Foucault Archeologie Du Savoir

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  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

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    MICHEL FOUC ULT

    L RCH OLOGIE

    DU S VOIR

    G LLIM RD

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

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  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

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    Voil des dizaines d annes maintenant que l atten

    tion

    des historiens

    s est

    porte, de prfrence,

    sur

    les

    longues priodes comme si, au-dessous des pripties

    politiques

    et

    de leurs pisodes, ils

    entreprenaient

    de

    mettre au jour les quilibres stables et difficiles

    rompre, les processus irrversibles, les rgulations

    constantes, les phnomnes tendanciels

    qui culminent

    et s inversent

    aprs des continuits sculaires, les

    mouvements d accumulation et

    les

    saturations

    lentes,

    les grands socles immobiles

    et muets

    que l enchev

    trement des rcits traditionnels

    avait

    recouverts de

    toute une

    paisseur d vnements.

    Pour

    mener cette

    analyse, les historiens disposent

    d instruments

    qu ils

    ont pour

    une

    part

    faonns,

    et pour

    une part reus :

    modles de la croissance conomique, analyse quan

    titative des flux d changes, profils des dveloppements

    et

    des rgressions dmographiques,

    tude du climat

    et

    de ses oscillations, reprage des constantes sociolo

    giques, description des

    ajustements

    techniques, de

    leur diffusion et de leur persistance. Ces

    instruments

    leur ont

    permis de distinguer, dans le

    champ

    de

    l histoire, des couches sdimentaires diverses;

    aux

    succes

    sions linaires,

    qui avaient fait

    jusque-l

    l objet de la

    recherche, s est

    substitu

    un jeu de dcrochages en

    profondeur. De la mobilit politique

    aux

    lenteurs

    propres la civilisation matrielle les

    niveaux

    d analyse

    se

    sont

    multiplis :

    chacun

    a ses

    ruptures

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

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    1

    L archologie u sa Olr

    spcifiques, chacun comporte un dcoupage

    qui

    n appar

    tient qu

    lui; et mesure qu on descend vers les socles

    les plus profonds, les scansions se

    font

    de plus en plus

    larges. Derrire l histoire bouscule des gouvernements,

    des guerres

    et

    des famines, se

    dessinent

    des histoires,

    presque

    immobiles sous le

    regard,

    - des hi stoi res

    pente

    faible : histoire des voies

    maritimes,

    histoire

    du

    bl ou des mines d or, histoire de la scheresse

    et

    de

    l irrigation, histoire de l assolement, histoire de l qui

    libre,

    obtenu par

    l espce

    humaine, entre la

    faim et la

    prolifration. Les vieilles

    questions

    de l analyse tradi

    tionnelle (quel lien

    tablir entre

    des

    vnements

    dis

    parates? Comment

    tablir

    entre

    eux

    une

    suite nces

    saire? Quelle est la continuit qui les traverse ou la

    signification d ensemble qu ils finissent par former?

    Peut-on dfinir une totalit, ou

    faut-il

    se borner

    reconstituer des

    enchatnements?)

    sont remplaces dsor

    mais

    par

    des

    interrogations

    d un autre

    type

    : quelles

    strates

    faut-il isoler les unes des autres? Quels types

    de sries instaurer? Quels critres de priodisation

    adopter

    pour

    chacune

    d elles? Quel

    systme

    de rela

    tions (hirarchie,

    dominance,

    tagement, dtermina

    tion univoque, causalit circulaire) peut-on dcrire

    de

    l une

    l autre?

    Quelles sries de sries peut-on

    tablir? Et dans

    quel

    tableau,

    chronologie large,

    peut-on dterminer

    des suites

    distinctes d vnements?

    Or

    peu

    prs

    la mme poque, dans

    ces disciplines

    qu on appelle histoire des ides, des sciences, de

    la

    philosophie, de la pense, de la littrature aussi (leur

    spcificit

    peut

    tre

    nglige

    pour un

    instant), dans

    ces disciplines qui, malgr leur titre, chappent en grande

    partie au travail

    de l historien et ses

    mthodes,

    l attention

    s est

    dplace au contraire des vastes

    units

    qu on dcrivait comme des

    poques

    l ou des sicles.

    vers des phnomnes de

    rupture.

    Sous les grandes conti

    nuits de la pense, sous les manifestations massives et

    homognes

    d un

    esprit

    ou

    d une mentalit collective,

    sous le

    devenir

    ttu

    d une

    science s acharnant exister

    et

    s achever

    ds son commencement, sous la persis

    tance

    d un

    genre,

    d une

    forme,

    d une

    discipline, d une

    activit

    thorique,

    on

    cherche

    maintenant

    dtecter

    Introduction l

    l incidence des interruptions.

    Interruptions

    dont le

    statut et la nature sont

    fort

    divers. A-ctes et

    seui

    pis-

    tmologiques

    dcrits par

    G. Bachelard: ils

    suspendent

    le

    cumul indfini

    des connaissances,

    brisent leur lente

    maturation et les font

    entrer

    dans

    un

    temps nouveau,

    les

    coupent

    de leur origine empirique et de leurs

    moti

    vations

    initiales, les

    purifient de leurs

    complicits

    imaginaires; ils prescrivent ainsi

    l analyse

    histo

    rique non plus la recherche des commencements silen

    cieux,

    non

    plus la remonte

    sans terme

    vers les pre

    miers

    prcurseurs,

    mais le reprage

    d un

    type nouveau

    de

    rationalit

    et de ses effets multiples. Dplacements

    et

    transformations

    des concepts : les

    analyses de G

    Can

    guilhem peuvent

    servir

    de modles; elles montren14 que

    l histoire d un concept n est pas,

    en

    tout et

    pour

    tout,

    celle de son affinement progressif, de

    sa

    rationalit

    continment croissante, de son gradient d abstraction,

    mais

    celle

    de

    ses divers

    champs

    de

    constitution

    et

    de

    validit, celle de ses rgles successives d usage, des milieux

    thoriques multiples o s est poursuivie et acheve son

    laboration. Distinction, faite galement par G Can

    guilhem,

    entre

    les

    chelles micro et macroscopiques

    de l histoire des sciences o les vnements et leurs

    consquences ne se

    distribuent

    pas de la

    mme

    faon :

    si

    bien

    qu une dcouverte, la mise au point

    d une

    mthode, l uvre d un

    savant,

    ses checs aussi, n ont

    pas la

    mme

    incidence, et ne peuvent tre dcrits de

    la

    mme

    faon

    l un

    et l autre

    niveau;

    ce n est pas

    la

    mme histoire

    qui, ici et l, se trouvera raconte.

    Redistributions rcurrentes

    qui font

    apparatre

    plusieurs

    passs, plusieurs formes d enchanements, plusieurs

    hirarchies d importances, plusieurs rseaux de

    dter

    minations,

    plusieurs tlologies, pour

    une

    seule et

    mme science

    mesure

    que son prsent se

    modifie:

    de sorte que les descriptions historiques s ordonnent

    ncessairement

    l actualit

    du savoir, se multiplient

    avec ses transformations et ne cessent

    leur

    tour de

    rompre avec elles-mmes (de ce

    phnomne,

    M Serres

    vient

    de

    donner

    la thorie,

    dans

    le domaine des

    mathmatiques). Units architectoniques

    des systmes,

    telles qu elles

    ont t

    analyses

    par M Guroult

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    L archologie

    u

    sapOlr

    spcifiques,

    chacun comporte

    un dcoupage

    qui n appar

    tient qu lui;

    et

    mesure qu on descend vers les socles

    les plus profonds, les scansions se font de plus en plus

    larges. Derrire

    l histoire

    bouscule des

    gouvernements,

    des guerres et des famines, se

    dessinent

    des histoires,

    presque immobiles sous le regard, - des hi stoi res

    pente

    faible : histoire des voies maritimes, histoire du

    bl ou des mines d or, histoire de la scheresse et de

    l irrigation, histoire de

    l assolement,

    histoire de

    l qui

    libre, obtenu par l espce humaine, entre la faim

    et

    la

    prolifration. Les vieilles

    questions

    de l analyse tradi

    tionnelle (quel lien tablir entre des

    vnements

    dis

    parates? Comment tablir entre eux une

    suite nces

    saire? Quelle est la continuit qui les traverse ou la

    signification d ensemble qu ils finissent par former?

    Peut-on

    dfinir

    une totalit, ou

    faut-il se

    borner

    reconstituer des

    enchatnements?)

    sont remplaces dsor

    mais

    par

    des

    interrogations

    d un autre

    type

    : quelles

    strates faut-il isoler les

    unes

    des autres? Quels types

    de sries

    instaurer?

    Quels

    critres

    de priodisation

    adopter

    pour chacune d elles? Quel systme de rela

    tions (hirarchie,

    dominance, tagement,

    dtermina

    tion

    univoque,

    causalit

    circula:ire)

    peut-on

    dcrire

    de

    l une

    l autre? Quelles sries de sries peut-on

    tablir?

    Et

    dans quel

    tableau,

    chronologie large,

    peut-on dterminer des suites

    distinctes

    d vnements?

    Or

    peu prs la mme poque, dans ces disciplines

    qu on appelle histoire des ides, des sciences, de la

    philosophie, de la pense, de la littrature aussi (leur

    spcificit

    peut

    tre

    nglige

    pour un

    instant), dans

    ces disciplines qui, mal gr

    leur

    titre,

    chappent

    en grande

    partie au travail

    de

    l historien

    et ses

    mthodes,

    l attention s est dplace au contraire des vastes units

    qu on

    dcrivait comme des poques ou des sicles

    vers des phnomnes de rupture. Sous les grandes conti

    nuits

    de

    la

    pense, sous les

    manifestations

    massives et

    homognes d un esprit ou

    d une

    mentalit collective,

    sous le devenir

    ttu

    d une science s acharnant

    exister

    et s achever ds son commencement, sous la persis

    tance

    d un genre, d une forme, d une discipline, d une

    activit

    thorique,

    on

    cherche

    maintenant

    dtecter

    Introduction

    l incidence des interruptions.

    Interruptions

    dont le

    statut et la

    nature sont fort divers. A-ctes et seuil pis

    tmologiques

    dcrits par G

    Bachelard: ils

    suspendent

    le

    cumul

    indfini des connaissances,

    brisent leur lente

    maturation

    et

    les font entrer dans un

    temps

    nouveau,

    les

    coupent

    de

    leur

    origine empirique et de leurs

    moti

    vations

    initiales, les

    purifient

    de leurs complicits

    imaginaires; ils prescrivent ainsi

    l analyse

    histo

    rique

    non

    plus

    la

    recherche des commencements silen

    cieux,

    non

    plus la remonte sans

    terme

    vers les pre

    miers prcurseurs, mais le

    reprage

    d un type nouveau

    de rationalit et de ses effets

    multiples.

    Dplacements

    et transformations des concepts : les

    analyses de G

    Can

    guilhem

    peuvent

    servir

    de modles; elles montrent, que

    l histoire d un concept n est pas,

    en

    tout et

    pour

    tout,

    celle de son affinement progressif, de

    sa

    rationalit

    continment

    croissante, de son

    gradient d abstraction,

    mais

    celle

    de

    ses divers

    champs

    de

    constitution

    et

    de

    validit,

    celle de ses rgles successives d usage, des milieux

    thoriques multiples o

    s est poursuivie

    et acheve SOD

    laboration. Distinction, faite galement

    par G

    Can

    guilhem,

    entre

    les chelles micro

    et

    macroscopiques

    de l histoire des sciences o les vnements et leurs

    consquences ne se distribuent pas de la

    mme

    faon :

    si bien qu une dcouverte, la mise au point

    d une

    mthode,

    l uvre

    d un savant, ses checs aussi,

    n ont

    pas la mme incidence,

    et

    ne

    peuvent tre

    dcrits de

    la

    mme

    faon l un

    et

    l autre niveau; ce n est pas

    la mme histoire qui, ici et l, se

    trouvera

    raconte.

    Redistributions rcurrentes

    qui

    font

    apparatre

    plusieurs

    passs, plusieurs formes

    d enchanements,

    plusieurs

    hirarchies

    d importances,

    plusieurs

    rseaux

    de

    dter

    minations, plusieurs tlologies, pour une seule

    et

    mme

    science

    mesure

    que son

    prsent

    se modifie :

    de sorte

    que

    les descriptions historiques

    s ordonnent

    ncessairement

    l actualit du

    savoir, se

    multiplient

    avec ses transformations

    et

    ne cessent leur tour de

    rompre avec elles-mmes (de ce

    phnomne,

    M

    Serres

    vient de donner la thorie, dans le domaine des

    mathmatiques). Units architectoniques des systmes,

    telles qu elles

    ont

    t

    analyses

    par

    M

    Guroult

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

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    L archologie

    du

    aYOtr

    et

    pour

    lesquelles la description des influences, des

    traditions, des continuits culturelles, n est pas perti

    nente, mais

    plutt

    celle des cohrences internes, des

    axiomes, des chaines dductives, des compatibilits.

    Enfin, sans doute les scansions les plus radicales sont

    elles les coupures effectues par

    un

    travail de trans-

    formation

    thorique lorsqu il

    fonde une science en

    la

    dtachant

    de l idologie de

    son

    pass

    et

    en

    rvlant ce

    pass comme idologique 1

    .

    A quoi il faudrait ajouter,

    bien e ~ t e n d u l analyse

    littraire

    qui se donne dsor

    mais

    pour

    unit, - non poin t l me ou la sensibilit

    d une

    poque, non point les II groupes , les coles ,

    les gnrations

    ou

    les

    II mouvements

    , non point

    mme le personnage de l auteur

    dans

    le jeu d changes

    qui a nou sa vie

    et

    sa cration , mais la

    structure

    propre

    une

    uvre,

    un

    livre,

    un texte.

    Et

    Je

    grand problme qui va se poser - qui se pose -

    de telles analyses historiques

    n est

    donc plus de savoir

    par quelles voies le.; continuits ont pu s tablir, de

    quelle manire

    un

    seul et mme dessein a

    pu

    se main

    tenir

    et constituer, pour tant d esprits diffrents et

    successifs,

    un

    horizon unique, quel mode d action et

    quel

    support

    implique le

    jeu

    des transmissions, des

    reprises, des oublis,

    et

    des rptitions, comment l origine

    peut tendre son rgne bien au-del d elle-mme

    et

    jusqu cet achvement qui n est jamais donn, -

    le problme

    n est

    plus de la tradition et de la

    trace,

    mais de

    la

    dcoupe

    et

    de

    la

    limite; ce n est plus celui

    du fondement qui se perptue, c est celui des transfor

    mations

    qui

    valent

    comme fondation

    et

    renouvellement

    des fondations. On voit alors se dployer tout

    un

    champ

    de questions

    dont

    quelques-unes

    sont

    dj familires,

    et par lesquelles cette nouvelle forme d histoi re essaie

    d laborer sa propre thorie : comment spcifier Jes

    diffrents concepts qui permettent de penser la discon

    tinuit

    (seuil, rupture, coupure, mutation, transforma

    tion)?

    Par quels critres isoler les units auxquelles

    on a

    affaire:

    qu est-ce qu une science? Qu est-ce qu une

    uvre? Qu est-ce qu une thorie? Qu est-ce qu un

    1.

    L. Althu8ser,

    POUT

    Marz,

    p.

    168.

    ntroduction

    concept? Qu est-ce qu un texte? Comment diversifier

    les

    niveaux

    auxquels on peut se placer et

    dont

    chacun

    comporte ses scansions

    et

    sa forme d analyse : quel

    est

    le

    niveau

    lgitime de la formalisation? Quel est

    celui de l interprtation? Quel

    est

    celui de l analyse

    structurale? Quel est celui des assignations de causalit?

    En

    somme l histoire de

    la

    pense, des connaissances,

    de la philosophie, de la littrature semble multiplier

    les ruptures et chercher tous les hrissements de

    la

    discontinuit, alors que l histoire proprement dite,

    l histoire tout court, semble effacer,

    au

    profit des

    structures sans labilit, l irruption des vnements.

    *

    Mais que cet entrecroisement ne fasse pas illusion.

    Ne pas s imaginer sur la foi de l apparence que certaines

    des disciplines historiques

    sont

    alles

    du

    continu

    au

    discontinu, tandis que les autres allaient

    du

    fourmille

    ment

    des discontinuits aux grandes units ininter

    rompues; ne pas s imaginer que

    dans

    l analyse de la

    politique, des institutions ou de l conomie on a t

    de plus

    en

    plus sensible aux dterminations globales,

    mais que, dans l analyse des ides

    et

    du savoir, on a

    prt une attention de plus en plus grande

    aux

    jeux

    de la diffrence; ne pas croire qu une fois encore ces

    deux grandes formes de description se sont croises

    sans se reconnrutre.

    En

    fait ce sont les mmes problmes

    qui

    se sont

    poss ici

    et

    l, mais qui

    ont

    provoqu

    en

    surface des

    effets inverses.

    Ces

    problmes, on peut les rsumer

    d un mot : la mise en question du document. Pas de

    malentendu : il est bien vident que depuis qu une

    discipline comme l histoire existe, on s est servi de

    documents, on les a interrogs, on s est interrog

    sur

    eux;

    on leur a demand non seulement ce qu ils

    voulaient dire, mais s ils disaient bien la vrit,

    et

    quel titre ils pouvaient le pr tendre, s ils taient sin

    cres ou falsificateurs, bien informs ou ignorants,

    authentiques ou altrs. Mais chacune de ces questions

    et toute cette grande inquitude critique pointaient

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    7/143

    L archologie u sallotr

    vers une mme fin : reconstituer,

    partir de ce que

    disent ces documents - et

    parfois

    demi-mot - le

    pass dont ils manent et qui s est vanoui maintenant

    loin derrire

    eux;

    le document

    tait

    toujours trait

    comme

    le

    langage

    d une

    voix

    maintenant

    rduite

    au

    silence, -

    sa trace

    fragile, mais par chance dchiffrable.

    Or,

    par

    une

    mutation

    qui ne

    date

    pas

    d aujourd hui,

    mais

    qui n est pas sans doute encore acheve, l histoire

    a

    chang

    sa position l gard du document: elle

    t e

    donne

    pour tche

    premire,

    non

    point de

    l interprter,

    non point de dterminer s il dit vrai et quelle est sa

    valeur expressive,

    mais

    de le travailler de l intrieur et

    de l laborer: elle l'organise, le dcoupe, le

    distribue,

    l ordonne, le rpartit

    en

    niveaux, tablit des sries,

    distingue

    ce

    qui

    est pertinent de ce qui ne l est pas,

    repre des lments, dfinit des units, dcrit des rela

    tions.

    Le document

    n est donc plus pour l histoire

    cette

    matire inerte

    travers

    laquelle

    elle essaie de

    reconstituer ce que les hommes ont fait ou dit ce qui

    est

    , d '

    passe et ont seul le sillage demeure : elle cherche

    dfinir

    dans

    le tissu documentaire lui-mme des units

    des ensembles, des sries, des rapports. Il faut

    dtache;

    l histoire l image

    o

    elle s est longtemps

    complu

    par quOi elle trouvait sa justification

    anthropolo

    gique : celle

    d une mmoire

    millnaire et collective

    qui s aidait de documents matriels

    pour retrouver

    la

    fracheur

    de ses

    souvenirs;

    elle est le

    travail

    et la mise

    en uvre d une matrialit documentaire (livres textes

    rcits, registres, actes, difices, institutions rglements

    h

    ~ e c

    mques, objets,

    coutumes,

    etc.)

    qui prsente tou-

    Jours et partout, dans toute socit, des formes soit

    spontanes soit organises de rmanences. Le docu

    ment n est pas l heureux instrument d une histoire

    q.ui

    serait en elle-mme

    et

    de plein droit mmoire

    l'histoire, c est

    une

    certaine manire pour

    une

    socit

    de donner statut

    et

    laboration une masse

    documen

    t a i r ~ dont elle ne se spare

    pas.

    D ~ s n s pour

    faire

    bref que

    l histoire, dans sa forme

    traditIOnnelle,

    entreprenait

    de

    mmoriser

    les monu-

    ments du pass, de les transformer en documents et de

    faire parler ces traces

    qui,

    par elles-mmes, souvent

    1ntroduction

    ne

    sont point

    verbales, ou disent en silence

    autre

    chose que ce qu'elles disent; de nos jours,

    l histoire,

    c est

    ce

    qui transforme

    les

    documents en monuments,

    et qui, l

    o on

    dchiffrait des traces laisses par les

    hommes,

    l o on essayait de reconnatre en creux ce

    qu ils avaient

    t,

    dploie

    une

    masse d lments qu il

    s agit

    d'isoler,

    de

    grouper, de

    rendre pertinents,

    de

    mettre en

    relations,

    de constituer en ensembles. Il

    tait un

    temps

    o l'archologie, comme discipline des

    monuments muets,

    des traces

    inertes,

    des objets

    sans

    contexte

    et des choses laisses par le pass,

    tendait

    l histoire et ne prenait sens que par la

    restitution

    d un discours

    historique

    on pourrait dire, en jouant

    un

    peu

    sur

    les mots, que

    l histoire,

    de

    nos jours,

    tend

    l' ar ch ol ogi e, - la

    description

    intrinsque

    du

    monument.

    A cela

    plusieurs

    consquences. Et d abord l'effet de

    surface

    qu on

    a

    dj

    signal :

    la

    multiplication

    des

    ruptures dans l histoire des ides, la mise

    au

    jour des

    priodes longues dans l'histoire proprement dite. Celle-ci,

    en effet, sous sa forme traditionnelle se donnait pour

    tche de dfinir

    des

    relations

    (de causalit simple, de

    dtermination

    circulaire, d antagonisme, d'expression)

    entre des faits ou des vnements dats : la srie

    tant

    donne, il s agissait de prciser le voisinage de chaque

    lment.

    Dsormais le

    problme

    est de constituer des

    sries:

    de dfinir

    pour

    chacune ses

    lments, d en

    fixer

    les

    bornes,

    de mettre

    au

    jour le type de relations qui

    lui

    est spcifique,

    d en

    formuler la loi,

    et,

    au-del, de

    dcrire les

    rapports

    entre

    diffrentes sries,

    pour

    cons

    tituer ainsi des sries de sries, ou des tableaux

    :

    de

    l la multiplication

    des

    strates, leur

    dcrochage,

    la

    spcificit du

    temps

    et des chronologies

    qui leur sont

    propres

    de l la ncessit de distinguer non plus seu

    lement

    des vnements importants (avec une longue

    chane de consquences) et des vnements minimes,

    mais

    des

    types

    d vnements de

    niveau

    tout fait diff

    rent (les

    uns

    brefs, les

    autres

    de dure moyenne, comme

    l expansion

    d une

    technique, ou une rarfaction

    de la

    monnaie,

    les

    autres

    enfin

    d allure lente

    comme u qui

    libre dmographique ou l ajustement progressif d une

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    8/143

    16

    L archologie u savotr

    conomie une

    modification

    du climat); de l la possi

    bilit de faire apparattre des sries repres larges

    constitues

    d vnements rares ou d vnements rp

    titifs.

    L apparition

    des priodes longues dans l histoire

    d aujourd hui n est pas un

    retour

    aux philosophies

    de

    l histoire,

    aux grands ges du monde, ou aux phases

    prescrites

    par

    le

    destin

    des civilisations;

    c est

    l effet

    de l laboration, mthodologiquement concerte, des

    sries.

    Or dans

    l histoire des ides, de la pense, et des

    sciences, la mme mutation a provoqu

    un

    effet inverse:

    elle a dissoci la longue srie constitue par le progrs

    de la conscience, ou la tlologie de la raison, ou l vo

    lution

    de

    la

    pense humaine; elle a remis en question

    les

    thmes

    de la convergence et de l accomplissement;

    elle a mis en

    doute

    les possibilits de

    la

    totalisation.

    Elle a

    amen

    l individualisation de sries diffrentes,

    qui se juxtaposent, se succdent, se chevauchent,

    s entrecroisent

    sans

    qu on

    puisse les

    rduire

    un

    schma

    linaire. Ainsi sont apparues, la place de cette chro

    nologie continue de la

    raison,

    qu on

    faisait invariable

    ment remonter

    l inaccessib le origine, son ouverture

    fondatrice, des chelles parfois brves, distinctes les

    unes des autres, rebelles

    une

    loi

    unique, porteuses

    souvent d un type d histoire qui

    est

    propre chacune,

    et

    irrductibles

    au modle gnral d une conscience qui

    acquiert, progresse

    et

    se souvient.

    Seconde consquence : la notion de

    discontinuit

    prend

    une

    place majeure

    dans

    les disciplines historiques.

    Pour

    l histoire

    dans sa forme classique, le

    discontinu

    tait

    la

    fois le donn

    et

    l impensable:

    ce

    qui

    s offrait

    sous l espce des vnements disperss - dcis ions ,

    accidents, initiatives, dcouvertes;

    et

    ce qui devait

    tre, par

    l analyse,

    contourn, rduit, effac pour

    qu apparaisse

    la

    continuit

    des

    vnements. La

    discon

    tinuit,

    c tait

    ce stigmate de l parpillement temporel

    que l historien

    avait

    charge de supprimer de l histoire.

    Elle est devenue maintenant un des lments fondamen

    taux de l analyse

    historique.

    Elle y apparat sous un

    triple rle. Elle constitue

    d abord

    une opration dli

    bre de l historien

    (et

    non plus ce qu il

    reoit

    malgr

    lui

    du

    matriau qu il

    a

    traiter)

    :

    car

    il doit,

    au

    moins

    1 ntroduction

    titre

    d hypothse

    systmatique, distinguer les niveaux

    possibles de l analyse, les

    mthodes

    qui sont

    propres

    chacun,

    et

    les priodisations qui leur conviennent. Elle

    est aussi le rsultat de sa

    description (et

    non plus ce qui

    doit s liminer

    sous l effet de son analyse) :

    car

    ce

    qu il

    entreprend

    de dcouvrir, ce sont les

    limites

    d un pro

    cessus, le

    point

    d inflexion

    d une

    courbe,

    l inversion

    d un

    mouvement

    rgulateur, les

    bornes

    d une oscillation, le

    seuil d un fonctionnement, l instant de

    drglement

    d une causalit circulaire. Elle est enfin le concept que le

    travail

    ne cesse de spcifier (au lieu de le ngliger comme

    un

    blanc uniforme

    et indiffrent

    entre deux

    figures

    positives);

    elle

    prend une

    forme

    et

    une

    fonction

    spci

    fiques selon le domaine

    et

    le niveau o on l assigne: on

    ne parle

    pas de la

    mme discontinuit quand

    on

    dcrit

    un seuil pistmologique, le rebroussement

    d une

    courbe

    de

    population, ou

    la

    substitution

    d une technique une

    autre. Notion paradoxale que

    celle

    de discontinuit

    :

    puisqu elle est la fois

    instrument et

    objet de

    recherche;

    puisqu elle dlimite le

    champ

    dont elle

    est l effet;

    puis

    qu elle

    permet

    d individualiser les domaines, mais

    qu on

    ne peut l tablir que par

    leur comparaison.

    Et puisqu en

    fin de

    compte

    peut-tre, elle n est

    pas simplement

    un

    concept

    prsent

    dans le discours de l historien, mais que

    celui-ci en secret la suppose : d o pourrait-il parler,

    en effet, sinon partir de cette rupture qui lui offre

    comme

    objet l histoire - et sa propre

    histoire? Un

    des

    traits les plus essentiels de

    l histoire

    nouvelle,

    c est

    sans

    doute ce dplacement du discontinu : son passage de

    l obstacle

    la pratique;

    son

    intgration dans

    le discours

    de l historien o il ne

    joue

    plus le rle d une fatalit

    extrieure qu il faut rduire, mais d un concept opra

    toire qu on utilise; et par

    l

    l inversion

    de

    signes grce

    laquelle il

    n est

    plus le ngatif de

    la lecture historique

    (son envers, son chec, la

    limite

    de son pouvoir)

    mais

    l lment positif qui dtermine

    son objet et

    valide

    son

    analyse.

    Troisime consquence : le

    thme

    et la possibilit

    d une

    histoire globale

    commencent s effacer,

    et

    on voit

    s esquisser

    le dessin, fort diffrent, de ce qu on

    pourrait

    appeler

    une

    histoire gnrale. Le

    projet d une

    histoire

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    9/143

    L archologie

    u

    Sal- Olr

    globale,

    c est

    celui

    qui

    cherche

    restituer la

    forme

    d ensemble

    d une

    civilisation, le principe - matriel ou

    spirituel - d une socit, la signification commune

    tous les

    phnomnes

    d une priode, la loi qui rend

    compte de leur cohs ion, - ce qu on appelle mtapho

    riquement le visage d une poque. Un tel p r o j ~ est

    li

    deux

    ou

    trois

    hypothses:

    on

    suppose

    qu entre

    tous

    les vnements

    d une

    aire

    spatio-temporelle bien

    dfinie,

    entre tous les

    phnomnes

    dont

    on

    a

    retrouv la

    trace,

    on

    doit pouvoir tablir un systme de

    relations

    homo

    gnes:

    rseau

    de

    causalit

    permettant de driver chacun

    d eux,

    rapports

    d analogie

    montrant

    comment ils se

    symbolisent les uns les autres, ou comment ils expriment

    tous

    un seul et

    mme noyau

    central; on suppose d autre

    part

    qu une seule

    et mme

    forme

    d historicit emporte

    les

    structures

    conomiques, les stabilits sociales, l inertie

    des mentalits, les habitudes techniques, les

    comporte

    ments

    politiques,

    et

    les

    soumet tous au

    mme

    type

    de

    transformation; on

    suppose enfin

    que l histoire elle

    mme

    peut

    tre articule en grandes

    units -

    stades ou

    phases - qui dtiennent en elles-mmes leur principe

    de cohsion. Ce sont ces

    postulats

    que

    l histoire

    nouvelle

    met en question quand elle problmatise les sries, les

    dcoupes, les limites, les dnivellations, les dcalages,

    les spcificits chronologiques, les formes singulires de

    rmanence,

    les

    types

    possibles

    de relation.

    Mais ce n est

    point qu elle cherche

    obtenir une

    pluralit

    d histoires

    juxtaposes et indpendantes les

    unes

    des autres: celle

    de l conomie ct de celle des institutions,

    et

    ct

    d elles encore celles des sciences, des religions

    ou

    des

    littratures; ce

    n est

    point

    non plus

    qu elle cherche

    seulement signaler

    entre

    ces histoires diffrentes, des

    concidences de

    dates, ou

    des analogies de forme et de

    sens. Le

    problme

    qui s ouvre alors - et

    qui

    dfinit la

    tche d une histoire gnrale -

    c est

    de

    dterminer

    quelle forme de relation peut tre lgitimement

    dcrite

    entre ces diffrentes sries; quel systme vertical elles

    sont susceptibles de former; quel est, des unes aux autres,

    le

    jeu des corrlations et des dominances; de

    quel

    effet

    peuvent

    tre

    les dcalages, les

    temporalits

    diffrentes,

    les diverses rmanences; dans quels ensembles distincts

    1ntroduction

    certains lments

    peuvent

    figurer

    simultanment;

    bref,

    non seulement quelles sries,

    mais

    quelles sries de

    sries

    -

    ou en

    d autres termes, quels

    tableaux

    l

    il est possible de

    constituer. Une

    description globale

    resserre tous les

    phnomnes

    autour d un

    centre unique

    - principe, signification,

    esprit,

    vision du monde,

    forme

    d ensemble;

    une

    histoire gnrale dploierait

    au contraire l espace d une dispersion.

    Enfin, dernire consquence :

    l histoire

    nouvelle

    rencontre

    un

    ccrtain

    nombre de problmes mthodolo

    giques dont plusieurs, n en

    pas

    douter,

    lui

    prexistaient

    largement, mais dont le faisceau maintenant la caract

    rise. Parmi eux, on peut citer: la

    constitution

    de corpus

    cohrents et homognes de documents (corpus ouverts

    ou ferms, finis ou indfinis), l tablissement d un

    principe de choix (selon qu on

    veut traiter

    exhaustive

    ment

    la masse documentaire, qu on pratique un chan

    tillonnage

    d aprs

    des

    mthodes

    de

    prlvement

    statis

    tique, ou qu on essaie de dterminer l avance les

    lments les plus reprsentatifs);

    la

    dfinition du

    niveau

    d analyse

    et des

    lments

    qui sont pour

    lui

    pertinents

    (dans

    le

    matriau tudi,

    on

    peut

    relever les

    indications

    numriques; les rfrences - explicites ou non - des

    vnements,

    des

    institutions,

    des

    pratiques;

    les

    mots

    employs, avec leurs rgles d usage et les

    champs

    smantiques

    qu ils dessinent, ou encore la

    structure

    formelle des propositions

    et

    les types d enchanements

    qui les

    unissent);

    la spcification d une mthode d ana

    lyse (traitement quantitatif des donnes, dcomposition

    selon

    un

    certain

    nombre

    de

    traits

    assignables

    dont

    on

    tudie

    les

    corrlations,

    dchiffrement

    interprtatif,

    ana

    lyse des

    frquences

    et

    des distributions); la dlimitation

    des ensembles et des sous-ensembles

    qui articulent

    le

    matriau

    tudi (rgions, priodes, processus

    unitaires);

    la dtermination des

    relations qui permettent

    de carac

    triser un ensemble (ilpeut s agir de

    relations

    numriques

    J. Aux derniers flncurs, faut-il signaler qu un. tablcau (et

    sans

    doute dans tous

    les

    8ens du

    terme),

    c est formellement une. srie de

    lIriell

    .? En

    tout

    cas,

    ce n est

    point une petite image

    fixe

    qu on

    place

    devant

    une lanterne pour

    la

    plus

    grande

    dception des

    enfants,

    qui

    leur

    Age

    prfrent bien sr la vivacit

    du cinma.

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    10/143

    2

    L archologie

    u

    sal otr

    ou

    logiques j de r elations

    f o n c t i o n n e ~ l e s ,

    c a u s ~ l e s . ' analo:

    giquesj il peut s agir de la

    relatIon

    de sIgmfiant a

    signifi). .

    Tous

    ces problmes

    font partIe

    desormals du

    champ

    mthodologique de l'histoire. Champ

    qui mrite

    l ' a t t e ~ -

    tion, et

    pour

    deux raisons. D a ~ o r d p a r c ~ qu'0':1

    v ~ I t

    jusqu

    quel point

    il s est affranchI de ce

    qUI

    constItuaIt,

    nagure encore, la.pliilosophie

    l ' h ~ s ~ O l r e , et d ~ ~

    q u e ~ -

    tions

    qu'elle posaIt (sur la ratIOnahte

    ou

    teleologte

    du

    devenir,

    sur

    la

    relativit du savoir ~ i s t o r I q u e , sur

    possibilit de

    dcouvrir

    ou de

    constItuer un

    sens a

    l inertie du pass,

    et

    la totalit i n a c h ~ v e du p r s e ~ t ) .

    Ensuite parce

    qu il

    recoupe en certams de ses pomts

    des

    p r ~ b l m e s qu on

    r e t r o u v ~ a i l e ~ r s -

    d ~ n s

    les

    domaines par exemple de la bngUlStIque, de 1 ethno

    logie, de l'conomie, de

    l analyse

    l ~ t t r a i r e , de

    mytho

    logie. A ces problmes on peut bIen d ~ n n e r SI on. e u t

    le sigle

    du

    structur.a.lisme.

    s o u ~

    plusIeurs condItIOns

    cependant:

    ils

    sont

    lom de

    COUVrIr

    a

    eux

    seuls le

    champ

    mthodologique de l histoire, ils n en occupent

    qu une

    part dont l importance varie avec les. domaines et les

    niveaux d analyse; sauf dans un certam nombre de cas

    relativement

    limits, ils n ont

    pas

    t

    imports

    de

    f

    linguistique ou d e

    l

    t ~ n ~ l o g i e

    ( s e ~ o n

    parcours

    re

    quent aujourd'hUI), maIs Ils

    ont

    prIs nal.ssance dans le

    champ de

    l histoire elle-mme - essentIellement

    dans

    celui de l'histoire conomique et l'occasion des ques

    tions

    qu'elle posait; enfin ils

    n autorisent

    a u c u n e m e n ~

    parler d une structuralisation de l'histoire, o u

    du

    moms

    d une

    tentative

    pour surmonter

    un

    c o ~ f h t

    ou. une

    opposition

    entre structure

    et devemr : Il y a ~ m t e -

    nant

    beau

    temps que les

    historiens

    r e I ? r ~ n t , ~ c r I v e ~ t et

    analysent des structures, sans

    aVOIr

    JamaIS a se

    demander

    s'ils ne

    laissaient pas

    chapper la VIVante,

    la fragile, la frmissante i s t o i ~ e Il

    L'

    p p o ~ i t i ~ n .

    struc

    ture-devenir n est pertinente m pour la d e f i m ~ I O ~ .du

    champ

    historique, ni, sans doute,

    pour

    la defimtIOn

    d une mthode structurale.

    1 ntroduction

    21

    Cette mutation pistmologique de l histoire n est

    pas encore acheve aujourd hui. Elle ne date pas d hier

    cependant, puisqu on

    peut

    sans doute en

    faire

    remonter

    Marx le premier moment. Mais elle

    fut

    longue

    prendre

    ses effets. De nos

    jours

    encore,

    et

    surtout pour

    l'histoire de

    la

    pense, elle n a

    pas t

    enregistre ni

    rflchie, alors que

    d autres transformations

    plus rcen

    tes

    ont pu

    l tre - celles de la linguistique par exemple.

    Comme s il avait t particulirement difficile, dans

    cette

    histoire

    que les hommes

    retracent

    de leurs propres

    ides et de leurs propres connaissances, de formuler

    une

    thorie gnrale de la

    discontinuit,

    des sries,

    des limites, des units, des ordres spcifiques, des auto

    nomies et des dpendances diffrencies. Comme si,

    l o on avait t

    habitu

    chercher des origines,

    remonter indfiniment la

    ligne des antcdences,

    reconstituer des traditions, suivre des courbes volu

    tives, projeter des tlologies, et recourir sans

    cesse aux mtaphores de la vie, on

    prouvait

    une rpu

    gnance singulire penser

    la

    diffrence, dcrire des

    carts et des dispersions, dissocier

    la

    forme

    rassurante

    de

    l identique. Ou

    plus

    exactement,

    comme si de ces

    concepts de seuils, de mutations, de

    systmes

    ind

    pendants, de sries l imites - tels qu ils sont utiliss

    de

    fait

    par les historiens

    -

    on avait du mal faire

    la thorie,

    tirer

    les consquences gnrales,

    et

    mme

    driver toutes les

    implications

    possibles. Comme si

    nous

    avions peur

    de

    penser

    l Autre

    dans

    le

    temps

    de

    notre propre pense.

    Il y a cela

    une

    raison. Si l histoire de la pense

    pouvait demeurer

    le lieu des continuits ininterrom

    pues, si elle

    nouait

    sans cesse des enchanements que

    nulle analyse ne saurait dfaire sans abstraction, si

    elle tramait, tout autour de ce que les hommes disent

    et font, d obscures synthses

    qui anticipent sur

    lui, le

    prparent,

    et le

    conduisent indfiniment

    vers son

    avenir, - elle serait pour la souverainet de la cons

    cience un abri privilgi.

    L histoire

    continue, c est le

    corrlat

    indispensable

    la

    fonction

    fondatrice

    du

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    11/143

    22

    L archologie u sayotr

    sujet: la garantie que

    tout

    ce qui lui a chapp pourra

    lui

    tre

    rendu;

    la certitude que le temps ne dispersera

    rien

    sans le restituer dans une unit recompose; la

    promesse que toutes ces choses maintenues au loin par

    la diffrence, le

    sujet

    pourra un jour - sous la forme

    de la conscience

    historique

    - se les approprier derechef,

    y

    restaurer sa

    matrise

    et

    y

    trouver

    ce

    qu on

    peut

    bien appeler sa demeure.

    Faire

    de l analyse

    historique

    le discours du continu et faire de la conscience humaine

    le sujet originaire de tout devenir et de

    toute

    pratique,

    ce sont les deux faces d un

    mme systme

    de pense.

    Le temps y

    est

    conu en termes de totalisation et les

    rvolutions

    n y sont jamais que des prises de conscience.

    Sous des formes diffrentes, ce

    thme

    a

    jou un

    rle

    constant

    depuis le

    XI X

    e

    sicle: sauver, contre tous

    les

    dcentrements,

    la

    souverainet du

    sujet,

    et les figures

    jumelles de

    l anthropologie

    et de

    l humanisme.

    Contre

    le

    dcentrement

    opr

    par

    Marx

    -

    par

    l analyse

    histo

    rique

    des

    rapports

    de production, des dterminations

    conomiques et de la lutte des classes - il a donn

    lieu, vers

    la

    fin du

    XI X

    sicle, la recherche d une

    histoire globale, o

    toutes

    les diffrences

    d une

    socit

    pourraient tre

    ramenes

    une forme

    unique,

    l orga

    nisation

    d une

    vision du monde, l tablissement d un

    systme de valeurs, un type cohrent de civilisation.

    Au

    dcentrement

    opr par la gnalogie nietzschenne,

    il a oppos

    la

    recherche d un fondement originaire qui

    fasse de

    la rationalit

    le

    telos

    de

    l humanit,

    et lie

    toute l histoire de la pense la

    sauvegarde

    de cette

    rationalit,

    au

    maintien

    de

    cette

    tlologie,

    et

    au

    retour

    toujours ncessaire vers ce fondement. Enfin, plus

    rcemment lorsque les recherches de la

    psychanalyse,

    de la linguistique, de

    l ethnologie

    ont

    dcentr

    le

    sujet

    par rapport aux lois de son dsir, aux formes de son

    langage, aux rgles de son action, ou aux jeux de ses

    discours mythiques ou

    fabuleux, lorsqu il

    fut clair que

    l homme

    lui-mme, interrog sur ce qu il tait, ne

    pouvait

    pas rendre compte de sa sexualit

    et

    de son

    inconscient, des formes systmatiques de sa langue,

    ou de

    la rgularit

    de ses fictions,

    nouveau le

    thme

    d une continuit de l histoire a t ractiv :

    une

    1 ntroduction

    histoire

    qui ne serait

    pas scansion,

    mais devenir; qui

    ne

    serait pas

    jeu de relations,

    mais dynamisme interne;

    qui

    ne

    serait pas systme, mais dur

    travail

    de la libert;

    qui

    ne serait pas forme, mais effort incessant

    d une

    conscience se reprenant elle-mme et

    essayant

    de se

    ressaisir jusqu au plus

    profond

    de ses

    conditions

    :

    une histoire qui serait

    la

    fois longue

    patience

    inin

    terrompue et vivacit d un mouvement qui finit par

    rompre

    toutes les limites. Pour faire

    valoir

    ce

    thme

    qui oppose l

    immobilit Il des structures, leur

    systme

    ferm Il

    leur

    ncessaire

    synchronie li

    l ouverture

    vivante de l histoire, il

    faut videmment

    nier

    dans les

    analyses historiques

    elles-mmes

    l usage

    de la discontinuit, la dfinition des niveaux

    et

    des

    limites, la

    description

    des sries spcifiques,

    la

    mise

    au jour de tout le jeu des diffrences. On est donc

    amen anthropologiser Marx,

    en

    faire un

    historien

    des

    totalits,

    et

    retrouver en lui

    le

    propos de l huma

    nisme; on est donc amen interprter Nietzsche dans

    les termes de

    la

    philosophie transcendantale, et rabattre

    sa gnalogie sur le plan d une recherche de l origi

    naire; on

    est amen enfin laisser de ct, comme si

    jamais encore

    il n avait affleur, tout ce

    champ

    de pro

    blmes

    mthodologiques

    que l histoire nouvelle pro

    pose

    aujourd hui.

    Car,

    s ii

    s avrait

    que

    la

    question

    des discontinuits, des systmes et des

    transformations,

    des sries

    et

    des seuils, se pose

    dans toutes

    les disci

    plines historiques (et dans celles

    qui

    concernent les

    ides ou les sciences non

    moins

    que dans celles qui

    concernent

    l conomie

    et

    les socits), alors

    comment

    pourrait-on

    opposer avec quelque

    aspect

    de lgitimit

    le

    devenir

    au

    systme JI le

    mouvement

    aux rgu

    lations circulaires, ou

    comme

    on dit

    dans

    une irr

    flexion bien lgre l histoire la structure JI

    C est la mme fonction

    conservatrice

    qui est l uvre

    dans le

    thme

    des totalits culturelles - pour lequel

    on a critiqu puis travesti Marx - dans le thme

    d une

    recherche

    de l originaire -

    qu on

    a oppos

    Nietzsche

    avant

    de vouloir l y transposer - et dans

    le thme d une histoire vivante, continue et ouverte.

    On criera donc

    l histoire

    assassine

    chaque

    fois

    que

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    12/143

    L archologie u sayotr

    dans une analyse historique - et surtout s il s agit

    de la pense, des ides

    ou

    des connaissances - on verra

    utiliser de faon trop manifeste les catgories de la dis

    continuit et de la diffrence, les notions de seuil, de

    rupture

    et

    de transformation, la description des sries

    et des limites. On dnoncera

    l

    un

    attentat

    contre les

    droits

    imprescriptibles

    de l histoire

    et

    contre

    le fon

    dement

    de

    toute historicit

    possible. Mais il ne

    faut

    pas s y

    tromper:

    ce qu on pleure si fort, ce n est pas

    la disparition de l histoire, c est l effacement de cette

    forme d histoire qui

    tait

    en secret, mais tout entire,

    rfre

    l activit synthtique

    du

    sujet;

    ce qu on

    pleure, c est ce

    devenir

    qui

    devait fournir

    la

    souve

    rainet

    de la conscience un abri plus sr, moins expos,

    que les mythes, les systmes de parent, les langues,

    la sexualit ou le dsir; ce qu on pleure, c est la possi

    bilit de ranimer par le projet, le

    travail

    du sens

    ou

    le

    mouvement

    de

    la

    totalisation,

    le

    jeu

    des

    dtermina-

    tions

    matrielles, des rgles de pratique, des systmes

    inconscients, des relations rigoureuses mais non rfl

    chies, des corrlations

    qui chappent

    toute

    exprience

    vcue; ce qu on pleure, c est cet usage idologique de

    l histoire par lequel on essaie de restituer l homme

    tout ce qui, depuis plus d un sicle, n a cess de lui

    chapper. On avait entass

    tous

    les trsors d autrefois

    dans

    la

    vieille citadelle de

    cette

    histoire; on la croyait

    solide; on l avait sacralise; on en

    avait

    fait le lieu

    dernier de-la pense anthropologique; on avait cru pou

    voir y capturer ceux-l mmes qui s taient acharns

    contre

    elle;

    on

    avait

    cru en

    faire des gardiens vigi

    lants.

    Mais cette vieille forteresse, les historiens

    l ont

    dserte depuis longtemps et ils sont partis travailler

    ailleurs; on s aperoit mme que Marx ou Nietzsche

    n assurent

    pas la sauvegarde qu on

    leur

    avait confie.

    Il

    ne faut plus

    compter

    sur eux pour

    garder

    les privi

    lges; ni

    pour

    affirmer une fois de

    plus

    -

    et

    Dieu sait

    pourtant

    si on en aurait besoin dans

    la

    dtresse

    d aujourd hui - que l histoire, elle au moins,

    est

    vivante

    et continue, qu elle est,

    pour

    le

    sujet

    la question,

    le lieu du repos, de

    la

    certitude, de

    la

    rconciliation -

    du

    sommeil tranquillis.

    1ntroduction

    En ce point se dtermine une entreprise dont l Histoire

    e la Folie, la Naissance

    e

    la Clinique, Les Mots et les

    Choses ont fix, trs imparfaitement, le dessin. Entre-

    prise

    par

    laquelle on essaie de

    prendre

    la

    mesure des

    mutations

    qui s oprent

    en

    gnral dans le domaine

    de

    l histoire;

    entreprise o

    sont

    mis

    en

    question les

    mthodes,

    les limites, les thmes propres l histoire des

    ides; entreprise

    par

    laquelle on tente d y dnouer les

    dernires sujtions anthropologiques; entreprise qui

    veut

    en retour faire

    apparatre comment

    ces sujtions

    ont pu

    se former.

    es

    tches, elles ont t esquisses

    dans

    un certain dsordre, et sans que

    leur

    articulation

    gnrale ft clairement dfinie. Il

    tait

    temps de leur

    donner cohrence, - ou du moins de s y exercer. Le

    rsultat

    de

    cet

    exercice,

    c est

    le

    livre

    que

    voici.

    Quelques remarques,

    avant

    de commencer

    et

    pour

    viter tout malentendu.

    - II ne s agit pas de transfrer au domaine

    de

    l histoire,

    et

    singulirement de l histoire des connais

    sances, une mthode structuraliste qui a fait ses preu

    ves dans d autres champs d analyse. II s agit

    de

    dployer les principes et les consquences d une trans

    formation autochtone qui est en

    train

    de s accomplir

    dans le domaine du savoir historique. Que cette trans

    formation, que les problmes qu elle pose, les instru

    ments qu elle utilise, les concepts qui s y dfinissent,

    les rsultats qu elle obtient ne soient pas, pour une

    certaine part, trangers ce qu on appelle l analyse

    structurale, c est bien possible.

    Mais

    ce n est pas cette

    analyse qui s y trouve, spcifiquement, mise en jeu;

    - il ne s agit pas (et encore moins) d utiliser les

    catgories des totalits culturelles (que ce soient les

    visions du monde, les types idaux, l espr it singulier

    des poques) pour imposer l histoire, et malgr elle,

    les formes de l analyse structurale. Les sries dcrites,

    les limites fixes,

    les

    comparaisons

    et

    les corrlations

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    13/143

    L archologie

    u

    savotr

    tablies

    ne

    l appuient pas sur les anciennes philosophies

    de l histoire, mais

    ont

    pour fin de remettre en question

    les tlologies et les totalisations;

    - dans la mesure o il s agit de dfinir une mthode

    d analyse historique qui soit affranchie du thme

    anthropologique, on voit que la thorie qui va s esquis

    ser maintenant

    se

    trouve, avec les enqutes dj

    faites, dans

    un

    double rapport. Elle essaie de formuler,

    en termes gnraux (et non sans beaucoup de rectifi

    cations, non salls beaucoup d laborations), les instru

    ments que ces recherches

    ont

    utiliss en chemin ou

    ont

    faonns pour les besoins de la cause. Mais

    d autre

    part,

    elle se renforce des rsultats alors obtenus pour

    dfinir une mthode d analyse qui soit pure de

    tout

    anthropologisme.

    Le

    sol sur lequel elle repose, c est

    celui qu elle a dcouvert. Les enqutes sur la folie

    et

    l apparition d une psychologie, sur

    la

    maladie

    et

    la

    naissance d une mdecine clinique, sur les sciences de

    la vie, du langage

    et

    de l conomie

    ont

    t des essais

    pour une

    part

    aveugles: mais ils s clairaient

    mesure,

    non seulement parce qu ils prcisaient peu

    peu leur

    mthode, mais parce qu ils dcouvraient - dans ce

    dbat

    sur l humanisme

    et

    l anthropologie

    le

    point de

    sa possibilit historique.

    D un mot,

    cet ouvrage, comme

    ceux

    qui

    l ont prcd,

    ne s inscrit

    pas

    - du

    moins

    directement

    ni

    en

    pre

    mire instance

    -

    dans

    le

    dbat de la structure

    (confron

    te

    la

    gense,

    l histoire,

    au

    devenir); mais dans

    ce

    champ

    o

    se

    manifestent,

    se

    croisent,

    s enchevtrent,

    et se spcifient les

    questions de

    l tre humain,

    de la

    conscience,

    de

    l origine, et du sujet. Mais

    sans doute

    n aurait-on

    pas

    tort de dire que c est l

    aussi

    que

    se

    pose le

    problme

    de

    la structure.

    e travail n est pas ]a reprise et la description exacte

    de

    ce qu on peut lire

    dans l Histoire e la Folie, la Nais-

    sance

    e

    la Clinique, ou Les Mots et

    les

    Choses. Sur bon

    nombre

    de points,

    il

    en est

    diffrent. Il

    comporte

    aussi

    pas mal

    de

    corrections et de critiques internes. D une

    faon

    gnrale, l

    Histoire e

    l

    Folie faisait une

    part

    beaucoup trop

    considrable,

    et

    d ailleurs bie n nigma-

    1ntroduction

    tique, ce

    qui

    s y trouvait dsign comme une

    exp

    rience

    li montrant

    par

    l combien

    on

    demeurait proche

    d admettre un

    sujet

    anonyme et gnral de l histoire;

    dans la

    Naissance e la Clinique, le

    recours,

    tent plu

    sieurs

    fois,

    l analyse structurale, menaait d esquiver

    la

    spcificit du

    problme

    pos, et le niveau propre

    l archologie; enfin

    dans Les Mots et les Choses,

    l absence

    de balisage

    mthodologique

    a pu faire croire

    des analyses en

    termes

    de totalit culturelle.

    Que ces

    dangers,

    je n aie

    pas

    t

    capable

    de

    les

    viter, me

    chagrine

    :

    je me

    console

    en me

    disant

    qu ils

    taient

    inscrits dans

    l entreprise

    mme puisque, pour

    prendre

    ses

    mesures propres,

    elle avait se dgager elle-mme

    de

    ces mthodes

    diverses

    et

    de

    ces

    diverses

    formes

    d histoire; et

    puis,

    sans

    les

    questions

    qui m ont t

    poses l sans les difficults souleves, sans les objec

    tions, je n aurais sans doute pas vu

    se

    dessiner d une

    faon aussi

    nette

    l entreprise

    laquelle,

    bon

    gr

    mal

    gr, je

    me trouve

    dsormais li.

    De

    l,

    la manire

    pr

    cautionneuse,

    boitillante

    de ce texte : chaque ins

    tant,

    il prend distance,

    tablit ses

    mesures de

    part et

    d autre, ttonne

    vers

    ses limites, se cogne

    sur

    ce qu il

    ne veut pas

    dire, creuse des fosss

    pour dfinir

    son

    propre chemin.

    A

    chaque

    instant, il

    dnonce la

    confu

    sion possible.

    Il

    dcline

    son identit, non sans

    dire

    au

    pralable

    : je

    ne

    suis

    ni

    ceci

    ni

    cela. e n est

    pas

    critique, la plupart du temps;

    ce

    n est point manire

    de dire que tout

    le

    monde

    s est

    tromp

    droite

    et

    gauche. C est

    dfinir un

    emplacement

    singulier par

    l extriorit

    de

    ses voisinages;

    c est

    - plutt

    que de

    vouloir

    rduire

    les

    autres au

    silence,

    en prtendant

    que leur propos est vain

    -

    essayer

    de

    dfinir cet

    espace

    blanc d o je parle, et qui prend forme lentement

    dans un discours

    que je

    sens si

    prcaire,

    si

    incertain

    encore.

    1. En

    particulier

    lcs premires pagel de ce texte ont c o n s l i t u ~

    IOUS une forme un peu diffrente,

    une

    rponse aux

    questions

    formules

    par

    lc Cercle d .tpi8UmoloBie de

    l E.N.S.

    cf. Cahiers pour l Analyse,

    nO 9). D autre part

    une

    esquisse de

    certains dveloppements

    a

    t

    donne

    en

    rponse

    aux

    lecteurs

    d Esprit

    (avril 1968).

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    14/143

    L archologie

    u

    Sal Olr

    - Vous n tes pas sr de ce que vous dites? Vous

    allez

    de nouveau

    changer, vous dplacer par rapport

    aux

    questions

    qu on

    vous pose, dire

    que

    les objections

    ne

    pointent

    pas rellement vers

    le lieu

    o

    vous

    vous

    prononcez? Vous vous

    prparez

    dire encore

    une

    fois

    que vous n avez

    jamais

    t ce qu on vous reproche

    d tre? Vous amnagez dj l issue qui vous permettra,

    dans

    votre

    prochain livre, de resurgir ailleurs et de

    narguer

    comme vous le faites maintenant : non, non

    je

    ne suis pas l o vous me guettez, mais ici

    d o

    je

    vous regarde en riant.

    -

    Eh

    quoi, vous imaginez-vous que

    je

    prendrais

    crire tant de peine et tant de plaisir, croyez-vous que

    je

    m y

    serais obstin, tte baisse, si je ne prparais

    -

    d une main

    un

    peu

    fbrile - le

    labyrinthe

    o

    m aventurer, dplacer mon propos, lui ouvrir des sou

    terrains,

    l enfoncer loin de lui-mme, lui trouver des

    surplombs qui rsument et

    dforment

    son parcours,

    o me perdre et apparatre finalement des yeux que

    je n aurai jamais plus

    rencontrer. Plus d un, comme

    moi sans doute, crivent pour n avoir plus de visage.

    Ne me demandez pas qui

    je

    suis et ne me dites pas de

    rester

    le mme :

    c est

    une morale d tat-civil; elle

    rgit nos papiers. Qu elle nous laisse libres quand il

    s agit d crire.

    LES RGULARITS DISCURSIVES

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    15/143

    li

    l

    l

    l

    1

    es units du discours

    La

    mise

    en jeu des

    concepts

    de discontinuit, de

    rupture, de seuil, de limite, de srie, de transformation

    pose toute analyse historique non seulement des

    questions de procdure mais des problmes

    thoriques.

    e sont ces problmes

    qui

    vont

    tre tudis

    ici (les ques

    tions de procdure

    seront

    envisages au cours de pro

    chaines

    enqutes

    empiriques; si du moins l occasion,

    le dsir et le

    courage

    me viennent de les entreprendre).

    Encore ne seront-ils envisags que dans un

    champ

    particulier : dans ces disciplines si incertaines de leurs

    frontires, si indcises

    dans leur contenu qu on

    appelle

    histoire

    des ides, ou de la pense, ou des sciences, ou

    des connaissances.

    Il y a d abord accomplir un travail ngatif: s affran

    chir

    de tout un jeu de notions qui diversifient, chacune

    leur manire,

    le

    thme

    de

    la

    continuit.

    Elles

    n ont

    pas

    sans doute une structure

    conceptuelle bien

    rigou

    reuse; mais

    leur

    fonction est prcise. Telle la notion

    de tradition : elle vise donner un statut temporel

    singulier

    un

    ensemble de phnomnes

    la

    fois suc

    cessifs et identiques (ou du moins analogues); elle

    permet de repenser la dispersion de l histoire dans la

    forme

    du

    mme; elle autorise rduire la diffrence

    propre tout commencement,

    pour

    remonter sans dis

    continuer dans

    l assignation indfinie de l origine;

    grce elle, on peut isoler les nouveauts sur fond de

    permanence, et en transfrer le mrite l originalit,

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    16/143

    Les rgularits discursiyes

    au

    gnie, la dcision propre

    aux

    individus. Telle aussi

    la notion d i n f l u e n ~ e qui fournit un support -

    trop

    magique

    pour

    pouvoir

    tre

    bien analys -

    aux

    faits

    de transmission

    et

    de communication; qui rfre un

    processus d allure causale (mais sans dliniitation

    rigoureuse ni dfinition thorique) les phnomnes de

    ressemblance

    ou

    de

    rptition;

    qui

    lie, distance

    et

    travers

    le

    temps

    - comme

    par

    l intermdiaire d un

    milieu de propagation - des units dfinies comme

    individus, uvres, notions ou thories. Telles les

    notions de dveloppement

    et

    d volution : elles per

    mettent

    de regrouper une succession

    d vnements

    disperss, de les

    rapporter

    un

    seul

    et

    mme principe

    organisateur, de les

    soumettre

    la puissance exem

    plaire de

    la

    vie (avec ses

    jeux adaptatifs, sa

    capacit

    d innovation, l incessan te corrl ation de ses diffrents

    lments, ses systmes d assimilation

    et

    d changes),

    de dcouvrir, dj

    l uvre

    dans chaque

    commen

    cement,

    un

    principe de cohrence

    et

    l esquisse

    d une

    unit

    future, de

    matriser

    le temps

    par

    un

    rapport

    perptuellement rversible entre une origine et un terme

    jamais

    donns, toujours

    l uvre.

    Telles encore les

    notions de

    mentalit

    ou d esprit qui permettent

    d tablir

    entre

    les phnomnes simultans ou successifs

    d une

    poque donne

    une communaut

    de sens, des

    liens symboliques,

    un jeu

    de ressemblance

    et

    de miroir

    - ou qui font surgir comme principe

    d unit et

    d expli

    cation

    la

    souverainet

    d une

    conscience collective.

    Il

    faut remettre

    en question ces synthses

    toutes

    faites,

    ces groupements

    que

    d ordinaire

    on

    admet

    avant tout

    examen, ces liens

    dont

    la

    validit est

    reconnue

    d entre

    de jeu; il faut dbusquer ces formes et ces forces obscures

    par

    lesquelles on a l habitude de lier

    entre eux

    les discours des hommes; il

    faut

    les chasser de

    l ombre

    o elles rgnent. Et

    plutt

    que de les laisser valoir

    spontanment,

    accepter de n avoir affaire,

    par

    souci

    de mthode

    et

    en premire instance,

    qu

    une popu

    lation d vnements disperss.

    Il

    faut

    aussi

    s inquiter devant

    ces dcoupages

    ou

    groupements

    dont

    nous avons acquis la familiarit.

    Peut-on admettre,

    telles quelles,

    la

    distinction des

    Les unit u discours

    grands

    types

    de discours, ou celle des formes ou des

    genres

    qui opposent

    les unes

    aux autres

    science, litt

    rature,

    philosophie, religion, histoire, fiction, etc.,

    et

    qui en

    font des sortes de grandes individualits histo

    riques? Nous ne sommes pas srs nous-mmes de

    l usage de ces distinciions dans le

    monde

    de discours

    qui est

    le

    ntre.

    A plus forte raison

    lorsqu il

    s agit

    d analyser

    des ensembles d noncs

    qui taient,

    l po

    que de leur formulation, distribus, rpartis et carac

    triss

    d une tout autre manire:

    aprs

    tout la

    litt

    rature et la politique

    sont

    des catgories rcentes

    qu on

    ne

    peut

    appliquer

    la

    culture

    mdivale ou

    mme encore

    la

    culture classique que

    par une

    hypo

    thse rtrospective, et

    par

    un jeu d analogies for

    melles

    ou de

    ressemblances

    smantiques;

    mais

    ni la

    littrature, n la politique, IIi non plus

    la

    philosophie

    et

    les sciences

    n articulaient

    le

    champ du

    discours,

    au

    XVIIe

    ou

    au

    XVIIIe

    sicle, comme elles

    l ont

    articul

    au

    XI

    xe sicle. De

    toute

    faon, ces dcoupages -

    qu il

    s agisse de ceux que nous

    admettons, ou

    de ceux

    qui

    sont contemporains des discours tudis -

    sont

    toujours

    eux-mmes des catgories rflexives, des

    principes

    de

    classement, des rgles

    normatives,

    des

    types

    institutionnaliss : ce

    sont

    leur tour

    des faits

    de discours

    qui mritent d tre

    analyss ct des

    autres;

    ils

    ont,

    coup sr, avec

    eux

    des

    rapports

    com

    plexes, mais ils

    n en sont

    pas des caractres intrinsques,

    autochtones et

    universellement reconnaissables.

    Mais

    surtout

    les units

    qu il

    faut mettre

    en

    suspens

    sont

    celles

    qui s imposent

    de

    la

    faon

    la

    plus

    immdiate:

    celles

    du

    livre

    et de l

    uvre.

    En apparence, peut-on

    les

    effacer sans ,un

    extrme

    artifice? Ne sont-elles pas

    donnes de

    la

    faon

    la

    plus certaine? Individualisation

    matrielle

    du

    livre, qui occupe

    un

    espace dtermin,

    qui

    a

    une valeur

    conomique,

    et qui marque

    de soi

    mme,

    par

    un certain nombre de signes, les limites de

    son commencement et de sa fin; tablissement d une

    uvre q u on reconnat et qu on

    dlimite

    en attribuant

    un certain nombre

    de

    textes un auteur. Et pourtant

    ds qu on y regarde

    d un

    peu plus prs les difficults

    commencent.

    Unit

    matrielle

    du

    livre? Est-ce bien la

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    17/143

    4

    Les rgularits discursiyes

    mme s il

    s agit d une

    anthologie de pomes, d un

    recueil de fragments

    posthumes,

    du

    Trait es Coniques

    ou d un tome de

    l Histoire de France

    de Michelet?

    Est-ce bien

    la

    mme s il s agit

    d Un

    coup

    de

    ds, du

    procs de Gilles de Rais,

    du San Marco

    de Butor,

    ou

    d un missel catholique?

    En d autres

    termes l unit

    matrielle

    du

    volume n est-elle

    pas une unit

    faible,

    accessoire, au regard de l u ~ i t discursive laquelle

    il donne support? Mais cette unit discursive, son

    tour,

    est-elle homogne et uniformment applicable?

    Un roman de Stendhal ou un

    roman

    de Dostoevski

    ne

    s individualisent

    pas comme ceux de

    La Comdie

    humaine; et

    ceux-ci leur

    tour ne

    se distinguent

    pas

    les uns des autres

    comme Ulysse

    de

    L Odysse.

    C est

    que

    les marges

    d un livre ne sont jamais nettes ni

    rigoureusement tranches : par-del le

    titre,

    les pre

    mires lignes

    et

    le point final, par-del sa configuration

    interne

    et

    la

    forme

    qui l autonomise,

    il

    est

    pris

    dans

    un

    systme de renvois

    d autres

    livres,

    d autres

    textes,

    d autres phrases: nud dans un

    rseau. Et ce jeu de

    renvois

    n est

    pas homologue, selon

    qu on

    a affaire

    un

    trait

    de mathmatiques,

    un commentaire

    de textes,

    un rcit historique, un pisode dans un cycle roma

    nesque; ici

    et

    l l unit du livre, mme entendue comme

    faisceau de rapports, ne peut tre considre comme

    identique.

    Le livre a beau se

    donner

    comme

    un objet

    qu on a sous la main; il a beau se recroqueviller en ce

    petit paralllpipde qui l enferme : son

    unit

    est

    variable et relative. Ds qu on l interroge , elle perd

    son vidence; elle

    ne s indique

    elle-mme, elle

    ne

    se

    construit

    qu partir d un champ

    complexe de discours.

    Quant l uvre, les problmes qu elle soulve sont

    plus difficiles encore.

    En

    apparence pourtant, quoi

    de plus simple? Une somme de

    textes

    qui

    peuvent

    tre

    dnots

    par

    le signe d un

    nom

    propre.

    Or

    cette dno

    tation

    (mme si on laisse de ct les problmes de

    l attribution), n est

    pas

    une

    fonction homogne : le

    nom d un

    auteur dnote-t-il

    de la mme faon

    un

    texte

    qu il

    a lui-mme publi sous son nom,

    un texte qu il

    a

    prsent sous un pseudonyme, un a utre qu on aura

    retrouv

    aprs

    sa

    mort

    l tat

    d bauche,

    un autre

    Les units du discours

    35

    encore qui

    n est qu un

    griffonnage,

    un carnet

    de notes,

    un papier ? La constitution d une uvre complte

    ou

    d un

    opus suppose un certain nombre de choix qu il

    n est pas facile de justifier ni mme de formuler :

    suffit-il d ajouter aux textes publis

    par l auteur

    ceux

    qu il

    projetait

    de donner l impression,

    et qui

    ne

    s ~ m t

    rests

    inachevs que

    par

    le

    fait

    de

    la

    mort? Faut-il

    intgrer aussi

    tout

    ce qui est brouillon, premier dessein,

    corrections

    et ratures

    des livres?

    Faut-il ajouter

    les

    esquisses

    abandonnes?

    Et quel

    statut donner aux

    lettres, aux notes,

    aux

    conversations rapportes, aux

    propos

    transcrits

    par les auditeurs, bref cet immense

    fourmillement de

    traces

    verbales

    qu un

    individu laisse

    autour de lui au moment de mourir,

    et

    qui parlent dans

    un entrecroisement

    indfini

    tant

    de langages diffrents?

    En tout cas le nom l Mallarm ne se rfre pas de la

    mme faon aux thmes anglais,

    aux traductions

    d Edgar

    Poe,

    aux

    pomes,

    ou

    aux

    rponses des

    enqutes;

    de

    mme, ce

    n est

    pas le mme rapport qui existe entre

    le nom de Nietzsche d une part et

    d autre

    part les

    autohiographies de jeunesse, les dissertations scolaires,

    les articles philologiques, Zarathoustra, Ecce homo,

    les lettres, les dernires cartes postales signes

    par

    Dionysos

    ou

    Kaiser Nietzsche

    les innombrables

    carnets o s enchevtrent les notes de blanchisserie

    et

    les

    projets

    d aphorismes.

    En

    fait, si

    on parle

    si volon

    tiers et sans s interroger davantage de l

    uvre

    l

    d un

    auteur, c est qu on

    la suppose dfinie par une

    certaine fonction d expression. On admet

    qu il

    doit

    avoir

    un

    niveau

    (aussi profond

    qu il est

    ncessaire

    de l imaginer)

    auquel

    l uvre se rvle,

    en tous

    ses

    fragments, mme les plus minuscules et les plus ines

    sentiels, comme l expression de l a pense, ou de l exp

    rience,

    ou

    de l imagination, ou de l inconscient de

    l auteur,

    ou encore des dterminations historiques dans

    lesquelles il

    tait

    pris. Mais on voit

    aussitt

    qu une

    pareille unit, loin

    d tre

    donne

    immdiatement, est

    constitue

    par

    une opration; que

    cette

    opration est

    interprtative (puisqu elle dchiffre,

    dans

    le texte, la

    transcription de quelque chose qu il cache et qu il

    manifeste

    la

    fois);

    qu enfin l opration qui dtermine

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    18/143

    36

    Les rgularits di8cursi es

    l opus, en son unit, et

    par

    consquent

    l'uvre

    elle

    mme

    ne

    sera

    pas la mme s il

    s'agit

    de

    l'auteur du

    Thtre

    t

    son double ou de l 'auteur

    du

    Tractatus et

    donc, qu ici

    et

    l ce

    n'est

    pas

    dans

    le mme sens

    . q ~ ~ n

    parlera d'une

    uvre

    L uvre ne

    peut

    tre consIderee

    ni comme unit immdiate, ni comme une unit cer

    taine ni comme une unit homogne.

    . .

    Enfin, dernire

    prcaution pour mettre

    hors

    C l r ~ U l t

    les continuits irrflchies par lesquelles on orgamse,

    par

    avance, le discours

    qu'on entend analyser:

    renoncer

    deux thmes qui sont lis

    l'un

    l'autre

    et qui se font

    face. L'un veut

    qu'il

    ne

    soit jamais

    possible d assigner,

    dans

    l'ordre du discours, l'irruption

    d'un vnement

    vritable;

    qu'au-del de

    tout commencement

    apparent

    il y a toujours une origine secrte - si secrte

    et

    S

    originaire

    qu'on ne peut jamais

    la ressaisir

    tout

    fait en elle-mme. Si bien qu'on serait fatalement

    reconduit,

    travers la

    navet

    des chronologies, vers

    un

    point

    indfiniment recul,

    jamais

    prsent dans aucune

    histoire'

    lui-mme ne serait que son propre vide; et

    .

    partir

    de lui tous les commencements ne

    p o u ~ r l e n ~

    jamais tre que

    recommencement ou

    occultatlOn (a

    vrai

    dire,

    en un

    seul

    et

    mme geste, ceci

    t

    c e l a ~ . A ce

    thme

    se

    rattache un autre

    selon lequel

    tout

    dIscours

    manifeste reposerait secrtement

    sur un

    dj

    -dit; et

    que ce

    dj-dit

    ne

    serait pa.s s i m p l e m e ~ t une p h r a ~ e

    dj prononce,

    un texte dj

    crIt, malS

    un

    JamaIs

    dit un discours sans corps, une voix aussi silencieuse

    qu'un

    souffie, une criture qui

    n'est

    que le creux de

    sa

    propre trace. On suppose ainsi que

    tout

    ce

    qu'il

    arrive

    au

    discours de formuler se

    trouve dj

    articul

    dans

    ce demi-silence

    qui

    lui est pralable, qui continue

    courir obstinment au-dessous de lui, mais

    qu'il

    recouvre

    et fait taire. Le discours manifeste ne serait en fin de

    compte

    que la

    prsence rpressive de ce

    qu'il

    ne

    dit

    pas; et

    ce non-dit

    serait un

    creux

    qui

    mine de

    l i n t r i e ~ r

    tout ce qui se dit. Le premier motif voue l'analyse hIS-

    torique

    du

    discours tre

    qute et rptition

    d'une

    origine qui chappe

    toute dtermination historique;

    l'autre

    la

    voue tre interprtation ou coute d'un

    dj-dit qui serait en

    mme

    temps un

    non-dit.

    Il

    faut

    Les units du discours

    renoncer tous ces thmes qui ont pour fonction de

    garantir l infinie continuit

    du

    discours et

    sa

    secrte

    prsence

    soi

    dans

    le

    jeu d'une

    absence

    toujours

    reconduite. Se tenir

    prt

    accueillir

    chaque

    moment

    du

    discours

    dans son irruption d'vnement; dans cette

    ponctualit o il apparat, et dans cette dispersion

    temporelle

    qui

    lui

    permet d'tre

    rpt, su,

    oubli,

    transform, effac

    jusque,

    dans

    ses moindres traces,

    enfoui,

    bien

    loin de

    tout

    regard,

    dans

    la poussire des

    livres. Il ne

    faut

    pas renvoyer le discours la lointaine

    prsence

    de l'origine;

    il

    faut

    le

    traiter

    dans

    le

    jeu

    de

    son instance.

    Ces formes pralables de

    continuit, toutes

    ces syn

    thses

    qu'on

    ne problmatise pas et qu'on laisse valoir

    de plein

    droit,

    il

    faut

    donc les

    tenir en

    suspens. Non

    point, certes, les rcuser dfinitivement, mais secouer

    la quitude avec

    laquelle on les accepte;

    montrer

    qu elles

    ne

    vont

    pas

    de soi, qu elles

    sont toujours

    l effet

    d'une

    construction

    dont

    il s'agit de connatre les rgles

    et de contrler les justifications; dfinir quelles

    conditions et

    en vue

    de quelles analyses certaines

    sont

    lgitimes;

    indiquer

    celles qui, de

    toute

    faon, ne

    peuvent plus tre admises. Il se pourrait bien, par

    exemple, que les notion s d II influence li ou

    d'

    volution li

    relvent

    d'une

    critique qui les mette - pour un temps

    plus ou moins long - hors d'usage. Mais l

    uvre

    mais le livre ou encore ces unit s comme la science Il

    ou

    la

    littrature faut-il

    pour toujours s'en

    passer?

    Faut-il

    les tenir

    pour

    illusions, btisses sans lgitimit,

    rsultats mal acquis? Faut-il renoncer prendre tout

    appui

    mme provisoire

    sur eux

    et

    leur donner

    jamais

    une dfinition?

    Il

    s'agit en fait de les arracher

    leur

    quasi-vidence, de librer les problmes qu'ils posent;

    de reconnatre qu ils

    ne sont pas

    le lieu tranquille

    partir duquel

    on

    peut

    poser d'autres questions (sur

    leur structure, leur cohrence, leur

    systmaticit,

    leurs

    transformations), . mais qu ils posent

    par

    eux-mmes

    tout

    un faisceau de questions (Que sont-ils? Comment

    les dfinir

    ou

    les limiter? A quels

    types

    distincts de lois

    peuvent-ils obir? De quelle

    articulation

    sont-ils sus

    ceptibles? A quels sous-ensembles

    peuvent-ils donner

  • 8/12/2019 Foucault Archeologie Du Savoir

    19/143

    8

    Les rgularits discursives

    lieu? Quels phnomnes spcifiques font-ils

    apparattre

    dans

    le

    champ du

    discours?). Il

    s agit

    de

    reconnattre

    qu ils ne

    sont

    peut-tre

    pas

    au

    bout

    du

    compte

    ce

    qu on

    croyait au

    premie r regard. Bref, qu ils

    exigent une

    thorie; et

    que

    cette

    thorie ne

    peut

    pas se faire sans

    qu apparaisse,

    dans sa puret

    non

    synthtique,

    le

    champ des faits de discours partir duquel on les

    construit.

    Et moi-mme

    mon

    tour, je ne ferai rien

    d autre:

    certes,

    je prendrai pour

    repre initial des units

    toutes

    donnes (comme

    la

    psychopathologie,

    ou la

    mdecine,

    ou

    l conomie polit ique); mais j e ne me pl acerai

    pas

    l intrieur

    de ces units douteuses

    pour

    en

    tudier

    la configuration

    interne ou

    les secrtes contradictions.

    Je

    ne

    m appuierai sur

    elles

    que

    le

    temps

    de me

    demander

    quelles units elles

    forment;

    de quel

    droit

    elles peuvent

    revendiquer

    un

    o m ~ i n e qui

    les spcifient

    dans

    l espace

    et

    une

    continuit

    qui

    les individualise dans le

    temps;

    selon quelles lois elles se

    forment; sur

    fond de quels

    vnements discursifs elles se dcoupent;

    et

    si finale

    ment

    elles ne

    sont

    pas, dans

    leur

    individualit accepte

    et

    quasi institut ionnelle , l effet de surface

    d units

    plus consistantes. Je

    n accepterai

    les ensembles

    que

    l histoi re me propose q ue

    pour

    les

    mettre aussitt

    la

    question;

    pour

    les dnouer et savoir si

    on peut

    les

    recomposer lgitimement;

    pour

    savoir s il ne

    faut pas

    en

    reconstituer d autres; pour les replacer

    dans un

    espace plus gnral qui,

    en dissipant leur apparente

    familiarit,

    permet

    d en faire la thorie.

    Une fois suspendues ces formes immdiates de conti

    nuit, tout

    un

    domaine

    en

    effet se

    trouve

    libr.

    Un

    domaine immense, mais

    qu on peut

    dfinir : il

    est

    cons

    titu par

    l ensemble de

    tous

    les noncs effectifs (qu ils

    aient

    t parls

    et

    crits),

    dans leur

    dispersion

    d v

    nements

    et dans

    l instance

    qui est

    propre

    chacun.

    Avant d avoir

    affaire, en

    toute certitude,

    une

    science,

    ou

    des romans,

    ou

    des discours politiques,

    ou

    l uvre

    d un

    auteur

    ou mme

    un

    livre, le

    matriau

    qu on a

    traiter dans

    sa

    neutralit

    premire, c est une

    population d vnements

    dans

    l espace

    du

    discours

    en

    gnral. Ainsi

    apparatt

    le

    projet d une

    description

    u units du d cours

    39

    es vnements d cursifs

    comme horizon

    pour la

    recher

    che des

    units

    qui s y forment. Cette description se

    distingue facilement de l analyse de

    la

    langue. Certes,

    on

    ne

    peut

    tablir

    un

    systme linguistique (si

    on

    ne le

    construit pas

    artificiellement) qu en utilisant

    un

    corpus

    d noncs,

    ou une

    collection de faits de discours; mais

    il

    s agit

    alors

    de

    dfinir,

    partir de cet

    ensemble

    qui

    a

    valeur

    d chantillon, des rgles

    qui

    permettent

    de

    construire

    ventuellement d autres

    noncs

    que ceux-l:

    mme si elle a

    disparu

    depuis longtemps, mme si per

    sonne ne la parle plus

    et

    qu on

    l a restaure

    sur

    de

    rares fragments,

    une

    langue

    constitue toujours

    un

    systme

    pour

    des noncs possibles :

    c est un

    ensemble

    fini de rgles

    qui

    autorise

    un

    nombre infini

    de

    perfor

    mances. Le

    champ

    des vnements discursifs

    en revanche

    est l ensemble

    toujours

    fini

    et actuellement

    limit

    de

    seules squences linguistiques qui ont

    t

    formules;

    elles

    peuvent

    bien tre innombrables, elles

    peuvent

    bien,

    par

    leur

    masse, dpasser

    toute capacit

    d enre

    gistrement,

    de

    mmoire ou de lecture : elles

    constituent

    cependant un

    ensemble fini.

    La question que

    pose

    l analyse

    de

    la langue, propos

    d un fait

    de discours

    quelconque,