Gambini

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n° 08 mai 2013 POINT SUD les études du CNCD-11.11.11 Les mécanismes de l’injustice fiscale mondiale © Gus Estrella 2012 par Antonio Gambini, Chargé de recherche Financement du développement au CNCD-11.11.11

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  • n 08mai 2013

    POINT SUDles tudes du CNCD-11.11.11

    Les mcanismes de linjustice fiscale mondiale

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    par Antonio Gambini, Charg de recherche Financement du dveloppement au CNCD-11.11.11

  • 02

    1/ introduction 02

    2/ fiscalit et dveloppement 03

    3/ larchitecture institutionnelle internationale en matire fiscale 08

    4/ la lutte officielle contre les paradis fiscaux 10

    5/ les traits fiscaux internationaux 15

    6/ la fiscalit des entreprises multinationales 22

    7/ les conseils fiscaux 28

    8/ conclusion 31

    9/ les recommandations du CNCD-11.11.11 aux dcideurs politiques belges et europens 32

    10/ lectures conseilles 33

    Lobjet de la prsente tude est le lien entre la question de lajustice fiscale mondiale et le dveloppement. Nous croyonsquaujourdhui le systme international tel quil existe organise unvritable scandale mondial aux dpens des populations du mondeentier et du Sud en particulier.

    Nous verrons en premier lieu quelles sont les estimations debesoins de financement pour lutter contre la pauvret et contre lerchauffement climatique. Ces chiffres seront mis en relation avecles estimations des flux illicites sortant des pays en dveloppement(PED), dont le moteur principal est la volont de se soustraire limpt.

    Ensuite nous esquisserons les lments de la gouvernance mondialeactuelle en matire fiscale pour en identifier les acteurs principaux,notamment le club des pays industrialiss que reprsente lOCDE etles Institutions financires internationales (FMI et Banque mondiale)rgies par le principe un dollar, une voix.

    Le G20 a dcrt officiellement depuis 2009 une guerre contreles paradis fiscaux, dont nous essaierons de dcrire les tapes etles rsultats, ce stade peu convaincants.

    Les traits en matire fiscale ressortent de deux grandes catgories,les conventions de prvention de la double imposition et les accordsdchange dinformation en matire fiscale, dont nous tudierons laporte et les effets. La prvention de la double imposition setransforme dans la plupart des cas en une vritable double exemptionfiscale au bnfice de certains contribuables privilgis, alors queles accords dchanges dinformations sur demande promus parlOCDE se rvlent totalement inadquats pour dtecter fraude etvasion fiscales.

    La fiscalit des entreprises multinationales est une des sourcesprincipales de dperdition de ressources fiscales. Nous tudieronslencadrement juridique international de la question, qui permetaujourdhui certaines multinationales de rduire leur contributionfiscale des niveaux proches du taux de zro pourcent desbnfices, et les diffrentes pistes de progrs et de solution.

    Enfin, avant de conclure et de proposer des recommandations auxdcideurs politiques belges et europens, nous voquerons laquestion des activits de conseil en matire fiscale destinationdes pays du Sud entreprises par la Banque mondiale et le Fondsmontaire international (FMI). Pour lessentiel, sous couvertdefficacit conomique, ces institutions prnent un modle fiscalinjuste qui protge les personnes les plus riches et les grandesentreprises, aux dpens des petites et moyennes entreprises (PME)et de la majorit pauvre de la population.

    sommaire 1/ introduction

  • La satisfaction des besoins essentiels de la population, lradicationde la pauvret et donc le respect des droits humains dans leursdimensions conomique et sociale sont des objectifs qui demandentdes moyens.

    De plus, le phnomne de rchauffement climatique mondial vientencore alourdir la facture pour les pays du Sud, qui doiventmobiliser des ressources pour permettre ladaptation aux effetsdes changements climatiques et pour contribuer aux efforts delimitation des missions de gaz effet de serre1.

    Le rapport des Nations Unies, intitul tude sur la situationconomique et sociale 20122 estime un millier de milliards dedollars US par an les investissements ncessaires pour faire faceaux enjeux climatiques et sociaux dans les prochaines dcennies.

    Les Objectifs du millnaire pour le dveloppement (OMD) visentdes progrs significatifs mais partiels lhorizon 20153. Lesbesoins de financement sont nanmoins considrables. AinsilOCDE estime que 60 milliards de dollars sont ncessairesannuellement pour raliser les seuls OMD lis la sant4.

    Or, les flux illicites de capitaux, sortant des pays en dveloppement(PED) pour se diriger ailleurs (typiquement vers les paradis fiscauxet les pays dvelopps) sont une des sources principalesdappauvrissement des pays du Sud.

    La comparaison de ces sorties financires (flux illicites sortants,service de la dette publique et profits expatris lgalement) et des entres financires des PED (aide publique au dveloppement-APD, argent envoy dans le pays dorigine par les travailleursmigrants-remittances en anglais, investissements directs trangers-IDE, prts entrants) conduit au constat que les flux illicitesreprsentent la source dappauvrissement la plus stable et la

    2/ fiscalit et dveloppement

    plus importante de ces pays. Les flux dinvestissements privs(investissements directs trangers et investissements deportefeuille) peuvent tre trs importants mais sont marqus parune grande volatilit pro-cyclique. Enfin, les prts et empruntspublics donnent aujourdhui des rsultats trs contrasts : les pays en dveloppement qui peuvent se le permettre accumulentmassivement des rserves de change, quils placent en partie dans des titres de dette publique tats-unienne et europenne,notamment pour viter le risque de devoir nouveau faire appel auFMI et ses conditionnalits en cas de besoin de devises; les paysplus pauvres sont partiellement sortis de la spirale infernale de ladette, suite aux oprations dallgement de la dette et la haussedes prix des matires premires, mais recommencent sendetteret sexposent donc au risque dune nouvelle dette insoutenable.

    Les flux illicites contribuent donc grandement expliquer la ralitde la persistance dune concentration de populations vivant dansle dnuement et la misre dans les pays en dveloppement,malgr des dcennies de coopration au dveloppement et delutte contre la pauvret.

    03

    1/ Voir notamment Gambini, A., Financer la lutte contre le rchauffementglobal: les marchs financiers au secours du Sud ?, CNCD-11.11.11, PointSud n3, novembre 2011, http://www.cncd.be/Financer-la-lutte-contre-le

    2/ UNDESA, World Economic and Social Survey 2012. In Search of NewDevelopment Finance, 2012, http://www.un.org/en/development/desa/policy/wess/wess_current/2012wess.pdf

    3/ Voir notamment Zacharie, A., Les objectifs du millnaire : un bilan critique 10 ans aprs leur adoption, CNCD-11.11.11, Point Sud n 0, septembre 2010,http://www.cncd.be/Les-objectifs-du-millenaire-un

    4/ Stijns, J.-P. et al., Can we still achieve the Millenium Development Goals?From costs to policies, OCDE, 2012

  • 04 / fiscalit et dveloppement

    Un des plus grand spcialistes de ces flux illicites, Raymond Baker,les divise en trois composantes : la corruption, estime hauteurde 3% du total, 30 35% issus dactivits criminelles en toutgenre et enfin 60 65% rsultant de manipulations commerciales(falsification totale ou partielle du prix dchanges transfrontaliersde biens ou services par les entreprises)6.

    Une autre faon, complmentaire, denvisager ces flux est deconsidrer quils ressortent des trois catgories suivantes :

    1/ lexpatriation des revenus dactivits illgales et criminelles(corruption, trafics), 2/ lexpatriation de capitaux par des personnes physiques aises, 3/ le dplacement hors du territoire national de profits engrangspar des personnes morales (les entreprises multinationales dansla plupart des cas).

    La dimension fiscale se retrouve deux niveaux, celui du mobile etcelui des rsultats. La volont de se soustraire leffort contributifnational constitue la motivation principale de lexpatriation de

    ces ressources. Cette supposition est souvent conteste.Certainement la volont de se soustraire la justice rpressive parla dissimulation est la motivation du premier des flux, bien plus quecelle dviter une ponction fiscale. Quant aux deux autrescatgories, la question est en ralit relativement sans intrt, carquelles que soient les motivations du mouvement de capitaux, lersultat est le mme: une diminution des revenus dclars auxautorits fiscales du pays dorigine, et donc une diminution deressources publiques la disposition des autorits des PED.

    Selon lestimation la plus rcente de lONG Global FinancialIntegrity (GFI), ces flux illicites seraient de lordre de 775 milliardsde dollars en 20097 pour lensemble des PED. Ndikumana et Boycecalculent une moyenne de 115 milliards de dollars de flux illicitesrien que pour les 33 pays dAfrique subsaharienne sur la priode1970-20108. Enfin le PNUD9 calcule que les pays les moinsavancs (PMA, les pays en dveloppement les plus pauvres) ontperdu 26,3 milliards de dollars en 2008, soit presque 5% de leurPIB10. Lensemble de ces estimations fait tat dune tendancelourde laugmentation, particulirement depuis lan 2000.

    ENCADR 1

    LES ENTRES ET SORTIES DE CAPITAUX (EN POURCENTAGE DE PIB) DANS LES PAYS EN DVELOPPEMENT (PED) ET LES PAYS BAS REVENU (PBR), CALCULES EN 2012 PAR JESSE GRIFFITHS 5

    PED PBR

    Emprunts privs (2010) +1,80% nd

    Remittances (2009) +1,50% +4,90%

    IDE (2011) +1,30% +1.60%

    Emprunts publics (2010) +0,70% nd

    APD (2011) +0,60% +10%

    Investissements de portefeuille (2010) +0,60% 11%

    Flux illicites (2009) 4,30% 3%

    Prts publics (2010) 4,70% nd

  • 8/ Boyce J. & Ndikumana L, Capital Flight from Sub-Saharan AfricanCountries: Updated Estimates, 1970 2010, University of Massachusetts,Amherst, octobre 2012, http://www.peri.umass.edu/fileadmin/pdf/ADP/SSAfrica_capitalflight_Oct23_2012.pdf

    9/ Programme des Nations Unies pour le dveloppement

    10/ UNDP, Illicit financial flows from the least developed countries: 1990-2008, mai 2011, http://www.undp.org/content/dam/undp/library/Poverty%20Reduction/Trade,%20Intellectual%20Property%20and%20Migration/FINAL%20_IFFs_from_LDCs.pdf

    11/ Ibid., p. 10

    5/ Griffiths, J., Development finance where does it come from?, blog Eurodad,13 dcembre 2012, http://eurodad.org/1544219/; voir galement Griffiths, J.,Global financial flows, aid and development, CONCORD & Aid Watch, mars 2013

    6/ Baker, R., Plundering a continent, dans Minter, W. et Scarnecchia, T.,Africas capital losses: what can be done?, Concerned africa scholars bulletinn87, automne 2012, p. 60.

    7/ Kar, D. et Freitas, S., Illicit financial flows from developing countries overthe decade ending 2009, GFI, dcembre 2011, http://www.gfintegrity.org/sto-rage/ gfip/documents/reports/IFFDec2011/illicit_financial_flows_from_deve-loping_countries_over_the_decade_ending_2009.pdf

    GRAPHIQUE 1

    ESTIMATION DES FLUX ILLICITES SORTANT DES PAYS LES MOINS AVANCS (PMA) SELON LE PNUD 11

    10000

    0

    5000

    15000

    1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

    Source : PNUD

    USD millions

    20000

    25000

    Year

    IFF Normalized IFF Non-Normalized

    30000

  • 06 / fiscalit et dveloppement

    LONG Christian Aid value 160 milliards de dollars US les pertes fiscales annuelles des PED lies uniquement aux mani-pulations de prix des changes de biens13, alors que GFI arrive au chiffre infrieur mais comparable de 98 106 milliards, qui sexplique notamment par la prise en compte uniquement desoprations transfrontalires dont le prix a t manipul et non decelles qui sont compltement fictives. Sans prendre en compteles oprations dchanges de services, ce chiffre ne reprsentepas moins de 4,4% du total des ressources fiscales des PED14.

    On en vient alors une deuxime faon dapprhender le pro-blme dans son ensemble. Les statistiques officielles dmontrent

    de faon constante que le ratio recettes fiscales/PIB des paysdvelopps est beaucoup plus lev que celui des PED. Pourtant,selon un rapport crit par le FMI, la Banque mondiale, les NationsUnies et lOCDE la demande du G2015, augmenter ce ratio de4% permettrait certains PMA datteindre les OMD.

    Trois phnomnes permettent dexpliquer cette diffrence. Unchoix politique de socit peut expliquer thoriquement quunpays dcide souverainement de consacrer une part moins impor-tante de ses revenus la solidarit nationale. Nous considronscependant que dans des ralits o les droits humains socio-co-nomiques sont systmatiquement bafous (accs aux soins de

    GRAPHIQUE 2

    MOYENNE DE LA FISCALIT (EN POURCENTAGE DU PIB) DES PAYS REVENU LEV, REVENU MOYEN SUPRIEUR, REVENU MOYEN INFRIEUR ET FAIBLE REVENU 12

    10.0

    0.0

    5.0

    1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

    Source : FMI

    15.0

    25.0

    30.0

    35.0

    20.0

    revenu lv

    revenu moyen infrieur

    faible revenu

    revenu moyen suprieur

  • sant, lenseignement, accs leau potable, accs une nour-riture suffisante, bref droit la vie) cette explication est morale-ment et juridiquement inacceptable, avant mme de sinterrogersur sa pertinence et vracit ventuelle.

    Le deuxime phnomne est celui de lexistence dun vastesecteur conomique informel peu ou pas tax. Sont viss iciles millions de petits agriculteurs, artisans et commerants quipratiquent une activit conomique de subsistance de faon informelle, avec peu ou pas de contacts officiels avec les autorits, notamment fiscales.Quels que soient par ailleurs les bnfices dune formalisationde lconomie, le problme de cette explication est quelle iden-tifie la solution au sous-financement chronique des autoritspubliques dans une expansion de la base imposable aux dpensde la majorit pauvre de la population16. Nous verrons dailleurscomment cette thse intrinsquement inique domine hlas lacti-vit de conseil officielle au bnfice des PED.

    Le troisime phnomne, qui nous intresse plus particulire-ment, est par contre celui dune contribution fiscale insuffisantepar ceux-l mmes qui pourraient se permettre de contribuer plussans mettre en danger leur survie : les personnes plus riches (etnon pas les petits paysans et les habitants des bidonvillespauvres) et les grandes entreprises (et non pas les micro-entre-preneurs et les PME).

    Cette sous-contribution fiscale manifeste peut constituer juridi-quement une fraude fiscale, une vasion fiscale, une simple opti-misation fiscale ou choix de la voie moins impose ou encorelapplication parfaitement lgale et transparente dune lgislationfiscale particulirement favorable aux intrts des grandes entre-prises et des personnes les plus riches, selon une chelledgressive de la gravit de linfraction pnale. Par rapport notrepropos, qui est celui dtudier les liens entre le fonctionnement dusystme fiscal mondial et le dveloppement, la question de la qualification de droit pnal nest pas pertinente. Le niveau decontribution fiscale des personnes les plus riches et des grandesentreprises peut tre considr comme tant trop basse parrapport aux besoins du dveloppement, quand bien mme celui-ciserait parfaitement lgal au regard de la loi nationale.

    12/ Cottarelli C., Revenue mobilization in developing countries, IMF fiscalaffairs department, mars 2011,http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2011/030811.pdf

    13/ Christian Aid, Death and taxes: the true toll of tax dodging, mai 2008,http://www.christianaid.org.uk/images/deathandtaxes.pdf

    14/ Spencer, D.,Transfer pricing : will the OECD adjust to reality?, mai 2012,p.11 http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/Spencer_120524_OECD_.pdf

    15/ FMI, OCDE, ONU et Banque Mondiale, Supporting the development ofmore effective tax systems, a report to the G-20 development working group,2011, http://www.oecd.org/ctp/48993634.pdf

    16/ ONU, FMI, OCDE, et Banque Mondiale, op.cit, reconnait le problme en p.11

    Une contribution fiscale insuffisante par ceux-l mmes qui pourraient se permettre de contribuer plus sans mettre

    en danger leur survie : les personnes plus riches (et non pas les petits paysans et les habitants

    des bidonvilles pauvres) et les grandes entreprises (et non pas les micro entrepreneurs et les PME).

  • 08

    Ce mandat du G20 est dautant plus problmatique que cedernier est en ralit une organisation de fait purement informelle,dpourvue de texte fondateur, de secrtariat, de sige, de per-sonnalit juridique propre. Cest donc de faon purement abusiveque le G20 sarroge le droit de diriger les affaires conomiquesde la plante, par le biais notamment de directives et autrescommandes adresses des organisations internationales rgu-lirement constitues.

    Si le FMI et les agences de lONU dcident de collaborer avec leG20, cest avant tout en raison du fait que les membres du G20sont de facto les pays les plus importants de la plante. Ces payssigent notamment au Conseil dadministration du FMI en tantquactionnaires majoritaires et au Conseil de scurit desNations Unies en tant que membres permanents ou non. Si leG20 en tant que tel nexiste pas juridiquement, et quil na donca fortiori aucun pouvoir, ses membres ont eux la capacit factuelle dimposer leurs vues dans la communaut internationale,y compris au sein des organisations internationales rgulires.Enfin, sur la question de la lgitimit du G20, notons quil repr-sente malgr tout un net progrs par rapport au G7 G8 entermes de reprsentativit gographique et dmographique.

    Au niveau des Nations Unies, il existe certes un Comit dex-perts de la coopration internationale en matire fiscale18, res-sortant de la plus basse des catgories des organes subsidiaire duConseil conomique et social, celle des organes composs

    La Socit des Nations (SDN), prcurseur des Nations Uniesdans lentre-deux guerres, a entrepris de travailler sur les ques-tions fiscales internationales ds les annes 1920 et a russi produire des conventions modles, dans le but notamment depermettre une allocation quitable des recettes fiscales issuesde la taxation des activits conomiques doprateurs actifs dansplusieurs pays17.

    Aprs la Deuxime Guerre mondiale, cest cependant lOrganisationde coopration et de dveloppement conomiques (OCDE) qui estdevenue lorganisation internationale la plus active et dcisive en lamatire. Cette organisation, hritire de lOrganisation europennede coopration conomique charge notamment de grer le PlanMarshall de reconstruction de lEurope, financ par les tats-Unis,sest transforme aujourdhui en un vritable club des pays indus-trialiss issus de plusieurs continents (33 pays membres).

    Cest donc cette organisation qui ne reprsente que les intrtsdes pays les plus riches quest confie la responsabilit de rdigerdes modles de traits fiscaux bilatraux et les standards interna-tionaux relatifs au traitement fiscal des transactions transfronta-lires entre filiales dun mme groupe international. Depuis 2009,cest aussi lOCDE qui a reu le mandat du G20 de prendre la ttede la lutte contre les pratiques des paradis fiscaux.

    3/ larchitecture institutionnelle internationale en matire fiscale

  • 17/ Voir notamment : United Nations secretariat, Institutional framework forinternational tax cooperation, aot 2003, Ad hoc group of experts on internatio-nal cooperation in tax matters, accessible sur http://faculty.law.wayne.edu/tad/Documents/UN/UN_institutional_framework.pdf ; Lennard, M., The pur-pose and current status of the United Nations tax work , Asia-Pacific tax bulle-tin, janvier/fvrier 2008, p. 23 et s., accessible sur http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/Lennard_0802_Status_of_UN_Tax_Work.pdf

    18/ http://www.un.org/esa/ffd/tax/

    19/ Picciotto, S., Towards unitary taxation of transnational corporations, Taxjustice network, dcembre 2012, p. 3

    20/ Spencer, D., op. cit.

    21/ http://www.un.org/french/reports/financing/zedillo.pdf

    dexperts sigeant titre individuel mais, malgr quelques rus-sites, cet organe, disposant de moyens humains (1,5 quivalenttemps plein19) et matriels insuffisants, ne fait pas le poids face lhgmonie de lOCDE. Certains pays mergents, mens parlInde, ont rcemment essay de contester la lgitimit delOCDE et de renforcer cet organe des Nations Unies, mais cesefforts ont chou face la rsistance des pays membres delOCDE20.

    Les pays membres de lOCDE ont de la mme manire russi enterrer la proposition formule par le rapport Zedillo en 2001,dans le cadre du travail prparatoire la Confrence des NationsUnies sur le financement du dveloppement Monterrey en 2002,visant crer une Organisation internationale de la fiscalit21.

    Lenjeu mondial de la fiscalit chappe donc aujourdhui laforme pourtant trs limite de dmocratie internationale repr-sente par le multilatralisme de type onusien, et est au contrairedomin en matire de production normative par un club restreintde pays riches. Qui plus est (voir infra), le Fonds montaire international (FMI) et la Banque mondiale, dont la gouvernancesarticulent autour du principe un dollar, une voix dominentlactivit de conseil en matire fiscale destination des paysen dveloppement.

    Lenjeu mondial de la fiscalit chappe la dmocratie internationale onusienne,

    et est domin par un club restreint de pays riches.

  • 10

    gographiquement de la faon suivante par ces entreprises: 13%(1% de profits dclars, cot du travail et autres cots de produc-tion) dans les pays de production, 40% dans les pays de consom-mation (cots et profits de la grande distribution) et 47% dans unesrie dautres juridictions (Jersey, Iles Cayman, Bermudes,Luxembourg, Ile de Man, Irlande) censes reprsenter les cotsde distribution, management, utilisation de la marque etc.

    Lenqute publie en 2007 par le quotidien britannique TheGuardian sur le merveilleux voyage des bananes vendues par lesquatre entreprises leaders du march est une bonne introduction la question des paradis fiscaux22.

    On y dcouvre que les revenus de la vente au destinataire final auRoyaume Uni correspondent des cots et des profits dclars

    4/ la lutte officielle contre les paradis fiscaux

    GRAPHIQUE 3LE VOYAGE DE LA BANANE 23Ventilation des revenus gnrs par 1 livre sterling dpense au Royaume Uni en bananes

    Source : The Guardian & Eurodad

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    39 ct

    1 ct 17 ct 6 ct 4 ct

    4 ct 8 ct

    8 ct

    1,5 ct

    10,5 ct

    1 ct

  • 22/ Griffiths, I & Lawrence, F., Bananas to UK via the Channel islands? Itpays for tax reasons, The Guardian, 6 November 2007. pp.6-7,http://www.guardian.co.uk/business/2007/nov/06/12

    23/ Ruiz, M. & Romero, M. J., Exposing the lost billions: How financial transparency by multinationals on a country by country basis can aid deve-lopment, Eurodad, novembre 2011 p. 16, http://eurodad.org/4720/

    24/ Shells and shelves, The Economist, 7 avril 2012, http://www.economist.com/node/21552196

    25/ Google boss: Im very proud of our tax avoidance scheme, TheIndependent, 13 dcembre 2012, http://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/google-boss-im-very-proud-of-our-tax-avoidance-scheme-8411974.html

    26/ Jansk, P. & Prats, A. Multinational corporations and the profit-shiftinglure of tax havens, Christian Aid, Occasional paper n9, mars 2013,http://www.christianaid.org.uk/Images/CA-OP-9-multinational-corporations-tax-havens-March-2013.pdf

    revenus et actifs, alors que le secret et lanonymat sont particu-lirement priss par les personnes physiques, qui esprent ainsidissimuler aux autorits fiscales de leur domicile les revenus et actifs illgalement non dclars et donc non imposs. Les personnes morales peuvent galement bnficier de lopacit desparadis fiscaux, mais souvent leur usage des paradis fiscaux estrelativement transparent et parfois mme revendiqu (voir notam-ment les dclarations du prsident de Google, Eric Schmidt, surla fiert que lui inspirent les pratiques de minimisation fiscale deGoogle via les Bermudes25).

    Une confirmation empirique du rle dltre des paradis fiscauxpour les revenus des tats ressort de ltude de lONG ChristianAid26, qui relve que sur un chantillon de 1525 multinationalesactives en Inde en 2010, celles qui ont des liens avec les paradisfiscaux dclarent en moyenne 1,5% de profits en moins, payent17,4% dimpts en moins par unit dactifs et 30,3% dimpts

    La revue The Economist rvlait rcemment que lindustrie de lacration de socits dans une srie de petits pays insulaires (lesVierges britanniques, Seychelles, Bahamas, Iles Samoa) est enforte croissance24. Ce secteur comprend des grossistes, quicrent des centaines de socits en vrac, et des dtaillants (cabi-nets comptables ou davocats, socits de vente sur Internet), quimontent des socits spcialement adaptes aux besoins desclients ou qui leur revendent certaines cres par les grossistes.On peut acheter une socit en un seul jour, voire par un simpleclic, car la vente se fait galement online. Ainsi, pour une sommemodique (de lordre de 560 dollars), il est possible dacqurir unesocit aux Seychelles dote dune adresse, dun compte ban-caire, dun conseil dadministration (compos dhommes de pailleprofessionnels ou davocats spcialiss), dun rgime fiscal 0%,ceci sans obligation de publier la composition de lactionnariat, duconseil dadministration, ni mme de comptes annuels.

    Les les Vierges britanniques sont particulirement performantes:59 000 nouvelles socits y ont t montes en 2010, pour untotal de 457 000 en activit en septembre 2011. Ces les ne comp-tant que 28 000 habitants, il y a donc seize socits par habitant !

    Ces deux exemples, parmi tant dautres, suffisent dmontrerquil y a bien quelque chose dtrange dans le rle disproportionnassum dans le systme conomique mondial par une srie depetits tats et juridictions fiscales.

    Ces paradis fiscaux offrent aux personnes physiques et moralesdsireuses de minimiser leur contribution fiscale deux servicesessentiels : un traitement fiscal favorable, dune part, et la garan-tie du secret, de lanonymat, dautre part. Le traitement fiscalfavorable (taux dimposition gal ou proche du 0%) est utile pourles contribuables personnes physiques et personnes morales, quivisent y soumettre la plus grande partie possible de leurs

    Il y a bien quelque chose dtrange dans le rle disproportionn assum

    dans le systme conomique mondial par une srie de petits tats et juridictions fiscales.

  • 12 / la lutte officielle contre les paradis fiscaux

    en moins par unit de profit que les entreprises multinationales quinont pas de liens avec les paradis fiscaux.

    Aprs la dbcle bancaire et financire de 2007-2008, lindignationde lopinion publique mondiale a exerc une pression importanteen faveur dune moralisation des pratiques du monde conomiqueet financier. Cest ainsi que le sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009 sest achev sur une dclaration particulirementoffensive contre les paradis fiscaux : Nous convenons () dagircontre les juridictions non-coopratives, y compris les paradisfiscaux. Nous sommes prts mettre en uvre des sanctionspour protger nos finances publiques (...) 27.

    LOCDE a donc t mandate par le G20 pour mettre en uvre ces engagements ambitieux. Cest ainsi qua commenc un des pi-sodes le plus tragiquement comique de lhistoire fiscale mondiale.

    LOCDE disposait en effet, la date du sommet du G20, de listesnoires (4 territoires) et grises (38 territoires, dont la Belgique,cf. infra) de territoires non-coopratifs. Or, cinq jours aprs ladclaration du G20, la liste noire tait subitement vide et la listegrise ne compte plus aujourdhui, selon les dernires informationsdisponibles sur le site web de lOCDE, que trois tats : Nauru,Niue et le Guatemala28.

    Comment sest ralis ce vritable miracle? Il suffisait aux terri-toires viss, pour sortir de la liste noire, de sengager verbalement conclure 12 traits dchanges dinformations sur demande, etde les conclure effectivement pour sortir de la liste grise29.

    Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur la question de lutilitrelle des traits dchange dinformations sur demande pourlutter contre les paradis fiscaux et les phnomnes de fraude etdvasion fiscale, mais il importe ds maintenant de noter que 12traits, cest trs peu par rapport au total de 242 territoires encapacit de signer des conventions fiscales30. De plus, plusieursparadis fiscaux (lle anglo-normande de Jersey par exemple) ontdploy une activit diplomatique intense pour signer des accordsavec des juridictions aussi importantes que les Iles Fro et leGroenland31, ou mieux encore, des accords entre paradis fiscaux.La probabilit dune demande dinformations par une administra-tion ou un juge issu dun paradis fiscal auprs dun autre paradisfiscal est bien videmment infime

    Probablement consciente du caractre peu reluisant de la grandeopration de blanchiment des paradis fiscaux quelle venaitdoprer, lOCDE a dcid ensuite de changer dapproche.

    Le premier changement a t celui de ne plus mettre en avantlOCDE elle-mme, mais une autre institution, le Forum mondialsur la transparence et lchange de renseignements des finsfiscales32. Ce Forum compte 109 membres, beaucoup plus quelOCDE, ce qui permet lOCDE et ses membres de faire valoirleur bonne foi en matire de multilatralisme et de prise encompte des intrts des pays mergents et en dveloppement.LOCDE continue cependant dominer dans les faits ce Forum,dont le personnel dpend hirarchiquement du Secrtaire gnral.Lindpendance et lautonomie du Forum par rapport lOCDE estdonc aujourdhui largement factice33.

  • Le deuxime changement est le passage la mthode de larevue par les pairs (peer review). Le caractre coopratifdes tats et territoires est dsormais valu par les autresmembres du Forum, dans le cadre dun processus deux tages(la phase 1 tant consacre lanalyse de lexistence de la lgis-lation nationale requise et la phase 2 son application concrte).

    En se basant sur des donnes incontestables de la Banque desrglements internationaux, deux universitaires, Niels Johannesenet Gabriel Zucman34, ont choisi danalyser les faits, en loccurrenceles masses financires dposes dans les centres financiersoffshore. Dans leur tude, ils observent que les sommes dpo-ses sur les comptes bancaires dans les paradis fiscaux nontgure volu depuis 2007. Au total, le montant reste environ2700 milliards de dollars. Le constat est donc sans appel, la pr-tendue guerre lance par le G20 contre les paradis fiscaux sestacheve par la victoire des paradis fiscaux !

    Les rcentes rvlations du consortium international de journalistesdinvestigation35, communment appeles Offshore Leaks, nefont que confirmer ce constat dans les mdias et auprs du grandpublic. Les les Vierges Britanniques, les les Cayman, pour ne citerque quelques-unes de ces juridictions, quoique compltement blanchies par lOCDE et le Forum global, restent plus que jamaisau cur dun systme mondial malsain de corruption, de malversa-tions en tout genre, de fraude et dvasion fiscales.

    27/ Traduction de lauteur dun extrait de loriginal anglais du communiqu finaldu sommet, http://www.eu-un.europa.eu/articles/fr/article_8622_fr.htm

    28/ OECD progress report on the jurisdictions surveyed by the OECD global forum in implementing the internationally agreed tax standards. Progress made as at 18 may 2012, http://www.oecd.org/tax/harmfultaxprac-tices/43606256.pdf

    29/ Dupr, M.et Watrinet, L., Paradis fiscaux : le G20 de la dernire chance.Aprs trois ans de ngociations internationales, un bilan en 12 questions,CCFD terre solidaire, octobre 2011, p. 13 et s., http://ccfd-terresolidaire.org/ewb_pages/i/info_2651.php ; voir galement Shaxson, N., Tax havens : an emerging challenge to Africas developement financing,dans Minter, W. et Scarnecchia, T., op. cit., p. 55 et s.

    30/ Dupr, M.et Watrinet, L., op.cit., p. 14

    31/ Tax justice network, Tax information exchange arrangements, Tax justicebriefing, 2009, p. 3, http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/Tax_Information_Exchange_Arrangements.pdf

    32/ http://www.oecd.org/fr/sites/forummondialsurlatransparenceetlechangederenseignementsadesfinsfiscales/

    33/ Meinzer, M., The creeping futility of the global forums peer reviews, tax justice briefing, mars 2012,http://www.taxjustice.net/cms/upload/GlobalForum2012-TJN-Briefing.pdf

    34/ Johannesen, N. & Zucman, G., The End of Bank Secrecy? An Evaluation of the G20 Tax Haven Crackdown, cole dconomie de Paris, octobre 2012, http://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/zucman-gabriel/revised_october12.pdf

    35/ http://www.icij.org/offshore

    LOCDE a donc t mandate par le G20 pour mettre en uvre ces engagements ambitieux. Cest ainsi

    qua commenc un des pisodes le plus tragiquement comique de lhistoire fiscale mondiale.

  • 14 / la lutte officielle contre les paradis fiscaux

    ENCADR 2LA BELGIQUE, UN PARADIS FISCAL? Suite au sommet du G20 du 2 avril 2009, qui a dclar la guerre aux paradis fiscaux, lOCDE publie les liste dites blanche, griseet noire. La Belgique connat le dshonneur dtre mentionne dans la liste grise, en compagnie notamment de lAutriche et duLuxembourg36.

    Ce qui est en cause, cest le secret bancaire belge, qui fait obstacle la dernire version (2005) de larticle 26 5 de la conventionmodle de lOCDE, qui prvoit expressment que le secret bancaire nest pas opposable aux demandes dchanges dinformations.Or, la Belgique fait partie lpoque des trois pays membres de lUE (avec lAutriche et le Luxembourg) qui nappliquent pas lchangedinformations automatique prvu par la directive europenne sur la fiscalit de lpargne37 (cf. infra). Ces pays ont russi protgerainsi la confidentialit des donnes bancaires des contribuables et appliquent un systme drogatoire transitoire de prlvementdun impt la source, rtrocd ensuite anonymement ltat de rsidence de lpargnant.

    La Belgique soppose donc lpoque la leve du secret bancaire tant en interne, par rapport ses partenaires de lUE quenvers lesjuridictions tierces ayant conclu un trait fiscal avec elle.

    La Belgique dcide donc de changer de fusil dpaule et procde trois mouvements : en interne, la leve du secret bancaire est dsormais autorise sous certaines conditions38 : au niveau europen, la Belgique applique dsormais lchange automatique, et, auniveau international, la Belgique entreprend de rengocier ses conventions fiscales. Cest ainsi quaprs la signature de 12 traitsfiscaux nouveaux ou amends conformes aux standards OCDE, la Belgique sort officiellement de la liste grise le 16 juillet 2009 39.

    Est-ce que pour autant la Belgique est devenue un tat exemplaire en matire fiscale ? Rien nest moins sr. Il a fallu deux rapports (soitun de plus que la norme) pour que la Belgique passe la phase 1 du peer review du Forum global, et le rapport sur la phase 2, prvu au deuxime semestre 201240, nest publi quen avril 2013.

    Si le rapport phase 2 reconnat les progrs raliss par la Belgique, certains problmes importants demeurent. Ainsi, 26 traitsfiscaux permettant lchange dinformations sur demande signs par la Belgique ne sont toujours pas ratifis (y compris ceux avec lesparadis fiscaux notoires tels que les les Bahamas, Monaco, le Luxembourg et le Liechtenstein), et malgr certains progrs, la Belgiquena, en 2011, rpondu endans les 90 jours qu 35% des demandes dinformations.

    Par ailleurs, les affaires Depardieu et Bernard Arnault sont venues rappeler que la Belgique reste une terre daccueil particulirementfavorable pour les grandes fortunes et les revenus du capital en gnral41. Les chiffres des tudes produites par le PTB dmontrent en outre que les grandes entreprises y sont fiscalement choyes et paient souvent des impts proche de zro pour des milliards debnfices, alors que le taux nominal de lISOC est de 33,99% 42.

    36/ Cette liste est notamment consultable sur http://www.oecd.org/tax/harmfultaxpractices/42497950.pdf

    37/ Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matire de fiscalit des revenus de lpargne sous forme de paiements dintrts

    38/ Loi du 14 avril 2011 (M.B. 6/5/2011) modifiant larticle 322 du CIR

    39/ Communiqu de presse OCDE, La Belgique progresse dans la mise en place de normes de lOCDE en matire dchange de renseignements fiscaux du16/7/2009, http://www.oecd.org/fr/presse/labelgiqueprogressedanslamiseenplacedesnormesdelocdeenmatieredechangederenseignementsfiscaux.htm, et communiqu du mme jour du Ministre des Finances, La Belgique sort de la liste grise de lOCDE, http://www.minfin.fgov.be/PORTAIL2/fr/downloads/composi-tion/mp-ocde-2009-07-16.pdf

    40/ Les rapports phase 1 et phase 2 sont disponibles ladresse suivante : http://eoi-tax.org/jurisdictions/BE

    41/ Pour une analyse du traitement fiscalement privilgi des revenus du capital en Belgique par rapport la France voir Panier, F., Paradis fiscaux, le modle belge,Le Monde diplomatique, juillet 2012

    42/ Van Hees, M., Impt des socits. Les 50 plus importants ristournes fiscales obtenues en 2009, 6 dcembre 2010, Service dtudes du PTB,http://www.ptb.be/fileadmin/users/nationaal/images/2010/week49/101207Dossiertop50isoc.pdf

  • 15

    Les traits internationaux en matire fiscale appartiennent deuxgrandes catgories : les conventions de prvention de la doubleimposition (CPDI) et les accords dchanges de renseignements.

    LA PRVENTION DE LA DOUBLE IMPOSITIONHistoriquement, la premire forme de trait fiscal bilatral est laConvention de prvention de la double imposition (CPDI). La pre-mire convention modle de ce type a t produite par la Socitdes Nations (SDN) en 1928 (cf. supra), mais aujourdhui les deuxmodles dominants sont ceux des Nations Unies et de lOCDE.

    Lide de ces traits est de prvenir la double imposition desmmes revenus ou des mmes actifs dans deux pays diffrents.Les revenus, par exemple ceux dune entreprise active sur plusdun pays, peuvent tre taxs par un pays A en vertu du principede rsidence, selon lequel lensemble des revenus dune per-sonne morale sont taxs l o lentreprise rside lgalement, ycompris les revenus gnrs par une activit conomique ralisedans le pays B. Le pays B peut dcider de taxer les revenusgnrs sur son territoire quel que soit par ailleurs la rsidence(ou domicile, ou sige) de lentreprise productrice de revenus,ceci en vertu du principe de limposition selon la source durevenu taxable. Dans cette hypothse un trait est ncessaireentre le pays A et le pays B pour prvenir les cas de double impo-sition et dfinir clairement ce que chacun des deux pays peut taxeret dans quelle mesure.

    Ce schma est trs rducteur par rapport la complexit fiscaleactuelle, que ce soit au niveau de lidentification de la sourcedun revenu ou dun profit, de lidentification de la rsidence duneentreprise dans le cas dun groupe compos de plusieurs filiales,de lapplication mixte par les lgislations fiscales nationales desdeux principes source et rsidence, mais permet de com-prendre le fondement thorique des CPDI.

    Les principales organisations internationales (ONU, FMI, Banquemondiale et OCDE) reconnaissent aujourdhui que la plupart des

    CPDI conclues entre pays dvelopps et pays en dveloppementsont contraires aux intrts de ces derniers43. Considrant lafacilit avec laquelle les entreprises multinationales rduisent leurexposition limpt gnral sur les bnfices des socits (cf.infra), la facult pour les PED de taxer spcifiquement certainesproductions ou certains mouvements de capitaux constituesouvent la seule faon pour ces pays dassurer une contributionfiscale quelconque de la part de certains oprateurs. Il peut sagirpar exemple de prlvements la source sur les dividendesverss par les filiales aux investisseurs trangers, sur les intrtsdes crdits internes au mme groupe, sur les royalties (droitdutilisation) de proprit intellectuelle, ou encore de prlvementsur les volumes de production dans le secteur extractif. Or, lesCPDI visent dans la plupart des cas interdire ou limiter ces pr-lvements44. Les finances publiques des pays en dveloppementsouffrent donc dune perte sche, dautant plus grave pour lesPMA que les CPDI ne semblent pas avoir deffets bnfiques surlafflux dinvestissements directs trangers, selon les donnes ettudes disponibles45.

    Un autre problme des CPDI est leur tendance se transformeren vritables accords garantissant la double non-imposition. Dansla puret des principes, le renoncement, via une CPDI, dun pays taxer tel ou tel lment doit correspondre une taxation effec-tive du mme lment par lautre tat signataire. De plus en plus,notamment dans les CPDI signes par des paradis fiscaux,

    43/ FMI, OCDE, ONU et Banque Mondiale, op.cit, p. 28; Cottarelli C., op. cit., p. 36

    44/ Herkenrath, M., Fiscalit et dveloppement. Comment lvasion fiscalehandicape les pays du Sud et ce que la Suisse peut changer, Alliance Sud etDclaration de Berne, juillet 2012,p.7, http://www.alliancesud.ch/fr/politique/politique-fiscale/downloads/Steuerbroschure_AS_DB_f.pdf

    45/ Neumayer, E. Do double taxation treaties increase foreign direct unvestment to developing countries ?, Journal of development studies, 43 (8),novembre 2007, p. 1501 1519

    5/ les traits fiscaux internationaux

  • 16 / les traits fiscaux internationaux

    lexemption de taxation dun ct correspond une dfiscalisationde lautre ct. Le rapport de la Commission gouvernementalenorvgienne sur les paradis fiscaux et le dveloppement analyseainsi sur plusieurs pages le fonctionnement de tels systmes dedouble non-taxation dont bnficient les socits off-shoredans lle Maurice, qui dispose dun rseau de CPDI avec laplupart des tats africains46.

    Le problme de la double non-taxation est devenu tellement aiguquil intresse dsormais lOCDE, qui a publi un rapport sur lesdispositifs hybrides47, qui exploitent les diffrences dinstru-ments, dentits ou de transferts des rgimes fiscaux entre deuxpays, conduisant in fine une double exonration ou non-taxation, qui peut ne pas avoir t souhaite par chacun despays concerns. Parmi les dizaines dastuces possibles, citons lecas du mme revenu qui sera qualifi dintrt dductible dansun pays et de dividende exonre dans un autre pays, aboutis-sant une ponction fiscale gale zro dans les deux pays.

    Le travail danalyse et dinventaire de ces trucs et astuces fiscauxpar lOCDE est impressionnant, mais les conclusions en sont trsfaibles. Plutt que dentamer un travail de correction de sonmodle de CPDI pour prvenir ces abus, lOCDE conseille aux diffrents pays dtudier srieusement la question

    Les CPDI peuvent tre ultrieurement manipules dans un butdoptimisation fiscale par la technique du treaty shopping. Leprcdent cit par le Professeur Avi-Yonah48 est celui des flux deroyalties entre les tats-Unis, les Pays-Bas et les Bermudes.La CPDI entre les tats-Unis et les Pays-Bas interdit la taxationdes royalties entre ces deux juridictions, alors quaucune CPDInexiste entre les tats-Unis et les Bermudes, ce qui permet doncaux autorits des tats-Unis de prlever une taxe sur les flux deroyalties destination des Bermudes. Des entreprises ontcontourn le problme en prvoyant une tape nerlandaise pourles flux de royalties entre les tats-Unis et les Bermudes. Lesroyalties ne sont donc pas taxes. dfaut de clauses prcises

    de prvention du treaty shopping dans les CPDI, le systmepermet donc aux contribuables de dtourner le rseau de CPDI leur profit, considrant que toute juridiction qui a une seule CPDIavec un autre pays bnficie en ralit dune CPDI indirecteavec le monde entier49.

    En dautres termes, le rseau mondial des CPDI ressemble unrseau routier compos de routes pages (o les mouvementsde capitaux sont taxs) et de routes gratuites (les mouvements decapitaux ny sont pas taxs). Considrant qu la diffrence destransports de biens physiques les transports de capitaux ne cotentpas plus chers en carburant en fonction des kilomtres parcourus,les contribuables russissent systmatiquement viter les routes page en multipliant les dtours par les routes gratuites.

    Dans un rare exemple de lucidit, la Mongolie a dcid de dnon-cer la CPDI la liant aux Pays-Bas, en raison notamment du taux de0% de prlvement la source sur les dividendes prvu par letrait50, qui ouvrait, selon un rapport du FMI51, des possibilitsdoptimisation fiscale extrme aux investisseurs dans le secteurminier. Le modle belge de CPDI52, dat de juin 2010, prvoit untaux de prlvement maximal de 15% sur les flux de dividendes(mais 0% si le bnficiaire est un fonds de pension ou une socitcontrlant plus de 10% de la socit versant des intrts), 10%sur les flux dintrts (mais 0% pour les intrts issus de prtsentre entreprises), et 0% sur les redevances (royalties).

    Il na pas t possible, dans le cadre de cette tude, de procder une valuation des effets des CPDI conclues par la Belgique surles rentres fiscales des PED, mais il importe de remarquerquaux moins trois dispositions du modle belge semblent dem-ble particulirement dfavorables celles-ci. Le taux de 0% surles royalties, sur les intrts sur prts entre socits et sur lesdividendes dentreprises dtenues hauteur dau moins 10% ducapital apparaissent comment autant de mesures facilitant lesmanuvres doptimisation fiscale agressive des entreprises mul-tinationales (cf. infra).

  • LCHANGE DINFORMATIONSLa deuxime grande catgorie de traits internationaux en matirefiscale est relative lchange dinformations ou entraide admi-nistrative en matire fiscale. Ces changes dinformationspeuvent thoriquement soprer de faon spontane (une admi-nistration fiscale dcide de donner des informations une autre),sur demande (une administration fiscale demande des informations une autre) ou automatique (les changes dinformations se fontautomatiquement)53.

    La voie privilgie par lOCDE est celle de lchange dinformationssur demande. Les Accords dchange de renseignementsfiscaux54 (sur demande, NdA) (TIEA55 en anglais) sont considrspar lOCDE comme tant le standard international de rfrence. Lasignature de douze traits de ce type permet dchapper aux listesnoires et grises des juridictions non coopratives et ce sont biences traits qui sont au cur du systme de peer review duForum mondial sur la transparence et lchange de renseigne-ments des fins fiscales (cf. supra). Notons par ailleurs que lemodle de convention CPDI de lOCDE reprend, dans son clbrearticle 26, le principe de lchange dinformations sur demande. Lesdveloppements qui suivent sur lchange dinformations fiscalessur demande concernent donc autant les TIEA que les CPDI.

    Le premier problme est celui de la demande, qui ne peut enaucun cas constituer une fishing expedition (expdition depche). La demande doit tre donc prcise (notamment quant lidentit de la personne faisant lobjet de la demande dinforma-tions) et dment motive. En dautres termes, le demandeur doitmonter un vritable dossier, pais et circonstanci. On apprcieraaisment la difficult dune telle dmarche quand il sagit juste-ment dessayer dobtenir des informations sur des contribuables(personnes physiques et morales) qui dissimulent sciemmentleurs avoirs et revenus dans des structures complexes situesdans des localits lointaines et exotiques.

    Le standard a heureusement volu en ce sens que le secret bancaire est dsormais explicitement exclu de la liste des motifs

    acceptables de refus de lchange dinformation56, mais cette victoire du bon sens doit tre tempre par au moins deux consi-drations. Premirement, les traits nont pas tous t rengo-cis depuis lvolution du standard, loin sen faut. Ensuite, si lesecret bancaire a t vaincu dans le cas prsent, tel nest pas lecas dautres techniques garantissant secret et anonymat. Ainsi,lors dune confrence de juristes et financiers spcialiss des les Cayman en 201157, il a t not que la confidentialit des

    46/ Commission on capital flight from developing countries, Tax havens anddevelopment, preliminary report, 18 juin 2009, p. 116 et suivantes,http://www.regjeringen.no/upload/UD/Vedlegg/Utvikling/tax_report.pdf

    47/ OCDE, Dispositifs hybrides. Questions de politique et de discipline fiscale,mars 2012, http://www.oecd.org/fr/ctp/echangederenseignements/dispositifshybridesquestionsdepolitiqueetdedisciplinefiscales.htm

    48/ Avi-Yonah, R. S., Double tax treaties : an introduction, dcembre 2007, p. 8, http://ssrn.com/abstract=1048441

    49/ Voir Avi-Yonah, R. S. et Hji Panayi, C., Rethinking treaty-shopping lessonsfor the European union, University of Michigan, janvier 2010

    50/ Mongoli pikt het niet meer en zegt belastingverdrag met Nederland op,NRC, 27 fvrier 2013

    51/ FMI, Mongolia: Technical Assistance ReportSafeguarding DomesticRevenue A Mongolian DTA Model , IMF Country Report No. 12/306, novembre 2012

    52/ http://fiscus.fgov.be/interfafznl/fr/international/conventions/modStand.htm

    53/ Herkenrath, M., op. cit., p. 9; par ailleurs, sur lensemble de la question delchange dinformations fiscales, on consultera utilement le manuel produit parles autorits fiscales indiennes, Central Board of Direct Taxes, Foreign Tax and Tax Research Division, Manual on exchange of information

    54/ Le modle de convention est accessible ici :http://www.oecd.org/fr/ctp/echangederenseignements/33977677.pdf

    55/ De langlais Tax information exchange agreements

    56/ Tax justice network, Tax information exchange arrangements, Tax justicebriefing, 2009, p. 2, http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/Tax_Information_Exchange_Arrangements.pdf

    57/ Clients can be protected from TIEAs, say trust experts, Cayman news service, 18 octobre 2011, http://www.caymannewsservice.com/finance/2011/10/18/clients-can-be-protected-tieas-say-trust-experts

    Si le secret bancaire a t vaincu dans le cas prsent, tel nest pas le cas dautres

    techniques garantissant secret et anonymat.

  • 18 / les traits fiscaux internationaux

    trusts 58, lgalement garantie par le droit interne de nombreuxparadis fiscaux, ntait aucunement mise en pril par la vague deTIEA signs par ces mmes paradis fiscaux sous la pression duG20 et de lOCDE.

    Les TIEA autorisent souvent lautorit saisie informer la personneen cause de la demande quelles ont reu, et le droit interne de cer-tains pays (Liechtenstein et Irlande notamment) va jusqu laisser undlai pour permettre cette personne de faire appel contre la remisedinformations. Ceci permet non seulement de retarder considra-blement les procdures, mais offre galement la personne vise letemps ncessaire pour organiser discrtement la dlocalisation versun autre territoire des actifs financiers en cause59.

    Lautorit saisie par une demande dinformation peut exiger unddommagement de la part de ltat demandeur, dautant pluslev que la conservation des informations ou le travail de collectedes informations requises peut tre sous-trait des oprateursprivs60.

    Le refus de transmission dinformation ne fait lobjet daucune procdure particulire de rglement des diffrends, si ce nest uneplainte auprs du Forum mondial sur la transparence et lchangede renseignements des fins fiscales, un processus politique etdiplomatique dont lefficacit et la rapidit est douteuse61.

    Il nest donc pas tonnant de constater que le bilan des TIEA esttrs ngatif. Outre les chiffres dj cits de ltude de Johannesenet Zucman sur le maintien des montants dposs dans les paradisfiscaux, relevons quelques statistiques sur le nombre et les russites des demandes dinformations. En 2010 la Norvge naintroduit que quatre demandes dinformations, malgr un rseaude plus de 30 accords avec des paradis fiscaux, et na obtenu de rponses que dans deux cas62. Les Pays-Bas ont introduit 22 demandes entre le 1er juin 2008 et le 1er juin 2011, avec desrponses positives uniquement dans 10 cas (7 de Jersey et 3

    de Guernesey)63. Enfin, la France a obtenu un taux de retour de30 % seulement sur les 230 demandes introduites pendant les 8 premiers mois de 201164.

    VERS LCHANGE AUTOMATIQUE, PAR LA VOIE MULTILATRALE ET UNILATRALE ?Lchange dinformations sur demande est donc un tigre depapier. Lchange automatique dinformations apparat de ce fait clairement comme la seule voie suivre. Fort heureusement,lOCDE semble finalement se rallier cette position de bon senset a publi en juillet 2012 un rapport 65 plutt positif sur lchangeautomatique dinformations. Avant de fliciter lOCDE, il importede remarquer cependant que le rapport prcise dans son intro-duction que lOCDE () ne suggre pas de changement austandard international actuel, qui est lchange dinformation surdemande 66 . Force est de constater galement que ce rapport de2012 vient un peu tard et que llan politique exprim par lesconclusions du G20 de 2009 a t gaspill pendant plus de 3 ans.

    Lvolution vers lchange automatique passe aujourdhui par troiscanaux principaux.

    Le premier est celui de la Convention concernant lassistanceadministrative mutuelle en matire fiscale du Conseil de lEurope(CdE) et de lOCDE67. Les traits fiscaux voqus plus haut sonttous bilatraux, malgr le fait quils sont peu ou prou inspirs demodles vocation universelle. Outre le problme dj dcrit du treaty shopping, ce bilatralisme a ceci de nfaste quil dsavantage systmatiquement les pays plus faibles. Les PEDsouffrent particulirement de cette situation.

    La Convention du Conseil de lEurope et de lOCDE constitue le seulinstrument multilatral en matire fiscale. Il sagit dun texte assezavanc par rapport aux CPDI et TIEA, car il prvoit notamment lapossibilit dchanges dinformations spontans et automa-tiques en plus du systme dchange sur demande. Lchange

  • automatique est cependant subordonn la conclusion de proto-coles bilatraux additionnels, ce stade encore thoriques68.

    Initialement rserve aux membres de lOCDE et du Conseil delEurope, cette convention est aujourdhui ouverte ladhsion detous les pays. Cest un progrs vers une approche multilatralepotentiellement plus respectueuse des intrts des PED, maisaussi un pas vers la consolidation de lemprise de lOCDE, quiconserve la matrise de la Convention, sur les questions fiscalesmondiales69.

    La deuxime piste est issue dune initiative unilatrale tats-unienne. Excdes par des annes de gurilla judiciaire, notam-ment avec certaines banques suisses, les autorits amricainesont fini par introduire une nouvelle lgislation, le Foreign AccountTax Compliance Act (FATCA)70 (loi sur lobservation fiscale descomptes trangers). Le principe est trs simple : toute banqueayant une prsence commerciale aux tats-Unis est oblige dinformer le fisc des tats-Unis de tous les comptes dtenus ltranger par des rsidents tats-uniens. dfaut, la banquesexpose une pnalit quivalente un prlvement de 30% surleurs revenus gnrs aux tats-Unis. Un certain nombre de pays,au premier desquels la France, lAllemagne, lItalie, lEspagne et le Royaume-Uni, ont manifest leur intention de collaborer aveclesprit de linitiative FATCA, mais dans le cadre dun Trait garan-tissant la rciprocit avec les tats-Unis, ceci avec laccord deprincipe des autorits tats-uniennes71.

    La dernire piste est celle de la directive de lUnion europenne2003/48/CE en matire de fiscalit des revenus de lpargnesous forme de paiement dintrts 72. Cette directive organise unsystme dchange automatique dinformations au sein de lUnioneuropenne en matire de paiements dintrts sur les revenus delpargne des personnes physiques. Le texte sapplique gale-ment certains territoires dpendants de ou associs destats membres (essentiellement les paradis fiscaux dans lorbite

    58/ Fiducie en franais, institution juridique permettant le transfert permanentou temporaire de proprits dune personne une autre dans un but prcis,trs utilis aujourdhui pour garantir lanonymat du propritaire vritable de certains biens.

    59/ Meinzer, M., op. cit., p.16

    60/ Ibid., p. 17

    61/ Ibid., p. 16

    62/ Leikvang, H., Piercing the veil of secrecy: securing effective exchange of information to remedy the harmful effects of tax havens, Vanderbilt journal oftransnational law, vol 45 : 293, 2012, p. 315, note 124

    63/ Netherlands Leaves Tax Havens Undisturbed, NIS, 27 octobre 2011,http://www.nisnews.nl/public/271011_1.htm

    64/ Chavagneux, C., La France relance la lutte contre les paradis fiscaux,http://alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux/2011/11/24/la-france-relance-la-lutte-contre-les-paradis-fiscaux/

    65/ OCDE, Automatic exchange of information. What it is, how it works, bene-fits, what remains to be done, 23 juillet 2012, http://www.oecd.org/ctp/exchangeofinformation/AEOI_FINAL_with%20cover_WEB.pdf

    66/ Ibid., p.5, traduction de loriginal anglais par lauteur

    67/ Voir http://www.oecd.org/fr/ctp/echangederenseignements/conventionconcernantlassistanceadministrativemutuelleenmatierefiscale.htm

    68/ Meinzer, M., Analysis of the CoE/OECD convention on administrativeassistance in tax matters, as amended in 2010, Tax justice briefing, fvrier2012, http://www.taxjustice.net/cms/upload/CoE-OECD-Convention-TJN-Briefing.pdf

    69/ Ibid., p. 7

    70/ Voir le site web de lIRS, le fisc des tats-Unis,http://www.irs.gov/Businesses/Corporations/Foreign-Account-Tax-Compliance-Act-(FATCA); voir galement Spencer, D. Memorandum on theU.S. foreign account tax compliance act, Tax justice briefing, avril 2010,http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/FATCA_1004_TJN_Briefing_Paper.pdf , et Grinberg, I., Beyond FATCA : an evolutionary moment for the internatio-nal tax system, Georgetown law, janvier 2012

    71/ Dclaration commune de ces pays du 8 fvrier 2012 Joint statement fromthe United States, France, Germany, Italy, Spain and the United Kingdom regar-ding an intergovernmental approach to improving international tax complianceand implementing fatca, http://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Documents/020712%20Treasury%20IRS%20FATCA%20Joint%20Statement.pdf

    72/ Voir sur cette directive lexpos des motifs du rapport du Dput europenBenot Hamon vot par le Parlement europen en avril 2009, http://www.euro-parl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=COMPARL&mode=XML&language=FR&reference=PE418.010 ; et Tax justice network, European Union savings taxdirective, Tax justice briefing, mars 2008, http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/European_Union_Savings_Tax_Directive_March_08.pdf

  • 20 / les traits fiscaux internationaux

    ENCADR 3LE PLAN DACTION DE LA COMMISSION EUROPENNE POUR RENFORCER LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET LVASION FISCALES Le 6 dcembre 2012, le Commissaire europen la Fiscalit, Algirdas emeta, a lanc le Plan daction pour renforcer la lutte contrela fraude et lvasion fiscales , compos dune communication73, dune recommandation relative des mesures visant encouragerles pays tiers appliquer des normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal 74 et dune recommandation relative la planification fiscale agressive75 .

    Notons, parmi les trs nombreuses mesures mentionnes dans ces textes, les lments suivants :1/ chaque tat membre est encourag crer une liste noire en la matire, base sur les critres du forum mondial et sur le code deconduite UE dans le domaine de la fiscalit des entreprises;2/ les tats membres sont encourags rengocier, suspendre ou dnoncer les traits fiscaux avec les juridictions figurant sur la liste noire ;3/ les tats membres sont encourags rcompenser les tats tiers qui ne sont pas sur la liste noire notamment par la conclusion detraits fiscaux et le dtachement dexperts fiscaux nationaux dans le cas des pays en dveloppement ; 4/ les tats membres sont encourags insrer dans leurs traits fiscaux une clause visant empcher les hypothses de double non taxation ;5/ les tats membres sont encourags insrer dans leur lgislation fiscale nationale une disposition anti-abus gnrale contre lesoprations et constructions fiscales artificielles et abusives.

    En renvoyant lanalyse coordonne par Eurodad76 pour un examen dtaill de ce plan daction, nous pouvons ici mentionner quelquesconsidrations.

    Ce plan daction semble poser les bonnes questions et partir dun diagnostic exact. Ainsi, la cration de nouvelles listes noires natio-nales des paradis fiscaux est une faon de reconnaitre que le processus officiel de blacklisting men par le forum global est un chectotal (sinon de nouvelles listes noires ne seraient pas ncessaires). De mme, la proposition dune clause de prvention de la doublenon-taxation dans les traits fiscaux part du constat exact que ces doubles non-taxations sont lgion dans le systme actuel.

    Il importe cependant de noter que ce plan est pour lessentiel dpourvu de force contraignante, il est en ralit livr la bonne volontdes tats membres, qui restent libres de lappliquer ou non. Le caractre volontaire de ces mesures est probablement li au fait queles comptences lgislatives de lUnion europenne en matire de fiscalit sont soumises la rgle de lunanimit des tats membres,de simples recommandations sont donc politiquement plus faciles.

  • britannique) et dautres tats tiers (Suisse, Andorre, Monaco etLiechtenstein notamment) qui ont accept de participer ausystme (en appliquant lchange automatique ou le systme deprlvement la source). Au-del des problmes concrets danslapplication de cette lgislation (notamment les multiplesmthodes possibles pour les contribuables de se soustraire sonapplication), ce qui est significatif est la dmonstration de la parfaite faisabilit administrative dun systme complexe et multi-latral dchange automatique dinformations et son ambition plantaire, par la voie de conventions entre lUnion europenne etdes tats tiers.

    Cependant, la directive autorise, pendant une priode transitoireindfinie, deux tats membres (lAutriche et le Luxembourg, laBelgique ayant renonc au bnfice de cette exception) conserver leur secret bancaire et appliquer un systme alterna-tif de prlvement la source rtrocd ensuite anonymement ltat de rsidence de lpargnant.

    Ce systme de prlvement la source alternatif lchange auto-matique dinformations constitue le cur de la contre-offensivemene par la Suisse. Avec les accords de type Rubik proposspar la Suisse lAllemagne et au Royaume-Uni77 notamment, lesautorits helvtiques tentent de sopposer la pression europenneet internationale vers plus de transparence, en faisant valoir lebnfice immdiat pour des budgets nationaux exsangues de lartrocession de milliards deuros prlevs sur les comptessuisses des europens fraudeurs.

    Heureusement, face aux vagues de rvlations (Offshore Leaksnotamment) et lindignation croissante de lopinion publique, leclimat politique commence changer.

    Ainsi, le communiqu final de la runion des ministres desFinances et des gouverneurs des banques centrales du G20 des18 et 19 avril 2013 Washington78 recommande expressment toutes les juridictions de passer lchange automatique dinfor-mations. Les deux tats membres de lUnion europenne les plusattachs la dfense du secret bancaire, lAutriche et leLuxembourg, commencent flchir79. Enfin, le 9 avril 2013, les

    ministres des Finances de cinq tats membres de lUE ont prisposition en faveur dun FATCA europen, dans une lettreadresse au commissaire UE en charge de la fiscalit emeta80.Ces tats ont depuis t rejoints par dautres, dont la Belgique81.

    Mais avant de crier victoire, il importe de sassurer que les dcla-rations et effets dannonce soient vritablement transformsensuite en mesures concrtes. Il est galement crucial de noterque dans la plupart des cas les systmes dchange automatique(par exemple la directive europenne sur la fiscalit de lpargnesusmentionne) concernent les donnes relatives aux personnesphysiques et non pas les personnes morales. Ainsi, la crationdune forme socitaire plus ou moins artificielle (dont le bnfi-ciaire effectif mais dissimul est une personne physique) disposantdun compte bancaire peut permettre dchapper la transmissionautomatique.

    Enfin, mme un systme universel dchange automatique dinfor-mations ne serait que de peu dutilit pour combattre les stratgiesdoptimisation fiscale des entreprises multinationales, qui fontappel dautres stratgies que la simple dissimulation de comptesbancaires dans des paradis fiscaux, comme nous le verrons dansle chapitre suivant.

    73/ COM (2012) 722

    74/ C (2012) 8805

    75/ C (2012) 8806

    76/ Analysis: EU Action plan to strengthen the fight against tax fraud and taxevasion, Eurodad, dcembre 2012, http://eurodad.org/wp-content/uploads/2012/12/EC-Action-Plan-analysis2.pdf

    77/ Voir lanalyse de Tax justice network, The UK-Swiss tax agreement: doomed to fail , octobre 2011,http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/TJN_1110_UK-Swiss_master.pdf

    78/ http://en.g20russia.ru/load/781302507

    79/ Timide brche dans le secret bancaire en Autriche, La Croix, 9 avril 2013;Le Luxembourg assouplit le secret bancaire, LEcho, 10 avril 2013

    80/ http://www.economie.gouv.fr/files/courrier_algirdas_semeta.pdf

    81/ Llan se renforce pour un FATCA europen, Le Point, 15 avril 2013

  • 22

    Les entreprises les plus importantes sont multinationales, en cesens quelles sont conomiquement actives dans plusieurs pays,dans la plupart des cas au travers de filiales, des socits rgu-lirement enregistres.

    Ces entreprises visent maximaliser leurs profits au niveaumondial, cest--dire au niveau de lensemble des filiales qui composent le groupe. Les systmes fiscaux sont par contre pourlessentiel nationaux. Les profits qui sont taxs sont dans laplupart des cas ceux des filiales prsentes sur le territoire deltat en cause.

    La question qui se pose est donc de savoir o, par quelles filialeset donc dans quel pays sont raliss les profits ?

    La rponse apporte pendant les annes 60 par le directeurfinancier de la multinationale Standard Oil (anctre de Exxon),Jack Bennet est trs simple : Les profits sont raliss ici dansle bureau du directeur financier82, en ce sens que cest le direc-teur financier qui dcide o les profits sont raliss.

    Considrant que chaque pays applique des rgles et des taux diffrents en matire de taxation des bnfices des entreprises,le jeu consistera, pour lentreprise et ses conseillers comptableset fiscaux, minimiser les bnfices imposables dans les pays oceux-ci risquent dtre lourdement taxs, et maximaliser aucontraire les bnfices des filiales dans les pays faible fiscalit,notamment les paradis fiscaux.

    Ci-dessous quelques exemples des mthodes utilises pour ce faire83 : 1/ Thin Capitalisation (capitalisation lgre) : une filiale sendettelourdement auprs dune autre. Les intrts trs lourds viennentdiminuer dautant les bnfices imposables dune filiale et aug-menter les bnfices dune autre.2/ Sur ou sous-facturation de ventes de biens et marchandisesentre filiales : le prix de vente trop bas ou trop lev sert enrichiret appauvrir artificiellement certaines filiales.

    3/ Vente de services: semblable la mthode prcdente, la dif-frence que les services de management ou de consultanceainsi facturs peuvent trs facilement tre purement imaginaires.4/ Proprit intellectuelle : les diffrents lments de propritintellectuelle (brevets, droits dauteur, noms et marques) sontlocaliss dans une filiale, les autres filiales doivent payer desroyalties, ce qui permet nouveau dappauvrir et enrichir artifi-ciellement certaines filiales.

    Lexploitation des traits de prvention de la double imposition(voir supra) viendra utilement affiner ces mthodes, en utilisantau mieux les diffrences de qualification juridiques (dispositifshybrides, voir supra) et en privilgiant les circuits dpourvus deprlvement fiscal sur les mouvements montaires en cause.

    Une illustration parfaite de ces diffrentes mthodes peut tretrouve dans lenqute mene par lONG Action Aid sur lesactivits du gant brassicole SAB Miller au Ghana 84. La filialelocale, Accra Brewery, 30% de parts du march ghanen, adclar tre en perte pendant 3 des 4 exercices fiscaux de 2007 2010, et na donc pay in fine que 254000 euro sur la priode,pour un chiffre daffaire de 64 millions deuro.

    On peut raisonnablement supposer que ces chiffres sont lis auxpratiques suivantes (qui correspondent linventaire prcdent)dAccra Brewery avec dautres filiales du groupe SAB Miller dansdautres juridictions : 1/ endettement envers une filiale lle Maurice, versement deremboursement de capital et dintrts (perte fiscale annuelleestime pour le Ghana : 90000 euro) ;2/ dlocalisation du dpartement achats vers la mme filiale,qui ralise des profits en achetant et en vendant pour le comptedAccra Brewery (perte 793000 euro) ;3/ paiement de services de management quelque peu myst-rieux une filiale suisse (perte 189500 euro) ;4/ dplacement de la proprit intellectuelle des marques debire vers une filiale des Pays-Bas, laquelle Accra Breweryverse dimportantes royalties (perte 248000 euro).

    6/ la fiscalit des entreprises multinationales

  • LA RGLEMENTATION OCDE DES PRIX DE TRANSFERTSelon les Principes de lOCDE applicables en matire de prix detransfert lintention des entreprises multinationales et des admi-nistrations fiscales85, seules normes internationales existantesen la matire, la solution au problme consiste en lapplication duprincipe arms length (traduction littrale distance de bras,traduction officielle de lOCDE principe de pleine concurrence).

    En vertu de ce principe, toute opration transfrontalire entrefiliales dun mme groupe doit tre ralise au prix du march,soit le prix qui sappliquerait pour une opration identique entreoprateurs conomiques indpendants. De la sorte, les profitsne peuvent pas tre artificiellement dlocaliss et chaque filialeest ainsi oblige de dclarer les vritables profits quelle dgage,ce qui permet une taxation juste.

    Le fondement thorique de ce systme est profondment douteux.Selon lexpression de Lee A. Sheppard, cette approche est une illusion, une fiction monte sur une autre fiction86. La premirefiction est celle dimaginer que les diffrentes composantes dunemme entreprise multinationale soient des acteurs conomiquesindpendants, la deuxime est dimaginer que ces composantesagissent entre elles comme le feraient des entreprises indpen-dantes. Sur la base de ces deux fictions, il sagit ensuite de driverun prix. Les grandes entreprises multinationales existent et sedveloppent justement parce que, dans certains secteurs, il estplus efficace et conomique doprer grande chelle, dexploitersynergies et conomies dchelle. Le point de dpart de la mthodeOCDE est la ngation de cette vrit conomique lmentaire.

    Dun point de vue pratique, le systme arms length fonctionnepar le moyen de bases de donnes documentaires gigantesques,censes permettre lidentification du prix du march auquelcomparer les oprations entre filiales du mme groupe 87. Lacration et la gestion de ces bases de donnes est extrmementcoteuse et complexe, et donc dautant plus hors datteinte desadministrations fiscales des pays plus fragiles et plus pauvres.Enfin, si un prix du march comparable peut tre trouv relati-vement facilement pour des ventes de marchandises ou produits

    standards (ou fongibles), comment par contre trouver un prix dumarch pour des biens plus spcialiss, telles que des machines-outils sur mesure ou des services personnaliss88, ou encoredes actifs immatriels tels que la proprit intellectuelle89 ? Lapproche OCDE est donc profondment vicie, et particulire-ment dommageable pour les intrts des PED.

    Il existe pourtant un systme alternatif, celui de la rpartitionbase sur une formule objective (formulary apportionment enanglais)90. Lide est celle de partir de la ralit, en loccurrencecelle du profit global dune entreprise multinationale, quil sagitde considrer comme un total consolid, avant de le rpartirentre les diffrents pays au moyen dune formule base sur deslments objectifs (volume de ventes, masse salariale, actifs).

    82/ Dclaration de Berne, Commodities: Switzerlands most dangerous business, mai 2012, p. 258

    83/ Voir pour plus de dtails notamment Ruiz, M. & Romero, M. J.,op. cit.,pp.11 16, et Dclaration de Berne, op.cit., pp. 256 288

    84/ Hearson, M. & Brooks, R., Calling time.Why SAB Miller should stop dodging taxes in Africa, Action Aid, novembre 2010,http://www.actionaid.org.uk/doc_lib/calling_time_on_tax_avoidance.pdf

    85/ http://www.oecd.org/fr/ctp/prixdetransfert/principesdelocdeapplicablesenmatieredeprixdetransfertalintentiondesentreprisesmultinationale-setdesadministrationsfiscales.htm

    86/ Sheppard, L. A., Is transfer pricing worth salvaging?, Tax notes, 30 juillet2012, p. 471

    87/ Spencer, D., op.cit., p.6

    88/ Dclaration de Berne, op. cit., p. 267

    89/ LOCDE a rcemment entam un travail de rflexion sur le sujet des actifsimmatriels, qui semble cependant ce stade trs timide : OCDE, Discussiondraft. Revision of the special considerations for intangibles in Chapter VI of theOECD transfer pricing guidelines and related provisions. 6 june to 14 september2012, http://www.oecd.org/tax/transferpricing/50526258.pdf

    90/ Picciotto, S., Towards unitary taxation of transnational corporations, Tax justice network, dcembre 2012,http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/Towards_Unitary_Taxation_1-1.pdf

  • 24 / la fiscalit des entreprises multinationales

    En attendant que cette solution soit applique dans le mondeentier, ce qui semble une tche difficile et de longue haleine, il estdores et dj possible, limage de la plupart des pays mergents(Chine, Inde, Brsil) et malgr lhostilit de lOCDE, dvoluer versdes systmes hybrides, qui combinent en partie lapproche OCDEavec des lments de rpartition des profits sur base dlmentsobjectifs, y compris lapplication, des fins fiscales, de taux demarges fixes certaines oprations dans certains secteurs 93.Les manipulations sur les prix sont ainsi partiellement ignorespar le fisc et donc neutralises.

    Sous la pression des communiqus du sommet du G20 auMexique (juin 2012) et de la runion des ministres des Financesdu G20 des 5 et 6 novembre 2012, lOCDE a publi, en fvrier

    Cest notamment le systme propos dans lUnion europennesous le nom d Assiette commune consolide pour limpt dessocits 91 (CCCTB en anglais). Ce projet de directive vise permettre aux entreprises qui le souhaitent dopter pour unesorte de dclaration fiscale europenne unique, les bnficestant ensuite rpartis sur base dune formule entre les diffrentstats membres, ceux-ci restant libres de dterminer le taux dim-position sur les bnfices attribus. Cette proposition bnficiedu soutien de la confdration patronale europenne BusinessEurope92. On peut imaginer que Business Europe considrequavec cette proposition nombre de grandes entreprises euro-pennes sont susceptibles dpargner plus en frais de consul-tance juridique et fiscale que ce quelles sont susceptibles deperdre en optimisation fiscale entre les 27 tats membres.

    ENCADR 4GOOGLEYou can make money without doing evil, (Il est possible de gagner de largent sans vendre son me au diable), proclame firementla philosophie de Google. Troisime socit du secteur informatique aux tats-Unis en termes de capitalisation boursire (194,2 milliards de dollars), Google est une entreprise mondialement connue et visible, qui se targue en outre dtre particulirement respon-sable socialement.

    Mais la responsabilit sociale dont se pare lentreprise ne semble pas inclure lthique en matire fiscale. En effet, un article de lagenceBloomberg94 explique comment le groupe Google russit ne payer que le pourcentage minime de 2,4% dimpts sur les bnficesproduits en dehors du territoire des tats-Unis. Pourtant, le taux dimpt sur les bnfices des socits est de 24,99% en moyennedans le monde 33,99% en Belgique en 2010 ! Mme lIrlande, qui pratique pourtant un dumping fiscal quasiment officiel, appliqueun taux de 12,5%, bien au-del des 2,4% verss par Google.

    Google a vendu les droits dexploitation de ses brevets et autres proprits intellectuelles sa filiale Google Ireland Holdings, tablie,comme son nom ne lindique pas, dans les les Bermudes, et dirige par des partenaires dun cabinet davocat local. Google IrelandLimited emploie 2000 personnes Dublin, et ralise 88% des ventes hors tats-Unis du groupe, mais ne paye quun impt infime carles bnfices sont littralement mangs par les paiements de royalties la filiale des les Bermudes. Cest ce quon appelle le doubleirlandais dans le jargon des fiscalistes spcialiss.

    Mais lIrlande applique un prlvement sur les paiements de royalties dirigs vers les les Bermudes. Cest l quintervient le sandwichhollandais, en loccurrence une filiale hollandaise (qui ne dclare aucun employ), vers laquelle Google Ireland Limited dirige sespaiements de royalties, avant le transfert final vers les les Bermudes. Le tour est jou.

  • 2013, le rapport BEPS95. Il sagit dun vnement importantcar pour la premire fois lOCDE semble reconnatre le fait que lesystme de taxation des multinationales mis en place par lOCDEelle-mme ne fonctionne pas correctement.

    Le rapport remarque notamment que lanalyse des donnesdisponibles relatives aux investissements directs trangers peutprocurer des indications utiles sur limportance des phnomnesdrosion de la base dimposition et de transfert de bnfices,ainsi les les Vierges Britanniques taient en 2010 le deuximeprincipal investisseur en Chine (14%) (), lle Maurice est leprincipal investisseur en Inde (24%) 96 .

    Cette volution de lOCDE est plus que bienvenue, mais, commele relve la raction signe par 58 ONG et autres organisations dumonde entier97, dont le CNCD-11.11.11, on est encore loin ducompte.

    Premirement, le rapport ne propose aucune mesure concrteimmdiate, et renvoie un futur plan daction global.

    Deuximement, le rapport semble se concentrer sur les phno-mnes de planification fiscale agressive qui concernent plusdirectement les pays membres de lOCDE, tels que les manipu-lations sur les intangibles (proprit intellectuelle notamment)et le commerce lectronique, et moins les phnomnes qui tou-chent le plus les PED, tels que les manipulations plus grossiresdes prix de vente de productions extractives.

    Enfin, si lOCDE semble manifester une volont appuye de rapprochement avec les BRICS (Brsil, Russie, Inde, Chine,Afrique du Sud), les dizaines dautres PED semblent encore unefois relgus un rle marginal dans cette affaire qui lesconcerne pourtant au premier plan.

    91/ Voir http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/com-mon_tax_base/index_fr.htm

    92/ Communiqu de presse de Business Europe du 6 dcembre 2012 EU taxproposals must enhance transparency and competitiveness, http://www.busi-nesseurope.eu/content/default.asp?PageID=568&DocID=31049

    93/ Spencer, D., op. cit., pp.16 23 ; Durst, M. C., Making transfer pricingwork for developing countries, Tax analysts, 13 dcembre 2010, pp.851 854.

    94/ Google 2,4% Rate Shows How $60 Billion Lost to Tax Loopholes,Bloomberg, 21 octobre 2010.

    95/ De langlais Base erosion and profit shifting, le titre en franais du rapportest Lutter contre lrosion de la base dimposition et le transfert des bnfices,OCDE, fvrier 2013, http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/taxation/lutter-contre-l-erosion-de-la-base-d-imposition-et-le-transfert-de-benefices_9789264192904-fr

    96/ Ibid., p. 21 et 22

    97/ No more shifty business. A response to the OECDs Base Erosion andProfit Shifting report on tax published in February 2013, 2013,http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/OECD_Beps_130327_No_more_shifty_business.pdf

    98/ Saebye, O. G. & Koch, L., Natural resource watch. Report on Ghana,Natural resource watch et Ibis, Copenhague, fvrier 2012,

    DE LA TRANSPARENCE DE LINDUSTRIEEXTRACTIVE UN VRITABLE REPORTINGPAYS PAR PAYS GNRALIS ? Une des activits conomiques principales des PED, dailleurs enforte croissance depuis une dizaine dannes, est le secteurextractif (mines, ptrole, gaz, foresterie). Or, malgr la tendancelourde la hausse des cours et les profits de plus en plus impor-tants des grandes entreprises du secteur, les bnfices concretspour les populations locales dans les PED sont peu visibles.

    Prenons, titre dexemple, le cas du Ghana, neuvime producteurmondial dor, et deuxime du continent africain. Entre 2000 et2009, le cours de lor a t multipli par quatre. Les revenus delextraction aurifre dans ce pays ont connu une augmentation de139,5% de 2005 2009, passant de 995 millions de dollars US 2,38 milliards. Les autorits ghanennes continuent par contre toucher une part minime de ces revenus (4,08% soit 40,4 millionsde dollars US en 2005, 6,48% soit 154,5 millions en 2009). Payspauvre faisant face dinnombrables dfis sociaux, le Ghana abnfici de laide publique au dveloppement hauteur de 1,58milliards de dollars US en 200998.

  • 26 / la fiscalit des entreprises multinationales

    Selon le rseau Publish What You Pay , les exportations afri-caines de ressources naturelles valaient 246 milliards de dollars en 2009, ce qui correspond plus de six fois laide publique audveloppement destination du continent africain (44 milliards)99. Le problme de la sous-contribution manifeste de lindustrieextractive au dveloppement des PED est donc vident et crucial.Cest ainsi quest ne lide de dvelopper la transparence en lamatire, afin dy voir plus clair sur la distribution des revenus issus

    de ce secteur. Linitiative ITIE (Initiative pour la transparence de lindustrie extractive), cre en 2002, est un programme volontairede coopration entre des entreprises prives, des ONG et desgouvernements qui acceptent de publier, dune part, les paiementsque les entreprises extractives dclarent avoir verss aux tats et,dautre part, les revenus que les gouvernements dclarent avoirtir des secteurs minier, ptrolier et gazier100.

    GRAPHIQUE 4REVENUS MINIERS AU GHANA (2005 2009) 101

    0.5 B USD

    1.0 B USD

    2005 2006 2007 2008 2009

    Source : Ibis & Natural resource watch

    2.0 B USD

    0 B USD

    1.5 B USD

    Total revenus exploitation minire : 2,38 milliards de dollars

    Aide publique au dveloppement destination du Ghana : 1,58 milliards de dollars

    Part des revenus miniers perue par le gouvernement ghanen : 155 millions de dollars

    ENCADR 5

    LE CAS GLENCORE MOPANI Selon un audit commandit par le gouvernement zambien, rien que pour la mine de cuivre de Mopani, dtenue par une filiale du gantdu secteur Glencore, bas en Suisse, la Zambie a perdu en revenus fiscaux et en dividendes (la Zambie dtient une participation de10% au capital de la compagnie qui exploite la mine) un montant annuel estim 132,3 millions deuro. Pour ce faire, Glencore a orga-nis la sous-facturation systmatique de ventes de minerais une filiale en Suisse, et la surestimation des cots de production102.

    Malgr les protestations de Glencore, qui nie toute illgalit et toute manipulation, le scandale a malgr tout conduit la Banque europenne dinvestissement, une banque publique dtenue par les 27 tats membres de lUnion europenne, suspendre ses oprations de financement de la mine (la BEI avait accord un prt de 50 millions de dollars US en 2005)103.

  • Cette initiative, laquelle ladhsion est purement volontaire de lapart des tats, a servi de modle des initiatives lgislatives etdonc obligatoires. Ainsi la loi tats-unienne de rforme de lafinance, le Dodd-Franck Act 104 comporte un chapitre (section1504) qui oblige toutes les entreprises extractives (ptrole, gaz et minerais) cotes en bourse aux tats-Unis fournir des infor-mations prcises, pays par pays, sur les paiements quelles effec-tuent au bnfice des autorits publiques trangres.

    Ces instruments de transparence servent avant tout dcelerdventuelles hypothses de dtournement de revenus fiscaux pardes autorits publiques corrompues ou inefficaces. Mais un autreavantage dune telle dmarche est de permettre didentifier descas de sous-contribution fiscale manifeste.

    Cest dans ce dernier sens qua volu le dbat autour des pro-positions de la Commission europenne relatives linsertion dedispositions du mme type pour le secteur extractif et forestier,dans la rvision des directives europennes sur la comptabilit etsur la transparence des entreprises cotes105.

    Ces lgislations de rapportage pays par pays ne constituent pasdes solutions immdiates linjustice fiscale mondiale, mais unoutil puissant dans ce but. Une comptabilit vritablement trans-parente et dtaille pays par pays permettrait un dbat dmocra-tique inform sur le juste niveau de fiscalit sur les grandes entre-prises. Encore faut-il cependant que les informations soientdtailles et ne se limitent donc pas aux montants pays aux auto-rits, mais permettent une contextualisation afin de comparer cespaiements avec les volumes de production et le nombre dem-ploys dans chaque filiale par exemple.

    En ce sens, les dispositions de reporting pays par pays insresdans la version de la directive dite CRD IV de rforme de lalgislation bancaire vote par le Parlement europen le 16 avril2013106 semble aller dans le bon sens:

    Article 86 bis 1/ partir du 1er janvier 2015, les tats membres imposent auxtablissements de publier tous les ans les informations suivantessur base consolide pour lexercice concern, en ventilant ces

    informations par tat membre et par pays tiers dans lesquels ilssont tablis :a) leur(s) dnomination(s), la nature de leurs activits et leur loca-lisation gographique;b) leur chiffre daffaires;c) leur nombre de salaris sur une base quivalent temps plein;d) leur rsultat dexploitation avant impt;e) les impts pays sur le rsultat ;f) les subventions publiques reues.()

    Dvidence, aprs les secteurs extractifs, forestiers et bancaires,plus aucun argument srieux ne soppose lextension de ce typede transparence lensemble des secteurs.

    99/ Publish What You Pay, Tax in developing countries: increasing resourcesfor development, contribution crite aux travaux de la Commission dvelop-pement international du parlement britannique, 2 mars 2012,http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201012/cmselect/cmintdev/writev/1821/tax17.htm

    100/ Reinhold, S., Plus de transparence, un remde contre la maldictionde ressources ?, Commission justice et paix, octobre 2012,http://www.justicepaix.be/IMG/pdf/2012_Analyse_Plus_de_transparence_un_remede_contre_la_malediction_des_ressources.pdf

    101/ Saebye, O. G. & Koch, L., op.cit., p.4

    102/ Simpere, A.-S., Projet Mopani (Zambie) : lEurope au cur dun scandale minier, Les amis de la Terre France, dcembre 2010,http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/rapportmopani2.pdf ; Ruiz, M. &Romero, M. J., op. cit., pp.15, 29 et 30 ;

    103/ European Investment Bank halts loans to Glencore, The Guardian, 31 mai 2011

    104/ DoddFrank Wall Street reform and consumer protection Act, du 21 juillet 2010

    105/ Voir le site de la Commission europenne : http://ec.europa.eu/inter-nal_market/accounting/other_en.htm

    106/ Rsolution lgislative du Parlement europen du 16 avril 2013 sur la proposition de directive du Parlement europen et du Conseil concernant laccs lactivit des tablissements de crdit et la surveillance prudentielledes tablissements de crdit et des entreprises dinvestissement et modifiantla directive 2002/87/CE du Parlement europen et du Conseil relative lasurveillance complmentaire des tablissements de crdit, des entreprisesdassurance et des entreprises dinvestissement appartenant un conglomratfinancier (COM(2011)0453 C7-0210/2011 2011/0203 (COD)),http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&refe-rence=P7-TA-2013-114

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    7/ les conseils fiscaux

    Dans ldition de juillet 2012 de la revue Inequality in Focus dela Banque mondiale, un article brillant de Nora Lustig 107 analyseles effets redistributifs des politiques fiscales et sociales enAmrique latine. On y apprend quavant toute interventionpublique, la distribution des revenus y est extrmement ingale,celle-ci tant mesure par lindice Gini108.

    Larticle nous apprend que cette action redistributive, capablenotamment dliminer ou de rduire considrablement la pauvretlorsquelle est mene de faon dtermine, se dcompose endeux volets : ce que ltat donne et ce que ltat prend.

    Pour ce qui est du premier volet, ltat peut corriger les ingalitsde deux faons. Primo, en garantissant des transferts financiersau bnfice de toute ou partie de la population des transferts,tels que les diffrentes prestations de la scurit sociale enBelgique, par exemple qui viennent donc augmenter lesrevenus des bnficiaires. Et, secundo, en prenant en charge laprestation de services gratuits ou subs