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Université de Nantes UFR Lettres et Langages Département de Sciences du Langage La réflexivisation : étude comparative du SE roman et d'un préfixe géorgien i- Mémoire soutenu par Maël GAUTIER M1 Mention Langue et Langages, Spécialité Sciences du Langage 2010/2011 Sous la direction d’Orin PERCUS Jury : Orin PERCUS Hamida DEMIRDACHE Nicolas GUILLIOT 1

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Analyse linguistique de la formation des verbes réfléchis en géorgien.

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Université de Nantes

UFR Lettres et Langages

Département de Sciences du Langage

La réflexivisation : étude comparative du SE roman et d'un préfixe

géorgien i-

Mémoire soutenu par Maël GAUTIER

M1 Mention Langue et Langages, Spécialité Sciences du Langage

2010/2011

Sous la direction d’Orin PERCUS

Jury : Orin PERCUS

Hamida DEMIRDACHE

Nicolas GUILLIOT

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Table des matières

Introduction

1. R&S : verbes réfléchis1.1 Introduction1.2 Cadres théoriques antérieurs

1.2.1 La théorie du liage1.2.2 La théorie de la réflexivité

1.3 Le contraste liage/réflexivisation lexicale1.4 Verbes réfléchis

1.4.1 Verbes réfléchis non-lexicaux1.4.2 Statut de SE et des verbes en SE

1.4.2.1 Les verbes en SE sont intransitifs1.4.2.2 Les verbes en SE n'ont pas un sujet dérivé1.4.2.3 Les verbes en SE doivent être inergatifs

1.5 Opération de réflexivisation et paramètre lex-syn1.5.1 Réflexivisation lexicale1.5.2 Réflexivisation syntaxique

1.6 Conséquences d'une valeur du paramètre : diagnostics1.6.1 ECM1.6.2 Nominalisation1.6.3 Productivité1.6.4 Sélection thématique

1.7 Conclusion

2. Autres opérations : le cas du géorgien2.1 Introduction2.2 Décausativisation vs. anticausativisation

2.2.1 Décausativisation2.2.1.1 La décausativisation selon R&S2.2.1.2 La décausativisation en géorgien

2.2.2 Anticausativisation2.2.2.1 Présentation des données2.2.2.2 Inaccusatifs en SE : des verbes réfléchis2.2.2.3 Verbes réfléchis : généralisation

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2.2.2.4 L'anticausativisation en géorgien2.2.3 Morphologie verbale : une contradiction2.2.4 Résumé

2.3 Saturation2.3.1 Passivisation2.3.2 Arbitrarisation

2.3.2.1 Moyens2.3.2.2 Impersonnels

2.3.3 Résumé2.4 Conclusion

3. La réflexivisation en géorgien3.1 Introduction3.2 L'anaphore complexe tavisi tavi

3.2.1 Domaine et c-commande3.2.2 Inflence du mouvement-NP sur le liage

3.2.2.1 L'anaphore tavisi tavi3.2.2.2 Le possessif réfléchi tavisi

3.3 Le préfixe verbal i-3.3.1 i- comme stratégie verbale3.3.2 i+tavi comme stratégie nominale

3.3.2.1 tavi sans i-3.3.2.2 tavi avec i-3.3.2.3 Une première hypothèse sur la sémantique de i+tavi

3.4 i- et tavi dans le cadre de la réflexivité3.4.1 Place de l'élément tavi dans le cadre de la réflexivité3.4.2 Place de l'élément i- dans le cadre de la réflexivité

3.5 i- et le paramètre lexique-syntaxe3.6 i- marqueur bénéfactif3.7 Conclusion

Conclusion

Annexes

3

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Introduction

Notre objectif principal dans ce mémoire sera d'arriver à caractériser le fonctionnement de

l'opération de réflexivisation en géorgien. S'agissant de la définition des constructions réfléchies, il

est bon de considérer tout verbe nécessitant la présence d'au moins deux arguments (verbes

transitifs et ditransitifs) comme exprimant une relation entre les individus nommés par ces

arguments. Dans 'x admire y', 'x' entre dans la relation 'admirer' avec 'y. Dans la contrepartie

réfléchie de cette construction transitive, 'x' entrerait dans la relation 'admirer' avec 'x', c'est-à-dire

lui-même. Il existe une variation linguistique dans la réalisation de ces constructions. Par exemple :

(1) a. Jean s'admire.

b. John admires himself.

La notion que nous voulons illustrer ici est définie sémantiquement, c'est-à-dire

indépendamment de la forme morphologique et/ou syntaxique qu'elle peut prendre (par exemple, se

d'un côté et himself de l'autre). De cette manière, nous isolons un phénomène sémantique, appelé

'réflexivisation'1.

Nous suivrons la proposition avancée par Reinhart & Siloni (R&S) dans leur article The

Lexicon-Syntax Parameter : Reflexivization and Other Arity Operations (2005). Elles y établissent

une typologie des opérations qui affectent la valence syntaxique et sémantique des verbes2.

L'opération qui se trouve au centre de l'article, et qu'elles appellent réflexivisation, fait l'objet d'une

discussion technique. L'approche des auteurs vise à décrire l'action d'un paramètre de la Grammaire

Universelle (GU) qui permet une catégorisation des langues selon que les opérations concernées s'y

déroulent dans la composante lexicale ou dans la composante syntaxique. L'échantillon qu'elles ont

examiné comprend essentiellement des langues indo-européennes, mais aussi l'hébreu (sémitique) et

1 Dans le premier chapitre, nous nous servirons de la notion de 'verbe réfléchi', que nous définirons d'une manière plus étroite, excluant notamment les cas avec himself.

2 La valence syntaxique peut être vue comme le nombre d'éléments - d'arguments syntaxiques - réalisés pour un verbe donné. La valence sémantique peut être vue comme le nombre de rôles thématiques (rôles-θ) assignés par un verbe donné. Les deux ne coïncident pas nécessairement. Dans la phrase il pleut, par exemple, une position syntaxique obligatoire est remplie par l'élément explétif il, qui ne reçoit aucun rôle-θ – pour preuve, on ne peut pas dire : Et il pleut encore – il ne sait faire que ça.

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le hongrois (finno-ougrien), et chacune de ces langues se voit en effet caractérisée comme 'langue à

lexique' ou 'langue à syntaxe', d'après un certain nombre de critères.

Dans le premier chapitre nous faisons un compte-rendu de l'analyse proposée pour la

réflexivisation par R&S. Nous fournissons au préalable certains éléments nécessaires pour

comprendre la contribution de R&S, à savoir comment la théorie du liage3 et la théorie de la

réflexivité4 ont traité les expressions anaphoriques et les prédicats réfléchis auparavant. Ainsi nous

pourrons aborder la problématique des verbes réfléchis : nous verrons qu'en plus du liage, qui se

manifeste au niveau syntaxique quand une anaphore est en position d'argument du verbe, et des

verbes lexicalement réfléchis, il existe des verbes réfléchis dérivés également au niveau syntaxique,

mais d'une manière distincte du liage. L'échantillon représentatif considéré par R&S pour illustrer

ce dernier cas est constitué essentiellement des langues romanes, qui affichent un clitique SE, selon

elles ni un argument du verbe, ni un marqueur lexical de réflexivité. L'argument de R&S est que SE

est un marqueur syntaxique d'absorption du cas. A ce stade, nous comprendrons pourquoi SE

connaît un fort syncrétisme : il n'est pas en premier lieu un marqueur de la réflexivité, mais un

morphème qui remplit une fonction très générale d'absorption du cas pour permettre des opérations

par ailleurs sémantiquement distinctes.

Nous abordons dans le deuxième chapitre deux autres opérations importantes étudiées par

R&S : celles qui génèrent un sous-ensemble des verbes inaccusatifs5 et les formes passives. Nous

commencerons à traiter les données géorgiennes dans ce chapitre. Nous nous intéresserons au rôle

du préfixe verbal i- dans cette langue, car selon toute apparence, il semble avoir une fonction

similaire à SE. En effet, on le trouve chez les inaccusatifs et les passifs (ou constructions

apparentées). La section sur les inaccusatifs donnera l'occasion d'explorer les prédictions d'une

théorie indépendante de R&S, la théorie de l'anticausativisation de Andrew-Koontz Garboden

(AKG) (Anticausativization ; 2008). Cette théorie, également sur la base des langues romanes et de

leur clitique SE, veut que les inaccusatifs en SE soient en fait un sous-ensemble des verbes réfléchis

en SE. Nous reproduirons les arguments et les exemples d'AKG, mais mettrons en doute la validité

de ces prédictions pour le cas du géorgien, en donnant pour cela une preuve morphologique. Nous

pourrons alors commencer à nuancer l'apparente similitude de SE et de i-. Notamment, il deviendra

évident que le i- des inaccusatifs n'est pas un élément aussi autonome que SE et qu'il participe d'une

3 Chomsky (1981)4 Reinhart & Reuland (1993)5 Les verbes inaccusatifs sont ces verbes qui, selon l'analyse la plus courante, ont pour seul argument un sujet généré

en position d'argument interne (d'objet direct/indirect). Un trait distinctif, qui en fait une classe naturelle, est que cet argument, qu'il soit humain, animé ou inanimé, est caractérisé par un niveau de volition et de contrôle très faible ou nul vis-à-vis de l'événement. Aux inaccusatifs on oppose les inergatifs, avec un seul argument là aussi, mais généré en position d'argument externe (de sujet).

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morphologie non-active. Ce fait reconnu, nous nous tournerons vers les dérivations passives, qui

nous confirmeront l'importance de cette morphologie.

L'existence d'un i- associé aux verbes réfléchis en géorgien sera au centre du troisième et dernier

chapitre. Avant de l'aborder, nous tenterons, en nous appuyant sur le travail d'Amiridze

(Reflexivization Strategies in Georgian ; 2006), d'éclaircir le phénomène de la réflexivisation en

géorgien en montrant que la théorie du liage est pertinente dans l'analyse de cette langue. En effet,

elle possède une anaphore, tavisi tavi, comparable au himself anglais, Puis nous aborderons les deux

autres stratégies de réflexivisation décrites par Amiridze, qui comportent toutes deux i-, mais sont

morphologiquement et sémantiquement distinctes des cas étudiés dans le deuxième chapitre. La

première d'entre elles comporte en plus un élément nominal en position d'argument, tavi, et produit

un sens similaire à l'anaphore. La seconde n'a pour élément fixe que i-, et n'est impliquée que dans

la réflexivisation dative (impliquant un objet indirect). Amiridze constate que ces deux stratégies

posent problème à la théorie de la réflexivité. Nous ferons alors une proposition pour les analyser

toutes les deux dans l'esprit de R&S, c'est-à-dire que i- soit vu comme réducteur du cas d'un verbe.

Nous proposerons de plus de voir la stratégie en i+tavi comme un cas particulier de celle en i-.

Enfin, sur la base de certains faits (l'existence d'un paradigme personnel complet pour les formes en

i-), nous remettrons en cause cette analyse : nous suggérerons que i- n'a pas le statut de

'réflexiviseur', et nous lui attribuerons un rôle très différent, celui de morphème bénéfactif.

Nous concluerons sur la constatation qu'il existe deux morphèmes i- en géorgien, et que chacun

d'eux a un statut tout à fait différent de SE. D'un point de vue comparatif, nous aurons non

seulement soutenu l'analyse de R&S concernant le statut de SE, mais aussi, en examinant les faits

d'une langue non-romane, fourni une description des moyens utilisés par cette langue pour exprimer

tout ce que SE est à même d'exprimer.

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Chapitre 1 - Le traitement de l'opération de réflexivisation par Reinhart & Siloni

(2005)

1.1 Introduction

L'article (The Lexicon-Syntax Parameter : Reflexivization and Other Arity Operations) veut

montrer que la variété des moyens de dérivation des verbes réfléchis à travers les langues peut se

ramener à l'existence, dans le cadre de la Grammaire Universelle, d'un paramètre, qui permet leur

formation soit dans le lexique, soit dans la syntaxe. Une analogie est établie entre différentes

opérations affectant la valence des verbes : la réflexivisation, mais aussi des opérations permettant

de dériver les verbes inaccusatifs, réciproques, passifs, impersonnels ou moyens.

Celles-ci diffèrent dans leur manière d'affecter la valence des verbes : ce sont soit des rôles

internes, soit des rôles externes6 qui sont affectés, et le changement de valence peut supprimer soit

totalement, soit partiellement un rôle, ce qui a une influence sur l'interprétation des phrases.

Bien que leurs différences soient irréductibles (un verbe passif n'est pas un verbe inaccusatif

etc...), une analyse commune de ces opérations est justifiée par leur tendance générale, au moins

dans les langues examinées par R&S, à être réalisées par les mêmes moyens morphologiques.

Nous proposons de consacrer ce premier chapitre à un exposé de l'analyse consacrée par R&S à

l'opération de réflexivisation, car c'est en discutant de celle-ci que R&S élaborent le paramètre lex-

syn. Nous y verrons plusieurs façons disponibles pour les langues de réaliser l'opération sémantique

de réflexivisation, et comment ces façons différentes affectent la valence syntaxique (le nombre

d'arguments syntaxiques).

Nous redonnerons une grande partie des arguments et des exemples de R&S. Ce faisant, nous

nous acheminerons vers une possible analyse unifiée de la fonction du clitique verbal SE des

langues romanes. Cette analyse fournira l'occasion de sortir du domaine de la réflexivisation pour

examiner le cas des autres opérations dans le deuxième chapitre.

La section 1.2 fournit les éléments les plus saillants de deux des théories qui ont traité de la

réflexivisation. Les notions de coïndexation, de c-commande, et de liage y sont introduites. La

6 Comme le notent les auteurs, “rôle interne” et “rôle externe” ne sont pas en soi des notions fondamentales. Fondamentale est la notion de “rôle-θ”, avec les agents, les patients, les instruments, les causes etc... “interne” ou “externe”, appliqués aux rôles-θ, font référence à ceux qui seront assignés, au terme d'une dérivation, à des arguments internes ou externes. Par exemple, le rôle “interne” est celui qui sera assigné à l'argument interne.

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deuxième théorie abordée nous permettra de plus d'introduire la notion de réflexivisation lexicale.

La section 1.3 met en évidence le contraste entre les cas de liage - où la réflexivité est fonction

de la présence d'une anaphore - et les cas de réflexivisation lexicale. La section 1.4 aborde les

verbes en SE, décrits comme des verbes 'syntaxiquement réfléchis'. C'est ici qu'est discutée

l'hypothèse que SE soit un morphème dédié à l'absorption du cas. Ces deux sections prises

ensemble concernent la notion de 'verbe réfléchi'. Ce sont les deux pendants, lexical et syntaxique,

d'une opération de réflexivisation vue comme distincte du liage. Une conclusion importante est que

les verbes réfléchis sont (syntaxiquement) des verbes inergatifs.

La section 1.5 énonce le paramètre lex-syn et détaille le fonctionnement de l'opération de

réflexivisation, vue en réalité comme une conjonction d'opérations. L'une est lexicale, l'autre est

syntaxique, et les deux, même si elles affectent de la même manière la valence sémantique des

verbes, ne connaissent pas les mêmes contraintes. Parmi les questions techniques abordées se

trouvent : ce qu'il advient du cas normalement assigné par le verbe, lors de l'opération ; la formation

de rôles-θ complexes ; la réflexivisation dans les contextes ECM.

La section 1.6 liste des différences entre les langues eu égard au composant de la grammaire où

la réflexivisation se produit. Elle illustre les conséquences d'une valeur donnée du paramètre lex-

syn et prédit la régularité de certains phénomènes.

1.2. Cadres théoriques antérieurs

Avant de présenter l'approche spécifique de R&S concernant les verbes réfléchis, il est

nécessaire de donner un aperçu de travaux antérieurs. En effet, R&S se fondent sur des catégories

qui ont déjà été établies auparavant.

La distribution des expressions anaphoriques a été l'objet de la théorie du liage et de ses

conditions, développés par Chomsky à partir de 1981. Ces conditions filtrent les configurations

syntaxiques illicites.

Reinhart & Reuland (R&R 1993) revisitent les conditions du liage en en faisant des conditions

sémantiques sur les prédicats.

Plus bas nous exposons chacun de ces deux cadres, puis nous détaillons la contribution de R&S.

1.2.1 La théorie du liage

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Les trois conditions du liage sont présentées en (2) :

(2) Condition A : une anaphore est liée au sein d'un domaine local

Condition B : un pronom est libre au sein d'un domaine local

Condition C : une expression-R(éférentielle) est libre

La notion libre/lié7 renvoie aux notions de coïndexation et de c-commande.

La coïndexation est représentée par des indices sur les NPs. Elle sert à indiquer l'identité de

leurs référents (dans l'intention d'un locuteur).

Un NP α c-commande un NP β lorsque la première projection qui domine α domine également

β.8

Une projection domine un constituant non seulement lorsqu'elle en est la mère (intuitivement,

lorsqu'elle le contient), mais aussi quand elle est la mère du constituant qui en est la mère, et ce

infiniment.

α lie β s'il c-commande β et s'il est coïndicé avec β. β est libre de α s'il n'est pas c-commandé par

α (même s'il est coïndicé avec α) OU s'il n'est pas coïndicé avec α (même s'il est c-commandé par

α).

Nous illustrons chacune des conditions par une paire de phrases (grammaticale vs

agrammaticale) :

(3) a. A : Hei saw himselfi / *Hei saw himselfj

b. B : Johni saw himj / *Johni saw himi

c. C : Hei saw Johnj / *Hei saw Johni

Dans chacune des phrases données ci-dessus, le NP postverbal est c-commandé par le NP

préverbal. La structure commune est la suivante :

7 Ce sont les deux termes d'une opposition.8 Une projection est un constituant syntaxique pouvant contenir jusqu'à deux constituants immédiats. Par exemple, un

constituant comme IP (syntagme inflectionnel, correspondant à la proposition) a deux noeuds-filles : un NP sujet et un VP (un verbe et ses objets).

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(4) [IP NP1 [VP [V' V° NP2]]]

où [NP2] est dominé par [IP], qui est également la première projection à dominer [NP1]. La c-

commande est ainsi constante dans tous ces exemples. Ce qui dans chaque cas fait la différence est

la coïndexation. En (3)a., l'anaphore doit être liée (par un antécédent dans la phrase) ; elle est c-

commandée dans chaque exemple de la paire, mais doit en outre être coïndicée, c'est-à-dire avoir le

même référent que le seul autre NP qui la c-commande ; la situation est exactement inverse en

(3)b. : le pronom étant c-commandé, sa coïndexation avec le NP qui le c-commande le rendrait lié

par lui, ce que la condition B interdit ; enfin, (3)c illustre ce que les expressions référentielles

comme John ont de commun avec les pronoms.

Dans les exemples anglais donnés pour illustrer les conditions, qui sont des exemples basiques,

le domaine local est constitué par la plus petite proposition contenant le NP pertinent. Dans chaque

cas, celle-ci est la proposition elle-même. Cependant, l'anglais possède des structures, les structures

ECM9 ((5)), qui forcent une réanalyse du domaine local dans le cas des anaphores :

(5) Johni believes [himselfi to be clever]

Dans ce cas, la plus petite proposition contenant l'anaphore est himselfi to be clever. Mais

l'anaphore n'est pas liée dans cette proposition : elle est liée par Johni, qui se situe en dehors d'elle.

Pour que la condition A rende compte de la grammaticalité de cette phrase, il faut étendre le

domaine local. A cette extension correspond la notion de catégorie gouvernante : une catégorie

gouvernante contient l'anaphore, mais aussi un sujet distinct (ici Johni) et un gouverneur (le verbe).

La théorie du liage rend compte d'une grande partie des données de l'anglais, ainsi que d'autres

langues, car elle répond, par ses conditions structurales, à une des manières proéminentes de

produire des interprétations réfléchies. Cependant, elle ne dit rien, d'une part sur certaines données

anglaises que nous abordons immédiatement, et d'autre part sur l'ensemble des données de certaines

langues (notamment les langues romanes - c'est du moins la position de R&S).

Nous nous tournons maintenant vers le travail de R&R sur la notion de prédicats réfléchis, qui

est une importante refonte des conditions de la théorie du liage. Cette théorie est généralement

connue sous le nom de théorie de la réflexivité.

9 ECM est pour 'Exceptional Case-Marking' : 'marquage exceptionnel du cas'

10

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1.2.2 La théorie de la réflexivité

Dans des travaux antérieurs à l'élaboration du paramètre lexique-syntaxe (R&R 1993), l'analyse

de la distribution des expresssions anaphoriques (pronoms et anaphores) avait été modifiée de

manière à mettre en avant la notion de prédicats réfléchis. Là où Chomsky (1981) posait des

principes syntaxiques reposant sur une partition des NPs en pronoms d'un côté et anaphores de

l'autre, R&R posent deux principes sémantiques (les conditions A et B revisitées) et un principe

structural (la condition sur les chaînes). Les conditions A et B deviennent :

(6) A : un prédicat marqué pour la réflexivité est réfléchi

B : un prédicat sémantique réfléchi est marqué pour la réflexivité

'Réfléchi' signifie qu'au moins deux arguments d'un prédicats sont identifiés l'un à l'autre.

'Marqué pour la réflexivité' signifie l'une ou l'autre des deux choses suivantes :

-que le prédicat a une anaphore [+SELF] pour argument

-que le prédicat est lexicalement, ou intrinsèquement, réfléchi

R&R ne partent pas des pronoms et des anaphores, mais parlent d'expressions anaphoriques

spécifiées pour les traits [R] (référentiellement indépendant) et [SELF] (capable de réflexiviser).

Typiquement, les NPs [+R] de R&R correspondent soit aux expressions-R (noms propres et DPs

définis), soit aux pronoms, qui n'ont pas nécessairement un antécédent linguistique. Les NPs

[+SELF] de R&R correspondent exactement aux anaphores : ce sont des élément comme himself, à

même de réflexiviser un prédicat.

Un élément comme himself est toujours [-R] en même temps que [+SELF] car il est

référentiellement déficient et ne peut normalement renvoyer à un antécédent extra-linguistique,

contrairement à un pronom. Ainsi, aux quatre combinaisons de traits envisageables ne

correspondent que trois types de NPs : les mêmes que pour la théorie du liage10.

L'anglais ne possède que des expressions [+R -SELF] (John, he) et [-R +SELF] (himself), mais

le néerlandais possède en plus une expression [-R -SELF]. Le contraste en (7) l'illustre :

10 Bien sûr, cette lacune n'est pas justifiée ou prévue par la théorie ; elle découle de l'échantillon de R&R et est vue comme transitoire.

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(7) a. Jani wast zichi

“Jean se lave”

b. Jani haat zichzelfi

“Jean se déteste”

(7)a. contient un élément [-R -SELF] : il s'agit de zich, que R&R appellent une anaphore SE, par

opposition à l'anaphore SELF : zichzelf.

La condition sur les chaînes a pour fonction de filtrer les configurations syntaxiques illicites

telles que :

(8) *Himselfi saw Johni

En s'en tenant aux conditions A et B de R&R, il est impossible de filtrer cette phrase pourtant

agrammaticale. En effet, le prédicat est réfléchi, car ses deux arguments sont coïndicés, et l'un de

ses arguments est une anaphore SELF. Ainsi, aussi bien la condition A que la condition B sont

impropres à filtrer cette phrase : elles la traitent exactement comme :

(9) Johni saw himselfi

qui elle est grammaticale. La condition sur les chaînes stipule qu'un élément [-R] est illicite

comme premier maillon d'une chaîne (ou 'tête' d'une chaîne). On peut définir une chaîne comme une

suite complète d'éléments coïndicés dont la tête c-commande les autres éléments. Suivant ce que

nous avons exposé plus haut (les Conditions du liage), les propositions contenant des anaphores

contiennent donc également des chaînes, alors que celles qui ne contiennent que des pronoms et/ou

des expressions [-R] ne contiennent pas de chaînes. Cette condition ne traite donc que les

propositions contenant des anaphores, et fonctionne comme un filtre agissant sur les types de

chaînes illicites.

Enfin, il nous faut dire quelques mots de la raison pour laquelle R&R ont jugé que leur

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condition B devait agir sur des prédicats sémantiques. Par 'prédicat sémantique réfléchi', l'on entend

un prédicat dont au moins deux arguments peuvent être identifiés à un certain niveau de dé-

composition sémantique, sans pour autant que la coïndexation de deux positions syntaxiques n'ait

lieu d'être. Par exemple, (10)a. est agrammatical tandis que (10)b. ne l'est pas :

(10) a. *Wei voted for mej

b. Wei elected mej

La raison en est que (10)a. force une lecture distributive : à un certain niveau d'interprétation,

(10)a. contient quelque chose comme I voted for me11. La condition B filtre cette phrase, et du

même coup filtre (10)a. Ce n'est pas le cas de (10)b., qui a une lecture collective et ne 'contient' à

aucun niveau, syntaxique ou sémantique, un prédicat réfléchi.

L'exposé de ces deux cadres théoriques permettra de mieux comprendre l'intérêt de la nouveauté

introduite dans R&S (2005), car y est étudiée une notion, celle de verbe réfléchi, qui n'est présente

ni dans la théorie du liage, ni dans la théorie de la réflexivité.

Plus précisément, ce que R&S vont appeler 'verbes réfléchis' est une catégorie qui englobe, mais

dépasse, celle des verbes lexicalement (ou intrinsèquement) réfléchis que nous avons très

rapidement illustrée, pour le néerlandais (cf. (7)a.). De plus, en élaborant cette notion, R&S vont en

exclure les constructions en himself, que nous appellerons comme elles liage syntaxique, ou

simplement liage. Nous leur consacrons cependant encore quelques commentaires dans la section

qui vient.

1.3 R&S : Le contraste liage/réflexivisation lexicale

La manière la plus 'ouverte' d'obtenir l'interprétation réfléchie d'un prédicat est celle où le verbe

prend deux arguments (au minimum): un sujet et un objet, direct ou indirect, et où cet objet est

matérialisé par une anaphore. En anglais, l'anaphore himself sert à indiquer que deux arguments sont

identifiés :

11 On peut représenter cela ainsi : We voted for me contient un prédicat [[vote (for)]] = λx. λy. y vote pour x. On peut dire que ce verbe, par sa sémantique, impose une interprétation distributive de son argument externe quand celui-ci est pluriel. Ainsi, [[we voted for me ]] = λx. λy. y vote pour x & λx. λz. z vote pour x & λ x. x vote pour x . Ce dernier prédicat de la conjonction est un prédicat réfléchi. Au niveau syntaxique, la présence du pronom me est alors exclue par la condition B.

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(11) Hei saw himselfi

il a vu SELF

“Il s'est vu”

La présence de l'anaphore en position argumentale est une condition nécessaire et suffisante à

une interprétation réfléchie du prédicat, car il n'existe pas d'autre moyen syntaxique en anglais de

produire celle-ci :

(12) a. He saw

Il a vu

b. He saw him

il a vu le

“Il l'a vu”

* “Il s'est vu”

Ainsi, He saw et He saw him ne sont pas équivalents à He saw himself, pour la raison que le

verbe see ne fait pas partie de l'ensemble des verbes réfléchis dès le stade du lexique. C'est l'absence

de ce marquage qui rend l'anaphore himself indispensable pour faire émerger l'interprétation

réfléchie.

Les conditions de la théorie du liage, exposées plus haut, ont été élaborées pour 'prendre en

charge' ces éléments et expliquer quand ils sont licites et quand ils ne le sont pas – quand on les

trouve. En anglais, on trouve les anaphores précisément chez tous les verbes qui ne font pas partie

de l'ensemble des verbes lexicalement réfléchis, dès lors que l'on veut produire une interprétation

réfléchie.

A contrario, un verbe comme wash, qui fait partie de cet ensemble, permet à la fois (13)a. et

(13)b. :

(13) a. He washed

il laver-PAS-réfl

14

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b. He washed himself

il laver-PAS SELF

“Il s'est lavé”

où He washed et He washed himself sont équivalents.

Chez R&R, cette équivalence pour l'interprétation est exprimée dans la définition des prédicats

réfléchis :

(14) Un prédicat P est i-réfléchi ssi P est lexicalement réfléchi par rapport à un argument

indicé i, OU l'un des arguments de P indicés i est une anaphore SELF.

L'anglais partage donc ses moyens de formation de prédicats réfléchis en deux ensembles : d'un

côté un ensemble fini de verbes dont le caractère réfléchi est déterminé lexicalement12 et qui ne

nécessitent aucun marquage syntaxique/morphologique, et de l'autre un ensemble virtuellement

infini de verbes qui donnent naissance, au stade syntaxique, à des prédicats réfléchis, par

l'utilisation d'une anaphore en position argumentale. (La deuxième option, celle de l'anaphore,

appelée liage syntaxique (cf. les conditions), est, selon R&S, quasi-universelle ; ainsi, elle ne sera

pas considérée comme relevant du paramètre lexique-syntaxe).

Les langues qui se comportent comme l'anglais à cet égard sont catégorisées comme langues

'lexicales'.

D'autres exemples de langues 'lexicales'13 dans l'échantillon de R&S sont : le néerlandais, le

russe, le hongrois, l'hébreu. Nous redonnons en (15) les exemples néerlandais précédents :

(15) a. Max wast zich (néerlandais)

Max lave SE14

12 L'entrée lexicale de certains verbes porte un trait qui les rend accessible à une certaine opération. Quand cette opération s'applique, elle donne naissance à une occurrence de ce verbe qui assignera deux rôles-θ à un seul argument syntaxique. Nous appelons ceci la 'réflexivisation lexicale'.

13 Nous utiliserons dorénavant les abréviations 'lex' et 'syn' pour parler de langues 'lexicales' ou 'syntaxiques'14 La notation 'SE' utilisée ici ne doit pas être confondue avec celle utilisée pour dénoter le clitique verbal des langues

romanes ou de certaines langues slaves. La première fait référence à une certaine catégorie d'anaphores, opposées aux anaphores SELF, tandis que la seconde est un 'morphème-chapeau', faisant référence à n'importe quelle occurrence du clitique verbal dans n'importe laquelle de ces langues.

15

Page 16: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b *Max wast

Max lave

“Max se lave”

Ces données néerlandaises sont également une illustration d'un prédicat lexicalement réfléchi.

Le verbe en question est du même type que le wash anglais, mais la désignation lexicale d'un

prédicat comme réfléchi dans cette langue nécessite un marquage morphologique : une anaphore,

zich, est tout de même requise (une forme comme Max wast serait comprise comme un prédicat

transitif en attente de complétion). Soit maintenant l'exemple en (16):

(16) a. *Max haat zich.

Max déteste SE

b. Max haat zichzelf.

Max déteste SELF

“Max se déteste”

c. *Jan wast zichzelf

Jan lave SELF

“Jan se lave”

On voit en (16)a. que zich ne suffit pas à former un prédicat réfléchi : une anaphore d'un autre

type doit être insérée. Ainsi, zich fonctionne davantage comme le signal d'un prédicat lexicalement

réfléchi, légitimé par cette propriété, que comme un réflexiviseur. Cette propriété à son tour rend

redondante et donc agrammaticale l'utilisation (en (16) c.) d'une anaphore SELF dans cette position.

L'on peut résumer cela en disant que (en néerlandais au moins), la possibilité d'utiliser une stratégie

bloque celle d'utiliser l'autre.

L'hébreu fait usage du système sémitique des gabarits verbaux, qui apportent des modifications

aux formes verbales plus notables que l'adjonction d'un clitique (préfixation, changement

vocalique):

16

Page 17: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(17) a. Dan hitraxec (hébreu)

Dan laver-PAS-réfl

b. Dan raxac [et acmo]

Dan laver-PAS SELF

“Dan s'est lavé”

On a ici encore un cas similaire à celui de l'anglais ou du néerlandais : l'utilisation du gabarit en

question pour exprimer un sens réfléchi n'est possible que parce que le verbe laver est lexicalement

réfléchi en hébreu.

Enfin, le russe utilise un clitique -sja pour former des verbes réfléchis :

(18) a. On pomyl-sja. (russe)

il laver-PAS-réfl

b. ? On pomyl sebja.

il laver-PAS SELF

“Il s'est lavé”

Celui-ci est légitimé par le verbe laver, qui est dans la même situation en russe qu'en anglais. Au

passage, la forme présentant un verbe transitif et une anaphore SELF devient marginale.

A l'inverse, la forme en (19) est impossible, et ce pour les mêmes raisons:

(19) *On ljubit-sja.

il aime-réfl

“Il s'aime”

Chacune de ces langues utilise un moyen morphologique différent, mais l'essentiel est que celui-

ci ne peut être appliqué productivement à l'ensemble des verbes transitifs : un verbe doit être

lexicalement réfléchi pour la recevoir. La subdivision de l'inventaire lexical d'une langue donnée

entre un ensemble, fermé, de verbes qui sont intrinsèquement réfléchis, et un autre ensemble,

17

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ouvert, de verbes qui ne le sont pas, semble a priori arbitraire et diffère d'une langue à l'autre. Par

exemple, les verbes équiper et armer font partie en hébreu de l'ensemble des verbes lexicalement

réfléchis15, ce qui n'est pas le cas de l'anglais. Mais que le verbe laver ait été donné comme exemple

pour quatre langues pourrait donner un indice quant à la nature de cette classe.

1.4 Verbes réfléchis

1.4.1 Les verbes réfléchis non-lexicaux

Certaines données italiennes présentées par R&S au tout début de leur étude soulèvent la

nécessité de considérer l'existence d'un phénomène distinct à la fois du liage et de la réflexivisation

lexicale. Nous fournissons des exemples français équivalents, et gardons les exemples italiens là où

la construction concernée n'existe pas en français :

(20) a. Jean et Marie se sont vus (réciproque)

b. La porte s'est fermée (inaccusatif)

c. Jean se soucie de cela (sujet-expérienceur)

d. Ces vêtements se lavent facilement (moyen)

e. Si mangia le mele (impersonnel)

SE manger-PR.3s les pommes-ACC

“On mange des/les pommes”

f. Si mangiano le mele (passif)

SE manger-PR.3p les pommes-NOM

“Les pommes sont mangées”

g. Jean se lave (réfléchi)

On a ici affaire à un morphème, le clitique SE, connaissant un très important syncrétisme.

Même s'il est clairement impliqué dans la formation des verbes réfléchis ((20)g.), son statut est

nécessairement différent de celui d'un élément comme himself. himself, une anaphore, est

exactement le type d'éléments que la théorie du liage cherche à cerner. Or, la fonction de himself est

toujours celle d'un réflexiviseur : il n'entre pas dans les constructions inaccusatives, par exemple.

15 Reinhart & Siloni (2005)

18

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L'analyse que nous poursuivons est donc sur la voie de différencier SE et les anaphores comme

himself : même si les deux classes d'éléments sont impliquées dans les constructions réfléchies, la

fonction du premier semble dépasser largement celle des secondes.

Un premier argument dans cette direction repose sur la démonstration que le clitique SE, malgré

les apparences, n'est pas un clitique objet.

1.4.2 Le statut de SE et des verbes en SE

1.4.2.1 Les verbes en SE sont intransitifs

Les apparences nous disent que SE est l'équivalent réfléchi des pronoms objets me, te, le : sa

position préverbale et sa ressemblance phonologique avec ces derniers, ce que l'on peut représenter

ainsi :

(21) Jean lei lave ti => Jean sei lave ti

Contraste causatif

Néanmoins, comme le montrent R&S, il existe au moins un contexte où SE et les pronoms

objets n'ont pas le même comportement. Il s'agit d'un contraste apparaissant dans les constructions

causatives françaises :

(22) a. Je ferai laver Max *(à) Paul

b. Je ferai courir (*à) Paul

La paire en (22) montre que dans les structures causatives, l'objet indirect (celui qui serait

l'agent dans la proposition simple) est obligatoirement introduit par la préposition à quand le verbe

est transitif, mais ne peut pas être introduit par à si le verbe est intransitif. Si maintenant l'on

conserve le même verbe transitif laver et qu'on lui adjoint d'abord un clitique objet, et ensuite SE :

(23) a. Je le ferai laver *(à) Paul

19

Page 20: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b. Je ferai se laver (*à) Paul

on observe d'une part que le verbe en SE se comporte exactement comme le verbe intransitif de

la paire précédente en ce qu'il n'admet pas que l'objet indirect soit introduit par à, et d'autre part, que

la position de se est différente de celle du clitique objet : se précède immédiatement le verbe

enchâssé, alors que le précède le verbe principal, qui est le verbe causatif. Les deux phénomènes

sont sans doute liés : le niveau de soudure de se avec le verbe qu'il accompagne suggère que SE est

impliqué dans la formation d'unités verbales intransitives.

Sélection de l'auxiliaire

Il existe un autre phénomène par lequel le clitique SE se démarque des clitiques objets. On sait

que le choix de l'auxiliaire (être ou avoir) dans les formes composées est fonction du verbe :

(24) a. Il a chanté (inergatif => avoir)

b. Il est tombé (inaccusatif => être)

L'adjonction de SE à un verbe, de son côté, fait que l'auxiliaire être devient le seul choix

possible dans une forme composée, indépendamment du verbe :

(25) a. Il l'a vu

b. Il s'est vu

Ainsi, SE 'verrouille' la sélection de l'auxiliaire, de sorte que tous les verbes se comportent de la

même manière quand ils en sont précédés. Cela corrobore l'idée formulée plus haut selon laquelle

SE créé des entités verbales soudées. De plus, la différence intrinsèque entre les verbes être et avoir

n'est pas anodine ici : avoir assigne le cas accusatif, puisque c'est un verbe transitif, alors qu'être est

un verbe inaccusatif et n'assigne aucun cas. Un clitique monté d'une position d'objet devrait recevoir

un cas, et l'on peut se demander si SE reçoit un cas dans cette configuration16.

Les éléments en (22)/(23) et (24)/(25) mettent en doute l'idée que SE soit un équivalent de

16 Cependant, il est mystérieux que cette différence ne soit visible que dans les formes composées.

20

Page 21: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

himself, puisque himself se comporte, lui, exactement comme un objet. Cependant, certaines

analyses ont tenté, dans la direction opposée, de prouver que les verbes réfléchis, y compris les

verbes en SE, étaient des verbes inaccusatifs. R&S auront également à cœur de montrer que ce n'est

pas le cas.

1.4.2.2 Les verbes réfléchis n'ont pas un sujet dérivé 17

Citant la possibilité en hébreu d'opérer une inversion SV => VS, elles rappellent que celle-ci

touche les verbes inaccusatifs, mais pas les verbes inergatifs :

(26) a. nišbar mašehu (inaccusatif)

casser-PAS-inacc qqch

“Quelque chose s'est cassé”

b. *rakdu šloša yeladim (inergatif)

danser-PAS trois garçons

“Trois garçons ont dansé”

Quant aux verbes réfléchis, ils suivent le schéma des inergatifs (cf. (26)b.) :

(27) *hitlabšu šaloš dugmaniyot (réfléchi)

habiller-PAS-refl trois mannequins

“Trois mannequins se sont habillés”

De même, en russe, le génitif (pluriel) de négation peut apparaître quand le verbe est inaccusatif,

mais non quand il est inergatif ou réfléchi :

(28) a. Nje objavilo-sj studjent-ov

NEG se(-)manifester-PAS étudiant-GEN.PL

17 Par 'sujet dérivé' nous entendons 'généré dans une position plus basse', typiquement celle d'un objet direct ; voir note 5 sur l'opposition inaccusatif/inergatif.

21

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“Aucun étudiant ne s'est manifesté”

b. *Nje tancevalo studjent-ov

NEG danser-PAS étudiant-GEN.PL

“Aucun étudiant n'a dansé”

c. *Nje pomylo-sj studjent-ov

NEG laver-PAS-refl étudiant-GEN.PL

“Aucun étudiant ne s'est lavé”

Enfin, R&S fournissent des exemples pour le français, basés sur la combinaison de

l'explétivisation et de la cliticisation de en18 :

(29) La vie dans ce royaume était cruelle. Des fillettes, il s'en perdait chaque semaine

dans la forêt. *Des princesses malveillantes, il s'en regardait un peu trop longuement

dans le miroir.

On voit en (29) que cette construction est licite quand le verbe ne prend qu'un argument interne,

ce qui est le cas de l'inaccusatif se perdre. A l'inverse, se regarder, qui est réfléchi, n'est pas licite

dans cet environnement, exactement comme le serait un verbe inergatif.

Il est donc peu probable que les verbes réfléchis (et ce, quelque soit la langue) aient un sujet

dérivé depuis une position d'objet directe, à la manière des inaccusatifs.

1.4.2.3 Les verbes en SE doivent être inergatifs

L'ensemble de ces exemples tend très fortement à montrer que les verbes réfléchis, n'étant ni

transitifs, ni inaccusatifs, sont en fait inergatifs.

Avant d'exposer les faits qui mènent R&S à postuler l'existence d'un paramètre lexique-syntaxe

pour les opérations sur la valence en général et pour la réflexivisation en particulier, et puisque nous

avons déterminé quelques points communs des verbes réfléchis, il convient de définir l'opération de

réflexivisation elle-même.18 Nous jugeons les exemples de R&S trop difficiles. La raison nous en a semblé être que cette combinaison convenait de toute façon mal au langage courant et quotidien, dont ils sont tirés. L'exemple donné est de notre facture et tente d'imiter la langue d'un conte. Nous trouvons que le résultat va tout à fait dans le sens de l'idée de R&S.

22

Page 23: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Pour Chierchia, il s'agissait d'une opération lexicale de réduction thématique, affectant un rôle

de thème :

(30) wash[ag-th] => washR[ag] ('R' pour 'réduction')

mais assurant que le verbe réduit ( VR(x) )est ensuite interprété comme V(x,x) :

(31) John washR[ag] est interprété comme John[ag] wash John[th] ,

Contra Chierchia, R&S affirment que le rôle correspondant à un argument interne n'est pas

supprimé de la grille thématique du verbe, bien que sa réalisation syntaxique soit bloquée.

Nous entrevoyons ici que la situation, telle que la conçoivent R&S, ne peut être simplement

décrite dans les termes habituels d'une opposition inaccusatif/inergatif, qui voudrait que les verbes

réfléchis soient en tout point identiques aux verbes inergatifs. R&S ont pris le parti de considérer les

verbes réfléchis (rappel : autres que les occurrences de liage) comme syntaxiquement inergatifs,

mais vont en donner une définition sémantique plus spécifique.

Dans la section qui suit, nous détaillons le fonctionnement de l'opération selon R&S, aussi bien

dans le lexique que dans la syntaxe.

1.5 Opération de réflexivisation et paramètre lex-syn

Cette opération affecte la valence syntaxique d'un verbe. Elle touche donc le nombre d'éléments

recevant les rôles thématiques du verbe. Le cœur de l'opération est présenté en (32) :

(32) Union des rôles-θ19 :

[θi] [ θj] → [θi-θj], où θi est un rôle-θ externe.

Le paramètre que les auteurs postulent est formulé comme en (33) :

19 Le terme 'Union des rôles-θ' est ce que nous avons trouvé de plus convenable pour traduire l'anglais bundling, utilisé par R&S, et qui signifie littéralement 'fait de faire un paquet'.

23

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(33) Paramètre lex-syn :

La Grammaire Universelle permet aux opérations d'arité20 de s'appliquer soit dans le

lexique, soit dans la syntaxe.

Cependant, la différence paramétrique que l'on trouve entre les langues n'affecte pas l'opération

de réflexivisation en elle-même. Celle-ci est définie préalablement, puis la composante de la

grammaire où elle est réalisée créé certaines possibilités et en bloque d'autres.

1.5.1 Réflexivisation lexicale

La réflexivisation lexicale consiste non pas en l'élimination d'un rôle-θ, mais dans l'union du

rôle externe et du rôle interne, en conjonction avec le bloquage de la réalisation syntaxique de ce

dernier. Voici un exemple anglais:

(34) a. Max washed the child.

b. ∃e [wash(e) & Agent(e, Max) & Thème(e, the child)]

c. Max washed.

d. ∃e [wash(e) & Agent(e, Max) & Thème(e, Max)]

On voit dans cet exemple que les représentations sémantiques des deux phrases sont similaires,

la différence résidant dans l'assignation des deux rôles au même argument, tandis que d'un point de

vue syntaxique, le prédicat réfléchi a vu son argument interne supprimé.

Lorsque le paramètre a la valeur 'lexique', les auteurs jugent que l'union des θ-rôles doit

s'appliquer directement à l'entrée lexicale du verbe et à sa grille thématique. Avant qu'aucune

dérivation ait lieu, les deux rôles sont réunis pour former le rôle thématique complexe représenté en

(32), puis celui-ci est assigné à l'argument externe au cours de la dérivation syntaxique.

Une analyse de la réflexivisation lexicale doit également rendre compte du traitement du cas. En

effet, l'output syntaxique de ces verbes est nécessairement dénué d'argument interne, et il faut donc

20 Nous pouvons comprendre ici : 'opérations affectant la valence (syntaxique ou sémantique) des verbes'. Des exemples d'opérations affectant la valence sémantique seront vue dans le deuxième chapitre, avec notamment la 'décausativisation'.

24

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que la nécessité d'assigner le cas accusatif soit supprimée, sans quoi sa non-assignation rendrait la

dérivation agrammaticale. Les auteurs jugent que ce processus doit également avoir lieu au niveau

du lexique. (35) résume l'opération de réflexivisation lexicale:

(35) Réflexivisation lexicale

a. Union des rôles-θ : l'opération s'applique à la grille thématique du verbe.

b. Cas: le trait accusatif du verbe est supprimé par l'opération.

(36) illustre l'application de ces deux clauses pour une phrase comme (34)c. :

(36) a. Entrée verbale: washACC [Agent] [Thème]

b. Output de la réflexivisation: washACC [Agent-Thème]

c. Output syntaxique: Max[Agent-Thème] washed.

L'interprétation de (36)c., et plus particulièrement celle du rôle-θ complexe assigné à Max, est

comme en (34)d. plus haut, une conjonction distributive où Max apparaît deux fois dans la

représentation sémantique : une fois comme agent, une fois comme thème.

1.5.2 Réflexivisation syntaxique

La réflexivisation syntaxique, pour pouvoir aboutir au même résultat, doit emprunter un autre

chemin, car les langues syn ne forment jamais leurs verbes réfléchis dans le lexique. Dans ces

langues, on ne trouve pas de verbes lexicalement réfléchis. Des concepts comme laver, pour être

réfléchis, doivent être précédés de l'élément clitique. Cette dérivation, la cliticisation, connaît la

même productivité que celle qui utilise l'anaphore himself en anglais : elle peut être appliquée à tout

verbe transitif. En même temps, nous avons vu que SE ne pouvait être considéré comme un

équivalent de himself et que les verbes en SE ne pouvaient être considérés comme relevant du liage.

Ainsi, une langue comme le français sera qualifiée de langue syn.

Une contrainte indépendante ((37)) exerce une influence sur la dérivation des verbes réfléchis

dans les langues syn :

25

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(37) Contrainte sur l'interface lexique-syntaxe21 :

La composante syntaxique ne peut manipuler les grilles thématiques : l'élimination,

la modification et l'addition de rôles-θ sont illicites dans la syntaxe.

Tout ce que la syntaxe peut faire est donc d'opérer sur un verbe encore doté de tous ses attributs

lexicaux.

La réflexivisation syntaxique procède comme suit22 :

(38) a. Cas: le trait casuel est supprimé par la morphologie appropriée (par exemple SE)

b. Assignation multiple des rôles-θ: l'opération s'applique aux rôles-θ non-assignés

au moment où le rôle externe entre dans la dérivation23.

Une illustration est donnée par la phrase française en (39) :

(39) a. Jean se lave.

b. VP: [se laveθi-Agent, θk-Thème]]

c. IP: [Jean<θi, θk> [ se lavej [VP tj]]]

d. ∃e [laver(e) & Agent(e, Jean) & Thème(e, Jean)]

On voit que l'interprétation est la même que pour l'équivalent anglais, et que la différence

importante réside dans la réduction du cas accusatif par le clitique, là où l'entrée lexicale elle-même

était déjà dépouillée de son cas dans la phrase anglaise.

Un domaine où la réflexivisation syntaxique se distingue grandement de la réflexivisation

lexicale est celui des prédicats ECM. En voici un exemple français :

21 En anglais : Lexicon Interface Guideline22 Bien que R&S usent du terme 'bundling' dans les deux cas (syntaxique et lexical), il nous semble que l'opération syntaxique ne peut être simplement appelée 'Union des rôles-θ'. Nous proposons l'expression 'assignation multiple des θ-rôles' pour rendre compte du fait que dans la réflexivisation syntaxique, l'assignation des rôles est davantage une 'distribution', suivant temporellement la dérivation, ce qui peut mener à l'assignation de deux rôles d'agent (par exemple) de deux prédicats différents à un argument (cf. (40)). Cela est inconcevable dans le 'bundling' lexical au vu de sa formulation.23 Tous ces rôles, y compris le rôle 'externe', sont assignés simultanément à l'argument externe.

26

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(40) a. Jean s'entend sermonner les enfants

b. V°2 : [V°2 sermonner<θi><θj>]

c. IP2 : [IP2 [sermonner<θi> [les enfants]θj]]

d. VP1 : [VP s'entend<θk> [IP2 [sermonner<θi> [les enfants]θj]]θl]

e. IP1 : [IP1 Jeanθk+θi [VP s'entend [IP2[sermonner [les enfants]θj]]θl]

En (40)c., le rôle de thème de sermonner est assigné à son objet direct, les enfants. Son rôle

d'agent, en revanche, n'est pas assigné. En (40)d., le verbe entendre, s'étant vu adjoindre se,

n'assigne plus de cas accusatif. C'est ainsi que la dérivation peut continuer, car il n'existe aucun

constituant plus bas pouvant recevoir ce cas. Le rôle de thème de s'entendre est lui assigné à la

proposition [IP2 sermonner les enfants]. Son rôle d'agent24 n'est lui non plus pas encore assigné. A

ce stade, il y a donc deux rôles non-assignés. En (40)e., c'est-à-dire au moment où le plus grand IP

prend le DP Jean comme spécifieur, ce dernier reçoit à la fois le rôle d'agent de s'entendre et celui

de sermonner.

Comme nous le mentionnions en note 22, le caractère particulier de l'opération, quand elle est

syntaxique, est de permettre l'assignation des rôles 'au fil' de la dérivation, occasionnant, comme ici,

l'assignation de deux rôles externes à un argument.

1.6 Conséquences de la valeur du paramètre : diagnostics

R&S utilisent un certain nombre de diagnostics pour déterminer la valeur du paramètre pour une

langue donnée.

1.6.1 ECM

Le premier vient juste d'être abordé : il concerne la possibilité de structures ECM réfléchies.

Celles-ci sont possibles dans les langues syn, mais non dans les langues lex :

(41) a. *Okosnak gondol-kod-t-unk (hongrois)

intelligent-DAT penser-réfl-PAS-S1p

“Nous nous croyions intelligents”

24 On pourrait objecter que entendre n'assigne pas un rôle d'agent, mais plutôt d'expérienceur. Cependant, quelque soit l'étiquette, il s'agit d'un rôle dit 'externe', ce qui suffit à l'argumentation.

27

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b. Peter se smatra pametnim (serbo-croate)

Peter SE considérer-S3s intelligent-INSTR

“Peter se considère intelligent”

L'opération est impossible dans les langues lex car les structures ECM impliquent les rôles-θ de

deux prédicats distincts. Or une opération lexicale, qui agit seulement sur la grille thématique d'un

verbe, n'est pas à même de réunir ces rôles-θ. Seule une opération syntaxique le peut.

Notons que le besoin de rendre compte de ce contraste est très certainement la motivation

majeure pour l'hypothèse du paramètre lex-syn.

1.6.2 Nominalisation

Un deuxième diagnostic concerne les nominalisations réfléchies. Si la nominalisation est elle-

même une opération lexicale, l'on prévoit qu'elle puisse s'appliquer à des entrées lexicales

réfléchies, mais pas à des verbes devenus réfléchis au stade syntaxique. En effet, il existe des

nominalisations réfléchies dans des langues lex comme le hongrois et l'hébreu25 :

(42) a. hitraxcut ('self-washing') (hébreu)

b. mos-akod-ás (laver-réfl-nom : 'self-washing') (hongrois)

Par contraste, ce type de substantif est d'emblée exclu des langues syn. Pour les langues

romanes, l'intuition est que SE est de toute façon un marqueur verbal, morphologiquement

incompatible avec les substantifs. Mais il existe des nominalisations de verbes inaccusatifs (en SE)

qui, contrairement à eux, ne comportent plus l'élément SE :

(43) a. La porte s'ouvre

b. L'ouverture de la porte

Si l'on postule que l'opération qui aboutit à la dérivation de formes inaccusatives est

25 Dans ces deux langues, il existe un marquage réfléchi, rendant ces nominalisations indubitablement réfléchies, cependant, une langue comme l'anglais, qui est elle aussi 'lexicale' mais ne présente pas un tel marquage, ne dispose pas de moyens morphologiques de signaler qu’une occurrence donnée de washing est une occurrence du terme réfléchi.

28

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invariablement lexicale (même en français), on l'oppose à la réflexivisation syntaxique. La

nominalisation trouve alors un input parmi les inaccusatifs, puisqu'elle est elle-même lexicale.

La raison pour laquelle les nominalisations réfléchies sont impossibles en français doit donc

être ramenée au paramètre lexique-syntaxe : il n'existe pas dans cette langue d'input lexical réfléchi

à nominaliser.

1.6.3 Productivité

Un troisième diagnostic est la productivité de la réflexivisation syntaxique par rapport à la

réflexivisation lexicale, improductive et associée à un ensemble fermé de verbes. Dans les langues

syn, la réflexivisation touche des verbes transitifs qui ne figurent pas dans la liste des verbes

lexicalement réfléchis ((44)a.), mais aussi des verbes à sujet-expérienceur ((44)b.) :

Rappelons qu'en russe, les formes avec clitique correspondantes n'existent pas :

(44) a. *On risujet-sja

b. *On ljubit-sja

Selon R&S, il existerait un ensemble universel, mais aux limites légèrement floues, de verbes

lexicalement réfléchis à travers les langues lex.

En ce qui concerne les langues syn que sont le français et l'italien, l'utilisation de SE est en fait

systématique pour la réflexivisation : l'opération ne cible pas tel ou tel item lexical, mais

virtuellement n'importe lequel. Il existe des cas où SE n'est pas licite (cf. (47) plus bas), mais cela

n'est pas dû à une restriction arbitraire : la cause s'en trouve dans le type de verbe ou de construction

ciblé.

1.6.4 Sélection thématique

Enfin, dans les langues lex, l'ensemble des verbes réfléchis est un sous-ensemble des verbes

transitifs sélectionnant un agent et un thème. En d'autres termes, il n'y existe pas de verbes réfléchis

datifs. Mais il en existe en revanche dans les langues syn. Ce contraste est illustré en (45):

(45) a. Jean s'est envoyé une lettre

29

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b. *Dan hištaleʔax mixtav

Dan a envoyé-réfl lettre

A noter que la réflexivisation dative, comme il ressort de la discussion des ECMs plus haut, ne

peut se produire qu'au moment de l'entrée dans la dérivation de l'argument externe. La conséquence

en est qu'elle ne peut impliquer deux coarguments26 :

(46) *Jean si'est montré [les enfants]i

Corrélativement, la réflexivisation dative ne peut non plus toucher les prédicats à montée,

comme les passifs où les verbes de la classe sembler, car ceux-ci n'assignent pas de rôle à leur

argument syntaxique externe27 :

(47) a. *Jean se semble intelligent

b. *Jean s'est été recommandé

b'. *Gianni si è stato affidato

* « Jean s'est été confié »

Ce sont là les rares configurations où une anaphore argumentale est requise :

(48) a. Jean semble intelligent à lui-même

b. Jean a été recommandé à lui-même

b'. Gianni è stato affidato a sé stesso

Ainsi, bien qu'il existe des contraintes sur la réflexivisation syntaxique, nous découvrons que le

clitique SE peut également jouer le rôle d'absorber le cas datif, en plus de pouvoir absorber le cas

accusatif.

1.7 Conclusion

26 Ici, 'coarguments' est à comprendre comme : 'deux arguments internes'.27 Dans les contreparties grammaticales de (47)a./b., Jean devrait se voir assigner son rôle respectivement par l'adjectif

intelligent et par le verbe recommander.

30

Page 31: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Dans ce chapitre, nous avons exposé le fonctionnement de l'opération de réflexivisation selon

les lignes du paramètre élaboré par R&S.

Avant de détailler celle-ci, nous avons exposé deux cadres théoriques qui répondent d'une autre

manière à la question des verbes ou prédicats réfléchis. Nous y ferons appel dans le troisième

chapitre, qui mettra à profit les notions de liage syntaxique et de réflexivité des prédicats pour

rendre compte d'un ensemble de données géorgiennes.

Nous avons ensuite suivi l'analyse unifiée, fournie par R&S, du rôle du clitique SE dans les

constructions réfléchies des langues syn, qui consiste selon elles à éliminer la nécessité pour un

verbe d'assigner un cas. Cette analyse est opérationnelle non seulement pour ce qui concerne le cas

accusatif, mais aussi le cas datif. Dans le chapitre qui suit, nous montrons qu'elle peut même

s'étendre, dans certains cas plus isolés, à l'absorption du cas nominatif.

L'une des conclusions importantes est que les verbes réfléchis issus des opérations postulées par

R&S sont selon toute apparence des verbes inergatifs, qui continuent donc d'assigner un rôle à un

argument externe, mais éliminent la réalisation syntaxique du patient. Cette conclusion est

intéressante en particulier pour les langues syn, car l'élément SE se voit ainsi attribuer en quelque

sorte une place au sein du complexe verbal. C'est une intuition d'une même nature qui nous

poussera à examiner dans les deux chapitres qui suivent l'élément i- du géorgien, et à effectuer une

comparaison de ces deux éléments28.

SE n'est pas associé spécifiquement aux opérations que nous avons décrites (Union et

Assignation multiple des θ-rôles, le 'bundling' réflexif de R&S) mais plutôt à la fonction d'absorber

un cas, ainsi nous pouvons nous attendre à trouver sa présence également dans des constructions qui

ne donnent pas lieu à une interprétation réfléchie. C'est la prédiction que R&S font, et nous

consacrons le deuxième chapitre à l'illustration concrète de cette souplesse. Nous y traitons des

usages non-réfléchis de SE en mettant systématiquement en regard les équivalents géorgiens.

28 Aucun doute n'est permis quant à la place du morphème i- : il est interne au complexe verbal.

31

Page 32: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Chapitre 2 - Autres opérations : le cas du géorgien

2.1 Introduction

Dans ce chapitre nous considérons la pertinence du géorgien pour les hypothèses de R&S. En

adoptant leur point de vue, nous choisissons d’examiner conjointement le fonctionnement en

géorgien des deux opérations qui n’impliquent pas un processus comme l'union des rôles-θ. Pour

R&S, l'opération appelée décausativisation est à l'orgine des verbes inaccusatifs, tandis que celle

appelée saturation est à l'origine des constructions passives, impersonnelles et moyennes. Les deux

diffèrent fondamentalement l'une de l'autre, mais ont en commun la suppression syntaxique d'un

argument externe. On a vu dans le premier chapitre l'hypothèse que les verbes réfléchis

conservaient syntaxiquement l'argument externe, c'est-à-dire qu'après l'opération de réflexivisation,

leur grille thématique continue de contenir un rôle dit 'externe', qui doit être assigné à un argument

syntaxique externe.

Une deuxième motivation pour ce rapprochement est que dans la langue que nous examinons, le

point commun que nous venons d'évoquer est morphologiquement évident.

Dans la section 2.2, nous exposons tout d'abord la décausativisation et ses manifestations

syntaxiques et sémantiques, d'après l'analyse de R&S. En passant ainsi du compte-rendu d'une

opération (la réflexivisation, chapitre précédent) au compte-rendu d'une autre opération, très

différente, nous verrons très concrètement ce que l'on peut comprendre par 'clitique dédié à

l'absorption du cas'. Ensuite, nous discuterons l'anticausativisation, théorie développée par Andrew

Koontz-Garboden. Cette théorie peut être vue comme une manière différente de rendre compte des

phénomènes subsumés par la décausativisation. Nous verrons notamment qu'AKG postule une

opération unique (qu'il appelle d'ailleurs 'réflexivisation') pour dériver les verbes traditionnellement

appelés 'inaccusatifs' et 'réfléchis'. Un unique exemple géorgien permettra de mettre en doute la

pertinence de l'anticausativisation pour le géorgien29.

Dans la section 2.3, nous discuterons d'abord d'une autre opération décrite par R&S, appelée

saturation. Nous la caractériserons et décrirons ce qu'elle a de commun avec la décausativisation, et

ce qui diffère entre elles. Nous serons ensuite amené à faire un constat général sur la morphologie

verbale du géorgien, où il sera montré que la langue possède une morphologie non-active, qui se

29 Notons que pour AKG, il n'est à aucun moment question d'une opération universelle d'anticausativisation.

32

Page 33: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

trouve recouvrir en partie les fonctions attribuées par R&S à SE. Notamment, nous montrerons que

les deux opérations décrite dans ce chapitre, bien que distinctes, ont des réalisations formellement

identiques en géorgien. Ce constat servira à circonscrire le premier type d'occurrences du morphème

i- que nous voulons étudier. Ce faisant, nous établirons que l'ensemble des formes où elles

apparaissent n'est pas équivalent à l'ensemble de celles où SE apparaît. Cela renforcera l'analyse

proposée par R&S pour SE et son statut à part, et permettra également de caractériser plus

précisément les aspects pertinents de la grammaire géorgienne.

2.2 Décausativisation et anticausativisation

Notre objectif dans cette première section sera d'abord de présenter une des opérations que R&S

décrivent : la décausativisation. Celle-ci est à l'origine des verbes inacussatifs selon R&S et n'est en

aucun cas présentée comme similaire à la réflexivisation. Le propos de R&S tient dans une analyse

de SE comme réducteur du cas qu'un verbe doit assigner. Cette propriété de SE permet la réalisation

de plusieurs opérations ayant des effets très différents sur la sémantique des verbes, y compris celle

qui dérive des verbes inaccusatifs. Nous verrons si le préfixe verbal i- du géorgien peut être analysé

de la même façon.

Dans un second temps, nous présenterons la théorie de l'anticausativisation, développée par

Andrew Koontz-Garboden. AKG propose pour la dérivation des verbes inaccusatifs des langues

romanes un compte-rendu en termes de 'réflexivisation'30. Nous introduirons alors les notions

requises pour cette analyse. Il serait inexact de dire qu'anticausativisation et décausativisation sont

deux opérations distinctes : il s'agit de deux analyses indépendantes de faits, eux, similaires. Nous

montrerons en quoi cette théorie diffère de, et complète, la vision de R&S.

Enfin, nous la mettrons à l'épreuve des faits géorgiens et concluerons que, si elles fait de bonnes

prédictions pour les langues romanes, il n'est pas possible de l'étendre au cas géorgien en raison de

faits morphologiques très clairs. Nous adopterons donc une position moins contraignante et plus

proche de celle de R&S. La position adoptée permettre d'établir un lien direct avec notre deuxième

section, où il sera question d'une autre opération, la saturation, qui dérive passifs, impersonnels et

moyens.

2.2.1 Décausativisation

30 'Réflexivisation' est compris dans un tout autre sens chez AKG que chez R&S.

33

Page 34: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

2.2.1.1 La décausativisation selon R&S

Nous donnons en (49) le cœur de l'opération, tel que R&S la définissent :

(49) Décausativisation : suppression d’un rôle externe [+c]

V ACC (θ1[+c],θ2) => V (θ2)

(50) a. Le vent a cassé le vase

b. ∃e [casser(e) & cause (e,le vent) & thème (e,le vase)]

c. Le vase s’est cassé

d. ∃e [casser(e) & thème (e,le vase)]

Pour R&S, la décausativisation est une opération de réduction qui se fait non seulement au

niveau syntaxique, mais aussi au niveau sémantique. Un rôle externe [+c] est un rôle thématique de

cause. Cela signifie, selon le système de Reinhart (2002), un rôle qui porte le trait [qui cause un

changement]. Un autre trait qui peut être présent dans la matrice des θ-rôles est le trait [état mental

pertinent] : [+/-m]. Ce trait peut être porté, typiquement, par des rôles animés. Un rôle à la fois [+c]

et [+m] correspond au rôle traditionnellement appelé 'agent' et sera obligatoirement assigné à un

argument externe. Seul un rôle [+c] peut être éliminé par la décausativisation : il ne peut s'agir d'un

rôle spécifié pour le trait [+/-m].

La suppression du rôle donne lieu à une représentation sémantique comme en (49)d. ci-dessus :

le rôle est totalement absent. La preuve que R&S donnent pour cela est que la complémentation

agentive ou instrumentale de verbes inaccusatifs donne des résultats agrammaticaux :

(51) a. La branche s'est cassée

b. *La branche s'est cassée avec une hache

c. *La branche s'est cassée par Pierre31

R&S donne une analyse identique aux verbes à sujet-expérienceur :

31 Cet exemple n'est pas donné par les auteurs, mais nous le jugeons utile, notamment pour bien marquer le contraste avec l'opération discutée dans la section suivante, la saturation.

34

Page 35: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(52) a. Jean/le bruit a fâché Pierre

b. Pierre s'est fâché

c. *Pierre s'est fâché avec le bruit

d. *Pierre s'est fâché par Jean32

Pour illustrer le fonctionnement de l'opération dans une langue donnée, il est nécessaire de

fournir des paires de verbes différant minimalement et dans une direction unique. En anglais la

paire fournie en (53) ne permettrait pas de déceler un quelconque changement morphologique

associé à la suppression d'un rôle de cause :

(53) a. The wind broke the vase

b. The vase broke

En revanche, dans une langue comme le français, le membre dérivé montre en surface un tel

changement : un clitique réfléchi SE fait son apparition. L'analyse de R&S consiste à expliquer la

présence de cet élément par la nécessité d'absorber un cas accusatif qui ne serait sinon assigné à

rien.

2.2.1.2 La décausativisation en géorgien

Le géorgien dispose d'un élément, le préfixe verbal i-, qu'on peut voir comme étant associé à la

même opération :

(54) a. nino-m da-k'et'-a k'ar-i

nino-ERG PV-fermer-AOR.S3s porte-NOM

“Nino a fermé la porte”

b. k'ar-i da-i-k'et'-a

porte-NOM PV-i-fermer-AOR.S3s

“La porte s'est fermée”

(55) a. nino-m ča-dzir-a gem-i

32 Nous ne parlons pas ici de Jean s'est fâché avec Pierre (paraphrase du réciproque Jean et Pierre se sont fâchés)

35

Page 36: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

nino-ERG PV-couler-AOR.S3s bateau-NOM

“Nino a coulé le bateau”

b. gem-i ča-i-dzir-a

bateau-NOM PV-i-couler-AOR.S3s

“Le bateau a coulé”

On conçoit une représentation formelle identique à celle des exemples français ci-dessus en

(49) :

(56) a. nino-m ča-dzir-a gem-i

∃e [couler(e) & cause(e,nino) & thème(e,le bateau)]

b. gem-i ča-i-dzir-a

∃e [couler(e) & thème(e,le bateau)]

Pour R&S, on parle ici d'une opération toujours lexicale, quelle que soit la langue : ceci est dû à

la contrainte sur l'interface lexique-syntaxe, qui empêche la suppression d'un rôle thématique dans

la syntaxe. Un argument en faveur de ce point de vue vient de l'existence de nominalisations de

verbes inaccusatifs et à sujet-expérienceur : si la nominalisation est elle-même toujours une

opération lexicale, et qu'elle doit logiquement avoir lieu à la suite de l'opération sur la valence, alors

cette dernière est également lexicale. En effet, l'on trouve de telles nominalisations en géorgien :

(57) a. k'ar-is da-k'et':v-a

porte-GEN PV-fermer.MASD-NOM

“la fermeture de la porte”

b. gem-is ča-dzir:v-a

bateau-GEN PV-couler.MASD-NOM

“le sabordage du bateau”

(57) montre que, comme en français, l'élément pertinent (i-) n'apparaît pas sur la

nominalisation :

36

Page 37: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(58) a. Le pantalon s'est rétréci au lavage

b. Le rétrecissement du pantalon au lavage

L'argument de R&S selon lequel SE est un affixe verbal, et est donc incompatible avec les

nominalisations, peut être réitéré ici : i- est également incompatible avec celles-ci, sans que cela

fasse obstacle aux nominalisations inaccusatives.

2.2.2 Anticausativisation

2.2.2.1 Présentation des données

Nous proposons de présenter, de manière complémentaire à l’analyse fournie dans R&S (2005),

la théorie de l’anticausativisation développée par Andrew Koontz-Garboden dans l’article

Anticausativisation (AKG 2008).

AKG fonde son analyse sur des données identiques à celles que l’on trouve dans la section de

R&S (2005) consacrée à la décausativisation, à savoir les contrastes comme :

(59) a. Kim broke the vase

b. The vase broke

Le parti pris de ce chercheur est de considérer ces données anglaises comme peu susceptibles de

nous éclairer sur la nature de l’alternance à l'œuvre, précisément à cause de l’absence de marquage

morphologique dans cette langue33.

AKG se tourne donc vers les données d’autres langues, qui affichent, elles, un marquage

explicite. Ce faisant, il remarque que l’alternance n’est pas uniforme ou unidirectionnelle. Soit

l’exemple warlpiri en (60) :

(60) a. wiri-jarri (warlpiri)

“become large”34

33 Tout au long de son article, AKG parle d’une alternance causatif/inchoatif. R&S rejettent le terme ‘inchoatif’ ici pour son ambiguïté, ‘inchoatif’ désignant fréquemment les verbes qui dénotent le début d’un événement ou d’une activité. Même si cet usage est en réalité légitime dans les cas abordés par AKG, puisqu’il traite des ‘change of state verbs’ (COS), nous conservons le terme ‘inaccusatif’, utilisé par R&S.

34 Pour la simplicité de l'expression, nous conservons les traductions anglaises données par AKG.

37

Page 38: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b. wiri-ma

“cause to become large”

A l’opposé de l’anglais, cet exemple illustre un cas où les deux membres de l’alternance sont

ouvertement dérivés d’une racine ; il est donc vain d’essayer de déterminer quelle forme est dérivée

de l’autre.

Suit un exemple quechua où seul le membre causatif est marqué :

(61) a. wirayay (quechua de Cuzco)

“become fat”

b. wiraya-chi-y

“cause to become fat”

Enfin, il existe des cas où seul le membre inaccusatif est marqué:

(62) a. wisq’ay (quechua de Cuzco)

“cause to become closed”

b. wisq’a-ku-y

“become closed”

On voit que les deux derniers types peuvent apparaître au sein d’une même langue. Un autre

exemple vient de l’espagnol, qui est la langue étudiée par AKG dans cet article :

(63) a. romper (espagnol)

“casser”

b. romperse

“se casser”

Bien sûr, le même traitement peut être appliqué à d'autres langues romanes, comme le montre la

traduction française. Bien qu'AKG n'indique pas, pour chaque cas qu'il cite ((60)/(61)/(62)), la

38

Page 39: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

signification des morphèmes impliqués, on comprend que le morphème SE lui-même l'intéresse

pour être en même temps ' l'élément de plus' chez les inaccusatifs dérivés, et un morphème impliqué

dans les 'véritables' verbes réfléchis35, comme :

(64) matarse

« se tuer »

2.2.2.2 Inaccusatifs en SE : des verbes 'réfléchis'

C’est ce dernier type, cette dernière direction de dérivation, qu’AKG examine. Il la nomme

‘anticausativisation’, et non ‘décausativisation’, car le cadre théorique qu’il défend36 postule que les

opérations de formation lexicale ne suppriment jamais un opérateur de la représentation sémantique

lexicale (RSL) d’un verbe. En effet, le terme ‘anticausativisation’ n’implique pas une suppression,

mais seulement la dérivation d’une forme inaccusative à partir d’une forme causative. Ainsi, AKG

attaque l’idée selon laquelle la RSL de se casser se présenterait comme en (65)b. :

(65) a. [[casser]] = λxλy[y CAUSER DEVENIR cassé(x)]

b. [[se casser]] = λx[DEVENIR cassé(x)]

Naturellement, cette position va à l’encontre de celle de R&S, qui parlent d’une suppression du

rôle de cause.

Nous n’allons pas discuter de cette position et du désaccord qu’elle engendre. En revanche, nous

allons nous intéresser à l’une des conséquences de ce choix d’ AKG pour notre analyse.

Nous avons vu avec R&S l’important syncrétisme de SE, son implication à la fois dans des

formes réfléchies et des formes inaccusatives. Là où R&S expliquent sa présence dans ces dernières

par ses propriétés générales de réducteur de cas, SE étant alors un morphème ‘par défaut’, AKG

analyse ce qu’il nomme l’anticausativisation comme étant en réalité un cas particulier de

'réflexivisation'. De même qu’AKG a renoncé à analyser les faits anglais sous l’angle de

35 Nous utilisons ici réfléchi sans aucun égard pour ce qui a été exposé précédemment avec R&S, mais seulement au sens plus intuitif d'une 'action effectuée sur soi-même' - AKG l'utilise également avec ce sens dans son article et précise même : « 'vrais' réfléchis ». Quand, dans la suite, nous utilisons le terme réfléchi avec des guillemets ('réfléchi'), il s'agira en revanche de l'ensemble des verbes en SE, qu'AKG tente de regrouper sous une même étiquette.

36 L’hypothèse de la monotonicité.

39

Page 40: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

l’anticausativisation en raison de l’absence de morphologie associée, sa compréhension de cette

opération comme une instance de la 'réflexivisation' semble motivée d’abord par l’identité des

morphèmes utilisés (dans les langues romanes) à la fois pour les verbes réfléchis et une part

importante des verbes inaccusatifs.

Son raisonnement fait intervenir une notation, plus complète que les RSL données plus haut,

enracinée dans la sémantique des événements et incluant des variables d’éventualités. Soient les

représentations (en (66)), en termes de dé-composition événementielle, de la paire alternante en

(65)37 :

(66) a. [[casser]] = λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & cassé(s)]

b. [[se casser]] = λxλsλe[DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & cassé(s)]

'x' et 'y' sont des variables d'individus ; 's' est une variable d'état (state) ; 'e' est une variable

d'événement (event). Evénements et états forment ensemble ce que l'on appelle les éventualités ;

une éventualité, sans préciser s'il s'agit d'un état ou d'un événement, est notée 'v'. (66)a. peut se lire :

'(être) cassé' est un état s, x est le THEME de cet état, DEVENIR est la relation entre un événement

e et cet état s, et ainsi e est l'événement de devenir s ; il existe une éventualité v, et CAUSER est la

relation entre cette éventualité v et l'événement e de devenir s ; un individu y est l'EFFECTEUR de

l'éventualité v.

A noter que l'opérateur EFFECTEUR n'est pas à proprement parler un agent : on peut dire qu'il

est simplement 'à l'origine', de par ses propriétés, de l'éventualité.

Avant de développer son approche, AKG fournit ce qu’il considère être la dénotation (constante)

du clitique SE des langues romanes :

(67) SE : l’opérateur de la réflexivisation

[[se]] = λℜλz[ℜ(z)(z)]

37 Notons que la représentation de se casser ici est laissée volontairement inchangée par rapport à la supposition habituelle que l’opération produisant des verbes inaccusatifs élimine un rôle/un opérateur causal : cela rendra par la suite plus explicites les changements qu’AKG doit apporter pour soutenir son analyse.

40

Page 41: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

La contribution de cet opérateur est ainsi de prendre comme argument une relation à deux

places et de restreindre sa dénotation à un ensemble de paires d’arguments identiques.

Les exemples suivants illustrent l’alternance pour deux verbes appartenant à ce que Levin

(1993) appelle les break-verbs :

(68) a. Jean a cassé le vase/ouvert la porte

b. Le vase s’est cassé

c. La porte s’est ouverte

Les verbes comme casser ont une propriété, illustrée ci-dessous :

(69) a. Jean a cassé la table

b. La hache a cassé la table

c. L’ouragan a cassé la table

d. Le poids des livres a cassé la table

Dans chacune de ces quatre phrases, l’argument externe appartient à une classe différente : un

agent, un instrument, un phénomène naturel, un état. L’argument externe des break-verbs est donc

thématiquement sous-spécifié. Cette propriété est à mettre en corrélation avec la lecture réelle des

inaccusatifs correspondants. En effet, selon une compréhension standard de la réflexivité, les verbes

commes se casser ne sont pas réfléchis, car dire que la table s’est cassée n’est pas dire que la table a

effectué une action sur elle-même menant à sa destruction.

Pour comprendre l’analyse proposée par AKG, il faut revenir à la représentation sémantique des

verbes. On se souvient que son postulat est qu’aucun opérateur ne peut être éliminé d’une

représentation. Un moyen de respecter cette ligne est de soumettre la dénotation de SE et celle du

verbe transitif casser à l’application fonctionnelle :

(70) [[se][([[casser]])

= λℜλz[ℜ(z)(z)](λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & cassé(s)]])

= λz[λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & cassé(s)]](z)(z)]

41

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= λzλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,z) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,z) & cassé(s)]]

= λxλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,x) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & cassé(s)]]

Le chemin suivi a été d’identifier deux arguments, représentés par les opérateurs EFFECTEUR

et THEME, sans poser à aucun moment l’existence d’une représentation sémantique indépendante,

non-compositionnelle, pour le membre inaccusatif de l’alternance : se casser. Intuitivement, dire

que l’opérateur EFFECTEUR, d’une spécification suffisamment vague même dans le membre

causatif, est identifié avec THEME, c’est dire que THEME est compris comme ayant des propriétés

partiellement responsables de l’événement qu’il subit.38

2.2.2.3 Verbes réfléchis : généralisation

AKG propose ainsi une analyse selon laquelle c'est exactement la même opération qui

s'applique pour produire ce qu'on appelle habituellement les verbes 'inaccusatifs' et les verbes

'réfléchis'. La sous-section qui précède a traité des premiers, et nous abordons maintenant les

seconds.

Fondamentalement, l'effet de l'anticausativisation est de modifier la valeur sémantique d'un

verbe, pour donner en quelque sorte un 'nouveau' verbe. Dans les cas que nous avons vus, un verbe

transitif/causatif demandant deux arguments pour pouvoir leur assigner chacun un rôle thématique39

voit sa valeur sémantique modifiée pour que ces deux rôles soient assignés à un seul argument.

Nous avons évoqué une propriété des verbes entrant dans l’alternance causatif/inaccusatif : la

sous-spécification thématique de leur argument externe. En fait, cette propriété est directement liée

à la présence d’un opérateur EFFECTEUR dans leur LRS : elle est responsable du flou qui entoure

la façon dont l’événement se produit et l’entité qui est à l'origine de l’événement causal.

Ce qui caractérise les verbes entrant dans une alternance causatif/réfléchi est précisément de ne

pas avoir cette propriété. Soit la représentation sémantique du verbe laver :

(71) [[laver]]

38 Notons que le constat dont AKG tire son argument ici est exactement le même que celui de R&S quand elles parlent d'un argument externe [+c], qui est seulement une cause, non-spécifiée pour son état mental ou toute autre caractéristique.

39 AKG ne parle pas de rôles thématique : ce qu'on a vu dans les représentations qu'il utilise prend la forme d'opérateurs, mais il y a une ressemblance évidente avec l'analyse de R&S.

42

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= λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & lavé(s)]

On remarque que l’unique différence de cette RSL avec celle de casser est dans l’étiquette

accollée à l’entité initiatrice de l’événement causal : il s’agit d’un AGENT et non plus d’un

EFFECTEUR. C’est une manière de représenter une restriction sur la nature de cette entité. Suivant,

toujours, l’hypothèse de la monotonicité, l’ajout du morphème SE aura pour effet d’identifier

AGENT et THEME sans pouvoir rien modifier aux opérateurs présents :

(72) [[se laver]] = [[se]]([[laver]])

= λℜλz[ℜ(z)(z)](λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & lavé(s)])

= λz[λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & lavé(s)]](z)(z)]

= λzλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,z) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,z) & lavé(s)]]

= λxλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,x) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & lavé(s)]]

La lecture réfléchie provient de là : un item, un verbe, spécifié dès le stade du lexique pour

l’agentivité de son argument externe, ne peut donner lieu à une interprétation inaccusative au

moment de l'adjonction du clitique, pour lequel on n’a par suite pas besoin de postuler plusieurs

dénotations distinctes.

Répétons que nous ne discuterons pas du différend théorique qui existe entre les deux

approches : celle de R&S et celle de AKG. Nous considérons que les deux apportent des

contributions intéressantes à la compréhension du rôle du clitique SE, mais sous des angles

différents.

L’approche de R&S tente de définir une fonction unique pour ce dernier (un marqueur qui doit

apparaître en surface pour absorber un cas non-assigné) et constate presque collatéralement que

cette fonction couvre aussi bien des verbes sujets à la réflexivisation que des verbes sujets à la

décausativisation. Les deux opérations, elles, restent différentes (la réflexivisation étant, en plus,

constituée elle-même de deux sous-opérations) et la théorie de R&S part du principe qu'elles ne sont

pas toutes les deux aussi productives – que la décausativisation est toujours lexicale et donc

improductive, et que la réflexivisation est productive quand elle est syntaxique et improductive

43

Page 44: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

sinon.

L’approche d’AKG, elle, considère comme première la composante morphologique : pour lui, si

SE apparaît dans ces deux types de verbes, c’est que ces deux types sont le résultat d’une même

opération, dont SE est le marqueur. Il ne suggère pas que SE ait pour fonction d’absorber le cas,

mais ne fournit pas non plus d’arguments allant à l’encontre de cela, si bien que cette analyse

pourrait être intégrée à la sienne de manière complémentaire.

Pour continuer l'exposé de la théorie de l’anticausativisation, nous suggérons de nous en servir

dans le cas de l’analyse du géorgien pour vérifier si le morphème i-, en plus d’être impliqué dans les

opérations sur la valence des prédicats, selon la vision de R&S, fonctionne également comme

‘morphème par défaut’ pour les inaccusatifs dérivés et les verbes réfléchis. Nous abordons les deux

cas de manière séparée, et l'examen des voies de la réflexivisation en géorgien se fera dans le

chapitre final. Cependant, dès la fin de la sous-section qui vient, nous aurons déjà circonscrit en

grande partie le statut de i-.

2.2.2.4 L'anticausativisation en géorgien

inaccusatifs dérivés

Nous redonnons ci-dessous l'exemple (55) :

(73) a. nino-m ča-dzir-a gem-i

“Nino a coulé le bateau”

b. gem-i ča-i-dzir-a

“Le bateau a coulé”

Pour être en adéquation avec le type de données qu'AKG utilise, nous pouvons compléter cet

échantillon en testant la capacité du verbe ča-dzir:v-a (« couler ») à prendre un argument externe

non-agentif. L'exemple (74) confirme que cela est possible :

(74) karišxal-ma ča-dzir-a gem-i

tempête-ERG PV-couler-AOR.S3s bateau-NOM

“La tempête a coulé le bateau”

44

Page 45: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Nous pouvons donc assigner la dénotation en (75) à ce verbe :

(75) [[ča-dzir:v-aCAUS]]

= λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & coulé(s)]

Prenant en compte l'exacte équivalence de cette alternance en géorgien avec les alternances

illustrées chez AKG, nous devrions obtenir compositionnellement la dénotation de [[ča-dzir:v-

aINACC]] en appliquant une fonction [[i-]] à la valeur sémantique de [[ča-dzir:v-a CAUS]] :

(76) [[i-]] = λℜλz[ℜ(z)(z)]

(77) [[i-]]([[ča-dzir:v-aCAUS]]) = [[ča-dzir:v-aINACC]]

= λℜλz[ℜ(z)(z)](λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & coulé(s)])

= λz[λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & coulé(s)]](x,x)]

= λxλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & EFFECTEUR(v,x) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & coulé(s)]]

Nous avons tenté en (76)-(77) de développer la dérivation du membre à interprétation

inaccusative d'une paire alternante, et nous constatons une parfaite analogie avec le phénomène

qu'AKG prend, après analyse, comme étant un cas particulier de 'réflexivisation' : un élément

verbal, clitique ou affixe, identifie deux opérateurs.

'vrais' réfléchis

Comme précédemment, il nous faut désormais interroger les verbes sélectionnant

obligatoirement un agent, afin de rendre l'analyse cohérente. Un verbe géorgien candidat pour

représenter cette classe est peut-être le verbe ga-c'mend-a : 'nettoyer'.

(78) a. nino-m ga-c'mind-a pexsacml-eb-i

45

Page 46: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

nino-ERG PV-nettoyer-AOR.S3s chaussure-PL-NOM

« Nino a nettoyé les chaussures »

b. *džagris-ma ga-c'mind-a pexsacml-eb-i

brosse-ERG PV-nettoyer-AOR.S3s chaussure-PL-NOM

* « La brosse a nettoyé les chaussures »

Dans le cadre que nous avons adopté, il ne fait aucun doute que ga-c'mend-a doit se voir

assigner la dénotation en (79) :

(79) [[ga-c'mend-a]]

= λxλyλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,y) & DEVENIR(e,s) & THEME(s,x) & nettoyé(s)]]

Quant à la version du verbe préfixée en i-, elle devrait recevoir la dénotation en (80) :

(80) [[i-]]([ga-c'mend-a]])

= λxλsλe[∃v[CAUSER(v,e) & AGENT(v,x) & DEVENIR(e,s) &

THEME(s,x) & nettoyé(s)]]

C'est à ce point du raisonnement que nous pouvons commencer à imaginer les limites d'une

théorie qui voudrait qu'à travers les langues, les membres inaccusatifs de paires alternantes soient

'cousins' des verbes réfléchis en raison d'un élément partagé, un morphème unique pour les deux.

En effet, la forme à laquelle on attribuerait la dérivation [[i-]]([[ga-c'mend-a]]) (forme

prononcée : i-c'mind-eb-a) existe, mais n'indique pas que le sujet s'est nettoyé au sens premier. Elle

n'est donc aucunement la traduction du français se laver et ne peut être considérée comme réfléchie.

Sa bonne traduction serait plutôt être lavé.

Dans la section qui suit, nous abordons certaines questions touchant la morphologie des verbes

affichant le préfixe i-. Cela nous permettra de résoudre le problème que nous venons de soulever.

46

Page 47: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

2.2.3 Morphologie verbale : une contradiction

Morphologie active vs non-active

Dans les exemples que nous avons donnés jusqu'ici, les verbes ont été présentés soit à l'aoriste,

soit sous la forme d'un nom verbal, et cela a masqué un autre élément par lequel les

transitifs/causatifs et les inaccusatifs qui en sont dérivés se distinguent :

(81) a. nino-m ča-dzir-a gem-i

“Nino a coulé le bateau”

b. gem-i ča-i-dzir-a

“Le bateau a coulé”

A l'intérieur de chaque paire, les deux verbes ne diffèrent que par la présence de i-. Cependant,

mis au futur, ces phrases donnent :

(82) a. nino ča-dzir:av-s gem-s

nino PV-couler-PR.S3s bateau-DAT

“Nino coulera le bateau”

b. gem-i ča-i-dzir-eb-a

bateau-NOM PV-i-couler-SUF-PR.S3s

“Le bateau coulera”

(83) a. nino da-k'et':av-s k'ar-s

nino.NOM PV-fermer-PR.S3s porte-DAT

“Nino fermera la porte”

b. k'ar-i da-i-k'et'-eb-a

porte-NOM PV-i-fermer-SUF-PR.S3s

“La porte sera fermée”

Les contrastes en (82)a-b/(83)a-b illustrent le marquage obligatoire des formes actives et non-

actives en géorgien. L'actif utilise une palette de suffixes : ici -av, mais aussi -eb, -ob, -am, -i, -ev,

47

Page 48: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

-op, ou encore l'absence de suffixe40. Leur niveau de soudure avec la racine est élevé : quand ils

sont présents, rien ne peut intervenir entre eux et la racine. A l'inverse, le non-actif remplace

presque toujours ce suffixe par le suffixe -eb41. De plus, actif et non-actif tirent chacun leurs

marqueurs personnels de leur propre série. Par exemple, la troisième personne du singulier est

matérialisée par -s (cf.(82)a./(83)a.) à l'actif, mais par -a (cf. (82)b./(83)b.) au non-actif. Ce

dispositif reste intact au présent et au futur, mais tombe entièrement à l'aoriste : il n'y a plus aucun

suffixe et les marqueurs personnels sont tirés d'une même série, distincte des deux citées.

La fonction du ' i - non-actif'

Le contraste morphologique que nous venons de montrer entre les formes actives et non-actives

dépasse la présence de i-. Nous pouvons donc formuler l'hypothèse que dans l'alternance ča-

dzir:av-s/ča-i-dzir-eb-a, le membre inaccusatif est dérivé non pas en premier lieu par adjonction de

i-, comme suggéré plus haut en (77), mais plutôt par la présence du suffixe -eb- (ou -ev-/-ob-) et de

marqueurs personnels spécifiques comme -a.

Nous sommes donc apparemment en présence d'un argument pour rejeter une analyse de i-

comme moyen autonome de former des verbes inaccusatifs sur la base de verbes transitifs.

Un autre fait propre à la morphologie verbale du géorgien qui pourrait renforcer cet argument

est le suivant : il existe des paires alternantes où le membre inaccusatif est marqué seulement par les

marqueurs -eb-a :

(84) a. is mas a:tb:ob-s vs is tb-eb-a

il.NOM il.DAT chauffer-O3s-PR.S3s il.NOM chauffer-SUF-PR.S3s

“il chauffe x” “x chauffe”

b. is mas a:kr:ob-s vs is kr-eb-a

il.NOM il.DAT éteindre-O3s-PR.S3s il.NOM éteindre-SUF-PR.S3s

“il éteint x” “x s'éteint”

Les alternances en (84) semblent suggérer que le préfixe i- ne joue pas de rôle précis, puisqu'il

existe des verbes inaccusatifs entrant dans une alternance qui ne le contiennent même pas.

40 Ceci est entièrement déterminé au niveau du lexique.41 Presque, car les verbes en -ev à l'actif conservent ce suffixe au non-actif ; il en va également ainsi d'une grande

partie des verbes en -ob.

48

Page 49: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Cependant, les verbes comme tbeba et kreba (en (84)) constituent une véritable classe, très

restreinte et absolument improductive42, alors que la classe des verbes en i-...-eb-a, bien

qu'aujourd'hui également improductive, est extrêmement étendue. Nous pouvons donc pour le

moment nous contenter de considérer cette dernière classe de verbes43.

Si nous considérons seulement la classe en i-...-eb-a, nous ne pouvons réellement dire quelles

sont les contributions respectives des éléments i- et -eb-a, puisque les deux apparaissent

nécessairement en même temps. Ce que nous pouvons faire est en revanche d'adopter la position

suivante : proposer que le circonfixe i-...-eb-a remplisse exactement la fonction que nous croyions

pouvoir attribuer à i- seul.

(85) [[i-...-eb-a]] = λℜλz[ℜ(z)(z)]

Selon cette vision, il serait donc plus exact de remplacer les occurrences de [[i-]] (en (77) et (80)

plus haut) par des occurrences de [[i-...-eb-a]] pour obtenir les valeurs sémantiques que nous

souhaitions.

Sémantique de la morphologie non-active – voix non-active

L'examen de la fonction possible du morphème i- nous a conduit à remettre en cause son

autonomie : nous ne le voyons plus comme un équivalent géorgien du SE des langues romanes tel

qu'analysé par AKG et l'avons intégré dans un complexe plus large : un circonfixe i-...-eb-a.

Pouvons-nous attribuer à i-...-eb-a une fonction similaire à celle de SE ? Nous avons mentionné

que i-...-eb-a incarnait en fait une morphologie non-active en géorgien : il couvre les cas que l'on

traduirait dans une langue romane par des inaccusatifs en SE. Mais une différence que nous avons

constatée (cf.(80)) est qu'il n'est pas l'équivalent du SE des 'vrais' verbes réfléchis (c'est-à-dire

agentifs) ; en effet, la traduction française que nous avons fournie est une construction passive. Les

équivalents dans les langues romanes des constructions géorgiennes en i-...-eb-a se trouvent donc

42 Un trait distinctif de ces verbes est notamment qu'ils forment tous leurs participes passés passifs de la même manière : la racine est étendue par un 'préfixe' m- et un 'suffixe' -al/-ar. A cette racine étendue s'ajoutent ensuite tous les autres marqueurs habituels des participes passés passifs. Aucun verbe extérieur à cette classe n'est sujet à cela.

43 On peut même affirmer que les deux classes sont étanches, de sorte que l'analyse de l'une est indépendante de l'analyse de l'autre en ce qui concerne le rôle de i-. Les agrammaticalités suivantes illustrent ce cloisonnement:

a. *i-tb-eb-a, *i-kr-eb-a => la classe sans i- n'admet pas i-

b. *da-k'et'-eb-a, *ča-dzir-eb-a => la classe en i- n'admet pas l'absence de i-

Il va sans dire que l'on affaire ici à un fait purement lexical.

49

Page 50: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

être des formes inaccusatives et passives (entre autres formes), mais en aucun cas réfléchies (au

sens premier d'une action effectuée sur le sujet par lui-même).

Il semble dès lors justifié de parler d'une voix non-active : si l'on considère que toute forme non-

active, par nature, a pour effet minimal de 'dé-externaliser'44 l'argument externe d'un verbe, on

comprend pourquoi les verbes réfléchis issus d'une forme transitive ne peuvent prendre cette forme,

et l'on envisage, à l'inverse, qu'une série d'autres constructions y trouvent leur place.

Nous discutons en détail les interprétations possibles des formes en i-...-eb-a dans la section 2.3.

2.2.4 Résumé

Dans cette section, nous avons exposé la décausativisation selon R&S (2005). Nous avons vu

qu'elle était l'opération qui dérive à la fois des verbes inaccusatifs et des verbes à sujet-expérienceur.

Nous avons illustré son fonctionnement pour quelques verbes géorgiens, sans apporter aucune

modification à la théorie.

Puis nous avons abordé la théorie de l'anticausativisation d'AKG. Nous avons montré en quoi

elle était complémentaire d'une analyse à la R&S : sans parler d'une fonction de réducteur de cas

pour SE, AKG lui attribue le rôle général d'un morphème de 'réflexivisation', où ce terme est utilisé

pour désigner l'identité d'un opérateur EFFECTEUR et d'un opérateur THEME. Son argument pour

inclure les inaccusatifs en SE parmi les verbes 'réfléchis' semble valide. En effet, dans les langues

romanes, la partition des verbes en verbes agentifs d'un côté, et verbes dont l'argument externe est

thématiquement sous-spécifié de l'autre, suffit à expliquer quel verbe en SE est réfléchi et lequel est

inaccusatif (d'après les acceptions usuelles).

Cependant, nous avons également montré qu'en géorgien, i-, que nous souhaitions analyser

comme SE, n'apparaissait jamais seul dans les constructions qui nous intéressent. De savoir que,

indépendamment du préfixe i-, toute forme verbale affichant un complexe [[suffixe radical -eb]+

[marqueur personnel de série -a]], doit être prise comme non-active, nous indique pourquoi elle ne

peut être réfléchie. En effet, une représentation sémantique où un AGENT est identifié avec un

THEME (nous voulons dire : où un AGENT est présent) entrerait en conflit avec les indications de

la morphologie non-active.

44 Par 'dé-externaliser', nous entendons un processus qui bloque l'assignation d'un rôle thématique (comme agent) au constituant qui se situe dans la position syntaxique canonique de l'argument externe. Dans une telle configuration, ce rôle peut soit rester entièrement absent de la syntaxe, soit être réalisé comme syntagme oblique (PP).

50

Page 51: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Ces précisions apportées, il devient possible d'aborder les cas du type i-c'mind-eb-a. Dans la

section suivante, nous tentons de comprendre comment l'opération dite de saturation, décrite par

R&S, est réalisée, en gardant un œil pour chaque cas sur les faits géorgiens.

2.3 Saturation

L'opération de saturation décrite par R&S comprend en réalité plusieurs sous-opérations,

menant à la formation de constructions passives, moyennes, ou impersonnelles.

Le noyau commun à toutes ces opérations est l'élimination d'un argument externe, non pas au

niveau sémantique, mais au niveau syntaxique seulement. Ceci constitue une différence essentielle

avec l'opération décrite plus haut. Le corrolaire de cette élimination syntaxique est la saturation de

l'argument externe par un opérateur existentiel liant une variable, qui est interprétée comme

l'argument externe du verbe.

Nous décrivons le fonctionnement de la saturation en discernant, comme le font R&S, l'effet de

l'opération elle-même (syntaxiquement et sémantiquement), et le rôle de SE. Là encore, l'argument

sera que SE, quand il est impliqué, ouvre la voie à l'opération en absorbant le cas du verbe.

Enfin, nous commentons pour chaque sous-opération la pertinence de l'analyse de R&S pour le

cas que nous étudions.

2.3.1 Passivisation

2.3.1.1 L'opération selon R&S

La passivisation peut être considérée comme l'opération standard subsumée par la saturation :

(86) a. La chambre a été nettoyée

b. ∃e∃x [nettoyer(e) & agent(e,x) & thème(e,la chambre)]

Selon R&S, que l'agent soit encore présent sémantiquement est démontré par la possibilité

d'ajouter un complément oblique comprenant soit un instrument, soit l'agent lui-même:

(87) a. La chambre a été nettoyée avec un aspirateur

51

Page 52: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b. La chambre a été nettoyée par Pierre

La forme géorgienne i-c'mind-eb-a que nous évoquions plus haut (en (79)-(80)) a précisément

ce type de lecture :

(88) a. k'edel-i ga-i-c'mind-eb-a

mur-NOM PV-i-nettoyer-SUF-PR.S3s

“Le mur sera nettoyé”

b. ∃e∃x [nettoyer(e) & agent(e,x) & thème(e,le mur)]

Nous pouvons démontrer que l'agent est présent, comme précédemment :

(89) a. k'edel-i ga-i-c'mind-eb-a c'q'l-it (=eau-INSTR)

“Le mur sera nettoyé avec de l'eau”

b. k'edel-i ga-i-c'mind-eb-a nino-s mier (=nino-GEN par)

“Le mur sera nettoyé par Nino”

2.3.1.2 Passifs 'synthétiques' vs. 'analytiques'

On vient de voir que l'opération de passivisation ne représentait pas un cas d'adjonction de SE.

En effet, les passifs les plus courants ne sont pas des formes verbales à part entière, mais des

constructions analytiques. Ce type de passifs est répandu dans la plupart des langues européennes :

(90) a. La maison a été détruite.

b. The house was destroyed. (anglais)

c. Das Haus wurde zerstört. (allemand)

d. Dom byl razrušen. (russe)

Au vu de ce que nous avons dit pour le géorgien, il semblerait que cette langue fasse exception :

(91) saxl-i da-i-ngr-a

52

Page 53: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

maison-NOM PV-i-détruire-AOR.S3s

“La maison a été détruite”

Par opposition aux exemples précédents, la forme ici est synthétique. L'agent peut être exprimé :

(92) saxl-i da-i-ngr-a k'erdzo k'omp'ani-is mier

maison-NOM PV-i-détruire-AOR.S3s privé compagnie-GEN par

“La maison a été détruite par une compagnie privée”

Cependant, il faut signaler qu'une forme passive analytique a également cours en géorgien.

Celle-ci prend la forme :

(93) saxl-i da-ngr:e:ul-i-a

maison-NOM PV-détruire.PPas-ADJ-COP.PR.S3s(=être)

“La maison a été détruite”

Comme pour les langues citées plus haut, cette forme se décompose en [[dangreuli]a], c'est-à-

dire un participe passé (passif) et un auxiliaire, le verbe q'opna (« être ») conjugué.

Harris (1981) affirme la chose suivante : les passifs synthétiques du géorgien ne sont pas de

vrais passifs, (plutôt des inaccusatifs), tandis que les passifs analytiques en sont. Elle donne les

exemples suivants comme preuve :

(94) a. rezo da-i-xrč-o (passif synthétique)

rezo PV-i-noyer-AOR.S3s

“Rezo s'est noyé”

b. *rezo da-i-xrč-o vano-s mier (jugement donné par Harris)

* “Rezo s'est noyé par Vano”

c. rezo da-m:xrčv:al-i-a vano-s mier (passif analytique)

rezo PV-noyer.PPas-ADJ-COP vano-GEN par

“Rezo a été noyé par Vano” [Harris]

53

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Ici, la prédiction de Harris est que si ces passifs synthétiques ne sont en effet pas des passifs, il

est normal qu'on ne puisse leur adjoindre un agent sous la forme d'un PP. Or, il se trouve que (94)b.

est acceptable45, contrairement au jugement de grammaticalité donné par Harris, même si les

phrases de ce type semblent infiniment plus rares que les formes du type (94)c.

Il nous faut cependant également mentionner que, de manière générale, le géorgien a une

préférence pour la voix active. Malgré cela, nous voyons ici quelle forme prend la voix non-active

en géorgien, et nous voyons que celle-ci ne conduit pas à des agrammaticalités quand elle est

utilisée comme construction passive avec complément d'agent (même si elle est plus couramment

impliquée dans des constructions inaccusatives).

Cette discussion du passif en géorgien renforce à nos yeux le statut de la morphologie non-

active dans cette langue, à laquelle nous avons déjà eu affaire dans le cas de la décausativisation.

Nous suggérons que tout ce que le complexe non-actif i-...-eb-a encode est ceci : l'argument interne

monte et prend le cas nominatif, pendant que le cas accusatif est supprimé46. L'inclusion ou

l'exclusion de l'argument externe n'est tout simplement pas encodée linguistiquement, laissant le

choix de l'exprimer ou non.

Une analyse comme celle de R&S reste pertinente si l'on continue de postuler comme elles deux

opérations sémantiques distinctes, dont l'une (la décausativisation) supprime un rôle thématique

tandis que l'autre ne fait qu'empêcher sa réalisation dans sa position canonique. Dans les deux cas,

l'argument externe est 'dé-externalisé', et cela suffit à légitimer la morphologie non-active.

2.3.2 Arbitrarisation

Les sous-opérations restantes se basent toutes deux sur le processus dit d'arbitrarisation. La

formation de verbes impersonnels et moyens implique que l'argument externe non-réalisé reçoive

une interprétation dite 'arbitraire' : ce n'est pas un x, mais un ensemble de x.

2.3.2.1 Moyens

La particularité des verbes moyens par rapport aux impersonnels est que l'événement est

spécifié pour sa généricité :45 Léa Nash ; communication personnelle46 Voir en annexe la discussion de la place du géorgien dans la typologie des langues. Le géorgien est généralement

connu comme une langue ergative ou « split-ergative », ce qui empêche a priori de parler d'un cas accusatif. Néanmoins, le schéma nominatif existe également en géorgien (au temps présent-futur), d'où l'idée que la voix non-active supprime le cas accusatif.

54

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(95) a. Les nouveaux fours se nettoient facilement (avec un chiffon humide)

b. Gen e, xarb [nettoyer(e) & agent (e,xarb) & thème (e,les nouveaux fours)]

[ … facile (e,xarb)]

L'analyse de R&S est que SE est présent pour absorber le cas du verbe. Ce cas étant le cas

accusatif, rien n'empêche que l'opération se produise également dans le lexique, comme c'est le cas

en anglais :

(96) a. Potatoes peel easily (with our new knife)

b. “Les pommes de terre s'épluchent facilement” [ … (e,xarb)]

c. Gen e, xarb [éplucher(e) & agent (e,xarb) & thème (e,pommes de terre)] [facile ...

Pour R&S, le critère de productivité est pertinent ici pour distinguer les langues lex des langues

syn : tout verbe transitif français peut être sujet à cette dérivation, mais seuls certains verbes anglais

y sont sujets.

Le géorgien constitue un cas intéressant à cet égard :

(97) a. is k'edel-i advil-ad (=facile-ADV) i-c'mind-eb-a (c'q'l-it)

b. “Ce mur se lave facilement (avec de l'eau)”

c. Gen e, xarb [nettoyer(e) & agent (e,xarb) & thème (e,ce mur)] [facile(e,xarb)]

Signalons premièrement que l'opération est productive, ce qui est un argument pour qualifier la

langue de 'syntaxique' et du même coup analyser cette occurrence du circonfixe i-...-eb-a comme

nous l'avons fait plus haut pour les verbes inaccusatifs et les formes passives : un morphème

impliqué dans une opération sur la valence syntaxique47.

Deuxièmement, nous constatons que les formes passives et moyennes sont parfaitement

identiques. Quel que soit le statut que nous puissions attribuer finalement aux éléments i- d'une part

et -eb-a d'autre part, le complexe i-...-eb-a, responsable de l'absorption du cas accusatif, est

impliqué également dans la formation des constructions moyennes.

47 Notons que, par contraste avec les verbes inaccusatifs mentionnés en 2.2.3.ii, il n'existe aucune forme moyenne qui soit construite seulement à partir des suffixes -eb-a : i- est toujous présent.

55

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2.3.2.2 Impersonnels

Enfin, l'arbitrarisation est également la source des verbes impersonnels selon R&S. Elles

distinguent deux types d'impersonnels.

Passifs impersonnels

Pour l'un d'eux, qu'elles appellent 'passifs impersonnels', SE absorbe le cas accusatif, d'où le

rapprochement avec les passifs :

(98) a. Qui, proexpl si mangiano spesso [gli spaghetti] (con i bastoncini)

b. Qui, [gli spaghetti]i si mangiano spesso ti

c. “Ici, on mange souvent des (les) spaghetti (avec des baguettes)”

d. ∃e∃xarb [manger(e) & agent(e,xarb) & thème(e,les spaghetti)]

Peu importe la position du NP, celui-ci se voit assigner le cas nominatif et déclenche l'accord du

verbe. En géorgien, on trouve une structure similaire48 :

(99) ak xšir-ad i-č'm-eb-a tesl-eb-i (axal c'el-s)

ici fréquent-ADV i-manger-SUF-PR.S3s graine-PL-NOM (nouveau-DAT année-DAT)

“Ici on mange souvent des graines (pour la nouvelle année)”

Ici, le NP reçoit également le cas nominatif, et l'accord est déclenché49. Comme auparavant, on

constate que le circonfixe i-...-eb-a a partie liée avec les opérations de réduction de valence

syntaxique en général. Et même si une forme comme mangiano, prise seule, ne présente pas une

morphologie non-active, le complexe se+V et le complexe i-...-eb-a ont ici une fonction

équivalente.

Impersonnels nominatifs

48 Nous ne pouvons pas affirmer que la montée du NP soit acceptable ici.49 Notons un fait indépendant : en géorgien, un verbe ne s'accorde jamais avec un NP pluriel non-animé. (104) Montre

clairement la présence de l'accord avec l'argument interne.

56

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Le second type de verbes impersonnels est appelé par R&S 'impersonnels nominatifs' :

(100) Qui, proexpl si mangia spesso gli spaghetti

En effet, ici c'est le cas nominatif qui est absorbé par SE, tandis que le NP reçoit le cas accusatif.

L'italien est la seule langue pour laquelle R&S fournissent une illustration d'impersonnel nominatif :

le français n'est pas une langue pro-drop, et des langues lex pro-drop comme l'hébreu ou le russe ne

peuvent utiliser cette structure car le cas nominatif ne peut être absorbé dans le lexique50.

En géorgien, on trouve bien sûr des formes impersonnelles :

(101) ak xšir-ad k'l:av-en t'urist'-eb-s

ici fréquent-ADV tuer-PR.S3p touriste-PL-DAT

“Ici on tue souvent des touristes”

Cette construction est similaire à celles que l'on trouve en hébreu et en anglais:

(102) a. ∅ son'im šam muzika (hébreu)

proarb haïr-S3p ici musique

“Les gens détestent la musique ici”

b. Do you know what they say in this town?

En effet, l'accord est déclenché par un élément pro arbitraire portant le trait pluriel comme en

hébreu, ce que l'anglais, qui n'est pas pro-drop, opère au moyen du pronom habituel they, en lui

associant une interprétation arbitraire.

Le géorgien est à la fois une langue pro-drop et une langue syn, pourquoi n'y trouve-t-on donc

pas de constructions à l'italienne ? :

(103) *ak xširad i-k'vl-eb-a t'urist'-eb-s

ici fréquent-ADV i-tuer-SUF-PR.S3s touriste-PL-DAT

50 Le cas nominatif n'est pas un trait lexical du verbe, mais de la tête I(nflectionnelle) (R&S 2005).

57

Page 58: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

C'est que la fonction du complexe i-...-eb-a semble dépasser celle du complexe se+V de

l'italien : la voix non-active y est irrémédiablement attachée, et un verbe de cette forme ne peut pas

et ne doit pas assigner de cas accusatif. i- ne peut donc avoir pour fonction de réduire le cas

nominatif en géorgien51.

L'autre construction disponible pour les impersonnels en géorgien est la suivante :

(104) ak xširad i-k'vl-eb-i-an t'urist'-eb-i

ici fréquent-ADV i-tuer-SUF-PR-S3p touriste-PL-NOM

“Ici on tue souvent des touristes”

La construction impersonnelle en géorgien a donc deux formes, l'une usant de proarb, comme

l'hébreu et presque comme l'anglais, l'autre du complexe i-...-eb-a accordé avec l'argument interne,

ce qui est réminiscent de ce que R&S appellent ' passif impersonnel' (cf. la construction en (99), en

réalité absolument identique à (104)).

2.3.3 Résumé

Nous remarquons qu'en géorgien, c'est la même construction, celle qui utilise un circonfixe i-...-

eb-a, qui est impliquée dans toutes les sous-opérations tombant sous la rubrique 'saturation' chez

R&S. Ceci est un indice de la 'puissance' de la morphologie non-active52. Celle-ci peut en général

recouvrir de nombreuses constructions. Le complexe i-...-eb-a du géorgien, qui est explicitement

51 Il existe une exception concernant la morphologie non-active : une variété de présent d'habitude/de répétition porte la morphologie non-active et assigne néanmoins le cas accusatif, comme dans :

∅/is i-c'er-eb-a c'eril-eb-s

proS3s/il.NOM i-écrire-SUF-PR.S3s lettre-PL-DAT

∅/me v-i-c'er-eb-i c'eril-eb-s

proS1s/je.NOM S1s-i-écrire-SUF-PR lettre-PL-DAT

*proexpl i-c'er-eb-a c'eril-eb-s

Il écrit/j'écris souvent des lettres

*Ca n'arrête pas d'écrire des lettres

Il semble que l'on arriverait aux impersonnels nominatifs décrits par R&S en remplaçant pro/is par proexpl, mais cette interprétation est strictement impossible.

52 Certaines données françaises indiquent que le complexe se+V peut lui aussi agir comme opérateur de la passivisation, même si cela est sans doute tombé quelque peu en désuétude :

Cette bâtisse s'est construite à la fin du XIXème siècle.

58

Page 59: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

non-actif, semble remplir toutes les fonctions attribuées par R&S au SE des passifs, moyens, et

impersonnels. Cela s'explique aisément par le fait que les opérations correspondantes, en éliminant

l'argument externe au niveau de la syntaxe, deviennent intransitives. Nous avons vu avec R&S que

l'unique argument syntaxique des verbes réfléchis était externe, et que ces verbes étaient donc

inergatifs : on comprend que la morphologie non-active ne soit pas compatible avec ceux-ci.

2.3.4 Conclusion

Dans ce deuxième chapitre, nous avons abordé deux opérations sur la valence que R&S

caractérisent différemment.

Premièrement, la décausativisation, une opération syntaxique, mais surtout sémantique : elle

supprime un rôle thématique externe, et celui-ci ne peut être un rôle d'agent. Elle utilise le clitique

SE d'une manière assez régulière53 pour absorber le cas accusatif du verbe. Nous avons rendu

compte de l'analyse fournie par un autre auteur sur cette opération : AKG postule que l'opération qui

aboutit à la dérivation de formes à interprétation inaccusative est en fait la même opération que celle

qui donne à lieu à des interprétations réfléchies, la différence dans l'interprétation étant conditionnée

lexicalement (d'après la présence ou bien l'absence d'un AGENT dans la représentation lexicale du

verbe).

L'examen du géorgien a eu pour objectif de caractériser la fonction d'un morphème verbal i-

dans cette langue. Nous sommes parti de l'intuition que ce morphème pouvait jouer un rôle similaire

à SE : être impliqué dans la décausativisation en absorbant un cas devant normalement être assigné

par le verbe. Constatant que i- n'apparaissait jamais seul, nous avons tenté d'appliquer l'analyse de

SE au circonfixe qui contient i- : i-...-eb-a. Puis nous avons évoqué un cas problématique pour

l'analyse d'AKG, montrant que les formes en i-...-eb-a ne donnaient pas lieu à des interprétations

réfléchies lorsqu'elles touchaient des verbes agentifs.

En restant dans le cercle des langues romanes, l'analyse d'AKG se profile comme une alternative

à l'opération lexicale de réflexivisation posée par R&S ; à cet égard, elle fait des prédictions

similaires (cf. note 38 sur les traits des rôles externes)54

Deuxièmement, nous avons discuté de l'opération dite de saturation (passifs, impersonnels,

53 L'existence de paires comme casser(intr.)/se casser suggère que ce n'est pas SE qui absorbe le cas quand on parle d'une opération lexicale comme la décausativisation. Quelle serait alors sa fonction ?

54 Notons tout de même que cette analyse alternative échouera où elle commencera à traiter des prédicats ECM. Contrairement à l'analyse de R&S, qui dispose du mécanisme dit de l' 'assignation multiples des rôles-θ', elle n'est pas équipée pour en rendre compte.

59

Page 60: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

moyens), et avons donné les arguments de R&S pour affirmer que cette opération supprime

l'argument externe au niveau syntaxique seulement (elle n'élimine pas son rôle thématique). Pour

chaque sous-opération, nous avons à nouveau rencontré le circonfixe i-...-eb-a du géorgien, et cela

nous a confirmé que celui-ci était le morphème non-actif de cette langue.

Que cette morphologie non-active soit utilisée dans tous les cas couverts par les deux opérations

décrites par R&S renforce cette analyse. i-...-eb-a produit, par définition, des formes verbales

intransitives et dont le sujet est dérivé (vient d'une position d'objet) ; on peut dire qu'il correspond à

toutes les constructions qui ont au moins pour effet d'éliminer syntaxiquement l'argument externe.

Les enseignements de cette discussion sont que i- n'est pas un équivalent de SE (il n'apparaît pas

seul), que i-...-eb-a n'est pas non plus un équivalent de SE (il ne correspond qu'à des constructions

intransitives à sujet dérivé), et qu'ainsi il est impropre à dériver les verbes réfléchis dont parlent

R&S (ceux-ci sont caractérisés comme intransitifs à sujet non-dérivé).

L'analyse de R&S concernant SE ne souffre aucunement de ces conclusions : elles renforcent au

contraire le statut 'à part' du clitique qu'elles ont décrit. En effet, SE a une action plus large que i-...-

eb-a, en ce qu'il absorbe seulement le cas du verbe et ainsi peut apparaître dans des formes

inergatives (les verbes réfléchis) ; i-...-eb-a, à l'inverse, est plus restrictif et ne permet pas cela.

Dans le chapitre qui vient, qui est consacré à la réflexivisation en géorgien, nous aborderons une

deuxième série d'occurrences du morphème i-, qui semble être impliquée dans un sous-ensemble

des prédicats réfléchis de cette langue.

60

Page 61: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Chapitre 3 - La réflexivisation en géorgien

3.1 Introduction

Dans ce chapitre, nous rendons compte des différentes manières d'obtenir des interprétations

réfléchies en géorgien.

Dans un premier temps - dans la section 3.2 - , nous nous attardons précisément sur les cas qui

ne sont pas abordés par R&S dans leur étude de 2005, à savoir les instantiations de liage (ou liage

syntaxique, ou liage réflexif). Nous avons mentionné que le liage était un phénomène universel,

mais qu'il était optionnel pour certains verbes, dans certaines langues (les verbes lexicalement

réfléchis de l'anglais, de l'hébreu etc..), voire marginal dans d'autres (lui-même en français, se stesso

en italien ; cf. (47)/(48), section 1.6.4). Nous montrons avec Amiridze (2006) que la division du

travail est encore différente en géorgien, où le liage joue un rôle important, plus encore qu'en

anglais, et donnons un aperçu des contraintes syntaxiques pesant sur cette dérivation.

Dans un second temps - section 3.3 - , nous détaillons le fonctionnement d'une autre stratégie,

indépendante du liage, et impliquant le morphème verbal pré-radical i-. Crucialement, cette

occurrence de i- ne dépend pas d'un circonfixe i-...-eb-a non-actif ou de tout autre morphème :

celle-ci est pleinement autonome. Suivant Amiridze (2006), nous considérons d'abord les deux

modes d'existence différents que connaît cette stratégie, l'une qualifiée de 'nominale', l'autre de

'verbale'.

Constatant avec Amiridze l'écueil d'une analyse dans le cadre de la théorie de la réflexivité de

Reinhart & Reuland (1993) seule - section 3.4 -, nous proposons - section 3.5 - d'en rendre compte

dans le cadre de R&S, le paramètre lex-syn, qui permet, au moins au premier abord, d'établir assez

commodément un parallèle avec les données romanes en attribuant à i- des propriétés de

suppression du cas.

Cependant, l'emploi parfaitement régulier du préfixe i- dans certains structures non-réfléchies

nous amènera à remettre en cause son statut de réflexiviseur ou de réducteur de cas – section 3.6.

Nous ferons alors une toute autre proposition quant au statut de ce i-. Nous aurons ainsi montré qu'il

existe deux morphèmes i- aux fonctions bien distinctes (dont un que nous n'avons pas réellement

défini, mais dont nous avons observé la distribution).

61

Page 62: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

3.2 L'anaphore complexe tavisi tavi

Cette anaphore, qu'Amiridze nomme la stratégie 'POSS+tav-', est composée d'une tête nominale,

signifiant « tête », précédée d'un spécifieur sous la forme d'un possessif. Ce possessif est lui-même

un dérivé adjectival de tav-is, génitif de tav-i, et possède également des propriétés anaphoriques,

proches de l'anaphore, quand il est utilisé seul, par opposition à un autre possessif, mis-i, qui est

non-anaphorique. Dans ce qui suit, nous reprenons les diagnostics utilisés par Amiridze pour décrire

le comportement de l'anaphore vis-à-vis des contraintes de liage, c'est-à-dire, de la condition A.

3.2.1 Domaine et c-commande

Il s'agit de déterminer quels NPs peuvent lier l'anaphore :

(105) iliai pikr:ob-s, rom gia-sj s-džer-a, k'axa-sk

ilia-NOM penser-PR.S3s que Gia-DAT OI3s-croire-PR.S3s Kakha-DAT

∅-sur-s, [bakar-isl dzma-m]m a:k-o-s

OI3s-souhaiter-S3s Bakar-GEN frère-ERG féliciter-OPT-S3s

[tavis-i tav-i]*i/*j/*k/*l/m

[POSS+tav.3sg]-NOM [Amiridze]55

“Iliai pense que Giaj croit que Kakhak veut que [le frère de Bakarl]m se*i/*j/*k/*l/m félicite”

Dans l'exemple (105), l'anaphore, venant en toute fin de phrase après plusieurs NPs, ne peut être

liée que par un seul d'entre eux, le dernier, bakaris dzmam. La contrainte de localité est à l'œuvre :

l'anaphore doit être liée par un constituant de sa propre proposition. Comme preuve que la

contrainte de localité ne tient pas compte de la compétition des antécédents, soit l'exemple en

(106) :

(106) *k'axa-si ∅-sur-s, bakar-is mšobl-eb-ma

Kakha-DAT OI3s-souhaiter-PR.S3s, Bakar-GEN parent-PL-ERG

55 Tous les exemples de (105) à (121) (sauf (109)) et de (128) à (136) (sauf (135)) sont tirés d'Amiridze (2006).

62

Page 63: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

a:k-o-n [tavis-i tav-i]i

féliciter-OPT-S3p [POSS.3s+tav]-NOM

*“Kakhai souhaite que les parents de Bakar sei félicitent”

Ici, le NP [bakar-is mšobl-eb-ma], qui est au pluriel, ne possède pas les bons traits pour être

l'antécédent de [tavis-i tav-i]i, qui est singulier. Pour autant, k'axai, qui possède le trait de singulier,

ne peut pas non plus être son antécédent, car il n'est pas local.

De plus, le fait qu'elle ne puisse être coïndicée avec le NP bakaris, qui est spécifieur de dzmam,

montre qu'elle doit être liée par un antécédent qui la c-commande.

Comme point de comparaison, soit l'exemple islandais en (107) :

(107) Joni segir aδ Maria elski sigi.

John says that Maria loves.SUBJ him

“Johni says that Maria loves himi.”

Au contraire de l'islandais, le géorgien ne possède pas d'anaphores à longue-distance, qui

peuvent être liées en dehors de leur proposition.

Il n'est pas non plus possible de l'utiliser comme logophore. Ainsi, alors que l'anglais permet la

phrase suivante :

(108) There are groups for people like yourself

il n'est pas possible de dire en géorgien :

(109) *[šen-i tav-is] msgavs-i xalx-is-tvis džgup-eb-i

[POSS.2s+tav-GEN]-NOM comme-ADJ gens-GEN-pour groupe-PL-NOM

arseb:ob-s

exister-PR.S3s

63

Page 64: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

“Il y a des groupes pour les gens comme toi”

3.2.2 Influence du mouvement-NP sur le liage

Le géorgien permet un ordre des mots relativement libre, mais il s'agit de vérifier si certains

types de mouvement peuvent influencer les relations de liage à l'intérieur d'une proposition.

3.2.2.1 L'anaphore tavisi tavi

L'anaphore tavisi tavi tolère le mouvement-NP :

(110) a. k'ac-ii a:k:eb-s [tavisi tav-s]i

homme-NOM feliciter-PR.S3s [POSS.3s+tav]-DAT

b. [tavisi tav-s]i a:k:eb-s k'ac-ii

[POSS.3s+tav]-DAT féliciter-PR.S3s homme-NOM

“L'homme se félicite”

La seule différence entre ces deux ordres concerne un effet de discours, l'emphase sur l'objet

direct.

En revanche, l'on obtient des dérivations agrammaticales quand l'anaphore apparaît en position

de sujet, et ce indépendamment de l'ordre des mots56 :

56 Les verbes à inversion offrent des exemples similaires. Au présent, le marquage du cas est interverti entre le sujet et l'objet. L'expérienceur est marqué au datif et la source au nominatif. Malgré cela, le sujet et l'objet continuent de remplir leurs fonctions respectives vis-à-vis des contraintes de liage, comme dans les exemples suivants :

a. mei m-dzul-s [chem-ii tav-i]i je.DAT OI1s-haïr-PR.S3s [POSS.1s+tav]-NOM

b. [chem-ii tav-i]i m-dzul-s mei [POSS.1s+tav]-NOM OI1s-haïr-PR.S3s je.DAT

“Je me hais”

Le cas inverse, où c'est l'anaphore qui est marquée au datif et donc comprise comme sujet, est de manière prévisible, agrammaticale, comme :

a. *mei m-dzul-s [chem-si tav-s]i je.DAT OI1s-haïr-PR.S3s [POSS.1s+tav]-DAT

b. *[chem-si tav-s]i m-dzul-s mei [POSS.1s+tav]-DAT OI1s-haïr-PR.S3s je.DAT * “Moi-mêmei mei hais”

64

Page 65: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(111) a. *[tavis-ii tav-i]i a:k:eb-s k'ac-si57

[POSS.3s+tav]-NOM féliciter-PR.S3s homme-DAT

b. *k'ac-si a:k:eb-s [tavis-ii tav-i]i

homme-DAT féliciter-PR.S3s [POSS.3s+tav]-NOM

* “Lui-mêmei felicite l'hommei”

Ces faits illustrent que le mouvement de l’anaphore tavisi tavi se fait toujours vers des positions

non-argumentales (A'-scrambling), liées à des effets de discours, et qu’ainsi ce mouvement ne crée

pas de nouvelles relations de liage, ni ne perturbe des relations de liage déjà existantes. Le

comportement de l’anaphore au sein de prédicats à trois places confirme cela :

(112) a. me bakar-si [tav-is-ii tav-i]i aγ-v-u-c’er-e

je.ERG bakar-DAT [POSS.3s+tav]-NOM PV-S1s-u-écrire-AOR.S1s

b. me [tav-is-ii tav-i]i bakar-si aγ-v-u-c’er-e

je.ERG [POSS.3s+tav]-NOM bakar-DAT - - - - - - -

c. *me [tav-isi tav-s]i bakar-ii aγ-v-u-c’er-e

je.ERG [POSS.3s+tav]-DAT bakar-NOM - - - - - - -

d. *me bakar-ii [tav-isi tav-s]i aγ-v-u-c’er-e

je.ERG bakar-NOM [POSS.3s+tav]-DAT - - - - - - -

“J'ai décrit Bakari à lui-mêmei”

Dans les exemples grammaticaux, l’anaphore est l’objet direct ; en (112)a. elle suit l’objet

indirect, et en (112)b. elle le précède. Cela montre que changer l'ordre des mots n'affecte pas la

grammaticalité d'une phrase déjà grammaticale. Dans les exemples agrammaticaux, elle est l'objet

indirect, et l'on voit que quelle que soit sa position, elle ne peut pas être liée par l'objet direct.

Du point de vue de la théorie du liage, l'anaphore tavisi tavi est donc toujours interprétée dans sa 57 Une partie importante du travail d'Amiridze, aussi bien dans sa thèse de doctorat (2006) que dans une série d'articles

publiés auparavant, a été de tenter de caractériser tavisi tavi. En effet, certains contextes très précis, que nous n'abordons pas ici, permettent tout à fait sa présence en position de sujet. Par exemple, tavisi tavi k'lavs k'acs (littéralement « Lui-même tue l'homme ») est pleinement grammatical sous une interprétation figurée, où « l'homme » est vu comme responsable de ce qui mènera à sa perte.

65

Page 66: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

position de structure profonde.

3.2.2.2 Le possessif réfléchi tavisi

Le possessif tavisi a un comportement différent. Lorsqu'il est enchâssé dans le sujet, il ne peut

être lié par l'objet direct s'il précède celui-ci, mais le mouvement de l'objet direct à gauche de la

proposition, c'est-à-dire en position de c-commander le constituant contenant le possessif ([tavis-i

N]), lui permet de le lier :

(113) a. *[tavis-ii deida] nino-si xat':av-s

POSS.REFL.3s tante-NOM nino-DAT peindre-PR.S3s

*[Sai tante] dessine Ninoi

b. nino-si [tavis-ii deida] xat':av-s

nino-DAT POSS.REFL3s tante-NOM peindre-PR.S3s

≈ “Ninoi est dessinée par [sai tante]”

Au sein d'un prédicat ditransitif, on trouve la même relation entre l'objet direct et l'objet indirect,

qu'entre le sujet et l'objet direct précedemment. Un objet indirect avec tavisi comme spécifieur ne

peut être lié par l'objet direct qui le suit, mais le peut s'il le précède :

(114) a. *nino-m [tavisi deda-s] bavšv-ii ∅-a:nax-a

nino-ERG [POSS.REFL.3s mère]-DAT enfant-NOM OI3s-CAUS.voir-AOR.S3s

b. nino-m bavšv-ii [tavisi deda-s] ∅-a:nax-a

nino-ERG enfant-NOM [POSS.REFL.3s mère]-DAT OI3s-CAUS.voir-AOR.S3s

“Nino a montré l'enfanti à [sai mère]”

Enfin, c'est la même situation entre un sujet et un objet indirect :

(115) a. *[tavis-mai da-m] gela-si c'eril-i mi-s-c'er-a

[POSS.3s.REFL sœur]-ERG gela-DAT lettre-NOM PV-OI3s-écrire-AOR.S3s

66

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b. gela-si [tavis-mai da-m] c'eril-i mi-s-c'er-a

gela-DAT [POSS.3s.REFL sœur]-ERG lettre-NOM PV-OI3s-écrire-AOR.S3s

≈ “Gelai a reçu une lettre de sai sœur”

Ainsi, la possibilité en géorgien d’effectuer un mouvement-NP vers une position argumentale

permet de créer des relations de liage.

Enfin, par contraste avec (110)b, [tavis-i N] en position d'objet direct ne peut être lié par le sujet

que s'il le suit :

(116) a. *[tavisi da-s] a:k:eb-s k'ac-ii

[POSS.3S.REFL sœur]-DAT féliciter-PR.S3s homme-DAT

b. k'ac-ii a:k:eb-s [tavisi da-s]

homme-DAT féliciter-PR.S3s [POSS.3s.REFL sœur]-DAT

“L'homme félicite sa sœur”

Ainsi, contrairement à l'anaphore tavisi tavi, c'est la position de surface de [tavis-i N] qui

importe pour la théorie du liage.

3.3. Le préfixe verbal i- :

Parmi les trois stratégies qu'Amiridze considère, il en est deux qui impliquent le préfixe i-, l'une

'nominale', au même titre que tavisi tavi, et l'autre 'verbale'. Nous procédons comme Amiridze en

présentant les deux formes séparément, mais la section sur la seconde d'entre elles sera l'occasion de

discuter de leur similarité.

3.3.1 i- , 'stratégie verbale'

i-, comme voyelle pré-racine, reflète la coréférence entre le sujet et l'objet indirect :

67

Page 68: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(117) a. me mo-v-i-č'er-i namcxvar-i

je.ERG PV-S1s-i-couper-AOR.S1s gâteau-NOM

“Je me suis coupé du gâteau”

b. me mo-v-č'er-i namcxvar-i

je.ERG PV-S1s-couper-AOR.S1s gâteau-NOM

“J'ai coupé du gâteau”

(118) a. šen ga-i-tal-e vašl-i

tu.ERG PV-i-éplucher-AOR.S2s pomme-NOM

“Tu t'es épluché une pomme”

b. šen ga-tal-e vašl-i

tu.ERG PV-éplucher-AOR.S2s pomme-NOM

“Tu as épluché une pomme”

L'ajout du seul préfixe dans ces exemples de verbes trivalents est ce qui cause la lecture

réfléchie. Notons que sa présence bloque l'utilisation de tavisi tavi :

(119) *mei mo-v-i-č'er-i [tavisi tav-s]i namcxvar-i

je.ERG PV-S1s-i-couper-AOR.S1s [POSS.1s+tav]-DAT gâteau-NOM

* “J'i ai coupé du gâteau à moi-mêmei”

Ceci suggère que i- en lui-même est responsable de la lecture réfléchie.

Les exemples agrammaticaux en (120)b./(121)b. montrent que bien que la combinaison de i- et

de formes transitives soit licite (les exemples précédents sont ditransitifs), elle connaît des

contraintes :

(120) a. me v-a:k:eb-∅ mas

68

Page 69: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

je.NOM S1s-féliciter-PR.S1s il.DAT

b. *me v-i-k:eb-∅

je.NOM S1s-i-féliciter-PR.S1s

“Je me félicite”

(121) a. šen a:k'rit'ik':eb-∅ mas

tu.NOM critiquer-PR.S2s il.DAT

b. *šen i-k'rit'ik':eb-∅

tu.NOM i-critiquer-PR.S2s

“Tu te critiques”

On voit ici que i- n'a pas la propriété d'identifier un sujet et un objet direct.

On a vu dans le chapitre précédent que i- pouvait être vu comme une partie intégrante d'un

circonfixe dont la fonction est de marquer ouvertement une forme comme non-active. Or, la

réflexivisation en i-, qui nous intéresse ici, procède exclusivement par la préfixation de i- à des

formes transitives, et donc actives. Comme nous l'avons illustré dans le deuxième chapitre, la

morphologie du géorgien est absolument univoque en ce qui concerne l'opposition actif/non-actif.

Rappelons que deux constantes se font jour dans la relation entre les formes actives et non-actives :

- à une diversité de suffixes possibles pour les verbes transitifs (ainsi que les autres formes

actives), correspond une grande uniformité chez les formes non-actives.

- les marqueurs de personne et de nombre sont tirés de séries entièrement différentes selon

que la forme est active ou non-active.

Contrairement aux exemples donnés dans le deuxième chapitre, il n'y a pas ici de basculement

d'une morphologie active à une morphologie non-active. Non seulement le suffixe est préservé,

mais le verbe continue de prendre un objet direct comme argument. Dans ce qui suit, nous ne

traiterons que de ces cas.

Une série de données très proches des précédentes constitue un argument pour donner un statut

69

Page 70: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

théorique analogue au i- géorgien et aux morphèmes étudiés dans R&S (2005), notamment SE dans

les langues romanes, ou sich en allemand. Il s'agit des constructions transitives ayant comme objet

direct des possessions inaliénables :

(122) a. *Jean a lavé les pieds

b. ?Jean a lavé ses pieds

c. Jean s'est lavé les pieds

(123) a. *Maria abrio los ojos (espagnol)

b. Maria se abrio los ojos

“Maria s'est ouvert les yeux”

(124) a. *Johann kämmte die Haare (allemand)

b. ?Johann kämmte seine Haare

c. Johann kämmte sich die Haare

“Johann s'est peigné les cheveux”

(125) a. ?is še-γeb:av-s tm-eb-s (géorgien)

b. ?is še-γeb:av-s tavis tm-eb-s

c. is še-i-γeb:av-s tm-eb-s

“Il se teindra les cheveux”

Le point commun de ces exemples est l'obligation d'utiliser un morphème réfléchi pour

exprimer qu'un sujet exerce une action sur une possession inaliénable, au détriment de constructions

où la possession a un spécifieur sous la forme d'un adjectif possessif58.

Il faut de plus noter que la forme préfixée du géorgien connaît un usage plus large que les seules

constructions avec possession inaliénable :

58 A l'heure qu'il est, nous n'avons pas les données permettant d'exclure absolument (125)a. et b., mais nous n'avons jamais rencontré que la forme en (125)c.

70

Page 71: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(126) a. me ga-v-i-recx:av-∅ mankana-s

je.NOM PV-S1s-i-laver-PR.S1s voiture-DAT

(littéralement : “je me laverai la voiture”)

“Je laverai ma voiture”

b. me da-v-i-k'arg-e gasaγeb-i

je.ERG PV-S1s-i-perdre-AOR.S1s clef-NOM

(lit.: “je me suis perdu la clef”)

“J'ai perdu mes clefs”

Il semble donc indéniable que i- joue un rôle de réflexiviseur, même si cette fonction connaît

des contraintes (il ne peut remplacer tavisi tavi). De la même manière que SE ou sich, i- semble

absorber un argument syntaxique devant recevoir le rôle thématique de bénéficiaire. On peut donc

pour l'heure faire la proposition suivante quant à la contribution sémantique de i-. Soit un item

lexical ban, associé au concept verbal laver :

(127) [ban] = λxλy. y lave x

[ban'] = λRλxλy. y lave l'objet qui est dans la relation R avec x

[i-ban'] = λRλy. y lave l'objet qui est dans la relation R avec y

où R est une relation possessive/bénéfactive qui tient entre deux individus

(par exemple : 'être la main de')59

Dans le premier chapitre, nous avons exposé l'argumentation de R&S sur l'opération de

réflexivisation, notamment la séparation qu'elles opèrent entre deux types d'opérations relevant de la

réflexivisation : l'opération lexicale et l'opération syntaxique. La section 1.6.4 Sélection thématique

a servi à montrer une des différences importantes entre les langues lex et les langues syn le fait que

seules ces dernières permettaient la réflexivisation dative. La possibilité de la réflexivisation dative

dans les langues syn découle de la nature-même de l'opération syntaxique, que nous avions

rebaptisée 'assignation multiple des rôles' : l'opération a lieu au niveau purement syntaxique et

59 ban n'est pas à comprendre ici comme une forme verbale finie.

71

Page 72: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

donne les rôles non-assignés à l'argument externe quand celui-ci entre dans la dérivation. Cela peut

se produire parce que SE est présent pour absorber le cas datif.

Selon la présente analyse, la fonction dévolue à i- est la même que celle de SE. Avant

l'adjonction de i- (au niveau de ban'), un argument supplémentaire, une relation fonctionnelle, est

introduit, et celui-ci sert à invoquer l'individu qui est dans cette relation avec l'argument externe du

prédicat. Si l'item ban' était instancié, il signifierait donc 'laver le … de ...' Le préfixe i-, lui,

identifie les arguments de la manière suivante : il absorbe le cas datif que ban' doit assigner, et ce

faisant déclenche l'assignation du rôle de bénéficaire à l'argument externe au moment où celui-ci

entre dans la dérivation, produisant l'interprétation réfléchie (dative) dont nous parlons.

Il semble donc que l'opération que nous venons de décrire est similaire à celle que nous avons

appelée 'assignation multiple des rôles'60 et qui utilise SE. Dans la sous-section qui suit (3.3.2), nous

poursuivons la même hypothèse, mais pour rendre compte d'un cas particulier, i+tavi. La section

3.4 nous servira à nous démarquer d'une analyse de ce i- dans l'esprit de R&R, et la section 3.5 sera

l'esquisse d'une représentation de l'action du i- 'réflexiviseur' dans le cadre de R&S.

3.3.2 i+tavi , 'stratégie nominale'

Nous abordons maintenant ce qu'Amiridze appelle la deuxième 'stratégie nominale', c'est-à-dire,

selon ses termes, une construction qui produit une interprétation réfléchie à la fois en modifiant le

verbe et en appelant la présence d'une anaphore.

3.3.2.1 tavi sans i-

La partie nominale de la construction, tavi, est selon toute apparence la même que celle que l'on

trouve dans tavisi tavi ('tête'). Amiridze la considère comme une anaphore et cherche à en définir le

statut. Il s'agit d'abord de montrer en quoi elle se démarque de tavisi tavi et qu'elle est bien une

construction à part entière. Soit la paire minimale en (128), où (128)a. comporte l'anaphore 'pleine',

tandis que (128)b. comprend seulement tavi :

(128) a. mei bakar-s [čem-ii tav-i]i aγ-v-u-c'er-e

je.ERG bakar-DAT [POSS.1s+tav]-NOM PV-S1s-u-écrire-AOR.S1s

60 Cependant, il est important de noter que, si nous adoptons une analyse de ce type, nous sommes obligé de postuler une étape intermédiaire ban', qui ne peut pas en tant que telle être réalisée.

72

Page 73: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

“Je me suis décrit à Bakar”

b. mei bakar-sj tav-ii/j aγ-v-u-c'er-e

je.ERG bakar-DAT tav-NOM PV-S1s-u-écrire-AOR.S1s

“Je me suis décrit à Bakar”

(OU b. :

“J'ai décrit Bakar à lui-même”)

Le fait que les deux phrases soient synonymes peut laisser croire que tavi est simplement un

vestige d'une forme plus complexe tavisi tavi, tavisi étant optionnel, peut-être pour des raisons

phonologiques. Quant à i-, il n'y aurait pas à expliquer son absence ici, mais plutôt à expliquer

indépendamment sa présence dans certaines autres formes réfléchies.

Amiridze affirme que cette optionnalité de tavisi ne vaut que pour les verbes à trois arguments,

comme dans l'exemple précédent ((128)), et ne s'applique pas aux verbes à deux arguments ((129)) :

(129) a. mei [čem-ii tav-i]i v-a:k-e

je.ERG [POSS.1s+tav]-NOM S1s-féliciter-OD3s-AOR.S1s

b. *mei tav-ii v-a:k-e

je.ERG tav-NOM S1s-féliciter-AOR.S1s

c. mei tav-ii v-i-k-e

je.ERG tav-NOM S1s-i-féliciter-AOR.S1s

“Je me suis félicité”

(129)c. montre qu'une alternative à tavisi tavi est i+tavi dans les verbes à deux arguments, mais

en aucun cas tavi seul. Tavi ne semble pas donc être une simple variante de tavisi tavi.

Une autre indication que tavi n’est pas une simple variante de tavisi tavi est celle-ci : dans les

constructions où l'on peut remplacer l’un par l’autre, les deux phrases n’expriment pas exactement

la même chose. Le remplacement de tavi en (129)c. par tavisi tavi en (130) donne lieu à une lecture

contrastive qui n’existe pas en (129)c. :

73

Page 74: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

(130) mei [čem-ii tav-i]i v-i-k-e

je.ERG [POSS.1s+tav]-NOM S1s-i-féliciter-AOR.S1s

“Je me suis félicité, MOI”

où la seule lecture possible est une lecture focalisée.

i+tavi est donc en lui-même un moyen de réflexiviser un prédicat.

3.3.2.2 tavi avec i-

i+tavi et le liage

En ce qui concerne ses propriétés de liage, mentionnons que tavi (si, comme Amiridze, on la

voit comme une anaphore) est soumise exactement aux mêmes contraintes que tavisi tavi, à savoir

que :

-elle doit obéir à la contrainte de localité

-elle doit être c-commandée par son antécédent

-elle n'est jamais une logophore

-les relations de liage ne sont pas affectées par l'ordre des mots.

Pourtant, il y a des différences entre tavisi tavi et i+tavi : une restriction sémantique régit la

distribution de tavisi tavi et i+tavi. Néanmoins, cette restriction mise à part, les deux semblent être

presque toujours interchangeables :

i+tavi obligatoire

Il existe des contextes où seul i+tavi est à même de réflexiviser un prédicat. Amiridze établit

qu'un sous-ensemble des verbes transitifs, se rapportant notamment aux actes de violence et de

destruction physique, est concerné61 :

(131) a. *k'ac-mai mo-k'l-a [tavis-ii tav-i]i

homme-ERG PV-tuer-AOR.S3s [POSS.3s+tav]-NOM

61 Amiridze évoque ici la notion appelée affectedness.

74

Page 75: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b. k'ac-mai mo-i-k'l-a tav-ii

homme-ERG PV-i-tuer-AOR.S3s tav-NOM

“L'homme s'est tué”

Amiridze note l'identité formelle des constructions en i+tavi et celles où la présence d'une

possession inaliénable en position d'objet direct requiert le préfixe i- devant le verbe ((132)/(133)).

De plus, ce qui rend les phrases suivantes (a)grammaticales semble être le même critère que pour

les constructions en i+tavi :

(132) a. *vangog-mai tavis-ii q'ur-i mo-č'r-a

Van Gogh-ERG [POSS.3s oreille]-NOM PV-couper-AOR.S3s

b. vangog-ma q'ur-i mo-i-č'r-a

Van Gogh-ERG oreille-NOM PV-i-couper-AOR.S3s

“Van Gogh s'est coupé l'oreille”

(133) a. *giorgi-mi tavis-ii p'ir-i ga-p'ars-a

giorgi-ERG [POSS.3s visage]-NOM PV-raser-AOR.S3s

b. giorgi-m p'ir-i ga-i-p'ars-a

giorgi-ERG visage-NOM PV-i-raser-AOR.S3s

“Giorgi s'est rasé”

Ce fait concorde avec le critère du degré d'affectedness qui ressort de l'exemple (131).

i+tavi impossible

Là où i+tavi est obligatoire pour des raisons qu'Amiridze associe au degré élevé auquel l'agent

est affecté, i+tavi est parfois exclu :

(134) a. *k'ac-ii e-lap'arak'-eb-a // i-lap'arak'-eb-a tav-si

homme-ERG *e // *i-parler-SUF-PR.S3s tav-DAT

75

Page 76: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b. k'ac-ii e-lap'arak'-eb-a [tav-isi tav-s]i

homme-ERG e-parler-SUF-PR.S3s [POSS.3s+tav]-DAT

“L'homme se parlait à lui-même”

Amiridze attribue cette impossibilité au faible degré d'affectedness de l'agent dans ce type de

constructions intransitives indirectes.62

Ceci laisse à penser que tavisi tavi est en réalité davantage restreint sémantiquement par rapport

à i+tavi.

3.3.2.3. Une première hypothèse sur la sémantique de i+tavi

Nous pouvons d'ores et déjà avancer une proposition quant à l'interprétation des constructions

en i+tavi, qui prendra la forme d'une analyse au moins partiellement commune de celles-ci et de

celles en i+objet possédé :

(135) [k’l:av] = λxλy. y tue x

[k’l:av’] = λRλxλy. y tue l’objet qui est dans la relation R avec x

[i-k’l:av’] = λRλy. y tue l’objet qui est dans la relation R avec y

[i-k’l:av’ tavi] = λy. y tue l'élément qui est dans la relation d'identité avec y

= λy. y tue y

Une analyse comme celle-ci rend justice à la similitude des constructions en i+tavi et en i+objet

possédé, car elle met en évidence leur parenté sur le plan syntaxique. En effet, il est en théorie

toujours possible de soumettre un verbe transitif à la dérivation qui mène jusqu’à l’adjonction de i-.

Si des restrictions existent, elles seront davantage à mettre sur le compte de la sémantique du verbe

et/ou de l’objet en question.

Le fait central est que sous cette analyse, le concept verbal, une fois modifié pour prendre une

relation comme argument et préfixé pour identifier un agent et un bénéficiaire, attend un argument,

qui sera compris comme un objet dans une certaine relation avec l’agent. Si, et seulement si, cette

62 Il semble que cela soit le cas. Néanmoins, l'on pourrait aussi avancer que ces formes verbales sont particulières en ce qu'elles exigent un préverbe e- (qui régit l'objet indirect). Ce préverbe e- aurait de toute façon la priorité sur i-, car e- et i- sont des morphèmes d'une même famille apparaissant toujours à la même place préradicale ; or, ces morphèmes ne peuvent coexister dans une même forme.

76

Page 77: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

relation est matérialisée par le NP tavi, l’on obtient, par une métaphore grammaticalisée, une

interprétation réfléchie identique à celle que l’on aurait obtenue avec l’anaphore tavisi tavi.63

3.4 i- et tavi dans le cadre de la réflexivité

3.4.1 Place de l'élément tavi dans le cadre de la réflexivité

Pour Amiridze, il est nécessaire de définir le statut de l'élément anaphorique tavi, à savoir sa

spécification pour les traits [R] et [SELF], afin de l'intégrer dans la typologie des expressions

anaphoriques.

Premièrement, tavi, par définition, est toujours dépourvu de spécifieur : il n'est donc jamais

accompagné d'un élément qui pourrait lui associer des traits de personne ; le genre n'est pas une

catégorie grammaticale en géorgien, et donc pas davantage pour tavi ; le trait de nombre n'apparaît

jamais sur tavi, bien que son antécédent puisse tout à fait être au pluriel :

(136) bakar-ma da ilia-m k'arg-i sc'avl-it tav-i/*tav-eb-i

bakar-ERG et ilia-ERG bonne étude-INSTR tav-SG/*PL-NOM

ga:mo-i-čin-es

PV-i-distinguer-AOR.S3p

“Bakar et Ilia se sont distingués par de bonnes études”

L'absence de ces traits sur une expression anaphorique est ce qui la spécifie pour le trait [-R]64,

et par là l'empêche de fonctionner comme pronom : une des fonctions potentielles d'un pronom est

de référer à un antécédent non-linguistique, et ces traits (les 'traits-φ') facilitent l'accès à cet

antécédent.

Deuxièmement, pour Amiridze, il est clair que tavi est spécifié pour le trait [-SELF], puisqu'elle

considère que toutes ses occurrences sans i- sont des versions abrégées de tavisi tavi, et que par

suite, aucune occurrence de tavi seule ne peut être considérée comme étant à même de réflexiviser

un prédicat. La conclusion tirée par Amiridze est que tavi, portant les traits [-R -SELF], est une

anaphore SE, au même titre que le zich néerlandais, par exemple, dont on a vu qu'il n'apparaissait 63 Même si nous envisageons que la construction en i+tavi soit porteuse de connotations dont tavisi tavi serait

dépourvue.64 Un NP pourvu de 'traits-φ' peut être [+R], et peut aussi être [-R], comme himself par exemple . En revanche, un NP

dépourvu de 'traits-φ' est nécessairement [-R].

77

Page 78: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

qu'après un verbe lexicalement réfléchi.

Amiridze note elle-même que cette conclusion n'est pas satisfaisante car elle échoue à définir le

rôle de i- dans ces constructions. Nous évitons ce problème en analysant tavi comme un élément

dont la contribution sémantique est la relation d'identité. Ainsi tavi, bien que nominal, ne sera pas

considéré comme une anaphore.

3.4.2 Place de l'élément i- dans le cadre de la réflexivité

La problème soulevé par Amiridze sur la base de ces faits est qu'au sein de la théorie de la

réflexivité, il est impossible de définir clairement la contribution de ce morphème. La condition B

de la théorie pose qu'un prédicat réfléchi doit être marqué pour la réflexivité, c'est-à-dire que soit le

verbe lui-même est lexicalement réfléchi, soit il prend, dans la syntaxe, une anaphore SELF comme

argument. Or ici, aucune de ces deux conditions n'est remplie.

Tout d'abord, dans l'idée que i- est un élément ajouté au niveau syntaxique à une racine, rien ne

permet de penser que cette racine est lexicalement réfléchie. L'analyse de R&S prédit non

seulement que la réflexivisation syntaxique est productive, au contraire de la réflexivisation lexicale

- et l'adjonction de i- est, précisément, productive -, mais aussi que l'on ne trouve pas de

réflexivisation dative lexicale (cf. (45)b. section 1.6.4), l'opération lexicale ne touchant que des

verbes sélectionnant un agent et un thème - or, ce que i- fait est justement d'identifier un agent et un

bénéficiaire, mais jamais un agent et un thème (cf. (120)/(121), section 3.3.1). De plus, i- ne semble

pas être une anaphore, et surtout ne peut pas être une anaphore SELF, dans la mesure où il ne peut

pas réflexiviser n'importe quel prédicat quand il apparaît sans tavi.

Une proposition avancée par Amiridze est que le marquage morphologique verbal soit inclus

dans les moyens de créer des prédicats réfléchis, à l'instar du marquage lexical ou par une anaphore

SELF. Cependant, elle considère comme une barrière le syncrétisme de i- : pour elle, tous ses

usages non-réfléchis65 sont problématiques et rendent difficile son analyse comme marqueur de la

réflexivisation.

3.5 i- et le paramètre lexique-syntaxe

Bien que formellement distincte de la manière dont la théorie de la réflexivité de R&R rend

compte des prédicats réfléchis, une analyse suivant les lignes du paramètre lexique-syntaxe semble

65 Notamment le i- des formes non-actives.

78

Page 79: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

de prime abord pouvoir combler le vide constaté par Amiridze. En effet, même si R&S (2005) ne

parlent pas ouvertement d'un 'marquage' réfléchi dans le cas de SE, elles montrent que son

utilisation, comme réducteur de cas, ouvre la voie à plusieurs opérations, dont l'une a pour effet

d'identifier deux arguments en réunissant des rôles-θ distincts au sein d'un rôle-θ complexe :

l'opération de réflexivisation.

Il s'agit d'appliquer ce raisonnement aux verbes transitifs géorgiens préfixés en i- (en tentant

toutefois d'expliquer pourquoi cette dérivation ne touche que le cas datif). Nous l'avons esquissé

plus haut (cf. (127), section 3.3.1) en représentant les arguments syntaxiques exigés par un verbe au

fil de la dérivation. Nous pouvons maintenant représenter la dérivation syntaxique en indiquant

l'assignation des θ-rôles suivant l'idée de R&S :

(N.B. : -les italiques représentent les mots géorgiens

-xel est la racine 'main' sans aucune flexion

-ban est la racine 'laver' sans aucune flexion

-<...> = θ-rôles non-assignés ; [...] = θ-rôles assignés )

(137) banACC<ag-th>

=> banACC-DAT<ag-ben-th> (cf. (127) : ban')

=> VP : [VP banACC-DAT<ag-ben-th>]

=> VP : [VP banDAT<ag-ben> [DP xel[th]]]

=> VP : [VP i-ban<ag-ben> [DP xel[th]]] (cf. (127) : i-ban')

=> IP : [IP dato[ag-ben] [VP i-ban [DP xel[th]]]

=> dato i-ban-s xel-eb-s

dato i-laver-PR.S3s main-PL-DAT

(138) Interprétation :

a. ∃e [laver(e) & ag-ben(e,dato) & th(e,les mains de Dato)]]

b. ∃e [laver(e) & ag(e,dato) & ben(e,dato) & th(e,les mains de Dato)]]

c. “Dato se lave les mains”

79

Page 80: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Sous cette analyse, il n'existe qu'un moyen de rendre compte de l'impossibilité de produire une

relation réfléchie entre un rôle d'agent et un rôle de thème grâce à la préfixation en i-. Nous devons

postuler que tout verbe VACC-DAT<ag-ben-th> doit assigner le cas accusatif au NP qui reçoit le rôle de

thème. i- devient un élément qui, comme SE d'après R&S, absorbe un cas, mais ne peut pas

absorber le cas accusatif. Ainsi nous entrevoyons pourquoi ce type de relations réfléchies ne peut

être exprimé que par tavisi tavi (et i+tavi).

Disons, à propos des critères établis par R&S pour distinguer langues syn et langues lex, que la

dérivation que nous avons présentée ici est une réplique de celle proposée par R&S pour les langues

syn. i- y est vu comme similaire à SE : il intervient au niveau syntaxique pour absorber un cas66.

3.6 i- morphème bénéfactif

Un emploi non-mentionné de i-

Il nous faut mentionner un emploi de i- susceptible de remettre en cause le cheminement que

nous avons suivi jusqu'à maintenant avec Amiridze. Cet emploi est cantonné dans son travail à une

rubrique Other-Directed Benefactive i- and u- in 3-Argument Verbs (pp. 168-169), elle-même

contenue dans une section destinée à lister les emplois problématiques (syncrétiques) de i-. Nous

avons mentionné que cette diversité d'emplois était un problème pour Amiridze en ce qu'elle

empêchait de l'analyser comme un morphème de réflexivisation. Parmi ces emplois, on trouve des

formes comme :

(139) a. k'edel-i i-msxvr-ev-a (inaccusatif)

mur-NOM i-s'effondrer-SUF-PR.S3s

« Le mur s'effondre »

b. saxl-i i-ngr-ev-a (passif synthétique)

maison-NOM i-détruire-SUF-PR.S3s

« La maison est en train d'être détruite »

c. is q'oveltvis i-gin-eb-a (déponent)67

66 Cependant, cette opération, que nous avons appelée 'assignation multiple des rôles', trouve également sa motivation dans le besoin d'expliquer l'existence de prédicats ECM réfléchis.

67 Les déponents sont des verbes d'activité marqués comme non-actifs.

80

Page 81: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

il-NOM tout.le.temps i-jurer-SUF.PR.S3s

« Il passe son temps à jurer »

Mais on y trouve également des formes comme :

(140) is amanat-s ga-m-i-gzavn:i-s ('other-directed benefactive')

il-NOM colis-DAT PV-OI1s-i-envoyer-PR.S3s

« Il m'enverra un colis »

Les exemples en (139) nous sont déjà connus (particulièrement (139)a./(139)b.) : il s'agit des

constructions que nous avions caractérisées, dans le deuxième chapitre, comme non-actives, en

montrant qu'elles pouvaient correspondre aussi bien à des traductions inaccusatives que passives.

Les cas comme l'exemple (140), en revanche, n'ont pas encore été traités. Ils posent question car

ils n'ont pas la morphologie non-active en commun avec les exemples en (139). Au contraire, ce

sont des formes actives, comme les réfléchis en i- que nous avons examinés. Les deux types de

constructions, réfléchie et 'other-directed benefactive', sont très ressemblantes. Comparer (141) avec

(140) :

(141) is amanat-s ga-i-gzavn:i-s

« Il s'enverra un colis »

Ainsi, les formes dites 'other-directed benefactive' ne diffèrent des formes réfléchies que par la

présence d'un marqueur personnel précédant immédiatement i-, et i- seul est la marque des formes

réfléchies.

Un paradigme régulier

Il peut être utile de présenter le paradigme complet d'une de ces formes :

(142) a. man ga-m-i-gzavn-a c'eril-i « Il m'a envoyé une lettre »

81

Page 82: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

b. - - - ga-g-i-gzavn-a - - - « Il t'a envoyé une lettre »

c. - - - ga-u-gzavn-a - - - « Il lui a envoyé une lettre »

d. - - - ga-gv-i-gzavn-a - - - « Il nous a envoyé une lettre »

e. - - - ga-g-i-gzavn-a-t - - - « Il vous a envoyé une lettre »

f. - - - ga-u-gzavn-a - - - « Il leur a envoyé une lettre »

Ce paradigme montre une chose : pour les 3èmes personnes du singulier et du pluriel, en lieu et

place d'une combinaison [[marqueur OI]+[i-]], on trouve simplement une voyelle u-. Cela peut

laisser penser que i- n'est pas un morphème bénéfactif régulier. Nous proposons au contraire de

considérer u- comme la réalisation de cette combinaison68. De cette manière, nous ramenons

l'ensemble du paradigme bénéfactif à des formes comportant i-.

i- morphème bénéfactif

Nous jugeons que i- doit en fait être le morphème normal de la bénéfactivité. Cela implique que

nous devons réinterpréter toutes les occurrences du i- 'réfléchi' examinées précédemment comme

des occurrences de constructions bénéfactives. Nous faisons en (143) un rappel du calcul proposé

dans la section 3.3.1 i- comme stratégie verbale pour rendre compte des formes 'réfléchies' :

(143) [ban] = λxλy. y lave x

[ban'] = λRλxλy. y lave l'objet qui est dans la relation R avec x

[i-ban'] = λRλy. y lave l'objet qui est dans la relation R avec y

où R est une relation possessive/bénéfactive qui tient entre deux individus

(par exemple : 'être la main de')

On voit ici que deux étapes successives, ban' et i-ban', aboutissent à une lecture réfléchie. Nous

avons mentionné rapidement que l'étape ban' était le fruit d'une stipulation visant à augmenter la

grille thématique du verbe, i- ayant la fonction d'absorber le cas datif et d'imposer l'identité des

68 Un fait pouvant peut-être soutenir cette idée est que les marqueurs OI de 3ème personne apparaissent de manière plus irrégulière que ceux des autres personnes : ils peuvent avoir plusieurs réalisations différentes, dont une 'nulle', devant certaines consonnes et devant voyelle. Ainsi, que sa présence ici soit seulement matérialisée par un changement vocalique est plausible.

82

Page 83: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

deux arguments. Postuler cette étape ban' est peut-être problématique, car elle n'est jamais réalisée

dans la langue, mais doit seulement servir d' 'input' à l'opération qui adjoint i-.

Maintenir cette idée alors que nous venons de suggérer que i- était présent régulièrement dans le

paradigme bénéfactif n'est pas économique. En effet, nous devrions alors affirmer que i-, dans les

formes bénéfactives, assure la même fonction que l'item ban' dans les formes 'réfléchies' (la

fonction proprement bénéfactive), et qu'il y perd du même coup sa fonction d'identifier les

arguments (puisqu'elle n'est pas requise).

Nous proposons donc d'intégrer les formes en i-, que nous avons appelées 'réfléchies' jusqu'à

maintenant, dans le paradigme bénéfactif, comme membre supplémentaire. Puisque nous avons

émis l'hypothèse que l'incorporation d'un complexe [[marqueur OI]+[i-]] était caractéristique de

chaque membre de ce paradigme, nous posons qu'une forme en i- seul suppose toujours la présence

d'un élément muet SELF, un morphème non-prononcé prenant la place du marqueur d'objet indirect.

Cet élément serait à considérer comme la seconde anaphore dont le géorgien dispose, à côté de

tavisi tavi, et sa fonction pourrait être définie comme étant identique à SE si l'on parle de la

propriété d'identifier deux arguments, mais distincte de lui eu égard à la fonction principale que

nous avons retenue pour SE : celle d'absorber le cas du verbe. Dans le verbe géorgien, cette fonction

serait assurée par le morphème i-.

Ainsi, la fonction du morphème i-, que nous cherchons à définir prioritairement dans ce

mémoire, ne comporterait plus qu'une dimension, celle d'une sémantique bénéfactive (avec

éventuellement un pendant adversatif), qui n'est à son tour que l'une des deux dimensions de la

fonction remplie par le morphème SE.

3.7 Conclusion

Dans ce chapitre nous avons commencé par aborder le cas de l'anaphore tavisi tavi et avons

montré qu'elle était sensible aux conditions du liage d'une manière assez proche de l'anglais himself.

En discutant les deux stratégies traitées par Amiridze affichant le préfixe i-, nous avons été

amené à faire une proposition sur la contribution sémantique de cet élément. Cet élément

s'adjoindrait à un verbe demandant une relation comme argument et identifierait les deux arguments

individus. Nous avons alors considéré i+tavi comme un cas particulier de i-V, où tavi ferait que

cette relation est la relation d'identité.

Nous avons ensuite constaté comme Amiridze que l'élément i- pouvait difficilement être analysé

83

Page 84: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

dans le cadre de la réflexivité, n'étant ni une anaphore SELF, ni un marqueur lexical de réflexivité.

Nous avons alors tenté de l'analyser dans le cadre de R&S, c'est-à-dire de le voir comme un

morphème agissant sur le cas datif d'un argument bénéficiaire. Par là il nous semblait possible de

'sauver' le caractère réfléchi de i-.

Enfin, nous avons inclus dans notre raisonnement les usages bénéfactifs, mais non-réfléchis, de

i-, et nous en sommes venus à la conclusion que, contre toute attente, i- ne pouvait tout simplement

pas être considéré comme un réflexiviseur. Nous avons donc pris la décision de voir i- comme le

morphème bénéfactif habituel, et ses usages réfléchis comme un cas particulier de version

bénéfactive.

Une implication de cela, que nous avons considérée, est la nécessité de la présence d'un élément

ayant l'interprétation d'un morphème SELF, mais sans contenu prononcé, sans quoi nous ne

pourrions pas déterminer ce qui est responsable de l'interprétation réfléchie des constructions que

nous avons examinées.

84

Page 85: Grammaire géorgienne - Maël Gautier (mémoire M1 linguistique).pdf

Conclusion

Dans ce mémoire, nous avons tenté de décrire le phénomène sémantique de la réflexivisation

d'un point de vue général, avant de prendre une orientation comparativiste en examinant les

réalisations de ce phénomène dans une langue, le géorgien, et en confrontant ces réalisations à celle

que l'on trouve dans d'autres langues, comme l'anglais ou le français.

La manifestation de la réflexivisation est l'identification de deux arguments d'un verbe. Dans le

premier chapitre, nous avons suivi les arguments proposés par deux auteurs, Reinhart & Siloni

(2005), pour qui ce phénomène subsume des opérations et des mécanismes divers. Au-delà des

anaphores comme himself, qu'elles caractérisent comme régies par les conditions de la théorie du

liage, elles postulent une opération, appelée réflexivisation, qui est en réalité la conjonction de deux

sous-opérations. L'une serait lexicale, l'autre syntaxique, et elles seraient respectivement

caractéristiques de l'anglais et du français, par exemple.

La considération d'une telle 'paramétrisation' fait deux prédictions notables. Premièrement, un

contraste de productivité opposerait les verbes réfléchis de ces deux types de langues : en anglais,

les verbes réfléchis forment un groupe fermé et figé au niveau du lexique, tandis qu'en français,

l'opération touche indistinctement tout verbe de la langue. Deuxièmement, il est prédit que

l'opération, quand elle est syntaxique, permet la formation de prédicats ECM réfléchis : des

exemples sont fournis et un compte-rendu technique de cette possibilité est proposé.

Un élément central dans l'étude accomplie par R&S est le clitique verbal SE, dont toutes les

langues romanes disposent. Elles en font une analyse aux implications assez complexes. En effet, si

leur intérêt premier est l'opération de réflexivisation, elles veulent attribuer à SE une fonction qui

soit assez générale, afin que celui-ci participe non seulement aux constructions réfléchies, mais

aussi à toute une série d'autres constructions. SE aurait la fonction d'absorber le cas qu'un verbe doit

assigner, et ce processus se produirait au niveau de la syntaxe. Dans le cas des verbes réfléchis,

selon R&S, un argument interne serait supprimé syntaxiquement pendant que son rôle thématique

serait assigné à l'argument externe, en même temps que le rôle de ce dernier.

L'implication d'une telle analyse de SE est que celui-ci peut apparaître dans de nombreuses

autres constructions, dérivées selon R&S par des opérations tout à fait différentes de ce qu'elles

85

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appellent la réflexivisation : ce sont les opérations qui donnent naissance aux formes inaccusatives

et passives, pour ne citer que les plus notables.

Nous avons vu dans le deuxième chapitre que la première d'entre elles, la décausativisation,

avait pour effet d'éliminer l'argument externe d'un verbe à la fois syntaxiquement et

sémantiquement. SE peut alors être vu comme un morphème empêchant l'assignation du cas

accusatif que le verbe porte, ce qui est cohérent avec la vision établie des inaccusatifs, selon

laquelle un argument du verbe recevant un rôle 'interne' (de thème, par exemple) monte dans une

position externe au syntagme verbal et y reçoit le cas nominatif.

Nous avons également présenté une analyse que l'on peut voir comme alternative à celle de

R&S, et qui a été proposée par Andrew Koontz-Garboden (2008) sous le nom de théorie de

l'anticausativisation. Celle-ci prend comme point de départ des données similaires à celles utilisées

par R&S pour discuter les verbes inaccusatifs. Plutôt que de postuler une opération comme la

décausativisation, qui supprimerait un rôle thématique de la grille d'un verbe, AKG postule que

l'opération qui crée des verbes à interprétation inaccusative à partir d'une base transitive est

identique à celle qui crée des verbes à interprétation réfléchie, et que le morphème associé à cette

opération est SE. La seule action de cette opération est l'identification d'opérateurs présents dans les

représentations sémantiques lexicales attribuées aux verbes individuels. Selon lui, si une telle

représentation contient un opérateur AGENT, le verbe aura une lecture réfléchie quand on lui

adjoint SE, et une lecture inaccusative si elle contient un opérateur EFFECTEUR.

Nous avons considéré cette proposition comme intéressante, car elle est à certains égards plus

économique que celle avancée par R&S : elle ne pose qu'une opération, là où R&S parlent de

réflexivisation et de décausativisation. Cependant, nous avons mentionné qu'elle ne pouvait rendre

compte de la possibilité de prédicats ECM réfléchis, ce qui est une importante lacune.

Pour chacune de ces propositions, nous avons mis en regard avec les données utilisées par les

auteurs des données tirées du géorgien, partant d'une intuition qu'un morphème verbal i-, très

présent dans cette langue, pouvait peut-être remplir une fonction similaire à celle de SE. Nous

avons cependant très rapidement montré que le verbe géorgien possédait un moyen morphologique

dont la présence éventuelle indiquait sans ambiguïté sa nature non-active. Ce moyen est un

circonfixe i-...-eb-a, et dépasse donc le i- seul.

Nous avons alors estimé qu'il était difficile d'attribuer au i- présent dans ce circonfixe une

fonction propre. En prenant le circonfixe i-...eb-a lui-même comme point de comparaison avec SE,

nous ne pouvions que conclure que les deux éléments n'étaient pas de même nature, le premier ne

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pouvant marquer que des formes à sujet dérivé, alors que le second peut s'adjoindre à des verbes

transitifs sans les transformer en verbes inaccusatifs.

Le reste du chapitre a en quelque sorte confirmé ces conclusions en abordant le cas de

l'opération de saturation décrite par R&S. Nous y avons montré que la passivisation avait pour effet

minimal de dé-externaliser l'argument externe d'un verbe, même si elle ne le supprimait pas

sémantiquement. Puis nous avons constaté que le même circonfixe géorgien, i-...eb-a, pouvait

également remplir cette fonction. Qu'aussi bien des formes inaccusatives que passives puissent

avoir recours à cet élément n'est pas surprenant, si l'on considère que son rôle est avant tout

d'indiquer la dé-externalisation de l'argument externe (et non sa suppression).

L'examen de cet ensemble de données géorgiennes ne remet en cause ni les propositions de

R&S, ni celles d'AKG. Bien plutôt, il tend à montrer que l'occurrence de la voyelle i- qui nous a

interessé jusque là ne pouvait être analysée de la même manière que SE, et ce, quel que soit le cadre

adopté.

Dans le troisième et dernier chapitre, nous nous sommes d'abord penché sur un moyen de

produire des interprétations réfléchies en géorgien dont l'on peut rendre compte grâce à la théorie du

liage : l'anaphore tavisi tavi. Nous appuyant sur les données fournies par Amiridze (2006), nous

avons montré qu'elle obéissait à des contraintes comparables à celles auxquelles himself est soumis

en anglais. Au titre des différences observées avec ce dernier, mentionnons le fait qu'il est constitué

d'un possessif lui-même réfléchi, tavisi, qui peut apparaître sans tavi et avoir alors un comportement

différent (vis-à-vis du liage) de l'anaphore nominale tavisi tavi.

Puis nous avons commencé à considérer une autre occurrence de la voyelle i-, très présente

également dans le verbe géorgien, et, de plus, située dans la même position au sein du complexe

verbal. Suivant Amiridze, nous avons mentionné les deux stratégies de réflexivisation dans

lesquelles ce i- est impliqué. Il s'agit premièrement d'une stratégie 'nominale', i+tavi, qui adjoint i-

au verbe et requiert également que le NP tavi, signifiant littéralement « tête », soit placé en position

d'objet direct du verbe, et deuxièmement d'une stratégie 'verbale', dont la seule manifestation est i-.

Nous avons pensé qu'il était judicieux de présenter la stratégie 'verbale' avant la stratégie

'nominale', en raison d'une intuition selon laquelle la seconde pourrait être dérivée de la première.

Des exemples de constructions comprenant des verbes préfixés en i- ont été présentés. Deux

remarques ont immédiatement été faites : premièrement, les formes concernées ne sont pas non-

actives, contrairement aux cas vus dans le deuxième chapitre, elles sont au contraire actives, et

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même transitives ; deuxièmement, elles ne correspondent pas réellement aux verbes réfléchis en SE

que nous avons vus dans le premier chapitre. En effet, bien qu'elles puissent être considérées

comme réfléchies, elles ne seraient traduites dans une langue comme le français que par des formes

où la relation réfléchie tient entre l'agent et le bénéficiaire, et en aucun cas entre l'agent et le thème.

Cependant, nous avons considéré que reconnaître cette possibilité offerte par le verbe géorgien,

l'utilisation d'un morphème verbal i- pour exprimer un certain type de relations réfléchies, était une

avancée importante, qui n'exigeait de nous qu'une stipulation : poser qu'un verbe transitif préfixé en

i- ne pouvait pas ne pas assigner le cas accusatif à son argument interne.

Nous avons ensuite étendu ce résultat à première vue satisfaisant à la stratégie 'nominale',

i+tavi. Il s'est agi de considérer cette dernière comme un cas particulier de la stratégie 'verbale', en

i- seul. Nous avons décrit sa particularité vis-à-vis d'elle comme la présence obligatoire du NP tavi

en position d'objet direct, celui-ci perdant alors sa signification littérale et ayant pour contribution

sémantique la relation d'identité. Nous avons noté qu'une telle analyse ne nécessitait pas de

considérer tavi comme une anaphore, contrairement à la tentative d'Amiridze, et que cela était un

résultat souhaitable. Au niveau interprétatif, nous avons décrit cette construction comme largement

équivalente à la construction en tavisi tavi.

L'étape finale de notre raisonnement a été motivée par la conscience de l'existence d'un 'autre'

emploi de i-, mentionné par Amiridze sous une rubrique 'cas problématiques'. Il s'agit de l'emploi

régulier de cette voyelle dans le paradigme bénéfactif, où elle apparaît immédiatement après un

marqueur personnel d'objet indirect, avec néanmoins un allomorphe u- pour la troisième personne.

Le fait que ce que nous avions appelé jusque là 'réflexivisation en i-' n'ait en réalité couvert que des

cas de réflexivisation dative est cohérent avec ce paradigme bénéfactif, qui par définition n'a pour

éléments variables que les marqueurs d'objets indirects, normalement marqués au datif.

Nous avons alors proposé d'intégrer les formes réfléchies dans ce paradigme, en postulant

l'existence d'un morphème SELF, une anaphore non-prononcée, remplissant la fonction de

réflexiviseur proprement dite, et laissant la fonction de réducteur de cas au morphème i-.

En résumé, au terme de notre recherche, effectuée sur un ensemble de données géorgiennes, il

s'avère que nous n'avons pas pu répondre par la positive à la question : existe-t-il en géorgien un

morphème équivalent au SE des langues romanes, tel qu'il est décrit par R&S ? Nous avons

identifié deux séries d'occurrences d'une voyelle i-, dont la première n'a pour l'instant pas pu être

définie comme élément pleinement autonome. Cependant, nous avons pu constater au moins sa

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présence et son implication presque systématiques dans un complexe plus large i-...-eb-a, que nous

pensons, lui, avoir correctement défini comme marqueur de la voix non-active.

Mais cette fonction n'est pas celle de SE.

La deuxième série d'occurrences de la voyelle i- nous a montré que celle-ci ne pouvait être dite

correspondre à SE que dans la mesure, limitée, où l'un comme l'autre absorbent le cas. Mais i-

apparaît selon nous dans toutes les formes bénéfactives, et pas seulement réfléchies, tandis que SE,

bien qu'il absorbe également le cas en tant que morphème bénéfactif, a une distribution plus

restreinte puisqu'il n'apparaît de toute évidence jamais dans des formes simplement bénéfactives : si

d'aventure un verbe auquel on adjoint SE demande à l'origine deux arguments, l'identification de ces

arguments aura lieu.

Nos résultats sont en grande partie ceux d'une enquête empirique et comparative : ils tendent à

clarifier la situation qui prévaut dans une langue donnée, le géorgien, en mettant à profit des notions

théoriques et techniques élaborées en interrogeant d'autres langues. Sur un plan assez personnel, ces

résultats tendent également à conférer aux notions évoquées, à nos yeux, un très grand relief, et à

nous faire ressentir le besoin de découvrir, dans l'avenir, de possibles généralisations concernant les

morphèmes impliqués dans les formes réfléchies. Dans des cas comme celui de SE, notamment,

nous devrons approfondir les implications des deux termes du choix suivant : définir une

sémantique de SE, ou bien définir des opérations sémantiques indépendantes de SE.

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Annexes

Annexe 1 : Aperçu grammatical

Le nom

Le géorgien connaît sept cas : le nominatif, l'ergatif, le datif, le génitif, l'instrumental, l'adverbial

et le vocatif.

Il existe plusieurs classes de noms, dont la grande majorité arbore un -i final au nominatif (la

forme de citation). Cette classe, la 1ère classe, est la classe des noms à radical consonantique. Les

2ème et 3ème classes sont celles des noms à radical vocalique et sont constituées respectivement de

noms en -a/-e et de noms en -o/-u. Nous présentons ci-dessous la déclinaison de chacune des

classes.

• Système casuel :

Suivent les déclinaisons des noms k'ac-i («homme»), deda (« mère ») et gogo (« fille », au sens

de « jeune femme ») :

I II III

Nominatif k'ac-i deda gogoErgatif k'ac-ma deda-m69 gogo-mDatif k'ac-s deda-s gogo-sGénitif k'ac-is ded-is gogo-sInstrumental k'ac-it ded-it gogo-tiAdverbial k'ac-ad ded-ad gogo-dVocatif k'ac-o deda-v gogo-v

69 L'allomorphe de la désinence -ma quand celle-ci est précédée d'une voyelle est -m. Par exemple, nino => nino-m.

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On voit que chaque classe est caractérisée par une interaction différente entre les radicaux et les

désinences.

Parmi ces cas, le datif, l'ergatif et, dans une moindre mesure, l'adverbial, méritent quelques

remarques (les autres cas ont strictement les mêmes fonctions que dans des langue comme le latin,

l'allemand ou le russe) :

-le datif :

Ce que toutes les grammaires du géorgien (qu'elles soient géorgiennes ou étrangères) appellent

'datif' correspond en réalité à la fois à ce que l'on appelle 'accusatif' et 'datif' dans la plupart des

langues européennes. En effet, il n'y a aucune différence formelle entre ces deux cas en géorgien :

c'est la même désinence -s qui est utilisée.

Pour rappel, l'accusatif est le cas de l'objet direct, tandis que le datif est celui de l'objet indirect

(ou oblique, ou prépositionnel dans beaucoup de langues, comme par exemple le cas de la

préposition mit, « avec », en allemand). Le géorgien possède lui aussi des adpositions qui régissent

le datif, comme les suffixes -ši (« dans ») et -tan (« (ensemble) avec »).

-l'ergatif :

Ce cas est réservé aux sujets des verbes transitifs et inergatifs au temps aoriste. Nous présentons

plus bas des arguments tirés de Amiridze (2006) allant à l'encontre d'une caractérisation de ce cas

comme étant réellement l'ergatif.

-l'adverbial :

L'adverbial est fréquemment utilisé là où d'autres langues utilisent un autre moyen (les suffixes

-ment en français, -ly en anglais etc.). Bien des formes en -ad pourraient également être traduites

par des périphrases en « comme... ». Si l'on s'en tient à cette analyse en termes de cas, la partie du

discours que l'on appelle 'adverbe' est extrêmement réduite en géorgien.

• Autres catégories :

-le nombre : le pluriel se manifeste en géorgien par un suffixe analytique, -eb-. Il s'insère entre

la racine et la désinence de cas. Sa forme reste toujours la même (il n'est jamais sujet à une

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réduction, par exemple). En revanche, s'il est présent au sein d'un nom de classe II ou III, le nom

aura la forme nominative en -i, c'est-à-dire qu'il suivra le paradigme de classe I. Par exemple :

deda => ded-eb-igogo => gogo-eb-i

-le genre : le genre n'est pas une catégorie en géorgien ; il ne se manifeste dans aucune partie du

discours.

Le verbe

Le verbe est la partie du discours où s'exprime le mieux la complexité de la langue géorgienne.

Nous n'en donnons ici qu'un très bref aperçu.

• Expression de la personne et du nombre du sujet :

Le verbe géorgien est connu pour être polypersonnel, c'est-à-dire pour exprimer à la fois le

sujet, l'objet direct et l'objet indirect en son sein. L'objet direct de troisième personne étant muet,

nous présentons ci-dessous la conjugaison d'un verbe transitif au présent en ne faisant varier que

l'expression du sujet70 :

v-c'er « je l'écris» v-c'er-t « nous l'écrivons » c'er « tu l'écris » c'er-t « vous l'écrivez » c'er-s « il l'écrit » c'er-en « ils l'écrivent »

Parmi les éléments variables (apparaissant ici en gras), on distingue plusieurs phénomènes :

-un préfixe v- indique la première personne-deux suffixes, -s et -en encodent à la fois la 3ème personne et une indication de nombre-l'absence du préfixe v- ou de l'un des deux suffixes -s et -en indique la 2ème personne-un suffixe -t indique le pluriel aux 1ère et 2ème personnes

Nous établissons l'existence de deux groupes de marqueurs :

- v- et -t forment un groupe de marqueurs analytiques : ils n'expriment qu'une seule information- -s et -en forment un groupe de marqueurs synthétiques : ils expriment plus d'une information

70 Ces formes peuvent avoir une lecture intransitive.

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Cela devient évident quand on compare ces formes à celles de l'aoriste :

da-v-c'er-e « je l'ai écrit » da-v-c'er-e-t « nous l'avons écrit »da-c'er-e « tu l'as écrit » da-c'er-e-t « vous l'avez écrit »da-c'er-a « il l'a écrit » da-c'er-es « ils l'ont écrit »

Ici, nous avons indiqué en gras ce qui était nouveau par rapport au présent (sauf le préverbe

da-), et l'on voit que les éléments v- et -t sont toujours présents et ont toujours la même fonction,

tandis que d'autres éléments sont apparus : les désinences -e, -a, et -es. -e ne distingue pas la 1ère et

la 2ème personne, mais est en opposition à -a et -es, qui expriment tous deux la 3ème personne.

Comme au présent, ces deux derniers encodent également une distinction de nombre.

Ces remarques constituent le minimum essentiel de ce que l'on peut dire sur l'expression du

sujet dans le verbe géorgien au présent et à l'aoriste71.

• Expression de l'objet direct :

Concernant l'expression de l'objet dans le complexe verbal, notons que l'expression de l'objet

direct et de l'objet indirect diffèrent grandement. Les formes que ce dernier peut prendre sont une

question particulièrement complexe en comparaison avec celles de l'objet direct. Nous présentons

ci-dessous une conjugaison où la personne et le nombre de l'objet direct varient, tandis que le sujet

est à la 3ème personne du singulier :

m-xed-av-s « il me voit » gv-xed-av-s « il nous voit »g-xed-av-s « il te voit » g-xed-av-s-t72 « il vous voit » xed-av-s « il le voit » xed-av-s « il les voit »

On voit ici que les 1ère et 2ème personnes du pluriel ne sont plus exprimées d'une manière

parallèle, comme c'était le cas pour le sujet : la 1ère personne du pluriel objet est exprimée par un

préfixe à part : gv-, tandis que la 2ème personne du pluriel utilise le même préfixe, g-, que pour

celle du singulier, mais en lui ajoutant -t.

Notons que contrairement à l'expression du sujet, l'expression de l'objet direct reste inchangée à

l'aoriste : on peut dire que l'objet direct n'est rendu que par des morphèmes analytiques (ou l'absence

de morphèmes pour la 3ème personne).

71 Un autre aspect essentiel concerne l'expression des sujets-expérienceurs, qui sont sujets au phénomène de l'inversion. Des structures parallèles au français littéraire « Il me tarde » ou « Peu me chaut » sont la norme pour les structures à sujet-expérienceur du géorgien. Ceci dépasse notre aperçu et ce mémoire.

72 Ceci est un exemple de la « compétition des morphèmes verbaux » : -s disparaît au profit de -t.

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• Séries :

Ce que nous avons appelé ici 'présent' et 'aoriste' sont des conjugaisons. Cependant, ces deux

termes désignent également des 'séries'. La série du présent contient en réalité six conjugaisons,

dont la deuxième la plus notable après le présent est le futur. La série aoriste, quant à elle, contient

deux conjugaisons, dont la seconde est l'optatif (ou subjonctif aoriste).

Nous n'allons pas donner les formes de ces conjugaisons, mais indiquons seulement qu'il existe

une relation de dérivation entre chacune d'elles à l'intérieur de chaque série. Ainsi, le futur est dérivé

du présent par l'ajout d'un préverbe73 à celui-ci. Par exemple :

v-c'er « je l'écris » => da-v-c'er « je l'écrirai »

Notons que l'aoriste requiert également la présence du préverbe, mais qu'il n'est pas dérivé de la

série du présent.

Il existe une troisième série, celle du parfait, comprenant trois conjugaisons (dont l'une est

aujourd'hui tombée en désuétude). Cette série est caractérisée par le phénomène de l'inversion des

fonctions grammaticales de sujet et d'objet direct et par une sémantique complexe, ce qui rendrait sa

description ici inappropriée.

• Suffixes verbaux 'lexicaux' :

Il existe une série de suffixes que nous appellerons 'lexicaux', car ils sont fixés définitivement

pour chaque verbe. Nous donnons ci-dessous un exemple de verbe pour chacun de ces suffixes :

- -∅ : c'er-∅ « tu écris »- -i : targmn-i « tu traduis »- -av : xat'-av « tu peins »- -am: sv-am « tu bois »- -eb : a-tav-eb « tu termines »- -ob : pikr-ob « tu penses »- -ev : a-ngr-ev « tu détruis »

Les suffixes lexicaux ont la caractéristique d'être présents dans toutes les formes de la série

73 Le préverbe est lexicalement déterminé. Pour l'immense majorité des verbes, ses propriétés sont temporelles et/ou aspectuelles. Seuls certains verbes de mouvement peuvent se voir attacher n'importe quel préverbe, car ceux-ci prennent alors une connotation spatiale (qui constitue leur sémantique d'origine).

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présent, et absents dans toutes les formes de la série aoriste (-ev, toutefois, laisse derrière lui un

réflexe -i).

• Transitifs et inergatifs

Le géorgien possède une classe de verbes, que Tschenkéli (1958) appelle Mittelverben (« verbes

moyens »), et dont la plupart des membres sont inergatifs. Beaucoup d'entre eux sont des verbes

dénominaux et portent le suffixe lexical -ob, comme sc'avl-ob « tu étudies », dérivé du substantif

sc'avl-i74.

La morphologie des verbes inergatifs géorgiens est assez aisément circonscrite : ce sont soit des

Mittelverben, soit des verbes transitifs habituels avec une lecture d'objet implicite. Il est crucial de

comprendre que la morphologie en (i)-...-eb-a, que nous avons analysée dans ce mémoire, ne peut

pas recevoir une interprétation inergative.

Annexe 2 : guide pour la lecture des gloses

Nous utilisons dans les gloses les abréviations suivantes :

-noms de cas :

NOM nominatifERG ergatifDAT datifGEN génitifINSTR instrumentalADV adverbial

-fonction, personne et nombre :

S sujetOD objet direct

74 Cette classe verbale est, selon Tschenkéli, déficiente, en ce qu'elle construit toutes ses formes hors présent (hors de la conjugaison présent) selon le modèle des verbes transitifs en -eb.

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OI objet indirect1, 2, 3 personnes, p nombre

-temps et mode :

PR présentAOR aoristeOPT optatif

-autres :

PV préverbeMASD masdarPL plurielSUF suffixe verbal (formes non-actives uniquement).PPas participe passé (passif)ADJ adjectif (terminaison adjectivale)COP copulePOSS(.REFL) possessif (/poss. réfléchi)CAUS causatif (morphème)

Conventions :

• Représentation des phrases géorgiennes :

Tous les morphèmes se voient séparés les uns des autres par un tiret, sauf :

-les suffixes lexicaux, séparés des racines par un double point, afin de mettre en

évidence leur soudure

-certaines occurrences d'un a- pré-racine, sémantiquement vide, mais distinct à la fois

des préverbes et des racines ; il peut tomber dans certaines conditions, mais quand il

est présent, rien ne peut le séparer de la racine

-les divers constituants des participes passés, eux aussi soudés

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• Gloses :

-les racines sont traduites par des infinitifs

-quand un seul morphème exprime plusieurs notions, celles-ci sont séparées par un point ;

c'est ainsi que nous rendons justice aux désinences synthétiques de temps/mode/personne/nombre

comme -a, glosé « AOR.S3s » ; dans les formes de 1ère personne de l'aoriste, nous rendons -e par

« AOR.S1s », même si, en fait, « S1s » est déjà présent sous la forme du préfixe v- : cette

redondance permet de rappeler que -e contient tout de même une information de personne (« non-

S3s/p »)

-les suffixes verbaux de formes actives et leurs éventuels réflexes dans les masdars restent

non-glosés

-les préverbes, étant presque toujours sémantiquement vides, sont simplement glosés « PV »

-le futur n'est pas indiqué, car il est le produit de la désinence du présent et de la présence

d'un préverbe

Annexe 3 : l'ergativité du géorgien en question

Nous présentons ici des arguments allant à l'encontre de l'idée que le géorgien est une langue

ergative. Ils sont tirés de Amiridze (2006).

Le schéma habituel des langues ergatives est le suivant : le sujet d'un verbe transitif reçoit un

cas qui lui est dédié (appelé cas ergatif), tandis que le sujet d'un verbe intransitif (inaccusatif ou

inergatif) et l'objet direct d'un verbe transitif reçoivent un autre cas (appelé cas absolutif).

Soient les exemples suivants, à l'aoriste :

a. k'ac-ma da-čex-a šeša

homme-ERG PV-couper-AOR.S3s bois-NOM

« L'homme a coupé du bois »

b. k'ac-ma i:t'ir-a

homme-ERG pleurer-AOR.S3s

« L'homme a pleuré »

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c. k'ac-i c'a-vid-a

homme-NOM PV-partir-AOR.S3s

« L'homme est parti »

En a., la glose indique que le sujet reçoit le cas ergatif. L'objet direct, lui, reçoit un cas appelé

nominatif, et non absolutif. Même si le terme n'est pas le terme habituel, il s'agit tout de même d'un

cas différent de celui du sujet (avec de plus une connotation de 'cas le plus basique du système', ce

qui est cohérent avec l'idée que le géorgien est une langue ergative).

En c., on a affaire à un verbe inaccusatif, et le sujet est marqué au même cas que l'objet direct en

a.

Le cas problématique est b., où le verbe est intransitif (inergatif), mais où contrairement à c., le

sujet est marqué au cas dit ergatif. Cela ne correspond pas au schéma ergatif, mais au schéma actif,

qui regroupe les transitifs et les inergatifs en exigeant que les sujets des uns et des autres soient

marqués par un même cas.

Il existe, en plus des schémas ergatif et actif, un schéma nominatif (la norme parmi les langues

européennes). Celui-ci distingue le sujet de l'objet direct, indépendamment de la nature du verbe

(transitif, inergatif, inaccusatif) : le sujet sera toujours au cas nominatif, tandis que l'objet direct sera

toujours marqué par un autre cas, le cas accusatif.

Les exemples ci-dessus montrent que le géorgien n'est pas non plus une langue nominative, dans

la mesure où dans cette langue, un sujet peut être marqué par un cas autre que le nominatif (ici le

cas appelé 'ergatif'), et un objet direct par un cas autre que l'accusatif.

Les exemples que nous venons d'utiliser sont à l'aoriste, et les formes de ce temps suggèrent que

le géorgien est une langue active. Cependant, le temps présent/futur appelle d'autres

commentaires. Sans qu'il soit nécessaire de donner d'autres exemples, mentionnons simplement qu'à

ce temps, le marquage du cas en géorgien est exactement identique au schéma nominatif (une

différence, peut-être superficielle, avec les langues nominatives est que l'on appelle toujours 'datif'

le cas que reçoit l'objet direct d'un verbe transitif, et non 'accusatif'; par ailleurs, ce 'datif' est

également le cas de l'objet indirect au présent/futur et à l'aoriste, chose à laquelle l'on est plus

accoutumé)

Enfin, le temps parfait offre les faits suivants :

a. k'ac-s mo-u-k'l:av-s datv-i

homme-DAT PV-u-tuer-PR.S3s ours-NOM

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« L'homme a (apparemment) tué l'ours »

b. k'ac-s u-t'ir-i-a

homme-DAT u-pleurer-PF-COP.PR.S3s

« L'homme a (apparemment) pleuré »

c. k'ac-i mo-m:k'vd:ar-a

homme-NOM PV-mourir.PPas-COP.PR.S3s

« L'homme est (apparemment) mort »

Contrairement aux exemples précédents, ici le cas du sujet chez les transitifs et inergatifs n'est

plus l' 'ergatif', mais le datif. Cependant, comme à l'aoriste, ils ont un comportement commun, et qui

s'oppose à celui du sujet des inaccusatifs. On ne trouve donc pas non plus ici un schéma ergatif,

mais plutôt un schéma actif.

Le géorgien n'est donc ni une langue ergative, ni une langue 'split-ergative', selon l'analyse

d'Amiridze. Elle serait davantage une langue 'split-nominative-active', nominative en ce qui

concerne le temps présent/futur, et active en ce qui concerne les temps aoriste et parfait.

Il semble que les noms donnés aux cas en géorgien ne reflètent pas pleinement les analyses

grammaticales générales que l'on peut fournir pour cette langue : ainsi du 'datif', qui remplit, au

temps présent/futur, la fonction de l'accusatif bien connue (en plus de celle du datif), et ainsi

également de l' 'ergatif', qui marque les sujets inergatifs à l'aoriste, contrairement à la classification

établie.

Pour conclure, la présence en géorgien d'un temps qui affiche un schéma casuel typiquement

nominatif (présent/futur) nous autorise, au moins dans ce cas précis, à fournir une analyse des

constructions passives et inaccusatives (la saturation et la décausativisation de R&S) similaire à

celle que l'on fournit pour des langues européennes plus fréquemment étudiées. Parler d'une

absorption du cas accusatif dans ces constructions en géorgien nous semble dès lors acceptable. La

situation est sans doute plus complexe quand il s'agit d'analyser ces constructions aux temps aoriste

et parfait, puisque les formes actives de ces temps n'assignent pas de cas accusatif. Ces questions

doivent donc être laissées à d'autres travaux.

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Références bibliographiques

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-Amiridze, Nino : Georgian Reflexives in Subject Function in Special Contexts. Extended abstract in Workshop on Binding Theory and Invariants in Anaphoric Relations (hosted by HPSG'2005): Workshop Notes, A. Branco, F. Costa, and M. Sailer (eds), 1-5. University of Lisbon, Technical Report DI-FCUL TR-05-11.

-Amiridze, Nino : Reflexivization Strategies in Georgian. LOT Dissertation Series 127. Utrecht, Netherlands, 2006.

-Abuladze, Lia et Andreas Ludden : Lehrbuch der georgischen Sprache. Buske, Hamburg, 2006.

-Fähnrich, Heinz : Kurze Grammatik der georgischen Sprache. Verlag Enzyklopädie, Leipzig, 1987.

-Harris, Alice C. : Georgian Syntax. Cambridge University Press, Cambridge, 1981.

-Klimov, Georgij A. Einführung in die kaukasische Sprachwissenschaft. Aus dem russischen übersetzt und bearbeitet von Jost Gippert. Hamburg: Helmut Buske Verlag, 1994, pp. 88-134

-Koontz-Garboden, Andrew : Anticausativization. Natural Language and Linguistic Theory 27:77-138, 2008.

-Reinhart, Tanya : The theta system: syntactic realization of verbal concepts. OTS working papers, 2000.

-Reinhart, Tanya et Eric Reuland : Reflexivity. Linguistic Inquiry, 24:657–720, 1993.

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-Samsel, John : A Role and Reference Grammar Analysis of Georgian Morphosyntax. University of California at Davis MA Thesis, 1992.

-Tschenkéli, Kita : Einführung in die georgische Sprache. Zwei Bände. Amirani Verlag, Zürich, 1958.

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Remerciements

Je souhaite remercier un certain nombre de personnes qui n'ont parfois RIEN à voir les unes avec les autres. L'ordre a un sens à certains endroits, mais pas à d'autres. Avec ça...

Professeurs : Orin Percus, Ali Tifrit, Hamida Demirdache, Nicolas Guilliot, Olivier Crouzet, Anne Croll, Maela Revolt, Jean-Pierre Angoujard, Sébastien Motta, Léa Nash

Doctorantes : Oana Lungu, Hongyuan Sun, Dafina Ratiu, Ji-Young Choi

A la fac : Agnieszka Duniec, Mohammed Abuodeh, Damien Bianco, Sophie Moracchini, Lucas Tual, Mélanie, Nathalie, Catherine, Jérémy Zehr, Claudie Guyon, Typhanie Prince, Hanh Nguyen, Boubakar Sidiki-Diarra. Laurence Voeltzel.

Amis, potes, connaissances : Timothée Blit, Florian Piton, Fabrice Marchal, Jerry Brusco, Yasser Abou El-Hassan Chafik, Ronan Guérin, Nolwenn Guérin, Lionel Frener, Thibaut, Simona Launikonyte, Anna Morvant

Famille : mes parents Philippe et Eliane Gautier, ma grand-mère Elizabeth Bouvais, mon grand-père défunt Michel Gautier, mon oncle Michel Gautier, mes cousines Flora Doressamy et Kohava Taïeb-Sade

Au boulot : Fabrice Desbois, Sonya, Hugo, Maureen, Orianna, Benjamin, Laura, Justine, Gladys, Marie

Autres : Jacques Guihard, Marcelle Maugin, Jacques Cheminade

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