Heur Et Malheur de n'Être Plus Homme Dans Le Marteu Des Sorciers Ou Le Syndrome d'Abelard

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1 « Heur et malheur de n'être plus un homme dans Le Marteau des sorcières ou le syndrome d'Abélard », in Cahiers masculin/féminin de l'Université Lyon 2, n° spécial « Sorcières et sorcelleries », printemps 2002, pp. 33-39 Heur et malheur de n’être plus un homme dans Le Marteau des sorcières ou le syndrome d’Abélard Qu’est-ce qu’être un homme, un mâle ? Cela ne semble pas la question majeure des traités de sorcellerie dont l’obsession, à partir du XVe siècle est de définir une essence du féminin. Une prétendue étymologie de « femme » connaît alors une grande vogue : « femina vient de fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi » 1 , étymologie qui permet de faire peser les plus lourdes charges contre le genre féminin, et qui par contrecoup met assez largement à l’abri des soupçons le genre masculin. On va pourtant voir comment émerge indirectement un imaginaire du masculin à travers quelques prérogatives des sorcières. Le Marteau des sorcières, manuel d’inquisition publié en 1486, à la demande du Pape Innocent VIII par les deux dominicains Henri Institoris et Jacques Sprenger, est un des premiers textes à construire de manière stéréotypée la représentation de la sorcière dans l’occident chrétien et à affirmer que, majoritairement, le sorcier est une sorcière 2 . Dans un climat de fin des temps, clairement exposé dès « L’Apologie » de l’ouvrage, la sorcière est présentée comme l’incarnation 3 de cette fin des temps, et donc comme un instrument de destruction de la création. Pourtant la hantise majeure dans Le Marteau des sorcières est moins une peur de la stérilité étendue à toutes les espèces, animales et végétales, qu’une crainte de ce qui affecte l’humain, en le dénaturant. Il y a deux moyens de faire qu’un homme n’en soit plus un : le transformer en animal ou le priver de ses attributs sexuels. De nombreux chapitres traitent de ces deux sortes de violences commises par les sorcières et certains plus précisément de la capacité qu’elles ont d’enlever aux hommes le membre viril 4 . C’est sur ce point précis, de dénaturation de la virilité, que nous allons nous interroger car c’est là que se dit quelque chose du fait 1 Le Marteau des sorcières, édition et traduction par Armand Danet, chez Jérôme Millon, Grenoble, 1997, p. 177. 2 « En conséquence, on appelle cette hérésie non des sorciers mais des « sorcières », car le nom se prend du plus important », ibidem, p. 182. 3 Ibidem, Apologie, p. 111. 4 Dans la première partie, question IX, pp. 201–207 et dans la deuxième partie, première question principale, chapitre VII, pp. 310–316.

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    Heur et malheur de n'tre plus un homme dans Le Marteau des sorcires ou le syndrome d'Ablard , in Cahiers

    masculin/fminin de l'Universit Lyon 2, n spcial Sorcires et sorcelleries , printemps 2002, pp. 33-39

    Heur et malheur de ntre plus un homme

    dans Le Marteau des sorcires

    ou le syndrome dAblard

    Quest-ce qutre un homme, un mle ? Cela ne semble pas la question majeure des

    traits de sorcellerie dont lobsession, partir du XVe sicle est de dfinir une essence

    du fminin. Une prtendue tymologie de femme connat alors une grande vogue :

    femina vient de fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi 1, tymologie qui

    permet de faire peser les plus lourdes charges contre le genre fminin, et qui par

    contrecoup met assez largement labri des soupons le genre masculin. On va pourtant

    voir comment merge indirectement un imaginaire du masculin travers quelques

    prrogatives des sorcires.

    Le Marteau des sorcires, manuel dinquisition publi en 1486, la demande du

    Pape Innocent VIII par les deux dominicains Henri Institoris et Jacques Sprenger, est un

    des premiers textes construire de manire strotype la reprsentation de la sorcire

    dans loccident chrtien et affirmer que, majoritairement, le sorcier est une sorcire2.

    Dans un climat de fin des temps, clairement expos ds LApologie de louvrage, la

    sorcire est prsente comme lincarnation3 de cette fin des temps, et donc comme un

    instrument de destruction de la cration. Pourtant la hantise majeure dans Le Marteau

    des sorcires est moins une peur de la strilit tendue toutes les espces, animales et

    vgtales, quune crainte de ce qui affecte lhumain, en le dnaturant. Il y a deux

    moyens de faire quun homme nen soit plus un : le transformer en animal ou le priver

    de ses attributs sexuels. De nombreux chapitres traitent de ces deux sortes de violences

    commises par les sorcires et certains plus prcisment de la capacit quelles ont

    denlever aux hommes le membre viril4. Cest sur ce point prcis, de dnaturation de la

    virilit, que nous allons nous interroger car cest l que se dit quelque chose du fait

    1 Le Marteau des sorcires, dition et traduction par Armand Danet, chez Jrme Millon, Grenoble, 1997,

    p. 177. 2 En consquence, on appelle cette hrsie non des sorciers mais des sorcires , car le nom se prend

    du plus important , ibidem, p. 182. 3 Ibidem, Apologie, p. 111. 4 Dans la premire partie, question IX, pp. 201207 et dans la deuxime partie, premire question principale,

    chapitre VII, pp. 310316.

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    dtre homme et cest aussi l que la part du rcit dans un texte par nature argumentatif

    se fait plus importante :

    Que les sorcires aient coutume de supprimer des membres virils, non pas en dpouillant

    rellement des corps humains mais en les faisant disparatre par quelques charmes, nous

    lavons dj montr plus haut la question IX de la premire partie. Ici, nous voulons surtout

    apporter des exemples (II, VII, p. 310).

    Avant den venir aux rcits et ce quils rvlent du masculin, il est ncessaire

    dexpliquer pourquoi il ny a pas dans Le Marteau des sorcires de hantise de la

    strilit5. En effet, si elle nest pas dterminante, quest-ce qui peut expliquer la crainte

    de la perte du membre viril ? Certaines ides reues sur la condamnation chrtienne de

    lacte sexuel sont rviser, la hausse. En effet, les deux dominicains refusent la

    logique selon laquelle lacte sexuel est condamn comme lieu dun plaisir gratuit et

    lgitim ds lors quil est un moyen de reproduction. Laffaire est plus grave :

    Dieu permet davantage le malfice sur cette puissance [gnitale] ; non pas tant parce quelle

    est honteuse que parce quelle sert la transmission tout le genre humain de la corruption du

    premier pch par la contagion des origines6.

    Cest la procration elle-mme qui assure la transmission du pch originel ; cest

    cause de cette thse, qui contient un implicite terriblement dangereux dincitation la

    non reproduction, que la strilit ne peut tre conue comme une hantise dans

    louvrage ; bien plus le paradoxe voudrait mme que le malfice (privation de la

    puissance gnitale) se retourne en bnfice. Cest sur cette ligne de crte entre bnfice

    et malfice que se tiennent non sans difficults les deux inquisiteurs : vaut-il mieux tre

    un homme avec ou sans attributs sexuels ? et surtout, tre priv par la sorcire de ses

    attributs sexuels est-il synonyme danantissement de la puissance sexuelle ?

    La position dogmatique, qui rend prfrable la non-reproduction la reproduction7,

    bloque toute rflexion rationnelle sur lensorcellement de la puissance gnitale

    comment condamner ce qui, dun certain point de vue, est souhaitable ? et entrane les

    5 Elle est peine voque dans la question VIII de la premire partie alors quelle est bien prsente par exemple

    chez Jean Bodin dans La Dmonomanie des sorciers en 1580, comme par exemple au Livre second, fin du

    chapitre premier, Gutenberg Reprint, fac simile de l'dition de 1587, p. 64. 6 Le Marteau des sorcires, op. cit., p. 266. 7 On trouve dj cette position chez saint Paul, I Cor., 7, 8 et 38 : Je dis aux clibataires et aux veuves

    quil leur est bon de demeurer comme moi [] Celui qui se marie avec sa fiance fait bien, mais celui qui

    ne se marie pas fait mieux encore.

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    deux auteurs8 vers les rcits les plus imaginatifs, les plus favorables lopinion et la

    rumeur. Cest dans ces rcits que va se dire ce qui nest pas interrogeable : la virilit et,

    plus prcisment, celle des clercs.

    Un rcit, particulirement, frappe par son aspect involontairement farcesque, dans la

    logique dmonstrative du texte :

    Enfin que faut-il penser de ces sorcires qui par ce moyen collectionnent parfois des

    membres virils en grand nombre (vingt ou trente) et sen vont les dposer dans des nids

    doiseaux ou les enferment dans des botes, o ils continuent remuer comme des membres

    vivants, mangeant de lavoine ou autre chose comme daucuns les ont vus et comme lopinion

    le rapporte ? Il faut dire que tout cela relve de laction et de lillusion diaboliques : les sens

    des tmoins ont t tromps de la manire dj dite. Un homme rapporte en effet quil avait

    perdu son membre et pour le rcuprer il avait appel une sorcire. Elle ordonna linfirme de

    grimper sur un arbre et lui accorda, sil le voulait, den prendre un dans un nid o il y en avait

    plusieurs. Lui, essayant den prendre un grand, la sorcire dit : ne prends pas celui-l ;

    (ajoutant) il appartient lun des curs. Mais tout cela est caus par les sortilges et les

    illusions des dmons de la manire susdite ; bouleversant lorgane de la vue en changeant les

    images de la puissance imaginative (II, VII, p. 315).

    Avant de discuter le contenu de ce rcit, il est bon de rappeler la position cl des

    deux dominicains : les sorcires agissent rellement dans le monde mme si ce quelles

    produisent est illusion ; cest le cur de leur dbat sur le canon Episcopi ds

    louverture du trait9. Ce nest parce que des faits sont imaginaires quils ne sont pas.

    Mais comment parler objectivement de ce qui na pas de ralit objective ? le texte

    commence par une valuation de validit ( enfin que faut-il penser de ), mais l o

    lon sattend un refus mprisant de telles fables, elles sont au contraire confirmes

    comme preuve de lefficacit des sorcires.

    Que nous apprennent-elles ? au-del des rvlations sur limaginaire de la bote ou

    du nid qui renvoie une capacit fminine contenir ou enfermer le sexe masculin10, on

    apprend quun membre viril a une vie autonome, mme spar du corps auquel il

    appartient ; il est dynamique, il se nourrit davoine comme un cheval et vit comme un

    oiseau, dans des nids au sommet des arbres : en conclusion, cest un tre animal. Les

    deux autres informations concernent la taille : le membre du cur est plus grand que

    8 Il est communment admis aujourdhui que seul Institoris rdigea le manuel alors que Sprenger fit

    bnficier le trait de sa participation intellectuelle et eut plutt un rle de garant du projet. 9 Voir question premire , pp. 115127 : le canon Episcopi , dont lorigine est obscure, est connu

    partir du Xe sicle ; cest un texte qui met en doute la ralit des faits surnaturels attribus aux sorcires

    mais non sans prter ses imaginations une origine diabolique. Les deux dominicains insistent sur la

    ralit de ses imaginations. 10 Ple cousin fantasmatique de la "vagina dentata".

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    tous les autres et cest ce gros sexe qui est lobjet de la convoitise de lamput. En

    termes dimaginaire, les choses sont claires et assez attendues : les hommes, reprsents

    ici par lopinion , dotent leur sexe dune vie propre et trs active ( ils continuent

    remuer comme des membres vivants ) et ils envient pour lui une taille suprieure. Ce

    qui est moins attendu, cest que limage du cur, homme la virilit exacerbe, digne

    dun cur de fabliaux, nest pas remise en cause par les auteurs, eux-mmes clercs. On

    comprend par les explications antrieures que si le sexe du cur est dans le nid, cest

    que ce cur est concupiscent, ce devrait donc tre une juste punition que cette illusion

    de castration : ceux qui sont ensorcels dans leur puissance gnitale sont tellement

    privs de la protection des anges que ou bien ils demeurent toujours dans le pch

    mortel ou bien ils se complaisent dans ces choses honteuses avec un intrt trop

    charnel 11. Cest mme la raison pour laquelle Dieu permet le malfice. Alors pourquoi

    vouloir exterminer la sorcire dans ce cas prcis, puisquelle se fait lauxiliaire de

    Dieu ? Que les hommes trop concupiscents soient privs du moyen dexercer leur

    concupiscence nest nuisible en rien. La raison est donc ailleurs : la sorcire, par son

    malfice, rvle et dsigne ce qui est destin rester tu : le dsir et les fantasmes

    masculins12. Exterminer la sorcire13, cest empcher ce continent noir du dsir

    masculin dmerger.

    Lambigut du texte est encore plus grande quand il est question exclusivement de la

    concupiscence, ou du refus de concupiscence, des clercs. Si les dmons affectent dune

    illusion de castration ceux des hommes qui sont en tat de pch, ils ne peuvent pas

    sattaquer ceux qui sont en tat de grce : quelques-uns sont particulirement

    purifis en leur puissance gnitale par les bons anges, si bien quils ne peuvent plus tre

    aucunement victimes de malfices en ce domaine 14. Or, ceuxci, il arrive pourtant

    quelque chose de trs similaire : une castration par lintermdiaire des anges. Le trait

    nous en expose trois, de manire assez spectaculaire. Le saint abb Srnus est le

    premier mentionn :

    Il saperut un jour quen lui, par la grce de Dieu, toutes les ardeurs de la concupiscence

    staient teintes. Alors enflamm dun plus grand zle pour la chastet, usant des mmes

    moyens, il demanda Dieu tout-puissant que la chastet de lhomme intrieur stendit

    11 Ibidem, p. 266. 12 Il va de soi que le dsir fminin est lui sans cesse voqu dans les termes les plus violents comme ces

    lvres du sein qui jamais ne disent assez , Le Marteau des sorcires, op. cit., p. 182. 13 La ncessit de lextermination est dite ds les premires pages du trait : La loi divine en effet

    plusieurs reprises prescrit non seulement de fuir les sorcires mais de les mettre mort []. Noter que

    autrefois ces criminels taient frapps dune double peine : le glaive et les crocs de fer dchirant leur

    corps ou bien lexposition aux btes. Aujourdhui par contre, on les brle, probablement cause de leur

    sexe fminin , ibidem, pp. 118 et 120 (le bcher semble ici signe de mansutude). 14 Ibidem, p. 266.

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    lhomme extrieur par un don de Dieu. Or finalement un ange vint lui dans une vision

    nocturne, qui lui ouvrit le ventre, arracha de ses entrailles une tumeur brlante, la jeta au loin

    puis remit ses viscres en place et lui dit : voil que les aiguillons de la chair sont maintenant

    retranchs ; sache que tu as obtenu aujourdhui la parfaite puret de lme et du corps

    demande par toi, au point de ntre plus sujet dornavant mme ce mouvement naturel qui

    se produit jusque chez les enfants en bas ge et la mamelle15.

    On peut noter ltranget de cette castration qui passe par lintrieur pour ter un

    attribut extrieur, et qui ressemble beaucoup une csarienne16, comme si la castration

    tait vcue sur le mode dune exprience fminine, comme si mourir ltre masculin

    supposait de connatre quelque chose du fminin.

    Il est ensuite question dans le texte du bienheureux abb Equitius, lui aussi sa

    demande promptement chtr par un ange, et, enfin, du saint pre et moine Hli,

    entrepris par trois anges, lun semblant lui tenir les mains, lautre les pieds et le

    troisime lui enlever les testicules avec un rasoir. Les choses ne se passaient pas en

    ralit, mais il lui semblait que ctait ainsi (p. 267). Dans tous les cas, le rcit insiste

    sur le caractre fictionnel de la scne mais sur ses consquences effectives dans la

    ralit : chacun put ensuite vaquer ses occupations sans connatre le moindre dsir

    charnel. La conclusion de ses rcits est pour le moins tonnante : part ces trois

    genres dhommes librs , nul nest labri des sorcires 17. On attend

    logiquement : nul nest labri des pulsions dsirantes, or cest lexact contraire qui est

    redout : le malfice sur la puissance gnitale. Le texte tombe dans sa propre bance

    logique.

    On avait commenc par lalternative suivante : vaut-il mieux tre un homme avec ou

    sans attributs sexuels ; on en est arriv une tout autre alternative : tre castr par les

    anges ou par les sorcires, la castration tant sans conteste ltat idal.

    Dans le premier rcit de castration, celui de Srnus, il est trs surprenant que labb

    se soucie de l homme extrieur alors que lhomme intrieur a dj atteint le

    stade de la chastet. Pourquoi vouloir une preuve au niveau physique de ce qui, sur un

    plan cens suprieur, est acquis ? Tout concourt dans ses rcits donner la prminence

    au corps (mme et surtout imaginaire) sur lesprit : seule la castration est un gage de

    chastet, comme si le libre-arbitre nexistait pas dans ce domaine : seul un dterminisme

    physique qui annule y compris lrection innocente est un gage de scurit.

    15 Ibidem, p. 266. 16 Ce rcit offre des similitudes avec le rcit autobiographique par Madame Guyon de lopration dune

    tumeur sur son corps de bb, qui a une fonction tout aussi symbolique quici, dans La Vie de Madame

    Guyon par elle-mme, Paris, Dervy-livres, 1983, chapitre II, pp. 2022. 17 Ibidem, p. 268, les italiques sont dans le texte

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    Etre clerc, de manire gnrale dans lEglise catholique et romaine, cest ne plus tre

    un homme. Cela permet alors lapparition dun troisime rgime sexuel, outre le

    masculin et le fminin, cest le masculin-perdu et cela doit passer par une mise en scne

    spectaculaire de la perte de virilit. Cest grce lavnement de ce troisime rgime

    sexuel quon peut comprendre la diffrence entre la castration anglique et la castration

    diabolique.

    Idalement, tous les clercs devraient tre sous le rgime du masculin-perdu mais le

    texte insiste bien sur le fait quil ny a que peu dlus. Dans ces conditions, tout clerc

    court le risque du malfice, comme le cur mentionn ci-dessus. Mais il est alors

    difficile de faire la part des choses entre lune et lautre castration. A ce point, seul le

    devenir du sexe coup peut nous rvler quelle est la diffrence entre le malfice et la

    grce de la castration anglique.

    Sur la manire qua la sorcire de couper le sexe, nous ne saurons rien alors que le

    modus operandi des anges est prcisment dcrit rasoir ou arrachement de la

    tumeur ; en revanche sur ce quil advient des attributs coups aprs la castration

    anglique, nous ne saurons rien quand nous est longuement dcrite la vie aprs coup du

    sexe coup par la sorcire. Ce sont ces petits dtails qui font sens. Le sexe nexiste plus

    aprs lintervention des anges : il est mort. Or, aprs lintervention de la sorcire, il est

    vivant, frtillant, gourmand et, pire, rcuprable. Le rgime du masculin-perdu soppose

    au rgime du masculin-suspendu : or, ce dernier rgime exhibe lapptit et la dynamique

    sexuelle dans toute sa nettet, grce au motif de lavoine, au frtillement et

    linsistance sur la taille du membre. Cest quand il est isol du reste du corps que ce

    membre est le plus parlant : cest bien l le malfice, qui ne rside donc pas dans la

    strilit : le sexe coup par la sorcire est un aveu continu dintemprance.

    La temprance ou la chastet qui sont rclames aux hommes par lEglise sont

    choses difficiles, voire impossibles. Mais cela ne peut se dire. Pas rationnellement en

    tout cas, car la logique perturbe du texte aboutit ceci : tre un homme libidineux,

    cest possiblement tre un homme castr ; tre un homme chaste, cest possiblement

    tre un homme castr, ce qui quivaut dans les deux cas de figures : tre un homme,

    cest ne plus tre un homme. Ce dni de sexualit est alors la cause de l'irruption de

    limaginaire, un imaginaire qui dborde travers les rcits les plus dbrids, l o peut

    sinstaurer un espace pour dire la sexualit masculine, mais le prix payer en est lourd.

    La sorcire, par son malfice, nannule pas la sexualit masculine, au contraire, elle

    rvle ce qui la travaille. Cest l sa faute, sa trs grande faute, que seule la mort peut

    laver : la mort symbolique de lhomme en lhomme, des plus exceptionnelles, ou la

    mort relle, et bien plus frquente, de la femme, parce que lhomme ne sait pas effectuer

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    sa libert. On ne saurait dire plus nettement combien le vu de chastet a eu de

    consquences terrifiantes dans lhistoire de lEglise.

    Michle Clment

    Lyon 2Lumire