Fiction - Erudit
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Nuit blanche
Fiction
Numéro 85, hiver 2001–2002
URI : https://id.erudit.org/iderudit/20618ac
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Éditeur(s)Nuit blanche, le magazine du livre
ISSN0823-2490 (imprimé)1923-3191 (numérique)
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Citer ce compte rendu(2001). Compte rendu de [Fiction]. Nuit blanche, (85), 8–25.
COMMENTAIRES
F i c T i o N
Jean-Pierre Milovanoff NOIR DEVANT
Seghers, Paris, 2001, 92 p. ; 24,95 $
Par les temps douloureux que nous traversons, il ne faut pas s'étonner que la poésie retrouve parfois le chemin du social. Dans Noir devant, Jean-Pierre Milovanoff, poète français d'origine russe, se laisse entraîner à travers diverses formes poétiques à dire ce qui se passe de plus sombre en ce monde contemporain. De la forme brève à l'épopée, son écriture est sensible au réel, à la plainte qui monte de l'expérience vitale, aux petits riens comme aux grandes causes. D'un rythme régulier, sa poésie, parfois grave, parfois ironique ou même tendre, interroge « La pierre du temps » et se met à l'écoute de ce que racontent « Les chamans », « Quand débordent les fleuves rouges », les paysages intérieurs, la nature et ses tumultes. Il écrit : « Aux deux bouts de la Création, / celui qui rédige et celui qui brûle le livre, / celui qui dresse la stèle et celui qui la renverse. / Celui qui crie la Vérité et celui qui ne l'entend pas, / ne sont qu'une seule personne. »
Noir devant, un livre de sagesse ? Certainement pas, mais un livre d'urgences, de failles qui cherchent « la tête haute », du sens à travers les légendes et les objets du quotidien. Des mots comme des « fleurs », des répétitions comme une mémoire qui s'y obstinent à chanter la « Ballade du combat toujours à reprendre ». La poésie de Jean-Pierre Milovanoff, qui est également dramaturge (Cinquante mille nuits
d'amour, Julliard, 1994) et romancier (Auréline, Grasset, 2000), a du souffle, elle se déploie avec une certaine intemporalité, entre le monde à observer et celui à changer. « Quelque pli nouveau de la langue / arriverait à bon port ? » demande le poète, « ici, là-bas, ailleurs, partout. »
Claude Beausoleil
Amélie Nothomb COSMÉTIQUE DE L'ENNEMI
Albin Michel, Paris, 2001, 138 p.; 21,95$
La jeune et prolifique Amélie Nothomb, qui signe ici son dixième roman, sait suggérer l'insolite, voire l'inquiétante étrangeté, des comportements de l'être humain aux prises avec ses démons intérieurs.
Jérôme Angust est déjà de mauvais poil quand il apprend avec exaspération que l'avion qu'il doit prendre est retardé. Il tente de se plonger dans un livre pour tuer le temps. C'est sans compter avec un raseur, un importun de la pire espèce, qui entreprend de lui faire la conversation malgré lui et ne se laisse décourager par aucune rebuffade. Malgré toutes ses tentatives pour s'esquiver, Jérôme Angust se sent progressivement piégé par le curieux personnage, qui semble en savoir beaucoup sur le passé de celui qu'il agresse de son indésirable verbiage, et qui serait même mêlé au drame affreux qui a coûté la vie à sa femme. Petit à petit, l'exaspération du voyageur assiégé se transforme en inquiétude, puis en panique quand il comprend que cette rencontre fortuite n'a rien d'un hasard et qu'il a
M O W DEVANT
en quelque sorte rendez-vous avec lui-même.
On pourrait faire référence à Dr. Jekill et Mr. Hyde, pour la dualité qu'il illustre. Ce cas de double personnalité évoque pourtant un fantastique qui n'a rien à voir avec l'espèce de huis clos auquel on assiste dans ce court roman efficace — bien qu'un peu prévisible. La situation rappelle plutôt le Huis clos de Sartre, qui voulait montrer que « l'enfer, c'est les autres » ; en l'occurrence, le propos de Cosmétique de l'ennemi illustre quant à lui que l'enfer, c'est... soi-même.
Hélène Gaudreau
Dominique Demers LÀ OÙ LA MER COMMENCE
Robert Laffont, Paris, 2001, 209 p.; 19,95$
Dominique Demers s'est acquis depuis longtemps un vaste public chez les enfants et les adolescents. Depuis la parution de son premier roman destiné aux adultes, Maïna en 1997, elle s'est également taillé un solide groupe de lectrices et de lecteurs parmi les « grands ». On dit que, souvent, ce sont les enfants qui suggèrent à leurs parents de lire les romans de Dominique Demers.
Là où la mer commence met en scène Marie Bouvier
quittant Winnipeg, espérant soigner une peine d'amour en visitant pour la première fois sa marraine Maybel, dans un village du Bas-du-Fleuve qu'on imagine assez semblable au Bic. Sa grand-mère Florence lui a donné son journal intime comme lecture de voyage et Marie s'engloutit littéralement dans le récit de l 'amitié de Florence et de Maybel. Le père de celle qu'on appelait La Belle, Alban, pilote du Saint-Laurent et gardien de phare, passe sa vie la tête dans les nuages, pour ne pas dire dans les étoiles. Il n'arrive pas à se consoler de la perte de son amour, la mère de Maybel, partie un matin avec un marin de passage.
Maybel n'est nullement rebutée par le désordre amoureux de son père, elle mord dans la vie à belles dents. Dans son village - c'est la fin du dix-neuvième siècle - , sa famille ne manque pas d'attirer les cancans et les qu'en-dira-t-on.
L'intrigue se resserre au moment de l'arrivée d'un riche Écossais qui se bâtit une somptueuse villa dans l'anse aux Bouleaux. L'homme est ombrageux ; il est chasseur, et boit plus que de raison. Mais surtout il tente de dissimuler la présence de son fils que des villageois ont aperçu portant un masque de cuir. On l'aurait vu chasser des rats à
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mains nues, d'où le nom dont on l'affuble ; La Bête. Dominique Demers ne se cache pas d'avoir créé une version laurentienne de La Belle et la Bête.
Le récit enlevant saura emporter l'adhésion des jeunes lecteurs. Il foisonne d'observations sur la nature, sur sa beauté, sa sauvagerie. C'est le récit de la bataille éternelle entre la passion et la raison, la bataille du conformisme et de l 'extraordinaire.
Robert Beauregard
Jean-Philippe Raîche UNE LETTRE
AU BOUT DU MONDE Perce-Neige, Moncton,
2001, 83 p.; 14,95$
Entre le souffle d'un lyrisme personnel et le silence qui guette la page, Jean-Philippe Raîche adresse avec son premier recueil publié une Lettre au bout du monde. Rempli d 'émotions et de musiques, les mots y circulent avec leurs mémoires, celle de l'enfance en Acadie avec ses sons, ses rappels et ses oublis « pour venger les parjures / les trahisons / le mal / la blessure et la honte / que vous avez gardés cachés » ; avec aussi ses
histoires voilées de bord de mer et de « Mascaret » qui « monte » « au milieu de nos villes / raconteurs d'été / à nos digues vaseuses » ; celle également du présent et d'un futur dessinant mobile, la ligne d'horizon, peut-être destinataire ultime de cette poésie perdue tendue vers un accomplissement dont, littéralement, la « lettre » est porteuse : « je sais depuis / que l'horizon est une longue phrase au rythme déployé / j 'y tracerai tous nos itinéraires. »
Divisé en quatre sections qui sont autant de saisons dans le cheminement de cette parole poétique, le recueil offre une urgence tremblante. À la fois affirmative et inquiète, la syntaxe scande une sorte de mélancolie énergique, flux et reflux de ce qui se dit et de ce qui est tu. Dans la seconde section, l 'écriture prend la forme d'un carnet dans lequel l'autobiographie et la pulsion de nommer pour faire trace, se mêlent à la poésie, « phrasé de l'aube », objet accompagnant le « voyage ». C'est la quête du mot, celui qui rejoindra l'Autre, cet insaisissable double, idéalisation du poète, du poème, du monde ? Le « je » explore
Tailleurs, les rumeurs intérieures et les images s'emmêlent dans les fragments de ce cahier dans lequel Jean-Philippe Raîche propose une définition des « poètes » : « Ils ne meurent pas / mais s'en vont / souvent / pour les sons d'une averse de nuit / il retiennent leur souffle / on ne les entend pas se taire / ils ne font pas de bruit / / les poètes ».
Parole fragile et assumée, dans une structure empruntant aux motifs de la construction musicale, Une lettre au bout du monde laisse entendre la naissance d'une voix poétique. Tissé de vent et d'abrupt, un chant « s'élève », à l'écoute de la langue et de l'être. Étonnant premier livre.
Claude Beausoleil
Loco Locass MANIFESTIF
RAPOÉSIE Coronet liv, Montréal, 2000, 137 p.; 15,95$
C'est du rap et ça s'entend sur scène et sur disque compact, mais ça se lit aussi et c'est ce qu'il y a de meilleur en poésie depuis longtemps. Follement festive, la rapoésie de Loco Locass fait sonner la langue « d'signes qui clignent
/ de symboles qui résonnent comme des cymbales ». Le « manifeste fesse », quelle joie, en plein dans le mille du « vice de la fleur de lys » : le silence. Biz, Chafiik et Batlam, les fous loquaces aux noms à coucher dans son char, pratiquent une poésie brillante, informée, traversée de l'écho de « La marche à l'amour » de Miron et autres intertextes post-modernes, de Desjardins à Gauvreau à Chomsky à Bersianik à Ducharme. « Bref : (leur) pays est loin de la Laconie » ! Comme le souligne Pierre Falardeau dans sa brève préface : ces gars-là (...) par-lent vrai. Jubilatoire et incandescente, la langue de Loco Locass change de registre comme de chemise : « Trompe-toi pas sur ma forme, c'est celle du moment / J'reviendrai demain din aut' costume de bain. »Très épurée, sonnante et clinquante à souhait, c'est une langue engagée, vivante, contemporaine, aux accents charnels et comiques. C'est jouissif comme une volée d'oies blanches, c'est beau, c'est rebelle, c'est profondément émouvant. C'est une voix neuve, souveraine, « un restant de langue de roy » qui prend sa place. Spartacus
II/ Vermillon
(a poésie
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N ° « S . N U I T B L A N C H E
COMMENTAIRES
F i c T i o N
d'un « empire du pire en pire », Loco Locass appelle à un « Refus global » dans une version de l'an 2000. D'une incroyable agilité verbale, habiles à l'assonance et aux résonances, ces jeunes poètes sont là pour rester et qu'on se le tienne pour dit parce qu'ils ne se « tasse (ront) pas » !
Yolande Villemaire
Mélika Abdelmoumen LE DÉCOÛT
DU BONHEUR Point de Fuite,
Outremont, 2001, 174 p.; 24,95$
À ce jour, Mélika Abdelmoumen a publié trois ouvrages -Lima Destroy & Robinette Spa, L'éducation sentimentale de Myriad Destroy et Chair d'assaut - dont les titres évoquent à eux seuls l 'ambiance choc que l'on retrouve dans le plus récent roman de la jeune auteure saguenéenne.
Le dégoût du bonheur raconte les hauts et les bas -mais surtout les bas - dans la vie de M., un vilain petit canard à l'estime de soi sous zéro et au tour de taille trop généreux. La jeune femme, qui s'imagine constamment au bord de l'autodestruction,
traîne sa solitude et son spleen de bar en bar et d'amant en amant. Fauchée, mal aimée et peu douée pour le bonheur, M. ressemble à un oiseau blessé pour qui la quête des hommes cache une recherche de soi. Malgré son parcours chaotique, l'héroïne de Mélika Abdelmoumen possède au moins une certitude : celle de vouloir devenir romancière. Ce qui veut dire accepter des contrats alimentaires pour survivre. Après avoir essayé l'enseignement, le journalisme et la traduction, M. opte finalement pour la scénarisation. Ses expériences dans le domaine de l'écriture l'incitent en outre à se lancer dans une critique échevelée des milieux de l'édition et du cinéma, les milieux mêmes dans lesquels évolue Mélika Abdelmoumen.
Le roman - on l'aura deviné - s'inscrit dans la veine de l'autofiction si chère à de nombreux jeunes écrivains. Dans cette optique, on pourrait décrire Le dégoût du bonheur comme un roman centré sur un personnage principal alter ego de l'écrivaine, comme un roman de jeunesse au style relativement brouillon, bref, comme un roman des années de galère où un certain laisser-aller
esthétique va de pair avec un ton franc et cynique.
Louise Villemaire
Yves Préfontaine ÊTRE-AIMER-TUER L'Hexagone, Montréal, 2001, 208 p.; 21,95$
Il y a plusieurs années qu'on attendait ce recueil, une attente qui est loin d'être déçue. Dix ans après la monumentale rétrospective Parole tenue, qui contenait plusieurs inédits, une voix majeure de la poésie approfondit de façon étonnamment synthétique les différents chemins tracés par des œuvres aussi distantes que Boréal et Le désert maintenant. Tout y est, des grands soulèvements métaphysiques à l'apaisement relatif d'une parole plus fraternelle, en passant par une inquiétude sociale en équilibre avec la poésie qui la porte. Tout y
JPKÉFONTWNE
_ Aimer-Tuer
est : avec nombres de répétitions de vocables et une largeur d'expression qui distinguent l'auteur, mais avec une sagesse nouvelle où le grand prêtre d'autrefois module plus subtilement le sentiment du sacré qui l'habite, l'abordant sur davantage de tonalités. Malgré les apparences, la trilogie verbale qui donne son titre au recueil ne recouvre en fait que les trois sections initiales ; recentrant d'abord sa conscience sur le potentiel ontologique de la poésie, l 'auteur recadre ensuite son intention dans un lieu amoureux où la présence d 'autrui se voit enfin assigner un sens, pour enfin affronter de nouveau l 'horreur historique dont l'introduction faisait part. Cette troisième partie, « Le verbe-tuer », est aussi courte que foudroyante, possédant à la fois la violence du Vierge incendié et le vertige jazzé de « Arbres » de Paul-Marie
Des auteurs à découvrir, des textes à savourer... Volute velours Laurent Poliquin
)e me poème en toi ce soir, et tous tes poils fleurissent, ton visage se jardinise, tes yeux s'entulipent.
80 pages 12 ,95$
Les silences immobiles Christian v lo ly
Tu m'avais promis le ciel. Je me suis presque noyé dedans. On m'a sauvé juste avant que le crépuscule n'arrive.
89 pages 12,95$
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Poèmes pour l'univers Christine Dumitr iu Van Saanen
Les courbes sont enceintes d'infinités de points, se figent les empreintes aux alentours des coins.
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Le Conseil des Arts du Canada
The Canada Council for the Arts Les Éditions des Plaines c.p. 123, Saint-Boniface (MB) R2H 3B4
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Lapointe. De quoi rappeler à tout poète sa fonction de veilleur, en plus de donner une leçon de maîtrise du Thanatos dans l 'écriture. Complètent ce recueil saisissant trois autres sections assez courtes où se révèle une troublante fragilité.
Il y a là du remords, peut-être de la réconciliation, mais encore en sourdine cette volonté de faire coïncider les différentes avenues empruntées par la parole de Yves Préfontaine depuis les années 1950. Si ce dernier peut toujours être accusé de parler trop abondamment, au prix de plusieurs vers qui se défendent mal si on les prend isolément, on ne confondra pas avec une pure rhétorique ce chaleureux déferlement, où se cherche désespérément une cohérence dans le chaos désirant qui transpire encore de la page. Le prochain défi, après cette somme bouclant plusieurs boucles, pourrait bien être de faire table rase.
Thierry Bissonnette
Heinrich Bôll CHIEN BLÊME
Trad, de l'allemand par Alain Huriot
Seuil, Paris, 2001, 197 p . ; 31,95$
1985, dont la plupart étaient demeurés inédits jusqu'à ce jour. Si plusieurs de ces textes présentent un intérêt certain, celui de l'ensemble repose toutefois davantage sur leur caractère posthume (tous datent d'avant 1950), et sur la renommée de l'auteur, prix Nobel de littérature en 1972. Certains des textes sont achevés, d'autres par contre tiennent davantage de l'esquisse, du projet, ce dont rendent compte les notes du traducteur en fin de volume sur l'historique des manuscrits.
Le lecteur reconnaîtra les thèmes chers à l'auteur, qui seront repris par la suite dans ses romans et nouvelles. Heinrich Bôll aura sans aucun doute été l'un des écrivains de sa génération qui aura dénoncé avec le plus de force et de courage l'absurdité de la guerre, décrit, avec un rare sens de la compassion, les affres qui conduisent
les hommes à s'entretuer pour des motifs qui échappent le plus souvent à l'entendement des belligérants. Il n'y a pas ici de bons et de mauvais combattants, de bonnes ou de mauvaises causes. Il n'y a que des victimes qui ne savent plus à quel clan elles appartiennent. Certaines nouvelles reproduites dans ce recueil témoignent du souci de l'écrivain de rendre compte de l 'horreur de la guerre sous toutes ses formes, de la responsabilité qu'il veut assumer auprès de ses semblables afin d'éviter que l'oubli ne chloroforme à nouveau les consciences. Il y a dans ces textes une portée morale, la conviction profonde qu'il vaut mieux dénoncer, condamner, plutôt qu'oublier les horreurs du passé. Sans jamais faire porter le blâme à ses personnages - et là réside le pouvoir d'évocation de l'écrivain,
Chien blême réunit onze textes, nouvelles, ébauches et fragment romanesque, de Heinrich Bôll, décédé en
LUI PIERRE YERGEAU
LA DÉSERTION
Laurent LAPLANTE Des clés en trop, un doigt en moins Roman 271 pages ; 24,95 $
Claire MARTIN La brigande Roman 188 pages, relié ; 24,95 $
La recherche en civilisations anciennes Sous la direction de François LAFRENIÈRE et DENIS LECLERC
Essai 156 pages; 15,00$
Pierre YERGEAU La désertion Roman 201 pages ; 24,95 $
Vincent CHABOT À l'intérieur du labyrinthe Roman 328 pages ; 27,95 $
À PARAÎTRE :
Gilles PELLERIN La mèche courte Le français, la culture et la littérature Essai 141 pages; 19,95$
même
l 'immense talent de Bôll-l'écrivain démonte, avec minutie, les mécanismes qui amènent les hommes à s'entretuer. Certains textes, comme la nouvelle éponyme, illustrent la détresse humaine de protagonistes emprisonnés malgré eux dans les rouages de conflits meurtriers, d'autres en décrivent la froide et cruelle mécanique. La plupart, peu importe l'angle retenu, atteignent leur cible et sont précurseurs d'une œuvre qui aura marqué le vingtième siècle.
Jean-Paul Beaumier
Collectif EXIT, N ° 22
Gaz Moutarde, Outremont, 2001,
79 p. ; 10 $
Fondée en 1995, la revue de poésie EXIT poursuit son aventure en exposant et en interrogeant l'acte poétique. Celui-ci est essentiellement une ouverture sur l'Autre, le monde, et il en renouvelle les fondements. Il peut, aussi, en montrer les misères comme nous le dit Mireille Cliche : « dans les pages du monde ! / roulent tant d'images brûlantes ! / et de puantes résignations ! / collage de souffrances ! / pour voyeurs infatigables ».
On nous parle, également, dans ce vingt-deuxième numéro, de « crise de la poésie », de son rapport avec la langue et la société dont elle émane. Et, plus particulièrement, de la naissance et du rôle de l'imaginaire. David Cheramie compare la littérature - et plus spécifiquement la poésie - , à un « chaman » qui peut exorciser nos ténèbres posttechnologiques. La poésie a ainsi ce pouvoir de faire surgir avec créativité les contradictions de ce que Sartre appelait le « pratico-
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COMMENTAIRES
F i c T i o N anne Larouche
inerte », le Réel. En troisième et dernière
partie du numéro, un entretien avec Josée Acquelin, Paul Chamberland, Louise Dupré et Pierre Nepveu animé par Denise Brassard, porte sur les formes de la Parole qui est définie ici comme « plurielle ». On y explore la dialectique existant entre la poésie, l'essai, l'engagement social, la dissidence ou comment la poésie peut être très proche des contradictions vives d'une société à un moment donné de son histoire et même, ultimement, la porte d'entrée de toutes formes de réflexions critiques. Comme nous le dit Paul Chamberland : « Mais il y a pour moi, assez nettement, une sorte de priorité de la poésie comme discours, comme acte de parole en somme, et bien entendu acte d'écriture ».
Toujours est-il que la poésie se poursuit sans cesse comme expérience primordiale, comme « urgence »...
Gilles Côté
Réjeanne Larouche LE BONHOMME
JCL, Chicoutimi, 2001, 319 p.; 21,95$
Claudine a douze ans. Elle est l'aînée de sa famille et, en tant que telle, est habituée à ce qu'on lui confie des responsabilités. Ainsi, c'est souvent elle qui est chargée de veiller sur ses frères et soeurs. La famille a l 'habitude de passer les fins de semaine de la belle saison dans une île au milieu d'un lac où elle a
un chalet et où le grand père paternel s'est également construit un abri. Un samedi, le père doit travailler pour remplacer un confrère. La famille ne se rendra donc pas au chalet cette fin de semaine-là. Le grand-père (que Claudine appelle pour elle-même « le Bonhomme ») tient à y aller quand même. Comme la santé du Bonhomme est chancelante, Claudine se voit chargée d'aller lui tenir compagnie, mais surtout de le surveiller. On le devine, la tâche est délicate puisque Claudine n'a évidemment aucune autorité sur son grand-père, sans compter que celui-ci est têtu comme une mule. Le grand-père et la petite-fille passeront donc une partie de la fin de semaine seuls sur l'île. Il y aura, bien sûr, des imprévus, des affrontements, des réconciliations et des incidents. Surtout, le lecteur sera témoin du soliloque de la fillette. Un soliloque lucide, intelligent et savoureux.
Le bonhomme, premier roman de Réjeanne Larouche, lui a valu le Prix Plume saguenéenne 2000. Rien de surprenant à cela puisqu'il s'agit d'une œuvre remarquable. Je dois reconnaître que si on m'avait prévenu que Le bonhomme est un roman truffé de jurons, de québécis-mes et même de saguenéis-mes, j'aurais été réticent à le lire. Malgré mes préjugés, je suis tombé sous le charme de la plume de Réjeanne Larouche. Sa prose colle de très près à la langue orale québécoise et coule de façon naturelle. Il me faut admettre
m*-
cois de talent. Après Marie-Christine Vincent (À la croisée des chemins) et Daniel Boivin (À cause du train), elles nous proposent de découvrir Réjeanne Larouche.
Gaétan Bélanger
Michel Houellebecq PLATEFORME
Flammarion, Paris, 2001, 372 p. ; 29,95 $
que le niveau de langue que l'auteure a choisi pour Le bonhomme est celui qui convient puisqu'il donne aux paroles et aux pensées de Claudine, le personnage principal, un ton très crédible pour une fillette de son âge habitant au Saguenay.
Les éditions JCL ont décidément le chic pour dénicher de nouveaux auteurs québé-
Un roman me remet sur la seule piste humaine et sensible qui ait un sens après la destruction du World Trade Center. Plateforme, de Houellebecq, est une œuvre magistrale, pas tellement pour sa forme ou sa finesse d'écriture, mais par son savoir lucide (la lucidité étant la blessure la plus rapprochée du soleil, dit René Char). Ce roman donne une surpre-
Avez-vous lu? Les nouwautùs cruv LES EDI HONS PERCE-NEIGE
* V f #* Jean-Philippe Rakrhe
fit U Une Mire au bout du monde
Jean-Philippe Raîche Une let tre au bout du inonde Une Lettre au bout du monde est le camel de voyage d'un sédentaire. Entre l'abîme et l'invention de l'autre, se superposent et se confondent des êtres, des lieux et des époques. S'ouvrant sur le constat d'un échec, cette suite revient sans cesse sur d'impossibles promesses, invoquant la lumière et l'espace, la rupture et le geste, pour faire de la parole l'ultime asile du corps et de ses certitudes. Poésie, 88 pp. ISBN 2-920221-89-2,14,95 $
Léonard Forest Le pommier d'août Le pommier d'août constitue une rétrospective de l'œuvre poétique de Léonard Forest, qui s'échelonne sur une cinquantaine d'années. Cette rétrospective reprend ses deux premiers recueils, Saisons antérieures, et Comme en Florence, en plus de nombreux inédits. Poésie, 250 pp. ISBN 2-920221-92-2, 24,95 $
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* Léonard Forest
Jean-Philippe Raîche Une let tre au bout du inonde Une Lettre au bout du monde est le camel de voyage d'un sédentaire. Entre l'abîme et l'invention de l'autre, se superposent et se confondent des êtres, des lieux et des époques. S'ouvrant sur le constat d'un échec, cette suite revient sans cesse sur d'impossibles promesses, invoquant la lumière et l'espace, la rupture et le geste, pour faire de la parole l'ultime asile du corps et de ses certitudes. Poésie, 88 pp. ISBN 2-920221-89-2,14,95 $
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1 Le pommier d'août
Jean-Philippe Raîche Une let tre au bout du inonde Une Lettre au bout du monde est le camel de voyage d'un sédentaire. Entre l'abîme et l'invention de l'autre, se superposent et se confondent des êtres, des lieux et des époques. S'ouvrant sur le constat d'un échec, cette suite revient sans cesse sur d'impossibles promesses, invoquant la lumière et l'espace, la rupture et le geste, pour faire de la parole l'ultime asile du corps et de ses certitudes. Poésie, 88 pp. ISBN 2-920221-89-2,14,95 $
Léonard Forest Le pommier d'août Le pommier d'août constitue une rétrospective de l'œuvre poétique de Léonard Forest, qui s'échelonne sur une cinquantaine d'années. Cette rétrospective reprend ses deux premiers recueils, Saisons antérieures, et Comme en Florence, en plus de nombreux inédits. Poésie, 250 pp. ISBN 2-920221-92-2, 24,95 $
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Jean-Philippe Raîche Une let tre au bout du inonde Une Lettre au bout du monde est le camel de voyage d'un sédentaire. Entre l'abîme et l'invention de l'autre, se superposent et se confondent des êtres, des lieux et des époques. S'ouvrant sur le constat d'un échec, cette suite revient sans cesse sur d'impossibles promesses, invoquant la lumière et l'espace, la rupture et le geste, pour faire de la parole l'ultime asile du corps et de ses certitudes. Poésie, 88 pp. ISBN 2-920221-89-2,14,95 $
Léonard Forest Le pommier d'août Le pommier d'août constitue une rétrospective de l'œuvre poétique de Léonard Forest, qui s'échelonne sur une cinquantaine d'années. Cette rétrospective reprend ses deux premiers recueils, Saisons antérieures, et Comme en Florence, en plus de nombreux inédits. Poésie, 250 pp. ISBN 2-920221-92-2, 24,95 $
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» S . N U I T B L A N C H E
nante vue d'ensemble de ce que peut être devenue la société occidentale, profondément décadente. On pense au Déclin de l'empire américain, de Denis Arcand. Mais dans Plateforme, la porno occupe plusieurs larges scènes, et Houellebecq sait être d'une précision hallucinante quand il est question d'enculages et d'ébats sexuels. C'est troublant, mais tout à fait à sa place dans le roman. Ce qui est plus décisif cependant, c'est que l'auteur avait appréhendé l'attentat terroriste du 11 septembre. Ce roman était prémonitoire, il se termine par un attentat qui tue l 'amoureuse du narrateur (Michel). Ce qui suit n'a plus que les allures d'une terrible vindicte contre tout personnage islamisant.
Ce roman rappelle que tout est toujours effroyablement plus compliqué qu'il n'y paraît au sein des organisations humaines. Mon frère, ma fille auraient pu faire partie du lot des victimes lors de l 'attaque du World Trade Center. Alors, j 'aurais hurlé à la mort , j 'aurais sur le coup voulu venger mes amours. Le roman de Houellebecq se situe dans le flou exact de la littérature la plus nécessaire. Grâce à une histoire, par le jeu d'une certaine fiction, il permet de comprendre sans vraiment rationaliser ce qui se passe autour de soi et dans le monde, en partie du moins. Il dit que le monde occidental, et européen en particulier, est mourant, et que les forces de vie se trouvent ailleurs, mais que ce monde agonique se trouve encore extrêmement puissant et riche. Pareil à un vieillard lubrique, avant de crever tout à fait, l 'Occident abuse, auprès des petits et des petites, partout dans le monde. Quelle prise de conscience, tout de même !
basculer dans l'indigence la plus indigne. Mais l'Occident n'aura probablement jamais ce reste de puissance.
Jean Désy
Michelle Côté L'ENVERS DU DÉCOR
Septentrion, Sillery, 2001, 296 p. ; 24,95 $
Mais toute conscience n'est pas annihilée. Des voix s'élèvent pour oser dire que l'Occident est honteux et soucieux, que l'Occident n'a même plus l'art pour le faire jouir. Il ne lui reste que les sexes d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique. Cela fait réfléchir. Il faudra à l'Occident une forte dose d'amour gratuit s'il ne veut pas se voir
L'action du premier roman de Michelle Côté s'étend de la fin du duplessisme au début de la Révolution tranquille. Solange, une jeune femme du milieu bourgeois et conformiste de Québec, chez qui la « respectabilité » est la première vertu, découvre un jour l'homosexualité de son mari Laurent qu'elle surprend au lit avec Christophe. Son univers bascule. Elle passe par toute la gamme des sentiments et connaît sur les entrefaites une amitié
Editions TROIS 2033, av. Jessop Laval, Québec Tél.: (450) 663-4028 Fax:(450)663-1639 ed3ama @ contact, net
N o u v e a u t é s a u x É d i t i o n s T R O I S
Nazila Sedghi, Dans l'ombre des platanes, récits poétiques, 178 p., 22 $
Radmila Zivkovic, De la poussière plein les yeux, nouvelles, 126 p., 20 $
mÊSmÊ y Christiane Chevrette, Pain d'Épices au Royaume
de la Voyellerie, roman-jeunesse, 40 p., 9,95 $ Claire Varin, Désert Désir, roman, 179 p., 22 $
Anne-Marie Alonzo, ...et la nuit, poésie, 80 p., 18 $
Cécile Tremblay-Matte et Sylvain Rivard, Archéologie sonore, Chants amérindiens, 147 p., 24,95 $
Ata Pende, L'équilibre précaire des choses, roman, 191 p., 22$
amoureuse avec Francis, un jeune géographe qui lui fait découvrir les merveilles naturelles de Charlevoix. Jusque-là sans enfant, malgré les vœux de l'épouse, le couple évitera finalement le divorce et le scandale en adoptant la fille de Doris, l'amie peintre.
Par l'évocation des réalités propres aux années cinquante et soixante, le roman relève du genre historique. Le lecteur voit défiler quelques-uns des hommes publics d'alors (Jean Lesage, André Laurendeau, Marie-Claire Kirkland-Casgrain, etc.), de même que les écrivains (Gabrielle Roy, Anne Hébert, Hector de St-Denys Garneau, etc.) et les chansonniers du temps (Félix Leclerc, Pierre Létourneau, Raymond Lévesque, etc.) ; c'est également l'époque des « Plouffe » à la télé (en noir et blanc), du chapelet en famille à la radio, des « robes à larges jupes », de « Ramona ». Dans ce cadre historique, ce sont surtout l'ébranlement et la remise en question de Solange, puis son désir d'autonomie et d'indépendance, qui sont mis en perspective.
Le récit est dans l'ensemble bien mené, malgré l'abondance de détails parfois superflus, la présence de certains dialogues prétextes à « messages » (féministes, libéralistes, sociétaux) et la fréquence de l'inversion qui devient tic d'écriture : « Enfin, les Elvis partirent et cessa cette musique qui ne leur plaisait pas tellement ». On appréciera en revanche le fondu assez régulier de la reconstitution historique et de l'analyse « psychologique », à quoi s'ajoute, notamment ce début accrocheur : « Vlan ! claqua la gifle ». Même si la formule peut paraître banale, Michelle Côté est certes un écrivain qu'il faudra suivre.
Jean-Guy Hudon
H T B L A N C H E
COMMENTAIRES
F i c T i o N
Jean-Pierre Boucher LES VIEUX
NE COURENT PAS LES RUES
Boréal, Montréal, 2001, 208 p. ; 21,95 $
En ces temps où les notices nécrologiques rivalisent avec les tables de natalité, voici un sujet qui est sans doute familier à bien des lecteurs de la génération des baby boomers qui ont, aujourd'hui, des parents vieillissants. Sept personnages prennent tour à tour la parole pour livrer leurs états d'âme qui se révèlent, bien souvent, liés à leur état de santé : « C'est toujours aux pieds que j'ai froid. Ça doit être la mort qui commence. Ou elle frappe en haut, d'un coup sec. Ou elle entre par les pieds, en hypocrite. »
Aux prises avec l'angoissante certitude que la mort demeure le seul projet d'avenir à cet âge où le moteur s'essouffle, la mécanique se détraque et la carrosserie se déglingue, Aline, Roméo, Hortense, Mado et Donat, Olivette et Délina s'épanchent avec une implacable lucidité : celle de ceux et celles qui n'ont plus rien à perdre. En effet, Jean-Pierre Boucher met en scène des vieillards désœuvrés et moroses qui sont abandonnés par leurs enfants, par la famille. Déçus et aigris, ils tuent le temps tantôt en se remémorant des moments de leur vie, tantôt en commentant la vie des autres.
Réflexion sur la vieillesse -issue à laquelle nul ne peut échapper (à moins d'un accident ou d'une maladie incurable) -, Les vieux ne courent pas les rues a d'abord été joué
au théâtre et a obtenu du succès. Sans doute l'aspect caricatural des personnages passait-il mieux sur scène que par le silence de la lecture. Je me suis demandé, en effet, pourquoi ses personnages étaient tous un peu dingues comme si vieillir, c'était inévitablement s'infantiliser, se fêler.
Ce roman, qui se termine par la confidence de Fabienne, la préposée bien-aimée qui chérit ses vieux jusque dans leurs derniers moments, nous touche tout de même puisqu'il nous met sous le nez une réalité qu'on cherche le plus souvent à occulter.
Sylvie Trottier
Sylvain Trudel DU MERCURE
SOUS LA LANGUE Les Allusifs, Montréal, 2001, 130 p.; 18,95$
« Au fond je m'en fous quasiment de mourir, parce qu'à l'âge que j'ai, à presque dix-sept ans, ça avance moins bien qu'avant : j 'ai pris un sérieux coup de vieux et j'ai peur d'avoir déjà vécu le meilleur de moi-même et de commencer à radoter. » Contre le cancer qui ronge ses os et ne lui laisse aucun espoir de guérison, Frédéric Langlois, le principal protagoniste de ce quatrième roman de Sylvain Trudel (le cinquième à paraître aux éditions Les Allusifs), oppose le cynisme de l'adolescent qui n'a plus rien à perdre, si ce n'est l 'amour de Marielou, son amie d'infortune, atteinte comme lui d'un cancer.
Sylvain Trudel reprend ici une nouvelle déjà parue dans le recueil Les prophètes qui relatait les derniers moments
/ ^ -PIERRE 3VERHEGGEN
Ridiculumvitae
d'un adolescent sur son lit d'hôpital. Il ne s'agit toutefois pas d'une reprise, mais d'un redéploiement complet du thème de la mort à laquelle est confrontée le personnage principal. L'écriture, tantôt sous forme de poèmes et tantôt sous forme de journal, s'avère le dernier repli qui lui soit, comme à son amie, accordé pour échapper au
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cul-de-sac stérilisé et à la mièvrerie sentimentale qui composent son lot quotidien. Si le désarroi ressenti à cet âge est habituellement causé par la crainte qu'on éprouve face à la vie, et non devant la mort, la force du roman tient justement à la justesse du propos qui réussit à évoquer la détresse et la révolte du personnage.
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N U I T B L A N C H E . 2 0
Du mercure sous la langue s'inscrit fort bien dans le nouveau sillon littéraire qu'est en voie de tracer cette nouvelle maison. D'abord par la qualité de l'écriture, la précision et l'efficacité du style qui épousent parfaitement le propos du roman. Ce dernier aurait toutefois pu être resserré quelque peu. Son efficacité dramatique en aurait été accrue. Mais sans doute s'agit-il d'une réserve toute personnelle, influencée par la lecture récente des premiers titres parus à cette nouvelle maison et qui m'ont laissé une impression des plus favorables, entre autres raisons à cause du rythme soutenu qui les caractérise et qui colle au plus près de la conscience narrative. À moins que le thème, ici la mort, exige quelque répit pour rendre l'issue du roman sinon acceptable à tout le moins tolerable.
Jean-Paul Beaumier
Jean-Pierre Verheggen RIDICULUM VI17E
précédé de ARTAUD RIMBUR
Gallimard, Paris, 2001, 209 p. ; 16,95 $
Ça grince, ça déboule, ça rigole et ça jubile ! Parfois ça ridiculise, mais toujours ça vit ! Jean-Pierre Verheggen est un poète belge qui n'a pas froid aux mots. Toute son oeuvre est une entreprise ludique de démystification des grandes figures poétiques (ici Antonin Artaud et Arthur Rimbaud), et du sérieux sacralisé de la théorie, comme on pouvait le lire dès 1978 dans Le degré zorro de l'écriture, qui faisait un rieur pied de nez au grand Roland Barthes, alors au seuil d'une imposante carrière de théoricien du langage.
Dans la préface que consacre Marcel Moreau à la réédition en poche de Ridi-
culum vitae et d'Artaud Rimbur, on lit au sujet du travail mouvementé que Jean-Pierre Verheggen s'obstine joyeusement à appliquer aux mots, à l'orthographe et aux sonorités, que « Du langage il traque les succulences secrètes, les épices ravageuses. Il les débusque dans les profondeurs du dire. Violentes et suaves, il se les remonte jusqu'aux papilles. C'est là qu'il se les ensalive, mot à mot. On le lit avec des yeux qui auraient du nez, et une bouche qui aurait un regard. » Bel hommage à cette écriture et à son auteur, homme d'une Renaissance polyphonique du verbe. Rabelais, le lettrisme, la modernité, « Ah ! toujours cet irrépressible besoin ! » : vivre, et tout de suite ! « Ah ! Quel tableau ! »
Claude Beausoleil
Fabien Ménar LE GRAND ROMAN
DE FLEMMAR Québec Amérique,
Montréal, 2001, 174 p.; 19,95 $
Dans son site Internet, l'éditeur compare Fabien Ménar à Jean-Paul Dubois, Daniel Pennac, Emmanuel Carrère : passe encore pour les deux premiers, mais Carrère ?! S'il faut absolument trouver une parenté à ce jeune premier, je dirais plutôt qu'avec la juvénilité de sa prose, Fabien Ménar rappelle davantage Alexandre Jardin.
Moins déprimé que les nombreux « Paul » de Dubois et, surtout, moins attachant qu'eux, moins délirant que Benjamin Malaussène et sa tribu, Flemmar Lheureux n'en demeure pas moins un désabusé digne d'être remarqué ! Professeur fatigué -c'est le moins qu'on puisse dire ! -, mari dorloté et père manqué, Flemmar, le bien nommé, s'invente un talent d'écrivain, histoire de rehaus-
É D I T E INTERNAT!
ECRITS DES F O R G E S
É S I E salue 11 poètes
deia nouvelle ville de Québec
Côme Lachapelle Permis de séjour
Agnès Riverin Une traversée à l'estime
Martin Pouliot Cuire ce qu'il nous reste
Richard Sage J'avance dans le temps
David Bergeron Fuir la maison
À paraître au Salon du livre de Québec
Jean-Noël Pontbriand Les chemins de la mémoire
Sylvie Nicolas Des jupons d'histoires
Michel Létourneau Nos vies infranchissables
Micheline Boucher Nous deviendrons corail
Alexandre Trudel Kabbale instrumentale
François Vigneault Entre la cuiller et l'océan
1497, Laviolette, C.P. 335, Trois-Rivières (Québec) G9A 5G4
tél. : 1.819.379.9813 téléc. : 1.819.376.0774 courriel : [email protected]
I U I T B L A N C H E
COMMENTAIRES
F I C T I O N
ser un peu sa cote, auprès de lui-même, ensuite devant le monde entier : c'est qu'il voit grand le Flimou ! Il s'imagine déjà, Goncourt en poche, accablé par la gloire... Mais c'est à une toute autre célébrité que Lheureux est promis.
Au premier degré, le roman de Fabien Ménar est divertissant, on le lit d'un trait et l'on s'amuse car l'écriture, loin d'être banale, réserve de belles trouvailles. Ainsi, parlant de flics passionnés de mots croisés il dit écrit : « Ils étaient trois, en réalité, derrière leur petit bureau, appliqués comme des copistes, trois cruciverbistes enquêtant sur les mots qui pendent au bout de définitions aussi impénétrables qu'un crime parfait. » Au second degré, cette histoire se transforme en un véritable cauchemar ! Aussi bien en rester au premier degré... bien qu'à l'heure où les étudiants des collèges commencent à faire l'évaluation des professeurs, Le grand roman de Flemmar ne présage rien de bon pour ceux d'entre eux qui ont jeté la serviette ! Comme on dit des bons p'tits plats de Pinard qu'elles sont des pinardises... voilà des ménardises !
Sylvie Trottier
Tahar Ben Jelloun LABYRINTHE
DES SENTIMENTS Stock, Paris, 1999,
146 p. ; 24,95$
Tahar Ben Jelloun CETTE AVEUGLANTE
ABSENCE DE LUMIÈRE Seuil, Paris, 2001, 229 p. ; 29,95 $
Un poète habite Ravello, une toute petite ville d'Italie du
Sud. Il se rend souvent à Naples pour y retrouver la femme de ses rêves, Ghizlane, sa fiancée qu'il avait baptisée Gazelle, avant qu'elle ne se noie en avril 1967. Il écrit, erre, comme incapable d'effectuer le salvateur travail du deuil. Il pourrait même en mourir, étouffé par le fantôme. Une phrase en arabe exprime la détresse et l'enchantement de cette passion maintenant délétère : « Inna lilhoubbi wa inna ilayhirâ-ji'oun » (« Nous sommes à l'amour, et à lui nous retournons. ») Ébloui par une autre femme, sainte et prostituée, Wahida, qui se confond avec l'ange disparue, peut-être pourrait-il s'ouvrir à un autre corps. Mais une souffrance obscure, confuse, opaque telle le marbre, le retient, l'attache, terrible. Jeux d'empreintes, de miroirs, de signes.
Sous l'histoire d'amour, une histoire sociale, qui en eût douté ? Sans doute pas un diplômé de psychiatrie sociale. Sur fond de guerre du golfe, une ville apparaît mirage, autant dire silence, concentration et poésie. Sous L'hymne à la tendresse et à la douceur que chante Labyrinthe des sentiments gronde la dénonciation de la violence et de la laideur. Naples, comme l'écrit le narrateur, c'est aussi un hôtel qui prétend avoir été celui d'Hemingway et les manifestations des voyous. C'est aussi l'ami Jean Genet, « un homme exceptionnel. Tout le temps en colère, tout le temps révolté. Il détestait tous les régimes politiques ». Il a appris de son compagnon de route, appris le rythme du silence et de la parole, comme en fait foi Cette aveuglante absence de lumière,
« tiré de faits réels inspirés par le témoignage d'un ancien détenu du bagne de Tazmamart. » Ces faits : en juillet 1971 est perpétrée une tentative d'assassinat de Hassan II, le roi du Maroc. Les responsables sont exécutés et 58 conjurés sont mis au frais pendant 18 ans. Lorsque les pressions internationales amènent les autorités à les libérer, ils ne sont plus que 28. Que s'est-il passé ?
On a pu reprocher à Tahar Ben Jelloun de ne pas avoir écrit ou s'être exprimé plus tôt à propos de l 'horreur qu'ont pu vivre les conjurés emprisonnés à Tazmamart. De telles doléances (je pense à celles de Ahmed Marzouki, l'auteur de Tazmamart cellule 10) sont à mon avis du plus mauvais goût, d'autant plus qu'elles entretiennent la haine. Leurs auteurs montrent en tout cas qu'ils ne savent pas ce qu'il en est du travail de maturation de
l'écrivain, de la gravité qui le retient lorsqu'il est tenu de respecter la mémoire des disparus et d'assumer sa propre sidération devant l'innommable. Doit-on rappeler que le récipiendaire du Goncourt de 1987 pour La nuit sacrée fut le journaliste qui interviewa Jean Genet pour Le Monde diplomatique à propos du problème des Palestiniens et rédigea plus de cent pages de notes pour un article de quinze feuillets ? Je ne saurais dire si la gravité du cas de Tazmamart équivaut à celle des massacres, à Beyrouth, en 1982, des camps palestiniens de Sabre et de Chatila. Je sais par contre que la « transcription » somptueuse, parfois baroque, de Ben Jelloun garde la force de dignité d'un homme racontant sobrement sa fragilité lorsqu'il se voit envahi par ses souvenirs au fond de l'obscur, ne cherchant plus qu'à survivre. Pour prendre la mesure de Cette aveuglante absence de lumière, il faut envisager la noblesse de l'ajournement, de la prudence qui ont permis à l'écrivain de ne pas se laisser entraîner à parler, sans jamais désister. Il s'agissait de résister, de ne pas se laisser prendre, de ne conserver tout au plus que son nom et ses rêves.
Michel Peterson
Pierre Labrie et Cari Lacharité
À TOUT HASARD Éditions d'art Le Sabord,
Trois-Rivières, 2000, non-paginé; 19,95 $
Parmi les étrangetés graphiques et textuelles publiées par la collection « excentriq » du Sabord, ce livre bicéphale est celui qui se veut le plus iconoclaste. L'entreprise, ouvertement automatiste et absurde, emprunte le chemin d'un peu plus d'une centaine de tercets pour guerroyer
IM° & S . N U I T B L A N C H E . 2 2
contre le bon sens et contre la poésie. Chose louable, mais qui sombre assez vite dans les jeux de mots faciles et la vulgarité gratuite, malgré quelques coups de rasoir efficaces. On préférera donc peut-être « en l'an 2000 date limite de la mémoire / la poésie est officiellement morte / les poètes remplacés par des journalistes » à des plaisanteries de potaches dans le style de « P.S. / j'aimais tes seins / quand tout était à sa place ». Bien sûr le talent et la qualité littéraire sont d'emblée considérés hors contexte dans cette dérive entropique, mais À tout hasard échoue dans la difficile tâche de renouveler les allées surréalistes qu'il fréquente, bien qu'on rencontre souvent pire dans le recyclage du cut-up et autres formes éclatées. Quant à la présentation graphique elle a un certain intérêt, chaque feuillet formant une pochette dans laquelle sont parfois insérés certains collages assez rigolos. De quoi décorer gaiement son cabinet de toilette.
Thierry Bissonnette
Georges-Emmanuel Clancier
CONTRE-CHANTS Gallimard, Paris, 2001,
180 p.; 27,50$
Il y a des poètes qui donnent tout d'un coup, qui dévorent les mots et les images puis se taisent, vont ailleurs voir le monde et le silence, la vie sous d'autres formes. On les connaît : Rimbaud, Lautréamont, Nelligan, Miron, ces poètes sont ceux d'un seul livre d'une extrême urgence, d'une fulgurance dans la nuit des sens.
D'autres, on les connaît également, reprennent des thèmes, des formes, rejouent leur passion pendant des livres et des livres. Il sont tisseurs de rêve, nommant
dans une constante reprise le monde et ses ramifications. On pense à Guillevic, plus loin à Hugo, plus proche à Georges-Emmanuel Clancier. Poète, romancier, antholo-giste, animateur de la vie littéraire française depuis plus d'une soixantaine d'années, il n'a cessé de se faire témoin du monde, décryp-teur attendri d'une infinité de versions de ce qui de partout s'échappe, persiste ou rejoint des époques et des thèmes qui semblent d'inépuisables miroirs où rejouer les images filantes. Cette poésie multiforme, sans cesse renaissante, que pratique Georges-Emmanuel Clancier depuis l'autre siècle jusqu'à nous, son ami Raymond Queneau la décrit précisément avec ses « qualités limpides et opaques, son élaboration d'un terroir dont il semble retrouver les prolongements indéfinis aussi bien vers un avenir incommensurable que vers un passé préhistorique et toujours présent. » Ce bel hommage pour la poésie et un homme qui n'ont jamais failli à la tâche de nommer, de dire et de comprendre ce qui de l'émerveillement du monde persiste et signe. « Ainsi va le guetteur » !
Conrre-chants étonne et charme, avec sa régularité, sa vérité, sa douce propension à aimer et à célébrer. Georges-Emmanuel Clancier est le poète de la célébration et de la lumière. Sa poésie éveille ce qui en l'être humain résiste face à la bêtise et à l'ombre. Il avance quelques mots, une musique aussi, « Dans sa voix l'alizé / respirait et chantait ». Le poète avoue à celui qui l'écoute : « Inscrite à l'horizon du souvenir / flèche toujours vers d'autres futurs / toi ma promesse vole / et nie la morne limite. / Donne à ma soif les fruits / que mûrit pour nous le silence. »
I- C RI I S D I S
T O U T UN VERTIGE
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D I X I T L A U R E N T L A P L A N T E
( C h r o n i q u e s et
a u t o c c r i t i q u e )
L A U R E N T
L A P L A N T E
AHMED MARZOUKI
( U n t é m o i g n a g e
b o u l e v e r s a n t )
T A Z M A M A R T
C E L L U L E i o
E D D Y G A R N I E R
( P o é s i e )
P R O L O N G E M E N T
D E C A S S U R E
D A P P I Y A N P B O U T
M O N Y O N
ROBERT J. MAILHOT
( P o é s i e )
D ' A U B E E T D E
T O R P E U R
L a m a i s o n d e l a p o é s i e , d e s c o n t e s ,
d e s l é g e n d e s , d e s f a b l e s e t
d e s é c r i t s i n t i m e s
w w w . h a u t e s - t e r r e s . q c . c a
I U I T B L A N C H E
COMMENTAIRES
F i c T i o N Bouvrei
Il y a le « chant » qui gonfle ses propositions et raconte la « Légende d'un poète », mais aussi « Ulysse » qui a dans sa tête d'autres musiques et d'autres voyages. Dans ces poèmes aux accents humains, il y a la mémoire, les détails, « L'Autre immobile / guettant ». Et ce qui est touchant dans cette poésie, c'est qu'elle parle sans concession de la beauté du monde, des espérances et des combats. Autobiographique, aérienne, pleine de cœur et de lucidité, elle redit à qui s'en approche que le monde est encore habitable, « Musicale corolle de ciel / à portée de chaque regard. »
De l'enfance à la mort, le poète refait le trajet. Ses désirs et son regard persistent, vibrants dans l'émotion, « Étoile tournoyante / ô croisée des vies / traversée incertaine. », « Sans feu / ni lieu / il a / - il est- ». Contre-chants de Georges-Emmanuel Clancier est un recueil d'une grande sérénité, on y découvre que les mots sont des signes fragiles qui tiennent leur promesse : être attentif au réel, à la vie ; espérer, suivre sa route dans le chant et contre le chant, avec au cœur la « liberté toute ». Une leçon d'être. Un grand travail de poésie, à lire, à méditer.
Claude Beausoleil
Johan Bourret L'ENFANT QUI VOULAIT
VOIR L'AFRIQUE L'Archipel, Paris, 2001,
229 p. ; 24,95 $
Voici le deuxième roman d'un jeune écrivain dont le premier, Quand les loups rôdent, est devenu un succès de librairie ! L'écriture est
vive, précise, efficace. Chaque chapitre présente un événement déterminant. Le suspense se maintient du début à la fin, jusqu'à ce qu'un enfant meure du sida. Celui-ci n'a plus ni parents ni grands-parents, seulement une tante et un ami qui partage son rêve de trouver le paradis en Afrique, où a vécu son père.
Le premier chapitre situe Antoine de la Perdrière, jeune architecte, en furie au volant de sa voiture ; il tue un jeune enfant inconnu au centre d'une petite ville de la Loire. Accusé de meurtre volontaire, il doit purger dix ans de prison. Ses parents l'ignorent. Sa soeur, médecin, l'attendra devant la porte de la prison et cherchera à le protéger, mais sans succès. Il s'installe dans la banlieue de Paris, branché devant la télévision et une bouteille d'alcool, seul sans aucun but ni projet. Puis surgit Erwan, 7 ans, voisin de palier ; sa tante travaille et il est seul, lui aussi, toute la journée. Il est curieux, astucieux, il sait tout ce qui se passe dans l'immeuble ; il arrive à s'imposer et, peu à peu, il transforme une relation de haine en une amitié profonde. Ils utiliseront tous les moyens pour quitter Paris et se réfugier dans cette petite ville de la Loire. Les divers événement font partie de la collection de problèmes sociaux qui perturbent la société actuelle, et ce jeune enfant en arrache toujours quelque étincelle d'espoir.
Des dialogues bien menés poussent chaque fois Antoine à réagir devant le bon sens direct d'Erwan. Si vous aimez vous laisser prendre par une histoire habillement racontée, qui pourrait se passer
L" en/nnt lfUi voulait
voir V M n * *
près de chez vous, dans la réalité quotidienne occultée, ménagez-vous une journée de lecture, à la fois entraînante et tragique.
Monique Grégoire
Maryse Condé CÉLANIRE COU-COUPÉ Robert Laffont, Paris, 2000,
251 p. ; 29,95 $
Maryse Condé LA BELLE CRÉOLE
Mercure de France, Paris, 2001, 253 p. ; 24,95 $
Au sein même de peuples asservis, tyranisés, comme s'ils introjectaient la violence dont ils sont brutalement victimes, l'oppression des femmes est plus vive qu'ailleurs. Chaque nouveau livre de Maryse Condé semble creuser plus avant les entrailles de la mère, de la terre-sang, l'impénétrable de l'exploitation.
Cette fois, le roman fantastique donne chair à Céla-nire Pinceau - « patronyme peu commun », ainsi qu'il est précisé dès le seuil du texte - , femme de peu de paroles dont « la couleur la mettait à part, cette peau noire qui l'habillait comme une vêtement de grand deuil. » Tout part d'un fait divers, lequel produit entre l'imaginaire de l'auteure et le commérage des résonances qui relient par les lianes et les oasis du sens
les profondeurs de la Côte d'Ivoire et celles de la Guyan-ne, de la Guadeloupe et du Pérou. Un bébé est trouvé sur un tas d'ordures la gorge tranché, dépouille métisse du cynisme, de l'arrogance, de l'outrecuidance ; cicatrice du capital, de l'ensemble humain. La mort prend à la gorge, en ce lieu du corps où s'éteint l'être lorsque ne passe plus le souffle vital.
À partir d'un autre angle, dans le contexte des graves conflits sociaux de Port-Mahault à la fin des années 90, un autre petit : Dieu-donné, petite grenouille de cinq ans, se réveille dans l 'opaque noirceur de la nuit noire la veille de Noël, menace absolue sans clair de lune, sans maman, sans personne. Une scène originelle durant laquelle une peur panique s'installe qui ne se résoudra que beaucoup plus tard dans le suicide, seule issue à l'abandon et au rejet affreusement ressentis durant une vie de paria, et à nouveau mobilisés dans la passion à sens unique qu'il éprouve pour Lorainne, riche békée plutôt portée - par dépit ?, par fantasme de jouissance ?, par peur ? - sur le sexe compulsif. Renvoyé à lui-même, aux murs grinçants de ses désirs inassouvis, un rapide combat avec cette femme de ses rêves l'amènera, dans un geste de légi-
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time défense, à la tuer. Structuré dans l'horizon de cet événement, le récit ouvre au plus impénétrable les effluves de l'inconscient : « Que de sang dans ce corps de femme ! », constate, désespéré mais décidé, le meurtrier bâtard, délicat jardinier de son état. Une variante de cette formule pourrait être : « Que de sang oublié dans ce corps d'homme ! », homme et femme formant alors le monstre métonymique d'un État décharné.
À mon sens, La belle créole est le roman le plus achevé de Maryse Condé, bien moins parce qu'il s'agit d'une fresque romantique somme toute assez traditionnelle tant au plan de la narration que du récit, que parce qu'il laisse surgir, au travers d'un tableau social des plus sombres, au zénith de sentiments inavouables, l 'horreur du ressentiment guettant la vie des individus et des peuples ne parvenant pas à se réaliser. Célanire ne crie pas autre chose, dans les plis de son absence.
Michel Peterson
Guy Lalancette LES YEUX DU PÈRE VLB, Montréal, 2001,
246 p. ; 22,95 $
Jùg Kattellan a sept ans quand meurt son père. Dans sa langue naïve et au détour de réflexions souvent amusantes pour le lecteur adulte, il nous raconte ses trois jours de deuil, pendant lesquels un de ses plus grands regrets est de ne pas avoir de peine. Jùg ne sait pas si le fait de ne pas pleurer la mort de son père peut constituer un péché. C'est que son père, il ne le connaissait pas vraiment.
C'est tout l'univers d'un petit garçon vivant dans un village québécois au milieu des années 50 que nous découvrons au fil de ce récit
rempli de réflexions et d'apartés tous aussi accrochants les uns que les autres. Ainsi, il y a son grand ami Julien, dont on comprend entre les lignes qu'il vient probablement de France (il dit « croc-en-jambe » au lieu de « jambette ») et qui est de « la religion athée ». La famille de Julien se fait tout de même passer pour protestante ; ainsi, on se fait regarder bizarrement, mais on continue d'appartenir au monde du connu. Il y a aussi « la folle à Lechasseur », qui a de grandes jambes et un tempérament détestable, et toute la famille de Jùg, dont sa grande sœur Énaïl, qui lui apprend toutes sortes de beaux mots, ou son frère Braner, qui n'a jamais peur de rien.
Tout en racontant sa petite vie quotidienne bouleversée par les rituels du deuil, Jùg explique ses connaissances sur le déroutant monde des adultes et sur l'omniprésente religion : « Dans le temps de la Bible, c'est pas comme aujourd'hui parce que c'est rempli de miracles, comme la fois où Moïse a traversé la rivière Rouge en marchant sans se mouiller. Jésus aussi l'a fait, ce miracle-là, [...]. » Peu à peu, avec beaucoup de réalisme et de sensibilité, on creusera aussi le mystère du non-dit dans la relation père-fils.
Une bouffée d'air frais, des passages qu'on a sans cesse envie de citer à pleines pages, dans une langue pleine de candeur. L'art consommé de l'auteur est d'ailleurs mis en relief par l 'alternance entre les chapitres principaux, rédigés dans cette langue d'enfant, et les courtes sections où le narrateur d'âge mûr reprend la parole pour relater des bribes de la même histoire avec ses yeux d'adulte.
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