Flusin Cheynet Kathara

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Jean-Claude Cheynet Bernard Flusin Du monastère Ta Kathara à Thessalonique : Théodore Stoudite sur la route de l'exil In: Revue des études byzantines, tome 48, 1990. pp. 193-211. Résumé REB 48 1990 France p. 193-211 J.-C. Cheynet et B. Flusin. Du monastère Ta Kalhara à Thessalonique : Théodore Stoudite sur la route de l'exil. — En 797. Théodore Stoudite adresse à son oncle Platon une lettre (Ep. I, 3; PG 99, col. 913-920) à propos de son exil à Thessalonique. La seconde partie de cette lettre, qui contient l'itinéraire de Théodore, est ici présentée d'après trois manuscrits et traduite. Suit un commentaire géographique : au dépari, les monastères de Ta Kathara et de Sakkoudion ; puis des kômai bithyniennes ; enfin. de Parion à Thessalonique. neuf étapes terrestres ou maritimes. Citer ce document / Cite this document : Cheynet Jean-Claude, Flusin Bernard. Du monastère Ta Kathara à Thessalonique : Théodore Stoudite sur la route de l'exil. In: Revue des études byzantines, tome 48, 1990. pp. 193-211. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1990_num_48_1_1824

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Jean-Claude CheynetBernard Flusin

Du monastère Ta Kathara à Thessalonique : Théodore Stouditesur la route de l'exilIn: Revue des études byzantines, tome 48, 1990. pp. 193-211.

RésuméREB 48 1990 France p. 193-211J.-C. Cheynet et B. Flusin. Du monastère Ta Kalhara à Thessalonique : Théodore Stoudite sur la route de l'exil. — En 797.Théodore Stoudite adresse à son oncle Platon une lettre (Ep. I, 3; PG 99, col. 913-920) à propos de son exil à Thessalonique. Laseconde partie de cette lettre, qui contient l'itinéraire de Théodore, est ici présentée d'après trois manuscrits et traduite. Suit uncommentaire géographique : au dépari, les monastères de Ta Kathara et de Sakkoudion ; puis des kômai bithyniennes ; enfin. deParion à Thessalonique. neuf étapes terrestres ou maritimes.

Citer ce document / Cite this document :

Cheynet Jean-Claude, Flusin Bernard. Du monastère Ta Kathara à Thessalonique : Théodore Stoudite sur la route de l'exil. In:Revue des études byzantines, tome 48, 1990. pp. 193-211.

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DU MONASTÈRE TA KATHARA

À THESSALONIQUE :

THÉODORE STOUDITE

SUR LA ROUTE DE L'EXIL

Jean-Claude CHEYNET et Bernard FLUSIN

La lettre que Théodore Stoudite adresse de Thessalonique à son oncle Platon au tout début de son premier exil (Ep. I, 3)1 est intéressante à plus d'un titre. Précieuse pour notre connaissance de l'affaire moechienne, elle renferme de plus un document d'une nature particulière : un rapport détaillé que Théodore rédige, à la demande expresse de Platon, sur les étapes et les circonstances du voyage au terme duquel Théodore lui-même et d'autres moines de Sakkoudion, partis du monastère de Ta Kathara, arrivent à Thessalonique, lieu de leur exil. De là, sur l'itinéraire, un luxe inhabituel de détails. C'est précisément ce qui nous retiendra ici.

Les circonstances de la lettre n'ont guère besoin d'être rappelées. Il s'agit du schisme moechien2, affaire qui éclate en 796 avec le remariage de l'empereur Constantin VI. L'higoumène du monastère bithynien de Sakkoudion, Théodore, son oncle Platon, qui avait gouverné Sakkoudion avant lui, et leurs moines se rangent alors résolument parmi les adversaires du second mariage de l'empereur. Il semble même que Théodore et Platon aient joué un rôle moteur dans ce mouvement3. Il s'agit là, bien sûr, pour des moines pieux, et même

1. PG 99, 913-920. 2. Voir P. Speck, Kaiser Konstantin VI., Munich 1978, p. 251-321 (pour la lettre

I. 3, voir plus particulièrement p. 289-290 et notes); W. Treadgold, The Byzantine Revival, 780-842, Stanford 1988, p. 110-113.

3. Voir Théophane, Chronographie, p. 470M-4715, qui ne signale qu'eux comme opposants. Théodore, dans VÉloge de Platon (PG 99, 829Βββ), prétend que Platon et les moines de Sakkoudion furent presque seuls à s'opposer à l'empereur : πάντων σχεδόν συνελθόντων τη παρανομία, μόνος, ώς ειπείν, ούτος συν τοΤς έαυτοϋ παισίν εΐτ' ούν φοιτηταΐς ακλόνητος διαμένων.

Revue des Études Byzantines 48, 1990, p. 193-211.

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rigoristes, de défendre la pureté de la doctrine, la force des lois divines et des saints canons contre l'arbitraire impérial4. Mais d'autres facteurs contribuent à l'affrontement très direct entre Constantin VI et ces moines. Il faut, pour les percevoir, dire quelques mots de la famille de Théodore Stoudite.

Cette famille est assez bien connue5. Platon, nous dit son neveu, naît vers 735 dans une bonne famille de Constantinople6. Il a deux sœurs, dont la future mère de Théodore, Théoktistè7. Ses parents étant morts dans la grande peste de 747, Platon est recueilli par un oncle ζυγοστατής du trésor impérial : Platon, qui s'est formé tout seul à la νοταρική μέθοδος, collabore bientôt avec son oncle (συζυγοστατών) et, en fait, exerce réellement la charge dont son oncle n'a plus que le titre. De là, gloire et fortune : Platon, avant ses vingt-quatre ans, a doublé l'héritage qu'il tenait de ses parents8; dans les bonnes familles de Constantinople où il y a fille à marier, on recherche volontiers sa compagnie9; l'empereur même entend parler de lui10. La sœur de Platon, Théoktistè, dont l'éducation a pourtant été négligée11, se marie dans son milieu : Photin, qu'elle épouse, est lui aussi un fonctionnaire du trésor impérial, et leur maison paraît cossue12. De Photin, Théoktistè a quatre enfants : Théodore lui-même, Joseph,

4. Voir Théodore Stoudite, Éloge de Platon, PG 99, 833A4"9. 5. Sur la famille de Théodore, voir J. Pargoire, Saint Théophane le Chronographe

et ses rapports avec saint Théodore Studite, VV 9, 1902, p. 31-102, plus particulièrement p. 35-38; M. W. Herlong, Kinship and Social Mobility in Byzantium, 717-959 (The Catholic University of America, Ph. D. 1986), U. M. I. Dissertation Information Service, Ann Arbor, 1989, p. 97-102 et tableau p. 356.

6. Pour la biographie de Platon et de Théodore, voir J. Pargoire, op. cit. ; E. Amann, DTC, XV, 1946, col. 287-298; Marie-Hélène Congourdeau, art. Théodore Stoudite, dans Dictionnaire de Spiritualité (à paraître). Pour les sources, sur la chronologie de la vie de Platon, voir principalement Théodore Stoudite, Éloge de Platon, PG 99, 845Α1β; sur la famille de Platon, ibidem, 805A"C.

7. Ibidem, 805B2-7. 8. Ibidem, 808AB : καρποφορεί (Platon) ... τήν παίδευσιν της νοταρικής μεθόδου ...

συζυγοστατών τε αύτω τω προσειληφότι θείω τα βασιλικά χρήματα, και τοσούτον φανείς ένταϋθα περιδέξιος, ώς Ονομα μόνον έχειν εκείνον της αρχής, τον δέ {lege του δέ) το έργον γνωρίζεσθαι ; 808^912 : σχολαΤς δέ έπιπόνοις έφεστώς τη ζυγοστασία, κάντεϋθεν πλοϋτον έαυτω συναθροίζων, και τοσούτον αοξων, ώς άλλην συστήσασθαι περιουσίαν παρά τήν γονικήν κληρονομίαν ίκανωτάτην ούσαν.

9. Ibidem, 808D-809A. 10. Ibidem, 808Be; l'empereur est évidemment Constantin Copronyme, ce que

Théodore se garde de rappeler. 11. Théodore Stoudite, Catéchèse sur la mort de sa mère, PG 99, 885B2'3; même

remarque à propos de Platon dans YÊloge de Platon, 808A. Il semble que ce soit un reproche implicite que Théodore adresse à ceux qui avaient recueilli les orphelins.

12. Voir Catéchèse sur la mort de sa mère, 889C810 : συζυγία ... αύταρκουμένη τε κατά τόν βίον, άξιώματι βασιλικω και ταμιευτικω τιμώμενη ; et 889C14 15 : ερριψε μεν (Théoktistè) τας έκ βασιλέων τιμάς.

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DU MONASTÈRE TA KATHARA À THESSALONIQUE 195

futur archevêque de Thessalonique, Euthyme, et une fille, dont le nom nous reste inconnu13. En 782-783, à l'instigation de la pieuse et énergique Théoktistè, toute une partie de la famille, bon gré mal gré, entre au couvent : Théoktistè elle-même, avec sa fille et une parente, se retire à Constantinople dans un petit monastère qu'elle semble fonder à cette occasion14; Photin, trois de ses frères, et ses trois fils, sous la direction de Platon, deviennent moines au monastère de Sakkoudion, qu'ils fondent alors près d'un bien familial, Boskytion15. Une autre partie de la famille reste, pour une part au moins, ou pour un temps, dans le monde. C'est le cas de la sœur de Platon et de Théoktistè. Peut-être faut-il identifier cette sœur anonyme avec Anna, que Théodore appelle sa mère «des deux côtés», c'est-à-dire selon la chair et selon l'esprit, qui peut s'être retirée à la fin de sa vie dans un monastère, et qui donne en tout cas naissance à Serge, hypatos, employé à l'aérikon16. Notons encore l'hypatos Lykastos, dont les liens de parenté avec Théodore sont inconnus17 ; un higoumène Nicéphore, «neveu» de Théodore18; un autre neveu, nommé Etienne19; des anonymes, que nous verrons à telle occasion prendre parti pour l'empereur, contre Platon et Théodore, dans l'affaire moechienne20. Surtout, il convient de mentionner Théodotè, la seconde femme de Constantin VI, l'émule d'Hérodiade, qui est la proche parente de Platon21. Les frères de Théodotè, sans doute à la suite du mariage de leur sœur, deviennent patrices. Ils seront chassés

13. Voir par ex. Catéchèse sur la mort de sa mère, 889C2 (quatre enfants) ; sur la fille de Théoktistè, en particulier ibidem, 888AB.

14. Ibidem, 892i>-893<V 15. Ibidem, 889B (Photin, ses trois frères, ses enfants); Éloge de Platon, 824BC. Voir

Vie Λ de s. Théodore Stoudite, PG 99, 121 ; Vie B, 241 B, où seul le nom de Sakkoudion est cité; sur ce monastère, voir ci-dessous.

16. Sur Anna, voir Ep. I, 44, dans PG 99, 1069B et sans doute I, 46 ("Αννη ηγουμένη), ibidem; sur Serge, Ep. I, 44, PG 99, 1068-9, et Théodore Stoudite, Ep. 73, éd. J. Cozza-Luzi, dans A. Mai, Nova Patrum Bibliotheca, VIII, Rome 1871, p. 59 (Σεργίψ ύπάτω και έξαδέλφω) ; 90, p. 79; 197, p. 171.

17. Ep. II, 149, PG 99, 1464. 18. Ep. I, 4, PG 99, 920 : ce Nicéphore semble être intervenu pour tenter de

rapprocher Théodore de Constantin VI. 19. Théodore Stoudite, Ep. 21, éd. J. Cozza-Luzi, op. cit., p. 19. 20. Voir Catéchèse sur la mort de sa mère, 893A12~13 : τας επισυμβάσας ήμΐν εκ τε

συγγενείας, έκ τε βασιλείας θλίψεις και οδύνας και περιστάσεις; ibidem, 893^4~8 ; Éloge de Platon, 832C8-1<>.

21. Ibidem, 832Λ1011 : και ταϋτα ούσης άφ' αίματος της τη Ήρωδιάδι όμογνώμονος. La Vie Β de Théodore Stoudite, PG 99, 253B, moins précise, confirme simplement que Théodotè est une cousine de Théodore. L'hypothèse selon laquelle Théodotè serait la fille de la sœur de Platon a été faite par J. Pargoire, art. cit. (n. 5), p. 37. Elle nous semble faible dans la mesure où Théodore, dans VÉloge de Platon, 805B5e, a un mot aimable pour sa tante : της μέν έν τω κοινωνικω βίω διαπρεψάσης.

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de Constantinople par Nicéphore22, et l'on doit donc probablement les distinguer du patrice Nicétas, autre parent de Théodore, auquel celui- ci adresse une lettre sans doute vers 80923, ainsi que d'un autre patrice, anonyme cette fois, mais encore un parent du Stoudite24.

On voit pourquoi l'empereur Constantin VI doit s'occuper activement de Platon et de Théodore : il s'agit non seulement de moines influents, mais aussi des membres d'une famille de fonctionnaires bien installée à la ville et à la cour ; en même temps, il s'agit de parents de sa propre femme. Constantin agit en trois temps : tout d'abord, il envoie des émissaires pour tenter de rallier Théodore et Platon ; puis, à l'occasion d'un voyage aux eaux de Brousse, il espère voir lui-même ces moines obstinés; enfin, il use de la force. A la fin de l'hiver, il envoie à Sakkoudion le domestique des Scholes Bardanios et Jean, comte de l'Opsikion, qui, avec la troupe, arrêtent Théodore, Platon et quelques moines, et dispersent les autres25. Ils conduisent leurs prisonniers au monastère de Ta Kathara 2e. Platon sera conduit à Constantinople, tandis que Théodore et ses compagnons sont envoyés, sous bonne escorte, de Ta Kathara à Thessalonique, où ils arrivent le 25 mars 797. Peu après, Théodore écrit la lettre qui nous occupe.

I. — Texte et Traduction

Cette lettre, éditée par Sirmond, est reproduite au t. 99 de la Patrologie grecque de Migne, col. 913-920. Nous ne la reprenons pas en entier : seule, la seconde partie, où Théodore décrit son voyage, nous intéresse ici. Pour donner une assise plus ferme au commentaire topographique qui suit, sans prétendre faire une édition critique27, nous avons collationné trois manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris :

22. Scriptor incertus, Bonn, p. 336. 23. Ep. I, 27, PG 99, 993-7 (plus spécialement 996* : τάχα δια τήν άγχιστείαν). 24. Théodore Stoudite, Ep. 44, éd. J. Cozza-Luzi, op. cit., p. 35 (έμοΰ γαρ ύμεϊς και

δεσπόται και άφ' αίματος). 25. Voir Éloge de Platon, 829BC (durant toute une année, tentatives de l'empereur,

menaces, puis recours à la violence avec l'envoi de «deux stratèges»); Théophane, p. 4702930, donne les noms et les titres des deux personnages ; pour le voyage à Brousse, voir Théophane, p. 4718"9. Voir aussi Vie Β de Théodore Stoudite, PG 99, 253B<: et Vie A, PG 99, 140*.

26. Théodore Stoudite, Éloge de Platon, 829CD; Catéchèse sur la mort de sa mère, 893B-896A.

27. L'édition critique des Lettres de Théodore Stoudite est préparée par M. Fatouros pour le Corpus Fontium Historiae Byzanttnae.

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A Paris, Bibl. nat., gr. 894 papier ; s. 14 ; 300 X 200 mm ; 412 f. ; pleine page, 30 1. ; contenu : œuvres de Théodore Stoudite ; texte : f. 146V-149V; bibl. : H. Omont, Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale, II, Paris 1898, p. 168; F. Halkin, Manuscrits grecs de Paris. Inventaire hagiographique, Bruxelles 1968, p. 85.

Β Paris, Bibl. nat., Coislin 94 papier; s. 15; 293 X 222 mm; 291 f.; 2 col., 32 1. ; contenu : lettres de Théodore Stoudite ; texte : f . 5v-8 ; bibl. : R. Devreesse, Le fonds Coislin, Paris 1945, p. 81-82.

C Paris, Bibl. nat., Coislin 269 parch. ; s. 9-10; 290 X 190 mm ; 457 f. ; pleine page, 30 1. ; contenu : lettres de Théodore Stoudite ; texte : f . 7-8v ; bibl. : R. Devreesse, op. cit., p. 248-249; B.L. Fonkic, Scriptoria bizantini, Rivista di studi bizantini e neoellenici N.S. 17-19, 1980-1982, p. 83-92.

La collation de ces trois manuscrits semble montrer que le texte est peu variant. La liste des étapes, en particulier, reste partout identique et l'orthographe des noms de lieu varie peu. Quelques points secondaires sont à signaler :

— 1. 11, nous avons conservé ήομεν, comme imparfait de είμι ; — 1. 14 άπό τα Καθαρά, assez rude, est commun aux trois

manuscrits ; nous le conservons donc. On notera toutefois que le circonflexe final vient de notre analyse du nom, les manuscrits portant l'accent grave ;

— 1. 44 βορροφόρου και ροιζήδοντος, commun aux trois manuscrits, ne nous a pas paru possible. Nous avons supposé une omission par saut du même au même et rétabli le texte ad sensum.

L'apparat critique comporte toutes les variantes relevées, sauf les différences d'orthographe banales.

Texte

Έπεί δε κελεύεις ίστορήσαί σοι, κατ' έπος, άφ' ής ημέρας ύπέστημεν έκείνην την όδυνηραν διάζευξιν, την τε όδοιπορίαν και τα κατ' αυτήν ήμΐν συμβεβηκότα, ούχ ικανώ, πλην το κελευσθέν μοι ποιήσω άοκνότατα. Κατ'

αυτήν τοιγάρτοι τήν ήμέραν καθ' ην άπήεις συ μέν, ώ πάτερ, τήν έπί 5 θάνατον όδον τη προαιρέσει, και ήμεϊς έστειλάμεθα τήν έξόριστον

όδοιπορίαν έποχηθέντες εφ' οΐς έτυχε ζώοις · και ώς άπείραστοι κατ' αρχάς του τοιούτου δράματος, ήμέν πως εν άθυμία. Προσεβάλλομεν γαρ καί τισι κώμαις θεατριζόμενοι επί πάσης Οψεως καί ηλικίας ανθρώπων, θορύβοις τε καί κραυγαΐς περιηχήθημεν αμφότεροι τα ώτα εν τε τω άπαίρειν καί

Κ) καταπαύειν παρά το τα επιτήδεια συμπορίζεσθαι τους άγοντας · ώς δε

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198 J.-C. CHEYNET ET Β. FLUSIN

ήομεν επί πρόσω, έθισθέντες, ραον μάλλον έφέρομεν τα δυσχερή. Το δε ανιών ήμας πλέον, ή ασθένεια ήν του πατρός του κυρίου διακόνου* και ούτω την όδον άχθόμενοι, περιαντλούμενοι διεπεράναμεν.

Αύται δε αί καταμοναί · άπό τα Καθαρά εις Λιβιανά, έπειτα εις Λεύκας, 15 είθ' ούτως εις το Φύραιον, ένθα και όδυνηρόν ήμΐν συνέβη και ιστορίας

άξιον. Ύπερφανέντες γάρ πως εξ απρόοπτου εννέα τών πρωτευόντων αδελφών ώς πρόβατα διεσπαρμένα, περιέστησαν ήμΐν κλαίοντες και συνθρύπτοντες ημών την καρδίαν. Και ό μεν άγων ήμας ουδέ προλαλήσαι εϊα, ελεεινά δέ βλέποντες και βλεπόμενοι και έπιφθέγματα άλλήλοις

20 έπειπόντες, τελευταΐον μετά δακρύων διεχωρίσθημεν. Είτα καταχθέντες έν τη Παύλα, εύρομεν την πολυπόθητόν σου άδελφήν

συν τω κυρώ Σάβα. Κρυπτώς συνοψισθέντες και δι' όλης νυκτός έν ταύτώ μείναντες, λαλήσαντες τα εικότα και άσπασάμενοι αλλήλους ώς επιθανάτιους, διέστημεν στένοντες και ποτνιώμενοι. ΤΗν ίδεΐν έκεϊ σπαρασσόμενα

25 σπλάγχνα και σφαδάζοντα, θεοπρεπώς νικωμένης της φύσεως. Έκ τώνδε κατεπαύσαμεν έν τω Λουπαδίω φιλοφρόνως συμπαθηθέντες

παρά του ξενοδοχουντος, χρησάμενοί τε και λοετρώ δια τους μώλωπας. Γεγόνασι γαρ καί τίνων δυσίατοι άπό της όδοιπορίας. Και κατήχθημεν εις Τίλιν. Έκεΐ τοίνυν κατέλαβον ήμας δ τε άββας Ζαχαρίας μετά του

30 Πιονιού, έκ θερμής προθέσεως κλαίοντες καί μεθ' ημών αίρούμενοι πορεύεσθαι, καν ουκ είάθησαν.

Άπό τήδε εις Άλκέριζαν · έκ τώνδε εις Άναγεγραμμένους, έπειτα εις Περπερίναν κάκεΐθεν εις το Πάριον κοινωνουντες παρά τών επισκόπων, πλην καί μετά ταπεινώσεως ύπομνήσκοντες ομνύοντας. Είτα εις Όρκόν,

35 εκείθεν εις Λάμψακον, έν ή εύρόντες Ήρακλειώτας προσανεπαυσάμεθα τριήμερον, πλεΐν ού δυνάμενοι. Εΐτα έξορμήσαντες κατεπλεύσαμεν έν τή Άβύδω υπό του έκεϊσε άρχοντος εύσεβώς κατελεηθέντες · καί έπιμείναντες εως του σαββάτου όκταήμερον, άπεπλεύσαμεν εις Έλεοΰντας. Έβδοματι- αΐόν τε χρόνον έπιμείναντες δια το άπλοον, δεξιού ανέμου πνεύσαντος,

40 έπετάσθημεν έν τή Λήμνω έν ένναωρίω. "Ιστησί μου τον λόγον ένταϋθα ή του επισκόπου τών τήδε ευσέβεια. Ώς ούκ ει τις γαρ άλλος καί έδεξιώσατο καί παρηγόρησεν καί έφωδίασεν.

Έκ τών τήδε τοίνυν άποπλεύσαντες έν φόβω δια το παρακείμενον έθνος, άντεπεράσαμεν, βορροφόρου καί ροιζηδόν <τοϋ ανέμου πνέον>τος, έν

45 δωδεκαωρίω, έκατονπεντήκοντα μιλίων ον το πέλαγος, όρμίσαντες έν τω Κανάστρω έν τοις Θεσσαλονίκης όρίοις " έπειτα εις Παλήνην, τα πρόσγεια του κόλπου, εΐτα εις τον "Εμβολον. Έκ τών ένθεν, ζωοις πάλιν έπιβεβηκότες, σαββάτω, ήμερα εορτής του ευαγγελισμού, ώρα τρίτη, είσήχθημεν έν τή πόλει. Καί οϊα ή είσοδος. Ουδέ γαρ τούτο παρελθεΐν

50 αναγκαίο ν. Προπεμφθείς τοίνυν παρά του υπάρχου, τών έξοχων εις μετά

στρατιωτών προσεμενεν έν τή ανατολική πόρτη καί επιστασιν ύπήντησαν όρθιοι δια σιγής. Καί μετά το είσελθεΐν κλείσαντες τάς πύλας, ήγον δια τής αγοράς, προπομπεύοντες έπί τής όψεως τών εις τούτο συνδεδρα-

55 μηκότων, καί άπαγαγόντες είσήγαγον προς τον άρχοντα. Καί ευ γε τώ

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DU MONASTÈRE TA KATHARA À THESSALONIQUE 199

άνδρί. Ευμενές γαρ πρόσωπον δείξας, μετά το πεσεΐν, χρηστά έφθέγξατο ήμΐν, παρέπεμψε τε προς τον άρχιεπίσκοπον. Πρώτον προσευξαμένους έν τη 'Αγία Σοφία και έν τω εύκτηρίω τω παρ' αύτοΰ, ποιήσας εύχήν ό άγιώτατος, έδέξατο και κατησπάσατο ημάς, όμιλήσας ήμΐν τα δέοντα και

60 πάραυτα κρατήσας και άναπαύσας δια τε λοετροΰ και βρωμάτων. Τη δευτέρα πρωίθεν ήραν ήμας και δι' αιτήσεως ποιήσαντες εΰξασθαι

εις τον "Αγιον Δημήτριον, διεχώρησαν πάντας άπ' αλλήλων, προπεποιη- κότας εύχήν και άσπασαμένους αλλήλους. Τους δύο δέ ήμας αδελφούς άναγαγόντες έπί τον έν ω είμι νυνί τόπον, διέζευξαν δακρυρρόως

65 καταφιλήσαντας αλλήλους, ώς καί τινας των θεωμένων ταραχθήναι τη συμπάθεια.

Ούτως τα καθ' ήμας έχει, ώ πάτερ · καί νυν είμι έγώ ό ταπεινός ένταΰθα, βίον έλκων όδυνηρόν καί πολυστένακτον.

1 καθέπως C 3 ούκ C 4 «πιεις C 7 ήμεν πώς C 11 ήομεν (ο in rasura) A : ίομεν BC II ήθισθέντες BC 13 άχθούμενοι C 14 καθαρά ABC 16 άπόπτου C 21 παϋλα C 22 καί om. A 27 λουετρώ C 29 καταλαβών C 32 αναγραμμένους C 34 ύπομινμνήσκοντες (μι supra lin. Β) AB post coir. || όρκόν G 35 ήρακλειότας C 36 έξορμήσαντες A ante corr. C : έξορμίσαντες A post corr. Β 40 λίμνω C 42 έφοδίασεν C 44 ρΌιζηδόν τοϋ ανέμου πνέοντος nos : ροιζήδοντος Α ροιζήδωντος Β ρυζήδοντος C 45 ώρμήσαντες C 46 παλίνην C 47 κόλφου C 60 λουετροϋ C 64 τόπω C || δακρυρόως (ο supra lin.) C δακρυρώς A

Traduction

Puisque vous nous ordonnez de vous raconter exactement la route que nous avons faite depuis le jour où nous avons subi cette triste séparation, et les incidents survenus chemin faisant, bien que je n'en sois pas capable, j'exécuterai cependant sans aucun retard ce qui m'est ordonné. Et donc, le jour même, Père, où vous preniez volontairement la route qui pouvait vous conduire à la mort, nous aussi, montés sur des bêtes de fortune, nous fûmes envoyés sur la route de l'exil. Et au début, comme nous n'avions pas l'expérience d'une telle situation, nous étions quelque peu découragés. En effet, nous entrions dans des villages où nous étions donnés en spectacle aux gens de toute mine et de tout âge ; nous avions les uns et les autres les oreilles assourdies par les vacarmes et les cris quand nous partions aussi bien que quand nous nous arrêtions pour permettre à l'escorte qui nous conduisait de se procurer ce qu'il fallait. Mais à mesure que nous avancions, nous nous accoutumions et nous supportions plus facilement ces inconvénients. Ce qui nous chagrinait le plus, c'était la maladie de notre Père messire le diacre. C'est ainsi que nous parcourûmes jusqu'à son terme notre route, accablés et submergés.

Voici les étapes : de Ta Kathara à Libiana, ensuite à Leukai, puis à Phyraion, où il nous arriva quelque chose de triste, qui vaut d'être conté. Neuf des principaux frères, apparus à l'improviste, comme des brebis dispersées, nous entourèrent en pleurant, nous brisant le cœur. Celui qui nous convoyait ne nous permettant pas de nous entretenir, après nous être lancé les uns aux autres des regards lamentables, après nous être crié quelques mots, à la fin, nous nous séparâmes en pleurant.

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200 J.-C. CHEYNET ET Β. FLUSIN

Puis, quand nous eûmes été conduits à Paula, nous trouvâmes là votre sœur très aimée avec messire Sabas. Nous nous vîmes secrètement, restâmes ensemble toute la nuit, puis, après avoir dit ce qui était de circonstance, après nous être embrassés comme des gens qui vont à la mort, nous nous séparâmes en gémissant et en implorant Dieu. Là, on put voir des entrailles déchirées et palpitantes, tandis que la nature était magnifiquement vaincue.

Partant de là, nous fîmes étape à Lopadion, où le directeur de l'hôtellerie nous témoigna sympathie et bienveillance, et où nous prîmes un bain, à cause de nos meurtrissures : chez certains d'entre nous, elles étaient devenues graves, à cause de la route. Nous fûmes conduits à Tilin. Là, abbâ Zacharie, avec Pionios, nous rejoignit; dans la chaleur de leur zèle, ils pleuraient, et voulaient faire route avec nous. Mais on ne leur permit pas.

De là, à Alkériza, et de là aux Anagégramménoi, ensuite à Perpérina, après quoi à Parion où nous communiâmes avec les évêques ; mais, humblement, nous leur rappelâmes qu'ils avaient juré. Ensuite, à Horkos ; de là à Lampsaque, où nous trouvâmes des gens d'Héraclée, et où nous nous arrêtâmes trois jours, ne pouvant naviguer. Puis nous prîmes la mer et nous accostâmes à Abydos, où le gouverneur, pieusement, nous prit en pitié. Nous y restâmes huit jours jusqu'au samedi, puis nous fîmes voile jusqu'à Éléountés. Nous y restâmes sept jours parce qu'on ne pouvait naviguer, puis, un vent favorable s'étant mis à souffler, nous volâmes à Lemnos en neuf heures. Ici, la piété de l'évêque de l'endroit arrête mon discours. Plus que tout autre, en effet, il nous reçut, nous réconforta et nous donna ce qu'il fallait pour le voyage.

Partis de là, nous fîmes voile, en grande crainte parce que des Barbares se trouvaient par là, et nous traversâmes, tandis que le vent du nord soufflait avec impétuosité, en douze heures seulement, alors qu'il y avait cent cinquante milles de mer, et nous mouillâmes à Kanastron, sur le territoire de Thessalonique, puis à Palènè, en bordure du golfe ; ensuite, à Embolos. Partis de là, nous montâmes à nouveau sur des bêtes, et le samedi, jour de la fête de l'Annonciation, à la troisième heure, nous entrâmes en ville. Quelle entrée ! On ne peut pas non plus passer cela sous silence.

Envoyé par l'éparque, un dignitaire, avec des soldats, nous attendait à la porte orientale. A notre arrivée, ils nous accueillirent tout droits, en silence. Quand nous fûmes entrés, ils fermèrent les portes, puis nous conduisirent à travers l'agora, nous menant en cortège au vu de ceux qui étaient accourus précisément pour cela. Ils nous emmenèrent et nous conduisirent devant le gouverneur. Béni soit cet homme! Il nous fit bonne figure, en effet, et, après s'être prosterné, il nous adressa de bonnes paroles, puis nous fit conduire chez l'archevêque. Après que nous eûmes fait oraison à sainte Sophie et dans l'oratoire de chez lui, le très saint évêque, ayant prié, nous accueillit et nous embrassa, en nous disant les paroles qu'il fallait; aussitôt, il nous retint et nous permit de nous restaurer en prenant un bain et de la nourriture.

Le lundi, au matin, on vint nous chercher; puis, après nous avoir laissé, sur notre demande, faire oraison à saint Démétrius, on nous sépara les uns des autres, après que nous eûmes prié et que nous nous fûmes embrassés. Ils me conduisirent avec un frère dans le lieu où je suis maintenant et nous séparèrent, après que nous nous fûmes embrassés l'un l'autre en pleurant, si bien que certains de ceux qui nous voyaient furent émus de sympathie.

Voilà ce qu'il en est de nous, Père. Et maintenant, je suis là, moi, le malheureux, menant une vie triste et lamentable.

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DU MONASTÈRE TA KATHARA À THESSALONIQUE 201

II. — L'itinéraire

Cette lettre présente bien l'aspect d'un rapport, non seulement en raison de sa précision topographique, mais aussi par le soin que Théodore prend de noter l'attitude de tous ceux qu'il a rencontrés au cours de sa route, y compris les gens d'Église. Recueillent ainsi une opinion favorable l'abbâ Zacharie, le xénodochos de Lopadion, l'archonte d'Abydos puis l'évêque de Lemnos, avec une mention spéciale pour avoir consolé comme personne d'autre Théodore, et enfin les autorités de Thessalonique, le préfet et l'archevêque. Au contraire, les cris hostiles des habitants des villages sont mal supportés et le comportement des évêques à Parion, avec qui cependant Théodore communia, est discrètement critiqué parce qu'ils avaient oublié les promesses faites — sous-entendu celles de ne pas accepter le mariage adultère de Constantin VI. On observera que l'attitude de la population et des officiels est de plus en plus favorable aux exilés au fur et à mesure qu'ils vont vers l'Occident; l'accueil de l'éparque à Thessalonique, du moins en privé, est celui d'hôtes de marque envers qui il manifeste un grand respect.

La même exactitude se retrouve dans la désignation des personnages officiels rencontrés, à Lopadion le xénodochos28, à Thessalonique l'éparque29 et l'archevêque30; à Abydos le personnage désigné comme archonte n'est pas nécessairement le fonctionnaire de ce nom, car le terme archonte peut s'appliquer à n'importe quel détenteur d'une autorité, notamment au comte de cette ville31. Le voyage de Théodore fournit également de précieux renseignements sur les conditions de voyage au 8e siècle.

28. Il s'agit d'un personnage officiel chargé d'accueillir dans son hôtellerie notamment les personnages de l'État; il dépend de la sacelle; cf. N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des ixe et xe siècles, Paris 1972, p. 315 (cité désormais Oikonomidès, Listes).

29. L'éparque de Thessalonique n'appartenait pas à la catégorie des éparques de thèmes, personnages subalternes (Oikonomidès, Listes, p. 343), mais était l'héritier de l'ancien éparque de l'Illyricum et il avait conservé son autorité sur la ville de Thessalonique; il semble disparaître au cours du 9e siècle, car il n'est pas mentionné dans le taktikon Uspenskij. Sur ce fonctionnaire, voir, en dernier lieu, Angéliki Konstantakopoulou, L'éparque de Thessalonique : les origines d'une institution administrative (vme-ixe siècles), Cinquième Congrès international des Études du Sud-Est Européen, Belgrade 1984, p. 157-162.

30. La métropole de Thessalonique fut rattachée au patriarcat de Constantinople dans la première moitié du 7e siècle, mais le métropolite conserva longtemps son ancien titre d'archevêque jusqu'au 12e siècle sur ses sceaux (V. Laurent, Le Corpus des sceaux de l'Empire byzantin, V, 1, Paris 1963, p. 324-325).

31. Dans sa lettre, Théodore appelle archonte l'éparque de Thessalonique, mais à Abydos le doute est permis, puisque et le comte et l'archonte sont attestés, mais la rareté des mentions de ce dernier laisse penser que Théodore a utilisé le terme dans son acception plus générale; cf. Oikonomidès, I^istes, p. 343 n. 317.

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1. Les étapes et la chronologie

Le point le plus sûr de la chronologie est la date d'arrivée de Théodore à Thessalonique : le jour de l'Annonciation, le samedi 25 mars 797. Le texte fournit la durée du transport par mer, le fait que les voyageurs firent route vers Éléountés un samedi, qu'ils durent attendre à plusieurs reprises des conditions de navigation favorables : trois jours à Lampsaque, huit jours à Abydos, une semaine à Éléountés. Tout le reste est conjecture ; on supposera ainsi que la rencontre avec le groupe d'évêques à Parion a eu lieu un dimanche, sans doute à l'occasion d'une fête, sinon on ne voit pas bien pourquoi plusieurs évêques se seraient réunis dans cette ville, siège d'un archevêché32. Nous supposons aussi que les étapes terrestres jusqu'à Lampsaque se déroulèrent sans interruption33. En tenant compte de ces hypothèses, la chronologie s'établirait ainsi :

Étape date (j. d'arrivée) mode de transport Kathara 16/2/797 par voie de terre Libiana 17/2 — Leukai 18/2 — Phyraion 19/2 — Paula 20/2 — Lopadion 21/2 — Tilin 22/2 — Alkériza 23/2 — Anagégramménoi 24/2 — Perpérina 25/2 — Parion 26/2 — Horkos 27/2 — Lampsaque 28/2 par bateau Abydos 3/3 — Éléountés 11/3 (samedi) (neuf heures) Lemnos 20/3 (douze heures) Kanastron 22/3 — Palènè 23/3 — Embolos 24/3 — Thessalonique 25/3 (samedi) par voie de terre

32. Rappelons qu'un archevêché ne dispose pas d'évêché suffragant. 33. La rencontre avec Théoktistè s'était accomplie de nuit, en cachette, après une

poursuite difficile, ce qui invite à penser que Théodore et son escorte s'arrêtaient de nuit sans séjourner durablement dans le même lieu.

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1. Ta

Kathara

2. Libiana

3. Leukai 4. Phyraion

5. Paula 6. Lopadion

7. Tilin 8. Alkériza 9.

Anagégram

menoi

10. Perpérina 11. Parion

12. Horkos 13. Lam

psaque 14. Abydos 15.

Éléountés 16. Lem

nos 17. Kanastron 18. Palènè 19. Em

bolos 20. Thessalonique

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204 J.-C. CHEYNET ET Β. FLUSIN

Le transfert de Théodore et de ses compagnons a donc commencé en plein hiver, ce qui justifie leurs plaintes. La durée du voyage, plus d'un mois, en dépit de la volonté évidente de l'escorte d'atteindre au plus vite Thessalonique, illustre les difficultés des déplacements médiévaux. Les gardes qui accompagnaient Théodore n'avaient pourtant pas hésité à braver la mer Egée en hiver — la traversée de Lemnos à Kanastron fut hasardeuse en raison de la violence des vents — ou la menace d'une attaque ennemie. Il ne s'agissait sûrement pas des Bulgares qui, depuis leur victoire de 792 à Markellai, dominaient les Balkans, mais ne disposaient pas d'une flotte. En cette période les Arabes étaient les seuls adversaires maritimes de l'Empire; aucune attaque d'envergure n'a été enregistrée en 797, à laquelle notre lettre eût pu faire allusion, mais sévissait une guerre de course permanente.

Grâce à l'exactitude du rapport de Théodore, nous pouvons calculer la longueur moyenne des étapes terrestres. Les voyageurs ont mis deux jours pour franchir la distance un peu supérieure à quarante kilomètres qui sépare Parion de Lampsaque, c'est-à-dire qu'ils ont parcouru entre vingt et vingt-cinq kilomètres par jour34. Ce chiffre trouve sa confirmation dans les cinq étapes nécessaires pour atteindre Parion distant d'environ cent vingt kilomètres de Lopadion. On voit la supériorité de la navigation sur le transport terrestre, puisqu'il suffit de neuf heures pour passer de l'entrée des Dardanelles à Lemnos (on peut estimer la distance à environ quatre-vingts ou quatre-vingt- dix kilomètres) et douze heures pour effectuer le trajet de cette île à la presqu'île de Kassandra (selon Théodore, cent cinquante milles, c'est- à-dire deux cent trente kilomètres environ35, en réalité un peu moins36) dans des conditions exceptionnellement favorables il est vrai.

34. Apparemment, le petit groupe de Théodore ne marchait pas plus vite qu'une armée en campagne, pour laquelle une étape de seize milles (environ vingt-quatre kilomètres) était considérée comme importante (Traité sur la guérilla, édition et traduction G. Dagron et H. Mihäescu, Paris 1986, p. 79).

35. Pour l'estimation du mille, cf. E. Schilbach, Byzantinische Metrologie, Munich 1970, tableau p. 266-267 : un mille = 1 574 m.

36. A moins d'un écart dû au vent, la route est plus courte, comprise entre cent cinquante et cent quatre-vingts kilomètres au plus ; l'imprécision de nos estimations vient aussi de ce que nous ne connaissons pas l'emplacement du port de Lemnos où débarque Théodore, Myrina, le port actuel dominé par une forteresse vénitienne, site d'une ville antique, ou Moudros, bien abrité au fond d'une baie.

37. Un navire de commerce romain parcourait 150 km par jour dans des conditions normales de navigation, et 190 par vent favorable : J. Rougé, Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée sous l'Empire romain, Paris 1966, p. 100. Au 7e siècle, la flotte militaire des Karabisianoi, poussée par un vent de poupe, accomplit le trajet de l'île de Skiathos à Thessalonique, de la nuit d'un lundi à la septième heure du mercredi suivant; elle était donc plus lente qu'un navire isolé, puisque la distance de Skiathos à Thessalonique n'est pas de beaucoup supérieure à celle de Lemnos vers cette même ville (P. Lemerle, Les plus anciens recueils des miracles de saint Démétrius. II. Commentaire, Paris 1981, p. 157).

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DU MONASTÈRE TA KATHARA À THESSALONIQUE 205

Une journée de navigation leur avait suffi pour accomplir un parcours équivalent à une semaine de marche.

La route maritime de Lampsaque à Thessalonique par Lemnos est traditionnelle. A l'époque romaine, elle constituait déjà un des axes Est-Ouest de la navigation en mer Egée38. A la fin du 10e siècle, elle est encore empruntée, semble-t-il, par des ambassadeurs serbes se rendant à Constantinople et capturés par des pirates près de Lemnos39. Il reste à expliquer la mention de gens d'Héraclée à Lampsaque. On supposera que l'Héraclée en question était celle de Thrace et que Théodore a rencontré des marins originaires de cette ville qui conduisaient leur bateau dans la partie Nord de la mer Egée. Le phénomène devait être assez fréquent, car Théodore ne jugea pas nécessaire d'expliquer davantage à Platon la raison de leur présence dans le détroit.

2. Ta Kathara

II importe de situer avec quelque précision le point de départ de l'itinéraire, Ta Kathara, car cela affecte nécessairement la situation de Sakkoudion qui en est proche.

Ta Kathara est attesté à plusieurs reprises dans les sources ; Janin a rassemblé tout ce que nous savons dans sa notice sur ce monastère40. Selon le Synaxaire de Constantinople, il était situé dans le thème de l'Opsikion; cette information est doublement confirmée : la présence du comte de l'Opsikion lors de l'arrestation de Théodore Stoudite s'explique par le principe de la compétence territoriale ; c'est pour la même raison qu'au 11e siècle Psellos, alors charisticaire de Ta Kathara, traita avec le juge de l'Opsikion à propos de son couvent.

Il reste à déterminer dans quelle partie de l'Opsikion situer Ta Kathara. Si on considère que Ta Kathara est à cinq étapes de Lopadion, ville elle-même distante de cinq jours de marche de Parion, on peut estimer que le monastère est à rechercher à l'Ouest dans l'arc d'un cercle qui aurait pour centre Lopadion et un rayon de cent à cent vingt kilomètres, ce qui oblige à le placer au-delà de Brousse, sauf à supposer que Théodore et ses gardiens aient suivi une route sinueuse,

38. J. Rougé, op. cit., carte p. 88-89. 39. G. Ostrogorsky, Une ambassade serbe auprès de l'empereur Basile II, Byz. 19,

1949, p. 187-194. 40. R. Janin, Les églises et les monastères des grands centres byzantins, Paris 1975,

p. 158-159 (cité désormais Janin, Monastères, II); l'auteur s'appuie sur les travaux antérieurs de Honigmann et D. Stiernon (D. Stiernon : Notice sur S. Jean higoumène de Kathara, BEB 28, 1970, p. 111-117; E. Honigmann, Géographica : l'Histoire ecclésiastique de Jean d'Éphèse, Byz. 14, 1934, p. 615-625).

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alors que, nous le savons, ce ne fut pas le cas après l'étape de Lopadion.

Deux autres textes, déjà remarqués par Janin et ses prédécesseurs, permettent, nous semble-t-il, de préciser davantage la localisation de Ta Kathara. Vers 609, Théodore de Sykéôn, venant de Dorylée, prit la route de Constantinople et fut reçu par un autre Théodore, habitant de Pylai, qui sortit de la ville à la rencontre du saint, le joignant au monastère de la Vierge de Kathara. Janin en conclut avec prudence que cette rencontre a pu se produire « bien avant la localité de Pylai», donc entre cette ville et Nicée. En fait l'action de Théodore de Pylai, destinée à honorer le saint, s'apparente aux entrées impériales, lorsque les habitants d'une ville venaient en cortège accueillir l'empereur, quelques milliers de pas avant les portes de leur ville. Théodore ne fit sans doute que quelques kilomètres avant de rencontrer le saint son homonyne, ce qui invite à placer Ta Kathara dans la banlieue de Pylai.

Jean d'Éphèse, dans son Histoire Ecclésiastique, rapporte, dans un premier passage, que le monastère de Ta Kathara fut fondé en Bithynie par Narsès, alors chartulaire, qui introduisit des moines cappadociens ; puis l'auteur, dans un second passage qu'il ne relie pas au précédent, nous apprend que des moines cappadociens, persécutés et chassés de leur couvent, atteignirent un emplacement propice à la construction d'un monastère en un lieu au Sud de Constantinople, proche de thermes, appelé PTY (c'est-à-dire à coup sûr Pythia). Le terrain leur fut acheté par un cubiculaire. Honigmann a déjà rapproché ces deux passages pour montrer que le cubiculaire n'était autre que Narsès et que le couvent de Ta Kathara était donc situé aux thermes de Pythia, raisonnement que nous croyons juste.

On sera plus sceptique à l'égard du rapprochement fait par Stiernon entre le nom donné au couvent dans le second passage de Jean d'Éphèse, QRDWNY'N, qui serait la transcription de Kerdônianôn, donc de disciples de Kerdôn, c'est-à-dire des cathares, avec le nom de Kathara. En effet, l'origine de ce dernier nom provient apparemment d'un anthroponyme Katharas et le couvent, d'après les meilleurs manuscrits, s'appelait Ta Kathara et non Oi Katharoi.

Quoi qu'il en soit, nous pensons que toutes ces informations — la distance entre Lopadion et Ta Kathara, la rencontre des deux Théodore, et le texte de Jean d'Éphèse — convergent pour placer Ta Kathara près des thermes de Pythia (qui sont effectivement à dix kilomètres de Pylai).

Une inscription au nom de Zôsime, higoumène de Ta Kathara, a été découverte à Orhanghazi, l'ancienne Basilinoupolis41. Janin

41. Dernière édition, Th. Corsten, Die Inschriften von Kios, Bonn 1985, p. 168,

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considérait qu'elle était de type funéraire et, à moins de supposer qu'elle avait voyagé, il fallait admettre que le monastère était situé à Basilinoupolis, puisqu'il était traditionnel qu'un higoumène fût inhumé dans son monastère. En fait le texte de l'inscription42 indique clairement son caractère votif et invite à penser que Ta Kathara disposait d'un établissement, un métoque, à Basilinoupolis, ce qui serait justifié si le monastère possédait des biens près du lac de Nicée dont il était séparé, selon nous, par la chaîne de l'Arganthônios.

Le choix de Ta Kathara pour enfermer Platon, Théodore et leurs compagnons s'explique d'autant mieux que l'higoumène du monastère, à cette date, n'était autre que Joseph, le prêtre qui avait marié Constantin VI et Théodotè. L'empereur était assuré d'une stricte surveillance des prisonniers, et de plus la proximité de Constantinople par voie maritime a facilité le transfert de Platon dans la prison d'Échékolla, au Palais impérial.

3. Sakkoudion

La localisation du monastère de Sakkoudion doit prendre en compte trois éléments. Lorsque Phôtéinos et ses fils, dont Théodore, se dirigèrent vers Sakkoudion, ils passèrent par Boskytion qui était situé avant Katabolos, mais très proche (προσεχής) de leur destination, et de fait ce domaine fut inclus dans le territoire du nouveau couvent44.

Le site de Sakkoudion est décrit dans deux versions de la Vie de Théodore Stoudite (B et C), sans précision d'ordre géographique, mais

n° 117. Basilinoupolis doit être distinguée de Basileia, camp retranché (kastellion) attesté en 1080 et situé près de Nicée sur la rive nord du lac, puisque l'armée byzantine, faisant retraite sous les ordres de Georges Paléologue depuis Nicée vers Basileia, avait son aile gauche protégée par le lac {Nicephori Bryennii historiarum libri quattuor, éd. P. Gautier, Bruxelles 1975, p. 303, 306). Les troupes, quittant Basileia, rejoignirent Hélénoupolis (actuellement Hersek) et franchirent l'Arganthônios. Quelques années plus tard, les troupes byzantines de Tatikios menacèrent Nicée à partir de Basileia, puis firent retraite par la même route que précédemment vers Prénétos (Anne Comnène, Alexiade, éd. B. Leib, Paris 19672, II, p. 68). Bryennios situe Basileia à quarante stades de Nicée (un stade vaut environ 200 m : cf. Schilbach, op. cit., p. 33), Anne Comnène à douze seulement. Nous ne pouvons dire si le Basileia du 11e siècle a un rapport avec le lieu-dit Basileis où Platon se réfugia dans un fourré pour quitter ses habits laïcs, alors que, venant de Constantinople, il se dirigeait vers son maître spirituel Théoctiste à Symbolai. Si Platon a quitté la capitale par voie maritime, il aura débarqué à Pylai et n'aura eu nul besoin de venir si près de Nicée ; s'il est venu par la route terrestre et par Nicomédie, alors il peut être passé par Nicée.

42. 'Τπέρ ευχής και σωτηρίας Ζωσίμου ηγουμένου μονής των Καθαρά. 43. Théophane, p. 4702729. 44. PG 99, Vie Α, 121. On notera toutefois que la Vie B, source de la Vie A, ne

fournit pas le nom de Boskytion et dit seulement que Sakkoudion appartenait à la famille de Théodore.

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avec des remarques topographiques qui permettent d'éliminer plusieurs zones auxquelles certains historiens avaient pensé : le monastère était situé à l'intérieur d'un cercle de collines qui s'ouvrait par une percée au Nord, en sorte que les moines ne pouvaient voir que le ciel et la mer.

Enfin Sakkoudion ne saurait être très éloigné de Ta Kathara, puisqu'en venant de Sakkoudion, Théoktistè, mère de Théodore, put y rejoindre une première fois, subrepticement, de nuit, son fils emprisonné. L'auteur de l'éloge de Théoktistè insiste sur son courage qui lui permit de franchir une montagne45. Elle réussit à le rencontrer une seconde fois et l'atteignit lors d'une halte en pleine campagne, alors que Théodore avec ses compagnons avaient fait demi-tour (παλινστροφήσαντες) venant de Ta Kathara et qu'ils prenaient leur route d'exil ; par la lettre de Théodore nous savons qu'il s'agit du village de Paula, à une journée de marche de Lopadion. Sakkoudion était nécessairement proche de la route qui menait de Ta Kathara à Lopadion.

La région de Katabolos, assez bien connue, était comprise entre Kios et Moundanya (Myrlaia) ; Boskytion et par conséquent Sakkoudion seraient donc à l'Est ou au Nord de Kios, puisque cette ville était la première qu'on rencontrait en venant de Constantinople par la route de Pylai. Il ne faut donc pas chercher Sakkoudion sur les pentes de l'Olympe, contrairement à l'opinion de De Menthon, mais beaucoup plus au Nord, comme le pensait Janin, mais pas dans le Katabolos46. Le fait qu'on ne voyait du couvent que le ciel et la terre permet de préciser cette localisation. En effet, si les moines avaient résidé sur la ligne de collines proches du rivage entre Kios et Myrlaia, ils auraient aperçu la côte opposée du golfe de Kios. Si Sakkoudion était situé plus au Nord, près de la côte, à l'Ouest de Pythia, dans les contreforts Nord de la chaîne de l'Arganthônios, alors le rivage opposé (la rive Nord du golfe de Nicomédie) est trop éloigné pour être entrevu.

Une telle localisation ne rencontre, dans l'état actuel de nos connaissances, aucune objection : la région est propice à l'établissement d'un monastère47; aujourd'hui encore, elle est boisée et assez

45. PG 99, 893. 46. Janin (Monastères, II, p. 182) estime que Sakkoudion est à l'Ouest de Kios, à

l'intérieur même du Katabolos; or le texte de la Vie A dit clairement que Boskytion était situé avant le Katabolos.

47. Ibidem, p. 96-97. La région comprise entre Katirli et Armutlu, c'est-à-dire le Nord-Ouest de l'Arganthônios, conservait à la fin du 19e siècle des vestiges des monuments chrétiens, assurément d'époque byzantine. Des fouilles seraient nécessaires pour établir une datation précise.

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difficile d'accès, tout en restant, par bateau, très proche de la capitale. L'allusion à la montagne que Théoktistè franchit avec de grandes difficultés n'implique pas qu'il s'agissait de l'Arganthônios ; le passage d'un contrefort de cette chaîne qui s'étend jusqu'au rivage constituait déjà un mémorable exploit. Sans doute les biographes officiels affirment que Théodore alla «dans les abords de l'Olympe», mais apparemment les Constantinopolitains considéraient que les monastères situés au Sud de la Marmara se rattachaient à l'Olympe de Bithynie, même s'ils étaient en fait fort distants de la montagne elle-même48.

4. Les autres étapes

La route entre Kathara et Lopadion ne comporte que des étapes inconnues de nous, ce qui ne doit pas nous surprendre, puisque les gardiens de Théodore évitèrent les centres les plus importants et firent se reposer les moines dans des kômai*9, c'est-à-dire des villages. D'après la carte de Bithynie établie par W. Ramsay, les voyageurs avaient le choix entre deux routes pour gagner Lopadion, l'une passant par la côte, l'autre par Brousse. Nous pensons qu'ils ont renoncé à cette route et choisi le premier itinéraire ; Libiana serait donc à rechercher de l'autre côté de l'Arganthônios, à proximité de Kios, Leukai au-delà de cette ville, en bordure de mer, ainsi que Phyraion, Paula étant située sur la route menant de la côte vers Lopadion, à une vingtaine de kilomètres de cette dernière.

L'itinéraire vers l'Ouest ne pouvait guère éviter Lopadion ; la cité possédait du reste un xénodochion public, destiné à l'accueil des voyageurs, y compris les fonctionnaires et les soldats50.

En partant de Lopadion, les moines et leur escorte gagnèrent Parion, évêché dont la situation littorale est connue, et reprirent donc à peu près sûrement une route côtière, ce qui signifie qu'il faut rechercher Tilin à mi-chemin entre Lopadion et Cyzique, Alkériza un peu à l'Ouest de cette dernière, Anagégramménoi près de la rivière Aisèpos, et Perpérina à proximité de la cité de Baris.

Horkos, située à mi-chemin entre Parion et Lampsaque, est attestée à deux reprises beaucoup plus tard au 13e siècle sous le nom

48. Un higoumène de Saint-Aberkios (l'actuel Kursunlu), situé en bord de mer dans le Katabolos, était archimandrite de l'Olympe; cf. en dernier lieu C. Mango, The Monastery of St. Abercius at Kursunlu (Elegmi) in Bithynia, DOP 22, 1968, p. 170.

49. PG 99, 916; Paula est appelé un χωρι,ατικον κατάλυμα (ibidem, 896). 50. Les xénodochoi de Lopadion sont parmi les fonctionnaires de ce type ceux qui

ont laissé les plus nombreux sceaux; voir, par exemple, G. Zacos- A. Vf.glery, Byzantine lead seals, Berne 1972, η™ 1779, 1938, 2495.

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de Holkos, nom plus adapté à un petit mouillage. L'empereur Jean III Batatzès, prenant l'offensive contre les Latins établis en Asie Mineure, marcha vers l'Ouest et, ayant décidé de les combattre en Propontide, construisit des trirèmes établies «près de l'Helles- pont», au port d'Holkos51. Quelques années plus tard, vers 1230, Jean de Brienne, destiné à devenir l'empereur latin de Constantinople, s'empara de Lampsaque puis remonta le détroit en direction de Pégai et fit entrer ses armées au lieu dit Holkos52. L'emplacement d'Holkos se confond bien avec celui d'Horkos.

Éléountés doit être recherché au Sud de Lampsaque, lorsque le détroit des Dardanelles fait place à la mer Egée, puisqu'il s'agit du port d'embarquement pour Lemnos. Or la ville antique d'Éléonte était située sur la côte thrace, à la sortie du détroit, pour qui venait de la Propontide53; Justinien, profitant d'un site favorable, y établit une forteresse54. La lettre de Théodore nous fournirait donc la dernière mention de cette localité.

L'identification des autres toponymes ne fait pas difficulté. Théodore débarqua en Europe à Kanastron «sur le territoire de Thessalonique»55. De fait, Kanastron est le nom ancien, apparemment encore en usage au 8e siècle, et repris parfois de nos jours pour désigner le cap Paliouri56; Palènè57, la Kassandreia médiévale, est l'actuelle Néa Potidée ; enfin Embolos ne désigne pas le port de Thessalonique, puisqu'il faut, à partir de là, gagner cette ville à dos de bête de somme, mais un port qui n'est pas attesté avant le 8e siècle58.

Enfin, dans Thessalonique, nous pouvons suivre l'itinéraire de Théodore. Il est entré par la porte orientale, celle de Kassandra, ce qui est logique puisqu'il venait d'Embolos, il a ensuite emprunté le Léophoros, la rue principale de la ville, en traversant un marché

51. Georgii Acropolitae opera, I, éd. Heisenberg, Leipzig 1903, p. 36. 52. Ibidem, p. 47. 53. RE, s.v. Elaious 5. 54. Procope, Aed. IV, 10, 3 et 26. Nous remercions vivement Denis Feissel qui nous

a fourni les informations concernant Éléonte. 55. L'expression έν τοις Θεσσαλονίκης όρίοις rappelle la manière dont les auteurs

antiques désignaient les limites d'une cité. Théodore exprime ainsi le changement de circonscription administrative.

56. Strabon, éd. et trad. H. L. Jones, Cambridge (Mass.)- Londres 1957, VII, 25, 31, 32.

57. Dans l'Antiquité, Palènè désignait toute la péninsule de Kassandra : ibidem, VII, 25, 27.

58. J. Lefort, Villages de Macédoine, Paris 1982, p. 60.

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DU MONASTÈRE TA KATHARA À THESSALONIQUE 211

(agora) qui n'est probablement pas identique à l'agora antique59, pour être présenté à l'éparque, et enfin il se rendit à Sainte-Sophie, l'église métropole60, prier en compagnie de l'archevêque.

Jean-Claude Cheynet Bernard Flusin C.N.R.S.-URA 186 Université Paris IV -Sorbonne

59. Sur la topographie de Thessalonique évoquée par la lettre de Théodore, voir J. M. Sptesfr, Thessalonique et ses monuments du ive au vie siècle. Contribution à l'étude d'une ville paléochrétienne, Paris 1984, p. 85-86. Le lieu d'exil à proprement parler n'est pas connu.

60. Notre texte offre la première mention de Sainte-Sophie; cf. Janin, Monastères, II. p. 406-411.