histomag'44 N°65

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    Il est bon de temps autre de marquer un temps darrt, pas trop long de prfrence, juste ce quil faut pour dresser le bilan dune route dj longue, parseme de succs, mais aussi de dsillusions, dchanges qui en appellent dautres, dinterrogations, de remises en questions, de divergences et dunion sacre. Cest cet ensemble dheurs et malheurs qui ponctue la vie sous toutes ses formes et qui nous apprend apprcier le plaisir et les moments privilgis. Voil maintenant presque neuf ans quun petit magazine sans prtention voyait le jour sous le nom de Mag44 , reprsentant dune espce disparue et qui aujourdhui a cd sa place une nouvelle re, celle dun magazine de 80 pages, bimestriel, toujours gratuit et toujours ralis avec passion. Entre ce premier numro et celui que vous tes en train de savourer, des noms illustres se sont succds dans nos colonnes : Marc Levy, Ian Kershaw, Daniel Costelle, Antony Beevor, Franois Delpla, Jean Luc Leleu et bien dautres encore.

    Parti de presque rien, une ide furtive, votre magazine a grandi, muri, a pris du volume au fil des mois et des annes pour devenir aujourdhui un incontournable du net historique et son engouement ne se dment aprs neuf ans puisque Dominique Lormier rallonge la liste des auteurs succs qui se sont pris au jeu dun joyeuse quipe dallums qui arrive toujours stonner de retomber sur ses pattes en ne se prenant jamais au srieux. Le forum do provient cette synergie a lui aussi grandi, a connu des soires torrides et explosives autour de dbats enflamms, des vagues lme suivis par de folles envoles, il est tout simplement vivant, rsolument humain et sensible aux atmosphres. Son me est faite dun exotique mlange de ceux qui le hantent, qui laident respirer et qui lui communiquent leurs passions et leurs doutes, leurs projets et leurs craintes. Il nest que le prolongement vivant dune communaut qui ne demande qu partager et qui souhaite user ses galoches sur ce chemin tellement usit que ses pavs sont devenus patins et luisants.

    On aurait pu ne rien faire dautre, se contenter dun magazine devenu rfrence et dun forum devenu un monument du net historique. Mais il fallait faire autre chose, crever lcran, balayer pseudos et claviers pour mieux affirmer quelle point la vie coulait dans les mandres des topiques et des thmes. Une association est ne en fvrier 2009, alors que cinq ans plus tt, dj, une toute petite dlgation nouait le contact lors des toutes premires journes du forum, qui fteront en juin prochain leurs 7me ditions, vritable creuset de la force qui a si souvent permis de raliser limpossible et limpensable. Le 6 juin 2010, une tape supplmentaire sera franchie avec linauguration dun site de mmoire complet et pdagogique au sud de CAEN, arrach avec lnergie du diable loubli et bti

    pierre par pierre, sans le moindre denier public, avec un soupon de folie douce et beaucoup de volont. Les pseudos ont crev lcran depuis maintenant longtemps, et dun univers premire vue virtuel a surgit un torrent dhommes et de femmes anim par une nergie commune. Voil o nous en sommes.

    Laventure continue pour cette arche de No, qui a presque fait le tour du monde, affront temptes et cyclones, a aussi tangu pour se retrouver finalement toujours l, vivante et anime dune indicible envie de continuer carquiller les yeux devant ses propres rves, y compris les plus insenss. Le travail entrepris depuis de longues annes donn naissance de nouveaux horizons, indispensables toujours considrer chaque chose sous un angle novateur. Peut tre connaitrons nous dautres temptes ou affronteront nous de nouveaux cueils, il sagira de les endurer et de courber le dos avec philosophie, car rien nest jamais linaire, nous ne sommes aprs tout que des humains, la merci dlments qui nous dpassent et infiniment plus puissants. Mais rien, jamais rien ne pourra venir bout dune modeste embarcation qui garde lhistoire pour passion et lamiti pour gouvernail.

    A la prochaine.

    Ldito Par Stphane Delogu

  • Spcialiste reconnu de lhistoire des Coloniaux , Julien Fargettas est doctorant l'universit d'Aix-Marseille et prpare une thse intitule Entre lgendes et ralits des soldats mconnus. Les tirailleurs sngalais de la Seconde Guerre mondiale. Publications : Les massacres de mai et juin 1940 in La campagne de 1940, Paris, Tallandier, 2000. Les tirailleurs sngalais dans la campagne de mai et juin 1940 , in Les troupes de marine dans larme de terre. Un sicle dHistoire. 1900-2000, Paris, Lavauzelle, 2001). Der andere Feldzung von 1940 : Das Massaker an den Schwarzen Soldaten , Zwischen Charleston und Sterschritt. Schwarze im Nationalsozialismus, Hambourg, Dlling und Galitz Verlag. La rvolte des tirailleurs sngalais de Tiaroye , Vingtime sicle, Revue dHistoire, n92, octobre-dcembre 2006, Presses de Science-Po. Distinction : 2000, Prix Marcel Paul de la Fdration Nationale des Interns Rsistants et Patriotes pour le mmoire de matrise Le massacre des soldats du 25me Rgiment de tirailleurs sngalais. Rgion lyonnaise. 19 et 20 juin 1940 . Il a aimablement accept de nous confier cet article passionnant et lquipe dHistomag44 len remercie. Daniel Laurent

    Durant les annes 2000, August von Kageneck connut un succs de librairie en livrant ses souvenirs personnels de la Seconde Guerre mondiale. Celui qui fut lieutenant de Panzer participa la campagne de France dans une unit de cavalerie traditionnelle. Une campagne que lofficier dcrit alors sans accroc dans le domaine de la discipline et du respect de ladversaire, encensant limpeccable attitude de ses camarades de combat, gnreux avec les vaincus , qui staient battus avec les honneurs [] et en respectant les accords de Genve 1. Et de se remmorer sa propre punition car sa jument avait endommag un pr lors dune divagation nocturne. Une telle description est dautant plus notable quelle sinscrit dans une rflexion plus large de lauteur autour de la responsabilit de la Wehrmacht dans les crimes commis sur le font de lEst partir de juin 1941. Conformment lopinion gnrale, la campagne de France aurait donc t sans bavure. Une campagne propre livre entre deux adversaires qui avaient appris se connatre et donc se respecter lors de la Grande Guerre. Une perception largement admise en France mme o la mmoire commune rejette cet effondrement gnral et prfre se cantonner aux images dEpinal dlivres par certaines productions cinmatographiques telle que la fameuse 7me Compagnie . La France na pas pu, su ou voulu revenir sur ce drame national qui fut, qui plus est, lorigine de lOccupation, du rgime de Vichy et de lensemble des dchirements et des tragdies quils engendrrent. Les historiens ont coutume de parler de Trauma propos de 1940. La caractristique premire de ce traumatisme est certainement lamnsie.

    Dans ce contexte, lhistoriographie de la campagne militaire de mai et juin 1940 sest longtemps cantonne aux tudes tactiques et stratgiques ou bien encore celle des stocks et de la qualit des armements de chacun des deux camps. La victoire allemande fut dabord longtemps perue comme celle dune arme jeune et enthousiaste pratiquant la Blietzkrieg face une arme franaise dpasse, englue dans les penses anciennes et dont les soldats ne voulaient pas se battre. Peu importaient le bilan des pertes et les 92 000 morts franais en 45 jours de combats. Ds lors, puisque lon tait convaincu que cette guerre fut Drle , comment imaginer quelle ait pu engendrer un cortge datrocits linstar de nombre de campagnes livres par larme allemande au cours du conflit ? Les historiens, franais comme trangers, ont longtemps cart le fait que la campagne de 1940 fut galement une guerre de soldats, dadversaires et dhommes. En consquence, trs peu dtudes partirent la recherche de ces combattants de 1940 2. Les tmoignages issus du terrain sont pourtant loquents. Les archives franaises reclent de dizaines de comptes-rendus et de rapports dofficiers et de sous-officiers relatant des combats acharns parfois suivis dexactions. A commencer par les rapports des cadres des units coloniales. Car cest l

    Les massacres des soldats noirs de 1940 : Plaidoyer pour une nouvelle approche de 40

    Par Julien Fargettas

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  • lune des particularits de la campagne. A lissue des combats et dans les premiers temps de la captivit, les soldats noirs sont victimes dexactions en tout genre de la part des troupes allemandes : Excutions sommaires, massacres, fusillades, assassinats de blesss, brimades, mauvais traitements. A tel point quaujourdhui encore il est impossible de dresser prcisment ltat des pertes des units coloniales et, surtout, de savoir dans quelles circonstances exactes nombre de tirailleurs tombrent pour la France.

    Jamais La Colo navait particip aussi massivement leffort de guerre mtropolitain. LEmpire tait alors peru comme un recours face une Allemagne agressive et la dmographie plus nergique. Et les propagandes de lpoque dvoquer une France de 100 millions dhabitants afin de rassurer une population franaise finalement peu encline une nouvelle guerre. La mobilisation en A.O.F. et A.E.F fut massive et sans incident significatif3. Les contingents de tirailleurs commencrent tre transfrs en mtropole partir de lautomne 1939 et, en mai 1940, les Sngalais forment lossature de 8 divisions dinfanterie coloniale au sein de rgiments de tirailleurs sngalais (R.T.S.) et de rgiments dinfanterie coloniale mixte sngalais (R.I.C.M.S.). Les troupes noires formaient alors une composante de larme franaise trs redoute par le soldat allemand qui les avait dcouverts lors de la Grande Guerre. Engags ds 1914, les tirailleurs se distingurent au cours des combats et furent assimiles une troupe dassaut trs efficace en mme temps qu des soldats exotiques aux murs barbares. Une reprsentation utilise ds 1915 par la propagande officielle allemande et qui va connatre un ancrage durable au sein de larme comme de la socit allemande4. A cette image de soldat sanguinaire sagglomre dans les annes 1920 celle de lhumiliation lie aux occupations de la Rhnanie et de la Ruhr. La prsence de soldats originaires des colonies

    dans les rangs franais provoque une vague dindignation internationale dsormais connue sous le nom de Honte noire ou Schwarze Schnde. Les soldats de couleur agresseraient, enlveraient et violeraient ainsi massivement de jeunes Allemands des deux sexes. La France est accuse de vouloir humilier et dabtardir la nation allemande. Une campagne de propagande dune violence sans prcdent inonde toute lAllemagne, mais galement certains pays europens et amricains.

    Les troupes noires de 1939-1940 qui sont mobilises pour soutenir leffort de guerre franais sont donc intgres ce contexte trs particulier dans lequel des strotypes racistes occidentaux se conjuguent de forts ressentiments historiques. Deux aspects que la propagande nazie sait extrmement sensibles et donc efficaces. Ds 1924, Adolf Hitler fustigeait lafflux de sang ngre sur le Rhin provoqu par lesprit de vengeance dune France guide par les Juifs et dannoncer, dj, tous les esprits vengeurs dune gnration 5. Dans la rhtorique nazie, le Noir, et en particulier le soldat noir de larme franaise, tient une place trs particulire. Et quand il est ncessaire de mobiliser une opinion allemande juge bien tide en mai 1940, Joseph Goebbels ordonne ses services dutiliser la thmatique des troupes noires et de rappeler leur attitude durant les occupations de la Rhnanie et de la Ruhr6. Les photographes du front font parvenir des clichs mettant en scne des tirailleurs prisonniers. Les organes officiels accusent les soldats noirs datrocits lencontre de prisonniers et blesss allemands. Les rapports des services de scurit notent alors un profond et radical retournement de lopinion. Un rapport du 10 juin 1940 note ainsi : Partout on est fermement convaincu quil faut aller jusqu anantir totalement la France. Un peu partout dans la population on ne cesse de reprocher que la guerre est mene de faon beaucoup trop humaniste 7. Cette volution brutale des opinions et leur radicalisation illustrent lancrage des strotypes remis en avant et la vivacit des haines cultives autour des soldats noirs. Une volution brutale galement observable au sein de la troupe. Alors que les units allemandes sont au contact dunits franaises de couleur ds le 13 mai, les premires exactions ne sont signales qu compter du 24 mai sur le front de la Somme. Surtout, elles sont particulirement nombreuses partir du 5 juin et de loffensive allemande dans ce mme secteur. Les combats y sont acharns. Les Coloniaux, retranchs dans des localits comme Airaines, Cond ou Quesnoy-sur-Airaines, sont dlogs par le feu et lartillerie lourde. Lissue des combats est souvent brutale. Le capitaine Ntchorr (photo ci-contre, muse des troupes de marine), officier du 53me R.I.C.M.S. dorigine gabonaise, est abattu car il refusait dtre regroup avec les tirailleurs et non avec les autres cadres du rgiment. Le sous-

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  • lieutenant Latour, du 44me R.I.C.M.S. manque de peu dtre pass par les armes et tous ses tirailleurs sont excuts8. Rfugis dans une glise, les blesss du lieutenant Gurin sont menacs dtre fusills9. Si les tmoignages directs sont ici peu nombreux, des recherches effectues par les anciens combattants aprs-guerre laissent supposer des massacres plus importants encore puisque des lments tendent identifier lexcution dune centaine de tirailleurs au lieu-dit Le bois du Loup , commune de Dromesnil, o prs de 120 corps dsquips furent retrouvs empils et enchevtrs 10.

    Les massacres de la Somme inaugurent ainsi une longue litanie dexactions intervenant au fur et mesure de la progression des troupes allemandes vers le sud. Particulirement acharns, les combats de lOise donnent lieu des excutions nombreuses. Dans le secteur situ louest de Compigne, entre St-Just-en-Chausse et Estre-Saint-Denis, de nombreux groupes issus dunits coloniales tentent dchapper la capture. Faits prisonniers, blancs et noirs sont spars et ces derniers connaissent souvent un sort funeste, tels les tirailleurs du lieutenant Dhoste dont le caporal Naya qui, bless, est achev de deux balles dans la tte11. A la tte dun groupe dune cinquantaine de soldats, dont une majorit de tirailleurs, le commandant Carrat est captur le 10 juin au matin. Vers 8h, un premier groupe de soldats noirs est pass par les armes dans un verger proximit dun poste de commandement allemand. Les protestations de lofficier franais sont vaines avant quun officier allemand ne dcide de mettre fin au massacre : Il y avait une quarantaine de tirailleurs de tus des 16me et 24me R.T.S. 12. A Erquinvilliers, un bless franais assiste lassassinat coups de rvolver de lensemble des blesss noirs couchs ses cts13. Non loin de l, le mdecin-lieutenant Hollecker russit sauver ses blesss rfugis dans une cave alors quun soldat allemand sapprtait lancer une grenade par le soupirail14. Prolongement des assassinats de soldats noirs, les soldats allemands excutent pour la premire fois des cadres coloniaux dorigine europenne qui avaient tent de dfendre leurs tirailleurs ou bien au seul titre de leur commandement de soldats indignes . En 1941 sont ainsi dcouverts dans une seule et mme fosse du bois dEraine, commune de Cressonsacq, les corps de 8 officiers franais tombs indemnes aux mains des troupes allemandes15.

    Les exactions lencontre des soldats noirs sont ainsi prsentes sur lensemble du front. Le 12 juin 1940, les tirailleurs du second bataillon du 5me R.I.C.M.S. sont attaqus par les blinds de la 8me Panzerdivision sur le territoire de la commune de Tilloy-Bellay, dans le dpartement de la Marne. A lissue des combats, des civils sont rquisitionns pour inhumer les dpouilles. Parmi eux, Michel Arnould, alors g de 16 ans, dcouvre une dizaine de corps de tirailleurs accrochs

    des arbres, partiellement calcins, des bidons dessence leurs pieds. Dans la bouche de certains dentre eux, des couverts de cuisine ont t enfoncs16. Le mme jour, le tirailleur Fa Malle est fusill Ancretieville en Seine-Maritime. Tout comme le tirailleur Zadomenghi Angelo Malagny, dans lYonne, le 16 juin 1940, ou bien encore le tirailleur Toko Tamboura le 22 juin 1940 Bruyres, dans les Vosges. A Coulmiers-le-Sec, en cte dOr, ce sont trois tirailleurs qui sont abattus contre le mur de lglise. Trois autres tirailleurs sont galement excuts le 18 juin 1940 Doncourt-sur-Meuse, dans le dpartement de la Haute-Marne. Dans lAube, prs de la gare de Jeugny, onze tirailleurs qui refusaient obstinment dabandonner leurs fusils aux soldats allemands sont passs par les armes. Seuls deux dentre eux pourront tre par la suite identifis. A Sill-le-Guillaume, dans la Sarthe, quatorze soldats de couleur du 208me R.A.C.L. sont excuts17. Le procs-verbal des autorits de la commune relate trs brivement la tragdie : Le 19 juin 1940, vers quatorze heures, Pr Guitet, Boulevard des Jardiniers, larme doccupation a procd la suppression dun dtachement de lartillerie coloniale 18.

    La perspective de la fin des combats ne met pas fin aux exactions. Le 18 juin 1940, Clamecy, dans la Nivre, o de nombreux prisonniers avaient t regroups, un incident anodin impliquant un tirailleur provoque dans un premier temps lexcution dun premier groupe de vingt soldats originaires du Maghreb et dAfrique noire puis, par la suite, dun second groupe dune vingtaine de prisonniers19. Le jour suivant, dans le dpartement du Rhne, dbutent les combats visant retarder lentre des troupes allemandes dans Lyon pourtant dclare Ville ouverte . Retranchs autour du couvent de Montluzin, les tirailleurs du 25me R.T.S., appuys par quelques pices dartillerie improvises, causent des pertes importantes dans les rangs du rgiment dinfanterie motorise GrossDeutschland. Le point dappui tomb, les soldats allemands achvent les blesss noirs et excutent des tirailleurs sur la terrasse du couvent. Quatre artilleurs sont excuts dune balle

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  • dans la tte. Huit cadres du rgiment colonial, dont deux jeunes officiers, sont passs par les armes en bordure de la route nationale n6. Le rgiment clat, les troupes allemandes font de nombreux prisonniers parmi lesquels 12 sont fusills Champagne-au-Mont-dOr et une vingtaine dautres excuts contre le mur dun orphelinat, monte de Balmont Lyon. Le mme jour, la division S.S. Totenkopf est son tour prise parti par la mme unit dans la zone de lArbresle. A lissue des combats, on retrouve le corps dun civil et de plusieurs tirailleurs excuts Eveux, dont 3 fusills sur un tas de fumier20. Le lendemain, les Coloniaux entendant mener des derniers combats pour lhonneur , des engagements violents ont encore lieu dans la rgion lissue desquels de nouvelles exactions sont perptres. A Lentilly, 16 tirailleurs sont fusills. A Chasselay, 51 autres sont tus par le feu darmes automatiques au cours dune excution prpare21. Il semble mme que des excutions aient eu lieu par la suite dans Lyon occupe puisque certains tmoignages font tat dexcutions de civils nord-africains dans les caves de la prfecture22. A Rouen dj, alors que la ville tait dans les mains des troupes allemandes, les services de la ville avaient enregistrs entre le 9 et le 15 juin le dcs de 17 individus de race noire dont 11, dclars inconnus , sont retrouvs dans une seule proprit de la ville23. Ces deux derniers pisodes illustrent les nombreuses zones dombre qui demeurent aujourdhui encore autour de certains vnements. En labsence de tmoin directe ou dinformation fiable, les prsomptions de massacre sont encore nombreuses comme Graffigny-Chemin (Haute-Marne) et Chateauneuf-sur-Loire (Loiret) o la mmoire locale fait tat dexactions alors quaucun tmoignage direct ou lments probants nont pu corroborer ces dires. Dans un registre lgrement diffrent, dans le dpartement de lAube, le recensement de lensemble des dpouilles de soldats tombs lors des combats de 1940 permet dimaginer le sort rserv nombre de tirailleurs tombs dans la rgion. A Channes, les

    autorits communales dcouvrent sur une seule proprit les corps, disposs les uns ct des autres, de vingt-huit tirailleurs dont une grande part ne put tre identifie24. Par ailleurs, dans deux proprits distinctes de Balnot-la-Grange, et dans la mme disposition que prcdemment, sont respectivement relevs dix et trente-quatre corps de soldats noirs sans aucun renseignement 25. Aucune autre donne ne vient nanmoins appuyer ou prciser les renseignements prfectoraux.

    Ici interviennent donc les limites de nos recherches. En dpit de nombreux actes rapports dans les rapports franais, ces derniers sont souvent trop imprcis car crit sur la base de souvenirs issus du combat ou bien encore rdigs aprs plusieurs annes de captivit. Les tmoignages de civils manquent galement, nombre dentre eux tant alors sur les routes de lExode ou bien terrs dans un abri. Enfin, lexception dune enqute judiciaire dbute dans lOise en 1945, aucune investigation officielle ne fut mene afin de connatre limportance de ces exactions, ni encore pour identifier les units allemandes incrimines. Ces dernires, bien entendu, se gardrent bien de consigner de tels vnements dans leurs journaux de marche. Si bien quil est aujourdhui impossible dvaluer prcisment limportance prise par ces exactions. Pis, lincertitude demeure sur les circonstances exactes de la mort dun grand nombre de soldats noirs. Une incertitude rendue plus forte encore par le fait quune grande part des dpouilles de tirailleurs na pu tre identifie. Dans le seul dpartement de lAube, 74% des dpouilles de soldats noirs sont dclares inconnues , faute dlment permettant leur identification, plaque ou papier didentit. A titre de comparaison, dans ce mme dpartement, seuls 14% des corps de soldats blancs ne peuvent tre identifis. Et le constat est similaire dans lYonne, le Rhne ou encore en Haute-Marne. Le pillage des corps, et donc la notion de fiert laquelle il se rattache, fait partie intgrante de la dimension du massacre. Appartenant au vocabulaire cyngtique, le mot massacre dsigne dabord une tuerie importante de gibier puis un trophe de chasse. Par bien des aspects, les massacres de tirailleurs observs en 1940 sapparentent de vritables traques : traques des groupes isols et en fuite ou bien traque des blesss et des prisonniers. La nature des combats de 1940 a favoris le dveloppement de cette chasse aux soldats noirs. Des traques parfois organises comme Chasselay o les soldats allemands demandent dabord aux tirailleurs de prendre la fuite en courant afin de mieux agrmenter leurs tirs. Ou bien comme Mareuil-la-Motte, dans lOise, o un officier allemand se distrait poursuivre cheval des soldats noirs et les abattre coups de pistolet26. Au-del de la fiert quelle exprime, celle davoir vaincu cet ennemi redout et honni, la recherche de trophes prive souvent les corps de tout moyen didentification. Les

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  • cadavres perdent ainsi toute valeur reposant sur leur identit, leur origine, leur histoire, leur famille. Labsence didentification les prive galement de toute reconnaissance, la fois familiale et, dans une moindre mesure, officielle. Il sagit l dune seconde mort pour ces soldats et on ne peut exclure que cette impossibilit didentification frquemment observe pour les dpouilles de soldats noirs ne soit volontaire, contribuant ainsi nier toute humanit ces soldats finalement jamais admis dans la sphre humaine par leur adversaire allemand. Cest ce que supposent galement les consignes donnes par les autorits allemandes au sujet des dpouilles des soldats noirs, lesquelles sont dans de nombreuses rgions interdites dinhumation et, surtout, de tout type de clbration. Les massacres et autres excutions sommaires avaient ainsi contribu affirmer une supriorit du soldat allemand sur sa victime en mme que la fiert provoque par cette victoire. Les actes lis au pillage des corps, leur empchement didentification, la volont de les voir inhumer de manire civilise et humaine et au refus de les voir honors comme nimporte quelle dpouille de soldat franais prolongent cette premire dmarche daffirmation dune certaine suprmatie. Ils contribuent galement refuser aux soldats noirs le caractre de soldat et tout ce que cela implique notamment en terme de respect des lois de la guerre, un tel refus pouvant par ailleurs servir a posteriori de justification comme dans linjonction de la Kommandantur de Marcelcave qui va jusqu rappeler les accusations de sauvagerie dj mises durant la campagne27. Enfin, ils concourent nier, voir effacer lhumanit de ces soldats et donc les relguer au rang de sous-hommes , quand ils ne sont pas considrs comme de simples animaux dont les dpouilles doivent tre laisses aux soins de leurs congnres.

    Les dclarations des soldats allemands sur le terrain ne donnent dailleurs pas une autre image des soldats noirs. Les mtaphores leur endroit sont nombreuses et tendent rappeler systmatiquement leur sauvagerie ou bien leur animalit. Dans la Somme, les officiers allemands qui visitent le poste de secours du lieutenant Gurin o sont soigns des tirailleurs blesss dsignent ces derniers sous le vocable de btes 28. Dans le Rhne, un officier allemand observant un groupe de tirailleurs prisonniers sadresse en ces termes au maire de la commune de Lentilly : Ce sont vos amis les chiens 29. Les reprsentations largement diffuses lors de la Grande Guerre et des occupations de la Rhnanie et de la Ruhr et reprises, nous lavons vu, par la propagande nazie, contribuent largement cette animalisation du soldat noir. Une animalisation qui se conjugue galement avec les accusations de sauvagerie lies leurs caractres exotique et colonial. Aux yeux de nombre de soldats allemands, les tirailleurs sont de simples sauvages reproduisant leurs archaques modes de

    vie, et donc de mise mort de ladversaire. Une mise mort vile, souvent sournoise et conclue par toute sorte de mutilations. Lofficier allemand qui, dans lenceinte du couvent de Montluzin, discute avec le lieutenant dartillerie Pangaud exprime ainsi cet enchanement : ces gens-l ne sont pas des hommes, ce sont des btes. Ils lont encore montr aujourdhui 30. Au sein de ce processus de stigmatisation, le coupe-coupe devient le symbole et la preuve de cette sauvagerie . La dcouverte de cette arme blanche dclenche la colre des vainqueurs. Captur dans lOise avec un groupe dofficiers franais qui allaient par la suite connatre un sort tragique, le sergent Long rapporte la colre de lofficier allemand qui les avait faits prisonniers : Je me rappelle que lOfficier commandant les forces ennemies ntait pas content des ntres parce que ces derniers commandaient des Sngalais. Lofficier allemand disait, tenant un coupe-coupe, larme individuelle du tirailleur : cest a votre guerre, salauds , en bon franais 31. Un sentiment communment admis et qui bien souvent sert dalibi aux soldats allemands soucieux dexpliquer leurs gestes de rtorsion. Un alibi galement imagin par les tortionnaires du prfet Jean Moulin qui refuse de signer, Chartres, un document accusant les troupes noires dexactions sur des civils32. Car lexcution des soldats noirs na jamais fait lobjet dun ordre gnral donn avant ou au cours de la campagne. De manire plus sournoise, le commandement allemand a laiss faire quand il na pas particip directement aux exactions comme le rapportent diffrents rapports franais dmontrant limplication dofficiers subalternes ou suprieurs, voir dofficiers gnraux. Considrant les nombreuses exactions donc furent victimes les soldats de couleur et le contexte dans lequel elles purent tre commises, la campagne de France nest plus la parenthse dhumanit accorde par larme allemande entre les campagnes de Pologne et de Russie. Lhistoriographie rcente a mis en avant limplication de la Wehrmacht dans les politiques

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  • dextermination raciale et politique inities par le rgime nazi. Des campagnes dlimination faisant partie prenante des guerres menes par le rgime sous le vocable de guerre dextermination ou Vernichtungskrieg. En Pologne dj, des Einsatzgruppen avaient reu pour mission dliminer les lites locales et les populations juives dans le sillage et avec lappui des forces armes33. Des massacres dans lesquels des soldats de la Wehrmacht sont parfois impliqus et pour lesquels ils ne seront que trs lgrement punis avant dtre amnistis. Le prcdent tait ainsi cr. Lassassinat de sous-hommes ou dennemis politiques est ainsi valid, tout du moins tolr. Par la suite, sur le front russe, les consignes dlimination seront beaucoup plus explicites et prcderont le lancement de loffensive. Le soldat noir, ennemi craint en mme temps que ha pour le symbole quil reprsente, a ainsi t lune des victimes de ce processus de brutalisation des soldats allemands et de leur appropriation de la rhtorique nazie et de leurs funestes consquences. Figurent ainsi parmi les units incrimines, des units de la Wehrmacht comme de la Waffen S.S. Des units de blinds, de cavalerie ou dinfanterie parmi les plus traditionnelles comme parmi les units dlite comme le rgiment GrossDeutschland. Des exactions parfois clairement revendiques comme dans le film, Sieg im Westen, ralis en t 1940 la gloire de la 7me Panzeridivision du gnral Rommel. Ralis directement par lofficier, le film reconstitue notamment les combats de la Somme. Des tirailleurs prisonniers font office de figurants et doivent courir devant des blinds. De laveu mme de Rommel, Nous navons pas mnag nos efforts pour montrer comment a sest rellement pass. Il y avait encore aujourdhui des Noirs pour le tournage. Les gars se sont bien amuss et ont aim tout particulirement leur faire lever les mains une fois de plus 34. Un

    tournage tellement raliste que nombre de figurants y laissent leur vie.

    Si les massacres de soldats noirs paraissent les plus emblmatiques de la campagne, ils ne furent nanmoins pas isols puisque des civils et des soldats franais furent galement victimes des exactions allemandes. Dans le nord de la France en particulier, de nombreux civils furent passs par les armes par des soldats allemands se retranchant derrire des accusations souvent abusives dactions de francs-tireurs, autre reprsentation issue des conflits franco-allemands prcdents. A Aubigny-en-Artois, 92 civils furent ainsi fusills dont prs de 70 dentre eux aprs avoir t regroups dans une carrire. A Oignies, fin mai 1940, 80 autres civils furent excuts et prs de 400 maisons volontairement dtruites. Les massacres de soldats franais semblent avoir laiss moins de traces encore et ne sont signals que de manire pisodique comme Sainte-Suzanne, prs de Montbliard o 5 soldats du 61me rgiment rgional furent fusills. A la suite des combats livrs dans les Vosges, 10 soldats du 55me bataillon de mitrailleurs et 26 autres du 146me rgiment dinfanterie de forteresse sont respectivement excuts Dounoux et Domptail les 19 et 20 juin 194035. Rommel, dans ses mmoires, avouera par ailleurs avoir fait excuter un officier franais qui refusait de rentrer dans son blind.

    Les zones dombre sont donc encore nombreuses. Bien plus quune attention supplmentaire, la campagne de mai et juin 1940 mrite de nouveaux regards. La tragdie des tirailleurs en est un des exemples. Mai et juin 1940 mritent une place part entire dans lhistoriographie des crimes de guerre de la Seconde Guerre mondiale qui jusqu maintenant bien souvent focalise ses attentions sur les exactions perptres lEst compter du 22 juin 1941.

    Notes : 1 August von Kageneck, Examen de conscience : nous tions vaincus mais nous nous croyions innocents, p. 26, Perrin, 1996. 2 Je tiens ici rendre hommage aux travaux fondateurs de Jean-Louis Crmieux-Brilhac, Les Franais de lan 40. Ouvriers et soldats, tome 2, Gallimard, 1990. 3 Vincent Joly, Le Soudan franais de 1939 1945. Une colonie dans la guerre, Paris, Karthala, 2006. 4 Ds 1915, le ministre des Affaires Etrangres allemand fait paratre un mmoire intitul La violation du droit des gens de la part de lAngleterre et de la France par lemploi des troupes de couleur sur le thtre de la guerre en Europe et qui est un vritable catalogue de tmoignages sur les atrocits en tout genre prtendument perptres par les troupes coloniales franco-britanniques sur les soldats et civils allemands en mme temps quun pamphlet racial contre lutilisation de troupes indignes sur le sol europen. 5 Mein Kampf, p.621 et 642, Nouvelles Editions latines, 1934. 6 Willi A. Bocker, d. Kriegspropaganda 1939-1941 : Geheime Ministerkonferenzen im Reichspropagandaministerium, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1966, p.130, n.21. 7 Cit par Wolfgang Geiger in Limage de la France dans lAllemagne nazie, 1933-1945, p.132, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999. 8 SHD/T 34N1079. 9 CHETOM 15H146. 10 Bulletin de liaison n36 et 37 des anciens du 53me rgiment dinfanterie coloniale mixte sngalais, janvier et juillet 1954. 11 SHD/T 34N1098. 12 SHD/T 34N1095. 13 Compte-rendu du marchal des logis chef Chadelle, tat-major du 3me groupe du 12me Rgiment dartillerie coloniale. Hpital de Crteil, 1er mars 1941. Commune de Cressonsacq. Document non cot. 14 SHD/T 34N1098.

    16

  • 15 Commandant Bouquet, capitaine Speckel, Capitaine Ris, Lieutenant Rotelle, Lieutenant Planchon, lieutenant Ermigny, lieutenant Roux et lieutenant Brocart. Commune de Cressonsacq. Document non cot. 16 Entretien avec lauteur, 12 juillet 2003. 17 Rgiment dartillerie coloniale lourde. 18 Mairie de Sill-le-Guillaume, Procs verbaux de dcs et inhumations de militaires franais et allis , cote 4H98. 19 P. Pannetier, Le 41me tirailleur, Bulletin municipal de la ville de Clamecy n7, dcembre 1998 ; Archives de la ville de Clamecy et Liste des morts de mai et juin 1940 pour le dpartement de la Nivre , archives dpartementales de la Nivre, cote 999W1500. 20 Fiches dexhumation des dpouilles des combats des 19 et 20 juin 1940. Direction dpartementale du Rhne de lOffice national des anciens combattants, documents non cots. Et entretien avec des membres de la famille Vially. 21 Tmoignage du caporal Scandariato, cit par Mr. Poncet dans Le Tata sngalais de Chasselay, p. 35. 22 H. Amoretti, Lyon Capitale, p. 20 et 21 et archives dpartementales du Rhne, 437 W 173, rapport du garde Cotin, 22 juin 1940 23 G. Pailhs, Rouen et sa rgion pendant la Guerre 1939-1945, p.36 et avis de dcs de la priode, ville de Rouen. 24 Archives dpartementales de lAube, cote SC7294, recensement des tombes de la campagne de mai et juin 1940. 25 Ibid. 26 Entretien de lauteur avec Michel El Baze, 10 avril 2005. 27 M. le Kommandant entend que les communes soignent bien les tombes des soldats franais se trouvant sur leur territoire, ce qui constitue dailleurs un devoir national. Il sagit pourtant seulement des soldats franais et allis dorigine europenne qui se sont battus et ont agi en dfense de leur patrie. Les troupes noires, par contre, ont combattu en sauvages et maltrait et mme tu un grand nombre de prisonniers allemands qui ont eu le malheur de tomber entre leurs mains. Cest pourquoi le Commandant de lArme Allemande ne dsire pas et mme dfend expressment dorner les tombes des soldats noirs ; il faut les laisser lendroit et dans ltat o elles sont en ce moment , CHETOM 15H144. 28 SHD/T 34N1081. 29 Tmoignage de M. Jeantet, maire de Lentilly., cit par M. Poncet dans Le Tata sngalais de Chasselay, p. 52. 30 Tmoignage du lieutenant Pangaud, Le Tata sngalais de Chasselay, p. 24 et 25. 31 CHETOM 15H144. 32 Jean Moulin, Premiers combats, p.87. 33 Wolfram Wette in Les crimes de la Wehrmacht, p.108, Paris, Perrin, 2009. 34 Irving, The Trail of the Fox, p.55, Worgsworth Editions, Ware, 1999. 35 Dans ces deux derniers cas, des units ce la Wehrmacht furent lorigine des excutions. Domptail : 198me division dinfanterie. Dounoux : 1re Panzerdivision. Voir Roger Bruge, Juin 1940. Le mois maudit, Paris, Fayard, 1980.

  • Histomag44 remercie lAmbassade du Sngal en France de lavoir autoris reproduire ce document dans notre dossier dhommage aux combattants indignes en 1939-1940. Daniel Laurent

    Aucune distinction n'ayant t faite au sujet de l'origine gographique des soldats morts pour la France lors de leur inhumation (tirailleurs sngalais, brigade indigne de Guine, du Niger, de Casamance, du Tchad, du Gabon, du Moyen-Congo et de l'Oubangui-Chari), la Direction de la mmoire, du patrimoine et des archives (DMPA) du Ministre de la Dfense ne possde pas de liste prcise. De plus, en l'absence d'information, la DMPA n'est pas en mesure de fournir une liste exhaustive des lieux de mmoire. Par contre, il existe quelques initiatives bnvoles (associatives, amateurs passionns) qui tentent de pallier ce dficit de mmoire. II importe aussi de savoir que les communes franaises tenues d'riger des monuments commmoratifs ne l'ont fait que pour les soldats ns dans leur commune. Les tmoignages des exactions perptres contre les soldats africains sont souvent rares, tardifs, difficiles vrifier. A cet gard, il importe de signaler la thse en cours de Julien Fargettas qui s'emploie restaurer la mmoire des T.S. morts au cours de la 2eme guerre mondiale.

    Abrviations

    T.S. : Tirailleurs sngalais ;

    R.T.S. : Rgiment de Tirailleurs sngalais ;

    B.T.S : Bataillon de tirailleurs sngalais ;

    R.I.C. : Rgiment d'infanterie coloniale ;

    D.I.C. : Division d'infanterie coloniale ;

    R.M.C : Rgiment mixte de coloniaux composs de sngalais, de marsouins, etc.

    R.A.D.C. Rgiment d'artillerie coloniale ;

    R.I.C.M.S ; Rgiment d'infanterie coloniale mixte sngalais.

    Remarque

    Les units dites de Tirailleurs sngalais n'taient jamais composes uniquement de soldats africains, mme s'ils constituaient la majorit de la formation ; de plus, ils taient toujours encadrs par des militaires d'origine europenne et par des officiers (peu nombreux) et sous-officiers africains.

    Monuments et spultures des combattants sngalais tombs sur le territoire mtropolitain durant la 2eme guerre mondiale

    Les Sngalais combattirent au sein de D.I.C. avec des fantassins des R.I.C. et des Bigors, artilleurs des R.A.D.C. II existait galement des rgiments de pionniers sngalais. En outre les populations locales furent mises l'ouvrage dans les usines d'armement, les ports, les gares, les poudreries nationales, les routes et les voies ferres.

    Les Sngalais eurent subir des pertes svres dans la Somme, la Meuse, l'Aisne, la Champagne et le Rhne. Ils durent mme endurer des excutions sommaires comme ce fut le cas du 53eme R.I.C.M.S. Airaines et Dromesnils (Somme) et le 25eme R.T.S. Chasselav (Rhne).

    Spultures

    Exhums de tombes provisoires, les T.S. furent ensuite inhums dans des carrs des spultures de 39-45, dans des ncropoles nationales de 14-1 8, dans des carrs de cimetires civils ou dans des grandes ncropoles de regroupements riges de 1950 1975. Leurs tombes sont ornes d'emblmes religieux : croix latine, stle musulmane, stle de libre penseur ( cette dernire tant le plus souvent destine aux animistes).

    - Le tata sngalais de Chasselav ( Rhne) est ce titre le plus reprsentatif de ce lieu de repos sacr des guerriers morts au combat.

    - Cimetire d'Erquinvillers : 130 morts dont 40 fusills les 9-10 juin 1940 : en 1986, Erquinvilliers commmore l'emplacement d'un cimetire dans lequel avaient t inhums des tirailleurs sngalais massacrs : En ce lieu Erquinvilliers ensevelit pieusement ses dfenseurs de la Division d'infanterie Coloniale Soldats et Tirailleurs sngalais tus au combat ou massacrs ensuite le 10 juin 1940.

    - Chteau neuf en Thimorais (prs de Chartres) : 26' Rgiment des T.S. massacrs en 1940

    - Cond Folie (ncropole mixte TS et Nord Africains) Cote d7Airaines

    Monuments

    - Airaines (Somme) : monument au Capitaine N'T chorr et aux soldats du 53' R.I.C.M.S. tus le 7 juin 1940.

    Lieux de mmoire Par lAmbassade du Sngal en France

    18

  • - Bourmont - (Haute-Marne) : monument ddi aux soldats du 14" R.T.S. tus au cours des combats des 18-20 juin 1940

    - Clamecy (Nivre) : monument 43 tirailleurs sngalais fusills en juin 1940

    - Evreux (Rhne) : monument 14 tirailleurs sngalais tus en juin 1940

    - Harrville-les-Chanteurs (Haute-Marne) : stle ddie aux soldats du 12" R.T.S.

    - La Vacheresse-et-la-Roulie (Vosges) : stle Addi Ba, adjudant du 12" R.T.S. ralli la Rsistance, fusill le 18 dcembre 1943.

    - Lentillv (Rhne) sur la N7, stle 18 tirailleurs sngalais fusills par la division S.S. Totenkopf en juin 1940

    - Tilloy-et-Bellay (Marne) : monument aux morts du 2' bataillon du 5' R.I.C.M.S. tus le 13 juin 1940.

    - Vermont-Vaise ( Rhne) : monument 17 tirailleurs sngalais fusills en juin 1940

    - Saint-Maurice Colombier (Rhne) : monument commmorant la libration de la commune en 1944 par les soldats des R.T.S. et des R.I.C.

    - Entre Somme et Oise (Castel, Merville-aux-Bois, Maily-Raineval Ravenel, Lglantier, Angivillers, Lieuvilers, Erquinvillers, Cressonsacq) partir du 8 juin 1940,massacres, fusillades sommaires et souffrances au combat furent endurs par le 24' R.T.S., le 2' R.I.C. et le 1 6' R.T.S. :

    - Bailleul le Soc : le lieutenant Mchet du 16' R.T.S. et 7 T. S. abattus.

    - Remecourt avec le 24' R.T.S. et 9 T.S.

    - Cressonsacq au lieu dit Bois d'Eraines le 11 juin 1940 (les officiers furent abattus pour avoir commands des soldats noirs -24' R.T.S.). En 1992, la municipalit de Cressonsacq (Oise) a rendu hommage aux soldats guinens massacrs sur le territoire de la commune le 10 juin 1940, en apposant une plaque en juillet 1996 sur le monument aux combattants noirs de Reims : Ici fut rig en 1924 un monument qui tmoignait de la reconnaissance de la ville de Reims envers les soldats africains qui dfendirent la cit en 1918. L'occupant dtruisit par haine raciale ce Monument aux Noirs en septembre 1940 ; Les Anciens

    Combattants ont tenu ce que son souvenir demeure dans notre mmoire.

    - Picquiqnv ( Intercommunalit du Val de Nivre) entre Abbeville et Amiens, les 5-6 juin 1940 : 44' R.I.C.M.S.

    - Hanqeste-en-Sancerre ( somme) prs de Cond Folie : des T.S. furent fusills et brls vifs au lance-flamme la mme date. II n'existe qu'un monument aux morts de la guerre de 14-1 8 ainsi qu'une citation Reconnaissance nos glorieux dfenseurs de 1939-45 (A Cond-Folie, existe un cimetire franaise de la Guerre de 39-45 - 2434 tombes et 878 corps dans l'ossuaire).

    - Paris : monument aux soldats africains (jardin tropical du Bois de Vincennes)

    - Coulmiers-le-Sec ( Cte d'Or) : monument Aux Africains morts pour la France en 1939-1945

    - Strasbourq (Bas-Rhin) : monument aux Africains tus pendant la campagne d'Alsace (1944-1945)

    - Cannes : (Cimetire du Grand Jas) mmorial de T.S. morts pour la France, inaugur le 28/10/02 par SEM l'Ambassadeur du Sngal Doudou Salla DIOP.

    - Sollis-Ville (8321 0) : Stle aux librateurs du 6' R.T.S. du 21/8/1944 ( face l'entre du cimetire) : 17 noms inscrits.

    - Toulon (Place de la libert) : plaque commmorative la mmoire de l'arme du Gnral de Lattre, en majorit coloniale et sur laquelle est signal le 6' R.T.S. ( 643 Africains morts au cour s des combats du 18 au 24/8/44).

    - Champaqne-au-Mont-d'Or ( rgion lyonnaise) : modeste plaque l'angle de la N6 et de la rue Louis Tourte

    Pas de Stle signale pour :

    -26eme B.R.T.S. victimes de la barbarie nazie ( Eure et Loir)

    - idem le 16 juin 1940 prs de Chartres -

    - Aubigny : excution par des soldats de la Wehrmacht le 24 mai 1940 de T.S. du 24' Rgiment. 40 % sont tus. (sous rserve de plus amples vrifications)

    Sources :

    - Universits de Nancv- Metz : Dr Annette Chomard-lexa

    - Ministre de la Dfense : D.M.P.A, Bureau des monuments historiques et des lieux de mmoire, 14, rue Saint-Dominique, 00450 Armes

    - Les soldats d'outre-Mer, 1939-1 945, Monuments et spultures en France, Ministre de la Dfense, Secrtariat d'Etat aux Anciens Combattants

    - De Williencourt H. 2000, Les Tirailleurs sngalais, Ed l'Harmattan

    - Les T.S. dans la campagne de France-1 O mai -25 juin 1940, janvier 2001, n"1O, collection Mmoire et citoyennet, rev. Les chemins de la Mmoire (Ministre de la Dfense-DMPA)

    - Fargettas J. Les tiraileurs sngalais dans la campagne de 1 940, Actes de colloque les troupes de marine dans l'arme de terre , 2000

    19

  • - Fargettas J. 2001, Les massacres de mai-juin 1940, in Actes du Colloque la campagne de 1940. Ed. Tallandier

    - Fargettas J. le massacre des soldats du 25eme RTS . Rgion lyonnaise 19 et 20 juin 1940, mmoire de matrise, universit Jean MONNET de St Etienne

    - Fargettas.J. Pour l'honneur et pour la France. Les tirailleurs sngalais de la Seconde Guerre Mondiale, Thse de doctorat en prparation, universit de Rennes II.

    - Jeanclos. Y., La France et les soldats d'infortune au XXe sicle, Ed ; Economina, Univ. R. Schuman, Strasbourg

    - Le Naour J.Y. 2003, La honte noire - l'Allemagne et les troupes coloniales franaises, 191 4-1 945, Ed. Hachette

    - Onana C., La France et ses tirailleurs, 2003, Ed. Duboiris

    - Michel Marc, les Africains et la grande guerre. L'Appel l'Afrique, Ed Karthala.

    Crdit photos : Alain Adam

    Quelques sites consults

    -http://pcoutant. free. fr/seneqalais. htm

    -http://www.troupesdemarine.org

    -http://cavalbatrnarne.free.fr/

    -www.memorial-benweb.or

    -http://perso.wanadoo.fr/foure-bouchon-histoire/memorial. htm

    20

  • Dans la soire du 18 juin 1940, un quasi-inconnu du grand public, gnral de brigade titre temporaire et secrtaire dtat la guerre de lex-gouvernement Reynaud, lance depuis les micros de la BBC Londres un appel exhortant ses compatriotes la rsistance.

    Cet Appel est lacte fondateur de la France Libre dont la saga se terminera presque 5 ans plus tard avec la prsence de la France la signature de la reddition sans conditions du IIIme Reich, la cration en Allemagne dune zone doccupation franaise et lobtention dun sige permanent avec droit de veto au conseil de scurit de lONU.

    Parti de rien au milieu dun dsastre militaire sans prcdent pour arriver tout dans un contexte de victoire, Charles de Gaulle est devenu une lgende en lui-mme, ce qui est largement mrit mais prsente parfois linconvnient de conserver dans lhistoriographie quelques lgendes annexes dont les erreurs historiques sont dsormais avres.

    Si Charles de Gaulle, tout comme Churchill dailleurs, avait quelques belles et bonnes raisons de masquer certaines de ses difficults dans ses Mmoires, expliquer comment se sont rellement passes les choses est tout fait utile.

    La dcision de la rbellion :

    Cest entre les 5 et 8 juin 1940 que Charles de Gaulle a t persuad que Churchill maintiendrait la Grande-Bretagne en guerre et quil prend la dcision, si le gouvernement franais ne se replie pas sur lEmpire, de franchir son Rubicon, en loccurrence la Manche dont la largeur sied parfaitement ltendue du franchissement en question. Dans ses Mmoires de Guerre, le gnral date sa dcision du 16 juin. Si cest exact sur le plan calendaire (Cest en effet le 16 quil a

    la preuve que le gouvernement ne se repliera pas sur lEmpire et va demander larmistice), cela ne lest pas sur le plan politique1.

    Lenvol :

    Les avocats passs ou contemporains du Marchal Ptain indiquent souvent que de Gaulle sest envol de

    Bordeaux le 17 juin dans lavion de Spears, reprsentant de Churchill auprs du gouvernement Reynaud, et quil la fait surtout de crainte dtre arrt par le gouvernement Ptain, les deux hommes tant en froid depuis 1924.

    Il est dornavant clair que lavion tait celui mis la disposition de De Gaulle et pas de Spears. De plus, la dcision du dpart est immdiate, Spears y adhre aussitt et dcide de partir Londres avec lui pour laider convaincre Churchill qui hsite car il souhaiterait recevoir Londres des personnalits franaises de plus haut vol. Les choses tant ce quelles taient, il d se contenter du gnral bien quayant, lui aussi, prsent lorigine son arrive comme tant une mesure de scurit .

    Il semblerait dailleurs que les bases du texte de lAppel aient t jetes sur le papier dans la nuit du 16 au 17 juin Bordeaux, traces dune demande de De Gaulle pour les services dune secrtaire ayant t retrouves dans les archives. Mis part prparer sa journe du lendemain, quil sait devoir tre difficile, et tablir les bases de sa future politique, on ne voit pas pourquoi il aurait eu besoin dune dactylo cette nuit la2.

    Le 17 juin :

    Venant de Bordeaux, Charles de Gaulle et son aide de camp Geoffroy Chodron de Courcel, accompagns de Spears, atterrissent l'arodrome londonien de Heston en fin de matine.

    Il s'installe dans un appartement prt par un Franais, prs de Hyde Park, au centre de Londres, au numro 6 de Seymour Place

    En milieu d'aprs-midi, le gnral de Gaulle est reu par Winston Churchill au 10 Downing Street. Les appuis de Spears mais aussi de Duff Cooper ont eu raison des hsitations de Churchill. Le premier ministre britannique dcide de mettre la BBC la disposition du Gnral. Il a t convenu qu'il ne l'utiliserait que lorsque le gouvernement Ptain aurait demand l'armistice.

    En fin d'aprs-midi, la nouvelle que le marchal Ptain vient d'annoncer aux Franais qu'il faut cesser le combat parvient Londres. Le gnral dcide alors de lancer son appel ds le lendemain. Mais Churchill reste vasif. La nouvelle du il faut cesser le combat mis par Ptain vers 12h 30 est connue Londres ds 13h. Rien de neuf cet gard dans laprs-midi ou la soire. Mais cest la que les ennuis commencent avec les hsitations anglaises !

    Dune part et contrairement ce que lintress a crit plus tard, le sige de Premier Ministre de Winston Churchill est fragile. Les tenants de l'appeasement , les pacifistes anglais, sont en force dans le gouvernement, sous la houlette de Lord Halifax et avec laide active de Robert Vansittart du Foreign

    Les dbuts chaotiques de la France Libre Par Daniel Laurent

    21

  • Office, connu ( tort) comme churchillien ; il rejette viscralement, les premiers jours, lentreprise gaullienne, mais ne saurait tre dit pacifiste. Ils ne veulent surtout pas, ce stade de la guerre, critiquer en quoi que ce soit le Marchal Ptain car, tout simplement, ils aimeraient imiter son initiative de demande de paix. Il convient aussi de faire la part du classicisme diplomatique car beaucoup de choses sexpliquent par la routine en un temps o elle est mortelle, car Hitler compte dessus.

    Dautre part, les Franais de Londres ne sont pas unanimement daccord avec Charles de Gaulle, notamment Alexis Lger et, surtout, Jean Monnet.

    Les uns comme les autres feront tout pour dulcorer autant que possible le texte de lappel, voire lempcher.

    Pour les comprendre, mais sans pour autant les approuver, il faut bien raliser quHitler avait compltement bern la quasi-totalit des dirigeants du monde et que se sont ceux qui espraient alors pouvoir larrter par les armes dans limmdiat qui passaient pour de dangereux bellicistes.

    Le 18 juin :

    Au moins 3 versions du texte seront rdiges et vivement discutes ce jour la, sans compter lbauche date du 17. Il semblerait que 2 autres aient exist, mais elles ne sont connues que par des rsums.

    Le texte original sortira mal en point de ses affrontements qui durrent toute la journe. Citons un extrait de lune des dlibrations du cabinet britannique ce jour la :

    Bien que le texte du message ne soulve aucune objection, il nest pas souhaitable que le gnral de Gaulle, puisquil est persona non grata auprs du gouvernement franais actuel, parle la radio, aussi longtemps quon peut esprer que ce gouvernement agisse dans un sens conforme aux intrts de lalliance.

    Deux versions du texte diffus le 18 juin existent :

    - Celui qui fut rellement prononc ce soir la, 22 heures et non avant comme certains le disent.

    - Celui diffuse AVANT par un communiqu de la BBC, donc moins censur, et qui fut reproduit le 19 par certains journaux franais.

    Le vritable texte du 18 juin :

    Lhistoire de ce premier texte diffus le 18 juin mrite elle seule une mention spciale. Le discours ne fut pas enregistr par la BBC. Les premiers avoir dcouvert ces diffrences furent une quipe damateurs passionns sarthois3 qui se procurrent le texte tel quenregistr par les services radiophoniques suisses dans des conditions qui firent dire par J.C. Averty, qui suivait cette affaire, Franois Delpla au cours dune conversation tlphonique que cela ressemblait une livraison dhrone dans un caf de Barbs .

    Publi sans mention de sources en 1990, ce texte ne fut cependant jamais ni par les autorits helvtiques malgr le fait que sa publication drogeait de quelques mois lobligation des 50 ans de non communication, ce qui explique l'ambiance lors de sa livraison.

    Mais le clou a t enfonc par Christian Ross, membre suisse du forum Le monde en guerre 4 qui a retrouv dans les archives de Berne le texte original tel que publi, en allemand, par le service dcoute radiophonique suisse dans son Bulletin du 19 juin 1940 6 heures du matin.

    Le texte de lAppel du 18 juin, tel que retranscrit par les services dcoute suisses. Le gouvernement franais a demand lennemi quelles conditions honorables pourrait cesser le combat. Il a dclar en outre que la lutte devrait continuer si ces conditions taient contraires lhonneur, la dignit, lindpendance de la France.

    Nous avons t surpris et submergs par la force mcanique, la tactique de l'ennemi. Mais il y a, malgr tout, des raisons desprer.

    Croyez-moi, rien n'est perdu pour la France. Les mmes moyens qui nous ont vaincus peuvent nous apporter la victoire.

    La France n'est pas seule ! La France n'est pas seule ! La France n'est pas seule ! Elle peut faire bloc avec la Grande-Bretagne et disposer dimmenses rserves.

    La guerre n'est pas tranche par la bataille de France. Toutes les fautes qui ont t commises nempcheront pas quun jour lennemi sera cras Cela pourra se faire grce une force mcanique suprieure encore.

    Moi, Gnral de Gaulle, actuellement Londres, j'invite les officiers et les soldats franais qui se trouvent actuellement en Grande-Bretagne ou qui viendraient s'y trouver, se mettre en rapport avec moi. Ceci vaut galement pour les ingnieurs et les ouvriers spcialistes qui se trouvent dj en Grande-Bretagne ou qui viendraient s'y trouver.

    Quoi quil arrive, la force intrieure de la rsistance des Franais ne doit pas faiblir. Demain, comme aujourd'hui, je parlerai la Radio de Londres.

    Dans les archives fdrales suisses de Berne, le compte-rendu du discours du gnral du Gaulle apparat dans le Bulletin n 153 publi par le Gruppe Ohr (Service coute de la Division Presse et Radio de lEtat-major Suisse) 6h00 le 19 juin 1940, la page 3. Il est rdig en allemand. Le voici tel que Christian Ross nous la aimablement fourni :

    (11) England (frz.) 2200

    General de Gaulle (Sous-secrtaire dEtat de guerre dans lancien Cabinet Reynaud) spricht jetzt zu den franz. Hrern : Die frz. Regierung hat beim Feind angefragt, zu welchen ehrenvollen Bedingungen ein Waffenstillstand mglich wre. Ferner wurde erklrt, dass der Kampf weitergefhrt werde, falls Bedingungen gestellt wrden, die im Widerspruch stnden zu Frankreichs Ehre, Wrde und Unabhngigkeit. Wir sind von Technik, Kraft, Taktik des Feindes berrascht und berwltigt worden. Trotz allem knnen wir hoffen. Glaubt mir, dass noch nichts verloren ist fr Frankreich. Die gleichen Mittel, die jetzt gegen uns angewandt wurden, knnen uns den Sieg bringen. Frankreich ist nicht allein! (dieser Satz 3-mal wiederholt). Es kann einen Block bilden zusammen mit Grossbritannien und ber unermessliche Reserven verfgen. Der Krieg ist nicht fertig mit der Schlacht um Frankreich. Alle Fehler, die gemacht wurden, werden nicht verhindern, dass eines Tages der Feind erdrckt wird. Dies kann geschehen mit einer Kriegsmaschine (force mcanique) die der feindlichen noch berlegen sein wird. Ich, General de Gaulle, jetzt in London lade die frz. Offiziere und Soldaten, die sich jetzt in Grossbritannien befinden oder noch hierher kommen, ein, sich mit mir in Verbindung zu setzen. Das Gleiche gilt fr die frz. Ingenieure und Spezialarbeiter, die in Grossbritannien sind oder hierher kommen werden. Was auch kommen mag: die innere Widerstandskraft der Franzosen darf nicht untergehen. Wie heute, so werde ich auch morgen am Londoner Radio sprechen.

    Fan/Lie

    Scw/Stn.

    Archives fdrales suisses, E4450/5768 Bd. 3

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  • Laprs 18 juin :

    La discussion rebondissant dans la nuit, sans qu'aucun document n'en parle, sinon le rsultat final dans les journaux anglais du 19 au matin, qui est l'appel connu moins la dernire phrase "demain comme aujourd'hui".

    La encore, cest Hitler qui mne le jeu. Ptain lui demande ses conditions darmistice le 17 et il se hte lentement de rpondre, attendant le 21 pour convoquer une runion et faire connatre ses conditions. Ce nest qu cette date que le gouvernement britannique lchera du lest et laissera de Gaulle sexprimer plus librement, mais pas compltement encore et ce nest que le 23, jour o le cabinet examine pour la premire fois lventualit de reconnatre un comit prsid par le gnral, que les choses avancent vraiment 5 et 6.

    Avant cette date, les variantes de lAppel sont purement militaires. Elles appellent la rsistance mais ne remettent pas en cause la lgitimit de Ptain ni ne parlent de sa trahison, ce qui est cependant la base de la rbellion gaullienne.

    Les phrases manquantes seront ajoutes (ou plutt rtablies) fin juillet ou dbut aot (Accords de Gaulle-Churchill, l encore connu seulement par ses rsultats et son contexte - accord du 7 aot Angleterre-France libre -, notamment la fameuse affiche, dont la premire apparition est dans les journaux anglais du 5 aot).

    La premire apparition certaine du texte dfinitif, ou du moins du vritable texte dorigine, se trouve dans le n 1 du bulletin des FFL, mi-aot 1940.

    Les premiers rallis :

    Tant quil na pas en main cette reconnaissance de lentit France Libre comme tant politique, Charles de Gaulle ne cherche pas vraiment recruter des troupes, craignant que cela ne se transforme en une sorte de Lgion Franaise la remorque de larme britannique.

    Une maigre reconnaissance intervient cependant le 28 juin, Churchill reconnaissant officiellement de Gaulle comme tant le Chef de tous les Franais Libres, ou quils se trouvent, qui se rallient lui pour la dfense de la cause allie.

    Cest seulement cette date que de Gaulle se consacre vraiment au recrutement, assur que les volontaires ne seront pas aspirs par larme britannique.

    Quelques adhsions notables ont cependant eu lieu entre temps : Le gnral Catroux, Thierry dArgenlieu, LAmiral Muselier, le Consul gnral Bangkok Monod, lattach militaire Tanger Luizet, le consul gnral Pondichery, Andr Dewavrain qui, sous le pseudo de Passy prend en charge le BCRA, les clbres marins de lile de Sein, le Consul gnral de France Hong Kong, Louis Reynaud, etc.

    Le professeur Ren Cassin, qui deviendra le juriste de la France Libre, arrive le 29. Il demande de Gaulle Nous ne sommes pas une Lgion trangre dans larme anglaise, nous sommes larme franaise ? . De Gaulle lui a rpondu, en le regardant bien en face

    Nous sommes la France . Cassin en est rest comme deux ronds de flan

    Laffaire de Mers-el-Kebir, le 4 juillet, a affaibli le recrutement parmi les soldats franais prsents Londres depuis le repli de Dunkerque, a moins que la canonnade anglaise nait que servi de prtexte des gens qui de toute faon nauraient pas rejoint la France Libre.

    Cest ainsi que le 14 juillet 1940, seulement 300 hommes dfilrent Londres devant de Gaulle et Madame Churchill (Madame, pas Winston, significatif). Parmi eux, le parrain de Jacques Ghmard, tout juste quip et n'ayant jamais march au pas prcdemment. Il semblerait que certains ont dfil en civil. Mais, selon Max Gallo6, les effectifs cette date sont dune brigade, soit environ 2000 hommes en Angleterre, plus dautres ailleurs (Palestine, Egypte, etc.)

    Cependant, affaiblir ne signifie pas tarir et des nouveaux volontaires se rallient en juillet-aot :

    900 lgionnaires de la 13me DBLE dont le capitaine Koenig et le lieutenant colonel Magrin-Verneret dit Monclar, futur commandant du Bataillon France pendant la guerre de Core, le gnral Legentilhomme Djibouti, le colonel de Larminat au Caire, Lapierre, agent consulaire Chypre, le capitaine Hackin Kaboul, le capitaine Bouillon en Gold Coast, le lieutenant Soustelle Mexico, ralliement des Nouvelles-Hbrides et de Tahiti.

    Quelques navires viennent renforcer les Forces Franaises Navales Libres de Muselier : Le contre-torpilleur Triomphant, les sous-marins Rubis et Narval.

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  • Londres, 14 juillet 1940.

    Photo fondation de La France Libre

    Des pilotes aussi, qui seront les premiers Franais Libres reprendre le combat le 21 juillet aux cots de la RAF.

    Fin juillet, il y aura ainsi environ 2700 Franais Libres en Angleterre, plus les militaires en poste ltranger et qui se sont rallis, soit un total denviron 7300, dont 567 en Palestine et 253 en gypte.

    Petites anecdotes quant ces dbuts chaotiques :

    La premire voiture que Charles de Gaulle a utilise Londres tait une voiture franaise, pas anglaise, mise sa disposition avec le chauffeur par le Directeur de lagence Cartier de Londres, Etienne Bellanger.

    Grce aux ralliements de quelques petites colonies et larrive avec Muselier dun cargo franais contenant 1250 tonnes de cuivre, la France Libre nest pas financirement la remorque de la Grande-Bretagne. Les seules donations anglaises sont du matriel militaire et des armes, ainsi que quelques faveurs comme par exemple louer Carlton Gardens aux FFL un prix dami. Notons aussi que des collectes furent organises en Angleterre par de simples citoyens britanniques en faveur des Free French qui bnficirent quasi immdiatement du soutien de la presse et du public britannique.

    Au tout dbut, lorsque le personnel tait trs limit en nombre, de Gaulle en partant djeuner avec son quipe demanda la nouvelle recrue Georges Boris de rester pour garder la boutique . Ce dernier eut lair trs gn, hsitant : Mais je suis Juif ! . Rponse de De Gaulle : Monsieur Boris, je ne connais que deux sortes dhommes : ceux qui se couchent et ceux qui veulent se battre. Vous appartenez la seconde .

    A ce jour, 52 764 Franais Libres ont t nommment rpertoris7, mais leur nombre total est estim environ 55 000 par Henri Ecochard. De son cot, Jean-Franois Muracciole y rajoute environ 20 000 soldats coloniaux mais ce chiffre est discut.

    Le chemin de croix :

    Convaincu ds le 8 juin 1940, dcid ds le 16, prpar le faire ds le 17, Charles de Gaulle du attendre fin juin, plutt mme dbut aot 1940, pour pouvoir librement clamer haut et fort que Ptain avait trahi la Rpublique et que lui, de Gaulle, portait sur ses paules fort larges et fort hautes mais o combien encore fragiles la lgitimit politique de la Rpublique Franaise.

    De longues semaines de batailles ardues et pnibles pour chapper au concept dune simple lgion militaire franaise incorpore dans larme britannique qui en satisfaisait plus dun et, enfin, de faire tablir la notion de France Libre, organisme politique porteur de la lgitimit de la Rpublique bafoue Vichy.

    Les temples gaullistes historiques qui rechignent admettre ces faits on tort. Au lieu de sen tenir lhistoire sainte dun Appel unique ds le 18, il leur serait plus utile de dcorer leurs murs dicnes retraant ce chemin de croix. Cela prsenterait lavantage, comme disait lun de mes bons matres que je ne nommerais pas, de redonner du brillant aux statues ternies par l'encens des commmorations.

    En effet, la simple reconnaissance de ces alas nous montre un de Gaulle qui, face aux difficults, plie mais ne romps pas et, force de volont, de conviction et dexcellence politique arrive enfin ses fins avec le rsultat que nous connaissons.

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  • Cependant, selon Jacques Ghmard, ces diffrentes versions de l'appel du 18 juin ne concernent que l'histoire des Britanniques. Ce sont leur tergiversations eux, pas celle des Franais libres, pas celles de De Gaulle. Donc pour les FFL cet appel est effectivement unique puisque c'est celui dont ils ont pris connaissance bien aprs souvent, et c'est aussi leur propre appel intrieur, leurs raisons intimes et leur adquation avec l'appel de De Gaulle. Donc je suppose qu'ils ne considrent pas ces diffrentes versions comme rellement diffrentes et importantes .

    Voici donc une conclusion inacheve qui, nous lesprons, engendrera un intressant dbat sur notre forum.

    Les premiers Franais Libres de Hong Kong

    Ds le 20 juin 1940, le Consul gnral de France Hong Kong, Louis Reynaud, en avise Londres : la communaut franaise du territoire refuse larmistice et la paix spare.

    Le Comit de la France Libre est constitu le 19 septembre 1940 et, en 1941, sur les 120 membres de la communaut franaise, 40 adhrent au comit. Tous, en dcembre 1941, prennent part la dfense de Hong Kong, comme volontaires dans des units combattantes ou dans la dfense passive et trois y laisseront la vie. Neuf Franais libres sont prisonniers de guerre. Plusieurs dcderont en captivit, dont Paul de Roux, directeur de la Banque de lIndochine.

    Une tombe, inaugure en 1948 au cimetire militaire de Stanley, rappelle le sacrifice des Franais Libres de Hong Kong.

    Lieutenant Frdric Marie Jocosta, n le 12 juin 1908, engag volontaire le 8 dcembre 1941, tu North Point le 19 dcembre 1941: officier de liaison et chef du service de renseignement de la France Libre Singapour, Frdric Jocosta est de passage Hong Kong en octobre 1941. Il rejoint le Corps des Volontaires ds le premier jour de linvasion japonaise, lance le lendemain de lattaque de Pearl Harbour. Frdric Jocosta est tu dans les combats des premires semaines, sur lun des points dappui britanniques de la dfense de lle de Hong Kong.

    - Soldat Armand Delcourt, A.S.C. n Tournai le 4 mai 1899, engag volontaire en juillet 1940, tu Rpulse Bay le 21 dcembre 1941: les archives prcisent que Monsieur Armand Delcourt, dorigine franaise mais belge de nationalit a trouv la mort Hong Kong dans des conditions particulirement dramatiques. Le soldat Delcourt est en effet grivement bless de deux coups de baonette labdomen le 21 dcembre. Deux jours plus tard, alors quil cherche un poste de secours pour se faire soigner, il est captur par des soldats japonais Repulse Bay, en mme temps quune dizaine de soldats britanniques. Tous sont excuts une demi-heure aprs leur capture dune balle dans la nuque. Le consul de France, dans un mmoire de proposition pour dcoration titre posthume en date du 23 fvrier 1947, prcise au sujet dArmand Delcourt : faisant partie lui aussi malgr sa nationalit du mouvement de la France Libre et ce titre stait engag dans le Corps des Volontaires.

    - Cannonier Pierre B.M. Mathieu, 2nd BTY, n Marseille le 5 juillet 1911, engag volontaire en juillet 1940, dcd Sham Shui Po le 27 aot 1943. Agent de la compagnie Optorg de Hong Kong, Pierre Mathieu rejoint la France Libre en 1941 et devient secrtaire de la section de Hong Kong. Incorpor dans le Corps des Volontaires, affect la Deuxime Batterie dartillerie, il est fait prisonnier le 25 dcembre 1941, dernier jour des combats, et se trouve intern North Point puis Stanley. Cest dans ce dernier camp, Sham Shui Po, quil meurt lectrocut sur les fils de fer barbels.

    - Captain J.B.E.R. Egal, H.K.V.D.C., n Montclar dAgenais le 6 mars 1892, dcd le 29 dcembre 1947 Hong Kong: Ren Egal est lancien responsable de la France Libre Shanghai et se trouve en transit Hong Kong louverture des hostilits. Il rejoint le Corps des Volontaires de Hong Kong, comme capitaine, et fait partie du dtachement charg de la protection de lusine lectrique de lle de Hong Kong. Ren Egal est fait prisonnier dans les premiers jours des combats et est intern au camp des officiers de Sam Shui Ho, Kowloon. Un officier

    Notes : 1 Du 5 au 8 juin 1940, un tournant, Daniel Laurent et Alain Adam http://www.histoquiz-contemporain.com/Histoquiz/Lesdossiers/LaFrance19391945/juin40/Dossiers.htm 2 La face cache de 1940, Franois Delpla, F-X de Guibert, 2003 3 Revue historique et archologique du Maine, No. 12, 1990, directeur Jacques Fourmy (dcd). 4 - Christian Ross dans le forum Le monde en guerre, http://www.39-45.org/ 5 L'appel du 18 juin 1940, Franois Delpla, Grasset, 2000 6 De Gaulle, la solitude du combattant, Max Gallo, Laffont, 1998 7 - http://www.francaislibres.net/liste/liste.php

    Autres sources : Articles de MM. Jean-Louis Crmieux Brilhac, Eric Branca et Andr Malraux en ligne sur le site de la Fondation Charles de Gaulle : http://www.charles-de-gaulle.org/dossier/18juin/index.htm

    Remerciements : Un grand merci Jacques Ghmard du forum Livres de Guerre sans qui nos chiffres quant aux effectifs FFL auraient t trs hypothtiques. http://www.livresdeguerre.net/accueil/index.php

    Il serait indcent de ne pas remercier galement Franois Delpla sans qui cet article naurait pas vu le jour.

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  • britannique, chapp de ce camp en 1944, fournit alors des nouvelles sur Ren Egal pendant sa priode de captivit. En juillet 1944, Egal est en bonne sant et a conserv un excellent moral. [] Il est assez convenablement trait et peut se procurer des vivres de lextrieur. Il lui est permis de correspondre avec sa femme qui est professeur au collge municipal franais de Shanghai. Libr en 1945, Ren Egal reste Hong Kong et ses annes de captivit semblent lavoir affaibli. Il dcde en 1947 lge de 54 ans.

    Henri Belle, dcd Narume, prs de Nagoya le 3 novembre 1944 : marin de la marine marchande, Henri Belle est en transit Hong Kong lors de linvasion japonaise, alors quil sest port volontaire pour rejoindre la France Libre. Il sengage alors lui aussi dans le Corps des Volontaires et est fait prisonnier lissue des combats. Comme dautres prisonniers occidentaux, Henri Belle est transfr vers un camp dinternement au Japon o il dcde en 1944, sans que les causes du dcs soient connues.

    - Paul de Roux, victime de la Kempetai, dcd Hong Kong le 19 fvrier 1944 : directeur de la Banque dIndochine Hong Kong, Paul de Roux prend part la rsistance contre les forces doccupation japonaises. Arrt et tortur par la police secrte japonaise, la Kempetai, il meurt le 19 fvrier 1944. Lacte de dcs dress auprs des autorits britanniques le 13 avril 1950, sur tmoignage de M. Kwok Chan, compradore de la Banque de lIndochine, mentionne Unknown pour la cause de la mort, indication inconnue reprise dans la transcription de cet acte de dcs, inscrite au Consulat de France le 17 avril 1950.

    Sources : archives du ministre des Affaires trangres, Paris, fonds Londres ; Archives du Consulat gnral de France Hong Kong ; Evan Stewart, Hong Kong Volunteers in Battle, Ye Olde Printerie, Hong Kong, 1953.

    Mmorial des Franais Libres de Hong-Kong

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  • Il nous paraissait difficile de vous proposer un magazine largement consacr au 70me anniversaire de la Campagne de France sans y inclure linterview de lun des meilleurs spcialistes franais en la personne de Dominique Lormier. Cet historien connu et reconnu sest prt de bonne grce et avec gentillesse aux questions poses par nos lecteurs.

    Histomag44 : Pensez-vous que la France tait vraiment prte pour une guerre en 1939-1940 ?

    Dominique Lormier : Sur le papier l'arme franaise semble puissante. En ralit, il faut savoir par exemple que seulement 853 des 2 262 chars franais modernes sont quips d'un canon efficace pour la lutte antichar, alors que 2 043 des 2 683 chars allemands modernes sont arms d'un canon capable de percer 40 50 mm de blindage. Seulement 960 de nos

    chars sont endivisionns, alors que les 2 683 chars allemands en premire ligne sont regroups au sein des 10 Panzerdivisionen. Nous pourrions multiplier les exemples. La DCA fait cruellement dfaut, 3 800 canons souvent vtustes contre 9 300 pices modernes du ct allemand. Les transmissions sont dficientes, le ravitaillement en carburant archaque, l'arme de l'air disperse et infrieure en nombre, avec une partie des avions surclasss techniquement. Le gnral Gamelin disperse ses rserves, au lieu de les concentrer en des points prcis pour contre-attaquer.

    Histomag44 : Est-ce que l'efficacit de la ligne Maginot, telle que nous la connaissons, ne fut-elle pas survalue ?

    Dominique Lormier : Elle a jou son rle en repoussant les assauts allemands de tous cts en juin 1940 : 45 des 53 gros ouvrages demeurent invaincus lors de l'armistice. La Maginot alpine repousse de son ct toutes les attaques italiennes. Elle souffre cependant de diverses faiblesses : DCA insuffisante, angles morts non corrigs, troupes de contre-attaques insuffisantes surtout fin juin 1940.

    Histomag44 : Le plan Dyle-Breda (surtout l'envoi de troupes franaises en Hollande) ne fut-il pas une grosse erreur de la part du GQG franais ?

    Dominique Lormier : L'offensive allemande fut contenue en Belgique par la 1re arme franaise jusqu'au 15 mai. Cependant, le fait d'envoyer l'excellente 7me arme en Hollande fut une erreur dramatique, privant l'arme franaise d'une force considrable pour contre-attaquer la perce des Allemands sur la Meuse, sans parler de la dispersion des trois divisions cuirasses.

    Histomag44 : La perce de Sedan est une ralit, aurait-elle pu tre vite ? Et si oui, selon vous comment ?

    Dominique Lormier : Il tait possible de dclencher une puissante contre-offensive le 14 mai avec la 3me division d'infanterie motorise et la 3me division cuirasse, sans parler des divers bataillons de chars disponibles dans le secteur. La riposte franaise a t non coordonne et dcousue du fait de l'incapacit du commandement s'adapter la guerre mcanise moderne, fonde sur la rapidit d'action. La 7me arme franaise, maintenue dans la rgion de Reims et non engage en Hollande, pouvait renverser la situation dans le secteur de Sedan, avec les autres divisions franaises. La dfaite franaise de Sedan repose sur divers points : faiblesse de la dfense antichar et antiarienne, insuffisance des troupes devant dfendre un secteur aussi vaste, dispersion scandaleuse des divisions charges de contre-attaquer, contre-attaques non coordonnes, actions dcousues de l'aviation allie, lenteur de la riposte franaise etc...

    Histomag44 : Pensez-vous que Charles de Gaulle tait le mieux plac depuis Londres ? Si, oui, pourquoi et si non, qui aurait pu se trouver sa place ?

    Dominique Lormier : Face Churchill et Roosevelt il fallait un politique et un militaire la fois, le gnral de Gaulle runissait ces deux qualits. Il est donc l'homme idal de la situation et en a donn la preuve par la suite, malgr quelques erreurs minimes. Grce son action, sans oublier celles de Rmy, Moulin, Koenig, Juin, Giraud, De Lattre, et quelques autres, la France sera prsente Berlin lors la capitulation allemande en mai 1945, aux cts des trois autres grandes puissances victorieuses.

    Interview : Dominique Lormier Par Stphane Delogu

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  • Histomag44 : En mettant en avant la qualit de certains chars franais tels que le Somua ou le B1 bis, ne cherche t'on pas masquer les insuffisances d'autres blinds tels que le FCM 36, le R35 ou le D2 ?

    Dominique Lormier : Tous les chars franais taient de bonne qualit en ce qui concerne le blindage. La tourelle monoplace fut un lourd handicap, permettant aux panzers de tirer deux trois ou quatre fois plus vite. Le canon de 37 mm modle 1918, quipant la quasi totalit de nos chars lgers fut un dsastre tactique, du fait de son manque d'efficacit contre les principaux panzers. L'arrive de l'excellent canon de 37 modle 1938 fut beaucoup trop tardive pour quiper l'ensemble des chars lgers. Le Somua, le D2 et le B1 bis pouvaient dtruire tous les panzers avec le remarquable canon de 47 mm, mais ils ne formaient qu'une minorit de nos chars modernes, comme je l'ai prcis dans la rponse de la premire question. Enfin, la majorit de nos chars ne dispose par de radios, rendant ainsi impossible la coordination des attaques et des contre-attaques franaises. Malgr cette situation, le soldat franais n'a pas dmrit en mai-juin 1940, en opposant une rsistance acharne aux forces armes allemandes, comme l'ont reconnu les gnraux Rommel et Guderian.

    La bataille de France jour aprs jour

    Avec ce nouvel ouvrage consacr un pisode douloureux de notre histoire, Dominique Lormier livre une tude passionnante agrmente de nombreux tmoignages indits, solidement appuye sur des sources nombreuses et exploitant une impressionnante quantit darchives. Le printemps 1940, souvent dcrit comme le crpuscule dune arme dpasse et la motivation dfaillante, est aussi celui dune dfaite qui a lourdement marqu la mmoire collective, peine compense par les assauts victorieux des armes de la libration. Selon lauteur, non seulement les troupes franaises se sont battues avec courage et acharnement, mais leur sacrifice a permis de protger la Grande Bretagne de linvasion allemande. A en juger par les pertes ennemies durant les mois de mai et juin 1940, il apparait clairement que nos soldats tant dcris auraient pu crire une page mmorable de notre histoire et en changer le cours en stoppant les armes dHitler si des erreurs stratgiques gravissimes navaient fait le jeu des allemands. Lauteur propose cette tude de manire innovante, en se dmarquant dune mise en perspective globale, privilgiant un tableau quotidien des oprations qui se soldrent par un chec dont les squelles firent du soldat de 1940 le symbole de la dfaite. Avec ce livre au plus prs de lactualit, Dominique Lormier apporte un clairage nouveau sur les faits et rend ses hommes la reconnaissance qui leur est due.

    ditions du Cherche Midi, 19,50 euros, en librairie partir du 22 avril 2010.

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  • Paul Reynaud est cens avoir t un antinazi au long cours. En charge du destin de la France avec dimmenses pouvoirs, de droit et plus encore de fait, au moment o le nazisme la menace dans son existence mme, voil quil dmissionne et cde la place au partisan le plus notoire de la recherche dun accommodement avec le Troisime Reich, le marchal Ptain. Comment un tel paradoxe a-t-il t possible ?

    Deux explications principales ont t proposes et, dans bien des tudes, se combinent : il aurait perdu politiquement la main, les ptainistes le mettant en minorit ; il aurait cd devant lopposition criarde la continuation de la guerre de celle qui partageait sa vie, la comtesse Hlne de Portes. Lui-mme a longuement plaid pour la premire explication, en cartant rsolument la seconde.

    Jincline lui donner raison sur ce dernier point : cette compagne envahissante (traite significativement de matresse par un grand nombre dauteurs), qui plaidait peu discrtement pour larmistice lors de lexode du gouvernement sur la Loire puis la Gironde, ntait pas politiquement trs influente, ni sur lui ni sur personne dautre. Ses vocifrations taient bien plus un symptme quune cause.

    Cependant, il est faux que les choses se soient joues la majorit et que Reynaud ait, ce jeu, t battu, un moment quelconque. Il et fallu pour cela que sa position ft claire, et quil la mt aux voix. Comme elle resta floue, personne neut se prononcer sur elle.

    Il faut citer et re-citer un texte exhum en 1991 par John Costello et publi intgralement par moi-mme en 1993, jusqu ce quil soit connu et suffisamment pris en compte dans les analyses. Il est rdig le 20 mai par un collaborateur de Reynaud qui est

    probablement le diplomate Robert Coulondre (ambassadeur Berlin jusqu la guerre et employ depuis au Quai dOrsay diverses tches) :

    Offres ventuelles de paix de lAllemagne

    M. Nordling, Consul Gnral de Sude Paris, qui avait accompagn M. Coulondre et le gnral Mittelhauser lors de la mission accomplie en Scandinavie du 12 au 14 avril, est revenu 15 jours plus tard Paris en traversant lAllemagne. Il sest joint une mission sudoise qui comprenait M. Dahlerus, industriel connu pour ses relations avec le Marchal Gring, le Directeur des Affaires conomiques au Ministre des Affaires trangres sudois et le chef dtat-Major des forces navales sudoises.

    Cette mission a propos au gouvernement du Reich un projet consistant essentiellement assurer par des forces navales sudoises la police des eaux norvgiennes et la rpartition quitable du minerai de fer entre lAllemagne et les Allis. Ce projet a t repouss par les Allemands.

    Le Marchal Gring a cependant tenu voir M. Dahlerus qui, plusieurs reprises, stait fait lintermdiaire doffres de paix allemandes. Le Lieutenant du Fhrer a exprim lavis que toute paix tait impossible dans les conditions qui rgnaient alors. Il a ajout cependant que si la guerre tait porte en Belgique et si larme allemande parvenait semparer de la cte belge et de Calais, le Fhrer ferait une proposition de paix. Il demanderait lannexion dEupen, de Malmdy, du bassin de Briey, ainsi que lattribution de colonies au Reich. Pour le reste, il se contenterait, dans lensemble, du maintien du statu quo avant les hostilits.

    Si la France repoussait ces propositions, la guerre serait tendue aux populations civiles et le peuple franais apprendrait ce quil en cote dtre mal dirig .

    Les indications ci-dessus, dont la source est absolument sre, prennent une importance particulire la lumire des vnements qui se sont drouls depuis lors.

    Il est permis de se demander en particulier si le Duce nattend pas le moment o M. Hitler, sestimant vainqueur, formulerait des conditions de paix, pour entrer lui-mme en scne1.

    1cf., du mme auteur, Churchill et Les Franais, Paris, Plon, 1993, p. 490-491.

    Le secret de Paul Reynaud Par Francois Delpla

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  • La conversation Gring-Dahlerus a eu lieu le 6 mai. Ce 20 mai, Nordling fait antichambre et presse Reynaud de le recevoir, ce quil va faire en le dissimulant puis, quand en 1963, il fut forc de le reconnatre dans la dernire mouture de ses mmoires, il prtendit quil lavait

    rapidement conduit aprs lavoir trait de dfaitiste . Sans doute son amour perdu de la patrie franaise lui avait-il fait oublier le statut de diplomate du visiteur, et la neutralit de son pays !

    Si nous rtablissons un peu de srieux dans lexamen de ce moment crucial, et Costello nous y aide bien, nous constatons que, comme il est logique, loffre de paix est tombe en terrain fertile, cinq jours aprs le constat dune catastrophe sans pareille Sedan, et quatre aprs la journe de panique du 16, lorsquon improvisait une vacuation de Paris avant dapprendre que les Panzer avaient pris la route de la mer.

    Malheureusement les archives ont t passes au bazooka, tant Paris qu Londres. Linventaire imprim des archives nationales anglaises relatives cette guerre comporte en effet une mention aussi bizarre quunique, propos des papiers du Foreign Office concernant la Sude : Une partie de la correspondance pour 1939 et 1940 a t dtruite en 1940 devant la menace dune invasion ennemie2.

    Bel aveu mais incomplet. Car des destructions darchives en prvision dune invasion se font plutt en gros quen dtail et concernent les relations avec les grandes puissances plutt quavec les petites. Et Londres na jamais t menac ce point, ni priv dune matrise des mers qui permettait de mettre tout document compromettant hors datteinte du Reich. Lequel a donc ici bon dos. Restait au chercheur examiner ce qui restait de cette correspondance et constater que les censeurs avaient slectivement pourchass le nom de Dahlerus. Pour une raison que les destructions, qui ont tout de mme laiss quelques vestiges, laissent apparatre : Halifax, lui, ministre des Affaires trangres de Chamberlain puis de Churchill, avait fait bon accueil aux efforts de mdiation de lindustriel sudois.

    Hitler est probablement fort du, vers ce 20 mai, de ne recevoir aucune ouverture de paix, ni de Paris ni de Londres. Il est vrai que dans cette dernire capitale est survenue, depuis la conversation Gring-Dahlerus, un changement politique radical mais sur la porte duquel il est alors lgitime de sinterroger : Churchill a remplac Chamberlain au poste de premier ministre, ce qui risque de compliquer les choses mais pourrait 2The Second World War / A Guide to Documents in the Public Record Office, Londres, Her Majestys Stationery Office, 1972. Les cotes correspondantes sont FO 188/328, 329, 336, 337, et FO 371/24860 24863. Cf., du mme auteur, La Ruse nazie, op. cit., p. 257-259.

    aussi les acclrer. Celui qui dnonait dans un relatif isolement le danger nazi en conseillant de sappuyer sur larme franaise a toutes chances dtre dstabilis par le dsastre survenu cette dernire le lendemain mme de la formation de son gouvernement. Sa chute rapide serait synonyme de paix gnrale, puisque prcisment lAllemagne a fait savoir aux initis que ses conditions seraient gnreuses .

    Le 25 mai, un comit de guerre se runit Paris. Il comprend les trois principaux dirigeants politiques (Lebrun, prsident de la Rpublique, Reynaud, et Ptain titre de vice-prsident du conseil), assists des ministres comptence militaire, et les chefs des trois armes. Tous ces personnages sont fort pessimistes sur lissue de la guerre. Ptain et Lebrun en sont dj envisager un armistice spar, quoi que puisse penser ou faire lalli anglais. Les autres intervenants pensent que lAngleterre a son mot dire et le gnral Weygand, secouant Reynaud, lenvoie littralement Londres exposer nos difficults . Passant la journe du lendemain dans la capitale britannique, Reynaud, inhib par lloquence churchillienne, nose parler darmistice, mais se rabat sur lide dune mdiation italienne, qui a surgi du chapeau de Halifax (lequel nose pas parler ouvertement des propositions de Gring).

    Des remous piques agitent pendant trois jours le cabinet britannique ce sujet, mais, providentiellement, Mussolini se drobe, ayant en ces mmes jours dcid dentrer en guerre comme un coucou, pour profiter de la victoire allemande. Le 28 au soir, Churchill tlgraphie Reynaud que lide dune mdiation italienne nest pas opportune . LAnglais russit alors polariser lattention gnrale sur lvacuation de Dunkerque, et la prsenter, le 4 juin, comme un grand succs, ce qui donne un peu dair aux partisans de la continuation de la lutte. Cependant Reynaud tente un nouvel effort : il envoie Londres le patron de presse Jean Prouvost, afin daccder Churchill par lintermdiaire de son confrre Beaverbrook, propritaire de journaux et prsentement ministre. Il sagit de demander

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  • carrment aux Anglais quelles dernires chances les Allis pouvaient avoir de solliciter ensemble un armistice et dobtenir une paix ngocie.

    Cette mission, dvoile en 1944 dans un livre de Pierre Lazareff (le rapprochement entre Prouvost et Reynaud tant connu depuis toujours puisquil en fait sur lheure un ministre inattendu), et parfaitement inconnue des archives britanniques, doit stre droule le 4 juin. En tout cas, le 5, Prouvost est de retour et se confesse Lazareff (son premier collaborateur) sous le sceau du secret. Les ractions de Beaverbrook et de Churchill ont t nettes, et leur formulation intressante :

    Pas de paix ngocie, pas darmistice. La bataille de France nest quune bataille dans la guerre mondiale. Si cette bataille est perdue, la guerre continuera. La bataille de France est dj trop compromise pour que nous y risquions une partie de nos forces, le plan est de mnager au contraire nos forces pour la seconde bataille qui sera celle dAngleterre. Lalli franais doit tenir le plus possible pour nous donner le temps de mieux nous prparer, puis se replier sur ses positions coloniales, abandonnant le terrain lennemi, jusquau jour de la victoire allie qui permettra de librer son territoire. La France avait livr la premire bataille et reu les premiers coups. LAngleterre prparait la seconde bataille grce laquelle elle esprait pouvoir dlivrer ses allis. La guerre avait-elle t finie lorsque la Pologne fut occupe ? Et navait-on pas eu tort de sacrifier des forces de rserve pour aider sans espoir la Belgique ?3

    Le secret de Reynaud, dj dductible de son comportement pour qui voulait bien le dcrypter, ne devrait plus faire de mystre pour personne aprs la redcouverte de ce texte. Si, en ce mois de juin, il va sopposer Ptain et Weygand sur la question de larmistice, ce nest pas que lacte en lui-mme lui rpugne, ou quil le croie vitable. Cest uniquement parce quil ne veut rien signer avec les Allemands sans les Anglais alors que Weygand a, au lendemain du comit de guerre du 25 mai, prestement rejoint Ptain sur cette question.

    Une confirmation peut en tre trouve dans ce que Reynaud dit le 15 juin au ministre polonais des Affaires trangres, Auguste Zaleski : pessimiste sur la possibilit dvacuer de France larme polonaise, il conseille son gouvernement de demander lui-mme un armistice4 ! Le ministre et son chef de gouvernement, Sikorski, vont alors prendre langue avec Churchill et sauver, avec leur belligrance, le