Fussman 1982 Empire maurya

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Annales. Économies, Sociétés, Civilisations Pouvoir central et régions dans l'Inde ancienne : le problème de l'Empire maurya Gérard Fussman Abstract Central Power and Regions in Ancient India : the Case of the Maurya Empire The Maurya Empire (ca. 313-200 B.C) was one of those rare periods in which nearly the entire Indian subcontinent was politically united in a single State. Most historians regard it as a Unitarian and centralizing State. Although amply supported by contemporary sources, such a description overlooks the enormous distances involved and the lack of rapid communications. In fact, the sources can be made to show that the Maurya administration was, on the contrary, highly flexible, that it adapted itself to local situations, and that centralization made itself felt only in the regions closest to the seat of power. Citer ce document / Cite this document : Fussman Gérard. Pouvoir central et régions dans l'Inde ancienne : le problème de l'Empire maurya. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 37année, N. 4, 1982. pp. 621-647. doi : 10.3406/ahess.1982.282876 http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1982_num_37_4_282876 Document généré le 29/09/2015

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Gérard, Fussman, article sur l'empire maurya : pouvoir central et régions dans l'Inde ancienne

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Annales. Économies, Sociétés,Civilisations

Pouvoir central et régions dans l'Inde ancienne : le problème del'Empire mauryaGérard Fussman

AbstractCentral Power and Regions in Ancient India : the Case of the Maurya Empire

The Maurya Empire (ca. 313-200 B.C) was one of those rare periods in which nearly the entire Indian subcontinent waspolitically united in a single State. Most historians regard it as a Unitarian and centralizing State. Although amply supported bycontemporary sources, such a description overlooks the enormous distances involved and the lack of rapid communications. Infact, the sources can be made to show that the Maurya administration was, on the contrary, highly flexible, that it adapted itselfto local situations, and that centralization made itself felt only in the regions closest to the seat of power.

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Fussman Gérard. Pouvoir central et régions dans l'Inde ancienne : le problème de l'Empire maurya. In: Annales. Économies,

Sociétés, Civilisations. 37ᵉ année, N. 4, 1982. pp. 621-647.

doi : 10.3406/ahess.1982.282876

http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1982_num_37_4_282876

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L 'INDE

POUVOIR CENTRAL ET RÉGIONS DANS L'INDE ANCIENNE :

le problème de l'empire maury a 1

J'ai toujours admiré le Kim de Kipling. C'est la meilleure introduction possible à la foule nord-indienne, avec sa bigarrure de costumes, sa multitude de langues, la diversité de ses coutumes. Pas d'apparence d'unité dans cette cohue, sauf le système de communications et l'administration britannique. Les frontières de l'Inde2 s'arrêtent là où s'arrête l'armée du British Raj. Pour beaucoup d'observateurs extérieurs, la situation n'a guère changé : la partition, trois guerres indo-pakistanaises, une guerre sino-indienne, d'autres événements tragiques encore montrent bien que l'unité et les frontières des États indiens dépendent de l'efficacité de leur administration centrale et de leurs forces armées. L'appartenance à une caste, à un groupe linguistique, à une communauté religieuse paraissent toujours passer avant le sentiment de faire partie d'une même nation.

Pourtant la littérature indienne ancienne, brahmanique, bouddhique ou jaina, a toujours considéré l'Inde comme une unité, même si elle n'en définit pas précisément les frontières. Kim, allant de Lahore à Simla, ne croit pas changer de pays, et les hommes politiques du Congrès ont ressenti le fait même de la partition comme une tragédie. Au-delà de la diversité des races et des coutumes, il y a toujours eu en Inde un mouvement vers l'unité. Il a rarement abouti à l'unification politique du sous-continent. Le seul « empire » indien comparable par sa taille au Ráj britannique est l'empire maurya 3, fondé par Candragupta vers 3 1 3 avant n. è., accru par ses successeurs Bindusâra et Asoka (261-226 ?)4. Sous ce dernier, les frontières de l'empire maurya coïncident avec les frontières naturelles de la péninsule, sauf à l'extrême sud où subsistent quelques royaumes indépendants 5. Tout se conjugue pour faire de cet empire le symbole de l'unité indienne : son étendue, sa longue durée, l'exceptionnelle personnalité des trois premiers souverains, dont chacun fut le protecteur d'une des grandes religions non musulmanes de l'Inde (le premier aurait été jaina, le second hindou et le troisième proclamait haut et fort sa conversion au bouddhisme). On conçoit que les armoiries de la République indienne reproduisent le chapiteau d'une colonne dite ď Asoka, et que la référence à l'empire maurya soit constante dans le discours politique de cet État. On conçoit aussi que la réflexion menée sur la façon dont s'est constitué, agrandi, puis désintégré cet empire ait des implications politiques immédiates pour les Indiens.

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L'INDE

En fait, elle en a pour toute région qui, comme notre Europe, cherche son unité politique au-delà de la diversité des langues et des peuples qui la composent.

Pour l'historien de l'Antiquité orientale, ce type de réflexion n'est pas moins intéressant. Des expériences récentes nous montrent que, malgré la révolution des transports et des communications, malgré le moyen d'unification puissant que constituent l'éducation obligatoire et le contrôle des grands moyens d'information, malgré l'énorme progrès des techniques de propagande et de répression, malgré parfois la pratique effective de la démocratie représentative, les particularismes continuent à survivre au point de mettre en danger l'unité des empires et même des États. L'absence de ces techniques modernes n'a pourtant pas empêché la constitution, dès une haute antiquité, d'empires très étendus, plurilingues et multiethniques. Comment expliquer ce paradoxe ? Par la moindre virulence des particularismes de toute sorte ? Par l'emploi de la force ? Par l'habileté et la générosité (ou la cruauté) des souverains ? Ou par l'efficacité de l'appareil administratif ?

Ce sont des questions que l'on s'est rarement posées. On a pu consacrer tout un colloque au « concept d'empire » sans presque jamais évoquer les conditions matérielles et politiques de leur existence 6. Il est vrai que l'on avait demandé aux rapporteurs de s'interroger sur l'idéologie impériale plus que sur le fait impérial. Mais le manuel qui fait encore autorité sur l'histoire de l'empire achéménide 7 ne consacre quasiment aucune ligne à ce problème, comme si la constitution dès le vie siècle avant n. è. d'un empire s'étendant de l'Egypte à l'Inde et se maintenant deux siècles durant allait de soi.

Selon les historiens qui ont traité la question, les deux empires iraniens centrés sur la Perside ont assuré leur cohésion et leur survie de façon très différente. L'empire achéménide devrait sa relative stabilité à la sage politique de Cyrus et de ses successeurs, contrôlant le pays par l'armée, surveillant la rentrée des impôts grâce à leurs satrapes, mais respectant tous les particularismes et accordant une large autonomie à certaines populations 8 . Il y a là un équilibre que rendent possible la fidélité de l'armée, dont les composantes essentielles sont mèdes et perses, une bureaucratie très efficace de langue araméenne 9 et surtout l'existence de la route royale que décrit avec émerveillement Hérodote. Une armée fidèle, une administration efficace, des moyens de communications rapides, une habile politique des nationalités, voilà ce qui permet le maintien du pouvoir des Rois des Rois. Quelques siècles après la disparition du dernier souverain achéménide, Ardeshir Ier fonde en 224 de n. è. un autre empire iranien, l'empire sassanide, rival souvent heureux de Byzance, et que seuls les Arabes devaient abattre (651 de n. è.). Or, selon A. Christensen, le maintien de l'empire sassanide, moins étendu pourtant que l'empire achéménide, repose sur deux facteurs essentiels : une centralisation très poussée, et l'introduction d'une religion d'État 10. Le système de communications hérité des Achéménides continue à être entretenu, mais l'armée, recrutée sur des bases féodales, constitue à la fois un facteur de cohésion et de division.

On simplifiera les choses en disant que deux types de solutions étaient donc possibles : une structure lâche, respectant les particularismes, ou une structure centralisatrice et unificatrice ; toutes deux supposent un pouvoir central fort, s' appuyant sur l'armée, une bureaucratie efficace et un système de communications

rapides. Dans l'Inde maury a, la diversité des peuples, des langues et des coutumes n'était pas moindre que dans l'Iran achéménide. Le niveau des techniques devait être approximativement comparable. Mais selon les historiens de l'empire maurya

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quasi unanimes, la solution retenue fut la solution centralisatrice. Sur les moyens de cette centralisation, on ne s'appesantit guère, faute de documents ; on ne s'interroge pas sur ce qui, en dehors de l'activité personnelle du souverain, la rend possible. On se contente d'affirmer le fait, sans jamais penser que, si cette affirmation est exacte, l'empire maurya, exceptionnel en Inde par son étendue et sa durée, l'est aussi par son inspiration politique : tous les autres empires indiens, y compris le British Râj, y compris même l'actuelle République indienne, étaient de structure féodale ou fédérale.

Les indices d'une volonté centralisatrice

Les historiens contemporains considèrent que l'empire maurya, sous Asoka, était unitaire et centralisateur. Les points de vue les plus extrêmes sont exprimés par R. Thapar et B. M. Barua :

L'établissement de l'État maurya introduisit une nouvelle forme de gouvernement, celle d'un empire centralisé... A l'intérieur de l'empire, les régions n'étaient pas confédérées, mais considérées comme dépendant directement du pouvoir maurya. L'État maurya n'était pas une fédération d'États... (Le roi) contrôlait complètement tous les domaines de la vie politique et sociale n.

La forme du gouvernement ď Asoka était unitaire dans la mesure où le roi et le conseil des ministres centralisaient tous les pouvoirs de l'État et où la conduite de l'État se faisait entièrement à partir de la capitale, Pâtaliputra... Tous les ordres, oraux ou écrits, directives, instructions et mesures déterminant les méthodes d'administration et de contrôle ainsi que la façon d'exécuter les souhaits du roi, émanaient du roi... n.

M. Mookerji 13 et surtout M. Bongard-Levin sont plus nuancés :

Le degré de centralisation et de bureaucratisation du système administratif ne doit pas être surestimé. L'empire maurya, en réalité, fut le premier État indien unifié et il comportait de nombreux traits hérités de la structure politique antérieure et des traditions tribales. Les souverains maurya cherchèrent à exercer un contrôle effectif sur tous les aspects de la vie et sur toutes les institutions. Ils mirent en place un système de contrôle particulier et une police secrète. L'administration centrale fit des efforts directs pour imposer son autorité à beaucoup d'institutions provinciales. Néanmoins, il n'est possible de parler de contrôle strict de l'État qu'en ce qui concerne (le cœur de l'empire). Dans les provinces, particulièrement les provinces éloignées, il y avait de fortes institutions locales et des tendances séparatistes se voyaient clairement 14.

Tous ces auteurs utilisent comme source digne de foi ÏArthasâstra de Kautilya, manuel de politique qui passe pour avoir été composé par le premier ministre de Candragupta. En fait, la plus grande incertitude règne sur la date de cet ouvrage. A supposer qu'il remonte à un original composé par Kautilya, il a sans doute été remanié ou interpolé à une date impossible à préciser 1S. L'Arthasâstra ne se prétend pas œuvre de géographe ou d'historien. C'est un traité de politique et d'administration qui propose plus qu'il ne constate, et dont les règles valent pour un royaume de faible étendue (par rapport à la taille du sous-continent), pas pour un

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Laghman/Darunta

Shâhblzsarhï

I.. Kandahar

LES INSCRIPTIONS D'ASOKA

À BUT NON SPÉCIFIQUE

Girnar

I РЕ : édit sur colonne

I RE : édit sur rocher

® traduction libre

W MRE I : édit mineur sur rocher

# MRE I et II

O TAXILA : siège d'un vice-roi

® PAINA : capitale impériale

500 km

Lauriya-Araraj PATNA

Nittur, Udegolam Maski I SUVARNAGIRI

Sopara

Palkïgundu, ^GavTmath ДЦ-Erragudi,

(Л ̂ Râjula-Mandagiri

Brahmagiri, Siddapura, Jatinga-Râmësvaral

Figure 1.

G. FUSSMAN L'EMPIRE MAURYA

empire englobant l'Inde tout entière. La preuve s'en administre aisément. Le livre VII de VArthasâstra énumère six mesures de politique étrangère qui toutes supposent que le royaume peut être entouré de rivaux plus puissants, qu'il faut chercher à affaiblir et encercler. Or l'empire de Candragupta, et plus encore celui d'Asoka, ne peuvent être encerclés (fig. 1). Le seul danger extérieur est au nord- ouest, il vient de l'empire séleucide qui ne peut être pris à revers par un éventuel allié. Il vaut donc mieux ne pas utiliser YArthasàstra, ni les légendes bouddhiques fixées plusieurs siècles après l'événement, et s'en tenir à deux documents dont la date est assurée : des fragments de la relation de voyage de Mégasthène, qui fut ambassadeur de Seleukos Nikator auprès de Candragupta et séjourna à Pâtaliputra (actuelle Patna), la capitale impériale 16 ; les inscriptions d'Asoka, réparties en de multiples copies sur tout le territoire de l'empire (fig. 1 ) 17. Ce sont les seules sources contemporaines des faits qu'elles décrivent. Elles fournissent assez d'indications pour conclure à la volonté centralisatrice des souverains maurya.

Mégasthène, bien que signalant l'existence en Inde de 1 1 8 peuplades, semble pourtant considérer qu'il n'y a pas de différenciation régionale importante. Dans les fragments conservés de son œuvre ne se trouve le nom d'aucune province ayant gardé un statut particulier, ou le souvenir de son ancienne indépendance. Même les royaumes de Taxila et de Poros, connus des Grecs car soumis par Alexandre vingt ans à peine avant l'arrivée de Mégasthène en Inde, ne sont pas mentionnés. Leur incorporation dans l'empire maurya semble les avoir fait disparaître entièrement de la carte politique de l'Inde. Les divisions sociales, les mécanismes administratifs, y compris l'administration municipale, semblent valoir pour tout l'empire de Candragupta.

Lorsqu'on lit les inscriptions d'Asoka, l'impression est exactement la même. Les ordres du roi s'appliquent à tout le territoire de l'empire, sans exception. Aucun nom de province ou de ville n'est mentionné dans le corps du texte 18, sauf quatre exceptions qui s'expliquent toutes aisément. Dans le XIIIe édit sur rocher (RE XIII), Asoka raconte la crise morale qu'a provoquée chez lui sa conquête du Kalinga, et le changement d'attitude qui en résulte. Le mot Kalinga (actuel Orissa) devait obligatoirement figurer dans ce texte ; nulle part ailleurs il ne reparaît. Une version de RE I glose iha, « ici », par « sur le mont Khepingala » ; la version de Girnar de RE V glose un autre iha par « à Pâtaliputra » 19. Enfin, l'édit bouddhique retrouvé près de Bhabra 20 commence par la formule « Le roi magadhien Priyadassi... », où magadhien est un ethnique : l'usage voulait que les rois portent aussi le nom de leur capitale, ou du peuple auquel ethniquement ils appartenaient 21. Si l'on excepte ce dernier adjectif, qui n'apparaît pas dans les édits « pan-indiens » d'Asoka et les deux gloses dues aux scribes locaux, le seul toponyme conservé dans le corps des inscriptions est donc le nom du Kalinga. Les anciens royaumes que mentionnent les chroniques bouddhiques 22, et que les Maurya ont incorporés à leur empire (Avanti, Kosala, Anga, etc.) ne sont pas nommés ; ils paraissent avoir disparu en tant qu'entités politiques ou administratives. Aucune modalité spéciale d'application n'est prévue en fonction des situations locales.

Depuis Senart, il est vrai, on a remarqué que certaines populations, au dire même de RE V et XIII, jouissaient d'un statut particulier à l'intérieur de l'empire d'Asoka. Yona et Kamboja, Nâbhaka et Nâbhapanti, Bhoja et Pitinika, Andhra et Pârinda, toutes populations frontalières, ou vivant dans des territoires difficiles d'accès si l'on en croit les identifications traditionnelles (fig. 2), sont en effet nommées à part. Senart les caractérise comme « des populations... sur lesquelles

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I РЕ : édit sur colonne IH RE : édit sur rocher ® traduction libre © MRE I : édit mineur

sur rocher # MRE I et II О TAXELA : siège d'un vice- roi © PATOA : capitale inçériale

500 km

Fig. 2. — Aires minimales occupées par les langues non indo-aryennes (en pointillé), et (en majuscules) emplacement supposé des populations « autonomes », dans l'empire ďAšoka.

G. FUSSMAN L'EMPIRE MAURYA

(Asoka) exerçait, non pas une domination absolue (car il paraît y redouter des entraves à la libre expansion de ses coreligionnaires), mais une suzeraineté plus ou moins effective » 23.

Les conclusions de Senart sont corroborées par l'analyse de la traduction grecque de RE XII, telle que nous la lisons à Kandahar 24. Cette adaptation très soigneuse 25 omet pourtant le dernier paragraphe de redit : « Nombreux sont ceux employés à cet objet : surintendants de la Loi, surintendants surveillants des femmes, préposés aux personnes en déplacement 26, et d'autres corps d'agents. Le résultat en est le progrès de la secte propre à chacun et la mise en lumière de la loi. 27 » Si ces différents agents du pouvoir royal ne sont pas mentionnés à Kandahar, c'est probablement que certains n'y existaient pas 28 ou que leur activité parmi les Yona et les Kamboja 29 était plus discrète que dans le reste de l'empire 30. Dans ces régions frontalières, il serait donc exagéré de parler de centralisation administrative.

Mais lisons le texte même des inscriptions : « C'est moi qui treize ans après mon sacre ai créé les surintendants de la Loi. Ils ont affaire à toutes les sectes... pour le bien et le bonheur des fidèles de la Loi parmi les Yona, Kamboja, Gandhâra, Ristika, Pitenika, et autres Occidentaux. Ils ont affaire aux... brahmanes et aux riches 3 ' , aux pauvres, aux vieillards en vue du bien et bonheur et de l'assistance aux fidèles de la Loi. . . Or la victoire que l'ami des dieux considère comme la première de toutes, c'est la victoire de la Loi. Quant à lui, l'ami des dieux l'a remportée ici et sur les frontières, jusqu'à six cents lieues, là où (sont divers souverains hellénistiques) ; et au sud les Cola et les Pândya, jusqu'à Ceylan ; et de même ici dans l'empire, les Yona et Kamboja, Nabhaka et Nabhapanti, Bhoja et Pitinika, Andhra et Parinda, partout on se conforme à l'enseignement de la Loi de l'ami des dieux. 32 » La phrase de Senart a besoin d'être complétée pour être parfaitement exacte : ces populations jusqu'à Asoka jouissaient d'un statut particulier au sein de l'empire, et Asoka se vante d'avoir pris des mesures pour que ses ordres soient effectivement respectés même dans ces territoires éloignés. Regardons la figure 1 : presque toutes les versions connues des RE, d'où sont extraits ces passages, sont gravées aux confins de l'empire. On doit supposer, il est vrai, que les RE étaient affichés en bien d'autres endroits, et que leur répartition actuelle dépend du hasard de leur conservation. Mais par quel hasard les versions conservées l'ont-elles été seulement sur le pourtour de l'empire ?

Autres populations à statut particulier, les tribus semi-civilisées qu'Asoka appelle « la brousse », qui sont peut-être les populations non aryanisées qui subsistent encore au centre de l'Inde. Dans RE XIII, Asoka déclare : « Et même si on lui fait tort, l'ami des dieux pense qu'il faut patienter autant qu'il est possible de patienter. Quant à la brousse qui se trouve dans l'empire de l'ami des dieux, elle aussi il la concilie et la prêche. On leur explique même que le remords en est la cause, de façon qu'ils se repentent et cessent de tuer. » Telle est du moins la traduction de J. Bloch 33, qu'il veut conforme aux intentions générales d'un texte où Asoka, après s'être déclaré ému par les horreurs de la guerre du Kalinga, semble désormais renoncer à la violence. Mais la seule traduction tenant compte de la grammaire est « afin qu'ils se repentent et ne soient plus tués ». Elle est adoptée par la presque totalité des auteurs 34 et explique parfaitement l'ambigu « l'ami des dieux pense qu'il faut patienter autant qu'il est possible de patienter ». En d'autres termes, les ordres du roi doivent s'appliquer partout, même chez les populations qui vivent en marge, sous peine de répression violente. La même idée revient sous forme

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moins menaçante dans RE III et RE V : « partout dans mon empire 35. » C'est l'affirmation répétée que les ordres du roi sont valables en tout lieu de l'empire, sans exception aucune. C'est au point que les fonctionnaires d'Asoka l'ont considéré comme un souverain universel. Pour eux, et bien que le terme ne soit pas employé, Asoka était ce que les bouddhistes appellent un cakravartin 36 : il était le maître de la terre. C'est ainsi qu'à Dhauli, dans le passage de RE V cité plus haut, « partout dans mon empire » est remplacé par « partout sur la terre » 37. Une phrase de MRE 1 38 dit que l'action d'Asoka s'est étendue à l'ensemble du Jambudvîpa, c'est-à-dire de la péninsule indienne considérée comme totalité du monde habitée par des humains 39.

Je pense qu'il faut garder cette idée à l'esprit pour lire RE II : « Partout dans l'empire du roi ami des dieux au regard amical, et même aussi chez les limitrophes, comme les Cola, les Pândya, le Satyaputra, le Keralaputra, jusqu'à Taprobane (Ceylan), Antiochus le roi grec et les rois qui sont voisins de cet Antiochus, partout le roi ami des dieux au regard amical a institué les deux secours médicaux, secours pour les hommes, secours pour les bêtes. 40 » De même RE XIII : « Or la victoire que l'ami des dieux considère comme la première de toutes, c'est la victoire de la Loi (dharma-vijaya-). Quant à lui, l'ami des dieux l'a remportée ici et sur les frontières jusqu'à six cents lieues, là où est le roi grec Antiochus, et plus loin qu' Antiochus, quatre rois, Ptolémée, Antigone, Magas et Alexandre ; et au sud, les Cola et les Pândya jusqu'à Taprobane (Ceylan)... 41 »ou PE I : « Mes agents aussi, supérieurs, subalternes et moyens, s'y conforment et la font appliquer, assez pour entraîner les hésitants. De même encore pour les surintendants des frontières (antamahâ- mâtâ) 42. » Asoka se conduit comme un souverain cakravartin dominant le monde grâce à une victoire conforme au dharma, c'est-à-dire une victoire après laquelle les souverains vaincus — ou qui se sont soumis sans combat — sont confirmés dans leur souveraineté antérieure, sous réserve de verser un tribut minime et souvent symbolique à leur suzerain, dont ils reconnaissent ainsi la supériorité43. En recevant les envoyés d'Asoka, en acceptant que le dharma (les principes moraux valables pour tout Indien) soit prêché chez eux, les souverains indépendants nommés par Asoka reconnaissaient en fait, dans le système de pensée indien, sa suzeraineté. Les souverains hellénistiques n'ont sans doute jamais soupçonné ces implications, mais les chroniques de Ceylan montrent que les Cinghalais en étaient conscients 44. Asoka, très probablement, se considérait comme le souverain du monde entier : ses ordres devaient être strictement obéis à l'intérieur de l'empire proprement dit, et partiellement suivis chez les souverains indépendants qu'il considérait comme ses vassaux et protégés, et dont l'activité était surveillée par « les surintendants des frontières ».

L'autorité royale était personnelle. A lire certains passages, on a l'impression que tout dépend de la volonté du roi. Le ton est autoritaire. « A tout moment, soit que je mange, (que je me trouve) dans l'appartement des femmes, dans ma chambre à coucher, soit que (je sois) en déplacement, aussi bien en (litière ?) que dans mes jardins, partout des informateurs présents doivent m' informer des affaires publiques : et partout je m'occupe des affaires publiques. Et quelque ordre que je donne verbalement, relatif à une donation ou à une proclamation, et d'autre part toute affaire urgente qui est confiée aux surintendants, s'il y a à leur sujet contestation ou délibération au conseil, on doit m'en informer immédiatement, partout, à tout moment : tel est mon ordre. 4S » On sait qu' Asoka s'est même mêlé des affaires intérieures de la communauté bouddhique 46.

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FIG. 3.- SCHEMAS DE TRANSMISSION DES EDITS

1) Selon U. Schneider

2) Selon K. R. Norman

I ЕЕ : édit sur colonne Ш RE : édit sur rucher <§) traduction libre © MBE I : édit mineur

sur rocher • MRE I et II О ТАХПА : siège d'un vice-roi О РАША ; capitale inpériale

3) Par voie hiérarchique selon G. Fussman. Pour simplifier les MRE sont représentés comme issus de Patna

L'INDE

Dernier indice de la volonté toute-puissante du souverain, sa volonté de faire afficher partout dans l'empire le texte de ses proclamations. La figure 1 montre le nombre et la répartition de ces inscriptions. Les édits sur rocher sont connus par dix copies dont huit sont bien conservées. Le texte est identique dans chacune des versions, à l'exception de variantes dialectales, de fautes et de légères différences qui permettent d'établir quelle copie ressemble le plus à quelle autre, et quelle version dépend de quelle autre. C'est un travail auquel sont habitués les éditeurs des manuscrits antiques. On a ainsi proposé récemment, à partir de raisonnements strictement philologiques, deux schémas très différents (fig. 3, 1 et 2) 47, mais qui tous deux supposent que les édits partent de la capitale impériale et sont gravés là où on les a trouvés sans autre intervention que celle du scribe/traducteur. Les deux schémas sont ultra-centralisateurs.

Les moyens de la centralisation

L'unification politique de l'Inde au nie siècle avant n. è. était facilitée par l'existence d'une culture dominante, la culture indo- aryenne48. Les Aryens arrivant en Inde (vers 1 500 avant n. è. ?) n'y pénétraient pas dans un désert. Ils se heurtaient à des populations parlant des langues diverses, dont beaucoup ont dû disparaître, mais dont certaines subsistent encore aujourd'hui, sous forme évoluée : langues munda du centre de l'Inde, langues dravidiennes du Sud, etc. Il y avait eu aussi une civilisation très brillante dans la vallée de l'Indus et à l'ouest de Delhi, la civilisation harappéenne.

Au temps d'Asoka, la carte linguistique de l'Inde n'était certainement pas uniforme. On devait parler dravidien dans le Dekkhan et à l'extrême sud, munda au centre (la brousse), tibéto-birman sur les pentes de l'Himalaya et du Karakoram, grec et iranien sur la frontière du nord-ouest (fig. 2). Mais les langues les plus répandues étaient indo-aryennes et, à en juger par les édits d'Asoka, elles n'étaient pas assez différenciées pour empêcher l'intercompréhension. La culture dominante, la seule que permettent aujourd'hui de saisir les textes conservés, était la culture indo-aryenne ; les seules langues véhiculant cette culture étaient indoaryennes -, les religions, l'organisation sociale, les modes de pensée dominant étaient véhiculés par des textes en langues indo-aryennes. C'est pourquoi Asoka peut dire « il n'y a pas de contrée (en Inde) où ne se trouvent ces groupes, à savoir brahmanes et samanes, sauf chez les Yona ; ni de pays où les hommes n'adhèrent pas à une secte ou une autre » 49. C'est parce que toutes les sectes se sont développées sur un fonds commun de doctrines qu' Asoka peut prêcher la concorde entre les sectes (RE XII) et proposer à l'Inde un code moral (le dharma), dont tous les observateurs ont noté qu'il convient aussi bien aux bouddhistes et aux jainas qu'aux hindous.

Si la persuasion ne réussit pas, reste la force. La puissance et l'organisation des armées de Candragupta sont bien connues. Candragupta était un chef de guerre, qui, parti du nord-ouest, avait conquis la vallée du Gange, et renversé les souverains du Magadha, fondant ainsi son empire. Il n'avait d'autre légitimité que ses troupes. Seleukos Nikator, parti reconquérir les provinces indiennes un temps soumises à Alexandre, dut y renoncer et signer un traité de bon voisinage avec Candragupta. Mégasthène donne des indications très précises sur l'armée maurya 50 : c'était une armée permanente et professionnelle, donc dépendant entièrement du souverain.

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G. FUSSMAN L'EMPIRE MAURYA

L'État payait les artisans qui fabriquaient les armes ; il avait seul le droit de stocker celles-ci et de posséder des bêtes de guerre (chevaux et éléphants). Des état-majors spécialisés s'occupaient des différents corps de troupe, des transports, des étables, de la nourriture, etc. Bref l'armée ne dépendait que du roi ; elle était toujours à son entière disposition, bien équipée et très nombreuse. Asoka s'en est servi pour conquérir le Kalinga, et rien n'indique qu'ensuite le remords l'ait poussé à la démanteler. S'il l'eût fait, il s'en serait vanté ; c'eût été le couronnement de ses efforts pour éviter la violence.

Les Maurya avaient aussi à leur disposition une administration complexe. D'abord, une police bien organisée, dont tous les auteurs ont conservé le souvenir, que Mégasthène a remarquée 51 et qui constituait un système de surveillance et d'espionnage encore renforcé sous Asoka (RE XII) 52. Et puis des fonctionnaires municipaux ou provinciaux, dont nous avons une liste par Mégasthène et dont les inscriptions d'Asoka nous ont conservé quelques noms 53. Il est impossible de comprendre dans le détail le fonctionnement de cette administration, sur laquelle nous sommes finalement très mal renseignés, et encore moins de se prononcer sur son efficacité. Elle était probablement de date récente ; c'est une des différences avec l'empire achéménide qui pouvait compter sur une administration vieille de plusieurs siècles, héritée des royaumes conquis d'Élam, de Babylonie et d'Egypte. Je ne sais que conclure du fait que dans le nord-ouest une administration de langue araméenne et grecque ait été maintenue, ni du fait que les versions de MRE I à Brahmagiri et Siddâpura, à l'extrême sud de l'empire, aient été gravées par un scribe originaire du nord-ouest 54. Est-ce un signe de souplesse et de mobilité de l'administration maurya, ou au contraire, de la faiblesse de l'administration proprement magadhienne ?

Autre point délicat, les communications. Selon Mégasthène 55, il existait un service de travaux publics chargé de construire les routes, de les entretenir et d'installer des bornes indicatrices tous les dix stades. Aucune de ces bornes n'a été retrouvée, sauf peut-être au Laghman 56, mais il n'y a aucune raison de douter de leur existence, indirectement confirmée par une phrase de RE II : « Sur les routes, des puits ont été creusés et des arbres plantés à l'usage des hommes et des bêtes. 57 » Mais nulle part, même dans VArthasâstra, il n'est parlé de service de courriers, de poste rapide. Il est curieux que Mégasthène n'en parle pas, alors que l'ensemble de son chapitre sur l'administration maurya est conservé. Admettons même qu'il y ait eu un système de communications gouvernementales, et qu'il ait été aussi efficace que celui des grands Moghols (xvie-xvine siècle) qui disposaient d'un système de courriers par relais permettant d'acheminer les nouvelles à des vitesses dépassant 1 00 km par jour, soit cinq jours entre Kandahar et Taxila, vingt jours entre Peshawar et Ahmedabad. Sur une route postale régulière très fréquentée, on atteignait même une vitesse de transmission de 1 7 1 km par jour (cinq jours entre Agra et Ahmedabad). Si l'on additionne les chiffres cités par J. Deloche 58, on peut calculer qu'un courrier parti de Patna, capitale et résidence d'Asoka, aurait mis environ trente jours pour parvenir à Kandahar, onze jours pour arriver au Bengale, toujours en supposant qu 'un service de courriers ait existé, ce dont nous n'avons aucun indice. Ces durées sont valables pour les communications dans la plaine indo-gangétique. Entre le Nord et le Sud de l'Inde, les communications étaient beaucoup plus lentes. Bien que peu hautes, les collines où prennent leur source les affluents de la rive droite du Gange ont toujours constitué un obstacle difficile à franchir. Ces monts Vindhya sont, dans la littérature indienne, le repaire des bêtes

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I ! РЕ : édit sur colonne ■ RE : édit sur rocher ® traduction libre © MRE I : édit mineur

sur rocher • .MRE I et II O TAXILA : siège d'un vice- roi © PATNA : capitale impériale

500 km

Fig. 4. — Vitesse supposée de transmission des nouvelles sous Asóka, en nombre de jours. Les vitesses figurant sans ? sont celles effectivement réalisées sous les grands Moghols.

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sauvages, des brigands, et des démons mangeurs de chair humaine. Les rivières coulent d'est en ouest, ďouest en est, dans un lit très encaissé et coupent les axes de communication nord-sud. Au moment de la saison des pluies, les communications deviennent très difficiles dans toute l'Inde. Les plaines sont inondées. Les rivières du Dekkhan, démesurément grossies, ne peuvent plus être passées que sur des ponts, très peu nombreux, même sous les Moghols.

Imaginons que le gouverneur de Kandahar veuille informer le souverain maurya qu'un coup de main se prépare contre sa ville, ou qu'un soulèvement de population soit prévisible. Il lui faudra trente jours pour prévenir Patna. Dans le meilleur des cas, il recevra des instructions deux mois après le départ de son courrier et il se passera au moins quatre mois avant qu'une armée partie de Patna vienne lui prêter main-forte. Ces chiffres valent aussi, grosso modo, pour le trajet Suvarnagiri (dans le sud) - Patna (fig. 4). Entre juin et septembre, ils doivent être multipliés par deux. Imagine-t-on qu'un pays puisse être ainsi gouverné, sans qu'il y ait des relais entre gouverneurs locaux et pouvoir central, concentration de troupes aux endroits stratégiques, et droit d'initiative laissé aux représentants du souverain, au moins en cas d'urgence ? Comment veut-on aussi que le roi, si actif soit-il, sache quelles mesures conviennent plus particulièrement aux Yona (Grecs) très civilisés de Kandahar, aux populations des marécages du Bengale, aux sauvages du centre de l'Inde, aux montagnards du Népal, etc. ? A priori, on doit donc supposer l'existence de représentants locaux du pouvoir royal, disposant d'une large délégation de pouvoirs. C'est sur cet aspect des choses, très rarement remarqué jusqu'ici, que nous allons maintenant insister.

Les administrations intermédiaires

J'ai cité p. 628 le passage de RE VI où Asoka affirme s'occuper personnellement, partout et en toutes circonstances, « des affaires publiques ». Mais l'expression française « affaires publiques » employée par J. Bloch pour traduire le moyen indien janasa athe déforme légèrement le sens du texte. Hultzsch traduisait plus exactement « affairs of the people ». Janasa athe signifie en effet « les affaires matérielles, le bonheur matériel des gens ». En d'autres termes, Asoka ne dit pas dans ce texte qu'il supervise personnellement toutes les affaires de l'État ; il proclame qu'il consacre tout son temps et ses efforts au bien et au bonheur de ses sujets. Cette idée se retrouve dans la plupart des édits. Citons seulement le premier édit séparé du Kalinga : « Tout homme est mon enfant. Comme pour mes enfants je désire qu'ils aient tout bien et bonheur dans ce monde et dans l'autre, c'est aussi ce que je désire pour tous les hommes. 59 »

Dans ce même RE VI, Asoka précise sur quoi portent ses ordres : « Tout ordre que je donne verbalement, relatif à une donation ou à une proclamation. » Les proclamations sont bien évidemment les proclamations de la loi dont parle le VIIe édit sur colonne 60. Il s'agit d'instruire le peuple, afin qu'il soit heureux dans ce monde et dans l'autre (RE XI). Quant aux donations, il s'agit surtout de dons matériels dont les inscriptions ď Asoka offrent de nombreux exemples : dons en espèces aux brahmanes, aux sramanes et aux vieillards, dons de grottes aux Âjîvika, libéralités au village de Lummini, agrandissement du stùpa du Buddha Konâka- mana, etc. Il faut inclure dans ces dons matériels les plantations d'arbres le long des

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routes et le creusement de citernes61, l'envoi de plantes médicinales pour les hommes et les bêtes 62, probablement faits aux dépens du trésor royal.

Le don est aussi le don de la vie (pânadâkhinâ) " : limitation de la pêche et de la chasse 64, médicaments pour les hommes et les bêtes 65, diminution de la violence et du meurtre grâce à l'activité royale 66, libération de prisonniers 67, grâces aux condamnés à mort68. C'est enfin le don de la loi dont nous parle RE XI, qui implique les mesures judiciaires mentionnées à plusieurs reprises par Asoka 69.

En somme le témoignage de RE VI et de PE IV ne permet pas de dire que l'administration asokéenne était fortement centralisée. Asoka était certainement un souverain absolu 70, seule source de l'autorité de ses fonctionnaires. Mais il ne s'occupait personnellement que de la propagation du dharma : proclamation d'édits, libéralités diverses, administration de la justice, création de fonctionnaires spéciaux (dhamma-mahâmatà). Les directives précises que contiennent les édits sont toutes relatives au dharma (par exemple, la limitation du meurtre des animaux). Mais les édits ne livrent aucun témoignage sur la façon dont Asoka s'occupait — ou ne s'occupait pas — du détail de l'administration de son empire. Ils sont muets sur des points aussi importants que la collecte des impôts, l'armée ou les grands travaux 71 qui constituaient l'essentiel de l'activité des fonctionnaires. En ces domaines, ceux-ci devaient agir d'après les principes traditionnels de l'administration indienne, et l'on peut penser que la délégation d'autorité dont ils jouissaient était d'autant plus grande qu'ils étaient plus loin de Pâtaliputra/Patna. Les édits montrent donc un roi surveillant beaucoup plus l'application de ses mesures de propagation du dharma que la marche quotidienne de son empire. Mais s'il y avait « contestation ou délibération au conseil », on en référait immédiatement à lui, et la décision finale lui appartenait (RE VI) 72.

Pour les fonctionnaires de l'administration régulière, c'est-à-dire pour tous ceux qui n'avaient pas pour tâche spécifique la propagation du dharma, qui n'étaient pas « surintendants de la loi » (dhamma-mahâmatà) , la propagande religieuse et morale était une tâche supplémentaire, venant s'ajouter à leurs tâches spécifiques dont les édits ď Asoka ne nous parlent jamais 73. Les inscriptions contiennent pourtant deux allusions révélatrices. RE III stipule que « partout dans mon empire les commis, le contrôleur et le provincial doivent de cinq ans en cinq ans partir en tournée avec l'édit spécial de la prédication de la loi aussi bien que pour d'autres affaires » 74. Cette phrase énigmatique est glosée, comme l'a bien vu Hultzsch 75, dans le 1 er édit séparé du Kalinga : « De même, de Taxila, quand les... surintendants partiront en tournée, sans négliger leurs propres fonctions, ils penseront en même temps à (mes instructions sur la justice)... 76 » II est donc bien clair que ces édits prescrivent aux fonctionnaires royaux des tâches supplémentaires, liées à la prédication du dharma -, sur leurs tâches ordinaires, les édits sont muets.

Le corps des fonctionnaires maurya n'était d'ailleurs pas homogène, ni dans son recrutement, ni dans sa pratique administrative. Si dans le Nord-Ouest, Asoka tolérait la persistance de particularismes locaux, dans le Sud les bureaux comportaient des fonctionnaires d'origine magadhienne (province de Patna) et panjabie. Aucun texte ne le dit expressément, mais la diversité linguistique des édits en est un témoignage assuré. La plupart des édits sont gravés en écriture brâhmî et rédigés dans un dialecte moyen indien probablement assez proche de la langue localement parlée. Fort peu de gens devaient être capables de lire ces textes : la connaissance de

l'écriture n'était pas plus répandue dans l'Inde maurya que dans l'Inde du xixe siècle. Les édits étaient conçus pour être proclamés à haute voix et récités

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devant la population assemblée 77. Leur gravure sur pierre répondait donc à un double but : placés en des endroits fort visibles (entrée des villes, carrefours, postes frontière, ils étaient la preuve concrète et durable 78 de la grandeur et de la moralité du souverain ; ils étaient gravés dans la langue et l'écriture que pouvaient lire les fonctionnaires impériaux chargés sur place de mettre en œuvre les instructions royales.

Le centre de l'Inde, aujourd'hui encore, est de langue non indo-aryenne. Pourtant les edits d'Asoka y sont rédigés en moyen indo-aryen, et plus spécifiquement dans un dialecte très proche de la mâgadhî de Pâtaliputra 79. Les édits de Dhauli et Jaugada, au Kalinga(Orissa), sont aussi rédigés en quasi-mâgadhî, langue qui n'est pas celle de l'Orissa où il n'est même pas sûr qu'on parlât indoaryen à l'époque ď Asoka. Il est ainsi clair qu'au sud et à l'est de son empire, Asoka a utilisé (et parfois implanté) une bureaucratie d'origine étrangère, magadhienne en grande partie, mais peut-être aussi gandharienne ou panjabie puisque le scribe de Brahmagiri signe son travail en écriture kharosthî, preuve qu'il venait du nord- ouest.

Au nord-ouest, la situation est tout autre. A Mânsehrâ et Shâhbâzgarhî, les RE sont écrits en kharosthî, écriture dite autrefois araméo-indienne parce qu'elle se lit de droite à gauche (la brâhmî se lit de gauche à droite) et que ses signes, assez mal adaptés à la notation des langues indiennes 80, sont clairement dérivés de l'araméen d'empire utilisé par les bureaux achéménides. Dans le Laghman, à Kandahar et Taxila 81, existaient des traductions araméennes de certains édits et, à Kandahar, des versions grecques de ceux-ci. On peut penser qu'à Kandahar existait une colonie grecque 82, mais il est peu probable qu'ait jamais existé à Taxila ni à Kandahar une communauté de langue araméenne assez importante pour qu'on gravât des édits à son intention. Il est normal d'en conclure que les édits de Mânsehrâ et Shâhbâzgarhî étaient gravés et destinés à être lus par des fonctionnaires habitués à écrire et lire la kharosthî, qui n'est pas une innovation asokéenne et doit avoir été inventée sur le modèle de l'araméen d'empire pour les royaumes de Taxila et Poros (un temps inclus dans l'empire de Darius). L'incorporation de ces royaumes dans l'empire maurya ne s'est donc pas accompagnée de l'introduction massive de l'écriture brâhmî utilisée à Pâtaliputra. Soixante ans après la constitution de l'empire maurya, les fonctionnaires d'Asoka, dans le Panjab et le Gandhara, continuaient à utiliser les modes d'écriture et probablement de travail hérités de leurs père et grand-pères (on sait qu'à cette époque déjà les fonctionnaires constituaient un corps recruté héréditairement) 83. De même Asoka avait-il laissé subsisté à Kandahar et dans le Laghman une bureaucratie rédigeant ses actes en araméen, probablement héritée de l'empire perse, et à Kandahar une bureaucratie grecque héritée des Séleucides. Dans le nord-ouest de l'Inde, aucun des souverains maurya n 'avait donc touché aux coutumes locales.

Asoka n'a donc pas cherché à uniformiser systématiquement son administration. Il a agi au gré des circonstances, laissant subsister dans le nord-ouest une vieille bureaucratie probablement efficace, installant dans le sud et à l'est, régions autrefois sous-administrées ou dont la fidélité restait douteuse, des fonctionnaires venus d'autres parties de l'empire. Les pratiques administratives n'étaient pas davantage uniformisées. Le premier édit séparé du Kalinga se termine ainsi : « Dans le but suivant, moi (Asoka ?) j'enverrai en tournée tous les cinq ans un surintendant qui ne sera ni dur ni violent, agissant délicatement, pour s'assurer qu'on agit selon mes instructions. Et d'Ujjenî aussi le vice-roi enverra dans le même but un

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(groupe ?) 84 tout à fait similaire mais sans dépasser les trois ans. Et la même chose de Taxila. 85 » Selon les endroits, le surintendant est donc envoyé directement par Asoka (Kalinga), ou par l'intermédiaire d'un vice-roi (Avanti, Panjab) ; et les intervalles des tournées varient du simple (trois ans) au presque double (cinq ans). Il y a ainsi une mesure générale (tournée des surintendants) dont l'application varie selon les provinces. En aucun cas, on ne peut parler de schéma administratif unique et uniformisant.

Le passage que nous venons de citer mentionnait les vice-rois, qui constituaient un intermédiaire important entre le roi et l'administration provinciale. Leur existence est connue depuis longtemps, ce qui permet à Mme R. Thapar d'écrire, sans le moindre point d'interrogation, le passage suivant :

L'administration provinciale était sous le contrôle immédiat d'un prince ou d'un membre de la famille royale. Les termes employés dans les édits sont kumâra et âryaputra. Le premier était peut-être le titre du fils du roi, et le second renvoyait peut-être à d'autres proches parents. Ils étaient généralement vice-rois ou gouverneurs des provinces de l'empire. Celui-ci, sous le règne ď Asoka, était divisé en quatre grandes provinces, puisque quatre capitales provinciales sont mentionnées dans les édits. Taxila était la capitale de la province septentrionale, Ujjain, de l'Ouest, Tosalî de l'Est, et Suvarnagiri du Sud. Ces provinces étaient des divisions administratives et étaient placées sous l'autorité de vice-rois 86.

Cette belle et symétrique reconstruction s'est effondrée lorsque fut découvert, en 1976, l'édit mineur sur rocher (MRE) de Pângurâriâ, qui mentionne un cinquième vice-roi (kumâra), dont la résidence n'est pas connue 87. Il a pu en exister d'autres encore. Leur existence n'est en effet connue que par une série de hasards. Les kumâra de Tosalî et Ujjain sont ainsi mentionnés en passant dans les édits séparés du Kalinga, instructions envoyées aux fonctionnaires de l'empire 88, et qui sont affichées dans le Kalinga seulement où elles remplacent les RE XI, XII et XIII qu'on n'avait pas jugé opportun d'y graver. Le kumâra de Taxila est évoqué dans le même texte, mais il suffirait de le ponctuer autrement pour que la vice-royauté de Taxila ne soit plus mentionnée dans aucune inscription d'Asoka 89. Quant au vice- roi (ârya-putra) de Suvarnagiri, son existence est connue par une maladresse du fonctionnaire chargé de la gravure de MRE I à Brahmagiri et Siddâpura : en même temps que l'édit, il a gravé la lettre d'envoi aux autorités locales, partout ailleurs omise 90 : « de Suvarnagiri, sur l'ordre de V âryaputra et des surintendants, il faut souhaiter la bonne santé aux surintendants d'Isila et leur dire ceci » 91. Suit le texte même de l'édit, introduit par la formule initiale usuelle « L'ami des dieux dit ». L'existence d'un kumâra dans la région (au sens le plus large du terme) de Pângurâriâ est connue par une inconséquence du même genre : le bordereau d'envoi a été gravé avant le texte proprement dit de l'édit.

Ces vice-rois n'avaient pas des pouvoirs identiques. Le terme employé par Asoka n'a par lui-même aucune connotation administrative ; il signifie seulement « fils, noble fils ». Aussi ne faut-il pas s'étonner si l'étendue des pouvoirs de ces « fils » variait selon le lieu, le temps et la personne. Si, à en juger par les légendes bouddhiques, Taxila et Ujjain étaient en permanence siège d'un vice-roi important, souvent prince héritier, le vice-roi du Kalinga, dont le siège était à Tosalî/ Dhauli, semble avoir eu des pouvoirs beaucoup plus restreints 92. Nous avons déjà vu que les surintendants envoyés en tournée dépendaient non de lui, mais du souverain, alors qu'en Avanti et au Panjab, ils dépendaient du vice-roi. Si l'on en juge par le

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début du deuxième édit séparé du Kalinga 93, son autorité ne s'étendait même pas sur les magistrats de la cité voisine (à l'échelle de l'Inde) de Jaugada/Samâpâ. Les

versions de Dhauli et Jaugada de ce texte sont en effet sensiblement différentes : — Dhauli : « A Tosalî, le kumâra et les surintendants doivent écouter ceci. »

— Jaugada : « A Samâpâ, les surintendants sous l'autorité du roi Qàjavacanikâ) doivent écouter ceci. »

Quant au premier édit, postérieur au second comme on le sait, il ne mentionne plus le vice-roi, dont les fonctions avaient sans doute pris fin : « A Tosalî/ Samâpâ, les surintendants chargés des affaires de la ville ont à écouter ceci. » Les envoyés d'Asoka à Taxila, Ujjain et Tosalî avaient beau être tous trois des kumâra, ils n'avaient donc ni le même pouvoir, ni le même statut.

Les « bordereaux d'envoi » gravés avant MRE I à Brahmagiri, Siddâpura et Jatinga par l'inadvertance du scribe Capada, ainsi que le début du MRE de Pângurâriâ, que nous avons évoqués plus haut, montrent qu'il appartenait aux kumâra de transmettre les édits aux autorités de rang inférieur et de veiller à leur gravure. Ils disposaient d'une assez grande liberté pour ce travail d'édition. Ce sont très probablement des gouverneurs locaux qui ont pris l'initiative de faire traduire en araméen les édits d'Asoka à Taxila, Darunta/Laghman et Kandahar, de les faire traduire en grec à Kandahar, de composer directement en grec et araméen un MRE à Kandahar et deux bornes frontières dans le Laghman 94. Car on n'imagine pas Asoka ou ses bureaux de Pâtaliputra s'occuper de ces détails. Sans doute aussi est-ce le gouverneur local qui a pris l'initiative de rajouter les suppléments connus sous le nom de MRE II dont on a une version courte à Brahmagiri, Siddâpura et Jatinga, une version longue à Erragudi, Nittur, Râjula-Mandagiri et Udegolam. L'examen de la figure 1 prouve à l'évidence que l'ajout de ce MRE II est dû à l'initiative du vice-roi (ârya-putra) de Suvarnagiri, qui a résumé dans la version longue de ce texte des instructions orales du souverain ; quant à la version courte de MRE II, elle semble due à l'initiative ou à la paresse du scribe Capada qui a apposé sa signature au bas des trois copies qu'on en possède.

L'omission de RE XI, XII et XIII au Kalinga est sans doute aussi due à une initiative locale. L'omission de RE XIII a des raisons évidentes : ce texte raconte le bouleversement intérieur qu'a produit chez le roi la sanglante conquête du Kalinga. Mais qui est responsable de cette omission ? Si c'est Asoka, on doit en conclure que chez lui le souci politique a passé avant ce qu'il appelle « l'amour de la Loi » 95, et il nous faut douter de la sincérité de ses proclamations. Rien ne permet de faire cette supposition, absurde lorsque l'on considère l'ensemble des écrits d'Asoka. En revanche, on comprend fort bien que le gouverneur de la province, après avoir lu le texte de l'édit, n'ait pas jugé politique de le faire inscrire et proclamer, et l'ait remplacé par les pseudo-édits séparés, où nulle mention n'est faite de la guerre récente avec le Kalinga

Asoka n'ignorait pas que ses subordonnés prenaient parfois des libertés avec ses textes. Il le dit clairement dans RE XIV : « Ce texte relatif à la Loi a été gravé sur l'ordre du roi ami des dieux au regard amical. Il existe en abrégé, en moyen, et en développé. Car tout n'est pas réuni partout. Car vaste est mon empire, et j'ai fait graver beaucoup, et ferai toujours graver... Il s'y trouvera parfois gravé des parties imparfaites, soit par omission d'un détail, ou faute de considérer le fond, ou par erreur du graveur. 96 » Asoka savait donc que ses proclamations étaient parfois modifiées par les hauts fonctionnaires chargés de les transmettre ou de les faire inscrire. S'il n'en eût tenu qu'à lui, il est clair que l'intégralité de ces textes eût

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partout été gravée. Et qui d'autre que le fonctionnaire sur place pouvait décider de faire des ajouts ou des coupures en fonction de la situation politique locale ? La phrase « II s'y trouvera même des parties imparfaites... faute de considérer le fond » implique qu'Asoka avait conscience que ses proclamations étaient expliquées, adaptées, ou même traduites, par des fonctionnaires qui n'en avaient pas compris le sens 97, et qu'il ne s'en offusquait pas outre mesure.

Il me paraît donc clair que les schémas de transmission directe de U. Schneider et K. R. Norman (fig. 3, 1 et 2) ne peuvent être acceptés. Les édits étaient envoyés par voie administrative normale (la voie hiérarchique) et transitaient par les autorités locales. Les indices textuels, linguistiques et géographiques 98 dont nous disposons permettent d'établir un schéma de transmission plus conforme aux pratiques ordinaires des bureaucraties (fig. 3, 3).

Dans ces conditions, il vaut la peine d'examiner la répartition géographique des édits et de s'interroger sur la signification qu'elle peut avoir. Il est vrai que le nombre et l'emplacement des versions conservées résulte en partie du hasard, mais ce hasard a joué de la même manière pour les MRE, les RE et les PE (édits sur colonne qui n'étaient pas tous destinés à être gravés sur des colonnes) ; les cartes de répartition des édits sont donc en principe comparables.

Seul Kandahar possédait un jeu complet d'édits, et Erragudi un jeu de RE et MRE. Ceci peut être dû dans une faible mesure au hasard : les textes de Kandahar n'ont pas été découverts simultanément, et la même carte, dessinée en 1958, eût seulement indiqué qu'à Kandahar existait un *MRE en versions grecque et araméenne. On peut aussi concevoir que les RE, postérieurs aux MRE, aient été gravés en des endroits où l'on n'avait pas jugé bon de graver les MRE. Mais il ne manquait pas de rochers autour des nombreuses versions connues des MRE pour y graver les RE. Comment se fait-il que ces derniers, s'ils avaient été partout gravés à côté des MRE, n'aient été retrouvés qu'à Kandahar et Erragudi ? Il est plus simple de penser que le plus souvent les sites qui portent les MRE n'ont jamais comporté que ceux-ci. Encore faut-il essayer d'expliquer pourquoi.

L'examen de la figure 1 ne permet pas de définir un principe de répartition des MRE (datés de la dixième année de sacre). Des copies de ces MRE ont été retrouvées près de trois grandes villes seulement : Kandahar (Alexandrie ď Arachosie) ", Delhi (Indraprastha), Erragudi (Suvarnagiri ?), mais la proportion de textes ainsi situés qui ont disparu peut être très élevée. Les monuments situés dans les régions très peuplées, dans les grandes villes, sont beaucoup plus menacés de destruction que ceux situés à l'écart des agglomérations. On note une très grande concentration de MRE dans le sud : certaines versions y sont gravées dans un rayon de quelques kilomètres. C'est le résultat du zèle du vice-roi de Suvarnagiri. Par ailleurs, les diverses versions conservées de MRE I et II présentent des variantes textuelles considérables. Aussi est-il logique de penser que l'affichage de ces textes avait été laissé à l'initiative des autorités locales et que celles-ci, recevant pour la première fois de la chancellerie royale des instructions de teneur inusuelle, au moment où Asoka était au faîte de sa puissance (deux/trois ans après la conquête du Kalinga), ont souvent fait preuve de zèle.

Le schéma de répartition des RE (douzième et treizième années de sacre) est tout autre : les versions conservées sont toutes affichées près de nœuds routiers, près de sites importants et sur le pourtour de l'empire, souvent même à la frontière. Girnâr est un site sacré, près de la grande ville de Junâgarh. Sopârâ était un grand port. Erragudi est sans doute voisin de Suvarnagiri 10°, résidence d'un vice-roi, et proche

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des États indépendants du sud de la péninsule {supra, p. 62 1 ). Dhauli est l'ancienne Tosalî, capitale du Kalinga, et Jaugada est l'ancienne Samâpâ. Les RE de Kâlsî sont gravés au confluent de la Jumna et de la Tons, c'est-à-dire au croisement de voies qui permettent l'accès aux pays himalayens ; l'empire d'Asoka n'allait probablement pas au-delà 101. Mânsehrâ est déjà assez haut dans la montagne ; là se rencontrent les voies qui permettent d'accéder à la haute vallée de l'Indus (Gilgit) d'une part, au Cachemire d'autre part ; comme Kâlsî, Mânsehrâ semble donc être un poste frontière 102. Shâhbâzgarhî se trouve en plaine, au débouché des vallées du Buner et du Swât dans le Gandhâra, c'est-à-dire à la limite de contrées montagneuses restées indépendantes même sous les Anglais, et non loin de la grande ville de Puskalâvatî (Charsadda). Bref, la répartition des versions conservées des RE semble ne rien devoir au hasard. Les autorités locales ont dû recevoir des instructions générales, mais précises quant au type de lieux où devaient être gravés les RE ; elles se sont contentées de choisir les sites en fonction de ces instructions. Ajoutons que les diverses versions des RE comportent assez peu de variantes textuelles, et l'on concluera que les douzième et treizième années du règne furent les années où l'autorité du roi était la moins discutée et ses ordres le mieux obéis.

Rien dans le texte des édits sur colonne (PE, fig. 1 ), dictés dans les vingt-sixième et vingt-septième années du sacre, n'implique qu'ils doivent être gravés uniquement sur des colonnes. PE VII se termine même par un « mode d'emploi » 103 qui précise que « ce texte de la Loi sera mis là où il y a des colonnes de pierre ou des surfaces de pierre, de façon qu'il soit de longue durée » 104. Or, sauf à Kandahar, où il en existait une version araméo-indienne, on ne trouve jamais ces textes sur des rochers. Kandahar est également le seul endroit où les PE aient été gravés à côté des RE et des MRE. Les versions conservées des PE sont quasiment identiques. Les différences les plus importantes concernent la délimitation matérielle des groupes de mots. K. Janert a pu montrer qu'elles correspondaient à deux traditions scripturaires différentes (Nord-Ouest et Nord-Est), mais que les scribes avaient dans les deux cas écrit sous la dictée d'un messager venu directement de Pâtaliputra 105. Les « blancs » de la carte ne sont pas moins remarquables. PE VII est gravé à Kandahar et Tôprâ seulement. Au cœur de l'empire, malgré le « mode d'emploi » qui termine PEVII {supra), on n'a pas jugé utile de graver ces PE sur de nombreuses colonnes dont la date pré-asokéenne ou asokéenne est assurée. Comme omissions particulièrement surprenantes, on citera la colonne de Sârnâth, près de Bénarès, qui porte pourtant une inscription « privée » d'Asoka, et celle de Vaisalî, située à 50 km au nord de Patna, très près du centre de l'autorité royale. Apparemment les PE conservés ne sont gravés ni près de grandes villes (sauf Kandahar), ni dans des endroits de fort passage, ou de passage obligé. Lorsqu'on entrevoit une raison à leur présence dans un endroit déterminé, elle est d'ordre religieux. Il se pourrait en effet que la colonne de Lauriyâ-Nandangarh marque le site d'un monument célèbre du bouddhisme, le « stupa des charbons » 106. La colonne d'Allahâbâd, faussement indiquée comme provenant de Kausambî, se dressait à un endroit sacré entre tous, le confluent du Gange et de la Jumna 107.

Tout ceci serait inexplicable sans la très remarquable observation technique de J. Irwin. Celui-ci a prouvé que des colonnes portant les PE, seule celle d'Allahâbâd était érigée lorsque les PE ont été gravés. Ailleurs, y compris à Tôprâ, PE I-VI ont été gravés sur des colonnes encore couchées sur le sol. La colonne de Tôprâ a été mise en place après la gravure de PE I-VI et avant celle de PE VII 108. En d'autres termes, sauf à Allahâbâd et peut-être à Kandahar, les PE ont été gravés sur des

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colonnes qu' Asoka avait fait spécialement mettre en place, probablement en des lieux religieusement marqués, et dont il fit surveiller personnellement la gravure et l'érection. Ce sont les « colonnes de la Loi » (dhammatthambâni) évoquées dans PE VII 109, fondations religieuses de type semi-privé. Ailleurs dans l'empire, les fonctionnaires se soucièrent peu de faire graver ces textes, et PE VII, issu un an après PE I-VI, ne fut gravé qu'en deux endroits, malgré son « mode d'emploi » qui ordonnait de le graver partout où il y avait des colonnes ou des surfaces de pierre. A cette époque, les fonctionnaires impériaux en prenaient manifestement à leur aise avec les ordres du souverain. Ceci correspond aux légendes bouddhiques rapportant que sur la fin de sa vie, Asoka ne pouvait plus se faire obéir 1 10. On voit que si les hauts fonctionnaires ď Asoka étaient en principe ses serviteurs (purusa), en pratique ils disposaient d'une large marge d'initiative, ou se l'arrogeaient L'absolutisme d'Asoka ne fait pas de doute, mais il se heurtait souvent à l'impossibilité matérielle de faire partout exécuter ses ordres à la lettre.

Il existe d'autres indices que la centralisation de l'empire maurya n'était pas aussi poussée qu'on a bien voulu l'écrire. La monnaie, ainsi, échappait partiellement au contrôle royal : pour autant qu'on puisse en juger, le monnayage maurya comportait à la fois des espèces gouvernementales et des espèces frappées par des provinces, des villes, ou même des banques privées. Seuls les changeurs pouvaient reconnaître les différentes issues ш. On est loin du contrôle direct et tatillon de l'économie que supposent certains auteurs modernes à partir de renseignements extraits de VArthasâstra de Kautilya.

Mais l'indice essentiel est fourni par deux passages de Mégasthène conservés par Arrien. « (Les agriculteurs)... paient des tributs aux rois et aux cités autonomes... (Les inspecteurs)... surveillent les campagnes et les villes; ils font des rapports au roi, là où les Indiens sont sous l'autorité d'un roi, aux magistrats, là où ils sont en république (autonómoi). ш » Ainsi, selon Mégasthène, l'empire maurya de Candragupta, seul territoire qu'il ait visité en Inde, conservait la structure des empires indiens traditionnels. Il comportait des territoires administrés directement par la couronne ; des royaumes conquis ou ralliés, dont le souverain avait été assujetti au tribut, mais maintenu en place ; des tribus /républiques disposant d'une autonomie interne. Mégasthène décrit ce faisant un système de gouvernement qu'aucun modèle grec ne lui permettait d'imaginer, mais qui s'explique fort bien par référence à la conception indienne traditionnelle de la « victoire conforme à la morale » (dharma-vijaya, supra, p. 628). Les « républiques » de Mégasthène sont apparemment des populations tribales bien connues des historiens d'Alexandre et de nombreuses sources indiennes remontant approximativement à cette époque 113 ; elles pouvaient subsister à l'intérieur de l'empire maurya pour peu qu'elles en acceptassent les grandes directives. Connues avant la constitution de l'empire maurya, attestées après la dissolution de celui-ci, selon toute vraisemblance elles continuaient à se gouverner selon leurs coutumes propres, lors même qu'elles étaient sous l'autorité du souverain maurya.

Des textes postérieurs aux Maurya, mais s'y référant, font, comme Mégasthène, allusion à l'existence de royaumes vassaux à l'intérieur même de l'empire maurya. A Girnâr/Junâgadh, près des RE d'Asoka, une inscription de Rudradâman Ier, gravée en 1 50 de n. è., conserve le souvenir d'un « Tusâspha, roi iranien (agissant) pour Asoka»114. Des légendes tardives rapportent qu'à Taxila régnait un roi nommé Kunjara-karna, soumis à l'autorité du vice-roi maurya Kunâla, fils d'Asoka 115. Un texte du canon bouddhique pâli, le Petavatthu, mentionne un

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souverain du SurâstraQa région de Girnâr) nommé Pingala, vassal de Bindusâra, le prédécesseur ďAsoka, puis ďAsoka lui-même 116. Ces récits sont peut-être légendaires ; du moins leur existence nous montre-t-elle que quelques siècles après la fin de l'empire maurya, on ne considérait pas que cet empire ait été unitaire, ni ultra-centralisé. En fait, le seul texte qui obligerait à porter ce jugement est YArthasâstra de Kautilya dont j'ai récusé le témoignage. Les sources contemporaines des événements, comme les légendes qui en ont conservé le souvenir déformé, semblent plutôt indiquer que l'empire maurya fonctionnait à la façon très pragmatique du Râj britannique avec des territoires administrés directement par la couronne, des maharaja vassaux disposant d'un résidu de pouvoir plus ou moins grand, et des tribus laissées tranquilles tant qu'elles ne troublaient pas la paix de l'empire. Cette organisation de bric et de broc n'empêchait pas l'empire britannique des Indes de fort bien fonctionner, ni les Anglais d'en être maîtres absolus. Un vice- roi britannique eût fort bien pu écrire le début du célèbre RE VI où Asoka évoque son incessante activité (supra, p. 628).

On peut donc penser que, contrairement à l'opinion généralement admise, l'empire maurya fonctionnait selon les mêmes modalités que les autres empires indiens de taille comparable (gupta, moghol, britannique), avec un pouvoir central absolu, personnel, c'est-à-dire dépendant de l'activité personnelle du souverain, s'appuyant sur l'armée et sur des bureaux efficaces -, une administration régionale organisée de façon non systématique, exerçant l'autorité royale avec d'autant plus de liberté qu'elle était plus loin du pouvoir royal, et appliquant les ordres du roi dans la mesure où ils étaient compatibles avec les réalités locales ; de grandes provinces administrées directement par les agents royaux ; des pouvoirs traditionnels locaux (tribus, cités, royaumes feudataires) qui, dans bien des domaines (taux et mode d'imposition, codes et coutumiers de justice, mœurs, langue, culture, pratiques religieuses, etc.) continuaient à fonctionner comme des unités autonomes sous la surveillance plus ou moins étroite de fonctionnaires impériaux.

La liberté laissée aux hauts fonctionnaires de l'administration provinciale, l'existence continuée de pouvoirs antérieurs à la conquête maurya, les difficultés de communication constituaient des facteurs centrifuges. Ils expliquent comment l'empire maurya a pu de facto se dissoudre sous les successeurs ď Asoka. Il n'est pas nécessaire de dénoncer le bouddhisme et la non- violence comme responsables de la fin de cette période exceptionnelle où l'Inde fut unie, car il n'y avait pas eu d'unification ni monétaire, ni fiscale, ni administrative, ni sociale, ni linguistique. Ce que l'on voit sous les Maurya, c'est un pouvoir central cherchant à réunir sous son autorité des entités préconstituées à qui il laisse plus ou moins d'autonomie selon le lieu et les circonstances. Mais l'histoire et la géographie interdisaient, au nie siècle avant n. è., la constitution ďun État unitaire qui n'est pas une réalité, même au xxe siècle.

Gérard Fussman, Université de Strasbourg II

ERA 94 du CNRS

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NOTES

1 . La première version de ce texte a été lue le 1 3 juin 1981 au colloque « L'Inde et l'histoire » organisé par le Centre d'Études de l'Inde et de l'Asie du Sud. Pour des raisons d'économie, j'ai supprimé tous les signes diacritiques qui auraient compliqué le travail de l'imprimeur, mais je n'ai pas voulu adopter une transcription approximative pour les termes indiens. J'emploie donc la transcription scientifique ordinaire, moins les signes diacritiques, que les spécialistes rétabliront aisément. Il suffit de savoir que le nom ici écrit Asoka se trouve dans certains ouvrages français sous la graphie Açoka et se prononce Ashoka.

2. Dans cet article, le mot Inde est employé uniquement dans son sens géographique. Il désigne la péninsule située au sud des chaînes de l'Hindou- Kouch, du Karakoram et de l'Himalaya, et qui se trouve aujourd'hui partagée entre l'Afghanistan (partiellement), le Pakistan, le Bangla Desh et la République indienne.

3. Le meilleur livre consacré à l'empire maurya est en russe : G. M. Bongard- Levin, Indijaepoxi Maur'ev, Moscou, 1973 (compte rendu de G. Fussman, Journal asiatique, 1974, pp. 481-486). Je citerai ensuite, par ordre de préférence, Romila Thapar, Asoka and the Decline of the Mauryas, Oxford, 1961 ; Radha Kumud Mookerji, Chandragupta Maurya and his times, Madras, 1943 (réimpression, Delhi, 1966); Radha Kumud Mookerji, Asoka, Londres, 1928 (3e édition, Delhi, 1962) ; Beni Madhab Barua, Asoka and his Inscriptions, 2 vols, Calcutta, 1946.

4. Fait exceptionnel dans l'histoire de l'Inde, la chronologie des souverains maurya est connue à dix ans près, ce qui est amplement suffisant. Je reproduis ici les dates calculées par J. Filliozat dans L. Renou et J. Filliozat, L 'Inde classique. Manuel des études indiennes, I, Paris, 1 947, pp. 2 1 2-220. P. H. L. Eggermont, The Chronology of the Reign of Asoka Moriya, Leyde, Brill, 1956, fait régner Asoka de 268 à 233 ? avant n. è.

5. Les frontières de l'empire maurya sont approximativement connues par l'emplacement des inscriptions d" Asoka (fig. 1). Au nord, il s'étend jusqu'au piémont de l'Hindou- Kouch, du Karakoram et de l'Himalaya. A l'est et à l'ouest, sa limite est la mer (mais le Kalinga, actuel Orissa, est une conquête récente d'Asoka). Au sud, subsistent des royaumes indépendants qu'énumèrent les édits sur rocher II et XIII : Cola (Coromandel, Tamilnad) ; Pândya (royaume de Madurei) ; Kerala (Malabar) ; Satiyaputra (au nord du Kerala ?) et Ceylan.

6. Le concept d'empire, édité par M. Duverger, Centre d'analyse comparative des systèmes politiques, Paris, PUF, 1 980. Certains auteurs n'ont pas voulu esquiver le problème, tels A. Miquel (empire arabo-musulman), P. Chaunu (Charles-Quint), J. Tulard (empire napoléonien) et, ce qui nous intéresse le plus et fournit le meilleur parallèle à l'étude ici entreprise, J. Gernet (Chine).

7. A. T. Olmstead, History of the Persian Empire, Chicago, 1948 (réimpression 1970). 8. R. N. Frye, dans Beitràge zur Achàmenidengeschichte, édité par Gerold Waiter, Historia,

Einzelschriften, Wiesbaden, 18, 1972 (The Institutions, pp. 87-92) ; M. A. Dandamaev, « Axeme- nidskoe gosudarstvo i ego značenie v istorii Drevenego Vostoka » (l'État achéménide et son importance dans l'histoire de l'Orient ancien) dans Istorija iranskogo Gosudarstva i Kultury, édité par B. B. Gafurov et alii, Moscou, 1971, pp. 94-104.

9. On peut avoir une idée du fonctionnement de cette administration en relation avec les déplacements officiels en lisant Richard T. Hallock, « The Evidence of the Persepolis Tablets », chap. 1, volume II, Cambridge History of Iran, édité à part à Cambridge en 1971.

10. Arthur Christensen, L'empire des Sassanides. Le peuple, l'État, la cour, Mémoires de l'Académie royale... de Danemark, Copenhague, 1907, pp. 76-79.

11. Thapar, Asoka..., pp. 94-95. 12. Barua, Asoka..., I, pp. 146 et 153. 13. Mookerji, Asoka, pp. 54-55. 14. Bongard- Levin, Indija epoxi Maur'ev, p. 387 de son résumé anglais. 15. La meilleure édition est celle de R. P. Kangle, The Kautiliya Arthasàstra, Bombay, 1960-

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1965, 3 vols. Discussion sur la date, Kangle, vol. 3, pp. 59-115 et 121. Il y a une énorme bibliographie sur ce sujet ; liste dans L. Sternbach, Bibliography of Kautiliya Arthasàstra, Hoshiarpur, 1973.

16. E. A. Schwanbeck, Megasthenes Indica, Bonn, 1 846, réimpression, Amsterdam, 1 966. John W. McCrindle, Ancient India as Described in Classical Literature (VI = Strabon, Pline, etc.), Westminster, 1901, réimpression, Amsterdam, 1971. Arrien, L'Inde, texte établi et traduit par P. Chantraine, Paris, Belles Lettres, 1952.

17. E. Hultzsch, Corpus Inscriptionum Indicarum, I, Inscriptions of Asoka, Oxford, 1925. J'utilise surtout la traduction de J. Bloch, Les inscriptions d 'Asoka, Paris, Belles Lettres, 1950. La fig. 1 tient compte des découvertes récentes, commodément republiées par D. С Sircar, Asokan Studies, Calcutta, Indian Museum, 1979. L'inscription dite ď Allahabad- Kosam a été placée à Allahâbâd : je suis, en cela, la remarquable démonstration de J. Irwin, South Asian Archaeology 1979, édité par H. Hartel, Berlin, 1 98 1 , pp. 3 1 3-340. La présentation des cartes a été très fortement améliorée par M. -Cl. Lapeyre, qui les a entièrement redessinées.

18. Cette distinction est très importante : infra, p. 636. 19. K. R. Norman, «Lexical Variations in the Asokan Rock Edicts», Transactions of the

Philological Society, 1970, p. 127. 20. J. Bloch, Inscriptions ď Asoka, p. 1 54. Le caractère spécifiquement bouddhique et quasiment

privé de cette inscription fait qu'elle n'est pas reportée sur la figure 1 . Elle est gravée à 3,5 km de Bairat.

21. Sur cet usage, Hultzsch, Corpus..., p. 173 ; Bloch, Inscriptions..., p. 1 54 ; Mégasthène dans Strabon XV, 36 (= McCrindle, p. 43).

22. E. Lamotte, Histoire du bouddhisme indien, I, Louvain, 1958, pp. 8-10. 23. E. Senart, Les inscriptions de Piyadasi, II, Paris, 1 886, p. 254. 24. D. Schlumberger, « Une nouvelle inscription grecque d'Asoka », Comptes Rendus de

l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1964, pp. 1-15. 25. É. Benveniste, Journal asiatique, 1964, pp. 146-157. K. R. Norman, « Notes on the Greek

Version of Asoka's Twelfth and Thirteenth Rock Edicts », Journal of the Royal Asiatic Society, 1 972, pp. 111-118.

26. Sur cette traduction, qui m'est personnelle, voir Journal asiatique, 1974, pp. 386-389. 27. J. Bloch, Inscriptions..., p. 124. 28. RE V précise que les « surintendants de la Loi » « ont affaire à toutes les sectes pour

l'instauration de la Loi, pour son progrès, et pour le bien et le bonheur des fidèles de la Loi parmi les Yona, les Kamboja, les Gândhara... » (Bloch, p. 103). Ils semblent donc avoir existé à Kandahar, mais une lecture attentive de RE V, et le témoignage de la version grecque de RE XII, incitent à croire que leur rôle se limitait là à protéger les fidèles de la Loi. Dans le reste de l'empire, leurs tâches étaient plus variées.

29. É. Benveniste, Journal asiatique, 1958, p. 45 ss. 30. Voir déjà É. Benveniste, Journal asiatique, 1964, pp. 149-150. 3 1 . Sur cette traduction, voir С Caillât, « Pâli ibbha, Vedic ibhya- », Buddhist Studies in

Honour of I. B. Homer, édité par L. Cousins, Dordrecht, D. Reidel, 1974, pp. 41-49. 32. J. Bloch, Inscriptions..., pp. 103-104 et 129-131. 33. J. Bloch, Inscriptions..., pp. 128-129. 34. Hultzsch, Corpus, p. 54 ; R. Mookerji. Asoka, p. 165 ; Thapar, Asoka..., p. 256 ;

U. Schneider, Die grossen Felsen-Edikte Asokas, Freibiirger Beitràge zur Indologie 1 1, Wiesbaden. 1 978, p. 117, XIII N. etc. K. R. Norman a, il est vrai, tenté de montrer qu' Asoka avait aboli la peine de mort :« Asoka and Capital Punishment... ». Journal of the Royal Asiatic Society, 1975, pp. 16-22. La démonstration n'est pas entièrement convaincante, car elle oblige à donner à la racine vadh, « tuer ». un sens très spécialisé et rarement attesté. Mais même K. R. Norman maintient la traduction « et qu'ils ne soient plus tués » pour ce passage.

35. Bloch. Inscriptions, pp. 96 et 105. On pourrait citer d'autres passages de la traduction de Bloch (p. 1 09 : « Le bien du monde entier » : p. 118 : « que tous échappent aux mauvais penchants », etc.). mais il s'agit d'expressions toutes faites dont il n'y a rien à conclure sur le plan administratif.

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36. Sur ce concept, voir G. Fussman, « Le concept d'empire dans l'Inde ancienne », dans M. Duverger, Le concept d'empire, Paris, P.U.F., 1980, pp. 379-391. Et passim, tous les manuels sur le bouddhisme.

37. K. R. Norman, « Lexical Variation in the Asokan Rock Edicts », Transactions of the Philological Society, 1 970, p. 127 donne une autre explication (il ne faudrait pas offenser les habitants du Kalinga). Je n'y crois guère. Le mot que l'on traduit par « empire » est vijita-, « l'ensemble des territoires vaincus ». Selon Bongard-Levin (Indija epoxi Maur'ev, p. 358, n. 2) vijita- désignerait seulement le noyau de l'empire, soumis directement à l'autorité impériale, donc à l'exception des populations à statut particulier ci-dessus énumérées. Le début de RE II montre que cette interprétation est inexacte. Vijita- désigne l'ensemble des territoires où s'appliquent les ordres d'Asoka. Ainsi seulement peut s'expliquer la phrase de RE XIII « Quant à la brousse qui se trouve dans l'empire (vijite) de l'ami des dieux » (Bloch, Inscriptions..., p. 129).

38. Bloch, Inscriptions..., p. 146. 39. Barua, Asoka..., I, pp. 1 06- 1 09 ; D. С Sircar, Cosmography and Geography in Early Indian

Literature, Calcutta, 1967, pp. 38-59. 40. Bloch, Inscriptions..., pp. 93-94. 41. Bloch, Inscriptions..., pp. 129-130. 42. Bloch, Inscriptions..., p. 161. 43. Sur le concept de dharma-vijaya-, voir P. V. Kane, History of Dharmasâstra, III, Poona,

1946, pp. 68-72 et supra, note 36. 44. E. Lamotte, Histoire du bouddhisme indien, I, Louvain, pp. 291-294. 45. Bloch, Inscriptions..., pp. 106-107. Je suis ici l'interprétation que j'ai proposée, Journal

asiatique, 1974, pp. 386-389. 46. Bloch, Inscriptions..., p. 154. E. Lamotte {supra, n. 44), pp. 256-258. 47. U. Schneider, Die grossen Felsen-Edikte Asokas, Wiesbaden, 1978, p. 18. K. R. Norman,

Acta Orientalia, 40, 1979, p. 352. 48. On appelle Aryens (sanskrit àryd) les locuteurs des langues indo- iraniennes d'origine

indoeuropéenne. C'est un terme linguistique et, dans quelques cas, culturel, qui n'a aucune connotation raciale, pas plus que le terme francophone n'implique qu'on compte Vercingétorix au nombre de ses ancêtres. Ceux des Aryens qui se sont établis en Inde sont les Indo- Aryens. Toute langue dont on peut démontrer qu'elle est un état ultérieur du sanskrit védique que parlaient les Indo- Aryens à leur arrivée en Inde (vers 1 500 avant n. è.) est dite indo- aryenne. L'indo-aryen ancien comprend sanskrit védique et sanskrit classique ; le moyen indo-aryen ou moyen indien comprend divers prakrits, dont le pâli et les divers dialectes dans lesquels sont rédigées les inscriptions d'Asoka.

49. RE XIII. Bloch, Inscriptions..., p. 128. 50. Strabon, XV, 47 et XV, 52-53 (McCrindle, pp. 53-55) et Arrien, L'Inde, XII, 2-4. 5 1 . Strabon, XV, 48 (McCrindle p. 53) et Arrien XII, 5. Ce n'est sans doute pas un hasard si la

tradition indienne fait de Kautilya, le premier ministre de Candragupta, un maître en fourberie et espionnage politiques. UArthasâstra a de longs développements sur la police politique et l'espionnage.

52. Bloch, Inscriptions..., p. 124. 53. Strabon, XV, 49-51 (McCrindle, pp. 53-54) et Barua, Asoka..., pp. 166-206. 54. Bloch, Inscriptions..., p. 151, n. 22. 55. Strabon, XV, 50 (McCrindle, p. 54). 56. G. Fussman, «Quelques problèmes asokéens », Journal asiatique, 1974, p. 381 et infra,

n. 94. 57. Bloch, Inscriptions..., p. 95 et p. 170. 58. Jean Deloche, La circulation en Inde avant la révolution des transports, I, La voie de terre,

Publications de l'École française d'Extrême-Orient, vol. CXXII, pp. 224-227 et 285-292. Tous les chiffres cités sont extraits de cet ouvrage. Ils sont reportés sur la figure 4.

59. Bloch, Inscriptions..., p. 137. 60. Bloch. Inscriptions..., p. 169. 1. 7 et 1 1.

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61. RE II (Bloch, p. 95) et PE VII (Bloch, p. 170). 62. RE II (Bloch, p. 94). 63. PE II (Bloch, p. 162, 1. 6). 64. RE I, PE V. 65. Voir note 62. 66. RE IV (Bloch, p. 99) et PE VII (Bloch, p. 172). 67. RE V (Bloch, p. 104). 68. Sous-entendue dans PE IV (Bloch, p. 1 65). Pour une interprétation différente, voir note 34. 69. 1er édit du Kalinga (Bloch, p. 139) ; PE IV (Bloch, p. 164). 70. Bien que son autorité ait pu, dans une faible mesure, être partagée avec la parisad et la râja-

sabhâ (conseil royal) : Bong ard- Levin, Indija epoxi Maur'ev, pp. 185-190 et RE III (Bloch. p. 97). 7 1 . L'envoi de plantes médicinales, le creusement de citernes et la plantation d'arbres le long des

routes sont plus des mesures de charité que des grands travaux. L'exécution de ces deux dernières mesures devait d'ailleurs être, en grande partie, laissée à la discrétion des fonctionnaires locaux, le roi se bornant à envoyer des instructions générales.

72. Bloch, Inscriptions..., p. 108. 73. Sauf l'exonération partielle d'impôts du village de Lummini, où le Buddha est censé être né

(Bloch, p. 1 57), qui témoigne, a contrario, de la collecte des impôts. 74. Bloch, Inscriptions..., p. 96. 75. Corpus..., p. 5, note 5. 76. Bloch, Inscriptions..., p. 140. 77. Le terme indien que nous traduisons par « édit » signifie en fait « proclamation, acte de faire

entendre ». Selon Bloch, Inscriptions..., p. 150, la version d'Erragudi de MRE II doit se traduire : « Le contrôleur doit recevoir l'ordre ; il le proclamera au son du tambour... » Le texte de l'inscription, tel qu'on le lit aujourd'hui dans D. C. Sircar, Asokan Studies, Calcutta, 1 979, p. 9, ne comporte pas cette mention du tambour, due à une lecture erronée.

78. « Ce texte de la loi est gravé pour que cela dure longtemps, et que mes enfants s'y conforment » (RE V, Bloch, p. 106). « J'ai fait graver ce texte de la loi pour qu'il dure longtemps et que de même mes fils, petits-fils et arrière-petits-fils s'y conforment... » (RE VI, Bloch. p. 1 09), etc., (RE XIII, Bloch, p. 132 ; édits du Kalinga, Bloch, p. 143 ; PE VII, Bloch, p. 172).

79. Commodément, Bloch, Inscriptions..., p. 44. 80. Ainsi, contrairement à la brâhmî, la kharosthî ne fait pas la différence, phonologiquement

très importante, entre voyelles brèves et voyelles longues. 8 1 . Voir note 94. 82. L. Robert, Journal asiatique. 1958, 1. p. 13. 83. Strabon, XV, 49 = Arrien, L'Inde, XII. 8-9. 84. Le mot indien est vaga- < sanskrit varga-, « groupe ». Mais en fonction du contexte on

traduit souvent par « un homme ». 85. Bloch, Inscriptions..., pp. 139-140. Je suis la traduction de L. Alsdorf, « Asokas Separat-

edikte von Dhauli und Jaugada », Akad. der Wiss. und der Lit. in Mainz, Abhandl. der Geistes- und Sozialwiss. KL, 1962. 1, pp. 30-31 et 38.

86. R. Thapar, Asoka..., p. 100. 87. D.C. Sircar. Asokan Studies, Calcutta. 1979, p. 97. 88. C'est du moins l'analyse que j'ai développée dans « Quelques problèmes asokéens ». Journal

asiatique, 1974. pp. 377-379. 89. La traduction traditionnelle de ce passage (note 8 5) est corroborée par le fait que des légendes

bouddhiques concordantes font ď Asoka. alors prince héritier, le représentant (vice- roi) de son père à Ujjain et de son fils Kunâla le représentant d'Asoka à Taxila.

90. Voir le tableau synoptique dressé par D. С Sircar. Asokan Studies, p. 132 A. 91. Bloch. Inscriptions.... p. 145.

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92. Voir l'étude détaillée que j'ai donnée de ce problème dans « Quelques problèmes asokéens », Journal asiatique, 1974, pp. 376-381.

93. La désignation « deuxième » est traditionnelle. En fait, le « deuxième » édit du Kalinga est antérieur au « premier », Hultzsch, Corpus..., pp. xni-xiv.

94. J'ai développé ce sujet dans Journal asiatique, 1974, pp. 381-385. On trouvera la bibliographie dans les notes de cet article. On ajoutera L. Robert, Revue des Études grecques, 1 959, p. 270, n° 488 (modification de la traduction de la MRE grecque de Kandahar) ; G. Ito, « A New Interpretation of Asokan Inscriptions Taxila and Kandahar I », Studia Iranica, 6, 1 977, 2, pp. 151- 161 ; G. Ito, « Asokan Inscriptions, Laghmân I et II », Studia Iranica, 8, 1979, 2, pp. 175-184, qui modifie sensiblement l'interprétation de ces deux inscriptions du Laghman, et où l'on trouvera les renvois nécessaires aux importants articles de H. Humbach.

95. Bloch, Inscriptions..., p. 125, 1. 22. 96. Bloch, Inscriptions..., pp. 133-134. 97. Comparez ce passage des édits séparés du Kalinga. « Tout homme est mon enfant... Mais

vous ne vous rendez pas compte jusqu'où cela va ; ou bien un isolé parmi mes gens s'en rend compte, mais alors même partiellement, pas en entier. » (Bloch, Inscriptions..., p. 137).

98. J'ai l'avantage d'avoir pu visiter moi-même quelques-uns des sites asokéens du Nord-Ouest. On ne peut aller directement de Mânsehrâ à Shâhbâzgarhî : pour aller à Mânsehrâ en venant de la plaine gangétique, il faut d'abord passer à Taxila, et y repasser pour aller ensuite à Shâhbâzgarhî. La version araméenne de Taxila est assez proche du texte de Shâhbâzgarhî selon H. Humbach. Les versions grecques des édits, à Kandahar, ont été composées à partir d'un texte analogue à celui de Shâhbâzgarhî. On peut donc supposer que les édits arrivaient à Taxila. De là, une copie était envoyée à Mânsehrâ et une autre au Gandhâra, par exemple au gouverneur de Puskalâvatî (Charsadda), son ancienne capitale, qui la faisait graver à Shâhbâzgarhî et la transmettait à (ses subordonnés ?) de Kandahar et du Laghman. Aucun indice ne permet de dire par où transitaient les textes destinés à Kâlsî (sans doute par Indraprastha/Delhi), à Girnâr (sans doute par Ujjain) et Sopârâ. Pour les PE, voir supra, p. 639.

99. Encore est-ce une adaptation qui ne correspond pas exactement aux versions indiennes des MRE.

100. D. С Sircar, Asokan Studies, pp. 55-56. 101. Kâlsî serait situé près du site de l'ancienne Srughna selon Barua , Asoka. . . , II, p. 3 reprenant

une suggestion de Bhandarkar. La description géographique que donne R. Thapar, Asoka, pp. 231- 232 ne me paraît pas tout à fait conforme à la réalité.

102. Il est généralement considéré que le Cachemire faisait partie de l'empire maurya, et des textes bouddhiques tardifs le disent nettement (S. С Ray, Early History and Culture of Kashmir, 2e édition, Delhi, 1 970, p. 36). Le fait que les saints bouddhiques un moment persécutés par Asoka aient pu se réfugier au Cachemire et y vivre en paix montre qu'une tradition concurrente considérait que le Cachemire échappait, en partie au moins, à la souveraineté maurya (textes dans E. Lamotte, Histoire du bouddhisme indien, I, Louvain, 1958, pp. 279-280 et 304-312).

1 03. La remarque est de K. R. Norman, dans un article inédit. Elle est citée par J. Irwin, « The Prayâga Bull-Pillar : Another Pre- Asokan Monument », South Asian Archaeology, 1979, édité par H. Hàrtel, Berlin, 1981, p. 336.

104. Bloch, Inscriptions..., p. 172. 1 05. K. L. Janert, Abstànde und Schlussvokalverzeichnungen in Asoka-Inschriften, Verzeichnis

der orientalischen Handschriften in Deutschland, Suppl. Band 10, Wiesbaden, 1972. 1 06. Barua, Asoka..., II, p. 6. Debala Mitra, Buddhist Monuments, Calcutta, 1 97 1 , pp. 83-85 (ne

reprend pas cette identification, mais décrit les très importants restes bouddhiques de ce site). J. Irwin, Burlington Magazine, CXV, nov. 1973, pp. 717-718.

107. J. Irwin, « The Prayâga Bull-Pillar... », pp. 334-337. 108. J. Irwin, ibid., pp. 337-339. 109. Bloch, Inscriptions..., p. 169, 1. 18. 110. R. Thapar, Asoka..., pp. 51-54. 111. D. С Sircar, Studies in Indian Coins, Delhi, 1968, p. 96 et pp. 101-106. Voir les

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G. FUSSMAN L'EMPIRE MAURYA

discussions dans Seminar Papers on the Chronology of the Punch-Marked Coins, A. K. Narain et L. Gopal éds, Varanasi, Banaras Hindu University, 1966.

112. Arrien, L'Inde, XI, 9 et XII, 5 (pp. 38-39 de l'édition Belles Lettres par P. Chantraine). 113. G. M. Bongard- Levin, Indija epoxi Maur'ev, pp. 214-220. 1 14. D. C. Sircar, Select Inscriptions, Calcutta, 1965, p. 177, 1. 8. Discussion, Journal asiatique,

1974, p. 386, n. 95. 1 15. Bongard- Levin, Indija epoxi Maur'ev, pp. 77-78. 116. Cité par Mookerji, Chandragupta Maurya and his Times, Delhi, 1 966, pp. 42-43, avec un

commentaire.

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