Fédéralisme (macro) et Economie Sociale (micro) : une finalité coopérative partagée ?

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1 Fédéralisme (macro) et Economie Sociale (micro) : une finalité coopérative partagée ? Par Nicolas Maurice-Demourioux Mai 2012

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Au niveau macro-économique, le fédéralisme est en expansion car de plus en plus de pays le voient comme une méthode possible pour gouverner les diversités en expansion dans un monde sans cesse en mutation. Au niveau micro-économique, l’économie sociale, et tout particulièrement le modèle coopératif, est de plus en plus mentionnée comme une autre voie possible pour entreprendre, plus équilibrée, plus soutenable.

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Fédéralisme (macro) et

Economie Sociale (micro) : une

finalité coopérative partagée ?

Par Nicolas Maurice-Demourioux

Mai 2012

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Le Think tank européen Pour la Solidarité (asbl) – association au service de la cohésion sociale

et d’un modèle économique européen solidaire – travaille à la promotion de la solidarité, des

valeurs éthiques et démocratiques sous toutes leurs formes et à lier des alliances durables

entre les représentants européens des cinq familles d’acteurs socio-économiques.

À travers des projets concrets, il s’agit de mettre en relation les chercheurs universitaires et les

mouvements associatifs avec les pouvoirs publics, les entreprises et les acteurs sociaux afin de

relever les nombreux défis émergents et contribuer à la construction d’une Europe solidaire et

porteuse de cohésion sociale.

Parmi ses activités actuelles, Pour la Solidarité initie et assure le suivi d'une série de projets

européens et belges ; développe des réseaux de compétence, suscite et assure la réalisation et

la diffusion d’études socioéconomiques ; la création d’observatoires ; l’organisation de

colloques, de séminaires et de rencontres thématiques ; l’élaboration de recommandations

auprès des décideurs économiques, sociaux et politiques.

Pour la Solidarité organise ses activités autour de différents pôles de recherche, d’études et

d’actions : la citoyenneté et la démocratie participative, le développement durable et territorial

et la cohésion sociale et économique, notamment l’économie sociale.

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Vieillissement actif et solidarité

intergénérationnelle : constats, enjeux et

perspectives, Cahier hors – série, Mars 2011

Services sociaux d’intérêt général : entre finalité

sociale et libre-concurrence, Cahier n° 27, Mars

2011

Logement vert, logement durable ? Enjeux et

perspectives, Cahier n° 26, Mars 2011

Agir pour une santé durable – Priorités et

perspectives en Europe, Cahier n° 25, Janvier

2011

La lutte contre la pauvreté en Europe et en

France, Cahier n° 24, Novembre 2010

Inclusion sociale active en Belgique, Cahier hors-

série, Novembre 2010

Responsabilité sociétale des entreprises. La

spécificité des sociétés mutuelles dans un

contexte européen, Cahier n° 23, 2010

Concilier la vie au travail et hors travail, Cahier

hors-série, 2010

Faut-il payer pour le non-marchand ? Analyse,

enjeux et perspectives, Cahier n° 22, 2009

Mobilité durable. Enjeux et pratiques en Europe,

Série développement durable et territorial, Cahier

n° 21, 2009

Tiphaine Delhommeau, Alimentation : circuits

courts, circuits de proximité, Cahier nº 20, 2009

Charlotte Creiser, L’économie sociale, actrice de

la lutte contre la précarité énergétique, Cahier

nº 19, 2009

Europe et risques climatiques, participation de la

Fondation MAIF à la recherche dans ce domaine,

Cahier nº 18, 2009

Thomas Bouvier, Construire des villes

européennes durables, tomes I et II, Cahiers

nº 16 et 17, 2009

Europe, énergie et économie sociale, Cahier

nº 15, 2008

Décrochage scolaire, comprendre pour agir,

Cahier nº 14, 2007

Séverine Karko, Femmes et Villes : que fait

l'Europe ? Bilan et perspectives, Cahier nº 12

(nº 13 en version néerlandaise), 2007

Sophie Heine, Modèle social européen, de

l'équilibre aux déséquilibres, Cahier nº 11, 2007

La diversité dans tous ses états, Cahier nº 10,

2007

Francesca Petrella et Julien Harquel,

Libéralisation des services et du secteur

associatif, Cahier nº 9, 2007

Annick Decourt et Fanny Gleize, Démocratie

participative en Europe. Guide de bonnes

pratiques, Cahier nº 8, 2006

Éric Vidot, La reprise d'entreprises en

coopératives : une solution aux problèmes de

mutations industrielles ? Cahier nº 7, 2006

Anne Plasman, Indicateurs de richesse sociale en

Région bruxelloise, Cahier nº 6, 2006

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Introduction

La construction européenne ne s’est pas faite en un jour. Les responsables politiques ont cherché quel était le domaine qui, s’il était traité, déclencherait toutes une série de réactions qui amèneraient, petit à petit, des pays qui étaient traditionnellement ennemis à devenir des pays capables de travailler ensemble. Pour mettre en pratique cette sorte d’« acupuncture politique »1, ils ont choisi en 1951 le domaine du charbon et de l’acier.2

Plus d’un demi-siècle plus tard, l’Europe a encore besoin de médecine, douce qui plus est, car elle vacille du haut de son « perchoir » économique. Les remèdes existent, et l’acupuncture est désormais tournée vers plus de méthodes sociales et environnementales (innovation sociale et développement durable à la clé), au final vers plus de solidarité.

Deux mouvements, situés à des échelles différentes, tentent de promouvoir une gouvernance plus démocratique de nos Sociétés3, en tentant de gérer l'unité dans la diversité. Au niveau macro-économique, le fédéralisme est en expansion car de plus en plus de pays le voient comme une méthode possible pour gouverner les diversités en expansion dans un monde sans cesse en mutation. Au niveau micro-économique, l’économie sociale, et tout particulièrement le modèle coopératif, est de plus en plus mentionnée comme une autre voie possible pour entreprendre, plus équilibrée, plus soutenable.

Si la « différence coopérative » est un élément essentiel de la distinction entre les modes d’entreprendre (particulièrement avec les entreprises classiques), certaines similitudes avec la « différence fédéraliste » peuvent être soulignées. En effet, la gouvernance démocratique, la division des pouvoirs et la recherche de l'intérêt général font également partie des principes fédéralistes fondamentaux.

Dès lors, quels sont les liens entre fédéralisme et économie sociale ? Sur quelles bases ces deux courants macro et microéconomiques peuvent-ils se compléter et se renforcer mutuellement pour apporter des réponses innovantes face à l'enlisement actuel ? Comment l’économie sociale peut-elle utiliser ses atouts pour faire basculer nos sociétés, à la manière du jeu de dominos de la construction européenne, vers une transition juste basée sur la coopération entre individus ?

Au final, il s’agit d’observer la combinaison fédéralisme (macro) – économie sociale (micro) ou FEDESS, encore trop peu étudiée. Cette entreprise peut s’avérer riche en enseignements face aux imperfections du modèle dominant et aux crises multiformes qui ébranlent nos sociétés modernes.

Pour ce faire, nous partirons de l'analyse du fédéralisme au niveau macro-économique, suivi par celle de l'économie sociale au niveau micro-économique, pour étudier dans un troisième temps les possibilités engendrées par la rencontre entre ces deux courants.

1

Expression de Georges Berthoin lors d’une interview avec Pierre Calame extraite de l’ouvrage « L’Europe, c’est pas du chinois ! La construction européenne racontée aux Chinois », 2007.

2 Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA)

3 Sociétés avec un grand « S » car incluant également les « entreprises », en plus du terme sociétal.

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I. Le Fédéralisme : solution ou problème ?

Il existe actuellement environ 25 pays fédéraux à travers le monde, et 40 pour cent de la population mondiale y réside4. Parmi ces pays se trouvent certaines des plus grandes et des plus complexes démocraties (Inde, Etats-Unis, Brésil, Allemagne, Belgique et Suisse). Ce système de gouvernance, malgré son occasionnelle complexité, a permis à plusieurs fédérations de se placer au rang des pays les plus prospères du monde et d'offrir des services gouvernementaux de haute qualité. Cependant, le concept de fédéralisme prête encore souvent à confusion et reste assez mal connu, d’où la nécessité de revenir sur ses origines et de tenter de le caractériser, à la fois historiquement, institutionnellement et économiquement.

A) Histoire d’un concept

Le thème ne figure guère dans les ouvrages de l’Antiquité classique (Platon, Aristote et leurs disciples), même si les ligues des cités grecques en sont d’une certaine manière une préfiguration sous la forme de la confédération5. Le concept fut formulé pour la première fois par Johannes Althusius (1562-1638), à la lumière des expériences suisse, hollandaise ou germanique (Saint Empire romain germanique), qui considérait la formation d’unions fédérales comme la base de toute politique6. Dans sa « Politica » (1603-1610), Althusius développe l’idée qu’un régime politique est une hiérarchie d’unions fédérales, commençant par le village et la guilde pour aboutir à un empire7. Il tente ainsi de transformer la notion médiévale de hiérarchie féodale en hiérarchie constitutionnelle moderne.

Le concept de fédéralisme a connu peu de développement important dans les cent cinquante années qui suivirent Althusius. Sa seule actualité résidait dans la question de l’Empire germanique dont l’organisation fédérale ne fonctionnait plus. Pour le remplacer dans son rôle de garant de la paix, divers projets de fédéralisation des États européens furent proposés, d’Henri IV et Sully à l’abbé de Saint-Pierre et à Kant. On en retrouve certains reflets dans la «république fédérative» de Montesquieu8, qui serait susceptible de fournir une force de défense à plusieurs républiques. Il fut le premier à dégager clairement la nécessité d’un certain degré d’homogénéité dans un système fédéral.

L’idée fédérale, que Montesquieu avait remis au goût du jour, demandait à s’incarner pour exister. Elle doit beaucoup, en ce sens, à la Constitution américaine qui contient des

4 Sources du Forum des Fédérations

5 La distinction entre les « fédération » et « confédération » est parfois délicate, comme dans le cas de la Suisse

qui a conservé le nom de « Confédération helvétique » même après qu'elle se fut dotée d'une constitution fédérale. Le droit international permet une distinction simple : les États membres d'une confédération demeurent des États du point de vue du droit international alors que seul l'État fédéral dispose de ce statut pour une fédération.

6 « Réflexion sur le fédéralisme », Institut pour la démocratie en Europe, 2001.

7 Comme Aristote et Saint Thomas d’Aquin, Althusius pense que le pouvoir n’a pas pour objet de créer une

unité d’identité, mais une harmonie, une unité d’ordres qui assure les diversités.

8 « Esprit des lois », livre IX, 1748

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innovations notables (« The Federalist »9). Le fédéralisme ainsi institué est celui d’une double communauté, chaque citoyen appartenant à la fois à son État et à l’Union fédérale. Reprenant ce que les articles de la Confédération de 1781 avaient esquissé, la Constitution s’attacha à la situation concrète plus qu’à un principe abstrait. Les deux factions opposées de l’époque, centralistes et fédéralistes, durent finalement s’entendre sur un compromis : un système fondé sur une nouvelle conception du fédéralisme qui combinait un exécutif fédéral puissant, deux chambres (l’une représentant la nation, l’autre les États), un gardien juridique de la Constitution fédérale et une large garantie des droits et libertés civiques pour le citoyen (après le vote des dix premiers amendements). Trait original, la Constitution ne se bornait pas à la défense et à la sécurité, elle envisageait aussi une économie nationale. Ce concept de fédéralisme reposait sur la notion d’une double communauté, locale et globale, conçue de manière à favoriser l’harmonie du tout et à permettre le fonctionnement efficace d’un gouvernement local.

B) Le fédéralisme et l’Europe

Le fédéralisme apparait aujourd'hui en Europe comme une question sans réponse. A ceux qui s’en réclament, certains, et notamment en France, répliquent qu’on ne peut faire l’Europe sans les nations et que la fédéralisation de la construction européenne, pourtant déjà bien entamée, mènerait à une impasse tant politique que philosophique10. Ceux qui au contraire plaident pour cette forme d’organisation ont eux parfois la tentation de calquer ce qui existe déjà dans leur pays (en Allemagne par exemple), au risque de négliger l’originalité profonde du processus de construction européenne.

Alors que plusieurs grands pays de l’Union européenne ont adopté une organisation fédérale (Allemagne, Belgique, Autriche et, dans une certaine mesure, l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne, qui a récemment choisi de donner plus de pouvoir à ses régions), la construction européenne, confrontée à des choix difficiles dans la perspective de futurs élargissements, doit s’interroger sur un fédéralisme qui lui est d’une certaine manière « consubstantiel » : les « pères fondateurs » évoquaient déjà la « vocation fédérale » de l’Europe11. Telle qu’elle existe aujourd'hui, l’Europe fonctionne déjà avec des principes fédéraux, avec le système européen des banques centrales par exemple, le SEBC. Rappelons au passage que le « projet d'une Communauté européenne politique » de 1953, chère à Altiero Spinelli, prévoyait un Conseil exécutif européen (gouvernement de la Communauté), un Parlement européen composé de deux Chambres, la Chambre des peuples et le Sénat ainsi qu’une Cour de Justice.12

9 « Le Fédéraliste », aussi mentionné « les Papiers de Fédéraliste », est une série de 85 essais écrits par

Alexander Hamilton, John Jay et James Madison entre octobre 1787 et mai 1788.

10 « Le fédéralisme n’est pas la solution miracle à la crise », article de l’ancien ministre français des affaires

étrangères, Hubert Vedrine, pour le journal Le Monde d’aout 2011.

11 « L’Europe et le fédéralisme : contribution à l'émergence d'un fédéralisme intergouvernemental », Maurice

Croisat, Jean-Louis Quermonne, Montchrestien, 1999.

12 Assemblée ad hoc, Projet de Traité portant statut de la Communauté européenne, Paris, mars-avril 1953

(Commission constitutionnelle dont le rapporteur était F. Dehousse).

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Le fédéralisme n'est cependant pas un modèle rigide que l'on peut plaquer sur des sociétés différentes mais bien plutôt un ensemble de systèmes, de structures et de processus adéquats et spécifiques à chaque territoire qui s'appuient sur quelques principes de base. L’Union européenne invente aujourd'hui un modèle d’organisation qui s’apparente, plus ou moins, au fédéralisme.

C) Principes du fédéralisme et partage des compétences

Le fédéralisme est donc fondé sur une organisation et une répartition des pouvoirs qui permet de sauvegarder la diversité dans l’unité. Tel qu’il se présente aux Etats-Unis mais aussi dans les autres pays fédéraux européens, le fédéralisme est un mode de gouvernement qui repose sur une convention associant des communautés politiques, séparées et égales, pour agir ensemble tout en demeurant elles-mêmes13. La convention fondatrice de l’association établit les institutions communes, les principes constitutifs de leur organisation et les modalités de fonctionnement, ainsi que les buts communs à atteindre. Mais, cette convention est toujours susceptible d’être renouvelée, c’est un processus continu de fédéralisation à la suite d’accords multiples pour vivre ensemble malgré les différences. Il en résulte des équilibres provisoires. Le fédéralisme a pour finalité de garantir la diversité, les identités différenciées tout en exigeant la compatibilité des régimes politiques dans leurs structures et leurs pratiques afin de disposer des mêmes normes de base, à l’image de ce que décrit Kant dans la « Vers la paix perpétuelle » (1975).

Trois grands principes structurent l’organisation fédérale :

- le principe de séparation, suivant lequel les compétences législatives et exécutives sont réparties entre deux niveaux de gouvernement, l'un central (ou fédéral), l'autre local (ou fédéré). Cette répartition n'est pas figée une fois pour toutes, mais est susceptible de changements. Parmi les compétences exclusives attribuées au pouvoir fédéral figurent en premier lieu les affaires étrangères, la sécurité et la défense, les traités internationaux et la politique commerciale, la monnaie et la politique macro-économique (en commun avec les Etats fédérés). Ces compétences ainsi que le partage des compétences sont définis par la Constitution. Les autres compétences sont soit réservées aux Etats fédérés, soit concurrentes et exercées en commun par l'Etat fédéral et les Etats fédérés. Dans le fédéralisme européen et en Suisse en particulier, la catégorie des compétences concurrentes est la plus vaste. Elle comprend notamment la politique économique, la politique fiscale et les impôts, la politique du développement régional, la politique scientifique même que le droit civil, etc. A ce volet juridique s'ajoute une série de compétences dans les domaines de la protection de l'environnement, de la santé ainsi que les polices des denrées alimentaires, du commerce, etc.

La conséquence est que ce que les Etats peuvent faire, la Fédération ne doit pas le faire. La même règle s'applique aux Régions et aux pouvoirs locaux. En conséquence, lorsque les niveaux existants n'offrent pas de moyens adéquats, il y a lieu de recourir à un centre de

13 « Multilevel Governance and Social Policy : Observations from the Perspective of Comparative Federalism », Johanne Poirier, Actes des Ateliers 2008 sur la Gouvernance à niveaux multiples au sein de l’Union européenne, Les contributions aux Ateliers 2008, Comité des Régions, 2009, 225-240

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décision et à une mise en commun des ressources et des capacités. Le principe de subsidiarité peut alors être mis en œuvre.

- le principe d'autonomie, suivant lequel chaque niveau de gouvernement est autonome (ou souverain) dans le domaine de ses compétences et dans les limites imposées par la Constitution fédérale ;

- le principe de participation, suivant lequel les Etats fédérés doivent être représentés et participer aux décisions fédérales. Cette participation se concrétise typiquement (mais pas exclusivement) dans le bicaméralisme14, où la deuxième chambre représente de manière égalitaire (sur la base d’un Etat/une voix ou proportionnellement à leur population) les Etats fédérés.

D) Fédéralisme et économie

Le secteur économique occupe une part fondamentale dans le fonctionnement fédéral, en ce sens qu’il vise la création et la répartition des richesses de manière proportionnée entre différents territoires. Il existe trois grilles de lectures pour une lecture économique du fédéralisme :

- Une perspective pure et concurrentielle du fédéralisme.

Tout d’abord, un grand nombre de contributions s’inscrivent dans une perspective très anglo-saxonne, concurrentielle et « pure » du fédéralisme, fondée sur une stricte logique d'efficacité et sur l'idée que les choix collectifs sont déterminés à partir des simples utilités individuelles. Ces modèles de fédéralisme concurrentiel établissent que le degré de décentralisation optimale peut être obtenu par un calcul coût-avantages fondé sur des contraintes spatiales, techniques et financières.

Influencée par les apports de la doctrine traditionnelle utilitariste, cette vision concurrentielle du fédéralisme se fonde sur une logique de collectivités maximisant leur bien-être et sur des agents mobiles qui migrent d’une localité à l’autre en fonction de leurs préférences. Toute perspective procédurale et de détermination des choix collectifs intégrant des logiques de coopération ou de redistribution à un niveau national en est exclu. Les acteurs sont donc indépendants les uns des autres, les interactions sont impossibles15 et la seule contrainte reste la satisfaction des préférences individuelles régionales. Les choix collectifs sont donc atteints par le fait que les agents se regroupent en communes de manière homogène, même si, au bout du compte, cela revient à créer une multitude d'unité fédérale.

- Une perspective coopérative du fédéralisme

14

Système d'organisation politique qui divise le Parlement en deux chambres distinctes, une chambre haute et une chambre basse. 15

Les fonctions d’utilité collective sont perçues dans un sens très classique comme une agrégation des utilités individuelles. Des comportements de type altruiste, fondés sur une interdépendance des utilités ne sont pas pris en compte.

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Une deuxième grille d’analyse renvoie à une perspective coopérative du fédéralisme, qui hérite et témoigne de l’influence allemande sur la pensée économique du fédéralisme16. Cette voie plus européenne, continentale (mais aussi canadienne) du fédéralisme, s'appuie sur des considérations d'équité de l'action publique. Cette approche considère que l'utilité collective n'est pas simplement utilitariste et ne s'obtient pas à partir d'une simple agrégation des valeurs individuelles. Elle propose une perspective plus organique de l'action publique en repoussant une vision a-historique du fédéralisme, fondée sur une base spatiale vierge de tout référentiel historique, politique et territorial. Le regroupement des agents en une communauté homogène est acquis, au-delà des migrations, bien plus par une modification des fonctions de préférences individuelles des individus sous l'impulsion de l'histoire commune, des traditions, d'une culture. Ces analyses insistent sur les mécanismes de coordination et de coopération de l'action publique entre les différents niveaux de pouvoir. Une place est donc faite dans ses analyses à des instruments de redistribution interrégionale des richesses, comme nous pouvons le trouver dans l'étude du fédéralisme allemand : péréquation fiscale, politique régionale susceptible de mettre en place une offre homogène des biens publics sur le territoire fédéral.

- Une perspective constitutionnelle du fédéralisme

Enfin, certaines contributions s’inscrivent dans une perspective constitutionnelle du fédéralisme. Cette dernière perspective bénéficie aussi, de larges influences germaniques (Hayek ou Biehl, 1993) : il s’agit de déterminer les règles optimales de constitution de la Fédération, en particulier en s’intéressant à l’arbitrage entre « préférences individuelles » et « choix collectifs ». Une fédération repose donc sur des choix constitutionnels, qui expriment un arbitrage entre « coûts de frustration », liés à la nécessité de se constituer en communauté, voire en nation, ce qui implique une réduction de la liberté individuelle, et « coûts de prise de décision », qui caractérisent la difficulté de parvenir à un consensus.

On le voit bien, au plan macro-économique, une construction fédérale qui tente de garantir l’unité dans la diversité sur des territoires donnés suppose de nombreux compromis entre les différentes parties et produit un équilibre temporaire qu’il faut en permanence réajuster. Dès lors, les crises, qu’elles soient économiques, financières, sociales ou environnementales menacent fortement cette équilibre fragile. Plusieurs observateurs de la situation européenne actuelle s’accorde sur le fait que le point de départ de la crise, qui frappe de plein fouet l’Europe, à des sources essentiellement financières et économiques17.

Un courant micro-économique, promouvant également l’unité dans la diversité mais à une échelle territoriale différente, tente de remédier aux différents maux auxquels doit faire face la société européenne. En s’appuyant sur des valeurs de solidarité et de partage, l’économie sociale propose plusieurs outils et solutions pour une autre économie, et par la même pour une Société plus équilibrée. Ses valeurs ne sont pas sans rappeler celles décrites précédemment.

16 « Economie du Fédéralisme : quelle constitution pour l’Europe ? », Laurent Guihéry, Maître de conférences

au Laboratoire d’Economie des Transports (L.E.T.) - UMR CNRS, Université Lumière Lyon 2 17

« Pour un renouveau de l’Europe » par Jacques Delors, président-fondateur de Notre Europe, 11 avril 2012

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II. L’Economie Sociale en route pour Rio + 20 Depuis 20 ans, le paysage économique, écologique et social s’est profondément transformé sous le coup de grandes transitions économiques, politiques, sociales et environnementales planétaires, se traduisant par un durcissement du système capitaliste, au détriment des salariés et de l’environnement. Des réponses à ces transitions ont alors surgi : nous avons assisté à l’explosion d’initiatives économiques alternatives un peu partout dans le monde; à la transformation des grandes organisations nées ou reconstituées dans l’après-guerre (mouvements syndicaux, mouvements des agriculteurs, mouvements coopératifs); à l’émergence de nouveaux réseaux ou de nouvelles organisations (ONG, mouvements de la consommation responsable, commerce équitable, réseaux de développement local, réseaux de finance solidaire et communautaire…)18. À cela s’ajoute la montée de l’internationalisation de l’action collective à travers l’expérience des Forums sociaux mondiaux et d’autres formes d’organisation qui sont encore à la recherche d’une représentation politique citoyenne transnationale répondant mieux aux nouveaux défis. Le courant de l’ « économie sociale » (et solidaire) résume bien ces volontés de transition et à l’heure du Sommet Rio + 20 de juin prochain, les enjeux qu’il défend s’avèrent fondamentaux. A) L’économie sociale en Europe L’économie sociale est un mouvement qui, pour certain, dépasse le cadre « entrepreneurial » qui lui est le plus souvent accolé (on parle alors d’économie sociale « marchande » et « non marchande »). Ce mouvement est à l'origine une réponse collective, alternative, des citoyens aux problèmes engendrés par le modèle économique dominant. Modèle qui est susceptible de mettre à mal, nous l’avons vue précédemment, le fragile équilibre propre à l’organisation fédérale au niveau macro-économique. Le secteur de l’économie sociale est très varié en Europe. Il recouvre des réalités différentes selon l’histoire nationale de chaque pays et les régulations internes existant entre les différents acteurs de la société19. En 1990, le Conseil Wallon de l’Economie Sociale (CWES) a mis au point une définition de l’économie sociale qui a fait autorité, en stipulant que l’économie sociale se compose d’activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives, des mutuelles et des associations dont l’éthique se traduit par différents principes: - La finalité de services aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit; - L’autonomie de gestion; - Le processus de décision démocratique; - La primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus.

Cependant, c’est un secteur complexe, où les disparités demeurent et sont parfois la cause d’un problème de structuration au niveau européen. Pour remédier à cela et face au potentiel novateur que représente ce secteur pour faire face à la crise, les institutions européennes se sont récemment emparées du sujet et tente de créer un écosystème

18

Les Rencontres du Mont-Blanc, 2011. 19

« L’économie sociale en Europe », working paper, Fanny Gleize, Pour La Solidarité, 2006.

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favorable au développement des structures de l’économie sociale en Europe. L’année 2011 à été particulièrement riche en la matière20.

Face aux problématiques transversales telles que la dépendance, le chômage, le réchauffement climatique, etc., et à l’impuissance d’apporter des réponses claires en utilisant les schémas en place, les acteurs tant macro et micro, économiques que territoriaux, doivent aujourd’hui innover pour trouver de nouvelles réponses. Un modèle en particulier est mis en avant : le modèle coopératif.

B) Les coopératives sous les projecteurs Une coopérative est « une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement ».21 Le mouvement coopératif (et mutualiste) représente déjà le mode de subsistance de la moitié de la population du monde. Certain estime que la coopération est le modèle d’affaires qui connaîtra vraisemblablement le plus grand essor d’ici 2020 (les coopératives représentent 100 millions d’emplois dans le monde, soit 20 % de plus que les multinationales)22. C’est dire toute l’importance de permettre aux décideurs et aux personnes d’influence du milieu coopératif (et mutualiste) de discuter d’enjeux actuels et futurs, et de les articuler autour d’initiatives qui favoriseront la prospérité durable.

C’est dans cette otique que l’ONU a proclamé 2012 « Année internationale des coopératives ». La résolution demande aux États membres de sensibiliser et de promouvoir la croissance des coopératives. Elle propose également que tous les gouvernements à travers le monde révisent la législation régissant les coopératives pour assurer leur croissance et leur viabilité. Pour Rainer Schlüter, ancien directeur de COOPERATIVES EUROPE23 : "cela permet d’avoir un outil supplémentaire pour promouvoir le modèle d’entreprise coopératif et la différence coopérative".24

C) Principes coopératifs et partage des pouvoirs

La coopérative est une entité économique fondée sur le principe de la coopération. Elle a pour objectif de servir au mieux les intérêts économiques de ses participants (sociétaires ou adhérents). Elle se distingue en cela de l'association à but non lucratif dont le but est moins lié aux activités économiques et de la société commerciale qui établit une distinction entre ses associés et ses clients ou usagers. Elle se distingue également de la mutuelle de par son statut juridique.

20

Voir à ce sujet les nombreuses publications du Think Tank Pour La Solidarité sur les évolutions et les enjeux européens relatifs au secteur de l’économie sociale (et solidaire). 21

Sources Alliance coopérative international (ACI) 22

Ibid

23 COOPERATIVES EUROPE est membre de SOCIAL ECONOMY EUROPE. COOPERATIVES EUROPE a été

constituée le 11 novembre 2006 dans le but de soutenir et développer les coopératives à travers l’Europe.

24 Le Parlement européen à adopté dans ce sens, le 13 mars 2012, un rapport pour l’amélioration du statut de

la coopérative européenne (dont le bilan est jusqu’ici bien maigre) et le soutien à l’économie sociale.

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L'identité coopérative s'identifie par sept principes de coopération :

- Principe d’adhésion volontaire et ouverte à tous - Principe du pouvoir démocratique exercé par les membres - Principe de participation économique des membres - Principe d’autonomie et d’indépendance - Principe d’éducation, de formation et d’information - Principe de coopération entre les coopératives - Principe d’engagement envers la communauté

Ainsi, pour les prises de décision, elle repose sur le principe démocratique « une personne = une voix » qui devra élire un conseil d'administration qui nommera un directeur général. Les salariés et les membres-usagers sont ainsi tous égaux en droit.

Pour résumer, une entreprise coopérative est une société de droit privé dans laquelle un grand nombre de salariés est sociétaire. Son capital est constitué de parts sociales variables et cessibles. Chaque sociétaire doit détenir une part de ce capital social. Son conseil d’administration est composé de l’ensemble des sociétaires qui détiennent un droit de vote par personne, indépendamment du nombre de parts sociales qu’ils détiennent, et donc de leur apport en capital. C’est cette égalité des sociétaires au sein de son conseil d’administration qui fonde la supériorité sociale de l’entreprise. Ce n’est pas une société de capitaux, c’est une société de personnes. Elle n’a pas pour objectif de rechercher un gain actionnarial, mais l’intérêt de sociétaires ou de la collectivité dans laquelle elle s’intègre. C’est pourquoi ses moyens de production, apports en capital et en industrie, sont mis en commun afin de partager entre tous les bénéfices d’activité.

Et bien si le fédéralisme implique le contrôle mutuel d’un niveau par l’autre au niveau macro (la séparation des pouvoirs et la gestion démocratique), l’économie sociale, nous venons de le voir, tend elle aussi à un partage des pouvoirs et à un mode de gouvernance démocratique et coopératif au sein de l’entreprise. Après avoir présenté ces deux courants, intéressons nous maintenant à la comparaison de leurs principes de bases en utilisant le prisme coopératif.

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III. Fédéralisme et Economie sociale : une finalité coopérative partagée ? En mettant en parallèle ces deux courants macro-économique et micro-économique, certains principes de fond entre alors en résonnance et sont susceptibles de s’influencer mutuellement. A) Les liens entre Fédéralisme et Economie Sociale Le français Pierre-Jospeh Proudhon est un des premiers à avoir osé le parallèle. S’il est surtout célèbre pour sa tirade : « la propriété, c’est le vol »25, en fédéraliste convaincu, il prône le regroupement volontaire sur base démocratique fédérale, du niveau local jusqu’au niveau européen. Dans le cadre de l’entreprise, ce sont également les principes démocratiques et la remise en cause de la propriété, considérée comme un « droit d’aubaine », qui guident sa réflexion26. Contrairement à ce que l’on pense habituellement, il construit son projet politique sur la propriété. La propriété pour tous, par le biais du mutuellisme. Le lien entre fédéralisme et mutuelles27 fut ainsi établit. Mutuelles et coopératives, bien que possédant des identités qui leur sont propre, se retrouvent autour des grands principes de l’économie sociale (et solidaire) décrit précédemment. En reprenant les grands principes décris dans les parties précédentes, on obtient le tableau comparatif suivant :

25

« Revolutionary Justice : The Social and Political Theory of P. J. Proudhon », Robert L. Hoffman, Urbana, University of Illinois Press, 1972. 26

« Co-propriété et démocratie ; la coopérative comme réponse à la crise », Luca Ciccia, in « Cooperatives, un modèle tout terrien », SAW-B, 2011. 27

Action sociale de prévoyance et d'entraide pratiquée par des associations à but non lucratif dont les membres s'assurent mutuellement contre certains risques ou se promettent certaines prestations moyennant le versement d'une cotisation.

Principes Fédéralisme Economie sociale Finalité coopérative partagée?

Séparation

Séparation des pouvoirs, gouvernement central

(fédéral) et gouvernement local (fédéré)

Séparation nette avec le profit comme objectif ultime. Finalité de services aux

membres ou à la collectivité plutôt que du profit

Séparation des pouvoirs pour « équilibrer » les rapports

La gouvernance coopérative permet de prémunir l'ensemble

contre l'hégémonie d'un membre ou d'un groupe de

membres

Autonomie

Chaque niveau de gouvernement est autonome ou souverain dans le domaine des ses compétences et dans

la limites imposée par la Constitution fédérale

Une autonomie de gestion (un degré élevé d’autonomie

pour la définition de l’entreprise sociale)

Marge de manœuvre et gouvernance territoriale adaptées aux besoins en fonction des échelles de

territoires

Participation

« Un Etat une voix » ou proportionnellement à la

population des Etats fédérés

Processus de décision démocratique « une personne

une voix »

Processus de décision démocratique basé sur des

compromis au niveau macro et micro entre toutes les parties

prenantes

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Deux notions majeures se dégagent de ce tableau : la séparation des pouvoirs et la recherche de processus de décision démocratique dans la Société (organisation sociétale et économique de groupes d’individus à grandes et petites échelles). La gouvernance devient alors la brique de base d’une telle recherche.

Pour le fédéralisme, l'existence d'un « noyau dynamique fédérateur » implique un équilibre entre les membres de la fédération. Les grands Etats fédérés et les sous-ensembles des petits et moyens prémunissent ainsi l'ensemble contre l'hégémonie d'un membre ou d'un groupe de membres. Cette volonté n’est pas sans rappeler la note anticartel28 du projet d’organisation européenne non monopolistique, qui accompagnait la déclaration originelle du 9 mai 1950 (la CECA) fondant la Communauté européenne.

Dans l’économie sociale, les pouvoirs au sein du conseil d’administration ne sont pas proportionnels à la part du capital social détenu, mais sont égaux pour chaque sociétaire. Les propriétaires du capital ne s’opposent plus aux apporteurs en industrie. Ce sont les mêmes puisque les sociétaires, de la coopérative par exemple, sont à la fois ses employés et ses propriétaires. Ils répugneront à délocaliser et à licencier mais préféreront réduire leurs revenus tirés de l’exploitation coopérative. Ce qui, dans des périodes de diminution du chiffre d’affaires, permettra de maintenir l’emploi sur place et de ne pas gaspiller le capital humain. La finalité coopérative qui peut être dégagée de cette comparaison entre fédéralisme et économie sociale porte donc principalement sur la séparation des pouvoirs (lutter contre les monopoles et les conflits d’intérêts, dans les principes), un certain degré d’autonomie (pour répondre aux besoins locaux tout en étant intégré dans un contexte mondialisé) et un processus de décision démocratique (« Un Etat une voix » ou « Une personne une voix »). B) Points forts et points faibles d’une telle association Les différentes perspectives de l’analyse économique du fédéralisme nous amène à appréhender la problématique économique fédérale comme un arbitrage entre les avantages d’une construction politique de type fédéral - avantages informationnels et transparence des finances publiques, prise en compte des préférences régionales des agents, contrôle démocratique, citoyenneté de proximité, avantage de la décentralisation - et les limites d’une telle organisation fédérale - effets externes entre régions ou effets de débordement, économie d’échelle, accroissement des inégalités entre région et problème de la redistribution fiscale, logique de ségrégation et mobilité du facteur travail et capital. Le fédéralisme, en économie, n’est donc pas un acquis mais bien plus un processus dynamique d’équilibre et de tâtonnement entre des forces plutôt centralisatrices et des forces plutôt décentralisatrices. Si l’équilibre fédéraliste est susceptible d’être menacé par le fonctionnement du modèle économique dominant qui, en entraînant hausse du chômage et perte de légitimité démocratique accroît la montée du nationalisme et l’évanouissement des solidarités, alors le contrepoids stabilisateur que tente d’amener l’économie sociale pourrait permettre de rééquilibrer la balance.

28

Notes pour la presse relatives à la déclaration du 9 mai 1950, CVCE

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Les valeurs et champs d’intervention de l’économie sociale sont susceptibles d’apporter un autre modèle à multiples facettes : une gouvernance démocratique, une propriété à la fois privée et collective, le social et la solidarité au cœur des projets, le respect de l’environnement. Elles sont autant de «règles», de «références» conduisant à une autre économie et, au-delà, à une mondialisation plus humaines et donc à une meilleure gestion de l’unité dans la diversité, principe de base du fédéralisme que nous avons expliqué précédemment. Les coopératives ont les moyens équilibrés de conjuguer respect des principes coopératifs fondamentaux et souplesse nécessaire pour participer normalement à la concurrence avec les autres acteurs économiques privés. De la même manière, l’organisation fédérale doit permettre en principes à un ensemble de territoires de ce regrouper pour, premièrement, se défendre contre toutes agressions extérieures (ou « stratégie de déstabilisation », économique, sociale, culturelle), et deuxièmement, mettre en commun des ressources et garantir une certaine flexibilité dans les marges de manœuvre. Prenons par exemple une organisation fédérale qui favoriserait l’échange de biens produits localement entre les différents territoires, en facilitant l’accès au marché intérieur, régulé, soutenant ainsi une industrie et des entreprises (sociales ?) basées localement tout en étant en capacité d’échanger des surplus sur les marchés voisins. C’est, en partie, ce que tente de faire l’Union européenne. Le mouvement fédéraliste est en expansion mais il est également confronté à de nombreuses interrogations sur sa pertinence et sur sa longévité face à une situation de crise qui ravive la montée des différents nationalismes en Europe. Ce courant aurait alors tout à gagner à s’intéresser aux valeurs prônées par l’économie sociale. Ainsi, en épaulant sont développement sur les différents territoires par des mesures de soutien aux entreprises sociales, les deux pourraient gagner en stabilité. En contrepartie, l’économie sociale, également en expansion et en recherche d’écosystème favorable à son développement pourrait trouver dans le fonctionnement fédéral un soutien d’envergure et des valeurs macro-économiques proches de celles qu’elle défend. C) Les limites à la comparaison Au premier abord, comparer fédéralisme et économie sociale peut sembler « étrange », ces deux courant évoluant dans des sphères spatiales très différentes (global / local). Il existe également une ambivalence caractérisée entre théories de bases ou grandes ambitions et réalités d’application de terrain. De plus, si le basculement d’une entreprise « classique » vers une entreprise de « l’économie sociale et solidaire » (une entreprise sociale) implique une réorientation des sociétés de capitaux en des sociétés de personnes, cela ne veut cependant pas dire que tous les problèmes seront éradiqués. Ils seront surement d’une autre nature, interne et avec moins d’impacts. Il existe également un risque de distorsion entre économie sociale et économie réelle. Mais si de nombreuses structures de l’économie sociale se rassemblent autour de bases fédérales (fédération de coopérative, de mutuelles, etc.), et si de nombreuses fédérations encouragent et soutiennent le développement de l’économie sociale aux seins de leurs territoires (Belgique, Allemagne, etc.), alors ces deux mouvements ont des points communs et peuvent se compléter et se renforcer mutuellement !

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Enfin, la réforme institutionnelle qui serait nécessaire dans l’optique d’une Europe plus fédérale impliquerait de mettre en place un système fiscal et budgétaire commun. Pour que les contribuables approuvent un tel système, celui-ci devrait alors servir le projet de croissance européen et suivre une politique de redistribution juste définie au sein d'un programme pour lequel la population pourrait voter. Mais aux vues de la tragédie grecque actuelle, l’harmonie entre les Etats membres est-elle encore possible ?

Conclusion

L'implosion de la finance américaine, devenue un véritable "danger public"29, sur le système financier européen a bouleversé les équilibres et les rapports de forces en Europe. Celle-ci renvoi à la dérégulation, c'est-à-dire aux abandons massifs de souveraineté effectués pendant plus de vingt ans par plusieurs administrations au profit des marchés.

Dans cette optique, être plus "fédéraliste" parce que les marchés l'exigent, non merci ! Le "fédéralisme" peut vouloir dire la plus décourageante des choses (nous sommes trop petits, dépassés, épuisés, nous devons nous en remettre à l'Europe) ou la plus mobilisatrice (l'union fait la force, soyons plus solidaires). Si « fédéralisme » veut dire subsidiarité claire et plus de solidarité entre européens, ce concept s’accorde avec les valeurs portées par l’économie sociale. Mais l’idée qu'un "ministre des finances", ou de "l'économie", puisse servir d’arbitre contre un gouvernement ou un Parlement national semble quelque peut contraire au processus démocratique.

Les bouleversements engendrés par le modèle dominant actuel nous amènent à réfléchir à de nouvelles possibilités, de nouvelles connexions, basées sur l’oeconomie30 et sur la coopération entre individus. Le modèle de gestion et de gouvernance d’entreprise de la coopérative, issue du mouvement de l’économie sociale, peut permettre cette réhabilitation ou la transformation de la société de capitaux en société de personnes. Il permet également une distribution plus universelle de la propriété qui s’accorde alors avec l’equilibrium fédéral. La combinaison « Fédéralisme (macro) et Economie Sociale (micro) – ou FEDESS », met ainsi en lumière une recherche d’organisation et de répartition des pouvoirs optimale sur les territoires et dans l’entreprise, permettant de sauvegarder la diversité dans l’unité tout en rétablissant souveraineté et solidarité. Cette combinaison peut-elle s’accompagner de modalités innovantes dans lesquelles « l’organisation fédérale stratège » accepterait de construire les politiques sociales, écologiques et économiques avec les acteurs de la société civile (notamment ceux de l’économie sociale), pour faire reculer la marchandisation et avancer l’intérêt général et le bien commun ?

29

Selon le banquier et ancien ambassadeur Felix Rohatyn

30 Art de tirer partie de ressources rares, voir l’ouvrage de Pierre Calame sur l’oeconomie pour plus de détails.