Guide du mélomane averti - Numilog

35

Transcript of Guide du mélomane averti - Numilog

Guide du mélomane averti

JEAN-BERNARD PIAT

Guide du mélomane

averti

LE LIVRE DE POCHE

© Librairie Générale Française, 1995

Pour Marie et Florent

Avant-propos

Depuis que la mélomanie est à la mode et commence à faire partie de la culture générale de base — phénomène assez récent que les sociologues ne manquent jamais de qualifier de « boom musical » —, nombre de dictionnaires de musique, de répertoires et de compositeurs, de biographies de musiciens, d'ouvrages musicologiques en tout genre, fleurissent pour apai- ser la fringale des Français réputés jusqu'à ces dernières décen- nies peu portés sur Euterpe. La musique dite « classique » est aujourd'hui inscrite au programme des conversations de salon, des dîners en ville, des sorties mondaines. L'art qui évoquait jusque-là pour les Gaulois un conservatoire poussiéreux, un morne concert dominical, une vierge au piano, et autres clichés, est devenu sujet d'actualité. On n'hésite pas à organiser ses vacances d'été autour d'un festival de musique en France ou à l'étranger, on réserve ses places de concert un an à l'avance, on se bat pour inscrire ses enfants dans les conservatoires, on pérore à perdre haleine sur la réalité d'un opéra « populaire », etc.

Naguère l'inculture musicale était en France la mieux tolérée des incultures. Il convient désormais d'avoir des lueurs minima- les sur cet art majuscule passé sous le faisceau des projecteurs de la mode. Le goût musical s'est affiné. On n'admettra plus que les connaissances de l'amateur se limitent aux scies — Quatre Saisons, Petite Musique de Nuit, Lettre à Élise, Symphonie pathétique... —, qui risqueraient de cataloguer d'emblée dans la catégorie du mélomane péquenot. On attendra au contraire de l'apprenti amateur des connaissances et opinions dans la

note sur compositeurs, interprètes, œuvres et grandes questions d'actualité musicale. Bien sûr, on l'a dit, il existe de nombreux ouvrages fort sérieux à même de forger une solide culture musi- cale en quelques années. Mais notre époque est vouée à la rapidité, à la précipitation, à la boulimie. Les notions de mûris- sement et de digestion lui sont quasi étrangères. Le lecteur est- il complice de cet état de fait ? Veut-il briller à peu de frais ? Alors cet abécédaire est pour lui.

Il s'agit d'un répertoire : 1. Des clichés traditionnels de culture musicale, des connaissances de base, ânonnés à l'envi par les mélomanes se voulant avertis, sur les principaux compo- siteurs consommés, les œuvres majeures fréquentées, les interprètes irrécusables, ainsi que sur quelques questions musi- cologiques d'ordre général, dans le domaine de la musique classique. 2. Des idées mode (reçues et parfois renvoyées). Le tout est mélangé en un cocktail certes disparate, mais s'appa- rentant bien aux à-peu-près, aux raccourcis et aux jugements à l'emporte-pièce des conversations de buffets de concert.

La biographie et les œuvres des divers compositeurs n'occu- pent pas, pour chaque notice, la même place : il est des compo- siteurs chez qui les éléments biographiques doivent absolu- ment être connus de tout le monde, d'autres pour lesquels ce sont au contraire les questions d'esthétique musicale qui domi- nent. Sont aussi répertoriées les bourdes rédhibitoires trahissant aussitôt le mélomane du dimanche. (Ainsi, on n'ira pas dire que son adagio favori est celui d'Albinoni, ou que ce que l'on pré- fère chez Beethoven, c'est la Lettre susnommée...) On peut donc lire ce répertoire comme un abc de culture musicale à l'usage du néophyte, ou comme un modeste manuel de sno- bisme musical contemporain.

Les compositeurs, les noms célèbres, les œuvres, les notions diverses, ont été plus ou moins arbitrairement sélectionnés, du XVII au XX siècle, soit parce qu'ils déclenchent des réflexes culturels communs à tous les mélomanes qui se respectent, soit parce qu'ils sont en vogue. Ce qui explique que sont écartés certains compositeurs peu fréquentés, à propos desquels on ne débagoule pas machinalement de laïus traditionnel. Ainsi, ne faisant pas partie du menu usuel, les compositeurs du Moyen Âge et de la Renaissance, de même que les malheureux compo- siteurs « contemporains », ont été classés à part...

En revanche, il convient de remarquer que ce regard partiel- lement oblique porté sur les musiciens à travers ce qu'on en dit aujourd'hui a fait braquer la lorgnette sur des compositeurs

inconnus ou méconnus encore naguère, mais qui ont à présent le vent de la mode en poupe. Le lecteur ne s'étonnera pas davantage de voir des détails démesurément grossis, de trouver des anecdotes ou de menus faits exagérément soulignés, les- quels servent de balises, de tics de reconnaissance, entre mélo- manes affranchis.

Toutefois, attention : le snobisme, la mode et la tradition étant choses complexes et ambivalentes — et rien n'étant jamais ni blanc ni noir exclusivement —, il est impératif de préciser que l'idée mode, le cliché éculé, le jugement rebattu, ne sont pas nécessairement faux. Des jugements contemporains deviennent risibles et assommants à force d'être serinés par les langues de la mode, mais n'en sont pas moins vrais. À l'inverse, des points de vue traditionnels rabâchés de génération en génération deviennent insupportables parce qu'il est de plus en plus mani- feste qu'ils sont absurdes. Ce vade-mecum n'est pas toujours neutre et impartial : l'idée traditionnelle ou à la mode est parfois défendue, parfois saupoudrée d'une pincée d'ironie ou d'aga- cement.

Grâce à ce modeste abécédaire, le lecteur néophyte pourra en conséquence espérer affronter les conversations spécialisées à l'aide de ces demi-allusions, de ces clins d'œil complices, de ces ricanements hautains, de ces prises de position insolites ou convenues, qui sont tout le plaisir des discussions des méloma- nes à qui ‹‹ on ne la fait pas ».

Puisse surtout cet humble livre inciter l'amateur à se plonger dans des ouvrages de musicologie, et à aller écouter, toutes affaires cessantes (comme disent les critiques de disques), d'une oreille vierge de tout a priori (quelle ironie !), accueillante et émerveillée, ces musiques sur lesquelles on aime tant gloser sans jamais réussir à en traquer l'élément irréductible, à en per- cer les mystères à proprement parler... ineffables. Comme disait Debussy : « La musique commence là où s'arrêtent les mots. »

Première partie

Les compositeurs du XVII au XX siècle, 15 Musique du Moyen Âge et de la Renaissance, 175 Musique contemporaine, 179

Les compositeurs du XVIIe siècle au XXe siècle

ADAM (Adolphe) Compositeur français (1803-1856).

Très peu fréquentable. Trop célèbre pour son noël Minuit, Chrétiens, qu'Émile Vuillermoz n'hésite pas à qualifier de « populacier ». Le ton est donné. Cet élève de Boieldieu a commis ouvrage sur ouvrage, dont 53 oeuvres pour le théâtre ! On ne retient à la rigueur que Le Postillon de Longjumeau, Si j'étais roi, Le Chalet, arrêtons, c'est déjà trop, et surtout la musi- que du ballet Giselle (1841), remarquable selon Lucien Rebatet pour ses « flonflons sentimentaux ». Pour juger Adam, on s'en donne d'ordinaire à cœur joie : musique honteusement facile, abominables complaisances envers le public, lyrisme de quatre sous, etc. ALBÉNIZ (Isaac) Compositeur espagnol (1860-1909).

Il y a un Albéniz qu'il est de bon ton de considérer d'un air un peu réticent, voire dédaigneux, celui des espanolades, et un autre qu'il est bien porté d'admirer haut et fort : celui d'ibéria (1906-1908).

Dans le premier cas, on ne manque jamais de rappeler qu'Albéniz était un pianiste insolemment virtuose (élève de Liszt), qui ne résistait pas à la tentation de commettre des improvisations faciles et « pittoresques » — mot honni du mélo- mane qui se respecte — pour les salons. De son propre aveu, ses compositions de jeunesse étaient de « petites saletés ». Ne jamais avouer que l'on a pris pour la première fois contact avec

Albéniz en écoutant quelque guitariste amateur rabâcher la transcription d'une pièce célèbre, Asturias, Sevilla, Cordoba, Cadiz... C'est l'Albéniz du profane.

En revanche, dans le cas d'Ibéria, suite de douze pièces pour le piano, on cite Messiaen disant que « jamais l'écriture du cla- vier n'a été poussée aussi loin ». C'est l'oeuvre admirée (de Mes- siaen, de Debussy, etc.). C'est l'Albéniz du connaisseur.

N.B. Si la distinction entre Ibéria et les autres œuvres se justi- fie quant à l'écriture, le dédain snob pour les œuvres antérieu- res, la Suite espagnole par exemple, est ridicule. On peut légiti- mement aimer Asturias et préférer même de façon perverse — bon sujet de controverse — la transcription pour guitare à la version pour piano. Dans les deux cas, on cite toujours Debussy qui assurait qu'Albéniz éprouvait le besoin de « jeter la musique par les fenêtres ».

L'interprète irrécusable d'Albéniz, c'est naturellement la grande pianiste espagnole Alicia de Larrocha. ALBINONI (Tomaso) Compositeur italien (1671-1751).

Ne jamais laisser échapper que l'on écoute, peut-être même que l'on apprécie, l'Adagio d'Albinoni ! On risque d'être irrémé- diablement catalogué, vu que l'œuvre est le plat de résistance des disques-anthologies de grande surface. Et surtout on devra savoir qu'il est apocryphe, ce qui n'arrange pas les choses. (Il s'agit en réalité d'un arrangement — datant du XX siècle ! — dû au musicologue italien Remo Giazotto...)

Non, il faut aborder, sans lésiner, l'œuvre du « dilettante véni- tien », admirée de Bach, par quelque coffret de Concertos pour cordes ou pour bautbois, ou bien par ses Sonates à trois. On respire enfin là loin de la foule. Il y a encore mieux, puisque l'amateur raffiné n'ignorera point qu'Albinoni a écrit près de.... cinquante opéras, dont seuls quelques-uns subsistent : Zenobia (1694), Engelberta, Didone abandonata, La Statiza... Le fin du fin est de déguster — on trouve les enregistrements — l'inter- mède bouffe Pimpinone (1708) ou la fête pastorale La Nais- sance de l' Aurore (donnée au premier Festival de Paris en juin 1988). Tout cela est nettement plus distingué que l'Adagio res- sassé. Conclusion : on peut déclarer aimer Albinoni sans rougir. ALKAN (Charles-Valentin MORHANGE, dit) Compositeur et pianiste français (1813-1888).

Cet ami de Chopin et de Liszt est passé ces derniers temps

de l'ombre à la lumière. Carrément boudé jusqu'ici en France, beaucoup plus prisé par les Anglo-Saxons, comme il se doit... Mais voilà qu'on commence à (re)découvrir le « Berlioz du piano », personnage peu banal, pianiste virtuose, collectionneur de prix au Conservatoire de Paris, professeur de solfège dans cette auguste institution à quinze ans, traducteur de la Bible à ses heures, à le tenir pour un très grand du clavier, et même à s'intéresser à sa musique (principalement dévolue au piano) ! En tête, la Grande Sonate « Les Quatre Ages de la vie » (1847), puis les Douze Études dans tous les tons majeurs, les Douze Études dans tous les tons mineurs, les Préludes, la Sonatine, et une kyrielle de pièces affublées de titres à la Satie, Étude « Le chemin de fer », Le Tambour bat aux champs... Formidable Sonate pour violoncelle et piano, chef-d'œuvre méconnu.

Pour les contemporains, Alkan, misanthrope et dépressif, était une personnalité énigmatique (estampille de rigueur), au comportement plus ou moins excentrique, qui composait une musique déroutante aux doigtés insolites, très difficile d'exécu- tion. Il fut éclipsé par Chopin et Liszt. Mort saugrenue : il aurait rendu son dernier soupir écrasé sous sa bibliothèque alors qu'il y cherchait un volume !

Pianistes spécialistes d'Alkan : Raymond Lewenthal, Ronald Smith, et quand même un Français, Pierre Réach.

ALLEGRI (Gregorio) Compositeur italien (1582-1652).

Pour les mélomanes, ce chantre de la chapelle pontificale est l'homme d'une seule œuvre, le fameux Miserere (1638), pour neuf voix réparties en deux chœurs, lequel était traditionnelle- ment chanté à la chapelle Sixtine pendant la Semaine sainte.

Deux points anecdotiques, signalés partout : 1. Le pape Urbain VIII avait formellement interdit de copier cette œuvre fameuse sous peine d'excommunication. — 2. Mais Mozart vint et réussit le prodige, à quatorze ans, de la transcrire de mémoire, après l'avoir entendue une fois !

AUBER (Daniel-François-Esprit) Compositeur français (1782-1871).

Appartient à la race des « fournisseurs patentés de nos théâ- tres lyriques » (E. Vuillermoz). Tout est dit. Cet élève de Cheru- bini combina donc les deux caractéristiques propres au compo- siteur lyrique de second rayon : les facilités mélodiques d'une banalité de bon aloi et la diarrhée créatrice. Près de cinquante

ouvrages lyriques. Librettiste : l'inévitable Scribe. Se détachent Fra Diavolo (830), Le Domino noir, et surtout La Muette de Portici (1828), dont une représentation à Bruxelles en 1830 marqua le début de la révolte belge contre les Pays-Bas — c'est toujours ça —, et qui connut le succès pendant cinquante ans !

Auber connaîtrait-il un regain de mode ? En tout cas on a assisté en 1990 à Paris (Salle Favart) à l'exhumation de sa Manon Lescaut. Quand on apprécie, on précise finement que ce répertoire d'opéra-comique nécessite un chic « très article de Paris » (André Tubeuf), et l'on pinaille avec volupté ou acrimo- nie sur le style et la diction.

AURIC (Georges) Compositeur français (1899-1983).

Se réduit pour beaucoup à la Valse du film Moulin-Rouge (1953) de John Huston et au ballet Les Matelots (1925). C'est-à- dire que beaucoup ne voient en Auric qu'un aimable manufac- turier de musiques de film et de ballets, avec haussement d'épaules contempteur. Assurément, cet élève de d'Indy, mem- bre du Groupe des Six, influencé par Satie et Stravinski, et qui occupa de hautes fonctions officielles, écrivit des musiques de film — A nous la liberté (René Clair), Le Sang d'un poète, La Belle et la Bête, Orphée (Cocteau), Le Salaire de la peur (H.-G. Clouzot)... — ainsi que des ballets, Les Fâcheux, La Pastorale, Le Peintre et son modèle, Eurydice... Et l'on n'hésite pas le plus souvent à le tenir pour un énième petit maître franchouillard ayant commis une musique légère, fine, pétillante, piquante, ironique, élégante, bref, française. Attitude que l'on peut évi- demment adopter, pour peu que l'on admette dédaigner le divertissement de qualité... Cela dit, gare, car il y a aussi une dimension éminemment dramatique chez Auric. Pour grimper en altitude, écouter la tragédie chorégraphique Phèdre, le ballet Chemin de lumière, la Sonate en fa pour piano, les Imaginées pour piano et instruments variés... Dans son histoire de la musi- que, Antoine Goléa, fréquemment venimeux, consacre à Auric plus de cinq pages.

BACH (Jean-Sébastien) Compositeur allemand (1685-1750).

Repères biographiques indispensables : — Naissance à Eisenach. — Amstadt (1703-1707), où Bach l'organiste se coltine avec

l'un des élèves de sa chorale et part à pied pour Lübeck écouter le grand Buxtehude (voyage légendaire).

— Weimar (1708-1717), où le séjour est couronné par trois semaines de prison offertes par le duc pour un congé sollicité avec un peu trop d'insistance...

— Côthen (1717-1723), où Bach compose surtout pour l'orchestre, car Côthen la calviniste ne veut pas de musique au temple.

— Leipzig (1723-1750), où il devient Cantor de l'église Saint- Thomas. À sa nomination, phrase célèbre d'un des membres du Conseil de Leipzig : « Puisque nous n'avons pas eu le meilleur [Telemann], il faudra nous contenter d'un médiocre. »

Lorsqu'on parle de la biographie du Cantor de Leipzig, on en profite toujours pour souligner ce paradoxe parfaitement résumé par Roland de Candé : « L'art de ce Thuringien casanier est universel. »

L'énumération des œuvres lasse vite : deux bonnes centaines de Cantates, une soixantaine de Préludes, de Toccatas et Fugues, cent cinquante Chorals pour orgue, des Messes, Motets, deux Passions, l 'Oratorio de Noël, un Magnificat, quatre Suites pour orchestre, l'Offrande musicale, L'Art de la fugue, une ving- taine de Concertos, Sonates et Partitas pour instruments variés, encore de nouveaux chorals naguère découverts à Yale, une myriade d'oeuvres perdues. Une explosion de génie, de vigueur, de santé. Première femme, Maria-Barbara : sept enfants ; seconde femme, Anna-Magdalena : treize enfants ! (Pas comme Haendel, qui n'en eut pas un seul.) Lui-même issu d'une colonie de Bach remontant au XI siècle. Bref, ce qu'on appelle un monument.

Le monument rebuta longtemps. Et cela débuta de son vivant. On le trouvait « sévère ». On béait devant la virtuosité à l'orgue du Cantor de Leipzig, le compositeur faisait bâiller. On opposait à cet imposant édifice calviniste les douceurs, les caresses et les ris de Rameau, Vivaldi, Haendel. Pour ses contemporains, c'était un homme du passé porté sur le contre- point, alors qu'on voulait du nouveau, de petites mélodies ita- lianisantes à chanter facilement.

Attention ! Certes, Bach est le point de rencontre suprême du contrepoint et de l'harmonie, de « l'horizontal et du vertical », mais n'entendre qu'une mathématique musicale dans ses œuvres est épouvantablement réducteur, totalement dépassé, et surtout le fait d'oreilles bouchées. Le cliché sur la « géniale machine à coudre » (Colette) a définitivement fait long feu. La

sensualité n'est nullement absente chez ce théoricien et théolo- gien bien sanguin, qui ne dédaignait point les plaisirs. (Sans doute doit-on aux interprétations baroqueuses l'émergence de ce Bach charnel et frémissant. Sujet brûlant, voir à Baroqueux. A ce propos, ne jamais qualifier Bach de compositeur classique, comme on le faisait encore trop souvent naguère : Bach est un musicien d'époque baroque.)

Aujourd'hui, on va encore plus loin : il est ainsi bien porté de regretter que Bach n'ait pas succombé aux charmes de l'opéra en en écrivant un. Il est de toute façon convenu de souligner le génie à proprement parler dramatique des Pas- sions. On ne manquera pas de mentionner Pier-Luigi Pizzi qui a sauté hardiment le pas en mettant en scène en 1985 la Passion selon saint jean : motif tout trouvé de bataille rangée entre puristes et iconoclastes (visionnaires).

Le grand lieu commun sur Bach : toujours mettre en avant sa légendaire modestie en l'opposant au musicien romantique affligé d'un Moi hypertrophié. Bach considérait la musique comme un métier, une technique à maîtriser. Le mot d'« artisan » est couramment utilisé : cliché totalement râpé, mais indubita- blement vrai. (Toutefois, ne pas prendre à la lettre la fameuse phrase qui traîne partout : « Quiconque s'appliquera autant que moi fera aussi bien. ») On saura qu'il arrivait à l'artisan d'adapter une pièce de circonstance antérieure à une nouvelle occasion. Il changeait le texte, et le tour était joué : une pièce profane devenait religieuse. (Jamais l'inverse !)

Notations sur quelques œuvres : — Le Clavier bien tempéré (1722-1742) : bien dire « clavier »

et non « clavecin » comme on l'entend trop souvent. Débat musicologique : cette œuvre était-elle destinée au clavecin ou au clavicorde ? Savoir évidemment que « bien tempéré » signifie « au tempérament égal », et que le « tempérament », c'est le par- tage de la gamme en douze demi-tons égaux.

— Les Variations Goldberg (1742) : commandées par le comte von Keyserling pour son claveciniste, Goldberg, qui devait les lui jouer comme remède contre l'insomnie !

— Les Sonates et Partitas pour violon seul (1720) : sommet absolu de la musique instrumentale occidentale. S'émerveiller de la richesse polyphonique sur un violon, cela notamment grâce à l'utilisation des accords arpégés très rapidement et des doubles cordes. Savoir qu'une partita est une suite de danses.

— Les Suites pour violoncelle seul (vers 1720) : autre sommet absolu. Miracle : bien que l'écriture soit moins polyphonique

que dans les Sonates et Partitas pour violon, on a quand même l'impression de polyphonie. La danse quintessenciée au service de l'Esprit.

— Les Chorals : savoir qu'un choral était à l'origine un canti- que protestant chanté à l'unisson, puis que le mot désigna une pièce pour orgue inspirée d'un choral chanté.

— La Toccata et Fugue en ré mineur (BWV 565) : la rebattue. Ne pas la confondre avec l'autre Toccata et Fugue en ré mineur (BWV 538), dite « dorienne ».

— Les 6 Concertos brandebourgeois (1721) : dédiés au margrave Christian Ludwig de Brandebourg. Stylistiquement, regardent vers l'Italie.

— Les 4 Suites pour orchestre: pour Bach, c'étaient des « Ouvertures », et elles sont inspirées de l'« ouverture à la fran- çaise ».

— L'Art de la fugue (1748-1750) : la dernière grande œuvre, inachevée. Pic occidental de la polyphonie contrapuntique. Débat musicologique : pour quel(s) instruments) ? Savoir que le troisième sujet de la dernière triple fugue, c'est la signature de Bach lui-même, apposée au bas de l'œuvre monumentale. Le thème : SIb-LA-DO-SI = Bb-A-C-H (notation allemande) = BACH. Dans un article de Mélomane consacré aux modes musicales, Gérard Condé rappelle que dans les années 1960 « la mode était alors de l'écouter intégralement, sans broncher, dans la réalisa- tion la plus austère possible. » Messiaen : « À lire, c'est sublime, à entendre pas du tout. » (!)

— Les Cantates : 300 - 100 (perdues) = 200 environ. Le sub- lime au quotidien. Formule consacrée : « Nulla dies sine can- tata. »

— La Passion selon saint Jean (1723) : « Les gens avisés, qui ne veulent pas être pris pour ceux que le luxe éblouit, préfèrent généralement la Passion selon saint Jean, dont la beauté ne se découvre qu'à la longue, dans la simplicité des lignes, dans le renoncement à l'effet, dans l'expression d'une humble médita- tion » (Roland de Candé).

— La Passion selon saint Matthieu (1729) : « haute en cou- leur, profondément dramatique » (id.).

— La Messe en si mineur (1732-1738) : autre monument. Dire, là encore, qu'elle n'est pas loin de l'opéra (pour ses for- mes quasi dramatiques, s'entend, pas pour l'inspiration !). Para- doxe inlassablement souligné : Bach le protestant écrivit là une messe catholique sur un texte latin...

Savoir que le sigle BWV placé devant les œuvres de Bach

signifie « Bach Werke Verzeichnis » (Catalogue des Œuvres de Bach).

Interprétation : On retrouve tout spécialement à propos de Bach — composi-

teur « baroque », et non » classique », répétons-le ! — l'affronte- ment encore houleux entre partisans des interprétations baro- queuses et tenants des interprétations traditionnelles.

Côté baroqueux, Bach est donc la pâture quotidienne de G. Leonhardt, N. Harnoncourt, P. Herreweghe, J.E. Gardiner, T. Pinnock, T. Koopman, S. Kuijken, et les autres.

Mais, bien qu'on ait autrefois concocté d'emmerdatoires étouffe-chrétiens à partir de la musique du Cantor de Leipzig, il serait de la plus haute injustice d'oublier les interprétations des grands anciens : J. Jürgens pour les Cantates, A. Busch, O. Klemperer, K. Richter, K. Münchinger, W. Landowska (clave- cin), N. Milstein (violon), etc.

Un sommet discographique incontesté, malgré une interpré- tation très personnelle : Glenn Gould dans les Variations Goldberg.

Avis aux snobs : la prononciation bac recule en France de plus en plus devant Bach prononcé comme dans ach !

Les fils BACH Compositeurs allemands Wilhelm Friedemann (1710-1784). — Le « Bach de Halle ». Le plus grand peut-être, le préféré de son père, l'un des créateurs de la forme sonate. L'original, l'instable, le bohème, le bourru, l'ivrogne. Le sacrilège : a osé vendre des manuscrits de son père ! Carl Philipp Emanuel (1714-1738). — Le « Bach de Berlin et de Hambourg ». Le plus connu, le plus joué. Peu porté sur le contrepoint. Au contraire, c'est le représentant de l'Empfindsamkeit (du courant de « sensibilité »). C'est le mélan- colique aux contrastes dynamiques abrupts, aux mélodies expressives, aux brusques silences mystérieux, aux mille singu- larités. Symphonies de Hambourg. Les Sonates et Fantaisies interprétées par Andreas Staier au clavecin et au pianoforte : triomphe du bizarre en musique ! Johann Christoph Friedrich (1732-1795). — Le « Bach de Bücke- bourg ». Le plus rangé, le plus sédentaire, celui dont on ne dit pas grand-chose, sinon (toujours et partout) que c'est le plus « classique ». Johann Christian (1735-1782). — Le « Bach de Milan et de Lon-

dres. » Pour les Français : Jean-Chrétien. Pour les Anglais : John Bach. Ne fut pas l'élève de son père. C'est le Bach friand et compositeur d'opéras. Créa à Londres les « Abel-Bach concerts » par abonnements. Ami de Mozart.

BALAKIREV (Mily Alexeïevitch) Compositeur russe (1837-1910).

L'un des membres fondateurs (et l'un des moins immortels) du « puissant petit tas » (= le Groupe des Cinq : Balakirev, Boro- dine, Cui, Moussorgski et Rimski-Korsakov). Il y régna en des- pote plus ou moins déséquilibré, se voulant notamment « direc- teur de conscience » du groupe. (Parmi les vertus auxquelles il exhortait figurait la... continence, rien de moins.) Davantage connu pour ses activités de critique et de pédagogue vibrion- nant que pour ses œuvres. (À son crédit : contribua à faire connaître l'œuvre de Glinka.) Mais il est vrai que, par suite de ce déséquilibre nerveux toujours mentionné, la composition desdites œuvres traînassait sur des années. Par exemple, l'œuvre étiquette grâce à laquelle on a retenu son nom, la célè- bre fantaisie orientale pour piano Islamey, lui prit une vingtaine d'années... Il est convenu aujourd'hui de bouder ce pic d'acro- batie pianistique, tenu pour l'exemple type de virtuosité creuse. Et encore est-il hautement recommandé de l'écouter dans sa version originale plutôt que dans sa bruyante transcription pour orchestre. Quelques-unes des autres œuvres de Balakirev se laissent écouter. Essayer son poème symphonique Thamar, son 1 Concerto pour piano, ou sa 2 Symphonie. L'ensemble est pimenté d'exotisme caucasien, ce n'est pas désagréable.

BARBER (Samuel) Compositeur américain (1910-1981).

Ce collectionneur de prix (prix de Rome américain, prix Pulitzer...) est à peu près exclusivement connu du public euro- péen pour son Adagio pour cordes (1936), véritable « caresse de cordes » (Alain Duault). Bien que Barber ait fait de petites incursions du côté de la polytonalité, voire du dodécapho- nisme, il est toujours aimablement classé par les musicologues au rayon des bons faiseurs « néoromantiques ». Il va sans dire que les mélomanes européens se dispensent donc d'écouter — sans doute à juste titre — le reste de la production de Barber, dont deux symphonies, un Concerto pour violon, l'opéra Vanessa (1958, gros succès américain, sur un livret de

Menotti)... Non, si l'on veut avoir l'oreille américaine, il est bien mieux porté de fréquenter Charles Ives. BARTÓK (Béla) Compositeur hongrois (1881-1945).

Un des rares compositeurs du XX siècle à être à la fois loué par les critiques avisés et (relativement) apprécié du grand public. Toutefois, certains musicologues chagrins estiment que plusieurs de ses œuvres, par exemple le Concerto pour orches- tre (1943), servent parfois d'alibis au mélomane se targuant d'aimer la musique de son siècle... (Voir plus bas.)

Ironie de la mode et du destin : Bartók vécut les dernières années de sa vie dans le dénuement et l'indifférence à New York (où il avait émigré en 1940), et connut le succès aussitôt disparu.

Bartók fait partie des inclassables. Lui attacher une étiquette est quasi impossible. Risquons-en donc deux : l'ethnomusicolo- gue et le maître de la synthèse.

• Bartók est l'un des premiers « ethnomusicologues » (c'est- à-dire l'un des premiers folkloristes au sens noble et scientifi- que du terme). Tout le monde sait qu'il parcourut avec son compatriote Kodály la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, la Bulgarie, etc., ainsi que l'Afrique du Nord, pour en recueillir pieusement et consciencieusement les mélodies populaires. En profiter pour rappeler qu'il fut l'un des premiers à établir la distinction entre musique hongroise authentique et musique tzi- gane galvaudée. (Ne pas connaître cette distinction élémentaire est assurément aujourd'hui le fait d'un ignorant.) Bartók utilisa dans sa musique ces mélodies parfois telles quelles, mais sur- tout les transfigura, les transposa, les stylisa, s'en inspira, pour en arriver à créer un « folklore imaginaire ». On est loin de la petite ritournelle folklorisante des musiciens du XIX siècle !

• Le maître de la synthèse : on parle toujours, à propos de l'art de Bartók, de « synthèse », de fusion de disparates, entre des sources d'inspiration diverses ; folklore donc, impression- nisme debussyste, expressionnisme, chromatisme, polytonalité. Ne jamais se lancer dans une discussion pseudo-savante sur la définition de son esthétique harmonique, de peur de s'y enliser irrémédiablement. Parler à la rigueur, prudemment, de tiraille- ments entre diatonisme et chromatisme, hasarder les mots de « polytonalité », voire de « néomodalité », en rester là. On pourra seulement soutenir que Bartók n'a pas basculé dans l'atonalité pure et simple. (Ce qui explique sans doute son relatif succès

« populaire »). Toujours souligner la rigueur de la construction et la complexité de la rythmique vigoureuse.

Les sommets de l'œuvre, intouchables : — le ballet Le Mandarin merveilleux (1919) ; — Concertos pour piano n 1 et 2 ; — Musique pour cordes, percussion et célesta (1936) ; — Sonate pour deux pianos et percussion (1937) ; — les 6 Quatuors. Puis, entre autres : — L'Allegro barbaro (pour piano, 1910) : parler de « moto-

risme » en expliquant que Bartók a transformé le piano en ins- trument de percussion.

— Le Château de Barbe-Bleue (1911) : opéra d'une heure ; apporta à Bartók la notoriété.

— Danses populaires roumaines : œuvre folklorique chérie du mélomane lambda sans initiation.

— Mikrokosmos (pour piano) : 153 pièces pédagogiques. — Divertimento pour cordes (1939) : « Encore un instant de

bonheur ! » (Bartók, avant la guerre...). — Concerto pour orchestre (1943) et Concerto pour piano

n° 3 (1945) : faire éventuellement la fine bouche ; œuvres mal vues des critiques qui s'exclament : « C'est du néoclassicisme, quel retour en arrière ! »

Les deux virtuoses hongrois du piano, interprètes magistraux de Bartók : Zoltán Kocsis et Deszö Ranki.

Les deux chefs hongrois spécialistes de l'œuvre bartôkienne : Ferenc Fricsay et Fritz Reiner.

BEETHOVEN (Ludwig van) Compositeur allemand (1770-1827).

D'une ville l'autre : Naissance à Bonn. Ascendance flamande (cf. « van »). 1787 :

premier voyage à Vienne. 1792 : rencontre avec Haydn. 1793 : leçons à Vienne avec Haydn, puis avec Salieri. Habite Vienne le restant de sa vie. Il est piquant de remarquer que celui qu'on appelle par ailleurs le « maître de Bonn » appartient à la Pre- mière Trinité... viennoise (Haydn-Mozart-Beethoven).

Liste des images d'Épinal sur Beethoven : le père alcoolique ; l'ours mal embouché ; le coléreux ; le grippe-sou dépenaillé ; la loque syphilitique : Beethoven à l'article de la mort brandis- sant le poing contre le ciel pendant que se déchaîne l'orage.

La musique de Beethoven, c'est l'Homme face à toutes les adversités. On n'en parle donc qu'en employant des images et

des métaphores évoquant la lutte, l'affrontement, l'antago- nisme, le choc des Titans et des géants, l'« empoignade furieuse » (André Tubeuf). Beethoven : « Je prendrai le Destin à la gorge ; il ne pourra certainement pas me courber entière- ment. » Goethe : « On dirait que la maison va s'écrouler. »

Bien comprendre que le drame intime, la surdité, loin de sté- riliser le compositeur, comme l'imaginent naïvement les esprits simples, a sans doute participé du mystère de la création, en a été l'un des éléments organiques. Surdité qui a forcé Beethoven à communiquer à partir de 1819 par le truchement de ses fameux « cahiers de conversation » (plus ou moins falsifiés après sa mort), qui a failli le mener au suicide et explique en grande partie sa réputation de misanthrope, de coléreux et de violent. Méditer sur les contradictions de l'homme qui fuit et recherche à la fois ses semblables, qui se montre tour à tour indulgent et tyrannique avec son neveu Karl. Et connaître évidemment le célèbre « Testament d'Heiligenstadt » (1802), lettre de détresse qu'il écrivit à ses frères lorsqu'il eut la tentation du suicide. (S'abstenir, il va sans dire, de toute plaisanterie de potache sur le « Vieux Sourd » solitaire à la tenue négligée. Citer au contraire Hugo : « Ce sourd entendait l'infini. »)

Avis aux snobs : prétendre dédaigner la musique de Beetho- ven en faisant la moue est totalement déconseillé, cela serait suprêmement ridicule, quoi qu'on puisse dire, quoi qu'on sou- tienne, dans tous les cas. Certes, cela vous agace qu'il soit épou- vantablement populaire, que le mélomane lambda soit venu à la musique grâce à lui. Tous ces arguments sont compréhensi- bles, et révéler qu'on écoute Beethoven n'est pas en effet faire preuve de la moindre originalité... Seulement, devant ce B majuscule, les petites mines et les réticences sont absolument hors de mise. Malgré tout, voici deux conseils pour se démar- quer du vulgum pecus :

• On peut légitimement s'offrir un brin d'ironie devant l'exploitation boy-scout de Beethoven, la ritournelle du genre « musique de fraternité entre les hommes », « appel à la liberté », « lyrisme démocratique », « Unissons-nous tous dans le grand Hymne à la joie », et autres clichés de même farine. À force d'entendre la rengaine, on s'en lasse. Point trop n'en faut.

• Fuir bien entendu les scies (Lettre à Élise, les quatre notes d'entrée de la Cinquième, l'« Hymne à la Joie », etc.). Et prati- quer en priorité autre chose que les neuf Symphonies, chefs- d'œuvre absolus au demeurant, mais coffret de base du mélo- mane du dimanche. En revanche, il est hautement recomman-

dable de privilégier avant tout les derniers Quatuors à cordes et les dernières Sonates pour piano. C'est là que se trouve le Beethoven le plus libre, le plus profond, le plus prophétique. (À propos de l'aspect prophétique, chance inespérée pour les glossateurs : deux motifs de l'ultime quatuor, le 16 Quatuor à cordes, portent en épigraphe ces deux phrases mystérieuses : « Muss es sein ? » (Le faut-il ?) et « Es muss sein » (Il le faut). Il s'agit sans doute à l'origine d'une plaisanterie, mais cela ouvre le champ à toutes les élucubrations.)

Les très grandes sonates pour piano — les dernières étaient tenues à l'époque pour peu « pianistiques » —, les très grands quatuors — réputés à l'époque réfractaires aux seize cordes —, font pénétrer dans un monde inouï. Beethoven se moquait d'ailleurs parfaitement des difficultés d'exécution et criait aux instrumentistes : « Croyez-vous que je pense à vos misérables cordes quand l'inspiration souffle en moi ? » Ce sont là les cimes de l'œuvre.

Indications rudimentaires sur l'esthétique musicale beethové- nienne :

Savoir que l'apport principal de Beethoven réside : 1. Dans l' élargissement, élargissement de la forme sonate, élargissement de la variation, élargissement de la tonalité. 2. Dans l'emploi d'une structure dynamique : les voix s'enchaînent aux voix, la fin d'une phrase marque le début d'une autre. 3. Dans l'utilisa- tion nouvelle des instruments à vent.

Il a longtemps été convenu de distinguer trois « manières » dans l'oeuvre de Beethoven : la première manière jusqu'en 1802, la période « héroïque » de 1803 à 1812, la dernière période de 1813 à 1827. On néglige aujourd'hui cette classification jugée dépassée et schématique. Savoir qu'il arrive aux trois manières de se chevaucher.

Sélection minimale parmi les quelque 600 œuvres (9 sym- phonies, 5 concertos pour piano, 1 concerto pour violon, 16 quatuors à cordes, 10 sonates pour piano et violon, 5 sonates pour piano et violoncelle, trios, quintettes, etc., 32 sonates pour piano, 2 messes, 1 opéra, deux centaines de lieder et d'arrange- ments de chansons populaires...) :

— Les 9 Symphonies (1800-1824) : — Symphonie n° 1 (1799-1800) et Symphonie n° 2 (1801-

1802) : regardent vers Mozart. — Symphonie n° 3 « Héroïque » (1803-1804) : d'abord dédiée

à Bonaparte, puis après qu'il se fut fait couronner empereur (ce qui n'eut pas l'heur de plaire au Beethoven républicain) :

« Symphonie héroïque pour célébrer le souvenir d'un grand homme »... — Symphonie n° 4 (1806) : regarde vers Haydn. — Symphonie n° 5 (1804-1808) : sol-sol-sol-mi (bémol) :

« Ainsi le destin vient frapper à notre porte » (explication de Beethoven).

— Symphonie n° 6 « Pastorale » (1807-1808) : « plutôt l'expression des sentiments que la peinture de la nature » (Bee- thoven).

— Symphonie n° 7 (1811-1812) : « Apothéose de la Danse » (Wagner).

— Symphonie n° 8 (1811-1812) : à propos du 2e mouvement (Allegretto scherzando), l'anecdote veut qu'il provienne d'un canon composé par Beethoven pour Maelzel, l'inventeur du métronome. Ce mouvement : « une des plus délicieuses choses qui existent en musique » (Berlioz).

— Symphonie n° 9, avec chœurs (1822-1824) : à propos de l'Hymne à la Joie (dernier mouvement), se méfier de l'archipon- cif, la dissertation obligée sur la Musique trait d'union entre tous les hommes, etc.

— Les 5 Concertos pour piano : le 5e dit « l'Empereur » (1810) — son surnom est dû à un éditeur et tient à son caractère gran- diose et martial. Citer Alfred Cortot à propos du deuxième mou- vement du Concerto n° 4 : « Il faut avoir le cœur au bout des doigts pour bien interpréter ces pages. »

— Le Concerto pour violon (1806) : un des piliers de la grande série de concertos pour violon du XIX siècle, avec le Mendelssohn, le Brahms et le Tchaïkovski.

— Triple Concerto pour piano, violon et violoncelle. — Les 32 Sonates pour piano : savoir que les titres les plus

connus sont souvent des titres de fantaisie. Elles furent bapti- sées « Appassionata », « Pathétique » ou « Pastorale » par les édi- teurs. Le vrai nom de la « Clair de Lune », c'est Sonate « Quasi una fantasia », mais selon le poète et critique Rellstab le 1 mouvement est censé évoquer le clair de lune sur le lac des Quatre-Cantons. La Sonate « Les Adieux » était appelée par Bee- thoven « Les Adieux, l'absence et le retour » (de l'archiduc Rodolphe)... Quant à la « Waldstein » (ou « Aurore »), elle est tout bêtement dédiée au comte Ferdinand von Waldstein.

Les Sonates op. 106 à 111 (1818-1822) : les dernières sonates, les sommets. (L'opus 106 : la « Hammerklavier », l'un des pics de toute la littérature pianistique.)

— Variations pour piano Eroïca et Diabelli.

— Savoir que la Lettre à Élise n'est qu'une Bagatelle parmi d'autres...

— La Sonate n° 9 « à Kreutzer » (violon-piano) : dédiée au violoniste français Rodolphe Kreutzer. La Sonate n° 5, dite « Le Printemps ».

— Les Quatuors à cordes n 12, 13, 14, 15, 16 + la Grande fugue (op. 133, 1824-1826) : les « derniers quatuors ».

— Trio L'Archiduc (1811) : dédié à l'archiduc Rodolphe. — Missa Solemnis (1822) : fait tellement éclater le cadre strict

de la liturgie qu'il est de tradition de s'interroger sur le degré de pureté de l'inspiration religieuse de Beethoven.

— Fidelio : voir à De quelques opéras, page 234. — Les Créatures de Prométbée: ballet. — Les Lieder an die Ferne Geliebte (à la Bien-aimée loin-

taine) : il existe une célèbre lettre à cette même bien-aimée plus ou moins bien identifiée. (Les rapports mal définis, contra- dictoires, entre le compositeur et la gent féminine constituent d'ailleurs l'un des plats de résistance de la mythologie beetho- vénienne.)

Interprétation : Orchestre : impossible naturellement de citer tous les très

grands chefs beethovéniens, qui sont souvent les très grands chefs tout court. Pour simplifier, mentionnons trois légendes : W. Furtwängler, A. Toscanini et H. von Karajan (quatre intégra- les au disque !). À l'opposé : la lecture des « baroqueux », notamment celle de Roger Norrington et de ses London Classi- cal Players. De quoi susciter la polémique...

Piano : Y. Nat, W. Backhaus, E. Fischer, E. Guilels, R. Serkin, W. Kempff, C. Arrau, V. Ashkenazy, M. Pollini... Sur pianofrone : Paul Badura-Skoda.

BELLINI (Vincenzo) Compositeur italien (1801-1835).

Quand on aime Bellini, l'un des angles du prestigieux trian- gle du bel canto XIX (Rossini-Donizetti-Bellini), on porte aux nues avant tout : son stupéfiant sens mélodique et ses dons éminemment lyriques, ses phrases caressantes faites pour les glottes de soie ; sa puissance dramatique et émotionnelle. (Pas comme chez Rossini, chez lequel on ne manquera pas de rap- peler que la virtuosité est purement hédoniste.)

La Straniera, La Somnambule, Norma (1831), Les Puri- tains... : les chefs-d'œuvre du grand drame lyrique et brumeux. (Car Bellini partagea avec les deux autres membres de la triade

la prédilection de l'époque pour les frissons septentrionaux.) L'amateur ajoutera : Bianca e Fernando, Il Pirata, I Capuletti e i Montecchi, Beatrice di Tenda...

L'envers du décor : les détracteurs répètent à l'envi que mal- heureusement Bellini ne brille pas par l'orchestration. Il n'a aucune maîtrise technique, son harmonie est des plus simplis- tes, ses opéras sont mal construits, etc. Image rabâchée : son orchestre est une « grande guitare d'accompagnement » (Émile Vuillermoz). Mais cela ne l'empêcha point d'être admiré de Chopin, de Berlioz, de Wagner, et les musicologues se plaisent à rechercher et à retrouver l'élégance de sa phrase chez Chopin, Wagner, Verdi, Meyerbeer, Gounod..., ce qui n'est tout de même pas peu flatteur.

Après avoir vécu les dernières années de sa vie à Paris, il mourut, en romantique qui se respecte, à trente-quatre ans.

BERG (Alban) Compositeur autrichien (1885-1935).

L'un des membres de la Seconde Trinité de Vienne (Schön- berg-Berg-Webern), élève de Schönberg. De la Trinité, celui qui a la réputation d'être le plus abordable : 1. Parce que c'est un post-romantique lyrique. 2. Parce qu'il a tempéré son dodéca- phonisme d'éléments tonaux. Ainsi que l'a dit Adorno : « Il a enchanté la série. » Comme chez Schönberg, trois phases : tona- lité des premières œuvres, atonalité (Concerto de chambre, 1925), puis dodécaphonisme (Suite lyrique, 1926).

Les quatre chefs-d'œuvre à connaître impérativement : l'opéra Wozzeck (1925), tiré de la pièce de Georg Büchner, la Suite lyrique, le Concerto pour violon « À la mémoire d'un ange » (1935), dédié à la fille d'Alma Mahler et de Walter Gro- pius, morte à dix-huit ans, et l'opéra Lulu (1927-1935, achevé par le compositeur Friedrich Cerha en 1979).

Toujours parler d'esthétique « expressionniste », notamment pour Wozzeck et Lulu. BERLIOZ (Hector) Compositeur français (1803-1869).

« Pensez-vous, Monsieur, que j'entends de la musique pour mon plaisir ? » (Berlioz.) Il n'est pas de tout repos, le bouillant Hector, ce n'est vraiment pas la personnalité petit format, et les anecdotes plus ou moins légendaires évoquant le romantiquis- sime échevelé sont légion : en connaître une ou deux, au moins celle des chevaux du corbillard qui s'emballent lors de ses

obsèques (!), elle traîne partout. Berlioz se place lui-même à la hauteur de Shakespeare, de Goethe et de Beethoven. Il aurait d'ailleurs déclaré qu'il avait « pris la musique là où Beethoven l'avait laissée », voilà, on sait d'emblée à quoi s'en tenir. Il veut que sa musique soit « féroce », « pyramidale » ; son Requiem doit être un « cataclysme musical », exécuté par 600 musiciens ; son Te Deum fut créé par près de... 1 000 exécutants, le « pro- gramme de la Symphonie fantastique (sous-titrée « Épisode de la vie d'un artiste » ) (1830) vaut son pesant de mal du siècle : « Un jeune musicien d'une sensibilité maladive et d'une imagi- nation ardente s'empoisonne avec de l'opium dans un accès de désespoir amoureux. » Tout le monde est censé savoir que Berlioz y dépeint son cœur-à-cœur avec l'actrice irlandaise Har- riett Smithson (qui faisait palpiter les cœurs romantiques et qu'il devait épouser par la suite), le thème de l'aimée parcourant la symphonie sous forme d'« idée fixe ».

Bien que Berlioz fût accusé de fautes d'harmonie (ses préten- dues « mauvaises basses » ), on saura que son orchestre — qui assaille l'auditeur à grands coups de cuivres — est le fondement de l'orchestre moderne, que son Grand Traité d'instrumenta- tion et d'orchestration modernes est une référence, que Wagner admirait l'orchestration de Roméo et Juliette, etc. Bref, son orchestre est une géniale ébullition. Alors qu'a-t-on à faire du pinaillage de puristes ! Il est convenu d'affirmer que Berlioz a du « génie » bien davantage que du « talent ».

Du côté symphonique, ne pas s'en tenir à la sempiternelle Fantastique, il va sans dire. Accorder une place privilégiée à la symphonie avec alto solo Harold en Italie (1834), chef-d'œuvre trop souvent négligé. (Le dernier mouvement, l'« Orgie des bri- gands », est un jaillissement quasi orgastique !) Ajouter bien entendu la grandiose « symphonie dramatique » Roméo et Juliette (1839). Puis on pourra tâter de Lelio ou le retour à la vie, « mélodrame lyrique », présenté comme une suite à la Fan- tastique, ou de la Symphonie funèbre et triomphale. Les ébou- riffantes ouvertures (du Carnaval romain du Roi Lear, du Cor- saire, des Francs-juges, des Troyens, de Benvenuto Cellini, etc.) sont d'ordinaire très fréquentées.

Sur le versant dramatique, il faut aujourd'hui absolument connaître les belles œuvres lyriques remises à l'honneur par les... Anglais (nul n'est prophète en son pays, grâces soient ren- dues à Thomas Beecham et à Colin Davis !) : Benvenuto Cellini, Les Troyens, Béatrice et Bénédict. La Damnation de Faust

(1846), elle, est un monument très visité, aux splendides scies ( « Marche hongroise », « Chanson de la Puce », « Ballade des rois de Thulé »...) Mais, attention : s'il est admis d'admirer le carac- tère éminemment mélodique et dramatique, certes, de la musi- que même de ces œuvres, en revanche leur mise en scène, voire leur représentation théâtrale en soi, déchaîne les passions des réfractaires qui affirment que Berlioz n'avait pas le sens du théâtre, qu'il s'agit d'œuvres hybrides aux appellations non contrôlées (« légende dramatique » ?) et au canevas non dramati- que...

Par exemple, la version intégrale des Troyens (La Prise de Troie + Les Troyens à Carthage, 1855-1858) dure quelque qua- tre heures trente ! D'où ce genre de dilemme : faut-il donner l'oeuvre en une soirée ? (Berlioz en avait prévu deux...) ; faut-il pratiquer des coupures ? (Création de l'intégrale en... 1987 au Festival Berlioz de la Côte-Saint-André.)

Œuvres religieuses : Requiem et Te Deum (cataclysmiques) + L'Enfance du Christ (du Berlioz apaisé !). Messe solennelle (redécouverte en 1991, recréée et enregistrée en 1993).

Autre œuvre phare : les Nuits d'Été, mélodies pour mezzo- soprano (ou ténor) et orchestre. (Interprétation de référence de Régine Crespin, accompagnée par l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest Ansermet.)

Il est usuel de faire remarquer que, si Berlioz présentait les symptômes d'un romantisme virulent, ce fut un « romantique paradoxal et réfléchi, utopique et réaliste » (Roland de Candé). C'est-à-dire qu'il sut à merveille jouer de son personnage, se mettre en scène, veiller aux... retombées financières. En outre, pour un romantique, il ne manqua point d'humour : lire ses écrits, ses Mémoires, À travers chants, Les Soirées de l'orchestre, etc. Plume agréable et talentueuse. Berlioz fut d'ailleurs critique musical au journal des débats et à la Gazette musicale. Il sut détourner (plus ou moins) les Français de leur adoration dévote pour le bel canto et forcer leurs oreilles à écouter Beethoven, Weber, Mozart, Gluck...

Malgré des succès, fut diversement apprécié dans sa patrie... En revanche, triomphes en Allemagne, Russie, Hongrie, etc.

Vocation musicale peu précoce : tâta vaguement de la gui- tare, de la flûte et du tambour avant d'aborder des études musi- cales sérieuses.

Deux mariages ratés : l'un avec « Madame Idée Fixe » (Harriett Smithson) ; l'autre avec une pseudo-cantatrice, Marie Recio.

Voici enfin une initiation non conventionnelle à la musique, qui fera de vous un mélomane averti. Grâce à ce guide vous ne passerez plus pour un « péquenot » incapable de discuter des mérites comparés de Moussorgski, Ravel, Wagner ou Tchaïkovski, du Quintette pour clarinette de Mozart ou de son Concerto pour piano Koechel 466. Vous n'ignorerez plus rien de ce qu'il faut savoir sur les compositeurs, du Moyen Age à nos jours, sur les plus grands interprètes, les opéras les plus célèbres, les principaux festivals... En bref, cet abécédaire apporte avec humour (mais précision) toutes les réponses aux questions que le néophyte se pose et qu' il ne trouvera pas toujours dans les ouvrages spécialisés.

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.