Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale (3e ...

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale (3e édition) par Paul Janet,...

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    Histoire de la sciencepolitique dans ses rapportsavec la morale (3e dition)

    par Paul Janet,...

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  • Janet, Paul (1823-1899). Histoire de la science politique dans sesrapports avec la morale (3e dition) par Paul Janet,.... 1887.

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    DE LA

    SCIENCE POLITIQUEDANS SES RAPPOUTS AVEC LAMORALE

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    TOURS. IMP. ARRAULT ET C".

  • HISTOIRE

    DE LA

    SCIENCE POLITIQUE

    DANS

    SES RAPPORTS AVEC LA MORALE

    PAR

    PAUL JANETMEMBREDE L'INSTITUT,PROFESSEURA LA FACULT DES LETTRES DE PARIS

    TROISIME DITION

    REVUE, REMANIE ET CONSIDRABLEMENTAUGMENTE

    Ouvrage couronn par l'Acadmie des sciences morales et politiqueset par l'Acadmie franaise

    TOME PREMIER

    PARIS

    ANCIENNE- LIBRAIRIE GERMER BAILLBRE ET Cie

    FLIX ALCAN, DITEUR

    108 Boulevard Saint-Germain, 108

    1887Tous droits rservs.

  • ERRATA (Tome I)

    Pages. AU LIEU DE LISEZ

    87, 1. 32 Chaque.La justice,pays Chaque pays. La justice129, n. 3, 1. 9 la politique la rpublique.187,1.19 la parole la morale.370, n. 1 et 2 q. XC1 q. XC.371, n. 1 q. XIIII q. XCIU.374, n. 3 q. XCV la 2* q. XCL.375, n. 1 q. LVII 2" 2"> q. LVII.378, n. 1. 2 lect. III lect. IV.379, n. 1. 3 illis Mos.384, n. 1 a. 3 a. 1.385 et suiv. Comm. Sent. Comm. in l. II Sent.385, n. 2 q. IV q. L387, n. 1 a. 3 a. 2.387, n. 2, 1. 3 Virtuali Virtuosi.463, I. 18 subjicit subpci.

    JANET. Science politique.

  • AVERTISSEMENTDE LA TROISIME DITION

    Cet ouvrage, que nous publions pour la troisime fois, aurabientt quarante annes d'existence. Il a t conu en 1848,

    sous l'impulsion des vnements de cette anne clbre et enrponse au Programme de l'Acadmie des sciences morales etpolitiques, qui avait mis au concours la question suivante Com-

    parer la philosophie morale et politique de Platon et d'Aristote

    avec celle des publicistes modernes les plus clbres. Notremmoire ayant t couronn en 1853, nous nous sommes remis

    au travail pour complter notre ouvrage et au lieu d'une simplecomparaison entre les doctrines de Platon et d'Aristote et celledes plus grands publicistes, nous avons entrepris et essayd'excuter, sur un plan gnral, une Histoire de la philosophiemorale et politique. L'ouvrage parut sous ce titre, en 1859; et soussa forme nouvelle il eut cette fois l'honneur d'tre couronn parl'Acadmiefranaise.

    En 1872, nous donnmes la seconde dition de notre ouvrage,mais- en changeant le titre et en modifiant assez profondmentle fond. Il nous avait sembl que c'tait trop que de promettre la fois une histoire de la morale et une histoire de la politique,et que ces deux histoires devaient tre l'une et l'autre incom-pltes en second lieu que la morale et la politique ne se dve-loppent pas toujours concurremment, et ne rpondent pas nces-sairement l'une l'autre. Combien de moralistes n'ont pas touch la politique Combien de publicistes ne se sont pas occups demorale L'ouvrage manquait donc d'unit, et tait condamn de nombreuses lacunes. Il nous sembla qu'il tait prfrable deprendre pour centre l'une des deux sciences et comme la poli-tique tait la moins connue, c'est celle-l que nous avons choisie,

    sans perdre de vue sa liaison avec la morale, liaison qui avait t

  • la pense dominante de notre livre, et qui lui donnait son carac-tre philosophique.Nous pmes, grce ce remaniement, donner notre ouvrage plus d'unit et, pour ce qui concerne la politiqueproprement dite, ajouter considrablement l'dition prcdente.Enfin nous dmes rsumer ce changement de point de vue dansle titre du livre qui devint celui-ci Histoire de la science politiquedans ses rapportsavec la morale.

    Cependant il y avait encore bien des lacunes. Conformmentau plan primitif, les grands noms dominaient tout nous avionsun peu nglig, notamment dans la seconde partie de notresecond volume les non^s secondaires quelques-uns mmed'illustres dans des sciences voisines (Vico, Ad. Smith), et lcstravaux moins connus qui servent de transitions et de passages,et qui compltent et clairent le tableau. On trouvera donc danscette nouvelle dition un certain nombre de chapitres entire-ment nouveaux (1), et dans tous de trs nombreuses additions.De plus, dans une Introduction tendue et toute nouvelle, nousavons tudi les Rapports du droit et de la politique, commenous avions fait dans une Introduction prcdente pour les Rap-ports de la politique et de la morale et nous avons saisi cetteoccasion de traiter fond la question si controverse des Droitsde l'homme. Nous avons aussi notablement soign et augmentla bibliographie de notre sujet; et je ne crois pas qu'il reste unnom ou un crit politique de quelque importance qui ne soit aumoins mentionn par nous, soit dans le texte, soit dans les notes,soit dans Ylndea: plac la fin de jiotre second volume. Nousavons ajout, pour la facilit des recherches, une table analyti-que enfin nous n'avons rien nglig pour faire de cet ouvragele rpertoire le plus complet de la Science politique considredans ses principes philosophiques.

    La limite o nous nous sommes arrt, comme dans les ditionsprcdentes, a t l'poque de la Rvolution franaise; mais nousnous sommes avanc beaucoup plus prs que nous ne l'avionsfait encore, et nous sommes arriv tout fait jusqu'au seuil dece grand vnement, d'une part dans notre dernier chapitre, onous tudions les publicistes amricains et les publicistes de89, Mirabeau et Sieys d'autre part, dans notre nouvelle Intro-duction o nous analysons et rsumons la Declaration des droits de

    (1) Par exemple, les chapitres sur les Encyclopdistes, sur la Philosophiemorale et politique en Italie et en cosse, sua; les Publicistes amricains, etenfin la Conclusion.

  • l'hommeen Amrique e.t en France; enfin dans la Conclusion quicontient un rsum rapide, mais, nous le croyons, assez complet,de la politique du xix sicle, au moins en France, avec quelquesindications bibliographiques pour les autres pays. Nous ne renon-ons pas l'esprance, quelque prsomptueuse qu'elle puissetre notre ge, de complter plus tard notre ouvrage par untroisime volume qui nous conduirait jusqu' nos jours. Enattendant, nous en avons dj donn quelques fragments quenous prenons la libert de rappeler ici, par exemple La Philoso-phie de la Rvolution franaise (1875) les Origines du socialismecontemporain (1883) Saint-Simon et le Saint- Simonisme (1878)et dans nos Problmes du xixe sicle l'article Tocqueville; enfin, deuxarticles de la Revue des Deux Mondes l'un sur le fondateur duPhalanstre, Ch. Fourier (1879), et l'autre sur l'Introduction lascience morale d'Herbert Spencer (1873). Ces divers fragments for-ment dj une notable partie de notre sujet. Nous en avonsd'autres en manuscrit qui viennent de nos cours l'Ecole dessciences politiques. On voit que ce n'est pas tout fait sans fon-dement que nous nourrissons l'espoir d'amener plus tard notretravail jusqu' l'poque contemporaine. En tout cas, la limitede 1789 est assez prcise et assez tranche pour que notre livrepuisse se prsenter comme un tout complet.

  • INTRODUCTION

    DE LA TROISIME DITION

    RAPPORTS DU DROIT ET DE LA POLITIQUE

    LES DCLARATIONS DE DROITS EN AMRIQUE ET EN FRANCE

    Dans l'Introduction de notre premire dition, que nousreproduisons plus loin, nous avons expos les rapports de laMorale et de la Politique. Nous croyons devoir faire prcdercelle-ci d'une tude du mme genre sur les rapports du Droitet de la Politique. Nous aurons ainsi rapproch la sciencepolitique des deux grandes branches de la science thique,auxquelles Kant a donn le nom de Doctrine de la vertu(Tugendslehre) et de Doctrine du droit (Rechtslehre).

    Mais tandis que dans notre premire Introduction nousavions tudi la question pose sous une forme abstraite ettoute thorique, il nous a sembl cette fois plus opportund'exposer cette nouvelle question sous une forme plus con-crte et plus vivante, sous forme historique et un peu pol-mique, c'est--dire en discutant la valeur des Dclarations dedroits qui ont inaugur en Amrique et en France les rvolu-tions de ces deux pays. Outre l'avantage de donner plus devie la discussion, et de faire toucher au doigt d'une manire

  • plus prcise le rapport de la politique et du droit, nous ytrouvons encore un autre avantage, celui de complter notre

    propre livre, en y ajoutant des documents aussi considrables

    de la science politique que ces sortes de Dclarations. C'est

    clore et circonscrire d'une manire prcise notre sujet et notree

    ouvrage, notre plan ayant toujours t de ne pas dpas-

    ser 1789, tout en ouvrant des perspectives sur ce qui a suivi.

    Cette Introduction est donc en mme temps une sorte deconclusion.

    En gnral, on peut dire que rien ne fait mieux ressortir

    l'intrt et la valeur d'une ide que la contradiction.Les droits

    de l'homme ne seraient aujourd'hui qu'un lieu commun pai-

    sible et ennuyeux, et, ce qui est plus grave, un thme grossier

    de revendicationsbrutales et antisociales, si ce sujet ne s'tait

    trouv en quelque sorte rajeuni et relevpar un assez curieux

    revirement d'opinions qui s'est manifestparmi nous au sujetde ces Dclarationssolennelles,que l'opinion librale et dmo-

    cratique avait toujours considres comme la base ncessaire

    et inbranlable de l'ordre social nouveau fond en 1789; Atoutes les crises politiques qui avaient marqu un progrs ouune tape dans la marche de la Rvolution, en 89, en 93,

    en 95, en 1848, et mme eii 1852, on avait cru obligatoire de

    faire prcder chaque constitution d'une table de droits, d'uneespce de Dcalogue auquel, quelques poques (en 95 et

    en 48), on avait ajout, par un juste sentiment d'quilibre,

    une table des devoirs, Cependant, dans la dernire constitution

    vote en 1875, on a renonc cette tradition et de la partd'aucun parti il n'y eut ombre de protestation.

    Ce revirement a eu pour cause un sentiment juste au fond,et de plus en plus rpandu, sur la diffrence qui doit exister

    entre la politique et la philosophie la premire ayant pourobjet des intrts rels, concrets; dfinis; la seconde, des

    principes rationnels abstraits, toujours plus Ou moins indter-

    mins. On invit la France faire son examen de conscience

    et se demander si elle n'avait trop cru jusque-l la vertu

  • des principes et des ides on lui a montr par comparaisonles nations trangres les plus proches, plus avances qu'elle-mme dans la pratique des liberts sociales, et on lui a dit quesi elle avait t retarde dans la conqute de ces liberts, c'estqu'elle avait plac le but trop haut et qu'elle s'tait grise demtaphysique politique. En Angleterre et en Amrique, a-t-ondit, la race anglo-saxonne, plus positive, plus pratique; moinstranscendante, est alle plus droit au fait et s'est contente dupossible, sans trop se proccuper de l'idal l, ce qu'onappelle Dclarations de droits, bill des droits, ne serait que laconstatation ou la confirmation d'intrts- positifs; consacrsplus ou moins par la coutume et par la tradition et pourlesquels il s'agissait de trouver des garanties. Aussi chaquervolution a-t-elle t limite l'objet pour lequel elle taitfaite. En France; au contraire, en partant des principes d'unrationalisme abstrait, on a jet le germe de la rvolution per-ptuit on a engendr la secte des rvolutionnaires outrance,qui veulent assujettir la socitau lit de Procuste de leurscon-ceptions systmatiques;Voil pourquoi, dit-on,la rvolutionenFrance a t si violente, si fanatique; et pourquoi elle n'a puencore tre ferme, tandis que depuis longtemps l'Angleterreet l'Amriquei reposant sur des principes semblables, onttrouv la. stabilit et nous offrent le modle des socits lesplus fortes et les plus solides qui existent encore aujourd'hui.

    Ce qui a longtemps retard l'introduction de ces vues dansl'opinion librale de la Franc, c'est qu'elles n'ont t sou-tenues d'abord que par les ennemis de la libre pense ou parles ennemis de l'esprit franais. En Allemagne,c'taitce qu'onappelait l'cole historique, lie l'esprit de raction le plusaveugle; en France, c'tait Joseph de Maistre, l'aptre fana-tique de la thocratie du moyen ge en Angleterre, c'taitEdm. Burke, plus ou moins libral dans son pays, maisennemi acharn d la Rvolutionfranaise.

    Tant que les objections contre les droits de l'hommene sontvenues que de ces diflrntes coles* bien loin d'exercer une

  • influence quelconque sur l'opinion librale, elles ne faisaient,

    au contraire, en la provoquant, que la pousser du ct o

    elle penchait. Toutes les nuances du libralisme croyaient auxDclarations de droits; et, tandis qu'en 1875 il n'y eut pas unevoix pour protester contre la suppression de ce prambule, iln'y en eut pas une non plus en 1848 pour s'opposer sonintroduction. Mais, depuis cette poque, l'esprit de la philoso-phie a beaucoup chang tandis qu'elle avait t jusque-l

    idaliste, amie des principes absolus et des ides pures, elle

    entra de plus en plus, aprs l'chec de 48 et de 52, dans lavoie critique et positive.

    C'est en effet l'cole positive, par l'organe d'Auguste Comte

    son fondateur, qui, la premire entre les coles progressistes,

    a protest contre la mtaphysique politique par la raisonbien naturelle qu'elle protestait contre toute mtaphysique.C'est un autre libre-penseur,c'est le plus illustre reprsentantde l'cole exprimentale, M. Taine, qui a le plus insist surl'ordre d'ides que nous venons de rsumer. D'autres libres-

    penseurs, non moins brillants, non moins populaires, ontpouss dans la mme voie. Ce point de vue nouveau, mandes philosophies les plus la mode, taye d'ailleurs, il faut ledire, sur des considrations solides, appuy par les historiensqui se voyaient de plus en plus investis du rle d'claireursassum jusque-l par les philosophes, acceptpar les politiquespratiques qui trouvaient l le moyen de faire passer dans lefait ce qu'on n'et pas accept en principe, rpandu de plusen plus dans la presse claire, trop heureuse de trouver unesource nouvelle de lieux communs, a fini par triompher surtoute la ligne. Les Dclarationsde droits ont fait sourire les

    uns, provoqu l'indignation des autres, et sont devenues res-ponsables des erreurs et des excs de la Rvolution.

    Nous n'avons nullement l'intention de rclamer contre cequ'il y a de sens, de pratique,d'incontestabledans la doctrineprcdente. Nous ne demandons pas une revision de la Consti- tution pour y faire insrer une nouvelle Dclaration de droits.

  • Nous trouvons trs naturel et trs sage qu'on nerenouvelle

    pas indfiniment ces sortes d'actessolennels ncessairement

    vagues. Introduire une nouvelleDclaration de droits

    chaque rvolution, c'est se donner la tentationd'en inventer

    chaque fois de nouveaux. Or la tabledresse par nos anctres

    est assez, vaste pour occuperl'humanit pendant plusieurs

    sicles. Que si, une poque critiquede l'histoire, lorsque le

    sort. de la socit est chang de fond encomble et qu'un

    nouvel ordre social est sur le point de seproduire, il a pu

    tre utile de stipuler les conditions de cetordre nouveau et

    d'en dresser le programme, il ne faut paslaisser croire qu'on

    soit sans cesse en prsence d'unervolution du mme genre.

    C'est d'appliquer les principes plutt quede les proclamer

    qu'il s'agit vritablement. Le succs exigeplutt la science du

    rel qu'uneperptuelle contemplationdel'idal. On peutparfai-

    tement, sans renier le moins du mondeles droits de l'homme,

    croire avec tous les hommes sages quela France s'est trop

    paye de formules et qu'elle ne s'est pas assezapplique

    tudier les faits ce qui, en effet, est beaucoupplus difficile.

    Une grande cole des sciences politiques at fonde

    parmi nous par la libert (1) et elles'est inspire de ce point

    de vue vraiment patriotique;elle aorganis la science politique

    dans le sens le plus positif et le plusconcret. Elle nous a

    donn le modle de ce que doit faire chacun de nous pourson

    instruction personnelle. Elle a pris pour base\^J

    l'tude des faits sociaux. C'est un grandprogrs. Voil la part

    que nous n'hsitons pas faire l'opinion que nous voulons

    examiner. Ce ne sont pas mme l desconcessions ce sont

    des assertions positives que nousprendrions notre compte,

    si d'autres coles ne s'en taient charges.

    O voyez-vous, en effet, que laphilosophie idaliste soit

    tenue d'ignorer le rel et que lathorie des principes a priori

    (1) Cette cration est due j'initiativepersonnelle et l'habilet

    dont le nomreviendraplusieurs fois dans cette discussion.

  • n'ait pas besoin du concours de l'exprience? S'il y a eu excsde ce ct, c'est qu'on est tent toujours de verser par o l'onpenche;' il peut donc y avoir des excs inverses. Mais ce n'estpas la fute des principes, c'est la faute des hommes, qui nesont pas assez forts pour avoir deux ides la fois. Entre lesassertions raisonnables dont nous venons de faire la part, etcette affirmation doctrinale, que la France a commis unegrande faute et presque un grand crime en prenant le droitpour drapeau, il y a une assez grande distance; et l'on peuttre sage dans le prsent sans tre injuste envers notre pass

    Dans toutes ces critiques que l'on fait de l'esprit franais enpolitique, on devine toujours un regret inexprim, mais sous-entendu Quel malheur que la France ne soit pas l'Angle^terre! Mais, si la France tait l'Angleterre, qui donc seraitla France? N'a-t-elle donc servi rien? N'a-t-elle pas aussison gnie propre? Pourquoi n'y aurait-il pas dans le mondeun peuple dont la fonction serait d'laborerdes ides gnraleset de rsumer les choses dans l clart des ides simples?Nous avons assez enseign la logique pour n'avoir pas apprendre les inconvnientset les dangers des ides gnrales

    mais nous avons appris aussi que, de l'aveu de tous les philo-sophes, ce sont les ides gnrales qui distinguent l'hommedel'animal. Se conduire par la coutume et l'habitude est le carac-tre propre de la bte; se conduire par principes est le proprede 1 homme. Un peuple qui se serait charg, ses risques etprils, d trouver le plan et le cadre des travaux sociaux del'humanit, aurait jou par l un rle dont il n'a pas serepentir et avoir honte. Il a fait ce qu'il avait faire. D'autresont eu leur fonction; il a la sienne, Pourquoi s'huinilierait-ildevant eux?

    Mais nous ne voulons pas nous placer sur un terrain aussilev; nous voudrions, au contraire, rester sur le terrainhistorique, le terrain des faits, montrer que la doctrine desdroits naturels, proclame par la Rvolution, n'est pas moinsd accord avec l'histoire qu'avec la philosophie, qu'elle est le

  • rsuiii du travail des sicles; qu'elle n'est pas d'ailleurs exclu-

    sivemeiit propre la France, que, si celle-ci y eu une-grandepart d'autres nations y ont contribu galement;

    en un mot,

    nous voudrions employer M mthode mme de noscontradic-

    teurs pour tablir que la philosophie n'est pas unetrangre

    dans la politique, qu'elle y entre pour sa part lgitime;quel-

    quefois avec excs, comme toutes les puissancesde ce monde,

    souvent avec efficacit et; dans certains cas, d'unemanire

    irrsistible;Nous voudrions tablir les trois propositions suivantes

    i La France n'a pas invent les droits de l'homme; elleles

    a eniprunts l'Amrique. Sa part a t deles prparer par

    la philosophie; mais ce sont les Amricains qui les ontitro-

    duits dans la politique;2 Les droits de l'homme revendiqus en 89 ne sont

    point,

    comme on le dit, des droits indfinis et illimits; ils sont tou-

    jours accompagns de leur restriction;53 Les droits de l'homme ne sont pas une invention

    idolo=

    giqu ne d'une mtaphysique arbitraire. Ce sont des besoins

    rels, concrets, parfaitement dtermins, dont la socitsouf-

    frait depuis de longs sicles et qui taient devenusintolrables.

    Nous aurons ensuite examiner la question tout fait

    secondaire de savoir si, ces droits tant l'expression mme

    des besoins de la socit, il tait ncessaire ouutile de les

    formuler et de les introduire dans la Constitution.Enfin nous

    nous demanderons si cette conception dudroit, mis au vesti-

    bule de toutes nos Constitutions, est, responsable deschecs

    et des erreurs de la Rvolution.

    1

    LES DCLARATIONS AMRICAINES

    L'un de nos plus judicieuxet de nos plusfins publicistes, dans

    un crit instructifsur la Constitutiondes tats-Unis(i), M. E.

    (1) tudes de droit constitutionnel,par m. Boutmy, del'Institut

  • Boutmy, fait allusion l'erreur franaise qui consiste vouloirretrouver nos ides partout, et il a signal la mprise commisepar certains publicistes qui avaient cru voir une Dclarationdes droits semblable celle de 89 dans le chapitre de laConstitutionfdrale des tats-Unis intitul Amendements, etqui est une annexe de cette constitution. Rappelons lespropres paroles de M. Boutmy

    Les dix premiers Amendements, vots aprs coup sur laproposition de Jefferson, forment, dans la Constitution fd-rale, un chapitre part, une annexe qui- contientune sorte derappel de toutes les liberts anglaises classiques presse,associations, runions, cultes, jugements par jury, inviolabilitdu domicile et de la proprit prive. C'est donc trs juste-ment, ce qu'il semble, que Story et la plupart des auteursamricains les intitulent

    Dclarations des droits . Mais lesAmricains s'entendent et nous ne les entendons pas. La sono-rit magique de ce mot si glorieusement franais Dclara-tion des droits , fait que nous ne pouvons nous empcher denous croire en France et en prsence des droits absolus del'homme et du citoyen, comme ceux que nos constitutionsconsacrent au nom de la libert et de l'galit naturelle. Toutautre est la porte aussi bien que le vritable esprit du texte.

    Les stipulations qui forment la substancedes huit premiersamendements sont essentiellement des prcautions prisespar l'tat contre les empitements d'une souverainet ext-rieure dont les organes sont le Prsident et le congrs. Ce queles tats ne voulaient pas l'poque o les amendementsont t proposs, c'est qu'une loi fdrale ou une action desofficiers fdraux pt s'exercer sur leurs habitants en matirede culte, de presse,d'associations,contrairementaux principesde leur constitution particulire ou au dtriment de leur(Pion, 1885). Ces tudes ont paru d'abord en partie dans la Revuelittraire (7 et 21; jum et 12 juillet 1884). Nous ne saurions troprecommandercet crit pourl'exactitude et la prcision des connais-sances, malgr le petit dissentiment qui nous spare sur un pointtout fait accessoire dans, l'ouvrage de M. Boutmy.

  • propre autorit lgislative. C'est pour leur autonomie qu'ils

    ont stipul, et non pas en faveur de droits abstraits. A propos

    de l'article Ier, Story explique trs bien qu' cette poque, les

    piscopaliens avaient la prpondrance dans un tat, les pres-bytriens dans un autre, les congrganistes dans un troisime.

    Tout le pouvoir au sujet de la religion fut donc laiss aux

    gouvernements d'Etats pour tre exerc selon leur sens de la

    justice, et aux constitutions d'tats. D'aprs cette explication, les amendements,selon M. Boutmy,

    ne constitueraient pas une Dclaration des droits au sensfran-

    ais du mot, mais simplement une limitation de la souve-rainet fdrale relativement aux matires de religion, de

    presse, de libert individuelle ou d'association etc. Ces

    matires sont du ressort des tats particuliers et non de la

    Constitution en gnral. Voil ce qui est contenu dans les

    amendements et rien de plus.Nous aurons examiner plus loin s'il y a une aussi grande

    diffrence que le dit l'auteur entre les Amendements et les

    Dclarations de droits la franaise; mais, mme en admettant

    compltement cette interprtation, on n'en commettrait pasmoins une grande erreur si l'on voulait conclure de l qu'il

    n'y a rien de semblable, dans les constitutions amricaines,

    ce que nous appelons Dclaration de droits dans le sens

    propre et philosophique du mot.Il y a sans doute de grandes diffrences entre la

    rvolution

    amricaine et la rvolution franaise, en raison de la situation

    diffrente des deux peuples; mais, en ce qui concerne les

    Dclarations, il n'y en a aucune; car la Dclaration franaise a.t en grande partie la traduction mme des Dclarations

    amricaines. Sur ce point du moins, la prtendue opposition,

    cent fois reproduite, du caractre mtaphysique et abstrait du

    gnie franais et du caractre concret, pratique, empirique,

    de la race anglo-saxonne; sur ce point, dis-je, cette antithse

    est entirement en dfaut. Venons aux faits.

    La Dclaration de droits n'est pas, si l'on veut, dans les dix

  • amendements de la Constitution fdrale; mais elle est dansla Dclaration d'indpendance vote en juillet 1774 par lecongrs amricain runi Philadelphie. Voici les proprestermes de cette dclaration

    Nous tenons, y est-il dit, pour videntes par elles-mmes(self-evdent) les vrits suivantes Que tous les hommes ontt crs gaux (ihat ail men are created equal) qu'ils ontt dous par le Crateur de droits inalinables (inalienablerights) entre lesquels sont la vie, la libert et la poursuite dubonheur {pursuit o f happiness); que, pour assurerces droits,les gouvernements ont t institus parmi les hommes, tirantleur juste pouvoir du consentement des gouverns; que, s'ilarrive que quelque forme de gouvernement devienne destruc-tive de ces fins {of these ends), c'est le droit du peuple dechanger et de dtruire ce gouvernement et d'en instituer unnouveau, ayant pour fondements ces principes, et d'organiserles pouvoirs de la manire qui leur semble la plus convenablepour assurer leur scurit et leur bonheur. La prudence, lavrit, dicte aux hommes que des gouvernements tablisdepuis longtemps ne peuvent tre changs pour des causeslgres et transitoires; et, par le fait, l'exprience a montrque les hommes sont plus disposs souffrirleursmaux quandils sont supportables que de s'en dlivrer en abolissant laforme de gouvernement laquelle ils sont accoutums. Mais,lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations diriges inva-riablement vers le mme objet manifeste le dessein de lesrduire un absolu despotisme, c'est alors leur droit et mmeleur devoir (their duty) de rejeter de tels gouvernements etde chercher de nouvelles garanties pour leur future scu-rit.

    Telle est la premire Dclaration de droits que nous trou-vions en Amrique, et elle est trs caractristique. Il estimpossible d'en mconnatre le caractre philosophique. C'estbien de droits naturels, de droits abstraits qu'il est question,et non de droits traditionnels et historiques. Il y est dit, en

  • ,effet, que tous les hommes ont t crs gaux . Il s'agit

    donc bien l d'une galit naturelle et essentielle/et nond'une galit de coutume. Les droits sont dclars inali-

    nables c'est bien l le caractre propre des droits de

    l'homme, des droits inhrents et inns. C'est Rousseau qui ale premier employ cette expression et qui a proclam qu'il'

    est des droits que l'homme n'a pas le droit d'aliner. Les

    anciens jurisconsultes, mme Grotius, croyaient que la libert

    pouvait tre l'objet d'un contrat, qu'un esclave peut se vendre

    pour sa nourriture, qu'un peuple peut se vendre pour satranquillit. Rousseau a rfut ces deux thses Renoncer

    la libert, dit-il, c'est renoncer la dignit d'homme, auxdroits de la libert, mme ses devoirs. Une telle renonciation

    est incompatible avec la nature de l'homme. Quand chacunpourrait s'aliner lui-mme, il ne pourraitaliner ses enfants. Cette thorie est tout entire rsume dans le mot inalinable,

    et c'est tout le fond de la doctrine des droits de l'homme orc'est cette doctrine que consacre la Dclaration amricaine. II

    est donc manifeste que, sur ce point, il n'y a aucune diffrence

    entre l'Amrique et la France.Peut-tre mme trouvera-t-onplus de mtaphysique encore

    dans la Dclaration amricaine. On y remarque, en effet, unprincipe qui semble appartenirplus encore la thorie so'cia-

    liste qu' la thorie librale, et qui a t cart des Constitu-

    tions franaises c'est la poursuite du bonheur. Sans doute

    on ne peut nier que l'homme n'ait le droit de chercher le

    bonheur comme il l'entend mais c'est l un principe bien

    vague entre le droitde chercherle bonheur et celui de l'obte-.

    nir, il est une limite difficile fixer et que les socialistesn'ont

    pas respecte.On remarqueraencore que, dans la Dclarationamricaine,

    la rsistance l'oppression, autrement dit l'appel l'insurrec-

    tion, n'est pas seulement un droit, mais un devoir, principe

    que nos Constituants se sont bien gards de proclamer et qui

    ne se trouve que dans la plus radicale et la plus dmagogique

  • de nos constitutions, qui n'a jamais t applique, celle de 93.Ainsi nul doute sur ce point. Nous trouvons bien ici en

    Amrique une Dclaration des droits la franaise, et celaavant mme les Dclarations franaises, c'est--dire un appelau droit naturel et la raison pure.'

    Nous savons bien qu' ct de la Dclaration d'indpen-dance, qui contient toute 1a thorie abstraite des droits del'homme, il y a parmi les actes fondateurs de la libert amri-caine une Dclaration des droits proprement dite, rdigepar le Congrs de Philadelphieen octobre 1775. Or cet acte aun caractre tout diffrent de celui que nous venons de signa-ler. Dans cet acte, en effet, les Amricains invoquent non plusle droit pur et la justice naturelle, mais les liberts tradition-nelles dont ils avaient toujours joui et qu'ils avaient apportesavec eux de la mre-patrie ils dclarent qu'ils ne les ontjamais dsavoues ni alines; ils invoquent la Constitutionanglaise et les droits communs toutes les parties de l'em-pire. Mais en quoi cet acte, o la question est pose autrementet porte sur le terrain pratique, peut-il contredire les prin-cipes plus gnreux et plus philosophiques de la premireDclaration? N'est-il pas naturel que dans un conflit entredeux pouvoirs, entre deux droits, on invoque autant qu'on lepeut les prcdents, les droits acquis, les habitudes prisessans porter atteinte pour cela aux principes de la justicerationnelle et sans se priver du droit de faire appel cettejustice? L o les liberts existent, on peut donc invoquer lesprcdents et les faits historiques;mais l o elles n'existentpas, il ne reste d'autre ressource que celle de la justicenaturelle. Sur quels prcdents pouvait-on s'appuyer enFrance pour.rclamer la libert de la personne, de la con-science, le droit de voter les impts, l'galit des charges, etc. ?Il ne resterait donc qu' dire que l'on n'a droit la libertque lorsqu'on la possde, mais que, l o elle n'existe pas,c'est une chimre mtaphysique de la rclamer!

    Tout au plus pourrait-on reprocher aux Amricains, qui

  • ,avaient ou croyaient avoir pour eux les droits acquis, d'yavoir ajout par surcrot l'autorit du droit pur, du droitnaturel; mais c'est comme si l'on reprochait un plaideurqui a pour lui les pices crites d'invoquer en mmetemps lesdroits de l'quit et de la conscience. Quoi qu'il en soit, il estcertain que les Amricainsne s'en sont pas tenus une con-troverse juridique fonde exclusivement sur l'histoire^t sur lepass. Ils ont invoqu les droits de l'homme. Il n'y a doncpasdeux races d'hommes les uns inexpriments et ignorants,plongs tout entiers dans l'abstraction; les autres ne connais-sant que les chartes et les coutumes et ignorant le principedes lois non crites. Tous les peuples, un moment donn,invoquent le principe de la justice heureux quand ils peuventen mme temps invoquer l'autorit de la tradition et des droitsacquis 1

    On pourrait croire que la Dclaration d'indpendance n'at qu'un acte rvolutionnaire, que les Amricains, dans cemoment de crise o ils se sparaient d'un gouvernement pr-varicateur, taient entrans par des passions ardentes quileur suggrrent des doctrines exagres, sur lesquelles ilssont revenus quand la crise fut passe et la libert conquise.De l viendrait l'omission signale plus haut d'une Dclarationde droits dans la Constitution fdrale de 1785. Ce seraitencore l une grave erreur. La cause de cette omission,si c'enest une (1), est simplement que la Constitutionfdralen'avaitnullement pour objet de fixer les attributions ou les limites dupouvoir central par rapport aux citoyens, mais seulement lesdroits de ce pouvoir par rapport aux gouvernements destats. La Constitutionfdrale correspond ce que serait, parexemple, une Constitutioneuropenne dans le cas (peu pro-bable ou peu prochain) o tous les tats de l'Europe se ru-

    (1) Nous supposons toujours, avec M..Boutmy,.que les amende-ments ne sont pas une vraie Dclaration de droits, et nous raison-nons d'abord dans cette hypothse. On verra plus loin que nous nel'admettonspoint sans restriction.

  • niraient en confdration pour former un tat unique. CetteConstitutionfdrale n'aurait pour but que de fixer ls droitset les devoirs de la Confdration mais chaque tat resteraitchez lui souverain comme auparavant, et c'est seulement dansla Constitutionde chaque tat qu'il y aurait lieu fixer lesdroits des citoyens par rapport l'tat. On comprend doncque la dclarationde droits n'et pas besoin d'tre renouveledans la Constitution fdrale cela tiendrait simplement ceque les Amricains ont mis, comme cela devait tre, leursDclarations de droits, non dans leur Constitution fdrale,mais dans les Constitutionsdes tats particuliers.

    Si nous considrons, en effet, les treize tats qui ont form

    primitivement la Confdrationet.qui ont accept la Constitu-tion fdrale de 1787 1790, nous en trouvons dix qui ont

    une Dclaration des droits, un bill des droits, comme on l'ap-

    pelle, sous forme explicite, dont sept en tte mme de laConstitution, et trois dans le corps, mais sous un articlespar. Pour les autres (Gorgie et New-York), le bill desdroits est fondu et dispers dans les autres articles. Rhode-Island seul ne contient rien de semblable une Dclarationde

    ce genre. De plus, dans les vingt-quatre tats qui formaientle Confdration en 1838 (1) il y en a dix-huit, c'est--dire les

    trois quarts, qui, soit en tte, soit dans le corps de la Consti-tution, contiennent sous chef spar une Dclarationexplicite

    des droits naturels; et, pour les six autres, les principauxarticles de ces Dclarations sont plus ou moins disperss dans

    les diverses parties de la Constitution.Nous prendronspour type l'une des plus courtes et des plus

    simples, la Dclaration de la Virginie, c'est--dire d'un des

    plus anciens tats et l'un des premiers qui aient arbor ledrapeau de l'indpendance. Cette Dclarationest d'autant plus

    (1) La collection des Constitutions amricaines que nous avons sousles yeux est de 1838. (The American's s guide Philadelphie, Hogan etThompson, 1838). Depuis, le nombre des tats s'est considrable-ment accru; mais la question n'a plus d'intrt.

  • intressante que deux des plus illustres citoyens des tats-Unis, Washington et ieffersori, faisaient partie de cet tat.Voici cette Dclaration

    Dclaration des droits, faite par les reprsentants du bonpeuple de Virginie, assembls en pleine et libre. Conven-tion, lesquels droits sont dclars appartenir eux et .leur postrit comme base et fondement du gouverne-ment. Le 12 juin 1776 il a t unanimement adopt i Que tous is hommes sont par nature galhieiit libres

    et indpendants et ont certains droits inns {inhrent), des-quels, lorsqu'ils entrent en tat de socit, ils rie peuvent, paraucun contrat, priver ou dpouiller leur postrit par exem-ple, la jouissance de l vie et de l libert avectous les moyensd'acqurir et de conserver la proprit, de poursuivre etd'obtenir sret et bonheur.

    2 Que tous les pouvoirs rsident dans le peuple et parconsquent drivent de lui: Tous ls magistrats sont ses man-dtires et ses serviteurs (servants), et ils sont toujours sesjusticiables (amenable to them).

    36 Que le gouvernement est ou doit tre institu pour lebien commun, pour la protection et la scurit du peuple;nation ou communaut que, de toutes les diverses formes oumodes de gouvernement, la meilleure est celle qui est capablede produire le plus haut degr de bonheur et d sret et quiest le plus efficacement garantie contre le danger d'une mau-vaise administration et, si un gouvernement se trouve impro-pre ou contraire ce but, une majorit des citoyens de lcommunaut a le droit indubitable, inalinable et indfectible(unalienable and indefeasible), de le rformer, de le chan-ger et de l'abolir, selon qu'il le jugera le plus utile au bienpublic.

    4 Que nul homme ni aucune runion d'hommes n'ont de

  • titre recevoir des moluments ou des privilges exclusifs etspars dans la communaut, si ce n'est en considration de

    services publics que ces distinctions ne sont pas transmis-

    sibles leurs descendants et enfin qu'aucun office de magis-

    trat, de lgislateur ou de juge ne peut tre hrditaire.

    5 Que le pouvoir lgislatif et le pouvoir excutif doivent

    tre spars, et distincts l'un et l'autre du pouvoir judiciaire

    et que les membres des deux pouvoirs doivent tre contenus

    contre l'oppression en sentant et en partageanteux-mmes le

    fardeau du peuple qu'ils doivent, par consquent, certaines

    poques fixes, tre ramens la condition prive et rentrerdans le sein du corps dont ils sont originairement sortis que

    les vacances doivent tre remplies par de frquentes, certaines

    et rgulires lections dans lesquelles tout ou partie des plus

    anciens membres nomms peuvent tre de nouveau ligibles

    ou inligibles, selon que les lois en ordonnent.

    6 Que les lections des reprsentants du peuple runis enassemblesdoivent tre libres, et tous les hommes donnant

    une suffisante garantie d'un intrtcommunpermanent et d'at-

    tachement la communautont le droit de suffrage, et ne

    peuvent tre privsde leur proprit pour utilitpublique sansleur consentement, ni lis par aucunes lois pour le bien public

    auxquelles ils n'auraient pas de mme donn leur assenti-ment.

    7 Que tout pouvoir de suspendre les lois oul'excution

    des lois est contraire au droit et ne peut tre exerc par aucune

    autorit sans le consentement des reprsentantsdu peuple.

    8 Que, dans toutes les poursuites capitalesou criminelles,

    tout homme a le droit de demander la nature et la cause de

    l'accusation qui lui est intente, d'tre confrontavec les accu-

    sateurs et avec les tmoins et de faire valoir les preuves en sa

    faveur; il a droit un rapide jugement par un juryimpartial

    de son voisinage, sans l'unanime consentement duquel il ne

    peut tre dclar coupable il ne peut pas treappel tmoi-

    gner contre lui-mme; et il ne peut tre priv de salibert,

  • si ce n'est en vertu des lois du pays et du consentement deses pairs.

    9" Que des cautions excessives ne doivent pas tre exi-ges, ni des amendes excessives imposes, ni des chtimentsinutiles infligs.

    10 Que des mandats d'amener sous forme gnrale, danslesquels un officier public ou agent de police peut tre. requisde faire des recherches dans des lieux suspects sans un dlitvident, ou de saisir une personne ou des personnes non dsi-gnes par leur nom, ou dont le dlit n'est pas particulire-

    ment dtermin et soutenupar un commencement de preuves,sont oppressifs et ne doivent pas tre autoriss.

    110 Que dans les procs de proprit et les actions d'hom-

    me homme, l'ancien jugement par jury doit tre prfr

    tout autre et tre tenu pour consacr.

    12 Que la libert de la presse est un des grands boule-

    vards de la libert et ne peut tre restreinte que par un gou-vernement despotique.

    13 Qu'une milice rgulire, compose de tout le corpsdu peuple, exerc aux armes, est la propre, naturelle,

    et saine dfense d'un peuple libre les armes perma-nentes, en temps de paix, doiventtre vites, comme dange-

    reuses la libert; et, en tout cas, le pouvoir militaire doit

    tre sous la subordination et le gouvernement du pouvoir

    civil.

    14 Que le peuple a droit un gouvernement uniforme etqu'aucun gouvernement spar ou indpendant du gouverne-

    ment de Virginie ne peut tre rig ou tabli dans les limites

    de cettat.. 15 Que ni un gouvernement libre ni le bienfait de

    la

    libert ne peut tre prserv chez aucun peuple que par uneferme adhsion la justice, la modration, la temprance,

    ' la frugalit et la vertu, et par un frquent retour aux prin-

    cipes fondamentaux.

    16? Que la religion ou les devoirs que nous avons envers

  • notre Crateur et l manire de nous en acquitter ne peuventtre dirigs que par la raison et la conviction, et non par forceet par violence, et que par consquent tous les hommes ontun titre gal au.libre exercice de leur religion, conformment

    aux lois de leur conscience; et c'est le mutuel devoir de tousde pratiquer la patience, l'amour et la charit chrtienne lesuns par rapport aux autres.

    Telle est la Dclaration type que l'on peut considrer

    comme celle qui reprsente le mieux, en moyenne, toutes lesides gnrales qui rgnaient en Amrique l'poque de l'In-dpendance. L'esprit de la philosophie du xym sicle carac-trise cet acte remarquable. Or, nous le demandons cebill des droits n'est-il pas tout aussi bien que les Dclara-tions franaises fond sur le droit naturel et sur le droitabstrait ?

    Il y est dit d'une manire gnrale que tous les hommessans exception (on ne dit rien des noirs) ont un droit gal la libert et l'indpendance c'est aussi le premier mot denotre Dclaration de 91 (1). On lit encore dans le bill de Vir-ginie Les hommes, en entrant en tat de socit. ilsn'y taient donc pas auparavant c'est l'tat de nature deRousseau. Par aucun contrat nous ne pouvons dpouillernotre postrit. C'est la thorie du Contrat social. La sou-verainet du peuple est proclame sans restriction, ainsi quele droit de changer et de renverser un gouvernement prvari-cateur. En mme temps, la sparation des pouvoirs est poseen principe c'est la part faite la philosophiede Montesquieu ct de celle de Rousseau. Rien de tout cela ne peut treconsidr comme un rappel des liberts classiques consacresparle temps et ces liberts elles-mmes sont ramenes desdroits naturels inhrents et inalinables,dont iln'est permisauxhommes, par aucun contrat, de dpouiller leur postrit. Voil

    (1) Art. 1" Tous les hommes naissent libres et gaux endroits.

  • bien les droits de l'homme tels qu'on les a entendus plus tarddans notre pays (1).

    Consultons cependant, rapidement, les autres Dclarations,

    de droits contenues dans les Constitutions amricaines, et

    voyons les caractres distinctifs de la plupart d'entre elles. On

    trouve dans chacune d'elles des nuances plus ou moins int-

    ressantes au point de vue de l'histoire; mais les principes fon-

    damentaux sont partout les mmes et gnralement exprimsdans les mmes formes.

    (1) M. Botitmy nous fait observer qu'il y a deux traits qui distin-guent les Dclarations amricaines des Dclarations franaises j1 quelques-unes de ces dclarationscontiennent des donnes tout fait positives sur des intrts locaux 2 en Amrique, les Dclara-tions sont entres dans le domaine concret et positif, parce qu'el-les sont sous la sauvegarde du pouvoir judiciaire qui en assurel'excution. Il y a donc l une sanction relle, tandis que chez nouselles restent des propositions platoniques et purement philosophi-ques'.-.'

    Pour le premier point, je rponds qu'il ne s'applique qu'. un cer-tain nombre de dclarations et non toutes ce n'est d'ailleurs lqu'une nuance sans importance.

    Pour le second point, il est important sans doutemais je ne saiss'il est l'avantage des Amricains. Car ce droit de connatre desprincipesmmes de la Constitution fait du pouvoir judiciaireun pou-voir essentiellement politique, et presque un pouvoir souverain cequi serait inadmissible si ce pouvoir ne se renouvelait pas sans cesseen se retrempant dans le vrai souverain qui est le peuple. Une ma-gistrature lective est donc la consquence ncessaire de la garantiejudiciaire, dont on a, arm les dclarations de droits. Or il noussemble qu'il y a l une atteinte grave la sparation des pouvoirs.Tous les esprits libraux, au moins en France, sont d'avis qu'il fautsparer autant que possible la magistrature de la politique or c'estle contraire ici. D'ailleurs, est-il vrai de dire que, en dehors de cesystme, les Dclarationsde droit manquent de sanction? Il y en aune selon nous et c'est la seule dont elles sont vritablement sus-ceptibles c'est la responsabilit du pouvoir excutif devant le Par-lement. Soit, dira-t-on mais si le Parlementest complice et s'il estlui-mme l'auteur de ces violations de droit ? S'il en est ainsi, c'estque la majoritsera oppressive; mais la mme majorit domineradans le corps judiciaire, et les consquences serontles mmes; D'ail-leurs, il y a toujours, en politique, une limite au-del de laquelle ilest impossible de trouver une sanction matrielle. l' faut admettreque la raisona par elle-mmeune certaine force, qui finit par l'em-porter, sans quoi les peuplesprissent c'est l. la seule sanction. Cen'est pas une raison pour que l raison ne fasse pas entendre savoix.

  • Dans la Constitution de Massachusetts,comme trait parti-culier, nous trouvons une rserve en faveur d'un culte public,l'affirmationdu droit pour le gouvernement d'en surveiller etd'en assurer l'exercice. Dans la Dclarationde New-Hampshire,nous remarquerons un emprunt manifeste aux doctrines duContrat social Lorsque les hommes entrent dans l'tat desocit (toujours l'hypothse de l'tat de nature), ils abandon-nent la socit quelques-uns de leurs droits naturels pourassurer la protection des autres, et sans un tel quivalent larenonciation est nulle. Mais, parmi les droits naturels, il enest- qui sont, par nature, inalinables, parce qu'aucun quiva-lent ne peut tre donn ou reu en change; de ce genre sontles droits de la conscience.

    Dans la Dclaration de l'tat de Vermont et dans quelquesautres, nous remarquerons le biais par lequel on autorise l'es-clavage en s'appuyant sur un principe de libert Aucunhomme, est-il dit, n dans ce pays ou apport d'outre-mer, nepeut tre tenu servir, comme domestiqne,esclave ou apprenti,une autre personne, aprs vingt-cinqans etil en est de mmed'aucune femme aprs dix-huitans, moins qu'ils ne se lientde leur propre consentement lorsqu'ils sont arrivs cet ge,ou moins qu'ils ne soient lis parla loi pour le payement dedettes, dommages, etc. Ainsi il semble que la libert soit pro-clame au moins aprs la majorit mais d'abordelle n'est pasinalinable, puisque l'on autorise le contrat d'esclavage; et, ensecond lieu, l'esclavage subsiste titre d'hypothque pour lepayement des dettes ou dommages, etc. Il est probable que cesrestrictions sont la plupart du temps devenues la loi.

    La Dclaration du Connecticut est particulirement remar-quable parce qu'au lieu de s'appuyer exclusivement sur ledroit naturel, elle invoque aussi la tradition

    Le peuple deConnecticut,est-il dit, dans le but de perptuer les liberts,droits et privilges qu'il a reus de ses anctres, a dclar cequi suit.

    Nanmoins la doctrine des droits naturels n'est pasexclue par l Tous les hommes (art. 1er), lorsqu'ils font un

  • contrat social, sont gaux en droits. Le peuple est toujours

    signal comme ayant un droit indniable et indfectible de

    changer la forme de gouvernement .Rien de particulier dans la Dclaration de la Delaware

    mmes principes et peu prs dans les mmes termes quedans la Dclaration de Virginie. Il en est de mme de la Dcla-

    ration du Maine, o nous relverons seulement le droit de

    ptition (15) et l'interdiction des lois somptuaires (9). La Con-

    stitution du Maryland invoque la loi communeanglaise et la

    charte donne par Charles Ier au baron de Baltimore, Csecilius

    Calvert. Mais en mme temps elle conteste nergiquement leprincipe de la non-rsistance La doctrine de la non-rsis-

    tance contre le pouvoir arbitraire et contre l'oppression est

    absurde, servile et destructive du bien et du bonheur de l'hu-

    manit. Au reste, on rclame toutes les mmesliberts

    que dans les autres Dclarations, et presque dans les mmes

    termes. Seulement on ne les appelle pas' des droits naturelset

    inalinables. Nous remarqueronsen outre dans cette Constitu-

    tion un article contre les monopoles, qui sont odieux et con-

    traires l'esprit d'un gouvernement libre .La Dclaration de Pensylvanie est introduite dans le corps

    mme de la Constitution, mais dans un article spar, sous ce

    titre Afin que les grands, gnraux et essentielsprincipes

    de libert et de gouvernement libre soient reconnus et inalt-

    rablement tablis, nous dclarons que. Suit l'numrationdes droits, signals comme inhrents et indfectibles et

    comme coutumiers (art. 24). Il est dclar que, pour garantir

    ces principes contre toute transgression des hauts pouvoirsque nous avons dlgus, chaque clause contenue dans cet

    article est excepte de notre pouvoir gnral de gouvernement

    et doit toujours demeurer inviolable . Ainsi, on s'interdit

    tout changement, toute atteinte aux principes de la Dclara-

    tion. Ce sont donc bien l des principes imprescriptibles,

    comme dans les Dclarations franaises.La Dclaration de la Caroline du Nord, aprs la reproduc-

  • tion littrale de tous les articles communs toutes les autres(libert de conscience, de la presse, jury, souverainet dupeuple, suppression de tous privilges, etc.), contient unedlimitation de frontires avec la Caroline du Sud et laVirginie.

    Dans la Constitution du Tennessee, nous trouvons, entreautres choses, la protestation dj signale contre la doctrinede la non-rsistance et aussi une rclamation en faveur de lapublicit de la justice. On remarque en outre cet article Les perptuits (les mainmortes) sont contraires au gnied'un tat libre . Enfin, nous y signalerons encore certainesstipulations d'intrts concrets, particuliers cet tat, parexemple la libre navigation du Mississipi et la dlimitation defrontires par rapport la Virginie, la Caroline du Nord et l'Ohio.

    Dans la Constitutionde la Caroline du Nord, toujours mmesprincipes galit des hommes, droit naturel et indfectibled'adorer la Divinit selon sa conscience, etc. Remarquons cetarticle particulier, qui se retrouve aussi dans plusieurs Con-stitutions L'migration de cet tat ne peut tre prohibe.

    Dans la Constitution de l'Ohio, nous trouvons un articlespcial relatif l'esclavage Aucun esclavage ou servitudeinvolontaire ne peut exister dans cet tat autrement que pourla punition des crimes, desquels l'inculp doit avoir t dmentconvaincu aucune personne mle arrive l'ge de vingt etun ,ans, ni aucune femme l'ge de dix-huit ans, ne peut tretenue de servir une autre personne comme serviteur, sousprtexte de contrat d'apprentissage ou autrement, moinsque cette personne n'entre en ce contrat d'apprentissage dansun tat de parfaite libert et dans des conditions de conven-tion a bona fide, ni enfin tre reue pour services, exceptles exemptions prcdentes. Aucun contrat d'apprentissage dengre ou multre fait jusqu'ici soit en dehors de cet tat, soitdans cet tat, lorsque le terme des services excde un an, nepeut tre d'aucune validit, si ce n'est ceux faits en cas

  • d'apprentissage, Cet article, embrouill et envelopp, peut-

    tre dessein, semble bien avoir t fait pour autoriser plutt

    que pour restreindre le prtendu contrat d'esclavage.La Constitutiond'Indiana dclare que les grands principes

    gnraux et essentiels de la libert et d'un gouvernement

    libre doivent tre reconnus et inaltrablement tablis . Elle

    reconnat des droits naturels, inhrents et inalinables .

    On est tonn, aprs la proclamation de principes aussi levs,

    de rencontrer des prescriptions de dtail, ncessaires dans

    une loi, mais trangres une Dclaration de principes, parexemple qu'au-dessus de la somme de 20 dollars et au-dessus

    des dlits punissables d'une amende de 3 dollars, le jugement

    par jury est obligatoire Dans la Dclaration du Mississipi, le droit de la libre con-

    science est accompagn de la restriction: Pourvu -que cedroit ne soit pas employ excuser des actes de licence ou

    justifier des pratiques incompatibles avec la paix et la sretde l'tat.

    Dans la mme Constitution il y a une mention

    singulire des suicids ou des personnes mortes par accident:

    Les biens, dans ces deux cas, doivent suivre lamme loi

    qu'en cas de mort naturelle, et il ne doit pas y avoir de con-fiscationpour ce fait. C'tait la rpudiation d'un vieux droit

    barbare qu'on est surpris de trouver encore mentionn la

    fin du xvme sicle. La mme prescription se rencontre ce-pendant aussi dans quelques autres Constitutions. Enfin, le

    droit d'migration est stipul dans la Dclaration du Missis-

    sipi, qui se termine par cette conclusion Chaque article

    de la Dclaration prcdente est except des pouvoirs du

    gouvernement et doit demeurer inviolable, et toute loi

    contraire ces principes, aussi bien qu'aux autres prescrip-

    tions de la Constitution, doit tre annule. Dans la mme

    Constitution, il y a un article spcial sur les esclaves. Il y estdit La lgislaturen'a pas de pouvoir pour faire passer uneloi sur Jlmancipation des esclaves sans le consentement de

    leurs propritaires, moins que l'esclave n'ait rendu Ptat

  • des services exceptionnels auquel cas le maitre doit recevoirune indemnit qui soit l'entier quivalent de l'esclave ainsimancip. Les lgislateurs ont pouvoir d'obliger les matres traiter leurs esclaves avec humanit et s'abstenir de touteinjure envers eux.

    Rien de particulierdans la Constitution de l'Illinois, si cen'est un article sur l'esclavage semblable celui de l'Ohio,mais avec quelques articles de plus et avec la prcaution dene pas introduirece sujet dans la Dclaration des droits engnral.

    Dans l'Alabama,outre les principes gnraux toujours lesmmes, nous trouvons une affirmation explicite du principede la sparation de l'glise et de l'tat Aucune autorithumaine, y est-il dit, ne doit dans aucun cas intervenir parcontrainte ou de toute autre manire dans les droits de la con-science. Il ne doit y avoir aucun tablissement de religion parla loi aucune prfrence ne doit tre donne par la loi aucune secte, socit, dnomination ou mode de culte etaucun test religieux ne doit tre rclam comme conditionpour aucun office ou commission publique.

    Aprs avoir analys les Dclarations de droits des tatsparticuliers,qui toutes contiennent des principes communs etidentiques avec quelques diffrences sans importance, reve-nons maintenant la Constitution fdrale et examinons deplus prs la questionpose, savoir si les dix Amendements constituent ou non une Dclaration des droits.

    Ce que M. Boutmy a trs bien tabli, c'est que ces dixamendements n'ont pas pour objet de se substituer auxDclarations contenues dans les Constitutionsspares et d'im-poser une Dclaration uniforme tous les tats particuliersc'est, en outre, que ces amendements contiennent encore,outre l'numration des droits, des prescriptions prcises etdtermines relativement certains points particuliers quiavaient t omis dans la Constitution fdrale. C'est doncquelque chose d'un peu plus qu'une Dclarationde droits mais

  • que ce soit aussi cela, c'est, ce qu'il semble, ce qui ressortde tous les faits.

    En effet, la nouvelle Constitution avait t d'abord vote

    par l'Assemble constituante de 1787 sans les dix Amende-

    ments. De toutes parts aussitt s'leva une critique dontJefferson (1) fut le principal interprte contre l'omission d'une

    Dclaration de droits, d'un bill des droits, comme on disait.

    Voici comment Jefferson;alors ministre des tats-Unis Paris,

    signalait et blmait cette lacune. Il crivait Madison, le 20

    dcembre 1787, propos de la Constitution dont on lui avait

    envoy le projet soumis en ce moment l'acceptation destats:

    Je vais vous dire maintenant ce que je n'approuve pas

    en premier lieu, l'omission d'un bill des droits, garantissant

    plus clairement et sans qu'il soit besoin de recourir des

    raisonnements plus ou moins subtils la libert de religion,

    la libert de la presse, la garantie contre les abus des

    armes permanentes, la destruction des monopoles, l'exis-

    tence perptuelle et jamais suspendue de l'habeas corpus etles jugements du jury. Un peuple est autoris exigerd'un gouvernement quelconque, gnral et particulier, uneDclaration des droits c'est une chose qu'un gouvernement

    juste ne doit pas refuser ni laisser la merci ds inductions. Il crivait au gnral Washington le 2 mai 1788 Il y a

    deux choses dans cet acte que je dsapprouve fortement:

    1 l'absence d'une Dclaration de droits 2 la rligibilit du

    Prsident. A Madison, propos de l'acceptation de laConstitution par quelques tats, il crivait le 31 juillet 1788 C'est une bonne bauche dans laquelle peu de traits ontbesoin d'tre retouchs. La voix gnrale qui s'est leve du

    Nord au Sud pour demander une Dclaration des droits

    indique le dfaut principal de l'ouvrage. On est gnralement

    d'accord que cette Dclaration doit comprendre le jury

    (1) Voir sur les doctrines politiques de Jefferson le dernier cha-pitre de notre second volume.

  • l'habeas corpus les armes permanentes, la presse, lreligion et ls monopoles. A Hopkinson, le 13 mars 1789 Quant la Dclaration des droits, je suppose que la majo-rit des tats-Unis est de mon opinion car j'apprends quetous les ntifdralistes et une portion fort considrable desfdralistes sont d'avis d'annexer notre Constitution uneDclarationde ce genre. La partie claire de l'Europe nousavait fait un grand mrite de la cration de ce gage de scu-rit pour les droits du peuple, et l'on n'a pas t peu tonnde nous voir abandonner cette ide. En mme temps ilcrivait James Madison (15 mars 1789) J'ai mdit avecla plus grande satisfaction les rflexions que contient votrelettre au sujet de la Dclaration des droits. Dans l'numra-tion des raisons en faveur d'une Dclaration, vous en omettezune qui est d'un grand poids mon avis c'est le frein lgalqu'une Dclaration de ce genre place entre les mains du pou^voir judiciaire. Mais le bien l'emporte immensment sur lemal. Dans un acte constitutionnel qui ne fait aucune mentionde plusieurs garanties prcieuses, et qui pourrait conduire en exclure un certain nombre par induction, une Dclarationde droits est ncessaire. Tel est le cas de notre Constitutionfdrale. Cet acte nous runit en un seul corps de nation,, et ilconstitue un corps lgislatif et un pouvoir excutif il fautdonc aussi qu'il nous prserve des abus que ces pouvoirspour-raient commettre dans la sphre de leur action.

    Mais, disait Madison, on ne pourrait pas obtenir uneDclarationsuffisamment large. Rponse Mieux vaut unedemi-ration qu'une abstinence absolue. Mais, dit encoreMadison, l'exprience a prouv l'inefficacit des Dclarationsde droits. Rponse Cela est vrai mais, quoique leurefficacit ne soit pas absolue, elles ont toujours une grandepuissance et restent rarement sans effets. Les inconvnientsd'une Dclaration sont de paralyser le gouvernement danscertains cas o son action serait utile mais ce mal -estde courte dure et rparable, tandis que les inconvnients

  • d'une omission de Dclaration sont permanents et irrpara-

    bles. Les considrants que Jefferson ajoutait l'appui de son

    opinion sont remarquables ce n'est pas contre le pouvoirexcutif; c'est contre le pouvoir lgislatif que la Dclaration

    de droits lui parat une garantie ncessaire La tyrannie des

    lgislateurs; est, dit-il; et sera encore pendant bien des annes

    le danger le plus redoutable. On voit combien Jefferson, ainsi que la grande majorit des

    citoyens des tats-Unis,avait t frapp et inquit de l'absence

    d'une Dclaration de droits dans la Constitution fdrale, et

    d'une Dclaration ayant le mme sens et la mme porte que

    toutes celles que nous avons releves dans ls tats particu-

    liers. Nulle diffrence cet gard n'est signale par Jefferson

    et ses amis. Sans doute le Congrs n'avait pas intervenirdans le gouvernement des tats, et ce n'tait pas pour leurimposer une telle Dclaration que l'on demandait de remplir

    la lacune incrimine. Cela tait inutile, puisque presque tous

    ces tats avaient dj, chacun de son ct, cette Dclaration

    mais le gouvernement fdral n'tant pas li par ces Dclara-

    tions particulires, il fallait un frein au gouvernement de

    l'Union en gnral comme chacun des gouvernements

    spars.Qu'est-ce donc maintenant que les dix Amendements? C'est

    prcisment la rponse au vu exprim par Jefferson et sesamis. L'oppositionde quelques tats de laVirginie par exemple,

    qui refusaient provisoirement le vote de la Constitution, amena

    le Congrs constituant ajouter une annexe la Constitution;

    et ce sont les dix Amendements . Jefferson n'hsite pas les reconnatre comme la Dclaration des droits qu'il avait

    demande; il la trouve seulement trop courte Je vais

    vous dire, crit-il Madison le 28 aot 1789, un mot de la

    Dclaration des droits que vous m'avez envoye. Je l'ap-

    prouve dans tout ce qu'elle renferme; mais j'aurais voulu

    l'tendre davantage.

  • Que si cette Dclaration a t ainsi rduite, cela tient engrande partie ce que la majorit du Congrs tait fdraliste,terme qui quivalait alors celui de conservateur, les fdra-listes penchant vers les ides de gouvernement, tandis que lesantifdralistespenchaient vers les ides purement dmocra-tiques. C'est pourquoi, dans le premier vote de la Constitution,ils n'avaient pas vot de Dclarationde droits du tout, et quedans le second vote, obligs de faire une part l'opinionpublique, ils la firent aussi restreinte que possible. Mais celane reprsente, aprs tout, que l'opinion d'un parti et non dupeuple amricain dans son ensemble, puisque le particontrairearriva aux affaires quelques annes plus tard et y resta plusde trente ans. On ne peut donc pas dire que l'un des partisreprsenteplus que l'autre l'espritamricain. D'ailleurs, mmesous cette forme rduite, Jefferson reconnaissait cependantdane les dix Amendements la Dclaration de droits qu'il avaitdemande; il ne faisait aucune diffrence de principes entrecette Dclaration et celles des tats particuliers; c'tait tou-jours la mme doctrine applique tout le corps fdral (1);or, comme il n'y a aucune diffrence capitale, nous l'avonsvu,entre les Dclarationsamricaineset la Dclaration franaise,il n'y en a pas non plus pour la Dclaration fdrale; ou, s'ily a une diffrence, elle porte seulement sur un point, savoirla dlimitation du pouvoir du Congrs, et des pouvoirs destats particuliers en matire de Dclaration de droits, ce quitient au gouvernement fdratif des tats-Unis, mais qui neporte pas sur le fond et le corps des articles eux-mmes. On apu se tromper sans doute, en attribuant cette Dclaration

    (1) Ajoutez que les Dclarationsde droits tant devenuesfamilires tous les citoyens, il n'tait plus ncessaire de revenir sur les prin-cipes abstraits et, par exemple, de dire que les hommes taient nstous libres et gaux, qu'ils avaient droit au bonheur , etc. La seulechose importante tait l'numration des droits stipuls. Aujourd'huimme, en France, o nous jouissons peu prs de ces droits depuisbientt un sicle, si l'on faisait une nouvelle Dclaration,on supprime-rait probablement tout ce qui serait thorique pour se borner unenumration de dtail.

  • fdrale une valeur et une porte gnrale qui s'appliquerait

    aux tats dans l'intrieur de chacun d'eux; mais cette-erreurne porte que sur la limite des pouvoirs fdraux, non sur lesens philosophique de l'acte lui-mme.Ainsi, nous trouvons partout, en Amrique comme enFrance; la proclamation de droits naturels, inhrents et inali-.nables. Sans doute le fait de l'esclavage causait de l'embarras quelques-uns de ces tats; mais dans nombre d'entre eux iln'existait pas; dans les autres il ne fut. gure d'abord quetolr. On sait d'ailleurs que ce fut l'pine de la confdration,qui dura jusqu' la guerre de scession. Ce fut donc unequestion rserve. Autrement, partout la souverainet dupeuple est pose en principe, et sous sa forme la plus gnralele droit de modifier, de changer et d'abolir un gouverne-ment pour le remplacer par un autre, est considr commeindfectible. Partout la libert religieuse est rclame commeun droit, en y joignant quelquefois, comme dans le Massa-chussets et le Maryland,une sorte de religion d'tat. La libertindividuelle, la proprit, le droit de runion, le jury, le droitde porter les armes, etc., sont partout stipuls.>

    Trs rarement, une fois ou deux, on invoque les titreshistoriques, les chartes antrieures. Quelquefois on entre dansrmunration de droits trs particuliers et spciaux telstats, par exemple le droit d'migration; enfin, plusieurstats profitent de la Dclaration des droits pour fixer la dli-mitation de leurs frontires. Cependant, malgr ces nuancesplus ou moins importantes, toutes ces Dclarations dans leurensemble ont certainement le mme caractre que la Dclara-tion franaise de la Constitution de 91. Ce sont bien des procla-mations philosophiques de principes abstraits et gnraux; cesont, sans aucune contradiction possible, les droits de l'homme

    et du citoyen, ces mmes droits que l'on dnonce parmi nous

    comme une invention philosophique, une manie idologique

    propre l'esprit franais, comme la cause de toutes, nos crisespolitiques et comme l'erreur fondamentale de la Rvolution.

  • Quoi qu'on pense sur ce point, ce qu'il faudrait dire, c'est'que, si la France s'est trompe en cette circonstance,elle ne l'afait qu'avec l'Amrique et aprs l'Amrique; c'est que les tats-Unis n'ont nullement ignor et ddaign le principe du droitnaturel comme fondement de la socit civile. La prtenduesagesse tout empirique qu'on leur prte, ainsi qu' l'Angle-terre, et qui se serait toujours borne prendre pour appuiles faits historiques bu les intrts positifs, sans aucun soucide l'idal social, n'a pas t la sagesse des Amricains. Ils onteu aussi leur enthousiasme politique; ils ont cru, eux aussi,jeter les fondements d'une socit universelle et pour tous leshommes; car, en dclarant des droits inalinables et indfec-tibles, ils n'entendaient pas parler de droits exclusivementamricains. En disant que tous les hommes ont t crslibres et gaux ils parlaient bien pour toute la terre, commeont fait plus tard les Franais. Il n'y a donc sur ce point

    'aucune diffrence entre eux et neus.A la vrit, on peut dire qu'en proclamant de tels droits

    dans un pays neuf et vierge, o il n'y avait pas de classesprivilgies, o les vieilles liberts primitives s'taient conser-ves, o l gouvernement oppresseur dont on s'affranchissaittait deux mille lieues et sans moyens d'action, sans auxi-liaires sur le sol lui-mme, o il n'y avait pas une religionofficielle autoritaire, propritaire, servie par un clerg cliba-taire, arme du pouvoir depuis des sicles, dans un pays o detelles conditions n'existaient pas, le droit naturel se confondaitpresque avec le droit positif et ne se prsentait nullementavecles mmes inconvnientsque dans le vieux sol europen, oce nouveau droit tait en contradiction avec tous les faitssociaux. Mais, en admettant mme cette diffrence, la questionchangede face car il ne s'agiraitplus de vrit intrinsque, maisde prudence et d'opportunit. La vrit ne serait pas diffrente

    en France et en Amrique; mais seulement elle serait plusdifficile raliser d'un ct que de l'autre. La diffrence entreles Amricainset nous ne serait plus une diffrence de sagesse,

  • mais de bonheur. Les Franais, ne prvoyant pas les difficultsde l'avenir, ont pu manquer de prudence en reproduisant enEurope les vrits idales bonnes en Amrique; mais ces-vrits n'en seraientpas moins des vrits.

    Cette objection, d'ailleurs, serait prcisment le contrepiedde la prcdente. Au lieu de reprocher la France d'avoirinvent les droits de l'homme, on aurait lui reprocher de lesavoir emprunts un peuple auquel prcisment on faisaithonneur de les avoir ddaigns. Les ennemis dclars de l'es-prit franais, M. de Sybel par exemple, ne se font pas faute dese servir de cette nouvelle arme contre nous. Les Franais,suivant lui, n'ont nullement droit l'honneur d'avoir inventla Dclaration des droits c'est le fait de l'Amrique, non dela France, qui n'a sur ce point aucune originalit. Ainsi il ,setrouvera que, de quelque manire qu'on raisonne, les Franaisauront toujours tort. Prtendent-ils avoir introduit dans lemonde le principe philosophique d'une socit fonde sur laraison et sur le droit? On les accuse de chimre. Montrent-ilsque d'autres l'ont fait avant eux? On les accuse alors d'imita-tion servile. En deux mots, ou les droits naturelssont franais,et alors ils sont absurdes; ou au contraire ils ne sont pasabsurdes, mais c'est qu'alors ils ne sont pas franais.

    Mais ni l'un ni l'autre de ces deux termes du dilemme n'estvrai. Nous montreronsdans une seconde partie de ce travailque la Dclaration des droits en 89 n'avait rien d'absurde,qu'elle n'tait qu'une simple dclaration de bon sens, trsinnocente de tout ce qui a suivi. Nous avons maintenant montrer quelle est la part propre d'originalit qui revient laFrance, mme dans les Dclarations de droit amricaines.

    Nous ne rappellerons pas que la France a eu elle-mmeunepart considrable dans la rvolution d'Amrique, et qu' cetitre il lui en revient quelque chose. Mais ce que l'on doit dire,c'est que la thorie des droits de l'homme tait alors unethorie toute franaise, qu'elle a t dclare par notre philo-sophie du xvme sicle, par Voltaire, Montesquieu, Rousseau et

  • Turgot, que c'est de nous qu'elle est passe en Amrique;que

    ce sont nos propres formules que nous lisons dans les consti-

    tutions amricaines; Qui donc a nonc et formul le; principede la sparation des pouvoirs, sinon Montesquieu? Or nombre

    de Dclarationscontiennent ce principe. Qui donc a conquis

    dfinitivementla consciencehumaine la libert religieuse, si

    ce n'est Voltaire? Qui donc a proclam l'galit des hommes,

    si ce n'est Rousseau? Qui donc a dit que la libert du travail

    tait la plus sacre des proprits, si ce n'est Turgot (1)?

    Voil les fondements communs de la rvolution amricaine

    et de la rvolution franaise. Il n'y a eu l en ralit qu'uneseule rvolution sous deux formes diffrentes, l'une plus

    facile, parce ,qu'elle avait lieu dans le nouveau continent,

    l'autre plus difficile parce qu'elle a eu lieu dans l'ancien, mais

    qui, de part et d'autre, est partie de la mme conception

    sociale et du mme idal politique.Mais en philosophie pas plus qu'en politique il n'y a de

    cration absolue. La France a eu sans doute sa grande part(et tous les peuples la lui ont reconnue) dans la thorie des

    droits de l'homme mais, si grande que soit cette part, cettethorie n'est nullement ne spontanment et d'une manire

    abrupte dans la tte de quelques mtaphysiciens.Elle a t le

    rsultat et le couronnement d'une longue laboration qui acommenc, on peut le dire, avec les origines de la civilisation

    elle-mme, mais qui, pour ne pas remonter si haut, a sonorigine historique moderne dans la Rformation. C'est dans

    les publicistes du xvie sicle, plus ou moins confondue avecdes thses thologiques, que commence se dessiner la tho-

    rie des droits de l'homme. Une science nouvelle, cre parGrotius et enseigne dans toutes les universits de l'Europe,

    se fonde sur cette base. En Angleterre, la grande rvolution

    du xvn sicle est accompagne de dbats approfondis surles fondements et les limites du pouvoir; et les dfenseurs des

    (1) Cette libert du travail n'est malheureusement-pas mentionnedans les Dclarationsamricaineson en comprend la raison.

  • deux partisn'emploient que les arguments de la raison abs-traite et philosophique, plus ou moins mls de thologie,mais sansinvoquer le prtendu droit historique: C'est sous uneforme toutalgbrique et l'aide de la thorie du contratsocial que Hobbes dfend la cause de la royaut; et Rousseaun'a eu qu' lui emprunterson principe et le transporter aiipeuple, pour en faire l code de la dmocratie. Miltn dfendla cause de la conscience et de la presse par des argumentsthologiques ou philosophiques, non par des raisons de cou-tume et de tradition qui n'auraient t gure de niise en cesmatires. Les dfenseurs du droit divin eux-mmes, Filmer,

    par exemple, invoquent un prtendu droit patriarcal venud'Adam et qui se serait transmis par une hrdit fictive,hypothse aussi chimrique et aussi thorique que l'tat denature de Hobbes et de Rousseau. Locke enfin, dans sonEssaisur le gouvernementcivil, fait exprs pour justifier la,rvolution de 1688, n'invoque pas une seule fois des titres dechartes ou de lois crites. Il s'adressaitau bon sens, la raisoncommune, exposait sous une forme toute philosophique le

    principe de la souverainet du peuple, tablissait l'excellence

    d'une loi naturelle, indpendante des lois crites enfin, lepremier il donnait une table ou numration des. libertsnaturelles et primitives, des droits de l'homme, que nos con-stitutions modernes n'ont eu qu' rsumer sous forme de lois.Ainsi, pendant deux ou trois sicles, tandis que la Rformationdonnait naissance des socits plus ou moins libres et rpu-blicaines, Genve, la Hollande, l'Angleterre, la raison philoso-phique travaillait de son ct dans tous ls tats europens, et

    en France aussi bien qu'en Allemagne et en Angleterre,prparer, le plan rationnel d'une socit juste dont la libertet l'galit seraient les fondements.

    La France du xvm sicle n'a eu qu'un mrite, et ce mrite

    est grand ce fut de condenser ces principes, de ls dgager

    de leur origine thologique et protestante pour en faire des

    principes pour l'humanit et de les faire passer dans la con-

  • science humaine grce au gnie de nos crivains. C'est en effet la langue lumineuse, tincelante, brlante d'un Voltaire,d'un Montesquieu, d'un Rousseau, que les droits de l'hommedurentde se rpandredans toute l'Europe, et de l en Amrique.Nous ne sommes donc pas ici en prsence d'une thoried'cole, d'une thse artificielle propre un sicle ou unpays particulier nous sommes en prsence d'un travail de laconscience humaine pendant plusieurs sicles, travail quenous avons pris au xvle sicle avec la Rforme, mais qui acommencbeaucoup plus tt et c'est jusqu'au christianisme,jusqu'au stocisme et mme plus haut encore, jusqu' Socratequ'il faut remonter pour bien comprendre l'origine de cetidal du droit qui a clat dans l'histoire la fin du derniersicle. Que ce vaste travail philosophique ait essay unmoment donn d'entrer dans la politique, comme avait faitdj le christianisme lui-mme, quoi de plus naturel ? S'entonner, ce serait professer au fond que la pense n'est rien,qu'elle ne prside rien, qu'elle ne dtermine rien, qu'elle estune superftation et un accident plus dangereux qu'utile. Lavraie formule de cette philosophie prtendueclaire serait lemot de Rousseau L'homme qui pense est un animaldprav.

    II

    LA DCLARATION DES DROITS DE 1791.

    Aprs avoir tudi les Dclarationsde droits en Amrique,arrivons, la Dclaration franaise de l'Assemble constituanteet ce que l'on a appel les principes de 89.

    Ces principes ne sont pas seulement contenus dans l'actespcial appel Dclaration des droits, acte qui prcde laConstitution et qui n'en fait pas partie. Ils se trouvent encoredans le prambule de la Constitution elle-mme, qui numreles privilges abolis et interdits, et dans le titre Ier, intitulDispositions fondamentales garanties par la Constitution.

  • Oh comprend aisment les raisons de ces trois chapitresspars. La Dclaration proprementdite n'est pas, propre-ment parler, un acte constitutionnel. C'est un acte de la con-science humaine, de la raison publique, qui plane sur laConstitutiontout entire. Elle est antrieure la Constitution

    pour bien faire voir qu'elle n'en est pas le rsultat, mais leprincipe. Mais, aprs une dclaration toute philosophique etexclusivement rationnelle, il fallait que ces mmes principesentrassent dans la Constitutionelle-mmepour avoir force deloi et prendre pied sur cette terre. Or cela devait avoir lieu dedeux manires 1 en dclarant abolis tous les privilgescontraires aux droits; 20 en garantissant aux citoyens lajouissance des droits prcdents

    Si nous comparons maintenant cet ensemble avec les Dcla*rations amricaines que nous avons prcdemment analyses,

    les seules diffrences sont 1 le soin de sparerla Dclarationet l'acte mme constitutionnel; 2 l'numration des privilges

    abolis. Pour ce second point, il est assez naturel que les Am-ricains n'eussentpoint mentionner, mme pour les suppri-

    mer, des privilges qui n'existaient pas chez eux ou quin'existaient qu' un faible degr. Pour le premier point*' la;Dclaration spare de tout acte lgal conservait au droit sonvrai caractre; savoir d'tre antrieur toute loi, mme laloi constitutionnelle, tandis que tout ce qui fait partie de cetteloi peut tre modifi par le pouvoir constituant.

    On peut dire sans doute que les Amricains ont manifest

    un esprit plus positif en introduisant les droits naturels dansle corps mme de la Constitution, soit en tte, soit au milieu;mais, en dfinitive, cette circonstance est accessoire; et le faitmme de dclarer des droits inalinables revient au mme

    principe. Il y a mme certaines constitutions amricaines o

    les constituants dclarent que les droits noncs sont endehors de leurs pouvoirs constituants et reconnaissentl'obligation eux et leur postrit de n'y pas toucher. Sansdoute toutes ces prcautions sont purement thoriques; car il

  • n'est pas douteux qu'un nouveau pouvoir constituant ne ptreconnatre, s'il le voulait, de nouveaux droits, ou mme ensupprimer qui lui paratraient chimriques; car pourquoi lascience du droit, mme naturel, ne ferait-elle pas de progrs?Mais, mme alors, ce ne serait pas en tant que constituants,mais en tant qu'hommes, que les lgislateurs tendraient ourestreindraient la Dclaration primitive; et le droit resteratoujours le principe, et non l'effet de la loi.

    Quant la forme et aux expressions employespar la Dcla-ration franaise, nous ne voyons rien qui la distingue essen-tiellement des Dclarations amricaines et qui lui confreraitun caractre mtaphysique plus prononc tout au plus signa-lerait-on, le terme d'imprescriptible que nous n'avons pasrencontr aux tats-Unis; mais les expressions d'inalinableet d'indfectible, que nous y avons trouves partout, ontexactement le mme sens. Rien ne justifie donc l'imputationsans cesse reproduite d'idologie, applique la France enopposition avec l'empirisme pratique des Amricains. Quecette imputation soit plus ou moins fonde, applique d'autres points, nous n'avons pas le rechercher; mais, surla question prcise qui nous occupe, nous nions formellementl'antithse dont il s'agit.

    Peut-tre mme pourrait-on trouver dans la Dclarationfranaise une proccupation plus marque d'viter l'excs dedclarationstrop gnrales et de droits illimits, qui'pourraientdsarmer l'ordre social de ses garanties, non moins nces-saires que la libert elle-mme. Nous voyons, en effet, dansnotre Dclarationd droits ce que nous ne trouvons pas engnral dans les Dclarationsamricaines c'est que chacundesdroits numrs est presque toujours accompagnde sa restric-tion et d'un certain contrepoids fait qui, je crois, n'a pasencore t signal et "qu'il est important de mettre en lumire.

    En effet, la doctrine d'un droit naturel, inalinable etimprescriptible, n'entrane nullement comme consquence ladoctrine d'un droit illimit, comme les adversaires de nos

  • Dclarations de droits le prtendent. Au contraire, les philoso-

    phes les plus idalistes, ls plus attachs la doctrine du

    droit pur, Kant par exemple, enseignent que le droitde

    chacun a pour limite le droit d'autrui. Le droit, selon ladfi-

    nition de Kant, est l'accord des liberts . Lorsque l'on dit

    que le droit est absolu, on entend par l qu'il ne doit pastre

    sacrifi l'intrt ou la force, mais non pas qu'il ne puisse

    pas tre limit par un autre droit. Le droitd'exprimer sa

    pense peut tre limit par le droit qu'a chaque homme de

    conserver son honneur. Le droit d'acqurir estlimit par le

    droit de la chose acquise le droit de respecter la vie d'autrui

    est limit par le droit de se dfendre si l'on est attaqu.De

    plus; le droit est limit par le devoir, mme au point de vue

    social;-car nous avons des devoirs enversl'tat, et, par cons-

    quent, l'tat a des droits sur nous ainsi le droit de conserver

    ses biens est limit par le devoir de contribuer aux dpenses

    publiques; le droit de conserver sa vie est limit par le devoir

    d dfendre la patrie contre l'tranger. C'estpourquoi d'autres

    constitutions franaises (1795 et 1848) ont trs sagement

    admis une Dclaration des devoirs ct de laDclarationdes

    droits.

    Les abus que les sectes rvolutionnaires font de la notionde 'droit ne viennent donc pas de cette notion

    elle-mme, mais

    de l'oubli qu'ils font de la rciprocit. Ils ne voient le droit

    que d'un seul ct." Ils voient le droit dudiffamateur et non

    celui du diffam. Ils voient le droit d'aller et de venir sur la

    place publique; mais ils ne voient pas le droit de celui qu'on

    empche d'aller et de venir en remplissant les rues de proces-sions rvolutionnaires. Ils voient le droit de l'ouvrier et ne

    voient pas celui de l'entrepreneur. Ce qu'il faut pourcorriger

    les erreurs rvolutionnaires, ce n'est pas desupprimer la

    notion de droit, :c'st de l'claircir et de la dvelopper.

    Si l'on devait dire que' le droit n'est pas absolu parce qu'il

    n'est pas illimit, il faudrait en dire autant du devoir; car il

    n'y a pas plus de devoirs illimits que dedroits illimits.

  • Lorsqu'on dit que le devoir est absolu, on entend par l qu'ilne dpend pas des circonstances, qu'il ne doit cder ni la passion ni l'intrt, mais non pas qu'il ne doit pas cdera un autre devoir. Tous les moralistes savent qu'il y a desconflits de devoirs comme il y a des conflits de droits. N'y a-t-il pas des cas o le devoir envers la famille doit cder auxdevoirs envers l'tat, ou mme aux devoirs envers soi-mme?En conclut-on qu'il n'y a pas de devoirs, ou que ces devoirsne sont que des devoirs crits, imposs par la loi civile, ouenfin des devoirs ns de la coutume et de l'habitude? Sansdoute il y a une cole qui ramne tout l'intrt, le devoircomme le droit; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Nousparlons ceux qui admettent une morale naturelle et quiredoutent un droit naturel, parce qu'ils voient dans l'un leprincipe d'autorit, et dans l'autre un principe rvolutionnaire.Mais on voit que les difficults sont les mmes de part etd'autre.

    Pour en revenir la Constituante, on peut dire qu'elle a eule sentiment juste et net que le droit peut tre limit par ledroit, et elle a fix des bornes aux droits de chacun L'exer-cice des droits naturels, est-il dit, n'a de bornes que celles quiassurent-aux autres membres de la socit la jouissance desmmes droits. Les droits naturels ont donc des bornes. Quidterminera maintenant, qui dlimitera ces bornes? La Consti-tuante a tabli la vraie doctrine, la seule possible et pratique, savoir la dlimitation des droits par la loi Ces bornes nepeuvent tre dtermines que par la loi. En consquence, le pouvoir lgislatif ne pourra faire aucune loi portantatteinte ou seulement obstacle " l'exercice des droits naturels;mais, comme la libert ne consiste qu' pouvoir faire ce quine nuit pas aux droits d'autrui et la scurit publique, laloi peut tablir des peines contre les actes qui, attaquant lasret publique ou les droits d'autrui, seraient nuisibles lasocit.

    Mais ici la restriction elle-mmea encore sa restric-tion, et la loi, qui est une garantie contre l'abus des droits ou

  • contre l'abus de ceux qui excutent la loi, doit se renfermerdans ces limites La loi n'a le droit de dfendre que les

    actions nuisibles la socit; Voyons maintenant ces principes dans l'application. L'un

    des.droits naturels est la libert individuelle. Tout homme ale droit d'aller, de rester, de partir sans tre arrt ni dtenu,

    si ce n'est dans les formes dtermines par la Constitution ,Ainsi la libert individuelle est garantie contre l'arbitraire,

    mais non pas contre la loi. De mme pour la libert de

    conscience. Nul ne peut tre inquit pour ses opinionsreligieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pasl'ordre public tabli par la loi . La libre communicationdespenses et ds opinions est encore signale comme un des

    droits les plus prcieux de l'homme, sauf rpondre de

    l'abus de cette libert dans les cas dtermins par la loi .