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I. CONTEXTE JURIDIQUE ET PROCEDURE I.1. Les articles R. 432-1 et R. 613-5 du Code de justice administrative sont issus du décret n° 2000-389 du 4 mai 2000 relatif à la partie Réglementaire du code de justice administrative. L’article R. 733-1 du Code de justice administrative a été modifié par le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions. Aux termes de l’article R. 432-1 du Code de justice administrative :

« La requête et les mémoires des parties doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés par un avocat au Conseil d'Etat. Leur signature par l'avocat vaut constitution et élection de domicile chez lui ».

Aux termes de l’article R. 613-5 du Code de justice administrative :

« Devant le Conseil d'Etat, l'instruction est close soit après que les avocats au Conseil d'Etat ont formulé leurs observations orales, soit, en l'absence d'avocat, après appel de l'affaire à l'audience ».

Aux termes de l’article R. 733-1 du Code de justice administrative :

« Après le rapport, les avocats au Conseil d'Etat représentant les parties peuvent présenter leurs observations orales. Le rapporteur public prononce ensuite ses conclusions. Les avocats au Conseil d'Etat représentant les parties peuvent présenter de brèves observations orales après le prononcé des conclusions du rapporteur public ».

Sur le fondement de ces articles, le Conseil d’Etat estime que seule une catégorie d’avocat est susceptible de présenter des observations orales à une audience devant le Conseil d’Etat, quelle que soit la procédure. Dans les avis d’audiences adressés aux requérants, il est en effet invariablement précisé :

« En vertu des dispositions combinées des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du code de justice administrative, seuls les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation peuvent présenter des observations orales le jour de la séance du jugement » (Production n° 2 : Exemple d’avis d’audience).

Or, si l’article R. 432-1 du Code de justice administrative prévoit que la requête devant le Conseil d’Etat doit être présentée « par un avocat au Conseil d'Etat », l’article R. 432-2 du même Code s’empresse de prévoir de nombreuses exceptions pour une partie importante du contentieux.

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Il dispose :

« Toutefois, les dispositions de l'article R. 432-1 ne sont pas applicables : 1° Aux recours pour excès de pouvoir contre les actes des diverses autorités administratives ; 2° Aux recours en appréciation de légalité ; 3° Aux litiges en matière électorale ; 4° Aux litiges concernant la concession ou le refus de pension ; 5° Aux litiges concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement et des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat relevant du chapitre III bis du titre VII du livre VII. Dans ces cas, la requête doit être signée par la partie intéressée ou son mandataire. Les dispositions de l'article R. 432-1 ne sont pas non plus applicables aux mémoires des parties sur les saisines de l'autorité judiciaire en application de l'article 49 du code de procédure civile et portant sur une appréciation de légalité ».

La pratique suivie devant le Conseil d’Etat, visant à exclure de la possibilité de présenter des observations orales les requérants et leurs avocats, dans le cadre des contentieux visés à l’article R. 432-2 du Code de justice administrative, lorsque ceux-ci ne font pas partie de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, créée une différence de traitement avec des justiciables et des avocats dans une situation identique. Cette pratique entérine un véritable monopole de la parole devant le Conseil d’Etat en faveur des seuls avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. I.2. Aux termes de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques :

« Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. »

Selon le Conseil d’Etat « ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, ont pour effet de réserver aux seuls avocats de cet ordre la représentation des parties devant le Conseil d’Etat lorsque le ministère d’avocat est rendu obligatoire par les règles de procédure applicables » (CE, 13 janvier 2014, SARL Ennemond Preynat, n° 360145). On rappellera que l’ordre dont il est question voit son existence remonter vraisemblablement à Saint-Louis (1214-1270), soit les capétiens directs. La postulation devant les Conseils du roi était réservée à des avocats qui furent officiers royaux et propriétaires de leur charge à partir de 1643.

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Il trouve aujourd’hui son existence légale dans l’Ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement, le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre. Cette ordonnance a été signée sous la Restauration par Louis XVIII, un an avant l’adhésion de la France à la Sainte-Alliance dans le cadre du congrès d'Aix-la-Chapelle. Il s’agit, convenons-en, d’un contexte politique daté et fort peu républicain. Ces avocats sont à la fois des auxiliaires de justice et des officiers ministériels.

I.3. Récemment, au cours du débat parlementaire sur la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « Loi Macron », le député P. Cherki proposait un amendement (Amendement n° 2036 disponible sur le lien suivant http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/2498/AN/2036.asp) rédigé ainsi :

« III bis. – Il est institué une mention de spécialisation "Hautes juridictions" permettant aux avocats à la Cour de représenter ou d'assister les parties et de plaider devant le Conseil d'État et la Cour de Cassation. Un décret précise les modalités d'obtention de cette spécialisation "Hautes juridictions". ».

Cet amendement visait ainsi à permettre aux avocats des différents barreaux de France, moyennant une formation spécifique, de pouvoir, à l’égal des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, assister et représenter leurs clients devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. L’exposé des motifs sur cet amendement éclaire considérablement le constat et la démarche de ce parlementaire :

« Cet amendement crée une spécialisation « Hautes juridictions » accessible aux avocats à la Cour. Tout avocat titulaire du certificat de spécialisation « Hautes juridictions » a la possibilité de représenter ou d'assister les parties et de plaider devant le Conseil d'État et la Cour de Cassation. Un décret viendra préciser les modalités d'obtention de cette spécialisation « Hautes Juridictions ». Est ainsi préservé la qualité d'avocat au Conseil tout en permettant au justiciable d'élargir le choix de l'avocat. Aujourd'hui le monopole des avocats aux Conseils concerne 107 avocats et 60 charges qui se partagent près de 30 000 dossiers devant la Cour de cassation et 10 000 dossiers devant le Conseil d'État (hors QPC), avec des montants moyens annuels de bénéfices extrêmement importants (700 k€ par an en moyenne pour un avocat aux Conseils exerçant seul, alors que le revenu moyen d'un avocat à la Cour est de 39 k€ par an). La France est le seul pays au monde à maintenir encore en 2015 un dispositif d'origine monarchique, constitué par l'existence d'un corps d'officiers ministériels qui jouit du monopole de représentation devant le Conseil d'État et la Cour de cassation.

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Constitué d'une centaine de professionnels nommés à vie par le Garde des Sceaux, ce barreau, encore régi à ce jour par une ordonnance royale de 1817, jouit du monopole de représentation devant le Conseil d'État et la Cour de cassation. Nul ne peut exercer la profession s'il n'est titulaire d'un office ou membre d'une société civile professionnelle titulaire d'un tel office, autrement dénommé « charge », bien que ces avocats ne participent en aucune façon à l'exercice de l'autorité publique. Depuis 1817, malgré les évolutions règlementaires et l'augmentation exponentielle du nombre d'avocats à la Cour - 286 inscrits en 1817 à Paris et 26 000 aujourd'hui - le nombre de charges des avocats aux Conseils est demeuré inchangé et s'élève à 60 ».

I.4. Cet amendement n’a pas été retenu et finalement l’article 57 de la loi du 6 août 2015 dispose :

« I.-Après l'article L. 462-4 du code de commerce, il est inséré un article L. 462-4-2 ainsi rédigé : "Art. L. 462-4-2.-L'Autorité de la concurrence rend au ministre de la justice, qui en est le garant, un avis sur la liberté d'installation des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. "Elle fait toutes recommandations en vue d'améliorer l'accès aux offices d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans la perspective d'augmenter de façon progressive le nombre de ces offices. Elle établit, en outre, un bilan en matière d'accès des femmes et des hommes à ces offices. Ces recommandations sont rendues publiques au moins tous les deux ans. "A cet effet, elle identifie le nombre de créations d'offices d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation qui apparaissent nécessaires pour assurer une offre de services satisfaisante au regard de critères définis par décret et prenant notamment en compte les exigences de bonne administration de la justice ainsi que l'évolution du contentieux devant ces deux juridictions. "Les recommandations relatives au nombre de créations d'offices d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation permettent une augmentation progressive du nombre d'offices à créer, de manière à ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants. "L'ouverture d'une procédure sur le fondement du présent article est rendue publique dans un délai de cinq jours à compter de la date de cette ouverture, afin de permettre aux associations de défense des consommateurs agréées au niveau national pour ester en justice, au conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi qu'à toute personne remplissant les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommée par le ministre de la justice en qualité d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, d'adresser à l'Autorité de la concurrence leurs observations. "Lorsque l'Autorité de la concurrence délibère au titre du présent article, son collège comprend deux personnalités qualifiées nommées par décret pour une durée de trois ans non renouvelable. »

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II.-L'article 3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement, le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre est ainsi rédigé : "Art. 3.-I.-Au vu des besoins identifiés par l'Autorité de la concurrence dans les conditions prévues à l'article L. 462-4-2 du code de commerce, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa. "Si, dans un délai de six mois à compter de la publication des recommandations de l'Autorité de la concurrence mentionnées au même article L. 462-4-2, le ministre de la justice constate un nombre insuffisant de demandes de créations d'office au regard des besoins identifiés, il procède, dans des conditions prévues par décret, à un appel à manifestation d'intérêt en vue d'une nomination dans un office (…) ».

Une telle rédaction tend ainsi à permettre une extension du nombre d’offices ministériels d’avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat selon une procédure relativement complexe, en un mot très française. Ce faisant, elle ne suit pas les conclusions du rapport d’information déposé, en application de l’article 145 du Règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les professions juridiques réglementées. La recommandation n° 2 de ce rapport était en effet ainsi rédigé :

« supprimer la charge d’officier ministériel des avocats aux conseils (et donc leur droit de présentation) en contrepartie d’une indemnisation ; maintenir un barreau spécialisé afin que soient préservés les liens utiles entre les avocats aux conseils et les juridictions suprêmes ; organiser un concours exigeant permettant d’augmenter le nombre de ces avocats dans la limite d’un numerus clausus (par exemple de 240 professionnels, comme le permet le décret du 5 juin 2013), susceptible d’être révisé ».

I.5. En tout état de cause, si les articles visés par la présente demande d’abrogation sont illégaux c’est qu’ils se fondent sur le monopole existant en matière de cassation en faveur de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pour étendre illégalement ce monopole à la prise de parole à toute audience devant le Conseil d’Etat, quel que soit la nature du recours en cause. On passe ainsi du monopole sur les recours en cassation au monopole de la parole devant le Conseil d’Etat. Or, la section du contentieux du Conseil d’Etat est une juridiction administrative qui statue non seulement en cassation, mais également en premier et dernier ressort dans plusieurs domaines, et notamment sur de nombreux recours pour excès de pouvoir.

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Il n’est pas besoin de rappeler que les recours pour excès de pouvoir sont dispensés du ministère obligatoire d’avocat. Le requérant entendant former un tel recours devant n’importe quelle juridiction administrative de premier ressort peut donc, selon son bon vouloir, signer sa requête seule, la faire signer par un avocat inscrit à un barreau quelconque, ou encore la faire signer par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Alors que devant toute autre juridiction administrative de premier ressort, ce choix n’aura aucune incidence sur les droits du requérant ou de son mandataire à l’audience, tel n’est pas le cas devant le Conseil d’Etat en raison des articles dont l’abrogation est sollicitée. En effet, le requérant qui signera seul sa requête aura le droit de défendre celle-ci devant la juridiction de premier ressort « classique ». L’avocat qu’il aura mandaté à cet effet, qu’il s’agisse d’un avocat inscrit à un barreau ou d’un membre de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, le pourra également. En revanche, devant le Conseil d’Etat, pour une requête de nature identique, seul l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pourra s’exprimer s’il a été mandaté. Ni le requérant, ni l’avocat inscrit au barreau s’il a été mandaté, ne pourront s’exprimer. En particulier, ils ne pourront pas répliquer oralement aux conclusions présentées par le rapporteur public. En réalité les choses sont plus rudes : ni le requérant, ni le « simple » avocat n’existent en tant que tels à l’audience. La décision finalement rendue ne fera pas mention de leur présence à l’audience et ne fera jamais mention du nom de l’avocat s’il ne s’agit pas d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (voir sur ce point E. Sagalovitsch, « Mention du nom de l’avocat à la cour devant le Conseil d'État : vers une évolution ? », La Gazette du Palais, Dimanche 21 au mardi 23 octobre 2012, n° 295 à 297, p. 9). En effet, s’il est d'usage de mentionner le nom des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation qui ont produit des observations écrites dans les décisions du Conseil d'État, les autres « mandataires ou défenseurs » visés à l'article R. 741-2 du Code de justice administrative ne peuvent voir leur nom mentionné puisqu'ils ne peuvent être « entendus » (gageons que pour un avocat, ne pouvoir être entendu par un juge est en soi une bien curieuse pratique dans un Etat de droit). Ainsi l’avocat qui n’appartient pas à l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation est réputé ne pas exister dans la décision qu’il a pourtant contribué à produire en défendant les intérêts de son client. Il faut encore ajouter qu’en vertu d’une pratique dont on peine à trouver la base légale, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation bénéficient de code particuliers sur l’application informatique « sagace » qui renseigne les avocats sur le cours de la procédure. Bien plus, les auteurs du jurisclasseur « Représentation des parties devant les juridictions administratives » précisent :

« J.-M. Auby et R. Drago relèvent à juste titre que dans les matières dispensées le concours des avocats aux Conseils est couramment recherché en raison des droits particuliers dont ils disposent dans la procédure (communication du dossier, plaidoirie, note en délibéré, etc.), et, peut-on ajouter, de la connaissance particulière qu’ils ont de la juridiction suprême dont ils constituent le barreau » (n° 188).

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L’existence de ces droits particuliers paraît particulièrement injustifiable. Elle tend, sur une même procédure, à offrir à une catégorie d’avocat une situation plus favorable qu’aux autres avocats d’une part et qu’aux simples requérants d’autre part. Cette attitude de défiance envers l’avocat est anachronique. D’ores-et-déjà l’appréhension par le juge du rôle de l’avocat a changé. Ainsi J. Fournier déclarait :

« Vis-à-vis des avocats, la courtoisie est de règle mais les contacts sont fort limités pour la bonne raison qu'ils ne plaident pas. On les voit, on lit leurs productions, mais on ne les entend pratiquement jamais. [...] De là, chez les membres du Conseil d'Etat, une certaine tendance à minimiser la valeur ajoutée de cet auxiliaire de la justice. J'ai pu moi-même, à tort, me semble-t-il aujourd'hui, céder à ce travers » (J. Fournier, Itinéraire d'un fonctionnaire engagé, Dalloz, 2008, p. 92).

Malgré tout le Conseil d’Etat continue de réserver le monopole de la parole aux avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation sur le fondement des textes dont l’abrogation est sollicitée.

Dans une ordonnance du 24 février 2006 (CE, Ordonnance, 24 février 2006, association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon, n° 289394) il a ainsi été jugé :

« Considérant en premier lieu, que la loi du 30 juin 2000 sur le référé administratif n’a eu ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la place respective des divers auxiliaires de justice devant les juridictions administratives en général et le Conseil d’Etat en particulier ; que, s’agissant du Conseil d’Etat, seuls parmi les auxiliaires de justice, les avocats aux conseils peuvent prendre la parole ; que si l’article R. 522-7 du code de justice administrative introduit dans le code à la suite de la loi, donne également cette possibilité aux parties, elle ne vaut que pour les parties elles-mêmes et pour les avocats aux Conseils postulants et non pour des mandataires ; que ces règles ne sont pas incompatibles avec le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il suit de là que l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que la procédure suivie serait irrégulière à défaut pour elle d’avoir pu désigner pour la représenter à l’audience de référé un auxiliaire de justice autre qu’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation »

Ainsi, par une interprétation dont on peine à saisir la logique, si ce n’est réserver de façon archaïque la parole à un corps, les avocats inscrits à un barreau ne peuvent s’exprimer dans les procédures de référé devant le Conseil d’Etat alors que leurs clients le peuvent. L’exemple est édifiant. I.6. S’étant déjà heurté, en tant que requérant ou en tant qu’avocat au barreau de Paris, à l’impossibilité de prendre la parole devant le Conseil d’Etat pour des recours dont il était pourtant l’auteur, l’exposant, soucieux de préserver le service public de la justice dans le respect de l’égalité entre tous les citoyens devant la justice et entre les avocats, a formé un recours gracieux auprès du Premier Ministre tendant à l’abrogation des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du Code de justice administrative (Production n° 1 : Recours gracieux du 22 décembre 2015).

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Ce recours, transmis au garde des sceaux (Production n° 3 : Courrier de transmission) étant demeuré sans réponse, une décision implicite de rejet est née le 23 février 2016.

D’où la présente requête par laquelle l’exposant demande l’annulation de la décision implicite de rejet du Premier Ministre en date du 23 février 2016 opposée au recours gracieux tendant à l’abrogation des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du Code de justice administrative, ainsi qu’il soit enjoint au Premier ministre de procéder à cette abrogation.

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II. DISCUSSION

Suite à la présentation du contexte juridique dans lequel s’insère la présente requête et de la procédure préalable, la discussion va maintenant porter sur le fond de la requête. De ce point de vue, après en avoir fixé le cadre juridique (II.1. Sur le cadre juridique) et présenté l’intérêt à agir de l’exposant (II.2. Sur l’intérêt à agir), différents moyens de légalité vont être développés à l’appui des conclusions à fin d’annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux en date du 22 décembre 2015. Il s’agira d’examiner successivement l’erreur manifeste d’appréciation entachant la décision (II.3 Sur l’erreur manifeste d’appréciation), la violation du droit à un recours effectif, des droits de la défense et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (II.4. Sur la violation du droit à un recours effectif, des droits de la défense et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme), la violation du principe d’égalité (II.5. Sur la violation du principe d’égalité), la méconnaissance du droit de l’Union européenne (II.6. Sur la méconnaissance du droit de l’Union européenne). Enfin, au-delà du monopole de la parole, le monopole dont dispose les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation paraît, dans son état actuel, incompatible avec le droit de l’Union européenne. Sera alors examinée l’inconventionnalité des articles 3, 3-1 et 3-2 de l’Ordonnance du 10 septembre 1817 et de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 sur lesquels se fondent les dispositions dont l’abrogation était sollicitée avec le droit de l’Union européenne (II.7. Sur l’inconventionnalité des articles 3, 3-1 et 3-2 de l’Ordonnance du 10 septembre 1817 et de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971).

II.1. Sur le cadre juridique II.1.1. Aux termes de l’article 16-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations :

« L'autorité compétente est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ».

Dans sa grande mansuétude, le gouvernement a codifié ces dispositions au sein d’un Code des relations entre le public et l'administration créé par l’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration. L‘article L. 243-2 de ce code dispose :

« L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. (…) ».

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Ces dispositions législatives sont venues consacrer la jurisprudence Compagnie Alitalia du Conseil d’Etat (CE, 3 février 1989, Compagnie Alitalia, Rec., p. 44). Dans le dernier état de sa jurisprudence en la matière, résultant d’un arrêt Fédération française de gymnastique (CE, 10 octobre 2013, Fédération français de gymnastique, n° 359219), le Conseil d’Etat juge que :

« l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ; que, toutefois, cette autorité ne saurait être tenue d’accueillir une telle demande dans le cas où l’illégalité du règlement a cessé, en raison d’un changement de circonstances, à la date à laquelle elle se prononce »

II.1.2. En l’espèce, la demande d’abrogation a pour objet des dispositions réglementaires du Code de justice administrative. En effet, selon le Conseil d’Etat, les dispositions relatives à la procédure administrative contentieuse relèvent du pouvoir réglementaire (CE, 2 juillet 1982, Assemblée, Huglo et autres, Rec. p. 258 ; CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France et autres, 188715). Le Conseil constitutionnel a confirmé que les dispositions de la procédure applicable devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution (Voir dernièrement Décision n° 2010-54 QPC du 14 octobre 2010). En l’espèce, c’est bien sur ces dispositions réglementaires que le Conseil d’Etat se fonde pour estimer que seule une catégorie d’avocat est susceptible de présenter des observations orales à une audience devant le Conseil d’Etat. Dit autrement, les énoncés compris dans ces articles sont interprétés par le Conseil d’Etat pour avaliser une pratique, sans doute bien plus ancienne. Dans les avis d’audiences adressés aux requérants, il est en effet précisé :

« En vertu des dispositions combinées des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du code de justice administrative, seuls les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation peuvent présenter des observations orales le jour de la séance du jugement » (Production n° 2 : Exemple d’avis d’audience).

Par conséquent, la demande d’abrogation de ces dispositions est parfaitement régulière. II.2. Sur l’intérêt à agir L’intérêt à agir de l’exposant n’est pas contestable.

Justiciable s’étant déjà heurté au monopole contesté par la présente requête, il a la double qualité de justiciable effectif et potentiel. Or, la jurisprudence a admis l’intérêt à agir des justiciables potentiels contre les mesures réglementaires en matière de justice (CE, 12 février 1960, Société Eky, Rec. p. 101 ; CE, 16 février 1979, Union des chambres syndicales d’affichage et de publicité extérieures, n° 01976 ; CE, 21 décembre 2001, M. et Mme Hofmann, Rec., p. 653).

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Il est également avocat au Barreau de Paris (Production n° 4 : Attestation). En tant qu’avocat de plein exercice il a intérêt à poursuivre l’annulation de la décision implicite refusant l’abrogation de dispositions réglementant la possibilité pour les requérants ou leurs mandataires de prendre la parole devant les formations contentieuses du Conseil d’Etat. L’exposant dispose ainsi d’un intérêt personnel, direct et certain à introduire la présente instance. II.3 Sur l’erreur manifeste d’appréciation II.3.1. L’exercice du pouvoir réglementaire d’application de la loi par la voie décrétale doit respecter le principe de légalité. L’administration est alors soumise à un contrôle du juge de l’excès de pouvoir.

Or, comme le relevait le commissaire du gouvernement G. Braibant dans ses conclusions sur un arrêt Librairie François Maspero (CE, 2 novembre 1973, Librairie François Maspero, JCP 1974.II.17642, conclusions G. Braibant, obs. R. Drago), « le pouvoir discrétionnaire comporte le droit de se tromper, mais non celui de commettre une erreur manifeste, c'est-à-dire à la fois apparente et grave ». Ainsi, le juge contrôle en tout état de cause que le pouvoir réglementaire ne commette pas d’erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la loi.

Le juge administratif a ainsi pu exercer le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la légalité de la liste des litiges jugés en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs.

II.3.2. En l’espèce, on imagine mal les considérations qui ont pu pousser le pouvoir réglementaire à interdire à toute autre personne que les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de s’exprimer à l’audience à part le rapporteur et le rapporteur public, lorsque cette audience ne porte pas sur un recours en cassation. Une telle restriction, qui n’est rattachable à aucune exigence d’intérêt général en lien avec la procédure administrative contentieuse, apparaît complétement en désaccord avec la pratique suivie devant les juridictions européennes, mais également avec la juridiction suprême française que constitue le Conseil constitutionnel. En effet, suite à l’adoption de la réforme de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008, devenue effective le 1er mars 2010, le Conseil constitutionnel a adopté un Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité. L’article 10 de ce règlement dispose :

« (al.1) À l'audience, il est donné lecture de la question prioritaire de constitutionnalité et d'un rappel des étapes de la procédure. (al.2) Les représentants des parties et des personnes dont les observations en intervention ont été admises, s'ils sont avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation ou avocats et, le cas échéant, les agents désignés par les autorités visées à l'article 1er, sont ensuite invités à présenter leurs éventuelles observations orales ».

Ainsi, alors que n’importe quel avocat peut défendre ses prétentions s’agissant de la validité de la loi, seule une catégorie déterminée d’avocats peut s’exprimer devant le Conseil d’Etat en matière d’excès de pouvoir où c’est la validité d’un acte administratif, soit théoriquement un acte subordonné à la loi, qui est en jeu.

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Aucune justification n’est apportée à ce régime particulier grossièrement discriminatoire. Il y a là, cela semble évident, une erreur manifeste d’appréciation du pouvoir réglementaire rendant illégale les dispositions dont l’abrogation est sollicitée. Elles seront abrogées de ce chef. II.4. Sur la violation du droit à un recours effectif, des droits de la défense et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme

II.4.1. Aux termes de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’appuyant sur l’article 13 de la Convention a fait une place de plus en plus importante au respect du droit au recours (CEDH, Grande Chambre, Kulda c/ Pologne, 26 octobre 2000, RTDH, 2002, p. 179 obs. Flauss).

Le Conseil constitutionnel a fait de même à travers l’interprétation de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Dans une décision du 9 avril 1996, le Conseil a consacré de façon générale « le droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction », qu’il déduit de l’article 16 de la déclaration de 1789 (Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, Rec., p. 43 ; AJDA, 1996, p. 371, note Schrameck ; RFDC, 1996, p. 594, note Renoux ; RDP, 1996, p. 953, note Luchaire). Dans la foulée, le Conseil d’Etat a qualifié le droit d’exercer un recours juridictionnel de « principe à valeur constitutionnelle » dans un arrêt du 29 juillet 1998 (CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France et autres, Rec., p. 313 ; AJDA, 1998, p. 1010, conclusions Schwartz). De son côté, la Cour de cassation a jugé que « la défense constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel ; que son exercice effectif exige que soit assuré l’accès de chacun, avec un défenseur, au juge chargé de statuer sur sa prétention » (Cass., Ass. Plén., 30 juin 1995, Bull., n° 4, p. 7). Par ailleurs, aux termes de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

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3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

Le droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction est aussi un principe qui découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 21 février 1975, Golder série A n° 18). Le Conseil d’Etat examine sur ces deux terrains le moyen tiré de l’atteinte au droit au recours (CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France et autres, Rec., p. 313). II.4.2. Dans ses conclusions sur l’arrêt Magerand (CE, 22 avril 2005, Magerand, n° 257406), A.-F. Roul relevait déjà que « l’obligation du ministère d’avocat dans certains cas, comme celui du recours en cassation par exemple, peut se justifier notamment par l’intérêt que présente pour le requérant l’aide d’un professionnel du droit ». A contrario, rien ne justifie, lorsqu’il n’y a pas d’obligation de recours à ce type d’avocat, que l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation conserve tout de même un privilège en matière de présentation d’observations orales à l’audience. Et c’est bien la position de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a déjà jugé (CEDH, 26 juillet 2002, Meftah c/ France, n° 32911/96, paragraphe 47) qu’: « il est clair que la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation, considérée dans sa globalité, peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole (…) et qu’une telle réserve n’est pas de nature à remettre en cause la possibilité raisonnable qu’ont les requérants de présenter leur cause dans des conditions qui ne les placent pas dans une situation désavantageuse ».

La Cour a transposé cette jurisprudence au Conseil d’Etat dans un arrêt Maillard c. France (CEDH, 6 décembre 2015, Maillard c/ France, Requête n° 35009/02 paragraphe 31 ; Voir également : CEDH, « Bassien-Capsa contre France », 26 septembre 2006, n° 25456/02 paragraphe 48) :

« La Cour considère qu’une telle jurisprudence est transposable en l’espèce. Elle estime en effet que, compte tenu du rôle qui est celui du Conseil d’Etat et eu égard aux procédures considérées dans leur ensemble, le fait de ne pas avoir offert au requérant l’occasion de plaider sa cause oralement et personnellement mais de lui avoir donné la possibilité de choisir un conseil parmi les membres de l’ordre des avocats aux Conseils, n’a pas porté atteinte à son droit à un procès équitable au sens des dispositions de l’article 6 de la Convention ».

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A contrario, rien ne vient justifier le maintien du monopole de la parole aux avocats au Conseil d‘Etat et à la Cour de cassation pour des recours dispensés du ministère d’avocat devant le Conseil d’Etat, c’est-à-dire des recours qui ne relèvent d’aucune « spécificité » procédurale, puisque tout un chacun peut les intenter. On fera valoir de ce point de vue que dans son opinion dissidente annexée à l’arrêt Meftah c/ France, le juge Loucaides relevait :

« Mon raisonnement s'appuie sur une prémisse très importante : dans le système juridique français, les demandeurs dont le pourvoi est porté devant la chambre criminelle de la Cour de cassation peuvent soit se faire représenter par un avocat appartenant au corps des avocats à la Cour de cassation, soit ne pas se faire représenter du tout. Ainsi qu'il est indiqué au paragraphe 46 de l'arrêt, certaines Hautes Parties contractantes à la Convention exigent la représentation par un avocat dans le cadre de procédures devant une juridiction suprême comparable. En ce cas, j'admets tout à fait qu'un tel système est compatible avec l'article 6 et que la question de la violation éventuelle de cet article ne se pose pas du fait que les demandeurs ne sont pas autorisés à s'adresser en personne à la juridiction concernée. La participation de toutes les parties à la procédure par l'intermédiaire d'un avocat les met en situation d'égalité et leur assure une participation effective comme parties grâce à leur avocat (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, p. 19, § 33). Toutefois, à partir du moment où le système admet qu'une partie puisse ne pas être représentée devant la Cour de cassation, l'équité requiert selon moi (Dombo Beheer B.V. précité) que ledit système mette cette partie dans la même situation qu'une partie représentée par un avocat pour ce qui est des droits et libertés. Si une partie est habilitée à participer à la procédure sans avocat, je ne comprends pas pourquoi le droit devrait la priver de l'un quelconque des droits dont bénéficient les parties qui choisissent de se faire représenter par un avocat. Elle peut de fait se trouver dans une situation moins avantageuse de par son manque de qualifications juridiques, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait limiter ses droits et rendre sa participation à la procédure moins effective que celle des autres parties à la procédure qui bénéficient d'une représentation en justice. Dans l'affaire en cause, il apparaît que le droit français lui-même mette bien sur un pied d'égalité les parties qui décident de ne pas prendre d'avocat et celles qui sont représentées par un avocat aux Conseils. En particulier, s'agissant de la possibilité d'être entendu par la Cour de cassation, une ordonnance du 15 janvier 1826, toujours en vigueur, dispose que les parties peuvent être entendues après en avoir obtenu la permission de la Cour. Cette ordonnance n'établit aucune distinction entre les parties représentées par un avocat et celles qui ne le sont pas. En pratique, toutefois, la Cour de cassation a défini dans sa jurisprudence établie un principe général voulant que les demandeurs non représentés par un avocat aux Conseils ne soient pas autorisés à prendre part à l'audience, quelles que soient les circonstances particulières de leur cause (paragraphes 26 et 27 de l'arrêt).

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C'est précisément ce principe général, appliqué aux requérants, qui a selon moi conféré à leur pourvoi en cassation un caractère inéquitable, contraire aux dispositions de l'article 6 de la Convention. En vertu de ce principe, la Cour de cassation n'a pu exercer, conformément à l'ordonnance précitée, son pouvoir discrétionnaire en vue de décider pour chaque affaire, sur la base des faits pertinents, si les requérants devaient ou non être entendus par elle. Les requérants ont donc été privés d'un avantage dont toute partie à une procédure doit normalement bénéficier ».

En l’espèce, l’effectivité du droit au recours peut être questionnée au regard de l’absence du droit de prendre la parole alors que, même si la procédure est écrite, il n’en demeure pas moins que la faculté de répondre au rapporteur public demeure l’un des éléments de modernisation de la justice administrative ces dernières années afin de dynamiser le rôle de l’audience et de donner davantage de poids à l’oralité. Ce poids bien réel, seuls les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et naturellement indirectement leurs clients, peuvent en bénéficier. De ce point de vue, il existe en réalité une violation du droit à l’égalité des armes, consacré par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention (CEDH, Borgers c/ Belgique, 30 octobre 1991, série A, n° 214-A). Dans un arrêt Cruz de Carvalho c/ Portugal (CEDH, 10 juillet 2007, Cruz de Carvalho c/ Portugal, Requête no 18223/04), la Cour a ainsi jugé que l’impossibilité pour un requérant qui n’était pas assisté d’un avocat dans le cadre d’une procédure ou cette représentation n’était pas obligatoire, de pouvoir plaider oralement sa cause alors que la partie adverse, représentée par un avocat, a pu le faire, constituait une violation de principe de l’égalité des armes et, partant, de l’article 6 paragraphe 1. II.4.3. Afin de mieux comprendre en quoi les dispositions dont l’abrogation est sollicitée méconnaissent profondément le droit à un recours effectif, les droits de la défense et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, un exemple permet de clarifier les choses. Dans un arrêt M. Toregrossa (CE, 30 novembre 2011, M. Toregrossa, n° 348161, AJDA, 2012, p. 659, note Dolez ; Constitutions, 2012, p. 60, note Levade), la Section du contentieux du Conseil d’Etat a jugé, aux conclusions contraires de son rapporteur public, que la requête déposée par le requérant électeur, qui n’avait pas besoin d’être représenté par un avocat dans ce contentieux et n’était pas représenté, avait été tardive de 17 heures, au prix d’une interprétation nouvelle et discutable de la loi et alors même que le rapporteur public concluait sur le fond au renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne relative à la situation de M. Brice Hortefeux. M. Brice Hortefeux était représenté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Celui-ci a pris la parole en début d’audience pendant 20 minutes, à l’invitation du président Stirn. Puis, après les conclusions contraires à ses observations prononcées par D. Botteghi, cet avocat a critiqué pendant 5 minutes le raisonnement suivi. Il était dans son rôle et de ce point de vue, on relèvera que des observations excédant 20 minutes ne se différencient pas réellement d’une plaidoirie. In fine, et sans que l’on sache si ces observations ont pu emporter la conviction du juge, la formation de jugement n’a pas suivi son rapporteur public.

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Dans tout ce processus qui se déroulait à l’audience, le grand absent était le requérant. Absent au sens de la procédure car il était bien physiquement présent, assis aux côtés de l’exposant (qui prenait des notes pour l’article qu’il préparait sur ce contentieux : JS Boda, « Le contentieux du remplacement des élus aux Parlement européen devant le Conseil d’Etat », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2013, n° 1, p. 3-26). Mais il n’avait pas le droit à la parole, pas le droit ne serait-ce que de manifester sa présence. Dans cette mesure, dès lors qu’aucun texte ne lui imposait d’être représenté par un avocat, mais que pour autant le défendeur, qui lui était représenté, a bénéficié de la prise de parole à l’audience de son conseil, il est patent que l’égalité des armes a été violée. On peut raisonnablement penser que dans ce genre de cas, le justiciable se sent écrasé par le poids des apparences, alors même que la théorie des apparences est si importante en droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Il a le sentiment que son droit au recours n’est pas pleinement effectif, sentiment qui peut s’autoriser de la situation de fait dans laquelle se déroule l’audience et de l’inégalité des armes entre les parties à cette audience. Rappelons, de ce point de vue, que d’après la Cour, « un obstacle de fait peut enfreindre la convention à l’égal d’un obstacle juridique » (CEDH, 21 février 1975, Golder c/ Royaume-Uni, série A, n° 18). A l’aune de ces considérations, en l’état de la jurisprudence, l’interprétation donnée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Mme Andas (CE, 8 février 1999, Mme Andas, n° 164175) paraît désormais obsolète. Il y a là, cela semble évident, une violation du droit à un recours effectif et des droits de la défense rendant illégale les dispositions dont l’abrogation est sollicitée. Elles sont, par surcroît, manifestement incompatibles avec les stipulations précitées des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elles seront abrogées de ce chef.

II.5. Sur la violation du principe d’égalité

II.5.1. De jurisprudence constante, le principe d’égalité implique que les administrés se trouvant placés dans une situation identique à l’égard d’une réglementation soient régis par les mêmes règles. Une différence de traitement peut être admise si elle est justifiée, soit par une différence de situation, soit par un motif d’intérêt général (CE, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire, Rec. p. 151 ; CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec., p. 274).

Ainsi, si l’administration a toujours la faculté d’introduire des distinctions justifiées par une différence de situation, le critère de différenciation doit être pertinent. Dans un arrêt Villemain (CE, 28 juin 2002, Villemain, Rec., p. 229), le Conseil d’Etat a précisé qu’une différence de traitement devait ne pas être manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation.

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Dans un arrêt Mme Duvignères (CE, 18 décembre 2002, Mme Duvignères, Rec., p. 463), le Conseil d’Etat a jugé, par un considérant de principe, plusieurs fois repris depuis, que « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier ».

Comme le relevait S. Boissard dans ses conclusions sur l’arrêt Villemain susvisé, le contrôle du juge sur la différence de traitement comporte deux aspects : « Il porte d’abord, et à titre principal, sur la pertinence du critère de différenciation retenu par l’administration. Il s’intéresse ensuite, à titre subsidiaire, à l’ampleur de la différence de traitement qui en résulte pour les intéressés ». De sorte que la jurisprudence relative au principe d’égalité impose à la fois que les administrés placés dans une situation identique reçoivent un traitement identique, et qu’en cas de différence de situation, la différence de traitement qui peut être opérée par l’administration soit en rapport avec l’objet de la norme l’instituant et ne soit pas manifestement disproportionnée. Dans la continuité de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel juge que la Constitution garantit l’égalité de tous les justiciables devant la justice. Il juge ainsi dans une décision du 22 octobre 2009 (Décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009) :

« Considérant que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable ».

Enfin aux termes de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui proscrit toute discrimination :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

Aucune discrimination n’est ainsi possible dans la jouissance des droits reconnus aux articles 6 et 13 de la Convention. II.5.2. En l’espèce, les dispositions litigieuses portent atteinte tant au principe d'égalité des citoyens devant la justice qu’au principe d’égalité entre avocats, auxiliaires de justice.

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II.5.2.1. En effet, si la nature du recours intenté devant le Conseil d’Etat avait un lien avec l’obligation pour les juges de n’ouïr que les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, alors cela serait le cas quelle que soit la juridiction appelée à connaitre du recours. Tel n’est pourtant pas le cas. La nature du recours est étrangère à cette pratique désuète et discriminatoire. Nonobstant la compétence de principe en premier ressort des tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat demeure compétent en premier et dernier ressort pour connaître de certains actes dont l’article R. 311-1 du Code de justice administrative dresse la liste. Cet article a été substantiellement remanié par le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative. De sorte que certains litiges qui ressortissaient à la compétence de premier ressort du Conseil d’Etat, ressortissent désormais à la compétence de premier ressort du Tribunal administratif de Paris. Le même litige, dont la nature n’est nullement modifiée, se voit donc appliquer des règles procédurales différentes selon que l’article R. 311-1 du Code de justice administrative est modifié ou non. Or, seule une différence de nature entre les litiges pourrait précisément venir justifier un traitement différent entre avocats représentants leurs clients. En effet, l’article R 431-2, applicable aux recours formés en premier ressort devant le Tribunal administratif, fait dépendre le ministère d’avocat de l’objet de la requête. Il dispose ainsi :

« Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né d'un contrat. La signature des requêtes et mémoires par l'un de ces mandataires vaut constitution et élection de domicile chez lui ».

Dans ce cadre, alors que pour le même litige, seul un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pourra prendre la parole devant le Conseil d’Etat, une simple évolution de l’article R. 311-1 suffira pour permettre à tout avocat, et même dans certains cas au requérant lui-même, de s’exprimer devant le juge pour plaider sa cause et tenter éventuellement de discuter l’argumentation du rapporteur public. Et pourtant, tout juriste sait à quel point il est parfois difficile de savoir si, en application de ces dispositions, la contestation d’un acte est de la compétence du Conseil d’Etat ou du Tribunal administratif de Paris. II.5.2.2. Prenons l’exemple des décisions du président de la République pour illustrer cela. Le Conseil d’Etat a déjà rejeté au fond une requête dirigée contre l'arrêté par lequel le président de la République nomme un conseiller technique au secrétariat général de la présidence (CE, 5 mai 1976, USACA-CFDT, n° 96308, Rec., p. 228).

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De la même manière, dans un arrêt Avrillier du 4 avril 2001 (CE, 4 avril 2001, Avrillier, n° 223135, Droit administratif, 2001, com. 173, obs. R. S.), il a rejeté au fond une requête dirigée contre l'arrêté par lequel le président de la République nommait l'un de ses conseillers. Si le rejet au fond ne permet pas de conclure que les requêtes ont été jugées recevables, les conclusions de R. Schwartz sur l’arrêt Avrillier attestent cette interprétation. Il indiquait en effet que l’article R. 311-1 codifiant des dispositions antérieures à 1958, vise en réalité tous les actes du président de la République. Ce type de raisonnement ne fait toutefois pas l’unanimité au sein du Conseil d’Etat : dans ses conclusions sur l’arrêt Association Greenpeace France (CE, 29 septembre 1995, Association Greenpeace France, n° 171277 ; AJDA, 1995 p. 749 ; RDP, 1996, p. 256, conclusions Sanson) relatif à la décision du président de la République de reprendre les essais nucléaires, M. Sanson mettait en avant l’importance de la forme prise par l’acte présidentiel pour savoir s’il ressort de la compétence du Conseil d’Etat. De même, dans un jugement du 5 juillet 1996 (TA Paris, 5 juillet 1996, Comité Tous Frères, n° 9300290/7 et 9519231/7), le Tribunal administratif de Paris avait estimé que les décisions fantaisistes du président de la République de faire fleurir la tombe du Maréchal Pétain ne faisaient pas griefs. Si le Conseil d’Etat a censuré cette qualification en cassation, il n’a néanmoins nullement remis en cause la compétence en premier ressort du Tribunal administratif. Dès lors, un certain flou contentieux existe sur l’interprétation qu’il convenait de donner de l’article R.311-1 du Code de justice administrative et donc sur la juridiction compétente pour connaître d’une telle décision et ce n’est pas l’arrêt M. Dosière qui a aidé à y voir définitivement plus clair (CE, 26 avril 2013, M. Dosière, n° 358456). Rappelons en effet que dans ce dossier, M. Dosière n’a pu être entendu par le Conseil d’Etat à l’audience puisqu’il n’avait pas d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Mais le rapporteur public concluant au transfert de sa requête au Tribunal administratif de Paris, il aurait eu tout loisir de s’expliquer devant ce Tribunal. Las ! le Conseil n’a pas suivi son rapporteur public et a rejeté la requête sans entendre le requérant, pour défaut d’intérêt à agir. La possibilité de s’exprimer devant le juge peut donc ne tenir qu’à une interprétation disputée d’un texte. A travers ce simple exemple (il en existe bien d’autres) on constate que c’est de façon purement arbitraire qu’un administré pourra prendre la parole à l’occasion d’un recours ou voir son avocat prendre la parole, ou être obligé pour cela d’être représenté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. En définitive, des justiciables placés dans la même situation sont donc traités différemment, ans qu’aucune logique ne vienne justifier cette différence de traitement.

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II.5.2.3. De la même manière, des avocats placés dans une situation identique face à un recours se trouvent traités différemment sans aucune base textuelle. Sur ce point, on peut citer un avocat présentant cette situation (E. Sagalovitch, « Le procès du décret (REP) à des années-lumière du procès de la loi (QPC) », Gazette du Palais, 25 octobre 2011 n° 298, p. 14) :

« Le prétoire du Conseil constitutionnel est ouvert, de manière identique, aux avocats à la cour et aux avocats au Conseil d'État et la Cour de cassation. Ces deux auxiliaires de justice peuvent donc tous deux présenter des observations orales. L'article 10 du règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC énonce sobrement que les représentants des parties, s'ils sont avocats aux Conseils ou avocats à la cour, peuvent présenter des observations orales. Ce traitement égalitaire contraste singulièrement avec celui réservé aux avocats à la cour lorsqu'ils instruisent pour le compte de leurs clients des recours en annulation de décrets. On rappellera, pour le regretter, que l'avocat à la cour n'a toujours pas la possibilité de présenter des observations orales. En effet, l'article R. 733-1 du Code de justice administrative confère un monopole de la plaidoirie aux avocats aux Conseils. Ce même traitement discriminatoire est appliqué à l'avocat à la cour lorsqu'il dépose, en application de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, une requête en référé-suspension contre un décret alors que la procédure de référé est écrite et orale. Bon nombre ont vécu cette situation ubuesque lors des audiences de référé-suspension devant le Conseil d'État. L'agent public qui représente le ministre, l'avocat aux Conseils pour le compte de la partie intervenante, et enfin, le requérant ou son représentant s'il est une personne morale peuvent prendre la parole. Mais l'avocat à la cour qui peut assister à l'audience (les audiences sont publiques !) doit céder la parole à son client et est réduit au silence ! Encore convient-il de préciser qu'avant l'audience de référé, la greffière aura appelé deux fois l'avocat à la cour pour lui rappeler qu'il ne pourra pas présenter d'observations orales et que le conseiller d'État, juge des référés, commencera son audience en indiquant à l'avocat à la cour qu'il ne pourra pas s'exprimer ».

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L’exposant souhaite également citer ici la remarque suivante de cet auteur figurant en note de bas de page et qui paraît des plus instructive :

« Il en va de même lorsqu'il soulève devant le Conseil d'État une QPC au soutien d'un recours en annulation contre un décret. À l'audience de QPC, il lui est interdit de présenter des observations orales devant le Conseil d'État, et ce, malgré la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 décembre 2009 (cons. 28) relative à l'exigence du procès équitable pour le traitement de la QPC devant les deux hautes juridictions : « Considérant que les dispositions des articles 23-4 à 23-7 doivent s'interpréter comme prescrivant devant le Conseil d'État et la Cour de cassation la mise en œuvre de règles de procédure conformes aux exigences du droit à un procès équitable, en tant que de besoin complétées de modalités réglementaires d'application permettant l'examen, par ces juridictions, du renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, prises dans les conditions prévues à l'article 4 de la loi organique ; que, sous cette réserve, le législateur organique n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence » (Cons. const., 3 déc.2009, no 2009-595 DC : JO 11 déc. 2009, p. 21381) ».

L’inégalité de traitement entre avocats est de ce point de vue patente lorsque l’on considère la place faite aux avocats devant le Conseil constitutionnel au cours d’une procédure de question prioritaire de constitutionnalité. En effet, suite à l’adoption de la réforme de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008, devenue effective le 1er mars 2010, le Conseil constitutionnel a adopté un Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité. L’article 10 de ce règlement dispose :

« (al.1) À l'audience, il est donné lecture de la question prioritaire de constitutionnalité et d'un rappel des étapes de la procédure. (al.2) Les représentants des parties et des personnes dont les observations en intervention ont été admises, s'ils sont avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation ou avocats et, le cas échéant, les agents désignés par les autorités visées à l'article 1er, sont ensuite invités à présenter leurs éventuelles observations orales ».

Ainsi tout avocat peut défendre ses écritures lorsqu’il conteste la validité d’une loi devant le Conseil constitutionnel, institution juridictionnelle dont l’article 62 de la Constitution prévoit que ses décisions « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles », donc également au Conseil d’Etat, mais seule une catégorie particulière d’avocat peut défendre ses écritures lorsque c’est de la contestation d’un décret dont il s’agit, voire d’un simple arrêté ministériel. On peut difficilement juger qu’il existe une spécificité propre à la procédure applicable devant le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat qui justifierait une telle différence de traitement entre les avocats et les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, c’est-à-dire que ces deux catégories pourraient objectivement s’exprimer devant le Conseil constitutionnel mais pas devant le Conseil d’Etat.

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Plus absurde et injustifiable, l’avocat inscrit à un barreau qui soulève une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d’Etat ne pourra pas la défendre à l’oral : seul un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pourra le faire à raison des dispositions dont l’abrogation est sollicitée. Mais si la question est transmise au Conseil constitutionnel, alors l’avocat pourra la défendre de nouveau, c’est-à-dire à l’audience la plus importante puisqu’elle ne décidera pas d’une simple transmission mais de l’éventuelle abrogation de la loi. Si les textes ont une logique, l’avocat est donc incapable de présenter des observations orales sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais il est tout à fait capable de le faire s’agissant de l’abrogation de la loi. C’est une logique Kafkaïenne qui – faut-il le préciser – ne saurait tenir lieu d’objectif ou de nécessité d’intérêt général.

Il est donc patent que les dispositions dont l’abrogation est sollicitée sont contraires au principe d’égalité. Elles sont par surcroît manifestement incompatibles avec les stipulations précitées de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme dans la mise en œuvre des droits reconnus aux articles 6 et 13 de cette convention. Elles seront abrogées de ce chef.

II.6. Sur la méconnaissance du droit de l’Union européenne La Directive 98/5/CE du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise s’applique tant aux avocats exerçant à titre indépendant qu’à ceux exerçant à titre salarié dans l’État membre d’origine ou dans l’État membre d’accueil. Elle prévoit en préambule :

« (11) considérant que, pour assurer le bon fonctionnement de la justice, il y a lieu de laisser aux États membres la faculté de réserver, par des règles spécifiques, l'accès à leurs plus hautes juridictions à des avocats spécialisés, sans faire obstacle à l'intégration des avocats des États membres qui rempliraient les conditions requises »

Elle prévoit à son article 5 que « dans le but d'assurer le bon fonctionnement de la justice, les États membres peuvent établir des règles spécifiques d'accès aux cours suprêmes, telles que le recours à des avocats spécialisés ». La Cour de justice des communautés européennes a pu juger de la validité de cette directive dès lors que par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mai 1998, le grand-duché de Luxembourg en a demandé l'annulation. Cependant, l’arrêt du 7 novembre 2000 (CJCE, 7 novembre 2000, Grand-Duché de Luxembourg, aff. 168/98), s’il énonce l’existence de la réserve énoncée à l’article 5 p. 3 de la directive de 1998, n’en contrôle pas la validité qui n’était pas remise en cause par le requérant. La lecture des conclusions prononcées sur cet arrêt par l’avocat général M. Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer atteste que ce point n’a pas fait débat. De sorte qu’en réalité, d’une part le principe de règles spécifiques pour l’accès aux hautes juridictions n’a pas été expressément validé. D’autre part, il n’a pas fait l’objet d’une interprétation permettant de savoir ce que doivent recouvrir ce type de règles spécifiques. L’arrêt n’est donc pas d’un grand secours en l’espèce.

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Et il importe de façon générale de relever que la locution « règles spécifiques » n’autorise pas toute règle spécifique. En l’espèce, il est patent que dès lors que le recours à des avocats spécialisés n’est pas obligatoire pour certains recours, les dispositions dont l’abrogation est sollicitée constituent une discrimination contraire à cette directive et aux règles fondamentales du Traité sur le fonctionnement de l‘Union européenne. Elles seront abrogées de ce chef. II.7. Sur l’inconventionnalité des articles 3, 3-1 et 3-2 de l’Ordonnance du 10 septembre 1817 et de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 Il y a lieu de relever l’incompatibilité des articles 3, 3-1 et 3-2 de l’Ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement, le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre ainsi que l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques avec les règles issues du droit de l’Union européenne. En effet, ces dispositions, qui ont toutes une nature législative, réservent le monopole de l’accès aux Cours suprêmes que sont le Conseil d’Etat et la Cour de cassation à un corps d’avocat particulier, ayant le statut d’officier ministériel. II.7.1. La possibilité d’invoquer l’incompatibilité d’une loi au regard de stipulations internationales, ouvrant la voie au contrôle dit de conventionnalité, est largement ouverte. Le moyen peut être soulevé à l’égard de toute loi sur laquelle entend se baser l’acte contesté (Sur la possibilité de contester la loi relative à l’élection des représentants du Parlement européen à l’occasion d’un litige électoral relatif à cette élection, voir CE, 20 octobre 1989, Nicolo, Rec., p. 190, conclusions Frydman). En l’espèce, il ne fait guère de doute que le refus d’abroger les dispositions en cause est fondé sur l’existence de dispositions législatives assurant un monopole aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation en tant qu’officiers ministériels. II.7.1.1. La Cour de justice de l’Union a depuis longtemps dégagé un principe de primauté du droit de l’Union européenne, aujourd’hui intégré dans les traités, en vertu duquel elle s’assure de l’effectivité du droit de l’Union. Elle a décidé dans l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 (CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’Etat c. SA Simmenthal, Affaire 106/77, Rec., p. 629, RTDE, p. 540, conclusions Reischl), qu’« en vertu du principe de primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et des actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des Etats membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore – en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des Etats membres – d’empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires ».

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Dès lors, selon la Cour, « le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ». Le principe de primauté se voit ainsi conférer une portée imposant des obligations précises aux juges nationaux.

Dans ses conclusions sur cet arrêt, l’avocat général Reischl avait affirmé que les normes nationales incompatibles avec les normes communautaires devaient être suspendues dans l’immédiat, sans attendre leur abrogation par le législateur « ou sans que leur inconstitutionnalité doive être constatée par la Cour constitutionnelle » et il avait bien insisté sur le fondement de cette obligation en affirmant que le principe de primauté « ne doit pas son existence au droit constitutionnel national, même si une telle base constitutionnelle était nécessaire pour la fondation de la Communauté », mais qu’il « résulte au contraire du droit communautaire autonome, et notamment des structures et des fonctions de celui-ci ».

Ces principes ont notamment été réaffirmés par l’arrêt Melki et Abdeli (CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, Affaires jointes C 188/10 et C 189/10). II.7.1.2. Le juge administratif est, en vertu des traités fondateurs de l’Union européenne, juge de droit commun du droit de l’Union européenne. Dans ce cadre, il interprète le droit national à la lumière du droit de l’Union européenne (CE, 22 décembre 1989, Ministre du budget c/ Cercle militaire mixte de la caserne Mortier, n° 86113). Il doit surtout écarter les normes internes contraires à des normes de droit primaire ou de droit dérivé de l’Union européenne. Le juge doit ainsi écarter l’application de la loi incompatible avec une norme européenne : si un acte administratif repose sur une disposition législative contraire au droit de l’Union, il est dépourvu de base légale et annulé. En vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne, la norme de droit de l’Union invoquée pour écarter le droit national peut être ou non d’effet direct (CE, 11 avril 2012, GISTI, n° 322326). En vertu du même principe, l’administration doit s’abstenir de prendre un règlement d’application d’une disposition législative contraire aux objectifs d’une directive (CE, 24 février 1999, Association de patients de la médecine d’orientation anthroposophique, n° 195354). Il lui revient de « donner instruction à [ses] services de n'en faire point application » (CE, 30 juillet 2003, Association « L'Avenir de la langue française », n° 245076). Cette jurisprudence a ensuite été étendue à l’ensemble des lois méconnaissant les engagements internationaux de la France (CE, 16 juillet 2008, M. Masson, n° 300458).

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II.7.2. La France est l’un des seuls pays au monde à avoir conservé le statut d’officier public ou ministériel. Les derniers États européens ayant abandonné ce statut l’ont fait au XIXe siècle qu’il s’agisse par exemple de l’Espagne ou des États pontificaux.

La France demeure une exception en Europe, elle est le seul pays où existe un ordre spécialisé, bénéficiaire d’une exclusivité. Comme le relève le député P. Cheki dans l’exposé des motifs de son projet d’amendement à la loi macron (cf supra) :

« La France est le seul pays au monde à maintenir encore en 2015 un dispositif d'origine monarchique, constitué par l'existence d'un corps d'officiers ministériels qui jouit du monopole de représentation devant le Conseil d'État et la Cour de cassation. Constitué d'une centaine de professionnels nommés à vie par le Garde des Sceaux, ce barreau, encore régi à ce jour par une ordonnance royale de 1817, jouit du monopole de représentation devant le Conseil d'État et la Cour de cassation. Nul ne peut exercer la profession s'il n'est titulaire d'un office ou membre d'une société civile professionnelle titulaire d'un tel office, autrement dénommé « charge », bien que ces avocats ne participent en aucune façon à l'exercice de l'autorité publique ».

Le « modèle français », louable sans doute et qui a pu paraître profitable, n’est plus adapté au service public de la justice. D’une part il méconnaît la liberté de prestation de service, d’autre part il crée une inégalité de traitement au sein de la profession d’avocat. Il empêche par ailleurs que le libre jeu de la concurrence ne permette un ajustement des coûts entre l’offre et la demande, au détriment du justiciable. II.7.2.1. Les articles 49 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne garantissent la liberté d’établissement au sein de chaque Etat membre. Les articles 56 et suivants garantissent la libre prestation de services. La Cour de justice fait application de ces stipulations avec une grande rigueur (Voir dernièrement CJUE, 28 janvier 2016, Rosanna Laezza, Aff.C‑375/14). Si le Traité prévoit des exceptions s’agissant des activités participant à l'exercice de l'autorité publique, tel n’est pas le cas de l’activité d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. De manière générale, les mesures nationales restreignant les libertés fondamentales du traité doivent s’appliquer de manière non discriminatoire, être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et être strictement proportionnées à cet objectif (Voir CJCE, 30 novembre 1995, Gebhard, Aff. C-55/94). La pleine application des règles du traité et la pleine effectivité du droit de l’Union supposent non seulement la suppression de toute discrimination selon la nationalité mais encore, si l'on veut que ces libertés soient exercées efficacement, l'adoption de mesures propres à en faciliter l'exercice.

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II.7.2.2. La Directive 98/5/CE du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise s’applique tant aux avocats exerçant à titre indépendant qu’à ceux exerçant à titre salarié dans l’État membre d’origine ou dans l’État membre d’accueil. Elle prévoit en préambule :

« (11) considérant que, pour assurer le bon fonctionnement de la justice, il y a lieu de laisser aux États membres la faculté de réserver, par des règles spécifiques, l'accès à leurs plus hautes juridictions à des avocats spécialisés, sans faire obstacle à l'intégration des avocats des États membres qui rempliraient les conditions requises »

Elle prévoit à son article 5 que « dans le but d'assurer le bon fonctionnement de la justice, les États membres peuvent établir des règles spécifiques d'accès aux cours suprêmes, telles que le recours à des avocats spécialisés ». La Cour de justice des communautés européennes a pu juger de la validité de cette directive dès lors que par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mai 1998, le grand-duché de Luxembourg en a demandé l'annulation. Cependant, l’arrêt du 7 novembre 2000 (CJCE, 7 novembre 2000, Grand-Duché de Luxembourg, aff. 168/98), s’il énonce l’existence de la réserve énoncée à l’article 5 p. 3 de la directive de 1998, n’en contrôle pas la validité qui n’était pas remise en cause par le requérant. La lecture des conclusions prononcées sur cet arrêt par l’avocat général M. Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer atteste que ce point n’a pas fait débat. De sorte qu’en réalité, d’une part le principe de règles spécifiques pour l’accès aux hautes juridictions n’a pas été expressément validé. D’autre part, il n’a pas fait l’objet d’une interprétation permettant de savoir ce que doivent recouvrir ce type de règles spécifiques. L’arrêt n’est donc pas d’un grand secours en l’espèce. En tout état de cause, l’existence de règles spécifiques n’induit pas nécessairement l’existence d’un système d’office ministériel. Ce type de système ne serait valide qu’aux conditions posées par la jurisprudence Gebhard. II.7.2.3. Un simple regard vers les conclusions du rapport d’information déposé, en application de l’article 145 du Règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les professions juridiques réglementées permet de comprendre que l’existence d’un système d’office ministériel ne se justifie plus pour la profession d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. De façon générale, la recommandation n° 2 de ce rapport proposait de « supprimer la charge d’officier ministériel des avocats aux conseils (et donc leur droit de présentation) en contrepartie d’une indemnisation ; maintenir un barreau spécialisé afin que soient préservés les liens utiles entre les avocats aux conseils et les juridictions suprêmes ; organiser un concours exigeant permettant d’augmenter le nombre de ces avocats dans la limite d’un numerus clausus (par exemple de 240 professionnels, comme le permet le décret du 5 juin 2013), susceptible d’être révisé ».

Une telle proposition reposait sur des arguments.

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Le rapport relève ainsi que « certains chiffres révèlent une relative fermeture de la profession dont la moyenne d’âge est assez élevée (54,2 ans en 2013) et le taux de féminisation assez faible (22,8 % la même année) ».

Le rapport relève également que « Si les 108 officiers ministériels membres de la profession d’avocat aux conseils parviennent aujourd’hui à faire face aux 40 000 pourvois jugés par la Cour de cassation et le Conseil d’État en 2014, c’est en grande partie grâce au renfort de collaborateurs qui sont soit des avocats à la cour (et c’est le cas le plus fréquent), soit des universitaires (professeurs de droit, maîtres de conférences, docteurs ou doctorants en droit). Votre rapporteure estime que le fait qu’autant d’avocats assistent les avocats aux conseils dans leurs tâches d’élaboration des mémoires conforte l’idée que le nombre actuel d’avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État est insuffisant au regard du développement des contentieux ». Ce faisant, le rapport témoigne non seulement de l’absence de justification du nombre actuel d’avocats au conseil d’Etat et à la Cour de cassation mais également de la faible distinction existant en réalité entre cette profession et celle d’avocat : ce sont essentiellement des avocats qui travaillent dans les cabinets d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Parfois, de simples docteurs en droit ou doctorants font des dossiers. Il existe une porosité très importante entre les deux professions matériellement, mais celle-ci est gommée formellement par le jeu des statuts et du monopole gravé dans l’ordonnance de 1817. Le rapport relève encore « les missions des avocats aux conseils ne diffèrent pas si fondamentalement de celles des avocats qu’il soit nécessaire et utile de leur octroyer le statut d’officier ministériel (et le droit de présentation qui lui est attaché) ». Il juge que « rien ne justifie en revanche l’octroi d’un statut d’officier ministériel aux avocats aux conseils ni celui d’un droit de présenter leur successeur à l’agrément du garde des Sceaux ». Concrètement, seule l’existence d’une spécialisation adaptée pour la cassation paraît hors de débat. Celle-ci n’impose cependant ni l’existence d’offices ministériels, ni celle d’un ordre spécialisé. C’est une aptitude qui doit être vérifiée, celle que vérifie actuellement le Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat aux Conseils. Mais le statut d’office ministériel et les enjeux financiers qu’il préssupose, au-delà du phénomène de cooptation qu’il entraîne, est une barrière disproportionnée à la libre concurrence, à la liberté de prestation et à l’égalité entre avocats.

De telle sorte qu’en l’état, il est établi que les dispositions législatives régissant le monopole des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation restreignent les libertés fondamentales d’établissement et de libre prestation de service en faisant sortir du champ concurrentiel sans justification une partie des activités de représentation en justice. Ces dispositions ne garantissent la réalisation d’aucune raison impérieuse d’intérêt général, elles ne sont donc pas propres à poursuivre un objectif raisonnable et acceptable et sont, par essence, disproportionnées dans leur effet. Il convient d’en écarter l’application et d’annuler le refus d’abroger les articles du Code de justice administrative dont l’abrogation a été sollicitée et qui sont fondés sur ces dispositions législatives.

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Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les dispositions des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du Code de justice administrative sont illégales. En conséquence, le refus de les abroger l’est également et sera annulé. Conformément aux dispositions de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, il sera enjoint au Premier Ministre de procéder à l’abrogation des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du Code de justice administrative.

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BORDEREAU DE PRODUCTIONS

Production n° 1 : Recours gracieux en date du 22 décembre 2015 Production n° 2 : Exemple d’avis d’audience Production n° 3 : Courrier de transmission Production n° 4 : Attestation