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de famille mais en parfait manager. Force est en effet de constater que l’impératif d’abord, les méthodes ensuite, de ges- tion développés au sein des entreprises à but lucratif s’immiscent, contaminent ou envahissent des domaines d’activité tou- jours plus vastes et par là des pans entiers de notre vie quotidienne.Les exemples sont légions : bonne gouvernance confiée aux experts gestionnaires de la Troïka européenne, réforme Copernic des services publics belges, kit de la démarche qualité dans les ONG ou les institutions de soins, contrat de gestion et processus d’éva- luation des politiques publiques, formations au management associatif, méthode de développement personnel et d’optimalisation de nos compétences relationnelles... Sans parler des deadline, brainstorming, win win, bottom-up, check out, reporting et autre benchmarking qui colonisent nos langages professionnels.

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ED Sommaire

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Bruxelles Laïque Echos est membre de l'Association des Revues Scientifiques et Culturelles - A.R.S.C. (http://www.arsc.be/)

Bruxelles Laïque asblAvenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 BruxellesTél. : 02/289 69 00 • Fax : 02/502 98 73E-mail : [email protected] • http://www.bxllaique.be/

Editorial (Ariane HASSID)............................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 3

L’idéologie managériale : Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions (Alice WILLOX).............................................................................................................................. 4

Mon cadre-manager me fait rêver (Alexis MARTINET).................................................................................................................................................................................................................................. 8

Le stress de tout ce qu’il y a à réussir… (Propos recueillis par Alexis MARTINET et Paola HIDALGO) .................................................................................................... 12

La managérialisation des services publics : un pas vers la modernité ou un ver dans le fruit ? (Olivier STARQUIT)................................................................... 15

Europe : quand l’autorité technique prend le pas sur la démocratie (Bruno PONCELET)....................................................................................................................................... 19

Un cadre de référence pour la qualité dans les ONG (Denis DUBUISSON) ........................................................................................................................................................................... 23

L’imposture contractuelle (Pierre-Arnaud PERROUTY) ............................................................................................................................................................................................................................. 27

Rationalisation du travail social (Propos recueillis par Mario FRISO et Cedric TOLLEY)......................................................................................................................................... 30

Consultation du dossier et respect de la vie privée (Micky FIERENS) ........................................................................................................................................................................................ 32

Chronique d’une importation annoncée (Extraits des travaux de Dan Kaminski par Juliette BEGHIN) .................................................................................................... 36

Le manager pénitentiaire : un sous-capitaine qui a le mal de mer (Marc DIZIER).......................................................................................................................................................... 40

Ma petite entreprise… (Mathieu BIETLOT) ............................................................................................................................................................................................................................................................. 43

Peut-on mettre l’humain en boîte ? (Ababacar NDAW).............................................................................................................................................................................................................................. 47

PORTAIL : La déconne : une méthode de management qui marche ! (Mario FRISO).................................................................................................................................................. 49

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Par ces temps moroses d’austérité et de crises infinies, nous n’avons plus le choix : il faut gérer ! Gérer non plus en bon pèrede famille mais en parfait manager. Force est en effet de constater que l’impératif d’abord, les méthodes ensuite, de ges-tion développés au sein des entreprises à but lucratif s’immiscent, contaminent ou envahissent des domaines d’activité tou-jours plus vastes et par là des pans entiers de notre vie quotidienne.

Les exemples sont légions : bonne gouvernance confiée aux experts gestionnaires de la Troïka européenne, réforme Copernic desservices publics belges, kit de la démarche qualité dans les ONG ou les institutions de soins, contrat de gestion et processus d’éva-luation des politiques publiques, formations au management associatif, méthode de développement personnel et d’optimalisationde nos compétences relationnelles… Sans parler des deadline, brainstorming, win win, bottom-up, check out, reporting et autrebenchmarking qui colonisent nos langages professionnels.

Parce qu’il ne recherche que l’efficacité, qu’il se limite à proposer des moyens et des techniques rationnelles et utiles pour attein-dre des objectifs sans se prononcer sur ces objectifs, le management se prétend neutre, dénué de toute connotation idéologique,et donc universel. Or l’impératif de gestion efficace n’a pas existé de tout temps. Ce n’est pas une manière de fonctionner naturellemais une manière de voir et d’organiser les choses apparue à un moment précis de l’histoire. Non seulement, il n’y a pas une seuleou parfaite méthode pour atteindre ses buts mais le fait d’être efficace n’est pas à lui seul gage de vérité. Le management relèved’une certaine vision du monde et de l’homme : positiviste, utilitariste, techniciste…

Dès lors, le management ne propose pas que des moyens techniques, il teinte le projet de ses présupposés idéologiques, voire enpervertit les finalités. Il faut le savoir quand on décide d’appliquer des instruments de gestion à une situation précise.

Cela ne signifie pas que les techniques de management sont forcément mauvaises. Tout n’est pas à jeter, il y a des outils et desméthodes qui peuvent améliorer le fonctionnement d’un service public, d’une association ou d’un projet personnel. A condition de biengarder à l’esprit les implications sous-jacentes des instruments utilisés et de ne pas perdre de vue les finalités propres de ces institu-tions ou projets. Il s’agit d’adapter la technique aux finalités du projet et non l’inverse, comme cela semble trop souvent être le cas.

En tant que laïques, nous ne sommes évidemment pas opposés à l’idée d’accorder plus de place à la raison dans nos modes d’or-ganisation. Mais il faut se méfier du dévoiement des valeurs qui glisse si vite de rationalité à rationalisation puis à rationnement. Etaussi, en tant qu’humanistes, nous ne pouvons nous contenter de modélisation, de calculs froids, de mises en boîte qui ne laissentaucune place à l’humain et ses affects, aux aléas de la vie, à la remise en question, aux débats sur les orientations politiques ou leschoix de société.

Le bonheur et le succès ne découlent pas automatiquement d’un plan de management. La lecture des articles qui suivent vousaidera dans vos réflexions à ce sujet.

Ariane HASSIDPrésidente

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L’idéolog

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Par Alice WILLOX*

*Bruxelles Laïque Echos

L’idéologie managérialeIl n’y a pas de problème, il n’y a que des solutionsLes outils du management humain sont partout. Débarqués de la sphère marchande, ils

envahissent aujourd’hui les sphères sociales les plus diverses, du secteur non-mar-

chand jusqu’aux multiples “life coachs” qui nous guident vers toujours plus d’ “excel-

lence”. Il est tentant d’y voir une forme de repli rationaliste face aux incertitudes d’une

société post-moderne en crise. Et cette hypothèse n’est sans doute pas sans fonde-

ments. Pourtant, y voir un phénomène simple-

ment sociologique nous empêcherait de ques-

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L’idéologie managériale

À la fin du XIXe siècle, Frederic WinslowTaylor se penchait sur la productivité desusines américaines avec l’intention netted’élaborer une théorie scientifique de l’orga-nisation du travail. Le mythe du “one bestway” était né. Plus de cent ans plus tard,force est de constater que le monde du tra-vail reste imprégné de cet énoncé gestion-naire. Il n’est bien évidemment pas insenséde chercher une organisation plus ration-nelle du travail. En revanche, le phénomèned’ “implémentation1” des outils du manage-ment à pratiquement tous les degrés de lasociété relève de ce que nous pourrionsappeler l’idéologie managériale. Cettemanagérialisation peut être définie comme“l’usage généralisé des techniques d’orien-tation des conduites, permettant d’atteindredes objectifs normatifs et politiques2”.

Le management actuel dans le monde dutravail ne repose plus sur la solution unique.L’heure est à l’adaptation, il s’agit deconnaître ses collaborateurs et de leur pro-poser des modes de travail adaptés à leurpersonnalité et à la particularité du projet.Par exemple, pour mobiliser une équipedans un but d’efficacité à court terme, encas de difficulté passagère, vous concen-trerez vos efforts sur des collaborateurscompétents et en besoin de reconnais-sance en adoptant une posture de meneur.En revanche, si votre objectif est d’attribuerdes responsabilités opérationnelles à descollaborateurs constructifs en besoind’identification au groupe, vous choisirezde vous montrer coopératif3. La gestionhumaine est aujourd’hui une affaire com-plexe, mais rassurez-vous, pour chaqueproblème, il y a une solution !

Si l’heure est à l’adaptation, elle est égale-ment à l’autonomie des collaborateurs. Eneffet, le management participatif, par projetou d’empowerment, vise très précisémentcette compétence. Mais il ne s’agit pas dese méprendre sur la finalité de cesméthodes de gestion humaine : “l’autono-mie et la créativité exigées à présent dessalariés ne suppriment pas pour autant l’en-cadrement du travail et son contrôle (…) lessalariés restent toujours tributaires descontraintes prescrites par les procéduresde certification de qualité et de la pressionde la demande4”.

Quid du non-marchand ?

Si ce modèle de gestion humaine n’est pasrécent dans les grandes entreprises à butlucratif, le secteur non-marchand semblepris également dans cette dynamique. Lacoopération au développement est le pre-mier secteur non-marchand a avoir intégrédes outils de gestion de projets venus dumonde marchand. Mais ils sont suivis deprès par le secteur de la santé, de l’inser-tion socioprofessionnelle et l’action socialepublique. Cette managérialsiation de l’ac-tion sociale repose sur une volonté nette derationalisation des dépenses publiques.Depuis quelques années déjà, on voit sedévelopper l’idée que l’action sociale seraitun coût trop important pour l’Etat et que cedernier doit pouvoir opérer un contrôle plusimportant sur les organisations qu’il subsi-die. Ainsi, les outils du monde marchand,par leur souci intrinsèque du profit, seraientnécessairement le moyen le plus rationnelde garantir l’efficacité de l’action sociale.On peut donc se voir décliner, avec le déve-loppement de l’Etat social actif, quelqueslogiques contemporaines proprement

managériales (voir définition plus haut) quitraversent le champ du travail social engénéral :

- La territorialisation repose sur l’idée quechaque localité est en proie à des difficul-tés spécifiques. Cette logique imposedonc l’élaboration de diagnostics parl’identification des précarités particulièresà la zone géographique et la constructionde plans d’action à court, voire à moyenterme. Les plans de cohésion sociale ensont l’exemple paradigmatique. On passedonc très nettement de la logique d’assu-rance universelle à celle de la discrimina-tion positive.- L’hyperspécialisation des services d’ac-compagnement sociaux sont une mani-festation de la volonté publique de propo-ser une solution adaptée à chaquesituation individuelle. C’est cette logiquequi explique, par exemple, que les ser-vices d’hébergement de l’Aide à la jeu-nesse se déclinent sous plus de quinzeformes différentes selon leurs projets(accueil d’urgence, autonomisation, dou-bles diagnostics, observation et orienta-tion…) et que bien des enfants restent surliste d’attente, faute de place dans un ser-vice adéquat.- La contractualisation et l’activation sedéploient particulièrement dans le secteurde l’insertion socioprofessionnelle. Cetteconditionnalité de l’aide assurantiellequestionne plus profondément la placeque nous réservons aux plus démunis :comment notre société gère-t-elle lespauvres ? Quel contre-don exige-t-on deceux que nous assistons ? D’une part,elle laisse entrevoir un climat de suspicionvis-à-vis des bénéficiaires de l’aidesociale, qui seraient des “profiteurs pas-

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sifs et assistés”. D’autre part, elle élimineformidablement la question des respon-sabilités collectives, c’est-à-dire des res-ponsabilités de la société en tant quefabrique de la précarité.

- Il en va de même pour la tendance à l’in-dividualisation, teintée de psychologisa-tion. Elle repose sur une prédominancede la cause individuelle dans la concep-tion de la désaffiliation. Après tout, quandon veut, on peut. L’étendard de ce phé-nomène est sans doute celui de l’égalitédes chances. Sous l’apparat d’une égalitémoderne, l’égalité des chances ne ques-tionne en rien les inégalités. En effet, “leprésupposé individualiste de l’égalité deschances (…) promet de transformer lasituation de certains individus, tout enlaissant inchangées les structuressociales5”. Nous voilà donc tous sur lamême ligne de départ, mais il y aura toutde même des gagnants et des perdants.

Dans toutes ces logiques, on peut voir undénominateur commun, celui de responsa-biliser l’individu à un degré qui entrave lasubjectivation collective, c’est-à-dire lapossibilité de s’identifier à une conditionsociale. Et les luttes sociales de s’enliserdans une perte de sens favorisant la démo-bilisation.

A un niveau plus personnel également, lesressources gestionnaires ne manquentpas : introduire “savoir dire non” dans unmoteur de recherche Internet vous assureplus d’un million de résultats et recomman-dations des plus pragmatiques. Il s’agit dese poser en entrepreneur de soi et demener à bien ses projets pour garantir saposition de “winner”. Et de mesurer com-

bien les conceptions et le vocabulaire mar-chands ont infiltré nos vies personnelles.

Nous voilà donc cernés par les modèlescomportementaux dont les prétenduesvariations adaptatives peinent à cacherl’uniformité de leur finalité normative.

Les limites de l’humain modélisé

L’organisation scientifique du travail – oude sa vie privée – prend aujourd’hui desformes diverses, mais elle reste cloisonnéedans des cadres logiques qui font peu decas de facteurs humains plus aléatoires telsque l’improvisation, la rêverie, les acci-dents, le jeu, l’intuition, l’humour…

Et pour cause, ces spécificités person-nelles mais surtout imprévisibles ont étéanalysées par nombre d’auteurs qui, s’ilsont parfois rendu une théorie cohérente,n’ont pu le faire qu’au prix d’une com-plexité de raisonnement peu compatibleavec l’intention schématisante desmodèles managériaux. Ce qu’on peutappeler les “comportements d’humeur”appartiennent par définition au domaine del’imprévu. Mais ils sont également porteursde possibles, de création et d’innovation.Tenter de modéliser ce potentiel serait pardéfinition le faucher en plein vol. Noussommes ici dans un dilemme proche decelui du fameux chat de Schrödinger6.Impossibilité qui met en lumière l’étroitessede vue de la gestion moderne des res-sources humaines.

Le mythe du “one best way” plane sur lesorganisations humaines depuis la penséetaylorienne. Une pensée dont les limites ontété démontrées à de nombreuses reprises

et qui continue pourtant à dominer lemonde de l’entreprise et au-delà.

La managérialisation, instrument dereproduction sociale

Ce constat pourrait se révéler sans consé-quences si les courants managérialistes nerevendiquaient pas leur neutralité et doncleur fiabilité. Et aussi, s’ils ne s’érigeaientpas au rang de dogme indiscutable. Or, sil’on s’y attarde quelque peu, on constateaisément que l’idéologie managériale esttout sauf neutre. Elle repose en effet surdes paradigmes qui relèvent d’une “cer-taine conception de l’économie et du déve-loppement économique7” : objectivisme,fonctionnalisme, utilitarisme… Ces para-digmes eux-mêmes entendent étayer avecforce le modèle néolibéral dominant. Leuratout majeur est certainement de consti-tuer une idéologie qui ne dit pas son nom,et de construire des catégories de penséesqui façonnent nos représentations de cequi est efficace, de ce qui est raisonnableet rationnel, et donc de ce qui est bon pournous.

L’idéologie managériale et son infiltrationdans (presque) toutes les sphères de notrevie pose donc la question de sa fonctionsociale et politique. Sous le slogan “Il n’y apas de problème, il n’y a que des solu-tions”, on devine aisément les contorsionsmorales nécessaires à maintenir la produc-tivité, l’efficience et la rentabilité écono-miques exigées par les outils du manage-ment. D’une part, cet arsenal représente unformidable dispositif de reproduction dusystème économique et social moderne.D’autre part, sa fonction idéologique sepose nécessairement en pensée massive,

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entravant le questionnement du systèmequ’il reproduit.

Il semble donc essentiel, face à ce phéno-mène, de nommer le caractère idéologiquede la managérialisation, afin de reposition-ner ces outils prétendument neutres

comme des choix politiques et de se poserla question de savoir quelles valeurs noussouhaitons voir émerger dans notre sociétécontemporaine.

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1 Implémentation : Commercialisation, lancement, Implan-tation, mise en œuvre, utilisation effective. Source :http://fr.wiktionary.org/ 2Mehdi Arrignon, “La managérialisation de l’Etat social actif :une perspective comparée (France, Pays-Bas, Espagne)”,Congrès AFSP, 2011

3https://www.youtube.com/watch?v=-V_NpfvzGbQ4Mateo Alaluf, “Le retour du puritanisme au travail”,www.econospheres.be, mis en ligne le 24 mars 2012.5Alain Bihr, La novlangue néolibérale. La rhétorique du féti-chisme capitaliste, Lausanne, Page Deux, 20076La théorie du chat de Shrödinger est à l’origine une critiquede la mesure dans la physique quantique : un chat estenfermé dans une boîte avec un dispositif qui tue l'animaldès qu'il détecte la désintégration d'un atome d'un corpsradioactif. Or, pour savoir si le chat est mort ou vivant, il fautouvrir la boîte…et donc tuer le chat. Plus d’informations :http://fr.wikipedia.org/wiki/Chat_de_Schr%C3%B6dinger7Vincent de Gaulejac, “La part maudite du management :l’idéologie gestionnaire”, Empan, n°61, p.30-35

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Par Alexis MARTINET*

*Bruxelles Laïque Echos

Mon cadre-managerme fait rêver

C’est lors d’une soirée amicale qui débuta somme toute comme tant d’autres que monvieux pote Fabien me prit en grippe. “C’est de saison”, me suis-je entendu penser.

Consultant de profession depuis cinq ans, Fabien jouit d’une voiture de société tant ché-rie qu’Audi l’aurait façonnée en son honneur, se fagote de costumes cintrés qu’il ne tombejamais tant ils ont le don de réfléchir sa nouvelle condition et se persuade chaque jour d'ensavoir encore plus sur le monde qui nous entoure.

Il a fait ses classes à l’ICHEC, rebap-tisée il y a peu “Brussels managementschool”1, ça fait plus smart, l'école duparfait manager. Tellement parfait qu’il nelui a été dispensé aucun cours consacréà la critique du système enseigné ni auxdifférents contre-courants de penséeactuels. Pour lui, comme pour tant d’au-tres, le management n’est rien d’autrequ’un moyen pour rendre une sociétéplus efficace dans sa globalité.

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Nous remplissions donc nos verresrespectifs lorsque, sans crier gare, labombe fut larguée :

“Tu vois mon gars, le monde, c’est d’inves-tissements et de profits dont il a besoin pourse développer. Et c’est précisément cequ’on génère chez Deloitte en augmentantla performance des entreprises. Ce sont lesgrosses boîtes qui dynamisent la croissanceet le pouvoir d’achat pour tous. Alors toutesces grèves...”.

Vous imaginez mon désarroi, sachant quedepuis vingt ans, nos retrouvailles trimes-trielles se déroulaient tantôt à s’échiner surde vieux jeux vidéo, tantôt à se rappeler nosanciens déboires affectifs, une bière danschaque main.

Il est cependant malaisé de ne pas réagirlorsqu’on surprend un ami s’embarquer,tambour battant, dans la morne campagnelancée par les petits hommes gris2 contre ladignité humaine, la pensée, l’amour du tra-vail intellectuel, l’authenticité, les doutes, lalégèreté, la spontanéité.

Pour couper court et gagner du temps, je luiproposai d’en débattre pendant son lunchen one to one, avec son psy d’entreprise3,lorsque son conference call sera over4. Lasituation n’était pas désespérée, il avaitsouri… Mais tenait à ne pas en rester là…

“Tous ceux qui ont un tant soit peu étudiél’économie savent que cela a toujours fonc-tionné de cette manière, arrête de vouloirtoujours tout remettre en question ! On nousapprend des techniques efficaces pouraccroître les bénéfices en tenant compte detous les aspects, y compris humains. Et

toute la société en profite, de ces béné-fices”.

Je me trouve, certes, en minorité idéolo-gique, mais vu ce à quoi ressemble lemonde du travail, la navigation à contre-courant ne m’émoustille pas outre mesure.Quoi qu’il en soit, j’allais prendre les armes5

contre Fabien et ses idées qui n’en étaientpas contre cette discipline qui ne vise fina-lement qu'à l’enrichissement d'un grouperestreint d'individus. Ceux que l’on devraitsuivre aveuglément sous prétexte que cesmêmes personnes seraient susceptibles denous “offrir” un emploi. Et quel emploi…

Tes œillères, cher Fabounet, semblentexceptionnellement efficaces puisqu’ellest’empêchent d’avoir ressenti la souffrancepsychique et physique des employés desentreprises dans lesquelles tu consultestous les jours ou alors aurais-tu simplementété à bonne école et camouflerais-tu tesdoutes par ce sourire et ce voile apparentd’aisance ostentatoire ? Ce sont précisé-ment ces méthodes de gestion, en raffine-ment constant et aux effets éprouvés – tanten termes de réduction des coûts que d’in-tensification du travail – que tu es habilité àmettre en place qui en sont la cause.

De plus en plus de travailleurs sont harce-lés, déstructurés, broyés au travail par cesméthodes qui, depuis plus de vingt ans, sesont développées et deviennent la norme.Elles entraînent, mois après mois, selon lescas, burn out, tentatives de suicide et mala-dies professionnelles lorsque le travailleurse tait, avertissements et licenciementlorsqu’il proteste. Elles sont le fruit d'uneévolution idéologique structurelle et n’ontrien de simples méthodes isolées lancées à

la rescousse d'une petite entreprise en diffi-culté.

Je décidai d’appuyer mon argumentaire àpartir de l’analyse développée par LucBoltansky et Eve Chiapello dans Le nouvelesprit du capitalisme6.

Selon eux, l'accumulation illimitée du capi-tal exige la mobilisation d'un grand nombrede personnes qui ne jouissent plus du résul-tat de leur travail et n’ont, dès lors, a priori,aucune motivation à participer à cette accu-mulation : les salariés.

Le capitalisme, complètement détaché dela sphère morale, nécessite, pour prospé-rer, la mise en œuvre d'une idéologie quijustifierait cet engagement inconsidéré.Pour ce faire, il ira chercher, en dehors desa propre logique de base, des incitants etdes légitimités culturelles pour l’implicationde tous les travailleurs dans l’entreprise.C’est le lien qu’avait établi Max Weberentre l’esprit du protestantisme et l’accu-mulation captaliste.

Vers la fin des années 1960, Il a fallu modi-fier l’esprit du capitalisme pour répondre àun changement des valeurs dominantes ets’adapter aux deux critiques majeures quilui étaient alors opposées : d’une part, la cri-tique sociale, soulevée contre l’exploitation,réclamant notamment plus de justicesociale, d’égalité, un meilleur salaire etc. etd’autre part, la critique dite artiste orientéeentre autres contre l’aliénation, la standardi-sation, la production et la consommation demasse, contre l’archaïque autorité patronalepaternaliste, et donc animée par un désir deplus de créativité, d’autonomie, de mobilitéet de spontanéité.

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Les penseurs du néolibéralisme ont pu per-cevoir, dans la critique artiste, de nouvellespistes favorisant l’accumulation du capital,tout en réduisant encore les coûts afférentsà la production fordiste ou au contrôle hié-rarchique des travailleurs. Le nouvel espritcapitaliste ne tarda donc pas à intégrer cesconcepts exigés en les vidant de leur sensinitial et en leur attribuant un objectif de pro-fit. Ce faisant, à travers le management parprojets et réseaux (néo-management) quisigne la fin de l’entreprise fonctionnelle, lecapitalisme créa des contradictions devaleurs qui ne tardèrent pas à produire unéclatement du monde du travail et la souf-france d’une grande partie des travailleurs.

Le capitalisme pencha, par exemple, dansle sens d’une libération qui permit une flexi-bilité, un changement d’activité et de projetainsi qu’une rupture vis-à-vis des apparte-nances locales. Mais cette libération s’estfaite au détriment de la libération revendi-quée par la critique artiste : la délivranced’un système ou d’une situation d’oppres-sion.

La critique d'inauthenticité était quant à elleorientée contre la production standardiséemassive et industrielle qui aboutit à la créa-tion d’une masse humaine à la penséeunique. La réponse capitaliste a été la miseen œuvre d’une marchandisation par ladiversification à outrance des biens et desproduits qui entraîna la marchandisation dedomaines qui, jusque là, avaient échappé àla sphère marchande (activités culturelles,loisirs…).7 Cette marchandisation accrueentraîna de surcroît la prospection et la miseen valeur de gisements d’authenticité,sources inépuisables de profit.

Parallèlement à ce phénomène, la libertédevint la liberté d’acheter, le plus possible etle plus souvent possible. Le travailleur subitune démultiplication de son aliénation parcette incitation à la consommation demasse qui l’enferme en le persuadant queson salaire, même s’il fait vivre les siens, nesuffit plus ; il doit travailler plus dur pourpouvoir se procurer cette superfluité.

Alors que l’autonomie revendiquée visaitcelle qui s'entend de pair avec l'émancipa-tion de Todorov et la réalisation de soi, l’ac-croissement d’autonomie s’est construit audétriment de la protection et de la sécuritéde l’emploi, ainsi que d’une perte d’emprisedu travailleur sur son environnement. Onexige à présent de lui, sur ses projets pro-fessionnels, une implication personnelle quiempiète sur sa vie privée, ne lui laissantaucun répit. Le néo-management organiseun véritable viol de l'intimité et détruit cemur qui, depuis plus d'un siècle, protégeaitde l'entreprise, la vie privée du salarié. Ils’agit pour l’employeur d’asservir égale-ment l'esprit des travailleurs, de contrôler àson profit l’ensemble de leur temps et deleur subjectivité (la biopolitique de Foucaultcaractérise ce contrôle social au niveau dela Cité). On exige des individus la soumis-sion absolue et de tout instant de leur sub-jectivité imposant à chacun d'être respon-sable de son “employabilité” dans uneflexibilité maximale.

Le travailleur peut aujourd’hui souffrir tantau travail par la mise en place de méthodesde management pathogènes (objectifs inat-teignables, cadences insoutenables, perted’identité…), qu’après le travail (travail àramener à domicile, disponibilité sur smart-phones…) et même de l’absence de travail

(synonyme de perte de l'estime de soi etd'exclusion sociale).

Là où la critique artiste exigeait une hiérar-chie moins accablante et plus d’autoges-tion, on assiste à un renforcement de l’auto-contrôle, du contrôle informatique en tempsréel, de la surveillance accrue des travail-leurs entre eux, tous tenus responsables dela bonne exécution du projet en cours.

Le management par projet fonctionne cou-ramment sur base d’objectifs annuels àatteindre “en toute autonomie”. Lorsque lesobjectifs d’une année sont réalisés, la hié-rarchie considère qu’elle peut élever d'uncran le niveau exigé pour l’année suivante.Chaque année devient de facto plus insur-montable, et ce, jusqu’à ce que le travailleurrenonce, au nom de ces objectifs, à desparts de plus en plus importantes de sa vieprivée. Tant le besoin de reconnaissance deses pairs que la crainte du licenciement etles pressions insurmontables le précipitentdans le mal-être, la dépression, voire la ten-tative de suicide8.

Le salarié a l'obligation d'être flexible, depouvoir se couler dans tous les moules,mais doit conjointement développer sa spé-cificité propre et la mettre en avant afin d'in-téresser les autres, rite indispensable pourpouvoir passer de projets en projets etdevenir “quelqu’un” dans le monde de l’en-treprise. Une autre contradiction déstructu-rante du néo-management réside dans lefait, comme on l'a dit, qu'il faut être soi-même, être libre, pour conquérir d'autresprojets dans ce réseau interconnecté alorsque l'homme n'est pas dupe et vit avec leressenti permanent et justifié d'être mani-pulé, exploité ou récupéré.

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L’économiste Frédéric Lordon9 a mis enexergue une des caractéristiques du capita-lisme actuel, à savoir, la forme de “domina-tion symbolique” (Bourdieu) exercée en vued’enrôler les individus dans son projet. Lenéolibéralisme tente de convaincre les indi-vidus que le travail est le lieu de la réalisa-tion de soi, en l’associant intrinsèquement àdes “affects joyeux”, plutôt qu’extrinsèque-ment, c’est-à-dire lorsque le travailleur per-çoit son salaire. On va manipuler ce qui estde l’ordre des désirs en requérant du sala-rié, non seulement qu’il fasse ce qu’il fautfaire, mais qu’en plus, il trouve cela agréa-ble. Alors, on va organiser de grandes soi-rées arrosées de mousseux aux étiquettesdorées, organiser des team-buildings auClub Med et autres grandes messes en tousgenres.

Pour Paul Ariès10, le concept d’autonomieest tellement falsifié qu’il est réduit à néant.Le recrutement sert à déceler les candidatsles plus aptes à la soumission, ceux quisemblent prêts à vivre pour leur entrepriseet à accepter cette mère assouvissant leursbesoins primaires au prix de la privation deleur autonomie et de leur dignité.

Le néo-management conteste de plus enplus aux salariés le droit à la jouissance deleur identité propre dans le cadre de l'entre-prise, en visant systématiquement à impo-ser aux travailleurs une identité nouvelle, quin'est même plus celle des métiers, qui estcelle de l'entreprise elle-même. Les procé-dés mis en place pour y arriver ne man-quent pas : nouveaux modes d'organisationdu travail qui brisent les cultures de métier,instauration de règles de travail identiqueset standardisées, code vestimentaire,tutoiement, expressions de langage imposé

pour les commerciaux, etc.10 Et il s’agitmoins d’être plus efficace que de déshuma-niser, de désubjectiviser ce qui se passedans l’entreprise.

L'entreprise moderne rompt ainsi avec le paternalisme d'antan et développeaujourd'hui un maternalisme encore pluspervers, car fondé sur une logique de dévo-ration de son personnel. Oscillant de laClémentine de Vian à la Folcoche de Bazin,d’une mère étouffante, castratrice, refusantà ses enfants leur indépendance et leurautonomie à celle qui les exclut et lesrejette. Le lien à l’entreprise devient fonda-mental alors qu’il est de plus en plus éphé-mère.

“Bon allez, prend ta manette, on se fait unepetite partie et oublions tout ça, t’eslourd…”

N’en espérant pas moins, je voulais tout demême conclure mon propos sur une autrenote que celle du dépit, car si ce nouveaucapitalisme semble triompher, une idéologiequi s’appuie sur le paraître et la manipula-tion des valeurs dans un but d’exploitationd’une majorité de personnes ne pourraitêtre viable à long terme. Un jour, les collec-tivités se reformeront et seront suffisam-ment fortes pour lutter à nouveau pour lechangement. En attendant, transmettre l’in-formation, discuter, partager entre travail-leurs, recréer des identités propres et briserl’isolement semblent les meilleures disposi-tions à prendre pour faire comprendre àtous que les incitants proposés par ce nou-veau management ne conviennent plus,n’ont jamais convenu. Une adaptation – oupourquoi pas une réelle réforme – doits’opérer au plus vite. Le néo-management a

déjà contaminé le monde des entreprises etpoursuit inlassablement sa chevauchée àl’assaut des services publics, des associa-tions, des écoles…

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1Tout comme Solvay qui s’accoutre dorénavant d’un irritable“Business School”. 2A la Simenon, ces petits hommes gris représentent la maté-rialisation finale du cauchemar imaginé par RobertMusil dans L'Homme sans qualités (Seuil, 1979). DixitBenasayag.

3La mise à disposition de psychologues d’entreprise est unetechnique utilisée dans un grand nombre de sociétés. Si l’em-ployé n’est pas satisfait, que les conditions de travail ne luiconviennent pas, ce n’est pas de la faute de l’organisation dutravail, c’est lui qui a un problème personnel et l’entreprise,protectrice, va l’aider à le résoudre. C’est surtout une bonnemanière de lui renvoyer ses difficultés à la figure en se tour-nant vers une pathologisation du social destinée à court-cir-cuiter toute action collective. 4 L’anglais, pour désigner certains concepts (le wording), esttrès usité en management. Il servirait à fonder une communi-cation rapide et internationale. Il sert plutôt à masquer le videdes concepts, de la pensée et à enrober d'un voile pseudobranché des formules puériles, infantilisantes. Même le burn-out ils vous l’imposent en anglais…5Des armes de Ferré, celles “au secret des jours; Sous l'herbe,dans le ciel et puis dans l'écriture; Des qui vous font rêver trèstard dans les lectures; Et qui mettent la poésie dans les dis-cours”.6Le nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et EveChiapello, Gallimard (“Nrf essais”), 1999.7En écrivant ce texte, j'enrage précisément sur chaque pubqui entrecoupe ma playlist musicale sur Youtube depuis quele site de partage de vidéos a été racheté par Google.8Comme le souligne Durkheim, le suicide est avant tout unphénomène social et ne saurait se résumé à une folie interneou héréditaire comme certains chefs d’entreprises tententsouvent de s'en convaincre ou de convaincre le grand public.La même analyse s’applique aux autres symptômes du mal-être au travail. 9Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. Marx etSpinoza, La Fabrique, 2010.10Paul Aries, Harcèlement au travail ou nouveau management,éditions Golias, 2002. 11Ce n'est pas sans raison que l’on refuse dorénavant auxouvriers de décorer leurs ateliers comme cela se faisait avant,avec des posters parfois de mauvais goût, ou si on ne peutplus écouter son poste de radio, ou encore que des safetyrules de type “obligation de tenir la rampe pour descendre lesescaliers sous peine d’avertissement” (règlement de travailExxon Mobile) sont imposés, qu'une charte informatique vientdéterminer ce que l'entreprise considère être une navigationcorrecte ou “morale” sur Internet, la généralisation de pra-tiques comme l'imposition d'un prénom unique pour unmême poste ou de contraintes corporelles (maquillage, …).

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Propos recueillis par Paola HIDALGO* et Alexis MARTINET*

*Bruxelles Laïque Echos

Le stress de tout ce qu'il y a à réussir…Témoignage anonyme

Quels effets ont les nouvelles formes de gestion sur les employés du secteur privé ?

Combinées au climat de crise et à l’impression d’urgence qu’elles injectent dans la réalité

économique, ces politiques et stratégies de management semblent exercer des pressions

de plus en plus fortes sur les individus. Entre la nécessité de survivre dans un environne-

ment déshumanisé et le manque de clarté dans les objectifs des sociétés, les employés

semblent fragilisés. Pour essayer de saisir les effets de cette pressurisation quotidienne,

nous avons recueilli le témoignage d’une cadre dans le département marketing d’une mul-

tinationale. X1 travaille pour cette société depuis plus de six ans et est en charge de gros

projets ayant un impact sur le chiffre d'affaires et sur l'image de la société. Elle a quarante-

trois ans, deux enfants et elle détient deux masters.

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Tout a commencé avec unecharge de travail qui était deplus en plus conséquente etcontinuelle tout au long de l'an-née. C'est-à-dire que, par le

passé, nous étions confrontés à quatre oucinq moments importants pendant l'an-née, qui exigeaient une charge de travailet un investissement personnel trèsimportants. Ceux-ci alternaient avec despériodes beaucoup plus zen, qu’auxhoraires de travail normaux2.

Mais, depuis les deux dernières années,suite à des changements au niveaustratégique de la société, accompagnésde changements de politique interne,nous avons été confrontés à un turn-overaccru du personnel, à la mise en concur-rence entre les collègues et au manque detransparence par rapport aux responsabil-ités et à la prise de responsabilités indi-viduelles. Dans un tel climat, la communi-cation entre départements semblait poserde sérieux problèmes.

À partir du moment où la crise s’est faitressentir clairement chez nous, on a eul’impression d’être confrontés à unefrilosité grandissante par rapport à la prisedes décisions et aux choix d'investisse-ments. Les plans d'action et les objectifs àatteindre étaient de moins en moins clairs.Cette situation a entraîné la multiplicationde demandes de la part du managementdans le sens de plus d’analyses, de plusde documents administratifs, de plusd’exigences pour suivre des procéduresqui changeaient tous les deux ou troismois car ils n'arrivaient pas à se mettred'accord, du dédoublement des réunionset des présentations… Toutes ces sollici-

tations ont fait que, à un certain moment,nous n’avions plus de phases de travailplus calmes sur l’année et nous étionsconfrontés à une surcharge permanentede travail et de stress.

Nous n’avions plus aucun moment derépit, ni pour nous-mêmes ni pour com-muniquer avec les collègues. J’en suisarrivée à travailler soixante heures parsemaine toutes les semaines pendant plusd'un an et demi. Soixante heures parsemaine, cela signifie renoncer auxsoirées entre amis, aux activités sportives.Il y avait toujours une raison pour pro-longer le travail : un mail, par exemple, quiarrive à seize heures et qui demandequelque chose pour neuf heures le lende-main (pour finalement s’apercevoir quecela pouvait attendre).

Le rythme de travail exigeait que nous met-tions en place des alarmes afin que nousn’oubliions pas de rentrer le soir. Tout celaavec une vie de famille pour chacun d'entrenous. Cependant, cela n'était pas, pourmoi, la partie la plus compliquée.

Avec cette nouvelle politique interne, lepersonnel a été de plus en plus mis encompétition. C'était à un tel point que tousles mois, un peu à l'américaine, nousétions mis devant une assemblée de soix-ante personnes au cours de laquelle ondécernait les bravos à ceux qui avaientréussi. Quant à ceux qui n’avaient pasatteint leurs objectifs, ils étaient appelésdans le bureau de la direction. Pourtant, ilétait difficile de savoir ce qu’ils attendaientde nous car il n'y avait pas de trans-parence sur les objectifs ou les moyenspour les atteindre.

Dans un tel contexte de compétition, lacommunication devient impossible : lesgens ne se parlent plus, ils se méfient l'unde l'autre et la confiance n'est plusprésente. On se bat pour sa place. On al'impression d'être jugé à chaquemoment.

De ce fait, pendant six mois, j'ai dormi aumaximum trois heures par nuit. Les nuitsdifficiles s’enchaînaient. J’allais au lit enme disant “ce n'est pas grave ! Je prendsun bloc-notes à côté de moi et je note lestrucs que je ne dois pas oublier de faire lelendemain”. Pour finir, je me rendaiscompte que, après deux heures de prisesde notes – dans le noir d'abord et puis àl’aide d’une lampe de chevet – il valaitmieux se lever pour aller devant le PC.Donc, si l’on ajoute ces nuits très courtesaux soixante heures par semaine, au som-meil perturbé par le fait que l’on ressassetout, dû au stress de tout ce qu'il y a àréussir... C’est l’image de l’élastique surlequel on tire trop et qui finit par lâcher.

Et malgré cette pression sur ma santé etmon équilibre entre vie personnelle et vieprofessionnelle, je trouvais le moyen detenir le coup.

La goutte qui a fait déborder le vase…et des mesures urgentes à prendre

Dans certaines réunions, ils me deman-daient de prendre toute la responsabilitésur mes épaules, d'aller faire un show et,quelque part, de camoufler des chosesqui n'étaient pas en accord avec les déci-sions communiquées à un autre niveau(international). A partir du moment où j’aicommencé à ressentir que l’on attendait

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Mais la laisser société

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de moi de mentir, c’en était trop. C'estcela qui a tout déclenché. Après des moisde fatigue, de relations tendues en perma-nence avec certains collègues, onattendait de moi de ne plus être en accordavec moi-même : un soir, je me suisretrouvée perdue, vidée, tout à fait décon-nectée du temps présent avec commeseule solution la prise en charge médicale.

Dans ces conditions, il y a urgence àdéfinir les objectifs à atteindre et lesmoyens pour y arriver. Avoir un minimumde transparence, quels que soient lesniveaux de la société, quelles que soientles personnes, pour que chacun sacheexactement ce qui est attendu de lui.

Ensuite, il est important de retrouver uneresponsabilité face à cette situation :actuellement, personne n'ose en parler.

Nous sommes dans une société qui aoublié que l'humain devrait passer avantle business. Il faut des règles du jeu. Il fautqu'il y ait de l’humanité pour que les genssoient heureux. Si on est là simplementpour atteindre un chiffre et qu’on attendde nous d’être prêts à faire n'importe quoi,cela n'a plus aucun sens.

Or, les solutions qui sont mises en placesont complètement insuffisantes et nonadaptées. Je les appelle l’humain artificiel.Il s’agit des team building, des coaching

individuels et collectifs, des séminaires…

Même les temps d’échanges informelscommencent à être cadrés et pris encharge par l’entreprise. Comme ça, au lieude nos pauses-café d’antan, des “rencon-tres informelles” d’entreprise ont étémises en place, en principe pour discuterdes thèmes variés, n’ayant rien à voir avecle travail… Le problème, c’est qu’au boutde quelque temps, ils ont été utiliséscomme un moyen pour faire passer descommunications de la direction desressources humaines.

Il ne nous reste plus rien d’humain.

1Elle est actuellement en arrêt-maladie due à un diagnostic de burn-out et a accepté de témoigner pour Bruxelles Laïque Échos de manière anonyme. 2Pour X, un horaire de travail considéré normal équivaut à 40 – 45 h/semaine.

Par Oliv

*Membre d auteur de L

La un p

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Face à des services publics constamment critiqués pour leur lenteur et leur immobilisme,les pays anglo-saxons tout d’abord ont mis en avant le concept de New PublicManagement, soit la nouvelle gestion publique, supposée introduire dans le secteur publicles règles de fonctionnement du secteur privé.

Mais la mise en œuvre de cette technique de gestion est-elle aussi neutre qu’elle veut lelaisser croire ? Partant, quelles sont ses conséquences sur les services publics et sur lasociété en général ?

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Par Olivier STARQUIT*

*Membre du collectif Le Ressort, coordinateur des Amis du Monde Diplomatique (Belgique),auteur de L’individu privatisé. Le service public pour la démocratie (2009)

La managérialisation des services publics : un pas vers la modernité ou un ver dans le fruit ?

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ensuite a les vertus

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Ce modèle de bonne gouver-nance se base sur lesméthodes managériales duprivé et sur ses méthodesd’évaluation des risques. Il va

donc permettre d’opposer “la rigueur etl’efficacité de la gestion telle qu’elle estpratiquée dans le secteur privé à un cer-tain immobilisme et à l’efficacité boitillantede la gestion publique”1.

Ce qu’on va appeler le New PublicManagement va donc introduire avec lesrègles de fonctionnement du privé un“mode néolibéral de gouvernance à l’at-tention des agents publics, [où] le citoyenest redéfini en client et [où] les administra-teurs publics sont encouragés à cultiverl’esprit entrepreneurial”2. Examinons pré-cisément ce phénomène à l’aune de cestrois acteurs.

L’agent

Cette introduction exclusive de critèresissus du privé dans le secteur public semanifeste notamment par l’introductionde tableaux de bord et de tous les outilsde management modernes (audits, taskforces, comités d’évaluation,…), au seindes institutions chargées, par exemple,d’accueillir les demandeurs d’emploi. Et letravailleur se voit bien évidemment évaluéet jaugé à l’aune du nombre de dossierstraités.

Nous voyons les valeurs de performanceet de productivité mises en avant, avecla restauration de la concurrence et de laresponsabilité personnelle, l’éloge del’effort et de la récompense. Les critèresd’efficacité et de rentabilité, les tech-

niques d’évaluation s’imposent partoutcomme autant d’évidences indiscuta-bles.

Cette métamorphose de l’appareil publicpar l’entremise des critères du privé setraduit par la culture de l’audit, par lamultiplication des managers au détri-ment des professionnels sur le terrain,par la fixation d’objectifs inatteignables,par l’établissement de classementsdénués de toute pertinence sociale, parla surveillance perpétuelle, par le harcè-lement moral et par la prolifération impi-toyable de vétilles bureaucratiques.

Cette nouvelle gestion publique témoi-gne donc du “remplacement du juge-ment, de l’éthique et du contrôle profes-sionnels par les pratiques dumanagement assimilées en bloc – audit,inspection, surveillance, efficacité, renta-bilité”3.

En fin de compte, l’agent public est deplus en plus assimilé à ce que le systèmed’évaluation a mesuré de ce qu’il a fait :par cette gestion par le stress, “la dimen-sion qualitative du travail s’en trouve éva-cuée. Le management n’est donc pasqu’une simple affaire technique, il repré-sente des enjeux politiques et sociauxmajeurs”4. Et comme l’évaluation finit parcommander toute l’activité, elle induitégalement un autre danger : “le contrôlerequiert un management étendu et, outrela marchandisation, il s’agit ici de ladeuxième plaie qui ne cesse de se répan-dre : la fonction principale de la couchesupérieure non productive consiste à semaintenir par le contrôle permanent desautres”5.

Le service public

Cette introduction exclusive des critèresde gestion et de son lexique va donccontraindre le secteur public à singer leprivé et va brouiller ainsi encore un peuplus la frontière et la distinction entre lesdeux6. Ce qui n’est pas sans consé-quences car elle ouvre la porte à la pour-suite du démantèlement des servicespublics. Si plus rien ne permet de distin-guer le secteur public du privé, pourquoimaintenir un secteur public ? Or, ilconvient de rappeler que si le secteurprivé peut choisir ses clients, le secteurpublic est là pour tous les citoyens. Forcerle secteur public à trier parmi ses usagersrevient à le dénaturer et à l’affaiblir. Cesoutils de gestion remettent en cause leprincipe fondamental au cœur de la mis-sion de service public : celui de leur gra-tuité ou de leur accessibilité à tous.

Elle permet en outre au néolibéralisme desoumettre la sphère politique et les poli-tiques publiques aux seuls critères de pro-fitabilité ou d’efficacité productive, contretous les autres critères possibles de défi-nition du bien commun. Les organismesde service public doivent alors souventsigner un contrat d’administration avecl’autorité de tutelle. Mais, la plupart dutemps, les moyens ne suivent pas et cetteautonomisation soutenue par l’introduc-tion dans le champ public de la logique dumanagement engendre de nombreux dys-fonctionnements.

Par ce travail, avec des enveloppes fer-mées, les agences ou établissementspublics sont étranglés et incapables defonctionner correctement. Il sera alors

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ensuite aisé de les critiquer et de prônerles vertus d’une privatisation.

Mais cette managérialisation renfermeégalement d’autres dangers latents :

- La transformation des services publicsen secteurs qui doivent être rendus opé-rationnels par des managers, recrutéspar des chasseurs de tête, va induire uneperte d’expertise dans le domaine dupublic. Ces managers, prêts à intervenirhier dans le domaine des soins de santéet demain dans le secteur de l’audiovi-suel, n’ont pas nécessairement laconnaissance du terrain requise. Demanière polémique, nous pourrionsarguer que cela ne leur est guère néces-saire puisqu’ils ont toujours recours auxmêmes canevas et aux mêmes recettes :il faut rationaliser et viser le profit à courtterme.

- Puisque le secteur public se voitcontraint de singer le marché dans sesopérations internes, il doit recruter despersonnes à même de mener à bien cesmissions. Alors qu’auparavant, le sec-teur public permettait l’insertion des per-sonnes peu qualifiées par l’emploi, cetobjectif ne cadre plus avec les viséesmodernes. L’évolution récente de lafonction publique fédérale, pour ne citerqu’elle, corrobore cette vision : il n’yaurait plus de place pour les niveauxinférieurs dans l’appareil d’Etat.

- Cette managérialisation, qui se traduitnotamment par une externalisation desactivités publiques (recours à la consul-tance, sous-traitance à des firmes pri-vées, PPP), va également induire un

affaiblissement de l’expertise publiquequi est en quelque sorte une privatisa-tion en amont de l’information :“aujourd’hui, la compétence techniquen’est plus aux mains de l’administrationpublique mais aux mains d’un privé…Les autorités publiques sont de plus enplus dépendantes de la bonne volontédu partenaire privé, avec tous les risquesde chantage que cela comporte, dès lorsque l’on ne peut plus vérifier ce qu’ilavance. C’est d’autant plus perturbantque ce type de phénomènes de “cap-ture” apparaît dans des domaines trèssensibles : réseau de distribution d’élec-tricité, téléphonie, etc.”7

- Cette externalisation mène à un “recen-trage sur des fonctions jugées essen-tielles conduisant par là-même à unamaigrissement du rôle du servicepublic”8. Cette spirale de la privatisationest par ailleurs un serpent qui se mord laqueue puisque la dette publique (issued’une dette privée et non d’une hausseinconsidérée des dépenses publiques9)est l’argument sine qua non permettantsoit de se séparer d’outils publics entemps de crise budgétaire, soit de lessaigner à blanc.

- Enfin, cette technicisation de la gestionn’est pas neutre : contrairement à ce quela bonne gouvernance tend à faireaccroire, “la modernisation de l’actionpublique reste avant tout un acte poli-tique et non un exercice purement tech-nocratique ou managérial”10. Cette pers-pective gestionnaire et technicistepermet de présenter “les valeurs fonda-mentales, les objectifs politiques, lesprojets de société comme fondamenta-

lement consensuels et repoussés enconséquence en marge du débatpublic”11. Cette approche permet d’élu-der “un imaginaire politique construit surla reconnaissance du peuple commevecteur de l’égalité et dont l’établisse-ment et la consolidation des droitsseraient le fondement de l’action poli-tique”12.

Le citoyen

Ce mimétisme du marché induit aussi unemutation du citoyen : le sujet moral et poli-tique se réduit à un calculateur enjoint dechoisir en fonction de son intérêt propre.La pratique politique, telle qu’on peut l’ob-server aux États-Unis et, de plus en plusen Europe, illustre cette mutation : lecitoyen est invité à se prononcer commes’il n’était qu’un consommateur qui n’en-tend pas donner plus qu’il ne reçoit, qui enveut pour son argent.

Nous voyons “se développer un type d’in-dividu qui n’est plus le type d’individud’une société démocratique, mais un typed’individu qui est privatisé”13, qui aban-donne tous les terrains collectifs. “Toutcela encourage l’apathie des individus,tout cela détruit l’espace public commeespace d’activité collective, par laquelleles gens essaient de prendre en chargeleur propre destin”14.

Cette évolution suscite quelques com-mentaires :

- “Le néolibéralisme est avant tout uneréflexion sur les techniques de gouverne-ment à employer lorsque le sujet de réfé-rence est constitué comme cet être

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Par Bru

*Formateur

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maximisateur de son utilité.… Fondéesur l’anthropologie totale de l’hommeéconomique, elle met en œuvre des res-sorts sociaux et subjectifs spécifiques, laconcurrence, la “responsabilité”, l’espritd’entreprise, et vise à produire un sujetnouveau, l’homme néolibéral. Il s’agit ensomme de produire un certain typed’homme qui serait apte à se laisser gou-verner par son propre intérêt”15. En effet,le piège du système capitaliste est de seprésenter comme un système écono-mique, alors qu’il est bien plus que cela.C’est un système politique, un systèmeéconomique, un système social qui régitla quasi-totalité de la vie des individus. Ilnous a en quelque sorte colonisés : lemode de vie qu’il a créé est ancré ennous, notamment par cette approcheconsumériste de la vie.

- Si nous n’y prenons garde, cette cultureindividualiste pourrait atteindre un seuilcritique de contamination pour devenir

autoréalisatrice. Ainsi, “s’il est toujoursexact que l’homme n’est pas égoïste parnature, il est non moins exact que ledressage juridique et marchand de l’hu-manité crée, jour après jour, le contexteculturel idéal qui permettra à l’égoïsmede devenir la forme habituelle du com-portement humain”16.

- Cette transformation des citoyens enconsommateurs signe la fin de laconception sociale des individus et la finde la solidarité comme principe d’accèsuniversel à certains biens fondamentauxet où l’éducation, la santé, la justicedeviennent une affaire de responsabilitéindividuelle.

Conclusion

Face à cette tentative d’hégémonie cultu-relle à laquelle participe la managérialisa-tion des services publics, il s’agit de s’in-terroger quant à savoir comment mettre

en place d’autres modèles de vie. Cettereconquête progressive d’espaces de viepermettant de nous libérer des méca-nismes évoqués supra, d’approfondir ladémocratie, de développer la citoyennetéet l’exercice des droits qui l’accompa-gnent, passe par une réappropriation desservices publics qui développent une per-tinence sociale. Et cela implique la priseen compte des principes suivants : le prin-cipe d’égalité qui suppose que tous aientaccès dans les mêmes conditions auxservices fournis, les principes d’universa-lité et de neutralité qui garantissent égale-ment un service assuré pour tous, indé-pendamment des choix philosophiquesde chacun, le principe de continuité quiassure la permanence de la prestation etde la fourniture des biens jugés vitaux17, leprincipe de mutabilité qui impose l’adap-tation à l’évolution des besoins demanière à satisfaire la collectivité.

1Gratia Pungu, “Gouvernance publique, fausse bonne idée”, La Libre Belgique, 26/01/2013. 2Alexandre Piraux, “Vers des réformes de 3e génération ?” Politique, revue de débats, n°78, janvier-février 2013, p.24.3Stuart Hall, Le populisme autoritaire, Puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatchérisme et du blairisme, Paris, éditions Amsterdam, 2008, p. 188. 4 Idem, p.26.5Paul Verhaeghe, De neoliberale waanzin, efficiën , flexibel en verstoord, Brussel, VUB Press, 2012, p.29.6Les partenariats public-privé (PPP) poursuivent le même objectif : ainsi, en vertu des PPP, des services publics aussi fondamentaux que les écoles publiques, les hôpitaux, les prisons peuventêtre gérés par des entreprises privées pour une durée déterminée.7Sébastien Brunet, “Les autorités sont de plus en plus dépendantes de la bonne volonté du privé”, Le Soir, 18/12/2009.8Gratia Pungu, “Bruxelles : le dilemme du gestionnaire”, Politique, revue de débats, n°78, janvier-février 2013, p.39. 9Lire : Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer ? Dix questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité, Bruxelles, Aden/CEPAG/CADTM, 2012.10Alexandre Piraux, op. cit. p 27.11Geoffrey Matagne,“Gouverner par les instruments”, Imagine – Demain le monde, n° 92 juillet & août 2012 p. 23.12 Jean-Paul Nassaux, “La gouvernance, un bien ou un mal ?” Politique, revue de débats, n°78, janvier-février 2013, p.23. Lire aussi sur ce sujet : Roser Cusso et al (eds), Le conflit social éludé,Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2008.13Cornelius Castoriadis, “L’individu privatisé”, in Le Monde diplomatique, février 1998, p. 2314Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive, entretiens et débats 1974-1997, Paris, Le Seuil, 2005, p. 90.15Christian Laval, “Penser le néolibéralisme”, in Revue Internationale des Livres et des Idées, n° 2, novembre-décembre 2007, p. 14.16 Jean-Claude Michéa, L'empire du moindre mal, essai sur la civilisation libérale, Paris, Climats, 2007, p. 208.17Ce principe n’implique bien évidemment pas l’imposition unilatérale d’un service minimum à tous les services publics en cas de grève. Toujours à propos de ce principe de continuité, c’estprécisément sur ce point que le bât blesse pour les partenariats public-privé (PPP).

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Par Bruno PONCELET*

*Formateur au CEPAG, co-auteur du livre Le grand marché transatlantique. Les multinationales contre la démocratie (éd. Bruno Leprince, 2011).

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19 E C H O S N ° 8 0

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laissez tomber les “barrières” au commerce, en enl-evant les “entraves” que l’Etat fait peser sur les entrepris-

es, celles-ci peuvent développer leursactivités, créer des richesses, engager dupersonnel et générer un cercle vertueuxoù tout le monde est heureux. L’idée estsimple, mais elle est aussi simpliste.

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20 E C H O S N ° 8 0

Tout d’abord, le “libre-échange”n’existe pas : plus un marchés’étend, plus il doit s’appuyer surdes lois et des institutions pourfonctionner. Par exemple, plus

de 300 directives européennes ont éténécessaires pour mettre en place le marchécommun. Lequel ne pourrait fonctionnersans forces répressives (tribunaux, forcesde police) pour punir ceux qui trichent avec les règles du jeu (par exemple, uneentreprise faisant de la contrefaçon ouquelqu’un braquant une banque).

Ensuite, les règles de fonctionnement dumarché sont le reflet de valeurs (culturelles,idéologiques, historiques) qui n’ont rien denaturel. Ainsi, même dans un monde mar-chand globalisé, les produits autorisés à laconsommation continuent de divergerd’un pays à l’autre : qu’on songe au chien(animal de boucherie en Asie), aux armes(en vente libre aux Etats-Unis) ou encore àla marijuana (en vente sous certainesconditions dans les coffee-shop hollan-dais).

Or, et c’est l’essentiel à comprendre, lesvaleurs qui sont à la base du “libre-échange” sont dangereuses pour le fonc-tionnement démocratique de nos sociétés.Expliquons pourquoi.

Comment le marché européen appauvritnos sociétés

Au nom du “libre-échange” :- de nombreuses lois nationales ont étéharmonisées au niveau européen pourpermettre une circulation aussi fluide quepossible des marchandises, des servicespayants, de l’argent et des lieux de pro-

duction entre les 27 pays membres dumarché européen ; - dans le même temps, la plupart des loissociales et fiscales (soit la démocratieéconomique visant à protéger les travail-leurs, à assurer de bons salaires, à finan-cer l’enseignement et les servicespublics) sont restées établies à un niveaulocal.

Concrètement, cela laisse aux firmes pri-vées (comme les multinationales) le droit decirculer dans le grand menu juridique euro-péen (vingt-sept législations sociales et fis-cales différentes) pour y faire leur “shop-ping” et choisir les législations qui leurconviennent le mieux. Cela fausse laconcurrence et crée une dynamique antiso-ciale, car une entreprise peut abaisser arti-ficiellement ses coûts de production enoptant pour les régimes juridiques lesmoins protecteurs pour les travailleurs,mais aussi les moins généreux (via descadeaux fiscaux aux entreprises) pour lefinancement de la solidarité publique.

Le résultat, nous le connaissons tous : c’estArcellorMittal qui ferme des sites sidérur-giques et licencie des milliers de travail-leurs, c’est Findus qui multiplie les intermé-diaires et sous-traitants parmi lesquelscertains trichent en remplaçant la viande debœuf par du cheval, ce sont également desfinances publiques dans le rouge dû au faitque les plus riches (individus comme entre-prises) peuvent circuler librement pouréchapper à l’impôt.

Enfin, dans le secteur bancaire, cette dyna-mique favorisant la régulation des entre-prises par elles-mêmes (soit un systèmed’impunité dépourvu de tout contre-pou-

voir) a généré la création de produitstoxiques (les prêts subprimes) et uneimmense bulle spéculative, dont l’éclate-ment en 2007 provoqua la plus grave crisefinancière depuis 1929. Avec, pour sauverles banques de la faillite, un appel aux pou-voirs publics qui dépensèrent l’argent descontribuables sans compter.

C’est un fait difficile à nier : les valeurs delibertés économiques coûtent cher auxfinances publiques, aux travailleurs et auxgens précarisés, pour le plus grand profitde multinationales n’ayant que faire du bienpublic. Malheureusement, loin de reconnaî-tre leurs erreurs passées et de songer à yremédier, les dirigeants politiques nousenfoncent toujours plus loin dans cettelogique technocratique mortifère.

Pourquoi les marchés financiers dictentleur loi

Ainsi, lorsqu’éclata la crise financière– générée par l’excès de spéculation, l’in-génierie financière et l’autorégulation ban-caire –, que se passa-t-il ? Les hommespolitiques ouvrirent grand le portefeuilledes finances publiques en promettant, enretour, de moraliser le capitalisme et deramener la “finance folle” à la raison. Pouraller dans cette direction, la premièreréforme à envisager aurait été de revenirsur une grossière erreur inscrite dans leslois européennes depuis le Traité deMaastricht : une erreur qui consiste à inter-dire à la Banque Centrale européenne deprêter de l’argent (à très bas taux d’intérêt)pour financer les dépenses publiques desEtats membres. En effet, cette mesureimpose aux Etats membres de se tournervers les marchés financiers (privés) pour

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obtenir l’argent qui leur manque, ce quiplace les pouvoirs publics sous la coupedes marchés financiers. Soit une logiqueaux antipodes d’un contrôle démocratiquede la “finance folle”. Et pourtant, sur cepoint précis, le monde politique n’a pasbougé.

Avec quel résultat ? Suite au sauvetage dumonde bancaire avec l’argent des contri-buables, les finances publiques ont massi-vement basculé dans le rouge vif. Pour s’ensortir, elles ont dû faire appel aux marchésfinanciers. Ironie amère : si la BanqueCentrale européenne ne prête pas d’argentaux Etats, elle est autorisée à en prêter auxbanques privées (qui sont des VIP en puis-sance). Ce qui donna lieu à l’aberrantedynamique suivante : des banques privéesempruntèrent de l’argent (par ex. pour 1%d’intérêt) à la Banque Centrale européenne,que ces mêmes banques privées prêtèrentensuite à certains Etats membres (contre2% ou 3% d’intérêts, voire davantage).Finalement, à force de mettre la pressionfinancière en exigeant des taux d’intérêtsdignes d’usuriers auprès de certains Etats(comme la Grèce ou l’Irlande), les marchésfinanciers ont pris l’ensemble de la zoneeuro à la gorge et fait trembler le mondepolitique. Lequel a adopté de nouvelleslois, renforçant l’injustice du système enplace, à travers la gouvernance écono-mique européenne.

Connaissez-vous le bon, la brute et letruand ?

La gouvernance économique européenne,c’est une série de réformes transférantd’importants pouvoirs de décision desEtats-nations vers la Commission euro-

péenne ou la Banque Centrale européenne(deux instances où ne siègent aucun éludirect). En quoi cela est-il injuste et liberti-cide ?

Un premier problème tient au déficit detransparence lié à ce transfert de pouvoir.Les traités adoptés portent des noms mys-térieux et compliqués (genre “Six-Pack”)qui regorgent de détails techniques incom-préhensibles pour le commun des mortels.

Un second problème tient à la façon dontces traités ont été légitimés. On nous a ditqu’on n’avait pas le choix, que sortir de lacrise de la zone euro passait par une gou-vernance économique établie à l’échelleeuropéenne. Mais on ne nous a rien dit surle fond idéologique des accords adoptés.Comme s’ils étaient neutres et apolitiques,alors qu’ils ne le sont pas.

Quelles sont les finalités poursuivies ?Grosso modo, il s’agit de renforcer les liber-tés économiques dont abusent les firmesmultinationales pour mettre la démocratieau pas. Pour le comprendre, résumons lagouvernance économique européenne àtravers une métaphore cinématographique,en disant qu’il y a “le bon, la brute et letruand”.

Le bon : ce sont tous les accords visant à“aider” les pays européens endifficulté budgétaire en leur prêtant de l’ar-gent. Mais le bon est un sadique quiimpose aux Etats “aidés” de trucider ladémocratie économique à travers desmesures carabinées d’austérité. Au nomd’arguments techniques (il faut faire deséconomies pour rembourser les marchésfinanciers), on a imposé des mesures anti-

sociales comme la suppression du rem-boursement de certains soins de santé, ladiminution du montant des pensions, lelicenciement de milliers de fonctionnairesou encore la privatisation de nombreuxbiens publics. Que les gens manifestentdans les rues, que le nombre de pauvres etde sans-abris explose, cela importe peu :seul compte l’avis des experts. Lesquelsimposent aux pays “aidés” (Grèce, Irlande,Portugal…) les sinistres “plans d’ajuste-ment structurel” infligés jadis par le FMI àde nombreux pays endettés. Cerise antidé-mocratique sur le gâteau : le suivi de cesmesures d’austérité est assuré conjointe-ment par trois institutions non élues – àsavoir la Commission européenne, laBanque Centrale européenne et le FMI (quiforment la Troïka).

La brute : depuis 2012, l’Europe (et plusparticulièrement la Commission euro-péenne) a un pouvoir de tutelle budgétairesur les Etats membres. Pour faire court (etsimplifier un peu), aucun budget national nepeut être adopté sans l’aval préalable desinstitutions européennes (qui peuvent punirde sanctions financières les Etats dés-obéissants). C’est donc à nouveau une ins-titution exécutive et non élue qui passedevant une institution légitime sur le plandémocratique (les Parlements nationaux).Dans quel but ?

1. La brute veut clairement mettre le capbudgétaire sur l’austérité. Mais ce n’estpas sa seule ambition. En effet, la tutellebudgétaire s’exerce aussi (à travers le“semestre européen”) sur la coordinationdes politiques macroéconomiques.Autrement dit, l’Europe a désormais uncertain pouvoir (entre incitation et

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contrainte financière) pour pousser lesEtats membres à adopter des réformesvisant à harmoniser leurs politiquesmacroéconomiques. Or, parmi les cri-tères clés d’une meilleure coordinationéconomique, figurent notamment lacompétitivité et l’examen attentif descoûts salariaux.

2. La brute veut donc promouvoir desréformes visant à améliorer la positionconcurrentielle des Etats membres. Maispour rappel, cela se passe dans un mar-ché gouverné par des valeurs favorisantles entreprises les plus tyranniques àl’égard des travailleurs, et les moins soli-daires dans le financement des biens etbesoins collectifs (comme la Sécuritésociale). Dès lors, quand on conjuguel’objectif d’austérité budgétaire avec lerenforcement de la compétitivité, on réa-lise à quel point la brute a l’intention deflinguer la démocratie économique (àtravers des mesures comme la flexibili-sation du marché du travail, la remise encause de la Sécurité sociale, la condi-tionnalité accrue des allocations de chô-mage, la privatisation des pensions oudes soins de santé, etc.).

Le truand : il est plus connu sous le nomde “règle d’or” budgétaire et consiste, pourles Etats signataires (ce qui n’est pasencore le cas de la Belgique), à s’engager àne pas dépasser un déficit budgétaireannuel de 0,5% du PIB et un endettementpublic maximum de 60% du PIB. Soit unemesure radicale pour renforcer l’austéritébudgétaire, dans un univers juridique euro-péen où la lutte contre l’évasion et le dum-ping fiscal sont, grosso modo, au pointmort.

Lorsqu’on met l’un à côté de l’autre le bon,la brute et le truand européens, deux faitssautent aux yeux :

- cet arsenal législatif n’est pas du toutdémocratique dans son mode de fonc-tionnement, car il transfère des pouvoirsimportants (comme le budget) d’unniveau local (les Parlements nationaux oùsiègent des élus politiques) vers des ins-tances globales où ne siège aucun élupolitique issu d’élections libres. Donnonsun exemple concret : la Banque Centraleeuropéenne (qui a gagné d’importantspouvoirs) est statutairement constituéed’experts “indépendants de la sphèrepolitique”, mais son actuel président(Mario Draghi) est un ancien haut respon-sable de Goldman Sachs, une banqueaméricaine fortement impliquée dans lacrise financière des subprimes ;- cette dérive antidémocratique est d’au-tant plus alarmante qu’elle entremêlel’austérité budgétaire à la recherche decompétitivité. Au vu des critères retenus,la dégradation des systèmes de protec-tion sociale ne fait guère de doute. Ellesera plus ou moins rapide selon les pays(et leur capacité de résistance), mais laCommission européenne n’aura quel’embarras du choix pour avancer danscette direction : elle pourra tantôt brandirle manque de sérieux budgétaire, tantôtpréconiser des mesures visant à rétablir lacompétitivité économique, tantôt utiliserun mélange des deux arguments.

Bienvenue dans l’ère technocratique

Finalement, la mode politique actuelle nousprécipite dans un monde guidé par des cri-tères exclusivement technocratiques : les

débats d’idées et les controverses poli-tiques peuvent exister, mais uniquement enrespectant le cadre technique défini pardes “experts”, non élus des populations.Evidemment, aucun expert n’agit de façonneutre. Dans le cas présent, les critèrestechniques retenus sont le reflet de valeursmarchandes, visant à accroître le “libre-échange” permettant aux firmes multinatio-nales de déplacer leurs investissements (etde fermer des entreprises) au gré de plansstratégiques établis à l’échelle du monde.

Le problème, c’est que personne (hormisles actionnaires) ne contrôle réellement lesfirmes multinationales. Ce serait normale-ment le job des pouvoirs publics, mais celapourrait s’avérer nuisible au critère de“compétitivité” retenu par les experts. Quiplus est, pour domestiquer la sphère poli-tique, les plus grandes firmes multinatio-nales ont pris l’habitude d’engager dansleur staff de collaborateurs des gens issusdu monde politique, histoire de se gouver-ner entre amis.

Finalement, la politique laisse place à unenouvelle forme de religion où le “libre-échange”, la “compétitivité”, les “privatisa-tions” et le “remboursement des taux d’in-térêts décidés par les marchés financiers”sont autant de dogmes que nul ne peutremettre en cause. Au risque, sinon, depasser sur le bûcher d’une nouvelleInquisition traitant “d’irresponsables, d’in-cohérents et de populistes” celles et ceuxqui osent braver l’ordre établi.

De fil en aiguille, à force de faire tomber les“barrières” au commerce, c’est la démo-cratie qu’on finit par tuer…

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Par Denis DUBUISSON*

*Acodev (www.acodev.be). Une première version de cet article est paru dans Échos du Cota en juin 2011.

Un cadre de référence

Depuis le début des années 2000, ACODEV, la

fédération des ONG belges francophones et

germanophones, anime une réflexion sur la

qualité dans le secteur des ONG de coopé-

ration au développement. Partie de la

généralisation des outils de gestion du

cycle du projet, cette réflexion s’est élargie,

à partir de 2008, pour aborder l’ONG et ses

interventions dans leur ensemble...

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Le projet de doter le secteur d’unréférent qualité commun a beau-coup hésité entre l’option deconstruire de toutes pièces unréférentiel spécifique ou celle de

s’appuyer sur un cadre existant. Lesmembres d’ACODEV se sont très récem-ment prononcés en faveur de l’adoption,en tant que cadre de référence au travailsur la qualité, du modèle de l’EuropeanFoundation for Quality Management(EFQM) Pourquoi les ONG se sont-ellestournées vers un système initialementconçu pour l’entreprise privée ? Quellessont ses forces et faiblesses ? Commentle secteur aborde-t-il ce nouveau défi dela qualité ?

Les arguments qui ont conduit la fédé-ration à proposer le modèle EFQM 2010

1- Bien qu’initialement développées dansle contexte marchand, les évolutionssuccessives du modèle depuis 1988ont rendu son utilisation possible etbénéfique pour un très large éventaild’organisations. Aujourd’hui, plus de30 000 organisations utilisent l’EFQMdans leurs processus d’améliorationcontinue, des multinationales, des TPE(très petites entreprises), des organisa-tions sans but lucratif, le servicepublic…

D’octobre à décembre 2010, cinqgroupes de travail ont passé au cribleles neufs domaines d’analyse dumodèle EFQM pour vérifier leur adéqua-tion au monde des ONGs. A part deuxprécisions interprétatives d’ordremineur, le modèle dans son ensemble aété jugé pertinent par les ONGs.

2- C’est en outre un modèle qui abordel’organisation de façon systémique. LesONGs déploient depuis de nombreusesannées des outils orientés qualité dansle cadre de la gestion du cycle du pro-jet, l’approche du cadre logique et lesautres méthodes de gestion pour lesrésultats du développement. L’évo-lution de leur environnement réglemen-taire les pousse à toujours plus d’effi-cacité et plus d’efficience. La démarcheEFQM permet d’intégrer dans un cadrede référence unique l’ensemble desefforts, qualité d’une organisation. Ceciprésente l’intérêt d’encourager unecohérence globale entre eux : la procé-dure de gestion financière est-elle enligne avec la stratégie de l’organisa-tion ? La gestion des ressourceshumaines vient-elle en soutien auxrésultats de développement ? Par ail-leurs, la portée globale du modèleremet en lumière l’importance dechamps d’amélioration qui sont moinssouvent approfondis par les ONGs (aucontraire de ceux qui touchent directe-ment leur objet social) tels que l’impor-tance d’une politique adéquate desressources humaines.

3- Le modèle n’oublie pas l’importancedes partenaires et des groupes cibles.Un des premiers enjeux abordé dans leGroupe de Travail Qualité d’ACODEV1,fin 2008, était celui de la gestion desattentes contradictoires. En effet, lagestion de la qualité met l’accent sur lasatisfaction des attentes des partiesprenantes à l’organisation. Mais com-ment assurer un équilibre entre les par-ties prenantes qui ont une voix (lesdonateurs) et ceux dont la portée de la

voix est plus faible (les bénéficiaires) ?Le modèle EFQM met l’accent sur cenécessaire équilibre entre parties pre-nantes puisqu’il prône la satisfaction“des attentes de toutes les parties pre-nantes”.

4- C’est enfin un modèle qui offre desopportunités de dialogue avec desorganisations en dehors du secteur desONGs. La tentative de formulation d’uncadre de référence pour la qualité spé-cifique au secteur des ONGs s’est avé-rée un exercice difficile. Les différencesd’approche ou les divergences d’idéo-logie du développement mettent rapi-dement en question la légitimité et lebien-fondé d’un tel effort. En s’appro-priant un cadre de référence existant, lesecteur peut éluder cette difficulté.Mais surtout, il peut engager le dia-logue avec les autres organisations dusecteur privé ou du secteur non mar-chand qui utilisent le modèle. Ce dia-logue peut s’établir au niveau desméthodes et outils de gestion de laqualité (Comment réaliser une enquêtede satisfaction du personnel ? Com-ment identifier des indicateurs de per-formance clés ? Quelles sont lesbonnes pratiques de gestion par lesprocessus ?) mais également au niveaudu contenu même du modèle (Est-cequ’une vision instrumentale du parte-nariat est satisfaisante ? La responsa-bilité sociétale et environnementalesert-elle un objectif d’image pour lesorganisations ?). Dans ce sens, l’utilisa-tion d’un outil déjà largement diffusépourra renforcer la capacité d’influenceou d’interpellation du secteur desONGs dans d’autres secteurs.

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Le modèle EFQM n’est cependant pasun système parfaitement adapté ausecteur ONG

Le vocabulaire de base du modèle restelargement emprunté au monde de l’entre-prise. Un minimum de gymnastique d’es-prit est nécessaire pour s’en approprierpleinement le contenu. Que signifie, parexemple, la “proposition de valeur” ou la“création de valeur pour les clients” dansun contexte d’ONG ? L’inadéquation dulangage au contexte des ONGs est unequestion d’ordre purement symbolique.En effet, de par son caractère générique,le modèle EFQM invite à son adaptationau contexte précis des organisations (oudes secteurs) qui l’utilisent. Mais en tantque principale porte d’accès à l’outil, lalangue utilisée peut représenter unesource de blocage. C’est dans cet espritqu’ACODEV et Coprogram travaillent àune reformulation du modèle dans un lan-gage plus facilement accessible aux ONG.Au-delà du langage utilisé, certains prin-cipes sont également très marqués par lesecteur privé. A cet égard, on peut citerl’accent mis sur la comparaison de la per-formance entre organisations, pour pou-voir évaluer qui fait partie des “meilleursde la classe.” La vision sur le partenariatreste faible même s’il faut saluer son exis-tence dans le modèle. Le partenariat estvu de façon très instrumentale, commeune ressource de l’organisation (mise enplace de synergies, spécialisation sur lecorps de métier, sous-traitance durable),alors que les ONGs revendiquent généra-lement une portée nettement plus straté-gique pour leurs partenariats où les objec-tifs sont recherchés ensemble. Lareformulation entamée par ACODEV et

Coprogram tente de prendre en considé-ration ces éléments pour enrichir lemodèle et améliorer son adéquation ausecteur des ONGs.

Par ailleurs, certains éléments du modèlesont développés de façon trop légère parrapport à l’expérience du secteur. Laquestion du partenariat a déjà été citée.Mais on peut aussi regretter que la gestiondes connaissances n’y trouve sa placequ’à la marge et sous un angle principa-lement technologique ; ou encore que laresponsabilité sociale et environnemen-tale soit présentée comme un moyen pourassoir la réputation de l’organisation plu-tôt qu’un objectif transversal à partentière. Enfin, les questions de genre oude pouvoir sont totalement absentes dumodèle.2

En outre, la portée politique du modèle estfaible. EFQM reste un outil technique. Ilpourra favoriser l’amélioration des proces-sus de gestion qui conduisent aux résul-tats de chaque organisation, mais en lui-même, il ne dit pas grand-chose sur lajustesse des stratégies poursuivies. L’uti-lisation d’EFQM pourra aider une organi-sation à dynamiser son processus d’amé-lioration continue, mais ne l’empêcherapas de mener, sur le terrain, des interven-tions paternalistes. L’absence de dimen-sion politique d’EFQM s’explique par soncaractère non normatif et c’est justementcet aspect qui le rend utilisable dans descontextes très divers. Pour autant, ladimension politique n’est pas entièrementabsente du modèle. A terme, la mise enroute d’un cycle d’amélioration continueentrainera inévitablement le (re)question-nement des visions, missions et stratégies

de l’organisation. Mais ce manque d’en-gagement politique direct peut refroidir lesONGs qui sont principalement attentives àla pertinence et la qualité des actions decoopération au développement.

Un débat animé

Ce qui est bon pour l’organisation indivi-duelle n’est pas forcément bon pour lacollectivité des ONGs. Les témoignagesrecueillis montrent que des ONG de lafédération ayant utilisé EFQM estimentque, malgré ses limites, le modèle apporteune réelle plus-value à leur démarche,quitte même à se lancer dans la dyna-mique de base qui consiste en la réalisa-tion d’une auto-évaluation, l’identificationet la priorisation de trois projets d’amélio-ration et qui peut déboucher sur l’obten-tion du label “Committed to Excellence”.Pourtant, l’adoption du modèle commecadre de référence commun au secteursuscite des craintes chez d’autres mem-bres.

La principale réside dans le fait quel’adoption d’un référentiel qualité communpourrait être la première étape d’un pro-cessus qui conduirait à terme à l’utilisationdu modèle dans le cadre des relationsavec les bailleurs de fonds. Ces dernierscherchent régulièrement à améliorer l’éva-luation de la qualité de leurs interlocuteursONG.

ECHO, l’Office d’aide humanitaire de laCommission européenne3, a introduit uncertificat “P” qui atteste de la qualité desprocédures de l’ONG et donne des avan-tages à celles qui obtiennent ce certifi-cat ; la Direction Générale Belge de la

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Coopération au Développement (DGD)4 aintroduit l’agrément “programme” surbase d’un screening indépendant qui per-met aux ONGs d’introduire des pro-grammes de financement acquis pourtrois ans. Pourquoi le référentiel commundes ONGs ne serait-il pas valorisé dans cecadre ? Certaines ONGs n’envisagentd’ailleurs de se lancer dans une démarchequalité formelle, telle qu’EFQM, qu’àcondition que cela leur procure des avan-tages concrets en termes de finance-ment : “EFQM est un effort inutile s’il n’estpas reconnu par la DGD”. D’autres esti-ment que l’utilisation d’un modèle qualitérelève avant tout d’une dynamique interneaux ONGs et que l’objectif d’améliorationse suffit à lui-même. Exploiter le modèlecomme outil de certification des ONGspervertirait la démarche à deux titres : enl’orientant principalement comme un outilde positionnement externe plutôt qued’amélioration interne ; en favorisant l’ex-clusion et la concurrence au lieu du sou-tien mutuel.

Pour d’autres ONGs, enfin, il ne faudraittout simplement pas “donner au bailleurde fonds le bâton avec lequel il va nousfrapper.”

Il est difficile d’apaiser les ONGs membresà ce sujet, d’autant plus que le modèleEFQM prévoit des instruments d’auditsformels qui débouchent sur l’attributiond’un label officiel. Il n’en reste pas moinsque cette démarche de labellisation s’ins-crit plus, pour l’EFQM, dans une logiqued’apprentissage5 et d’encouragementinterne en valorisant les efforts réaliséspar les collaborateurs, que dans unelogique de classification des “bons” et des

“mauvais” élèves. D’ailleurs, moins detrois pourcents des organisations qui utili-sent le modèle EFQM se sont inscrites, àun moment ou un autre, dans une telledémarche de labellisation.

Une question de débat réside égalementdans le risque de formatage des ONG parl’utilisation d’un outil commun. Le mondedes ONGs se targue d’être un monde d’in-novations sociales et d’émergence dedémarches originales. Est-ce que l’adop-tion d’un outil commun ne va pas empê-cher l’apparition d’alternatives, de nou-velles façons de faire ?

Enfin, la question de savoir si le modèleapporte une valeur ajoutée à toutes lesorganisations, quelle que soit leur taillen’est pas tranchée. Même si le coût demise en place de l’outil n’est pas un fac-teur d’exclusion,6 mettre sur pied unedémarche d’amélioration continue exigeun investissement de l’organisation et deses ressources humaines, qui n’est pasforcément à la portée des plus petitesorganisations.

Ces éléments de débat ne sont évidem-ment pas spécifiques à l’EFQM, mais ilssont symptomatiques de l’état d’espritdes ONGs sur la question. La récenteadoption du modèle EFQM comme réfé-rent pour le travail qualité au seind’ACODEV permettra d’approfondir cedébat et de baser, sur des élémentsconcrets et vérifiables, l’analyse du sec-teur quant à la plus-value d’un outil com-mun comme celui-là.

1Et aussi par d’autres, comme BOND, la fédération des ONGbritanniques. Voir à cet effet :http://www.bond.org.uk/data/files/a_bond_approach_to_quality.pdf 2Dans le même ordre d’idées, alors que c’est un outil quiguide le changement organisationnel, il n’aborde que trèspeu les implications en termes de changement de rapportsde force internes à l’organisation, ni les questions de résis-tance au changement.

3http://ec.europa.eu/echo/ 4http://diplomatie.belgium.be/fr/sur_lorganisation/organigr-amme_et_structure/dgd/

5Le rôle des auditeurs EFQM est de donner aux organisa-tions un feedback à valeur ajoutée sur leur démarched’amélioration continue. Le certificat de réussite est acces-soire.

6Le coût d’utilisation d’EFQM peut même être négatif si ontient compte des gains d’efficience obtenus par rapport àune démarche empirique “ad hoc” d’amélioration.

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Par Pierre-Arnaud PERROUTY*

*Directeur de la cellule Europe et International au CAL

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Contracter, la belle affaire ! Quoi de plus noble que la rencontre de deux parties, libres et auto-

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du contrat. Mais ce qui est peut-être vrai d’une vente d’un smart phone

ou d’une location de voiture l’est nettement moins quand des droits

fondamentaux sont en jeux. Or tout le récit de l’Etat social actif repose

sur l’antienne supposée définitive du “pas de droits sans devoirs”. Dès

lors, quoi de plus légitime que de responsabiliser les bénéficiaires de

droits qui seraient autrement tentés d’abuser du système ? Et quoi de

plus normal que de formaliser le tout dans un contrat ? Las ! La figure

du contrat peine à évacuer la violence du rapport de force qu’elle

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Le droit des contrats encadre lesdroits et obligations de chaquepartie et repose sur un doublepostulat fondamental : la libertédes parties contractantes et leur

consentement éclairé. Mais la transposi-tion aux droits sociaux et autres droitsfondamentaux est difficile. Il s’est d’ail-leurs trouvé pas mal de monde pourdénoncer la conditionnalisation croissantedu droit aux prestations sociales, dont lecontrat constitue un élément central.L’apparition de l’idée de “contrat d’inté-gration sociale” puis la transformation duMinimex en Revenu d’intégration sociale(RIS) – le terme “revenu” suggérant lacontrepartie d’une prestation – sont trèsrévélatrices. Depuis, le recours à la figuredu contrat n’a cessé de s’étendre, du“projet individuel d’intégration sociale”pour les bénéficiaires du RIS au “contratd’activation du comportement de reche-rche d’emploi” pour les chômeurs. Outreson caractère infantilisant, culpabilisantet, au final, hautement dégradant, cetteactivation des chômeurs repose sur unevéritable escroquerie intellectuelle, tantl’écart entre les emplois disponibles et lenombre de chômeurs est abyssal et vouéà le rester un bon moment.

A côté des bénéficiaires de RIS ou d’allo-cations de chômage, les migrants consti-tuent une autre catégorie de populationfragile, vaguement coupable, présentantun haut potentiel de responsabilisation.Ainsi, pour chercher à accroître l’efficacitéde la politique d’expulsion du territoire– qui plafonne à un peu plus de la moitiédes migrants détenus en centres fermés,eux-mêmes constituant une infime partiedes migrants présents en Belgique – les

pays européens ont développé les retoursdits “volontaires”. Des incitants financiers,les “aides au retour”, sont mis sur la tablepour encourager la sortie du territoire. Lecaractère réellement volontaire de cesretours est évidemment illusoire quand onsait que l’expulsion constitue la seulealternative. Cette logique est pousséeassez loin puisque certains projets propo-sent de créer des “accompagnateurs”chargés d’aider les migrants à élaborer un“trajet migratoire”, y compris après qu’unedemande de séjour ait été rejetée. Aprèsépuisement des recours, un délai pluslong que les ordres de quitter le territoireclassiques serait laissé aux migrants avecune proposition de retour volontaire. Cen’est que si ces mesures n’aboutissentpas que l’enfermement et l’expulsioninterviendraient. Autant de formules quitentent de rendre les choses plus suppor-tables, mais qui restent fondamentale-ment biaisées par l’absence de réellealternative.

Dans un tout autre domaine, certainesécoles passent des “contrats de compor-tement” ou “contrats pédagogiques” avecdes élèves estimés difficiles. Or, cescontrats s’avèrent souvent inutiles ou inat-teignables. Sous la menace d’une exclu-sion, l’élève est pourtant amené à s’enga-ger à bien se comporter et à respecter lerèglement d’ordre intérieur de l’écoleauquel il était bien entendu déjà soumis.Cette autre forme de responsabilisationparaîtrait un peu vaine si elle ne constituaitun moyen déguisé de contourner lesrègles d’exclusion fixées par décret enprofitant de la méconnaissance généraledu droit scolaire. Le Délégué général auxDroits de l’enfant, qui relève au passage

un seuil de tolérance en baisse constanteà l’égard des comportements jugés incon-venants, s’interroge sur le caractère unila-téral et irréaliste de ces contrats.

Ces différentes formes de responsabilisa-tions présentent plusieurs points com-muns. D’abord, elles s’adressent à unpublic fragilisé peu au fait de ses droits etpeu outillé pour les défendre. Ensuite,elles procèdent d’une logique de condi-tionnalisation de droits. Enfin, elles utili-sent la figure du contrat et puisent dans lasémantique contractuelle – les droits etobligations des parties – pour changer lesrègles du jeu. Or s’il fallait prendre cettefigure du contrat au sérieux, il y auraitbeaucoup à dire sur sa validité juridique.En droit des contrats, le consentementdes parties doit être libre et éclairé ; unvice de consentement peut entraîner l’an-nulation du contrat. A côté de l’erreur oudu dol (la tromperie), la violence figureparmi les vices de consentement, enten-due comme une contrainte exercée surl’une des parties pour l’amener à contrac-ter. Cette violence peut parfaitement pren-dre une forme morale ou économique. Ortous ces contrats (d’intégration sociale, derecherche d’emploi, de trajet migratoire oude comportement) sont conclus sous lamenace explicite d’une sanction trèslourde (la suppression du RIS, des alloca-tions de chômage, l’expulsion ou l’exclu-sion) qui ne place pas les parties dans uneposition libre et autonome.

L’Etat social s’est construit sur la collecti-visation du risque, sur une solidarité faceà des accidents de la vie susceptibles detoucher tout le monde. Le mouvement del’individualisation des droits qui inscrit des

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rapports sociaux déséquilibrés dans unefiction contractuelle, procède non seule-ment d’une violence symbolique extrêmemais ne résout collectivement rien.Presser des chômeurs à trouver un emploiqui n’existe pas n’aide pas à lutter contre

la fraude aux allocations, du reste margi-nale. Décréter un retour “volontaire” nedupe personne et n’empêche aucunmigrant de (re)venir. Quant à l’utilitésociale de passer un contrat pour respec-ter un règlement d’ordre intérieur ou priver

des gens d’un revenu d’intégration, on lacherche encore.

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Propos recueillis par Mario FRISO* et Cedric TOLLEY*

*Bruxelles Laïque Echos

Rationalisationdu travail socialUne des façons de transposer les logiques managériales dans le monde du travail social est

d’y augmenter la division du travail, de cloisonner les domaines de compétences et de ren-

dre le schéma de travail plus procédural. Les

conséquences tant pour les travailleurs

sociaux que pour les usagers du travail

social ne sont pas anodines. Nous avons

demandé à un travailleur de CPAS de nous

décrire cette réalité dans son

contexte de travail. Il nous répond

anonymement.

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Dans mon milieu, celui desCPAS, donc de la fonctionpublique, tout le cadre de tra-vail est régi par des procé-dures. Nous sommes de plus

en plus amenés à hyperspécialiser nosfonctions, alors qu’à la base, je devraisrester dans une aide plus générale. Celaest dû selon moi à une précarisation crois-sante de la société qui génère unedemande d’aide de plus en plus impor-tante. Donc, face à cette situation, uneorganisation structurelle parait indispen-sable parce qu’il faut un minimum d’orga-nisation. Nous sommes dans un Etat dedroit où toute personne a des droits à ceciou cela, mais doit également rendre descomptes en termes de responsabilitéspersonnelles. Mais les usagers sont par-fois perdus dans ces procédures.

De plus en plus, il est question de rende-ment lors de nos évaluations individuelles.C’est quelque chose de toujours interpel-lant dans le domaine social parce qu’il estdifficile d’évaluer un rendement en termequantitatif. Le travail social requiert de lapatience, une attention suffisante à la per-sonne. Nous sommes censés tout fairepour la pousser vers une autonomie et nepas la laisser s’enliser dans un systèmed’assistanat. En tant que travailleur, l’im-pératif de rendement génère chez moi uninconfort lié à une frustration permanentede ne pas pouvoir faire mon métier enmettant l’humain au centre.

Ces réalités de travail font que dans monsecteur nous avons un grand “turn over”, unchangement d’effectif régulier. Beaucoupde travailleurs quittent car c’est un travailphysiquement et mentalement difficile.

Notre organisation hiérarchique fait aussiqu’un supérieur est complètement décon-necté de la réalité du terrain et devientdonc pour nous un obstacle de plus à sur-monter plutôt qu’un soutien efficient.Nous sommes parfois en décalage com-plet en termes de demande de résultat.Par exemple, quand on me demanded’envoyer un recommandé très compliquéoù doivent apparaître tous les articles deloi qui réfèrent à telles obligations pourune famille de primo-arrivants qui maîtri-sent à peine l’anglais.

La législation paradoxalement complexifieet alourdit notre boulot sur le terrain. Lesgens ont aujourd’hui des possibilités derecourt contre tout. Par exemple, le droitscolaire régit presque toutes les situa-tions. Si cela peut parfois être un renforce-ment de la protection des individus, il y ades dérives. C’est enlever le pouvoir decertains acteurs : les parents, l’école…des gens qui pouvaient s’entendre en dia-loguant, par médiations. Les gens mainte-nant saisissent tout de suite la justice. Onest dans quelque chose de plus en pluscomplexe. Je travaille aujourd’hui en res-sentant beaucoup plus le poids de mesresponsabilités. Quand j’ai commencé il ya quinze ans, il y avait déjà beaucoup desurcharge administrative, mais jamaisavec le niveau atteint aujourd’hui. Tuprends par exemple les titres de séjour,aujourd’hui il existe une multitude de typo-logies à maîtriser.

Je suis un travailleur de terrain et on me demande de rendre des avis synthé-tiques et rapides par rapport à des situa-tions très complexes. J’aurais tendance àréorienter vers des services qui prennent

plus le temps de travailler avec l’aspect“humain”.

L’hyperspécialisation dans le travail àlaquelle nous sommes tenus de nousadapter peut se transformer en problème.Nous entrons dans une logique de divisiondu travail de plus en plus grande, dans lecas où la machine se grippe, où la colla-boration entre les différents services n’estpas optimale, c’est l’usager qui pâtitimmédiatement. En effet, les personnesqui font appel au CPAS sont confrontées àplusieurs services et à des professionnelsdifférents dans le cadre de leur dossier :un pour le logement, un autre pour l’inser-tion socioprofessionnelle etc. Plus per-sonne n’a de vue global sur la situationd’une personne qui demande de l’aide. Etplus personne n’est en mesure d’apporterune aide adéquate face à la complexité etla singularité de la situation de chacun. Ettout cela est perçu comme une violenceinstitutionnelle car l’accès à l’aide devienttoujours plus ardu et compliqué.

Du côté des travailleurs sociaux, chacunest lié à un profil de fonction strict etlimité. Cela limite la créativité et encou-rage la déresponsabilisation. Les dossiersfont des parcours insolites, l’incompré-hension règne tant chez les professionnelsque chez les usagers. Cela crée beaucoupde frustration de part et d’autre, un senti-ment d’injustice aussi et cela participe à ladéstructuration des liens sociaux des usa-gers.

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Facilité d’accès aux données, rapidité dans la mise à jour et efficacité dans le partage desinformations… Le dossier médical informatisé semble la solution rêvée face aux exi-gences de la nouvelle gouvernance publique des soins de santé. Au-delà des questionsque cet outil pose en matière de respect des données personnelles, il ouvre une fenêtresur les logiques à l’œuvre dans les services publics, à l’heure où les “usagers” se confon-dent de plus en plus avec les “clients”, de qui on attend une transparence et une récep-tivité à toute épreuve. Petit tour d’horizon de la question.

Par Micky FIERENS*

*Directrice de la Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS)

Consultation du dossieret respect de la vie privée

Article publié dans la Revue “Le Chaînon”, Revue trimestrielle de la Ligue des Usagers des Services de Santé, n°28 “Droits du patient, qu'en est-il dix ans plus tard ?”, p. 8

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Consultation du dossier et respect de lavie privée

Que l’on parle de dossier médical global,dossier informatisé, dossier médical par-tagé ou de répertoire de référence, le par-tage des données de santé d’un patientsera la base même de l’organisation del’offre médicale de demain. Chaque pres-tataire pourra consulter le répertoire deréférence de son patient, afin de savoir àquel endroit, dans quelle institution, desdonnées le concernant sont disponibles.S’ajoutera également à cela un résuméminimum réalisé par le médecin généra-liste.

Rendre disponibles les données despatients permettra d’assurer la continuitédes soins de qualité pour chaque patient,tout en garantissant la durabilité de notresystème de santé reconnu pour être per-formant. Des réformes sont en route,accentuant, par exemple, le rôle de lamédecine générale, créant des nouveauxmétiers à caractères plus administratifs oufavorisant la délégation des tâches pou-vant être accomplies par des personnesayant d’autres qualifications.

Ce sont les objectifs énoncés. Des critèresde qualité à juxtaposer à des critères éco-nomiques : un réel défi pour nos respon-sables politiques. La LUSS a décidé,depuis le début, de suivre pas à pas lamise en place de ce gigantesque projet.

Le partage des données

Chacun utilise un jour ou l’autre les servicesde prestataires de soins de compétencesdifférentes. Qui peut dire ne s’être jamais

rendu chez un généraliste, un dentiste, unkiné, un spécialiste, une infirmière… ouchez le pharmacien pour acheter des médi-caments, prescrits ou non ? Lors d’unehospitalisation, les soins sont prodiguéspar un ensemble de soignants, avec les-quels le patient aura plus ou moins decontacts. Tous ces prestataires détiennentdes données de chacun de leurs patients,et le partage de ces données s’organiseaujourd’hui, d’une manière sécurisée, via laplate-forme eHealth.

Soyons clairs, pouvoir accéder aux don-nées de santé antérieures de la personnequ’il est amené à soigner, comporte beau-coup d’avantages potentiels pour le pres-tataire, mais également pour le patient. LaLUSS en est convaincue. Parmi ces avan-tages, citons, le gain de temps pour poserun diagnostic, la diminution des risquesliés à la méconnaissance des antécédentsdu patient, une coordination amélioréeentre hôpital et domicile, la facilitation desoins pluridisciplinaires, la diminution dunombre d’examens, d’actes techniques etl’amélioration que cela représente, notam-ment pour le patient, en diminuant la souf-france liée à certains examens, les coûts,le temps passé à l’hôpital, etc. Tout lemonde s’y retrouve : la qualité et la conti-nuité des soins sont mises en avantcomme autant de bénéfices pour lepatient, l’efficacité du travail en équipepour les prestataires, une sécurité crois-sante pour les institutions, et des éco-nomies pour tous !

La LUSS relaye les inquiétudes despatients/usagers/citoyens

Mais cet échange de données soulève

aussi beaucoup de questionnement, voired’inquiétudes, au sein de la LUSS et desassociations de patients. Et, afin dedéfendre au mieux les intérêts des usa-gers dans ce domaine, la LUSS suit deprès, et depuis des années, la mise enplace de la plateforme eHealth et organisela concertation sur le sujet auprès desusagers. Elle relaye le fruit de sesréflexions vers les autorités compétenteset constate que plusieurs de sesdemandes, telles que le consentementéclairé du patient pour le partage de sesdonnées, ont été rencontrées et inscritesdans la procédure.

Ces réflexions rejoignent également undébat de société plus général sur desenjeux de notre démocratie actuelle,quand le citoyen s’interroge sur la garan-tie de respect de sa vie privée, par exem-ple, ou sur le risque que représente l’accès à des données, somme toute sen-sibles, par les assureurs, les employeurs,les organismes de contrôle et autresacteurs pas tout à fait désintéressés.Vous trouverez dans la suite de cet articlequelques éléments qui méritent d’êtredébattus sur la place publique, par lescitoyens que nous sommes.

Un “dossier informatisé partagé” dequalité ?

La loi relative aux droits du patient définitque “le patient a droit, de la part de sonpraticien professionnel, à un dossier depatient soigneusement tenu à jour etconservé en lieu sûr”. La première ques-tion qui se pose est celle de la qualité desdossiers, quand on pense que leurcontenu pourra être consulté par tous les

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prestataires. Qu’entend-on par dossiersoigneusement tenu à jour ? Quelles sontles données minimum qui doivent y figu-rer ? Comment savoir si le dossier estcomplet et mis à jour ? Qu’est-ce qui doitêtre accessible à l’ensemble des presta-taires concernés, et quelles donnéesseront segmentées par profession ? Oùsera la limite des informations utiles pourle dentiste ? Pour le kiné ? Pour l’ambu-lancier ? Pour le pharmacien ?

Dans la logique de la continuité des soinset d’une prise en charge pluridisciplinairedes patients, surtout chroniques, l’accèsaux résultats d’examens déjà réalisés, auxrésultats de laboratoire, aux radiosrécentes… apportera une certaine effi-cience aux soins à prodiguer à un patient :moins d’erreurs, moins d’examens inutiles,moins de souffrances, de temps perdu, dedépenses inutiles. À condition que chacunveille à la qualité et la pertinence des don-nées qu’il rend disponibles, et que corollai-rement, chaque soignant utilise les don-nées à bon escient. Restera à définir lavalidité et/ou la qualité d’une “radiorécente” ou d’un scanner effectué dans unautre hôpital… Mais cela doit-il se faire aucas par cas ? Ne faudrait-il pas définir dèsaujourd’hui les critères objectivables déter-minant un dossier de qualité ? Et lespatients ont bien des idées à ce sujet !

Consentement éclairé et traçabilité

La LUSS s’est battue pour que le patientdoive exprimer son consentement avantque ses données ne puissent être échan-gées entre les prestataires de soins. Lasolution pressentie au départ prévoyaitque le patient soit d’accord par défaut, et

fasse une démarche pour s’opposer auxéchanges. Il a semblé important à la LUSSque chacun puisse prendre sa décision enconnaissance de cause, selon sa situationet ses besoins. Après d’âpres discus-sions, c’est la formule du consentementéclairé qui a été retenue.

Donner son consentement au partagede données

Le patient peut donner son consentementau partage des données soit :- par l’intermédiaire de son médecin oulors d’une hospitalisation,- par l’intermédiaire de la mutuelle,- par internet : le site internet du réseau santé wallonhttps://www.reseausantewallon.be/FR/patients/Pages/default.aspx,le site internet de la plate forme eHealthhttps://www.ehealth.fgov.be/fr/citizen

Il est prévu que seuls les prestataires quiont une relation thérapeutique avec unpatient accèdent à ses données, et ce dansl’unique but d’assurer la continuité de sessoins. Cette précision est d’importance !Mais difficilement vérifiable concrètement,bien que chaque connexion par un profes-sionnel à un document d’un patient seratraçable. C’est le patient lui-même quidevra “surveiller” qui aura été voir sesdocuments. Cela pourra se faire, à posté-riori, via le site du Réseau Santé Wallon,mais on peut imaginer la complexité decette vérification… Pourquoi ne pas réflé-chir dès le départ à un système de contrôleet d’évaluation moins flou et tout aussi effi-cace que le reste de la structure. Commeon peut le constater, la garantie du respectde la vie privée de chacun a ses limites…

Reste la question des accès aux dossierspar des professionnels “à double cas-quette” : les experts des assurances, lesmédecins contrôleurs des employeurs etautres représentants d’intérêts qui ne sontpas spécialement ceux du citoyen. Celui-ci devra retrouver parmi les soignants visi-teurs de ses données, ceux qui n’auraientpas dû y accéder !

Pour un malade chronique en recherched’une assurance solde restant dû à l’occa-sion de l’achat d’une maison, par exem-ple, la consultation de ses données desanté par un médecin expert de la compa-gnie d’assurance peut avoir des consé-quences catastrophiques. Et même sil’abus est dénoncé par la suite, les consé-quences seront là, et les risques de refusde l’assurance ou de surprimes biensréels… On parle de sanctions exemplairesen cas de consultation non autorisée.Encore faudra-il les détecter ! A moinsd’en arriver à retirer son consentement letemps de contracter son assurance …

Et le patient dans tout ça ?

Le patient peut donc voir, à conditiond’avoir accès à Internet (ce qui est encoreun autre débat), qui a accédé à ses don-nées. Mais jusqu’à présent, il ne peut pasconsulter lui-même ses propres données.Paradoxe que de pouvoir voir que le doc-teur X a consulté des données qui vousconcernent à l’hôpital Y, mais de ne pasconnaître le contenu de ces données.L’argument que le patient ne comprendraitpas ce qu’il y a dans son dossier, et lesconséquences négatives que cela pourraitavoir pour lui, reste bien ancré parmi lesprofessionnels de la santé.

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La loi relative aux droits du patient stipuleque le patient a le droit d’être informé surson état de santé (article 7). Si ce droit-làest appliqué correctement, le patient nedevrait trouver aucune surprise dans sondossier. Non ? Et celui qui décide de nepas savoir, ce qui est également son droit,n’a aucune raison d’aller consulter sondossier, ou alors il en prend la responsabi-lité. Par contre, avoir accès à ses donnéespermettrait au patient, qui le souhaite, de remarquer des manquements, deserreurs, des informations non pertinentesvoire fausses qui restent parfois sans rai-son dans les dossiers. Relire à tête repo-sée le diagnostic qui a été posé, les parti-cularités du traitement prescrit ne peuventqu’être bénéfiques pour le patient.

Le paradoxe est réel : il est attendu dupatient qu’il agisse en personne responsa-ble, acteur de sa santé, voire compliantquand nécessaire, mais les informationsqui le concernent et qui l’aideraient à agirde la sorte, ne lui sont plus accessiblesune fois la consultation terminée et laporte du cabinet médical refermé. LaLUSS plaide pour un accès direct à leur

dossier par les patients qui désirent enconnaître le contenu. Elle demande égale-ment que l’on réfléchisse dès aujourd’huià la manière de rédiger les dossiers, afinqu’on cesse de prétendre qu’ils sontincompréhensibles pour le patient. Ledossier du patient deviendrait dès lors unoutil de communication, permettant devérifier la compréhension par le patient,des informations données par le soignantet réciproquement.

Imaginer qu’une multitude de personnes,professionnels de la santé au sens trèslarge, auront accès à ces données santé,données sensibles s’il en est, ne peutqu’interpeller le citoyen que nous sommes.La question du respect de la vie privée sur-git immédiatement. Tous les moyens doi-vent être mis en œuvre pour qu’elle soitgarantie pour l’ensemble des citoyens. Lesabus devront être sanctionnés très claire-ment et sévèrement. Chacun devrait pou-voir prendre sa part de responsabilités pourque la notion-même de respect de la vieprivée de tous ne soit pas un vain mot : lesautorités publiques, les prestataires, lesgestionnaires… et les citoyens.

La plateforme eHealth, et le partage desdonnées des patients qu’elle favorised’une manière sécurisée, fera partie del’organisation des soins de santé dèsdemain. La disponibilité de ces donnéesest la base du changement du modèlemédical qui se profile à l’horizon. Elle doitgarantir tant la qualité des soins que lamaitrise des coûts qu’ils engendrent pourle patient et pour la société. Et là aussi,chacun devra prendre sa part de respon-sabilités, bien que le patient ne soit passur un pied d’égalité sur ce terrain-là.Cette question de partage des responsa-bilités mérite à elle seule un débat impor-tant, considérant que devenir un patientest rarement un choix délibéré du citoyen.Quelle que soit sa situation, ce citoyenpatient a encore de longs combats àmener pour se faire entendre au mêmetitre que les autres acteurs. La LUSS y tra-vaille…

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Extraits des travaux de Dan Kaminski1 par Juliette BEGHIN*

*Bruxelles Laïque Echos

importation annoncéeLe Service Public Fédéral (SPF) Justice, n’a pas été épargné par les velléités duGouvernement de moderniser ses administrations publiques dès 1999, jetant les basesd’une nouvelle approche qui allait engendrer la réforme Copernic. Inspiré des pratiques dusecteur privé, l’objectif de ces réformes est de modifier la conduite des services publics enl’orientant davantage vers une gestion axée sur la performance. Dans le cadre de cetteorientation “managériale”, les plus hauts fonctionnaires fédéraux (présidents du comité dedirection, directeurs généraux, directeurs) sont dorénavant nommés pour un mandat àdurée déterminée de six ans et encadrés par des plans de management composés d’objec-tifs explicites et d’indicateurs de performance. Peu de recherches sont parvenues à identi-fier de manière précise l’influence réelle de cesréformes managériales sur l’évolution desmodes de fonctionnement au sein des admi-nistrations publiques. Il semblerait du moinsque la réussite des réformes administrativesdépend de l’appropriation des finalités par lesacteurs de terrain.

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La lecture de la partie consacréeaux changements opérationnelset stratégiques du plan demanagement dans les rapportsd’activités du SPF Justice2, nous

révèle clairement l’émergence d’un dis-cours managérial qui plonge le lecteurnon averti dans un univers teinté de jargons anglicisés, comme l’introduc-tion en 2008 du Common AssessmentFramework (CAF – une méthodologievisant l’autoévaluation et l’élaboration deplans opérationnels), du Business Pro-cess Management (BPM) pour gérer etaméliorer les processus de travail et pré-senté comme le langage de descriptionsymbolique choisi par le SPF ou encore lamise à disposition de l’outil CustomerRelationship Management (CRM) pour les technico-commerciaux des équipesméso.

Le but ici n’est pas de décoder ce wor-ding mais d’interroger l’appropriation del’action managériale sur le terrain (cf. ciaprès l’interview de Marc Dizier, directeurde prison) et de prendre de la hauteuravec Dan Kaminski et ses travaux consa-crés à la triple équation pénalité, manage-ment, innovation3. Dans l’impossibilité derésumer sa pensée, nous tenterons d’enextraire quelques éléments permettant decomprendre le contexte d’émergenced’une orientation managériale dans lapénalité. Un exercice réducteur périlleuxpuisque l’auteur y a consacré cinq leçonscompilées dans un ouvrage qui nousinvite à parcourir “les contours de l’insti-tution de la pénalité, afin d’en dénaturali-ser la légitimité et les modalités de penséequi la respectent et lui donnent sa consis-tance”.

Un petit détour par le concept large de“pénalité”

Partant du postulat que c’est la peine quidéfinit le crime, la pénalité est dévolue “àl’affectation de la peine aux situations problématiques juridiquement nomméescrimes”. La pénalité est dès lors une insti-tution sociale qui repose sur un appareil-lage de production permettant à l’institu-tion de s’organiser. Mais la pénalitérecouvre aussi plus largement “l’ensembledes formes et des normes institution-nelles, organisationnelles, professionnelleset profanes qui soutiennent la légitimitéd’une fonction spécifique, la livraisonintentionnelle de la douleur”.

Depuis le début de la modernité, desconcepts politiques et moraux – incompa-tibles entre eux – sont martelés pour justi-fier le droit de punir et légitimer la pénalité.Pour la peine privative de liberté, il s’agit àla fois de punir, surveiller, neutraliser, dis-suader, amender, réinsérer, réparer, réha-biliter la personne emprisonnée. Autant dejustifications qui sont, selon l’auteur, enrepli.

On assiste, dit-il, ainsi à une définalisationde l’action pénale. L’action pénale ne viseplus des objectifs politiques et moraux.Elle fonctionne pour fonctionner. La pri-son, par exemple, ne répond plus qu’àl’ambition la plus réduite sans plus se sou-cier des fins sociales substantielles évo-quées plus haut. En rappelant que la peinede prison doit être l’ultime remède, elle estreconnue comme “néfaste et à n’appliquerque comme pis-aller lorsqu’aucun autredispositif pénal n’est concevable, la prisonperd du même coup toute fonction finali-

sée : la protection de la société constituele motif du repli propre à la peine de pri-son. La présenter idéologiquementcomme ultima remedium permet de fairel’économie de l’objectif (bien peu explicite)que devrait rencontrer chaque emprison-nement”. En d’autres termes, citantPhilippe Mary, “concentrée sur l’ordre et lasécurité, la prison se replie sur sa néces-sité – purifiée de légitimations – et la ges-tion de sa nécessité”.

L’autre technique qui assure la désorienta-tion de la pénalité est le cumul, soit unepénalité présentée comme servant à tout(par exemple, “les avantages dignes ducouteau suisse” de la médiation pénale).La surveillance électronique est un autreexemple très contemporain de l’involutiondes finalités de la pénalité : “il n’y aaucune préoccupation que la mesure soitadaptée ou non à celui qui en bénéficie,qu’elle réalise ou non un objectif moral dela pénalité”. L’objectif devient managérialet s’énonce en “gestion des stocks et desflux de la marchandise humaine incarcé-rée”. C’est ainsi que depuis 2006, le soucide régulation a imposé le placement d’unnombre croissant de condamnés sous cerégime en raison de quotas fixés politique-ment. La productivité conçue en termesstrictement quantitatifs devient prioritaire.

En résumé, la pénalité subit ainsi “unedéflation politique et morale” qui entraîne“le resserrement ou le retournement deson intérêt pour son propre fonctionne-ment en lieu et place de sa fonction et desa dimension symbolique”. L’auteur fait lelien entre la fragilisation des référencessociales et morales des justifications de lapénalité avec la fragilisation contempo-

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raine de l’Etat social. C’est dans cecontexte global et ses effets sur la péna-lité qu’émerge donc une “tendance mana-gériale qui privilégie la rationalité de l’orga-nisation au détriment d’objectifs sociaux(finalités, orientations substantielles, va-leurs) de l’action pénale”.

Importation d’une légitimation endo-gène : le managérialisme pénal

Le management est donc en quelquesorte le revers historique de la définalisa-tion. Un concept qui, loin de se réduire àdes opérations techniques de l’adminis-tration pénale, va affecter l’ensemble del’institution, de l’appareillage et desusages sociaux de la pénalité. Dans lapériode contemporaine, le managementne consiste plus “en l’accompagnementnécessaire de la réalisation d’un projetpolitique, mais en un substitut de ce projetlui-même : en quelque sorte, le manage-ment devient le projet politique, soit unprojet a-politique”. L’action managérialecontemporaine vise non pas à développerdans le réel une possibilité refoulée, mais“à rendre stable et contrôlable l’état domi-nant des choses”.

Pour revenir à la prison, un exemple quiillustre parfaitement cette instrumentalisa-tion par la police managériale de l’étatdominant des choses se retrouve dans ledomaine des droits des détenus. En prin-cipe, la formalisation des droits des déte-nus est considérée automatiquementcomme favorable aux détenus. L’auteurnous montre, à l’inverse, que l’émergencede tels droits n’intervient pas dans uncontexte neutre et sert l’administrationpénitentiaire. La reconnaissance de ces

droits émerge donc car elle produit “deseffets fonctionnels et symboliques plusrentables pour le système étatique (enl’occurrence pour l’administration péniten-tiaire) que les modalités antérieures, disci-plinaires et arbitraires, de la régulation car-cérale”. Cette reconnaissance n’est doncpas à considérer comme une avancéepour les droits des détenus, mais consistesurtout “en un progrès du cynisme mana-gérial, sous l’empire duquel l’Etat distribuemollement ses responsabilités, expri-mées en termes de droits individuels ; enéchange, sans rien lâcher de sa vigueurrépressive, l’Etat s’offre le luxe d’escamo-ter la question normative essentielle de lajustification du recours à l’emprisonne-ment”. Les indices concrets de sadémonstration sont développés dans sonouvrage par le concept de droits empri-sonnés. La loi pénitentiaire de 2005 for-malise les droits des détenus mais quasichaque disposition contient sa réserve,son exception. Par exemple, l’article 56stipule que les lettres envoyées par lesdétenus ne sont, préalablement à leurenvoi, pas soumises au contrôle du direc-teur, sauf s’il existe des indices personna-lisés qu’une vérification est nécessairedans l’intérêt de l’ordre et de la sécurité.Bref, tout ce que la loi pénitentiaireaccorde d’une main, elle le retire de l’au-tre. La formalisation des droits a aussi eupour conséquence d’alourdir le systèmesanctionnel. On peut donc légitimementse demander si “le droit du détenu est àce point contraire à son intérêt”.

Enfin notons qu’on peut pousser lecynisme managérial jusqu’à constater quela loi pénitentiaire de 2005 relative à l’ad-ministration pénitentiaire et au statut juri-

dique des détenus ne constitue aucune-ment le socle des politiques managérialeset du cadre stratégique qui en découle duSPF Justice (cf. interview de Marc Dizier).

L’espoir est dans les marges

L’auteur entrevoit toutefois, derrière cesmécanismes idéologiques de transforma-tions, des espaces d’innovations intéres-santes logés dans les marges du pro-gramme managérial. Concernant parexemple les droits des détenus évoquésplus haut, il croit en leur promesse commeinnovation si on envisage résolument lesconditions de leur effectivité.

En fait, face à la définalisation et la dés-orientation de l’action pénale et sonrecentrement sur ses procédures et sonmanagement, des brèches peuvent êtreproduites ouvrant selon l’auteur “à unespace pour le retour de la pensée socialeet politique”. Comment ? Si l’institution nepense plus à notre place (alors que c’estsa fonction) et qu’elle se réduit en quelquesorte à l’appareillage, nous pouvons “yentrevoir la chance de saisir cette crisepour qu’une pensée nouvelle questionnel’institution”. Les agences et agentspénaux “sont capables d’autonomie, derésistance à de nouvelles exigences ouaux effets les plus punitifs des transforma-tions envisagées”, voire même d’inventionde pratiques originales, inattendues dansles espaces où la professionnalité peuts’engager au-delà de l’exécution. C’est-à-dire, si on emprunte les termes de MarcDizier : sortir “de cette comédie managé-riale par laquelle l’administration péniten-tiaire – par exemple – a élevé les directeursau rang de metteurs en scène (exécutants)

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en les dépouillant de toute possibilitéd’action, tant vis-à-vis des détenus quedes membres du personnel” (cf. interviewde Marc Dizier).

En d’autres termes “le possible rentre parla fenêtre quand on le prie managériale-

ment de sortir par la porte”. Selon DanKaminski, “la distance entre l’expériencevécue et le discours managérial se mani-feste dans les usages, dans les marges demanœuvres et dans la ruse. Plus l’étaumanagérial se resserrera sur le justiciableet le travailleur de la pénalité, plus seront

d’usage les marges de manœuvre et lesruses, sans qu’on puisse savoir évidem-ment quel discours viendra combler levide de l’hypocrisie”.

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1 Agrégé en droit et docteur en criminologie, Dan Kaminski est professeur à l'École de criminologie de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL). 2http://justice.belgium.be/fr/binaries/Plan_de_management_SPF_Justice_2008_-_2014_tcm421-169104.pdf3Des leçons présentées dans le cadre de la Chaire Francqui confiée par la faculté de Droit des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur) et la fondation Francqui en 2008 etrepris dans un ouvrage : Presses universitaires de Namur - Travaux de la Faculté de droit de Namur, 2010, 209 pages ; Dan Kaminski, “Pénalité, management, innovation”, Revue de DroitPénal et de Criminologie, sept/oct 2008, n 9/10, pp. 867-886

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L’importation du management issu du privé dans la sphère des services publics – en l’oc-currence l’administration pénitentiaire et ses établissements – semble avoir infusé uneétrange atmosphère. Loin des idéaux promulgués d’efficience et de rentabilité, les acteursne semblent pas s’être approprié l’action managériale sur le terrain. Le témoignage ci-des-sous rejoint souvent l’analyse de Dan Kaminski (cf. article précédent) lorsqu’il parle de“définalisation de l’action pénale”. Si Marc Dizier évoque la perte de sens induite par lemodèle de gestion imposé, on ne ressent pas encore les usages de résistances et les rusesdéveloppées par les acteurs de la pénalité dans les marges du programme managérial.Peut-être ces pratiques restent-elles secrètes pour assurer leur effectivité ou peut-être faut-il attendre davantage de resserrement de l’étau managérial pour que la révolte gronde ?

Propos recueillis Juliette BEGHIN*

*Bruxelles Laïque Echos

Le manager pénitentiaireun sous-capitaine qui a le mal de merInterview de Marc Dizier, directeur de prison et membre de l’association francophone des directeurs de prison.

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Dans le rapport d’activité 2011 du SPFJustice, un chapitre est consacré auxchangements opérationnels et straté-giques sous-titré “plan de manage-ment”. Que recouvre ce plan de mana-gement intégré ?

Le SPF Justice traduit le terme manage-ment par organisation : le plan de mana-gement est dès lors le résultat du proces-sus par lequel le SPF définit ses missions,les objectifs à atteindre et les moyens àmettre en œuvre pour y parvenir. Le termeintégré qualifie la cascade par laquelle lesobjectifs stratégiques, politiques sont tra-duits par la direction générale des établis-sements pénitentiaires en objectifs opéra-tionnels qui se déclinent, à leur tour, enobjectifs organisationnels par service àpartir desquels sont déterminés les objec-tifs individuels de chaque collaborateur.

Le plan de management intégré s’articuleautour de trois concepts centraux : lespiliers, les principes et les perspectives.

- Les piliers : “il faut mieux faire de meil-leures choses” en responsabilisantchaque acteur et chaque service du sys-tème dans la réalisation de projets parti-cipant de la stratégie de l’organisation.- Les principes : en partenariat, et en utili-sant efficacement les moyens dont nousdisposons, nous devons rendre un ser-vice de qualité au citoyen désormaisconsidéré comme un client.- Les perspectives : notre organisationdoit réfléchir à ses propres moyens, àses processus et aux innovations à met-tre en œuvre pour réaliser sa mission vis-à-vis de ses clients.

Au final, la mission et la vision du SPFJustice se schématisent par la combinai-son de dix-neuf thèmes intégrés dans unecarte stratégique définissant les axes prio-ritaires à partir desquels chacun travailleau quotidien à la réalisation de l’objectifde service public, qui pourrait se définircomme suit : exécuter les décisions judi-ciaires et administratives en garantissant

la sécurité juridique et l’égalité de traite-ment de toutes les parties concernées.

L’introduction d’outils de managementdans les prisons facilite-t-elle vos pra-tiques ? Quels effets ont-ils sur le fonc-tionnement carcéral ? En quoi cetteintroduction affecte l’ensemble de l’ins-titution ?

D’un point de vue pratique, la concrétisa-tion de cette théorie du managementnécessite l’introduction d’un certain nom-bre d’outils à chacun des niveaux du sys-tème. La carte stratégique (cf. illustration)est l’outil de management à partir duquelchaque établissement doit produire un planopérationnel annuel. Très concrètement, àl’aide d’un outil d’analyse SWOT, les chefsde services réunis par leur direction réali-sent un inventaire des forces et faiblesses,des menaces et opportunités propres à leurétablissement. A partir de quoi ils doiventensuite définir les objectifs à atteindre et lesprojets à réaliser au niveau local afin de

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Préservation de l’intégrité

MOYENS Développement de parte-nariats

Utilisation optimale desmoyens disponibles

Infrastructure adaptéeDéveloppement proactifde l’offre d’emplois

Gestion proactive du per-sonnel

INNOVATIONDévelopper lesConnaissances et

Compétences et Garantirles connaissances

Développer et entretenirles réseaux

Développement durable Développer le régimeAppliquer la Méthodologie“cercles de développe-

ment”

CARTE STRATÉGIQUE

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contribuer à l’objectif global du SPF. Pour laprison de Verviers, par exemple, pour sonplan opérationnel 2012-2013, dans la pers-pective “processus” de la carte straté-gique, l’analyse SWOT a révélé une fai-blesse au niveau du règlement d’ordreintérieur. L’objectif opérationnel a dès lorsété de réaliser une brochure d’accueil enquatre languesà destination des entrantspour rendre la règlementation en vigueuraccessible aux détenus. La réalisation decet objectif du plan opérationnel local seraconfiée à un agent/un service qui, à sontour, donnera pour mission à d’autres colla-borateurs de mener à bien certaines sous-parties du projet. L’objectif de l’établisse-ment devient ainsi un objectif de service et,à l’intérieur du service, un objectif pourchaque collaborateur impliqué. L’objectiforganisationnel se décline donc en objec-tif(s) individuel(s). L’éva-luation individuellede chacun des collaborateurs impliqués sefondera notamment sur la qualité de la réa-lisation des objectifs qui lui ont été fixés :c’est ce que l’on appelle son cercle dedéveloppement.

La formation, le coaching, les outils infor-matiques spécialisés, l’évaluation intermé-diaire du niveau de réalisation du planopérationnel… constituent autant d’outilsmis à la disposition des collaborateurs,des services, des établissements et dechacun des niveaux de la pyramide mana-gériale au bénéfice de la réalisation desobjectifs stratégiques du SPF.

Cette mécanique apparemment bien hui-lée prête cependant le flanc à la critique.Les plans opérationnels et autres cerclesde développement individuels, la com-plexité et la valeur non ajoutée des outils

informatiques… irritent la plupart deschefs d’établissements en ce sens que,d’outils de management qu’ils sont cen-sés être, ils sont manifestement passés austatut d’objectifs en soi.

L’encodage informatique (des dates desentretiens prévus dans les cercles dedéveloppement ou des initiatives prisespour réaliser les projets des plans opéra-tionnels) suffit à attester de ce qu’ils ontété réalisés, qu’ils l’aient effectivement étéou non. Personne ne semble se soucier del’effectivité des réalisations locales,pourvu que les encodages produisent desstatistiques susceptibles d’entretenir l’illu-sion d’une administration prestataire deservices de qualité, centrée sur des résul-tats chiffrés témoignant de son dyna-misme et de sa modernité.

Le rapport annuel d’activité de l’adminis-tration pénitentiaire illustre parfaitementcet effet vitrine : kaléidoscope d’actionsponctuelles et locales, imprimé sur papierglacé afin de produire une impression deconsistance. De pure forme puisqu’enaucun cas le fruit d’une politique concer-tée centrée sur la loi de principes dont lesmoyens d’exécution, en particulier ceuxdu plan de détention, ne seront probable-ment jamais disponibles.

Dans cette comédie managériale, l’admi-nistration pénitentiaire a élevé les direc-teurs au rang de metteurs en scène. Or,les directeurs n’ont jamais été autantqu’aujourd’hui dépourvus par leur propreadministration de toute possibilité d’ac-tion, tant vis-à-vis des détenus que desmembres du personnel.

La mise en place des régimes est désor-mais censurée par les organisations syndicales, seules interlocutrices d’uneadministration ayant ravalé ses conseil-lers-généraux au rang d’exécutants dedécisions à propos desquelles ils ne sontjamais consultés. Dans leur mission d’avisen matière de proposition de mesuresd’exécution des peines (permission desortie, congé pénitentiaire…), ils sontouvertement défiés par des décisions deservices centraux, témoignant d’unnavrant désintérêt pour leur expérience deterrain. Enfin, leur prise est nulle sur lerecrutement, la formation, la rémunérationet la sanction des agents placés sousleurs ordres.

En conclusion, la surpopulation augmentesans cesse mais le recours à l’emprison-nement ne fait l’objet d’aucun débat, si cen’est celui de l’aggravation des peinesprescrites et des portions de peine(s) àsubir malgré l’avis contraire et unanimedes spécialistes du champ pénal.

En milieu pénitentiaire, le détenu estdevenu quantité négligeable ; l’attention estdésormais centrée sur un dialogue socialau haut niveau, sur des enjeux politiquesnationaux sans réel intérêt pour le serviceau niveau local. Les services extérieurssont devenus les services de soutien desservices centraux et l’illusion produite,pourvu qu’elle soit encodée, suffit à attes-ter du résultat atteint. Dans ce modèle degestion poussé à son paroxysme, il pourraitencore y avoir des prisons quand bienmême il n’y aurait plus de détenu(s).

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Par Mathieu BIETLOT*

*Bruxelles Laïque Echos

Ma petiteentreprise…L’employé modèle est devenu l’entrepreneur de ses projets profes-sionnels et de leur renouvellement perpétuel. L’employé prévoyant,c’est le gestionnaire de sa carrière avec ses objectifs stratégiqueset opérationnels, ses formations continues et sa mobilité sociale.Celui qui n’a pas d’emploi est sommé, par des contrats d’acti-vation, d’être l’entrepreneur proactif de sa recherche d’em-ploi. Les personnes particulièrement éloignées de l’emploine sont pas jugées aptes à travailler, mais doivent néan-moins gérer leur intégration sociale comme une start-up de réinsertion personnelle. L’étudiant, lui, seraentrepreneur de sa formation et veillera à gérer sonplan de mobilité Erasmus ou Mercator. Noussommes désormais tous censés entretenir etfaire fructifier notre capital santé. À nousaussi d’assurer notre sécurité et d’êtrenotre propre agence privée respons-able des interventions préventives.

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Nous saurons par ailleurs gérernotre réseau social et notre vieaffective avec flexibilité et, pas-sant d’un partenariat à l’autre,transformer les expériences

négatives en nouveaux départs positifs.Notre petite entreprise, de la sorte, neconnaîtra pas la crise… Plus globalementencore, le monde d’aujourd’hui foisonned’invitations à gérer notre bien-être en par-fait petit manager. Et – comme tout est biencalculé – l’incitation est soutenue par lamise à disposition sur le marché d’une mul-titude de méthodes pratiques, de pro-grammes, de stages, de coach, de théra-peutes destinés à nous apprendre à écouternotre voix intérieure, à puiser dans nos res-sources internes, à optimaliser nos compé-tences relationnelles, à réaliser nos aspira-tions, à dire non aux autres et oui à soi, àdécouvrir et décupler nos potentiels…1

Bref, nous sommes désormais tous desmanagers de notre propre vie. On peut seréjouir de cette apologie du développementpersonnel et du travail sur soi à desseind’être aux commandes de son destin et dedevenir l’acteur privilégié de ses transfor-mations. Il faut inscrire cette promotion del’autonomie dans la longue histoire positivede l’émancipation. Elle prolonge l’idéeromantique d’épanouissement personnel etle projet des Lumières de libérer les indivi-dus et la pensée des tutelles et des endoc-trinements extérieurs.

Cependant, à l’analyse, la forme managé-riale que prend aujourd’hui l’éloge de l’auto-nomie nous interroge sur l’esprit del’époque, sur les normes morales ousociales, sur le fonctionnement de notresociété et sur ses contradictions.

Les raisons de paître du troupeau

Tout d’abord, l’incitation à devenir entrepre-neurs de nous-mêmes cadre parfaitementavec Le nouvel esprit du capitalisme oùs’entrecroisent réseaux et projets, respon-sabilisation et contractualisation, flexibilitéet mobilité, intéressement aux résultats etautocontrôle2. Elle baigne comme un pois-son dans l’eau dans cette modernité liquideque décrit Zygmunt Bauman : un monde quicélèbre la vitesse, la fluidité et l’éphémère,où tout change tout le temps, où il fauts’adapter en permanence, ne s’attacher àrien, consommer toujours plus et jeter tou-jours plus vite.

Elle révèle ensuite le type de rationalité àl’œuvre dans la gouvernementalité contem-poraine, biopolitique et néolibérale. MichelFoucault a défini la “gouvernementalité”comme l’art de la pastorale, l’art d’entrete-nir le troupeau et de le mener à destination,l’art de “conduire des conduites”, c’est-à-dire de faire faire aux individus de leur pro-pre chef ce qu’on souhaite qu’ils fassent. Ila souligné combien la gouvernementalitélibérale requiert la production, l’encadre-ment et la canalisation de libertés via desprocessus de régulation biopolitique et d’in-tériorisation des normes. La gouvernemen-talité marie subtilement des techniques dedomination et de conditionnement desautres et des techniques de soi, de travailsur soi.

Aujourd’hui, nous sommes passés d’unesociété productiviste à une société consu-mériste. Le profit repose moins sur la pro-duction matérielle que sur la productionimmatérielle (service, loisir, information,émotion… en ce compris tout, les pro-

grammes de management de soi) et sur laspéculation à partir de la consommation etl’épargne des ménages. Aux masses sous-socialisées qu’il fallait, à l’ère industrielle,discipliner par une série d’institutions allantde l’école à la prison, succède une fouled’individus hédonistes et raisonnables dontil s’agit d’orienter la consommation et lescomportements à risque, en jouant sur leurrecherche de plaisir et leur aptitude au cal-cul rationnel. La société n’est plus faite d’unpeuple ou de classes sociales mais d’unréseau d’individus et l’organisation socialerepose sur les initiatives et l’autonomie deces acteurs. La rationalité gouvernementalemise sur l’individu entrepreneur de lui-même, dont la faculté de choisir, autrementdit l’autonomie, est moins l’antithèse dupouvoir politique que “sa cible et son instru-ment”3. Elle est biopolitique aussi en cesens que c’est la vie de cette multitude d’in-dividus qui est l’objet et le sujet de la poli-tique, régulée à travers des statistiquessanitaires ou sécuritaires et des campagnesde prévention diverses et variées. La régu-lation mise désormais moins sur la théoriedes ensembles que sur la rationalité pres-crite aux individus, sur les formes de sub-jectivation morale encensées par le dis-cours dominant de l’époque.

Le bon entrepreneur de soi doit être un cal-culateur prudent, capable de prendre lesrisques qui peuvent faire fructifier ses capi-taux personnels et de réduire les risques quipourraient diminuer leur valeur. “Dans lessociétés libérales avancées, la constructionpublique du souci de soi est, très exacte-ment, la construction du souci de l’entre-preneur de soi, la construction du devoir quiéchoit à tous et à chacun, de se soucier deces capitaux que sont ses biens, sa vie, sa

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santé, son apparence, ses connaissances,ses compétences, et de les investir ou deles convertir au mieux pour augmenter cequ’il vaut, et la valeur des groupes dont il estl’un des membres.”4

La prétendue liberté promue se révèle dissi-muler des fins d’ingénierie sociale qui repo-sent sur l’intéressement des individus et lamanipulation de leurs intérêts. La gouverne-mentalité ne vise plus seulement à produiredes corps dociles et utiles mais égalementdes corps beaux et sains. Consciemmentou non, le sujet soi-disant autonome estdevenu dévot des nouvelles divinités poin-tées par le spectacle Constellation 61 : “Desnouvelles idoles, dressées comme desdieux vers le ciel vide, ont bourré la terre […]Elles s’appellent Vie, Santé, Beauté, Bien-être, Sécurité”. On comprendra alors quetoutes les entreprises individuelles ne sontpas encouragées ni même tolérées. Celuiqui s’autogère en marge de la société ou quibafoue, par choix autonome, ces idoles, nesera pas considéré comme un entrepreneurde lui-même. Les migrants qui entrepren-nent un voyage périlleux, en mesurant bienles risques encourus, pour rejoindre descontrées plus propices à la réalisation deleur projet de vie découvrent abruptementque l’éloge de la mobilité et de l’esprit d’en-treprise ne vaut pas pour tout le monde.

Le paradigme perdu

L’entreprenariat personnel illustre, en outre,un changement de paradigme de la régula-tion sociale et de prise en charge de lasécurité, aussi bien sociale que physique,par l’Etat. Nos sociétés sont passées duparadigme de l’Etat social, mis en placeentre la fin du XIXe siècle et les trente glo-

rieuses, au paradigme de la gestion desrisques avec le tournant des années 1980 etl’invention de l’Etat social actif ou Etat socialsécuritaire. Il ne s’agit plus, pour le pouvoirpolitique, de transformer les conditionssociales par l’action publique, afin d’établirun équilibre harmonieux entre toutes lescomposantes de la société, mais de gérerles déséquilibres en réduisant, par la neu-tralisation ou la mise à l’écart, les préjudicessociaux ou sécuritaires qu’ils causent. Iciaussi, il est question de management desrisques et des déchets engendrés par unesociété dérégulée, dont la dérégulation estdevenue une modalité de régulation.L’approche est évidemment décollectiviséeet fait porter la responsabilité aussi bien desrisques individuels que du malaise sociétalsur les individus.

Avec Fabienne Brion, nous pouvonsesquisser les grands contrastes du change-ment de paradigme. La sécurité ne relèveplus de la responsabilité des autoritéspubliques mais de la responsabilisation despersonnes privées. Les risques étaientexternalisés, ils s’internalisent. Leur gestionétait socialisée et décommunautarisée; elle,se désocialise pour s’individualiser ou secommunautariser et se commercialiser. Leressort de la sécurité n’est plus la solidaritémais la prudence. Tout problème a ten-dance à se psychologiser pour ne plus sepolitiser. Si la prépondérance accordée à lasécurité a toujours eu pour effet ou objectifsecondaire de dépolitiser le débat et d’oc-culter la répartition des biens matériels etsymboliques, son procédé a changé : “nonplus la satisfaction des besoins de tous,mais la culpabilisation de chacun”. Et Briond’ajouter “l’obligation faite aux experts, viala marketisation et la marchandisation de

l’expertise, de se comporter eux aussi ensujets entreprenants et prudents ; des sujetsqui, docilement, pour gagner ou garder desparts de marché, évitent précautionneuse-ment le radicalisme critique”5, où l’on voit laconnexion entre le management individuelet la gouvernance internationale…

Une apologie aporétique

La comparaison permet de pointer lestransformations, de repérer ce qui est nou-veau, les signes ou symptômes du mondeactuel. Elle ne devrait pas nous entraîner àidéaliser le passé. Le paradigme de l’Etatsocial avait ses limites et d’autres modalitésde gouvernement des conduites indivi-duelles ont préexisté qui ne manquaient pasde travers paternalistes et oppressants.Toujours attentifs à ce qui, des temps pré-sents, interpelle, nous terminerons parquestionner quelques paradoxes ou aporiesde la société des individus et du panégy-rique de l’entreprenariat personnel.

Rappelons d’abord que l’autonomie tantvalorisée relève d’une certaine définitionconsumériste de la liberté et d’une concep-tion idéologique de l’individu, celle del’homo oeconomicus des penseurs libérauxque notre époque a accouplé avec l’homoprudens. Les entreprises dont sera chargécet individu et les difficultés qu’il devra sur-monter par lui-même sont celles que lemarché a pu traduire dans son langage. Lemarché “raconte les processus de viecomme une succession de problèmesessentiellement “résolvables” qu’il nous fautrésoudre et qui ne peuvent être résoluscependant qu’en utilisant des moyens uni-quement disponibles dans les rayons desmagasins”6. Or, la personne humaine est

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beaucoup plus complexe que cet individuabstrait, rationnel, calculateur, modulable ethédoniste auquel la réduit l’idéologie dumanagement de soi. Son ancrage dans untissu social et culturel la définit bien avantqu’elle ne puisse se réfléchir rationnelle-ment et agir sur cette définition. L’émotion,la passion, l’imprévisibilité, les coups detête ou de cœur, le désintéressement, lagénérosité, l’erreur, la résistance, l’incons-tance ou la fidélité président autant àl’orientation de ses décisions et comporte-ments, que la recherche du plaisir et lamaximisation de ses intérêts. L’humain estun être au monde et un être pour autrui ; desracines, des ressources et des filets sociauxsont nécessaires à l’essor et aux rebondis-sements de son autonomie.

C’est d’ailleurs la société, la société indivi-dualiste, qui assigne aux sujets la tâche des’individualiser toujours plus, en ne misantque sur leurs ressources individuelles. Etcette affirmation de soi n’a d’autre finalitéque d’obtenir une place dans la société. Lacollectivité est à la fois le berceau et la des-tination de l’individualisation, comme lerésume Bauman.

Ensuite, la principale aporie de l’entreprena-riat personnel ne réside-t-elle pas dansl’idée d’injonction à l’autonomie. Le travailsur soi ne répond plus à un acte de libéra-tion et d’affirmation du sujet mais à uneinjonction assujettissante. La sommationfaite aux individus d’être autonomes et dese débrouiller par eux-mêmes est si contrai-gnante et normative qu’elle n’a plus grand-chose à voir avec l’émancipation et qu’ellecrée des dépendances à l’égard, soit descoach et autres aides à s’en sortir par soi-même, soit à l’égard des instances char-

gées d’évaluer, donc de contrôler, les pro-grès de l’autonomisation. La docilité atten-due des individus prend la forme de lacapacité de s’autogérer, de se comporteren sujet entreprenant et prudent. “Les pro-grammes censés aider les gens à entrer encontact avec leur vrai moi, soi-disant moti-vés par des idéaux émancipateurs, ont sou-vent pour effet de pousser les gens à pen-ser d’une façon qui confirme l’idéologie descréateurs de ces programmes. En consé-quence, de nombreuses personnes quicommencent à se dire que leurs vies sontvides et sans but, finissent par se perdredans les arcanes d’un programme particu-lier, ou bien par avoir l’impression de “nejamais être au niveau” quoi qu’elles fas-sent.”7 Le sociologue Alain Ehrenberg a par-ticulièrement étudié les conséquences decette injonction à l’autonomie sur ses desti-nataires. Les titres de ses ouvrages sontéloquents : Le Culte de la performance,L’Individu incertain, La Fatigue d’être soi etLa Société du malaise…

Enfin, l’apologie du management de soi netient pas compte des inégalités de res-sources – économiques, sociales et cultu-relles – entre les individus. On observemême une tendance à attendre le plus dedébrouillardise de ceux qui ont le moins demoyens, à demander à ceux qui ont peu decapital social d’activer leur réseau, à ceuxqui vivent au jour le jour de faire des projetsà long terme, à ceux qui ne comprennentplus la cartographie sociale d’êtremobiles… Leur responsabilisation ne tardepas à glisser vers leur culpabilisation puisleur condamnation. L’apologie de l’autono-mie, de l’émancipation, du souci de soi nedevrait pas nous faire perdre de vue la facesombre de ces belles lunes : la stigmatisa-

tion et la mise à l’écart de tous ces dépen-dants, inadaptés, inemployables, assistés,négligents, trop imprudents ou pas assezaudacieux… Heureusement, la gestion desdéchets est une des entreprises les plus flo-rissantes de la modernité liquide.

Les inégalités de ressources sont en grandepartie structurelles, liées au fonctionnementde la société. Mais le subterfuge du chan-gement de paradigme, de la gestion desrisques et du travail sur soi consiste à ren-dre les structures invisibles et à définir lesproblèmes de manière à ne faire apparaîtreleurs causes et leurs solutions que sur leplan individuel. Tout ce qui n’est pas à laportée de l’action de l’individu lui-mêmen’existe plus ou n’est pas à prendre encompte, puisqu’on ne peut de toute façonrien y faire… Le revers de cette autonomiemal conçue n’est-il pas une inquiétantedéresponsabilisation collective et l’abandonde la politique entendue comme actiontransformatrice des conditions sociales.

1On voit ici que l’esprit new âge, bien qu’il prétende offrir desalternatives à notre société trop matérialiste, épouse parfai-tement la biopolitique néolibérale. 2Voir l’article d’Alexis Martinet dans ce numéro, pp. 8-11.3Nicolas Rose, “Governing the enterprising self”, in P.Heelas, P. Morris (eds), The Values of the EnterpriseCulture : The Moral Debate, London, Routledge, 1992, p.147

4Fabienne Brion, “Ethique et politiques de sécurité dans lessociétés libérales avancées”, La Pensée et les Hommes,48e année, n°57, p.118

5Fabienne Brion, op. cit., pp. 126-1276Zygmunt Bauman, La vie liquide, trad. de l’anglais par C.Rosson, Librairie Arthème Fayard (coll “Pluriel”), 2013, p.141

7Charles Guignon, On Being Authentic, cité par ZygmuntBauman, op. cit., p.33

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l’humain en boîte ?Etrange époque que la nôtre, où l’épiphénomène prend plus d’importance que le

phénomène, où le mode de raisonnement est devenu plus important que le raisonnement

en lui-même, la mise en pli du réel et du vivant plus importante que leurs contenus, leurs

valeurs ou leur sens. Tout comme gérer une décision est devenu plus important que

décider. Un monde de structures et de méthodes, où tout doit être saisi et mis en boîte, for-

maté, modélisé, domestiqué, étiqueté et

classé. Un monde qui ne cherche plus

fondamentalement à changer les réalités,

mais à les gérer. Et ce, par des systèmes

et des logiques dont les objectifs et les

finalités n’en restent pas moins tout aussi

insaisissables et obscures que les mys-

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Nous avons, pour ainsi dire, déboulonnéles dieux et les esprits pour les remplacerpar la dictature et la domination de sys-tèmes d’autorité incarnés dans des tech-nostructures et des structures méthodolo-giques qui, d’emblée, excluent le hasard,l’insaisissable, l’imprévisible et la remiseen cause. Mais au-delà de leurs dimen-sions apodictiques et utilitaires, de leurefficacité éprouvée, qui s’interroge sur leurvéritable essence, leur contenu et la raisonprofonde de leur mise en place ? Il estsans doute vrai que notre époque a ten-dance à l’adoption rapide, parfois sans seposer de questions sur le bien-fondé deschoses et l’intention de ceux qui les pro-duisent !

Que valent des logiques qui réduisentl’humain en abstraction, en paramètre ouvariable économiques à prévoir, organiser,contrôler et maîtriser ?

Sous ce rapport, ceux qui ne sont pas sol-vables et qui ont le tort de coûter se voientsoumis en permanence à des pressionsque leur statut rend obligatoirement légi-times. En l’occurrence, les pauvres, leschômeurs, les immigrés, accusés de dés-équilibrer les budgets, de fausser les cal-culs, de déjouer les plans programmés,les prévisions, les pronostics, les don-nées, les critères et les statistiques conve-nus dans des systèmes clos et rigides,devenus la clef de voûte et la pierre angu-laire d’un monde résolument utilitariste etobsédé par la valeur marchande, larecherche de l’utilité et du rendement.

L’enfermement dans ces systèmes clos,ces logiques rigides et ces structures dés-incarnées semble être l’aboutissement de

la course effrénée vers le profit et la quêtepermanente d’une efficacité définie commeabsolue. Le trait le plus marquant de cetteoppression universellement ressentie,parce que ces systèmes s’exportent dés-ormais partout et provoquent les mêmesréactions, est bien la vague d’immolationpar le feu qui a saisi le monde en décem-bre 2010 avec le geste du jeune TunisienMohamed Bouazizi, ayant sonné le glasdes régimes autoritaires dans les paysarabes. Depuis, l’immolation par le feu est devenue une forme de protestationempruntée par les plus faibles face à des oppressions impossibles à vaincre etdont le cynisme n’autorise d’autre issueque l’immolation, c’est-à-dire l’éliminationvolontaire des plus démunis, ceux qui sontsans ressources pour se défendre.

Longtemps associée à des régions démo-cratiquement sous-développées, en proieà l'instabilité politique, l'immolation par lefeu s’est paradoxalement répandue, ausein de sociétés occidentales jusqu'alorsétrangères à cette pratique. Ainsi, en mars2011, l'Italie fut sous le choc, suite au sui-cide par le feu de deux hommes acculéspar des problèmes d'argent. L'image dece Grec de 55 ans se mettant le feu à lasortie d'une banque a fait le tour dumonde. Plus récemment, en Belgique, unsans-papiers marocain, âgé de 40 ans, atenté de s’immoler par le feu à la MaisonCommunale de Jemeppe-sur-Meuse, où ilétait venu demander un document lui permettant de rester en Belgique.Dernièrement, en France, un chômeur de42 ans en fin de droits, s’est immolédevant le siège de l’ANPE à Nantes.

Pourquoi des individus, dont les réalités et

les environnements de vie semblent enapparence si éloignés, sont-ils inspiréspar les mêmes actes ? Pourquoi tous de lamême façon mettent-ils en scène publi-quement leur mort ? Quel désespoir lespousse ?

Dans les pays musulmans où l’immolationest perçue comme un péché, les religieuxont décrété que ceux qui se mettraient lefeu ne bénéficieraient pas d'un enterre-ment conforme à la tradition, considérantqu'il appartient à dieu seul de donner etde retirer la vie. Pourtant, cela n’a pas suffià arrêter la funeste vague.

En Europe démocratique, le discours offi-ciel tend au dédouanement des gestion-naires. En France, le service public a étéblanchi de toute responsabilité. “Nul n’estbesoin d’aller chercher une responsabilité”a déclaré François Hollande, affirmant aupassage que les fonctionnaires de l’ANPEont été “exemplaires” dans la gestion decette affaire, dont l’issue tragique relèvedu désespoir d’un homme conjugué à lacruelle rigueur d’un contexte socioécono-mique implacable. Cela non plus n’éclaireen rien sur le sens réel et la significationdes actes posés.

Ce que chacun se refuse d’entendre oufeint d’ignorer est, sans doute, l’ultime cride détresse d’une humanité de plus enplus à l’étroit dans des systèmes de struc-tures, de méthodes et de procédures quil’évacuent de son essence intime. Unehumanité qui refuse de se laisser mettreen boîte.

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Selon une étude sérieuse1, il existe un outil de management très efficace mais malheureusementpas assez utilisé : l’humour. En effet, le rire est considéré comme un remède de choix contre lestress pour de nombreux salariés. Mais l'humour, ce n'est pas simplement raconter des blagues,c'est aussi une manière de construire ses relations professionnelles avec recul et plaisir. Les béné-fices de l’humour sur le lieu de travail sont nombreux : il permet de briser des barrières et d’assoirune proximité avec ses équipes, il favorise la cohésion, encourage la créativité et désamorce lesconflits. La prise de recul par rapport au travail permet en outre de réduire le stress tant du côtédu manager que du salarié et de (ré)humaniser le management.

Alors chers camarades, rendez service à votre institution et à vos collègues : il faut déconner !

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http://www.youtube.com/watch?v=LECN5eQOFbc“La stratégie de l’échec”, la vidéo ne res-semble pas aux autres vidéos ! Ce n’estpas une vidéo à voir, mais une vidéo àvivre. L’échec est une philosophie de vie.Mal filmé, mal joué et mal éclairé, cettevidéo grâce à des tableaux pas bons, àune réalisation pas claire, vous portera surle fleuve de l’échec sans même vous enrendre compte. Cette vidéo répond àtoute les questions que l’on peut se posertel que : Où ? Quand ? Et comment ? Etmême cette question que tout le mondes’est posé au moins une fois : Quand estce qu’on mange ?

http://www.youtube.com/watch?v=F0pTUKs21cAExploiter mieux pour gagner plus ! Uneautre histoire du management.“Je suis ton output, tu es mon process !Plus question de dormir. Évaluation per-manente, recherche obsessionnelle desgisements de productivité, applicationméthodique d’une rationalité qui tourne àla schizophrénie, la “démarche qualité” faitsouffler un esprit peu public dans les ser-vices.”En France, la loi de 2002 a commencé àétendre au secteur des services publics lecauchemar de l’entreprise : évaluationpermanente, productivité accrue, rationa-lité schizophrène… et la “démarche qua-lité” comme outil pervers au service de la

privatisation. Le management nous a privéde ce qui nous était le plus cher : le sensde notre travail. 1h38 de conférence ges-ticulée qui fait réfléchir autour du manage-ment.

http://www.youtube.com/watch?v=Iii27MBjy1ETechniques et astuces en image pour bienmanager : les américains sont décidem-ment en avance sur nous…

http://www.marmottine.net/index.php/vie-de-marmotte/completement-mar-motesque/le-management-pour-les-nuls-489Les dix règles d’or du management pourles nuls, enfin disponibles sur ce lien ! Deprécieux conseils afin de ne pas tomberdans les pièges du managementmoderne ! Anticiper la maladie tu devras ;Etre tyrannique tu devras ; Au suicide tupenseras… Plus de détails et d’explica-tions sur ce site à l’interface modeste,mais au contenu très instructif.

http://boumbox.wordpress.com/2010/05/06/le-management-par-labsence-ou-le-syndrome-where-the-fuck-is-my-boss/Le management par l’absence ou le syn-drome “where the fuck is my boss ?”.Collez des responsabilités à vos subal-ternes, partagez avec eux les charges quivous incombent, mettez-leur la pression

en leur expliquant à quel point aucund’entre vous ne doit se planter sinon c’estla catastrophe absolue… et disparaissez.Ne répondez pas aux mails, zappez lescoups de téléphone, ignorez les questionsposées lorsque votre n-1 abandonné vouscroise. Si d’aventure, il réussit à vouscoincer aux toilettes ou à la machine àcafé, prétextez n’importe quoi pour le lais-ser seul face à vos problèmes…

http://riposte-cte.tumblr.com/post/43518670664/ce-temoignage-est-long-mais-bouleversant-lisez-le-et“Je suis au chômage. En mars, si je n’aipas retrouvé d’emploi, mes allocationsseront rabotées au minimum. Ca n’est pasgrave, je n’ai pas peur. Parce que lamisère, celle où on n’a pas de quoi sechauffer ni même de manger, je connais :je l’ai déjà vécue”. Chassée puis chas-seuse et à nouveau chassée, cette ex-employée du Forem témoigne anonyme-ment de son parcours de contrainte et deprécarité. Bienvenue dans les méandresdu fleuve Activation.

1David Autissier et Élodie Arnéguy, Petit traité de l'humourau travail, éd. Eyrolles, 2011, 178 pages. 2http://www.youtube.com/watch?v=LECN5eQOFbc

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Fabrice VAN REYMENANT

Juliette BÉGHINMathieu BIETLOTMario FRISOPaola HIDALGOSophie LEONARDAlexis MARTINETAbabacar N’DAWCedric TOLLEYAlice WILLOX

Conseild’Administration

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