Fournier - Le Sexe Et l’Âge de l’Ethnographe

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Pierre Fournier Le sexe et l’âge de l’ethnographe : éclairants pour l’enquêté, contraignants pour l’enquêteur Résumé La relation d’enquête ethnographique quand elle est assumée comme telle (entretien, présence longue à découvert...) déclenche des mécanismes cognitifs chez l’enquêté. En effet, la présentation que l’enquêteur donne de lui-même ne suffit pas toujours à lever l’indétermination qui l’entoure. Le sexe et l’âge figurent parmi les rares informations indiscutables dont dispose immédiatement l’enquêté pour "compléter" la perception qu’il a de l’enquêteur de façon à ajuster son discours ou son comportement à la requête de celui-ci. Pour ne pas se méprendre sur l’interprétation du matériau recueilli, il convient donc d’analyser la relation d’enquête comme rapport social de sexe, d’âge, voire de classe. C’est même une piste pour éprouver la validité de l’interprétation globale en testant sa cohérence avec l’interprétation qu’a l’enquêté de la relation d’enquête. Abstract People under observation need to be told about the investigation — at least in ethnography based on interviews and overt ethnography. What the researcher says about his/her project and about him — or herself, however, does not usually clarify the research relationship. Identifying characteristics such as the investigator’s sex and age are, in practice, the first step in recognizing the intention of an investigation. Subjects can then use such information in order to adjust their perceptions of what the investigator says about his/her job. This promotes a change in subjects’ discourse and practices in relation to the researcher. Analyzing the fieldwork relationship as a social relationship, influenced by gender, age and even possibly class, is an important way to avoid misunderstanding empirical material. It is also a good way to test the general interpretations of the research : these interpretations should be coherent with the interpretation of the investigative relationship. Pour citer cet article : Pierre Fournier. Le sexe et l’âge de l’ethnographe : éclairants pour l’enquêté, contraignants pour l’enquêteur, ethnographiques.org, Numéro 11 -octobre 2006 [en ligne]. http://www.ethnographiques.org/2006/Fournier.html (consulté le [date]).

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Transcript of Fournier - Le Sexe Et l’Âge de l’Ethnographe

  • Pierre Fournier

    Le sexe et lge de lethnographe :clairants pour lenqut, contraignants pour lenquteur

    Rsum

    La relation denqute ethnographique quand elle est assume comme telle (entretien, prsence longue dcouvert...)dclenche des mcanismes cognitifs chez lenqut. En effet, la prsentation que lenquteur donne de lui-mme ne suffitpas toujours lever lindtermination qui lentoure. Le sexe et lge figurent parmi les rares informations indiscutables dontdispose immdiatement lenqut pour "complter" la perception quil a de lenquteur de faon ajuster son discours ouson comportement la requte de celui-ci. Pour ne pas se mprendre sur linterprtation du matriau recueilli, il convientdonc danalyser la relation denqute comme rapport social de sexe, dge, voire de classe. Cest mme une piste pourprouver la validit de linterprtation globale en testant sa cohrence avec linterprtation qua lenqut de la relationdenqute.

    Abstract

    People under observation need to be told about the investigation at least in ethnography based on interviews and overtethnography. What the researcher says about his/her project and about him or herself, however, does not usually clarifythe research relationship. Identifying characteristics such as the investigators sex and age are, in practice, the first step inrecognizing the intention of an investigation. Subjects can then use such information in order to adjust their perceptions ofwhat the investigator says about his/her job. This promotes a change in subjects discourse and practices in relation to theresearcher. Analyzing the fieldwork relationship as a social relationship, influenced by gender, age and even possibly class,is an important way to avoid misunderstanding empirical material. It is also a good way to test the general interpretations ofthe research : these interpretations should be coherent with the interpretation of the investigative relationship.

    Pour citer cet article :

    Pierre Fournier. Le sexe et lge de lethnographe : clairants pour lenqut, contraignants pour lenquteur, ethnographiques.org,Numro 11 -octobre 2006 [en ligne]. http://www.ethnographiques.org/2006/Fournier.html (consult le [date]).

  • Sommaire

    Introduction Une anecdote sans doute emblmatique

    La relation denqute : un contrat incompletUne question-clef pour lethnographie dcouvert

    Sexe et ge parmi les premiers repres donns lenqut

    La relation denqute : une relation sociale partUne conversation de train improbable et risque

    Donner sens la relation denqute pour y faire face : le point de vue de lenqut

    Au dfi de la valorisation de soiSolder des comptes par procurationPeine perdue pour une reconnaissance impossibleAccueillir comme on aurait aim tre accueilli

    Sexe et ge encombrent lenquteur mais ouvrent des pistes inattendues

    Notes

    Bibliographie

    Introduction

    Au dbut des annes 2000, une exprience de pdagogie inductive, mene lEHESS-Marseille, propose de former les

    tudiants de master lenqute de terrain par la pratique directe, rflchie ensuite en sminaire. Le terrain retenu par les

    enseignants est bien connu deux puisquil sagit dune grande rue de Marseille sur laquelle ils travaillent depuis 1996 dans le

    cadre dune recherche aujourdhui publie (Fournier, Mazzella, 2004). La consigne donne aux tudiants est daller recueillir

    des histoires familiales partir dentretiens biographiques auprs de rsidents ou doccupants de cette rue de faon situer

    les enquts dans leurs relations avec lespace et dans la relation de leur famille avec la ville. Il sagit donc de mener des

    entretiens approfondis de faon rpte avec des enquts choisis pour leur lien avec cette rue. Dans ce cadre, Caroline R.

    rencontre un bijoutier. Il nous a t prsent un an plus tt par un collgue chercheur rsidant dans le mme immeuble et

    qui a dmnag depuis. Prenant argument de son installation dj ancienne dans la rue et de sa bonne connaissance des

    commerants voisins, nous lui demandons sil est prt en parler avec Caroline R. Il donne son accord et les deux premiers

    entretiens confirment quil a la fois une histoire riche par son paisseur, par des rattachements multiples la rue, et une

    vritable envie daider Caroline sy retrouver. Cest l que survient un problme qui engage le sexe de lethnographe.

  • Une anecdote sans doute emblmatique

    Au troisime entretien dont elle est convenue avec Michel N., 12h30, dans la bijouterie, une heure o il lui a dit tre

    toujours dans la boutique, ce quelle a dj pu constater, Caroline trouve porte close. Et au nouveau rendez-vous quelle

    obtient quelques jours plus tard, le bijoutier lui fait une dclaration damour. Comment comprendre cet incident de terrain

    ? En invoquant un malentendu autour de la relation denqute et en imputant cette mprise la maladresse dune dbutante

    ? La rptition de difficults srieuses chez plusieurs tudiants du groupe, avec des manifestations et des consquences

    diverses sur lesquelles on reviendra, semble confirmer cette hypothse.

    A moins que le cadre pdagogique nait eu pour effet que de rendre flagrant des problmes plus gnraux, qui valent

    ailleurs mais passent souvent inaperus. Survenant lors de premiers entretiens, lentre sur le terrain, un moment de

    lenqute o limplication dans la recherche et lenthousiasme pour les informations recueillies nclipsent pas encore toute

    interrogation sur les modalits dinvestigation, les choses peuvent encore tre senties. Dautant que la dimension rflexive du

    sminaire y invite. Alors, les quiproquo, au sens de quelquun pris pour quelquun dautre, que font voir ces incidents ont-ils

    des quivalents des degrs divers souvent moindres sans quoi ils alerteraient immanquablement [1] dans toute

    enqute ethnographique ? Peut-on les expliquer en considrant que la relation denqute sappuie sur un contrat incomplet

    pass entre lenquteur et lenqut, qui autorise des malentendus ?

    La relation denqute : un contrat incomplet

    Lexpression de contrat incomplet est reprise aux nouvelles thories du march du travail qui lappliquent au contrat de

    travail. Celui-ci diffrerait du contrat ordinaire de fourniture quest le contrat commercial. Le travail nest pas une

    marchandise ngociable sur un march tout fait comparable celui des biens. A la main invisible du march dont parlait

    Adam Smith, il faut rajouter une poigne de main sagissant de la ngociation de la force de travail (Garnier, 1986),

    cest--dire quune relation de confiance est ncessaire, sans quoi la mobilisation de la force de travail reste incertaine aprs

    ltablissement du contrat : elle dpend de lattitude ultrieure des partenaires contractants. La relation denqute semble

    entoure du mme type dindtermination, mme aprs la prsentation par lenquteur du projet dinvestigation et la

    formulation dun accord de la part de lenqut, mme dans les contextes o est prvu un accord crit, contresign par les

    parties, sur la base dune prsentation prcise et dtaille comme cela se pratique aux Etats-Unis ? Quand ils donnent leur

    accord, les enquts savent-ils quoi ils sengagent ? Sils ne savent pas toujours bien ce qui les attend, ils sen sont fait une

    ide : ils ont complt leur faon le contrat. Or, dans la faon quil a dtre complt et rajust au fil de linteraction

    denqute, ce contrat apparent autorise des malentendus. Bien sr, certains sautent tout de suite loreille de lenquteur

    comme pour Caroline. Mais la plupart passent inaperus alors quils ont des effets sur lorientation que lenqut donne son

    propos, son action. Lenjeu den prendre conscience nest pas forcment de rejeter ce type dinvestigation mais de mieux

    savoir que faire de la parole recueillie, de laction observe au cours de lenqute, de prciser quel crdit lui accorder. La

    question est de savoir ce quelles nous apprennent de lenqut, de ses pratiques et du rapport quil entretient avec elles, et

    ce quelles ne peuvent pas nous apprendre.

    Pour avancer dans la rflexion sur les conditions pratiques de fcondit de linvestigation ethnographique, il faut donc

    regarder la faon dont se complte le contrat denqute jusqu rendre possible linvestigation. Qui y travaille ? Lenquteur

    bien sr, et pas seulement lentre dans la relation denqute, quand il expose son intention de connaissance, mais aussi

    dans son dveloppement, par exemple en acquiesant certaines rponses, certains niveaux de dtail qui lui sont donns,

  • pour montrer quils lintressent, ou en coupant lenqut, en rorientant la discussion vers certains thmes, en en laissant

    dautres de ct. Il nest cependant pas le seul agir pour complter le contrat. Il y a aussi tout un travail fourni par

    lenqut lui-mme pour en savoir plus sur lenquteur et sur ses attentes, de faon lever cette indtermination qui peut le

    gner au moment de dcider de sa parole, de sa conduite, dans cette relation incongrue. Il le fait partir des informations

    que lenquteur lui communique, tantt en les lui donnant explicitement (mais pas toujours de faon suffisante comme on la

    vu dans lexemple initial), tantt en les mettant simplement sa disposition par les caractristiques personnelles quil ne

    peut lui cacher, comme son ge, son sexe et quelques autres, quon appellera par la suite caractristiques externes mme

    si elles lui collent la peau et quil aurait du mal sen dfaire.

    Relevant de cette catgorie des caractristiques externes, on trouve les diffrences de classe entre enquteur et enqut.

    Elles sont rgulirement convoques dans les crits mthodologiques comme tant susceptibles de provoquer des

    phnomnes de censure (Mauger, 1991) et dorientation du propos chez lenqut (Pinon, Pinon-Charlot, 1997,

    Chamboredon et al., 1994). Deux parades ces difficults sont souvent proposes dans les manuels de mthode. Selon la

    premire, le souci chez lenquteur dviter lexercice de tout rapport de domination vis--vis de lenqut, notamment par

    une explicitation de son intention de connaissance laquelle associer lenqut, serait de nature rgler le problme. Bref,

    une posture neutre de ce point de vue serait envisageable et efficace. Selon la seconde parade, plus labore que la

    premire, manant dauteurs tentant de faire preuve de plus de lucidit sur la force des rapports sociaux, lenquteur ne

    peut quassumer lingalit des positions sociales et il doit sinquiter des effets dorientation des propos de lenqut quelle

    est de nature induire. Simplement, cette moins-value en termes de perspectives de connaissance, il peut opposer une

    plus-value en trouvant, dans la raction lenqute, dans la lecture que lenqut fait des caractristiques externes de

    lenquteur qui impriment la relation denqute une dimension de rapport de domination, des signes de la faon dont ces

    attributs font sens dans son monde. Cest donc une occasion pour le chercheur den apprendre sur le rapport de lenqut au

    monde social, sur la perception quil a de son propre monde en mme temps que des autres univers sociaux, en tout cas de

    celui auquel il rattache lenquteur. Si cette deuxime piste est plus convaincante que la premire, elle a peut-tre encore le

    dfaut dteindre trs vite la rflexion sur les effets de mconnaissance, dentrave la connaissance, induits par la

    perception qua lenqut de diffrences et de ressemblances avec lenquteur. Peut-on en effet rester indiffrent au fait que

    les rcits recueillis changent selon que lenquteur partage ou non la position sociale de lenqut ? Et que se passe-t-il

    quand on prend des caractristiques externes que personne ne peut imaginer neutraliser comme le sexe de lenqut, son

    ge, son origine ethnique [2] ?

    Une question-clef pour lethnographie dcouvert

    Parmi les modes dinvestigation ethnographique, deux configurations denqute mritent dtre distingues parce que le

    problme soulev ne sy pose pas tout fait dans les mmes termes : lenqute incognito et lenqute dcouvert. Dans la

    premire configuration, on range lenqute par observation participante, o le chercheur endosse un rle existant dordinaire

    dans la situation, mais aussi lexploitation de documents ethnographiques, produits du seul fait du fonctionnement social et

    prlevs par le chercheur sans interaction susceptible daltrer le matriau. Dans ces cas-l, on peut dire que les bnfices

    heuristiques de ce type denqute sont attendre du frottement du systme de valeurs du chercheur avec celui des

    enquts (Arborio, Fournier, 2005, p. 61 et sq.), et ce systme de valeurs du chercheur porte sans aucun doute la marque

    de son appartenance sexuelle, notamment dans sa dimension construite socialement, la marque de son rattachement un

    groupe dge, une gnration, une position dans le cycle de vie, la marque de sa trajectoire sociale... Ce nest donc pas

  • parce que les questions du sexe et de lge du chercheur nont aucune incidence dans ce type dinvestigation quon va ici

    lcarter de la discussion, mais cest parce que la position de lenquteur ny diffre pas fondamentalement de celle des

    acteurs ordinaires entrant en interaction : tous les acteurs sociaux adoptent des prsentations verbales de soi diffrencies

    selon leurs interlocuteurs et tous font lobjet dune apprciation du crdit accorder cette prsentation au regard des

    caractristiques objectives quils donnent voir dans le mme temps. Les valuations auxquelles cela donne lieu nexcluent

    pas des jeux sur les dcalages dcels. La manire dont se dveloppent les aventures conjugales dans le monde du travail

    tmoigne ainsi de ces jeux sur lambigut (Roy, 2006). Le rpertoire de conduite de lenquteur par observation participante

    incognito na simplement rien de particulier de ce point de vue par rapport ceux des acteurs ordinaires. Il nest pas interdit

    dimaginer quun chercheur se trouve pris dans une relation amoureuse sur son terrain dobservation participante la faveur

    dun mouvement de grve auquel il serait amen participer, donc la faveur dun contexte de transformation des relations

    sociales dans lenqute, qui laffecte comme il affecte tous les acteurs [3].

    La question se pose de faon plus spcifique dans la relation denqute stablissant entre un enqut et un enquteur

    connu comme tel, donc dans la relation denqute quand elle est pleinement assume. Et ce que lon veut souligner, cest

    que, pour autant quelle saccompagne dexplicitation, la relation denqute ne trouve pas ncessairement un sens

    immdiatement clair, stable et univoque pour lenqut. De ce point de vue, lenqute par entretiens et lenqute par

    observation dcouvert se ressemblent : lentre sur le terrain rclame du chercheur prsentation dune demande, dune

    position dinvestigation. Et ces explicitations ne semblent pas toujours, et peut-tre mme jamais, suffire dispenser

    lenqut dinterrogations ultrieures sur leur ralit.

    Peut-on se satisfaire que celui-ci ne signale aucune difficult dans laccueil de linvestigation pour se penser labri du

    problme ? Rien nest moins sr : si lenqut sabstient de faire ouvertement tat de tout malaise, cest peut-tre par

    crainte de jugements ngatifs sur lui que cela pourrait dclencher chez lenquteur [4]. Cela peut tre aussi parce que cette

    relative indtermination autour de la relation denqute ne lempche pas forcment dagir, de faire face immdiatement.

    Simplement, il passe la suite de lentretien ou de la frquentation du chercheur par observation directe guetter tous les

    signes qui donnent sens leur trange relation : aux premiers rangs desquels au moins par ordre chronologique

    dapparition le sexe et lge de la personne du chercheur. A partir de l, lenqut sefforce de rapprocher la situation quil

    vit de situations dj connues pour lesquelles il matrise les rgles de biensance, pour lesquelles il dispose de rpertoires

    dinteraction o puiser ses reparties. Lindtermination qui entoure cet trange interlocuteur quest lenquteur, et la relation

    que lenqut a avec lui, se lve ainsi progressivement, peut-tre pas sans malentendu, peut-tre mme dune manire qui

    inquiterait lenquteur sil en tait inform.

    Bien sr, cette indtermination quant au sens prcis de la relation noue dans lenqute existe aussi chez lenquteur mais

    elle lui est sans doute moins pnible parce quelle fait partie de son ordinaire, parce quelle peut tre range dans la

    catgorie des routines professionnelles : aprs tout, cest dans le mtier du chercheur de terrain que de se trouver en

    posture de guetter chez un inconnu le moindre signe susceptible de servir la fois mieux le connatre et avoir

    ultrieurement avec lui une relation moins artificielle, dont on sent bien quelle laisse esprer de meilleures conditions de

    communication et de production de connaissances. Qui plus est, lenquteur dispose quasiment toujours dune petite

    longueur davance sur lenqut face lindtermination de la relation denqute : en ayant choisi lenqut, en tout cas en

    sachant quil rpond certaines caractristiques pour figurer dans son corpus, en sachant situer un peu de sa position dans

    le monde social tudi...

  • Sexe et ge parmi les premiers repres donns lenqut

    Ce que lenqut sait dabord de lenquteur, cest ce que celui-ci lui laisse voir. Sa prsence physique dit souvent des

    formes dautorisation ou de recommandation donnes par dautres pour le laisser accder la situation, sagissant

    dobservation dcouvert, ou pour le laisser solliciter un entretien. Elle garantit ensuite que lenquteur prtend saffranchir

    de certaines contraintes comme lodeur sagissant de rencontrer des goutiers (Jeanjean, 1999), comme la prsence de

    risques sagissant dobserver le travail dans lindustrie nuclaire (Fournier, 2001). Elle laisse supposer que certaines

    prventions socialement construites nont pas prise sur lenquteur, quil sagisse dtudier les militants du Front National

    (Bizeul, 2003) ou les grandes fortunes et les milieux daffaire (Pinon, Pinon-Charlot, 1997). Ce que lenquteur montre

    immdiatement, cest aussi son appartenance sexuelle, son ge approximatif, sa corpulence, la couleur de sa peau. Il faut

    bien sr ajouter ses vtements, sa dmarche, sa manire de se tenir qui disent son appartenance sociale, saisie au moins

    grossirement, mme si les enquts ont en tte que lhabit ne fait pas forcment le moine . Viennent ensuite son accent

    et son registre langagier ds quil se met parler. Ce que lenquteur peut dire de son enqute ne vient quaprs, en

    complment de tous ces lments, et ne dispense pas lenqut dun travail de mise en cohrence et dinterprtation de ces

    diffrentes informations lmentaires.

    Quel est lenjeu pour lenqut de ce travail cognitif dans lequel entrent sexe et ge de lenquteur ? Il sagit pour lui de

    calculer lquation personnelle de lenquteur qui dpasse la prsentation fonctionnelle que celui-ci donne quand il dit qui il

    est pour vouloir rencontrer lenqut et ce quil en attend. Cest cette somme dinformations que lenqut voudra ajuster

    et rajuster son discours ou sa conduite, suivant ce quil peroit comme recevable dans la situation. Si lenqut peut se

    trouver en peine et, dune certaine faon, insatisfait face la prsentation qua donne lenquteur du projet de

    connaissance auquel celui-ci souhaite lassocier, cest quil peroit souvent des raisons de sinterroger sur la ralit de ce

    projet. Dans certains cas, il peut ne pas voir comment y rpondre sans avoir imaginer un implicite de la demande. Lobjet

    lui parat parfois drisoire : Michael Burawoy se heurte ainsi des ractions de surprise de la part de collgues de travail

    quil rencontre dans le cadre dune observation participante dcouvert : cest tout de mme tonnant quil te faille

    travailler la chane pour tes tudes (Burawoy, 1979) et cest au regard de sa jeunesse et de sa bonne volont manifeste

    que sa prsence incongrue est finalement accepte. Dans dautres cas, rpondre en prenant au pied de la lettre le discours

    de lenquteur semble possible lenqut mais le type dinvestigation propose ne lui parat pas en phase avec le projet de

    connaissance affich [5]. Cela lui semble parfois mme si trange quil redoute davoir affaire une formulation servant

    dcran un autre projet -peut-tre moral, politique, ou autre comme dans le cas de Caroline -auquel il ne voudrait pas tre

    associ malgr lui. Il peut craindre dtre victime dune tentative de manipulation. Pour trancher cette incertitude, il tente de

    contrler son interprtation de la situation en mettant en cohrence ce que lenquteur dit de lui-mme et les lments

    pars dinformation dont il dispose.

    Et face ce calcul de lenquteur par lenqut, on retrouve une forme du paradoxe de lobservateur trs bien formul

    par Olivier Schwartz (1993) en postface la traduction franaise du Hobo de Nels Anderson : le chercheur veut enquter au

    plus prs de la ralit interactionnelle mais, du seul fait de sa prsence, cette ralit ne se drobe-t-elle pas sa capacit

    dobservation, dcoute ? Lenqut livre-t-il la ralit de ses pratiques en situation, ou une version quil juge convenable

    compte tenu du sens quil donne la relation noue avec lenquteur ? A supposer que lenqut soit un bon observateur de

    ses pratiques, peut-on sans risque se fier lui pour les livrer dans lenqute ?

  • La relation denqute : une relation sociale part

    Les manuels de mthode ont lhabitude de rpondre que tout dpend de la relation que le chercheur parvient nouer avec

    lenqut. Essayons de prciser les contours de cette relation denqute pour voir quel rle peuvent y jouer les

    caractristiques externes de lenquteur. La relation denqute est une relation sociale part, cest--dire impliquant

    plusieurs acteurs, suivant des codes, avec une bonne dose dincongruit. Cela mrite quon sarrte sur chacun de ces trois

    points pour sapercevoir que la flicit heuristique de la relation ethnographique mle diffrents ordres de conditions.

    Comme relation interpersonnelle, elle engage ncessairement lestime de soi de chacun des participants. Le chercheur

    sinquite dabord de la reconnaissance de la lgitimit de ses demandes, de la reconnaissance de son mtier, dont dpend

    la possibilit pour lui de mener son enqute. En mme temps, il sinquite du respect quil doit lenqut et auquel il ne

    voudrait pas manquer, alors mme que lchange loccasion de lenqute lui parat unilatral, quil le peroit parfois

    mme comme pillage ou comme viol, quil aimerait le rendre symtrique pour lquilibrer. De son ct, lenqut sinquite

    souvent dtre la hauteur de lattente. Do de frquentes interrogations sur sa reprsentativit, sur sa typicit, bref sur la

    lgitimit de sa prise de parole. Do sa tentation parfois den rajouter dans le ct didactique, au risque de forcer (donc de

    fausser) la ralit sous prtexte de la faire bien comprendre [6]. Mais, dans lestime de soi de lenqut, compte aussi le

    respect dont il ne voudrait pas se voir manquer de la part de lenquteur. Une belle illustration est propose par Grard

    Althabe (1984) avec son analyse du rapport des habitants de grands ensembles leurs voisins quand ils se peroivent

    comme inscrits dans un procs, dans une dfense de tous les instants contre laccusation implicite de faire partie dune

    famille problmes, dune de ces familles qui attirent le discrdit sur la cit. La circonstance denqute ne fait pas exception

    la formulation de ce discours en forme de plaidoyer de la part de lenqut, parfois trs loin dune prsentation objective

    de la situation. Enfin, si lenqut devait avoir le sentiment de ne pouvoir tre bien compris dans son propos, voire dtre

    mpris, il peut se dtourner de lintention de connaissance et pervertir sans le dire la relation denqute au profit dun jeu

    de duperie et de provocation travers ses rponses. Sur tous ces points, on conviendra que le sexe et lge de lenquteur,

    les diffrences ou ressemblances avec les caractristiques de lenqut, sont susceptibles de jouer sur ces tensions,

    loignant sans le dire la relation denqute de ses conditions de flicit heuristique.

    Comme relation sociale, de face face ordonn, la relation denqute est ensuite justiciable danalyses de ses codes telles

    que Goffman les formule dans Stigmates (1975). La prservation de la relation suppose daccepter lventualit de non-dits

    censs viter les risques doffense. Abdelmalek Sayad, enqutant par entretiens sur les relations de voisinage entre Mme

    Meunier et la famille Ben Miloud, se trouve ainsi pris malgr lui par celle-l pour une sorte de travailleur social dge mr

    sans rapport avec la prsentation quil vient de donner de lui-mme :

    Je fais le tour du quartier. Je voudrais mentretenir avec les uns et les autres, voir un peu tout le monde,tous les habitants de ce quartier o il ny a que des pavillons : ce quils pensent de leur cadre de vie,comment ils voient lavenir de ce quartier, quels changements se sont produits dans leur voisinage et danstout leur environnement depuis leur installation ici. Ces changements ont-ils t dans le sens duneamlioration gnrale des conditions de logement et des conditions de vie ou, au contraire, dans le sensdune dtrioration ? Je nai pas de questions trs prcises vous poser, mais seulement envie debavarder avec vous et davoir votre avis, vos impressions...Autrement dit, ils sont bien obligs davouer ce quils sont en train de faire. Parce quils ne peuvent plus lecacher. Ils ont compris que a y est, on est au courant de tout. Ils se rveillent..., parce quils croient quontait aveugles, quon ne comprenait rien leur micmac.De quoi sagit-il ? De quel micmac ? Quest-ce quils ne peuvent plus cacher ? Quest-ce quils sont en train

  • de faire et davouer faire en mme temps ?Parce que vous, vous le savez pas ? Vous nallez pas me faire croire a (Sayad, 1993 : 42)

    Et de prciser un peu plus loin qui regroupe ce ils ayant missionn lenquteur cause de ses voisins, arrivs l au titre

    du logement social :

    Si la mairie ou les HLM ou je sais pas qui vous a envoy ici, cest pour eux, cest pas pour moi. Moi, toutle monde sen fout (ibid. 45)

    Par sa seule venue et par la respectabilit quinspire son ge, il lui confirme donc la dgradation quelle peroit de

    lenvironnement social de son pavillon. Stphane Beaud (2002), enqutant auprs des jeunes de cits, remarque quils

    vitent parfois de lavoir leurs cts dans leur zone de rsidence, qui est aussi une zone de regards croiss, de peur quil

    soit pris pour un travailleur social dclenchant un jugement sur eux comme devant tre secourus. La difficult denqute

    aurait sans doute t pire pour une enqutrice, assimile plus vite encore une assistante sociale. Ainsi, lanalyse de la

    relation denqute perue comme publique ne doit-elle pas ngliger la possible surdit de lenqut aux explications

    raisonnables du chercheur sur sa prsence au nom de la prise en compte prpondrante du possible regard de tiers informs

    des seules caractristiques externes de linterlocuteur.

    La relation denqute est enfin une relation sociale extra-ordinaire, incongrue. Elle ne se conforme pas dvidence un

    standard interactionnel auquel lenqut se serait frott depuis toujours, contrairement lenqute par questionnaire pour

    laquelle lexprience rpublicaine du vote, la passation du recensement, ou ladministration de diverses fiches signaltiques

    servent de rfrent. En mme temps, elle ne rompt pas immdiatement avec toute exprience sociale dj vcue. Du

    coup, lenqut va chercher la rapprocher dautres relations sociales suivant les catgories de perception du monde et

    daction dans le monde qui lui sont propres. Certaines, comme linterrogation scolaire ou linterrogatoire policier, font partie

    de ces rfrences ordinaires videntes, contre lesquelles les didacticiens des mthodes de recherche en sciences sociales

    mettent en garde lenquteur. Ils pourraient susciter des effets dsastreux de censure alors mme que lethnographie est

    cense favoriser lcoute profonde des vrits de chacun. Le danger est dautant plus grand que lenquteur peut

    maladroitement favoriser cette confusion chez lenqut au moment de convoquer passer un entretien (comme un examen

    oral), en empruntant au lexique policier pour parler de recherche, denqute, dinvestigation, de tmoignage, ou simplement

    en tant femme avec des atours professoraux, homme virtuellement inspecteur, an imposant une autorit... Dautres

    configurations comme la relation psychanalytique ou linterview journalistique dans le cadre de la tl-ralit sont porte

    de pense de lenqut quand il sent le besoin de se reprer face lincongruit de la relation denqute ethnographique. On

    peut encore ajouter la figure du procs (mettant en cause lenqut comme on la vu avec Althabe) ou la tentative de

    manipulation (de lenquteur par lenqut, ventuellement dans un projet de lutte professionnelle, politique... ou de

    conqute amoureuse). Les dveloppements de la relation ainsi confondue ou pervertie ont videmment des effets sur

    lenqute et doivent tre analyss si lon ne veut pas se mprendre sur ce quelle nous apprend.

  • Une conversation de train improbable et risque

    Face lincongruit de la relation denqute et compte tenu de cette pente des enquts vers des rapprochements avec des

    expriences sociales ordinaires, comment faire voluer linteraction pour en tirer le meilleur parti de connaissance ? Les

    manuels sont peu prescriptifs en la matire, prfrant le recensement des maladresses viter. Ce qui semblerait chapper

    leurs mises en garde aurait les mmes caractristiques quune conversation de train, de comptoir ou de jardin public, du

    type de celle quon peut nouer avec un inconnu dont le destin impose le voisinage direct pour un temps consquent. Une

    telle situation prsente des avantages indiscutables, ne serait-ce quautour de la parenthse quelle semble ouvrir, propice

    une rflexivit et son expression. Mais elle fait aussi courir des risques pour linterprtation : en semblant dbarrasse

    denjeux o sexprimerait lengagement des interlocuteurs, en autorisant les acteurs ne laisser voir quune face choisie

    deux, en ne permettant pas dobservations parallles de lenvironnement daction... De toute faon, il est illusoire de se fixer

    damener lenqut vers cette circonstance si particulire : lenquteur en a rarement la matrise.

    Ds lors, mieux vaut admettre de faire avec quelque chose qui a peut-tre voir avec linterrogation, linterrogatoire,

    lanalyse, le talk-show, le procs, la manipulation. Il faut alors rflchir son mode dengendrement et ses effets induits en

    termes de rapport au rel, en retenant que beaucoup du rapprochement entre la relation denqute et dautres expriences

    de relation sociale, y compris limprobable conversation de train, se joue dans la perception qua lenqut de lenquteur, et

    ce par-del ce que celui-ci tente de matriser dans la prsentation de lenqute, donc en prenant appui sur sexe, ge, couleur

    de peau, accent, ethos de classe...

  • Donner sens la relation denqute pour y faire face : le point de vue de lenqut

    Pour illustrer ces faons varies que peuvent avoir les enquts de se servir des premires informations dont ils disposent

    sur lenquteur pour donner sens sa rencontre et linteraction quils ont avec lui, on va prendre quatre exemples [7]. On

    montrera que les caractristiques externes de lenquteur favorisent certains dveloppements dans le propos de lenqut

    au dtriment dautres auxquels il tait moins incit. En mme temps, on a constat que lanalyse de ce jeu autour du sens

    donn par lenqut la relation denqute partir des informations sur sexe et ge de lenquteur claire chaque fois celui-

    ci sur la perception du monde qua lenqut.

    Au dfi de la valorisation de soi

    Revenons tout dabord sur la msaventure de Caroline R. La srie dentretiens approfondis a lieu avec un bijoutier de

    quarante ans. Dans le premier entretien, il prcise volontiers son ancrage dans le quartier : il rside en arrire de la rue, il

    est lancien prsident de lassociation des commerants, il djeune avec certains membres de lassociation tous les jeudis. Il

    a repris la boutique de son pre qui a maintenant un atelier de fabrication de bijoux dans une rue adjacente... Comme

    lenqute suppose la reconstitution dune gnalogie familiale et de sa distribution dans la ville, les questions portent ensuite

    sur les conditions de limplantation de la famille N. Marseille au retour dAfrique du nord dans les annes 1960. Michel

    nhsite pas appeler sa mre au cours du deuxime entretien pour des dtails quil souhaite apporter sur lhistoire familiale.

    Il lui signale ainsi lexistence de Caroline. Celle-ci note cette occasion que Michel se met lui parler sur un ton proche de

    conversations de famille, veillant bien dcrire sa position dans la ligne, tout entire engage dans la joaillerie et installe

    dans le centre de la ville. Ce nest sans doute pas un hasard si, tout coup, la conversation sur ce mode avec une femme

    dge proche du sien lamne rinterroger le sens de la relation quil a avec elle. Les entretiens taient dabord pour lui des

    moments de distraction. Ils sont aussi une occasion de revanche sur sa femme qui ne se rendrait pas compte de la longueur

    de ses journes de travail. Mais linsistance de celle quil a dabord prsente un proche comme la jeune femme qui fait

    un reportage sur la rue , puis un autre comme la jeune femme qui fait un truc sur la famille , lintrigue. Est-il possible

    quelle revienne vraiment le voir seulement pour en savoir plus sur linstallation dun commerant rsidant dans le quartier,

    comme cela lui a t dit ?

    Heureusement quon ne se voit pas souvent

    Pour rpondre toutes mes questions ?

    Euh... non non. Euh, je... Vous tes trs sympathique, voil ! (rire) Dites-moi.

    Je cherche combler les trous [des rcits biographiques].

    Jadore vous voir euh... (Dsignant le magntophone) Il marche encore, ce truc ?

    Il marche encore.

    Vous allez me mettre dans la merde

    Ne revient-elle pas aussi pour lui, pour les joutes verbales quil lui propose loccasion des conversations quils ont ? Il est

  • amen lui poser des questions en retour des siennes, dabord pour vrifier quil rpond bien ses attentes, pour vrifier

    quelle est en mesure de suivre et de comprendre son discours, ensuite pour le plaisir dun affrontement entre des

    perceptions du monde quil veut voir comme profondment contradictoires : entre une tudiante avance, surtout jeune

    fonctionnaire engage dans la carrire de professeur de collge, et un indpendant, artisancommerant form exclusivement

    dans le cadre familial.

    On note aussi, lexamen de la dynamique de parole au fil des entretiens, quune zone sombre de sa trajectoire nest

    dvoile que trs tard. Ce nest quaprs la dclaration malheureuse que Caroline apprend de Michel quil a tent, avec son

    frre, douvrir une boutique dans une rue plus commerante de la ville, quil a chou et quil est finalement revenu dans la

    boutique familiale tandis que le frre est aujourdhui bijoutier dans les quartiers sud, plus riches. Sans doute le rcit de la

    brouille avec ce frre et de lchec commercial associ risquait-il de ternir limage sduisante quil souhaitait donner de lui

    la jeune femme. La dclaration spare donc deux temps dans la srie dentretiens : le premier marqu par le besoin de

    plaire, le second dbarrass de ce souci. Au point quon peut imaginer que lexprience commerciale avec le frre serait

    venue plus tt dans une srie dentretiens mens par un tudiant plus jeune et de sexe masculin.

    Solder des comptes par procuration

    Lexemple de la srie dentretiens mens par Benjamin R. avec Andr M. montre que ces traits de jeunesse et de masculinit

    exposent ailleurs dautres difficults. Andr M. a une soixantaine dannes. Cest un ancien marin, dorigine corse.

    Benjamin a t mis en contact avec lui par le biais du prtre en charge de lglise du quartier. La premire rencontre se fait

    au domicile dAndr.

    Benjamin ly trouve en pantoufles et jogging. Lenqut le fait asseoir dans un canap et reste debout pendant les deux

    heures que dure lentretien. Cet cart de posture rend la situation trs dure vivre pour lenquteur. Au deuxime entretien,

    la tenue dAndr tmoigne dun grand soin et, cette fois, il nhsite pas sasseoir. Il semble que le dcalage de statuts que

    lenqut a d percevoir la rencontre dun jeune tudiant (23 ans), plein de rigidit dans la prsentation de soi et

    dapplication dans linvestigation, cest--dire dans la mise en uvre dune comptence acquise dans le cadre de lcole, lui a

    paru devoir et pouvoir tre compens par une domination inverse, physique, lgitime par lge, par lanesse quil convoque

    diffrents moments de lentretien dans un discours de valorisation de lexprience. Lorsquon lanalyse, le parcours de vie

    dAndr M., tel quil a t reconstitu partir de la srie dentretiens, fait voir une succession dloignements vis--vis de la

    famille dorigine et de retours vers elle. Avec, chaque fois, des sortes de comptes rgler qui semblent navoir jamais t

    solds : avec la mre, avec la sur qui a fait des tudes, avec la fille qui a lge de Benjamin... Il est intressant de voir que

    le ton pris par le rcit certains moments porte la marque de sortes de transferts sur lenquteur. Lenqut isole quelques

    caractristiques externes de lenquteur qui lui rappellent celles de tel ou tel interlocuteur avec qui il aimerait avoir une

    discussion sans y parvenir, et il lui livre un propos de ce registre, ventuellement familier sil est familial.

    Bon, on va chez ma sur. Cest du parquet, cest tout du parquet. Chez moi, cest de la tomette. Jai misun tapis pour avoir un peu moins froid aux pieds, mais cest de la tomette. Je vais chez ma sur, cest toutdu parquet. Chez elle, elle ne marche quen pantoufles. Les chaussures, elle les laisse dehors sur le palier.Elle rentre pieds nus. Enfin pieds nus , avec des bas, parce que a, maintenant, cest la mode. Ellerentre la maison comme a. Chaque fois que vous rentrez, elle me dit : les chaussures ! . Je dis : Moi, les chaussures, je les enlve pas . Cest un peu comme si, vous, quand vous entrez ici, parce que

  • cest cir, je vais vous demander... Ca na aucun sens pour moi ! Vous voyez, des petites bricoles. Cestcomme une fois, au cours de... Nous tions une vingtaine table. Moi, ce qui est droit est droit. Et ce quiprend des courbes prend des courbes. On discutait de je ne sais quoi. On tait en train de manger ledessert entre nous, et elle sort du champagne. Elle sadresse son mari en lui disant : Pas vrai, chri ?Chez nous, on a toujours bu du champagne ! . Je me suis lev et jai dit : Mais quand tu tais lamaison, on buvait du mousseux, et que dans les grandes occasions ! . Je dis : Il faut te le rappeler, cetemps-l . Elle oublie quelle a vcu l-dedans. Et a, cest des choses que je ne peux pas admettre.

    La vhmence du discours fait penser que ces remarques pourraient sadresser la sur dAndr M., avec qui Benjamin

    partage davoir plus de titres scolaires que lui. Dautres sont virtuellement destination de sa fille, quil a eue avec une

    femme dont il est spar et qui a fait le choix de relations privilgies avec sa mre. Benjamin inspire comme elle Andr

    lenvie de mettre en avant son exprience. Dautres remarques encore visent son neveu, de mmes sexe, ge et position

    dans le cycle de vie que Benjamin. Peut-tre quavec dautres caractristiques de sexe et dge, lenquteur aurait pu

    accder des vrits quAndr M. souhaiterait dire sa propre mre... au risque de se priver des prcdentes !

    Peine perdue pour une reconnaissance impossible

    Lincongruit de la relation denqute ne pse donc pas que sur le dbut de cette relation. Elle nest pas assure de sedissiper petit petit par un travail patient et matris de lenquteur, comme le prdisent beaucoup de manuels. Les effetsde censure associs ressurgissent parfois, avec dans lintervalle des paroles libres de leur retenue. Cest ainsi quil fautcomprendre les revirements survenus dans la srie dentretiens que Marion P. a mens avec Anna C. (Fournier, Mazzella,2004, chap. 15). Veuve dun truand assassin dans un rglement de compte en 1946, quand elle est enceinte de lui lgede 18 ans, elle a t entraneuse durant les annes 1950, puis tenancire dun bar htesses dans les annes 1960, quidevient bar-restaurant dans les annes 1970-1980. Elle a eu longtemps plusieurs de ses frres en prison... Elle brle quejustice lui soit rendue pour son parcours de vie marqu par une lutte sans fin pour une improbable respectabilit. Je nevous ai pas racont un cheveu de ma vie , dit-elle la fin des deux premires heures dentretien. En mme temps, elledoute que cette reconnaissance vienne jamais. Au bout dune demi-heure du troisime entretien, elle scrie :

    Je vous dis quune petite parcelle de ma vie. Parce que, autrement, si je vous dis ma vie, vous faites un volume,l. Alors l, vous faites carrment un livre. Et il serait dit, moi je vous le dis. Parce que je vous sortirai des choses.Seulement, je veux pas, je veux pas.

    Elle pense mme quelle a tout craindre de tentatives qui seraient lances dans ce sens. Juste aprs tre entre dans

    dinfinis dtails sur la vie de sa mre, elle tranche brutalement loccasion dune question sur ses frres :

    Et elle [=votre mre] sest mise travailler ce moment-l ? Elle travaillait chez des patrons. Alors, elle avait cettepatronne, que ses enfants sont docteurs. Je lai rencontre il y a quelques annes, l, y a pas tellement longtemps,cinq-six ans. Elle avait 92 ans. Et elle ma dit : mon dieu, Anna . Et elle est venue voir ma mre -parce quelletait pas encore morte, ma mre. Son mari tait gentil, elle. Et elle habitait rue de la Rpublique, elle habitait... Etma mre, elle descendait le passage, elle descendait en face [=traversait]. Et cette Madame X, elle a fait beaucoupde bien ma mre, beaucoup, beaucoup. Cest elle qui faisait les papiers -ma mre savait pas parler franais en

  • plus. Elle nous avait inscrit au music-hall, et tout et tout.Elle parlait grec, votre mre ?Oui, oui. Moi, je parle grec. Quatre langues, moi. A la fin, elle parlait franais, mais elle parlait pas franaiscomme vous et moi. Mais enfin, je la bnis parce quelle ma appris parler grec, et a ma beaucoup servi.Et cette femme pour qui elle a travaill, elle laidait comment ?Elle a travaill quelques annes avec Mme X, oui oui.Mais ctait pour faire quoi ?Ctait une femme, son mari tait banquier. Et ses enfants sont docteurs.Et votre mre a travaill dans le cabinet ?Non non. Chez elle, elle a travaill. Parce quelle avait une jambe raide, cette dame. Elle pouvait pas sepermettre de faire des mnages. Ctait ma mre qui faisait le mnage presque tous les jours.Oui, et vos deux frres dont vous maviez parl lautre jour ?Oui : y en a un, il est mort. Je vous ai montr le livre, peuchre !Et lautre ?Oui.Il fait quoi ?Il est la retraite.Il habite euh... Marseille ?Oui. Ah, ne me posez pas de question, je rponds pas....

    Non, non, non, je veux pas de questions sur ma famille. Parce que, l, vous tes en train de me demander o il [=monfrre] habite. L, je veux pas. Dj, encore, je vous dis son nom : je devrais mme pas vous le dire. Y a des choses :demandezmoi des choses. Y en a dautres : je vous rponds pas. Parce que l, vraiment, mais quest-ce que vous allez faire,l ? Un documentaire ?En fait, on est plusieurs travailler. Cest vraiment pour nos tudes, cest anonyme...Ah non ! Mme que cest anonyme, je ne me permettrai pas de vous dire des trucs.

    Puis elle reprend avec un discours matris, convenu, pour trs vite labandonner et livrer nouveau un propos factuel et

    personnel :

    Je vous ai parl de mon frre Nicolas parce que cest la vue de tout le monde. Il a t condamn par la justice, parceque la justice, cest une pourriture : quand on envoie quelquun dix ans en prison, et quil a pas fait, que cest pas lui, et quilest sorti schizophrne, et quil est mort schizophrne, je suis pas daccord. Moi, je suis contre la peine de mort de toutefaon. Parce que je reconnais quil y a des choses qui sont impardonnables, mais je suis contre la peine de mort. Y a des casque je sais pas... Quand on parle de ces types qui... Cest des fous, ceux qui violent des enfants, qui les tuent : cest desfous. Ce sont pas des gens normaux. Y a quelque chose qui va pas dans leur tte. Parce que vous savez, l, cest pas le sexequi est malade : cest la tte qui est malade. Parce quon peut pas discuter avec des imbciles. Moi, mon frre, il est devenuschizophrne, vous savez. Parce que moi, jai souffert de sa schizophrnie. Je lai aid, je lai beaucoup aid. Vous savez pasque je faisais tous les bars de Marseille. Je disais : sil est en qute de manger... , je disais : faites-le... Je viendraiderrire vous payer . Parce que moi, jallais le voir en prison, figurez-vous. Il tait pas beau voir. Je vais vous dire un truc.Ca, je vais vous le dire parce que tout le monde sen fout. Tout le monde le sait, cest la vrit : vous savez que je partais cinq heures du matin en voiture. Je montais Clairvaux. Cest 750 km. Et quand jarrivais devant la porte, pas de parloir !Ils taient punis ! Cest parce quils taient punis . Il tait fou, oui. Moi, jai vu de suite quil est devenu fou... Si voussavez ce que jai souffert. Ah mon Dieu, mon Dieu !

    Alors, que penser de cette jeune femme lallure timide, douce, visiblement attentive et soucieuse de bien faire, en tout cas

    trs inquite de ne pas dranger, qui vient sentretenir avec elle de son parcours rsidentiel et professionnel autour de la rue

  • o elle a tant travaill et o elle rside maintenant ? Plus que de la mfiance, elle lui inspire lenvie de laider dans son

    entreprise, mais cela fait cho tant despoirs dus quelle hsite : lenquteur pourrait-il tre ici la personne que lon

    nattendait plus ? Mais comment en tre sre face une jeune femme de 25 ans quand on a 75, appartenant aux classes

    suprieures quand on est de milieu populaire ? Comment tre sre que celle-ci pourra ne pas se mprendre sur ce quon lui

    raconte ? Quel sens cela a-t-il de lui faire confiance quand elle dit comprendre ? En mme temps, lenvie de reconnaissance

    est si forte... Alors Anna C. alterne gaiet et anecdotes avec nervements et fermeture. Elle met Marion dehors en

    prtextant la venue prochaine de sa fille et elle fait tout, un peu plus tard, pour savoir si elle naurait pas cherch la

    joindre... Difficile de dire quel profil denquteur garantirait le recueil dun rcit biographique plus complet en pareil cas ! Et

    cest peut-tre la condition de novice, dans le mtier autant que dans la vie aux yeux dAnna, qui a valu Marion de

    ramener tant dinformations biographiques de ces entretiens, avec patience et tnacit. En tout cas, le recoupement avec

    dautres sources, rendu possible ici par le caractre public dune partie de la vie de la famille dAnna et par la rencontre

    directe de deux de ses frres, les a confirmes.

    Accueillir comme on aurait aim tre accueilli

    Le sexe et lge ne sont pas les seules caractristiques de lenquteur susceptibles de peser dans lacceptation de lenqute

    et sur le sens qui lui est donn par lenqut par del ce que lenquteur en dit. Lexemple de Francesca S., une jeune

    femme de 25 ans dorigine italienne, enqutant sur les rsidents dun mme immeuble de la rue tudie (Sirna, 2004),

    montre quelle a reu un accueil chaleureux ses demandes dentretien biographique. Les premiers rsidents rencontrs

    sont tous dorigine italienne. Lexprience familiale de lmigration et de linstallation en France est assez rcente pour navoir

    pas t oublie, mme par des descendants quon peut qualifier dassimils, cest--dire ayant acquis la respectabilit de

    membres part entire de la socit daccueil, notamment en venant rsider dans les immeubles bourgeois de cette rue

    haussmannienne aprs avoir connu une premire installation dans les quartiers populaires voisins. Du coup, quand quelquun

    vient voquer avec eux cette histoire, et prcisment leur parler de leur installation dans cette rue sans commencer par les

    renvoyer leur trajectoire migratoire, quand cette personne est en outre une jeune femme italienne trahie par son accent et

    par sa difficult manier les subtilits de la langue franaise, ils rpondent favorablement la demande dentretien pour

    eux-mmes, et ils plaident la cause de lenqutrice auprs de leurs voisins plus mfiants face ce qui peut tre vu comme

    une intrusion. Ils veulent absolument lui venir en aide dans une sorte de solidarit qui renvoie sans doute la commisration

    quon prouve pour quelquun quon pense expos une infortune quon a connue. Ils se revoient un peu en elle. Cest

    loccasion de revivre avec motions les tapes de leur parcours dinstallation et den livrer des rcits dtaills, comme ici en

    lui expliquant les mots quelle ne comprend pas ou en lui restituant le contexte quelle na pas connu. Cela simpose pour les

    besoins du projet implicite ddification, de partage dexprience, quils se donnent par moments vis--vis de lenqutrice.

    Ca sest pass comment pour avoir le logement ? Le logement ? Et bien, il a fallu faire une demande laSocit immobilire. A lpoque, ctait M. Siffrein-Blanc pre qui tait le directeur principal de cette socit,que jai connu par lintermdiaire dune amie moi qui tait bouchre dans le quartier et qui me la prsent.Cest grce lui que jai eu cet appartement cette poque dont je vous parle, parce quil fallait avoir pattesblanches avant de pouvoir rentrer dans ces appartements, parce quon les distribuait pas tout le monde. Ilfallait avoir des revenus, de bons revenus. Et puis, cette poque, y avait... Comme y avait le marasme des,des appartements, il fallait tre bien conseill avant quon vous distribue un appartement. Puis y avait pasdappartements : moi, cest une personne ge qui a, qui tait dcde ; le fils, il a pas voulu hriter. Donc

  • cest moi qui est devenue locataire, tant donn que je connaissais ce monsieur Siffrein-Blanc qui tait ledirecteur principal de la Socit immobilire.Et quest-ce a veut dire le marasme des logements ? Parce que, moi...Le marasme, le marasme... Cest--dire quil ny avait pas dappartements. Ctait tout de suite aprs guerre.Tous les appartements, y avait pas les HLM, y avait pas... Il manquait dappartements, vous comprenez ? Etalors tout le monde ne pouvait pas tre log dans des appartements beaux comme a. On pouvait pas seloger, on pouvait pas en avoir. Il fallait avoir patte blanche, comme on dit, connatre quelquun, qui puissevous distribuer un appartement convenable. Parce que sinon, les gens vivaient dans des rduits, de petitsapparts, des taudis, quoi ! Dans Marseille, y avait pas tellement dappartements.

    Ce faisant, par la sollicitude quils affichent son gard tout au long de lenqute (pour laider russir son immigration), ils

    expriment la dtresse qui fut parfois la leur au cours de leur trajectoire et lenvie quils ont pu prouver dtre aids tel ou

    tel moment. Ils le font avec elle alors mme quils dtesteraient quon les renvoie leur origine trangre, surtout ce

    moment prcis de leur existence o la rue quils habitent est lobjet dun projet de rhabilitation avec un discours explicite de

    justification autour de lviction des occupants issus de limmigration, mme sil sagit des immigrations plus rcentes en

    provenance du Maghreb et dAfrique noire. Ils manifestent par l leur sentiment de russite qui fait deux des immigrs que

    personne ne voit plus comme tels.

    Sexe et ge encombrent lenquteur mais ouvrent des pistes inattendues

    On doit conclure de ces quelques expriences de novices que des effets sur lenqute ethnographique dcouvert, tenant au

    sexe, lge et quelques autres caractristiques externes de lenquteur, sont indiscutables, mme sils ne prennent pas

    toujours des formes si affirmes. Il est illusoire dimaginer les neutraliser. Il faut ajouter que ces effets ne sont pas

    ncessairement ngatifs en termes dinformations accessibles : la lecture que fait lenqut de ce que dclare lenquteur

    lentre dans la relation, combine ce quil laisse voir ensuite, peut lorienter vers la communication dinformations

    inespres, en mme temps quelle en rend dautres plus difficiles daccs. Ces orientations du propos suivant tel ou tel sens

    donn lenqute et la relation avec lenquteur, ces oublis et revirements dans la retenue que lenqut pense de

    mise, ces transferts-minute quil peut faire sur lenquteur, sont reprables ds lors quon sort dune perspective de

    standardisation et de neutralisation de la relation denqute pour sattacher sa singularit et la comprhension de sa

    dynamique squentielle.

    Dans lattention porte par lenqut au sexe et lge de lenquteur, on peut voir aussi des indices dune attention plus

    large au classement social de son interlocuteur, dont lnonc du titre professionnel, quelle quen soit la formulation, ne suffit

    pas rgler totalement la question pour lenqut quand il est loin de cet univers social. Vtements, hexis corporelle,

    manires de langue seraient les premiers porteurs de signes de la personne sociale de lenquteur, mais sexe et ge seraient

    aussi des lments incontournables de cette dfinition de sa position sociale. Se dclarer sur le terrain chercheur en sciences

    sociales ne donne donc pas toujours une identit sociale claire et stable pour lenqut. En revanche, avoir entre 20 et 30

    ans autorise chez lenqut plus g la mobilisation de la catgorie de novice pour donner lenquteur une position sociale

  • plus prcise et transfrable dans son monde. Avec pour consquence ventuelle de lui accoler des attributs comme ignorant

    (donc instruire), comme fautif (donc expos lerreur dinterprtation quil faudra essayer de lui viter), comme dpendant

    (conomiquement, donc ignorant de lordre de la ncessit, mais aussi intellectuellement, donc disponible pour une autorit

    que lenqut pourra du coup chercher incarner). Il est vident quil en va autrement dun enquteur dge mr, pourtant

    potentiellement de mme (non) habilet initiale : il a plus de mal jouer de lignorance pour inviter la parole. Lenqut lui

    suppose volontiers une anciennet dans la connaissance du monde tudi. Et si cette ignorance (bien relle en dbut

    denqute) savre, elle est tenue pour plus invalidante... La position de lenquteur dans le cycle de vie rappelle ensuite

    lenqut celle dinterlocuteurs familiers (parents, enseignants, suprieurs, ou enfants, subordonns...) et il aura du mal se

    dpartir de ces rapprochements dans sa manire de parler. Etre femme pour enquter sur un monde dhommes autorise

    lenqutrice tre range dans la catgorie de protge ou de mascotte, avec une indulgence pour ses maladresses en

    mme temps que des doutes sur sa capacit de comprhension. Ces ractions expriment, chaque fois, un rapport social de

    domination en cho avec celui qui prvaut dans le monde tudi (Jeanjean, 1999). Pour penser le rle du sexe et de lge

    dans la signification que lenqut donne la relation denqute et ne pas se mprendre sur ce quelle peut, du coup,

    produire comme connaissances et sur ce quelle ne peut laisser voir, il convient donc de bien prendre en compte aussi les

    constructions sociales autour de ces deux caractristiques biologiques. Du ct de lge, il faut penser la classe dge, la

    gnration, la position dans le cycle de vie, lanciennet de frquentation du monde tudi... Du ct du sexe, il faut penser

    les rapports sociaux de sexe, et mme lorientation sexuelle comme on la vu en commenant.

    Enfin, lanalyse de ces effets dorientation du propos suivant le sexe ou lge de lenquteur claire souvent sur les rapports

    sociaux de sexe et dge valant dans le monde de lenqut. Il y a l une piste pour valider lanalyse des pratiques voques

    en entretien en la mettant en relation avec lanalyse quon peut faire des pratiques relationnelles aperues loccasion de

    lenqute. La convergence de ces analyses peut tre vue comme un gage de validit de linterprtation, leur divergence

    comme une alerte contre une ventuelle surinterprtation.

  • Notes

    [1] Cf. le roman de David Lodge, Jeu de socit (Paris, Rivages, 1991), prsentant lidylle tumultueuse qui survient entreune professeur de Lettres et le chef de lentreprise quelle a pris pour objet dinvestigation.

    [2] Cette interrogation nest pas nouvelle. Dans le sillage des rflexions de la psychologie sociale aprs guerre propos deladministration des enqutes par questionnaires, elle a connu quelques dveloppements du ct des dmarchesethnographiques denqute (par exemple, Wax, 1979).

    [3] Cf. Le roman dAlison Lurie, Des amis imaginaires (Paris, Rivages, 1992), prsentant un sociologue sabsorbant jusqusy perdre dans la secte quil tudie.

    [4] De ce point de vue, on peut faire de Stigmates (Goffman, 1975) une lecture en termes mthodologiques et y trouver desclefs danalyse des conduites de certains enquts prfrant viter dinterpeller directement leur interlocuteur.

    [5] Cest le cas dinvestigations dans des milieux habitus dautres types denqute (comme les cadres dentreprise frottsaux questionnaires des missions daudit) ou ayant dj t en contact avec des travaux de sociologues travaillant autrement(comme les mdecins psychiatres, cf. Darmon, 2005).

    [6] Merlli et Cousquer (1980) en donnent une illustration dans un entretien avec un jeune aristocrate quon voit radicalisersa description du rle des rallyes dans la formation des couples de laristocratie pour bien dmarquer sa propre pratique detout arrangement parental.

    [7] Ils sont prsents ici avec dtails mais aprs mise en rcit des interactions, plutt quappuys par des enregistrementsbruts. Et cela pour deux raisons : les manifestations les plus claires de ces tensions se situent souvent en dbut de relationdenqute, un moment o le magntophone ne tourne pas encore, ou la fin, au moment o larrt de lenregistrementlibre une nouvelle parole. Et les effets de ces ajustements sur la parole enregistre, sils paraissent vidents lenquteurqui a vcu linteraction, peuvent sembler renvoyer tout aussi bien dautres causes pour un lecteur extrieur. La deuximeraison est que ces rflexions proviennent dun cadre pdagogique et sont formalises plusieurs annes aprs, si bien que lesmatriaux bruts ont parfois disparu (nous navons des enregistrements que pour deux des quatre cas). Dans lestranscriptions (disponibles dans les quatre cas), ltudiant a pu supprimer les passages les plus concerns par le problmevoqu ici pour avoir t alert en sminaire de leffet dorientation du propos qui sy jouait, les rendant inutilisables.

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