ; Jean‑Marc Chatelain, Livres, lectures et collections en France à l’âge classique, Paris, 2003. Pour Robert Descimon, la démarche de Naudé est « idéale » (elle vise la bibliothèque définie comme idéale par son contenu textuel), et elle ne se continuera pas sous cette forme au XVIIIe siècle.

22 René Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle,

Page 99: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 83

par son ouverture au public. Pour autant, la modernité reste relative, et la référence ultime se révèle en réalité celle de la Rome antique, avec laquelle les modernes auront à concourir. C’est sur les conseils de Naudé que Mazarin rend sa collection accessible chaque semaine le jeudi et, témoignage de la dimension politique de l’événement, l’ouverture est annoncée dans le numéro du 30 janvier 1644 de la Gazette de France – l’hebdomadaire créé par Richelieu et faisant pratiquement office de feuille officielle23. On sait que cette bibliothèque, après bien des vicissitudes, sera reconstituée en 1689 au Collège des Quatre Nations. La Bibliothèque du roi quant à elle, reprise en mains par Colbert et considérablement enrichie grâce aux moyens financiers mis à sa disposition, s’installera à partir de 1721 dans l’ancien Palais de Mazarin et dans les bâtiments attenants, ce qui lui permettra de s’ouvrir elle aussi peu à peu davantage24.

Avec les cardinaux‑ministres (Richelieu et Mazarin) et leurs successeurs (Colbert, François Michel Le Tellier de Louvois, et son fils Camille Le Tellier, dit l’abbé de Louvois), la monarchie absolue s’approprie en effet comme une illustration de la gloire du roi le modèle italien de la bibliothèque moderne, universelle et « publique ». La référence ultime, qui est celle de l’Antiquité, est mise au service de la représentation politique : la Bibliothèque du roi se recommande d’abord en ce qu’elle surpasse en richesses et en magnificence jusqu’à la bibliothèque du Musée d’Alexandrie25. Cette réussite témoigne de la translatio studii et du fait que, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le pôle de la civilisation et du progrès est désormais localisé en Europe occidentale : pour les commentateurs, la capitale du royaume a succédé à la Grèce.

Enfin il y a dans Paris, qu’on peut avec raison appeler l’Athènes de nostre temps & le véritable séjour des Musés, qui s’y sont retirées pour vivre avec plaisir sous l’agréable domination d’un Monarque dont les vertus sont incomparables. 1) Celle du Roy, qui pourroit disputer

Paris, 1943, 2 vol. Henri‑Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598‑1701), nelle éd., Genève, 1984, 2 vol.

23 Le cardinal Mazarin « oblige tout le monde de faire servir son hostel d’une Académie pour les doctes et curieux qui y vont en foule tous les jeudis depuis le matin jusqu’au soir feuilleter sa belle bibliothèque ornée d’environ neuf mille volumes en toutes sciences ».

24 Simone Balayé, La Bibliothèque nationale, des origines à 1900, Genève, 1988.25 L’idée sera encore reprise par l’Encyclopédie : la Bibliothèque du Roi est « la plus

riche & la plus magnifique qui ait jamais existé (…). Ce n’est qu’après une longue suite d’années & diverses révolutions qu’elle est enfin parvenue à ce degré de magnificence & à cette espèce d’immensité qui éterniseront à jamais l’amour du roi pour les lettres et la protection que ses ministres leur ont accordée ».

Page 100: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

84 FRÉDÉRIC BARBIER

d’excellence & pour le nombre des Livres & des manuscripts en toutes sortes de langues, pour leur antiquité, & pour leur bonté [beauté] avec toutes les autres Bibliothèques du monde…26

La problématique des Lumières verra dès lors s’affirmer plusieurs champs de tension. D’abord, si l’Antiquité classique a fourni le modèle accompli de la civilisation, l’Europe moderne aura à cœur d’actualiser ce modèle et de le dépasser. Parallèlement, les concurrences se développent : le modèle de l’absolutisme fait école, et les bibliothèques des souverains européens rivalisent pour s’imposer en tant que pôles des Lumières (pensons à la Hofbibliothek, la Bibliothèque impériale de Vienne, ou encore à la nouvelle Bibliotheca Palatina fondée à Parme en 176127). Enfin, dans les dernières décennies du XVIIe siècle, la question se pose, de savoir qui, de la puissance politique (la monarchie absolue) ou de la société civile, celle‑ci conduite par la noblesse, s’appropriera le premier rôle dans la marche du progrès : dans cette conjoncture, la question du livre, du savoir livresque et des bibliothèques s’impose comme stratégique.

II – UNE DYNASTIE IDÉALTYPIQUE

1) D’une conjoncture l’autre : la famille de La Rochefoucauld

La position de la noblesse sera précisée, en France, à l’aide d’un exemple révélateur : il s’agit de la dynastie des La Rochefoucauld, « une des plus anciennes et des plus illustres du royaume »28, qui tire son nom de la bourgade de La Rochefoucauld, sur la Tardoire, non loin d’Angoulême29. Dans cette région frontière, les La Rochefoucauld assoient leur fortune pendant la Guerre de cent ans, en soutenant avec constance le roi de France contre les Anglais. Par la suite, ils entrent au service du roi, à la cour et dans les campagnes militaires : François Ier de La Rochefoucauld († 1517) est chambellan de Charles VIII et de Louis XII, et il tient le futur François Ier sur les fonds baptismaux à Angoulême en 1494. Le nouveau roi le fera aussi comme chambellan, tandis que la baronnie de La Rochefoucauld est érigée en comté.

26 P. Le Gallois, Traité des plus belles bibliothèques de l’Europe, ouvr. cité, p. 147‑148.

27 Andrea De Pasquale, « La formazione della Regia Biblioteca di Parma », dans HCL, V, 2009, p. 297‑316.

28 Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de La Rochefoucauld, La Ricamarie, 1975.

29 Marie Vallée, La Rochefoucauld, un château, une famille, Saint‑Projet, 2008.

Page 101: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 85

Il n’y a pas lieu ici de dévider la saga familiale aux XVIe‑XVIIIe siècles, mais de mettre en évidence les moments forts de la conjoncture. Dès le XVIe siècle, la réussite sociale et politique engage des intérêts intellectuels et artistiques : François III de La Rochefoucauld († 1572) est d’abord homme de guerre, mais épouse Silvia Pic de la Mirandole (Pico della Mirandola). André Thévet, lui‑même d’Angoulême, lui dédie sa Cosmographie de Levant publiée en 1554 et dont Frank Lestringant pense que le comte l’a peut‑être financée30. C’est aussi lui qui introduit Thévet à la cour et qui le fait présenter à Henri II. François III devient par son deuxième mariage le beau‑frère du prince de Condé, chef du parti protestant : il participe du côté protestant aux batailles de Jarnac et de Moncontour (1569), avant de bénéficier de l’amnistie apportée par la paix de Saint‑Germain (1570). Devenu un familier de Charles IX, il est assassiné à Paris lors des massacres du 24 août 1572. Son fils, le prince de Marsillac, sera encore tué à la bataille de Saint‑Irieix (1591).

À la génération suivante, voici François de La Rochefoucauld (1558‑1645)31, ancien élève des jésuites au collège de Clermont et successivement abbé de Tournus, évêque de Clermont, puis cardinal (1607) et évêque de Senlis. Le prélat est surtout connu pour son rôle politique (il présidera un temps le Conseil d’État), mais aussi pour son rôle à Sainte‑Geneviève de Paris, dont il est nommé abbé en 1619, à la demande de Richelieu. Il entreprend dès lors activement de reconstituer la bibliothèque de l’abbaye, en lui donnant d’abord 600 volumes de sa propre collection (1624), avant de la lui léguer en entier (1640)32. Signalons enfin qu’il est le parrain du deuxième duc de La Rochefoucauld, François VI, à Paris en 1613.

François VI (1613‑1680) est bien évidemment la personnalité la plus connue de la lignée. Ad. Régnier explique qu’il n’a reçu qu’une éducation très sommaire, en Poitou et en Charente, et rappelle le jugement de Madame de Maintenon :

M. de La Rochefoucauld n’avoit pas étudié ; mais il avoit un bon sens merveilleux, et il savoit parfaitement bien le monde.

30 Histoire d’André Thévet, Angoumois…, éd. Jean‑Claude Laborie, Frank Lestringant, Genève, 2006.

31 Fils de Charles de La Rochefoucauld.32 Joseph Bergin, Cardinal de La Rochefoucauld. Leadership and Reform in the

French Church, New Haven, London, 1987. Alfred de Bougy, Histoire de la Bibliothèque Sainte‑Geneviève. Suivi d'une Monographie bibliographique ou Catalogue des ouvrages, manuscrits et imprimés relatifs à Sainte‑Geneviève, à son église, à son abbaye, aux chanoines réguliers de la congrégation de France ou Génovéfains, et à leur bibliothèque, par P. Pinçon, Paris, Comptoir des imprimeurs‑unis, 1847.

Page 102: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

86 FRÉDÉRIC BARBIER

Lui‑même est toujours amateur de »romans » :les romans [ont] été de bonne heure un aliment favori de l’esprit de notre auteur, qui paraît en avoir conservé le goût jusqu’à la fin (…). Mme de Sévigné, dans une lettre du 12 juillet 1671, se console par son exemple de « la folie qu’elle a elle‑même pour ces sottises‑là » (…). La Rochefoucauld ne manquait point de lire L’Astrée au moins une fois par an, et (…) il s’enfermait pour n’être point distrait de ce plaisir.

Si La Rochefoucauld participe dès l’âge de seize ans à des campagnes militaires et s’il joue un rôle particulièrement actif pendant la Fronde, il est d’abord connu comme homme de plume, auteur de Mazarinades, mais surtout de Mémoires33 et des célèbres Sentences et maximes34. C’est précisément lui qui illustre le mieux le renversement qui s’opère dans les catégories de la plus haute noblesse du royaume au XVIIe siècle : il est engagé, et combien activement, dans les troubles remettant en cause la monarchie elle‑même, surtout lors des moments de succession au trône, et il expliquera dans ses Mémoires, avoir été « persécuté » sous Richelieu mais espérer beaucoup de la régence :

La mauvaise santé du Roy & le peu de disposition où il estoit de confier ses enfans & son Estat à la Reyne me faisoient espérer de trouver bien tost des occasions considérables de la servir…

Gouverneur du Poitou en 1646, La Rochefoucauld rejoint pourtant peu après le camp des frondeurs et devient l’une des principales figures du « parti des Importants ». Après la réconciliation avec le souverain, il sera fait chevalier du Saint‑Esprit : on comprend la signification que prennent les Sentences et maximes, ouvrage dominé par une conception pessimiste de la nature humaine, et précisément rédigé au moment où s’impose la conjoncture politique nouvelle de l’absolutisme, et où les plus grands seigneurs sont ravalés au rang de courtisans. Au demeurant, Saint‑Simon expliquera en 1714 que le roi

n’a jamais pu [lui] pardonner, le seul peut‑être de tous les seigneurs du parti de M. le prince, et M. de La Rochefoucauld le sentait si bien qu’il ne se présentait presque jamais devant le roi.

33 François de La Rochefoucauld, Mémoires de M. D. L. R. Sur les Brigues à la mort de Louys XIII. Les Guerres de Paris & de Guyenne, & la Prison des Princes. Apologie pour Monsieur de Beaufort. Mémoires de Monsieur de La Chastre. Articles dont sont convenus Son Altesse Royalle & Monsieur le Prince pour l'expulsion du Cardinal Mazarin. Lettre de ce Cardinal à Monsieur de Brienne, Cologne, Pierre van Dyck, 1662 (impr. à Bruxelles, F. Foppens).

34 François de La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et maximes morales, Paris, Claude Barbin, 1665.

Page 103: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 87

Mais avec son fils François VII, les ducs et pairs de La Rochefoucauld réintègrent définitivement les cercles les plus élevés du pouvoir. Lui‑même est pourtant, toujours aux dires de Saint‑Simon, d’une

figure (…) tout‑à‑fait désagréable. Un homme entre deux tailles, maigre avec de gros os, un air niais quoique rude, des manières embarrassées, une chevelure de filasse et rien qui sortit de là (…). [Il était] sans aucun esprit, sans discernement, glorieux, rude et rustre en toutes ses manières, très volontiers brutal, désagréable en toutes ses façons…

Pourtant, la faveur de Louis XIV ne se démentira pas, comme à l’un de ses confidents les plus proches. La réconciliation avec le trône est scellée par le mariage du duc François VIII (1663‑1728), petit‑fils de l’auteur des Sentences, avec Marie Charlotte Le Tellier, la propre fille du ministre de la Guerre et tout puissant secrétaire d’État (1679) – alliance de deux modèles de réussite nobiliaire, mais aussi mariage voulu par le roi et dont Saint‑Simon dira tout le mal qu’il en pense :

Du reste, [François VII] de La Rochefoucauld ne regarda jamais sa belle‑fille que comme la fille de l’homme du monde qu’il haïssait le plus, ni son fils que comme le gendre de Louvois.

Quant au fils, François VIII, il est à son tour jugé de manière très négative – le fond de son caractère serait celui d’un valet :

Rogue, avare à l’excès, sans esprit que silence, ricanerie, malignité qui lui avaient fait donner le nom de Monseigneur le Diable, force gloire et bassesse tout à la fois, et un long usage du monde en supplément d’esprit, fit la charge de grand‑maître de la garde‑robe servilement, sans nul agrément, en valet assidu et enragé de l’être.

Dans le même temps, les châteaux de province, La Rochefoucauld et Verteuil sont abandonnés, comme trop éloignés des centres du pouvoir35, au profit des résidences de Paris, de Versailles, et des deux châteaux de La Roche‑Guyon, aux portes de la Normandie36, puis de Liancourt, non loin de Chantilly37.

35 Inventaire des meubles existant dans les châteaux de La Rochefoucauld, de Verteuil et de la Terne à la mort de François VIII de La Rochefoucauld (1728)…, éd. P. Fleury, Angoulême, [s.n.], 1886. Le mobilier est généralement ancien et très médiocre, ce que l’on peut rapporter au fait que les châteaux sont inhabités depuis déjà un certain temps.

36 Le château est érigé en duché‑pairie au XVIIe siècle. Émile Rousse, La Roche‑Guyon, Paris, Hachette, 1892.

37 Le château est érigé en duché en 1673 pour Roger du Plessis, puis il passe à une

Page 104: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

88 FRÉDÉRIC BARBIER

2) Deux « passeurs » des Lumières

La trajectoire des La Rochefoucauld constitue au XVIIIe siècle comme le miroir des évolutions que nous avons dites : l’appropriation de la culture nouvelle est à l’ordre du jour, et le rôle de l’imprimé et des bibliothèques s’en trouve profondément déplacé. Deux personnalités très remarquables nous retiendront ici.

Orphelin à trois ans, Louis Alexandre de La Rochefoucauld (1743‑1792) est élevé par son grand‑père Alexandre de La Rochefoucauld, duc de La Roche‑Guyon, et par sa mère, la princesse Louise Elisabeth d’Enville (1716‑1797). En 1744, à la suite de l’affaire de Metz38, le duc, qui s’est fait une puissante ennemie en la personne de la favorite, la duchesse de Châteauroux, est exilé pour dix ans à La Roche‑Guyon. Le château devient dès lors un lieu de ralliement pour les philosophes, les politiques et les scientifiques : une bibliothèque est créée, et un observatoire installé dans l’une des tours39. L’image du grand seigneur d’autant plus cultivé et sage qu’il est retiré de la cour, et qui s’emploie à faire le bien autour de lui tout en profitant des joies de la famille, est comme symbolisée par le portrait que le peintre Alexandre Roslin fait d’Alexandre de La Rochefoucauld : « Un père arrivant à sa terre, où il est reçu par sa famille » (le tableau est exposé au salon de 176540). Alexandre de La Rochefoucauld rentre à Paris après dix ans d’exil, mais il ne reparaîtra jamais à la cour.

Quant à la princesse d’Enville, très proche des philosophes, familière du salon de Madame du Deffand, soutien très actif des Calas, elle accomplit le voyage de Genève avec son jeune fils, et rencontre Voltaire. L’hôtel parisien est un lieu de ralliement pour les philosophes, les politiques et les scientifiques – on y verra Turgot, Condorcet, Tronchin, Franklin, l’abbé Barthélemy, Saussure et nombre d’autres. Ce sont, en somme,

les hommes les plus distingués dans les sciences et les lettres, les étrangers les plus illustres et les hommes d’État les plus indépendants. On peut dire (…) qu’on regardait cet hôtel comme le principal foyer de l’opposition libérale (…). Cette opposition n’est pas hostile envers

branche de la famille de La Rochefoucauld. Henri de La Rochefoucauld, fils puîné du duc François VII, meurt à Liancourt en 1749, sans avoir été marié.

38 Louis XV tombe très gravement malade à Metz, et le parti dévot l’humilie en chassant sa maîtresse la duchesse de Châteauroux.

39 Annick Couffy, Curiositas humana est : le château de La Roche‑Guyon, un salon scientifique au siècle des Lumières, Nesles‑la‑Vallée, 1998. Michel Harnard, La Famille de La Rochefoucauld et duché pairie de La Roche‑Guyon au XVIIIe siècle, Paris, 2008.

40 N° 77. Voir Denis Diderot, Œuvres (…). Salons. Tome I, nelle éd., Paris, 1821, p. 206‑212.

Page 105: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 89

la royauté, puisqu’elle tend au contraire à l’affermir en la fondant sur la liberté des peuples. L’hôtel de La Rochefoucauld fut tout ministériel tant que Turgot et Malesherbes furent à la tête des affaires, et le duc de Liancourt, qui partagea les espérances que ces hommes de bien avaient fait naître, demeura encore ministériel après leur retraite parce qu’il retrouva dans le caractère et la conduite de M. Necker les principes de raison et de sagesse éclairée nécessaires au gouvernement des états. [Il] se lia intimement avec ce ministre, et applaudit surtout à ce compte rendu qui établit en France la première publicité des revenus et des dépenses de l’État41.

L’engagement de la princesse est connu de tous, et lorsque Turgot se retire à La Roche‑Guyon après sa disgrâce en 1776,

le parti de M. Necker publia (…) l’estampe où Turgot est représenté en cabriolet avec Madame la duchesse d’Enville, Dupont (de Nemours), de Vaisnes et les abbé Beaudeau et Roubeau le tirent, foulent des amas de blé, la voiture verse et Madame d’Enville montre, d’une manière très‑libre, cinq mots écrits en grosses lettres : liberté, liberté, liberté toute entière42.

Bien entendu, la princesse a une bibliothèque personnelle, mais c’est elle qui fait aménager la bibliothèque de La Roche‑Guyon, et elle possède un fer à ses armes : il est significatif que l’exemplaire à ses armes décrit par Olivier, Hermal et De Roton (n° 713) concerne l’édition originale (1766) des Réflexions sur la formation et la distribution des richesses de Turgot.

Principalement attiré par l’histoire naturelle, Louis Alexandre visite l’Italie (1765‑1766), la Suisse, l’Angleterre et la Suède, où il se lie avec Gustave III. En 1771, revenant de Turin, il arrive à Briançon, d’où il écrit à son ami et protégé le géologue Nicolas Desmarest :

Pour le coup je me familiarise avec les montagnes, et si ce n’étoit pas de bon gré, il faudroit que ce fût de force, car j’en suis tellement entouré que je ne puis faire un pas sans les visiter ; aussi taché je d’en profiter, je ramasse tant que je puis, j’observe autant qu’il m’est possible, et j’espère vous apporter quelques certitudes sur la composition des Alpes. En général jusqu’à présent il résulte de mes recherches que la plus haute chaîne des Alpes est composée de granite, et d’autres matériaux vitrifiables, où le quartz domine, [et ?] que les chaînes secondaires sont pour la plupart formées de pierres calcaires (sans aucun reste pourtant

41 Vie du duc de La Rochefoucauld‑Liancourt, ouvr. cité, p. 17‑19.42 Jean‑Louis Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI…,

tome II, Paris, Treuttel et Würtz, an X (1801), ici p. 404‑305.

Page 106: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

90 FRÉDÉRIC BARBIER

de corps marins), [mot rayé] de schistes, et de pierres talqueuses ou micacées, que ces derniers matériaux laissent entrevoir une ancienne formation par couches, mais [mot rayé] tellement désordonné qu’il est bien difficile de croire qu’elles ayent été une fois horisontales ; je ne vous en dirai pas d’avantage aujourd’huy, me réservant à avoir là dessus quelques conversations avec vous cet hyver43.

Son cabinet scientifique sera mentionné comme l’un des plus intéressants et des plus riches de Paris dans l’Almanach du voyageur à Paris pour 178344. Ce proche de Lavoisier est élu à l’Académie des sciences (1781), et il participe activement à la fondation de deux institutions visant à favoriser et à diffuser les Lumières, la Société royale de médecine (1778) et l’Athénée de Paris, dans le cadre duquel sont organisés des cours publics. Enfin, il est pleinement engagé, au cours des décennies 1770 et 1780, dans le mouvement en faveur des réformes : ce franc‑maçon est un familier de Benjamin Franklin45, avec lequel il travaille régulièrement. L’Amérique indépendante est un modèle et, comme Condorcet l’a été en 1775 et comme son propre cousin Liancourt le sera en 1796, le duc est élu membre de l’American Philosophical Society en 1787. Madame du Deffand dit de lui qu’il a « toutes les qualités qui s’acquièrent ».

Son engagement se fait plus actif encore à compter de 1787 : il est naturellement membre de l’Assemblée des notables 46, mais aussi l’un des fondateurs de la Société des Amis des Noirs (créée à l’initiative de Brissot, sur le modèle anglais, en février 1788, et œuvrant pour l’abolition de l’esclavage). Élu par la Noblesse aux États Généraux, La Rochefoucauld est reconnu comme une figure des modérés, partisans du système constitutionnel. Alors que le Tiers s’est déclaré Assemblée nationale constituante (17 juin 1789) et qu’il est rejoint par une partie des députés du Clergé, une séance royale est organisée le 23 juin, au cours de laquelle le roi ordonne à l’Assemblée de se séparer. Comme le Tiers refuse, des troupes auraient été envoyées pour chasser les députés. La Révellière‑Lépeaux rapporte alors que

43 Conservatoire d'art et d'histoire d'Annecy, fonds Payot n° LM 011. Le duc est accompagné d’un valet de chambre du nom de Viremont.

44 Yves Laissus, « Les cabinets d’histoire naturelle », dans Enseignement et diffusion des sciences au XVIIIe siècle, Paris, 1964. L. V. Thierry, Almanach du voyageur à Paris (…), année 1783, Paris, Versailles, 1783.

45 Daniel Vaugelade, La Question américaine au XVIIIe siècle à travers la correspondance du duc Louis Alexandre de La Rochefoucauld (1743‑1792), Paris, 2001.

46 Procès verbal de l’Assemblée de notables tenue à Versailles l’année M.DCCLXXXVII, Paris, Imprimerie royale, 1788.

Page 107: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 91

plusieurs députés de la minorité de la noblesse étaient rassemblés sur une terrasse attenant (…), dans leur grand costume,(…) les ducs de La Rochefoucauld, de Liancourt, etc., tous dans les opinions de Necker, voulant l’établissement d’un gouvernement constitutionnel à l’anglaise, avec la branche régnante de la dynastie. (…) Ils partent tous à l’instant ; ils barrent le chemin au détachement, enfoncent leurs chapeaux empanachés, mettent l’épée à la main, et déclarent au commandant qu’il leur passera sur le corps à tous avant qu’il ne parvienne aux députés des communes.

Mais La Rochefoucauld, retiré à La Roche‑Guyon au lendemain du 10 août, sera massacré à Gisors le 14 septembre 1792. Son cousin Alexandre Frédéric de La Rochefoucauld‑Liancourt (1747‑1827) porte dès lors le titre de duc La Rochefoucauld, et le rôle de passeur lui sera encore plus nettement dévolu. Après une éducation que son fils dira peu poussée, Liancourt s’était marié à 17 ans (« c’était l’usage du temps »), avant de faire « lui‑même [son] éducation ». Il écrit :

J’ai reçu dans mon enfance l’éducation accoutumée alors, celle du collège où huit à neuf cents élèves étaient uniquement employés à apprendre le latin que bien souvent on ne savait pas en sortant. Sans être un aigle dans mes études, je n’y étais pas un des écoliers les moins distingués…47

En définitive, Liancourt rappellera comment son éducation s’est surtout faite dans les résidences familiales et dans les salons. Plus que la cour (le mépris apparaît constamment dans le récit qu’il donne de la mort de Louis XV en 177448), les conversations, les voyages – et les lectures – y occupent une place centrale : à partir de 1768, il voyage à plusieurs reprises en Angleterre, où il rencontre Walpole, mais il visite aussi la Suisse et est, à 19 ans, le premier Français à parcourir la vallée de Chamonix49. Opposé au « despotisme » de la monarchie absolue, le voici l’un des familiers de Chanteloup dès avant la disgrâce de Choiseul, mais c’est à Liancourt qu’il s’installe le plus volontiers pour y transporter « tous les progrès de la civilisation la mieux éclairée » et y appliquer les recettes de l’agronomie étudiées en Angleterre : l’imitation du genre de vie de la gentry anglaise est évidente. Il compte parmi les fondateurs de la Société royale d’agriculture,

47 Jacques Ferdinand‑Dreyfus, Un Philanthrope d’autrefois. La Rochefoucauld‑Liancourt, 1747‑1827, Paris, Plon‑Nourrit, 1903, p. 9.

48 Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6420.49 François Alexandre Frédéric de La Rochefoucauld‑Liancourt, Relation inédite

d'un voyage aux glacières de Savoie en 1762, éd. Lucien Raulet, Paris, Club alpin français, 1894.

Page 108: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

92 FRÉDÉRIC BARBIER

à laquelle il fera plusieurs communications. Dans le même ordre d’idées, il faut, pour lui, s’employer à la diffusion des connaissances utiles auprès des catégories les moins favorisées – et l’imprimerie aura bien évidemment ici un rôle à jouer, comme il l’explique en 1786 :

On néglige trop, en France, l’instruction du peuple ; on a même mis souvent en question s’il fallait le laisser ignorant, comme si la connoissance de ses vrais intérêts ne devoit pas le rendre meilleur. On imprimera tous les quinze jours une feuille dans laquelle seront consignées toutes les expériences utiles aux habitans des campagnes. Cette feuille sera envoyée à tous les curés, à tous les syndics de village, prêtée à ceux qui voudroient la lire, envoyée gratis aux cabarets principaux…50

Le rôle du grand seigneur est d’ailleurs décrit par son fils comme celui d’un passeur, soit par le biais de la publication, soit par l’exemple :

Je me rappelle avec quelle douce satisfaction il parcourait ces vastes champs chargés d’une richesse nouvelle, et avec quelle complaisance infatigable il expliquait les sources de cette richesse aux habitans qu’il engageait à l’imiter…51.

Au retour de son premier voyage en Angleterre, le duc implante à Liancourt une ferme modèle (1770), des manufactures et plus tard (1780) une école d’application dans les arts et métiers pour les fils de militaires. Cette « École de la Montagne »52, le premier établissement d’éducation élémentaire et technique dans le royaume, deviendra la future École des Arts et Métiers, ensuite transportée à Compiègne et à Châlons‑s/Marne. En 1790 encore, le duc crée une filature de coton.

Président de l’assemblée provinciale de l’élection de Clermont, Liancourt siège à l’assemblée de la généralité de Soissons, avant d’être envoyé par la noblesse aux États Généraux53. Il se rallie au Tiers le 27 juin, et présidera la Constituante du 18 juillet au 3 août 1789 : il soutient une révolution à la tête de laquelle serait le roi, et écrira d’ailleurs lui‑même avoir « constamment été du côté gauche de l’Assemblée ». Mais cette position réformatrice est de moins en moins tenable selon que les événements se précipitent : Liancourt se résout à émigrer après le 10 août 1792, et il se

50 Mémoires d’agriculture, 1786, 2, p. 26 et suiv.51 Vie du duc de La Rochefoucauld‑Liancourt, ouvr. cité, p. 15.52 Ainsi dénommée parce qu’elle est installée dans l’ancienne ferme de la Faïencerie,

sur le versant de la « Montagne » de Liancourt.53 Henri Baumont, Le Département de l’Oise pendant la Révolution, nelle éd., Paris,

1993.

Page 109: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 93

réfugie à Bury‑St‑Edmunds, où il retrouve Arthur Young. Il fera ensuite un long voyage d’étude aux États‑Unis et jusque chez les « indiens [du] haut Canada », travaillant sur les formes de Gouvernement et étudiant le système des prisons, mais rencontrant aussi Talleyrand. En 1798, il est à Altona (alors danoise), d’où il rentre secrètement en France l’année suivante, avant même de réussir à se faire rayer de la liste des émigrés. Sous l’Empire, le duc reprend son action à Liancourt et dans les environs, avant de retrouver la vie publique sous la Restauration. Il est appelé à la Chambre des pairs en juin 1814, mais siège aussi à la Chambre des représentants pendant les Cent jours avant de revenir aux pairs – indicateur intéressant, il s’abstiendra lors du procès du maréchal Ney. Liancourt est dès lors surtout actif dans le domaine de l’action contre la mendicité, pour l’amélioration des hôpitaux et des prisons, et pour le développement des caisses d’épargne.

Le ministère Villèle l’ayant démis de la plupart de ses fonctions, le duc apparaît de plus en plus comme un opposant. Son service funèbre, le 30 mars 1827 (il est décédé trois jours plus tôt), s’insère dans la lignée des « rituels d’opposition » décrits par Emmanuel Fureix : en dehors des personnalités de très haut rang, la tradition est encore à la cérémonie limitée à un cercle familial plus ou moins élargi. Mais les obsèques des grandes figures libérales donnent l’occasion de manifestations occupant l’espace public par de véritables foules (on parle pour Liancourt de plus de dix mille personnes). Par ailleurs, depuis 1804, il est interdit de porter le cercueil sur les épaules, sauf au cimetière, et l’on doit utiliser un char funèbre tiré par des chevaux. Les élèves de l’École de Chalons ayant voulu porter eux‑mêmes le cercueil du duc au sortir de l’église de l’Assomption, ils sont chargés par la gendarmerie dans la rue Saint‑Honoré. Au cours des échauffourées qui s’ensuivent, le cercueil tombe à terre et se brise, ce qui provoquera un scandale politique et suscitera une demande d’enquête de part de la Chambre des pairs54. Enfin, à la barrière de Clichy, le corps est déposé sur une voiture et transporté pour être inhumé à Liancourt. Le Constitutionnel écrit durement, dans son article de tête, le 1er avril :

Il nous serait difficile d’exprimer la sensation douloureuse qu’a produite à Paris le déplorable attentat contre les restes inanimés du duc de La Rochefoucault. On se demande de toutes part quel horrible vertige, quelle haine stupide ont inspiré les furies de la police ? Il semble que la police ait décidément résolu de passer toutes les bornes de la violence, et d’ajouter chaque jour à une indignation dont la mesure semblait comblée. Quel dommage peut donc résulter pour la société des honneurs rendus aux dépouilles mortelles d’un grand citoyen ? En quoi l’expression

54 Librairie Benoît Forgeot, Paris.

Page 110: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

94 FRÉDÉRIC BARBIER

muette et douloureuse d’un deuil public peut‑elle porter atteinte à la tranquillité générale, ou même troubler les jouissances des courtisans du pouvoir et des favoris de la fortune ?

III – LES LIVRES ET LES BIBLIOTHÈQUES

1) La trajectoire des bibliothèques familiales

Comme toutes les collections très importantes, les bibliothèques des différentes branches de la famille de La Rochefoucauld sont constituées de strates successives, que l’on a du mal à préciser faute d’une étude sérielle. Elles mériteraient une étude approfondie, laquelle reste pratiquement à conduire étant données l’ampleur et la difficulté du sujet. Notre propos se bornera ici à quelques observations ponctuelles, articulés avec la problématique des passeurs culturels.

a – Les La Rochefoucauld et la « révolution culturelle » du XVIe siècle55

La première remarque concerne la présence du livre, et l’intérêt confirmé des La Rochefoucauld pour le domaine de l’écrit – nous l’avons déjà souligné à propos de François III. La vente d’une soixantaine de manuscrits, d’incunables et de précieux ouvrages du XVIe siècle conservés, jusqu’en 1927, dans la bibliothèque de La Roche‑Guyon et alors proposés aux enchères, permet de se faire une idée de la richesse d’une bibliothèque, qui était probablement celle François Ier de La Rochefoucauld et de ses deux successeurs56. La vente s’ouvrait par une dizaine de manuscrits, pour la plupart des XIVe et XVe siècles, et tous en langue vernaculaire : Chroniques de Saint‑Denis, Tristan, Horloge de sapience, etc. Parmi les pièces que nous avons pu repérer, une mention particulière doit être faite pour un recueil comprenant La Fleur des histoires d’Orient de Hayton et Le Devisement du monde de Marco Polo, manuscrit aujourd’hui conservé à la Pierpont Morgan Library de New York57.

Nous sommes devant un ensemble qui, par son luxe et par le privilège donné aux textes en vernaculaire, notamment romans et récits historiques,

55 Emmanuel Fureix, « Un rituel d’opposition sous la Restauration : les funérailles libérales à Paris (1820‑1830 », dans Genèses, 2002, 1, n° 46, p. 77‑100.

56 Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, préf. Jean Céard, Genève, 1997.

57 Catalogue de manuscrits et incunables provenant de la bibliothèque du château de la R.G., Paris, 1927.

Page 111: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 95

est typique de la culture de cour dans le royaume de France au tournant des XVe‑XVIe siècles. Le fait est confirmé par l’analyse des quarante‑huit volumes imprimés passés ensuite en vente. Nous y remarquons par exemple deux exemplaires des traduction d’Aristote par Nicolas Oresme : l’Éthique à Nichomaque, édition parisienne de Vérard en 148858, a été reliée pour Charles VIII et Anne de Bretagne, de même que les Politiques et les Économiques, qui portent en outre l’ex‑libris de François Ier de La Rochefoucauld, chambellan du roi59. Parmi les autres volumes, plusieurs titres de Boccace, mais aussi l’Aiguillon de l’amour divin et l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée. Le Lancelot du lac figure dans la seconde édition donnée par Antoine Vérard, avec un exemplaire ayant appartenu en 1575 à Nicolas Moreau d’Auteuil, trésorier de France et bibliophile réputé60. L’ouverture à la culture moderne est sensible à travers plusieurs titres, dont l’Hypnerotomachia, présente dans l’édition vénitienne d’Alde Manuce (1499) : l’exemplaire porte un ex‑libris manuscrit « de La Rochefoucauld »61. Au total, une bibliothèque somptueuse, typique de cette culture princière de la plus haute noblesse associant textes en vernaculaire et ouverture progressive aux curiosités humanistes nouvelles.

b – Le temps des troubles religieux et politiques

La seconde moitié du XVIe siècle et la période jusqu’en 1661 est marquée par des troubles très violents, dans lesquels les La Rochefoucauld sont des acteurs de premier plan, qu’il s’agisse des luttes religieuses ou des troubles politiques pendant les périodes de régence. Dans les deux cas, la bibliothèque familiale reflète l’engagement des comtes, puis des ducs. Le temps de la crise religieuse apparaît d’abord, avec un exemplaire des Mémoires de l’estat de la France, de Simon Goulart, portant l’ex‑libris « de Larochefoucauld »62 (n° 565) : né à Senlis, dans cette région si

58 Jean‑François Kosta‑Théfaine, « L’illustration de La Fleur des histoires d’Orient de Hayton dans le manuscrit New York, Pierpont Morgan Library, M. 723 », dans Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 12, 2005, p. 191‑204.

59 Aristoteles, Ethica ad Nicomachum [Français]. Les Éthiques en françoys, trad. et comm. Nicolas Oresme, Paris, [Antoine Caillaut et Guy Marchand, pour Antoine Vérard], 8 IX 1488 ( HC 1759).

60 Aristoteles, Politica [Français]. Le Livre de politiques (Tr. et comm. Nicolaus Oresme). Oeconomica [Français] Yconomique (trad. et comm. Nicolaus Oresme), Paris, [Antoine Caillaut et Guy Marchant], pour Antoine Vérard, 8 VIII 1489 (HC 1772).

61 MacFarlane, n° 166. L’exemplaire, qui figurait dans les collections John F. G. Fleming, puis Abel Berland, a été vendu par Christies à New York les 8 et 9 octobre 2001.

62 Franciscus Columna, Hypnerotomachia Poliphili, Venezia, Aldus Manutius,

Page 112: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

96 FRÉDÉRIC BARBIER

ouverte à la sensibilité religieuse nouvelle, Goulart succédera comme pasteur à Théodore de Bèze à Genève, mais il est surtout célèbre comme un auteur prolifique du parti protestant. Les Mémoires sont connues pour leur témoignage concernant les événements de la Saint‑Barthélemy, dont l’auteur pense qu’ils relèvent d’un complot organisé. Il est significatif de voir que la bibliothèque conserve un exemplaire d’une édition de Goulart apparemment datée de 1577 et portant, comme les différentes éditions du temps, l’adresse fictive de Heinrich Wolf à Middelbourg, très certainement en lieu et place d’un professionnel de Genève63.

La monarchie contestée s’efforce de se rallier les plus grands seigneurs, souvent turbulents, en leur octroyant des charges prestigieuses. François V, premier duc de La Rochefoucauld, est ainsi nommé lieutenant‑général du Poitou. Or, le libraire‑imprimeur Abraham Mounin donne, à Poitiers en 1644, la seconde édition des Annales d’Aquitaine publiées d’abord en 1557. L’ouvrage est dédié à François V, dont le portrait figure en tête. L’exemplaire conservé dans la bibliothèque de La Roche‑Guyon possède une reliure aux armes de François VIII de La Rochefoucauld.

Mais les années 1630 sont aussi, pour Pierre Chaunu, le temps du « miracle » de la nouvelle pensée scientifique, où Descartes tient bien évidemment un rôle de premier plan. Il est possible, voire probable, qu’une partie des exemplaires de différentes œuvres de Descartes que possède la bibliothèque de La Roche‑Guyon viennent de François VI, l’auteur des Maximes : la première édition de la Géométrie64 et celle du Discours de la méthode65, les Méditations métaphysiques de 167366 ou encore les Lettres de Monsieur Descartes dont le catalogue précise que l’exemplaire est « usagé »67. Le Monde ou Traité de la lumière… est un traité rédigé par Descartes peu après la publication du Discours de la méthode, mais qui

Romanus, pour Leonardus Crassus, 1499 (HC 5501*). Le même ex‑libris semble figurer sur les Illustrations… de Lemaire de Belges, édition de 1513 et sur le Roman de Perceforest, édition de 1531‑1532.

63 [Vente. Monte Carlo. 8 et 9 décembre 1987] Bibliothèque du château de La Roche‑Guyon, provenant de la succession de Gilbert de La Rochefoucauld, duc de La Roche‑Guyon…, Monaco, Sotheby’s Monaco, 1987 (n° 565). Ce catalogue est d’une fiabilité scientifique médiocre (dès le premier paragraphe du court avant‑propos, le rédacteur indique que Liancourt et La Roche‑Guyon seraient situés en Angoumois !).

64 Cécile Huchard, D'encre et de sang. Simon Goulart et la Saint‑Barthélemy, Paris, 2007.

65 René Descartes, La Géométrie, Paris, Charles Angot, 1664.66 René Descartes, Discours de la méthode [suivi du Traité de la dioptrique et de

l’Abrégé de la musique], Paris, Charles Angot, 1668.67 René Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, Théodore Girard, 1673.

Page 113: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 97

n’a été publié qu’en 1664 : un exemplaire en vente en 2012 est signalé aux armes de La Rochefoucauld, sans plus de précisions, alors qu’il ne semble pas figurer au catalogue de 198768. En toute logique, ce serait encore François VI qui aurait constitué les trente deux recueils de quelque 3860 Mazarinades reliés aux armes des La Rochefoucauld69. Nous savons tout l’intérêt porté par Gabriel Naudé à la publication et à la collecte de ce type de pièces, et Hubert Carrier, qui cite la collection de La Rochefoucauld, explique que, à l’époque de la Fronde, « les grands seigneurs conservaient aussi les Mazarinades » dans des collections dont la première qu’il mentionne est celle de la duchesse de Chevreuse70.

c – Les bibliothèques du siècle des Lumières

Dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, les deux principales branches de la famille conservaient des livres et des bibliothèques dans les châteaux de la campagne, et à Paris – et, bien sûr, les utilisations ne sont pas les mêmes selon les lieux et selon les moments. Louis Alexandre de La Rochefoucauld, duc de La Roche‑Guyon, meurt en 1792 à Gisors. Le château possédait évidemment une bibliothèque, venue pour une grande partie du grand‑père et de la mère du duc, la princesse d’Enville. L’hôtel de La Rochefoucauld, rue de Seine, abritait lui aussi une bibliothèque. La bibliothèque de La Roche‑Guyon sera reconstituée au XIXe siècle. Le duc de Liancourt possédait quant à lui une bibliothèque dans son château de Liancourt, bibliothèque qu’Arthur Young estime à « sept ou huit mille volumes ». Les catalogues conservés semblent indiquer qu’il s’agit d’un ensemble plus « moderne », dans lequel les titres du XVIIIe siècle sont largement dominants – mais le point reste à confirmer. Le 17 septembre 1793, « le citoyen Genaille » en remet l’inventaire, mais il semble que les volumes soient en partie restés sur place, tandis que certains de ceux qui ont été dispersés peuvent être récupérée en 180071. Le duc avait en outre une bibliothèque à Paris, elle aussi appréciée par Young, qui parle, en 1789, d’

une immense collection de brochures, car [le duc] achète tout ce qui se publie sur les affaires du moment et entre autres les cahiers [de doléances] de tous les districts et villes de France pour les trois ordres

68 René Descartes, Lettres de Monsieur Descartes, apparemment exemplaire composite à partir de plusieurs éditions, 3 vol. au total.

69 Bibliothèque du château de La Roche‑Guyon, ouvr. cité, n° 722.70 Hubert Carrier, La Presse de la Fronde (1648‑1653) : les Mazarinades, Genève,

1989, 2 vol., ici t. I, p. 14.71 Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 6478.

Page 114: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

98 FRÉDÉRIC BARBIER

– on le voit, la logique est la même que celle qui poussait François VI à collectionner, lui aussi, les pièces de circonstances, comme instruments d’information et outils permettant de s’engager plus efficacement. Cette bibliothèque parisienne est saisie comme bien d’émigré le 21 septembre 1793, et son inventaire dressé par Hubert Pascal Ameilhon72. Une partie des volumes sera restituée après que le duc ait été radié de la liste des émigrés, tandis que la bibliothèque de Liancourt est elle‑même transportée à La Roche‑Guyon par François XIII de La Rochefoucauld‑Liancourt (1765‑1848) après le rachat du château à son cousin Louis de Rohan‑Chabot (1829).

Malheureusement, nous avons vu comment, à partir de la décennie 1920, des exemplaires aux armes de La Rochefoucauld Liancourt passent isolément en vente publique, avant la vente des plus belles pièces de la bibliothèque de La Roche‑Guyon en 1927. Le reste des volumes de cette bibliothèque est vendu en 1987, à la suite du décès de Gilbert de La Rochefoucauld, duc de La Roche‑Guyon, pour régler les droits de succession. Seule la salle sur deux niveaux subsiste encore, peuplée de « fantômes », tandis que des volumes portant le cachet de La Roche‑Guyon et souvent sous des reliures armoriées homogènes apparaissent régulièrement dans les ventes publiques ou sur les catalogues de libraires. Les épaves des bibliothèques familiales sont aujourd’hui rassemblées dans la bibliothèque aménagée dans le château de La Rochefoucauld.

2) À La Roche‑Guyon : géologie de la bibliothèque et mémoire de la famille

Source de distraction et instrument de formation et de travail, la bibliothèque de La Roche‑Guyon se donne aussi à analyser, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à travers le paradigme de l’identité et de la gloire de la famille. A travers ce que nous pourrions appeler sa « géologie », la collection de livres fonctionne en effet comme le conservatoire de l’histoire dynastique : les volumes y entrent à la suite de successions ou de mariages73, par achats ou par dons (avec notamment les dédicaces des auteurs ou des éditeurs). Les vicissitudes de la trajectoire familiale se traduisent par le déplacement

72 Ameilhon (1730‑1811), d’abord entré dans les ordres, s’est très vite tourné vers l’histoire de l’Antiquité, avant d’être élu à l’Académie des inscriptions. Sous la Révolution, il est membre de la Commission des monuments et aurait, comme tel, sauvé un grand nombre de volumes. Il sera nommé en 1797 conservateur à la bibliothèque de l’Arsenal.

73 Les La Rochefoucauld possédaient aussi le château de Montmirail, anciennement aux Louvois, et qui est mis en vente en 1993 : la bibliothèque qui s’y trouvait conservée aurait alors été transportée à La Rochefoucauld.

Page 115: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 99

des exemplaires, par leur confiscation (à l’époque révolutionnaire), parfois aussi par leur cession. Cette mémoire est consubstantielle de l’identité familiale, laquelle s’affiche notamment par le biais d’armoiries dont le motif fait référence aux origines poitevines de la lignée : « Burelé d’argent et d’azur, à trois chevrons de gueules brochant sur le tout, le premier écimé ». Rappelons que la famille de Lusignan porte burelé d’argent et d’azur, de sorte que les chevrons des La Rochefoucauld sont considérés comme une brisure désignant une branche cadette. Le cimier renvoie quant à lui à la généalogie fabuleuse associant Lusignan et la fée Mélusine : « une mélusine à deux queues dans sa cuve, les mains levées, tenant de sa dextre un peigne et de sa senestre un miroir ».

Mais l’intérêt pour la généalogie est aussi sensible, dès le XVIIe siècle, à travers différents titres présents dans la bibliothèque : ainsi du Crémonial françois74, de l’Histoire des connestables, chanceliers et gardes des sceaux, mareschaux, admiraux (…) depuis les origines, avec leurs armes et blasons donnée par l’Imprimerie royale en 165875, et surtout des Tables généalogiques des maisons des ducs et pairs de France de Saint‑Martin d’Arène, imprimées à Paris par Balard en 1664.

Les Statuts de l’ordre du Saint‑Esprit, sortis des presses de l’Imprimerie royale en 1703, figurent dans la collection sous forme d’un exemplaire réglé et somptueusement relié – la bibliothèque possède une seconde édition, à la date de 1724 (n° 783). Les Statuts de l’ordre de saint Michel sont aussi donnés par l’Imprimerie royale en 1725, et sont conservés sous une reliure aux armes royales. L’ouvrage porte une mention manuscrite : « Donné par l’Ordre ce 4 avril 1726 ». Le Catalogue des chevaliers, commandeurs et officiers de l’ordre du Saint‑Esprit est imprimé par Ballard en 1760 et s’ouvre par un frontispice de François Boucher : l’exemplaire de la bibliothèque possède une reliure en veau marbré aux armes de l’ordre. Mais voici encore les grands traités de généalogie publiés au XVIIIe siècle, comme l’Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France dans les neuf volumes de la troisième édition76 : nul doute que les ducs et pairs de La Rochefoucauld, grands officiers de la couronne, ne trouvent un intérêt

74 Théodore Godefroy, Le Cérémonial François, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1649, 2 vol. (n° 560).

75 Théodore Godefroy, Histoire des connestables, chanceliers et gardes des sceaux, mareschaux, admiraux (…) depuis les origines, avec leurs armes et blasons…, Paris, Imprimerie royale, 1658 (n° 559).

76 Anselme de Sainte‑Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, grands officiers de la Couronne & de la Maison du Roy, & des anciens Barons du Royaume…, troisième édition, Paris, par la Compagnie des libraires, 1726‑1733, 9 vol. (n° 330).

Page 116: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

100 FRÉDÉRIC BARBIER

certain à l’ouvrage du Père Anselme de Sainte‑Marie. Nous remarquons aussi plusieurs autres monographies familiales : l’Histoire des comtes de Poictou et ducs de Guyenne de Jean Besly (Paris, Gervais‑Alliot, 1647) vient apparemment de la bibliothèque de Jean‑François Paul Le Febvre de Caumartin (1668‑1733), garde des livres de la Bibliothèque du roi, puis évêque de Vannes et de Blois77. Incidemment, l’exemplaire, qui porte une note ms : « ex cata. Bibliothecae Caumartin » (1735), nous informe sur une voie possible d’accroissement de la bibliothèque à l’époque des enfants de François VIII, à savoir les acquisitions faites lors des grands ventes. Il porte les armoiries d’Alexandre de La Rochefoucauld († 1762).

Nous pouvons rattacher à la même problématique les spectaculaires reliures exécutées pour les Le Tellier, de même qu’un certain nombre d’autres titres relevant de l’histoire familiale. Dans cette perspective, une place particulière doit être faite à François VI de La Rochefoucauld et à ses Maximes. La première édition de l’ouvrage est donnée à Paris, chez Claude Barbin (« sur le second perron de la Sainte‑Chapelle »), en 1665 : la bibliothèque possède des exemplaires de la 5e édition, et des éditions parisiennes de 1693, 1737 et 1778 (édition dite « du centenaire », établie par Suard, imprimée par l’Imprimerie royale et à laquelle le duc de La Rochefoucauld a participé)78. L’exemplaire de 1693 porte une signature manuscrite « de La Rochefoucauld » (en trois mots) au titre, et une reliure aux armes d’Alexandre de La Rochefoucauld ; celui de 1737 porte aussi une reliure aux armes de la famille ; enfin, sur celui de 1778, il s’agit d’un maroquin rouge aux armes jointes de Jean‑François de La Rochefoucauld‑Surgères et de son épouse, tandis que les caissons du dos sont ornés d’un petit fer reprenant le motif héraldique du cimier de la famille (la fée Mélusine). Remarquons enfin un exemplaire des Mémoires de M.D.L.R. sur les brigues à la mort de Louis XIII, quatrième édition (1664), décrit sans mention d’appartenance.

Avec le thème de la gloire familiale et de la représentation, nous retrouvons la bibliophilie, déjà rencontrée au XVIe siècle. Nous ne revenons pas sur les reliures aux armes, mais remarquons particulièrement l’Histoire romaine de Louis Cousin, dans l’édition donnée à Paris par Rocolet et la

77 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monseigneur Jean‑François Paul Le Febvre de Caumartin, évêque de Blois…, Paris, Marie‑Jacques Barrois, Jacques Guérin, 1734. Le catalogue compte 660 pages, ce qui témoigne de la richesse de la bibliothèque de l’évêque. La base « Esprit des livres » mise en ligne par l’École des chartes donne un certain nombre de précisions sur Le Febvre de Caumartin (1668‑1733), filleul du cardinal de Retz, et sur la vente de 1735, aux Grands Augustins de Paris.

78 François de La Rochefoucauld, Maximes et réflexions morales, préf. Jean‑Baptiste Suard, Paris, Imprimerie royale, 1778, 8°.

Page 117: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 101

veuve de Damien Foucault en 1678, et dédiée à Le Tellier : la bibliothèque de La Roche‑Guyon possède en effet le propre exemplaire du chancelier, exemplaire de dédicace réglé et relié en maroquin rouge à ses armes. Les grandes éditions du Cabinet du roi, sont spectaculaires, et leur présence dans la bibliothèque manifeste clairement la volonté des ducs d’apparaître comme des personnalités majeures de la cour royale. Les Tapisseries du roi illustrent les conquêtes de Louis XIV et sont reliées en maroquin rouge aux armes royales. Il faut y joindre les Vues des maisons royales et des villes conquises, et surtout les Plans, veues et ornemens de Versailles par Lepautre, Israël Sylvestre et d’autres artistes, ainsi que la Description de la grotte de Versailles donnée par l’Imprimerie royale en 1679. La bibliothèque possède aussi la Relation de la feste de Versailles du 18 juillet 1668, d’André Félibien, ouvrage sorti des presses de l’Imprimerie royale en 1679. Dans la même catégorie des livres de cour et de fêtes, nous relevons la présence des Médailles de Louis le Grand dans la seconde édition de 172379, et de la Description des fêtes données par la ville de Paris à l’occasion du mariage de Louise Élisabeth de France avec Philippe de Bourbon, second fils de Philippe V d’Espagne, en 173980. Enfin, le catalogue mentionne les Fêtes données par la ville de Strasbourg à l’occasion de la guérison et du passage du roi, en 1744, donc au lendemain de l’affaire de Metz81 : l’exemplaire est somptueusement relié en maroquin rouge à la dentelle, frappé aux armes royales et à celles de La Rochefoucauld, par Padeloup le jeune82.

79 Médailles sur les principaux événemens du règne entier de Louis le Grand (…), seconde édition..., Paris, Imprimerie royale, 1723 (n° 723).

80 Description des fêtes données par la ville de Paris à l'occasion du Mariage de Madame Louise‑Elisabeth de France et de Dom Philippe, infant et Grand Amiral d'Espagne les vingt‑neuf et trente Août 1739, Paris, de l'imprimerie de P.G. Le Mercier, imprimeur ordinaire de la ville, 1740 (n° 484, rel. maroquin rouge aux armes de la ville).

81 Johann Martin Weiss, Représentation des Fêtes données par la ville de Strasbourg pour la convalescence du Roy, à l'arrivée et pendant le séjour de sa Majesté en cette ville, Paris, Aubert, 1744 (n° 958) (Cohen, Guide de l'amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle, 870). Titre gravé par Marvye, frontispice gravé par Wille d’après Parrocel. Gravures de Jacques‑Philippe Le Bas (1707‑1783), d’ap. les dessins de Johann Martin Weis (1711‑1751), texte gravé dans des encadrements décoratifs. L’ouvrage figure aussi dans certaines collections de grands amateurs, dont Adamoli. On connaît des exemplaires (pas tous en maroquin) aux armes royales, d’autres aux armes de la ville de Strasbourg. Les armoiries combinées, comme ici, semblent les plus rares.

82 Antoine Michel Padeloup, 1716‑1758, relieur du roi à partir de 1733, établi « place de la Sorbonne ». L’édition a été commandée par le prêteur royal François Joseph de Klinglin.

Page 118: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

102 FRÉDÉRIC BARBIER

3) À La Roche‑Guyon : des voyages à la géo‑politique

Pour autant, la bibliothèque de La Roche‑Guyon telle que nous pouvons la saisir de manière bien floue et incomplète, correspond de plus en plus au XVIIIe siècle au modèle d’une bibliothèque de travail. Les grands thèmes de la bibliographie nouvelle y sont en effet présents en nombre, dont nous retiendrons ici, à titre d’exemple, ceux relatifs à la géo‑politique – mais bien d’autres domaines seraient aussi à explorer.

La géographie et les voyages sont en effet l’un des thèmes privilégiés de la « librairie » du temps, alors que l’exploration systématique du globe se poursuit, notamment dans le Pacifique et en Amérique. La bibliothèque possède ainsi plusieurs Voyages autour du monde : celui de Sir Francis Drake est l’un des plus anciens (Paris, Jean Gesselin, 1627, exemplaire aux armes de François VIII de La Rochefoucauld ), tandis que celui de William Dampnier est présent dans sa première édition en français (Amsterdam, Paul Maret, 1701). La question du passage du Nord‑Ouest, autrement dit la possibilité de rejoindre l’Atlantique au Pacifique par le nord du continent américain, agite longtemps les esprits. Henry Ellis (1721‑1806), explore l’itinéraire en 1746, et son récit, traduit en français, est publié à Paris par Ballard fils en 174983. Dix ans plus tard, Ellis sera nommé gouverneur de Géorgie. Bien évidemment, les voyages de Cook, qui comptent parmi les best‑sellers des Lumières, figurent à La Roche‑Guyon dans les éditions successives de 177484, 1778 (deuxième voyage)85 et 178586. Le deuxième voyage avait confirmé le fait que le continent austral n’existait pas, tandis que le troisième vise à nouveau à explorer les voies du « grand passage » entre Pacifique et Atlantique nord. C’est au cours de ce voyage que Cook est poignardé par un indigène, le 14 février 1778.

D’autres voyages ont un objectif plus exclusivement scientifique : la question de la forme exacte de la terre touche aux discussion sur l’attraction universelle et sur le système du cosmos. On sait que Cassini pensait avoir mesuré un allongement de la terre aux pôles, alors que Newton fait l’hypothèse de l’aplatissement, cohérente avec sa théorie de l’ellipsoïde

83 Henry Ellis, Voyage de la baye de Hudson fait en 1746‑1747 pour la découverte du passage du Nord‑Ouest, trad. fr., Paris, Ballard fils, 1749, 2 vol. (n° 510).

84 James Cook, Relation des voyages (…) pour faire les découvertes dans l’hémisphère méridional, Paris, Saillant & Nyon et Panckoucke, 1774 (n° 451).

85 James Cook, Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde, Paris, Hôtel de Thou, 1778, 5 vol. (n° 451).

86 James Cook, James King, Troisième voyage de Cook, ou Voyage à l’Océan Pacifique, Paris, Hôtel de Thou, 1785, 4 vol. et un vol. d’atlas (exemplaire relié aux armes de La Rochefoucauld).

Page 119: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 103

de révolution. Deux expéditions françaises, l’une au nord, l’autre vers l’équateur, doivent chacune mesurer la longueur d’un arc de 1° du méridien, pour en faire la comparaison. Le premier voyage est conduit en Laponie par l’abbé Outhier et Maupertuis en 1736‑1737 : la bibliothèque conserve un exemplaire de la relation publiée à Paris en 174487. La Figure de la terre, par Pierre Bouguer (Paris, Charles Antoine Jombert, 1749), traite du voyage de La Condamine en Amérique du Sud. L’aplatissement de la terre aux pôles, par suite de sa rotation, confirme les théories de Newton, dont Alexandre de La Rochefoucauld semble au demeurant avoir été un partisan – il possède en effet un exemplaire des Principes philosophiques traduits par la marquise du Châtelet88.

Certaines géographies privilégiées apparaissent à travers le choix des livres : l’Amérique du Sud, avec la Relation d’Aguña sur le bassin de l’Amazone89 ou encore avec la Description géographique de la Guyane, par Jacques Nicolas Bellin90. Pierre Barrère est un naturaliste et un médecin, qui visite la Guyane en 1722 et publie en 1743 une relation, présente à La Roche‑Guyon91. L’Histoire de l’Amérique de Robertson traite des colonies espagnoles : la bibliothèque possède la traduction donnée par Suard et Jansen à Paris en 177892. L’Asie, et notamment la Chine, constituent un autre point fort de la bibliothèque, qu’il s’agisse de récits de voyage, de géographie ou de traités historiques. La Suisse et la chaîne des Alpes attirent de plus en plus l’attention, et la collection comprend notamment l’État de la Suisse écrit en 171493,

87 Abbé Regnault Outhier, Pierre Louis Moreau de Maupertuis, Journal d’un voyage au Nord en 1736 et 1737, Paris, Piget, Durand, 1744 (Librairie Le Bail, janv. 2012, armes d’Alexandre de La Rochefoucauld). D’autres titres de Maupertuis au catalogue de 1987, n° 718 et 719.

88 Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, trad. fr., Paris, Desaint et Saillant, 1759, 2 vol. (n° 766).

89 Christoval Aguña, Relation de la rivières des Amazons traduite par feu Mr. de Gombreville…, Paris, Claude Barbin, 1682, 2 vol. (n° 309).

90 Jacques Nicolas Bellin, description géographique de la Guyane, Paris, Didot, 1763 (n° 355).

91 Pierre Barrère, Nouvelle relation de la France équinoxiale, contenant la description des côtes de la Guiane ; de l'isle de Cayenne ; le commerce de cette colonie ; les divers changemens arrivés dans ce pays ; et les mœurs et coûtumes des différens peuples sauvages qui l'habitent, Paris, Piget, Damenonville, Durand 1743 (Librairie Le Bail, janv. 2012).

92 William Robertson, Histoire de l’Amérique, trad. fr. par Suard et Jansen, Paris, Panckoucke, 1778, 4 vol. (n° 838).

93 Temple‑Stayan, L’État de la Suisse, écrit en 1714, trad. de l’anglais, Amsterdam, Wetstein, 1714 (n° 390).

Page 120: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

104 FRÉDÉRIC BARBIER

l’Histoire de Watteville94, la Description des Alpes de Bourrit (suivie de la Nouvelle description des glacières (…) de Savoie)95 et le Manuel de Wittenbach96. Le magnifique recueil consacré par Sir William Hamilton (1730‑1803) aux Champs Phlégréens traite principalement du problème de la volcanologie, mais il aborde aussi la civilisation antique97. Sur ce même thème de la volcanologie, la bibliothèque possède bien évidemment le classique des Recherches Barthélemy Faujas de Saint‑Fond…98

Mais la problématique politique devient plus particulièrement sensible s’agissant d’une géographie spécifique, qui est celle de l’Amérique du Nord. Nous rencontrons à La Roche‑Guyon des titres sur l’Amérique dès les années 1700, comme la première édition française de l’Amérique angloise de Richard Blome99 ou l’Histoire de la Virginie traduite en français100. Mais le thème s’impose surtout dans la seconde moitié du siècle : si les Lettres à un Américain traitent avant tout d’histoire naturelle à travers les travaux de Buffon et de Condillac101, voici l’Histoire et commerce des colonies angloises dans l’Amérique septentrionale102, tandis que plusieurs autres acquisitions viennent encore témoigner de l’intérêt du duc Louis Alexandre pour les événements d’Amérique du nord, et pour l’organisation

94 A.‑L. de Watteville, Histoire de la Confédération Helvétique, Berne, Gottschall et Cie, 1754 (n° 390).

95 Marc Théodore Bourrit, Description des Alpes pennines et rhétiennes, Genève, J.‑P. Bonnant, 1781, 2 vol. (n° 390). Nouvelle description des glacières et glaciers de Savoie, Genève, P. Barde, 1785 (n° 390).

96 J. S. Wittenbach, Manuel pour les savans et les curieux qui voyages en Suisse, Berne, E. Haller, 1786 (n° 390).

97 Sir William Hamilton, Campi Phlegraei, Naples, Peter Fabris, 1776, 2 vol. et un vol de suppl., apparemment absent de la bibliothèque (n° 578). La vente de 1927 proposait aussi, comme seul ouvrage du XVIIIe siècle, un exemplaire des Antiquités étrusques, grecques et romaines : tirées du cabinet du M. William Hamilton…, gravées par David, présentées par Pierre François Huges d’Hancarville, et publiées pour la première édition en trois volumes à Naples en 1766‑1767.

98 Barthélemy Faujas de Saint‑Fond, Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay. Grenoble, Cuchet ; Paris, Nyons, 1778 (n° 520).

99 Richard Blome, L’Amérique angloise, ou Description des îles et terres du roi d’Angleterre dans l’Amérique…, Amsterdam, Abraham Wolfgang, 1688 (n° 375).

100 Robert Beverley, Histoire de la Virginie, trad. fr., Paris, Pierre Ribou, 1707 (n° 366).

101 Joseph Adrien Lelarge de Lignac (?), Lettres à un Américain sur l’histoire naturelle, Hambourg [Paris], [s. n.], 1751‑1756, 3 vol. (n° 661).

102 G. M. Butel‑Dumont, Histoire et commerce des colonies angloises dans l’Amérique septentrionale, Londres, [s. n. ?], 1755.

Page 121: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 105

politique de la nouvelle confédération. Il s’agit, d’abord, des Observations sur la Virginie que Thomas Jefferson a rédigées alors qu’il était en retrait de l’action politique : la version française préparée par l’abbé Morellet sort en 1786, alors même que Jefferson vient de succéder à Benjamin Franklin comme ambassadeur des États‑Unis à Paris103. Deux ans plus tard, Jacques Pierre Brissot (Brissot de Warville) visite les États‑Unis, et il publiera en 1791 une relation de son voyage : l’ouvrage, qui figure à La Roche‑Guyon, constitue un témoignage intéressant de la poursuite des acquisitions pour la bibliothèque alors que la Révolution est engagée104. Enfin, le voyage aux États‑Unis du duc de La Rochefoucauld‑Liancourt en 1795‑1797 fera l’objet d’une édition en huit volumes sous le titre de Voyage dans les États‑Unis d’Amérique, édition donnée à Paris en l’an VII : il était attendu de trouver le titre à La Roche‑Guyon, mais les temps ont changé, et la reliure n’en présente plus rien de remarquable.

Terminons par un ouvrage exceptionnel, puisqu’il s’agit de la Constitution des Treize Etats‑Unis de l’Amérique. Le texte en a été traduit sur une suggestion de Franklin par le duc Louis Alexandre, et l’ouvrage, financé par l’ambassadeur, est publié en 1783 par Philippe Denis Pierres, « imprimeur ordinaire du roi », et Pissot Père et Fils105. Franklin a donné une cinquantaine de notes, et le tirage est réalisé à 500 exemplaires pour l’in‑octavo, et cent pour l’in‑quarto. Le duc de la Rochefoucauld a retenu un exemplaire in‑quarto sur grand papier, exemplaire somptueusement relié106, mais la bibliothèque de l’université de Princeton conserve aussi un exemplaire in‑octavo aux armes de la princesse d’Enville107.

103 Thomas Jefferson, Observations sur la Virginie, Paris, Barrois l’Aîné, 1786 (n° 586).

104 Nouveau voyage dans les Etats‑Unis de l’Amérique septentrionale fait en 1788, Paris, Buisson, 1791, 3 vol.

105 Philippe Vaugelade, Franklin des deux mondes [Correspondance avec le duc de La Rochefoucauld], Paris, 2007.

106 Constitutions des treize États‑Unis de l’Amérique, trad.. fr. par Louis Alexandre de La Rocchefoucauld d’Enville [revue par Benjamin Franklin], À Philadelphie, et se trouve à Paris, chez P.‑D. Pierres, imprimeur ordinaire du Roi, Pissot Père et Fils, libraires, 1783 (n° 641 : rel. maroquin rouge est. à chaud, triple encadrement de filets sur les plats, quatre fleurons dans les coins, armoiries au centre ; dos à cinq nerfs, les caissons décorés de fleurons, pièce de titre).

107 Echeverria Durand, « Publications françaises de la Déclaration d'Indépendance et les constitutions américaines, 1776‑1783 », dans Bibliographical Society of America, Documents, 47 (1953), p. 313 et suiv. G. Chinard, « Notes on the French translations of the "Forms of government or constitutions of the several United States" 1778 and 1783 », dans The American Philosophical Society (...) year book 1943, 1944, p. 88‑106.

Page 122: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

106 FRÉDÉRIC BARBIER

Épilogue

Du XVIe au XVIIIe siècle, la théorie et la construction politiques se déplacent très profondément en France, tandis que, parallèlement, la question du livre et des bibliothèques est investie d’une signification nouvelle. La trajectoire de la famille de La Rochefoucauld illustre bien la conjoncture de la monarchie moderne absolutiste et centralisée : ces très grands seigneurs passent de l’habitus traditionnel post‑féodal à la « machine » de la cour royale, avant de s’investir dans le rôle nouveau que la noblesse prétend acquérir au XVIIIe siècle. Ils manifestent d’abord une forme de distinction culturelle engageant le commerce avec les livres, avant que leur fonction de « passeurs » et d’initiateurs ne s’appuie, elle aussi, sur l’imprimé, sur le livre et sur les bibliothèques. Dans cette perspective, les systèmes de la communication écrite, des médias et de leurs pratiques sont décisifs – sans en rien sous‑estimer la place de l’oralité, des rencontres et des conversations dans le cadre de la famille élargie, des salons ou d’institutions de la sociabilité savante comme les académies.

Constituer des bibliothèques plus ou moins riches, c’est toujours afficher sa distinction, mais c’est aussi se donner les moyens de participer activement à la conduite des affaires. Au‑delà du paraître, les bibliothèque servent à se former et à s’informer, et elles peuvent, moyennant les précautions méthodologiques d’usage, s’analyser en termes de statistique, selon les différents modèles culturels qu’elles sembleront privilégier : la part de la théologie constitue sans doute un indicateur, de même que celle des titres de « récréation » ou que l’orientation générale plus ou moins moderne, sensible par exemple à travers l’attention à disposer d’une information large et à jour – l’abonnement à des périodiques, les collections de journaux et de plaquettes sont à cet égard très signifiants. Si Daniel Roche peut écrite que, dans les bibliothèques des ducs et pairs règne avant tout la littérature de divertissement, tandis que la piété ne fait plus figure que « d’accessoire du conformisme », il est bien certain que ce jugement, surtout pour sa première partie, serait à nuancer.

Mais la trajectoire des ducs de La Rochefoucauld et de leurs livres invite aussi à reprendre une problématique d’inspiration sociologique. Norbert Alter observe ainsi qu’innovation et structures sociales établies (comme les ordres) sont souvent contradictoires, dans la mesure où les secondes tendent d’abord à se perpétuer elles‑mêmes108 : l’innovation serait d’abord portée par quelques individualités atypiques, dont, au tournant des XVIIIe‑XIXe siècles, les représentants de la dynastie de La Rochefoucauld

108 Norbert Alter, L’Innovation ordinaire, 2e éd., Paris, 2005.

Page 123: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France... 107

donnent un remarquable exemple. La problématique politique du XVIIIe

siècle français peut aussi s’analyser dans le cadre de la sociologie des organisations, pour laquelle l’investissement opéré par la noblesse sur la formation intellectuelle se donne à comprendre comme la construction d’une expertise nouvelle : les théoriciens des systèmes politiques posent que, si la noblesse veut contrebalancer le « despotisme » et constituer le corps social en charge de piloter la modernisation possible de la société sous ses différents aspects, elle doit disposer d’une expertise efficace, donc avoir bénéficié d’une formation plus ou moins poussée et continue, garante de sa compétence109. Enfin, les deux cousins de La Rochefoucauld illustrent, à la fin de l’Ancien Régime, le modèle de l’« acteur marginal sécant », pour reprendre (même si la désignation n’est vraiment pas heureuse) la typologie de Michel Crozier et d’Erhard Friedberg110 : « marginaux », ils le sont par leur volonté de se tenir souvent à l’écart de la cour, et par leur investissement dans une société éclairée et libérale qui privilégie la ville. « Sécants », ils le sont aussi par leur souci de remplir une fonction d’intermédiaires et, surtout chez le duc de Liancourt, par la volonté affirmée de se tourner vers le plus grand nombre, vers le « peuple ».

Reste la question de la mise en œuvre et de la diffusion des connaissances ainsi accumulées. Chez les La Rochefoucauld, la bibliothèque, si riche soit‑elle, demeure à usage privé et, si elle s’ouvre, c’est, sur le modèle de la bibliothèque de château, aux proches et à un petit groupe de familiers qui font partie de la même société à la fois élitiste et éclairée. Au‑delà de ces cercles très minoritaires, l’information passe par la publication imprimée, et par la promotion par l’exemple – c’est tout le sens des entreprises d’agronomie et de mise en valeur conduites autour de La Roche‑Guyon ou de Liancourt. Si le choix d’une éducation élémentaire généralisée à toute la population est effectivement proclamé, nous restons dans un système pénétré de bons principes, mais fondamentalement inégalitaire. Les ducs auraient‑ils été plus cyniques, ils auraient pu faire leur le mot du prince de Salina mis en scène par Lampedusa dans Le Guépard : il faut effectivement faire la révolution et « tout changer », mais pour que, en définitive, « rien ne change ».

109 Michel Crozier, Le Phénomène bureaucratique, Paris, 1963.110 Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’Acteur et le système, Paris, 1977.

Page 124: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques dans les bibliothèques aristocratiques de la Hongrie

du 18e sièclePerspectives et exemples

ISTVÁN MONOK

En Hongrie, le début du 18e siècle fut caractérisé par des transformation essentielles.1 Avant même l’expulsion des Turcs et tout au long de la période de la reconquête militaire du pays, il existait plusieurs projets visant la reconstruction, la réorganisation administrative et économique du pays, ainsi que la promotion culturelle de sa population2. Après la défaite

1 Cf. : Maurizio Tani, La rinascita culturale del ‘700 ungherese. Roma, 2005, Gregorian University Press ; Tamás Tóth, « Si nullus incipiat nullus finiet » La rinascita delle Chiesa d’Ungheria dopo la conquista turca nell’actività di Gábor Patachich e di Ádám Patachich, Arcivescovi di Kalocsa‑Bács (1733‑1784). Budapest – Róma – Szeged, 2011 (« Collectanea Vaticana Hungariae » Classis I, Vol. 6.) 13‑56.

2 Les projets les plus connus sont ceux élaborés respectivement par l’évêque Léopold Kollonich, par le palatin Pál Esterházy, par le frère Angelus Gabriel Gautieri de Nizza, et enfin par les Etats hongrois. Pour une étude consacrée à ces projets et pour l’édition critique des textes conçu par le palatin et adopté par la Cour, voir : János Kalmár, János J. Varga eds., Einrichtungswerk des Königreichs Hungarn 1688–1690, Stuttgart, Steiner Verlag, 2010 (« Forschungen zur Geschichte und Kultur des östlichen Mitteleuropa » 39.). Les conceptions des Etats hongrois sont étudiées par : János Varga J., János Kalmár, A magyar királyság berendezésének műve. Függelék: A pozsonyi rendi bizottság tervezete, az ún. « Magyar Einrichtungswerk » [L’oeuvre du rétablissement du royaume hongrois. Annexe : les projet de la commission des Etats de Presbourg, c’est‑à‑dire l’Einrichtungswerk hongrois]. Budapest, Magyar Történelmi Társulat, 1993 (« Századok Füzetek » 1.) Les conceptions du moine génois : (Il Governo dell’Ongaria): Anonyme, « Tüzes Gábor emlékirata Magyarország kormányzásáról » [Le mémoire de Gábor Tüzes (=Gabriel Gautieri) sur le gouvernement de la Hongrie], Történelmi Tár, 22(1900) 219‑397.

Page 125: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 109

de la lutte pour l’indépendance (1703‑1711), seule la conception élaborée à la cour de Vienne put être mise en pratique. Les grands du pays, les familles aristocratiques durent s’adapter à cette contrainte, mais dans la formation de la politique locale, ils ne manquèrent pas de tenter de faire valoir leurs propres idées concernant l’avenir du royaume. Or, cela exigait de leur part – en plus d’une base économique – une culture générale qu’ils ne pouvaient acquérir qu’au cours de leurs études et de leurs voyages. Certes, le milieu curial dans lequel il s’étaient trouvés dut jouer un rôle non négligeable dans ce processus d’acculturation, mais les personnages ayant contribué à la réorganisation du pays et à l’enrichissement des institutions culturelles disposaient eux‑mêmes d’une culture livresque plus ou moins approfondie. Voilá ce qui explique l’importance de l’étude thématique du corpus de leurs lectures.3

Lorsqu’on prend en compte les divers facteurs déterminant la formation des collections aristocratiques4, la situation pécuniaire des familles en question ne figure plus au premier rang : les livres, produits industriels désormais accessibles à pratiquement toutes les couches de la société, devinrent nettement moins chers qu’auparavant. L’activité de collectionneur subit par conséquent une transformation essentielle en Hongrie. La création des galeries familiales et des trésors ne reflètent pas seulement l’aisance matérielle de l’aristocratie, mais ils témoignent également du haut estime que les magnats accordaient à l’art de l’orfèvrerie. En dehors des peintures, certains objets sont également susceptibles d’évoquer le passé glorieux d’une famille ; parmi ses objets, les plus recherchés sont sans doute les reliques des campagnes militaires, notamment les armes, les uniformes, les oriflammes, etc.5 Les collections d’objets rares ayant été complétées par des

3 Pour une synthèse de la situation aux 16‑17e siècles, voir: István Monok, « Die Buch‑ und Lesekultur in Ungarn der frühen Neuzeit. Teilbilanz der Ergebnisse einer langen Grundlagenforschung, 1980‑2007 » Mitteilungen der Gesellschaft für Buchforschung in Österreich, 2008/1. p. 7‑31. ; István Monok, Les bibliothèques et la lecture dans le Bassin des Carpates 1526‑1750. Paris, Champion, 2011 (« Bibliothèque d’Études de L’Europe Centrale » 4.) Dans ce dernier, voir le chapitre : « Aperçu du XVIIIe siècle » (pp. 181‑218.)

4 Pour une synthèse de nos connaissances concernant l’activité de collectionneur, voir : Margit Szarvasi, Magánkönyvtárak a XVIII. században [Bibliothèques privées au 18e siècle], Budapest, 1939. ; Jenő Berlász, « Könyvtári kultúránk a 18. században » [La culture des bibliothèques au 18e siècle] In: József Szauder, Andor Tarnai eds., Irodalom és felvilágosodás. Tanulmányok, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1974. p. 283‑332. ; Gábor Kelecsényi, Múltunk neves könyvgyűjtői [Les collectionneurs illustres du notre passé national], Budapest, Gondolat Kiadó, 1988. ; István Monok, Attila Buda, József Hapák (foto), A magyar bibliofília képeskönyve [L’album de la bibliophilie hongroise] Budapest, 2006, Korona Kiadó.

5 Un modèle incontournable, comparable aux exemples d’Europe occidental, est

Page 126: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

110 ISTVÁN MONOK

oeuvres d’art contemporaines, la Hongrie de la fin du 18e siècle vit enfin la formation de collections familiales comparables à celles qu’on trouve en Europe occidentale. Il suffit de penser aux châteaux d’Eszterháza et de Kismarton de la famille Esterházy, mais les manoirs des Batthyány, des Csáky et des Ráday (famille protestante) illustrent également la profondeur de la transformation.6 Le rôle que la bibliothèque joue dans la vie curiale subit également des changements importants. Les bibliothèques – ou plutôt les livres y conservés – fournirent souvent l’arrière‑fonds intellectuel de la construction du château, du manoir7 ou bien du jardin8. Leur composition reflète la transformation du fond en comble de la vie curiale (activités musicales et théâtrales, mécénat).9 La bibliophilie, c’est‑à dire la collection des livres en tant qu’objets esthétiques10 et précieux, accompagne aussi la série de changements dont nous parlons – notons aussi que cette dernière activité n’est pas sans rapport avec la formation de l’identité nationale culturelle.

Je tiens à mettre en relief un phénomène particulier qui, à mon sens au moins, a non seulement contribué à la transformation de la mentalité et des attitudes culturelles des familles d’aristocrates hongroises, mais qui influait aussi sur la composition du corpus des bibliothèques. Le phénomène en question est le mariage des Hongrois avec les membres des familles comtales ou princières impériales. Arrivé(e) en Hongrie, l’époux ou l’épouse a apporté avec lui (elle) ses livres de prédilection et puisque le la cour de la famille Esterházy. De l’abondante littérature qui traitent de leur histoire, je cite ici le catalogue de l’exposition présentant plusieurs générations de la dynastie : Die Fürsten Esterházy. Magnaten, Diplomate und Mäzene. Austellung, Eisenstadt, 28. 4. bis 31. 10 1995. Katalog. Red. von Jakob Perschy. Eisenstadt, 1995 (« Burgenländische Forschungen » Sonderband XVI.)

6 Le manuel de l’histoire culturelle de la Hongrie du 18e siècle (avec une bibliographie qui se veut complète) : Domokos Kosáry, Művelődés a XVIII. századi Magyarországon [La culture dans la Hongrie du 18e siècle], Budapest, Akadémiai Kiadó, 1996.

7 Dorottya Cs. Dobrovits, Építkezés a 18. századi Magyarországon. Az uradalmak építészete [L’architecture en Hongrie au 18e siècle. Les manoirs]. Budapest, 1983, Akadémiai Kiadó (« Művészettörténeti füzetek » 15.)

8 Kristóf Fatsar, Magyarországi barokk kertművészet [L’horticulture baroque en Hongrie]. Budapest, 2008, Helikon Kiadó.

9 Une présentation générale de l’image que les voyageurs étrangers se firent de cette transformation. Katalin G. Györffy, Kultúra és életforma a XVIII. századi Magyarországon. Idegen utazók megfigyelései [Culture et mode de vie dans la Hongrie du 18e siècle. Les observations des voyageurs étrangers]. Budapest, 1991, Akadémiai Kiadó (« Művészettörténeti füzetek » 20.)

10 Vö. : István Monok, « La bibliophilie en Hongrie au XVIIIe siècle » Art et métiers du livre, 2002. Nr. 230. p. 20‑25.

Page 127: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 111

nouveau venu (la nouvelle arrivée) ne parlait évidemment pas le hongrois, une nouvelle langue fut nécessairement introduite dans la vie de la cour. L’apparition subite, sur les registres du début du 18e siècle, d’un corpus extrêmement moderne (quasi contemporain) et des éditions en allemand, français ou italiens des oeuvres littéraires antiques s’explique très souvent par un mariage conclu avec un comte étranger (ou une comtesse étrangère). N’oublions pas que cette entreprise très ambitieuse que fut l’expulsion des Turcs ne put être effectuée que grâce à une collaboration internationale. Plusieurs italiens, allemands – et d’autres venus d’encore plus loin – y participèrent. Nombre d’entre eux bénéficièrent de larges domaines en Hongrie ou ils décidèrent de s’installer. Citons un seul exemple : Alessandro Guadagni, d’Arezzo, mourut dans la bataille de Szentgotthárd (1664) ; son fils, János Gvadányi fut nommé capitain de la forteresse de Szendrő. Le petit‑fils d’Alessandro, János lui aussi, servait comme capitain dans l’armée de Simon Forgách lors de la révolte du prince Rákóczi. Les Gvadányi avaient été comtifiés en Pologne (1686), puis ils ont naturalisé leur titre en Hongrie (1687) : au moment de cette élévation sociale, ils se firent préparer un ex libris imprimé, ce qui atteste qu’ils étaient des collectionneurs engagés11.

On peut également expliquer l’apparition dans les bibliothèques des livres écrits en langue étrangère par le fait que l’armée multiethnique de l’Empire des Habsbourg tenait garnison et donnait bataille aux endroits les plus divers du continent européen. Or, plusieurs aristocrates hongrois coururent une carrière militaire. Depuis la seconde moitié du 17e siècle, il était d’usage que les militaires, pendant leur séjour forcé á l’étranger, se procuraient un important corpus de livres. Il suffit de penser à László Ebergényi12, à Ádám Czobor, à György Csáky, ou à János Nepomuk Kázmér Esterházy (auquel je reviendrai plus tard). Certes, on ne doit pas exagérer le rôle du service militaire, puisqu’au 18e siècle, la mobilité des membres de l’aristocratie s’est intensifiée de manière considérable : en dehors de leurs déplacements diplomatiques et d’études, ils participèrent volontiers à des voyages recréatifs, motivés par la seule curiosité de connaître d’autres pays que le leur.

Au 18e siècle, il était plus facile de s’acquérir des livres qu’auparavant. L’édition hongrois a également progressé, même s’il est vrai que dans

11 OSZK Régi Nyomtatványok Tára, exl. 179. Vö.: Zoltán Fallenbüchl, « Guadagni Alessandro leveleskönyve » [Les épîtres de G. A.] Az Országos Széchényi Könyvtár Évkönyve 1979. Budapest, 1981. 409‑435.

12 Vö.: Péter Ötvös, « A Csáky‑énekeskönyv » [Le chansonnier Csáky] Irodalomtörténeti Közlemények, 1980. 486‑509.

Page 128: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

112 ISTVÁN MONOK

les deux premiers tiers du siècle elle est restée au service de la culture et l’enseignement en latin13. L’ultime tiers du 18e siècle a vu la multiplication des livres en langue hongroise, due – en partie, au moins – au mécénat exercé par les familles aristocratiques. Le processus de la formation d’un vocabulaire spécialisé s’est engagé dans toutes les disciplines, de la grammatique à la philosophie, de la géométrie à la physique, de la construction routière au métier de sage‑femme.14 Ce phénomène a laissé des traces durables sur la composition des bibliothèques, puisque les familles avaient l’habitude non seulement d’acheter en plusieurs exemplaires et de diffuser dans leurs milieux les ouvrages dont ils avaient pécuniairement soutenu la publication, mais aussi de se procurer, par engagement pour la culture de langue hongroise, d’autres pièces de la production livresque nationale.

La Hongrie commenca à intéresser les librairies actives au niveau international également. Notons l’apparition sur le marché hongrois des représentants de la famille Trattner, qui avait des ateliers d’imprimerie et des maisons d’éditions à Vienne, à Pest, à Zagreb et á Temesvár (Timişoara)15 ; des Remondini présents partout dans le monde du Méxique á Kazan16 ; ou enfin de la fameuse Société Typographique de Neuchâtel17 ‑ ces acteurs du monde des livres élaborèrent des projets systématiques visant à satisfaire à la demande qui se manifestait dans le pays récemment réorganisé. Il ne faut pas oublier non plus que certains membres des familles en question,

13 Csaba Csapodi, « Könyvtermelésünk a 18. században » [La production de livres au 18e siècle] Magyar Könyvszemle, 60(1942) p. 393‑398.

14 Pour une synthèse, voir: Pannóniai Féniksz, avagy hamvából feltámadott magyar nyelv. Első nyomtatott tudományos könyveink. 16‑19. század. – Pannonian Phoenix, or the Hungarian Language Arisen from the Ashes. Our Earliest Printed Scientific Books. 16th‑19th Centuries, Szerk./Ed. by István Gazda, Ágnes Stemler, Budapest, 2005, OSZK.

15 Judit Ecsedy, A könyvnyomtatás Magyarországon a kézisajtó korában 1473‑1800 [L’imprimerie en Hongrie à l’époque de la presse manuelle], Budapest, Balassi Kiadó, 1999. p. 180‑230.

16 Remondini. Un Editore del Settecento, a cura di Mario Infelise e Paolo Marini. Milano, 1990 ; Commercio delle stampe e diffisione delle imagini nei secoli XVIII e XIX, a cura di Alberto Milano. Rovereto, 2008, ViaDellaTerra

17 Olga Granasztói, « Egy pesti könyvkereskedés nyugat‑európai kapcsolatai a XVIII. század végén. Weingand és Köpff könyvkereskedők levelei a neuchâteli levéltárban (1781‑1788) » [Les contacts occidentaux d’un libraire de Pest. Les lettres de Weingand et de Köpff dans les archives de Neuchâtel] Magyar Könyvszemle, (119)2003. 166‑186. ; De la même auteure : « Adalékok a francia könyv európai terjesztési hálózatainak feltárásához. A Société Typographique de Neuchâtel bécsi kapcsolatai 1772‑1785 » [Suppléments á l’étude des réseaux de diffusion du livre français en Europe. Les contacts viennois de la STN. 1ère partie] Magyar Könyvszemle, 2011. Nr. 4.

Page 129: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 113

mais surtout leurs employés en charge des bibliothèques, observaient avec une attention minutieuse non seulement les catalogues des foires de Francfort et de Leipzig, mais aussi les ventes aux enchères. On peut risquer l’affirmation : c’est à la fin du 18e siècle que la Hongrie a vu la naissance d’une librairie organisée.18

Nous savons très bien qu’il est difficile de parler en termes généraux d’une transformation lorsque les collections étudiées sont á tel point variées. Les bibliothèques princières Esterházy19 et Batthyány20, immenses

18 György Kókay, Geschichte des Buchhandels in Ungarn, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1990. ; Ilona Pavercsik, « A magyar könyvkereskedelem történetének vázlata 1800‑ig » [Esquisse de l’histoire de la librairie hongroise] In: Judit Ecsedy: A könyvnyomtatás Magyarországon a kézisajtó korában 1473‑1800. Budapest, 1999, Balassi Kiadó. 295‑340.

19 Le fils du palatin Paul Esterházy, Pál Antal Esterházy (1711‑1762) fonda – lors de ses voyages européens et de son séjour à Leiden – une bibliothèque à part qu’il placa dans le château familial de Kismarton. Le fondateur d’Eszterháza (Fertőd) fut Miklós Esterházy (1714‑1790), qui y installa également une bibliothèque. Miklós Esterházy (1765‑1833) décida de réunir les deux collections à Kismarton. Ces bibliothèques étaient d’une modernité étonnante : elles permettaient l’étude encyclopédique des sciences. Du point de vue linguistique, elles sont caractérisées par une forte orientation française, mais on y trouve une grande quantité de livres allemands et latins également. C’est à la fin du 18e siècle que font leur apparition dans la bibliothèque les voyages et les oeuvres littéraires anglaises.

20 C’est au 18e siècle que la dynastie princière des Batthyány fonda une bibliothèque dans la ville de Körmend. Une partie des livres provenant de cette collection est aujourd’hui accessible dans la bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs. Les collections à Vienne, à Trautmannsdorf et à Payerspach de Károly József Batthyány (appartenant à la branche princière, 1697‑1772) illustrent à merveille la culture de cet aristocrate, comparable à celle de ses confrères d’Europe occidentale. Le prince séjournait surtout dans son hotel viennois. On y trouve une collection très moderne, composée de 3000 volumes environ : belles‑lettres contemporaines en français et en allemand, ouvrages historiques et politiques, puis – conformément à ses préférences théologiques – un tas de livres jansénistes. Il s’agit d’un corpus visiblement souvent consulté. Quant à la collection monumentale de Trautmannsdorf (de 4000 mille volumes environs) est une bibliothèque tout à fait digne du manoir, mais apparamment peu utilisée : on y trouve les livres dont Batthyány avait hérité. Auteurs classiques et Pères d’Eglise, les opera omnia des grands historiens et philosophes des 15‑17e siècles. La bibliothèque mineure de Payersbach est la collection théologique de la famille, composée surtout des ouvrages provenant des 15‑17e siècles. Appartenant, lui aussi, à la branche princière de la famille, József Batthyány (1727‑1799), fonda la collection Batthyány de la Bibliothèque de l’Archevêché d’Esztergom (les ouvrages y conservés enrichirent plus tard la Bibliothèque de l’Académie Hongroise des Sciences, à l’exception des manuscrits, retenus à Esztergom). De la branche comtale (celle de Pinkafő), il convient de mentionner Ignác Batthyány (1741‑1798), fondateur du Batthyanaeum de

Page 130: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

114 ISTVÁN MONOK

par leurs dimensions et universelles par leurs contenus, ne se comparent certainement pas aux collections qu’on trouve dans les manoirs de telle ou telle famille de comtes ou de barons. On peut néanmoins répérer des tendances, dont le dénominateur commun est d’ailleurs la volonté d’imiter les exemples princiers. Ceci explique que les exemples concrets que j’évoquerai dans mon étude concerneront tous les familles de comtes et de barons.

La transformation linguistique était ralentie par le fait que la langue latine conserva sa position officielle jusqu’au milieu du 19e siècle. Un aristocrate devait se débrouiller en latin afin de pouvoir participer à la vie publique. Cela n’empêcha pas l’entrée en force de la littérature en langue vernaculaire dans les bibliothèques. Même les ouvrages des auteurs de l’Antiquité y figurent souvent en vernaculaire. J’ai l’impression que l’aristocratie de la fin du 18e siècle ne savait déjà plus assez bien le latin pour lire les comédies romaines dans l’original. Les pièces classiques figurent donc en très grand nombre en allemand, en français et parfois en italien. Quant à la connaissance du français et de l’allemand, le tableau des familles en question est varié. Au sein des dynasties apparentées à des familles autrichiennes ou allemandes, les collections comportent plus de livres allemands que français, mais les proportions peuvent varier d’une génération à l’autre (ou d’un individu à l’autre). Quoique la bibliothèque de la famille Batthyány fût plus allemande que française, le registre des livres d’usage personnelle d’Ádám Batthyány (1697‑1782) – préparé autour de l’année 175021 – montre que ce comte polyglotte lisait surtout en français. Parmi le 118 titres figurant dans le registre, 29 sont allemands, 7 latins, 5 italiens, 1 manuel d’anglais en allemand – le reste est français. On ne doit pas conclure de ces chiffres que les livres hongrois – cette secteur étant en nette progression – ne furent pas collectionnées. Les aristocrates en question ne ménagèrent point leurs efforts pour soutenir l’édition en langue hongroise. Certes, le corpus hongrois n’apparaît que très rarement dans les catalogues des bibliothèques. N’oublions pas que le registre que je viens de mentionner n’est point un catalogue, seulement un registre des livres que le comte avait avec lui lors de ses voyages.

Examinons maintenant les collections de ses contemporains. Les 439 Gyulafehérvár (Alba Iulia), collectionneur de renom.

21 « Catalogue des Livres qui se trouvent dans l’armoire de Msr le comte Adam » : Magyarországi magánkönyvtárak V. 1643‑1750. [Les bibliothèques privées en Hongrie] Sajtó alá rendezte/Ed. László Czeglédi, Tamás Kruppa, István Monok. Budapest, 2010, OSZK (« Adattár XVI – XVIII. századi szellemi mozgalmaink történetéhez » 13/5) 152‑156.

Page 131: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 115

livres de János Ferenc Reviczky ( ?‑1742) furent recensés à Kassa (Kosice) après la mort du comte.22 Du point de vue linguistique, cette collection peut être qualifiée de traditionnelle, dans la mesure où les livres en latin y constituent la majorité, mais il en ressort aussi que le magnat lisait en plusieurs langues. Du point de vue thématique, la composition de la bibliothèque est plutôt moderne. Le fils du comte n’est autre que Károly (Charles) Reviczky (1736‑1793), polyglotte connu partout en Europe, ayant parcouru une carrière diplomatique et curiale remarquable.23

Les 881 livres de la bibliothèque á Cseklész de József Eszterházy (1682‑1748) furent catalogisés en 1749. A examiner de près le corpus, il est manifeste que tous les livres avaient été achetés par le propriétaire : il s’agit donc d’une collection d’une génération. Du point de vue linguistique, la collection est assez variée : la plupart des ouvrages sont en latin ou en allemand, les livres français s’y trouvant constituent une quantité négligeable.24 Rien n’est plus éloigné de cette collection de Cseklész que la bibliothèque constituée à Lajtakáta, de János Nepomuk Kázmér Eszterházy (1773/74‑1829), appartenant à l’autre branche (celle de Zólyom) de la famille. Cette bibliothèque, recensée en 180525, est une collection moderne de 740 livres, appartenant à un officier de culture française. Deux tiers des livres virent le jour après la naissance de leur propriétaire : il n’y a que 21 livres publiés avant 1750. La composition linguistique de la collection est non moins remarquable : très peu de livres latins (quelques ouvrage juridiques et historiques, un seul auteur antique), un seul livre italien, par contre, aucun édition en langue hongroise. Deux tiers des livres sont en français, le reste en allemand.

L’utilisation de la langue française – idiome commun de l’aristocratie européenne du 18e siècle – a sans doute contribué à la propagation du goût littéraire français, ainsi que des connaissances philosophiques, pédagogiques et politiques conçues en France. La Hongrie fut par exemple atteinte par la

22 Adattár 13/5. (voir le note précedent) 20‑34.23 Károly Reviczky (1736‑1793), ayant terminé sa carrière diplomatique – il avait été

ambassadeur à Constantinople, à Varsovie, à Berlin et enfin à Baden – devint précepteur, puis ministre de Joseph II. En dehors de quelques langues européennes, il savait le hébreu, le turc, l’arabe et le persan. Il traduisit plusieurs textes du turc en français et du persan en latin. Sa bibliothèque, dont lui‑même fit imprimer le catalogue, fut vendue en 1790, sa collection orientale incluse. Les descendants de l’acheteur, un certain Lord Althorp, revendirent la collection à John Ryland, de Manchester.

24 Adattár 13/5. (voir le note 21.) 115‑145.25 « Catalogue des livres de la Bibliothèque de Gattendorff, écrit 1805 » Szegedi

Tudományegyetem, Egyetemi Könyvtár [Bibliothèque Centrale de l’Université de Szeged] MS 1826 (Esterházy LIV/2394)

Page 132: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

116 ISTVÁN MONOK

littérature libertine, comme l’atteste la bibliothèque à Homonna d’István Csáky (1741‑1810) et de son épouse, Júlia Erdődy ( ?‑1809), subsistant jusqu’à nos jours. Elle est conservée dans la bibliothèque départementale d’Arad.26

Évoquons maintenant une bibliothèque dans laquelle les livres en hongrois ont également été recensés. Nous connaissons les 296 livres du réformé Pál Ráday (1677‑1733) et nous disposons aussi d’une note qui prévoit l’acquisition de 95 livres supplémentaires27 Conformément à son office et à ses activités, il s’intéressait surtout aux ouvrages juridico‑politiques, écrits en langue latine. Son fils, le futur comte, Gedeon Ráday (1713‑1792) disposait à sa mort de plus de 10.000 volumes, dûment arrangés dans la bibliothèque du château familial situé á Pécel. Gedeon Ráday – qui parlait et lisait en hongrois, en latin, en allemand et en français – prenait un soin particulier à l’acquisition des livres hongrois, ce dont les registres rendent compte de manière convaincante.28

Ayant terminé cette présentation de l’état des corpus de livres en langue hongroise, je vous propose d’examiner la fortune des imprimés et des manuscrits portant sur l’histoire de la Hongrie et des Hongrois. Au cours du 18e siècle, l’identité hungarus des peuples appartenant au Royaume de Hongrie s’est progressivement dissolue pour laisser la place aux identités culturelles particulières, dont le processus de formation se prolonge jusqu’au milieu du 19e siècle.29 L’étude des registres et des catalogues des bibliothèques contemporaines fournit des renseignements très intéressants par rapport á ce processus. Au 17e siècle, les ouvrages latins traitant de l’histoire hongroise figurent dans la classe thématique « Historici », tandis

26 Cf.: Olga Granasztói, Francia könyvek magyar olvasói. A tiltott irodalom fogadtatása Magyarországon 1770‑1810. [Livres français – lecteurs hongrois. La réception de la littérature interdite en Hongrie] Budapest, 2009, Universitas Kiadó, OSZK (« Res libraria » III.) 121‑227.

27 Györgyi Borvölgyi, Ráday Pál (1677‑1733) könyvtára [La bibliothèque de Pál Ráday]. Budapest‑Szeged, 2004, OSZK‑Scriptum Rt. (« A Kárpát‑medence koraújkori könyvtárai – Bibliotheken im Karpatenbecken der frühen Neuzeit » VII.)

28 Cf. : Viktor Segesváry, A Ráday könyvtár 18. századi története. [L’histoire de la bibliothèque Ráday au 18e siècle] Budapest, 1992 (« A Ráday Gyűjtemény tanulmányai » 4.) – Viktor Segesváry, The History of a Private Library in 18th Century Hungary. The Library of Pál and Gedeon Ráday. Budapest, 2007, Akadémiai Kiadó, OSZK

29 Pour une exposition détaillée de la question du point de vue de l’histoire des bibliothèques, voir : István Monok, « Identité culturelle, identité nationale et les bibliothèques institutionelles en Hongrie au 18e siècle » In : Un’istituzione dei Lumi: La biblioteca. Teoria, gestione e practiche biblioteconomiche nell’Europa dei Lumi. Convegno internazionale. Parma, Biblioteca palatina, 20‑21 maggio 2011. a cura di Andrea De Pasquale, Frédéric Barbier. Parma, 2012 (en préparation)

Page 133: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 117

que la classe intitulée « Hungarici » renvoyait à la langue des livres y figurant. Citons l’exemple de la collection à Sajókaza de László Radvánszky (1701‑1758), dont le catalogue fut préparé en 1750.30 Parmi les 434 livres recensés 134 furent classés « Scriptores rerum Hungaricarum domestici et extranaei ». Les 28 livres publiés en langues slaves furent regroupés dans une classe à part. Si l’on ajoute à tout cela qu’en 1727, le même comte Radvánszky s’est fait copier 86 manuscrits traitant de l’histoire hongroise, on peut en conclure que derrière cet intérêt historique se cache une identité culturelle spécifique. Un autre signe très fort du renforcement de l’identité culturelle nationale n’est autre que la fondation, en 1802, de la bibliothèque nationale hongroise (Bibliotheca Regnicolaris). Ferenc Széchényi ne se contenta pas de faire de sa propre bibliothèque le fondement de la nouvelle institution, mais il invita l’aristocratie hongroise à compléter la collection et à enrichir la collection de tous les ouvrages accessibles portant sur la Hongrie. Il convient de souligner que Széchényi – sensible au problème de la rareté des oeuvres en hongrois – envoya le catalogue imprimé de sa collection aux prélats et aux magnats du pays. János Nepomuk Kázmér Eszterházy en reçut également un exemplaire. Dans sa lettre de remerciement, datée du 18 janvier 1803, de Vienne, après avoir fait l’éloge de l’activité fondatrice du comte, il lui promet d’envoyer à la Bibliotheca Regnicolaris tous les ouvrages disponibles dans sa collection, mais absents dans la bibliothèque nouvellement fondée. Eszterházy regarde cette promesse comme une contribution à la promotion culturelle de la patrie hongroise.31

Si l’on examine de près le processus de la transformation thématique de la composition des bibliothèques d’aristocrates, on se rend compte de la croissance du taux des ouvrages à sujets séculaires (c’est‑á‑dire non théologiques et non‑religieux). En dehors des livres de jurisprudence, d’histoire et de science politique, apparaissent les ouvrages consacrés aux mathématiques, à la physique, à la chimie, mais surtout aux connaissances économiques. La section « Geographia » s’enrichit de la littérature de voyages, des descriptions de pays lointains et des albums d’art.

Les premiers symptômes de cette transformation sont repérables au milieu du 18e siècle. Pour s’en convaincre, établissons une comparaison entre la construction thématique des bibliothèques des deux comtes Eszterházy présentées plus haut :

La bibliothèque à Cseklesz (Bernolákovo) de József Eszterházy 1749 (881 livres)

30 Adattár 13/5. (voir le note 21.) 159–198.31 C’est Edina Zvara qui a attiré mon attention à cette lettre. J’en suis très

reconnaissant.

Page 134: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

118 ISTVÁN MONOK

« Classes Librorum Bibliothecae Cseklésziensis : Libri prohibiti – Militares et Mathematici – Scriptores Byzantini Graeco Latini editiones Parisiensis – Historici recentiores – Diversi Historici et Scholastici – Libri Sacri – Diversi historici ... Mathematici et diversae delineationes Architectonicae – Oeconomici de cura Equorum – Dictionaria et auctores classici ac Juridici aliqui – Juridici – Scriptores Hungarici et selecti diversi – Geographi ». Comme il ressort clairement de cette classification, les ouvrages portant sur l’histoire hongroise sont constitués dans un groupe à part, tandis que la jurisprudence, la géographie et l’économie ont également droit à une attention particuliere.

La bibliothèque à Lajtakáta (Gattendorff) de János Nepomuk Kázmér Eszterházy 1805 (740 livres)

« Catalogue des livres de la Bibliothèque de Gattendorff : Théologie – Jurisprudence – Philosophie – Histoire – Philologie ou Belles Lettres – Cartes géographiques »

Examinons de plus près cette dernière bibliothèque, puisque son étude permettra de synthétiser de manière efficace les transformations indiquées dans le titre de mon article. La composition thématique de la bibliothèque est à certains points déroutante, en partie parce que l’inclusion de certaines sections en classes ne correspond ni à la classification á l’usage au 18e siècle, ni à la classification actuelle. Le taux de participation de certains thèmes peut nous laisser également perplexes.

Commencons par la section de théologie, très étendue pour l’époque : 146 volumes sur 740. A l’intérieur même de cette section de théologie, on peut s’étonner de la présence de 23 ouvrages dogmatiques, des 22 livres homilétiques et de 101 ouvrages ascétiques (dont 50[!] livres de prière). Nous ne connaissons pas en détail la biographie de cet Eszterházy, officier, mais il est peu probable qu’il se préparât á se retirer du monde. Il ne faut pas oublier qu’après le recensement de ses livres, le comte vivait encore 25 ans au château. Certes, ses prénoms peuvent témoigner d’une attitude particulièrement pieuse (même si, bien entendu, il n’en est pas l’auteur). Les ouvrages libertins tant prisés par l’aristocratie du 18e siècle brillent par leur absence32, par contre, Eszterházy disposait d’un exemplaire de l’ouvrage apologétique peu connu, publié à Eszék (Osijek), par Bohuslaus Herwig : « Antidotum libertinismi moderni, sanis fidelium mentibus in praeservationem, male vero affectis ad reparationem propinatum ».33

32 Olga Granasztói, voir le note 26.33 Essekini, 1776. Typis Joannis Martini Diwalt. L’auteur du catalogue se permet la

Page 135: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 119

De nos jours, lorsque le droit n’a plus rien à faire avec la moralité, on peut observer avec une certaine surprise que la section « Jurisprudence » commence par l’éthique (30 ouvrages). C’est également dans cette section que sont classés les 23 ouvrages de science politique et des 11 livres qui relèvent en effet des sciences juridiques. Il s’agit d’un corpus moderne qu’illustre aussi la dénomination de la section « Droit de la Nature de Gens et Droit Civil ».

La section de philosophie est également très variée, á l’en croire l’auteur du catalogue : logique et métaphysique (17 ouvrages), physique, mathématiques et chimie regroupées ensemble (36 ouvrages). C’est dans cette dernière section que figurent les ouvrages de science militaire, apparentés aux traités de mathématiques. Les 22 ouvrages de pédagogie, constituant une unité séparée (c’est une idée très novatrice), sont également classés parmi les ouvrages de philosophie. La dernière partie de cette section est la sous‑classe consacrée à l’économie et ses 85 ( !) titres « Economie y compris a) l’Agriculture, b) le Jardinage et Botanique, c) la nourriture de Bétail – l’art vétérinaire et d) les arts technologiques ». Notons que deux tiers des livres d’économie sont en allemand.

La section d’histoire – composée de 250 ouvrages – est non moins contradictoire et instructive que celle de philosophie. Ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est le nombre très restreint d’ouvrages portant sur l’histoire hongroise : dans la collection, on ne trouve que 19 titres consacrés à ce sujet (mis á part les livres traitant de l’histoire de la famille). Afin de souligner combien ce phénomène est étonnant, je tiens à rappeler que l’histoire hongroise fait partie de l’unité intitulée « Histoire profane », qui se construit de la manière suivante : « Hongrie (19), France (32) Angleterre (16) Divers nations (48) ». Les Hongrois commencent à s’intéresser à l’Angleterre depuis la première moitié du 19e siècle, ce qui s’explique surtout par les voyages qu’István Széchenyi effectue sur les Îles britanniques. Le fait que le propriétaire ignore plus ou moins l’histoire hongroise ou que ni les principautés allemandes, ni l’Italie ne constituent pas d’unités séparées illustrent le désenchantement du propriétaire de la collection (ou de son secrétaire/bibliothécaire, inconnu á la recherche). Désenchantement, c’est‑á‑dire l’acceptation résignée du constat : la lutte des Hongrois pour leurs objectifs nationaux ne furent point couronnés de succès. Sans doute serait‑il trop audacieux de relier cette résignation à la présence des ouvrages ascétiques dans la collection et ainsi d’identifier dans la propriétaire de la collection un personnage déçu de ses ambitions remarque suivante : « NB. Praecedit Dedicatio Illustrissimo Comiti Casimiro Eszterhazio a defendentibus quos inter etiam erat Dominicus Martinovich Budae 1795 capite plexus. »

Page 136: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

120 ISTVÁN MONOK

politiques et s’évadant dans la religion. Le 8 ouvrages d’histoire universelle sont également classés dans la section d’histoire, ce qui est un peu particulier, puisque les catalogues en Hongrie ont toujours considéré comme « universel » les ouvrages qui ne traitent pas de la Hongrie. Dans cette dernière unité, on trouve les ouvrages portant sur l’histoire de plusieurs pays. On trouve dans la collection 20 ouvrages relevant de l’histoire ecclésiastique. Je tiens enfin à souligner un phénomène non dépourvu d’intérêt : les « Biographies (35 ouvrages), la géographie et la littérature de voyages (« Géographie et Voyagiste », 28 ouvrages), ainsi que les romans biographiques (« Biographies fictices ou Romans », 44 ouvrages) sont tous rattachés á cette section d’histoire, beaucoup plus large que dans d’autres collections.

Chose étrange, les biographies romanesques ne sont donc pas classées dans la section « Philologie ou Belles Lettres », co,posée de 110 ouvrages, repartis de la manière suivante : « Grammaires et Dictionnaires » (8 ouvrages) ; « Mythologie » (5 ouvrages) ; « Les auteurs anciens classiques » (18 ouvrages) ; « Traités généraux et les Oeuvres de Belles Lettres » (17 ouvrages) ; « Polymathie » (15 ouvrages). La composition linguistique de cette section est également instructive. L’appropriation de la langue latine étant indispensable et obligatoire pour un comte, on peut observer avec étonnement qu’on ne trouve que 5 éditions d’auteurs antiques en latin et pas un seul en grec. La famille lisait les classiques en éditions françaises (9) ou allemandes (3). Cette composition linguistique de ce groupe thématique particulier est très inhabituelle dans les collections aristocratiques de la Hongrie de l’époque. Rien d’étonnant par contre dans la composition linguistique de la sous‑classe des belles‑lettres : la plupart des aristocrates lisaient à cette époque les littératures française et allemande – dans cette bibliothèque on trouve parmi les 17 ouvrages signalés 11 livres en français, 5 en allemand et un seul – une édition moderne des épîtres de Paulus Manutius – en latin.

Conformément à l’usage de l’époque, les cartes furent conservées séparément des autres ouvrages – ce que justifiait sans doute leur forme particulière. Sachant qu’il s’agit de la bibliothèque d’un officier souvent absent de son pays, nous ne devons par nous étonner de voir qu’on y trouve un nombre très élevé de mappes, reliées en 47 volumes. Les éditions sont toutes françaises ou allemandes (l’absence des cartes hollandaises ou italiennes est un phénomène quelque peu inhabituel).

En guise de conclusion, on peut affirmer que le processus de la transformation des lectures de l’aristocratie hongroise s’était engagé à la

Page 137: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Transformations linguistiques et thématiques... 121

fin du 17e siècle, mais jusqu’au milieu du 18e siècle, ce développement lent et progressif n’ébranle pas les positions du latin, qui ne cesse pas de dominer les bibliothèques. La supériorité numérique des livres français sur les allemands est un phénomène du dernier tiers du 18e siècle. Parallèlement aux transformations linguistiques, on peut observer des changements dans le contenu des lectures : notons la promotion des connaissances politiques, juridiques, historiques, militaires, géographiques, linguistiques, économiques et de sciences naturelles, ainsi que la valorisation de la lecture comme activité de divertissement.

Page 138: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia par l’évêque de Transylvanie, le comte Ignace Batthyány »

DOINA HENDRE BIRO

1. Préambule

La Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, est d’abord le produit intellectuel du comte Ignace Batthyány (1741‑1798), issu d’une fameuse famille de magnats hongrois, qui devenu évêque de Transylvanie (1780‑1798), a fondé une bibliothèque, tout comme ses ancêtres, qui avaient fondé neuf bibliothèques entre le XVIe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Toutefois il faut placer sa démarche, dans le contexte de grands changements du XVIIIe siècle, quand en Transylvanie comme dans toute l’Europe, on assistait à une mutation dans l’organisation du savoir par la multiplication des bibliothèques et l’enrichissement par l’acquisition de livres rares, devenus bientôt sources d’inspiration et de tentation.

Indépendamment, deux autres bibliothèques étaient en train de se constituer dans la Grande Principauté de Transylvanie : celle du comte protestant Sàmuel Teleky, à Târgu Mureş et celle du gouverneur saxon, protestant aussi, le baron Samuel von Brukenthal à Sibiu. Les trois bibliothèques citées, reste même de nos jours les plus importants du pays. Cela, à cause de leur richesse, formée de manuscrits sur parchemin, des incunables et des livres très rares, voir, uniques. Elles forment le noyau du trésor bibliophile de la Roumanie.

Désormais Ignace a été influencé par les deux grands fondateurs catholiques de bibliothèques du XVIIIe siècle du Royaume de Hongrie, l’évêque de Pécs, György/Georges Klimo et plus encore, l’évêque d’Eger, Károly/Charles Eszterházy.

On pourrait affirmer que le Batthyaneum signifiait un idéal de vie, même si beaucoup des chercheurs ont limité dans leurs études cette perspective,

Page 139: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 123

à une simple influence naturelle venant de ses études et de ses lectures favorites, voire de son érudition. Ou encore à son orgueil de riche évêque aristocrate, obligé pat la fonction d’en avoir une bibliothèque. Cependant chacun de ses éléments peut être valables. Mais il nous reste la longue démarche, commencée il y a plusieurs années, de faire la démonstration que la Bibliothèque d’Alba Iulia, est une synthèse de toutes ces bibliothèques organisées auparavant, par les Batthyány.

La Bibliothèque d’Alba Iulia a à la base, un noyau de valeurs bibliophiles détenues par Ignace Batthyány en partant des achats effectués lors de son séjour d’études à Rome. Ensuite par les acquisitions faites pendant les 15 années qu’il avait passées à Eger en tant que prélat. Il s’agit des collections appartenant en partie à des ordres religieux destitués en Bohême, en Slovaquie et en Autriche. Mais par l’achat en 1782 de la collection de l’archevêque de Vienne, le Cardinal Christophoro, Migazzi, la valeur de la bibliothèque a considérablement augmenté. Seule cette acquisition apporta plus de huit mille volumes en provenance d’Europe Centrale et Occidentale, y compris des incunables et des manuscrits, dont un carolingien, de très grande valeur.

La Bibliothèque Batthyaneum devenue filiale de la Bibliothèque Nationale de Roumanie, compte aujourd’hui environ 71.141 unités, dont 1670/ 1778 chartes et manuscrits. Environ 300 sont des manuscrits médiévaux occidentaux représentant 80% du total des manuscrits conservés en Roumanie, tandis que les incunables constituent 70% du même total. Il y a 7950 livres imprimés entre le XVIe et le XVIIe siècle, et plus de 16 000/16.100, au XVIIIe siècle. Parmi les unités répertoriées, plus de 17.000 ont un rapport direct avec l’Histoire, y compris avec celle de la Transylvanie, enrichissant les sources de recherches historiques. A celles‑ci s’ajoutent les approximatifs 9500 positions de journaux et revues issus d’Europe et surtout les 17.163 documents des archives du couvent de Cluj‑Mănăştur et ceux du Chapitre d’Alba Iulia.

Quant au prestige de la bibliothèque, il est assuré par sa collection médiévale de manuscrits sur parchemin, qui couvrent une longue période du IXe au XVIIIe siècle. Désormais 273 d’entre eux, sont écrits avant 1526. Mais ce qui donne encore plus de valeur et de beauté, à plus de quarante manuscrits ce sont les riches ornements dont ils sont illuminés.

La Bibliothèque a un caractère encyclopédique dans le sens où elle contient des ouvrages qui couvrent tous les domaines scientifiques et philosophiques, d’écrits de la littérature classique antique, aux ouvrages consacrés aux sciences naturelles. Le comte‑évêque a été impliqué

Page 140: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

124 DOINA HENDRE BIRO

personnellement dans l’aménagement de sa future bibliothèque, il a écrit des catalogues, établi l’emplacement des livres. Il a aussi prévu le règlement du fonctionnement de cette bibliothèque. Mais malheureusement, il n’a pas eu le plaisir d’assister à son ouverture.

2. La famille

L’histoire des anciennes familles nobles est un des domaines où la recherche a connu les plus profonds renouvellements durant ces dernières décennies. Cette problématique a tout particulièrement été développée dans les anciens États des Habsbourg, et nous nous proposons de l’appliquer à l’exemple des Batthyány. Il s’agit d’une des plus anciennes familles nobles hongroises qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire du Royaume de Hongrie et de Transylvanie, mais aussi dans l’histoire de la Maison d’Autriche, soit par la branche des comtes de Batthyány, soit par celle des princes, de Batthyány‑Strattmann.

Nous devons envisager la famille comme une structure intégrée à celle des élites tout en sachant que les familles de magnats articulent une fortune foncière très importante, et une position sociale privilégiée tant dans l’administration centrale que dans l’armée. L’apogée est atteint avec la concentration des richesses entraînée par le régime du majorat: Eléonore Batthyány‑Strattmann, puis ses fils, le palatin Louis Ernest et le maréchal Charles Joseph, jouent ici un rôle décisif. Notre communication illustrera cette thématique en développant plusieurs points, afin d’arriver à démontrer, comment aidés par la famille élargie, ils ont pu se partager entre les fonctions, les devoirs militaires et la vie de famille. Dans notre analyse sera présentée la structure familiale des Batthyány, (et le rôle du chef de la famille), son rapport à l’espace, ses multiples alliances matrimoniales avec les plus grandes lignées aristocratiques, qui confortent pleinement leur appartenance aux élites européennes de l’époque des Lumières.

Les conclusions vont aussi vers les résultats obtenus autour de leur héritage, non seulement matérielle mais aussi spirituelle dans un siècle savant qui les ont marqués tous. Désormais, cette famille a toujours à démontrer que ses membres méritaient, leur position à la Cour de Vienne et de Presbourg et qu’ils étaient en mesure de remplir les plus hautes fonctions (maréchal, gouverneur de Pays‑Bas, palatin, primat, évêque de Transylvanie).

Page 141: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 125

3. La vocation de mécène transmise d’une génération à l’autre par les Batthyány

On pourrait croire en leur vocation de bâtisseurs, car tel fut leur but, de bâtir sur tous les plans : créer des architectures réelles, par les monuments, les châteaux, les palais, les forteresses et les églises ; créer en même temps des architectures spirituelles par les bibliothèques et les fondations culturelles ainsi que par les livres écrits. Dans les deux cas, il s’agit de tout autant de signes du pouvoir, qui rendent depuis, leur force et leur pérennité.

D’après cette théorie, on construisait pour sa famille, ses sujets, pour sa gloire personnelle, pour accentuer le rayonnement de la famille. Toutefois, construire restait un acte hautement civique qui relevait de l’éthique, plus que de l’esthétique1.

On verra, en détail, comment les Batthyány appliquèrent eux aussi cette théorie, d’une manière propre, car selon eux, il fallait afficher la grandeur par tous les moyens. Certains, comme Joseph et Ignace, l’accompagnèrent de la piété. Les fils reçurent de leurs parents l’idée qu’il ne suffisait pas d’être riche, mais qu’il devait partager la richesse, construisant et apportant des offrandes, en échange de l’immortalité.

Le nom du fief, Németújvàr/Güssing se retrouve dans la titulature de tous les comtes des Batthyány, en commençant avec Adam I, en 1630 y compris d’Ignace. Cela même si après sa naissance il déménagea avec sa famille dans le château de Pinkafeld/Pinkafő, construit par Königsberger, entra dans la possession d’Adam I Batthyány, déjà au XVIIe siècle, et fut consigné dans plusieurs documents, autour de l’héritage de sa deuxième épouse2.

Au milieu du XVIIIe siècle, le château appartint à Imre Emmerich, le père du futur évêque de Transylvanie, Ignace Batthyány, ou il vécut avec sa nombreuse famille. A part les travaux d entretien permanent, il dressa une chapelle et commanda une statue, représentant le Saint Antoine de Padoue, qu’il fixa à l’entrée. Par ailleurs, un des fils d Emmerich porta ce prénom. Entre 1805 et 1817, le château de Pinkafeld, fut le point de rencontre d’importantes personnalités culturelles et scientifiques du moment.3

1 Cortanze, Gérard, de, Le Baroque, dans Muséart, no. 7, février 1991, p. 552 Barbara (Corbelli) Witthman, deuxième épouse d’Adam, après Aurora Formentini,

poursuivie en justice par Christophe et Paul, ses deux beaux‑fils. 3 Les salons romantiques, très à la mode, étaient organisés par le comte Nicolas

Batthyány et son épouse, autour de personnalités littéraires et artistiques du moment tels le pasteur Zacharias Werner, dont il avait fait la connaissance pendant le déroulement du Congrès de Vienne, et qui avait noté dans ses papiers cette information : « Pinkafeld

Page 142: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

126 DOINA HENDRE BIRO

4. Les bibliothèques des hauts dignitaires ecclésiastiques au XVIIIe

siècle

Les bibliothèques de style classique ou baroque devenaient une partie intégrante et indispensable des palais et des résidences épiscopaux. Ces bibliothèques avaient un rôle principalement représentatif et les livres devaient avant tout impressionner et attirer l’attention sur des sources livresques inestimables qui passaient souvent inaperçues. Cette fois, la collection épiscopale de livres portait le caractère encyclopédique dans le sens où elle contenait des ouvrages de tous les domaines scientifiques et philosophiques.

Toutefois, la prédominance des oeuvres théologiques, philosophiques, historiographiques et historiques était nette, tout comme en résulte de grand nombre des catalogues : d’écrits de la littérature classique antique et les livres rares d’une grande valeur s’y retrouvaient aussi en priorité. Cependant on trouvait aussi, de plus en plus d’ouvrages consacrés aux sciences naturelles.

On notera par ailleurs que les fondateurs des bibliothèques furent Joseph et Ignace Batthyànyny, mais aussi les autres hauts dignitaires de l’Église, comme György/Georges Klimo (1770‑1777) évêque de Pécs, le comte Kàroly/Charles Esterhàzy (1725‑1799) évêque d’Eger, et Adam Patachich (1717‑1784), évêque d’Oradea/ Nagyvàrad puis archevêque de Kalocsa qui possédaient des bibliothèques des plus illustres de cette époque.

Deux d’entre eux, les évêques Eszterházy et Klimo avaient l’intention de fonder en même temps, des universités. Ils voulaient que les bibliothèques soient un support ouvert pour la recherche scientifique. Désormais, dans le cas des archevêques et de l’évêque de Transylvanie, leurs bibliothèques desservaient déjà les étudiants et les professeurs des hautes écoles de théologie.

Avec la création de la bibliothèque « publique », non pas ouverte au public mais appartenant à l’État, apparut plus particulièrement la fonction du bibliothécaire officiel : bibliothécaire impérial et royal, conformément au décret du 20 octobre 1780. Du point de vue institutionnel, les bibliothèques en Hongrie, un voyage d’un jour de Vienne », le peintre Léopold Kupelwieser Steinle, l’évêque de Graz‑Seckau, Roman Sebastian Zagerle, ou le médecin et l’auteur spirituel Johann Emanuel Veith. Mais en cette occasion fut plus important le rôle de l’épouse de Nicolas, Franciska Batthyány, née de Szécseny (1802‑1861), appelée Fany. Elle éleva Pinkafő en le transformant en un véritable épicentre, d’abord culturel, par l’activité créative de son salon littéraire et artistique, ensuite social et religieux, elle‑même étant une mécène, car elle y fonda une abbaye de religieuses avec une école, un orphelinat et un hôpital en 1851.

Page 143: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 127

furent placées sous la tutelle de la Commission à l’enseignement, ce qui signifiait en plus, une correspondance administrative permanente avec les autorités viennoises.4

On pourrait conclure qu’on assistait au XVIIIe siècle à une mutation dans l’organisation du savoir, d’abord par l’intérêt, ensuite par la constitution de catalogues scientifiques et de catalogues universels de chaque bibliothèque, d’après un classement unitaire.

5. Bibliothèques personnelles mais aussi formes inédites d’acquisition de livres

A travers les siècles, nous avons assisté à une multiplication des bibliothèques et à un enrichissement par l’acquisition d’exemplaires de livres rares. Ces livres se constituèrent bientôt en sources d’inspiration et de tentation, et font de nos jours l’épreuve du changement du mental des aristocrates.

L’acquisition des livres se faisait couramment par l’achat partiel ou total de bibliothèques appartenant à de grands dignitaires, aristocrates ou hommes d’Église, qui, pour divers motifs, les mettaient en vente. Par la suppression des ordres religieux, beaucoup des prélats profitèrent pour s’approprier des grandes valeurs livresques. Il faut ajouter que les bibliothèques s’enrichissaient aussi, par les legs et les dons, tout aussi fréquents à l’époque.

6. Comment réunir croyance et savoir, quand on est homme d’église ?

« Il n’y a que la raison qui doit présider au jugement de toutes les opinions humaines, qui s’approche de la lumière qui y luit, pour éclairer notre raison. Il est nécessaire de recourir à la prière pour recevoir ce que l’on ne peut avoir par ses propres forces »5

La citation concerne l’évêque de Transylvanie, le comte Ignace Batthyány. Homme d’Église mais passionné des sciences et collectionneur de livres et d’objets rares, préoccupé depuis son adolescence de l’Histoire. Conscient des fautes passées du clergé, il adhéra pleinement aux idéaux du renouvellement religieux, contribuant à sa diffusion dans le respect du

4 Madl, Claire, Trois bibliothécaires des Lumières et leur participation à la constitution des bibliothèques « bohêmes », dans Histoire des bibliothèques, Lyon, 2003, p. 14.

5 Malebranche, Nicolas, Recherche de la vérité, I‑II, Paris, Flammarion, 1677, extrait de la préface du livre, consulté dans la Bibliothèque Batthyaneum.

Page 144: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

128 DOINA HENDRE BIRO

principe de l’autorité. Ainsi on pourrait lui attribuer l’épithète de porteur de la « lumière dévote ».6

Remarqué et apprécié par ses professeurs, pour ses connaissances et sa passion pour l’Histoire, il poursuivit sa formation à Rome, dans le très connu Collegium germanicum et Hungaricum, dans la bibliothèque de son institut et aux archives du Vatican.

Désormais Ignace disposait, grâce à ses amis humanistes et cardinaux, d’un accès privilégié aux collections des livres rares et des manuscrits. En effet avec l’accord du Pape Pie VI il profita de cette excellente occasion pour le passionné qu’il était, pour copier des diplômes et des documents concernant l’histoire du Royaume et de l’Église catholique et pour prendre des notes dans les plus grandes bibliothèques.

La prédilection pour la recherche et la passion pour les livres anciens et manuscrits rares, firent d’Ignace Batthyány un des membres de l’Academia Philaletorum à Rome. Sans mission assignée, par l’archevêque de Kalocsa qui était à ce moment son cousin Joseph Batthyány, Ignace participa à la vie du mouvement culturel romain, conscient de la mission civilisatrice et pédagogique de Rome, véritable « scola publica del mondo ».

Cette élection le marqua si bien, qu’après sa nomination en tant qu’évêque de Transylvanie, il voulut fonder une académie semblable à Alba Iulia, avec le nom de « Societas Litteraria assiduorum ». Il était conscient, attiré par le nouvel Homme européen que la réalité de l’étude devenait nécessaire et pour cela, il fallait créer un cadre logique capable de défendre des idées et de débattre dans les disputes des sociétés savantes. Aussi voulut‑il créer l’accès aux livres pour tous les scientifiques, ce qui leur permettait d’avoir même un contact immédiat avec la pensée des Lumières.

Dans ce but, il fixa la liste des membres et les thèmes dont ils devaient débattre, réussit à attirer parmi les collaborateurs son frère Antal/Antoine, renoua les liens avec des historiens et des scientifiques, tels Adám Kollar, Daniel Kornides et l’évêque Károly Eszterházy. Malheureusement les problèmes financiers l’obligèrent à restreindre ses investissements, consacrer son argent à la bibliothèque et à l’observatoire astronomique, qu’il avait aussitôt projetés, et qui faisaient partie de son plan scientifique. Ce fut le projet que Batthyány, mena, aidé par son premier directeur, le chanoine Antonius Màrtonffy, qui avait été envoyé à Vienne pour s’initier au fonctionnement d’un tel observatoire.7

6 Epithète reprit d’après Olivier Chaline : Chaline, Olivier, La France au XVIIIe siècle, Belin, Paris, IIe édition, 2005

7 Baráth Béla/Adalbert, A Batthyány Ignác‑féle akadémiai tervezet/ Sur les projets

Page 145: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 129

En compensation, Ignace effectua des recherches scientifiques surtout en astronomie, même pendant son séjour à Cluj (devenu capitale de la Principauté), écrivit et dota continuellement sa bibliothèque de nouveaux livres.

Les documents conservés dans plusieurs archives et surtout la très vaste correspondance de Batthyány, assez peu étudiée,– néanmoins doit‑on encore souligner le rôle de Vencel/Vince Biró et de Zsigmond/Sigismond Jakó,– témoignent d’une énergie rare, d’une forte personnalité et d’une capacité à accomplir en même temps plusieurs missions et responsabilités.8

Quand ses fonctions multiples l’empêchèrent de faire seul ses recherches, il envoya son bibliothécaire, Imre Daniel, à Vienne et à Rome avec des missions précises dans ce but, mais après ce fut toujours lui qui enregistra les matériaux reçus ainsi que tout l’appareil critique. D’une précision extrême, avec un sens du détail aigu, il indiquait non seulement les sources mais aussi les aspects liés au déchiffrement des manuscrits utilisés. Il ajoutait à chaque fois une introduction et des conclusions qui prouvaient ses connaissances dans le domaine du texte et de l’édition.9 Par exemple, pour soutenir que le texte de Saint Gérard est le premier de la littérature ecclésiastique du Moyen‑âge hongrois, il demanda le manuscrit de Vienne à Giuseppe Garampi qui permit à Imre/Emmerich Dàniel de le copier. Il demanda également à Adám Kollar et à l’historien Schmithmeyer de relire la copie du manuscrit pour avoir ainsi la garantie de son authenticité. Il les prévenait qu’il les tiendrait pour responsables des fautes contenues dans la copie.10

Faut‑il noter qu’on trouve dans le registre de la Bibliothèque Laurentienne de Florence parmi les rares notations sur les motivations des visiteurs, le nom d’Emmerich Dàniel, « le bibliothécaire de Monseigneur Batthyani évêque de Transylvanie », l’information qu’il venait ici non seulement par une curiosité savante, mais aussi parce que la visite

académiques d’Ignace Batthyány, dans Erdélyi Múzeum/Le Musée transylvain, Cluj, 1934. Voir aussi, Varju, Elemér, A Gyulafehérvàri Batthyány könyvtár /La bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Magyar könyvszemle, 7, 1899‑1901, p. 30‑37

8 Biró, Vencel, Ignác Batthyány, levellei /Les lettres d’Ignace Batthyány, Erdely Museum, 46, 1941, pp. 297‑299 ; Jakó, Zsigmond, A Batthyaneum könyvtár történetéböl / L’histoire de la Bibliothèque Batthyaneum, Könyv szemle, an. XIII, nr.3, 1969 ; Jakó, Zsigmond, Batthyány Ignác, a tudos és a tudomány szervezö/ Ignace Batthyány, le savant et le créateur des sciences, Erdély Muzeum, Kolozsvár.

9 Jáko, Zsigmond, Társadalom, Egyház, Mûvelôdés /Société, Eglise, Civilisation, op. cit., p. 365

10 Lettre d’Ignác Batthyány à Imre Daniel du 26 mai 1781, manuscrit, Correspondance B.B.A.I.

Page 146: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

130 DOINA HENDRE BIRO

correspondait à une pratique de plus en plus fréquente dans le cadre de la formation des bibliothécaires : vérifier des catalogues, prendre des notes sur les manuscrits et les incunables et se former en rencontrant d’autres bibliothécaires, souvent des correspondants de longue date11. Le but final de l’évêque fut sans doute d’avoir un bon assistant en la personne du chanoine Dàniel.

L’évêque investit son énergie et son argent pour accomplir ses idées et ses projets, car il était aussi un savant et un mécène. Il acheta une imprimerie où il imprimait ses livres et ceux d’autres collaborateurs et un moulin à papier nécessaire à cette nouvelle activité.12

Toutefois, le plus grand investissement fut l’achat des livres de sa bibliothèque. Ce sont toujours ses amis qui l’ont aidé pour acheter et transporter les livres, en bonne partie signalés par eux ou connus par Ignace bien avant, du temps qu’il était à Eger ou à Esztergom.

Aidé d’Imre Dàniel, il réussit à acheter la plus riche bibliothèque celle du cardinal Christophoro Migazzi, l’archevêque de Vienne, tout en suivant plusieurs démarches : Michael Johann Denis qui évalua les livres et les collections le convainquit de ne pas acheter la bibliothèque sans la collection des manuscrits, en janvier 1782, Batthyány reçut les inventaires de cette bibliothèque, pendant que le contrat ne fut signé qu’en mars, après la visite du Pape VI, à Vienne.13

Les mêmes chercheurs, se sont mit d’accord sur le transport des livres de Vienne en Transylvanie, malgré certaines controverses apparues sur ce sujet.14

11 Chapron, Emmanuelle, Voyageurs et bibliothèques dans l’Italie du XVIIIe siècle, des « Mirabilia » au débat sur l’utilité publique, École des Chartres, Mirabilia, no. 6, 2008, p.5

12 Lettre d’Ignác Batthyány à Dàniel Kornides du 30 novembre 1786, Correspondance Kornides

13 Lettre d’Ignác Batthyány à Imre Dàniel du 26 octobre 1780, B.B.A.I. ; Idem du 27 juin 1781, B.B.A.I ; Idem du 4 septembre 1781, B.B.A.I ; Idem du 30 novembre 1781 ; B.B.A.I ; idem du 23 janvier 1782, B.B.A.I. ; Lettre d’Ignác Batthyány à Imre Dàniel du 27 avril 1782, B.B.A.I. ; Voir expressément, Jákó, Zsigmond, A Batthyaneum könyvtár tőrténetéböl. I. A Migazzi gyűtemény megszerzése,/ L’Histoire de la Bibliothèque Batthyaneum. L’achat de la collection Migazzi, dans Könyvtári szemle, XIII, 3, 1969, 125‑129 et Marza, Eva, Marza, Iacob, Bibliotheca Migazziana Viennensis, sugestii pentru o reconstituire,/Des sugestions pour une reconstitution, ms.

14 Dârja, Ileana/Eliane, Din istoricul Bibliotecii Batthyaneum. Etapa I : 1798‑1826/Histoire de la Bibliothèque Batthyaneum, dans Apulum, XXXIV, Alba Iulia, 1997, pp.341‑365. Dârja, Ileana/Eliane, Fondul Migazzi. Surse documentare, Biblioteca Naţională a României, filiala Batthyaneum /Le fond Migazzi. Sources documentaires de la Bibliothèque Nationale de la Roumanie, filiale Batthyaneum, Alba Iulia, 1998

Page 147: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 131

D’après eux, le chanoine Imre Dàniel rangea les livres dans cinquante et un coffres et en juin, les expédia par bateau sur le Danube malgré la crainte de Batthyány. Les livres, arrivés à Kalocsa ou à Baja, furent transportés en carrosse à Szeged jusqu’à la résidence de l’évêque de Torontal. De là, on suppose qu’ils furent transportés par la Mureş et déposés directement à Alba Iulia.

On sait aussi que l’évêque qui résidait à Sibiu, encore capitale, annonçait le 17 juillet à Imre Dàniel que les livres étaient bien arrivés à Sibiu et qu’ils les avaient déposés dans trois chambres louées à cet effet, à un certain Baussner. L’historien Jákó qui a fait des recherches approfondies, sur ce sujet affirme que les livres arrivèrent en Transylvanie en 1782, non pas en 1786, comme on le soutenait jusqu’alors. Toutefois, après la traduction et l’analyse de la correspondance de Batthyány, il rétablit l’information sur le prix des livres en prouvant que Batthyány paya douze mille florins et consigna en plus, certains aspects liés à une autre collection acquit par Batthyány, celle de Levoca.15

L’évêque fut impliqué personnellement dans l’aménagement et l’organisation des travaux de sa future bibliothèque. Il a inventorié les livres, écrit des catalogues, établi l’emplacement des salles de lecture. Il a aussi prévu le règlement de fonctionnement de cette bibliothèque.16

7. Le Batthyaneum, idéal d’une vie ou simple geste d’un mécène ?

D’autres, pour des raisons compréhensibles, faute de sources, de temps ou même de nécessité, ont ignoré complètement cette perspective, préoccupés plutôt par l’histoire du livre et des manuscrits. Ceux‑ci firent systématiquement une introduction stéréotype, avec les mêmes phrases, voire, les mêmes mots employés par les chercheurs de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, comme Veszely, Varjú et Biró.17

15 Varia opuscula et collectione historica Ignatii Comitis Batthyan in copia, X, 69, B.B.A.I. ; Elenchus librorum qui in Bibliotheca ecce/si/ae Leutschoviensis S/ancti Jacobi reperientur est une liste qui comprend 418 livres de l’ancienne bibliothèque de l’Église Saint Jacques de Levocka dont 279 ont été identifiés dans la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia par les historiens Eva et Iacob Mârza : Catalogul de la Levoca. Contribuţii cu privire la fondul de provenienţă slovacă din Biblioteca Batthyaneum Alba Iulia. /Catalogue de Levoca. Contributions concernant le fonds de provenance slovaque de la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Apulum, XIII, 1975, ouvrage apparu en version hongroise sous la rédaction de M. István/Etienne Monok.

16 Neumann, Victor, Tentaţia lui homo europaeus. Geneza spiritului modern în Europa centrală şi de sud‑est /La tentation de l’homo europaeus. La genèse de l’esprit moderne en Europe centrale et du sud‑est, Bucuresti, 1991, pp.118‑128

17 Veszely, Károly, Batthyány Ignác és az általa Károly‑Fehérvárt álopitot intézet /

Page 148: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

132 DOINA HENDRE BIRO

Le seul peut‑être qui s’est penché effectivement et en profondeur, non seulement sur la correspondance de l’évêque, pour reconstituer son activité scientifique mais aussi sur son destin, a été l’historien Zsigmond/Sigismond Jakó. Une grande partie de son travail élaboré, se trouve toujours à la base de toutes controverses ou recherches ultérieures.18

Dans ce cas son rôle personnel d’Ignace Batthyány, fut diminué, voir, réduit, car l’accent tombe, sur les livres, l’architecture, l’ameublement ou exceptionnellement sur les collections de la Bibliothèque.

Ce sont les idées de Jakó que nous reprenons, tout en accrochant les nouveaux éléments, découverts dans d’autres archives, pour compléter les siens, et celles de l’historiographie hongroise, en additionnant les derniers résultats des chercheurs hongrois et étrangers.

Désormais, le temps est venu pour les informations détaillées, précises, accompagnées d’une bibliographie, démontrant le rôle de l’évêque à l’intérieur du Royaume de Hongrie, du diocèse de la Principauté de Transylvanie et dans toute la Maison d’Autriche, dans la tentative de mettre son parcours dans un circuit européen. Y compris par sa Bibliothèque.

Ignace Batthyány, un mécène à Alba Iulia à la fin du XVIIIe siècle

Parallèlement aux attributions auprès des fidèles du diocèse, Ignace Batthyány engagea des travaux d’aménagement et de restauration au Palais épiscopal d’Alba Iulia et fit encastrer dans sa façade, ses armes d’évêque de Transylvanie. Ensuite il poursuivit les travaux dans la Cathédrale. L’orgue, l’ambon, les stalles des chanoines, ornées des sculptures en bois et dorées, tous dans le style du baroque tardive, ornent et embellissent depuis, la cathédrale diocésaine, comme résultat de ses activités de mécène.

L’évêque commença aussitôt les travaux de restauration de l’église de l’Ordre des Trinitaires afin d’y placer sa bibliothèque, commandant au même architecte les meubles et les étalages. La boiserie sculptée et peinte reconstitue les voûtes d’un arc de triomphe. La couleur grise‑verdâtre et la dorure sont identiques à celles des meubles de la cathédrale.

Ignace Batthyány et l’Institut d’Alba Iulia fondé par lui‑même, Gyulafehrvári füzetek I, Kolozsvár, 1861.

Varju, Elemér, A Gyulafehérvari Batthyány könyvtár /La bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Magyar könyvszemle, 7, 1899‑1901. Bíró Vencel/Vince, Gróf Batthyány Ignác/Le comte Ignace Batthyány, Erdélyi Múzeum, no. 1‑2, 1941.

18 Jakó, Zsigmond, A Batthyaneum könyvtár történetéböl / L’histoire de la Bibliothèque Batthyaneum, Könyv szemle, an. XIII, nr.3, 1969 ; Jakó, Zsigmond, Batthyány Ignác, a tudós és a tudomány szervezö/ Ignace Batthyány, le savant et le créateur des sciences, Erdély Muzeum, Kolozsvár.

Page 149: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 133

Dans la Aula Magna, grande salle placée au deuxième étage du bâtiment, aménagée à cette destination, on a l’impression de pénétrer dans un véritable temple du savoir, à cause des arcs et des voûtes, des portails qui permettent le passage et des colonnes, suggérées par l’ameublement, le tout, veillé par la déesse Minerve, qui porte dans son bouclier le blason de l’évêque Batthyány.

Les parties sont nettement délimitées, nef, cœur, autel central, tandis qu’une galerie surmontée valorise en hauteur l’espace intérieur et les murs complètement couverts des livres. Les spécialistes reconnaissent le style nommé en allemand Zopfstil, dans lequel se mélange la tendance du néo classicisme avec le Rococo, en fait, version autrichienne du début du romantisme. Effectivement la décoration complétée par un peintre, comporte des scènes allégoriques représentant un possible itinéraire des livres acquis, ainsi que des portraits des savants et des hommes de lettres, placés en médaillons au dessus des étalages remplis des livres.19

La même impression de grandeur fut créée par « le salon » de l’observatoire astronomique, quoique désaffecté et avec les couches de peinture extrêmement abîmé, craquelé, fissuré et même désintégré dans plusieurs endroits à cause de l’humidité excessive.

Les historiens d’art parlent des pièces maîtresses de l’observatoire, comme d’un programme décoratif de cette salle très peu connue, qui fut détruit pendant les bombardements de 1849. Le décor peint du plafond entre 1792 et 1798 se composait des scènes allégoriques groupées autour de la déesse de l’Astronomie, Urania et de ses attributs, ayant comme source d’inspiration l’Observatoire astronomique de Vienne.20 Cependant les murs étaient ornés également des portraits des astronomes et des savants, ainsi que de douze allégories représentant les arts, inscrites en médaillons de forme ogivale, tous démontés depuis et rangés dans les magasins de la Bibliothèque. Certaines lettres dévoilent le fait que le peintre devait arriver de Dumbrăveni, sans indiquer son nom.21

19 Mârza, Iacob, Un tezaur al culturii europene în Biblioteca Batthyaneum din Alba Iulia / Un trésor de la culture européenne dans la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Secolul XX, nro 272‑273‑274 (8,9,10), 1983

20 Kovács András, Observatorul astronomic Batthyaneum de la Alba Iulia : un program decorativ puţin cunoscut / L’observatoire astronomique Batthyaneum d’Alba Iulia : un projet décoratif moins connu, dans Ars Transilvaniae, Cluj II, 1992, pp.30‑46.

21 Pictori Ebesfalvensi scribendum ut veniat illico sumptus itineris etsi bonificandos opto enim vehementer omnibus aliis occupationibus finem imponi, ut Dva nullis perturbationibus impedita possit notas jam Europae vires ingenii explicare quod reliquum est Dvo eo Laevius amplector, quo dulcius mihi est divinum concordiae et pacis vocabulum, Batthyaneum, Document no.53, Boite XXX, no. Registre 6493

Page 150: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

134 DOINA HENDRE BIRO

Toutefois, deux des gravures portent la signature de Michael Gros et furent imprimées à Cluj en 1776, par l’éditeur Johann Baptist Simon.22

Malgré la parfaite documentation rendue par le livre du chanoine Antonius Màrtonffi, le premier directeur de l’observatoire, il reste difficile de préciser ses origines.23

Il fallait retenir la suggestion de Iacob Mârza, qui a étudié la Bibliothèque depuis plus de trente ans, selon lequel malgré l’impossibilité de Batthyány de mettre en place la société savante dont il rêvait tant, il réalisa néanmoins une partie de son projet : premièrement par l’acquisition et la mise en fonction de l’imprimerie, puisque tous les livres édités ici portent la mention typis episcopalibus, ensuite par l’observatoire astronomique qui fonctionnait scientifiquement à partir de 1792, dont les épreuves se conservent en manuscrits dans le Trésor de la Bibliothèque.24

Quant à la Bibliothèque, elle pourrait s’inscrire aussi, parmi les objectifs atteints, même si Batthyány en personne n’eut plus le plaisir et le bonheur d’en profiter, car il décéda le 17 novembre 1798. Toutefois il nous reste beaucoup de questions à former et tout autant de réponses à rendre. Entre autre, la suivante :

8. Ignace Batthyány était‑il si riche?

La formation d’Ignace Batthyány, de théologien et d’historien, se conjugue avec son goût pour les livres et les textes rares, ainsi qu’avec son attention particulière pour les travaux d’érudition. Sa bibliothèque est à l’image de l’homme et prélat ouvert qu’il fut. Déjà son premier catalogue reflète ses goûts et son intérêt pour certains domaines de recherche. Pourquoi faut‑il souligner à chaque fois que pour tout achat de livres et frais de son projet d’aménagement de l’Institut, Observatoire, Imprimerie, moulins à papier, Bibliothèque, Ignace avait tout investi sur son revenu personnel ?

22 Varju, Elemér, A Gyulafehérvari Batthyány könyvtár / La bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Magyar könyvszemle, 7, 1899‑1901, p. 34

23 Mártonffy Antonius, Initio astronomica Speculae Batthyanianae Albensis in Transilvania... cum XI Tabulis Aeneis, Albae Carolinae Typis Episcopalibus Anno MDCCXCVIII.

24 Mártonfi, Antonius, Observationes Astronomicae, 1794‑1797, Ms. IX 221; Mártonfi, Antonius, Diarium observatorii Batthyaneum Anni 1795‑1796, Ms. IX 175; Mártonfi, Antonius, Varia notitia astronomica. Anni 1795, 1796, 1797, Ms. IX 179; Observationes astronomicae ex annis 1796‑1811 et observaţiones meteorologicae ex annis 1843, 1844, 1860‑62 in specula Alba Carolinensis factae, Ms. IX 158; Mártonfi Antonius: Observationes astronomicae. Anni 1798, Ms. IX 178. Miscellanea astronomica speculae A. C., 1798‑1855, Ms. VIII 67 Varia scripta speculae astronomicae Alba Carolinensis et S. Jesu A. Carolina, 1792‑1856, Ms. VIII 68.

Page 151: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 135

Malgré le fait que l’acte entre vivants, faute d’un testament dans le sens du XVIIIe siècle et considéré comme tel, contient certaines dates,25 et qu’il explique la stratégie de rémunération du personnel proposée par l’évêque déjà malade, il nous reste impossible d’établir toutes les sources de ses revenus ecclésiastiques ni les sommes dont se chiffrait le trésor de l’Église, après le départ des Ordres, surtout des Jésuites. Car il léguait à l’Église et à la Principauté de Transylvanie sa fondation, donc l’Institut. Il y spécifiait les maisons et les terrains achetés, certainement à bas prix, dont certains avaient appartenus aux Jésuites et aux Trinitaires, se chiffrant à 32 000 florins renans, somme totale. L’exploitation de ces biens, aurait du assurer par roulement annuel les salaires et implicitement, le fonctionnement de l’Institut.

Cependant rapportée aux testaments des trois Batthyány de la branche princière, cette somme, reste infime. Même en additionnant la contre‑valeur des biens mobiliers de son Institut, l’inventaire de l’Observateur astronomique et les livres de la Bibliothèque, qui comptaient 18.000 unités, on ne peut pas la hausser au delà de la somme de 100.000 florins renans.

Pourtant une certaine analyse qui accompagne l’histoire de la Bibliothèque, s’appuie systématiquement sur la fortune personnelle du comte évêque, tout en ignorant le droit canon, qui interdisait formellement d’en détenir une, et pire encore de la transmettre, outre qu’à l’Église si elle avait existé. Justement à cause de ces arrêts, les frères d’Ignace, perdirent successivement les procès, car le droit canon fut reconnu par les tribunaux civils.

Donc, il est encore plus difficile d’estimer sa fortune « laïque ». Les procès intervenus dans le cadre du règlement de la succession de l’évêque Batthyány ont donné lieu à des estimations globales de sa fortune, mais aucune recherche n’a pas été complète.26

Une bonne partie des documents de la famille se conserve actuellement soit dans les archives nationales de Budapest, soit dans les archives départementales de Vas, de Fejér, de Baranya, de Sümegy, ou à Eger

25 Document nr. 177. Inv. 6619, boîte nr. XXX, Les Archives du chapitre d’Alba Iulia, dans la Bibliothèque Batthyaneum – ancien enregistrement hongrois, Az Erdelyi Káptalan Levéltára Gyula‑Fehérvárt, Láda 7 Szám/no. 995. Centuria Ji Nro. 30. Voir le document dans les annexes du chapitre.//

26 Bíró Vencel/Vince, Gróf Batthyány Ignác / Le comte Ignace Batthyány, Erdélyi Múzeum, no. 1‑2, 1941. Jakó, Zsigmond, A Batthyaneum könyvtár történetéböl / L’histoire de la Bibliothèque Batthyaneum], Könyv szemle, an. XIII, nr.3, 1969. Márton, József, Batthyány Ignác püspök története és munkássága / La vie et l’œuvre de l’évêque Ignace Batthyány in Studia Unversitatis Babes‑Bolyai, Theologia catholica latina, XV, 1, 2000, pp. 145‑150.

Page 152: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

136 DOINA HENDRE BIRO

et Esztergom en Hongrie, enfin, à Vienne, Graz, Güssing, Pinkafő, en Autriche. Il fallait d’abord les étudier et corroborer les données, tout en tenant compte que la famille était nombreuse et du fait qu’après la mort du père, ce fut Ignace, aidé par Joseph Batthyány, qui prit la qualité de tuteur pour deux de ses frères mineurs. Enfin, pour éclaircir le seuil de la fortune familiale au moment du décès du père, il fallait aussi faire une étude approfondie, du Majorat de Louis Ernest, car à sa constitution, des terres et des domaines furent vendus ou échangés entre cousins.

Certes, les Batthyány de Pinkafő n’ont jamais été pauvres non plus. Et c’est dans cette branche que passa le titre de prince, à la fin du XIXe siècle, après l’extinction de la première lignée, et notamment en suivant la lignée de Joseph Georges, le frère aîné d’Ignace.

Tentons une réponse à la question du début : Ignace Batthyány, fit partie des élites ecclésiastiques, donc soumis à des lois précises, immuables, au delà de ses racines et de la fortune de sa famille. Mais sa vraie richesse reste la richesse intérieure, transmise par sa foi, par son savoir et ses passions. En fin compte il nous a légué une Bibliothèque, plutôt dans les sens de ses valeurs inespérées qu’elle abrite, devenant ainsi source de connaissance et du bonheur perpétuel.

9. Juste quelques idées sur l’Institutum Batthyaniani

Le procès intenté par la famille, généra la fermeture temporaire de la bibliothèque revendiquée par ses frères, et l’exécution en 1802, d’un inventaire des biens mobiliers de l’institut Batthyaniani, sans que le fonctionnement de l’Observatoire astronomique soit pour autant suspendu.27

Les acquisitions de nouveaux livres n’étaient pas interdites non plus si on tient compte des deux donations effectuées, par l’évêque Joseph Màrtonffi, le successeur d’Ignace et par le Lycée diocésain de Cluj.28

Ces arguments soutiennent l’affirmation, que dans la résidence de l’institut, les activités se déroulèrent, sans être interrompues. On pourrait ajouter encore l’information selon laquelle à partir de 1815, le travail

27 Mártonfi Antonius, Observationes astronomicae, 1799, Ms. XII 11; Continuatio observationum astronomicarum factarum in observatorio Albensis Anni 1799, 1800, 1801, Ms. IX 177; Miscellanea astronomica speculae Albae Carolinensis, A.‑Carolina, 1800‑1851, Ms. VIII 66.

28 Consignatio Librorum ab excellentiss. Dno. Josepho Martonfi Episcopo Transilvaniae nuper defuncto Bibliothecae Episcopali dispositioni testamentali legatorum, c. 1815, 35 file, 413 titres, Ms. XI 437 ; Compte‑rendu du Chapitre d’Alba Iulia, de 6 mars 1818, document no. 8718.

Page 153: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 137

des directeurs Andreas Cseresnyés et Josephus Bede, commença à être rémunéré conformément à la volonté du légataire29, et une autre, qui annonce l’implication du Gouvernement de Transylvanie : étant donné son statut de cotuteur. Il intervint en 1817 effectuant par ses fonctionnaires un premier contrôle et en demandant entre autres, un classement judicieux des livres ainsi que la rédaction par collections, des nouveaux catalogues. Ce qui se fit dans les années suivantes.

A noter aussi que ces catalogues restent toujours les meilleurs instruments de travail du bibliothécaire et du chercheur.30 Toutefois elles furent complétées par les ouvrages de Robert Szentivány, pour les manuscrits31 et de Petrus Kulcsàr, pour les incunables32.

L’ancienne église des Trinitaires, dans laquelle se trouve la Bibliothèque, porte en majuscules dans son fronton, le nom de la déesse de l’Astronomie, URANIAE, semblant donner un autre nom au bâtiment.33

Il nous laissa un vrai héritage spirituel et intellectuel dans le sens le plus large de l’exigence scientifique en tant qu’aristocrate, homme d’Église, savant, passionné érudit de bibliophilie et d’histoire. Car Ignace Batthyány est l’auteur de onze ouvrages sur l’Histoire de l’Église, dont neuf originaux et deux traductions.

29 boite XXXVII, documents no. 203, Rationes Instituti astronomici: 1815, 1816, 1817, et 227, Rationes de Preceptis et erogatis fundi Astronomici 1a Augusti 1817

30 Cseresnyiés Andreas, Catalogus primarum editionum, I‑II, Ms XI 486, Idem : Conscriptio bibliothecae Instituti Batthyaniani facta Anno 1824, I‑II, 259, 250f. ; Index Juristarum, Philosopharum, Philologorum et Editionum Primaevarum ab inventa typographia saec. XIX, 199f ; Catalogus primarum editionum, Incunabula, saec. XIX, 338f.

31 Szentivány, Robertus, Catalogus concinnus librorum manuscriptorum Bibliothecae Batthyanyanae, Editio quarta, retractata, adaucta illuminata, Szeged, 1958

32 Kulcsár, Péter, Catalogus incunabulorum bibliothecae Batthyanyanae/Le catalogue des incunables de la Bibliothèque Batthyaneum, Szeged, 1965.

33 URANIAE C (omes) IG. (Natius) DE BATTHYAN EP. (piscopus) TRANS (silvaniae) POSUIT, 1794.

Page 154: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

138 DOINA HENDRE BIRO

Aula Magna : Le blason du fondateur inscrit dans le bouclier de la déesse Minerve.

Aula Magna : «Les Chevaux du soleil », thème reprise au‑dessus de la galerie.

Page 155: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Bibliothèque Batthyaneum fondée à Alba Iulia... 139

Aula Magna : Le buste d’Ignace Batthyány, œuvre du sculpteur Narcis Dumitru Borteş.

Page 156: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines (XVIIIe siècle).

Bilan et perspective de recherche.

RADU G. PĂUN

Un regard attentif sur les travaux concernant les bibliothèques et la lecture dans les Principautés de Moldavie et de Valachie entre 1700 et 1830‑1840, peut facilement constater que ceux‑ci s’agglomèrent aux extrémités de l’intervalle en question, avec, d’un côté, les études sur la bibliothèque du Stolnic Constantin Cantacuzène (mort en 1716)1 et la fameuse bibliothèque des Maurocordato2 et, de l’autre côté, celles qui portent sur les grandes bibliothèques de Iordache Rosetti‑Roznovanu3 et Ioan Balş4 (Moldavie). Le contexte historique explique bien cette situation, un contexte caractérisé par la circulation des hommes et des idées (et bien sûr des livres), surtout dans l’espace italien entre 1650‑1660 et 17005, en gros, prioritairement

1 DIMA‑DRĂGAN, 1964, 1967 ; 1974 ; RUFFINI, 1973.2 IORGA, 1914‑1915, 1926 ; MIHORDEA, 1940 ; GEORGESCU, 1969 ;

DIMA‑DRĂGAN, 1974a ; PIPPIDI, 1979, 1980, 1997. Voir aussi le catalogue de la Bibliothèque de Văcăreşti, fondée par Nicolas Maurocordato, HURMUZAKI 1917, pp. 145‑156.

3 PAPACOSTEA, 1963 ; PAPACOSTEA‑DANIELOPOLU, 1974. La bibliothèque de Roznovanu aurait compté autour de 7000 volumes, ISAC, 1969, pp. 55‑56 (catalogue manuscrit que l’auteure discute mais ne publie pas en entier).

4 KARADJA, 1947. Voir aussi PIPPIDI, 1971 (description assez détaillé mais sans publier le catalogue, rédigé en français et datable juste après 1852 ; remarquons un seul titre en roumain et un en allemand, alors que le français et le grec dominent).

5 L’ouvrage fondateur dans cette direction reste TSOURKAS, 1967. Voir aussi, parmi d’autres, FABRIS, 1942 ; TSIRPANLIS, 1971, 1980 ; PLOUMIDIS, 1972 ; KARATHANASSIS, 1976. Des considérations d’ordre quantitatif sont à retrouver chez PIPPIDI, 1981, pp. 710‑711. Pour le profil de l’érudit sud‑est européen, le travail de base reste CÂNDEA, 1970. Voir aussi CERNOVODEANU, 1971 (bibliothèques nobiliaires, p. 306, note 26).

Page 157: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 141

dans l’espace français et allemand pendant les premières décennies du XIXe siècle, quand le monopole politique ottoman commençait à faiblir6. Dans le premier cas, l’afflux de la culture grecque et des lettrés grécophones ayant étudié (ou non) en Occident vers les deux principautés danubiennes ont joué un rôle de catalyseur culturel incontestable7 ; dans le deuxième, la pénétration des « idées françaises » et la formation des jeunes intellectuels dans les universités occidentales ont joué le même rôle8.

Les exemples susmentionnés sont pourtant des cas hors‑normes, des exceptions qui ne peuvent rendre compte ni de la situation, ni des attitudes générales des acteurs sociaux à l’égard du livre et de la lecture et d’autant moins de l’état général des bibliothèques privées (nobiliaires ou non) des deux principautés. La question se pose donc quelle était cette « norme » et qu’est‑ce que les boyards moldaves et valaques « ordinaires » avaient l’habitude de lire et comment ? Quel étaient le statut et la place du livre dans les milieux nobles des deux pays ? Comment reconstituer une bibliothèque sans l’aide des catalogues et des inventaires ou bien sans la correspondance que les propriétaires ont entretenue avec leurs fournisseurs ?

Sans pouvoir donner des réponses définitives à ces questions, nous allons passer rapidement en revue les recherches entreprises dans ce domaine, tout en attirant l’attention sur quelques aspects particuliers de la société roumaine de l’époque, des aspects qui obligent à une investigation contextualisée en fonction d’un nombre important de facteurs, dont la persistance de l’oralité et du livre manuscrit occupent une place de choix. Faute de sources « classiques » (catalogues de bibliothèques, inventaires après décès, etc.) qui puissent offrir des données exploitables dans ce domaine, notre attention s’est dirigée vers les pratiques sociales de la lecture

6 Paradoxalement, aucune étude de synthèse ne traite de la présence des étudiants roumains dans les universités françaises ; voir pourtant IORGA, 1906 (demandes de livres et de gazettes par certains princes et boyards), 1928, pp. 232‑239 ; BENGESCO, 1895 ; RALLY, RALLY, 1930 ; ISAR, 1979 ; IONCIOAIA, 1994, 1998. Pour les étudiants roumains et sud‑est européens dans l’espace allemand on consultera SIUPIUR 1995, 2001, 2004, 2005. Voir aussi : SIUPIUR, 2004.

7 Sur l’importance de la culture grecque dans les Principautés roumaines, on se rapportera surtout à RUSSO, 1939 ; KARATHANASSIS, 1975, 1982. Voir aussi : CAMARIANO‑CIORAN, 1974 ; CICANCI, 1984. Une « académie » existait aussi à Constantinople, cf. GRITSOPOULOS, 2004.

8 Voir, entre autres, ELIADE, 1898 ; IORGA, 1924, 2006, surtout pp. 81‑104 et 152‑190 ; PIPPIDI, 1989 ; CERNOVODEANU, 1992. En général, voir CORNEA, 1972 ; IONIŢĂ, 2007. Sans aborder en priorité la question des bibliothèques privées, PAPACOSTEA‑DANIELOPOLU, 1998, fournit nombre d’informations sur la circulation des écrits grecs dans les deux principautés, surtout pour la fin de l’Ancien Régime et les débuts de l’ère « moderne ».

Page 158: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

142 RADU G. PĂUN

et de l’écriture, en suggérant la nécessité de l’adaptation de la méthodologie de recherche au contexte culturel à étudier.

Une précision préliminaire s’impose, afin de situer notre sujet dans le contexte historique qui lui était propre. Loin d’être des sociétés sans imprimerie – comme le croyaient certains historiens9, et comme c’était le cas de Raguse, étudié par Traian Stoianovich10 – les principautés de Valachie et de Moldavie manquaient toutefois d’une imprimerie laïque11. En effet, l’imprimé était entièrement voué à la production des livres de culte, et l’Église, en étroite collaboration avec et bénéficiant du support du pouvoir monarchique, détenait le monopole des presses et des techniques d’imprimerie et contrôlait de près le processus d’édition et de production12. Il y a là, et cet aspect a été maintes fois souligné, et à juste titre, un des volets de la mission consciemment assumée par les princes moldaves et valaques, celle de piliers de l’Orthodoxie, dans un contexte où la domination ottomane, mais aussi l’offensive du missionarisme catholique et protestant, menaçaient « la foi » et « la loi » – deux concepts clé, dont la synonymie en langue roumaine (ils sont désignés par le même mot : lege) témoigne de la consubstantialité entre le monde divin et le monde terrestre, dont l’organisation n’était que la réplique imparfaite du premier13. Conséquence directe de cette situation, le livre imprimé est resté jusqu’à très tard l’expression matérielle et le véhicule de la parole de Dieu14. Cela dit, il faut bien admettre que les livres sortis des presses moldo‑valaques – qui alimentaient en fait tout l’Orient orthodoxe, des terres serbes et bulgares jusqu’en Grèce15 et d’ici en Géorgie16 et à Damas17 – n’étaient pas destinés à la lecture individuelle et, pour aller encore plus loin, ni même à la lecture

9 GRASSI, 1979.10 STOIANOVICH, 1975.11 Voir, dans ce sens, TOMESCU, 1968, p. 109 et suiv. ; PIPPIDI, 2008 ; PĂUN,

2008.12 Les imprimeries privées apparaissent assez tard : en 1817, celle de Constantin

Caracaş, en Valachie, rachetée en 1821 par Ioan Heliade Rădulescu ; une autre fut crée a Iaşi, pratiquement au même moment, par Gheorghe Asachi, cf. PIPPIDI, 2008.

13 PĂUN, 2008 ; OFRIM, 2001. Voir aussi BODALE, 2004.14 Preuve en sont, entre autres, les livres dits de « de délectation », qui puisent en fait

à la sagesse antique, à savoir préchrétienne, tout en la christianisant, afin d’offrir au lecteur « de la nourriture pour l’âme », cf. DUŢU, 1971, 1973.

15 TURDEANU, 1950 ; SIMONESCU, 1974 ; OIKONOMIDES, 1975, 1977.16 PIPPIDI, 2009.17 SIMONESCU, MURAKADÉ, 1939 ; SIMONESCU, 1967 ; CÂNDEA, 1965 ;

FEODOROF, 2009.

Page 159: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 143

tout court, mais ils faisaient plutôt figure d’objets de culte18.Une nuance s’y impose cependant car, dans certains cas tout au moins,

les données disponibles sur l’impression d’un livre de culte peuvent fournir des indices sur les bibliothèques des éditeurs. Un des cas fameux en est la publication de la Bible en roumain, en 1688, sous le patronage du prince valaque Şerban Cantacuzino19. C’est le mérite du regretté professeur Virgil Cândea d’avoir attiré l’attention sur la contribution philologique de Nicolae Spătarul, connu sous le nom de Milescu20, à cet ouvrage qui est aussi une œuvre de grande érudition. Ce faisant, le Professeur Cândea et d’autres chercheurs ont aussi identifiés certains livres que le Spathaire et ses collaborateurs ont utilisés dans leur travail et jeté des lumières sur la bibliothèque de Milescu, autrement assez peu connue21.

Dans ces conditions, le livre imprimé non‑religieux restait fondamentalement un bien d’importation, ce qui impliquait au moins trois conséquences : 1. il était plus cher ; 2. plus difficilement accessible pour des acteurs résidant dans des pays pratiquement fermés et 3. il était écrit dans d’autres langues que le roumain. Pour l’avoir il fallait donc disposer de l’argent et entreprendre des démarches parfois assez compliquées ; pour le lire, il fallait connaître (au moins) une langue étrangère ; voilà pourquoi la plupart des lecteurs « ordinaires » ont continué de s’adresser aux livres manuscrits, dont la production reste un phénomène définitoire de la culture roumaine de l’époque22.

Ces faits nous obligent à reconsidérer la notion même de bibliothèque, tant au niveau de ses dimensions matérielles – car la production manuscrite dépendait du travail assez long et pénible des copistes – qu’au niveau de ses usages. Le cas – très intéressant – des bibliothèques dans un livre, à savoir, des compilations composées de fragments plus ou moins longs de plusieurs ouvrages différents, parfois de plusieurs ouvrages en entier, et reliés dans un seul codex en témoigne23.

18 L’exception fut le Divan de Dimitrie Cantemir, imprimé en 1698 à Iaşi.19 CÂNDEA, 1963, 1969.20 Voir GOROVEI, 2003.21 CÂNDEA, 1979, surtout pp. 106‑174. Sur Milescu, voir aussi : PANAITESCU,

1925 ; MIHAIL, 2009. 22 DUŢU, 1999, p. 59, 1969. Paradoxalement, donc, une société avec imprimerie

(celle moldo‑valaque) devait faire recours au livre produit à l’étranger pour nourrir son intérêt pour la lecture, alors qu’une autre, comme Raguse, ne ressentait simplement pas le besoin d’imprimerie locale car les lecteurs, peu nombreux, avaient à leur disposition le livre vénitien.

23 Pour comparer, on se rapportera, par exemple, aux contributions réunies dans DECULTOT, 2003.

Page 160: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

144 RADU G. PĂUN

L’étude de la production et la circulation des manuscrits exige pourtant des instruments de travail appropriés, et à ce point il faut admettre qu’il en reste encore beaucoup à faire. Ainsi, le catalogage des manuscrits grecs et slavons est loin d’être achevé24, alors que le répertoire de copistes de manuscrits roumains, réalisé par Gabriel Ştrempel25, reste un ouvrage essentiel, mais qui mériterait une nouvelle édition revue et augmentée et éventuellement continuée jusqu’à, disons, 1840. Il n’existe pas, et il faut le préciser, aucune tentative de répertorier les copistes grecs, ce que, vu le quasi‑bilinguisme de la société roumaine cultivée de l’époque, alourdi drastiquement la tâche de l’historien. D’un autre côté, un répertoire complet de colophons et de notes marginales, tant des manuscrits que des livres imprimés, fait encore défaut, car l’ouvrage récent, et fort important, d’Ioan Caproşu et Elena Chiaburu ne comprend que le matériel en provenance de Moldavie26.

Voilà donc quelques raisons pratiques pour lesquelles la recomposition du contenu des bibliothèques roumaines d’Ancien Régime s’avère difficile. La recomposition de leur contenu matériel l’est mille fois plus, car les livres eux‑mêmes en tant qu’objets se sont éparpillés pratiquement partout au cours du temps. La seule stratégie à suivre serait donc d’explorer systématiquement les fonds des diverses bibliothèques publiques et privées actuelles, identifier les ex‑libris et autres marques de possession (sceaux et armoiries, signatures des propriétaires, notices marginales, etc.)27 et

24 Pour nous référer seulement aux collections de la Bibliothèque de l’Académie Roumaine, les derniers volumes parus sont : CARATAŞU, POPESCU‑MIHUŢ, TEOTEOI, 2006 (le précédant volume est : CAMARIANO, 1940), respectivement PANAITESCU, 2001 (le précédant volume est : PANAITESCU, 1959).

25 ŞTREMPEL, 1959. Le modèle dans la matière reste HUNGER, GAMILLSCHEG, HARFLINGER, 1981,1989, 1997.

26 CAPROŞU, CHIABURU, 2008‑2009. Voir aussi : CORFUS, 1971 ; ADAM‑CHIPER, 1996. Des données utiles pour notre propos sont recueillies par IORGA, 1916.

27 Ce fut d’ailleurs grâce à un ex‑libris trouvé sur un des volumes de l’ouvrage de Delisle de Sales, De la philosophie de la nature, ou traité de morale pour le genre humain tiré de la Philosophie et fondé sur la Nature, (Londres, 1789, 7 volumes), qu’on s’est aperçu que Constantin Hantzeri, prince de Valachie (1797‑1799, exécuté par les Turcs), possédait sinon une vraie bibliothèque, au moins une collection de livres dont on ne soupçonnait même pas l’existence, cf. DIMA‑DRĂGAN, 1968 ; PIPPIDI, 1989, p. 237, note 103. Des recherches ponctuelles et/ou des découvertes accidentelles contribuent chaque jour à compléter le contenu de telle ou telle bibliothèque. Ainsi, la présence de l’ex‑libris du prince Nicolas Maurocordato sur le livre d’André Schott (Paroimiai hellēnikai. Adagia sive Proverbia graecorum ex Zenobio seu Zenodoto, Diogeniano & suidae collectaneis (Anvers, Officina Plantiniana, 1612) a permis de l’attribuer à la bibliothèque de ce prince, BĂDĂRĂ, 2001. De même, l’identification des armoiries présentes sur la reliure d’un

Page 161: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 145

comparer les données ainsi recueillies avec les informations fournies par les catalogues de l’époque. Ce type de démarche, qui exige aussi une parfaite connaissance de l’histoire des institutions, a été entreprise par Corneliu Dima‑Drăgan et autres auteurs pour ce qui est de la bibliothèque du Stolnic Constantin Cantacuzino, désintégrée après la mort violente de son propriétaire et du fils de celui‑ci, le prince régnant Ştefan (1714‑1716)28.

Mais cette approche devrait se baser sur d’autres instruments de travail, fruit d’un catalogage systématique des bibliothèques actuelles et de la mise en circulation des données ainsi inventoriées, deux processus qui sont loin d’être satisfaisants pour ce qui est des bibliothèques roumaines29. Si jamais cela sera fait, de nouvelles pistes s’ouvreront pour recomposer des bibliothèques aujourd’hui disparues, comme, par exemple, celle du prince érudit Constantin Duca, qui s’est probablement éparpillée entre

des exemplaires du Divan de Dimitrie Cantemir a conduit Aurora Ilieş et Marieta Adam à l’identification du possesseur dans la personne du prince Mihail C. Soutzo (1793), ILIEŞ, ADAM, 1973. L’intérêt pour le livre n’était pas nouveau dans la famille : l’ancêtre du prince, Drakos, avait détenu, entre autres, un exemplaire du livre Urbani Bellunensis Institutionum in linguam graecam grammaticarum libri duo (Basel, 1535), IORGA, 1916, p. 802. L’énigmatique « Alexandros bey‑zadé » (fils de prince régnant) qui a apposé sa signature sur un autre exemplaire du Divan, se trouvant aujourd’hui à British Museum, devra être identifié de la même manière, ILIEŞ, ADAM, 1973.

28 Voir les titres cités en note 1. Les ex‑libris peuvent parfois indiquer la trajectoire qu’un livre a connue au cours du temps. Ainsi, les Maurocordato (Nicolas, Jean, Constantin) eurent l’habitude d’effacer les ex‑libris apposés par le Stolnic en les remplaçant par les leurs, DIMA‑DRĂGAN, 1974, pp. 44, 60 ; voir aussi CARDAŞ, 1930, p. 614. Cela n’arriva pas toujours, toutefois : lorsqu’il appose sa marque de propriété sur la première page de l’ouvrage d’Octavius Ferrarius, De re vestiaria libri tres (Padoue, 1685), Jean Skarlatos, le beau‑fils du prince Nicolas Maurocordato, n’efface pas l’ex‑libris du Stolnic, DIMA‑DRĂGAN, 1974, p. 44.

29 Parmi les instruments de travail parus ce dernier temps, il faut mentionner STAMATOPOL, 2001, 2002, 2007 et ŞTEFAN, 2008 (avec description des exemplaires). Très précieux s’avère aussi le travail de SCHATZ et STOICA, 2007, même s’il ne signale que les titres et le lieu de dépôt, sans décrire les exemplaires (www.cimec.ro/scripts/Carte/incunabule/default/asp). Je signale ici également les ressources mis en ligne par CIMEC (Centrul de Memorie Culturală : www.cimec.ro) et Biblioteca Naţională a României : (www.bibnat.ro). Dans le premier cas, le Catalogue collectif du livre ancien roumain (www.cimec.ro.cartev/carte.htm), fort utile, est accompagné d’une bibliographie (cf. BIBLIOGRAFIA, 1999), malheureusement assez modeste au niveau de la réalisation scientifique. Dans le deuxième cas, on a même procédé à la numérisation, dans les cadres le projet Biblioteca Digitală Naţională, du livre ancien, roumain (133 titres mis en ligne) et étranger (environ 500 titres) et du livre manuscrit (environ 200 titres). Par contre, pratiquement rien de ce genre n’est entrepris par la Bibliothèque de l’Académie roumaine qui détient les plus importants fonds de manuscrits et de livres anciens, tant roumain qu’étranger.

Page 162: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

146 RADU G. PĂUN

Constantinople et Moldavie, ou bien celle de Scarlat Ghica (mort en 1828), fils du prince régnant Grigore Alexandru Ghica et « grand érudit » selon le chroniqueur Manolachi Drăghici, et qui a laissé de nombreux manuscrits, fruit de ses préoccupations littéraires, et « une bibliothèque des plus renommées dans ce pays‑là », mais dont les traces semblent aujourd’hui complètement effacées30.

Dans de tels cas cependant, l’histoire littéraire peut aussi venir en aide aux historiens « purs et durs », car l’étude des écrits d’un personnage peut jeter des lumières sur sa bibliothèque, même si la correspondance n’est jamais parfaite entre le contenu d’une bibliothèque et la liste des lectures de son propriétaire. Sauf erreur de ma part, une telle démarche n’a été jamais tentée dans les deux cas cités ci‑dessus, et on l’a seulement esquissée pour certains autres hommes de lettres31, dont Dimitrie Cantemir32, par exemple, qui a détenu non pas une, mais trois bibliothèques remarquables, à Constantinople, à Iaşi et en Russie. Ses propres écrits fournissent parfois des indications explicites sur le destin de ses livres, dont certains tombèrent entre les mains des frères Nicolas et Jean Maurocordato, les fils du fameux Exaporite (mort en 1709), lui même ancien étudiant à Constantinople et Padoue, ensuite professeur à l’Académie Patriarcale de Constantinople et grand bibliophile, passion qu’il avait transmise à ses deux fils33. Ainsi, quand il raconte l’épisode de la confiscation des églises orthodoxes ordonnée par le Sultan Selim Ier, Cantemir affirme l’avoir connu grâce à un livre manuscrit écrit par Ali Effendi, « grave auteur parmi les Turcs » et ancien secrétaire du Trésor impérial, auteur par ailleurs inconnu. « Je rencontrai ce livre chez un Grec à Philippopolis – dit Cantemir –, il faut qu’il soit unique, car je n’en ai vu nulle part aucune copie. Je le laissai à Constantinople, lorsque je quittai cette ville, et j’apprends qu’il est tombé entre les mains de Jean Maurocordato, Interprète de la Cour Othomane ; qui s’est aussi saisi de plusieurs autres mémoires sur les affaires des Turcs que j’avois recueillis »34.

30 DRĂGHICI, 1998, II, p. 213.31 Certaines données concernant Duca sont fournies par RUSSO, 1939, II, p. 418 et

pp. 421‑424.32 Une des premières tentatives appartiennent à MINEA, 1926. Dans son Hronicul

vechimei a romano‑moldo‑vlahilor, Cantemir dresse lui‑même une bibliographie des ouvrages qu’il avait consulté (154 auteurs) ; cela ne veut pas forcément dire qu’il les possédait tous, cf. CANTEMIR, 1999. Voir aussi l’appareil critique qui accompagne l’édition de son Sistemul sau întocmirea religiei mahomedane, CANTEMIR, 1987.

33 Sur lui, voir CAMARIANO, 1970.34 CANTEMIR, 1743, I, p. 120. Sur les sources de cet ouvrage, voir, entre autres,

BABINGER, 1966, pp. 146‑147 ; GUBOGLU, 1960‑1961 ; ALEXANDRESCU‑DERSCA

Page 163: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 147

La bibliothèque des Maurocordato représente d’ailleurs non seulement la plus fameuse bibliothèque de famille de l’époque, mais aussi une synthèse des autres bibliothèques privées de la région, qu’elle a graduellement incorporées, de gré ou de force. Nicolae Iorga l’a constaté en explorant les fonds de manuscrits grecs de la Bibliothèque alors impériale de Vienne35, où il a pu trouver nombre de livres manuscrits ayant appartenu au Stolnic Constantin Cantacuzino et au prince Nicolas Maurocordato. L’explication est assez évidente : ce dernier, capturé les troupes des Habsbourg en 1716, a du passer quelque temps en Transylvanie où il n’abandonna guère ses préoccupations savantes, entrant en contact avec des érudits locaux et échangeant des livres avec les bibliophiles de l’Empire. La présence dans la bibliothèque impériale des manuscrits portant la marque de possession du Stolnic indique qu’à cette époque‑là Maurocordato s’était déjà emparé d’une partie de la bibliothèque de celui‑ci. D’autres ouvrages sont arrivés en Transylvanie comme butin de guerre, suite au pillage que le Palais princier de Bucarest a subi de la part des troupes autrichiennes en 1716.

Des recherches futures apporteront peut‑être des éléments nouveaux dans cette discussion. Remarquons pour l’instant qu’une bibliothèque en cache souvent une autre et même plusieurs, et cela est encore plus vrai dans le Sud‑Est européen, dont les habitants ont du vivre les temps durs des conflits entre les puissances chrétiennes et la Porte ottomane36. Mais si les fonds de livres n’existent plus en tant que tels, des « témoins » peuvent en fournir des informations, à conditions qu’ils soient interrogés avec attention. Pour ce faire, le recours aux sources classiques (catalogues de bibliothèques, inventaires après décès, correspondance, etc.), bien BULGARU, 1973 ; GEMIL, 1974. Dans la même logique, chaque découverte d’ouvrages écrits ou traduits par tel ou tel personnage jette des lumières sur ses lectures et, peut‑être, sur les livres qu’il possédait. Tel est le cas du prince Alexandru Hantzeri (prince de Moldavie, 1807) auteur, entre autres, d’un Dictionnaire français, arabe, persan et turc, publié à Moscou en 1840, travail qu’il n’aurait pas pu mener à bien sans l’aide d’une bibliothèque spécialisée (cf. MITU, 1999, p. 112 et note 43, p. 212) ou bien du prince Nicolas Karaca, connu comme traducteur, cf. CAMARIANO‑CIORAN, 1973. Les lectures dont témoignent les écrits du prince Alexandre C. Mourouzi (cf. MITU, 1999) pourront un jour enrichir nos connaissances sur la bibliothèque de cette famille « phanariote », à la condition toutefois que la correspondance du prince avec son agent à Paris soit, elle aussi, publiée ; voir MARINESCU, PENELEA‑FILITTI, TABAKI, 1991, p. 44.

35 IORGA, 1898.36 Ainsi, par exemple, dans la bibliothèque du ban Grigore Brâncoveanu il y

avait des volumes ayant appartenu à George Hypoménas de Trébizonde (jadis élève à l’Académie princière de Bucarest, RUSSO, 1939, II, pp. 309‑321) et au Stolnic Constantin Cantacuzino, auquel ce grand boyard du début du XIXe était apparenté, IORGA, 1906a, p. 522.

Page 164: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

148 RADU G. PĂUN

qu’obligatoire, s’avère d’une utilité assez limitée, de même que l’appel à une histoire du livre entendue dans le sens stricte37. D’autres sources – de tout ordre – doivent être mobilisées à ce propos ; d’autres méthodologies doivent être forgées, qui transforment l’histoire du livre dans une histoire quasi‑globale, dont les ramifications touchent pratiquement à tout38.

Car les sources « classiques » s’avèrent souvent avares en informations. Prenons le cas des inventaires de biens, par exemple, car des inventaires après décès en bonne et due forme n’existent pratiquement pas avant le XIXe siècle. Décidé de prendre l’habit monacal, en 1802, Mihail (Mina) Rosetti, issu d’une des plus importantes familles de la noblesse moldave, légua ses biens à sa femme et à ses enfants. Une liste en fut rédigée à cette occasion, où, parmi des terres, animaux, vêtements et autres choses, on trouve aussi mentionnés 94 livres, dont 21 grecs, ce qui était logique, mais aussi 36 français et 37 allemands, fait assez rare dans la Moldavie de l’époque. Le futur moine possédait donc une petite bibliothèque, mais on ne saura peut‑être jamais quels titres se trouvaient là‑dedans, car la liste en question n’en fournit aucune information39. Seules les notes marginales,

37 Dans certains cas, heureux, les données fournies par les documents administratifs (catalogues de bibliothèques, registres de dépenses, etc.) peuvent être corroborées avec celles qui ressortent de la correspondance des protagonistes. L’exemple classique en est toujours celui de Nicolas Maurocordato, cf. BOUCHARD, 1974 ; PIPPIDI, 1980. La correspondance du prince avec l’érudit protestant Jean Le Clerc a été éditée dans LECLERC, 1997. Dans d’autres cas, ni la correspondance ni le(s) catalogue(s) de bibliothèque(s) ne sont édités, alors que signalés depuis assez longtemps. C’est bien le cas de la bibliothèque du spathaire Ioan Balş, ancien étudiant en France ; une partie des titres qu’elle abritait, et qui venaient de Paris, sont connus grâce à la correspondance que Balş a entretenue avec Jean Denis Barbie du Bocage, mais le catalogue, rédigé juste après sa mort (1839, Vienne), en allemand, et dénombrant 1815 volumes (462 titres) en français, allemand, russe et roumain, n’a pas été publié jusqu’à ce jour, cf. ISAC, 1969, pp. 51‑54. Pour la période immédiatement ultérieure, après 1840, en gros, les informations sont plus riches, bien que rarement exploitées systématiquement. C’est le cas du catalogue de la bibliothèque du Prince Alexandru Dimitrie Ghica, rédigé en français, autour de 1840, cf. PALIU, 1967 (présentation fort superficielle et peu significative de la richesse de ce bibliothèque qui comprendrait autour de 700 volumes). Il n’est pas impossible, d’un autre côté, que les archives des monastères du Mont Athos réservent encore des surprises, spécialement au niveau de livres manuscrits ; voir, par exemple, les remarques de KITROMILIDES, 2004.

38 Ainsi, par exemple, des données fort utiles sont fournies par les recherches qui portent sur la fortune et la circulation d’un ouvrage précis. C’est le cas de l’excellent travail dû à Aurora Ilieş et Marieta Adam, qui montrent que le Divan de Cantemir a été fort prisé par les boyards des Principautés, ILIEŞ, ADAM, 1973 ; voir aussi CÂNDEA, 1972. Un autre exemple est illustré par MITU, 1996, pp. 78‑120.

39 IORGA, 1933 ; ROSETTI, 1938, pp. 89‑90.

Page 165: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 149

si l’on en trouve, peuvent en communiquer plus et dévoiler les lectures de ce boyard, dont le parent et contemporain Iordache Rosetti‑Roznovanu possédait une des plus importantes bibliothèques de son temps.

Dans d’autres cas, les informations fournies par les documents administratifs peuvent être replacées dans un contexte plus large. La liste de dépenses courantes d’une des branches de la famille Cantacuzino (Canta) de Moldavie, dont le chef Ioniţă Canta le logothète a été longtemps crédité comme auteur d’une chronique du pays, contient parmi les diverses choses nécessaires dans un grand manoir, une mention de livres achetés pour l’instruction des enfants : les fables d’Ésope – lecture incontournable à l’époque – mais aussi – et on voit combien l’horizon culturel des parents était éclectique – le Manuel de lois d’Harmenopoulos, l’une des plus répandues et utilisées anthologies juridiques byzantines, ainsi que « l’Encyclopédie » – selon toute vraisemblance un volume, ou plusieurs, de l’Encyclopédie française qui circulait déjà dans les Pays Roumains. Aucun mot de plus à ce propos, mais dans ce cas nous savons pertinemment que le boyard en question possédait encore d’autres livres, manuscrits, ce qui constitue un bon point de départ en vue de la reconstitution de sa bibliothèque40.

C’est toujours le même type de document qui nous renseigne sur les livres possédés par le grand boyard moldave Grigore Sturdza. Autour de 1803‑1805, lorsqu’il commanda des vitres pour sa bibliothèque, il achetait aussi des dictionnaires (Varinus, imprimé pour la première fois en 1523, à Rome, et réédité nombre de fois par la suite) et des grammaires (« Lascareos », vraisemblablement la grammaire du grec ancien rédigé par Constantinos Lascaris (mort en 1501), qui a connu plusieurs éditions à partir de 1476) pour son jeune fils Mihail, qui allait devenir, plus tard, prince régnant de Moldavie (1834‑1849). Des livres grecs et autres ont été également commandés à Paris et ailleurs, ce qui explique l’excellente formation grecque et française que le futur Prince possédait à l’âge mûr41.

Certaines relations de voyage, autrement précieuses par leurs 40 IORGA, 1927 ; ATANASIU, 2007.41 ISAC, 1969. Les documents juridiques peuvent aussi communiquer des

informations inattendues concernant l’histoire du livre et de la lecture. C’est bien le cas du dossier d’un procès instrumenté en 1869 à Iaşi. Pour prouver leurs dates de naissance respectives, les deux protagonistes ne purent faire rien d’autre que d’apporter devant les juges les livres imprimés sur lesquels leurs géniteurs avaient marqués les heureux événements. On apprend par cette voie que le petit boyard Ioan Manolli possédait un exemplaire du Psautier imprimé à Râmnic en 1751 (ouvrage très rares de nos jours), alors que Costache Neculau en possédait un autre, celui dû au métropolite Dosoftei (édition de 1815, inconnue aux spécialistes), cf. ISAC, 2002‑2003.

Page 166: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

150 RADU G. PĂUN

descriptions de l’atmosphère culturelle de l’époque, pèchent souvent par un excès de généralité et de subjectivité. Connu comme homme de lettres et « collecteur de savoir », Jean‑Claude Flachat, qui passa, en 1740, quelques mois en Valachie à la Cour de Constantin Maurocordato, s’adonne à des louanges démesurés à l’égard de son protecteur princier, ce qui invite à prendre son témoignage avec beaucoup de précaution. S’il est certain que la bibliothèque du prince était vraiment remarquable, comme Flachat le dit, il est moins sûr que celle du boyard grec Andronaki Vlastò, un des proches du prince, le fût autant42.

Les premières décennies du XIXe siècle voient apparaître de nouvelles pratiques par rapport au livre et à la lecture, à même d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche. Je ne donnerai ici que l’exemple de la souscription – pratique très répandue dans toute la région balkanique43. Se rapportant à l’espace roumain, Cătălina et George Velculescu ont entrepris, dans les années 1970 déjà, une étude systématique de ce phénomène dans l’intervalle 1815‑1853. Malgré le problème, parfois très épineux, de la définition a priori des catégories sociales prises en compte, les résultats restent bien utiles et indiquent le grand intérêt que la noblesse moldave et valaque montrait à l’égard du livre imprimé. Après une première période (avant 1820), où le phénomène est dominé par le clergé et les acteurs sociaux impliqués dans l’enseignement, la participation de la noblesse augmente de manière significative pendant la décennie suivante, même si le clergé reste toujours en tête. A cette époque‑là, 60% des souscripteurs de Valachie sont des boyards ; les données manquent pour la Moldavie à la même période, mais là on voit la participation de la noblesse se situant à 54% dans l’intervalle suivant : 1830‑183944.

Des données exploitables existent donc pour tenter des études de cas, où les informations fournies par les listes de souscripteurs soient corroborées avec celles tirées d’autres sources, afin de recomposer, tant que faire se peut, certaines bibliothèques de la noblesse.

42 Selon Flachat, Vlastò possédait aussi un « cabinet de curiosités », que le voyageur s’adonne à décrire sommairement, FLACHAT, 1766, pp. 278‑290. La question reste si de telles collections étaient des vraies bibliothèques, au sens déjà consacré en Occident, ou bien de modestes collections hétéroclites comprenant des manuscrits, des livres imprimés et d’autres objets « curieux ». Même s’il reste assez rare que ces sources nous informent sur les titres et les éditions y présentes, un répertoire de ce genre de mentions ne serait peut‑être pas inutile à dresser. Sur Flachat, voir, entre autres, TODERICIU, 1973 et le catalogue de l’exposition Jean‑Claude Flachat : un collecteur de savoir au siècle des Lumières, à l’adresse : www.ville‑st‑jean‑bonnefonds.fr/IMG/pdf/catalogue.pdf.

43 Cf. STOYANOV, 1966 ; ILIOU, 1975, 1980.44 VELCULESCU, VELCULESCU, 1974, 1975 ; VELCULESCU, 1984, pp. 117‑163.

Page 167: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 151

Revenons maintenant pour un bref instant à l’histoire des institutions et à l’importance qu’elle présente pour l’histoire des bibliothèques privées pour dire que les deux sont pratiquement inséparables, surtout dans une région où les fonds d’archives, tant privées que « publiques », ont connu des trajectoires parfois inimaginables.

En étudiant la bibliothèque que possédait jadis la Métropolie de Bucarest, Mihail Carataşu45 a pu établir qu’une partie des livres provenaient d’une donation faite par le métropolite Néophyte dit « le Crétois », ce qui nous éclaire non seulement sur la bibliothèque de ce haut prélat, proche collaborateur du prince réformateur Constantin Maurocordato, mais aussi sur le destin d’une partie de la fameuse bibliothèque de ce dernier. Ainsi, l’acte de donation informe que certains volumes en grec, latin et turc ayant appartenu au prince avaient été donnés en gage au métropolite contre un prêt de 16 000 grossia. Le prince n’a pas pu retourner l’argent, et les livres sont restés dans la propriété de Néophyte, qui les donna ensuite à la Métropolie. Précision intéressante, mais aussi frustration pour l’historien : le métropolite disposa de vendre les volumes latins et turcs, afin d’acheter – pour des raisons de culte, sans doute – des livres grecs et slavons ; ainsi, les titres latins et turcs resteront à jamais inconnus, à moins que le hasard ne fasse en sorte qu’on en découvre des traces ailleurs.

Un cas plus heureux est celui de la bibliothèque de l’église et de l’école grecques de Braşov (Kronstadt, en Transylvanie), bénéficiaire, en 1823, d’une importante donation de la part du boyard valaque Grigore Brâncoveanu, qui a passé quelque temps dans cette ville pendant et après la révolte dirigée par Tudor Vladimirescu (1821). En explorant cette bibliothèque, Nicolae Iorga a pu établir que cette donation – en livres grecs, latins, français, italiens et allemands – provient en fait d’une bibliothèque accumulée sur au moins trois générations, à partir du grand‑père du donateur, Constantin le grand écuyer (pour la bibliothèque duquel nous détenons aussi d’autres informations), le fils de celui‑ci et père du donateur, Manuel, et bien sûr de Grigore lui‑même46. Cette découverte complétait en fait les informations sur la bibliothèque (environ 3000 volumes) que ce grand boyard possédait dans sa résidence de Mogoşoaia, dévastée lors des événements de 1821, et permettait d’inscrire Grigore dans une tradition qui avait commencé avec le prince Constantin Brâncoveanu, dont une partie

45 CARATAŞU, 1974.46 IORGA, 1906a. Sur les compagnies dites « grecques » (en fait balkaniques)

de Braşov et Sibiu existe une bibliographie considérable. On mentionnera ici : PAPACOSTEA‑DANIELOPOLU, 1974a ; CICANCI, 1981 ; KARATHANASSIS, 1989 ; TSOURKA‑PAPASTATHI, 1994.

Page 168: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

152 RADU G. PĂUN

des livres sont connus grâce aux catalogues tardifs de la bibliothèque qu’il avait organisée au monastère de Hurezi, sa fondation éminente47.

La pratique d’organiser des bibliothèques dans les fondations religieuses de famille était assez répandue au sein de la haute noblesse roumaine48. C’est grâce à cette pratique que nous avons à présent une idée de la bibliothèque de la famille Cantacuzino, dont les bases ont été posées par le postelnic (chambellan) Constantin (mort en 1664) dans sa fondation de Mărgineni. Une partie des livres ont été confisqués, après la mort du Stolnic, le fils du précédant, par Nicolas Maurocordato. D’autres sont restés à Mărgineni, où les générations suivantes de la famille ne cessèrent d’enrichir la bibliothèque, avant qu’elle soit transférée à Bucarest, au Collège National de Sfântul Sava, dont nous possédons le catalogue de bibliothèque, rédigé en 1839. En 1864, la bibliothèque du Collège fut transférée à son tour à la Bibliothèque Centrale de l’État (actuellement Bibliothèque Nationale de Roumanie) et de là, en 1901, à la Bibliothèque de l’Académie Roumaine49.

La bibliophilie des Cantacuzino venait de très loin, de cette Constantinople impériale que Michel Cantacuzino « Fils du Diable » (Sheytan‑oğlu) avait dominée de manière autoritaire dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Si sa collection de livres, surtout manuscrits, a été mise aux enchères après son exécution sur l’ordre du Sultan, en 157850, l’amour du livre n’a jamais quitté la famille, car on trouve nombre de Cantacuzino, tant de Valachie que de Moldavie, parmi les commanditaires, les lecteurs et les possesseurs de manuscrits et livres imprimés. Une reconstitution des préoccupations littéraires et des bibliothèques des membres de cette famille ferait, à mon avis, un beau sujet de thèse de doctorat51.

Des travaux existent d’ailleurs qui montrent à quel point histoire du livre et des lectures, d’un côté, et généalogie et prosopographie lignagère, de l’autre côté, sont liées et se complètent mutuellement. Ainsi, le feu Paul

47 IORGA, 1925 ; IONAŞCU, 1935 ; DIMA‑DRĂGAN, CARATAŞU, 1969.48 DRĂGHICEANU, 1924. Des dons plus substantiels ont été faits à des diverses

institutions d’enseignement ou de culte, ce qui, dans certains cas, revient au même, car certains églises et monastères faisaient à l’époque figure de dépôts de livres d’une certaine ou de plusieurs familles et servaient aussi d’écoles privées pour les jeunes membres de ces familles. Les cas éminents sont Hurezi et Mărgineni (en Valachie) et Barnovschi en Moldavie, dont les catalogues de bibliothèques, bien que rédigés à une époque tardive et souvent de manière peu satisfaisante, peuvent tout de même fournir des traces de ces bibliothèques ; voir, par exemple, HURMUZAKI 1917, pp. 909‑911.

49 DIMA‑DRĂGAN, 1964a ; POPESCU‑TEIUŞAN, 1964. 50 CRUSIUS, 1584 ; HARTUNG, 1578 ; PAPAZOGLU, 1983 ; CANTACUZENE,

2002.51 Voir pour l’instant, ATANASIU, 2007.

Page 169: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 153

Cernovodeanu a étudié la circulation manuscrite des versions roumaines de la Chronographies grecque du type Danovici52 (d’après le nom du traducteur, le petit boyard Pătraşco Danovici, actif entre 1659‑1676). La version roumaine est une traduction d’après les éditions publiées à Venise en 1631 et 1637, dues respectivement à Pseudo‑Dorothéos métropolite de Monemvassie, et Matthaios Kigalas de Chypre. A travers une attentive analyse généalogique, Paul Cernovodeanu a montré que la circulation des manuscrits roumains de la Chronographie témoigne de l’intérêt constant que tout un clan de grands boyards moldaves (Buhuş, Ursachi, Cantacuzino, Neculce) ont manifesté par rapport au livre et à la lecture, en sorte qu’on puisse en parler d’une vraie tradition de famille, étalée sur plusieurs générations et transmise aussi bien par hommes que par femmes.

De même, en allant sur les traces de la première traduction roumaine d’Hérodote, et mobilisant toujours les outils de la recherche généalogique et prosopographique, Ştefan S. Gorovei a pu dévoiler l’existence du même type de solidarités et échanges dans un milieu sensiblement différent, à savoir, celui des copistes et traducteurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle53. Ce milieu – « de la petite robe », dirait‑on – interféraient constamment avec celui des grands boyards, dans la mesure où ces derniers utilisaient les compétences de ces « spécialistes » pour alimenter leurs propres collections de manuscrits54. Il faut noter qu’une partie au moins des copistes spécialisés appartenaient eux aussi à la noblesse55. D’ailleurs, les pratiques du

52 CERNOVODEANU, 1997 ; voir aussi : CERNOVODEANU, 1998. Pour l’importance de cette littérature, fort prisée dans le monde roumain est sud‑est européen, voir aussi MIHĂESCU, 2006.

53 GOROVEI, 1998. Voir aussi GOROVEI, 2003a.54 Ces données indiquent l’existence de toute une catégorie de scribes spécialisés

dans la transcription des livres manuscrits et aussi des vrais réseaux englobant plusieurs commanditaires qui utilisent les mêmes copistes et qui, vraisemblablement, se les recommandent réciproquement. Jora, Stârce, Luca, Vârnav, Darie, Beldiman n’en sont que quelques exemples. De même, il faut aussi souligner que certains firent aussi travail de traduction, spécialement du grec et, plus tard, du français et de l’italien, cf. DUŢU, 1968, p. 221 et suiv. ; DICŢIONARUL, 1979, sub voce Beldiman, Dărmănescu, Vârnav, etc. Voir aussi : MITU, 1999, pp. 73‑78.

55 Ce type d’analyse exige une très bonne maîtrise des généalogies des familles de boyards. Ainsi, comme l’a observé à juste titre Andrei Pippidi (cf. PIPPIDI, 1979, chapitre II, p. 33), celui qui apposait sa signature sur un exemplaire du In tres Aristotelis libros de Anima (Venise, 1605) du fameux professeur néo‑aristotélicien Giacomo Francesco Zabarella, le maître à penser de Corydalée, n’était pas Ioannes Chrysoscoleos, le beau‑père d’Alexandre Maurocordato, comme le croyait Corneliu Dima‑Drăgan (DIMA‑DRĂGAN, 1974a, p. 56), mais le neveu homonyme du grand drogman de la Porte, fils de sa sœur Marie, cousin donc du prince Nicolas qu’il accompagne en Valachie, enfin, ancien

Page 170: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

154 RADU G. PĂUN

prêt56 et du don57 de livres attendent encore l’étude qu’elles méritent et qui contribuera de manière significative à une sociologie de la lecture, et des usages du livre en général, dans les Principautés roumaines d’Ancien Régime.

Tout cela montre, à mon avis, que la notion de bibliothèque elle

étudiant à Rome et Padoue et docteur en médicine à Sienne, cf. RUSSO, 1939, II, pp. 455‑457 (généalogie qui n’est pas acceptée par STURDZA, 1983, p. 320).

56 L’exemple classique est celui du même Stolnic Constantin Cantacuzino qui, dans une lettre adressée à son ami, le Patriarche de Jérusalem Chrysantos Notaras, déplorait le vide qui régnait sur les étagères de sa bibliothèque, ce qui veut dire qu’il avait l’habitude de prêter des livres à des lecteurs peu soucieux du devoir de les rendre, cf. RUFFINI, 1973, p. 42, (le 3 septembre 1708). Parfois, ceux qui demandent des livres le font pour les copier eux‑mêmes ou bien pour les faire copier. Ainsi, en marge d’un texte manuscrit du XVIIIe siècle on lit : « c’est moi Iordachi Sion qui a écrit [ce texte], l’ayant trouvé chez messire le vornic Ioan Cantacuzino, lorsque j’étais dans sa maison ; je l’ai prié et il me l’a donné et je l’ai écrit [copié], mais pas très bien », ŞTREMPEL, 1959, p. 221.

57 Des présents en livres, présents qu’on peut appeler « courtois », sont parfois enregistrés par les documents diplomatiques. C’est bien le cas des volumes offerts à Alexandre Maurocordato par les ambassadeurs et hommes politiques français et habsbourgeois, cf. PĂUN, 2008. Des présents en signe d’amitié désintéressée, toutefois, sont moins connus ; il faut se rapporter toujours aux dédicaces ou bien aux notices des lecteurs pour retrouver leur trace. Ainsi, par exemple, un manuscrit grec qui comprend, hormis d’autres écrits, la fameuse prophétie de Gennadios Scholarios sur la chute de Constantinople, manuscrit se trouvant à présent dans les collections de la Bibliothèque Nationale de Vienne, porte une dédicace qui nous informe qu’il a été offert par le Grand Drogman de la Porte Panagiotis Nikoussios au postelnic Constantin Cantacuzino, IORGA, 1898, pp. 239‑240. Nikoussios, il faut le rappeler, avait possédé une belle bibliothèque, convoitée, à ce qui semble, par Colbert lui‑même, cf. GALLAND, 1881, pp. 273‑275. D’autres dons se faisaient en famille, tel est le cas des deux exemplaires du Divan que l’auteur lui‑même offrait personnellement à Ştefan Luca, son parent et proche collaborateur, respectivement à son beau‑frère Gheorghe Cantacuzino, fils du feu prince Şerban et qui vivait en exile en Transylvanie, cf. ILIEŞ, ADAM, 1973, p. 1001. La famille Luca était attachée à la lecture ; voir les données communiquées par IORGA, 1916, p. 812. De même, après avoir écrit de sa propre main le manuscrit roumain 168 de la Bibliothèque de l’Académie Roumaine, le postelnic Iordache Miclescu l’offrit à son frère aîné, Constantin (1785). Les dons à l’extérieur de la même famille sont encore plus nombreux : ainsi, le manuscrit roumain 252 de la même collection – une Chronographie en traduction roumaine – a été copié par Ioasaf Luca, qui l’offrit au grand échanson Matei Hurmuzaki (1775), ŞTREMPEL, 1978, pp. 51‑52 et 70‑71. Encore plus exceptionnel fut le destin du manuscrit roumain 1298 (même collection) qui passa de Vasile Buhăescu à Dumitraşcu Balasachi et de celui‑ci à Iordachi Balş ; A un autre moment il a aussi été la propriété de Safta Rosetti ; un autre Rosetti, Iordachi, l’avait lu à son tour, ŞTREMPEL, 1978, p. 280 ; voir aussi CERNOVODEANU, 1998, p. XLVI. L’échange entre érudits convient aussi d’être mentionné : Ainsi, le Stolnic Constantin Cantacuzino et son neveu Toma Cantacuzino échangeaient des livres, entre autres, avec Edmund Chishull et Luigi Ferdinando Marsigli, cf. IORGA, 1899, p. 67 ; RUFFINI, 1973, p. 159.

Page 171: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 155

même devrait être entendue de manière dynamique, vu que les livres, tant manuscrits qu’imprimés, circulent à l’intérieur de vrais réseaux comprenant des parents et amis, en sorte que la notion même de « propriété » risque d’acquérir des significations particulières. L’étude systématique de ces réseaux et des échanges qui ont eu lieu là‑dedans peuvent fournir, à terme, une image plus complète tant des pratiques de l’écriture et de la lecture que de la composition des bibliothèques d’une partie de la noblesse moldave et valaque de l’Ancien Régime.

BIBLIOGRAPHIE

ADAM‑CHIPER, 1996 – Marieta Adam‑Chiper, Vechi însemnări româneşti ca izvor istoric [Anciennes notices roumaines en tant que source historique], Bucarest, 1996.

ALEXANDRESCU‑DERSCA BULGARU, 1973 – Maria‑Matilda Alexandrescu‑Dersca Bulgaru, Dimitrie Cantemir, istoric al Imperiului otoman [Dimitrie Cantemir – historien de l’Empire ottoman], « Studii », 26, 5, 1973, pp. 971‑989.

ATANASIU, 2007 – Mihai‑Bogdan Atanasiu, Cartea în familia Cantacuzinilor moldoveni [Le livre dans la famille Cantacuzino de Moldavie], « Opţiuni Istoriografice », VIII, 2007, 1, pp. 96‑105.

BABINGER, 1966 – Franz Babinger, Die türckischen Quellen Dimitrie Kantemirs, in Idem, Aufsätze und Abhandlungen zur Geschichte Südosteuropas und der Levante, vol. II, Munich, 1966, pp. 142‑150.

BĂDĂRĂ, 2001 – Doru Bădără, O carte din biblioteca Mavrocordaţilor în colecţiile Bibliotecii Centrale Universitare din Bucureşti [Un livre des Maurocordato dans les collections de la Bibliothèque Centrale Universitaire de Bucarest], « Studii şi Materiale de Istorie Medie », XIX, 2001, pp. 251‑253.

BENGESCO, 1895 – Georges Bengesco, Bibliographie franco‑roumaine du XIXe

siècle, vol. I, Bruxelles, 1895 (2ème édition, Paris, 1907).BIBLIOGRAFIA, 1999 – Bibliografia de referinţă a cărţii vechi (manuscrisă şi

tipărită) [Bibliographie essentielle du livre ancien manuscrit et imprimé], Bucarest, 1999.

BODALE, 2004 – Arcadie M. Bodale, Actul de ctitorire şi cartea liturgică în Ţările Române [L’acte de fondation et le livre liturgique dans les pays

Page 172: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

156 RADU G. PĂUN

roumains], « Xenopoliana », XII, 1‑4, 2004, pp. 55‑90.BOUCHARD, 1974 – Jacques Bouchard, Les relations épistolaires de Nicolas

Mavrocordatos avec Jean Le Clerc et William Wake, « Ho Eranistēs », 11, 1974, pp. 67‑92.

CAMARIANO, 1940 – Nestor Camariano, Catalogul manuscriselor greceşti din Biblioteca Academiei Române [Catalogue des manuscrits grecs de la Bibliothèque de l’Académie roumaine], vol. II, Bucarest, 1940.

CAMARIANO, 1970 – Nestor Camariano, Alexandre Maurocordato, le Grand Drogman. Son activité diplomatique (1673‑1709), Thessalonique, 1970.

CAMARIANO‑CIORAN, 1973 – Ariadna Camariano‑Cioran, Nicolas Caragea, prince de Valachie, traducteur de la langue française, dans le volume Leimōnario. Prōsfora eis tou katheheten N. V. Thomadakēn [Leimonarion. Volume offert au Prof. N.V. Thomadakis], Athènes, 1973, pp. 245‑266 (repris dans Idem, Relaţii româno‑elene. Studii istorice şi filologice (secolele XIV‑XIX), édité par Leonidas Rados, Bucarest, 2008, pp. 601‑615).

CAMARIANO‑CIORAN, 1974 – Ariadna Camariano‑Cioran, Les Académies princières de Bucarest et de Jassy et leurs professeurs, Thessalonique, 1974.

CANTACUZENE, ‑ Jean Michel Cantacuzène, Sur la trace des livres de Michel Cantacuzène “Şaitanoglou”. Quatre ou cinq livres rares des 16ème et 17ème siècles, « Biblos », 14, 2002, pp. 45‑54.

CANTEMIR, 1743 – Dimitrie Cantemir, Histoire de l’Empire Othoman, où se voyent les causes de son aggrandissement et de sa décadence. Traduit par M. De Joncquières, Paris, 1743, 2 volumes.

CANTEMIR, 1999 – Dimitrie Cantemir, Hronicul vechimei a romano‑moldo‑vlahilor [Chronique de l’ancienneté des romano‑moldo‑valaques], édition par Stela Toma, Bucarest, 1999, 2 volumes.

CANTEMIR, 1987 – Dimitrie Cantemir, Sistemul sau întocmirea religiei mahomedane [Le système ou la structure de la religion musulmane], traduction, introduction, notes and commentaires par Virgil Cândea, édition du texte russe par Anca Irina Ionescu, Bucarest, 1987.

CAPROŞU, CHIABURU, 2008‑2009 – Ioan Caproşu, Elena Chiaburu, Însemnări de pe manuscrise şi cărţi vechi din Ţara Moldovei. Un corpus [Notes marginales sur les manuscrits et les livres imprimés de Moldavie. Un corpus], Iaşi, 2008‑2009, 4 volumes.

CARATAŞU, 1974 – Mihail Carataşu, Ştiri noi privitoare la biblioteca Mitropoliei din Bucureşti în secolul al XVIII‑lea [Nouvelles données sur la bibliothèque de la Métropolie de Bucarest au XVIIIe siècle], « Studii şi cercetări de bibliologie », XIII, 1974, pp. 133‑150.

CARATAŞU, POPESCU‑MIHUŢ, TEOTEOI, 2006 – Mihail Carataşu, Emanuela Popescu‑Mihuţ, Tudor Teoteoi, Catalogul manuscriselor greceşti din

Page 173: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 157

Biblioteca Academiei Române [Catalogue des manuscrits grecs de la Bibliothèque de l’Académie roumaine], vol. III, Bucarest, 2006.

CARDAŞ, 1930 – Gheorghe Cardaş, Biblioteci vechi româneşti [Anciennes bibliothèques roumaines], « Boabe de grâu », I, 10, 1930, pp. 611‑616.

CÂNDEA, 1963 – Virgil Cândea, Semnificaţia politică a unui act de cultură feudală (Biblia de la Bucureşti, 1688) [La signification politique d’un acte de culture féodale (La Bible de Bucarest, 1688)], « Studii », XVI, 3, 1963, pp. 651‑671.

CÂNDEA, 1965 – Virgil Cândea, Une politique culturelle commune roumano‑arabe dans la première moitié du XVIIIe siècle, « Bulletin de l’Association Internationale des Études du Sud‑Est Européen », III, 1965, pp. 51‑56.

CÂNDEA, 1969 – Virgil Cândea, Les Bibles grecque et roumaine de 1687‑1688 et les visées impériales de Şerban Cantacuzène, « Balkan Studies », X, 2, 1969, pp. 351‑376.

CÂNDEA, 1970 – Virgil Cândea, Les intellectuels du Sud‑est européen au XVIIe siècle, « Revue des Études Sud‑Est Européennes », VIII, 2, 1970, pp. 181‑230 et VIII, 4, 1970, pp. 623‑688 (version roumaine dans Idem, Raţiunea dominantă. Contribuţii la istoria umanismlui românesc, Cluj‑Napoca, 1979).

CÂNDEA, 1972 – Virgil Cândea, La diffusion de l’œuvre de Dimitrie Cantemir en Europe du Sud‑Est et au Proche Orient, « Revue des Études Sud‑Est Européennes », X, 2, 1972, pp. 345‑361.

CÂNDEA, 1979 – Virgil Cândea, Nicolae Milescu şi începutul traducerilor umaniste în limba română [Nicolae Milescu et le commencement des traductions humanistes en langue roumaine], in Idem, Raţiunea dominantă. Contribuţii la istoria umanismului românesc [La Raison dominante. Contributions à l’histoire de l’humanisme roumain], Cluj‑Napoca, 1979, pp. 106‑174.

CERNOVODEANU, 1971 – Paul Cernovodeanu, Préoccupations en matière d’histoire universelle dans l’historiographie roumaine aux XVIIe et XVIIIe siècles (II), « Revue Roumaine d’Histoire », X, 2, 1971, pp. 293‑312.

CERNOVODEANU, 1992 – Paul Cernovodeanu, L’impact du livre révolutionnaire français sur la société roumaine (1789‑1804), dans Mulhouse. Bicentenaires 1789‑1798. Actes du 3ème Symposium humaniste international de Mulhouse, Mulhouse, 1992, pp. 85‑100.

CERNOVODEANU, 1997 – Paul Cernovodeanu, Genealogia – auxiliar al istoriei literare [La généalogie – auxiliaire de l’histoire littéraire], « Arhiva Genealogică », 1997, IV, 1‑2, pp. 1‑6.

CERNOVODEANU, 1998 – Paul Cernovodeanu, Studiu introductiv [Étude

Page 174: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

158 RADU G. PĂUN

introductive], in Cronograf. Tradus din greceşte de Pătraşco Danovici [Chronographie. Traduction du grec par Pătraşco Danovici], édition par Gabriel Ştrempel, vol. I, Bucarest, 1998, pp. XXXVII‑LXXVI.

CICANCI, 1981 – Olga Cicanci, Companiiile greceşti din Transilvania şi comerţul european în anii 1636‑1746 [Les compagnies grecques de Transylvanie et le commerce européen, 1636‑1746], Bucarest, 1981.

CICANCI, 1984 – Olga Cicanci, Cărturari greci în Ţările Române (sec. XVII‑1750) [Lettrés grecs aux Pays roumains, XVIIe siècle‑1750], in Alexandru DUŢU (coord.), Intelectuali din Balcani în România (sec. XVII‑XIX) [Intellectuels des Balkans en Roumanie, XVIIe‑XIXe siècles], Bucarest, 1984, pp. 15‑68.

CORFUS, 1971 – Ilie Corfus, Însemnări de demult [Notices et souvenirs d’antan], Iasi, 1971.

CORNEA, 1972 – Paul Cornea, Originile romantismului românesc. Spiritul public, mişcarea ideilor şi literatura între 1780‑1840 [Les origines du Romantisme roumain. L’esprit public, le mouvement des idées et la littérature entre 1780 et 1840], Bucarest, 1972.

CRUSIUS, 1584 – Martin Crusius, Turcograeciae libri octo … quibus Graecorum status sub Imperio Turcico, in Politia et Ecclesia, Oeconomia et Scholis, Basel, 1584.

DECULTOT, 2003 – Élisabeth Decultot (coord.), Lire, copier, écrire. Les bibliothèques manuscrits et leurs usages au XVIIIe siècle, Paris, 2003.

DICTIONARUL, 1979 – Dicţionarul literaturii române de la origini până la 1900 [Dictionnaire de la littérature roumaine des origines à 1900], Bucarest, 1979.

DIMA‑DRĂGAN 1964 – Corneliu Dima‑Drăgan, Biblioteca Stolnicului Constantin Cantacuzino [La bibliothèque du Stolnic Constantin Cantacuzino], « Studii şi cercetări de documentare şi bibliologie », VI, 2, 1964, pp. 197‑205.

DIMA‑DRĂGAN, 1964a – Corneliu Dima‑Drăgan, Un catalog necunoscut al bibliotecii stolnicului Constantin Cantacuzino [Un catalog inconnu de la bibliothèque du stolnic Constantin Cantacuzino], « Revista Arhivelor », VII, 2, 1964, pp. 286‑303.

DIMA‑DRĂGAN, 1967 – Corneliu Dima‑Drăgan, Biblioteca unui umanist român. Constantin Cantacuzino Stolnicul [La bibliothèque d’un humaniste roumain. Le stolnic Constantin Cantacuzino], Bucarest, 1967.

DIMA‑DRĂGAN, 1968 – Corneliu Dima‑Drăgan, Ex‑librisul domnitorului Constantin Hangerli [L’ex‑libris du Prince Constantin Hantzeri], « Revista bibliotecilor », 21, 3, p. 153‑158.

DIMA‑DRĂGAN, 1974 – Corneliu Dima‑Drăgan, Biblioteci umaniste româneşti. Istoric. Semnificaţii. Organizare [Bibliothèques humanistes roumaines.

Page 175: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 159

Histoire. Significations. Organisation], Bucarest, 1974.DIMA‑DRĂGAN, 1974a – Corneliu Dima‑Drăgan, La bibliophilie des

Maurocordato, in Symposium. L’époque phanariote, Thessalonique, 1974, pp. 209‑216.

DIMA‑DRĂGAN, CARATAŞU, 1969 – Corneliu Dima‑Drăgan, Mihail Carataşu, Un catalog necunoscut al Bibliotecii mînăstirii Hurezu [Un catalogue inconnu de la bibliothèque du monastère de Hurezi], « Biserica Ortodoxă Română », 5‑6, 1969, pp. 590‑625.

DRĂGHICEANU, 1924 – Virgil Drăghiceanu, Casa Cantacuzinilor din Măgureni [La résidence des Cantacuzino de Măgureni], « Buletinul Comisiunii Monumentelor istorice », XVIII, 1, 1924, 12‑45.

DRĂGHICI, 1998 – Manolache Drăghici, Istoria Moldovei pe timp de 500 de ani. Până în zilele noastre [Histoire de la Moldavie sur 500 ans. Jusqu’à nos jours], édité par C. Mihăescu‑Gruiu, Bucarest, 1998, 2 volumes.

DUŢU, 1968 ‑ Alexandru Duţu, Coordonate ale culturii româneşti în secolul XVIII. 1700‑1821 [Coordonnés de la culture roumaine au XVIIIe siècle], Bucarest, 1968.

DUŢU, 1969 – Alexandru Duţu, Carte şi societate în secolul al XVIII‑lea [Livre et société au XVIIIe siècle], in Idem, Explorări în istoria literaturii române [Explorations dans l’histoire de la littérature roumaine], Bucarest, 1969, pp. 31‑65.

DUŢU, 1971 – Alexandru Duţu, Les livres de sagesse dans la culture roumaine, Bucarest, 1971.

DUŢU, 1973 – Alexandru Duţu, Les livres de délectation dans la culture roumaine, « Revue des Études Sud‑Est Européennes », XI, 2, 1973, pp. 307‑326.

DUŢU, 1999 – Alexandru Duţu, Audience et lecteurs dans le Sud‑Est européen, dans le volume, Corneliae Papacostea‑Danielopolu. In memoriam, Bucarest, 1999, pp. 56‑67.

ELIADE, 1898 – Pompiliu Eliade, De l’influence française sur l’esprit public en Roumanie, Paris, 1898.

FABRIS 1942 – Giovanni Fabris, Professori e scolari greci all’università di Padova, « Archivio Veneto », 30, 1942, pp. 121‑165.

FEODOROF, 2009 – Ioana Feodorof, The Romanian Contribution to the Arab Printing, dans le volume Impact de l’imprimerie et rayonnement intellectuel des Pays Roumains, Bucarest, 2009, pp. 41‑63.

FLACHAT, 1766 – Jean Claude Flachat, Observations sur le commerce et sur les arts d’une partie de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et même des Indes Orientales, vol. I, Lyon, 1766.

GALLAND, 1881 – Journal d’Antoine Galland pendant son séjour à Constantinople. Publié et annoté par Charles Scheffer, vol. I, Paris 1881.

Page 176: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

160 RADU G. PĂUN

GEMIL, 1974 – Tahsin Gemil, Considérations concernant « l’Histoire ottomane » de Démètre Cantemir, « Dacoromania », 2, 1974, pp. 155‑166.

GEORGESCU, 1969 – Valentin Al. Georgescu, Les ouvrages juridiques de la Bibliothèque des Maurocordato. Contributions à l’étude de la réception du droit byzantin dans les Principautés danubiennes au XVIIIe siècle, « Jahrbuch für Österreichischen Byzantinistik », 18, 1969, pp. 195‑220.

GOROVEI, 1998 – Ştefan S. Gorovei, Circulaţia « Herodotului » de la Coşula : explicaţii genealogice pentru un fenomen cultural [La circulation du « Hérodote » de Coşula : explications généalogiques d’un phénomène culturel], « Arhiva Genealogică », V (X), 3‑4, 1998, pp. 155‑169.

GOROVEI, 2003 – Ştefan S. Gorovei, Nicolae (Milescu) spătarul. Contribuţii biografice [Nicolae (Milescu) le spathaire. Contributions biographiques], in Idem, Între istoria reală şi imaginar. Acţiuni politice şi culturale în veacul XVIII [Entre l’histoire réelle et l’imaginaire. Actions politiques et culturelles au XVIIIe siècle], Iaşi, 2003, pp. 9‑23 (Ière publication : « Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie Iaşi », 21, 1984, pp. 179‑192).

GOROVEI, 2003a – Ştefan S. Gorovei, Un cărturar uitat : logofătul Grigoraş [Un lettré oublié : le logothète Grigoraş], in Idem, Între istoria reală şi imaginar, pp. 43‑61 (Ière publication : « Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie Iaşi », 23, 2, 1986, pp. 681‑698).

GRASSI, 1979 – Lauro Grassi, Per una storia della penetrazione dei « lumi » nei principati danubiani (1740‑1802). Note e appunti, « Nuova Rivista Storica », LXIII, 1‑2, 1979, pp. 1‑32.

GRITSOPOULOS, 2004 – Tasos Ath. Gritsopoulos, Patriarchikē Megale toū Genous Scholē. [La Grande École Patriarcale de la Nation], Athènes, 2004 (2ème édition), 2 volumes.

GUBOGLU, 1960‑1961 – Mihai Guboglu, Démètre Cantemir – orientaliste, « Studia et Acta Orientalia », III, 1960‑1961, pp. 129‑160.

HUNGER, GAMILLSCHEG, HARFLINGER, 1981,1989, 1997 – Herbert Hunger, Ernst Gamillscheg, Dieter Harflinger, Repertorium der griechischen Kopisten, 800‑1600, Vienne, 1981, 1989, 1997, 3 volumes.

HURMUZAKI 1917 – Documente privitoare la istoria românilor. Volumul XIV. Documente greceşti. Partea 2 : 1716‑1777. Culese de Eudoxiu de Hurmuzaki ; publicate după originale, copiile Academiei Române şi tipărituri de Nicolae Iorga [Documents concernant l’histoire des Roumains. Volume 14. Documents grecs. Seconde partie : 1716‑1777. Recueillis par Eudoxiu de Hurmuzaki ; publiés par Nicolae Iorga d’après des originaux, des copies de l’Académie roumaine et des livres imprimés], Bucarest, 1917.

ILIEŞ, ADAM, 1973 – Aurora Ilieş, Marieta Adam, Date noi despre circulaţia şi cititorii operei lui Dimitrie Cantemir, « Divanul sau gâlceava înţeleptului cu lumea » [Nouvelles données sur la circulation et les lecteurs de l’ouvrage

Page 177: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 161

de Dimitrie Cantemir « Divanul sau gâlceava înţeleptului cu lumea »], « Studii », 26, 5, 1973, pp. 999‑1021.

ILIOU, 1975 – Philippos Iliou, Vivlia me syndromites. I. Ta chronia toū diaphōtismou (1749‑1821) [Livres à des souscripteurs. I. L’époque de l’illuminisme, 1749‑1821], « Ho Eranistēs », 12, 1975, pp. 101‑179.

ILIOU, 1980 – Philippos Iliou, Vivlia me syndromites (1794‑1821). Nea stoicheia [Livres à des souscripteurs (1794‑1821). Nouveaux éléments], « Ho Eranistēs », 16, 1980, pp. 285‑295.

IONAŞCU, 1935 – Ion Ionaşcu, Istoricul Mănăstirii Hurez după documente inedite din arhiva Eforiei Spitalelor Civile [L’histoire du monastère de Hurez d’après des documents inédits des archives d’Eforia Spitalelor Civile], « Arhivele Olteniei », 79‑92, 1935, pp. 339‑344 et 421‑431.

IONCIOAIA, 1994 – Florea Ioncioaia, Tineri români şi greci la studii în Franţa [Jeunes roumains et grecs étudiants en France], in Gabriel Bădărău et alii (éds.), Istoria ca lectură a lumii. Volum în onoarea profesorului Alexandru Zub [L’histoire comme lecture du monde. Volume en honneur du Professeur Alexandru Zub], Iaşi, 1994, pp. 525‑542.

IONCIOAIA, 1998 – Florea IONCIOAIA, Tineri din Principate la studii în Europa (1800‑1834). O tentativă de sistematizare [Jeunes étudiants des Principautés roumaines en Europe (1800‑1834). Une tentative systématisation], « Anuarul Institutului de cercetări socio‑umane Gheorghe Şincai », Târgu Mureş, I, 1998, pp. 20‑46.

IONIŢĂ, 2007 – Alexandrina Ioniţă, Carte franceză în Moldova până la 1859 [Livres français en Moldavie jusqu’en 1859], Iaşi, 2007, 2 volumes.

IORGA, 1898 – Nicolae Iorga, Manuscripte din biblioteci străine relative la istoria românilor : Întâiul memoriu [Manuscrits des bibliothèques étrangères concernant l’histoire des Roumains : premier rapport], « Analele Academiei Române. Memoriile Secţiunii Istorice », 2ème série, XX, 1898, pp. 203‑253.

IORGA, 1899 – Nicolae Iorga, Manuscripte din biblioteci străine relative la istoria românilor : Al doilea memoriu [Manuscrits des bibliothèques étrangères concernant l’histoire des Roumains : deuxième rapport], « Analele Academiei Române. Memoriile Secţiunii Istorice », 2ème série, XXI, 1899, pp. 1‑108.

IORGA, 1906 – Nicolae Iorga, Contribuţii la istoria învăţământului în ţară şi străinătate (1780‑1830) [Contributions à l’histoire de l’enseignement dans notre pays et à l’étranger, 1780‑1830], « Analele Academiei Române. Memoriile Secţiunii Istorice », 2ème série, XXIX, 1906, pp. 33‑58.

IORGA, 1906a – Nicolae Iorga, Câteva manuscripte şi documente din ţară şi străinătate relative la istoria românilor. VII. Biblioteca din Braşov a lui Grigore Brâncoveanu [Quelques manuscrits et documents du pays et de

Page 178: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

162 RADU G. PĂUN

l’étranger concernant l’histoire des Roumains. VII. La bibliothèque de Grigore Brâncoveanu à Braşov], « Analele Academiei Române. Memoriile Secţiunii Istorice », 2ème série, XXIX, 1906, pp. 521‑529.

IORGA, 1914‑1915 – Nicolae Iorga, Pilda bunilor domni din trecut faţă de şcoala românească [Les princes régnants de jadis et l’école roumaine], « Analele Academiei Române, Memoriile Secţiunii Istorice », 2ème série, XXXVII, 1914‑1915, pp. 77‑120.

IORGA, 1916 – Nicolae Iorga, Ceva mai mult despre viaţa noastră culturală şi literară în secolul al XVIII‑lea [Un peu plus sur notre vie culturelle et littéraire au XVIIIe siècle], « Analele Academiei Române. Memoriile Secţiunii Istorice », 2ème série, XXXVIII, 1916, pp. 795‑837.

IORGA, 1924 – Nicolae Iorga, Études roumaines. II. Idées et formes littéraires françaises dans le Sud‑Est de l’Europe, Paris, 1924.

IORGA, 1925 – Nicolae Iorga, Biblioteca lui Vodă Brîncoveanu la Hurezi [La bibliothèque de Constantin Brâncoveanu à Hurezi], « Revista Istorică », XI, 1‑3, 1925, p. 4.

IORGA, 1926 – Nicolae Iorga, Ştiri nouă despre biblioteca Mavrocordaţilor şi despre viaţa muntenească în vremea lui Constantin Mavrocordat [Nouvelles informations sur la bibliothèque des Maurocordato et sur la vie en Valachie au temps de Constantin Maurocordato], « Analele Academiei Române, Memoriile Secţiunii Istorice », 3ème série, VI, 1926, pp. 135‑170.

IORGA, 1927‑ Nicolae Iorga, O gospodarie moldovenească la 1777 după socotelile cronicarului Ioniţă Canta [Un manoir moldave en 1777 d’après les registres du chroniqueur Ioniţă Canta], « Analele Academiei Române. Memoriile Secţiunii Istorice », 3ème série, VIII, 1927, pp. 105‑116.

IORGA, 1928 – Nicolae IORGA, Istoria învăţământului românesc [Histoire de l’enseignement en Roumanie], Bucarest, 1928.

IORGA, 1933 – Nicolae Iorga, Împărţirea pe la 1802, a averii lui Mihai (Mina) Roset din Bălăneşti [La répartition, autour de 1802, de la fortune de Mihai (Mina) Rosetti de Bălăneşti], « Revista Istorică », XIX, 1‑3, 1933, pp. 44‑51.

IORGA, 2006 – Nicolae Iorga, Istoria românilor. VIII. Revoluţionarii [Histoire des Roumains. VIII. Les révolutionnaires]. Édition par Georgeta FILITTI. Bucarest, 2006 (2ème édition)

ISAC, 1969 – Virginia Isac, Biblioteci personale în Moldova în secolul al XIX‑lea [Bibliothèque privées en Moldavie au XIXe siècle], « Revista Arhivelor », XII, 1, 1969, pp. 49‑64.

ISAC, 2002‑2003 – Virginia Isac, Informaţii bibliofile în documente de arhivă [Informations bibliophiles dans les documents d’archives], « Anuarul Institutului de Istorie A.D. Xenopol Iaşi », XXXIX‑XL, 2002‑2003, pp.

Page 179: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 163

311‑318.ISAR, 1979 – Nicolae Isar, Românii la studii în Franţa (1800‑1834) [Des

Roumains comme étudiants en France, 1800‑1834], « Analele Universităţii Bucureşti. Istorie », XXVIII, 1979, pp. 41‑59.

HARTUNG, 1578 – Johann Hartung, Bibiotheca sive Antiquitates Urbis Constantinopolitanae, Strasbourg 1578.

KARADJA, 1947 – Constantin I. Karadja, Un bibliophile moldave au début du Dix‑Neuvième siècle. Le Grand Écuyer Ioan Balş, « Académie Roumaine. Bulletin de la Section Historique (Histoire – Géographie – Sciences Sociales) », XXVIII, 1, 1947, pp. 106‑130.

KARATHANASSIS, 1975 – Athanasios E. Karathanassis, Des Grecs à la Cour du Constantin Brâncoveanu, voévod de Valachie (1688‑1714), « Balkan Studies », 16, 1, 1975, pp. 56‑69.

KARATHANASSIS, 1976 – Athanasios E. Karathanassis, Hē Flangineios Scholē tēs Venetias [Le Collège Flanginus de Venise], Thessalonique, 1976.

KARATHANASSIS, 1982 – Athanasios E. Karathanassis, Hoi Hellēnes logioi stē Vlachia, 1670‑1714 [Les érudits grecs en Valachie, 1670‑1714]. Thessalonique, 1982.

KARATHANASSIS, 1989 – Athanasios E. Karathanassis, L’hellénisme en Transylvanie. L’activité culturelle, nationale et religieuse des compagnies commerciales helléniques de Sibiu et de Brasov aux XVIIIe‑XIXe siècles, Thessalonique, 1989.

KITROMILIDES, 2004 – Paschalis Kitromilides, Hē vivliothēke tōn entypon tēs hieras monēs Dionysiou [La bibliothèque des livres imprimés du monastère de Dionysiou au Mont Athos], « Mesaiōnika kai Neahēllenika », VII, 2004, pp. 207‑227.

LECLERC, 1997 – Jean Leclerc, Epistolario, édité par Maria Grazia et Mario Sana, vol. 4, Florence, 1997.

MARINESCU, PENELEA‑FILITTI, TABAKI, 1991 – Florin Marinescu, Georgeta Penelea‑Filitti, Anna Tabaki, Documents gréco‑roumains. Le fonds Mourouzi d’Athènes, Athènes – Bucarest, 1991.

MIHAIL, 2009 – Zamfira Mihail, Nicolae le Spathaire Milescu à travers ses manuscrits, Bucarest, 2009.

MIHĂESCU, 2006 – Doru Mihăescu, Cronografele româneşti [Les Chronographies roumaines], Bucarest, 2006.

MIHORDEA, 1940 – Vasile Mihordea, Biblioteca domnească a Mavrocordaţilor. Contribuţii la istoricul ei [La bibliothèque princière des Maurocordato. Contributions à son histoire], « Analele Academiei Române, Memoriile Secţiunii Istorice », 3ème série, XXII, 1940, pp. 359‑419.

MINEA, 1926 – Ilie Minea, Despre Dimitrie Cantemir, omul – scriitorul –

Page 180: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

164 RADU G. PĂUN

domnitorul [Sur Dimitrie Cantemir, l’homme, l’écrivain, le prince régnant], Iaşi, 1926.

MITU, 1996 – Adriana Mitu, Din vechile cărţi de înţelepciune la români. Cugetările lui Oxenstiern (sec. XVIII) [Des vieux livres de sagesse chez les Roumains. Les Maximes d’Oxenstiern (XVIIIe siècle)], Bucarest, 1996.

MITU, 1999 – Mihai Mitu, Între Istanbul şi Varşovia : domnitorul‑literat Alexandru Mourouzi [Entre Istanbul et Varsovie : le Prince‑lettré Alexandru Mourouzi], in Idem, Oameni şi fapte din secolul al XVIII‑lea (Schiţe de istorie literară) [Hommes et faits du XVIIIe siècle. Essais d’histoire littéraire], Bucarest, 1999, pp. 97‑125, 207‑217.

OFRIM, 2001 – Alexandru Ofrim, Cheia şi Psaltirea. Imaginarul cărţii în cultura tradiţională românească [La clé et le Psautier. L’imaginaire du livre dans la culture traditionnelle roumaine], Piteşti‑Bucarest, 2001.

OIKONOMIDES, 1975 – Démétrios Oikonomides, Ta en Moldavia hellēnika typografeia kai hai ekdoseis autōn (1642‑1821) [La typographie grecque de Moldavie et sa production, 1642‑1821], Αthēna, 75, 1975, pp. 259‑301.

OIKONOMIDES, 1977 – Démétrios Oikonomides, Ta en Vlachia hellēnika typografeia kai hai ekdoseis autōn (1690‑1821) [La typographie grecque de Valachie et sa production, 1690‑1821], Αthēna, 76, 1977, pp. 59‑102.

PALIU, 1967 – Petre Paliu, Catalogul cărţilor bibliotecii domnitorului A.D. Ghica [Le catalogue des livres de la bibliothèque du Prince A. D. Ghica], « Revista Arhivelor », X, 1, 1967, pp. 91‑95.

PANAITESCU, 1925 – Petre P. Panaitescu, Nicolas Spathar Milescu (1636‑1708), « Mélanges de l’École Roumaine en France » I, 1925, pp. 33‑181.

PANAITESCU, 1959 – Petre P. Panaitescu, Catalogul manuscriselor slave din Biblioteca Academiei Republicii Populare Române [Catalogue des manuscrits slaves de la Bibliothèque de l’Académie de la République populaire de Roumanie], vol. I, Bucarest, 1959.

PANAITESCU, 2001 – Petre P. Panaitescu, Catalogul manuscriselor slavo‑române şi slave din Biblioteca Academiei Române [Catalogue des manuscrits slavo‑roumains et slaves de la Bibliothèque de l’Académie roumaine], vol. II, Bucarest, 2001 (édité par Dalila‑Lucia Aramă).

PAPACOSTEA, 1963 – Cornelia Teofana Papacostea, O bibliotecă din Moldova la începutul secolului al XIX‑lea. Biblioteca de la Stînca [Une bibliothèque de Moldavie au début du XIXe siècle. La bibliothèque de Stînca], « Studii şi Cercetări de Bibliologie », V, 1963, pp. 215‑220.

PAPACOSTEA‑DANIELOPOLU, 1974 – Cornelia Papacostea‑Danielopolu, Catalogul bibliotecii de la Stânca [Le catalogue de la bibliothèque de Stânca], « Studii şi Cercetări de Bibliologie », XIII, 1974, pp. 155‑170.

PAPACOSTEA‑DANIELOPOLU, 1974a – Cornelia Papacostea‑Danielopolu,

Page 181: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 165

Organizarea şi viaţa culturală a Companiei « greceşti » din Braşov (1777‑1850) [L’organisation et la vie culturelle de la Compagnie « grecque » de Braşov, 1777‑ 1850], dans le volume Studii istorice sud‑est europene [Études historiques sud‑est européennes], vol. I, Bucarest, 1974, pp. 159‑212.

PAPACOSTEA DANIELOPOLU, 1998 – Cornelia Papacostea Danielopolu, Convergences culturelles gréco‑roumaines (1774‑1859), Thessalonique, 1998.

PAPAZOGLU, 1983 – Georgios K. PAPAZOGLU, Vivliothēkes stēn Kōnstantinoupolē tou 16 aiōna (Cod. Vind. hist. gr. 98) [Bibliothèques de Constantinople au 16e siècle (Codex Vind. hist. gr. 98)], Thessalonique, 1983.

PĂUN, 2008 – Radu G. Păun, Épilogue. Imprimé et pouvoir : la diversité des pratiques, dans Idem (coord.), Culture de l’imprimé et discours du pouvoir. France, Russie, Roumanie, XVIe‑XIXe siècles, Bucarest, 2008, pp. 143‑161.

PĂUN, 2008a – Radu G. PĂUN, Réseaux de livres et réseaux de pouvoirs dans le Sud‑Est de l’Europe : le monde des drogmans (XVIIe‑XVIIIe siècles), in Frédéric Barbier, István Monok (éds.), Contribution à l’histoire intellectuelle de l’Europe : réseaux du livre, réseaux des lecteurs, Budapest, 2008, pp. 62‑108.

PIPPIDI, 1971 – Andrei Pippidi, Lecturile unui boier muntean acum un veac : Ioan Manu, « Revista de Istorie şi Teorie Literară », 20, 1, 1971, pp. 105‑119.

PIPPIDI 1979 – Andrei Pippidi, Contribuţii la studiul bibliotecii Mavrocordaţilor (manuscrit à l’Institut d’Études Sud‑Est Européennes de Bucarest), 1979.

PIPPIDI, 1980 – Andrei Pippidi, Aux confins de la République des Lettres : la Valachie des antiquaires au début du XVIIIe siècle, in Idem, Hommes et idées du Sud‑Est européen à l’aube de l’âge moderne, Bucarest‑Paris, 1980, pp. 215‑237.

PIPPIDI, 1981 – Andrei Pippidi, Early Modern Libraries and Readers in South‑Eastern Europe, « Revue des Études Sud‑Est Européennes », XIX, 4, 1981, pp. 705‑723.

PIPPIDI, 1989 – Andrei Pippidi, L’accueil de la philosophie française du XVIIIe siècle dans les Principautés roumaines, in Alexandru Zub (coord.), La Révolution française et les Roumains. Impact, images, interprétations, Iaşi, 1989, pp. 213‑251.

PIPPIDI, 1997 – Andrei Pippidi, Manuscritos bizantinos de la biblioteca de los Mavrocordato, dans Pedro Bádenas De La Peña, Antonio Bravo, Inmaculada Pérez Martin (coord.), El cielo en la terra. Estudios sobre el monasterio bizantino, vol. III, Madrid, 1997, pp. 321‑340.

PIPPIDI, 2008 – Andrei Pippidi, Pouvoir de l’imprimé, imprimé pour le pouvoir,

Page 182: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

166 RADU G. PĂUN

dans Radu G. PĂUN (coord.), Culture de l’imprimé et discours du pouvoir. France, Russie, Roumanie, XVIe‑XIXe siècles, Bucarest, 2008, pp. 29‑45.

PIPPIDI, 2009 – Andrei Pippidi, A propos des débuts de l’imprimerie en Géorgie, in Impact de l’imprimerie et rayonnement intellectuel des Pays Roumains, Bucarest, 2009, pp. 25‑40.

PLOUMIDIS, 1972 – Georgios Ploumidis, Gli scolari « oltramarini » a Padova nei secoli XVI e XVII, « Revue des Études Sud‑Est Européennes », X, 2, 1972, pp. 257‑270.

POPESCU‑TEIUŞAN, 1964 – Ioan Popescu‑Teiuşan, Vechea Bibliotecă a Colegiului Popular « N. Bălcescu » din Craiova [L’ancienne bibliothèque du Collège Populaire « N. Bălcescu » de Craiova], « Studii şi cercetări de documentare şi bibliologie », VI, 2, 1964, pp. 183‑196.

RALLY, RALLY, 1930 – Alexandre Rally, Getta Rally, Bibliographie franco‑roumaine, Paris, 1930, 2 volumes.

ROSETTI, 1938 – Radu Rosetti, Familia Rosetti. Coborâtorii moldoveni ai lui Lascaris Rousaitos [La famille Rosetti. Les descendants moldaves de Lascaris Rousaitos], Vol. I, Bucarest, 1938.

RUFFINI, 1973 – Mario Ruffini, Biblioteca Stolnicului Constantin Cantacuzino [La bibliothèque du Stolnic Constantin Cantacuzino], traduction de l’italien par D. D. Panaitescu et Titus Pârvulescu, Bucarest, 1973.

RUSSO, 1939 – Demostene Russo, Studii istorice [Études historiques], Bucarest, 1939, 2 volumes.

SCHATZ, STOICA, 2007 – Elena‑Maria Schatz, Robertina Stoica, Catalogul colectiv al incunabulelor din România [Le catalogue collectif des incunables de Roumanie], Bucarest, 2007.

SIMONESCU, 1967 – Dan Simonescu, Impression des livres arabes et karamanlis en Valachie et en Moldavie au XVIIIe siècle, « Studia et Acta Orientalia », V‑VI, 1967, pp. 47‑75.

SIMONESCU, 1974 – Dan Simonescu, Le livre grec imprimé en Roumanie (1642‑1830), in Symposium. L’époque phanariote, Thessalonique, 1974, pp. 127‑134.

SIMONESCU, MURAKADÉ, 1939 – Dan Simonescu, E. Murakadé, Tipar românesc pentru arabi în secolul al XVIII‑lea (Les presses roumaines et les Arabes au XVIIIe siècle], « Cercetări literare », III, 1939, pp. 1‑32.

SIUPIUR, 1995, 2001, 2004, 2005 – Elena Siupiur, Die Intellektuellen aus Rumänien und den Südosteuropäischen Ländern in der deutschen Universitäten (19 Jahrhundert), « Revue des Études Sud‑Est Européennes », XXXIII, 1‑2, 1995, pp. 83‑99 ; XXXIII, 3‑4, 1995, pp. 251‑266 ; XXXIX, 1‑4, 2001, pp. 143‑196 ; XLII, 1‑4, 2004, pp. 133‑157 ; XLIII, 1‑4, 2005, pp. 395‑345.

SIUPIUR, 2004 – Elena Siupiur, Intelectuali, elite, clase politice moderne în

Page 183: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les Principautés roumaines... 167

Sud‑Estul european. Secolul XIX [Intellectuels, élites, classes politiques modernes dans les Sud‑Est de l’Europe. Le XIXe siècle], Bucarest, 2004.

STAMATOPOL, 2001, 2002, 2007 – Rodica Stamatopol, Ex‑libris în colecţiile Bibliotecii Naţionale a României. Catalog [Ex‑libris dans les collections de la Bibliothèque Nationale de Roumanie. Catalogue] Bucarest, 2001, 2002, 2007, 3 volumes.

ŞTEFAN, 2008 – Ştefania‑Cecilia Ştefan, Catalogul cărţii româneşti vechi şi rare din colecţia Muzeului Municipiului Bucureşti (1648‑1829) [Le catalogue des livres anciens et rares des collections du Musée Municipal de Bucarest, 1648‑1829], Bucarest, 2008.

STOIANOVICH, 1975 –Traian Stoianovich, Raguse ‑ société sans imprimerie, in Structure sociale et développement culturel des villes sud‑est européennes et adriatiques aux XVIIe‑XVIIIe siècles, Bucarest, 1975, pp. 43‑73.

STOYANOV – Manio Stoyanov, Les Syndromites bulgares de livres grecs au cours de la première moitié du XIXe siècle, « Byzantinisch‑Neugriechischer Jahrbücher », 19, 1966, pp. 373‑405.

ŞTREMPEL, 1959 – Gabriel Ştrempel, Copişti de manuscrise româneşti pânǎ la 1800 [Copistes de manuscrits roumains jusqu’en 1800], Bucarest, 1959.

ŞTREMPEL, 1978 – Gabriel Ştrempel, Catalogul manuscriselor româneşti B.A.R. 1‑1600 [Le catalogue des manuscrits roumains B.A.R. 1‑1600], Bucarest, 1978.

STURDZA, 1983 – Mihail Dimitri Sturdza, Dictionnaire historique et généalogique des grandes familles de Grèce, Albanie et de Constantinople, Paris, 1983.

TODERICIU, 1973 – Doru Todericiu, Jean‑Claude Flachat (1700‑1775), voyageur, industriel et technologue lyonnais, « Revue d’histoire des sciences », 26, 2, 1973, pp. 137‑143.

TOMESCU, 1968 – Mircea Tomescu, Istoria cărţii româneşti de la începuturi până la 1918 [L’histoire du livre roumain des origines à 1918], Bucarest, 1968.

TSIRPANLIS, 1971 – Zacharias N. Tsirpanlis, Hoi Makedones spoudastes toū Hellēnikou Kollegiou tēs Rōmes kai he drasē tous stēn Hellada kai stēn Italia [Les étudiants de Macédoine au Collège Grec de Rome et leur activité en Grèce et en Italie], Thessalonique, 1971.

TSIRPANLIS, 1980 – Zacharias N. TSIRPANLIS, To Hellēniko Kollegiou tēs Rōmes kai hoi mathētes tou (1576‑1700) [Le Collège grec de Rome et ses élèves, 1576‑1700], Thessalonique, 1980.

TSOURKA‑PAPASTATHI, 1994 – Despoina Eirene Tsourka‑Papastathi, Hē Hellēnikē emporikē kompania tou Sibiou Transilvanias 1636‑1848.

Page 184: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

168 RADU G. PĂUN

Organōsē kai dikaio [La Compagnie commerciale hellénique de Sibiu, en Transylvanie, 1636‑1848. Organisation et régime juridique], Thessalonique, 1994.

TSOURKAS, 1967 – Cléobule Tsourkas, Les débuts de l’enseignement et de la libre pensée dans les Balkans. La vie et l’œuvre de Théophyle Corydalée, Thessalonique, 1967.

TURDEANU, 1950 – Emil Turdeanu, Le livre grec en Russie : l’apport des presses de Moldavie et de Valachie, « Revue des Études Slaves », 26, 1950, pp. 69‑87.

VELCULESCU, VELCULESCU, 1974, 1975 – Cătălina Velculescu, Victor George Velculescu, Livres roumains à listes de souscripteurs (première moitié du XIXe siècle), « Revue des Études Sud‑Est Européennes », XI, 2, 1974, pp. 205‑220 et XIII, 4, 1975, pp. 539‑548.

VELCULESCU, 1984 – Cătălina Velculescu, Cărţi populare şi cultură românească [Livres populaires et culture roumaine], Bucarest, 1984.

Page 185: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Cantemir : bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires

STEFAN LEMNY

« A tous les égards, nous sommes de ceux qui persévèrent dans leur instruction et dont le savoir ne se trouve pas dans le cœur, mais se cache dans des livres et dans des bibliothèques » (Dimitrie Cantemir)

Pour désigner l’homme de culture, la langue roumaine utilise le mot « cărturar », dont la racine « carte », en roumain « livre », suggère, peut‑être plus que d’autres langues, la place du livre dans la construction d’une personnalité intellectuelle1.

Dimitrie Cantemir est incontestablement un grand cărturar, comme en témoigne avant tout l’œuvre riche qu’il a créée. Cette image est renforcée par sa passion pour les livres et pour la lecture, étudiée en détail dernièrement2. Plus discutable en revanche est la configuration concrète de son horizon livresque, qu’il s’agisse de la bibliothèque ou des bibliothèques qu’il a pu posséder ou fréquenter. Cette forme dubitative indique d’emblée l’état de nos connaissances. Contre l’avis de certains auteurs qui évoquent la ou les bibliothèque(s) de Cantemir comme une certitude, nous souhaitons suggérer que ce sujet se prête à une appréciation plus nuancée, et qu’il mérite en tout cas une sérieuse remise en question.

1 Avec cette précision cependant : le mot « carte » avait initialement en roumain le sens d’acte de propriété, qui a donné l’expression « ai carte, ai parte » (« qui possède l’acte, possède des biens »), et c’est ultérieurement qu’il a acquis la signification de « livre ».

2 Valentina Eşanu, Andrei Eşanu, « Universul cărţii la Dimitrie Cantemir», Akademos. Revistă de ştiinţă, inovare, cultură şi artă, Chişinău, 2007, n° 2‑3 (7), p. 14‑19. Consulté en ligne le 10 août 2011 : http://www.akademos.asm.md/files/Academos_nr__2‑3_2007_0.pdf

Page 186: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

170 ŞTEFAN LEMNY

Autour de sa bibliothèque privée

Force est de constater d’abord que jusqu’au XVIIIe siècle, la bibliothèque ne constitue pas une présence courante dans l’espace culturel roumain, et plus généralement sud‑est‑européen. En effet, peu nombreuses sont les familles de condition noble qui ont la réputation de posséder de véritables bibliothèques, comme ce fut le cas de Constantin Brancovan, du grand dignitaire (stolnic) Constantin Cantacuzène ou des princes Mavrocordato. Riches en livres, leurs bibliothèques ont disposé d’une place distincte de conservation et ont laissé des traces solides de leur existence, y compris dans les écrits de leurs contemporains. Selon le témoignage du médecin Ioan Comnen, par exemple, la bibliothèque de Brancovan était « digne d’être visitée » (« vrednicǎ de vǎzut »). Réalisée « par de grands financements, au beau monastère de Hurez » (« cu multǎ cheltuialǎ, în mǎnǎstirea cea frumoasǎ a Hurezului »), remplie de « livres divers et très utiles » (« cu cǎrti felurite si foarte de folos »), elle était annoncée dès l’entrée par une inscription en grec pour louer les bienfaits intellectuels de ce lieu : « Bibliothèque qui nourrit l’âme et qui encourage l’enrichissement du savoir, l’an 1708 » (« Biblioteca de hranǎ doritǎ sufletului, aceastǎ casǎ a cǎrtilor îmbie preaîntelepata îmbelsugare, în anul 1708 »). La bibliothèque de Cantacuzène, reconstituée d’après plusieurs catalogues autographes de l’époque, dont le plus ancien date de 1667, a impressionné un voyageur sensible à la culture comme Del Chiaro, qui la considérait comme une « belle bibliothèque ». Mais rien ne semble avoir égalé le prestige de la bibliothèque des Mavrocordato, qui avait acquis une certaine célébrité en Europe3.

En revanche, le plus grand mystère plane sur la bibliothèque de Cantemir. Bien évidemment, il ne s’agit pas des livres qui l’ont accompagné dans les différentes étapes de sa vie, de l’enfance et jusqu’au soir de sa vie, des livres cités et utilisés dans ses divers travaux. La question qui se pose est de savoir s’il a possédé une véritable collection de livres, rangés d’une certaine manière sur des étagères ou dans des armoires, voire dans des coffres.

Malheureusement, il nous manque dans son cas un témoignage aussi précieux que celui dont nous disposons dans le cas de son fils, Antioh,

3 N. Iorga, Ştiri nouă despre Biblioteca Mavrocordaţilor, Bucureşti, 1926. V. Mihordea, Biblioteca domnească a Mavrocordaţilor, Imprimeria Naţională, Bucureşti, 1940. Corneliu‑Dima Drăgan, Biblioteci umaniste româneşti : istoric, semnificaţii, organizare, Bucureşti, Litera, 1974. Idem, Das Rumänische Buch‑ und Bibliothekswesen ; hrsg. von Josef Stummvoll und Walter G. Wieser, Vienne, Österreichisches Institut für Bibliotheksforschung : Dokumentations‑ und Informationswesen, 1980.

Page 187: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Cantemir : bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires 171

réalisé à son décès à Paris, en 17444 : le catalogue de ses livres. S’ajoute à cela l’absence de sources de l’époque pour témoigner même indirectement de son existence. Enfin, l’analyse est davantage compliquée par le fait que Dimitrie Cantemir, le seul à évoquer la place des livres dans sa vie, ne parle pas non plus d’une véritable bibliothèque.

Un passage de la vie de son père, Vita Constantini Cantemiri écrite par Dimitrie Cantemir, a fait couler beaucoup d’encre à ce sujet. L’auteur y raconte les mots dits à son égard, quand il était très jeune, par le haut dignitaire (ban) Cornescu, l’envoyé du prince valaque Brancovan à la cour de Moldavie. « J’ai de quoi parler à mon prince – aurait dit le messager sur Dimitrie Cantemir – […] c’est à dire que le fils du prince régnant (beizadeaua), bien que jeune, est entouré de livres et d’armes ; d’où on peut deviner qu’il est bien doué pour les uns et pour les autres5 ».

Cette belle image d’un prince entouré de livres dès son jeune âge pose un seul problème : elle est créée par Cantemir qui est l’auteur de la biographie de son père. La gravure représentant plus tard Dimitrie Cantemir à sa maturité, réalisée apparemment d’après son portrait d’apparat, nous montre également le prince, protégé d’une armure chevaleresque et à la proximité d’une pile de livres. Le fait que le prince ait aimé à se montrer dans la compagnie des livres est une chose réelle, l’existence d’une bibliothèque en est une autre !

Nous savons que Dimitrie Cantemir a commencé à s’instruire avec abnégation depuis son jeune âge, son père ayant aménagé pour lui seul et son maître, l’érudit grec Jérémie Cacavela, une sale de classe au palais princier de Iaşi. Mais le nombre de livres qui auraient pu satisfaire ce besoin demeure inconnu. En tout cas, il ne pouvait pas être important, s’agissant d’ouvrages que le père du prince, homme dépourvu d’instruction particulière, avait ambitionné mettre la disposition de cet enseignement improvisé. Quant à leur contenu, ces livres devaient illustrer principalement le domaine religieux, qui occupait la place essentielle dans la culture et l’instruction de cette époque.

Dans le même ouvrage concernant la vie de son père, Dimitrie Cantemir évoque avec nostalgie les longues nuits d’hiver dans le palais de Iaşi, où il lisait à son père des passages de l’histoire ancienne, lui traduisait les livres saints en vieux slavon et lui lisait les homélies de saint Jean Chrysostome,

4 Catalogue de la bibliothèque de feu M. le prince Cantemir, Paris, 1745.5 Viaţa lui Constantin Cantemir. Texte traduit et établi par Radu Albala, Bucarest,

Minerva, 1973, p. 116. Voir l’édition académique de ce livre : Viaţa lui Constantin Cantemir zis cel Batrîn, domnul Moldovei, éd. Dan Slusanschi et Ilies Câmpeanu, Bucarest, Ed. Academiei, 1996.

Page 188: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

172 ŞTEFAN LEMNY

le texte fondateur de la liturgie byzantine. Et, dans l’esprit de la tradition d’un pays de culture chrétienne, la Bible est le livre de chevet du foyer familial. Il semblerait même qu’on en ait trouvé une trace tangible dans l’ancienne bibliothèque Lénine de Moscou : un exemplaire de la Bible, traduite pour la première fois intégralement en roumain en 1688 en Valachie, ayant appartenu jusqu’en 1693 au vieux Constantin, d’où elle est passée entre les mains de Dimitrie6. Elle l’accompagnera tout au long de sa vie et demeurera une source fondamentale pour sa pensée.

L’horizon livresque du jeune prince a été plus riche pendant le temps passé avec quelques interruptions à Istanbul de 1688 à 1710. On connaît les livres qu’il a lus et utilisés pour ses propres écrits, mais nous n’avons identifié rien de précis sur son éventuelle bibliothèque. Cependant, de nombreux auteurs ont accrédité l’idée de l’existence de cette bibliothèque. Bon connaisseur des archives ottomanes, Mihai Maxim a écrit récemment que son palais d’Ortaköy (Fener), aménagé par le prince peu avant son départ, « abritait une magnifique bibliothèque et des peintures » (« was equipped with paintings and wonderful library7 »). Nous n’avons pas réussi à savoir si cette « magnifique bibliothèque » est mentionnée quelque part, éventuellement dans les sources ottomanes ou s’il s’agit d’une supposition de l’auteur, enfin si elle désigne la bibliothèque comme lieu spécialement aménagé ou comme simple collection de livres8. En tout cas, l’Histoire de l’Empire ottoman apporte cette seule précision : après son retour en Moldavie en 1710, ses « collections concernant les affaires et les mœurs des Turcs » sont restées à Constantinople, pour tomber ensuite dans les mains de Ioan Mavrocordato9. Une confrontation de ce passage avec le

6 Lajos Demény, « Dimitrie Cantemir şi Biblia de la Bucureşti », Dacoromania, VII, 1988, p. 265‑274.

7 Mihai Maxim, « Dimitrie Cantemir and his time: new documents from the Turkish archives », Revue roumaine d’histoire, 47, N° 1‑2, 2008, p. 38. A noter l’étude sur le même sujet de Tahsin Gemil, qui ne mentionne pas cette bibliothèque : « Stiri noi din arhivele turcesti privitoare la Dimitrie Cantemir » (« Nouvelles informations sur Dimitrie Cantemir trouvées dans les archives turques »), AIIA, X, 1973, Iasi, p. 436.

8 L’auteur de cette étude nous fait part avec amabilité d’une hypothèse intéressante : la décoration des fenêtres des pièces se trouvant à l’étage du palais de Cantemir à Istanbul, tel qu’on peut le voir dans une des gravures de son Histoire de l’Empire ottoman, serait l'ornement spécifique aux bibliothèques de la capitale ottomane de cette époque !

9 Il s’agissait précisément d’un livre qu’il avait emprunté à un Grec de Philippopolis, et qui, d’après l’édition anglaise, « serait resté à Constantinople après mon départ et serait tombé, avec d'autres de mes collections sur les affaires et les agissements des Turcs, selon les échos qui me sont parvenus, dans les mains de Ion Mavrocordat, qui est maintenant interprète à la Cour othomane” (« After my departure it remained at Constantinople,

Page 189: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Cantemir : bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires 173

texte original latin fac‑similé de l’ouvrage publié par Virgil Cândea confirme l’information et apporte une nuance supplémentaire digne d’intérêt : Dimitrie Cantemir a écrit « cum reliquis nostris collectaneis de rebus et moribus Turcarum10 », ce qui laisse penser qu’il s’agissait seulement de « restes » de cette supposée collection de livres. Ailleurs, il mentionne également « un livre persan qu’[il] a eu à Constantinople, contenant l’histoire des Persans depuis les origines jusqu’au Shah Ismail », illustré de portraits des prophètes et empereurs, qui malgré leurs erreurs « de symétrie », étaient dessinés « avec beaucoup d’élégance 11».

Nommé prince de Moldavie, Dimitrie Cantemir a quitté précipitamment la capitale ottomane pour arriver dans son palais de Iaşi (novembre 1710). Il est évident qu’il a amené avec lui ses propres travaux. Peut‑on supposer qu’il ait fait de même avec ses livres, surtout avec les plus précieux, comme la Bible de son père, déjà mentionnée?

Il est opportun de préciser que la possession d’une bibliothèque à l’époque n’est pas seulement le signe d’un grand intérêt pour les livres, comme c’était le cas de Dimitrie Cantemir, mais aussi d’une aisance financière, ce qui n’était pas son point le plus fort. Son règne de courte durée en Moldavie, entre décembre 1710 et juillet 1711, puis l’exile précipité en Russie, après la défaite de Stănileşti ont ajouté sans doute des difficultés supplémentaires.

Si la relative tranquillité de son existence pendant cette dernière étape de sa vie et les longues heures dédiées à ses propres travaux ont pu de nouveau nourrir son intérêt pour les livres, sa situation matérielle à cette période ne l’a pas non plus encouragé à faire des dépenses trop importantes

and came, as I hear into the hands of John Mavrocordatus, who is now interpretor to the Othoman Court, with other collections of mine concerning the affairs and manners of the Turks » ( p. 105).

10 Dimitrie Cantemir, Creşterile şi descreşterile Imperiului otoman. Le texte original en latin et dans sa forme finale revue par l'auteur, fac‑similé du manuscrit Lat‑124 de la Biblioteca Houghton, Harvard University, Cambridge, Mass., publié avec une introduction de Virgil Cândea, Bucureşti, Roza Vânturilor, 1999, p. 674

11 A la différence des Turcs, les Persans « ne sont pas si superstitieux, ils parsèment leurs écrits de peintures. Par exemple j'ai vu à un moment donné dans un livre persan que j'ai eu à Constantinople sur l'histoire des Persans de leur origine au Shah Ismail, les portraits de tous leurs prophètes et empereurs réalisés avec beaucoup d'élégance, ne respectant pas obligatoirement une symétrie parfaite » « are not so superstitious, they paint whole in their historical writings. Of this I saw an instance in a Persian book which I had at Constantinople, containing the history of the Persians from the Creation to Shah Ismail, wherein the portraitures of all the prophets and emperors were drawn, through not with great symmetry, yet with elegance », Londres, 1735, p. 161.

Page 190: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

174 ŞTEFAN LEMNY

pour se constituer une véritable bibliothèque. Le prince avait pourtant de nombreux ouvrages qui ont été mentionnés occasionnellement par les témoignages concernant le sort de son patrimoine après sa mort.

C’est presque tout qu’on peut dire, d’une manière raisonnable, de la bibliothèque personnelle de Dimitrie Cantemir.

Les bibliothèques fréquentées

L’absence d’une bibliothèque privée, frustration aggravée par la passion du prince pour les livres, était‑il une raison de plus pour lui de chercher les secrets du savoir dans les autres bibliothèques, plus accessibles aux gens avides de lecture ?

Par rapport à sa Moldavie natale, pauvre en bibliothèques, l’Empire ottoman avait une belle réputation dans ce domaine. Depuis la fin du XVIe siècle, un ambassadeur marocain à Istanbul était impressionné par le nombre de bibliothèques et la diversité de leur contenu : elles comprenaient « des livres de tous les pays du monde »12. Un siècle après, la situation était plus brillante. La bibliothèque du Sérail, dont on pensait qu’elle avait repris l’ancienne bibliothèque des empereurs byzantins, était depuis longtemps le sujet de toutes les légendes. En 1687, Pierre Girardin s’efforçait de contrecarrer le « bruit qu’a répandu la plupart des voyageurs qui ont écrit sur le Levant, qu’un très grand nombre de manuscrits grecs anciens se trouvait dans le Sérail. » En réalité – suppose Girardin – cette bibliothèque est riche en ouvrages orientaux, de nombreux livres en grec ou latin, perdus entre temps, parce que « tout est à présent à vendre à Constantinople, où il n’y a rien de plus rare et de plus estimé que l’argent13 ». A la même époque, une autre bibliothèque, commençait à faire parler d’elle dans la capitale ottomane, la bibliothèque Köprülü, érigée en 1678, et qui, à la différence de la bibliothèque du Sérail, avait un caractère presque public pour son son temps14.

12 Cf. Frédéric Hitzel, « Manuscrits, livres et culture livresque à Istanbul », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1999, N° 87‑88, p. 19. Voir également : Faruk Bilici, « Les bibliothèques vakif‑s à Istanbul au XVIe siècle, prémices des grandes bibliothèques publiques », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1999, N° 87‑88, p. 39‑55

13 Emil Jacobs, Untersuchungen zur Geschichte der Bibliothek im Serai zu Konstantinopel, Heidelberg, C. Winter, 1919 (Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften. Stiftung Heinrich Lanz. Phil.‑hist. Klasse, XXIV, 1919), p. 123.

14 İsmail Erünsal, Ottoman libraries : a survey of the history development and organization of Ottoman foundation libraries, Department of Near Eastern languages and

Page 191: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Cantemir : bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires 175

En dehors des collections conservées dans ces bibliothèques célèbres, il y en avaient d’autres, conservées à l’Académie du Patriarche de Constantinople, mais aussi dans les monastères ou dans les palais des ambassadeurs étrangères.

Dimitrie Cantemir en témoigne. Dans Hronicul, il estime d’une manière générale les « bibliothèques turques et chrétiennes » riches en livres qui concernent « les merveilleux et grands » faits de l’histoire ottomane15.

La fameuse bibliothèque du grand Sérail lui inspire une remarque particulière. Dans son Système de la religion mahométane, publié à Saint‑Pétersbourg, en 1722, il cite « la bibliothèque du palais, qui est très vaste même jusqu’à nos jours16 », et rapporte l’information selon laquelle « on dit que dans la bibliothèque du sultan » se trouvent deux merveilleux exemplaires de l’Al Coran. 17 Plus problématique en revanche est la possibilité que le prince ait eu accès à cette bibliothèque réservée exclusivement aux sultans, et strictement interdite aux non musulmans. Cantemir n’a pas échappé non plus à cette règle. Néanmoins, grâce à ses amitiés et à ses relations, il a réussi à se procurer les portraits des sultans qui constituaient un précieux trésor de cette bibliothèque.

Musevvir basi, le grand maître des peintres – nous dit‑il – avait la mission de peindre le portrait de chaque nouveau sultan qui montait au trône, portraits parfaitement conservée dans la « bibliothèque de sultan ». « Avec l’aide des amis, avec beaucoup d’efforts, mais aussi avec beaucoup plus de dépenses», Dimitrie Cantemir a réussi à copier bon nombre de ces portraits « peints en couleurs […] du premier jusqu’à l’actuel Achmed18 ».

literatures Harvard university, 2008, p. 43, qui apporte des précisions sur les sens du mot turc „kütüphane“, bibliothèque mais aussi armoire, collections.

15 « Pline sînt bibliotecile şi turceşti şi creştineşti de minunate şi mari faptele lor », apud Hronicul, II, p. 1.

16 A propos de Mehmed II qui, après la prise de Constantinople, a ordonné de jeter en mer les reliques de saint Jean, à l’exception de sa main, conservée dans cette bibliothèque. En russe : « бивлиотеку полатную, яҗе и до ныне зело пространна есть ». En roumain : « în biblioteca palatului, care e şi pînă acum foarte vastă », Dimitrie Cantemir, Sistemul sau întocmirea religiei muhammedane, édition par Virgil Cândea ; texte russe par Anca Irina Ionescu, Bucarest, Ed. Academiei Republicii Socialiste România, 1987, p. 238‑339 (abrégé ensuite : Sistemul).

17 Cantemir, Sistemul, 1987, p. 542‑543 : « Se spune că în biblioteca sultanului se află două cărţi al Coranului, dintre care una scrisă cu cerneală, iar cealaltă avînd literele tăiate cu foarfecele din hîrtie subţire de o asemenea artă şi frumuseţe încît se crede cǎ astfel de litere şi tăieturi niciodată n‑a putut şi nici azi nu poate nimeni dintre oameni să le imite ».

18 Cantemir, Sistemul, 1987, p. 548‑549 : « pe care am reuşit să le copiem pe toate după primele exemplare cu ajutorul prietenilor, cu multǎ sîrguinţă, dar şi cu mai multă

Page 192: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

176 ŞTEFAN LEMNY

Ces portraits assureront par ailleurs un intérêt particulier à son ouvrage au moment de sa publication en anglais : la page de titre indiquait expressément la chance d’avoir comme illustration ces quelques « copies réalisées d’après les originaux peints par le peintre du dernier sultan et qui se trouvent dans le palais du Grand Seigneur » (« copies taken from originals in the Grand Seignor’s palace, by the late sultan’s painter »19). L’auteur précise d’ailleurs plus loin, dans l’Histoire de l’Empire ottoman, que le fameux peintre s’appelle Levnî Abdülcelil Celebi, information précieuse qui fait de Cantemir un témoin important de l’activité de cet artiste, qui a eu un rôle important dans la peinture ottomane à l’époque de Tulipes et qui s’est illustré également comme poète. L’intérêt des vingt‑deux copies utilisées par Cantemir, gravées dans l’édition anglaise par Claude du Bosc, est d’autant plus grand que les originaux n’existent plus, fait étonnant vu la richesse des oeuvres de ce peintre conservées à la bibliothèque de Topkapi et même à la Bibliothèque nationale de France20.

Occasionnellement, il évoque d’autres bibliothèques ou collections privées où il a pu se procurer certains ouvrages. Dans une note de son Histoire de l’Empire ottoman, il dit par exemple qu’il a « trouvé » un livre écrit par Ali Effendi, auteur d’une histoire des plusieurs sultans, qui l’intéressait, « dans la maison d’un Grec de Philippopolis21 » (Plovdiv, Bulgarie).

Il semblerait que le prince n’ait pas trouvé en Russie le même bonheur en matière de lectures dans les bibliothèques que celui qu’il a vécu en Turquie, au moins en ce qui concerne le sujet qui le préoccupe pendant les dernières années de sa vie : le Système de la religion mahométane, sujet de son livre paru à Saint‑Pétersbourg, en 1722. Il n’hésite pas à le souligner : « ayant passé dans ce bienfaiteur Etat de Russie la vie de ce siècle périssable, dans la plus part du temps en paresse et ignorance, nous n’avons nullement trouvé de livres turcs ou persans, ceux‑là surtout qui s’accordent avec notre travail et notre projet. Nous les avons cherchés dans cheltuială ». Dans l’édition anglaise, 1735, les faits sont présentés ainsi : les portraits des sultans « for many ages have been carefully kept in the Sultanic Library, from whence with good presents, by means of my friends at Court, I got them to be copied by the Sultan’s Mesevvir or cheh painter Leuni Chelebi, and have them still by me », p. 161‑162.

19 Terme traduit dans l’édition française de 1743 par « la Bibliothèque du Grand‑seigneur » (vol. II, p. 184).

20 Gül İrepoğlu, Levni : painting poetry colour, Istanbul, Ministry of Culture, 1999; Esin Atıl, Levni and the Surname : the story of an eighteenth‑century Ottoman festival, Istanbul, Koçbank, 1999.

21 Londres, 1735, p. 105.

Page 193: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Cantemir : bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires 177

la Bibliothèque d’État de Russie, mais, bien qu’elle soit très dotée et riche en différents ouvrages, même là‑bas, nous n’avons pas pu les trouver22 ».

La désignation de la bibliothèque sous ce nom mentionné pose problème car, en réalité, l’institution telle quelle est une création plus tardive. En revanche, cette information pourrait constituer l’indice que le noyau de la future institution existait bien avant : il s’agit, en occurrence, des collections de livres apportées par Pierre le Grand en 1714 dans la nouvelle capitale de Russie et logées au début dans le palais dit « d’été » avant la construction d’un bâtiment destiné à une grande bibliothèque qui permettrait au peuple, selon le désir du tsar, de les « voir et d’apprendre23 ». Cantemir a été donc parmi les premiers à pouvoir satisfaire son avidité intellectuelle dans ce lieu qui annonce la naissance de la première bibliothèque publique chez les Russes.

Vers une bibliothèque imaginaire

Bien évidemment, les bibliothèques que le prince a pu rencontrer dans son chemin devaient être plus nombreuses que celles qui ont laissé des traces dans ses écrits. On peut imaginer par exemple qu’en 1697, quand il a suivi l’armée du sultan jusqu’à sa terrible défaite de Zenta, il n’a pas échappé à la tentation de s’arrêter dans les bibliothèques riches de Transylvanie et de Hongrie qui se trouvaient sur son chemin. Mais il s’agit là d’une simple supposition : l’absence d’informations précises nous empêchent de reconstituer la place des bibliothèques dans sa vie. Un constat d’autant plus affligeant quand on connaît sa passion ardente pour le monde des livres : « À tous égards – écrit‑il dans son livre le Système de la religion mahométane –, nous sommes du nombre de ceux qui persévèrent dans leur propre instruction et dont le savoir ne se trouve pas dans le cœur, mais se cache dans des livres et des bibliothèques24. »

22 En roumain : « petrecîndu‑ne în acest stat rus binecinstitor viaţa acestui trecător veac în cea mai mare parte în trîndăvie şi nepricepere, n‑avem deloc cărţi turceşti şi persane şi mai ales pe cele care se potrivesc cu lucrarea şi planul nostru. Le‑am căutat în Biblioteca de stat a Rusiei, dar (deşi e foarte înzestrată şi bogată în alte cărţi) nici acolo nu le‑am putut găsi » (Cantemir, Sistemul, p. 278‑279). En russe : « Государственной российской библиоотекке ! ».

23 Books in Russia and the Soviet Union : past and present, par Miranda Beaven Remnek, Wiesbaden, Harrassowitz, 1991. Valerii Leonov, Libraries in Russia : history of the Library of the Academy of Sciences from Peter the Great to present, Munich, K.G. Saur, 2005.

24 « În toate privinţele sîntem din numărul celor ce stăruiesc la învăţătură şi a căror ştiinţă nu e în inimă, ci se ascunde în cărţi şi biblioteci », Cantemir, Sistemul, p. 278‑279.

Page 194: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

178 ŞTEFAN LEMNY

Ce constat contraste surtout avec l’énorme érudition qui se dégage de certains de ses écrits, notamment de Hronicul vechimei a româno‑moldo‑valahilor [La Chronique de l’ancienneté des Roumano‑Moldo‑Valaques] – plus de 150 titres cités dans sa bibliographie – ou de l’Histoire de l’Empire ottoman. Nous pensons qu’il serait intéressant de reconstituer, à partir de ces ouvrages et d’autres de ses écrits, la bibliothèque « imaginaire » qu’il a utilisée, sans savoir s’il s’agit de livres de sa propre bibliothèque, ou de livres des bibliothèques consultées.

Toute collaboration à ce sujet apporterait des éléments intéressants à la reconstitution du portrait intellectuel du prince Dimitrie Cantemir.

Page 195: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques Kaunitz : des catalogues et des lectures multiples

CHRISTINE LEBEAU

Dans son étude consacrée aux « Lectures de la noblesse dans la France du XVIIIe siècle », Daniel Roche propose deux approches possibles pour une bibliothèque. Les livres d’un individu, tels ceux de l’académicien Dortous de Mairan, révèlent des « lectures possibles », un horizon de savoirs et de curiosité, une personnalité active ». En regard, la reconstitution de la consommation livresque d’un groupe social laisse supposer l’existence d’une bibliothèque collective obéissant à des impératifs multiples : acquisitions par héritages divers, transmission par fidélité traditionnelle, choix des achats par hasard ou par réflexion, détermination de la curiosité par les modes intellectuelles1. Si l’on opte pour la deuxième perspective, se pose alors le problème de la délimitation du groupe et, s’il s’agit de la noblesse, celui des clivages de fortune et de lieu. Peut‑on en effet comparer un gentilhomme de manoir d’ancienne famille et de médiocre fortune à un noble urbanisé des capitales provinciales, voire à un noble de robe, de finance ou d’administration qui fréquente les coulisses de Versailles et les salons parisiens ? La diversité de fortune et de résidence ne doit pas non plus faire oublier la différence du métier et des compétences. Et dès lors, on ne peut éviter la question plus large de la pertinence des catégories sociales face au développement d’une approche par groupes professionnels.

L’historiographie de la noblesse habsbourgeoise insiste certes sur l’unité de la noblesse, caractérisée par son ubiquité à la fois dans les pays et à la Cour de Vienne ou encore dans les différentes assemblées d’État et unie par les liens du mariage2. Mais il ne faut pas confondre unité structurelle

1 roche Daniel, « Les lectures de la noblesse dans la France du XVIIIe siècle », dans : Ibid., Les Républicains des lettres, Paris, Fayard, 1988, p. 84‑102.

2 Keller Katrin, Hofdamen. Amtsträgerinnen im Wiener Hofstaat des 17.

Page 196: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

180 CHRISTINE LEBEAU

et culturelle. Si l’aristocratie habsbourgeoise est structurellement liée à la monarchie composite, elle n’en est pas moins diverse en tant qu’incarnation des différentes nations politique. Même en écartant la noblesse hongroise qui, sous le règne de Marie‑Thérèse, affectionne toujours le port du costume national, l’homogénéité culturelle du groupe nobiliaire austro‑bohême ne va pas sans nuance, sauf à la restreindre aux pratiques éducatives, telles l’apprentissage du français, le passage par le Theresianum, l’académie de noblesse fondée par Marie‑Thérèse ou le grand tour et au rapport aux Lumières françaises3. Les familles sont assurément d’ancienneté et de fortune diverses, mais surtout leurs rejetons exercent des fonctions bien différentes dans l’administration, le service diplomatique ou l’armée, car, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la seconde noblesse n’est guère présente au sommet de l’État. Or, ces carrières très diverses exigent de réelles compétences.

Seule une approche plus fine permet d’intégrer l’aristocratie à une interrogation sur l’innovation ou le changement. La politique de réforme ne peut plus être analysée « d’en haut », comme si elle était strictement impulsée par les souverains. Non seulement l’aristocratie participe et contribue aux réformes tant que son pouvoir financier n’est pas en jeu, mais encore, comme nous avons pu le montrer, les réformes apportées au système financier divise la « noblesse intégrée » (Gesamtadel). La position du chancelier Kaunitz, deuxième ou troisième homme dans l’Etat, est ainsi emblématique de ce pouvoir aristocratique qui participe à la politique de réformes menée par Marie‑Thérèse et Joseph II.

La politique menée ou proposée par le chancelier Kaunitz, tant dans le domaine extérieur qu’intérieur, a été maintes fois analysée en tant que discours4. Cependant sa « culture » est renvoyée au rayon du mécénat5

Jahrhunderts, Vienne/Cologne/Weimar, Böhlau, 2005 ; hassler Eric, Une cour sans empereur. Les chambellans de l'empereur dans l'espace résidentiel. Vienne, 1683‑1740, thèse de l’université de Paris I, 2010.

3 cerman Ivo, Habsburgischer Adel und Aufklärung : Bildungsverhalten des Wiener Hofadels im 18. Jahrhundert, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2010.

4 Klueting Harm, Die Lehre von der Macht der Staaten. Das aussenpolitische Machtproblem in der « politischen Wissenschaft » und in der praktischen Politik im 18. Jahrhundert, Berlin, Duncker & Humblot, 1986 ; Lothar schilling, Kaunitz und das Renversement des alliances. Studien zur aussenpolitischen Konzeption Wenzel Antons von Kaunitz, Berlin, Duncker & Humblot 1994.

5 Klingenstein Grete et szabo Franz A.J. dir., Staatskanzler Wenzel Anton von Kaunitz‑Rietberg 1711‑1794. : Neue Perspektiven zu Politik und Kultur der europäischen Aufklärung, Graz, Andreas Schnider Verlagsatelier, 1996.

Page 197: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques Kaunitz : des catalogues et des lectures multiples 181

ou réduite à une passion pour la distinction6. La biographie intellectuelle proposée par Grete Klingenstein pour la jeunesse du chancelier n’a finalement jamais été poursuivie7. Un catalogue de bibliothèque peut‑il permettre de renouer avec cette démarche ? On proposera ici une lecture au croisement du social – le groupe des aristocrates au service de l’Empereur‑ et du politique – l’agence des réformes. Le choix de focale entre le groupe et l’individu s’avère ici déterminant : cerner les contours d’une communauté de lecteurs permet non seulement d’identifier un horizon commun de savoir mais aussi la formation d’un parti du livre au sommet de l’État.

Le chancelier Kaunitz : un aristocrate bohême ?

Le comte, puis prince (1764) Wenzel Anton de Kaunitz‑Rietberg, né à Vienne le 2 février 1711 et mort dans cette même ville le 27 juin 1794, est issu d’une vieille famille noble de Bohême (remontant à 1284), installée en Moravie à Austerlitz et convertie au catholicisme au début du XVIIe siècle. Fils et petit‑fils de deux vice‑chanceliers d’empire, il appartient clairement à cette « noblesse intégrée » (Gesamtadel) au service de l’empereur8.

Si la fortune modeste de la famille fait d’abord obstacle à sa carrière, il n’en devient pas moins ministre plénipotentiaire à Turin en 1741, avant d’occuper le même poste aux Pays‑Bas autrichiens d’octobre 1744 à juin 1746 en remplacement du comte de Königsegg‑Erps. Pratiquement à la tête du gouvernement général des Pays‑Bas après le décès de la gouvernante, l’archiduchesse Marie‑Anne en décembre 1744, il doit quitter Bruxelles dès juillet 1745 en raison de l’invasion française. En juin 1746, il obtint son remplacement à Bruxelles par le comte Charles de Batthyany. Négociateur au traité d’Aix‑la‑Chapelle en 1748, il est le premier ambassadeur autrichien à Versailles (1750‑1753) depuis l’ambassade Liechtenstein. Inquiet des progrès de la Prusse, il y prépare le « renversement des alliances » ou l’alliance franco‑autrichienne de 1756. Finalement appelé par Marie‑Thérèse au poste de chancelier de cour et d’État des Habsbourg, il occupe ce poste pendant près de quarante ans jusqu’en 1792 et est à l’origine de la création du Conseil d’État qu’il dirige à partir de 17619.

6 marKovits Rahul, L’ »Europe française », une domination culturelle ? Conceptualiser les circulations littéraires : Kaunitz et le théâtre français à Vienne au XVIIIe siècle, « Annales HSS », 2012/13.

7 Klingenstein Grete, Der Aufstieg des Hauses Kaunitz : Studien zur Herkunft und Bildung des Staatskanzlers Wenzel Anton, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975.

8 Klingenstein Grete, Leo Wilhelm von Kaunitz. Ein Beitrag zum Bild des Adeligen im 17. Jahrhundert , « Bausteine zur Geschichte Österreichs, Archiv für österreichische Geschichte », 125, Vienne, 1966, p. 120‑137.

9 Pour une synthèse sur sa carrière, szabo Franz A.J., Kaunitz and enlightenment

Page 198: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

182 CHRISTINE LEBEAU

Exceptionnelle figure de la diplomatie européenne, il est aussi le principal ministre de l’impératrice Marie‑Thérèse, souvent en concurrence avec l’empereur Joseph II, co‑régent à partir de 1765 et sa vision du système européen ne peut être distinguée de son action « dans l’interne » de l’Etat, surtout par l’intermédiaire du Conseil d’État, instance de conseil et de décision tout à la fois10.

Grete Klingenstein a souligné la modernité de la formation du chancelier, qui, après une année à l’université de Leipzig, a fait un grand tour d’Europe et séjourné à l’académie militaire de Turin. L’itinéraire de Wenzel Kaunitz le place donc de plain‑pied dans une culture nobiliaire fondée sur le livre et cosmopolite, même si le français en est la langue véhiculaire. Son goût pour le théâtre français est autant une façon de donner à participer à cet horizon commun que la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens11. Ce cosmopolitisme ne suffit pas à cerner les contours d’une biographie intellectuelle. Wenzel Kaunitz est aussi un de ces self learner qui, familiarisé à la méthode de Wolff, peut calculer ou réduire l’incertitude sans pour autant la supprimer. Il ne s’agissait plus seulement réduire la puissance prussienne ou d’assurer la sécurité des États héréditaires, mais de développer à la fois l’économie de l’État (Staatswirtschaft) et la puissance, le pouvoir et les richesses du prince, d’accroître ses finances et l’aisance de ses sujets. Loin d’une vision mécaniste des relations internationales, Kaunitz a donc constamment actualisé ses savoirs et ses représentations sur le « fort et le faible » des Etats12.

Durant toute sa carrière, le chancelier Kaunitz a consacré un temps important à la rédaction de mémoires et fourni ainsi un corpus considérable aux historiens13. Quelques références à Justi et à Büsching sont ainsi

absolutism 1753‑1780, Cambridge, Cambridge U.P.,1984 et pour son rôle dans le gouvernent de la monarchie thérésienne, DicKson P.G.M., Finance and Governement under Maria‑Teresia, 1740‑1780, Oxford, Oxford U.P., 1987.

10 Klingenstein Grete, Institutionnelle Aspekte der österreichischen Aussenpolitik im 18. Jahrhundert , zöllner Erich éd., Diplomatie und Aussenpolitik Österreichs : elf Beiträge zur ihrer Geschichte, Vienne, österreichischer Bundesverlag, 1977 et « Kaunitz kontra Bartenstein : Zur Geschichte der Staatskanzlei in den Jahren 1749‑1753 », Fichtenau Heinrich et zöllner Erich éd., Beiträge zur neueren Geschichte Österreichs, Vienna/Cologne/Graz, 1974, Veröffentlichungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, p. 249‑263.

11 marKovits, 2012. 12 Klueting, 1986 : 174. 13 beer Adolf éd., Denkschrifen des Fürsten Kaunitz , « Archiv für österreichische

Geschichte », XLVIIII, 1872, p. 1‑162 ; Walter Friedrich, Kaunitz’ Eintritt in die innere

Page 199: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques Kaunitz : des catalogues et des lectures multiples 183

évoquées, mais le statut ou l’usage du livre n’est jamais véritablement envisagé14. Diplomate et principal ministre, il remodèle le système de l’Europe. Homme du monde, collectionneur et mécène, il participe à une culture aristocratique qu’il maîtrise et façonne. A l’instar d’un Turgot, économiste, ministre et auteur de traités de philosophie et de prosodie, il convient de ne pas séparer politique et otium. La « bibliothèque » de Kaunitz peut‑elle nous aider à résoudre cette aporie ?

Les bibliothèques Kaunitz.

Kaunitz se fait classiquement représenter par le peintre de cour Meytens en 1755 avec l’ordre de la toison d’or. Le tableau, reproduit sous forme d’estampes, donne aussi à voir le politique au travail avec une plume, deux livres et sans doute une carte et un globe terrestre en arrière‑plan. Comme beaucoup de nobles bohêmes ou moraves. Kaunitz possédait plusieurs palais à Vienne, ainsi qu’un château et un domaine à Austerlitz15. Il est par ailleurs à l’origine de la création de la bibliothèque de la chancellerie d’État à l’usage des commis. Les archives Kaunitz conservées à Brno ne comportent aucun inventaire, mais une correspondance familiale, seigneuriale et politique qui atteste de liens multiples avec des agents qui le pourvoient en livres et objets de luxe de toute l’Europe. Le catalogue des bibliothèques de châteaux conservées à Prague ne donne aucune mention d’une bibliothèque Kaunitz. Le seul catalogue que nous ayons retrouvé est celui des livres conservés au château d’Austerlitz et dressé en 1959 qui correspondrait aux livres entreposés dans le château de Velké Mezirící (Großmeseritsch)16.

Le livre est évidemment un élément du mode de vie, l’instrument d’une affirmation sociale, tandis que les nécessités du service imposent au XVIIIe

siècle une « éducation au‑delà du médiocre », bien au‑delà de l’académie d’équitation. Aussi le catalogue des livres de la bibliothèque d’Austerlitz comporte‑t‑il, sur un total de 1215 objets (livres et cartes), 285 titres publiés

Politik. Ein Beitrag zur Geschichte der österreichischen Innenpolitik in den Jahren 1760‑1761, « Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichte », XLVI, 1932, p. 37‑79.

14 Klueting, 1986 : 183.15 Wenzel Kaunitz hérite du palais Questenberg de son père et acquiert un « jardin »

à Mariahilf et un domaine à Laxenburg.16 Ce fonds est administré par le musée national de Prague. Cf. Fabian Bernhard

éd., Handbuch der historischen Buchbestände in Deutschland, Österreich und Europa, http://134.76.163.162/fabian?Home.

Page 200: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

184 CHRISTINE LEBEAU

avant 1690 dont 100 au XVIe siècle17. Ces titres sont majoritairement des ouvrages de grammaire, de lettres et d’histoire en latin18. Il n’en demeure pas moins que le catalogue se compose majoritairement d’ouvrages publiés au XVIIIe siècle et principalement dans les années 1750‑1780 et près de la moitié des ouvrages sont rédigés en français19. L’allemand fait cependant jeu égal avec l’italien et il faut signaler que une bonne partie des ouvrages érudits rédigés en latin sont de fait des ouvrages rédigés par des auteurs allemands20. Les autres langues sont, pour quelques unités, l’espagnol, le tchèque, le hollandais et le suédois : l’anglais n’est absent pour les titres antérieurs à 1790.

« La » bibliothèque nobiliaire des Lumières se compose d’abord de livres d’histoire puis de belles‑lettres, ensuite viennent les ouvrages de droit, de sciences et d’arts et finalement de religion21. Dans quelle mesure la bibliothèque d’Austerlitz se conforme‑t‑elle à ce modèle ? En suivant l’ordre du catalogue établi par Olga Peterková, la première catégorie est celle des belles‑lettres (339 titres), suivie par la religion (175), puis par la politique (122), les sciences (120) l’économie politique (120), où le droit (82), la philosophie, plus particulièrement de la nature (75), l’art militaire (50), l’histoire (39) et les cartes (44) constituent les catégories les moins représentées. Faut‑il apprécier ces catégories en termes de dilection ? Le chancelier Kaunitz est réputé fin connaisseur des lettres françaises, ce qui pourrait expliquer la forte présence des belles‑lettres. Son nom est aussi associé au joséphisme et à la suppression des couvents au profit du renforcement de l’encadrement pastoral22. De même, la forte représentation des catégories politique, économie politique et droit, en dépit de la sous‑représentation de la catégorie histoire, pourrait nous autoriser à interpréter ce catalogue comme la trace d’une bibliothèque à l’usage d’un grand commis. On pourrait encore souligner la présence significative des livres d’agronomie et de cérémonial qui relève également de l’activité professionnelle de Wenzel Kaunitz, diplomate, mais aussi seigneur et homme de cour. De fait, rares sont les autodidactes à la fin du XVIIIe

siècle : au bagage des humanités s’ajoute l’apprentissage spécialisé des arts militaires ou des disciplines juridiques et administratives. On pourrait

17 PeterKová Olga, Lokální a inventární katalog zámecké knihovny slavkov, 1959.18 315 titres en latin au total.19 538 titres en français.20 144 titres sont en italien contre 184 en allemand.21 roche, 1988.22 maass Ferdinand éd., Der Josephinismus. Quellen zu seiner Geschichte in

Österreich, Vienne, Verlag Herold, 1951‑1961.

Page 201: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques Kaunitz : des catalogues et des lectures multiples 185

encore mettre l’accent sur la présence d’une dizaine de titres en tchèque qui entrent dans les catégories droit, agronomie et histoire : Wenzel Kaunitz correspondait de fait en tchèque avec ses intendants. Pour autant, la simple analyse statistique ne permet pas d’affiner l’articulation entre livre et action politique, ni même d’inférer de ce cas les horizons d’attente d’un groupe. En ce sens, la bibliothèque du château d’Austerlitz est à la fois structurellement proche et différente de celle du comte Hartig étudiée par Claire Madl23.

Alors qu’elle ne comporte que quelques titres postérieurs à 1796, la bibliothèque du château d’Austerlitz peut‑elle être considérée comme « la » bibliothèque du chancelier Kaunitz ? Les archives familiales renferment également un carton spécialement dévolu aux « livres non reliés»24. Il s’agit en fait d’un ensemble de listes, propositions d’achat ou acquisitions, qui forment autant de « bibliothèques idéales », rédigées par des experts, agents, libraires, diplomates et qui témoignent d’un travail bibliographique spécialisé. Trois ensembles sont ainsi réunis : la bibliothèque du parfait commis (Kanzlist) d’empire centrée sur les corpus et la pratique de droit d’empire (33 titre) ; un catalogue de livres savants –vies, anthologies, grammaires italienne, latine et hébraïque‑ proposé par l’imprimerie royale de Parme (35 titres) ; une bibliothèque philosophique (économie politique, belles‑lettres, sciences et arts) compilée notamment à partir de l’Avant‑Coureur dont l’éditeur Jonval est lié à Helvétius, ainsi qu’au Journal des Savants et à la STN, dans laquelle l’Encyclopédie méthodique et l’Encyclopédie d’Yverdon figurent en tête. Ces notes marquent les limites du catalogue d’Austerlitz, puisqu’une large partie de ces titres ne s’y retrouvent pas. Le chancelier Kaunitz se trouve bien au centre d’une délibération par correspondance qui lui confère une autorité « scientifique », mais le produit de cet échange n’est pas immédiatement déposé à Austerlitz. On devrait donc en revenir à la bibliothèque de château, lieu de mémoire, de plaisir et d’ostentation plutôt de travail.

La bibliothèque d’Austerlitz ou du moins le catalogue qui en a été dressé en 1959 conserve aussi sa part d’énigme qu’une brève analyse qualitative peut cependant lever partiellement. En effet, on y retrouve trois ouvrages, le premier de Thomas Grenville, Tableaux de l’Angleterre relativement à

23 maDl Claire, L’écrit, le livre et la publicité. Les engagements d’un aristocrate éclairé de Bohême : Franz Anton Hartig (1758‑1797), thèse de l’École Pratique des Hautes Etudes, Paris, 2007.

24 III Jednotlivi členove rodu 8. Vaclav Antonin Kounic, k 450, Moravský Zemský, Brno.

Page 202: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

186 CHRISTINE LEBEAU

ses finances et son commerce (Londres, 1769), le second de Pompeo Neri, Relazione dello stato in cui si trova l’opera del censimento universale del Ducato di Milano (Milan, 1750) et le troisième, un manuscrit qui décrit la réforme comptable introduite dans les caisses camérales de la monarchie des Habsbourg25. Ces ouvrages sont en quelque sorte les marqueurs de l’échange administratif autour de la réforme financière et politique à Vienne et en Europe26. Ils correspondent pour les deux derniers à des réformes supportées par le chancelier. Le premier en revanche provient de la stratégie européenne d’information mise en place par Kaunitz depuis son ambassade de Paris. L’inscription intellectuelle du prince de Kaunitz est certes déterminée socialement par son statut et sa fortune. Mais la bibliothèque d’Austerlitz peut aussi se lire comme la somme d’un patronage politique et d’un choix intellectuel.

La bibliothèque d’une communauté de lecteurs.

Si une culture de l’innovation permet la pérennisation d’une domination sociale et politique, considérer qu’il s’agit de celle de l’ensemble du groupe risquerait de conduire à un artefact. S’il y a pas d’académie impériale ou royale dans la Monarchie des Habsbourg, on n’en crois pas moins de multiples micro‑sociétés, à l’image de l’académie des Pugni animée par Pietro Verri dans les années 1760 qui rassemble à la fois les rédacteurs du périodique le Caffé et les membres du Consilio d’Economia de Milan. Aussi ne faut‑il pas sous‑estimer les rivalités et les clivages au sein du groupe « noblesse », comme le montre la virulente opposition contre la réforme fiscale dans les années 1780. Dès lors, la bibliothèque d’Austerlitz peut aussi être lue comme un site social au sens où l’emploie James C. Scott ou l’une des pièces qui soude une communauté de lecteurs sans pour autant préjuger des choix individuels27.

Karl von Zinzendorf, frère du président de la chambre des comptes installée par Kaunitz en 1761, décrit à maintes reprises le cercle réuni à Vienne dans le palais de ville du chancelier28. On trouve également mention

25 Uebersicht zur Einführung einer neuen Staatsbuchhaltung.26 lebeau Christine, Circulations internationales et savoirs d’État au XVIIIe siècle,

beaurePaire Pierre‑Yves et Pourchasse Pierrick éd., Les Circulations internationales en Europe années 1680‑années 1780, Rennes, 2010, p. 169‑179.

27 chartier Roger, « Communautés de lecteurs », ibid., Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe‑XVIIIe siècles), Paris, Albin Michel, 1996. Sur le modèle du site social, scott James C., The art of not being governed : an anarchist history of upland Southeast Asia, New Haven / London, Yale UP, 2009.

28 Karl von Zinzendorf, Tagebuch (par la suite Tgb), nombreuses occurrences en 1761 et 1762, Haus‑, Hof‑ und Staatsarchiv, Vienne.

Page 203: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques Kaunitz : des catalogues et des lectures multiples 187

d’un cercle d’été à la fois familial et professionnel, réuni l’été dans le château d’Austerlitz : « Austerlitz. Je trouvois dans un très grand salon où l’on dîne Me de Questenberg, de Durazzo, de Malowetz, de Clari, le duc de Bragance et Swieten arrivèrent bientôt. Le comte Philippe (Sinzendorf) et Edelsheim montèrent à cheval. Rzewuski arriva de Vienne »29. Les différents ancrages du prince du Kaunitz sont ici réunis : la famille et l’aristocratie bohême (les Questenberg, Malowetz et Clari), le mécénat et l’encouragement des lettres et des sciences (Giacomo Durazzo, Gottfried Van Swieten), la diplomatie impériale et européenne (comtes de Bragance, de Durazzo, d’Edelsheim et de Rzewuski) et finalement l’administration de la Monarchie (les comtes Sinzendorf et Zinzendorf).

Les amis d’Austerlitz, outre la parenté morave, forme une communauté stable réunie depuis les années 1750, un « réseau fort » qui s’est élargi au fil des ans et des charges occupées par le chancelier par des liens « faibles » avec des personnalités européennes30. Le noyau dur rassemble, outre le diplomate et intendant de théâtre Giacomo Durazzo qui s’installe à Vienne en 1754 en devenant le directeur du théâtre de la cour avec le soutien de Kaunitz31, Philipp de Sinzendorf, président du conseil de commerce de Basse‑Autriche et Karl von Zinzendorf, conseiller de commerce et frère du président de la chambre des comptes qui appartiennent tous deux au parti Kaunitz installé au sommet de l’Etat.

Ces pratiques amicales sont bien connues en Europe et peuvent être interprétées de plusieurs façons. Mme Geoffrin en rappelle le double sens : « J’ai appris que le comte Philipp (Sinzendorf) vous avait quitté. Cela m’a surpris : il était non seulement votre ami, mais il vivait dans votre intimité »32. Elles réunissent des aristocrates, certes parents, non pas issus de la même nation mais « étrangers », en fait représentatifs de la « noblesse intégrée » et surtout unis par les liens du patronage33. Comme le rappelle Jacques Necker, « entre toutes les qualités qui distinguent le premier ministre à Vienne, Mgr de Kaunitz, aucune peut être ne le relève davantage que

29 Karl von Zinzendorf, Tgb, 29 septembre 1773.30 Pour l’analyse en termes de liens faibles et forts, granovetter Mark S., Getting a

job. A study of contacts and careers, Chicago / Londres, Univ. of Chicago Press, (2) 1995.31 Durazzo Angela Valenti, I Durazzo da schiavi a dogi della Repubblica di Genova,

Brescia, La Compagnia della Stampa, 2004.32 27 avril 1768, dans : Flammermont Jules et arneth Alfred von éd., Correspondance

secrète du comte de Mercy Argenteau avec Joseph II et le prince de Kaunitz, Paris, 1891, II, p. 334.

33 Pour reprendre les catégories proposées par reinharD Wolfgang, Freunde und Kreaturen : ‘Verflechtung’ als Konzept zur Erforschung historischer Führungsgruppen. Die römische Oligarchie um 1600, Munich, E. Vögel, 1979.

Page 204: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

188 CHRISTINE LEBEAU

son impartialité parfaite et cette intégrité de caractère, avec laquelle, sans acceptation de personnes, il choisit toujours pour les places qui dépendent de son suffrage, ceux qu’il juge les plus capables de son suffrage, ceux qu’ils jugent les plus capables d’en bien remplir les devoirs »34. Aussi la parenté, que ce soit celle de Philipp Sinzendorf avec le grand chancelier Philipp Ludwig Sinzendorf ou celle de Karl von Zinzendorf avec le président de la chambre aulique Gudaker Stahremberg, auquel le chancelier Kauntiz est lui‑même apparenté, n’est‑elle qu’un premier critère, immédiatement suivi par les compétences et le savoir professionnel : « Philipp Sinzendorf me parla longtemps de son train de vie, de son éducation chez son grand‑père le Grand Chancelier, de la banque, des elemens de commerce »35.

De ce parti du livre, la correspondance conservée à Brno garde trace36, mais son histoire se joue à Vienne dans les bureaux et dans les États de la Monarchie, dans les différentes instances de gouvernement des pays. En ce sens, le catalogue de la bibliothèque d’Austerlitz est la trace d’une une grande bibliothèque aristocratique des Lumières, mais aussi la bibliothèque d’un parti de la réforme solidement installé au sommet de l’État depuis la fin du XVIIe siècle et le règne de Léopold Ier et non seulement le passe‑temps d’une noblesse acculturée par l’Europe française ou sous la domination du soft power français.

La question que nous voulions poser est bien celle de l’échelle d’analyse d’une bibliothèque. Avons‑nous ici affaire à une bibliothèque aristocratique d’Europe centrale ou de Bohême ? ou à la bibliothèque des princes de Kaunitz ? ou à la bibliothèque du prince de Kaunitz ? Faut‑il prendre le groupe social mais alors comment le définir ? Dans l’espace considéré, la nation vient rapidement interférer. Aussi la voie médiane nous semble‑t‑elle plus prudente, mais là encore plusieurs voies s’offrent à nous et notre propre pratique de d’historien de la monarchie nous fera préférer la communauté professionnelle mais il ne s’agit que d’un choix d’analyse, car comme le soulignait Daniel Roche après les travaux de Giovanni Levi, « l’aveu d’une personnalité sociale est fait de l’addition de multiples personnalités individualisées par la vie », a fortiori la bibliothèque qui superpose opportunités commerciales et curiosités éphémères.

34 Necker Jacques, De l’administration des finances de la France, 1785, I, p. LIV.35 Karl von Zinzendorf, Tgb, 21 Nov 1761.36 lebeau Christine, Aristocrates et grands commis à la cour de Vienne. Le modèle

français, Paris, CNRS éditions, 1996, chapitre III pour l’analyse de ce parti du livre.

Page 205: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Un grand commis bibliophile : le marquis de Méjanes

RAPHAËLE MOUREN

C’est à la fin du XVIIe siècle que naît en Europe une nouvelle idée de la bibliothèque privée : non plus la bibliothèque d’étude des familles des hommes de loi érudits, ou la « bibliothèque de l’honnête homme » décrite par Gabriel Naudé, mais une bibliothèque réunie pour le plaisir par de riches nobles. En Grande‑Bretagne, aux Pays‑Bas, en France, naît une notion nouvelle, celle du livre ancien : l’imprimerie existe en Europe depuis désormais trois siècles, et les livres les plus anciens, les incunables, les livres imprimés pendant la première moitié du XVIe siècle en lettres gothiques, n’ont plus d’utilité pour leur contenu, et, pour leur forme, on ne les apprécie plus : à la bâtarde gothique, la « lettre noire », on préfère les « lettres rondes », les caractères Garamond, qui dominent le livre depuis deux siècles1.

Les nouvelles collections ne sont pas les bibliothèques de travail d’un savant, même amateur, ou d’un robin, ce ne sont pas, la plupart du temps, des bibliothèques de lecteurs. Ce sont des collections dont les règles de constitution se modifient au XVIIIe siècle. Elles sont créées ou enrichies par un petit nombre d’hommes, généralement très riches. Ces derniers ne recherchent plus des livres pour leur contenu, pour leur message, mais parce qu’ils sont rares ; ils s’attachent à des raisons que Guillaume‑François Debure, leur représentant, appelle typographiques, c’est‑à‑dire à l’objet livre. C’est donc le moment où naissent, dans le domaine du livre imprimé, le « livre ancien » et le « livre rare »2.

1 Jean Viardot, « Livres rares et pratiques bibliophiliques », dans Histoire de l’édition française, vol. 2., Le livre triomphant : 1660‑1830, sous la direction de Roger Chartier et Henri‑Jean Martin, Paris, Promodis, 1984, p. 446‑467 (rééd. Paris, Fayard – Cercle de la Librairie, 1990, p. 583‑614).

2 Jean Viardot, « Naissance de la bibliophilie : les cabinets de livres rares », dans Histoire des bibliothèques françaises, vol. 2, Les bibliothèques sous l’Ancien Régime :

Page 206: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

190 RAPHAËLE MOUREN

Ces nouveaux collectionneurs réunissent des livres suivant des principes de constitution complexes. Ces principes ont été décrits par Jean Viardot, qui avait identifié trois types de choix thématiques à partir de l’étude de bibliothèques réunies entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle : celui des « Antiquités gauloises », le « cabinet curieux » et le « cabinet choisi ».

Le trois catégories décrites par Jean Viardot correspondent à des collections de taille réduite, très choisies. Il est intéressant de regarder l’application de ces principes dans le cas de bibliothèques réunissant plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de livres. Le collectionneur le plus célèbre de cette époque est le duc de La Vallière, qui réunit deux immenses collections successives. Mais d’autres collections de taille importante ont été constituées. Deux d’entre elles ont été conservées et n’ont pas été dispersées au moment de la Révolution française : celle du marquis de Paulmy, qui se trouve aujourd’hui encore à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris, et celle du marquis de Méjanes, qui est restée à Aix‑en‑Provence depuis sa mort en 1786 et est conservée aujourd’hui dans la bibliothèque qui porte son nom.

Le marquis de Méjanes a occupé de très nombreuses charges administratives tout au long de sa vie. Né à Arles en Provence en 1729, il a étudié au collège jésuite Louis‑Le‑Grand à Paris. En 1761, puis à nouveau en 1774, il est nommé consul d’Arles, et s’intéresse à des questions de bien public comme la transmission des maladies, l’inoculation et l’agriculture : il crée une Société d’agriculture à Arles, puis à Aix‑en‑Provence. Homme de l’Ancien Régime, il trouve qu’il y a trop d’écoles des Frères de la vie Chrétienne et pense que les enfants de paysans ne devraient pas apprendre à écrire3. Il est nommé par la Ville d’Aix premier consul de la ville à partir de 1777, et s’occupe de l’administration de la Provence. En 1766 il est envoyé par la ville d’Arles à Paris pour y représenter ses intérêts, puis à nouveau à partir de 1783 et il meurt à Paris en 17864. Il a commencé très jeune à collectionner les livres, ce qui lui a permis d’avoir un réseau de libraires très étendu.

La bibliothèque léguée par le marquis de Méjanes aux États de

1530‑1789, sous la direction de Claude Jolly, Paris, Promodis‑Cercle de la librairie, 1988, p. 268‑289 (rééd. Paris, Cercle de la Librairie, 2008, p. 345‑374).

3 Étienne Rouard, Notice sur la bibliothèque d’Aix, dite de Méjanes ; précédée d’un essai sur l’histoire littéraire de cette ville, sur ses anciennes bibliothèques publiques, sur ses monuments, etc., Paris, chez Firmin Didot frères, Treuttel et Wurtz, Aix, chez Aubin, 1831, p. 124‑125.

4 Ibid.

Page 207: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Un grand commis bibliophile : le marquis de Méjanes 191

Provence et passée, à la Révolution, à la Nation, se compose de 80 000 livres imprimés environ, auxquels s’ajoutent les recueils de pièces et placards, au nombre d’environ 150 000, reliés en volumes contenant de 10 à 15 pièces. On y compte environ 300 incunables, et un petit nombre de manuscrits. Une chose est à peu près sûre : le marquis ne lisait pas ses livres. Sans doute même n’a‑t‑il pas eu le temps d’ouvrir tous les livres qu’il a achetés. Mais très souvent, il a pris le temps de contrôler l’intérêt et la rareté de ses achats, et de l’indiquer sur les ouvrages eux‑mêmes : il porte le lieu d’achat et la date, ainsi que le prix ; il relève le prix qu’a pu atteindre le livre dans d’autres ventes aux enchères, et, surtout, indique si le livre qu’il a acheté est conseillé par le libraire Debure dans la Bibliographie instructive5. Il n’hésite pas à acheter des livres très cher : ainsi, même s’il fait de bonnes affaires à Genève, il n’hésite pas à payer 100 livres un incunable.

Ces nouveaux collectionneurs, que l’on appelle des bibliophiles, s’intéressent essentiellement aux imprimés et fort peu aux manuscrits. On comprend donc que la bibliothèque du marquis de Méjanes ne contient que peu de manuscrits, ce qui différencie la bibliothèque Méjanes actuelle des autres bibliothèques patrimoniales françaises issues de la Révolution.

Dans une bibliothèque d’importance, on retrouve les catégories relevées par Jean Viardot, présentes aussi dans d’autres collections, mais trouve de nombreux autres livres. Dans le cas du marquis de Méjanes, tous les livres ou presque ont été choisis par le propriétaire lui‑même.

On y trouve tout d’abord les antiquités gauloises : ces livres imprimés 5 Bibliographie instructive, ou traité de la connoissance des livres rares et

singuliers. Contenant un catalogue raisonné de la plus grande partie de ces Livres précieux, qui ont paru successivement dans la République des Lettres, depuis l’invention de l’imprimerie, jusques à nos jours ; avec des notes sur la différence et la rareté de leurs éditions, & des remarques sur l’origine de cette rareté actuelle, & son degré plus ou moins considérable : la manière de distinguer les éditions originales, d’avec les contrefaites ; avec une description typographique particulière, du composé de ces rares volumes, au moyen de laquelle il sera aisé de reconnoître facilement les exemplaires, ou mutilés en partie, ou absolument imparfaits, qui s’en rencontrent journellement dans le commerce, & de les distinguer surement de ceux qui seront exactement complets dans toutes leurs parties. Disposé par ordre de matières & de facultés, suivant le système bibliographique généralement adopté ; avec une table générale des auteurs, & un système complet de bibliographie choisie, par Guillaume‑François de Bure, le Jeune, libraire de Paris, Belles lettres, tome I, à Paris, Chez Guillaume‑François Debure Le Jeune, Libraire, Quai des Augustins, 1765. Supplément à la bibliographie instructive ou catalogue des livres du cabinet de M. Louis Jean Gaignat, ecuyer, conseiller‑secrétaire du roi honoraire, & receveur général des consignations des requêtes du palais, disposé & mis en ordre par Guill. François de Bure le jeune, libraire de Paris, avec une table alphabétique des auteurs, 2 vol., à Paris, chez Guillaume François de Bure le jeune, 1769.

Page 208: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

192 RAPHAËLE MOUREN

au XVe siècle ou au début du XVIe siècle en lettres gothiques. Le marquis de Méjanes a acheté les romans gothiques, parmi les plus célèbres aujourd’hui comme les Renards traversants. Romans, satires, textes divers illustrés ou non, imprimés en gothique, forment donc une partie importante de sa collection6.

Un type de livres extrêmement recherché par les collectionneurs bibliophiles sont les livres écrits par des « controversistes, non‑conformistes et autres hérésiarques » pour reprendre l’expression utilisée par Jean‑Marc Chatelain dans le catalogue de l’exposition consacrée au « cabinet choisi » du marquis de Méjanes7. Il s’agit de livres d’hérétiques italiens devenus fort rares après la condamnation de leurs auteurs. Leurs œuvres, mises à l’index, ont souvent été brûlées. Cette rareté même les rend précieux pour les bibliophiles, qui cherchent non seulement à acheter ces livres, mais aussi, ce qui est bien plus difficile, à réunir les œuvres complètes d’auteurs comme Bernardino Ochino ou Giordano Bruno. Ces livres s’arrachent donc à prix d’or dans les ventes aux enchères et certains bibliophiles les font recouvrir des plus somptueuses reliures. On trouve ainsi de superbes reliures mosaïquées de Derome sur deux livres de Giordano Bruno dans la bibliothèque du marquis de Méjanes, le Spaccio della bestia trionfante (1584)8 et la Cena de le ceneri (1584)9, mais aussi, par exemple, sur un autre exemplaire du Spaccio della bestia trionfante, décrit par Marius Michel à la fin du XIXe siècle dans la collection Eugène Dutuit10.

6 Voir Jean‑Marc Chatelain, Un cabinet d'amateur à la fin du XVIIIe siècle : le marquis de Méjanes bibliophile, Aix‑en‑Provence, Cité du livre, Paris, Association internationale de bibliophilie, 2006, chapitre « Saveurs gothiques ».

7 Ibidem, chapitre « controversistes, non‑conformistes et autres hérésiarques ».8 Giordano Bruno, Spaccio della bestia trionfante, proposto da Giove, effettuato

dal conseglo, revelato da Mercurio, recitato da Sophia, udito da Saulino, registrato dal Nolano…, stampato in Parigi [Londres, John Charlewood], 1584. Le livre appartenu successivement à Girardot de Préfond, Gaignat, au comte de Lauraguais et au duc de La Vallière. Méjanes Rés. S. 198. J.‑M. Chatelain, op. cit. notice 46, disponible à l’adresse http://www.citedulivre‑aix.com/Typo3/fileadmin/documents/Expositions/marquis/46.htm. Voir aussi http://www.flickr.com/photos/59557300@N02/5473329915/in/photostream.

9 Giordano Bruno, La cena de le ceneri. Descritta in cinque dialogi, per quattro interlocutori, con tre considerationi, circa doi sugetti…, [Londres, John Charlewood], 1584. Méjanes Rés. S. 190. Le livre a appartenu successivement à un certain Lamy, à Crozat de Tugny, Girardot de Préfond, Gaignat et au duc de La Vallière ; J.‑M. Chatelain, op. cit. notice 45, disponible à l’adresse http://www.citedulivre‑aix.com/Typo3/fileadmin/documents/Expositions/marquis/45.htm ; voir aussi http://www.flickr.com/photos/59557300@N02/ 5473319249/in/photostream.

10 Marius Michel, La reliure française depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’à la

Page 209: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Un grand commis bibliophile : le marquis de Méjanes 193

Un troisième exemplaire à reliure mosaïquée de Padeloup est aujourd’hui conservé à Waddesdon Manor, provenant de la collection Ferdinand de Rotschild11. D’autres livres de controverses de Méjanes, comme le fameux Teatro gesuitico, portent aussi une reliure Derome12. Ce ne sont que quelques exemples de somptueuses reliures portées par des livres de Bruno, on pourrait en citer d’autres.

Toutefois, il n’est pas toujours aisé de savoir pour quelle raison le marquis de Méjanes a acheté tel ou tel livre, ou bien tel ou tel auteur. On peut prendre pour exemple le cas d’Étienne Dolet, connu à la fois pour ses œuvres latines mais aussi pour avoir été éditeur et avoir été brûlé pour athéisme à la fin des années 1540. J’ai contrôlé si on trouvait des œuvres de Dolet chez les bibliophiles français du XVIIIe siècle, pour essayer de comprendre si ses livres étaient collectionnés, et, s’ils l’étaient, si c’était en raison de la rareté de ces ouvrages, brûlés avec lui, ou pour l’intérêt de leur contenu, par exemple pour les Commentaires de la langue latine. Ce livre est à la fois une œuvre importante pour l’histoire de l’érudition, et un très bel in‑folio édité par Sébastien Gryphe13. Le résultat est assez mitigé : Dolet n’a été réellement collectionné que par deux bibliophiles, Méjanes et Mel de Saint‑Céran ; il est complètement absent de nombre de collections14.

Le marquis de Méjanes achetait ses livres auprès de ses libraires attitrés, les David d’Aix15 ; il en achetait aussi chez d’autres libraires aixois et des fin du XVIIIe siècle, Paris, D. Morgand & Ch. Fatout, 1880, planche XIX, disponible sur http://fr.wikisource.org/wiki/La_Reliure_française.

11 Voir sur cet exemplaire le catalogue de Giles Barber de la collection Waddesdon, à paraître.

12 Francisco De La Piedad, Teatro jesuitico, apologetico discurso, con saludables, y seguras dotrinas, necessarias a los principes y señores de la tierra, impreso en Cuimbran por Guillermo Cendrat, 1654. Méjanes Res. O.1 57 : J.‑M. Chatelain, op. cit., notice 30, disponible à l’adresse http://www.citedulivre‑aix.com/Typo3/fileadmin/documents/Expositions/marquis/30.htm. Voir aussi http://www.flickr.com/photos/59557300@N02/ 5473326949/in/photostream.

13 Commentariorum linguae latinae tomus primus, Stephano Doleto gallo Aurelio autore, Lugduni apud Seb. Gryphium, 1536, cum privilegio ad quadriennium, 2° ; Commentariorum linguae latinae tomus secundus, Stephano Doleto Gallo Aurelio autore, Lugduni, apud Seb. Gryphium, 1538, cum privilegio ad quadriennium, 2°.

14 Voir Raphaële Mouren, « Étienne Dolet chez les bibliophiles du XVIIIe siècle », dans Étienne Dolet 1509‑2009, éd. Michèle Clément, Genève, Droz, 2012 (Cahiers d’Humanisme et Renaissance, 98), p. 417‑438.

15 Sur l’intérêt des imprimeurs‑libraires David, et plus particulièrement Joseph II David, pour le marché bibliophilique, voir Gilles Eboli, Livres et lecteurs en Provence au XVIIIe siècle : autour des David, imprimeurs‑libraires à Aix, Méolans Revel, Atelier Perrousseaux‑Centre de conservation du livre, 2008 (Kitab Tabulae), p. 182‑191.

Page 210: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

194 RAPHAËLE MOUREN

libraires installés partout en France. Mais, comme tout le monde, il achetait de nombreux livres dans les ventes aux enchères parisiennes et lyonnaises.

Les libraires parisiens jouent un rôle essentiel dans le développement de la bibliophilie. Les premières collections bibliophiliques, réunies à la fin du XVIIe siècle, sont vendues par ces libraires. Ces derniers, pour pouvoir mettre en vente les collections, en publient le catalogue. Ils développent un système de classement de ces livres, permettant d’offrir une visibilité de la collection pour les acheteurs potentiels, qu’ils perfectionnent peu à peu : c’est ce qu’on appelle le classement des libraires parisiens, qui fut plus tard popularisé par Jacques‑Charles Brunet et son Manuel du libraire. Le marquis de Méjanes se procure les catalogues imprimés : il en possède une collection très importante, où on retrouve les plus grandes ventes du temps : celles du duc de La Vallière, de Girardot de Préfond, de Mel de Saint‑Ceran, du comte d’Hoym…16 Ces catalogues sont parfois annotés, on y porte le prix de vente des livres, ce qui permet aux collectionneurs d’évaluer l’intérêt qu’on pu rencontrer les livres chez les autres collectionneurs. Le marquis de Méjanes dispose aussi d’un exemplaire de la Bibliographie instructive de Guillaume‑François Debure, sorte de vademecum du bibliophile qui permet au collectionneur de savoir quels livres sont considérés comme rares et dignes d’entrer dans leur bibliothèque, ainsi que son complément, le catalogue de la vente de la bibliothèque Gaignat. Cet exemplaire porte en note les indications de prix atteints par les livres dans les diverses ventes aux enchères. Ces prix ont été portés par l’auteur, Debure lui‑même, qui est aussi un libraire et représente les intérêts du marquis à Paris17.

Le marquis étudie de près les catalogues de vente et fait lui‑même des relevés des volumes qu’il souhaite acheter, relevés qu’il envoie en suite à

16 Deuxième vente La Vallière : Catalogue des livres de la bibliotheque de feu M. le Duc de La Valliere. Premiere partie contenant les Manuscrits, les premieres Editions, les Livres imprimés sur velin et sur grand papier, les Livres rares, et précieux par leur belle conservation, les Livres d’Estampes, etc. dont la vente se fera dans les premiers jours du mois de Décembre 1783. par Guillaume de Bure, Paris, Guillaume de Bure, fils aîné, 1783. Catalogue des livres du cabinet de Mr. G… D… P…, par Guillaume‑Franç. De Bure, le jeune, à Paris, chez Guil. Fr. De Bure, le jeune, libraire ; Quai des Augustins, au coin de la rue Pavée, à l’Image Saint Germain, 1777. Catalogue des livres rares et précieux de M.*** disposé et mis en ordre par Guillaume de Bure, fils aîné, Paris, Guillaume de Bure, fils aîné, 1780. Catalogus librorum bibliothecæ illustrissimi viri Caroli Henrici comitis de Hoym, olim regis Poloniæ Augusti II apud regem Christianissimum legati extraordinarii, digestus & descriptus a Gabriele Martin, bibliopal Parisiensi, cum indice auctorum alphabetico, Parisiis, apud Gabrielem & Claudium Martin, via Jacobæa, ad insigne Stellæ, 1738.

17 Guillaume François Debure, op. cit. Sur l’exemplaire annoté du marquis de Méjanes, portant un envoi signé par Debure, voir J.‑M. Chatelain, op. cit. notice 1.

Page 211: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Un grand commis bibliophile : le marquis de Méjanes 195

son représentant dans les ventes : des listes de numéros (correspondant au numéro porté par l’ouvrage dans le catalogue de la vente), avec la notice abrégée du livre, parfois accompagnées de remarques.

Mais le marquis est bien informé, sans doute par son réseau de libraires : il trouve en effet à Genève, chez les libraires de Tournes, héritiers des grands éditeurs lyonnais du XVIe siècle, une bibliothèque de plusieurs milliers de livres. Dans cette bibliothèque se trouvent des livres très recherchés par les bibliophiles du temps : que ce soit les plus beaux incunables qui existent, comme par exemple l’Etymologicon Magnum imprimé à Venise en 1499 par Zacharias Callierges et Nicolas Vlastos18, mais aussi des livres d’hérétiques italiens devenus fort rares après la condamnation de leurs auteurs : c’est là qu’il achète, à un prix bien inférieur à celui du marché, certains livres de Bernardino Ochino. Ces livres s’arrachent à prix d’or dans les ventes aux enchères19, mais le marquis de Méjanes réussit à en acheter à un prix plus que correct chez les Tournes, issus de bibliothèque des pasteurs genevois Turretini, réfugiés d’Italie à la fin du XVIe siècle et qui, pendant presque deux siècles, ont réuni une bibliothèque riche de plusieurs milliers de volumes20.

On trouve dans la bibliothèque du marquis de Méjanes des ouvrages provenant de plusieurs bibliothèques privées : celles du duc de La Vallière, du comte de Lauraguais, des La Vieuville, Fevret de Fontette… Il achète aussi des livres provenant de la bibliothèque des jésuites de Paris, dont les

18 Έτυμολογικὸν μέγα, πόνω δὲ καὶ δεξιότετι Ζαχαρίου καλλιέργου, τοῦ κρήτος, 1499.

19 C’est le cas sans doute de l’édition des prêches d’Ochino par Pietro Perna, dont Méjanes achète un exemplaire ayant successivement appartenu à Fieubet de Naulac, Girardot de Préfond et Floncel, ou du catéchisme provenant de la bibliothèque du duc de La Vallière : Prediche di Bernardino Ochino da Siena, novellamente ristampate & con grande diligentia rivedute & corrette con la sua tavola nel fine, [Bâle, Pietro Perna et Michael Isingrin, ca. 1549] ; La seconda parte delle prediche…, [Bâle, Pietro Perna et Michael Isingrin, ca. 1549] ; La terza parte delle prediche…, [Bâle, Pietro Perna et Michael Isingrin, ca. 1551] ; La quarta parte delle prediche…, [Bâle, Pietro Perna et Michael Isingrin , ca. 1555] ; La quinta parte delle prediche…, Bâle, [Pietro Perna], 1562. Méjanes Rés. D. 130. Il catechismo, o vero institutione christiana di M. Bernardino Ochino da Siena, in forma di Dialogo, interlocutori, il ministro, et illuminato, non mai piu per l’adietro stampato, In Basilea [Pietro Perna], 1561. Méjanes Rés. D. 304. J.‑M. Chatelain, op. cit., notices 37, 38.

20 Prediche di Bernardino Ochino da Siena. Si me persequuti sunt, & vos persequentur, [Genève, Jean Girard], 1542. Méjanes Rés. S. 92.. Sermones de fide Bernardini Ochini Senensis, [Genève, Jean Girard], 1544. Méjanes Rés. S. 90. J.‑M. Chatelain, op. cit., notices 35, 36. L’étude et l’édition de cette bibliothèque sont en cours.

Page 212: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

196 RAPHAËLE MOUREN

livres sont reconnaissables au double phi entrelacé estampé à chaud sur le dos ; les jésuites avaient été bannis de France en 1763 et leurs collèges fermés.

Le marquis achète aussi bien des livres trouvés chez un obscur libraire que des exemplaires ayant appartenu à des bibliothèques importantes, et portant une reliure prestigieuse comme celles des livres de Nicolas Fabri de Peiresc. Les livres du marquis ont souvent des reliures courantes, mais de bonne facture, en particulier des veaux blonds glacés, ornés d’une triple bordure estampée à chaud. Il conserve aussi des livres dans leur reliure d’attente en papier dominoté ou en papier à tapisser. Il a dans sa collection un assez bon nombre de reliures anciennes, provenant de collections remontant au XVIe siècle comme celle de Benoît Le Court21, mais surtout des reliures plus récentes, souvent courantes, parfois somptueuses.

Mais des collections choisies de romans gothiques ou de livres hérétiques ne suffisent pas à constituer une bibliothèque de 80 000 volumes. En dehors de ce « cabinet choisi », de quoi se compose‑t‑elle ? Il est difficile d’en maîtriser le contenu, mais quelques sondages donnent de bonnes informations.

– sur le 16e siècle : qu’en est‑il, par exemple, de l’histoire du livre savant, de la production humaniste ? Tout d’abord, il faut mettre de côté les livres provenant de bibliothèques prestigieuses, comme par exemple les Variarum lectionum libri de Piero Vettori, recouvertes d’une reliure caractéristique de la bibliothèque de Nicolas Fabri de Peiresc, ou l’édition des lettres latines du même Vettori, portant au plat l’écureuil de Fouquet22. Il n’en reste pas moins que l’on trouve chez Méjanes la meilleure édition parue au XVIe siècle de la Poétique d’Aristote23. Il achète nombre de

21 Voir J.‑M. Chatelain, op. cit., chapitre « Amateurs d’autrefois », qui a réuni des livres provenant des bibliothèques de Jean Grolier, Jean Ballesdens, Étienne Baluze, Claude de Beaune, ainsi que d’autres reliures anciennes à la provenance partiellement identifiée.

22 Petri Victorii variarum lectionum libri XXXVIII, ad Alexandrum Farnesium S.R.E. Cardinalem Libri XXV, ad Ferdinandum Medicem S.R.E. Cardinalem libri XIII, Quorum librorum ueteribus editionibus addita sunt quaedam pauca uariata, Florentiae, apud Iunctas, 1582. Méjanes F. 75. Petri Victorii epistolarum libri X, orationes XIIII et liber de laudibus Joannae Austriacae..., Florentiae, apud Iunctas, 1586. Méjanes Res. Q. 159.

23 Petri Victorii commentarii, in primum librum Aristotelis de Arte Poetarum. Positis ante singulas declarationes Græcis uocibus auctoris : iisdemque ad uerbum Latine expressis. Accessit rerum et uerborum memorabilium index locupletissimus, Florentiae, in officina Iuntarum [apud haeredes Bernardi Iuntae], Bernardi filiorum, 1560. Méjanes F. 2738.

Page 213: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Un grand commis bibliophile : le marquis de Méjanes 197

livres imprimés par les plus grands imprimeurs libraires : on a déjà cité un grand in folio de Sébastien Gryphe, mais bien entendu on trouve en bonne position aussi bien les livres d’Aldo Manuzio que ceux de Robert et Henri Estienne. Le marquis de Méjanes achète aussi des livres imprimés dans d’autres pays et dans d’autres langues, sans pour autant rechercher particulièrement le livre exotique. En particulier, il possède les œuvres des principaux auteurs italiens de la fin du Moyen Âge et de l’Humanisme, Dante, Pétrarque, Boccace, Bembo, Aretino, Tasso…

Signe de la reconnaissance de la qualité de cette bibliothèque, celle‑ci fut très rapidement, après la mort du marquis, confié par son nouveau propriétaire, les États de Provence, à un bibliothécaire professionnel : l’abbé Rive, l’ancien bibliothécaire du duc de La Vallière, connu pour son opposition farouche aux bibliothèques bibliophiles et son mauvais caractère, fut le premier bibliothécaire à qui fut confiée cette collection. Il ne s’en occupa absolument pas et mourut peu de temps après.

Page 214: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur ne doit pas être facile à remplir ».

Naissance et formation des bibliothèques particulières de Napoléon Ier

CHARLES‑ÉLOI VIAL

Introduction générale : Napoléon au coeur d’un réseau de bibliothèques

De nombreuses études récentes sur l’administration de la Maison de l’Empereur Napoléon Ier ont profondément renouvelé la connaissance du fonctionnement de la Cour impériale, du quotidien de Napoléon et de son entourage1. Plusieurs concepts ont ainsi été mis en avant afin de bien interpréter les archives de la sous‑série O2 des Archives nationales de Paris, où sont conservés les documents administratifs laissés par la Cour du Premier Empire. Parmi eux, on trouve celui de la mise en réseau, particulièrement important pour comprendre l’organisation et la gestion des palais impériaux des Tuileries, de Malmaison, de Saint‑Cloud, de Rambouillet, de Fontainebleau, de Trianon et de Compiègne, légués par l’Ancien Régime, restaurés et remeublés sous le Premier Empire, qui étaient tous situés dans la région parisienne et où Napoléon vécut entre 1800 et 1815. En effet, même si Napoléon changeait de lieu d’habitation selon les saisons, et s’éloignait fréquemment de la France pour mener ses campagnes militaires, ses palais restaient malgré tout occupés toute l’année par certains services délocalisés de la Cour, dirigés à partir d’une administration centrale installée dans la capitale. Par exemple, le Grand veneur avait ses bureaux à Paris, mais entretenait des gardes‑forestiers

1 Par exemple : LENTZ, Thierry, Nouvelle histoire du Premier Empire, Paris, Fayard, 1999‑2010, 5 t. ; BRANDA, Pierre, Les hommes de Napoléon, 1804‑1815, Paris, Fayard, 2011 ; VIAL, Charles‑Éloi, Les chasses impériales de Napoléon Ier, thèse pour le diplôme d'archiviste paléographe, Paris, École nationale des chartes, 2011, 3 vol.

Page 215: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 199

autour des palais impériaux. Le Grand aumônier disposait de chapelains à demeure, le Grand maréchal du palais dirigeait le concierge du palais et ses subordonnés, le Grand écuyer laissait en permanence une partie de ses écuries sur place, et l’Intendant des bâtiments employait un architecte pour chaque résidence. Et enfin, le bibliothécaire de l’Empereur, installé à Paris, avait sous sa responsabilité des employés installés dans les palais, où des milliers de volumes avaient été disposés à l’usage de Napoléon.

On peut ainsi envisager le fonctionnement de la Cour impériale comme celui d’un réseau. Cette idée évoque, en quelque sorte, l’organisation actuelle des bibliothèques de certains établissements universitaires français qui se partagent entre différents sites, ou encore les bibliothèques municipales des grandes villes, comme Paris ou Lyon, comportant de multiples bibliothèques dirigées depuis une administration centrale.

De nombreux historiens ont évoqué l’histoire des bibliothèques de Napoléon Ier, en se basant sur les témoignages des proches de l’Empereur, et en centrant leurs travaux sur ses lectures et leur influence sur ses décisions ou son comportement2. Il est pourtant possible de proposer une autre grille d’interprétation, plus centrée sur l’administration. Les bibliothèques de Napoléon Ier, réparties dans les différents palais impériaux, peuvent, à l’instar des autres institutions de la Cour, être également envisagés comme un réseau maillant toute l’Île‑de‑France. L’histoire de la constitution de ce réseau de bibliothèques au service de la Cour peut être évoquée à partir de nombreuses sources.

Les nombreux biographes du grand Empereur ont souvent convoqué les témoignages de son bibliothécaire, Antoine‑Alexandre Barbier, et de son archiviste, le baron Fain, pour le mettre en scène dans son intérieur, dans le cadre de son travail de bureau, où les livres étaient omniprésents, mais les sources archivistiques concernant les bibliothèques particulières de Napoléon n’ont été mises au jour et utilisées que récemment : une exposition au château de la Malmaison en 1992 étudia ainsi pour la première fois les archives comptables, et une exposition au château de Fontainebleau en 1997 permit d’éditer un inventaire conservé à la Bibliothèque nationale3.

2 Voir : GUILLOIS, Antoine, Napoléon, l'homme, le politique, l'orateur, d'après sa correspondance et ses œuvres, Paris, Librairie Académique Perrin, 1889, 2 t. ; MOURAVIT, Gustave, Napoléon bibliophile, recherches spéciales de psychologie napoléonienne, Paris, Lecampion, 1905.

3 BENOÎT, Jérémie [dir.], Livres précieux du Musée de la Malmaison, catalogue de l'exposition organisée au âchteau de Malmaison du 27 mai au 15 septembre 1992, Paris, R. M. N. éditions, 1992 ; VÉRON‑DENISE, Danièle, Des livres pour l'exil : la bibliothèque de Napoléon Ier à l'île d'Elbe, catalogue de l'exposition organisée au château

Page 216: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

200 CHARLES‑ÉLOI VIAL

En plus de ces sources, un important ensemble de documents est récemment reparu : les archives du Grand chambellan de Napoléon, vendues et dispersées en 2007, contenaient plusieurs dossiers relatifs aux bibliothèques impériales, qui ont heureusement été microfilmés par les Archives nationales avant de partir pour les États‑Unis. Ce qu’ils révèlent, c’est la mise en place de l’administration des bibliothèques de souverain au début du XIXe siècle. Celles‑ci ne naquirent pas sous le Consulat, ou au début de l’Empire, même si Napoléon se fit constituer à partir de 1800 différentes bibliothèques, au palais des Tuileries, centre du gouvernement, à la Malmaison, résidence préférée de Joséphine, ou à Saint‑Cloud, résidence d’été, et qu’il donna l’ordre d’organiser différentes bibliothèques, pour les ministères, le Conseil d’État, et le Tribunat. C’est plusieurs années après la mise en place de l’Empire que des bibliothèques furent réellement installées au sein de la cour impériale.

L’histoire purement institutionnelle des bibliothèques de Napoléon se décline dont en deux temps : une période de gestation, allant de 1804 à 1807, puis une seconde période, entre septembre 1807 et octobre 1810, qui est celle de la formation des bibliothèques impériales. Les perspectives ouvertes par l’évocation de ces quelques années sont particulièrement larges : le devenir des bibliothèques constituées pour Napoléon traverse tout le XIXe siècle, et joua un rôle essentiel dans le quotidien de la Cour jusqu’à la chute du Second Empire, ce qui montre la valeur du travail accompli en quelques années. L’histoire d’Antoine‑Alexandre Barbier au service de Napoléon montre qu’il était difficile, pour le paraphraser, d’être le « bibliothécaire d’un héros législateur »4, mais aussi qu’un bon bibliothécaire peut arriver à exécuter l’impossible, fut‑ce pour un Empereur au caractère souvent difficile et n’hésitant pas à jeter les livres au feu.

I/ Gestation, hésitations et tribulations

Introduction : des bibliothèques revenues d’ÉgypteSous le Consulat et au début de l’Empire, le bibliothécaire de Bonaparte

fut Louis‑Madeleine Ripault, ancien bibliothécaire de l’Institut d’Égypte, que le tout nouveau Premier Consul avait voulu reprendre à son service à son retour en France, en juillet 1800. Il aménagea les bibliothèques des Trois Consuls au palais des Tuileries, la bibliothèque de la Malmaison en de Fontainebleau du 5 novembre 1997 au 9 février 1998, Fontainebleau, musée national du château de Fontainebleau, 1997.

4 Lettre de Barbier à Fain, Paris, 10 septembre 1807, citée par BARBIER, Louis, « Les bibliothécaires de Napoléon », in Le livre, revue du monde littéraire, a. 4, 1883, p. 3.

Page 217: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 201

1800, puis celle de Saint‑Cloud en 1803. Par la suite, Ripault se retrouva dans l’obligation d’aménager des bibliothèques dans les palais attribués à Napoléon après la proclamation de l’Empire : Rambouillet, Fontainebleau, Compiègne et Trianon.

A) Ripault et les bibliothèques du début de l’EmpireC’est là que l’histoire des bibliothèques impériales se grippe quelque

peu : en 1806, Napoléon donna à Ripault l’ordre d’aménager deux bibliothèques au palais de Fontainebleau, l’une destinée à son propre usage, et une seconde à l’usage de la Cour, et d’installer à Rambouillet une petite bibliothèque donnant sur le jardin.

Sur ces entrefaites, l’Empereur partit en campagne en septembre 1806, laissant ses subordonnés sans direction ferme. À ce moment, Ripault semble avoir peu à peu sombré dans un état dépressif : il jalousait l’abbé Denina, ancien bibliothécaire de Frédéric II de Prusse, que Napoléon avait nommé bibliothécaire honoraire l’année précédente, et à qui il prodigua une retraite dorée. Vexé, il se laissa progressivement absorber par ses travaux littéraires, se déchargeant du soin de choisir des nouveautés littéraires pour Napoléon sur son ami Charles Pougens (1755‑1833), philologue et membre de l’Institut5. La tâche d’aménager ces bibliothèques se révéla d’autant plus pénible que, depuis la Pologne où il s’était installé, Napoléon lui réclamait sans cesse des livres nouveaux pour l’occuper, et qu’il expédiait des ordres toujours plus ambitieux à Paris : il ordonna la restauration complète du palais des Tuileries, imposa deux déménagements successifs du dépôt où Ripault stockait ses ouvrages, à proximité des appartements impériaux au palais des Tuileries. Ripault fut obligé de voir ses livres transportés par « 120 grenadiers faisant la chaîne »6, et il perdit son logement de fonction dans l’affaire. Peu après, Napoléon demanda encore le déménagement de la bibliothèque de Saint‑Cloud.

À ce moment, excédé devant ces travaux, Ripault perdit patience et se retira dans sa maison de campagne près d’Orléans, abandonnant son poste au milieu de l’année 1807. Son dernier acte fut de louer une maison rue du Bac pour installer son dépôt, définitivement chassé de l’enceinte du palais, en laissant le soin du déménagement à son secrétaire7.

5 LOTTIN, Denis, Recherches historiques sur la ville d'Orléans, du 1er janvier 1789 au 10 mai 1800, dédiées à ses concitoyens, et offertes à ce titre à MM. Les maire, adjoints, et conseillers municipaux de la ville d'Orléans, Orléans, Alexandre Jacob, 1840, p. 172.

6 RABANT, Anne‑Marie, « Barbier et la bibliothèque du Conseil d'État » in Bulletin d'informations de l’Association des bibliothécaires français, no 57, 4e trimestre 1967, p. 246.

7 Paris, Archives nationales, 741 Mi, dossier 5, pièce 10, « état de la location d'une

Page 218: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

202 CHARLES‑ÉLOI VIAL

B) La reprise en main par NapoléonSur ces entrefaites, Napoléon revint en France, après 10 mois

d’absence, une campagne victorieuse et un nouveau traité d’alliance signé à Tilsit avec l’Empire russe, ce qui lui permit de se consacrer pleinement aux affaires intérieures. Génie administratif, Napoléon était aussi le pire fauteur de trouble de son administration, ses exigences démesurées faisant souffler un vent de panique parmi ses collaborateurs. Comme de juste, à son retour, Napoléon débordait d’idées, et malmena particulièrement son bibliothécaire par intérim, Bézanger, qui fut mis à rude épreuve : en quelques jours, il fut obligé de prendre la diligence d’Orléans pour aller faire signer des documents à Ripault, d’amener des livres à Rambouillet avant l’arrivée de Napoléon, de déménager la bibliothèque de Saint‑Cloud d’un étage, d’en rédiger le catalogue « sept nuits de suite » sur un ordre « pressé » du Grand maréchal, et de planifier le déménagement du dépôt central8. Un seul homme n’y suffisait pas, d’autant plus que Napoléon avait d’autres idées derrière la tête, et de grands projets politiques : à l’intérieur de France, il supprima le Tribunat, une des deux chambres de l’Empire. En politique extérieure, il maria son frère Jérôme à la fille du roi de Wurtemberg, et le proclama roi de Westphalie. Cet événement devait s’accompagner d’un grand voyage de Cour, à Rambouillet, puis à Fontainebleau. Mais Napoléon s’aperçut, à sa grande stupéfaction, que ses ordres n’avaient pas été exécutés : les rayonnages des bibliothèques des deux palais étaient vides et les pluies automnales arrivaient. Napoléon entrevit le risque que ses invités de marque s’ennuient. Et, de fait, la correspondance de la reine de Westphalie, tout juste mariée, montre que les courtisans trouvèrent le temps long dans le vieux château de Rambouillet, où les hommes passaient leur temps à chasser en laissant les dames à leurs broderies. Dans une de ses lettres, elle compare même le château à une « prison »9. Napoléon commença par faire transporter, en hâte, quelques

partie de maison sise rue du Bac no 32, où le dépôt des bibliothèques de S. M. est placé, laquelle location arrêtée au mois de juin 1807 pour ordres de S. E. Mgr le Grand Maréchal du Palais et de S. A. S. le prince de Bénévent Grand chambellan et par an de la somme de deux mille quatre cent francs. Pour les six derniers mois de l'année dernière est due la somme de 1 200 fr. », signé par Barbier, s. d. [janvier 1808].

8 Arch. nat., 741 Mi, dossier 5, pièce 12, « état de dépenses faites pour le service des bibliothèques de S. M. l'Empereur et Roi par M. Bézanger, attaché aux dites bibliothèques », Paris, 2 novembre 1807.

9 BONAPARTE, Catherine, Briefwechsel der Königin und des Königs Jérome von Westphalen, sowie des Kaisers Napoleon I mit dem Köning Friedrich von Wurttemberg, édités par August von Schlossberger, Stuttgart, W. Kohlammer, 1886, vol. 1, p. 61, lettre de Catherine au roi de Wurtemberg, Rambouillet, 13 septembre 1807.

Page 219: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 203

caisses de livres à Rambouillet. De là, il perdit patience, et dicta plusieurs lettres essentielles, dont la conséquence fut de faire littéralement voler en éclats le cadre des bibliothèques impériales tel qu’il existait alors. Le 27 août 1807, Napoléon réclama tout d’abord pour sa bibliothèque un

« chef en tout. Ce chef sera mon bibliothécaire à moi. Il emportera à la bibliothèque les livres nouveaux qu’il m’aura mis sous les yeux. Et ensuite cela m’évitera d’avoir bibliothèque sur bibliothèque.[...] Il faudrait pour les bibliothèques une forte administration, un homme d’administration qui eût sous ses ordres le nombre d’hommes convenable »10.

C) Un nouveau bibliothécaireLe 12 septembre, Napoléon finit par prendre une grande décision : il

renvoya Ripault et nomma à sa place Barbier11, ancien ecclésiastique, bibliographe et grande figure de la bibliothéconomie de l’époque de la Révolution, toujours connu pour son Dictionnaire des anonymes et pseudonymes, paru en 1806. Il fut sans conteste le « vrai » bibliothécaire de l’Empereur. Selon le baron Fain, secrétaire‑archiviste de Napoléon, « on lui devait les premières bibliothèques qui avaient été tirées du chaos. Le Directoire exécutif lui avait confié le soin de former la sienne ; il en avait créé d’autres. Son Dictionnaire des anonymes et des pseudonymes venait de le mettre au premier rang de nos bibliographes ; enfin, il était bibliothécaire du Conseil d’État »12. En somme, c’était l’homme de la situation, le seul capable de trouver rapidement des livres inattendus ou rares. Son travail au Conseil d’État avait été remarqué par Napoléon13, qui lui avait confié en 1806 le soin de rédiger un projet de bibliothèque pour les Enfants de France14.

10 BONAPARTE, Napoléon, Correspondance publiée par ordre de Napoléon III, Paris, Plon, 1863‑1869, t. VII, p. 554‑555, lettre 13082 de Napoléon à Cretet, ministre de l'Intérieur, Saint‑Cloud, 27 août 1807.

11 La copie du décret de nomination de Barbier, daté du 9 septembre 1807 au palais impérial de Rambouillet, signée par Napoléon, par le ministre d'État Maret, et par le Grand chambellan Charles‑Maurice de Talleyrand, est donnée dans BARBIER, Louis, « Les bibliothécaires de Napoléon », in Le livre, revue du monde littéraire, a. 4, 1883, p. 4.

12 FAIN, Agathon, Mémoires du baron Fain, Paris, Plon, 1908, p. 66‑67.13 Devant une liste de candidats au poste de bibliothécaire du Conseil d'État qu'on

lui présentait, Bonaparte aurait réclamé Barbier en disant : « Je ne vois pas là le nom d'un homme que je trouve toujours à la bibliothèque, et de qui, de quelque livre, de quelque renseignement que j'aie besoin, ne le fait jamais attendre un instant : qu'on l'appelle, c'est lui que je nomme ». Voir : RABANT, Anne‑Marie, « Barbier et la bibliothèque du Conseil d'État » in Bulletin d'informations de l’Association des bibliothécaires français, no 57, 4e trimestre 1967, p. 243.

14 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, ms. N. A. F. 1391, fol. 16‑17, lettre de Barbier à Daru, minute, 9 juin 1806.

Page 220: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

204 CHARLES‑ÉLOI VIAL

Conclusion : Une situation d’urgence À peine nommé, Barbier reçut des instructions précises :

« Comme Sa Majesté se rend incessamment à son palais de Fontainebleau, il est plus pressant que vous preniez connaissance de cette bibliothèque. Outre la bibliothèque du Cabinet de Sa Majesté, qui est pleine et complète, on a construit dans ce palais, pour le service de Sa Majesté, de ses ministre et de la Maison, une grande bibliothèque. Sa Majesté y a destiné les livres de l’ancienne bibliothèque du Conseil d’État ; elle désire que vous les fassiez partir et arranger de suite ; elle désire aussi que vous envoyiez au même endroit les livres de la bibliothèque du Tribunat ».15

Chateaubriand disait de Napoléon qu’il avait fait échanger à Joseph Bonaparte et à Murat les trônes de Naples et d’Espagne comme deux conscrits qui ont changé de shako, mais il fit de même avec ses bibliothèques : dans un véritable chassé croisé, la bibliothèque du Tribunat devait passer au Conseil d’État, et celle du Conseil d’État devait être transférée à Fontainebleau, après un tri préalable. Barbier, qui avait rédigé le catalogue de la bibliothèque du Conseil d’État, imprimé en 1803, était le seul connaissant suffisamment bien les collections pour mener à bien ce travail.

Probablement à la grande satisfaction de Napoléon, Barbier fut très efficace. Dans l’urgence, il para au plus pressé : éviter que les courtisans s’ennuient. Réagissant rapidement à sa nomination du 12 septembre, Barbier commença par assurer l’encaissement et le déménagement des livres à Fontainebleau, du 14 septembre au 31 octobre, en se faisant aider d’un vacataire, de quatre commis et trois hommes de peine, au cours de 15 convois16 depuis Paris. La magnifique bibliothèque aménagée pour les

15 Lettre de Duroc, Grand maréchal du palais, à Barbier, Rambouillet, 12 septembre 1807, citée par BARBIER, Louis, « Les bibliothécaires de Napoléon », in Le livre, revue du monde littéraire, a. 4, 1883, p. 5.

16 Arch. nat., 741 Mi, dossier 5 : « 1er état de la dépense occasionné par l'encaissement à Paris et le transport au palais impérial de Fontainebleau des livres composant les bibliothèques du Conseil d'État et du Tribunat à dater du 14 septembre 1807 jusqu'au 30 du même mois inclusivement. Le tout exécuté par je, bibliothécaire de Sa Majesté l'Empereur et Roi, en vertu d'une lettre de S. Excellence M. le Grand maréchal du Palais, datée de Rambouillet le 12 septembre 1807. Payé au Sr Godefroy, pour 3 jours à Paris : 36 [fr.] ; pour 14 journées à Fontainebleau : 240 [fr.] ; 4 commis, 4 hommes de peine, pour 3 voyages. Au layeteur pour fourniture de 29 caisses ferrées et le ferrement de vieilles caisses. Au menuisier qui raccommode les caisses après chaque voyage, pour le transport des anciennes caisses aux galeries du Louvre où les livres sont déposés et le chargement

Page 221: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 205

courtisans dans l’ancienne chapelle Saint‑Saturnin, construite sous François Ier, fut ainsi pleine de livres avant la fin du séjour de la Cour.

II/ Les bibliothèques impériales : une renaissance

Introduction : des bibliothèques en ébullition

Peu après cette première réussite, il fallut faire le bilan de l’administration précédente et remettre un peu d’ordre dans les bibliothèques : les livres avaient été déménagés en catastrophe, et devaient être inventoriés. Le déménagement du dépôt des Tuileries vers la rue du Bac devait aussi être mené à bien, ce qui occupa la fin de l’année.

Au palais des Tuileries, centre du gouvernement de l’Empire, le cabinet de travail de Napoléon fut définitivement aménagé au début de 180817, en même temps qu’un arrière‑cabinet où des corps de bibliothèque et des livres furent placés en février18. Ce premier réaménagement n’était qu’un coup d’essai. À partir de 1808, toutes les bibliothèques furent en ébullition.

Napoléon ordonna peu après l’aménagement de deux nouvelles bibliothèques au palais de Compiègne, avec une idée bien précise en tête : comme il s’agissait du lieu d’exil choisi pour Charles IV, roi détrôné d’Espagne, il fallait de quoi l’occuper, mais aussi matérialiser la présence de l’Empereur : l’ébéniste Jacob fut ainsi chargé d’aménager la plus belle bibliothèque possible pour servir de bureau à Napoléon, tandis qu’une autre bibliothèque fut aménagée pour les invités.

Fin 1809, Napoléon décida aussi de s’installer à Trianon, dont il fit un palais de campagne et où il donna des ordres afin qu’on lui établît une bibliothèque19, dont le devis fut approuvé quelques mois plus tard,

des différentes voitures. Pour voyage extraordinaire à Paris le retour et l'auberge avant que j'eusse obtenu une chambre dans le palais de Fontainebleau : 41 [fr.]. Pour différents paquets de livres reçus par la diligence. Total : 1733, 65 fr. ». Paris, 2 novembre 1807, signé Barbier. ; « second état de la dépense occasionnée par l'encaissement à Paris et le transport au palais impérial de Fontainebleau des livres composant les bibliothèques du Conseil d'État et du Tribunat à dater du 1er octobre jusqu'au 31 dudit inclusivement », pour 1 884, 30 francs, signé par Barbier le 2 novembre 1807 ».

17 FONKENELL, Guillaume, Le Palais des Tuileries, Paris, Honoré Clair, Cité de l'architecture et du Patrimoine, 2010, p. 150 à 152.

18 Bib. nat., dépt. des manuscrits, ms. N. A. F. 1391, fol. 138, lettre de Duroc, Grand maréchal du Palais, à Barbier, Paris, 17 février 1808.

19 Arch. nat., O2 516, dossier 4, pièce 2 et 3, lettre de Duroc à Daru, Paris, 25 décembre 1809, et liste des travaux demandés par l'Empereur.

Page 222: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

206 CHARLES‑ÉLOI VIAL

en mars20, et où les livres furent installés à partir de l’été 1810 et jusqu’à l’année suivante21.

A) La mise en place du réseau Peu après sa prise de fonction, Barbier rendit un rapport sur les

bibliothèques impériales, dont il tira un règlement, approuvé par Napoléon le 21 avril 1808. Il engagea ensuite des vacataires destinés à l’aider dans sa tâche. La production documentaire de cette époque, et particulièrement les mémoires de remboursement de trajet des employés des bibliothèques, permettent de reconstituer l’activité des aides‑bibliothécaires impériaux entre Paris, Fontainebleau, Compiègne, et Rambouillet.

Le premier, aide engagé par Barbier, un ancien libraire du nom de Gaudefroy fut occupé à partir de juin 1808 à choisir dans la bibliothèque du Tribunat les ouvrages dignes de l’Empereur22.

Le propre neveu de Barbier, Barbier jeune, fut employé à la même tâche du 25 juillet au 13 août, puis plaça les livres à Fontainebleau du 24 août au 16 septembre. Les 17 et 18 septembre, il choisit au Tribunat des brochures à faire relier, qu’il plaça ensuite dans le cabinet de Compiègne jusqu’au 30 septembre23, avant d’en rédiger le catalogue jusqu’au 25 octobre 1808, puis de de rédiger celui du cabinet des cartes des Tuileries et de la bibliothèque de voyage avant le départ de Napoléon pour la campagne d’Espagne24. Dans le même temps, à Fontainebleau, du 29 août au 30 septembre, Gaudefroy s’occupait de

« choisir des livres dans la grande bibliothèque de ce palais pour compléter et réorganiser celles des deux cabinets de Sa Majesté qu’à en faire le classement sur les tablettes et à commencer le catalogue de tous les articles ajoutés dans les dits deux cabinets conformément au cadre et au premier catalogue que j’en ai dressé et qui a été mis au net »25.

20 Arch. nat., O2 243, dossier II « février 1810 », lettre de Costaz à Trepsat, 23 février 1810.

21 Arch. nat., 741 Mi, dossier 5, pièces 158 et 159 : « état des avances faites par M. Barbier... », Paris, 29 août 1811.

22 Arch. nat., 741 MI, dossier 6, mémoire de paiement de Gaudefroy, Paris, 27 juin 1808.

23 Arch. nat., 741 Mi, dossier 5, mémoire de paiement de Barbier jeune, Compiègne, 30 septembre 1808.

24 Arch. nat., 741 Mi, dossier 5, pièces 53 et 55, mémoires de paiement signés « Barbier jeune », Compiègne, 25 octobre 1808 et Paris, 31 décembre 1808.

25 Arch. nat., 741 Mi, dossier 5, pièces 54, mémoire de paiement de Gaudefroy, Fontainebleau, 1er octobre 1808.

Page 223: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 207

Du 1er au 6 novembre, il revint à Fontainebleau pour rédiger une copie du catalogue. Du 25 octobre au 30 novembre, Barbier jeune s’occupait quant à lui à

« faire la table des catalogues de la bibliothèque de Compiègne, à choisir à la bibliothèque du Tribunat les articles à remplacer dans la grande bibliothèque de Fontainebleau et enfin à transcrire le catalogue des livres qui composent le cabinet de S. M. sur un volume de format portatif depuis le 25 octobre jusqu’au 30 novembre 1808 »26.

Barbier supervisait tout ce travail. C’est lui qui se chargeait d’établir les cadres de classement auquel les employés se conformaient. Il vint aussi en inspection27, malgré sa phobie des voyages28. Les mémoires de paiement révèlent qu’il ne se chargeait que des livraisons de livres dans les résidences les plus proches de Paris29, s’en remettant aux employés pour les autres.

B) Le ménage administratif En février 1809, le relieur Martin se plaignit pour un mémoire de

paiement non réglé30. Après avoir rejeté la faute sur Ripault, qui tenait mal ses registres, et sur le chambellan Rémusat, qui avait négligé de signer le document, Barbier mena une enquête interne. Un autre rapport, adressé au nouveau Grand chambellan, permit à Barbier de rédiger un second règlement, qui établissait le poste de conservateur des bibliothèques de Fontainebleau, et renvoyait Bézanger, comme « ayant donné de justes sujets de mécontentement »31. À sa place, Barbier proposa son neveu, dans un rapport faisant le point sur l’état des bibliothèques32. Le travail de rédaction

26 Arch. nat., 741 MI, dossier 6, mémoires de paiement de Gaudefroy, Paris, 28 novembre 1808, et de Barbier jeune, Paris, 30 novembre 1808.

27 Arch. nat., 741 Mi, « état des avances faites par M. Barbier, bibliothécaire de Sa Majesté », Paris, 31 octobre 1808 : on t retrouve des voyages à Compiègne et à Fontainebleau.

28 Homme d'habitudes, Barbier ne supportait pas de voir son quotidien bouleversé. Voir : RIBERETTE, Pierre, « Charles Rémard, poète et bibliothécaire (1766‑1828) » in Bulletin d'informations de l’Association des bibliothécaires français, no 54, 1er trim. 1967, p. 31.

29 Saint‑Cloud, Malmaison, Rambouillet, selon un mémoire de paiement. On peut sans doute y rajouter Trianon. Voir : Arch. nat., 741 Mi, « état des avances faites par M. Barbier, bibliothécaire de Sa Majesté », Paris, 31 octobre 1808.

30 Arch. nat., 741 Mi, dossier 2, rapport de Barbier au comte de Montesquiou, Paris, 28 février 1809, minute.

31 Arch. nat., 741 Mi, dossier 2, « projet de règlement relatif aux bibliothèques de S. M. », s. d. [mars 1809].

32 Arch. nat., 741 Mi, dossier 2, rapport de Barbier au comte de Montesquiou, Paris, 15 février 1809, minute.

Page 224: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

208 CHARLES‑ÉLOI VIAL

des catalogues reprit, en commençant par une « minute sur cartes »33, puis par un inventaire du dépôt de la rue du Bac, à partir d’avril. Retardé par ses autres tâches, Barbier jeune mit plus d’un an à achever ce travail. En 1807, son quotidien au service des bibliothèques de l’Empereur se répartissait entre ces différentes tâches :

« 1o : Le timbrage des nouveautés et des libres offerts en hommage, leur intercallation bulletinées à fur et à mesure de leur entrée au dépôt ; 2o : Le terme du registre des reliures ; 3o : La vérification et la préparation du visa des mémoires de dépenses ; 4o : Les soins que demandent le Moniteur, le Bulletin des Lois et les autres journaux pour les tenir au complet dans les palais impériaux et dans le dépôt ; 5o : L’état des livres envoyés à Fontainebleau et à Compiègne pour le complément des cabinets ; 6o : Le placement et les catalogues des livres du nouveau cabinet des Tuileries ; 7o : Un voyage à Fontainebleau au mois de septembre pour préparer et faire approprier les livres du cabinet ; 8o : Enfin le départ des livres envoyés à S. M. l’Empereur lorsqu’Elle est en voyage ».34

Ce gros travail de déménagement et de catalogage rétrospectif de l’ensemble des collections, prit deux ans à l’équipe de Barbier et ne s’acheva qu’en 1810. Il s’accompagna d’une mise au pas administrative. En effet, Barbier imposa un effort de rigueur dans la tenue des registres et la gestion des budgets, et rendit obligatoire l’application des normes de gestion mises en place par Napoléon.

Selon l’usage comptable de la Maison de l’Empereur, chaque achat était effectué sur un budget précis, et donnait lieu à la rédaction d’un mémoire de paiement, visé par le prestataire, et la hiérarchie. Dans la théorie, un mémoire de paiement pour un achat de livres aurait donc dû être signé successivement par le libraire, le bibliothécaire de l’Empereur, le Grand chambellan, Talleyrand, l’Intendant de la Maison de l’Empereur, Daru, et le Trésorier, Estève. Dans la pratique, ces personnages importants se firent suppléer pour la signature des documents comptables : Talleyrand se fit remplacer par un chambellan, Rémusat et Daru par un chef de bureau35.

33 Arch. nat., 741 Mi, dossier 2, lettre de Barbier au comte de Montesquiou, Paris, 3 juillet 1809, minute.

34 Arch. nat., 741 Mi, dossier 2, rapport de Barbier jeune au comte de Montesquiou, Paris, le 31 décembre 1809, minute.

35 Les cartons O2 47 et 48 aux Archives nationales conservent la majorité de ces

Page 225: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 209

Ce système mis en place, les bibliothèques entrèrent dans une période de stabilité administrative et humaine, et prirent leur visage définitif jusqu’au départ de Barbier, qui fut congédié par Louis XVIII en 1822.

C) Barbier, au service de Napoléon ? Il faut dire un mot d’une des autres réussites de Barbier : la gestion

des bibliothèques de campagne de l’Empereur. Napoléon avait l’habitude d’emmener avec lui des livres, mis en caisse. Dans ce cas, Barbier mena à bien sa mission, mais son tour de force fut surtout de calmer l’impatience de Napoléon. Ce dernier se plaignait souvent de la mauvaise qualité des livres qui étaient placés dans ses caisses, comme lors de la campagne de 180936. En juin 1809, depuis Vienne occupée par les troupes françaises, il fit écrire à Barbier qu’il désirait porter le nombre de volumes de sa bibliothèque de voyage à 3 000, tous en in‑18, « comme la collection in‑18 du Dauphin »37. Napoléon prévoyait que les « trois mille volumes seroient placés dans trente caisses ayant trois rangs, chaque rang contenant trente‑trois volumes », et il comptait diviser les ouvrages en cinq catégories :

« 1o : Chronologie et Histoire universelle ;2o : Histoire ancienne par les originaux, et Histoire ancienne par les modernes ;3o : Histoire du Bas‑Empire, par les originaux, et Histoire du Bas‑Empire, par les modernes ;4o : Histoire générale et particulière, comme l’essai de Voltaire, etc. ;5o : Histoire moderne des États de l’Europe, de France, d’Italie, etc. »38

Napoléon prévoyait d’établir une seconde bibliothèque de même

mémoires de paiement, concernant les achats de livres et d'estampes neufs et anciens, les frais de reliure et ceux liés aux souscriptions, ainsi que quelques quittances de paiement pour la fin de l'Empire, que les intéressés devaient conserver, mais qu'ils n'eurent probablement pas le temps de chercher.

36 BONAPARTE, Napoléon, Correspondance publiée par ordre de Napoléon III, Paris, Plon, 1863‑1869, t. XIX, p. 5, lettre no 15209 à Barbier, Schœnbrunn, 14 mai 1809.

37 Napoléon pensait ici à la collection imprimée par Didot à la demande de Louis XVI pour l'éducation de son fils. Ces ouvrages « ad usum delphini » étaient tous imprimés en in‑18. Le comte d'Artois, frère de Louis XVI, se fit également constituer une collection en in‑18 qui comportait 64 volumes. On voit donc que la démarche de Napoléon s'inscrivait dans une continuité avec les habitudes bibliophiliques des princes de la fin de l'Ancien Régime. Voir : Galerie historique des contemporains, ou nouvelle biographie, Bruxelles, Auguste Wahlen, 1818, t. 4, p. 203, art. Didot (François‑Ambroise).

38 Lettre de Méneval à Barbier, Schœnbrunn, 12 juin 1809, citée par BARBIER, Louis, « Napoléon et ses bibliothèques », in Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, no 5, mai 1842, p. 264.

Page 226: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

210 CHARLES‑ÉLOI VIAL

importance pour l’histoire naturelle, les voyages et la littérature. À terme, il aurait pu emmener, dans ses déplacements, plus de 6 000 volumes, soit plus que ce dont il disposait aux Tuileries.

Sur l’ordre de Napoléon39, Barbier, assisté de Jacques‑Claude Beugnot, historien et homme politique, fut chargé de réunir une commission qui rédigea en quelques mois un catalogue de 3 444 ouvrages répartis en cinq catégories formant une « bibliothèque napoléonienne » imprimée en « volumes in‑12 de 5 à 600 pages d’épaisseur »40.

Barbier rendit en novembre 1809 un rapport sur l’établissement de cette bibliothèque portative : il exposa le plus respectueusement possible à l’Empereur qu’il était impossible de suivre le plan projeté, en raison du manque de travaux dans certains domaines. Il proposa de diviser la bibliothèque en trois sections, d’histoire civile, militaire et religieuse. Plus inquiétant pour Napoléon, Barbier esquissa le montant d’une telle bibliothèque : l’impression de 3 000 volumes en in‑18, à 50 exemplaires chacun, reliés en veau, devait coûter 4 080 000 francs. Pour 355 000 francs de plus, il proposait de les relier en maroquin. Il comptait encore un million pour la réalisation des cartes, 10 000 francs pour des caisses en acajou. Avec l’aide de 120 compositeurs, 25 hommes de lettres, un imprimeur, il espérait imprimer un volume et demi par jour, soit 500 volumes par an, et donc produire les 3 000 volumes en six ans.41 Ce projet démesuré doit presque être considéré comme de l’ironie de la part de Barbier, qui se doutait que jamais une telle dépense ne serait envisagée par Napoléon, qui voyait tout à l’économie et à court terme. Mais ce cette façon, il réussit à mettre un frein aux ambitions démesurées de Napoléon, en lui faisant comprendre que les bibliothèques ne fonctionnent pas au son du tambour, mais qu’elles ont besoin de temps pour s’élaborer.

39 Napoléon avait ordonné « qu'un certain nombre d'hommes de lettres, gens de goût, fussent chargés de revoir ces éditions, de les corriger, d'en supprimer tout ce qui est inutile comme notes d'éditeurs, tout texte grec ou latin ; ne conserver que la traduction française. Quelques ouvrages seulement italiens, dont il n'y aurait pas de traduction, pourraient être conservés en italien ». Voir : GUILLOIS, Antoine, Napoléon, l'homme, le politique, l'orateur, d'après sa correspondance et ses œuvres, Paris, Librairie Académique Perrin, 1889, t. 2, p. 490.

40 La commission regroupait, outre Beugnot, Delambre, Cuvier, Defait [?], Dacier, Nougarède et Barbier. La répartition des ouvrages était de 132 titres pour la théologie, 144 pour la jurisprudence, 606 pour les sciences et arts, 654 pour les belles‑lettres, 1 938 pour l'histoire, soit 3 344 titres. Voir : Arch. nat., 40AP 24, « projet de bibliothèque napoléonienne », 1809.

41 BARBIER, Louis, « Napoléon et ses bibliothèques », in Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, no 5, mai 1842, p. 263‑273.

Page 227: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 211

Conclusion : le bilan après trois annéesEn 1810, Napoléon ne fit pas la guerre, il se remaria et eut le temps de

visiter chacun de ses palais : il alla à Trianon, à Rambouillet, à Compiègne pour la première fois, puis enfin à Fontainebleau. Dans chacun d’eux, il trouva une bibliothèque parfaitement aménagée, prête à l’accueillir, avec un catalogue sur son bureau. En octobre 1810, à Fontainebleau, Barbier eut la joie de le haranguer lors de l’inauguration de la grande bibliothèque de Fontainebleau. En véritable homme du Premier Empire, et probablement à la grande satisfaction de Napoléon, il plaçait la bibliothèque du château sous deux auspices : l’héritage de la librairie des rois de France, en faisant de Napoléon le continuateur de l’oeuvre de ses prédécesseurs, et celui des Lumières, avec la mise à la disposition des courtisans d’une bibliothèque encyclopédique, issue de l’esprit des Lumières42. Ainsi, à partir de 1810, Barbier put sans doute se reposer quelques temps.

Conclusion générale : l’œuvre de Barbier au XIXe siècle

En guise de conclusion, il est possible de tracer quelques perspectives montrant que l’œuvre de Barbier fut durable. Après 1811, Barbier se fit assister de deux bibliothécaires destinés à assurer le bon fonctionnement du réseau. À Fontainebleau, ce fut Charles Rémard, poète licencieux et sans le sou, mais qui avait manifesté le souci de la bonne conservation des livres, qu’il était prêt à protéger de la poussière et de l’humidité pourvu qu’on le protège, lui, de ses créanciers. À Compiègne, ce fut Gaspard Escuyer, imprimeur‑libraire, connu comme historien local. Barbier visita ces deux employés tous les ans, en leur amenant des caisses de livres.

À la fin de l’Empire, le travail des bibliothèques continua comme si de rien n’était, ou presque : il fallut reconstituer la bibliothèque de campagne que Napoléon perdit en Russie et s’accommoder de quelques coupes dans le budget.

En 1814, en pleine campagne de France, Barbier se chargeait encore de livrer des romans à Marie‑Louise. Ce n’est qu’au moment de l’abdication de Napoléon que les choses semblèrent se gâter quelque peu : la bibliothèque de Compiègne fut bombardée, celles des Tuileries, de Saint‑Cloud et de Rambouillet furent pillées, et Napoléon emmena une partie de celle de Fontainebleau en exil. Cela fut vite réparé. Barbier s’empressa de faire sa soumission à Louis XVIII, et lui resta fidèle, mis à part le bref intervalle des

42 Bib. nat., dépt. des manuscrits, ms. N. A. F. 21608, fol. 1 à 4, discours de Barbier à Napoléon, 10 octobre 1810.

Page 228: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

212 CHARLES‑ÉLOI VIAL

Cent‑Jours. Le Roi accepta de conserver l’aigle impériale sur les reliures, après s’être fait expliquer par Barbier que cela aurait coûté trop cher de toutes les refaire. Il accorda, dans les premières années de la Restauration, des suppléments de budget afin de reconstituer les pertes de livres43. En 1818, un grand inventaire permit de mettre à jour tous les catalogues44. Barbier ne prit sa retraite qu’en 1822. À cette date, les bibliothèques continuèrent de fonctionner de la même façon, et la bibliothèque du Louvre, dont Napoléon avait esquissé le projet, qui rassemblait les livres des collections royales et ceux du Conseil d’État, ouvrit en 1818 et connut un essor rapide, jusqu’à devenir une des plus belles bibliothèques de France sous le Second Empire.

Les bibliothèques des palais furent utilisées jusqu’en 1870 par tous les souverains français, ainsi que par leur entourage, et les catalogues dressés sous le Premier Empire furent complétés, surchargés, et progressivement remplacés sous la Monarchie de Juillet. Napoléon III fit réaménager la bibliothèque des invités du château de Compiègne, et fit déménager celle de Fontainebleau dans la Galerie de Diane.

Néanmoins, toutes les belles choses ont une fin : en 1870, les Tuileries, la bibliothèque du Louvre et celle de Saint‑Cloud furent brûlées. Peu après, le restant des bibliothèques de Rambouillet et de Trianon furent installées à l’Élysée, où on peut encore les voir sur les photographies officielles de nos présidents.

La bibliothèque de Compiègne, qui avait prêté des livres de 1813 jusqu’en 1876 fut dispersée entre plusieurs institutions, dont la bibliothèque Sainte‑Geneviève, la bibliothèque Mazarine et la Bibliothèque nationale de France,

Seule survivante des bibliothèques créées par Barbier sous l’Empire, la bibliothèque de Fontainebleau est toujours en place. Lointain héritage de la volonté de Napoléon de disposer d’une bibliothèque de prêt dans ses palais, elle continua à prêter des livres jusqu’en 1924, et témoigne, encore aujourd’hui, de la réussite de Barbier, qui mit en place, en moins de trois ans, un réseau de bibliothèques utilisé par les souverains français durant tout le XIXe siècle.

43 Arch. nat., O3 561, ordonnances 235 du 10 mars 1818 et 288 du 16 octobre, portant chacune ouverture d'un supplément de 6 000 francs pour le budget des bibliothèques.

44 Arch. nat., O3 562, ordonnance 269 du 4 juillet 1818 portant ouverture d'un supplément de crédit pour le paiement du travail des inventaires des bibliothèques.

Page 229: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur... 213

Bibliographie sélective :

BARBIER, Louis, « Napoléon et ses bibliothèques », in Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, no 5, mai 1842, p. 263.

______, « Les bibliothécaires de Napoléon », in Le livre, revue du monde littéraire, a. 4, 1883, p. 5.

BRANDA, Pierre, Les hommes de Napoléon, 1804‑1815, Paris, Fayard, 2011.BONAPARTE, Napoléon, Correspondance publiée par ordre de Napoléon III,

Paris, Plon, 1863‑1869, XXXII vol.FAIN, Agathon, Mémoires du baron Fain, Paris, Plon, 1908.FONKENELL, Guillaume, Le Palais des Tuileries, Paris, Honoré Clair, Cité de

l’architecture et du Patrimoine, 2010.GUILLOIS, Antoine, Napoléon, l’homme, le politique, l’orateur, d’après sa

correspondance et ses œuvres, Paris, Librairie Académique Perrin, 1889, 2 t.LENTZ, Thierry, Nouvelle histoire du Premier Empire, Paris, Fayard, 1999‑2010,

5 t.MOURAVIT, Gustave, Napoléon bibliophile, recherches spéciales de psychologie

napoléonienne, Paris, Lecampion, 1905.RABANT, Anne‑Marie, « Barbier et la bibliothèque du Conseil d’État » in

Bulletin d’informations de l’Association des bibliothécaires français, no 57, 4e trimestre 1967, p. 243.

RIBERETTE, Pierre, « Charles Rémard, poète et bibliothécaire (1766‑1828) » in Bulletin d’informations de l’Association des bibliothécaires français, no 54, 1er trim. 1967, p. 31.

Page 230: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles d’Europe

au XIXème siècle

ANDREA DE PASQUALE

La présence d’éditions bodoniennes caractérise la majorité des bibliothèques des nobles et des grands bourgeois entre le XVIIIème et le XIXème siècle. Le succès de la production éditoriale de l’imprimeur Jean‑Baptiste Bodoni fut immense. Dans toute l’Europe, les riches se sont livrés à une concurrence féroce afin de réunir la collection la plus complète de ces éditions. Bodoni même n’hésitait pas à offrir aux puissants ses chef‑d’œuvres dans l’espoir d’obtenir faveurs et gratifications.

Cette mode se poursuivit durant tout le XIXème siècle, ne concernant pas seulement les bibliophiles, mais aussi les bibliothèques publiques, lesquelles constituèrent souvent des fonds spécifiques, la plupart du temps, grâce à l’acquisition de livres qui faisaient partie à l’origine de collections particulières.

On remarque, chez les acquéreurs, une certaine propension à l’espoir utopique de posséder la totalité de la production éditoriale de Bodoni. À Parme Angelo Pezzana, bibliothécaire de la Bibliothèque de Parme, animé du vif désir de reconstruire les annales de l’imprimerie de Bodoni et d’enrichir la Bibliothèque de nouvelles éditions, ne se limita pas seulement à recueillir la totalité des éditions imprimées, mais aussi toutes les émissions possibles de ces mêmes éditions.

Nous savons que Bodoni produisait des éditions d’une même œuvre dans des formats différents, parfois avec des variations de caractères et d’interlignes, à tel point que, selon Pezzana, dans une entrevue donnée à un certain Formenti, «per formare una collezione intiera delle edizioni bodoniane io non reputo necessario di acquistare un esemplare di ciascuna edizione in ciascuna carta diversa, o in altra materia: bensì reputo che

Page 231: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles... 215

debba aversi un esemplare in ciascun sesto dell’opera stessa, quando vi è diversità di edizione, non già quando la stessa composizione di stampa si applica a carta piegata in sesto diverso, o a carta del sesto medesimo, ma di minore o maggiore dimensione, vale a dire in 4° grande, o in 4° piccolo, in foglio grande, o in piccolo»1.

A cela il faut également ajouter les émissions sur parchemin et sur soie qui, étant donné leur extrême rareté, sont un rêve pour ces bibliophiles qui à partir des années 1820 pouvaient consulter les catalogues relatifs à ce type d’émissions rédigés par Joseph Basile Bernard Van Praet et publiés entre 1824 et 18282. Dans ces années‑là, les libraires, comme les frères De Bure, signalaient avec emphase dans les catalogues de ventes, l’existence de volumes imprimés sur ces supports particuliers dans le but d’attirer la curiosité des bibliophiles.

Les principales collections d’éditions bodoniennes au début du XIXème

siècle

Dès les premières années suivant la mort de Bodoni et d’après le témoignage du biographe Giuseppe De Lama, «Undici Collezioni Bodoniane gioverà forse qui riferire tra le più complete d’Italia, e sono. 1.° Le due offerte da Bodoni a S. A. il Principe Eugenio ed al già Re di Napoli Gioachino. 2.° Quelle regalate da esso alla Città di Saluzzo, ai Signori Vincenzo Jacobacci e Gaetano Ziliani, ed a me, le quali la Vedova ha dipoi accresciute delle cose mancanti. 3.° Quella che il Sig. Franc. Rosaspina cedette al suddetto Re. 4° Quella del defunto Sig. Aloat Piemontese, Pagatore sotto il Governo Francese delle Imp. Dogane di questi Ducati, l’unica in cui quasi tutte si trovino le edizioni che furono tirate in carta d’Anonnay. 5.° Quella della pubblica Libreria Parmense, ampliata di molto per le cure dell’attuale egregio suo Bibliotecario Sig. Angelo Pezzana. 6.° Per ultimo le due Raccolte più delle precedenti copiose in foglietti volanti, l’una posseduta dal Sig. Antonio Pasini, l’altra lasciata dal Sig. Francesco Baroni Segretario della Contabilità. Queste Collezioni formate dal Sig. Giuseppe Delmastro Torinese a cui Bodoni aveva affidata la cura de’ suoi

1 a. De Pasquale, Angelo Pezzana, direttore della Biblioteca Parmense, e la ricostruzione degli annali bodoniani, «Il bibliotecario», III serie, gennaio‑agosto 2010, n. 1/22, pp. 173‑188.

2 J. b. van Praet, Catalogue des livres imprimés sur vélin, qui se trouvent dans la Bibliothèque du Roi, Paris, chez de Bure frères, 1822‑1828, 6 vol. Catalogue des livres imprimés sur vélin, qui se trouvent dans des Bibliothèques tant publiques que particulières, Paris, chez de Bure frères, 1824‑1828, 4 vol.

Page 232: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

216 ANDREA DE PASQUALE

magazzini, tanto più sono pregevoli in quanto che diverse edizioni di esse sono esaurite interamente»3.

A partir des années 1820, la majorité de ces collections, furent dispersées. On croit, en effet, que «quelle di Jacobacci, del Pasini, del Baroni e del medesimo De Lama, morti che furono, vennero date via alla spicciolata, ed i semplici fogli, ond’erano le più copiose, laceri o compri a peso da rivenduglioli. E mi fa credere, ed è da credere, noto essendo a tutti lo spregio che suolsi mai sempre fare in Francia delle glorie italiane […] che anche le due, o tre che fossero, passate in Francia, quasi a maniera di vilipendio venissero per minuto malamente vendute. Delle due del Re Murat, una delle quali ebbe ad appartener prima a quel infaticabile incisore, che fu Francesco Rosaspina, e di quella dal Bodoni donata alla città di Saluzzo, ben avventurata sua patria, cercatone io novelle, ne ebbi, che finito di vivere il Bodoni, non fu più mai pensato né di compirle, né di accrescerle. Quella del Ziliani, che per quanto mi si assicura, forse non toccava dei quattro quinti delle opere più comuni pel tempo in cui venne formata, ed era altresì molto difettosa di fogli volanti, fu pero non è un pezzo venduta»4.

Le même sort fut réservé aux autres collections de Aloat et de Baroni dont la bibliothèque fut vendue par sa veuve Maddalena Provinciali en 18175. Le recueil de Jacobacci était encore complète en 1819, lorsque Angelo Pezzana, directeur de la Bibliothèque de Parme, essaie d’en acheter quelques ouvrages6.

Nous ne savons également que peu de choses de la bibliothèque du vice‑roi Eugène de Beauharnais (1781‑1824) qui invita Bodoni à s’établir à Milan pour diriger la très riche Imprimerie Nationale qui fut en partie vendue en 19357. Dans cette collection se trouvait une copie de l’Oratio

3 g. De lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni italiano e catalogo cronologico delle sue edizioni, Parma, dalla Stamperia Ducale, 1816, vol. II, pp. [XI‑XII].

4 a. mortara, Catalogo cronologico della collezione bodoniana la più ricca di quante mai furono e sono, Parma, dalla tipografia e litografia di G. Ferrari e figli, 1879, pp. V‑VI.

5 La collezione delle edizioni bodoniane di proprieta del fu sig. Francesco Baroni [...], [Parma, il 20 marzo 1817]. Il s’agit de l’appel d’offre.

6 a. De Pasquale, Angelo Pezzana, cit.7 Bibliothèque Eugène de Beauharnais. Bibliothèque des Ducs de Leuchtenberg.

Vente aux enchères le 23 et 24 mai 1935 à Zurich, Basel, Braus‑Riggenbach Vorm. Henning Oppermann; Milano, Ulrico Hoepli libreria antiquaria, [1935]; La Biblioteca di Eugenio de Beauharnais vicerè d’Italia. Parte II Scienza letteratura storia viaggi arte costumi legislazione militaria napoleonica legature. Esposizione: dal 12 al 19 novembre. Vendita all’asta: 20‑21‑22 novembre alle ore 21,15 nelle sale della Libreria antiquaria

Page 233: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles... 217

Dominica que le bibliothécaire de Parme, Angelo Pezzana, réussit à obtenir grâce au maréchal Pérignon en 1808. Ce dernier la demanda à Beauharnais qui en avait acheté tous les exemplaires8 ainsi qu’une des deux copies de l’Iliade imprimées sur parchemin. Cette dernière fut achetée aux enchères à Berlin en 1929 par le Ministero dell’Educazione Nazionale d’Italie, sur suggestion du directeur Antonio Boselli, et donnée, par la suite, à la Biblioteca Palatina de Parme9.

En revanche, la collection du roi Gioacchino Murat (1767‑1815), qui avait acquis celle du graveur Francesco Rosaspina (1762‑1841), fut en partie donnée par le roi à la Bibliothèque Royale de Naples (aujourd’hui Biblioteca Nazionale)10. Est également connue, dans le sud de l’Italie, la collection du marquis Francesco Taccone di Sitizano (1763‑1818) qui a été vendue en 1812 à Murat afin d’ouvrir une bibliothèque publique qui prendra le nom de Biblioteca Gioacchina. Cette bibliothèque se trouvait dans l’ancien couvent de Sainte Marie de Monteoliveto à Naples. Ce n’est que lorsque le roi Ferdinand IV de Bourbon rentre à Naples, le 4 décembre 1816, qu’elle sera fusionée avec la Bibliothèque Universitaire11.

En Italie, on signale encore la bibliothèque du marquis Giovanni Battista Costabili‑Contarini de Ferrare (1756‑1841) qui contenait trois éditions sur parchemin (comme le texte de l’inscription du Palais Trivelli à Reggio indiquant que Napoléon y avait habité entre le 10 novembre 1796 et le 9 janvier 1797) et deux sur soie (le Manuel d’Épictète en grec et le Tryphiodore en grec)12, toutes les trois à la Biblioteca Palatina de Parme Hoepli Milano […], Milano, Libreria antiquaria Ulrico Hoepli; Libreria Braus‑Riggenbach di Basilea, 1935.

8 a. ciavarella, Catalogo del Museo Bodoniano di Parma, Parma, Artegrafica Silva, 1968 (réimpr. anast., ibid., 2005), p. 25.

9 a. De Pasquale, La fucina dei caratteri di Giambattista Bodoni, Parma, Mup, 2010, p. 33.

10 m. FittiPalDi, La collezione bodoniana della Biblioteca Nazionale di Napoli, in Bodoni. Pubblicazione d’arte grafica edita in occasione delle manifestazioni parmensi [Celebrazioni centenarie Bodoni‑Paganini‑Parmigianino: Parma, maggio‑ottobre 1940], Parma, Fresching, 1940‑1941, pp. 135‑41.

11 g. zaPPella, La Collezione Bodoniana della Biblioteca Universitaria di Napoli, Massa Lubrense, La Massese, 1978.

12 Catalogo della prima parte della Biblioteca appartenuta al sig. march. Costabili di Ferrara composta da libri rari e preziosi in diveso genere manoscritti, libri impressi in pergamena, quattrocentisti, Aldi, Elzeviri e opuscoli. La vendita avrà luogo in Parigi il giovedì 18 febbraio 1858 e giorni seguenti, a 7 ore precise della sera Casa Silvestre, strada – Bons‑Enfants, 28 Sala del 1.° Piano, Bologna, presso Marsigli e Rocchi e Gaetano Romagnoli libraj a Bologna; presso J. Demichelis libraio a Parigi, 1858 (avec un autre faux‑titre en français). Son arrière‑neveu et heritier Giovanni, en difficultés financiaires,

Page 234: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

218 ANDREA DE PASQUALE

car achetées par Pezzana après qu’elles fussent restées invendues à l’issue de leur mise aux enchères.

Hors des frontières de l’Italie, les collections d’éditions bodoniennes deviennent très nombreuses. Un des bibliophiles reputé pour posséder un certain nombre d’éditions rares sur parchemin est le comte Justin McCarthy‑Reagh (1744‑1811), établi à Toulouse et proprietaire d’une extraordinaire collection mise en vente en 1817 par les frères De Bure13. Il s’agit des premières expérimentations de Bodoni, que l’on date des années 1780, en particulier l’Anacreon de 1784, le premier Manuel de caractères et la série des caractères grecs de 1788, qui furent achetés par Angelo Pezzana pour la Bibliothèque de Parme, le Pindemonte de 1789 et le Visconti de la même année.

En Espagne, nous connaissons la bibliothèque du grand mécène de Bodoni, José Nicolás de Azara (1730‑1804), restée en partie à Rome14, et celle de la maison royale d’Espagne, en particulier celle de l’Infant Louis Antonio (1727‑1785), maintenant à la Biblioteca Réal de Madrid15. En Angleterre, grâce aux liaisons de Bodoni avec les libraires anglais comme James Edwards16, plusieurs étaient les collections d’éditions bodoniennes: la plus celèbre appartenait à George John Spencer, comte d’Althorp (1758‑1834)17 et elle etait soigné par le bibliothécaire Tommaso fut obligé vendre la bibliothèque à Paris, Bologne et Rome; le catalogue fut redigé par le chanoine Giuseppe Antonelli (qui ne signe pas). Sur les éditions de Bodoni sur parchemin et sur soie voi A. De Pasquale, Le edizioni bodoniane su pergamena, «Crisopoli. Bollettino del Museo Bodoniano di Parma», 14 (2011‑2012), en cours d’impression.

13 Catalogue de livres rares et precieux, d'editions du 15. siecle, de livres imprimes sur velin, et de manuscits avec des miniatures, ... provenant de la vente de feu m. le comte de Mac‑Carthy‑Reagh, a vendre aux prix marques a chaque article, A Paris, chez De Bure freres, libraires du Roi et de la Biblioteque du Roi rue Serpente, n. 7, 1817 (de l'imprimerie de Crapelet).

14 Bibliotheca excellentissimi D.D. Nicolai Josephi de Azara ordine alphabetico descripta ab H.P.D. Francisci Iturri et D. Salvatore Ferrán aestimata a Mariano de Marini, Romae, apud Aloysum Perego Salvioni, 1806; g. sánchez esPinosa, La biblioteca de José Nicolás de Azara, Madrid, Calcografía Nacional Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, 1997.

15 Je remercie Mme Maria Luisa Lopez‑Vidriero pour la signalation.16 r. eDWarDs, James Edwards, Giambattista Bodoni, and the Castle of Otranto.

Some Unpublished Letters, «Publishing History», XVIII, 1985, pp. 5‑48; m. cotone, Giambattista Bodoni nelle lettere dei suoi corrispondenti inglesi, «Bollettino del Museo Bodoniano di Parma», 7, 1993, pp. 109‑23.

17 Bibliotheca spenceriana; or a descriptive catalogue of the books printed in the fifteenth century, and of many valuable first editions in the library of George John Earl Spencer ... by ... Thomas Frognall Dibdin. Vol 1., London, printed for the author, by W. Bulmer and Co. Shakspeare Press. And published by Longman, Hurst, Rees, & Co.; T.

Page 235: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles... 219

De Ocheda, piémontais et amis de Bodoni18. Cette bibliothèque, dont un catalogue témoigne de l’existence de trois exemplaires sur parchemin19, fut acquise par le riche marchand John Rylands et leguée par sa femme Enriqueta Augustina à la John Rylands Library de Manchester.

Enfin, pour l’Autriche, nous citerons la collection du duc Albert‑Casimir de Saxe‑Teschen (1738‑1822), celèbre collectionneur d’œuvres d’art et fondateur de la Bibliothèque Albertine, vendue aux enchères en 193020.

Le cas particulier de la bibliothèque du Duc d’Abrantès

La bibliothèque comprenant la plus riche concentration d’éditions imprimées sur parchemin et sur soie fut sûrement celle du duc Jean‑Andoche Junot d’Abrantès (1771‑1813).

Junot, après une brillante carrière militaire au service de Napoléon, arrive à Parme le 25 janvier 1806 sur ordre de l’empereur pour assumer la charge de gouverneur général des Duchés, officiellement «perchè vi sedasse la sommossa dei Montanari di Val di Tolla nello Stato Piacentino», mais en réalité, l’empereur veut l’éloigner de Paris à cause de scandales financiers.

Il y restera presque un an. En 1807, il est réintegré, bien que pour peu de temps, avec la charge de gouverneur militaire de Paris.

Avant d’arriver à Parme, Junot connaissait Bodoni depuis longtemps et collectionnait déjà ses éditions. Le mois de son arrivée à Parme, il nomma l’imprimeur «adjoint» au maire, comte Stefano Sanvitale, avec le conte Bianchi et le lieutenant‑colonnel Fedolfi. La grande admiration que Junot porte à Bodoni est évidente lorsque l’on sait qu’il invita l’imprimeur à participer, avec ses meilleures éditions, à l’exposition des produits de l’industrie nationale qui se tenant à Paris le mois suivant.

Payne; White & Cochrane; John Murray; and J. & A. Arch; 1814 (Printed by William Bulmer and Co., Shakspeare press, Cleveland row, St. James's, London ).

18 a. boselli, G. B. Bodoni e il bibliotecario della «Spenceriana» (con 5 lettere inedite), «Gutenberg‑Jahrbuch», XIII, 1938, pp. 194‑201

19 Bibliotheca spenceriana; or a descriptive catalogue of the books printed in the fifteenth century, and of many valuable first editions in the library of George John Earl Spencer ... by ... Thomas Frognall Dibdin. Vol 1., London, printed for the author, by W. Bulmer and Co. Shakspeare Press. And published by Longman, Hurst, Rees, & Co.; T. Payne; White & Cochrane; John Murray; and J. & A. Arch; 1814 (Printed by William Bulmer and Co., Shakspeare press, Cleveland row, St. James's, London ).

20 Collection de beaux‑livres ayant appartenu au duc Albert de Saxe‑Teschen. Classiques grecs et latins – classiques français et italiens ecc. Vendita all’asta di giovedì 3 aprile 1930, Milano, Libreria antiquaria Ulrico Hoepli, 1930.

Page 236: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

220 ANDREA DE PASQUALE

Bodoni, après une première incertitude, accepta la proposition, grâce aussi à l’insistance du préfet du Département du Taro, le bar (baron?) Nardon. Il choisit 14 des éditions les plus représentatives dans son catalogue. «Allora il generale Junot commise al suo bibliotecario in Parigi di prendere nella sua libreria i quattordici indicati esemplari (alcuni de’ quali erano impressi su pergamena) e di esporsi al concorso, in vigilando perché dai curiosi non si sciupassero così belle edizioni»21.

Il est probable qu’à cette occasion, les livres furent completés par une feuille ayant la fonction d’un ex‑libris que l’on retrouve dans tous les exemplaires, et qui porte l’inscription: «De la bibliothèque du colonel général des Hussards Junot grand‑officier de l’Empire, I.er aide‑de‑camp de l’Empereur Napoléon I.er grand‑cordon de la Légion d’honneur, grand‑croix de l’Ordre du Christ, commandeur de l’Ordre royal de la Couronne de fer, gouverneur général des Etats de Parme, Plaisance et Guastalla. 1806».

Nous avons donc le témoignage de l’existence à Paris, dejà en 1805, dans la maison Junot, d’une très riche bibliothèque personnelle, comprenant de nombreuses séries d’éditions bodoniennes et des exemplaires uniques imprimés sur des supports spéciaux.

La bibliothèque fut malheureusement dispersée à la mort, tragique, de son propriétaire et nous ne savons que très peu du destin de ces livres et des éditions bodoniennes en particulier. Il a été récemment retrouvé, dans les fonds de la Bibliothèque Palatine de Parme, le catalogue de vente aux enchères de la collection, qui permet de se rendre compte du nombre et de l’importance des éditions bodoniennes qui y etaient conservées22.

Le catalogue indique le nom du propriétaire comme «feu S. Excel. Mgr. Le Duc d’Abrantès», titre que Junot obtint après son glorieux exploit espagnol lorsque, après le pillage de la petite ville d’Abrantès sur le fleuve Tage, il réussit à réunir les forces nécessaires pour conquérir, début décembre 1807, la ville de Lisbonne.

La page de titre contient les informations sur la vente qui, dans l’exemplaire de la Bibliothèque Palatine, sont ultérieurement precisées par

21 g. De lama, Vita, cit., vol. I, p. 176, note 46.22 Catalogue des livres rare set précieux de la bibliothèque de feu S. Exccel. Mgr. le

Duc d’Abrantès, grand‑officier de l’Empire […] dont la vente se fera le Ier février 1814, et jours suivans, à six heures precise du soir, en son hôtel, rue des Champs‑Elysées, n.° 8. Les Adjudications seront faites par MM. Les Commissaires‑Priseurs Fournier, demeurant rue l’Evêque‑Saint‑Honoré, n°. 15; Guyot, demeurant rue du Théâtre‑Français, Se distribue gratis a Paris, chez Renard, libraire, rue Caumartin, n.° 12; Fayolle, libraire, rue Saint‑Honoré, n.° 284, près de l’eglise de Saint‑Roch, 1813.

Page 237: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles... 221

une note manuscrite. Si le catalogue informe que «la vente se fera le 1.er février 1814, et jours suivants, à six heures précises du soir, en son hôtel, rue des Champs‑Elysées, n°. 8», une correction faite à la main modifie la date prévue en «mars 1815 au avril». Le même catalogue informe que «Les Adjudications seront faites par MM. Les Commissaires‑Priseurs Fournier, demeurant rue l’Evêque‑Saint‑Honoré, n°. 15; Guyot, demeurant rue du Théâtre‑Français».

Grâce à l’introduction du catalogue, on sait que le Duc «avait conçu le projet de former une des plus belles bibliothèques que puisse avoir un particulier riche, animé de l’amour des sciences et des lettres» et que sa collection «avait réuni les éditions les plus correctes et les plus élégantes des auteurs les plus estimés, soit dans notre littérature, soit dans celles de nations étrangères, mais particulièrement dans la langue italienne». En effet elle contenait des éditions des imprimeurs les plus celèbres d’Europe comme Didot, Bodoni et Ibarra et une grande quantité d’exemplaires imprimés sur parchemin, des éditions illustrées et parées de reliures faites par les principaux relieurs parisiens de l’époque, comme Bozerian, Bradel et Rosa.

Le fonds Bodoni comprenait une cinquantaine d’éditions environ, ce qui correspond à moins de 5% de la production bodonienne, mais il comprenait des exemplaires uniques très soigneusement reliés et souvent conservés dans des étuis en cuir.

Lors de la vente de 1814, aucun exemplaire ne fut acquis par Pezzana pour la Bibliothèque de Parme, celle‑ci n’ayant pas encore les ressources financières dont elle disposera dans les années suivantes. Par contre, il suivit de près les mouvements des livres qui l’interessaient, dans le but de compléter la collection de la Bibliothèque en essayant d’acquérir les exemplaires qui figuraient à l’Exposition napoléonienne, ceux‑là même qui conférèrent à Bodoni la gloire universelle.

Quelques livres hérités du bibliophile Jérôme Mignon et vendus en 1849, furent acquis par Pezzana.23 Sur le catalogue que possède la Bibliothèque Palatine de Parme, on note que les exemplaires des Stanze de Politien sur soie (avec reliure de Bozerian) et sur parchemin, que le catalogue indique

23 Catalogue de la bibliothèque de feu M. Jérôme Bignon composée d’un choix considérable de livres rares, curieux et singuliers manuscrits et imprimés dont une partie su peau vélin de grands ouvrages a figures et d'une collection d'autographes de personnages célèbres dont la vente aura lieu le 8 Janvier 1849 et jours stivante a six heures du soir en son domicile, quai Conti, 15. Par le ministère de M° Grandidier, commissarie‑priseur rue de Valois Sant‑Honoré, 6. Chimont, libraire expert de la Chambre des commissaires‑priseurs rue Christine, 9.

Page 238: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

222 ANDREA DE PASQUALE

comme ayant appartenues au maréchal Junot, ont été marqués sur le côté. Pezzana réussit à les acheter en 1848‑1849 hors enchères24.

Un deuxième et important lot de livres de Junot fut sûrement acquis aux enchères par le libraire et bibliographe Antoine‑Augustin Renouard (1765‑1853), dont la bibliothèque fut vendue en 1854. Dans le catalogue de vente25 nous apprenons que les livres sur parchemin de Bodoni étaient très nombreux et que plusieurs appartenaient à la bibliothèque de Junot. Il s’agit en particulier des éditions de l’Aminta de Tasse in‑4° (1789), de Callimaque in‑folio (1792), de Pastor fido de Guarini in‑folio (1793), du Manuel d’Épictète in‑8° petit (1793), de l’Anacreon avec la traduction de Pagnini in‑8° (1793), du Virgile in‑folio (1793), de The Seasons de Thomson in‑folio (1794), de la trilogie de Catulle, Tibulle e Propèrce (1794), de La Religion vengée de Bernis in‑folio (1795).

Pezzana acheta des livres à cette occasion comme on peut le constater grâce au catalogue de vente de la Bibliothèque de Parme, qui, une fois de plus, contient des marques en correspondance des éditions bodoniennes, celles sur parchemin plus particulièrement. Il fit l’achat de l’Aminta du Tasse26, The Seasons de Thomson27 et successivement du Callimaque obtenu à Paris en 185828.

Une autre copie sur parchemin, le Pastor Fido de Guarini qui appartenait à Junot, fut acheté par le libraire turinois Pezzi ainsi que d’autres exemplaires par le duc de Toscane.

Les exemplaires de la Britannia, Lathmon, Villa Bromhamensis, Poemata de Trevor, vicomte d’Hampden et des Amori de Savioli qui étaient à Junot sont mentionnés en 1842 dans le catalogue de la bibliothèque de Thomas Grenville (1755‑1846)29.

24 Parme, Museo Bodoniano, Coll. Bod. 113 3° e 2° es., le premier avec ex‑libris de Junot.

25 Catalogue d’une précieuse collection de livres, manuscrits, autographes, dessins et gravures composant la bibliothèque de feu M. Antoine‑Augustin Renouard, ancient libraire, ancient maire du XIe arrondissement, don’t la vente aura lieu le lundi 20 novembre et les trente jours suivants, à 7 heures precise du soir, rue des bons‑enfants, 28, maison Silvestre. Les adjudications seront faites par Me Boulouze, commissaire priseu, rue de Richelieu, 69, Paris, chez L. Potier, libraire, quai Malaquais, 9, et a la libraire Jules Renoaurd et cie, rue de Tournon, 6. Londres, chez Barthès et Lowel, 1854.

26 Parme, Museo Bodoniano, Coll. Bod. 206 3° es.27 Parme, Museo Bodoniano, Coll. Bod. 217 1° es., avec ex libris de Junot.28 Parme, Museo Bodoniano, Coll. Bod. 171 2° es., avec ex libris de Junot e

Renouard.29 Bibliotheca Grenvilliana; or bibliographical notices of rare an curious books,

forming part of the Library of the Right Hon. Thomas Grenville: by John Thomas Payne

Page 239: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles... 223

Les collections de la moitié à la fin du XIXème siècle

Dans les années 1830‑50 on assiste, en parallèle des acquisitions de précédentes bibliothèques privées désormais dispersées, à la formation de nouvelles collections.

Dans les bibliothèques des maisons Royales, on cite la grande collection des Ducs de Bourbon‑Parme. Cette collection etait devenue très riche à Lucques, ou les Ducs ont été déplacés pendant le royaume de Marie Louise, duchesse de Parme, grâce aux intérêts culturels du duc Charles‑Louis et de son bibliothécaire, le chanoine Pera. Il s’agit d’un fonds très important qui a été formé en 1837 et qui maintenant se trouve à la Bibliothèque Palatine de Parme depuis 1865 après l’Unification de l’Italie. Pera le décrit: «Sebbene in ogni classe veduta sin qui, ed in quelle di cui son per discorrervi, vi siano da osservare di belle impressioni antiche e moderne, poichè ve ne ne ha parecchie del secolo decimo quinto e dei seguenti fino al nostro; chi di quest’arte che tanto bene e tanto male ha prodotto nel mondo ben si conosce, potrà trattenersi con molto piacere ad ammirare le nitide, eleganti e veramente magnifiche edizioni del cavaliere Gio. Battista Bodoni, onore di Saluzzo sua patria e dell’Italia tutta. Questa collezione cotanto lodata da chi ha l’occhio adatto a poterne gustare il bello, sta completissima in questa R. Palatina, in guisa che vi sono ancora le impressioni fatte in semplice foglio, come sonetti, canzoni, viglietti d’invito, ed altro. Era ben giusto che non mancasse nella libreria di un Principe, successore di quel magnanimo Mecenate, che dette al Bodoni quei mezzi, senza dei quali non sarebbe giammai asceso a tant’onore»30.

Le Grand‑duc de Toscane Ferdinando III di Lorena (1769‑1824) tente également de se constituer une belle collection de bodoniennes grâce à l’achat, en 1814, de la bibliothèque du bibliophile Gaetano Poggiali (1753‑1814) qui contenait une dixaine d’exemplaires sur vélin et deux sur soie31. A la même periode, à Milan, se formait la collection du marquis

and Henry Foss, [primière part], London, printed by William Nicol, Shakespeare press, Pall Mall, 1842, p. 300 e 641. Grenville, militaire, travaillait aussi à la Bibliothèque du British Museum Il avait mis ensemble une bibliothèque de 20.000 volumes, en participant à nombreus ventes aux enchères (comme, par esemple, la bibliothèque du comte Mc Carthy), dans laquel il y avait incunables et curiosités typographiques, éditions des classiques (surtout Homère et Ariosto), livres des voyages et 88 éditions sur parchemin.

30 a. De Pasquale, Libri a corte. Le biblioteche dei duchi di Parma conservate nella Biblioteca Palatina, Parma, Mup, 2011, p. 46.

31 Une parti edu catalogue de cette collection est en g. Poggiali, Serie de' testi di lingua stampati, che si citano nel vocabolario degli accademici della Crusca, posseduta

Page 240: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

224 ANDREA DE PASQUALE

Gian Giacomo Trivulzio (1774‑1831), qui, à partir de 1806, commenca une grande campagne d’achat d’éditions rares, manuscrits et livres anciens, achetés par la Mairie de Milan en 1935, où l’on trouve de nombreuses émissions bodoniennes sur parchemin.

La collection la plus riche formée au XIXème siècle, composée de 900 livres environ, fut celle du chevalier Anton Enrico Mortara (1793‑1860) de Casalmaggiore, près de Crémone, définie dans son catalogue de 1857 (la même chose fut répetée dans la réimpression de 1879), «collezione bodoniana la più ricca di quante mai furono e sono», qui fut acquis par Alessandro Giuseppe Spinelli, sous‑bibliothécaire de la Biblioteca Estense de Modène, lequel la donna en 1886 à la Biblioteca Nazionale Braidense de Milan32.

La deuxième, par importance, fournie de plus de 1200 exemplaires environ, fut celle du libraire turinois Federico Pezzi, qui a été vendue à la Mairie de Turin en 1859 pour le prix de 10.000 francs33. Pour cette collection, il avait acheté, au moins en partie, les bodoniennes du comte Carlo Giacinto Cassotti di Chiusano (1769‑1831). Sa bibliothèque qui, selon le témoignage de Paroletti en 1826, «offre les collections complètes des Bodoni», fut mise aux enchères en 183234 et elle containait les éditions de Bodoni appartenantes au marquis Gian Antonio Turinetti de Priero, qui avait hébergé Bodoni et sa femme lors de son voyage à Turin35.

Mortara dans les années Cinquante signalait: «La meglio certo di presente, per ciò che ne so io, sono quelle della Reale Biblioteca Parmense, che vedendosi furare le mosse da altri, e, che più estranei, s’è da un po’ di tempo risentita, e non lascia, venendogliene a mano l’acconcio, e di aggiungerla, e l’altra posseduta dal coltissimo e cortesissimo amico mio Dottor Vincenzo Monici, Giudice nel Tribunale di 1.a Istanza in Parma, che, comperata quella della Ziliani, recò a tal punto la propria, cui mai non giunsero le precedenti di privata proprietà. Dalle vendite poi sopraccennate, il Cav. Olivieri di Parma, caldissimo bibliofilo che era, e da Gaetano Poggiali […], Livorno, presso Tommaso Masi e comp., 1813, 2 vol.

32 a. mortara, Catalogo cronologico, cit. Le catalogue a eté dejà imprimé à Casalmaggiore, Bizzarri, 1857. Sur cette collection: c. giuncheDi, dans La Braidense. La cultura del libro e delle biblioteche nella società dell’immagine, Milano, Fondazione L. Berlusconi; Firenze, Artificio, 1991, pp. 130‑139.

33 D. monge, Genesi, sviluppo e composizione della raccolta bodoniana della Biblioteca Civica di Torino, «Bibliofilia subalpina», 2004, pp. 79‑108.

34 a. De Pasquale, Notitiae librorum.Biblioteche private a Torino tra Rinascimento e Restaurazione, Savigliano, L’Artistica, 2007, pp. 33‑34.

35 F. malaguzzi, Alla mezz’aquila bicipite d’argento, Torino, Centro studi piemontesi, 1999, pp. 55, 57.

Page 241: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les éditions de Jean Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles... 225

che tanti acquistava libri, se buoni, quanti gleine venivano profferti, ebbe a raccozzarne moltissimi anche de’ Bodoniani; ma con dispiacenza generale, e singolarmente mia, che il trovai sempre gentilissimo e prestante, rapito alla sprovvista fanno due anni, non potè mettere in atti l’intendimento più volte manifestatomi di ordinarne una speciale Collezione. I Figliuoli di lui poscia a trarsi d’ogni impaccio nel partimento della redità, quantunque educati agli studj, e lasciati nell’agio dei beni del mondo, facendo miglior capitale dell’oro, che delle solerti e nobili cure paterne, come suole il più accadere in simili casi, vendettero l’intera Libreria a quell’orrevolissimo e colto signore, che è il Conte Apolinare Rocca Saporiti, Marchese della Sforzesca di Milano, il quale assennatamente affidatone l’ordinamento all’Ajo de’ suoi amabilissimi e studiosissimi figlioletti, l’egregio filologo Abate Razzolini, mio dilettissimo, ci reca a sperare, che non andrà guari, che anche la splendidissima Capitale Lombarda vanterà una novella insigne Biblioteca privata, che in fra le varie sue Collezioni quella eziandio rifulgerà delle Edizioni Bodoniane da vincere la gara colle più pregevoli da me ricordate»36.

Mais la collection du marquis Rocca Saporiti fut également vendue quelques années après. D’après une note manuscrite dans le catalogue Mortara de la Biblioteca Nazionale de Milan, on sait que celle‑ci fut achetée par «il librajo Vergani di Milano nel 1882. Il Vergani stesso comprò la Raccolta del Brigola, librajo di Milano nel 1878. Della Raccolta Olivieri fu stampato il catalogo, ma non se conosce che una copia e l’ha il d.° Vergani».

Durant ces années‑là, naissait également la bibliothèque du baron Salomone De Parente de Trieste qui en 1881 publiait un catalogue37 où l’on peut lire: «La mia collezione non è tuttavia completa, ma sono pochissime le opere, opuscoli e fogli volanti che le mancano, e per una raccolta di privata proprietà non la reputo senza pregio», «la quale se dall’una parte difetta di qualcune stampe che si trovano in una o nell’altra delle sopraddette raccolte, ne contiene in vece delle altre che in quelle non esistono».

Cette dernière collection d’éditions bodoniennes est à la fois la 36 a. mortara, Catalogo cronologico, cit., p. VI.37 Catalogo cronologico della collezione bodoniana del barone Salomone De

Parente, Trieste, tipografia del Lloyd Austro‑Ungarico, 1881. Citation de la préface. La dédicace du catalogue de la collection Mortara (A. Mortara, Catalogo cronologico, cit.) est dédié à de Parente. Le de Parente dit aussi que «L'amico del mio genitore e mio, l'illustre avvocato cavaliere dottor Domenico de Rossetti, ammiratore come fu sempre del celebre Bodoni, al quale attestò pubblicamente la sua ammirazione nel sonetto stampato a Parma presso Rossi e Ubaldi, mi animava a continuare la mia raccolta bodoniana. [...] Il cavaliere Antonenrico Mortara m'incoraggiò pure a continuare la mia collezione, come si scorge dal catalogo della sua Bodoniana ch'ebbe la bontà di dedicarmi».

Page 242: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

226 ANDREA DE PASQUALE

plus récente, la plus grande et la plus complète. A partir de cette date, collectionner les éditions bodoniennes est une mode qui se fait de plus en plus rare. Il en existe encore quelques cas en Italie pendant la période fasciste, Bodoni assumant alors le rôle de l’imprimeur «italianissimo»38, jusqu’à disparaître, pratiquement après la deuxième Guerre mondiale.

38 a. De Pasquale, Bertieri e Bodoni: metamorfosi di un giudizio, in Nova ex antiquis. Raffaello Bertieri e il Risorgimento grafico, a cura di A. De Pasquale, M. Dradi, M. Chiabrando, G. Grizzanti, Milano, Biblioteca Nazionale Braidense, 2011, pp. 20‑27.

Page 243: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle: l’inventaire du

Marquis de Monte Alegre

MARISA MIDORI DEAECTO*

Pendant plus de deux siècles les éditions françaises ont attisé les esprits des gens de lettres et ont siégé les bibliothèques des hommes illustres. Cette communion entre les formes de pensée et l’univers éditorial a créé un environnement accueillant pour les professionnels du livre d’origine française, voire pour la formation des bibliothèques bien fournies des éditions françaises.

Pendant le 17ème et le 18ème siècles les bibliothèques les plus riches appartenaient aux ordres religieux. On voit un mouvement envers la laïcisation de la lecture et des espaces de lecture à la fin du 18ème siècle. En effet, les premières bibliothèques publiques apparaissent tout au début du 19ème siècle, d’abord suivant un projet personnel des gens des lettres qui franchissent leurs collections, ensuite, d’après le projet de l’État dans le sens de bien surveiller et discipliner les pratiques de lecture. La bibliothèque publique devient un projet de civilisation dans le contexte de l’Indépendance du Brésil (1822). C’est dans ce cadre que l’on voit l’apparition des certaines institutions de lecture dans les municipalités, et l’ouverture de la Bibliothèque nationale, au Rio de Janeiro, en 18111.

Rappelons que l’histoire du livre brésilien débute au fait à partir de 1808, plus précisément après le décret signé par le Régent d. João, le 13 mai, qui a donné origine à la Presse Royale. Même si le gouvernement

* ([email protected]) PhD Histoire. Professeur à l’Université de São Paulo. Auteur, parmi d’autres titres, de O Império dos Livros. Instituições e Práticas de Leituras na São Paulo Oitocentista. São Paulo: Edusp, Fapesp, 2011.

1 CARVALHO, G. Biblioteca Nacional (1807‑1990), Rio de Janeiro, Irradiação Cultural, 1994.

Page 244: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

228 MARISA MIDORI DEAECTO

maintenait le monopole sur l’impression de tous les documents officiels, ne laissant pas de répondre aux demandes externes, il n’a pas trop tardé pour que les nouveaux typographes‑libraires s’installent au Rio de Janeiro et dans d’autres villes du Brésil.

Après 1822 le nombre d’établissements libraires s’est considérablement répandu, ce qui rend indéniable l’intervention auspicieuse de d. Pedro I. C’était sous les honneurs et bons offices de l’empereur qu’a débarqué à la Cour en 1824 le typographe‑libraire Pierre Plancher. Bonapartiste, il se trouvait persécuté par la censure d’une France restaurée par les Bourbons. A la Cour, il a fondé le journal O Spectador Brazileiro et, peu de temps plus tard, en 1827, le Jornal do Commercio. Il a commercialisé des éditions de contenu politique imprimées à Paris ; parmi celles‑ci, les écrits de Benjamin Constant. Il a innové dans l’usage de la lithographie, ayant comme illustrateur et lithographe Hercule de Florence, pareillement bonapartiste et émigré qui, dès 1825, intégra la mission Langsdorff.

Illustration 12

2 Alégorie de D. Pedro I, L’Empéreur du Brésil, 25 Mars 1824. Fondation Bibliothèque Nationale (FBN‑Rio de Janeiro). apud SCHWARCZ, L. M.; AZEVEDO, P. C. de; COSTA, A. M. da, A longa viagem da biblioteca dos reis. Do terremoto de Lisboa à Independência do Brasil. São Paulo: Companhia das Letras, 2002, p. 386.

Page 245: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle... 229

Dans le Second Règne (1850‑1889) le cadre socioéconomique de la jeune nation devenait prometteur. Les séditions provinciales avaient été étouffées, les finances publiques contrôlées et un nouveau cycle agro‑exportateur, la culture du café, commençait à donner le ton des temps nouveaux. Le marché éditorial suit cette vague modernisatrice. Néanmoins, si l’édition du livre indiquait une plus grande professionnalisation de ses agents, il n’est pas encore possible d’envisager un mouvement de nationalisation3. A ce moment‑là, une partie significative des livres circulant dans notre littérature était imprimée en Europe, sans compter le taux élevé d’auteurs en langue étrangère, spécialement en français.

Une géographie de la diffusion des éditions françaises en Europe et en Amérique confirme l’optimisme exprimé dans d’autres secteurs. En 1861, ces pays ont été les plus grands importateurs de livres français: l’Italie, la Russie, le Royaume‑Uni, l’Allemagne, la Suisse et la Belgique4. Pourtant, rien n’équivalait au commerce de livres d’outre mer. Les plus grands centres consommateurs de livres français se situaient dans le continent américain5. En premier lieu, les États‑Unis, fait qui soulève l’hypothèse selon laquelle le marché éditorial britannique n’a pas représenté une menace au français. Après, l’Argentine et le Brésil. Il est vrai que les statistiques présentent des variations tout au long du siècle, mais ce que l’on observe est une longue conjoncture du domaine des éditions françaises dans le continent américain, renforçant ainsi, une fois de plus, les racines intellectuelles fondées dans l’Illuminisme et dans la Révolution Française6.

3 Dans ce demi‑siècle, Paula Brito fut une exception, mais il n’a pas réussi à dépasser l’espace d’une génération avec son entreprise graphique‑éditoriale. Cf. DEAECTO, M. et. al., Paula Brito, Editor, Poeta e Artífice das Letras, São Paulo: Edusp; ComArte, 2010.

4 Donnée curieuse puisque la Belgique est un important centre producteur de littérature francophone, y inclus de contrefaçons. En ce qui concerne le comportement du lecteur de cabinets de lecture à Bruxelles, il n’y a pas de doutes par rapport à son penchant vers les écrivains français: « Les lecteurs belges lisent Zola, Ohnet, Loti, Daudet, Bourget et leurs imitateurs. Les livres de leurs pays? Ils ne les ouvraient même pas ». LEMMONIER, Camille, La vie belge, Paris, Fasquelle, 1907, p. 267.

5 La participation des marchés en Afrique et en Asie est insignifiante.6 LESCA, Ch., La librairie française en Amérique Latine, « Comité Parlementaire

d’Action à l’Étranger. La deuxième semaine de l’Amérique Latine. Congrès tenu à Paris du 22 au 28 novembre », Paris: Comité Parlementaire d’Action à l’Étranger, 1917. pp. 369‑373. Voir encore: BARBIER, F., Le commerce international de la librairie française au XIXe.s. (1815‑1913), « Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1981, tome XXVIII, pp. 94‑117 ; GODECHOT, O. ; MARSEILLE, J., « Les exportations de livres français au XIXe siècle », Le commerce de la librairie en France au XIXe siècle (1798‑1914), Sous la direction de J.‑Y. Mollier, Paris, IMEC; Édition de la Maison des Sciences de l’Homme, 1997, pp.373‑382.

Page 246: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

230 MARISA MIDORI DEAECTO

Parmi les professionnels français qui ont inscrit leurs noms dans l’histoire du livre au Brésil, deux méritent notre attention: Baptiste Louis Garnier et Anatole Louis Garraux. Le premier s’est installé à Rio de Janeiro, l’autre, à São Paulo. Chacun a su profiter, à sa manière, des potentialités des deux capitales. De certaine façon, ils semblent avoir suivi de près l’exemple d’un autre géant de leur temps, Pierre Larousse, dont l’inscription imprimée dans l’ex‑libris ne laisse pas de doute sur le destin de l’édition française: « Je sème à tout vent ».

Les bibliothèques de la noblesse dans le cadre d’une jeune nation

En un seul mot, l’Indépendance du Brésil a recrée dans les nouvelles structures de la jeune nation le modèle monarchique de l’Ancien Régime, toute en confiant l’État à D. Pedro I, fils de D. João VI, roi de la maison portugaise de Bragança. Ainsi, l’étude portant sur les bibliothèques de la noblesse brésilienne du 19ème siècle doit considérer les caractères particuliers de notre formation nationale :

1) on parle d’un segment social, plus que d’une classe dont le titre ne joue qu’un rôle symbolique dans un milieu socio‑politique où l’élite brésilienne dispute l’espace avec les familles traditionnelles d’origine portugaise ;

2) le modèle bibliothéconomique des collections privées suivent dans une certaine mesure celui de la Bibliothèque nationale, ancienne Bibliothèque royale au Portugal, dont le fond a été déménagé à l’époque de la fuite de la Cour de Lisbonne devant l’invasion des troupes de Napoléon, en 1808. Ce ne serait‑ce que parce que cette bibliothèque renvoie à des collections très importantes de la noblesse portugaise du 18ème siècle, notamment, le fond du Comte de la Barca;

4) en outre, les mouvements des Lumières ont touché les nouvelles collections, de telle sorte que l’on trouve, à côté des fonds rarissimes des éditions qui ont fait date dans l’histoire du livre de l’Époque Moderne, d’autres qui ont renforcé les liens des savants brésiliens avec les mouvements intellectuels observés en Europe au 18ème siècle.

Illustration 27

7 Ex‑Libris du Comte de la Barca. apud SCHWARCZ, L. M.; AZEVEDO, P. C. de; COSTA, A. M. da, A longa viagem da biblioteca dos reis. Do terremoto de Lisboa à Independência do Brasil. São Paulo: Companhia das Letras, 2002, p.428.

Page 247: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle... 231

Ces premiers constats nous permettent d’appréhender la présence des bibliothèques privées, toutes riches en belles éditions européennes, dans le cadre des études portant sur le concept des transferts culturels. Sinon un concept, au moins une « orientation méthodologique », selon les mots de Michel Espagne, bien que l’auteur l’ait créé dans le contexte des relations culturelles entre la France et l’Allemagne des 18ème et 19ème siècles8. En tout cas, l’auteur souligne un aspect fort important de la concentration des livres étrangers dans les bibliothèques des savants, voire, des universités : c’est la concentration des savoirs et tout un système d’assimilation de la production étrangère qu’elle impose. En plus, il s’agit de comprendre le rôle que ce corpus joue dans une certaine aire culturelle, un pays, certes, mais serait ce‑t‑il possible d’y penser à partir des domaines plus flous, une région, une ville, un village, ou dans des aires plus étroites, une cité, une communauté …

Ainsi, conclue l’auteur :«Toute insertion dans une bibliothèque, pour ne pas parler des

traductions, le rend disponible pour la culture d’accueil dont il peut devenir une nouvelle pierre de construction. Il est à la fois un élément étranger et un élément adopté, et cette double nature invite tout particulièrement à associer l’histoire du livre à une approche méthodologique en termes de transferts culturels. Il ne semble pas y avoir de raison pour que les observations que peut susciter l’exemple franco‑allemand ne soient pas extensibles à d’autres situations nationales »9.

José da Costa Carvalho: un gentilhomme, ami de la loi et des lettres

José da Costa Carvalho est né à Salvador en 1796. Il est diplômé en Droit à l’Université de Coimbra, en 1819. Tout de suite il a été nommé juge de la ville de São Paulo. Aussi, il ouvre un établissement commercial dans le centre ville, 34, rue de Ouvidor. Il a épousé Mme. de Barros Leite, la veuve de Brigadeiro Luiz Antonio, à cette époque‑là, la plus grande fortune qui a connu la petite ville de São Paulo10.

Comme homme publique, il a composé la Régence Trina Permanente (17/6/1831 au 18/7/1833), nommé directeur de l’École de Droit

8 ESPAGNE, M. Transferts culturels et histoire du livre, “Histoire et Civilisation du Livre – Revue Internationale”, v.5, 2009, pp.201‑218.

9 ESPAGNE, M. Transferts culturels et histoire du livre, “Histoire et Civilisation du Livre – Revue Internationale”, v.5, 2009, p.216.

10 cf. VIVEIROS, M. L. de A., Os caminhos da riqueza dos paulistanos na primeira metade do oitocentos, Thèse de Doctorat, Universidade de São Paulo, 2003.

Page 248: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

232 MARISA MIDORI DEAECTO

(1835‑1836), et président de la province de São Paulo dans la courte période Janvier‑Août 1842, lorsque la révolte libérale éclata dans la ville. Il est dû à la promulgation de la loi d’avril 1850, rédigée par notre personnage, que la traite négrière a été abolie au Brésil. En 1854, il a reçu les ordres du Marquis de Monte Alegre. Il est décédé à São Paulo en 186011.

De ces histoires brèves que nous présentent ses biographes, nous sommes amenés à imaginer que d’après la trajectoire du Marquis de Monte Alegre il est possible de reconstituer les moments clés de l’histoire politique brésilienne dans son premier demi‑siècle. Cependant, la présente étude propose un regard sur la carrière de Costa Carvalho en tant que journaliste, celle que se confond avec les origines de la presse dans la ville de São Paulo.

Costa Carvalho a inauguré, le 7 Avril 1827, le journal O Farol Paulistano, la première feuille imprimée à São Paulo. Le quotidien sortait tous les mercredis, au prix de 80 reis. Il était composé sur une seule feuille, à quatre pages, avec des colonnes fixes. Sur la première page, l’auteur parlait de questions internes de la ville et de la province, souvent en citant des documents officiels. Comme annonce l’auteur dans la feuille inaugurale :

« Notre but est celui de découvrir les intérêts particuliers de cette province, tout en fixant notre regard sur les recettes publiques (...) Nous allons publier les actes administratifs les plus importants, ceux qui feront objet de nos réflexions impartiales »12.

Les notices étrangères occupaient une petite colonne du journal. A côté de cette colonne, on trouve des notes, commentaires, critiques, réflexions et des reproductions d’articles de journaux concernant la politique nationale et de la Cour de Rio de Janeiro. La dernière page était consacrée à la publicité et au « Loisir ».

Cette dernière section présente des caractères fort curieux. On y trouve des anecdotes, des transcriptions des passages littéraires, des réflexions de caractère moral dont les sujets revenaient invariablement à des questions sur la liberté, le droit des nations, la démocratie, enfin, les principes préconisés un peu partout d’après les vents révolutionnaires de 1789. Quelques passages sont publiés avec le but manifeste d’une parabole, comme si l’auteur, enfin, le rédacteur en chef comprenait bien sa fonction pédagogique dans un milieu majoritairement illettré. On notera au passage ci‑dessous que l’auteur invite le lecteur (et auditeurs) à une «conversation» à propos d’un sujet quelconque qu’il a « entendu » parler:

11 cf. AMARAL, A. B. do, Dicionário de história de São Paulo, São Paulo, Governo do Estado, 1980.

12 O Farol Paulistano (7/2/1827), p.2. Dorénavant signalé avec les initiales FP.

Page 249: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle... 233

« Il y a bien des jours, j’ai entendu une histoire qui ne cesse de susciter un certain intérêt chez moi. Le Sage, Français de grande sagacité, c’est lui qui l’a raconté, et malgré le dégoût que cette histoire persistait de me faire sentir, je vous assure son exactitude. Quoi qu’il en soit, j’ai apprécié cette histoire (...) » 13.

Illustration 4 : Frontispice du premier numéro de Farol Paulistano

Ce faisant, l’écrivain semblait incarner non seulement le rôle de faiseur d’opinion dans le sens politique du terme, mais d’une sorte de démiurge,

13 FP, 7/3/1827, p.4.

Page 250: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

234 MARISA MIDORI DEAECTO

ou passeur culturel en amenant son public à connaître, sinon, à valoriser la littérature étrangère. Voire, à introjecter ses divises morales. L’instrument principal, les livres. Effectivement, le Marquis possédait une belle bibliothèque, collection notable parmi d’autres moins importantes trouvées dans les inventaires après décès de la ville de São Paulo, dans la période 1800‑1850. Éditions françaises pour la plupart.

D’ailleurs, la littérature produite dans le siècle des Lumières a été représentée par ses différentes générations.

De la « Génération de la Régence (1720) »14 : Montesquieu et ses Lettres persanes, 2 v., en français. En tant que la «Génération de l’Encyclopédie (1750)» se trouve représentée par Voltaire, Œuvres complètes, 14 v., en français ; et Rousseau, dans quatre éditions différentes: Nouvelle Héloïse, 6 v., en français, Héloïse, 4 v., traduites en espagnol et deux éditions différentes des Œuvres, en français.

De la «Génération de Louis XVI » on a identifié Choderlos de Laclos, Gilbert, Dellille, Raynal, Le Catéchisme Universel et La Jurisprudence, de Mably, Œuvres complètes, 12 v.

À la «génération de la Révolution française (1790) » appartiennent Chateaubriand, Le Génie du christianisme, 9 v., cité en portugais, mais sans aucune indication sûre de la langue ; et Madame de Staël, Oeuvres de Littérature, 2 v., et les œuvres originales complètes, 17 v., citée en portugais. Sur Les Considérations sur la Révolution française, de 1818, édition préparée par le duc de Bruglier et le baron de Staël, il il importe de remarquer son succès éclatant, a eu un impact remarquable, 60.000 exemplaires vendus à la sortie, écrit Jacques Godechot. Ensuite, le texte a été inséré dans la première édition de Œuvres complètes, publiée en 1820, sous la direction de Bruglier. Dans la bibliothèque de la Faculté de Droit de la ville de São Paulo, institution fondée en 1827, on trouve une édition de ses œuvres complètes en français, organisée par Staël‑Holstein [Paris: Firmin‑Didot Frères, 1844]15. À São Paulo, son nom figurait dans les premiers articles de la Revista da Sociedade Filomática à côté de Schiller et de Goethe, et le dramaturge Paul Eiró la cite comme épigraphe dans un de ses drames.

Retournons à la Bibliothèque du Marquis de Monte Alegre. La section des œuvres historiques é composée par 52 titres. Parmi les titres avec la langue indiquée, 61,5% sont en français et 19,2% en portugais, cela veut dire que les œuvres d’auteurs anglais et italiens, ainsi que des traductions

14 Les références aux générations ont été prises de SAULNIER, V.‑L., La littérature du siècle philosophique, Paris, PUF, 1958.

15 cf. STAËL, Mme. de., Considérations sur la Révolution Française. Oeuvre présentée et annotée par Jacques Godechot. Paris, Tallandier, 1983, p.32.

Page 251: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle... 235

de textes anciens inclus viennent majoritairement en langue française. L’intérêt de l’Antiquité demeure irréprochable : 25% de la collection est destiné aux livres de l’histoire ancienne. Le reste se fait peu à peu distribué en titres d’Histoire Moderne et Contemporaine. Avec une seule remarque: les limites chronologiques disent très peu du contenu du fond, où l’unité de la nation emporte sur la division chronologique.

Ainsi sont les titres suivants: Histoire de France, de Bysson (6 v.); Résume de l’histoire de l’Anglaterre, por Bodin (1 v.); Histoire de l’Anglaterre, de Hume, tradução francesa (21 v.); Beautés de l’histoire de l’Italie, de M. Giraud (2 v.); Histoire des républiques italiennes, de Sismondi (16v.); Histoire florentine, de Machiavel (2 v.); História de Portugal Restaurado, de dom Luis de Meneses (4 v.); Resumo de História do Brasil, de Bellegarde (1 v.).

Dans ce domaine, il est également possible de regrouper les récits biographiques, des histoires de grands hommes ou «destins collectifs», comme écrit Braudel: Victoire et conquistes de Français (28 v.); Biographie de tous les ministres (10 v.); Vie des hommes illustres (12 v.); Histoire des Français, de Sismondi (15 v); Louis XIV, sa cour et ses regents (4 v.); Biographies des contemporains (20 v.).

Trois œuvres, parmi lesquelles deux interprétations les plus importantes de la Révolution française à l’époque: Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France, de Guizot16, Histoire de la Révolution française, de A. Thiers17, et l’oeuvre de Lacretelle, le Jeune, Le précis historique de la Révolution Française (1801‑1806).

Sur François Guizot et Adolphe Thiers nous pouvons dire que leurs biographies remontent à des événements majeurs de l’histoire politique après la Révolution. Ses œuvres ont été écrites dans le début des années 1820, après la chute du ministère de Descazes, lorsque l’État a promu l’expulsion des militants libéraux. Selon Hobsbawm:

« C’est alors que l’école historique de la restauration, Guizot, Thiers, Mignet et d’autres sont venus à la lumière, bien que, lorsque l’action est devenue possible, certains ont choisi de rester dans leurs études. Ces jeunes historiens ont été engagés à l’élaboration d’une théorie pour faire la révolution bourgeoise. En 1830, ils l’ont mise en place »18.

16 Première édition: Paris, Ladvocat, octobre 1821, in‑8°.17 Première édition: Paris, Lecointe et Durey; impr. de Cosson, 1823‑1827, in‑8º Le

titre Histoire de la Révolution française n’apparait qu’après la troisième édition.18 HOBSBAWM, E., Ecos da Marselhesa. Dois séculos revêem a Revolução

Francesa. Tradução de Maria Célia Paoli. 2a. reimpressão. São Paulo, Companhia das Letras, 2001, p.43

Page 252: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

236 MARISA MIDORI DEAECTO

Il est bien évident que la collection du Marquis ne se détient pas sur ces domaines, à savoir, l’Histoire et la Politique. Elle est plus large, telle que les collections des savants de ce siècle particulièrement doué à la culture de l’imprimé. La limite de cette exposition ne nous permet pas d’y aller plus loin. En tout cas, il nous semble utile de présenter un cadre quantitatif, et à la mesure du possible qualitatif de l’ensemble de la collection. C’est ce qu’on voit dans le graphique ci‑dessous :

Graphique : Vue d’ensemble de la Bibliothèque du Marquis de Monte Alegre, d’après les actifs de l’inventaire post mortem (1838)

Dites‑moi ce que vous lisez

Est‑ce possible d’entrer dans l’âme d’un homme à travers ses livres ? La connaissance d’une bibliothèque nous permet, au moins, d’établir le profil intellectuel de son propriétaire. Bien sûr, ce profil devient encore plus complet à la mesure que l’on compare, et que l’on croise les références bibliographiques avec les écrits et les idées de notre personnage. Les articles publiés par José da Costa Carvalho dans son libelle, n’expriment‑ils le même système d’intérêt que l’on remarque dans une partie importante de sa bibliothèque ?

D’abord, il vaut mieux situer la nature de l’inventaire post mortem sur lequel se couche la liste des livres.

Page 253: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXème siècle... 237

En effet, cette liste fait partie d’un ensemble plus large, celui de l’inventaire post mortem de Mme Leite de Barros, daté 1838. Comme on a indiqué plus haut, elle se remaria avec notre Marquis après le décès de son premier époux, Brigadeiro Luiz Antonio, en 1819. Les premières études portant sur la liste de livres de cet inventaire l’ont pris comme de propriété de Mme Leite de Barros, voire, de son premier mari. Cependant, si l’on examine la collection, au moins la partie la plus expressive, on est censé conclure que les dates de certaines éditions et la thématique prédominante constituent des indices concrets sur le réel propriétaire des livres. Or, les ouvrages sur la Révolution françaises, datés des années 1820/30 ne pouvaient guère appartenir au Brigadeiro et il est certain qu’elles n’éveillaient aucun l’intérêt d’une vieille aristocrate qui n’a laissé aucune trace de son caractère intellectuel dans la ville. En plus, les éditions juridiques concernent moins une dame aristocratique, ou un militaire qu’un savant diplômé à Coimbra.

On arrive jusqu’à dire que de la génération des Lumières José da Costa Carvalho a hérité la confiance sur l’imprimée comme un véhicule transformateur du status quo. Le quotidien O Farol Paulistano a joué le rôle de pamphlet politique lorsque la situation demandait d’une prise de position. Sa devise se résumait en deux mots forts: liberté et égalité.

C’est ce qu’on lit dans un article de 1827, en réponse à la politique autoritaire de D. Pedro I :

« Paulistes honorés ! Le Rédacteur en chef de cette feuille ne se laisse pas faire par l’ambition et le goût mesquin de retirer de son travail à peine ses revenus. Je vous suis reconnaissant, avec le sentiment et la mission d’être utile à mon pays, tout en conduisant votre opinion envers la liberté des lois ; avide d’être libre, et de vous voir libres et heureux, je vous invite, je vous prie, je vous incite au nom de la Patrie, à votre honneur et à celui de vos épouses et de vos enfants, que vous les enseigniez la valeur de la liberté (...) »19.

À son tour, l’égalité était l’équivalent du modèle de la monarchie constitutionnelle. Le Farol Paulistano se fait une ligne de force contre le despotisme de D. Pedro I. En plus, le journal devient plus qu’une arme de lutte contre le roi, car cette lutte, on l’a vu, prévoyait la formation des esprits critiques. Voilà sa fonction majeure.

Lecteur probable de Machiavel, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, Thiers, Guizot, si l’on compte, enfin, les références bibliographiques de sa collection, le Marquis a réussit faire un groupe expressif des partisans du libéralisme d’État. Un seu événement illustre bien la force de l’opinion à cette époque. Au milieu des débats acharnés qui ont marqué la fin du

19 FP, (27/02/1827), p.1.

Page 254: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

238 MARISA MIDORI DEAECTO

Premier Empire, Libero Badaro, un journaliste italien qui jouait avec le Marquis un rôle important dans la vie politique de la ville, a été victime d’un tir mortel en Novembre 1830. D’un coup, il s’est transformé en martyr de la cause libéral.

Compte tenu de cette situation, nous pouvons en déduire que le journalisme politique pratiqué à São Paulo a commencé timidement et avec un certain retard par rapport aux autres villes, mais il a réussi atteindre rapidement et efficacement le seuil de la politique nationale. Ce n’est pas seulement parce qu’il a créé la figure du martyr de la liberté, mais parce qu’il a créé les bases d’un libéralisme modéré, qui est devenu un succès durant la période de la Régence. En plus, parce qu’il a formé l’opinion à sa faveur.

La lecture du Farol Paulistano met en évidence un écrivain si soucieux de créer un environnement politique similaire à celui des libéraux en France. Il faut dire qu’à São Paulo les partisans du libéralisme ont célébré la victoire du duc d’Orléans sur Charles X (le dernier des Bourbons à gouverner la France), en 1830. On parle d’une petite communauté avec ses 20.000 à cette époque. Ainsi, l’étude portant sur la bibliothèque du Marquis de Monte Alegre vis‑à‑vis des écrits de militance publiés dans son libelle révèle les approches possibles entre l’histoire du livre et celle des idées politiques. Comme l’indique le rédacteur en chef du Farol Paulistano, sous la forme d’épigraphe (il convient de noter, en bon français):

La liberté est une enclume qui usera tous les marteaux.

Page 255: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Śrī Bhavānrao Panta‑Pratinidhi (1868‑1951), Chief of Aundh:

Founder and Patron of Institutions and Libraries

SHREENAND L. BAPAT

“I met this remarkable human being as a young girl and have a vivid recollection of his enthusiasm for Surya Namaskar.1 What an upright man he was –in every sense of the word. His ardent nationalism and his concern for the health and welfare of the people stood out in sharp contrast to the attitude and behaviour of majority of Maharajas and Rajas2 who not only abjectly supported the British but were even more harsh and unimaginative in their dealings with the mass movement for independence and human rights.”

— Indira Gandhi, Prime Minister of India3

In pre‑independence India, Aundh was a Princely State ruled by a noble house entitled Pratinidhi – i.e. representative of Chatrapati, the sovereign ruler of Satārā – situated in Maharashtra. Now a small town having a population around ten thousand, it is situated 42 km to the South‑east of the city of Sātārā. The town of Aundh and scattered areas in its vicinity were given as fiefs to the various men of the house of the Pratinidhi‑s bearing the honorific sub‑title Pant. The first among them was Tryambak Kṛṣṇa Kulakarṇī who got the fief in the last decade of the 17th century

1 Sūrya‑namaskāra is a special type of physical exercise performed as a complete salutation to Sūrya, the Sun God, with a combination of 10 or 12 postures of Yoga. Bhavānrao, because of his own beneficial experience of the exercise, became its propagator after his age of 45.

2 Mahārāja and Rājā: rulers of the large and small princely states existing in the pre‑independence India.

3 From the Foreword, dated January 05, 1974, to A Moment in Time by Appā PANT.

Page 256: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

240 BAPAT L. SHREENAND

CE from the Chatrapati. His son, Paraśurāmabhāū, a brave fighter, made some additions to this property by his valourous fights during the difficult situation of the Chatrapati owing to the Mughal invasion under Emperor Aurangzeb. Śrīpatarāo, the son of Paraśurāmabhāū and his grandson bearing the identical name have made some mark history [PANT‑PRATINIDHI, 1946: II, 1‑128], except whom, it is only our hero who shines brightly as the Excellent Prince of the Aundh State.

Bhavānrāo alias Bāḷāsāheb Pant‑Pratinidhi was not the eldest son of the ruler Śrīnivāsarāo. He happened to become the ruler due to the death of his elder brother Paraśurāmabhāū and the ineligibility of his nephew Gopāḷakṛṣṇa Paraśurāma. He had at his disposal a state with an area of 1295 square kilometers scattered mostly in the eastern part of the Sātārā District of the present state of Maharashtra [TUPE, 2000: 1‑80].

The new king was an ardent lover of tradition and art, a painter himself; and a visionary aware of the scientific and technological trends of the new world. He had in his court painters like Baṇḍobā, Dattobā, Rāmbhāū and Sadāśiva Citārī (Sadashiv Chitari); Ābālāl Rahimān; Koṭyāḷkar and Sātavaḷekar; and sculptors like the Pātharvaṭ‑s trained by himself. A special mention must be made of Nārāyaṇarāo Pooram, who later became the pioneer of the art movement in western Maharashtra. The king himself used to paint and had had a painted through his artists the Rāmāyaṇa and copied paintings from Ajanta and sculptures from Ellora.4

Bhavānrao had an ill health up to years of his age and had to undergo medical care and operations on several disorders. In his childhood itself he was introduced to the Sūrya‑namaskāra‑s but did not practice them due to ‘lethargy’. A miraculous change in his health was brought the exercise after 45. He also began doing traditional ophthalmic exercises, which, according to him completely cured his hyper‑metropia. He used to perform daily 108 to 500 namaskāra‑s and jog to a hill on which is situated the temple of Goddess Yamāī, the family deity of the king. Bhavānrāo became a propagator of exercises5, so much so that a farcical play by a leading Marathi playwright Pralhād Keshav Atre, that meant to show all kinds of extremities including passion for exercise, was named Sāṣṭāṅga‑namaskāra.6 Bhavānrāo made physical training compulsory to

4 PANT‑PRATINIDHI, 1946: II, 173‑249 and 437‑498. To this there is ample corroborative evidence for this in the form of paintings and publications. (See Bibliography below.)

5 Ibid. pp. 367‑3814. To this there is ample corroborative evidence for this in the form of publications. (See Bibliography below.)

6 Sāṣṭāṅga‑namaskāra is a type of salutation performed with the full body that is meant to express complete surrender.

Page 257: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Śrī Bhavānrao Panta‑Pratinidhi (1868‑1951) ... 241

all students – boys ad girls – a step that was far ahead of his contemporaries.7 The Sunday Referee, a Weekly in London, had published some false and defamatory matter regarding this compulsion of Sūrya‑namaskāra‑s and Bhavānrāo’s character. Bhavānrāo’s son, Appāsāheb was in England at that time for education in Law. With the permission from his father he filed a suit against the Weekly and entered as witnesses the names of Lord Willingdon, formerly Governor of the Bombay Presidency and Governor General of India, and other high officials of the British Indian Government who were well‑acquainted. The Sunday Referee submitted an unconditional apology and paid a compensation of £ 2000. This amount was used for nothing else but propagation of Sūrya‑namaskāra‑s through full‑time workers.8

Bhavānrāo also encouraged indigenous sports like wrestling, Kabaḍḍī, etc. He used to affirm in his public speeches that he wants his subjects to be sharp at brain and strong at body.9

Bhavānrāo was a magnetic orator and used to perform Kīrtana‑s10 based on mythical stories as well as historical. He thought that it to be a grand medium of social reformation. He used to perform Kīrtana‑s regularly on the death anniversary of his father Śrīnivāsarāo [PANT Appā, 1986: 5‑6]. However, it seems he did not encourage music to the scale he actively supported painting and plastic art.

The Aundh State, during the tenure of Bhavānrāo, had become a harbinger of manufacturing industry. Industrialists like the Kirloskars, the Ogales and others had established factories at Kuṇḍal (now Kirloskarwaḍī) and Ogalewāḍī. Modern agricultural implements were produced for the first time in India by the Kirloskars and glass products of Ogales were famous all over the country. Several other workshops, manufacturing wooden articles, iron implements, and other commodities, were encouraged by him. In this way Bhavānrāo consciously encouraged industrialists with a view to combining the Gāndhian Svadeśī11 cottage industry with essential

7 Ibid. pp. 377‑378.8 Ibid. p. 377, and PANT Appā, 1986: 1‑2. This incident took place sometime

in 1935. The exact date could not be determined. 9 TUPE, 2000: 323‑360 and MADGULKAR, 1977: 22‑25. 10 A Kīrtana includes a combination of prayers to God (and deities) and narration

of mythical stories leading to message of good conduct, etc. This requires a magnetic oratory lyrics, music and action, and thus multidimensional artist can perform a good Kīrtana. During the movement of Indian reformation and independence, it was employed as a medium by many a performer.

11 Svadeśī = use of indigenous products was an important part of the Indian freedom struggle initiated by Lokamānya Ṭiḷak and carried forward by Mahātmā

Page 258: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

242 BAPAT L. SHREENAND

modern industry. He had established vocational training schools in his state and had made that training compulsory to all school‑children, including his own children. He used to visit schools and preach future establishment of industrial units and used to assure children of capital to start such units. Several small‑scale workshops in the state are a result of this encouragement received from the ruler [PANT‑PRATINIDHI, 1946: II, 316ff, etc.].

Democracy in the form of elected Grāma‑paṁcāyat‑s (Village Councils) and State Council was brought in by the King in 1939 by enactment of the Constitution of the Aundh State. This he did with the counsel of Mahatmā Gāndhī. It was one and the only experiment of democracy in any of the Indian Princely states [PANT Appā, 1986: 38‑64; and the Constitution of the Aundh State (Act I of 1939) appended to it].

A fervent synthesizer of traditional Indian knowledge and new Western education, Bhavānrāo was a graduate from the Deccan College, Pune12, and a student of Sir R. G. Bhāṇḍārkar. He gave fitting gurudakṣiṇā13 for what he had learnt from him. When the students of Sir Bhāṇḍārkar undertook to establish the Bhandarkar Oriental Research Institute to mark his eightieth birthday, Bhavānrāo was pleased to become a Patron of the Institute by paying a sum of two thousand rupees.14 He took keen interest in the establishment and development of the Institute. Right at its inception the Institute was equipped with the collection of about seventeen thousand valuable manuscripts possessed by the Government of Bombay Presidency as also with the collection of over two thousand valuable books on Orientology donated to it by Sir Bhāṇḍārkar. Bhavānrāo discussed with Sir Bhāṇḍārkar the idea of making a critical edition of the Mahābhārata, the greatest epic of the world.15 In the meeting of the General Body of the

Gāndhī. The Lokamānya expected the rise of indigenous heavy, medium and small‑scale industrialization, while the Mahātmā led the movement predominantly on the lines of cottage industry and encouraged charkhā – the domestic spinning machine.

12 PANT‑PRATINIDHI, 1946: II, 438. This is a College established in 1821 as a traditional school and was converted into a college in 1869. It was the second college in the Bombay Presidency, the first out of Bombay (now Mumbai), the capital city of the Province.

13 A voluntary fee paid by the ancient Indian student to his Guru, the preacher.14 RBORI 1918‑19, p. 24. It may be noted that the prescribed fees for the

Patronship stood at Rs. 1000.15 RWC, pp. 55 ff. and PANT‑PRATINIDHI, 1946: II, 445 ff. Mahābhārata, an

epic, traditionally believed to contain a hundred thousand verses (about eighty‑nine thousand of them accepted in the constituted text of the critical edition) is composed

Page 259: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Śrī Bhavānrao Panta‑Pratinidhi (1868‑1951) ... 243

Institute held on 6th July 1918, Bhavānrāo proposed the critical edition, which would be financially supported by him with the donation of a hundred thousand rupees from his own purse. He also declared that studied paintings would be executed by him, printed and delivered to the Institute for inclusion in the publication. With some hesitation the scheme was accepted and under the Editorship firstly of N. B. Uṭgīkar and then the General Editorship of V. S. Sukṭhaṇkar, the work took its course. When in it seems that the grant received from Bhavānrāo would no longer suffice to finish the work owing to prices rising due to the first world war and the great recession of 1929, he made successful efforts for procurement of grants from the Governments of Bombay, Calcutta and Madras Presidencies; the Imperial Government of India, Burma; and the Princely States of India ruled by his colleagues. However, the largest amount of six to eight thousand rupees per annum still used to come from him.16 In another move to help the Institute, he seems to have purchased back the previously donated original paintings with the promise that copies of the same will be printed by him and supplied to the Institute free of cost as per their requirement and that the copyright of the same would still remain with the Institute!17

Bhavānrāo also had a penchant for curios. He collected hundreds of sculptures, paintings and other art objects, and created the Śrī Bhavānī Citra Padārtha āṇi Purāṇavastu‑saṁgrahālaya (Śrī Bhavānī Museum of Paintings, Artifacts and Other Materials) in 1938. After the death of Bhavānrāo, the Museum was handed over to the Director of Archeology and Museums, Government of Bombay State, by Appā Pant, the son of Bhavānrāo in 1952. The Museum has been extended by the Government during the last decade with addition of artifacts to display. The collection of paintings of Rājā Ravi Varmā, and those based on the epic Kirātārjunīya of Bhāravi18, paintings on the Rāgamālā19, and those based on various Purāṇic

between the 4th century BCE and the 4th century CE. This epic of the Great War fought between the Dhārtarāṣṭra‑s and the Pāṇḍava‑s is four times larger than the next two of the world literature, Iliad and Odyssey. Its complete manuscripts containing from sixty thousand verses to a hundred and fifty thousand verses written in nine ancient scripts, are spread all over India and abroad.

16 From the various schedules attached to RBORI‑s 1919‑20 and following years and PANT‑PRATINIDHI, 1946: II, 457‑458.

17 Whereabouts of these original paintings or their blocks are unknown at present.

18 Bhāravi was a Sanskrit poet of the fifth century CE.19 Rāgamālā is the series of Rāga‑s – tunes – of the Indian music. Such paintings

were commissioned by the rulers and rich houses during the medieval period.

Page 260: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

244 BAPAT L. SHREENAND

and historical stories and personalities, have been added to the display. A variety of schools of painting – Rajput, Pahari, Deccan, Bijapur – seem to be represented here. The eighteen galleries of the Museum are arranged as follows:

(1) 17 portraits of Panta‑Pratinidhi‑s(2) 11 paintings of the court painter Koṭyāḷkar(3) Western style paintings(4) Copies of 33 paintings of Ajanta(5) Tibetan artifacts collected by Appā Pant(6) Paintings of the Bengal school(7) Paintings of great Indian artists(8) Western paintings(9) Paintings of Rājā Ravi Varmā(10) Metal artifacts(11) Ivory artifacts(12) Portraits of various persons Miniatures on the mezzanine floor(13) Sandalwood artifacts(14) Paintings by Indian painters(15) Paintings by Western painters(16) General art(17) Paintings of Western painters(18) Paintings of Western painters20

The King consciously established in 1910, in the vicinity of the Museum, a Library of books collected from all‑over the world.21 It seems that the Library was meant to collect especially the books and journals on Art. The Library was visited by a number of art‑loving Governors and high officials and was remarked to be the best private collection of art‑books.22 The Library holds books on subject most ancient and most modern, from

20 The Museum also contains a collection of 3671 manuscripts – mostly in Sanskrit – stored in 198 bundles. Since rather than texts, manuscripts are considered to be antiquities, they are stored in the Museum and not in the Library described below.

21 It is astonishing that no biographical sources of Bhavānrāo refer to this Library. The only exception is a passing reference occurring in his autobiography – Ātmacaritra (Vol. II, p. 341, lines 15‑21). The Library has thus remained unknown to people, so much so that none of my numerous friends who have visited the Museum know the Library.

22 Now the collection is in frozen state and no significant addition seems to have occurred to the Library during the last several years.

Page 261: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Śrī Bhavānrao Panta‑Pratinidhi (1868‑1951) ... 245

history of ancient world to nuclear physics.23 The Library was handed over to the Government of Bombay Presidency in 1955. At present it holds around 16000 volumes, out of which 12526 have been collected by Bhavānrāo during his life. A four‑volume accession register of the books is maintained at the Library.24 Reportedly this register shall soon be automated. From his survey of the Register the present has listed the subjects of the Library as follows:

(1) Sciences:Basic and Applied Physics:

Main‑stream Physics, Nuclear Physics, AstronomyElectricityEngineering: Mechanical and civil, aeronauticElectronics: Radio and television

Basic and Applied ChemistryLife and Health Sciences:

Medicine: Neuropathy, Sexology, Sex EducationNaturopathy, Photo‑healing, Physical training Voice trainingDietetics: Vegetarian and non‑vegetarian25

National health,Radiography,Psychology

MathematicsGeology

(2) Industry and Commerce:Various Industries such as: Leather, Bakery, Soap and candle, Glass,

Perfumery, Dying, JewelleryAgriculture including Forestry, Animal Husbandry

23 It is remarkable that books on nuclear physics, that were imported from Western countries, entered the Library in 1945 immediately after the US nuclear assault on Hiroshima and Nagasaki.

24 The Register is divided into columns: Sr. No.; Title; Author; Price; Number and Date of Communication (with which, and the authority from whom received); Date of receipt; No. of copies received; Remarks (mostly indicating the reason and the authority for removing the book from the Library).

25 It must be remembered here that the King and his family were strictly vegetarians.

Page 262: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

246 BAPAT L. SHREENAND

Motor‑drivingWatch‑repairingVocational training

(3) History: Ancient, Medieval and Modern:Europe, especially England; United StatesWorld War I and IIAsia, especially Persia (Iran) and BabylonIndia: Freedom struggle, Constitutional history, traveloguesMaharashtra, especially Maratha period

(4) Language and Literature:Ancient and medieval Sanskrit literatureRegional languages: Marathi, Gujarati literatureGrammars of various languages Modern travelogues

(5) Art:Fine Arts: Painting and Sculpture: Materials and techniquesPerforming Arts: Music and Theatre

(6) Miscellaneous Subjects:Encyclopaedia: Britannica, Americana, etc.Gazetteers: Imperial and ProvincialReports of the Archaeological Survey of IndiaVolumes of National GeographicParentingCavalrySocial ReformsGandhian Thought

Bhavānrāo Pant‑Pratinidhi played a major role in the establishment and the business of various institutions and libraries in his own territory as well as the one he did not rule. In this behalf he undeniably stood out in sharp contrast to the majority of his contemporary Mahārāja‑s and Rājā‑s.

Page 263: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Śrī Bhavānrao Panta‑Pratinidhi (1868‑1951) ... 247

Bibliography26

Annual Report(s) of the Bhandarkar Oriental Research Institute, Pune, 1918 to 1950 (AR)

KIRLOSKAR, Jeevan (ed.). Śrīmant Rājesāheb Bhavanrāo Paṇḍit Pantpratinidhī, Aundh, Smṛtigrantha (Marathi). Śrīmant Bhavanrāo Pantpratinidhī Janmaśatābdī Smārak Samiti, Pune, 1968.

MĀḌGUḶKAR, G. D. (Ga. Di.) Maṁtaralele Divas. Sadhana Press, Pune, 1977.MĀḌGUḶKAR, G. D. (Ga. Di.) Tīḷ āṇi Tāndūḷ. Viśvamohinī Prakāśan, Pune,

1977.NATESA SHASTRI, S. M. and Bhawanrao Shriniwasrao PANT.

Kumārasampavam: The Kumārasaṁbhava of Kālidāsa. Kartiyan Press, Madras, 1913.

PANT, Appa. An Unusual Raja: Mahatma Gandhi and the Aundh Experiment. Sangam Books, Hyderabad, 1989.

PANT, Appa. A Moment in Time. Orient Longman, Mumbai, 1974.PANT, Appā. Mulakhāvegaḷā Rājā. Mansanman Prakashan, Pune, 1986.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). Ajaṇṭhā Leṇyātīl

Śilpakalā āṇi Citrakalā. Aundh, 1930.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo. Das Sonnengebet: Yoga Übungen für Jedermann.

Günther, Stuttgart, 1955.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo. Kīrtanasumanahāra. Śaṅkara Nārāyaṇa Jośī,

Pune, 1929.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). Netrabalasaṁvardhak

Vyāyām, Aundh, 1930.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). The Picture

Rāmāyaṇa, Aundh, 1916.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). Sūryanamaskār: An

Ancient Indian Exercise, Aundh, 1930.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo. Sūryanamaskāras for Health, Efficiency and

Longetivity, R. K. Kirloskar, Aundh, 1929.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo. Sūryanamaskāra (Hindi), Śrīpād Dāmodar

Sātavaḷekar, Pardi,1973.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). The Ten‑point Way to

Health: Sūryanamaskāra, Aundh, 1938.PANT, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). Verūḷ (Ellora),

Aundh, 1928.26 The Bibliography includes books that have no bearing on this topic but are

authored / published by Bhavānrāo as also those that contain various aspects of his life.

Page 264: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

248 BAPAT L. SHREENAND

PANT‑PRATINIDHI, Bhavānrāo Śrīnivasrāo (author and publisher). Ātmacaritra (2 Volumes), G. K. Kulkarni, Aundh, 1946.

PANT, Bhawanrao Shriniwasrao and RANADE, Ramachandra Dattatreya. Ellora: A Handbook, D. B. Taraporewala Sons and Co., Bombay, 1929.

PANT, Nalinī. Ek Pravāsa: Ek Śodh, Orient Longman Ltd., Mumbai, 1975.PAṬAVARDHAN, V. A. (Vi. A.) Dakṣiṇ Mahārāṣṭrātīl Saṁsthānāṁcyā

Vilīnīkaraṇācī Kathā, Pune, 1966.(Annual) Report of the Bhandarkar Oriental Research Institute, Pune. (RBORI)Report of the Working Committee of the Bhandarkar Oriental Research Institute,

Poona City, from 6th July 1915 to 10th September 1918. (RWC)ROTHERMUND, Indira. The Aundh Experiment: A Gandhian Grass‑root

Democracy, Somaiya, Bombay, 1983.TADPATRIKAR, Shriniwas Narayan. Shri Bhavanrao Silver Jubilee Volume:

A Publication of the Universal Appreciation of Twenty‑five Years’ Most Progressive and Successful Rule of Shrimant Bhavanrao alias Balasaheb Pant Pratinidhi, Ruler of Aundh. Silver Jubilee Committee, Aundh, 1934.

TUPE, Bapurao. Socio‑economic Study of Aundh State (1854 to 1948) (Unpublished Doctoral Dissertation submitted for Doctorate in History to the Shivaji University, Kolhapur, under the guidance of Dr. A. M. Sutar of the R. T. Patil Kanya Mahavidyalaya, Ichalkaranji, Dist. Kolhapur).

Page 265: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

ÉTUDES D’HISTOIRE DU LIVRE*

STUDIES OF BOOK HISTORY

Page 266: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 267: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines, conservés dans la Bibliothèque du Saint Synode de Bucarest

POLICARP CHIŢULESCU

Berceau de la spiritualité, de la culture et de la civilisation roumaine, l’Église Orthodoxe a créée et mis en évidence, les valeurs et les activités qui sont issues de la beauté intérieure de l’homme, celle‑ci, ayant comme source la foi et la méditation.

Pour conséquent, c’est moyennant l’aide substantielle de l’Église que les Roumains ont bénéficié de l’union en tant que nation, utilisant la même langue, des écoles de musique ou des calligraphes et copistes remarquables, des ateliers où sont nés, de véritables chefs‑d’œuvre d’architecture, de peinture et d’art, en général.

Après avoir renoncé à l’utilisation du slavon dans les services divins, s’est née une nouvelle langue roumaine, premièrement liturgique, qui s’est développée comme langue littéraire. Dans cette direction, ont contribué : l’hymnographie religieuse, la littérature patristique, hagiographique et homilétique, toutes fondées sur la tradition des vieilles sources chrétiennes.

C’est ainsi que les évêques et les servants de l’Église se sont identifiés aux intérêts du peuple dont ils ont conservé la beauté et l’intégrité.

Il faut souligner qu’au sein de l’Église ont paru chez nous, les premières imprimeries. Leur publications ont été envoyées partout dans l’Orient Chrétien et non seulement, pour aider les confrères orthodoxes, opprimés par les Ottomans, en leur offrant généreusement une nourriture spirituelle très importante: des outils typographiques et surtout des livres dans leur propre langue. Des étrangers érrants de l’ancienne ville de Constantinople ou du vieux Byzance, ont été souvent à l’abri dans les maisons accueillantes de chez nous où ils ont eu la possibilité de mettre en valeur et de cultiver, leur talent créateur.

Page 268: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

252 POLICARP CHIŢULESCU

Il est par conséquent tout à fait naturel de retrouver les premières bibliothèques roumaines au sein des monastères, les moines étant les premiers gens instruits des Roumains.1

Mes propos veulent contribuer à la reconstitution des anciennes collections des livres, pour mettre en évidence l’horizon culturel et les préoccupations des intellectuels de jadis.

La Bibliothèque du Saint Synode localisée dans le Monastère Antim, à Bucarest, continue la vieille tradition de conservation des livres anciens, roumains et étrangers, qui sont un véritable trésor. Leur étude, a fait découvrir sur plusieurs exemplaires, la signature des plus renommés et passionnés collectionneurs de livre de chez nous: l’écuyer tranchant Constantin Cantacuzino, le prince Nicolae Mavrocordat, le métropolite Neofit de Crète, sans oublier aussi le nom des métropolites de la Valachie, Teodosie et Antim Ivireanul, dont les efforts, dans le même domaine, sont consignés sur les feuilles des volumes.

Il y a aussi des chercheurs tel: Marta Anineanu, Mihail Carataşu, C. Dima‑Drăgan etc., qui pour certaines raisons, n’ont pas pu révéler des détails qu’il est temps maintenant d’éclaircir.

Au début, la Bibliothèque du Saint Synode servait aux évêques de l’Église Orthodoxe Roumaine, qui, faute d’un espace convenable, utilisait plusieurs locations pour ses séances de travail. En 1877, pour fonder la Bibliothèque du Saint Synode, quelque centaine de livres ont été apportés du monastère Hurezi par l’archidiacre Gherasim Saffirin. En 1912, les autorités supérieures de l’Église ont reçu un siège, spécialement bâti (le Palais du Saint Synode) au sein du monastère Antim. C’est à l’initiative du brave patriarche Justinian Marina (qui a conduit l’Église Roumaine entre 1948‑1977)) que la bibliothèque a été réorganisée, durant les travaux de réaménagement du palais, en 1959. Grâce à lui, beaucoup de spécialistes de grande valeur, pourchassés pour leurs idéal de liberté, par le régime communiste, et sans moyens d’existence, y ont trouvé un emploi de bibliothécaire où leurs compétences soient mises en valeur et appréciées.

En ajoutant les collections de la bibliothèque du monastère « Tous les Saints » (Antim), celle de la Faculté de Théologie de Bucarest (y compris les quatre bibliothèques du « Séminaire Central de Bucarest

1 V. VĂTĂŞIANU: “L’histoire de l’art du Moyen‑Age dans les Pays Roumains » Bucarest 1959 (qui renferme une riche présentation de la création artistique développée autour des monastères roumains) apud. Barbu Teodorescu « La culture de la Métropolie de l’Hongrovalachie, Erudits, typographes… dans la revue l’Église Orthodoxe Roumaine, 1959, no. 7‑10, p. 827.

Page 269: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines... 253

et celle du « Séminaire Nifon ») la Bibliothèque du Saint Synode s’est substantiellement enrichie 2.

L’ancienne bibliothèque de la Métropole de l’Hongrovalachie

Il y a des opinions différentes concernant la naissance de la bibliothèque de la Métropole, dont la Bibliothèque du Saint Synode hérite partiellement ses livres. On suppose, même si un document attestant cela n’existe pas, qu’il y a eu auprès de chaque monastère des livres nécessaires au bon déroulement des services divins. Les écrits des Saints‑Pères de l’Église ont été copiés et imprimés dans les typographies des monastères « à l’usage de la communauté », comment indiquent les notes trouvées sur des manuscrits. Les ouvrages ainsi imprimés, ont été conservés avec des manuscrits qu’on a trouvés dans les monastères> Bistriţa de Vâlcea et Hurezi ou bien dans les Évêchés de Râmnic et de Buzău. Les plus anciennes collections de manuscrits et de livres de la Valachie, sont celles appartenants aux monastères : Radu‑Vodă, Antim, Cernica, Ghighiu, Curtea de Argeş, Dălhăuţi, Poiana Mărului, Cozia, etc.

On a affirmé jusqu’à présent que était vraisemblablement antérieure au XVIIIème siècle3 ; on a souligné également, que cette bibliothèque avait été créée a l’initiative du métropolite Neofit de Crète (selon ses propres dires4 qui avait même fait bâtir une pièce spéciale5 à cet effet. Le prélat y a apporté ses propres livres, mais aussi ceux que Constantin, le fils de Nicolae Mavrocordat, lui avait mis en gage.

La Bibliothèque du Saint Synode possède 17 volumes (de l’ancienne bibliothèque de la Métropole) qui contiennent les notes du métropolite Teodosie (1668‑1672, 1679‑1708) dont quelques‑unes sont faites avant 17016, ainsi, on peut affirmer que ses origines remontent beaucoup plus

2 En 1836, La Bibliothèque Nationale du Saint‑ Sava a reçu une partie de vieux livres appartenant à la bibliothèque de la Métropole et, en 1868, une autre partie est offerte au Séminaire Central de Bucarest, les deux Séminaires (Central et Nifon) étant supprimés en 1948, leurs livres et manuscrits ont été déposés à la Bibliothèque de la Faculté de Théologie pour y rester, jusqu’en 1959.

3 Marta Anineanu « De l’histoire de la bibliographie roumaine ». Le catalogue systématique de la bibliothèque de la Métropole de Bucarest de 1836” in: Études et recherches de bibliologie, I, 1955, Maison d’édition de l’Académie RSR, p. 113

4 Ibidem, p. 1145 On suppose qu’il s’agit de la pièce aux murs épais en brique, située sur le côté de

l’ouest de la chapelle de la Résidence du patriarche (restaurée par N. Mavrocordat)6 Marta Anineanu cite, sans avoir vu, pourtant les notes de Teodosie de 1700 et

1701 sur les volumes « Les vies des saints », imprimés en Lavra Pecerska, Kiev en 1689 et 1700, op. cit. p. 113

Page 270: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

254 POLICARP CHIŢULESCU

loin dans le passé. Voilà ce que le métropolite Teodosie écrivait sur un Ménée slavon du mois de juillet, imprimé à Moscou en 1646: « Ce livre appelé Ménée a été acheté par le métropolite Teodosie avec 3 zlotes et a été offert à la Sainte Cathédrale Métropolitaine, le 18 février 7193 (1685) pour qu’on s’en souvienne de lui ».7

De même, sur 2 volumes des Vies des Saints imprimés à Kiev en 1689 et 1700, on trouve ces mots: « Ce livre saint, appelé La vie des Saints est offert à la Sainte Cathédrale Métropolitaine de la Valachie de Bucarest, par le vénérable Ioan Mazepa hatman d’Ukraine en son souvenir». Cela s’est passé durant le temps du métropolite de la Valachie qui jète l’anathème sur toute personne qui va oser le soustraire, en 7209 (1701). À la différence du premier volume, dans celui paru en 1700, le nom du donateur est Ioan Matei, grand hatman. On retrouve la même note, qui date de 7209 (1701) sur un Horologion (Polustav) de 1682, paru à Pecerska et sur un autre volume intitulé: Le livre de notre Père, Basile le Grand, l’archevêque de la Cesarée de Capadoce, paru à Ostrog, en 1594.

Sur un Ménée du mois d’octobre paru à Buzău, en 1698, on retrouve sur plusieurs pages, le texte suivant: « Ce Ménée a été offert au Saint Monastère Iezerul8, dont la patronne est la Sainte Vierge, par le métropolite Teodosie, pour qu’il soit à l’usage de l’église. Celui qui osera le soustraire va être maudit! L’année 7207 (1699) ».

Il en résulte que le prélat achetait, offrait et recevait des livres en tant que donations des personnes marquantes de son temps. Il avait aussi une bibliothèque personnelle, en dehors des livres utilisés dans l’église, bibliothèque héritée après sa mort, par la Métropole.

Mais il y a d’autres volumes qui ont également appartenu à la bibliothèque de la Métropole, institution qui a continué à exister ininterrompu, depuis sa naissance. Voilà, seulement, quelques exemples:

• D. Hieronymi, Operum Quartus Tomus, Basileae, 1565 (on a gardé seulement, la moitié de la couverture en bois, sur laquelle on voit écrit, en roumain: « appartenant à la Cathédrale Métropolitaine »)

• Ménée du mois juillet en grec, Venise, 1684: «ce Ménée appartient à la Sainte Cathédrale Métropolitaine».

7 Sur chaque Ménée slavon (il y en a douze) imprimés à Moscou en 1691, le métropolite écrit dans une belle langue roumaine: « Ces douze Ménée ont été achetés par le très Saint kir Teodosie, le métropolite de l’Hongrovalachie pour qu’ils soient à l’usage de la Sainte Cathédrale Métropolitaine de Târgovişte; que celui qui ose les soustraire, soit maudit à jamais! L’année 7201 (1693), 15 août. » Les volumes se sont conservés jusqu’aujourd’hui dans un très bon état, ils sont reliés en cuir marron, ayant des fleurs dorées sur les tranches.

8 Du département Vâlcea.

Page 271: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines... 255

• Les « Merveilles de la Sainte Vierge », Novgorod, 1700 : «De la bibliothèque de la Sainte Cathédrale Métropolitaine».

• Octoèchos slavon (Osmoglasnic), Venise, 1764: «appartient au confesseur Misaila, de la Cathédrale Métropolitaine, Bucarest, 1788, le 25 mars».

• Euhologion, Moscou, 1769: «de la bibliothèque de la Sainte Cathédrale Métropolitaine de l’Hongrovalachie»; on remarque que la langue utilisée dans ces vieux livres est surtout, le slavon.

C’est le Saint Métropolite Dosoftei, (avec ses éditions des « Liturgies » 1679, 1683) et le Saint Antim Ivireanul (avec l’« Euchologe» de Râmnic, 1706 et le « Missel », de Târgovişte, 1713) qui vont utiliser le roumain en tant que langue liturgique. Récemment découverts et étudiés dans la Bibliothèque du Saint Synode, les livres qui ont appartenu au Saint Antim Ivireanul ont une grande importance pour nos recherches. On ne connaissait qu’un seul volume appartenant à l’érudit métropolite. Il s’agit de « Capitole îndemnătoare – Chapitre qui conseillent » Bucarest, 1691, ouvrage sur lequel Antim Ivireanul avait écrit en grec : « Appartenant, comme les autres, à l’hiéromoine Antim Ivireanul, typographe. Antimos.9

On a identifié la signature du prélat sur quatre « ménées » grecques publiées à Venise en février et juin 1678, en janvier 1682 et en décembre 1685. À l’usage d’Antim, l’évêque de Râmnic, écrit celui‑ci dans la partie inférieure de la feuille de titre, ce qui prouve qu’il a écrit entre 1705 et 1708, durant son épiscopat à Râmnic10 .

Le ménée de juin (1678) a sur la feuille de début, la note suivante, en grec: « Chiril l’hiéromoine, prêtre (proestos) du monastère Tous les Saints», le 2 juillet 1765. Sur la partie postérieure de l’ouvrage on trouve ces mots, en roumain: « Chiril, l’hiéromoine, prêtre du monastère Tous les Saints, fils du défunt prêtre Moise ot Sfeti Nicolae de Şelari, 1765 ». Une autre écriture, note en bas, l’année 1805. Dans les feuilles de ce volume on a trouvé un obituaire (diptique) avec l’en‑tête « La Paroisse Antim » qui date de la période d’entre les deux guerres mondiales.

Le Ménée de février (1678) a sur la partie postérieure, une note en grec,: « Moi, Toma, fidèle à Dieu, à la Sainte Vierge et à tous les Saints ». La même écriture ajoute en bas, une malédiction de 1709 contre celui qui voudrait soustraire le livre. Il y a aussi un « Mihail » qui signe en roumain,

9 Découvert et publié par L. Bacâru en : « Considérations sur la bibliothèque d’Antim Ivireanul à partir d’un ex‑libris autographe en «Valeurs bibliophiles du Patrimoine Culturel National , I, Râmnicu‑Vâlcea, 1980, p. 219

10 Voir l’analyse des ex‑libris du Saint Antim chez Aurelian Sacerdoţeanu : « Antim Ivireanul, archiviste, bibliothécaire, typographe dans la revue Glasul Bisericii 1963, no. 9‑10, p. 875

Page 272: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

256 POLICARP CHIŢULESCU

en 1731 ; voyons, aussi, quelques signatures (de 1894 et 1927 ) laissées par des élèves du « Séminaire Nifon » où les volumes ont passé quelque temps.

Sur la couverture d’un Ménée de décembre (1685) il y a en roumain, les mots suivants: « Le chancelier Nicolae Grecul, le neveu de l’higoumène, l’archimandrite du monastère Antim, décembre, l’année 1790.

À la fin du livre, Nicolaos Gramatikos jetait l’anathème sur tous ceux qui auraient osé faire détourner le livre de monastère Tous les Saints. Sur la dernière feuille du ménée, sur l’emblème de la renommée maison d’édition de Nikolaos Glykis, il y a aussi une signature de 1795.

En revanche, dans le Ménée de janvier 1682 il n’y a aucune note, sauf celle de Saint Antim.

La présence de ces livres en grec « à l’usage du Saint‑Antim » s’explique par le fait que leur propriétaire connaissait très bien le grec, de Constantinople où il avait deposé les vœux, parait‑il, avant son arrivée en Valachie. Il est possible qu’il les ait achetés durant son épiscopat à Râmnic ou qu’il les ait prêtés à Mitrofan, l’évêque de Buzău, avant 1698, pour les faire imprimer en roumain. Nous pouvons supposer aussi, que saint Antim ait aidé le chancelier Radu Greceanu « de metre du grec en roumain » certains passages trouvés dans les élégants Ménées commandés en 1698, par le voïvode Constantin Brâncoveanu.

De tout façon, ces livres, les seuls découverts jusqu’à présent ayant la signature du Saint Antim, en tant que titulaire de l’évêché de Râmnic, parlent d’une collection importante apportée par le prélat à Bucarest et offerte plus tard, à son monastère. Ils y sont restés, même après sa mort, selon les notes trouvées sur les feuilles, car étant des livres de culte, ceux‑ci n’ont pas été convoités par les pillards, préoccupés du gaspillage et de la mise en vente, des bien du métropolite assassiné en 1716.

Quant au monastère de « Tous les Saints », celui‑ci a reçu le nom de son fondateur, même de son vivant, tandis que les Ménées ont été utilisés par les élèves du « Séminaire Nifon »pour apprendre le grec, s’exerçant parfois, les signatures sur leurs feuilles. Ce qui est certain ce sont les préoccupations du Saint Antim pour les livres grecs et roumains de la bibliothèque fondée par lui‑même et dont la manière d’organiser, il nous parle dans le XVIIIème

chapitre de son Testament ( Diata ).

La bibliothèque de la famille Cantacuzino

Constantin Cantacuzino, le père de l’érudit écuyer tranchant (stolnic) ayant le même nom, avait fait construire quelques bâtiments auprès de sa fondation, le monastère Mărgineni, de Prahova. C’est dans cet endroit qu’il

Page 273: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines... 257

conservait un véritable trésor: des livres rares et de vieux manuscrits en grec et latin.

Constantin Cantacuzino le père, était arrivé en Valachie durant le règne de Radu Mihnea (1611‑1616) après avoir étudié a Constatinople et dans quelques grandes écoles de l’Europe de la Renaissance. Élevé par le voïvode Matei Basarab, au rang de « postelnic » pour sa culture et son esprit pratique, malheureusement, il sera tué en 1663, sous l’ordre d’un autre prince régnant, Grigorie Ghica, pour l’accusation de trahison.

Rentré des études de Padova, Constantin Cantacuzino le fils, va enrichir la bibliothèque de Mărgineni par des livres, achetés en Italie, ou reçus des amis de l’étranger ; on connaît également, qu’il a acheté des livres rares des soldats qui avaient participé au siège de Camenitza (1672), de Vienne (1683) ou des soldats d’Emeric Tököly qui avaient pillé les maisons des nobles de Transylvanie. L’utilisation de ses livres par personnes qui aimaient la culture est prouvée par une note de 1696, trouvée sur la Grammaire de Meletie Smotriţchi, parue à Moscou en 1648. La note appartient à l’évêque Damaschin de Râmnic, l’enseignant des enfants du Constantin Cantacuzino le fils.

On sait aussi, l’aide du Constantin Cantacuzino le fils, accordé aux érudits de Valachie (pour la traduction de la Bible de Bucarest, parue en 1688) et aux frères Greceanu, pour la traduction des Perles de Saint Jean Chrysostome [Mărgăritare], Bucarest, 1691, et de la Confession orthodoxe [Pravoslavnica mărturisire] Buzău, 1691, en utilisant pour cela, des documents de sa propre bibliothèque. Après sa mort, les livres de Constantin Cantacuzino le fils, ont été pris par le prince régnant Nicolae Mavrocordat qui a mis son propre « ex‑libris » à la place de celui de C. Cantacuzino et les a donné partiellement, au monastère de Văcăreşti, sa fondation. D’autres, ont été retrouvés dans la bibliothèque de la Métropole, ou bien dans celle du Séminaire Central, d’où, des exemplaires, ayant l’ex‑libris du Constantin Cantacuzino le fils, sont été abrités aujourd’hui, par la bibliothèque du Saint Synode.

Sur la partie inférieure de la feuille du titre de l’ouvrage : Sur les principes calvins et les questions de Chiril Lucaris, signé par Meletie Sirigul, paru en grec, à Bucarest en 1690 (BRV vol. I, 90, p. 298) il y a deux notes, toujours en grec: l’une, plus ancienne et décolorée dont l’écriture tremblée appartient sans doute, à une vieille personne, ex‑libris Konstantinou Kantakouzinou et une autre, qui est identique à l’écriture du Constantin Cantacuzino le fils.

Sur la feuille du titre de l’ouvrage : Tou en aghiis patros imon Athanasiou Arhiepiscopou Alexandrias. Ta evriskomena apanda qui contient les

Page 274: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

258 POLICARP CHIŢULESCU

œuvres complètes du Saint Athanase le Grand (Paris, 1627) on trouve en latin: Ex‑libris Constantini C(antacuzeni) . La note a été ensuite couverte et sur la feuille suivante, il y a une note en grec, appartenant au prince Nicolae Mavrocordat : Offert à l’honorable monastère de la Très Sainte‑Trinité de Văcăreşti, par le très vénérable prince régnant « ighemonos » de toute l’Hongrovalachie, kiriou kir, Jω Nicolae Alexandru, prince régnant. L’année 1723, le mois de juin.

On a retrouvé la signature du Constantin Cantacuzino le fils, sur la feuille de titre de l’ouvrage : Sancti Gregorii Nazianzeni Cognomento Theologi opera (« Les œuvres du Saint Grégoire le Théologien ») paru à Paris, en 1609. Sur la 19ème page du livre Theodoritos, episkopou Kirou, Ermeineia is to Asma ton Asmaton , Venise 1639, Constantin Cantacuzino le fils a écrit avec encre noir, en grec : ex‑libris Konstantinou Kantakouzinou et sur la 18ème page une autre main a ajouté : offert par le même noble à Mihail Macri de Joannina.

Il est possible aussi qu’un membre de la famille de Cantacuzino a signé Ex‑libris Constandinus sur la feuille de titre du livre : Aristophanes Eustrati, Comodie endeka, Venise, 1538.

Les efforts pour identifier les volumes de la bibliothèque du Monastère de Mărgineni, bâti par les Cantacuzins, ont mis au jour des centaines d’ouvrages signés et non‑signés par les membres de cette famille. A partir de la 1837, les livres11 appartenant à la bibliothèque de Mărgineni (une grand partie) ont été dirigés, par les officiels, vers la bibliothèque de l’Ecole Centrale de Craiova (l’ex‑collège « Nicolae Bălcescu », le collège « Carol I » d’aujourd’hui. Les chercheurs ont découvert d’autres exemplaires à la Bibliothèque de l’Académie Roumaine et aussi, à l’étranger.

Livres de la Bibliothèque de Nicolae Mavrocordat (1715‑1716; 1719‑1730)

Après avoir régné plusieurs fois en Moldavie et Valachie, Nicolae Mavrocordat s’est imposé surtout, par les mesures d’émancipation prises durant sur dernier règne en Valachie. Ses préoccupations savantes se sont manifestées, non seulement, par des fondations des monastères et ouvrages

11 Les exemplaires des familles Cantacuzino et Mavrocordat qui se trouvent dans la bibliothèque de Craiova ont été signalés par le professeur I. Popescu‑Teiuşan dans l’étude « L’ancienne bibliothèque du Collège populaire « Nicolae Bălcescu » de Craiova » paru en « Études et recherches documentaires et bibliologiques », n0 2, 1964, pg. 183‑196, ayant à la fin, la liste des livres. Il faut revoir également l’étude de C. Dima‑Drăgan “Bibliothèques humanistes roumaines » paru à Bucarest, 1974 qui contient toutes les dates connues jusqu'à nous, concernant les bibliothèques des Cantacuzins et des Mavrocordats.

Page 275: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines... 259

originaux, mais aussi par sa passion d’amasser des livres et des manuscrits, dont les feuilles gardent des notes de lecture très intéressantes. Aussi, sa bibliothèque, comprenant des livres et des manuscrits achetés à grosses sommes d’argent à Constatinople, Mont Athos ou à l’Orient, est‑elle restée célèbre dans l’Europe, toute entière. Même le roi de France désirait les obtenir par échange avec les siens, ou tout simplement, par reproduction manuscrite. Cette bibliothèque s’est également enrichie grâce aux efforts de Constantin, le fils de N. Mavrocordat.

L’une du plus importants réalisations de N. Mavrocordat, c’est le majestueux « Monastère de la Très‑Sainte Trinité » de Văcăreşti, le plus grand ensemble monastique du Sud‑Est de l’Europe, jusqu’en 1986, lorsqu’il a été anéanti. Grâce à l’importance de son fondateur, le métropolite Daniil de la Valachie, accompagné d’un grand nombre de prélats, fera la consécration de l’église, où, conformément aux désirs de N. Mavrocordat, un grand nombre de pauvres devait être nourri.

N. Mavrocordat a aussi cédé beaucoup de livres à la bibliothèque du monastère de Văcăreşti, livres enregistrés en 1723 « lors de la donation inaugurale du fondateur », le monastère étant achevé en septembre 172212.

Après la mort de Nicolae Mavrocordat la bibliothèque du monastère a été confiée au métropolite de l’Hongrovalachie, Neofit de Crète ; celui‑ci avait rendu, une fois, à Constantin, le fils de Nicolae Mavrocordat, une somme importante d’argent. Puis, Constantin a payé sa dette avec un certain nombre de livres en s’ajoutant ainsi à la bibliothèque de Neofit, puis, léguée elle aussi, à la Métropole de la Valachie.13

Dans la bibliothèque du Saint Synode il y a beaucoup de livres ayant la signature du prince régnant, en tant que donateur, au monastère de Văcăreşti :

• Ploutarhou Haironeos, Peri pedon agoghis. Plutarchi de liberis educandis commentarius. À la page 13 il y a une note en grec: … offerts avec les autres, au Saint Monastère Princier de la Très‑Sainte Trinité de Văcăreşti, par le très honorable et très sage prince régnant de toute l’Hongrovalachie, kiriou kir, Io Alexandru Nicolae Voievod, 1723, le mois de juin.

• On retrouve le même texte sur les volumes suivantes :• Symbolarum in Mathaeum tomus alter quo contientur Catena

12 C. Dima‑Drăgan « Bibliothèques humanistes roumaines », Bucarest, 1974, pg. 5913 Cf. Mihail Carataşu, “Des nouvelles concernant la bibliothèque de la Métropole

de Bucarest pendant le XVIIIème siècle » dans : « Études et recherches en bibliologie » 1974, Maison d’Édition d’Académie Roumaine », p. 133

Page 276: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

260 POLICARP CHIŢULESCU

Patrum Graecorum triginta collectore Niceta Episcopo Serrarum, (Tolosae, 1697). Ici, la dédicace a été couverte par un propriétaire postérieur, d’une encre qui s’est décolorée à cause du temps, ce qui fait que sa lecture soit possible. Le deuxième tome garde sur la tranche, des cotes de classement (de bibliothèque).

• Testamenti Veteris Biblia Sacra sive libri canonici priscae iudeorum ecclesiae a Deo Traditi (Geneva 1630). On ajoute à ceux‑ci, le volume mentionné concernant les livres de C. Cantacuzino et deux autres ouvrages de la bibliothèque personnelle de N. Mavrocordat :

• De religione gentilium errorumquae apud eos causis authore Edoardo Barone Herbert de Cherbury, (Amsterdam, 1700).

• Hugo Grotius, De veritate Religionis Christianae, (Hagae‑Comitum, 1718) avec la mention : Ex‑Libris Joannis Maurocordatti m.

On a trouvée dans la bibliothèque du Saint Synode plusieurs volumes ayant au milieu de la feuille de titre, un « ex‑libris » d’une écriture menue, discrète : joannis n. (8 volumes), jωαννυ sκαρλατου(2 volumes) ou joan. scarlatti (2 volumes). L’écriture en est différente ce qui fait penser a deux personnes dont la signature est semblable.14

Pour la formule latine « Joannis » et huit variantes de celle‑ci, C. Dima Drăgan identifie un seul signataire, c’est‑à‑dire le grand chambellan (intendant) Ioan Scarlat15 (Ianache), le gendre de N. Mavrocordat qui possédait lui aussi, une bibliothèque tout à fait personnelle. 16

Pendant sa jeunesse, le même chercheur, affirme que le prince régnant signait tout simplement „Ex‑libris Ioan. Scarlatti M.” (Scarlatti étant le nom de la famille de sa grand‑mère). Mais la signature Scarlatti paraît même en 1726 lorsque le voïvode n’était plus jeune.17 Par conséquent, on suppose qu’il a signé quelque fois « Joannis N. » (Ioan signifiant élu par Dieu pour régner).

Bien qu’on ait consulté les volumes indiqués par C. Dima Drăgan de la bibliothèque de l’Académie Roumaine, on ne peut pas s’expliquer l’omission de chercheur qui ne tient pas compte de « n » ajouté à Ioannis et qui peut‑être, l’abréviation de « Nicolai ».

Il y a un autre volume : I Palhea Diathiki kata tous evdomikonda Vetus

14 Ibidem, pp. 60‑6115 Ibidem, pp. 61‑6216 Les livres du grand chambellan ont été tout d’abord déposés à Văcăreşti, pour

arriver finalement à la Bibliothèque du Séminaire Théologique Central.17 C’est ainsi qu’il signe sur le volume « Oeuvres » de N. Machiavelli, Ière partie,

Haya, 1726 apud. « Livres anciens en Roumanie », Buc., 1962, fig. 38

Page 277: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines... 261

Testamentum Graecum ex versione Septuaginta interpretum‑ (Londini, 1653) sur lequel on a trouvé une note en grec : ek ton tou joannou skarlatou; l’ex‑libris18 ne ressemble pas du tout aux autres, on soupçonne qu’il appartient au gendre de Nicolae Mavrocordat. C’est toujours lui qui a signée, peut‑être, sur la feuille de titre de l’ouvrage Bibliotheca Patrum Apostolicorum Graeca‑Latina Lipsiae, 1699 : jωαννυ. En utilisant une autre encre, quelqu’un d’autre a encadré plus tard le nom par « και θοδε”et « Scarlat » d’où « celui‑ci appartient également à Ioan Scarlat ».

Il y a par conséquent deux signatures qui rassemblement: l’une, sur les livres pris par le gendre de Nicolae Mavrocordat et sur lesquels il est possible que celui‑ci ait modifié l’ex‑libris du prince; une autre, sur les livres gardés par le prince‑règnant qui a signée plus simple : « joannis n.» avec un symbole soussignée au nom (la lettre « m »). Cette signature n’appartient pas nécessairement à la période de la jeunesse du prince.

Voilà les volumes dont «ex‑libris» nous les avons reproduit exactement :• Philippi A. Limborch, De Veritate religionis christianae, Goudae,

1687: ex‑Libris joannis n. (on a ajouté un sc.[arlat] sur la lettre « n »)

• Ek tou ktisiou Agatharhidou, Memnonos, [Paris],1552, Ex officina Henrici Stephani Parisiensi typographi: ex‑libris joan: scarlatti (avec un « m » soussigné)

• S. Clementis Epistolae Duae ad Corinthios, Londra, 1687: ex‑libris joannis. n. (avec un « m » soussigné)

• Genesis Mosis Prophetae liber primus, Amsterdam, 1710: ex‑libris joannis n: (avec un symbole soussigné indéchiffrable « m ?»)

• Mosis prophetae libri quator: Exodus, Leviticus, Numeri et Deuteronomium, Amsterdam, 1710: ex‑libris joannis n. avec un symbole soussigné indéchiffrable « m ?»)

• Illustrium Christi Martyrum Lecti triumphi, vetustis graecorum monumentis consignanti, Paris, 1660: ex‑libris joan: scarlati, avec un symbole soussigné (qui semble effacé); il est possible qu’il s’agisse de la signature de jeunesse du voïvode.

• Sacrorum bibliorum vulgatae editionis Concordantiae, Antuerpiae, 1718: ex‑libris joannis n.: (avec un signe « m » soussigné)

• Themistokleos, Epistolae graece et latinae, Lipsiae, 1710: ex‑Libris Joannis n.

• Origenous, Peri evhis syntagma, [Paris, 1602] ex‑Libris joannis n (avec un « m » soussigné au nom)

18 C. Dima‑Drăgan ne connaît pas cet ex‑libris appartenant au grand chambellan, voir son œuvre rappelé., p. 62

Page 278: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

262 POLICARP CHIŢULESCU

• Petr. Frid. Arpe., Theatrum fathi sive notitia scriptorum de Providentia, Fortuna et fato, Rotterdam, 1712: ex‑Libris Joannis n. (avec un « m » soussigné au nom)

La destinée de la riche bibliothèque des Mavrocordats a été tragique: une grande partie a été gaspillée et mise en vente à Constantinople pour certains dettes, après la mort de Nicolae, tandis que des autres parties (celles trouvées à Bucarest, dans le monastère de Văcăreşti) sont restées dans le soin de Constantin.

Livres de la bibliothèque du métropolite de l’Hongrovalachie, Neofit de Crète (1738‑1754)

Né dans l’île de Crète, ce prélat devient, grâce à sa culture et à ses vastes connaissances scientifiques, l’enseignant d’Alexandru, le fils du prince régnant, Constantin Mavrocordat.

C’est toujours lui (on l’a déjà dit) qui s’est occupé de l’organisation d’un établissement spécial pour la Bibliothèque Métropolitaine qu’il va enrichir par des dons personnels ou provenant des Mavrocordats.

Les catalogues de cette bibliothèque, organisés selon la grande diversité des livres et des manuscrits et gardées jusqu’à nos jours, mettent en évidence la passion de l’érudit métropolite pour les livres. Dans son testament19 de 20 février 1748, le prélat retrace l’histoire des moments les plus importants dans l’organisation et l’enrichissement de cette bibliothèque. On a retrouvé un catalogue partiel20 qui appartient à la bibliothèque, catalogue rédigé vers la moitié du XVIIIème siècle et qui contient à peu‑près 200 titres. Il y a des ouvrages très connus de littérature, de philosophie et de théologie, en grec, latin, turc et roumain. Dans la Bibliothèque du Saint Synode, il y a des livres de l’ancienne bibliothèque Métropolitaine, avec l’ex‑libris du métropolite Neofit, accompagné d’une malédiction contre tous ceux qui voudraient les soustraire :

• Emin. Card. Caesaris Baronii, Compendium annalium ecclesiasticorum, Prague, 1736.

• R.P. Jacobi Tirini Antuerpiani E Societate Jesu, In Sacram Scriptura commentarius, Venise, 1738.

19 Mihail Carataşu « Nouvelles concernant la Bibliothèque de la Métropole de Bucarest pendant le XVIIIème siècle » dans : « Études et recherches en bibliologie » 1974, p. 133

20 La Bibliothèque de l’Académie Roumaine, Ms. rom. 2106, « Registre de documentes, lettres, diverses notes et comptes appartenant au métropolite Neofit I de l’Hongrovalachie » apud. (G. Ştrempel, « Le catalogue des manuscrits roumains », Bucarest, 1983, p. 171)

Page 279: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livres des bibliothèques médiévales roumaines... 263

• Canones SS Apostolorum Conciliorum Generalium et provincialium: Sanctorum Patrum Epistoliae canonicae, Paris, 1620, l’ex‑libris est signé en 1742 ; le volume contient plusieurs observations marginales qui appartient au métropolite. On observe son sceau en noire de fumée avec la crosse, la croix et la mitre d’évêque, encadrées par ses initiales: N(eo)F(it), M(étropolite) U(n)g(rovlahiei). 7247 (1739).

• Varinos, To mega Lexicon, Venise, 1712 avec ex‑libris signé en 8 juin, 1739.

• Calmet, Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, t. I, II, Paris, 1722

• Abraham Tromii, Concordantiae Graecae versionis vulgo dictae LXX interpretum, t. II, Amsterdam, 1718.

• Ioannes, arhiep. Konstantinoupoleos tou Hrisostomou, Ta evriskomena panda, t. II, Venise, 1734, sur lequel il y a une note en néo‑grec : Offert par le Très‑Saint Métropolite de l’Hongrovalachie, Kiriou Kir Neofit, au très honorable monastère de la Métropole, ayant les patrons, ceux égaux aux apôtres, Constantin le Grand et Hélène.

Conclusions

Le fond des livres anciens (roumains et étrangers) de la Bibliothèque du Saint Synode provient, dans la plupart des cas, de l’ancienne bibliothèque de la Métropole, dont le trajet a été assez compliqué. Malgré l’absence des ex‑libris, on suppose facilement que ses livres ont appartenu aux intellectuels de grande valeur, selon leurs reliures élégantes et leurs sujets. On remarque ainsi la présence en trois exemplaires du Lexicon de Varinus Favorinus (Venise, 1712) financé par le prince martyre, Saint Constantin Brâncoveanu, du Lexicon de Suidas de 1725, de l’œuvre de Dimitrie Cantemir : La dispute (la guerre) du sage avec le monde, paru à Iaşi en 1698 (il s’agit d’un exemplaire très rare, qui fait partie d’un tirage retiré) ou bien de l’œuvre du Saint Siméon de Thessalonique, paru à Iaşi en 1683, ou de l’Histoire des Patriarches de Jérusalem paru en 1715 (dont nous possédons trois exemplaires).

Le changement des propriétaires des livres a eu comme conséquence le changement des ex‑libris, ce qui a rendu d’autant plus difficile notre travaille.

Ce sont les livres de théologie, surtout de patristique, avec des textes originaux en grec et latin, appartenant aux plus importants Pères de l’Église, qui prédominent les anciennes collections de la bibliothèque.

Page 280: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

264 POLICARP CHIŢULESCU

On remarque, également, la présence des ouvrages en italien (des ouvrages religieux ou scientifiques, en spécial de physique) apportés, sûrement, de l’Italie par les Cantacuzins. La plupart de ces livres anciens ont été imprimés au XVIIème siècle, mais il y en a plusieurs, qui datent du XVIème ou du XVIIIème siècle. Quelque’uns ont le sceau en noir de fumée, de l’Académie du Saint Sava ou de belles marques de propriété comme celle appartenant à Colegii Societas Jesu de Cameneci Podoliae qui se trouve sur le livre : Philippi Diez Lusitani ord. min. reg. Observantiae, tomus tertius, Venise, 1603. On a trouvé plusieurs volumes mentionnés par Legrand, dans sa Bibliographie Hellénique, comme très rares.

Dans la Bibliothèque du Saint Synode il y a beaucoup de livres mentionnés dans les catalogues et listes spéciales par des chercheurs roumains, mais puisque les dates minimales de ces catalogues anciens concernant l’édition, manquent, on ne peut pas préciser le nom de la personnalité à laquelle ces livres ont appartenu.

Les catalogues de grandes bibliothèques roumaines du Moyen Âge seront sans doute enrichis par de nouveaux titres, au fur et à mesure qu’on va achever la recherche dans d’autres bibliothèques ecclésiastiques du pays.

Page 281: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Protecting the books: chains, curses

IOANA COSTA

The medieval bibliophile could possess codices by quite a few resources: copying by his own hand, ordering to be copied by a professional, receiving as a donation, purchasing or stealing them. This is why the image of a liber catenatus is as remote as possible from entailing a closed or prohibited culture: it is actually a symbol of highly praised texts, treasured together with most precious possessions, protected by all means, against all possible thieves – those consumed by passion for goods or love for books.

The standard value of a book (either papyrus scroll, or parchment codex, or paper book – both manuscript and printed) varied in time. The ancient scrolls hardly could be associated with high value, unlike the later codices. Nevertheless, the scrolls could have certain elements that made them valuable objects: there were different sorts of papyrus and ink (the red ink was precious, just as purple clothes were) and some special ornaments, mostly the cornua (made of precious metals or ivory), umbilici (precious wood) and the cover (using costly purple), paenula, vide Martial, 3.2.7‑11 (Cedro nunc licet ambules perunctus/ et frontis gemino decens honore/ pictis luxurieris umbilicis,/ et te purpura delicate uelet,/ et cocco rubeat superbus index). The opposite example, of a text that lacks all the ornament, belongs to Ovid’s Tristia 1.1, a poem addressed to his own liber (this is actually a letter, a literary letter, unlike Martial’s libellus, a little collection of texts); it is not wrapped in a donum‑like cloth, it has no ornaments, with solid reason, as Ovid abundantly explained: it is incultus (“unadorned”, v. 3), it is not dyed with purple, the colour of joy and luxury (nec te purpureo uelent uaccinia fucco, v. 5), its title is not written in red ink (nec titulus minio, v. 7), its paper is not tinged with oil of cedar (nec cedro charta, v. 7); the scroll of the letter does not have precious rods (candida nec nigra cornua fronte geras, v. 8); its paper is not carefully prepared (nec fragili

Page 282: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

266 IOANA COSTA

geminate poliantur pumice frontes, v. 11). Its appearance is well suited to the status of its “father”: he is an exul (v. 3), so that the letter is wearing the same mourning clothes as its author.

These are two fictional testimonies on ancient scrolls, objects that reached our times only in fragmentary forms and mostly unadorned. We certainly know more about codices, chiefly medieval codices. It is possible to list the elements which generate the value of a book/codex, beginning, as seems proper (though slightly off topic here), with its non‑material content and continuing with materials: on what is the text written, with what (instruments, ink, paint), the cost of borrowing some (allegedly good) exemplars, the involvement of the scriba – meaning his skills and the time spent on writing it. Martial mentions (2.1.5) a liber written in one hour (haec una peragit librarius hora, “the copier finishes it in one hour”), information that is in harmony with Cicero’s complaint (Ad Quintum, 3.5) on mistakes in the copies (libri mendosi). The length of time a scriba spends writing is given by his ability, the type of writing (calligraphy or simple writing) and the ornaments (illumination mostly) he is supposed to accomplish. There is a list of duration records in Grămadă, 1928: 142‑4.• Vat. Lat. 1622, codex parchment, XIV c., 266x180, 95 folios; M. Annaei

Lucani De bello ciuili libri I‑X, with scholiae; initials in red and blue ink. Folio 94v: explicit liber Lucani, Deo gratias amen. quem scripsi in XV diebus ego Petrus.

• Urb. Lat. 505, codex paper, year 1421, 286x205, XVII+225 folios. Folio 209r: inceptum die Martis XV Iulii et finitum die XXII Septembris eodem die.

• Vat. Lat. 430, codex parchment, year 1462, S. Augustini De ciuitate Dei libri I‑XXII, 372x229; 259 folios. One miniature; initials in red, blue and golden ink. Folio 258v: Expletus die XVII Iunii MCCCCXLI, qui inceptus fuerat die XXII Martii precedentis, Deo gratias. Amen.

• Vat. Lat. 10213, codex paper, years 1469‑1470, Miscellanea medica, 304x211, 581 p. Page 420: ...incepte scribi in uigilia Sancti Martini 1469 et finite die 6o Ianuarii, 3° hora noctis 1470.

• Vat. Lat. 1, Biblia sacra, codex parchment, year 1454, 372x260, II+511 folios. Folio 483v: explicit liber iste Biblie sacram omnem scripturam continens. Quam ego Alexander Valerio quondam Domini natalis de confinio Sancti Raphaelis sub anno Domini nostri Ihesu Christi Mo quadringentesimo quinquagesimo quarto, uigesimo sexto iunii ad laudem sancte et indiuidue trimitatis utilitatemque legentium et causa bene dispensandi tempus meum fideli stilo quantum ualui manu propria

Page 283: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Protecting the books: chains, curses 267

compleui totam et roboraui, et cetera. Amen. Folio 520r: Deo gratias, amen. Anno Domini MCCCCLIIIo, die uigesimo Augusti. (483v‑520r: June, 26th‑August, 20th).The value is increased by correcting the text, in various forms: the text

might be emended by the scriba himself (iste liber est magistri Iohannis Sunberger per eum comparatus et correctus), by a different person, a specialised scholar, or by any reader, as we find in a request of a scribe: o frater, quisquis legerit, ora pro me, emenda eum prudenter et noli me maledicere, si Dominum nostrum Ihesum Christum abeas protectorum. • Pal. Lat. 206, X c.. Folio 183v: poem ad lectorem de emendando codice:

Sic ubi corrector meus hesit, corrige lector.Falsa refelle, tene sobria, neutra caue.

Pluris amor ueri sit quam male sensa tueri;Regnet et in dubiis indubitata fides.

The bibliophile could fulfil his need of possessing a book not only legitimately (by copying it by his own hand, by paying a scribe, receiving it as a gift/donation or buying it), but also unlawfully: stealing or buying a stolen book. Some books include notes regarding stealing: a manuscript stolen per manus sacrilegas (Vat. Lat. 600, XIV c., note from XV c., folio 158v), but eventually returned to his rightful owner; similar: post XXXum annum hic liber a me repertus est, fuerat enim furatus e domo anno domini 1473, ego inueni anno 1513, die Februarii, MARFUS; the note is repeated differently by the end of the codex: hic liber furatus fuit pedagogo meo anno Xristi MCCCCLXXIII, quem ego post casu inueni apud Mercurium Bybliopolam anno Xristi MDXIII, die III a Februarii. The correct selling of a book is sometimes testified by two or more witnesses, even in a bookshop (taberna libraria).

Being a valuable object, the book was occasionally inscribed as such, with an explicit mark of its price, subsequent to the name of the scribe, if he was proud enough to insert his own name, vide Grămadă, 1928: 160‑171. • Vat. Lat. 103, XII c. Folio 113v: Salomon scripsit.• Vat. Lat. 1476, year 1454. Folio 125v: qui me scribebat, Laurentius

nomen habebat.• Vat. Lat. 487, XV c. Folio 120v: Finito libro/ Sit laus et gloria Christo.

Amen./ Qui me scribebat/ Iohannes nomen habebat.• Vat. Lat. 199, year 1454. Folio 287v: Finit foeliciter per me Arnoldum

Ufer de Zautboemel sub anno Domini MCCCCLIIIIo, die XX mensis Novembris.

• Vat. Lat. 362, year 1459. Folio 488r: Expliciunt epistolae gloriosissimi

Page 284: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

268 IOANA COSTA

Hieronimi scripte per me Iohannem Caldarificis de Monthabur, presbiterum et canonicum ecclesie Sancti Florini in Confluencia anno Domini MCCCCLIX, die ultima aArilis. Deo gracias. Laus Deo.The price is mentioned from about the XI c. Consequently, the tome

could be used as a pledge, a guarantee. Prices were largely subsequent to the time book was written (Grămadă, 1928: 153‑9).• Vat. Lat. 496, XIII c., codex parchment, Epistulae S. Augustini,

294x212, III+211 folios, 2 columns, one initial with miniature; initials in red or blue ink. It was bought in Paris, in 1345, pro 5 florenis (folio IIIv).

• Vat. Lat. 21, XIII and XIV c., Bible, codex parchment, 307x209, IV+450 folios, 2 and 3 columns, initials in red or blue ink. It was bought in Rome, in 1392, precio uiginti sex ducatorum auri puri et boni ponderis.

• Pal. Lat. 377, XIV c., codex parchement, partly religious texts, in quarto, 186 folios. It was sold in Oxford, in 1349, pro duobus Florenis cum dimidio (folio 186r).Both as precious and symbolic object, the book used to be frequently

figured in art. The seven patterns identified one century ago by Theodor Birt (Die Buchrolle in der Kunst, Leipzig 1907, reprinted 2010) are still perfectly acceptable. From some ancient precise details, consistent with the realia, the book (both the scroll and codex) became a symbol, used as a label, a board, a placard, on which are inscribed names or explanations.

The closed scroll held in the left hand suggests that the holder is an art lover or science lover; in the hand of a merchant, it suggests his seriousness; in the hand of a groom, is the emblem of a bond; in the hand of a priest, is the ceremonial text or the book of praises; in ancient times, the scroll is liber principis, sign of the emperor’s power. In the left hand of Jesus, signifies that he is carrying the logos; the apostles with scrolls are speaking the holy truth. On sarcophagi the scroll in the hand of a dead person is, for the pagans, the book of their lives and, for the Christians, the book of hope and perpetual life. The scroll might be depicted as closed, as being read, as being written. The significant details regard the hand (left or right), sitting or standing characters, isolated persons or group scenes. In Greek and Roman art, the scrolls are marked by verisimilitude, even in minute details (in the right hand a scroll that is being read, in the left hand a scroll that has already been read ad umbilicum, to the end). In medieval times, the scrolls are no longer part of everyday life, so that in art they are symbols, schematically outlined. Scrolls and codices are depicted as simple placards in paintings, icons, mosaics, in an explicit convention, as the text is facing

Page 285: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Protecting the books: chains, curses 269

not the character depicted, but the spectator, the public: needless to say, this is not a scroll written on both sides as in Ezekiel 2.10 or the Revelation 5.1.

The chains are safe means of keeping the books in a precise place. Mostly the public libraries used to protect the books by chaining them to lecterns, such as the Biblioteca Laurentiana, hosting the most prestigious collection of manuscripts (both Latin and Greek) in Italy. The fate of this library is paradigmatic: the initial collection comprised the codices belonging to Cosimo the Elder, his friend Niccolò Niccoli (also collector of ancient manuscripts) and Cosimo’s son, Piero, and grandson, Lorenzo the Magnificent; following the ups and downs of the Medici family, the library was confiscated by the republican government, absorbed in the library of San Marco, recovered by the second son of Lorenzo the Magnificent (Pope Leo X) and transferred to Rome, returned to Florence due to Pope Clement VII (Giulio de Medici) and finally was housed in a building designed by Michelangelo. The books were chained to the reading seat, being kept in the lecterns, that displayed outside lists showing the books to be found in that particular seat. These books, after wandering for decades, are still present at the end of their chains (each on a pluteus).

A different way of protecting books, even migrant books, with a disturbed history, is the insertion of a curse against robbery. In the historical regions of Romania the book stealing was a reality during the XVI c. There were the usual acts of robbery, committed either by foreigners or natives that simply included books among other valuable objects, without any regard toward its cultural price, calculating solely the obvious price, of materials.

On the other side, stealing some books (both manuscripts and printed) that did not display precious elements discloses a certain awareness of the value detained by this object, endowed with multiform intrinsic attributes. The value of the book was multiplied by the position it held in the church, its functions and symbolism. No matter the language, even vernacular, the book was valuable; latter on, its topic, though getting farther than the liturgical purpose, did not prevent it for being stolen and eventually sold. Even during the times when printing devices managed to produce enough books, the object remained rather expensive – during the XVII and XVIII c. Tomes given as a reward by the kings or noblemen certainly augmented the prestige of the book. As much as a book is acquired with difficulty, there are quarrels around it, even feuds and warfare between villages or parishes; and, beyond doubt, there are thieves that want to get hands on it.

Consequently, the medieval man got this new sort of fear: his books being robbed. Before taking into account the material value, we should

Page 286: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

270 IOANA COSTA

acknowledge a parallel between books and letters from the standpoint of their protection: both the author of a letter and an owner of a book experience fear over his letter/book being lost; a letter is valuable mostly on the basis of its content, so that the author manages to protect his message by certain means: writing the letter in a predetermined code (e.g. Cicero, Att., 1.13.4; 2.19.5; 2.20.5; 7.13.5; 7.13a.1), or in a different language (the Greek language, in Cicero, Att., 2.19.,4; 6.1 passim; 6.4.3), or using mythological names and circumlocutions (Cicero, Att., 1.12.1; 2.12.2; 2.14.1); to be sure that the information reaches the addressee, the author sent it twice, in two different letters (Cicero, Att., 7.1.6); sometimes the letter was completed only by getting the orally transmitted message: this is the case of a mute, silent letter, whose role was solely to accompany the real information source, that was the tabellarius (Cicero Att., 16.13.3).

Fighting his own fears, the man that possessed books began to protect them fiercely. From an individual protection, directed toward a potential thief of a book, it got to a new custom, a real institution, that is the anticipatory curse inserted in the book itself, by its scribe or printer. This is not a generic curse, worded by the priest against any sort of thieves, but is a written curse, by the end of the book, meant to consolidate the relationship between the volume and its possessor. The mutation is not at all simple, as the word spoken in the church might seem overwhelming; nevertheless, the written word acquired a perennial force. The notes that are found in the books are the perfect example: the family Bible is used for writing the crucial events of the family, transferred to a higher level, eternal level. A curse directed against a person who would destroy the relationship between the book and its owner is an assurance that the relationship would be preserved.

There are some generic rules regarding writing the curses. Who is allowed to write in a book: not any literate persons of a community may insert a note. Who is allowed to curse a book thief: its owner, either the present one (the real, actual owner) or a potential one that would legitimately possess the book. The curse is directed against those who could eventually change the fate of the book, mostly its place and possessor.

Among the persons that are supposed to become thieves are the monks, representing a vivid threat over the monastery libraries. For stealing a book, a monk is cursed without forgiveness (eternal punishment), will never receive blessings or is threatened with a fatal intervention of Virgin Mary in the Day of Judgement. The only way to escape these tremendous punishments is to return the book. Some manuscripts hosted by the Library of the Romanian Academy (BAR) attest terrible curses:

Page 287: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Protecting the books: chains, curses 271

• BAR 958: să rămâie supt neertat canon şi neblagosloveniia Maicii Domnului şi a prea‑fericitului părintelui nostrum stareţului Paisie.

• BAR 2959: iară di‑a îndrăzni cineva să o scoată din mănăstire, unuia ca aceluia să‑i fie pârâşe Maica Precista la straşnica giudecată.

• BAR 1574/ 1608: întoarcerea iar la obşte/ sobor..Most of the imprecations are directed against the thieves that do not

belong to the church. They are “tempted” to steal by evil spirits and are to be perpetual punished by Virgin Mary (who will never love them again), the Son, the 318 Saints from Nicaea (Nichiia), the earthquake of Cain, Basil the Great or other specific saint, connected to the church or monastery. The wording of a curse is amplified by synonymic chains: anatema, blestem, afurisenie, proclet, treclet etc., meant to horrify the potential thief. Cautious persons may even add some curses against those that might want to erase the curses. • BAR 5708: blestemul Maicii Domnului.• BAR 2195: să n‑aibă parte de dragostea Maicăi Precistii la înfricoşata

şi dreapta judecată a Fiiului Său şi să fie înstreinat de Sfinţiia Sa.• BAR 3020: să‑l găsească cutremurul lui Cain şi să fie supt blestemul

sfinţilor părinţi de la câte şapte săboarăle.• BAR 3094: blestemul Domnului nostru Isus Hristos şi a preacoratei

sale maice şi a sfântului ierarh Vasilie cel Mare.• BAR 2324: Iar cine va îndrăzni şi va fura‑o să fie catherisit de 318

sfinţi părinţi de la soborul Nicheiia.• BAR 4834: Şi oricine s‑ar ispiti ca să mi‑o ia, să fie afurisit de mine,

păcătosul duhovnic.• BAR 4468: Iar carele să va întâmpla să o fure, să fie afurisit de Domnul

nostru Iisus Hristos şi de 318 sfinţi părinţi de [la] săborul Nichei şi de toate sfintele săboară şi să aibă pârâş la dreapta judecată pre marele şi luminătorul Grigorie Decapolitul.Are not no be forgiven those who forget to return a borrowed book:

• BAR 46: Acest Hronograf, luându‑l cineva să citească pe dânsul, de nu l‑ar da înapoi, să fie blăstămat de Domnul Dumnezeu şi de preacurata a sa Maică; cutremurul lui Cain să‑l cuprinză şi înger nemilostiv să aibă în zilele vieţii lui de driapta lui şi locul lui să fii cu Iuda. Şi de mine să fii neertat în veci. Constantin Veisa.Deleting a curse deserves a special curse (Mazilu, p. 279):

• Iar cine ar cuteza să şteargă acest zapis, chiar să tăgăduiască, tot să fie afurisit şi trecleat şi procleat şi neiertat în veci.

Page 288: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

272 IOANA COSTA

A special sort of stealing books occurs during the military campaigns. The troops are known to plunder whatever they think is valuable or whatever they like; the books are precious but, endowed with correct notes, might return to their legitimate owner. Vide De imitatione Christi (p. 280: Thomas a Kempis; translated from Latin to Slavonic and printed in 1647, at Monastery Dealu); Evangheliar (p. 281); or Codices Palatini, that were massively robbed (as war spoils) and travelled from Heidelberg to Vatican, to Paris, to Vatican, to Heidelberg, continuously diminished in number.• Iară de se va întâmpla răutate sau răzmeriţă, precum s‑au întâmplat pre

multe locuri, de s‑au pustiit ţări şi cetăţi şi sate şi oraşe, întâmplându‑se vreme ca aceea, biserica să o poată da de pomană [Cazania lui Varlaam], precum şi s‑au dat întâi […]. De s‑ar întâmpla şi răzmeriţă şi va fi această biserică şi înturnând oamenii tot să o dea înapoi la această biserică.

• Udrişte Năsturel către mitropolitul Varlaam al Moldovei (G. Mihăilă, Literatura română veche, Editura Tineretului, Bucureşti, 1969, p. 277‑279): Cartea aceasta, purtând frumosul titlu Despre imitarea lui Hristos şi prevrednică fiind a se numi cu toată dreptatea şi cu adevărat aur, de multă vreme ca să zic aşa din anii copilăriei mele, aruncată şi prăfuită în casa noastră, ca un lucru ce, în adevăr, nu era de nevoie nimănui, a fost luată de noi, din vremea aceea, adică din vremea năvălirii neamului sarmaţilor în ţara noastră, când, după luptă /iulie 1616, Drăcşani/, fiind bătut şi biruit acel neam de oştile voastre şi ale noastre şi ale agarenilor, a fost prinsă, vai, mama cu copiii săi a acelei preaslăvite şi prealuminate case a Movileştilor. De atunci mi‑aduc aminte că a fost folosită de ai noştri care au fost acolo şi au adus‑o împreună cu alte cărţi şi lucruri – o, preasfinte cap la păstorilor!Intriguing chapters: identified thieves.

• Mazilu, p. 281: Am întrebat ba de unul şi de altul, cu multă strădanie am găsit‑o, de am scos‑o din robia tătarilor./ Această carte ucitelnă este a noastră găsită în steagul tătarilor cându au prădat Ţara Moldovei până la Siretu […] şi am dat doi lei de am legat‑o fiindu stricată de acea pradă.

• Mazilu, p. 281: Acest Letopisăţu au fost al meu şi l‑au furat dumnealui Iordache Balş, vornic. Şi ori cine l‑ar găsi, citind pricina aceasta şi nu mi l‑ar spune, să fie afurisitu şi cel ce‑l ţine şi nu va să mi‑l dè. Căci mi s‑au furat acest cinstit Letopisăţu într‑o dzi luni, fiindcă vinisă şi dumnealui la casa mè şi, măcar că l‑am aflat, dar n‑am îndrăznit a‑i dzice dumnealui, fiind boeru mari şi bătrân, numai citind aice doară s‑ar umili şi mi l‑ar da. O să trimet să mi‑l dè…

Page 289: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Protecting the books: chains, curses 273

We can hardly consider these just some common thieves. They are irremediable bibliophiles that have no limits to their love for book, even somebody else’s books. Some of them are famous (Boccaccio), some are considered absolved because they set aside books from a lethal fate; similar to famous art objects: the Elgin marbles, not stained by modern pollution, the Pergamon altar, the bust of Nefertiti. Tacitus was largely passed over by the Humanists of the 14th and 15th centuries, who preferred the smooth style of Cicero and the patriotic history of Livy; he began to regain some of his old literary importance only when Giovanni Boccaccio brought the manuscript of the Annals 11‑16 and the Histories out of Monte Cassino to Florence, in the 1360s or 1370s. The Annals only survive in single copies of two halves of the works, one from Fulda and one from Cassino.

Some of the books are recovered. There are notes on exchanging stolen books with various items. Recovering books on a ransom basis was practised either regarding the invading troops or the autochthonous burglars that used to take advantage of times of confusion and turbulences. The prices they used to ask were determined both by the auxiliary materials (silver, even gold, precious stones, ivory) and the status of the persons wishing to regain possession over the books. One example: The grand logothete Ioan Golâi paid 1200 aspri for a Tetraevangelia robbed by the Tatars that devastated Moldavia in 1575, after killing John III the Terrible (Mazilu, p. 284). The books, that have been expensive for a long time (in the Romanian world), could be sold by auction whenever their rightful owners grew poor. The bibliophiles used to visit the auctions in order to enlarge their own libraries. • BAR 3574: Şi cine ar îndrăzni a o înstrăina cu nedreptul, precum i s‑au

mai întâmplat în anul 1865, unde cu anevoie s‑au aflat la anul 1866, luna iulie 8/20, precum am mai zis, cine o va înstrăina, să fie neertat în vecul acesta şi în cel viitoriu […] de mine cel mai păcătos între ieromonahii sf. Monastiri Dragomirna, 1866, 4/16 septembrie. Ieroftei Eşanu, ieromonah. 1866, septembrie în 6/18 zile.The books donated to a church were meant to intermediate between man

and God. The gift was officially marked by precise formulae. Nevertheless, as the donator was perfectly aware that his gift could be stolen, the text of the donation formula was enriched with curses against its potential thieves.• BAR 4130: Cade‑să a să şti că această carte este cumpărată de el

[Trifu Onu] pă seama biséricii de la Păuşa. Şi cine o va sminti de la bisérica din Păuşa, să fie afurisit şi anathema, cu toată casa lui.Some of these donations are posthumous, such as the one made by

Dionisie, copyist in Săhăstria Pocrovul, with detailed curses against robbers.• BAR 2110: Iară cine o ar popri după moartea mea, blăstămat va fi de

Page 290: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

274 IOANA COSTA

nu o a da unde‑i menită şi oricine din stăpâni, domni, vlădică, potrupop, preut, ctitori, oameni vlădiceşti, sau oricine, dieci, mireni, de or călca porunca mè, blăstămat şi anathema va rămâne; şi atunci să să irate, când l‑oi ierta eu, de va fi mănăstirea sub pravoslavie.In the manuscripts collection of the Romanian Academy, the curses

meant to protect the books from being stolen are numerous, but in different proportion according to book history. Just as the book production grows, with printed books less and less expensive, this sort of protecting books diminishes. It is less a real curse than a convention and this is the final step toward vanishing.

The essence: the synod of Nίcaia, with 318 saints. In time, the old patterns faded and there are only some relics: e.g. those who gathered in Nicaia (not 318: 319; 313; 370; or a round number: 300; or worse: 120; 33; 7 synods in Nicaia); the twelve patriarchs seem to be mentioned under the surprising title of the twelve bishops (arhierei). • BAR 196: Acest Leatopiseţ [cantacuzinesc] iaste al manii Mătăsar.

[…] Cene s‑ar ispiti a‑l fura să fie afurisit şi lăpădat dă 318 sfinţi părinţi dăn Nichie şi dă alte sfinţi săboară. Amin. Octombrie 13 dni, leat 7227 [1718]. Az Manea Mătăsar.

• BAR 4279: Cine o ar fura, să fie afurisit de părinţii ce s‑au adunat la Nichie şi să i se versă maţăle ca lui Arie şi să aibă parte cu Iuda şi cu Irod şi cu faraon şi cu cei ce vor crede în Antihrist şi cu bogatul nemilostiv. Şi cine o [va] afla să o ţie să aibă parte […]; cine o ar afla şi nu o va da, să aibă parte cu Arie, cu jidovii şi cu păgânii.

• BAR 3116: Şi cine a fura‑o să fie în burduhu dracului şi să fie afurisit de 12 arhierei.Mazilu (p. 296‑7) lists characteristics of curses on books, beside the

weakening due to lesser knowledge of the pattern, nevertheless some special, unique curses: the punishment of an extended pilgrimage; the absence of blessing, with many variants; reassignment of some Christian terms, in a simplified use as labels; curses on reverse, seeming to be blessings (due to ignorance or high sense of humour). The religious curse (Mazilu p. 298) is degraded to general punishment, lacking the precise details (the thieve shall be among all the robbers listed in this book), to simple swearing (să fie al dracului) extended from thief to a borrower that forgets to return the book; the judicial power is sometimes invoked. • BAR 4867: Să să ştie că această sfântă carte este a Petrii Trâsorianul

şi cine o va fura să fie bloagocestiti şi moliftiţi şi blagorodiţi şi cu mila milostivului Dumnezeu.

Page 291: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Protecting the books: chains, curses 275

• BAR 1327. iar cine să va ispiti să o fure să fie afurisitu de trei sută sfinţi părinţi de la Nichiia.

• BAR 1204: iar cel ce s‑ar ispiti ca să o fure să fie afurisit de cei trei sute sfinţi părinţi de la Nicheia.

• BAR 5199. Şi cini s‑ar ispiti să‑l furi să fie afurisit de tri sute de sfinţi părinţi.

• BAR 3678: şi cine o va ascunde să fie afurisitu de treizeci şi trei de sfinţi şi de patruzeci de mucenici, să‑l ucigă, să nu rămâe sufletu de locu.

• BAR 3667: şi cine o va fura‑o să fie afurisit şi supt [osânda] celor şapte soboară ale Nechei.

• BAR 4717: Cine o va găsi să mintă că este a lui, să nu fure, că se va trage la pedeapsă care o va fura.

• BAR 1301: Iar carele ar înstreina‑o să fie numărat în ceata tâlharilor acelora ce pomeneşte în cartea aceasta.

• BAR 4982: şi cine o va fura‑o să fie al dracului.• Bar 3539: Să fie afurisitu cine o va fura cartea aceasta şi anatima, şi dă

i‑a da‑o cuiva şi eu oi uita şi el nu mi‑o aduci, să fie al dracului.• BAR 4443: Cine o va înstreina, judecată cu mine va avea. Aşa. Amin!

[…] acela să‑I fie dobânda puşcăriia, să‑l mănânce mişeliia, să‑l raniiască în cap cheliia.The soft modern variant of these curses is the explicit copyright rules

we can read on each book, coming directly from the judicial power invoked in the degraded curses against thieves.

Bibliography

BIANU, 1907 – Ioan Bianu, Catalogul manuscriptelor româneşti, T. I, 1‑300, Bucureşti, Editura Academiei Române, 1907.

BIANU, 1913 – Ioan Bianu, Remus Caracaş, Catalogul manuscriptelor româneşti, T. II, 301‑728, Bucureşti, Editura Academiei Române, 1913.

BIANU, 1931 – Ioan Bianu, Gheorghe Nicolăiasa, Catalogul manuscriptelor româneşti, T. III, 729‑1061, Craiova, Editura Academiei Române, 1931.

Page 292: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

276 IOANA COSTA

EIDINOW, 2012 – Esther Eidinow, Claire Taylor, Lead‑Letter Days: Writing, Communication and Crisis in the Ancient Greek World, in “Classical Quarterly” 60.1. 2010, 30‑62.

GRĂMADĂ, 1928 – Nicolae Grămadă, Contribuţii la istoria cărţii şi a scrisului în evul mediu, cu 33 figuri în text, Cernăuţi, Institutul de Arte Grafice şi Editura „Glasul Bucovinei”, 1928.

MAZILU, 2001 – Dan Horia Mazilu, O istorie a blestemului, Iaşi: Polirom, 2001.

POSTER, 1992 – Carol Poster, Linda C. Mitchell (ed.). Letter‑Writing Manuals and Instruction from Antiquity to the Present. Historical and Bibliographic Studies. Studies in Rhetoric/Communication, Columbia, SC, University of South Carolina Press, 2007.

SALLES, 1992 – Catherine Salles, Lire à Rome, Paris, Belles Lettres, 1992.SIMONESCU, 1994 – Dan Simonescu, Gheorghe Buluţă, Scurtă istorie a

cărţii româneşti, [Bucureşti], Editura Demiurg, 1994. ŞTREMPEL, 1967 – Gabriel Ştrempel, Florica Moisil, Lileta Stoianovici,

Catalogul manuscriptelor româneşti, T. IV, 1062‑1380, Bucureşti, Editura Academiei R.S.R., 1967.

ŞTREMPEL, 1978; 1983; 1987; 1992 – Gabriel Ştrempel, Catalogul manuscriselor româneşti, Bucureşti, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, t. I 1‑1600, 1978; t. II 1601‑3100, 1983; t. III 3101‑4413, 1987; t. IV 4414‑5920, Editura Ştiinţifică, 1992.

Page 293: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings of a Romanian collection

GRBA MILAN

Previous research into Romanian books held in the British Museum Library

The earliest identified evidence of a scholarly interest in the British Museum Library (BML)1 Romanian collection items is found in a typescript note. The note is pasted on the marbled front papers of a Romanian 1574 manuscript Gospel2 held in the British Library. The content of the note is as follows: “The text of Matthew is printed by Moses Gaster” “La Versione Rumena del Vangelo di Matteo” in Archivio Glotto‑Logico Italiano, xii, 1890‑92, pp. 197‑254. He shows that this MS. (which is dated in the colophon 1574) is copied from the printed edition published by the deacon Coresi at Braşov in 1561. Only two copies of the printed edition are known to exist, one in Budapest and one (imperfect) in Bucharest; cf. Bianu and Hodos, Bibliografia românească veche, i, 1898‑1903, pp. 43‑46, and M. Rogues, L’Evangheliare roumain de Coresi, Romania xxxvi (1907),

1 Before the creation of the British Library in 1973, the national library was part of the British Museum and the term the British Museum Library in this article refers to the period when the museum and library departments were housed in the same building, from 1753 to 1973. From 1973 the British Library still operated as an independent institution in the British Museum building. A new British Library building at St Pancras in London was opened in 1997. For more information about the British Library’s departments see: [http://en.wikipedia.org/wiki/British_Library, accessed 17 February 2012]; and its history: [http://www.bl.uk/aboutus/quickinfo/facts/history/index.html, accessed 17 February 2012]

2 Tetraevanghel (Gospels) British Library shelfmark Harley 6311.B. For the 1574 Romanian Gospel see the entry in: A Catalogue of the Harleian Manuscripts in the British Museum, vol. III. Printed by Command of HM King George III, 1808.

Page 294: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

278 MILAN GRBA

429‑434. According to Gaster it is the oldest dated Roumanian MS.” Moses Gaster (Bucharest, 1856 – London, 1939), scholar and rabbi of the Sephardic congregation in London, examined this codex while working on his study and chrestomathy of Romanian language and literature published in Leipzig and Bucharest in 1891.3 In 1915 the foundation of the School of Slavonic and East European Studies (SSEES) at King’s College, London provided an institutional basis for Romanian studies in Britain. Teachers, lecturers and professors of this School showed an active interest in the Romanian manuscripts and printed books held in the BML. Marcu Beza, a Romanian diplomat in London, teacher of Romanian and then lecturer at SSEES, published in 1938 a survey of manuscripts and books in the BML relating to the history of Romania.4 Eric Tappe, the first professor of Romanian studies at the University of London (1974), researched

3 GASTER, Moses, Chrestomatie Română: Chrestomathie Roumaine. Textes imprimés et manuscrits du XVIme au XIXme siècle; spécimens dialectales ["sic"] et de littérature populaire, accompagnés d’une introduction [in Roumanian and French] d’une grammaire et d’un glossaire roumain‑français, Leipzig: F. A. Brockhaus; Bucuresci: Socecu & Co., 1891. Chrestomatie Română. Texte tipărite şi manuscrise [sec. XVI‑XIX], dialectale şi populare cu o introducere, gramatică şi un glosar româno‑francez. Vol. I. Introducere, gramatică, texte [1550‑1710]. Vol. II. Texte [1710‑1830], dialectologie, literatură populară, glosar, Vol. I., pp. xxviii; 9‑10. Gaster played an important role as a scholar and collector of Hebrew, Yiddish and Samaritan and old Romanian manuscript and printed material. Gaster’s library was divided between British (BML, SSEES and John Rylands Library in Manchester) and Romanian institutions in his life time and after his death. The British Museum Library acquired a major portion of his Hebrew manuscripts in 1925. The Romanian Academy acquired Gaster’s collection of Romanian manuscripts in 1936. SSEES acquired his collection of Romanian printed books, about 3500 titles, in 1952. Gaster’s role and the history of his library have already been researched and for that reason he is not discussed in this article. More about Gaster’s life in Romania and Britain, his contacts and dealings with the BML and his library, see DELETANT, D. “A Survey of the Gaster books in the School of Slavonic and East European Studies”, Solanus: Bulletin of the Slavonic and East European Group of SCONUL, ed. J. E. O. Screen, 1975, no. 10, pp. 14‑23.; LEVI, T. The Gaster papers: a collection of letters, documents, etc., of the late Hahan Dr Moses Gaster (1856‑1939). London: [University College, London Library], 1976; GASTER, M. Memoirs. Edited and collated by Bertha Gaster. London: Privately printed, 1990; GASTER, M. “The Story of my library”, Edited by Brad Sabin Hill. The British Library Journal, 1995, no. 21:1, pp. 16‑22; The Gaster Collection of Romanian printed books: held in the Library of the School of Slavonic and East European Studies, University College London. [Preface by Brad Sabin Hill]. London: University of London, School of Slavonic and East European Studies, 1995; GASTER, M. Memorii (fragmente): corespondenţă. Ediţie îngrijită de Victor Eskenasy. Bucureşti: Editura Hasefer, 1998.

4 BEZA, M. “Vechi legături cu Anglia”, Memoriile secţiunii literare, 8 (1936‑38), pp. 253‑261.

Page 295: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 279

Romanian books held in the BML in great detail. Tappe identified a very rare book by Vasile Alecsandri (1821‑1890), poet, dramatist and the first collector of Romanian folk songs, in the BML. This was a copy of Teatru românesc. Repertoriul dramatic5 (Romanian theatre) held in the BML which has a manuscript annotation in Alecsandri’s hand on the title page of the book: Au Musée britanique de Londres. V. Aléxandri. Alecsandri published this book in 1852 in Cyrillic characters which included some of the Roman letters with diacritics.6 French translations in Alecsandri’s hand of the title page and the table of contents are inserted as flyleaves in the book. Alecsandri’s letter, dated 18 March 1853, which was addressed to the Principal Librarian7 is inserted in front of the Alecsandri’s manuscript title page. In 1973 Tappe published Alecsandri’s letter in the French original and in Romanian translation together with a facsimile of the title page and the letter.8 In the letter which accompanied his donation to the BML, Alecsandri explained that in 1852 he had sent to the BML the first part of his Romanian folk ballads9 and that he hoped the library would complete this edition with the second part which was in the process of printing.10 Alecsandri wrote that the BML would do him an honour in accepting his book “Romanian theatre” for the collection which “Mr Parker would bring [it] in on his behalf”.11 Alecsandri then finished his letter by expressing thanks for the letter of acknowledgment which he received in August 1852 concerning his previous gift to the BML.12 On the verso of Alecsandri’s letter, Tappe also discovered an autograph annotation written

5 ALECSANDRI, Vasile. Teatru românesc. Repertoriul dramatic, Tomul I. Iaşi: Tipografia francezo‑română, 1852.

6 The so‑called transitional alphabet which replaced Romanian Cyrillic alphabet and was in use for a short period before the official introduction of Romanian Roman alphabet in the early 1860s.

7 Sir Henry Ellis, Principal Librarian 1828‑56 (knighted 1833). 8 TAPPE, E. “Vasile Alecsandri la British Museum”, Manuscriptum 2 (1973), pp.

157‑158.9 Balade: adunate şi îndreptate de V. Alecsandri, cu o notă privitoare la ediţie de T.

Codrescu. Partea I. Iaşi: Tipografia Buciumului Român, 1852. BL shelfmark 11585.d.2.10 The BML acquired volume II by purchase in 1865. Volume II has the

same shelfmark as volume I (Partea I, see note 9). The copy has a British Museum purchase acquisition stamp of 6 April 1865. The copy’s title page has a stamp: “K.K.BUCHER‑REVISIONS‑COMISSION”.

11 Tappe assumed that the person mentioned in the letter as Mr Parker could have been J[ohn]. W[illiam]. Parker (1792‑1870) or his son J. W. Parker (1820‑1860), as both were publishers and printers. See TAPPE, 1973: 158.

12 The gift was a copy of his Balade. See note no. 9.

Page 296: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

280 MILAN GRBA

in pencil in the hand of the English poet Coventry Patmore13 which reads: “For Mr Prevost to catalogue from C. K. Patmore”.14 Tappe’s contribution reveals that Patmore worked in the BML from 1846 to 1862 and continues: Este agreabil gîndul că scrisoarea lui Alecsandri poartă adnotarea unui remarcabil poet englez al timpului.15 Dennis Deletant, Professor of Romanian Studies at SSEES, University College London, was another British academic who undertook research into the Romanian manuscripts and books held in the BML.16 On the other hand, Romanian scholarship produced several studies of Romanian sources and collections outside the country, some of which examined the BML Romanian collection items.17 Romanian manuscripts and early printed books in British and Irish holdings are fully described in two collaborative catalogues: A Union catalogue of Cyrillic manuscripts in British and Irish collections, the Anne Pennington catalogue compiled by Ralph Cleminson, (London: School of Slavonic and East European Studies, 1988)18; and Cyrillic books printed before 1701 in British and Irish Collections: a union catalogue compiled by Ralph

13 Coventry Kersey Deighton Patmore (1823‑1896), poet and essayist.14 See note no. 5. The British Library (BL) shelfmark 11755.f.15. 15 TAPPE, 1973: 158. A fact that Tappe took the trouble to investigate the years of

Patmore’s service in the BML gives proof of his close interest in the Romanian collections in the BML. His sources, though, in the BML or from elsewhere, misdated the final year (1862 instead of 1865) of Patmore’s service in the BML. Coventry Patmore was an assistant in the Printed Books Department from 1846 to 1865. The person to whom Patmore passed on Alecsandri’s book for cataloguing was Louis Augustin Prevost (1796‑1858), a supernumerary assistant in the Printed Books Department in 1838,and 1843‑58. See: HARRIS, P. R. A history of the British Museum Library, 1753‑1973. London: British Library, 1998, pp. 161; 124.

16 For his research into the Romanian collection see D. Deletant, “Licitaţie Londoneza. O copie dupa Didahiile lui Ivireanul”, Manuscriptum, 2(15), (1974), pp. 162‑163. D. Deletant, “Un manuscris al lui Mihail Moxa diu Muzeul Britanic”, Revista de Istorie si Teorie Literará 24 (1975), pp. 255‑262.

17 BREAZU M, NICULESCU E. Documente privind istoria României din colecţii britanice. Bucureşti: Consiliul Culturii şi Educaţiei Socialiste, 1982; CONSTANTINESCU R. Manuscrise de origine românească din colecţii străine. Bucureşti: Direcţia Generală a Arhivelor Statului din Republica Socialistă România, 1986; CÂNDEA V. Mărturii româneşti peste hotare. Bucureşti: Editura Enciclopedică, 1991.

18 This catalogue gives details of seven Romanian manuscripts, including their provenance and the literature about them. The oldest manuscript is dated to 1574, three to the 17th century, one to the 18th century and two to the 19th century. The manuscripts are held in the British Library in London, Bodleian Library in Oxford and John Rylands Library in Manchester. See the catalogue entries 107, 86, 178, 154, 138, 136 and 90. Two 16th century Gospels written in Bulgarian Church Slavonic originated in Moldavia. See the catalogue entries 66 and 74.

Page 297: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 281

Cleminson... [et al.], (London: British Library, 2000).19 One of the very rare Romanian early printed books held in the British Library, Bucoavnă, printed in Alba Iulia in 1699, has recently been identified as probably the only one still in existence.20

Provenance of the earliest Romanian books in the BML

The first books printed in Romania were for use in Orthodox Church services, a Missal (1508), an Octoechos (cycle of prayers – 1510) and the Gospels (1512), all printed for the princes of Wallachia by the monk Macarie. The 1512 Gospels (Evangheliar slavonesc)21 in Church Slavonic were printed in a press which is thought to have been located in a monastery in or near Târgovişte, the seat of Prince Neagoe Basarab (1481‑1521) the

19 This catalogue gives a description of 18 copies of 16 Romanian Cyrillic books in the British collections: three 16th century books (printed in 1512, 1562 and 1569); and 15 books printed in the 17th century (in 1640, 1644, 1648 (two copies held), 1652, 1678, 1680, 1682, 1683, 1688 (two copies held), 1698 (two books held), 1699 and 1700). Eight copies are held in the British Library in London. See catalogue entries 3, 25, 91, 112, 34, 161, 167 and 171. Five copies are in the Cambridge University Library, see entries 96, 105, 138, 140 and 142. Two copies are in the Bodleian Library, see entries 105 and 147. Two copies are in the School of Slavonic and East European Library, see entries17 and 162 to 165. One copy is held in the London Library, see entry 147. A history of the British collections and collecting is provided in the introduction to the catalogue and each entry provides a description, references and the provenance of the books. The bibliography and indices of places, presses and printers are supplied in the catalogue. Since the publication of this catalogue, the British Library has acquired by purchase in 2004 a very rare first edition (1683) of Dosoftei, Metropolitan of Moldavia’s Parimiile consisting of translations into Romanian of biblical passages intended for reading in church. This book was one of a number of titles printed at his own printing press in Iaşi, housed in a building, still extant, now named “Dosoftei’s House”. Parimiile Preste An. Cu posluşania Smertitului Dosotei mitropolitulî. 1st ed. Iaşi: În tiparniţa ţărâi: Dosoftei, 1683. BL shelfmark RB.23.a.34128. The BL had also acquired another two early printed Romanian books which are currently in process and without shelfmarks. These are: Şapte taine a besearecii. Tipărită cu învăţătura şi cu toată cheltuiala Măriei sale Ioan Vasilie Voievoda. În târg în Iaşi: În Tipariul cel Domnesc, 1644; and Sfânta şi dumnezeiasca Liturghie a Sfântului Ioan Zlatoust, a Marelui Vasilie şi a Sfântului Grigorie. În Sfânta Episcopie de la Buzău: În Tipografia Domnească, Mitrofan, Episcopul de Buzău, 1702.

20 GRBA M, SHORE P. “A recently identified seventeenth century Romanian catechism in the British Library”, The Valahian Journal of Historical Studies 13 (2010) 7‑10. See Bucoavnă ce are în sine deprinderea învăţăturii copiilor la carte. În Bălgrad: În Sfânta Mitropolie, de Mihai Iştvanovici Tipograful, 1699;BL shelfmark 1568/3864.

21 Četvoroblagověstie. Povelěnie... Basaraba Velikago Voevody. Târgovište: Inokì Makarie, 1512. BL shelfmark C.25.l.1.

Page 298: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

282 MILAN GRBA

ruler (Voivode) of Wallachia from 1512. The British Library copy is from the British Museum foundation collection of Sir Hans Sloane (1660‑1753), who bequeathed his vast collection to the nation for a token sum in 1753. Another great foundation collection purchased for the nation in 1753 is the Harleian collection of manuscripts.22 From the Harleian collection there came to the BML the 1574 Romanian Gospel (Tetraevanghel) mentioned above.

Some early printed Romanian books came from the collection of Frederick North, fifth earl of Guilford (1766‑1827), the patron of an Ionian university and philhellene.23 Dimitrie Cantemir (1673‑1723), a prolific Romanian man of letters, and twice prince of Moldavia in 1693 and in 1710‑1711, printed in Romanian Cyrillic and in Greek a philosophical treatise Divanul sau gâlceava (The Divan or The Wise Man’s Parley with the World) in Iaşi in 1698.24 This was the first secular work written in Romanian. The British Library copy was also acquired by the British Museum in the first half of the 19th century from the library of Frederick North Earl of Guilford.25 From the Earl of Guilford’s collection is the Blaj Bible of 179526 which is a revision of the Bucharest Bible of 1688, the first complete Romanian translation of the Bible. Blaj was the seat of the Uniate

22 The collection of Robert Harley, first Earl of Oxford and Mortimer (1661‑1724) and his son Edward Harley, second Earl of Oxford and Mortimer (1689‑1741). See W. A. Speck, ‘Harley, Robert, first earl of Oxford and Mortimer (1661‑1724)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004; online edn, Oct 2007 [http://www.oxforddnb.com/view/article/12344, accessed 5 March 2012]; David Stoker, ‘Harley, Edward, second earl of Oxford and Mortimer (1689‑1741)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004; online edn, Jan. 2010 [http://www.oxforddnb.com/view/article/12337, accessed 5 March 2012]

23 See M. C. Curthoys, ‘North, Frederick, fifth earl of Guilford (1766‑1827)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004; online edn, May 2009 [http://www.oxforddnb.com/view/article/20305, accessed 5 March 2012]. The collection of Frederick North was a large collection of printed books and manuscripts which was sold in seven sales between 1828 and 1835.

24 Divanul sau gâlceava înţeleptului cu lumea sau giudeţul sufletului cu trupul. În Iaşi: S‑au tipărit prin osteneala smeriţilor şi mai micilor Atanasie ieromonahul şi Dionisie monahul, Moldoveanii, 1698. BL shelfmark C.118.g.2.

25 Identified by the British Museum stamp in the book, which was in use before 1834. See CLEMINSON, 2000: xxxviii.

26 Biblia adecă Dumnezeiasca Scriptură a legii vechi şi a ceii noao toate care s‑au tălmăcit de pre limba elinească pre înţelesul limbii rumâneşti. Acum întâi s‑au tipărit rumâneaşte... Cu blagoslovenia Măriii sale Prea luminatului şi Prea sfinţitului Domnului Domn Ioan Bob Vlădicul Făgăraşului. În Blaj: La Mitropolie, 1795. BL shelfmark C.66.i.5. British Museum acquisition stamp indicates the purchase date as 18 October 1844.

Page 299: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 283

Metropolitan, the primate of the Greek‑rite Roman Catholic Church, and this Bible was printed there by Samuìl Micu‑Klein (1745‑1806), a Romanian theologian and historian. Together with Gheorghe Şincai (1754‑1816) and Petru Maior (1761‑1821), Klein was a leading figure of the intellectual movement for national emancipation known as the “Transylvanian School”. Maior was a historian of this school, which is known in Romanian historiography to have argued in favour of the Roman origins of the Romanian people. In 1838 the BML purchased Maior’s history printed in Budapest in 1812, History of the Origins of the Romanians in Dacia.27

The first to initiate systematic foreign acquisitions in the BML from the 1840s were Sir Anthony Panizzi (1797‑1897), Keeper of the Department of Printed Books from 1837 to 1856, and his assistant Thomas Watts (1811‑69). Adolphus Asher (1800‑53), a bookseller from Berlin, became a major supplier of foreign material. Circumstantial evidence suggests that new and older Romanian editions published aboard were acquired systematically for the collection. The first critical edition of Romanian history by Mihail Kogălniceanu (1817‑1891), politician and historian, published in Berlin in 1837, was acquired in the BML in September 1842.28 Gaster’s study Chrestomathie roumaine, published in Leipzig in 1891, was acquired in October 1891.29 In the twenty years from 1881 to 1900, the BML acquired about 250 Romanian titles, half of which were published in Romanian and Transylvanian printing locations.30 On average 12 titles were acquired a year and six titles would have been in the Romanian language and printed in Romanian towns. The majority of books which came from Romania were printed in Bucharest. The subjects of the largest number of Romanian books acquired in the BML were in social sciences, especially constitutional law and politics, and in humanities, mainly in history, language and literature. The relatively small number of Romanian imprints in the BML acquired

27 Istoria pentru începutul românilor în Dachia. Întocmită de Petru Maior de Dicio‑Sânmartin protopop. La Buda: În craiasca tipografie a Universităţii Ungureşti din Peşta, 1812. BL shelfmark 804.d.3. British Museum acquisition stamp indicates the date of purchase as 1 November 1838.

28 KOGĂLNICEANU M, Histoire de la Valachie, de la Moldavie et des Valaques transdanubiens.Tome premier, Histoire de la Dacie, des Valaques transdanubiens et de la Valachie, (1241‑1792). Berlin: B. Behr, 1837. BL shelfmark 1437.h.16. British Museum acquisition stamp indicates the date of purchase as 21 September 1842.

29 GASTER, 1891. See note 3. BL shelfmark 2285.e.7. British Museum acquisition stamp indicates the date of purchase 12 October 1891.

30 See Subject index of the modern works added to the Library of the British Museum in the years 1881‑1900 [etc.] Edited by G. K. Fortescue [and others]. London: British Museum. Department of Printed Books, 1902‑3. Entries for Roumania, pp. 417‑421.

Page 300: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

284 MILAN GRBA

up to the end nineteenth century may indicate that the absence of a library supplier of books and periodicals in Romania had made it quite difficult for the library to obtain Romanian books31.

Historical context of the first cultural contacts between Romania and Great Britain

Before the nineteenth century the British reading public had only vague ideas about the Romanian lands and people. People who had access to British and Irish collections could acquire only fragmentary knowledge about Romanian religion, language, history, national customs and geography. The most important sources of information about the territories and peoples in south‑east Europe who lived in the Ottoman Empire were the British travel accounts from the eighteenth and early nineteenth centuries. John Jackson’s Journey from India, towards England in the year 1797 printed in London in 1799 is one of the early accounts which describes places and peoples in Wallachia and Transylvania, among other countries.32 British public and institutional awareness of southeast Europe significantly increased when the Russian powers threatened British interests in the Balkans and India. The rise of nationalism in the Balkans and the Russo‑Turkish wars in the 19th century attracted far greater public attention to the Balkans then ever before in Britain. Tappe notices that it was at the time of the Crimean War (1853‑56) that Romanian literature received some degree of attention in Britain.33 Vasile Alecsandri made the first contact with the BML in the period after the revolutions of 1848, and on the eve of the union of the principalities of Moldavia and Wallachia.

31 The Romanian printing, book market and the circulation of books is not discussed in this article.

32 JACKSON, J. Journey from India, towards England in the year 1797, by a route commonly called over‑land, through countries not much frequented, and many of them hitherto unknown to Europeans, particularly between the rivers Euphrates and Tigris, through Curdistan, Diarbek, Armenia, and Natolia, in Asia, and through Romalia, Bulgaria, Wallachia, Transylvania, &c. in Europe. London: Printed for T. Cadell, Jun., and W. Davies, by G. Woodfall, 1799.

33 TAPPE, E. Rumanian in Britain. An Inaugural Lecture delivered at The Senate House 10 March 1975. London: [Author], 1975, pp. 3‑4. Here Tappe discuses two anthologies: MURRAY G. Doǐne; or, the National Songs and Legends of Roumania. London: Smith, Elder and Co, 1854. 2nd ed. 1859. STANLEY H. Rouman Anthology; or, Selections of Rouman poetry, ancient and modern, being a collection of the national ballads of Moldavia and Wallachia, and of some of the works of the modern poets, in their original language; with an appendix, containing translations of some of the poems, notes, etc. Hertford: S. Austin, 1856.

Page 301: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 285

As a diplomat and politician Alecsandri represented his government in London and Paris. In August 1852 Alecsandri sent to the BML from Paris the first part of his collection of Romanian folk songs Balade.34 The following year Alecsandri donated a book of his original poetry to the BML’s collection, Doǐne şi lacrimǐoare, printed in Paris in 1853.35 Apart from Alecsandri’s books, two other works were given to the Romanian collection in the BML in this period. These publications were contemporary accounts of the political situation in Moldavia and Wallachia after the unsuccessful revolution of 1848 and before their unification. An account attributed to Jean Honoré Abdolonyme Ubicini (1818‑1884), a publicist who also used the pseudonym ‘Un Serbe’36 was printed in Paris in 1849 as Mémoire justificatif de la révolution roumaine du 11 (23) juin 1848.37 Another account donated was The Danubian Principalities: their claims to independence considered by Karl Blind (1826‑1907), a political refugee in Britain and publicist, which was an 1857 article reprint from The Eclectic Review.38

Individual scholarly efforts and increased travel accounts,39 however, did not seem to have catered adequately to the growing public interest in and demand for information about the Romanian lands. In the preface of his book Roumania, past and present published after the creation of

34 British Library Archives. DH 53 Registers of donations, 1836‑1953. DH 53/2. Register 2 for the years 1848‑1855. This donation is recorded in the entry for August 1852 as ‘Presented anonymously’. The BL copy at the shelfmark 11585.d.2. has a date‑stamp indicating a donation on 8 August 1852. The page after the title page has an inscription in Alecsandri’s hand: ‘Pour la bibliotheque British Museum’.

35 ALECSANDRI, V. Doǐne şi lacrimǐoare, 1842‑1852. Paris: De Soye et Bouchet, 1853. BL shelfmark 11585.d.3. Alecsandri presented his book through another government representative in London, Dimitrie Bratianu (1818‑1890), politician and diplomat, a member of the eminent Bratianu ‘political family’ that contributed to the creation of modern Romania. British Library Archives. DH 53/2, entry for October 1853, ‘presented by the author through D. Bratiano’.

36 See Südosteuropänisches biographisches Archiv /[edited by Kramme, U. [and] Urra Muena, Ž].München:K.G. Saur Verlag,[1997]‑microfiches: 467,13‑14.

37 Mémoire justificatif de la révolution roumaine du 11 (23) juin 1848 / Abdolonyme Ubicini. Paris: Imprimerie de Cosson,[1849?]. Three copies are held in BL 8092.e.70.; 8092.e.71., and LB.31.b.21963. See DH 53/2, ‘Presented anonymously in January 1853.’

38 See DH 53/3, ‘Presented by the author July 1857’. BLIND, C. The Danubian Principalities: their claims to independence considered... Reprinted from the Eclectic Review. pp. 26. London: Ward & Co., 1857. BL shelfmark 8028.b.13.

39 See MAWER E. B. Roumanian fairy tales and legends. London: H. K. Lewis, 1881; JACKSON, H. A. A series of lectures upon Roumanian History and Literature. Lower Norwood: The “Press” Office, 1884.

Page 302: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

286 MILAN GRBA

the Kingdom of Romania in 1881, James Samuelson wrote: “There is no country in Europe which at present time possesses greater interest for Englishman that does the Kingdom of Roumania, and there is none with whose present state and past history, nay, with whose very geographical position, they are less familiar”.40 As mentioned above, in 1915 a more substantial basis for Romanian studies in Britain was created in the new School of Slavonic and East European Studies at King’s College in London. One of the personalities instrumental for the establishment of SSEES was Robert William Seton‑Watson (1879‑1951), a historian, academic and authority on central and southeast Europe whose work was remarkable in its scope and erudition. In 1934 he produced a pioneering work, a major study entitled A History of the Roumanians, from Roman times to the Completion of Unity.41 By the end of the First World War and its aftermath a great number of books, pamphlets, records, first‑hand accounts, journals and newspaper articles were published which created an unprecedented body of knowledge and information on south‑east Europe in Britain.

Romanian books and periodicals donated to the British Museum Library, 1852‑1952

The donations of the 1850s have been discussed to some extent above.42 After the year 1857 there followed a twenty‑year period before the new Romanian books were presented again to the BML. Starting from the year 1876 onwards, almost every volume of the British Museum Department of Printed Books “Registry of Donations, 1836 to 1953” records Romanian entries.43 In the volumes for the last quarter of the nineteenth century 154 Romanian entries are found, or six entries a year on average.44 In the volumes

40 SAMUELSON, J. Roumania, past and present... Illustrated with maps, by E. Weller, portraits... plates and numerous plans and woodcuts, by G. Pearson, etc. London: Longmans & Co., 1882.

41 SETON‑WATSON, R. W. A History of the Roumanians, from Roman times to the Completion of Unity. Cambridge: University Press, 1934.

42 See notes 9, 34, 35, 37 and 38.43 With the exception of the first book for the period 1836‑1848 and the books DH

53/4‑6 covering the period 1858‑1875. I am grateful to Lynn Young, the British Library Archivist, for allowing me access to 60 volumes of the Register of Donations, 1836‑1953, also called Series DH 53.

44 The majority of manuscript volumes contain indexes but it is quite possible that due to spelling errors or illegible writing or my omissions not every entry has been acknowledged as Romanian. Also one would assume that not every single donation had been recorded in the register of donations. However, it can be said that the findings are representative for the Romanian donations registered here.

Page 303: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 287

for the years 1901 to 1953, in total 504 entries are found, or about 10 entries a year on average.45 An entry in the registry of donations could include any number of books, multi‑volumes or serial parts, ranging from one title to a number of titles or unnumbered lists of works, so it should not be assumed that an entry represents only one donated item. For a span of a hundred years, from 1852 to 1952, 663 entries were found in total in the 60 volumes that were consulted.46 In terms of the number of titles of books, periodicals and newspapers, it can be estimated that the number of donated titles may be well over one thousand. The estimated number of items of multi‑volume books, periodicals and newspaper parts may be several thousands. The Assistant Keepers in the Department of Printed Books did not have an easy task in recording donations. With Romanian donations it was not so much a language barrier, as the material presented was mainly in Roman characters. Academic series were registered by the year of publication, the number in series, the volume number and the total number of parts in a volume. Frequently, if a donation included several works, only the number of works would be recorded. 47 These donations can be traced in the collection by the acquisition stamps which correspond to the date of the registry of donations.48 In terms of formats, donations varied from multi‑part volumes to pamphlets, offprints, and individual periodical and newspaper issues. Books printed in or outside Romania, in Romanian or in foreign languages about Romania or with some Romanian interest are all included in 663 entries discussed in this article. The donors were overwhelmingly from Romania, or from Romanians who lived or published abroad in Romanian and in foreign languages, mainly in French.49 Publications in English and German languages and Romanian translations from English classical writers such as Shakespeare were among notable Romanian donations.

45 For the years 1905, 1911, 1918 and 1945 no Romanian entries were found in the register of donations ending in February 1953.

46 DH 53/1‑60. 47 For example, one entry states: “1908‑09 Series II Tom XXXI in 3 volumes Indici

Tom 21‑30, together with 17 other works of the Roumanian Academy”. See DH 53/33, 11 June 1910.

48 The collection items have the acquisition stamps with dates of their registration, not the dates of their accession by the Department of Printed Books. Assistant Keepers used to register donations periodically according to their work schedule, and would normally deal with a backlog of donations rather than on an everyday or arrival basis.

49 Donations were also sent to the BML from non‑European countries, one example is Roumanian Association of America from Cleveland, Ohio which sent its publication Roumania Today in October 1928. See DH 53/44, 13 October 1928. BL shelfmark 10125.df.17.

Page 304: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

288 MILAN GRBA

All the donations can be viewed in six main groups. Donations sent from the Romanian Academy account for 245 entries in the register of donations, or 37% of the total. To the category of individual and anonymous donations belong 200 entries, or 30%. Publishers and cultural foundations represent 76 entries, or 12%. Institutional donations (learned societies, institutes, associations, faculties and museums) are responsible for 68 entries or 10%. The Romanian government and its agencies and the Legation in London50 constitute 52 entries or 8%, and the British government, its agencies and the Legation in Bucharest contribute 22 entries or 3%.

The earliest recorded entry for a donation by the Romanian Academy’s is 28 May 1881, but the Academy’s Annals (Analele) had been sent to the BML twice before, in November 1880 and February 1881.51 Once a direct link with the BML had been established, the Romanian Academy sent its publications regularly from 1881 to 1952. The flow of Romanian Academy publications was disrupted twice during two world wars and once during the political upheavals in Romania, from October 1916 to March 1920, and then from July 1939 to May 194652, and from May 1946 to February 1950. The Romanian Academy sent to the BML its main serial publications, bulletins of the Academy’s scientific sections and other academic editions published separately or as offprints from the series. All individual titles in Romanian academic serial publications were catalogued separately in the BML.53 The multi‑volume work Documente privitoare la istoria românilor (Documents relating to Romanian history) collected by Eudoxiu Hurmuzachi had been acknowledged with 26 entries in the registry of donations, from 1877 to

50 Two addresses of the Romanian Legation in London were recorded in the registry of donations: ‘4 Cromwell Place SW’ and ‘3 Marble Arch W1’.

51 On 13 November 1880 ‘presented anonymously’; and on 12 February 1881 ‘Roumanian government through the Foreign Office.’ See DH 53/10.

52 One donation was registered in 1946: L’Oeuvre scientifique de Francisc J. Rainer. [Edited by Stefan M., Milcu] 3 vol. Bucureşti, 1945. Vol I Neurologie Vegetative; Vol II Structure Functionnelle; Vol III Anthropologie Morphologie (Varia). See DH 53/54, ‘Presented by the Roumanian Academy through the Secretary, Mission of the Roumanian Government 1 Belgrave Square London SW1 11 May 1946’.

53 The BML assigned shelfmark for the Romanian Academy was Ac.743; and there are many different sub‑shelfmarks for their series still in use today: Ac.743/5.; Ac.743/6.; Ac.743/12.; Ac.743/13.; Ac.743/15. Ac.743/16.; Ac.743/17.; Ac.743/19.; Ac.743/28.; Ac.743/37.; Ac.743/39.; Ac.743/40.; Ac.743/41.; Ac.743/3.(3.); Ac.743/45.; Ac.743/48.; Ac.743/49.; Ac.743/51.(1.); Ac.743/65.; Ac.743/66.; Ac.743/67.; Ac.743/73.; Ac.743.b.; Ac.743.b/2.; Ac.743.b/3.; Ac.743.b/6.; Ac.743.b/9.; Ac.743.ba.; Ac.743.bc/2.; and so on; as well as individual shelfmarks such as for example 9135.cc.10.; 9135.v.1., etc. Official publication shelfmarks in the BML were prefixed with the letters S.M.

Page 305: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 289

1925.54 The first fascicle of Bogdan Petriceicu Hasdeu’s Etymologicum magnum Romaniæ (Romanian etymological dictionary) was sent by the Romanian Academy in September 1885, before the publication date (1886), and then continued by the publisher Stabilimentul Grafic Socec & Teclu from Bucharest until May 1896.55 The Romanian Academy official printers Socec & Teclu and their rival Carol Göbl were the largest publishers in Romania at the turn of the century. Editions which they printed in Romania are well represented in the BML collections not only by their academic and official imprints but also by the first editions of Romanian literature. Bibliografia românească veche 1508‑1830 (Old Romanian bibliography) by Ioan C. Bianu and Nerva Hodoş was another notable addition to the BML collection, donated by the Romanian Academy from 1904 to 1910.56 Two volumes of the works of Prince Dimitrie Cantemir Operele Principelui Demetriu Cantemiru, published by the Academy in eight volumes over 25 years, were donated in February 1884.57

Ion Ghica and the British Museum Library

The partnership and contacts between the Romanian Academy and the BML reported through the quantity of donated material increased in the

54 Documente privitoare la istoria românilor. Culese de Eudoxiu de Hurmuzaki. Bucuresci: Stabilimentul Grafic Socecu şi Teclu, 1887‑1942. BL shelfmark 9135.v.1. See DH 53/8‑41. The first volume registered in the BML was volume VII for 1750‑1818 sent by the Romanian government through the Foreign Office in November 1877 (DH 53/8, 24 November 1877). The next two volumes were also sent by the Romanian government: volume VI for 1700‑1750 (was sent through the British Embassy in Paris, see DH 53/9, 12 April 1879) and volume III for 1576‑1599 (DH 53/10, 12 February 1881). From July 1882 the Romanian Academy continued to send other volumes in the series directly to the BML.

55 Etymologicum magnum Romaniæ. Dicţionarul limbeǐ istorice şi poporane a românilor, lucrat dupa dorinţa şi cu cheltuiela M. S. Regului Carol I sub auspiciele Academiei Române de B. Petriceicu‑Hasdeu. Bucuresci: Stabilimentul Grafic Socec & Teclu, 1886‑1898. BL shelfmark 12942.h.11. Ten entries were recoded between 5 September 1885 and 9 May 1896 in DH 53/14‑21.

56 Bibliografia românească veche 1508‑1830 de Ioan C. Bianu si Nerva Hodoş. Tom 1‑4. Bucuresci: Editiunea Academiei Române, 1903‑1944. BL shelfmark Ac.743.b/3. Five entries were recoded between 10 December 1904 and 11 June 1910 in DH 53/ 29‑33.

57 CANTEMIR, D. Operele Principelui Demetriu Cantemiru. Tiparite de Societatea academică română. 8 tom. Bucuresci: Typographia Curţii F. Gobl., 1872‑1901. BL shelfmark Ac.743/21. See DH 53/12 ‘presented Tom VI, VII 1883’ by Romanian Academy 23 February 1884.

Page 306: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

290 MILAN GRBA

mid‑1880s and 1890s, and especially after the First World War.58 This can be said of the relationship in general between the BML and other donors from Romania and elsewhere after the First World War.59 The increased activity between Romania and the BML in the 1880s can be seen in the light of the newly‑established diplomatic relations between the two countries in 1880. In that year the Romanian minister plenipotentiary was sent to London. In the years 1881‑1890, the Romanian minister in Britain was Ion Ghica (1816‑1897), a politician and writer. Ghica was also president of the Romanian Academy several times, and he served as president in the years 1884‑1887 and 1894‑1895. Tappe writes that it was Ghica “who had helped Murray and was still a friend of Stanley”.60 Ghica’s chief contribution to the knowledge of Rumanian language and literature in Britain was to see that Rumanian books came into the British Museum Library. Like his friend Alecsandri, who in 1853 had presented the British Museum Library with the first volume of his collection of folk‑ballads and also with a volume of his early plays, Ghica felt the importance of Rumanian books being available there, as one can see very clearly from the Library’s register of donations as well as from Ghica’s correspondence with Ion Bianu, the director of the Rumanina [sic] Academy Library. ‘I am intimate’ writes Ghica ‘with many people at the British Museum Library and can get you any information that may be required for the organization of your library’.61 He then asks Bianu to buy him copies of his (Ghica’s) Convorbiri economice so that he can give them to libraries in Britain. Ghica also had dealings with the writer of the first Rumanian grammar published in English, R. Torcianu62. He introduced him to the British Museum’s Keeper of Manuscripts63 in the hope that he might discover something of Rumanian interest”.64 Ghica furthermore wrote to Bianu: Mulţumeşte pentru fotografia manuscisului lui Mihai Viteazul. Îl roagă să‑i trimită încă un examplar pentru British

58 According to the number of entries recorded in DH 53/1‑60. 59 As above. 60 See note: 33.61 Ghica did send the information that was requested to Ioan C. Bianu (1856‑1935),

philologist, bibliographer, librarian, “I‑a trimis o lucrare asupra modului de organizare a Muzeului Britanic. Cere noutăţi în legatură cu plănuitul local al Academiei.” See Catalogul corespondenţei lui Ion Ghica. Întocmit de Nicolae Liu. Bucureşti: Biblioteca Academiei Republicii Populare Romîne, 1962, p. 74. Entry 158, 14 October 1885.

62 TORCEANU R, A Simplified Grammar of the Roumanian Language. London: Trubner, 1883.

63 Edward Maunde Thompson (Keeper of Manuscripts, 1878‑88; Principal Librarian, 1888‑1909). See HARRIS, 1998: 279.

64 TAPPE, 1975: 4‑5.

Page 307: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 291

Museum şi o transcriere.65 Soon afer that Ghica sent another message to Bianu: Întereabă dacă prin testamentul lui Mihai Sturdza s‑a lăsat ceva Academiei şi dacă s‑a trimis colecţia Hurmuzachi Muzeului Britanic.66 Stuart (Reginald) Poole (1832‑1895), numismatist and keeper of coins and medals department in the British Museum, was another contact in the British Museum. In January 1884 Ghica presented through Poole a number of books, including his Convorbiri economice (Economic conversations) and Alecsandri’s complete works Opere complete.67 While in London Ghica used the honorary title of Prince of Samos awarded to him by the Sultan Abd‑ul‑Mejid I in 1856 for services during the Crimean War.68 In the BML printed catalogues his honorary title is included in the heading “GHICA, Ion, Prince of Samos”. Ghica’s presents to the BML included Romanian literary works, current official publications and some rarities.69 In a letter to the president of the Romanian Academy Dimitrie A. Sturdza, Ghica drew his attention to a manuscript held in the BML, Întreaba dacă ar interesa Academia întocmirea unor fotografii a legăturii unui evangheliar care a aparţinut lui Alexandru cel Bun şi se afla la Muzeul Britanic.70 In another

65 LIU: 1962: p.72. Entry 144, 28 April 1884.66 As above. Entry 146, 11 June 1884.67 GHICA I, Convorbiri economice. Bucurescǐ: Socecǔ, 1879. BL shelfmarks 8229.

aaaa.10.; 8207.bbb.22.[Another copy.] ALECSANDRI, V. Opere complete. Bucurescǐ: Socecǔ & Co., 1875‑1880. BL shelfmarks 12265.i.1.; 12264.e.3. See DH/53/12, 12 January 1884.

68 See [http://en.wikipedia.org/wiki/Ion_Ghica, accessed 10 March 2012]; See DH/53/12, ‘Presented by H.E. Prince Ion Ghica through Mr R. Stuart Poole’ 12 January 1884.

69 SHAKESPEARE, W. Viaţa şi mórtea Regeluǐ Richard III. Translated into Romanian by Scarlat Ion Ghica. Bucuresci: Stabilimentul Grafic Socecu si Teclu, 1884. BL shelfmark 11764.g.2.; Cestiunea Dunarei. Acte şi documente. Minister Afacerilor Streine. Bucuresci: Tipografia Romanulu Carol Göbl, [1883]. BL shelfmark S.M.25/2.; S.M.25/3.[Another copy.]; HOLTZENDORFF‑VIETMANSDORF, F. Les Droits riverains de la Roumanie sur le Danube. Consultation de droit international. Leipsic: Duncker und Humbolt, 1884. BL shelfmark 6916.b.9.; Book mentioned as rarity is TOCILESCU, Grigore George. Biserica episcopală a Mănăstireǐ Curtea de Argeş, etc. [A history and description of the church with an account of the opening ceremony on its final restoration by the King and Queen of Roumania, 12 October 1886, with an inaugural ode and other verses by V. Alecsandri. With woodcuts and heliographs.] Bucuresci, 1886. BL shelfmark 1787.d.10.; GHICA, A. Scrisori ale lui Ion Ghica către V. Alecsandri. Bucuresci, 1887. BL shelfmark 10910.bbb.43.; Tractate conventiuni şi învoiri internaţionale ale României actualmente în vigóre. par T. G. Djuvara... Bucuresci: A. Degenmann, 1888. BL shelfmark 8028.g.15. See DH 53/ 13 and 15. The books were registered in June 1885, June 1887, July 1887 and October 1888 respectively.

70 LIU: 1962: p.329. Entry 1168, 23 November 1882.

Page 308: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

292 MILAN GRBA

letter to Sturdza in 1884, Ghica mentioned a BML acknowledgement letter addressed to the Queen Consort of Romania, Elisabeth, thanking her for her gifts to the library, Întreaba dacă a remis reginei Elisabeta scrisoarea de la British Museum prin care i se mulţumeşte pentru trimiterea scrierilor ei.71 Ghica and his successors at the Romanian Legation in London and the Romanian Academy in Bucharest, as indeed in other Romanian learned societies and cultural foundations, maintained their contacts with the BML in the twentieth century.72 In the 1930s the Fundaţiă Regele Carol I, a cultural foundation and publishing house in Bucharest, regularly sent their publications to the BML. This foundation mainly published primary sources and historical editions in collaboration with leading Romanian scholars, including research material that Ghica had requested for the BML.73 Historical sources for the history of Mihai Viteazul (Michael the Brave), Prince of Wallachia 1593‑1601, the prince who united Wallachia with Transylvania and Moldavia in a personal union in 1600, including material such as Documente privitoare la istoria lui Mihai Viteazul, edited by Petre P. Panaitescu, were sent to the BML.74

71 Ditto., p. 338. Entry 1194, 12 June 1884.72 Dimitrie A. Sturdza (1833‑1914), a politician and academic, found the time while

serving as prime minister to donate books to the BML. His donations are recorded in the registry of donations as follows: CREANGĂ, G. D. Proprietatea rurală în Romania. Bucureşti: Instit. de arte grafice “C. Göbl”, 1907. BL shelmark 1888.aa.2.; Acte şi legiuiri privitoare la chestia ţărănească. Bucureşti: Atelierele grafice Socec & co., 1907‑1908. Series 1 compiled by D.S. Sturdza‑Şcheeanu; series 2 compiled by Radu Rosetti. Bucureşti: Atelierele grafice Socec & Co., 1907‑1908. BL shelfmark X.200/1556.; STURDZA. D. A. Charles Ier roi de Roumanie: Chronique, actes, documents, publies par Demetre A. Sturdza. Bucarest: Institut d’Arts Graphiques Charles Goebl,1899. BL shelfmark 1572/508.; Acte şi documente relative la istoria renascerei româniei... Publicate de Ghenadie Petrescu... Dimitrie A. Sturdza... şi Dimitrie C. Sturdza. Bucuresci: Institutul de arte grafice C. Göbl, 1889‑1909. BL shelfmark Ac.743/39. “Presented by HE M Demeter Stourdza the PM of Roumania Str Mercur 13 Bucharest”. In the last entry: “Presented by HE M Demeter Stourdza the PM of Roumania through Sidney Whitmen Esq. 6 Russell Road Kensington W”. See DH 53/31, 10 October 1908.

73 See note 65. His letter to Ioan Bianu of 28 April 1884. 74 Another Harleian manuscript (see note 1) of strong Romanian interest is Life of

Michael III of Wallachia, manuscript (ff. 42) with illuminated portraits (ff. 2v and 4v) and frontispiece, by Georgios Palamedes, copied by Demetrios Temeno in Greek in 1624. The manuscript is bound in Romanian binding in blind‑stamped red leather after 1624. BL shelfmark Harley 5573. The types of books donated by the Fundaţia Regele Carol I are as follows: PANAITESCU, P. P. Mihai Viteazul, Bucureşti: Fundaţia Regele Carol I, 1936; BL shelfmark 20012.h.27.; Documente privitoare la istoria lui Mihai Vreazul publicate de P. P. Panaitescu, Bucureşti: Fundaţia Regele Carol I, 1936, BL shelfmark 20003.

Page 309: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 293

Some notable individual donations to the British Museum Library

In 1883 the Romanian Academy donated Carmen Sylva’s75 story translated into Romanian as Puiu. Legendă, adding to her German works already in the BML collection.76 In the following year the Queen Consort presented to the BML 15 mainly German titles published in the 1880s. Her gifts included French and Italian editions of her poems and prose, Povestile Peleşului, which was another translation into Romanian, a book of Romanian poetry in her own German translation, and a collection of tales, Pilgrim Sorrow, published in London in 1884 in Helen Zimmern’s translation.77 Nicolae Iorga (1871‑1940), the historian and politician, has 21 entries recorded in the register of donations from 1900 to 1927, of which 16 entries record his donation of serial issues published by the Institute which he founded, Buletinul Institutului pentru studiul Europei sud‑ostice (Bulletin of the Institute for Southeast European Studies), recorded in the period 1921‑27.78 Dragoş Protopopescu (1892‑1948), the first professor of English language and literature at the University of Bucharest, has three entries in the register of donations for his poems Poemele Restriştei, 1916‑1918 (1920); and two studies, Un Classique moderne. William Congreve, etc., published in Paris (1924) and the English studies Pagini engleze (1925).79

dd.11.; Documente slavo‑române din mănăstirile muntelui Athos (1372‑1658). Publicate de Grigorie Nandriş după fotografiile şi notele lui G. Millet. Bucureşti: Fundaţia Regele Carol I, 1936, among other works ‘presented by the Secretary, Fundaţia Regele Carol I, Secţia Istorică. Strada Wilson Nr 1 Bucureşti’. See DH 53/49‑52, 16 entries with various dates between 9 May 1936 and 13 July 1940.

75 A pen‑name of Elisabeth, Queen Consort of Carol I, King of Romania. Carmen Sylva’s real name was Paulina Elisabeth Ottilia Louisa (1843‑1916).

76 Puiu. Legendă. An offprint from the Annals. Translated into Romanian from a story in “Pelesch‑Märchen” Extrasǔ din Analele Academieǐ Române, etc. Bucuresci, 1882. See DH53/12, 31 March 1883.

77 Povestile Peleşului de Carmen Sylva. [A Roumanian version of “Aus Carmen Sylva’s Königreich.”] [Bucharest, 1883.]. BL 12357.m.8; Jehovah... Versione metrica di A. Calvino. Roma,1883. Rumänische Dichtungen. Deutsch von Carmen Sylva. Herausgegeben und mit weiteren Beiträgen versehen von Mite Kremnitz.pp. Leipzig, 1881. BL 011586.f.20. Pilgrim Sorrow. A cycle of tales.... Translated by Helen Zimmern. T. Fisher Unwin: London, 1884 [1883]. 12591.b.48. Les Pensées d’une Reine. Préface par L. Ulbach. Paris,1882. BL 8411.b.37.; C.41.c.24. [Another copy.] See DH 53/13, ‘Presented by the Queen of Roumania through the Roumanian Legation London’ 10 May 1884.

78 See DH 53/27‑43. 79 See DH 53/39 ‘Presented by the author, Academia Romana’ 12 March 1921; DH

53/41 ‘Presented by the author’ 13 December 1924; DH 53/44 ‘Presented by Dr D. C.

Page 310: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

294 MILAN GRBA

In 1924 Protopopescu edited in English another study on the English dramatist William Congreve (1670‑1729), entitled A Sheaf of Poetical Scraps, based on his research at the BML. In preface to the second edition (1924), Protopopescu published a letter from another Congreve scholar, Edmund Gosse:80 “Dear Mr. Protopopesco, I have read your article in the Times Literary Supplement with the greatest interest. Your “Satyr against Love” is a great discovery. It is so much better than all Congreve’s other miscellaneous pieces that I can hardly believe my eyes and ears. Your other notes are of hardly less importance. I congratulate you cordially. Yours very truly Edmund GOSSE”.81 In his letter Gosse referred to Congreve’s poem, thought to have been lost. Thanks to Protopopescu’s research this poem was discovered and published here as he described it: “But I found it among the Manuscripts of the Bibliotheca Sloaneiana (Br. M. Add., 3.096)[sic], styled as A satyr against Love. By Mr. Congreve.”82 Further examination of Protopopescu’s books in the British Library collection has revealed that all of his 19 works in the collection were presented to the BML by the author; from his first Poemele restriştei donated in March 1921 to the last donation, his English grammar Introducere la grai şi suflet englez. Gramatica vie a limbei engleze, etc., published in 1947. On the front cover of his English grammar book the author inscribed “To the British Museum Library with the Author’s compliments 25.6.47 Bucharest”.83 This book arrived in the BML on or before 11 October 1947, which is the date of the stamp in the book. It appears that Protopopescu had sent a consignment of 13 books, all translations from Shakespeare’s plays and one study on English theatre Protopopescu 4 Cromwell Place SW7’ 9 March 1929 respectively.

80 Sir Edmund Gosse (1849‑1928), writer and librarian. Gosse started his working life as a junior assistant in the Department of Printed Books in the BML from 1867 to 1875. In 1904 he was appointed as librarian to the House of Lords. See Ann Thwaite, ‘Gosse, Sir Edmund William (1849‑1928)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004; online edn, May 2011 [http://www.oxforddnb.com/view/article/33481, accessed 12 March 2012]. See HARRIS, 1998: 306.

81 CONGREVE W. A Sheaf of Poetical Scraps. Together with A Satyr against Love, Prose Miscellanies and Letters. Edited by Dr. Dragosh Protopopesco... Second edition enlarged, etc. [Bucuresti]: Cultura Nationala, 1924, p. 6.

82 Ditto, p. [21]‑23; the shelfmark is given incorrectly on p. [21]. In the BL copy 11633.ee.9. the incorrect shelfmark has been crossed out and the correct one inscribed in pencil as Sloane. 3996. The catalogue entry in the manuscript catalogue is “Satire against Love. 17th cent. Imperfect BL shelfmark Sloane. 3996. f. 4 6”. On the title page the BL copy has an inscription in Protopopescu’s hand: “donum auctoris Cernauti, oct /25”.

83 PROTOPOPESCU, D. Introducere la grai şi suflet englez. Gramatica vie a limbei engleze, etc. Bucureşti, 1947. BL shelfmark 12974.aa.70.

Page 311: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 295

Teatru englez84, published between 1940 and 1947 by various publishers. Interestingly Teatru englez published in 1943 has an identical inscription on the front cover to the previous one but dated “Bucharest 26.6.42.”85 The other donated books are not dated but have the same inscription on the front cover. It can be assumed that the consignment had been sent to the BML between June and October 1947 before the communist authorities arrested Protopopescu in 1948.86

Conclusion

The BML Romanian collection has been built up over 160 years, since the mid‑1850s. The year 1852 is important for this collection in the BML as it represents a symbolic beginning of the collection initiated with a volume of national folk songs. It could not be more appropriate that this collection of national songs was presented to the BML by the collector and poet Vasile Alecsandri. The BML Romanian collection had the good fortune that generation upon generation of Romanians made it customary to donate books just as Alecsandri had started it. The donors of Romanian books were as varied a group of people as the books they donated to the BML. They had different social and cultural background, from royalty, politicians, academics and major publishers to ordinary people and small private printers. Their motives were also very different. Some donors had political and cultural missions and agendas in mind, some none at all, or were simply looking for a good home for their books. In any case the assistant keepers seemed happy to have Romanian books in the library. The reason for this lay partly in the cosmopolitan nature of the library as articulated by Panizzi and his assistants in the 1830s, and partly in the nature of the material donated. In the majority of cases donated material

84 PROTOPOPESCU, D. Teatru englez. Traduceri. I. Bernard Shaw, Eugen O’Neill, John M. Synge. Bucuresti: Casa Scoalelor, 1943. BL shelfmark 11783.e.14.

85 As above.86 Only one of Protopopescu’s books in the BL does not have his donation inscription

but from the stamp (11 July 1925) it can be assumed that this was also a donation. See PROTOPOPESCU, D. Caracterul de rasă al literaturei engleze. (Lecţia inaugurală a catedrei de Limba şi Literatura engleză, ţinută în Aula Universităţei din Cernăuţi în ziua 6 april, 1925. Cernauţi: Institutul de Arte Grafice şi Editura "Glasul Bucovinei", 1925. BL shelfmark 011840.d.17. Some biographical sources have wrongly dated Protopopescu’s death to 11 April 1946 and this mistake has been carried over to recently‑published editions such as SASU, A. Dicţionarul biografic al literaturii române: DBLR. Piteşti: Paralela 45, 2006, pp. 438‑439. Surprisingly an open archive source dates his death correctly to 1948; see [http://ro.wikipedia.org/wiki/Drago%C8%99_Protopopescu, accessed 13 March 2012]

Page 312: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

296 MILAN GRBA

was of research value for a broad range of subjects, and, as such, welcome in the library. The BML was evidently willing to accept even modest publications, offprints from literary and academic journals and privately published pamphlets and other ephemera. Donated material was collected in a non‑judgemental, neutral way and acknowledged in similar fashion at all times. Contentious issues and opposing ideologies did not seem to affect the BML’s acquisition policy.

Looking at the BML’s published Subject indexes of recently acquired contemporary books from 1881 until the 1950s, it seems that acquisitions by purchase were equal to acquisitions by donation. With an average of 12 titles a year in the nineteenth century to about 20 titles a year until the 1950s, Romanian books were certainly a weak area in the BML collections. Tappe was very well informed of this fact: “It is much to be regretted that no British libraries built up collections of Rumanian literature in the 1920’s and 1930’s. Only in history did Nicolae Iorga see to it that there was a certain supply of books”.87 The survey of donated books in this article ends with 1952 for two reasons. The register of donations was kept until February 1953 and then replaced by a series of card indexes. The other reason is that from the mid‑1950s institutional donations were replaced by exchanges as a new form of acquisition from Eastern Europe. Academic institutions such as the Romanian Academy with an active publishing programme began to exchange their publications instead of presenting them. The BML established barter exchanges with national libraries, academies and university libraries in eastern European countries including Romania. By this arrangement the exchange partners supplied what the BML requested and to a similar value the BML initially supplied only its own publications, although later, when the exchanges increased, British publications had to be bought and despatched in exchange. What this exchange programme meant for the BML’s Romanian collection in the 1960s was, in Tappe’s words, a “rapid growth”.88 The BML Subject indexes of recently acquired contemporary books for the years 1961‑1970 list about 840 Romanian entries, and for the years 1971‑1975 approximately 1400 entries or 280 a year. The exchanges with Romania lasted for 50 years until 2004, when the exchanges were discontinued in favour of purchase.

The British Library holds today over 30,000 Romanian books and periodical titles, of which approximately 1500 Romanian imprints were published before 1900, and more than 100,000 various items in different

87 TAPPE, 1975: 7.88 As above, p. 8.

Page 313: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

The British Museum Library and Romania: the beginnings... 297

formats. Together with other sources in the library, this collection is the largest reference centre in Britain for the study of Romanian culture.

The central point of this article is a collection as a historical subject and book donations as a way of generating new relationships in cultural exchanges between two nations. Donations played an important part in the history of the BML, especially in establishing the importance, relevance and international character of its collections. The actions of individuals and institutions and the process of donating books as described in this article were equally relevant and significant for the history of the BML Romanian collection, as indeed for the cultural history of the two countries. It seems highly appropriate on this occasion to record and acknowledge this cultural exchange.

References:

LIU, N. Catalogul corespondenţei lui Ion Ghica. Intocmit de Nicolae Liu, Bucureşti: Biblioteca Academiei Republicii Populare Romîne, 1962.

TAPPE, E. Rumanian in Britain. An Inaugural Lecture delivered at The Senate House 10 March 1975. London: [Author], 1975.

CLEMINSON, R. A Union catalogue of Cyrillic manuscripts in British and Irish collections, the Anne Pennington catalogue compiled by Ralph Cleminson, London: School of Slavonic and East European Studies, 1988.

HARRIS, P. R. A history of the British Museum Library, 1753‑1973, London: British Library, 1998.

CLEMINSON, R. Cyrillic books printed before 1701 in British and Irish Collections: a union catalogue compiled by Ralph Cleminson... [et al.], London: British Library, 2000.

Page 314: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Belgique de l’Orient ». Les relations Belgique – Roumanie à travers l’imprimé

au milieu du XIXe siècle

JACQUES HELLEMANS

Que la Roumanie soit francophile1, ce n’est plus à démontrer, mais curieusement, durant la seconde moitié du XIXe siècle, ce pays fut un temps appelée la « Belgique de l’Orient ». Cela me semblait un terrain propice d’investigation sur la diffusion des contrefaçons belges dans cette partie de l’Europe. Quelle ne fût ma surprise en découvrant, en juin dernier, à la « Biblioteca Judeţeană George Bariţiu Braşov », une ébauche de constitution roumaine imprimée, apparemment à Bruxelles, en langue roumaine. Aussi ai‑je souhaité, dans le cadre de ce symposium, orienter ma recherche sur les relations entre nos deux pays au milieu du XIXe siècle.

Bien des choses ont été écrites sur l’importance – principalement au cours du troisième quart du XIXe siècle – des relations économiques entre la Belgique et la Roumanie. Cet article s’intéressera plus particulièrement aux influences intellectuelles entre nos deux pays : depuis les écrits des exilés roumains en Belgique jusqu’à l’inspiration belge de la première constitution roumaine. C’est notamment à Bruxelles que se publient dans les années 1850 les revues révolutionnaires La République Roumaine et L’Étoile du Danube.

Dans un premier temps, intéressons‑nous plus particulièrement à la constitution roumaine et son influence belge….et maçonnique supposée. Ainsi, selon Radu Comănescu, historien de la maçonnerie roumaine, le nationalisme ethnique et politique était une valeur pleinement embrassée par la franc‑maçonnerie roumaine, qui a préservé un aspect de la tradition maçonnique du XVIIIe siècle : le rejet des empires. Certaines valeurs

1 sultana craia ─ Francophonie et francophilie en Roumanie. Bucarest : Meronia, 2006, 222 p.

Page 315: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Belgique de l’Orient ». Les relations Belgique – Roumanie... 299

maçonniques se situent dès lors à la base de l’État moderne roumain. À la lueur des archives, Radu Comănescu évoque notamment le fait que le rite écossais primitif de Namur existait au XIXe siècle au sein du Suprême Conseil de Roumanie. Il semblerait que ce rite n’aurait été pratiqué qu’en Roumanie et en Belgique, ce qui constituerait en quelque sorte le pont constitutionnel maçonnique. Par ailleurs, historiquement, la plus connue des loges roumaines est la septième : « Steaua Dunării » ou « Étoile du Danube », créée à Bruxelles en 1850, par les « frères Farmazons », qui s’y étaient réfugiés après l’échec de la révolution roumaine de 1848. Avant leur départ, cette loge fonctionnait clandestinement. Les réfugiés firent paraître à Bruxelles un journal éponyme. Nous évoquerons cela dans la suite de l’exposé.

À une époque où les empires connaissaient encore la monarchie absolue, le texte constitutionnel belge du 7 février 1831 provoqua une avancée tant sur le plan des droits et libertés que sur celui du subtil agencement d’un système monarchique avec le principe de la souveraineté nationale. Rapidement, des émigrés européens affluèrent pour trouver asile dans la nouvelle démocratie et cette effervescence favorisa sans nul doute l’émergence de nouvelles aspirations. La Constitution de 1831 devient un exemple pour la bourgeoisie libérale. C’est ainsi que durant le XIXe siècle, la Loi fondamentale belge servit de modèle à plusieurs États, comme la Grèce (1843), le Danemark (1849) mais aussi la Roumanie (1866) et plus tard la Bulgarie (1879). Il va sans dire qu’il ne s’agit point d’un simple calque de la Constitution belge mais d’une longue maturation entamée depuis le début du siècle. En effet, l’histoire parlementaire de la Roumanie commence en 1831, lorsqu’en Valachie est adopté un acte à caractère constitutionnel dénommé « Règlement organique », appliqué, une année plus tard, en Moldavie également. Les Règlements organiques ont jeté les fondements du parlementarisme dans les Principautés roumaines.

Au temps où la Belgique devenait État indépendant, les pays roumains commençaient à entrer plus avant dans la vie européenne, à changer en partie leur mentalité et à s’adapter aux transformations imposées par les temps nouveaux. Jusqu’en 1848 les éléments plus modérés qui désiraient des réformes plus libérales, mais dans la forme monarchique, ont été attirés vers la Belgique. Les idées acquises sur la Belgique, par rapport aux revendications politiques et sociales, ont sûrement contribué à la formation des idéaux de la génération de 1848. Dans les demandes formulées en Moldavie, en mars 1848, et dans la Constitution élaborée en juin de la même année en Valachie, il y a des points qui révèlent des traces profondes de l’influence belge. Mihail Kogălniceanu (1817‑1891) fait part des

Page 316: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

300 JACQUES HELLEMANS

aspirations du parti national dans son manifeste2 qu’il publie en août 1848 :« une Roumanie unie, gouvernée par un monarque responsable, avec une Constitution libérale, démocratique, sous le contrôle d’un parlement, librement élu par l’assemblée des citoyens contribuables, tous égaux dans leurs droits et dans leurs devoirs et un Prince (Domn) choisi parmi toutes les classes de la société » 3.

Après le fiasco des révolutions en Moldavie, en Transylvanie et en Valachie, bon nombre de révolutionnaires roumains viennent s’établir en France. À la suite du coup d’État de Napoléon III, quelques‑uns des exilés roumains se dirigèrent vers la Belgique, terre de liberté, plus propice à leurs idées trop avancées pour le nouveau régime de la France. Immédiatement après l’instauration du Second Empire en France, les émigrants révolutionnaires roumains trouvent donc asile à Bruxelles et y créent un centre de propagande pour la cause roumaine (« Republica română »). Des figures éminentes de révolutionnaires roumains, tels que Constantin Alexandru Rosetti (1816‑1885), Cezar Bolliac (1813‑1881) et bien d’autres, ont vécu à Bruxelles au cours de leur émigration. C’est là qu’ils ont notamment publié les revues La République roumaine et L’Étoile du Danube. La République roumaine, qui avait initialement paru à Paris en 1851, fut suivie, en 1853, d’un second numéro à Bruxelles.

L’Étoile du Danube, à savoir « Steaua Dunării» a été publiée initialement à Iaşi, mais ultérieurement sa rédaction a été établie à Bruxelles car elle ne pouvait plus paraître en Moldavie à cause de la censure. Interdite à Iaşi, elle reparut, rédigée en français, à Bruxelles du 4 décembre 1856 au 1er mai 1858 avec pour objectif de faire connaître la politique nationale (autonomie et union des Principautés)4. Sa diffusion occidentale en a été facilitée. Inspirée et dirigée par Mihail Kogălniceanu (1817‑1891), cette feuille libérale fut rédigée par Nicolae Ionescu (1820‑ ?) qui se montre comme l’un des plus ardents promoteurs de l’union de la Moldavie et de la Valachie. Ce journal de 4 pages in folio (46 cm) publié chaque jeudi sortait des presses de Guyot et Stapleaux fils, sise rue de Schaerbeek 12 à Bruxelles5. Un seul numéro subsiste à la Bibliothèque royale Albert Ier.

2 [mihail Kogălniceanu] ─ Dorinţele partidei naţionale din Moldova, août 1848.3 andrei raDulescu ─ L’influence belge sur le droit roumain. In : Studia Politica:

Romanian Political Science Review, vol. VIII, no. 1, 2008, p. 1924 Nicola Fotino et Lucretia baluta‑Kiss ─ 100 ans depuis l’établissement des

relations diplomatiques roumano‑belges. In : « Studia diplomatica », vol. 33, 1980, n° 3, p. 328

5 Charles hen ─ Journal de l’imprimerie et de la librairie en Belgique, 3e année, 31 décembre 1856, n° 15, p. 254, item 1786 : « L’'Étoile du Danube, 1ère année,

Page 317: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Belgique de l’Orient ». Les relations Belgique – Roumanie... 301

Il est conservé dans le fonds des spécimens dit Mertens6. Le n° 3 du 18 décembre 1856, signé D[umitru] B[rătianu] relate la semaine politique, la correspondance régulière dans les principautés (principalement la Moldavie), les actes officiels et la presse européenne sur les principautés (dont la circulaire turque). Une Correspondance de L’Étoile du Danube réapparait à Iaşi à partir de 18597.

Venons‑en à cette fameuse constitution roumaine Constituţiunea României reintegrată, sau schiţă pentru o constituţiune în România (Bruxelles, 1857) dont le texte est signé Emanoil Kinezu, écrit habituellement Chinezu et parfois Quinezu8. L’ouvrage en question constitue un projet de Loi fondamentale à l’intention d’un public roumain incité au débat constitutionnel par le Traité de Paris du 30 mars 1856. Il aurait semble‑t‑il été imprimé en 1857 à Bruxelles, chez Guyot & Stapleaux Fils. L’ouvrage se présente comme un petit volume in‑8 de 124 pages dont j’ai retrouvé un exemplaire à la Bibliothèque départementale de Braşov. Un autre exemplaire se trouve dans une collection privée de Bucarest et porte sur la première page une dédicace autographe de l’auteur à Vasile Maniu : « omagiu D. B. Maniu de autor, Em. Chinezu ».

Fils d’un magistrat aisé de Craiova9, Emanoil Chinezu naquit en 1817.

hebdomadaire, Bruxelles, rue de Schaerbeek 12, abonnement pour la Belgique, 6 francs, pour les principautés, 12 francs » // 4e année, juin 1857, n° 6, p. 94, item 555 : « L’'Étoile du Danube, in folio, 1857, 1ère année, ce journal paraît deux fois par semaine, Bruxelles, rue de Schaerbeek 12, abonnement pour la Belgique, 12 francs, pour les principautés, 24 francs » // « 5e année, 1858, p. 6, item 67 : « L’'Étoile du Danube, in folio, 1858, 2e année, ce journal paraît une fois par semaine, Bruxelles, rue de Schaerbeek 12, abonnement pour la Belgique, 12 francs, pour les principautés, 24 francs ».

Arthur J. vermeersch ─ Répertoire de la presse bruxelloise (1789‑1914). Tome 1 : lettres A‑K. Bruxelles, 1968. – (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, n° 42), p. 253.

6 KBR : FS XLVIII 3134 D7 UGent – Universiteitsbibliotheek, BIB. J.000584, 1(1859) 4,58 Daniel barbu ─ La Cité des Ro(u)mains : Un projet roumain de constitution

imprimé à Bruxelles en 1857. In : « Studia Politica: Romanian Political Science Review », vol. VIII, n° 1, 2008, p. 192‑194.

Voir aussi : cosmin lucian gherghe ─ The 1857 Constitution Project. In : « Revista de Ştiinţe Politice », 6, 2005, p. 64‑69.

9 cosmin lucian gherghe ─ Emanoil Chinezu. Personalitate remarcabilă a Craiovei secolului al XIX‑lea. In : « Arhivele Olteniei », 16, 2002, p. 80‑82.

Voir aussi : Emanoil Chinezu şi Conferinţa de la Paris, martie 1856, In : « Oltenia. Studii şi Comunicări, seria Arheologie‑Istorie », XIV, 2002‑2003, p. 62‑65 // Emanoil Chinezu, reprezentant de seamă al liberalismului românesc. În : « Revista de Ştiinţe Politice », 2004, 4, p. 54‑70.

Page 318: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

302 JACQUES HELLEMANS

Il étudie l’histoire et le droit à Bucarest et à Paris10. Rentré de Paris en 1848, il se met au service du gouvernement révolutionnaire. Il part ensuite en exil, en France et en Italie. Revenu au pays, il rédige en avril 1857 à Craiova, avec Petre Opran, un manifeste, Les Doléances des Roumains, où, tout en affirmant la primauté du principe de l’égalité devant la loi, il pose comme objectif politique de la modernisation roumaine la conciliation entre le travail et la propriété dans le milieu rural11. Deux ans plus tard, en août 1859, bien que député, il est arrêté par le gouvernement modéré en tant que membre d’un groupe radical, qui comptait aussi Constantin Alexandru Rosetti (1816‑1885) et Nicolae T. Orăşanu (1833‑1890), pour avoir travaillé à la « réalisation du rêve absurde d’une république sociale et égalitaire »12. Emanoil Chinezu sera avocat à Craiova de 1864 jusqu’à sa mort en 1878. Plusieurs fois député, il sera aussi brièvement maire de sa ville et président du conseil départemental de Dolj.

Daniel Barbu et Cosmin Lucian Gherghe nous révèlent l’un le personnage, l’autre l’ouvrage. J’émets pour ma part quelques doutes quant au lieu d’impression de celui‑ci. D’une part, je n’ai pas trouvé l’ouvrage en Belgique et d’autre part, l’adresse bibliographique est pour le moins interpellante puisqu’elle est libellée comme suit : « Imprimerie de Glyot Stafluaux et Fils rue de Schaerbeek » (page de couverture) et « Imprimerie de E. Glyot & Stafluaux Fils, rue de Schaerbeek 12 » (page de titre) en lieu et place de l’intitulé courant, à savoir « Imprimerie de E. Guyot, succ. de Stapleaux ». Eugène Guyot reprit en effet en 1856 la maison Stapleaux, elle‑même constituée par la fusion en association des imprimeries Baleroy, Wodon, Meline Cans & Cie, Wahlen & Cie, De Mat et Tallois, toutes issues de l’époque de la contrefaçon. Comme on l’a vu précédemment, Eugène Guyot était depuis décembre 1856 l’imprimeur du journal L’Étoile du Danube et en 1857 de la monographie intitulée Protestation contre les listes électorales pour le divan ad hoc adressée par les Patriotes Moldaves aux Membres de la Commission internationale siégeant à Buccarest [sic]. On pourrait très bien imaginer, que pour des raisons de censure, ce projet de constitution ait été imprimé sous une fausse adresse. Cette hypothèse peut paraître vraisemblable compte tenu de l’impression par Eugène Guyot

10 cosmin lucian gherghe ─ Contribuţia lui Emanoil Chinezu la dezvoltarea dreptului românesc, In: « Revista de Ştiinţe Politice », 2007, 14, p. 78.

11 cosmin lucian gherghe ─ Contribuţia lui Emanoil Chinezu la redactarea programului unionist craiovean, În: « Analele Universităţii din Craiova », seria Istorie, 2002, 8, p. 141‑147.

12 Apostol stan & Mircea iosa ─ Liberalismul politic în România. Bucureşti: Editura Enciclopedică, 1996, p. 86.

Page 319: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Belgique de l’Orient ». Les relations Belgique – Roumanie... 303

d’autres écrits d’exilés moldaves, mais ce ne sont pour l’instant que des suppositions. Des recherches complémentaires seront entreprises.

Le désir de connaître les institutions belges s’est accru après le Traité de Paris de mars 1856. Rappelons pour mémoire, la traduction, en 1857, de la Constitution belge, la loi électorale et la loi de l’organisation judiciaire par Teodor Veisa à Iaşi en Moldavie 13. Dans l’application du Traité, qui entendait apporter des relations plus harmonieuses entre les grandes puissances dans le sud‑est européen après la Guerre de Crimée, les Roumains de Valachie et de Moldavie, provinces sous suzeraineté ottomane, étaient invités à réorganiser leur régime politique. Leurs propositions seront partiellement entérinées et largement développées par la Convention conclue à Paris en août 1858 par la France, la Grande‑Bretagne, la Russie, la Turquie, l’Autriche, la Prusse et le Royaume de Sardaigne. Les grandes puissances se réunirent à Paris et fixèrent le nouveau statut des Principautés : elles formaient désormais « les Principautés Unies de Valachie et de Moldavie » chacune avec un prince autochtone, un gouvernement et une assemblée élue ; la Porte restait suzeraine et devait approuver l’élection du prince choisi.

La Loge « L’Étoile du Danube », active à Galaţi, Iaşi et Bucarest, aurait contribué à la création de l’Etat roumain actuel :

« Les Maçons roumains, conseillés par leurs Frères français délégués pour surveiller les élections, firent mine d’accepter l’offre des sept puissances et les Parlements des deux principautés procédèrent à l’élection du prince régnant. Le 5 janvier 1859, l’élection eut lieu en Moldavie. À cette époque le Vénérable de la Loge L’Étoile du Danube, était le colonel Alexandre Ion Cuza, inconnu des autres Boyards non Maçons et des masses populaires et dont nous ne voyons apparaître le nom dans aucune action politique, ou nationale, avant son élection. Toutefois, les Boyards réunis, élurent à l’unanimité cet officier comme prince régnant de Moldavie. Afin que l’union puisse se faire en la personne du prince régnant, le mot d’ordre fut passé en Valachie et le 24 janvier 1859, à Bucarest, les Boyards valaques élurent également comme prince régnant

13 Teodor veisa ─ Constituţia, legea electorală şi organizarea judecătorească a Belgiei. Iaşi, 1857.

Voir aussi : Constantin C. angelescu ─ A Forgotten Moldavian Lawyer: Teodor Veisa, 1938 // Patrick renauD (Centre interuniversitaire d'études hongroises) ─ Les situations de plurilinguisme en Europe comme objet de l'histoire, Paris, Harmattan, 2010, p. 140 // Nicola Fotino et Lucretia baluta‑Kiss ─ 100 ans depuis l’établissement des relations diplomatiques roumano‑belges. În : « Studia diplomatica », vol. 33, 1980, n° 3, p. 329‑330.

Page 320: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

304 JACQUES HELLEMANS

le colonel Alexandre Ion Cuza. Les deux principautés, ainsi réunies sous le même sceptre, prirent le nom de Roumanie, toujours vassale de la Turquie. Cette élection souleva des cris d’indignation en Autriche et en Russie. À cette époque, la France jouait le premier rôle dans la politique internationale et le gouvernement de Napoléon III reconnut la validité de cette élection. Le gouvernement britannique fit de même. Le gouvernement turc, ne voulant pas déplaire à ses alliés, et à force de présents assez élevés donnés à tous les dirigeants turcs, accepta à son tour. La Prusse suivit. Autriche et Russie durent se résigner. Ainsi, l’union des deux principautés roumaines devint un fait accompli et officiellement reconnu »14.

Le colonel Alexandru Ioan Cuza (1820‑1873) devint de facto prince des deux principautés. En septembre 1859 les puissances garantes des Principautés reconnurent la double élection pour la durée de la vie de Cuza15. L’Union fut formellement déclarée trois ans plus tard, le 5 février 1862 et le nouveau pays reçut le nom de Roumanie avec Bucarest pour capitale.

Philippe de Belgique, comte de Flandre (1837‑1905) fut approché en premier lieu pour devenir le premier chef de la Roumanie Indépendante. Ce n’est qu’après son refus que, sur les indications de Napoléon III, Charles de Hohenzollern‑Sigmaringen (1839‑1914) fut proclamé roi de la nouvelle Roumanie le 26 mars 1866.

En 1866, l’expression « Belgique de l’Orient » est bien connue. Même si elle n’est pas toujours utilisée comme telle explicitement, elle est porteuse d’un sens largement accepté. Le sens politique de l’expression date des années cinquante du XIXe siècle, lorsque les partisans roumains et occidentaux de l’union de la Moldavie et de la Valachie soutenaient l’idée de la création d’un État constitutionnel selon le modèle belge, dont le monarque appartiendrait à une famille régnante européenne avec un statut de neutralité dans les relations internationales et qui serait placé sous la garantie collective des grandes puissances européennes. Cette idée a déclenché toute une série de démarches diplomatiques constantes dans les grandes villes d’Europe. Une telle « Belgique de l’Orient » semble avoir été imaginée par Dumitru Brătianu (1818‑1892) en 1855 et publiée dans un article du Journal des débats en 1857, prélevée et commentée dans

14 Daniel ligou ─ Dictionnaire universel de la Franc‑maçonnerie : hommes illustres, pays, rites, symboles. Paris : Éditions de Navarre et Éditions du Prisme, 1974, vol. 2, p. 1146

15 Alexandru Ioan Cuza fut déchu le 22 février 1866.

Page 321: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

« La Belgique de l’Orient ». Les relations Belgique – Roumanie... 305

Le Constitutionnel, L’Indépendance Belge, Le Messager du Midi et bien d’autres journaux de l’époque.

On rencontre aussi, dès 1849, la formule « Belgique du Danube » dans la bouche du diplomate français Pierre‑Eugène Poujade (1815‑1885), consul de France à Bucarest entre 1849 et 1854. Il y fait référence dans ses mémoires16. En 1855, Élias‑Georges‑Soulange‑Oliva Regnault (1801‑1868) mentionne dans son Histoire politique et sociale des Principautés danubiennes une « Belgique orientale »17. Dans l’article de fond du premier numéro de L’Étoile du Danube, paru à Bruxelles le 4 décembre 1856, on écrit sur la Belgique : « que les Roumains du Danube se plaisent à la considérer comme le modèle de leur organisation future » et qu’elle était « l’asile de la libre discussion et de la publicité libre ». Dans ce même article, on dit des Principautés qu’elles sont « la Belgique orientale ». Sans oublier toutefois la connotation maçonnique de l’antonomase, le stéréotype politique de la « Belgique de l’Orient » aboutit au moment de l’adoption de la Constitution roumaine de 1866 et entre dans la conscience publique comme une imitation fidèle de la Constitution belge de 1831 alors considérée comme la plus libérale d’Europe.

16 Eugène PouJaDe ─ Chrétiens et Turcs: scènes et souvenirs de la vie politique, militaire et religieuse en Orient. Paris : à la librairie académique Didier et Cie, 1859, p. II & 351.

17 Élias regnault ─ Histoire politique et sociale des Principautés danubiennes. Paris : Paulin et Le Chevalier, 1855, p. 535‑536.

Page 322: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livre roumain d’instruction […] traduit du slavon en roumain par Varlaam, le métropolite de Moldavie –

L’histoire d’un livre

RADU ŞTEFAN VERGATTI

En 1643 paraissait à Iaşi Carte românească de învăţătură. Dumenecile preste an şi la praznice împărăteşti şi la svenţi mari cu dzisa şi toată cheltuiala lui Vasilie, voievodul şi Domnul Ţării Moldovei din multe scripturi tălmăcită din limba slovenească pre limba românească de Varlaam Mitropolitul de Ţara Moldovei1 – Le Livre roumain d’instruction. Tous les dimanches de l’année et les fêtes importantes et les grands saints à la charge de Vasile, le voïévode et le prince de Moldavie, traduit à partir de nombreux Évangiles en slavon dans la langue roumaine par Varlaam, le Métropolite de Moldavie. C’était un livre imprimé en roumain, une véritable performance du métropolite, car on était encore au début de « l’épanouissement de la langue littéraire roumaine »2, Varlaam étant « notre premier conteur »3. Les caractères utilisés n’étaient pas nouveaux, Varlaam utilisant la même police slavonne utilisée couramment par l’Église orthodoxe4. L’ouvrage a été un grand progrès dans la direction

1 Le texte original qui porte ce titre a été récemment publié, en 2011, par la maison d’édition Roza Vânturilor, à Bucarest. Stela Toma a établit le texte et a rédigé le glossaire publiés dans le second volume, le professeur Dan Zamfirescu étant l’auteur de la préface et de l’étude introductive. Cette étude qui constitue en fait le premier volume de l’édition est à présent sous presse. Je remercie le professeur Dan Zamfirescu d’avoir mis à ma disposition son texte, encore inédit.

2 Cf. Florica Dimitrescu, Varlaam. Un pionier al artei scrisului, in Dinamica lexicului românesc, Bucureşti, 1994, p. 81.

3 Cf. Nicolae Manolescu, Istoria critică a literaturii române, Bucureşti, 1990, p. 34.4 Il a utilisé l’alphabet slavon pour assurer une plus grande diffusion au texte parmi

les fidèles orthodoxes et en même temps pour en faciliter l’impression, les caractères respectifs se trouvant dans l’imprimerie de la Moldavie à Iasi par les soins du métropolite de Kiev, Petru Movilă.

Page 323: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livre roumain d’instruction […] traduit du slavon en roumain par Varlaam... 307

de la modernisation de la composition en roumain. Imprimer ce texte en roumain, la langue comprise et parlée par le peuple, c’est s’inscrire dans le troisième cycle de l’humanisme européen5, qui était en train de se propager dan les territoires habités par les Roumains, dans l’Europe de Sud‑est6. Par cet ouvrage, Varlaam ouvre la voie à l’usage de la langue vernaculaire dans la littérature et dans la pratique du sermon. D’ailleurs, dans la préface il indique explicitement qu’il veut être compris de tous les Roumains, clercs et laïques7. Le moment qu’il choisit pour imprimer ses sermons a été spécial : au moment où la langue littéraire roumaine était en train de s’émanciper des canons rigides imposés par l’Église. C’est justement pour faire ressortir le caractère ethnique roumain que l’ouvrage n’a pas été intitulé Cazanie, terme d’origine slave désignant un sermon, un prêche, largement utilisé par l’Église en Pologne et en Ukraine, territoires avoisinant la Moldavie et qui correspondait tout à fait au contenu du livre de Varlaam. Par ce titre le métropolite de Moldavie aurait mis en circulation son ouvrage, roumain, sous un nom étranger à son peuple. Il aurait donc mis en cause son intention exposée dans la préface, ce qui était inconcevable.

Varlaam s’était formé Dans le centre culturel de du monastère Secu8. C’est là qu’il avait appris le slavon, l’ukrainien, le russe, le grec médiéval, des notions de latin ; c’est là aussi qu’il perfectionna son roumain. Il faut remarquer que toutes ces connaissances se sont gravées dans son esprit et dans son âme à un moment où l’Église orthodoxe roumaine était animée d’un courant pro‑roumain. Ainsi, le 23 septembre 1632, lorsqu’il a été élu et intronisé par le voïévode Miron Barnovschi (1632‑1634), Varlaam faisait figure d’humaniste et de clerc érudit. Il faisait la transition du moine qui travaillait et écrivait enfermé dans sa cellule vers l’humaniste préoccupé à utiliser la langue vernaculaire que les gens du commun comprenaient et

5 Cf. R. Şt. Vergatti, Din problematica Umanismului românesc, Bucureşti, 2007, passim.

6 Ibidem, p. 22.7 « Car [...] comme les gens ne comprenaient plus le sens des Saintes Écritures, on

a essayé de les rendre plus intelligibles pour eux et on en est venu à les traduire chacun dans sa langue pour que tout un chacun puisse les comprendre, s’instruire et attester les fais merveilleux de Dieu. Surtout notre langue roumaine qui ne possède pas un livre rédigée dans son langage (c’est nous qui soulignons) est obligée de consulter le livre rédigé dans une autre langue. Et aussi à cause de l’absence de maîtres et de savoir. Il y en avait qui étudiaient mais aujourd’hui personne ne s’instruit plus. » – Varlaam, Smeritul arhiepiscop Varlaam şi mitropolitul de Ţara Moldovei, cuvânt cătră cetitoriu, in idem, op. cit., vol. II, 2011, p. 6.

8 Pour la biographie de Varlaam, v. aussi Dicţionarul literaturii române de la origini până la 1900, Bucureşti, 1979, p. 882‑884 ; Fl. Dimitrescu, op. cit., p. 73‑74.

Page 324: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

308 RADU ŞTEFAN VERGATTI

parlaient. J’ai mis en relation l’Église et ce courant humaniste vu que lorsque Varlaam écrivait et publiait son ouvrage l’impulsion donnée par la Réforme d’utiliser dans les ouvrages à caractère religieux les langues vernaculaires s’était affaiblie. Les Roumains avaient même manifesté une réaction contre la Réforme. N’oublions pas que cet ouvrage de Varlaam faisait partie d’un cycle de livres anti‑Réforme9 : en 1640 Pravila de la Govora (Le Nomocanon de Govora), ouvrage du moine Mihail Moxa, signé par le métropolite Théophile de l’Ungrovlachie10 ; en 1642 Mărturisirea Ortodoxă (La Confession orthodoxe), de Petru Movila, le métropolite de Kiev11, etc.

Ce qui compte c’est que pour l’Église Orthodoxe Roumaine et pour tous les Roumains Le Livre roumain d’instruction de Varlaam a eu une grande importance. Le livre a circulé tout d’abord sous sa forme imprimée, ensuite dans des copies manuscrites. Son succès est simple à expliquer : les gens comprenaient le texte et pouvaient s’en servir. Le professeur Dan Zamfirescu a pu démontrer se fondant sur une analyse minutieuse que le livre du métropolite Varlaam a circulé grâce notamment au Kyriacodromion imprimé en 1699 à Alba‑Iulia, qui connaîtra à son tour une diffusion très grande parmi les communautés de Roumains vivant à l’intérieur de l’arc des Carpates12.

Au XIXe siècle, en 1894, on a publié un tiers du Livre roumain d’instruction, voire 25 sur les 75 sermons du texte original13. L’utilisation

9 Varlaam était lui‑même d’ailleurs un militant anti‑Réforme, conscient de ses actions anti‑orthodoxes ; je m’appuie sur le fait qu’en 1645 le métropolite Varlaam a fait imprimer au Monastère de Dealu un ouvrage polémique anti‑calviniste, Le Livre qui s’appelle la Réponse contre le Catéchisme calviniste, auquel répond durement Scutul catihizmuşului, cu răspuns den Scriptura Svântă (Le Bouclier du catéchisme, avec une réponse tirée de la Sainte Écriture), imprimé à Alba‑Iulia (1656).

10 Ion Bianu, Nerva Hodoş, Bibliografia românească veche, t. I, Bucureşti, 1903, p. 109‑112.

11 Cf. Al. Iablonski, Akademia Kiewska‑Mohilanska, Krakow, 1901, passim ; P. P. Panaitescu, L'influence de l'œuvre de Pierre Mogila, archevêque de Kiev, dans les Principautés roumaines, Paris, 1926, passim ; idem, Petru Movilă şi românii, extrait de Biserica Ortodoxă Română, 1942, no 9‑10 ; le plaidoyer du métropolite de Kiev en faveur de l’utilisation du roumain dans les églises orthodoxes de Moldavie et de Valachie est appuyé par ses actions : en 1645, à l’occasion du mariage de la fille du voïévode de Moldavie Vasile Lupu avec le prince Janus Radziwil qu’il officie, le métropolite Petru Movilă prononce l’homélie en roumain et en polonais.

12 Cf. Dan Zamfirescu, Studiu introductiv..., in Varlaam, vol. I, p. 374‑425 (sous presse) ; en ce qui concerne la circulation du Livre roumain d’instruction en Transylvanie et non seulement, v. aussi Fl. Dudaş, Cazania lui Varlaam în Transilvania, Oradea, 2005, passim.

13 Cazaniile lui Varlaam, Ed. Socec – Casa Şcoalelor, Bucureşti, 1894 ; ibidem, IIe édition, 1903.

Page 325: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livre roumain d’instruction […] traduit du slavon en roumain par Varlaam... 309

par l’éditeur de l’alphabet latin et de la belle langue roumaine dans laquelle s’est exprimé Varlaam14 ont assuré un succès rapide au livre. Comme le premier tirage s’est épuisé très rapidement, en 1903 on a réimprimé cette édition15. Le livre a été lu par un public nombreux, même si le titre choisi par les éditeurs en 1894, Cazania, ne respectait pas la volonté de Varlaam. Ce n’est qu’en 1943 que le philologue Jacques Byck a publié un nouveau texte, plus respectueux des rigueurs scientifiques16. À cause de l’origine ethnique de l’éditeur le livre n’a pas pu être mis en circulation17.

Avec beaucoup de courage en 1944, dans la ville de Cluj, qui se trouvait à l’époque sous occupation hongroise, le prêtre martyr Florea Mureşanu a publié les illustrations du Livre roumain d’instruction18, accompagnées du texte de la préface et de quelques pages de texte. Le livre acquiert de la sorte une complexité et une valeur spéciale grâce à l’introduction écrite par Nicolae Colan et surtout à une étude sur la vie et l’œuvre de Varlaam. Malheureusement, ce livre n’a pas pu être diffusé non plus à cause de la situation trouble à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

C’est également en 1944 que paraît à Timişoara une autre édition des illustrations qui accompagnent l’œuvre de Varlaam, établie par le professeur Atanasie Popa, qui reproduisait avec acuité et précision l’illustration intégrale du livre imprimé au XVIIe siècle19.

En 1991 parut à Chişinău une nouvelle édition de l’œuvre de Varlaam20. 14 Nicolae Iorga, Istoria literaturii religioase a românilor până la 1688, Bucureşti,

1904, p. 145‑153, 157‑165.15 Ibidem.16 Cazania, 1643, Fundaţia Regală pentru Literatură şi Artă, Bucureşti, 1943.17 Dans la première forme de cette édition, celle de 1943, le nom de l’éditeur

n’apparaissait même pas. Environ 800 exemplaires, soit plus de la moitié du tirage, sont restés dans les entrepôts de la maison d’édition Fundaţiile Regale ; en 1966 ces 800 exemplaires ont été mis en vente dans les librairies. Dans l’Avant‑propos ajouté à ces exemplaires on fournissait les informations nécessaires sur l’édition.

18 Florea Mureşanu, Cazania lui Varlaam, 1643/1943. Prezentare în imagini, E.A.R.N., 1944, éditeur le professeur Dr Emil Haţieganu, Kolozsvár (Cluj), 1944.

19 Varlaam Mitropolitul Moldovei. Cazania. Iaşi 1643. Prezentare grafică de Prof. Atanasie Popa, Timişoara, 1944 ; les illustrations étaient accompagnées d’un texte explicatif ; l’étude introductive d’A. Popa.

20 Cartea românească de învăţătură, rédigé avec l’alphabet latin, transcrit d’après l’exemplaire conservé à Chişinău, a paru dans une édition qui regroupait plusieurs ouvrages de Varlaam : Răspunsul împotriva catehismului calvinesc (Réponse contre le catéchisme calviniste), Predoslovie la traducerea Scării Sfântului Ioan Sinaitul (Préface à la traduction de l’échelle de Saint Jean Climaque) de 1618 et un corpus de documents émanant du métropolite Varlaam – Varlaam, Opere, par les soins de Manole Neagu, Editura Hyperion, Chişinău, 1991, 620 pages.

Page 326: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

310 RADU ŞTEFAN VERGATTI

Malheureusement, à cause d’une mauvaise diffusion, cette fois non plus le texte de Varlaam n’est parvenu dans les librairies de Roumanie.

Cette année, 2011, une nouvelle édition critique du texte de Varlaam est parue, que l’on doit à Mme Stela Toma, érudit philologue, auteur de l’édition du texte et du glossaire, et au professeur Dan Zamfirescu, auteur de la préface et d’une très docte étude introductive21. Dans cette étude l’auteur se propose d’identifier les sources utilisées par l’auteur du Livre roumain d’instruction, mais aussi d’en déchiffrer le caractère et l’esprit.

Le Livre roumain d’instruction de Varlaam est, comme le titre l’indique, un recueil de 75 sermons, destinés à guider le comportement de tous les jours des fidèles et lors des fêtes religieuses, surtout le dimanche. Les sermons destinés à être prononcés pendant l’office dans l’intervalle allant du Dimanche de Saint Thomas et jusqu’à la fête de la Décollation de Saint Jean Baptiste sont particulièrement éloquents.

Les philologues ont conclu que la première source de Varlaam a été la littérature homilétique22. Le professeur Dan Zamfirescu s’est penché sur la question, analysant les sources et démontrant que l’ouvrage intitulé par Albert Erhardt23 l’Homiliaire du Patriarcat de Constantinople, œuvre de cinq patriarches, Jean IX Agapètos (1111‑1134), Germanos II (1222?‑1240), Jean XIII Glykis (1316‑1329), Jean XIV Kalekas (1334‑1347), Philothée Kokkinos (1353‑1354 ; 1364‑1374), est la première source utilisée par Varlaam24.

La deuxième source principale est l’Évangile oralisé de Kirill Trankvillion‑Stavroveckij, imprimée vers 161925.

Enfin, la troisième et dernière source principale a été identifiée par feu Pandele Olteanu26 ; il s’agit des ouvrages de Damascène le Stoudite27.

Ce fut également le professeur Dan Zamfirescu qui a mis en valeur l’utilisation de l’œuvre de Damascène le Stoudite. À ces sources se sont

21 V. n. 1.22 Dan Zamfirescu, op. cit., passim ; Fl. Dimitrescu, op. cit., p. 73‑74.23 Albert Erhard, Überlieferung und Bestand der hagiographischen und homiletischen

Literatur der griechischen kirche von Anfagen bis zum Ende des 16 Jahrhunderts, t. III, Leipzig, 1941, fasc. 4, p. 559‑598.

24 Cf. Dan Zamfirescu, op. cit., p. 11 et les s.25 Ibidem, p. 30‑45 ; v. aussi les opinions de Dan Horia Mazilu, Recitind literatura

română veche, vol. 2, Bucureşti, 1998, p. 349.26 Cf. Pandele Olteanu, Izvoare, originale şi modele bizantino‑slave, în operele

mitropolitului Varlaam, in Biserica Ortodoxă Română, 1970, no 1‑2, janvier‑février, p. 113‑151 ; idem, Metoda filologiei comparate în studierea izvoarelor şi identificării versiunii neogreceşti a operei Scara tradusă de mitropolitul Varlaam, in Mitropolia Olteniei, 1970, no 5‑6, mai‑juin, p. 543‑566.

27 Ibidem.

Page 327: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Livre roumain d’instruction […] traduit du slavon en roumain par Varlaam... 311

ajoutées d’autres, moins importantes dans l’ensemble de l’œuvre de Varlaam, dont Mucenicia lui Ioan cel Nou (Le martyr de saint Jean le Nouveau), Viaţa Sfintei Paraschiva (La Vie de Sainte Parascheva), etc.

La méthode utilisée par Varlaam pour la rédaction de son livre ne procède pas de la simple traduction et de la compilation28, formes de travail largement utilisées au moyen âge. Varlaam est allé plus loin. On a pu démontrer dans la dernière édition de son ouvrage29 qu’il a dépassé de beaucoup ce type d’approche. Varlaam a profondément travaillé ses sources, les adaptant à la situation des Roumains auxquels il s’adressait. Un seul exemple suffit pour notre démonstration. Dans l’ouvrage de Stavroveckij dans lequel Varlaam a puisé on retrouve plusieurs paragraphes violemment antisémites, ce qui était naturel car, en tant qu’Ukrainien, cet auteur s’élevait contre les percepteurs et usuriers juifs qui opprimaient le peuple. Rappelons‑nous que l’hetman Bogdan Khmelnitsky, qui a vécu à peu près à la même époque que Stavroveckij, a perpétré des massacres atroces contre les Juifs. Dans son recueil de sermons Varlaam a remplacé les paroles de Stavroveckij ou les a éliminés de son texte, car les Roumains avaient d’autres types de relations avec les Juifs, qui ne pouvaient pas nourrir des attitudes antisémites.

Pour conclure, je peux affirmer que Varlaam est l’auteur d’un ouvrage qui s’est imposé pour avoir été écrit en roumain30. On y retrouve des expressions et des mots qui ont contribué à la formation de la langue littéraire roumaine. De même, dans l’élaboration de cet ouvrage qui n’a pas été une simple traduction ou une compilation, comme c’était souvent le cas au moyen âge, l’auteur a tenu compte de l’essence de l’esprit du peuple roumain ; il s’agit donc d’une adaptation créative sinon de quelque chose de plus complexe encore. Varlaam faisait ainsi la transition de la vie érémitique vers l’activité propre à l’intellectuel humaniste, qui menait une vie active au milieu de la communauté à laquelle il appartenait.

28 Le point de vue conformément auquel le texte de Varlaam n’est pas original a été soutenu par Pandele Olteanu (cf. Pandele Olteanu, op. cit., in Biserica Ortodoxă Română, 1970, p. 113‑151 ; idem, Mitropolia Olteniei, 1970) ; il a été combattu de manière argumentée, pertinente et concluante par Dan Zamfirescu, op. cit., passim ; v. aussi Fl. Dimitrescu, op. cit., p. 81‑82.

29 Dan Zamfirescu, op. cit., passim.30 Ibidem ; Fl. Dimitrescu, op. cit., p. 82, montre que opus mahnus de Varlaam « est

extrêmement précieuse vu que, diffusée sur tout le territoire roumain, elle est devenue à son tour un modèle fréquemment imité, contribuant de la sorte à l’utilisation d’une langue littéraire artistiquement structurée ».

Page 328: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 329: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

LISTE DES AUTEURS

Page 330: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 331: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Oleg Alexandrov

University of Veliko Tarnovo “St. Cyril and St. Methodius”, [email protected]

Hermina G.B. Anghelescu

School of Library & Information Science, Wayne State University, Michigan, [email protected]

Paul Auchterlonie

University of Exeter, [email protected]

Radu Baltasiu

Département Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Shreenand L. Bapat

Bhandarkar Oriental Research Institute, Bhandarkar Road, Pune 411004, [email protected]

Frédéric Barbier

CNRS (IHMC/ENS Ulm), École pratique des hautes études (Conférence d’Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (Genève, Librairie Droz), Paris, [email protected]

Radia Bernaoui

ENSV d’Alger, Algé[email protected]

Alecsandra Botoşăneanu

Département Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Page 332: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

316 Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Jacques Bouchard

Centre d’Études Néo‑helléniques de l’Université de Montréal, [email protected]

Tănase Bujduveanu

Collège « Carol I », Constanţa, [email protected]

Ovidiana Raluca Bulumac

Département Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Charles Burnett

The Warburg Institute, University of London, [email protected]

Policarp Chiţulescu

Bibliothèque du Saint Synode‑Patriarcat Roumain, Bucarest, [email protected]

Lilian Ciachir

Département‑Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]@gmail.com

Ioana Costa

Department of Classical Philology, University of Bucharest, Romania [email protected]

Marisa Midori Deaecto

Universidade de São Paulo ‑ Escola de Comunicações e Artes ‑ Depto. de Jornalismo e Editoração, Av. Prof. Lúcio Martins Rodrigues, 443 ‑ bl. A, São Paulo (SP) ‑ Brasil ‑ 05508‑[email protected]

Peter Delev

University of Sofia “St. Kliment Ohridski”, Sofia, [email protected]

Page 333: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition 317

Eka Dughashvili

National Centre of Manuscripts, Tbilisi, [email protected]

Lionel Dujol

Médiathèques du Pays de Romans – Romans sur Isère, Francelionel.dujol@pays‑romans.org

Adrian Dumitru

Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest, [email protected]

Danijel Dzinno

Macquarie University, Sydney, [email protected]

Benoît Epron

École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (enssib) et Laboratoire ELICO, Université de Lyon, 17‑21, Boulevard du 11 novembre 1918, 69623 Villeurbanne [email protected]

Ioana Feodorov

Institut d’Études Sud‑est Européennes de l’Académie Roumaine, Bucarest, [email protected]

Serge Frantsouzoff

Institut des Manuscrits Orientaux, Académie des Sciences de Russie, St. Pé[email protected]

Milan Grba

British Library, London, [email protected]

Marianne Hartzell

Hartzell‑Mika Consulting, Michigan, USAmarianne@hartzell‑mikaconsulting.com

Page 334: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

318 Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Mohamed Hassoun

École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), 17‑21, Boulevard du 11 novembre 1918, 69623 Villeurbanne [email protected]

Martin Hauser

Département‑Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Jacques Hellemans

Université Libre de Bruxelles, Archives et Bibliothèques, 50 avenue F.D. Roosevelt ‑ CP 181, 1050 [email protected]

Doina Hendre Biro

Bibliothèque Batthyaneum, Filiale de la Bibliothèque Nationale de Roumanie, 1, Rue Gabriel Bethlen, 2500, Alba Iulia, [email protected]

Cristina Ion

Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac, 75706 Paris Cedex 13, [email protected]

Constantin Iordan

Institut d’Études Sud‑est Européennes de l’Académie Roumaine, Bucarest, [email protected]

Jaroslava Kašparová

Bibliothèque du Musée National de Prague, République Tchè[email protected]

Constantina Katsaris

University of Leicester, [email protected]

Nino Kavtaria

National Center of Manuscripts, Tbilisi, [email protected]

Page 335: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition 319

Stoyanka Kenderova

Bibliothèque Nationale « Sts Cyrille et Méthode », Sofia, [email protected]

Leonard Kniffel

American Library Association, Chicago, [email protected]

Christine Lebeau

Université de Paris I Panthéon‑Sorbonne, Francechristine.lebeau@univ‑paris1.fr

Doïna Lemny

Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, [email protected]

Stefan Lemny

Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac, 75706 Paris Cedex 13, Francehttp://www.bnf.fr/[email protected]

Katherine Low

University of Oxford, [email protected]

Florin Marinescu

Institut de Recherches Néo‑helléniques, Athènes, Grè[email protected]

Ivaylo Markov

Institute of Ethnology and Folklore Studies – Ethnographic Museum, Sofia, [email protected]

Joseph J. Mika

School of Library & Information Science, Wayne State University, Michigan, [email protected]

Page 336: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

320 Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Marielle de Miribel

Inspectrice des bibliothèques à la Ville de Paris, [email protected]

Istvan Monok

École des Hautes Études Eszterházy, Eger, Université de Szeged, [email protected]‑szeged.hu

Raphaële Mouren

Université de Lyon – École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Centre Guillaume Budé, Université Paris‑Sorbonne/École pratique des hautes études, IFLA Rare Books and Manuscripts [email protected]

Nicoleta Georgiana Negoi

Département‑Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Michel Netzer

Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac, 75706 Paris Cedex 13, [email protected]

Nina Oltean

Département Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Ioan‑Maria Oros

Musée d’Art de Sălaj, Zalău, [email protected]

Irene Owens

School of Library and Information Science, North Carolina Central University, [email protected]

Page 337: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition 321

Rodica Paléologue

Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13, [email protected]

Constantin Panchenko

Moscow State University, Institute of Asian and African Countries, [email protected]

Maria Gabriela Parissaki

Research Centre for Greek and Roman Antiquity, Athens, [email protected]

Andrea de Pasquale

Biblioteca Palatina e del Museo Bodoniano, strada alla Pilotta 3, 43100 Parma, [email protected]

Apostolos Patelakis

Institute for Balkan Studies, Thessaloniki, [email protected]

Radu G. Păun

CNRS, Centre d’Études des Mondes Russe, Caucasien et Centre‑Européen (CERCEC), 44, Rue de l’Amiral Mouchez, 75014 Paris, [email protected]

Tudor‑Aurel Pop

Bibliothèque de la Faculté de Droit, Université de Fribourg, [email protected]

Jitka Radimska

Université de Bohême du Sud, Institut des Langues Romanes, République Tchè[email protected]

Geoffrey Roper

Bibliographical Consultant, London, [email protected]

Page 338: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

322 Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Gabriel Săpunaru

Département Chaire UNESCO d’Étude des Échanges Interculturels et Interreligieux, Université de Bucarest, [email protected]

Daniel Magalhães Porto Saraiva

Université Paris IV Sorbonne, [email protected]

Réjean Savard

Université de Montréal, [email protected]

Julya Savova

Université des Sciences des Bibliothèques et Technologies de l’Information, Sofia, Bulgarie [email protected]

Nicholas V. Sekunda

University of Gdansk, [email protected]

Ana Selejan

Université “Lucian Blaga”, Sibiu, [email protected]

Nikolai Serikoff

Russian Academy of Sciences, Moscow – The Wellcome Library, [email protected]

Pascal Siegel

Service Commun de la Documentation – Université d’Artois, 9, rue du Temple, BP 10665, 62030 Arras Cedex, Francepascal.siegel@univ‑artois.fr

Liliana Simeonova

Institute of Balkan Studies & Center of Thracology, Bulgarian Academy of Sciences, Sofia, [email protected]

Page 339: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition 323

Mihai Spătărelu

The Ecumenical Association of Churches in Romania‑[email protected]

Chantal Stănescu

Bibliothèque Publique Centrale pour la Région de Bruxelles‑Capitale, Rue des Riches Claires, 24 ‑ 1000 Bruxelles, [email protected]

Stelu Şerban

Institut d’Études Sud‑est Européennes de l’Académie Roumaine, Bucarest, [email protected]

Anna Svenbro

Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac, 75706 Paris Cedex 13, [email protected]

Vera Tchentsova

Institut d’Histoire Universelle, Académie des Sciences de Russie, Moscou, [email protected]

Andrei Timotin

Institut d’Études Sud‑est Européennes de l’Académie Roumaine, Bucarest, [email protected]

Emanuela Timotin

Institut de Linguistique « Iorgu Iordan – Al. Rosetti » de l’Académie Roumaine, Bucarest, [email protected]

Ivo Topalilov

The University of Shumen, [email protected]

Kiril Topalov

Université de Sofia « Saint Clément d’Ohrid », Sofia, [email protected]

Page 340: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,

324 Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2011, 4ème édition

Veska Topalova

« Bulgaristika » – Académie de Civilisation Balkanique – NGO, [email protected]

Radu Ştefan Vergatti

Université « Valahia » de Târgovişte, [email protected]

Charles‑Éloi Vial

Université Paris‑IV Sorbonne, [email protected]

Natacha Wallez

Haute École Paul‑Henri Spaak, Institut d’Enseignement Supérieur Social des Sciences de l’Information et de la Documentation, Bruxelles, Belgique [email protected]

Barbro Wigell‑Ryynänen

Ministry of Education and Culture Affairs, Helsinki, Finlandbarbro.wigell‑[email protected]

Page 341: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 342: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 343: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,
Page 344: In honorem professoris Frédéric Barbier 60arhiva.bibmet.ro/Uploads/INTERNATIONAL_SYMPOSIUM... · FIN DU MOYEN AGE‑XIXe SIÈCLE BOOKS AND LIBRARIES OF THE NOBILITY . IN EUROPE,