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Extrait de la publication

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  • collection« PLUME »

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  • CHRONIQUESD’UNE MÉMOIRE INFIDÈLE

  • Éditions de la Pleine Lune223, 34e AvenueMontréal (Québec) h8t 1z4

    www.pleinelune.qc.ca

    InfographieJean Yves Collette

    Œuvre en couverture© Marc Paquet, Stéphane, médias mixtes sur papier.

    Photo de l’auteurG. P.

    Diffusion pour le Québec et le CanadaDiffusion DimediaCourriel : [email protected]

    Distribution pour la FranceDistribution du Nouveau-MondeCourriel : [email protected]

  • Gérard Pourcel

    CHRONIQUES D’UNE MÉMOIRE

    INFIDÈLEnouvelles

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  • isbn 978-2-89024-214-2 (papier)isbn 978-2-89024-254-8 (pdf)isbn 978-2-89024-392-7 (epub)

    © 2012, éditions de la Pleine Lune

    Dépôt légal – Premier trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

    La Pleine Lune remercie le Conseil des Arts du Canada ainsi que la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour leur soutien financier.

    Des versions antérieures et différentes des nouvelles « J’ai neuf ans, maman », « L’Homme au prunier », « Stéphane », « La Dame aux oiseaux », « Le Crabe », « Innu de passage », « Le Naufragé de la nuit », « Le Thé à la menthe » ont fait l’objet de publication dans des ouvrages collectifs ou des revues : JCL éditeur, XYZ, les éditions Tire veille, la revue littéraire Littoral.

  • Ce n’est qu’un roman et de nombreux événements qui y figurent, même s’ils sont tirés de la réalité la plus avérée et respectent strictement la chronologie, sont passés à travers le filtre de la fiction et s’y sont mêlés, à tel point qu’aujourd’hui encore, je suis incapable de délimiter les frontières entre les deux univers.

    Leonardo PaduraAdios Hemingway

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  • L’Homme au prunier

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    Ce jour-là, je venais de perdre un ami. Cette amitié avait commencé un beau matin du mois d’août, quelques années auparavant, le plus simplement du monde, alors que j’avais déménagé à Montréal.

    Des surprises attendaient le Néo-Montréalais que j’étais, dont la pause-stationnement-de-la-voiture : des collègues de bureau disparaissent tous les jours de leur poste de travail sans crier gare, à une heure très précise, comme s’il y avait une alerte à la bombe. Ils reviennent généralement quelques minutes plus tard, le sourire aux lèvres et l’esprit serein.

    Ce grégarisme-là heurtant mon vieux fond de soixante-huitard indiscipliné, moi, j’ai pourtant dû m’y plier. C’est un apprentissage très onéreux. Les contraventions, en plein été, se dessèchent sur votre pare-brise comme d’antiques parchemins fragiles. Les jours de pluie, elles tombent en déliquescence, tels de vieux assignats repêchés d’un quelconque galion naufragé dans le golfe du Saint-Laurent.

    C’est au cours de ce long apprentissage que j’ai découvert l’Homme au prunier, cet ami. Fin août, je venais donc de dénicher quelques pieds carrés

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    d’asphalte pour stationner mon antédiluvienne Volkswagen dans la rue Clark, à l’ouest du boulevard Saint-Laurent. Des automobilistes résidants de ce quartier devaient libérer la place quelques minutes avant mon arrivée.

    Ce rectangle d’asphalte se trouvait devant un modeste duplex au mur de façade peint en bleu, comme certaines maisons aux crépis multicolores du bassin méditerranéen. Il y avait là, planté devant cette habitation, dans un minuscule jardinet, un homme âgé, aussi noueux et impavide qu’un vieil olivier. Regardait-il mes laborieuses manœuvres de stationnement entre deux guimbardes aussi mal en point que la mienne, ou nourrissait-il ses paysages intérieurs, insensible à cet environnement de brique, de macadam et de ferraille ? En sortant, j’ai croisé son regard. Gêné, je n’ai pas insisté et j’ai poursuivi mon chemin. Le lendemain matin, la même place était libre. Exactement à la même heure que la veille, nos regards se sont encore croisés. Nous ne nous sommes toujours rien dit, mais j’ai cru voir se dessiner sur son visage buriné une esquisse de sourire. Oh ! Vraiment une esquisse ! Ou l’ai-je rêvée ? À moins que ce ne fût un certain éclat au fond de ses yeux embroussaillés de sourcils blancs. J’ai eu un peu plus de temps pour considérer son jardin où régnait un prunier. Un prunier à Montréal ? Bien que n’étant pas très familier avec les zones climatiques, je trouvais saugrenue la présence de cet arbre fruitier. C’était pourtant bien un prunier croulant sous une manne de fruits oblongs violets. Des couilles de moine.

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    C’est ainsi que dans mon enfance, on appelait cette sorte de prunes. Il y en avait dans le Courtil à chanvre. C’était le nom d’un des jardins de mon père. En Bretagne, toutes les parcelles de terre possédaient un nom officiel. En pleine rue, dans le flot de la circulation urbaine matinale, me revenaient des noms tels que la Châtaigneraie, le Planta, la Clôture... Le Planta, mon père le louait à un cultivateur qui payait son fermage toujours en retard. Quarante années plus tard, je loue la même parcelle à son fils qui ne me paie plus du tout. La Clôture, on ne la louait pas, il y avait là des pommiers. Non pas de ces arbres taillés en espalier qui présentent au soleil de ces pommes rouges ou blondes que je trouvais aux étals du marché Jean-Talon, mais des arbres torturés à l’écorce lépreuse et aux petits fruits tachetés, ridés, rabougris et âcres, que ma mère et moi dénichions à croupetons dans une herbe humide trop haute qui collait partout comme des algues filandreuses. Des pommes à cidre.

    Il y avait une cabane en terre à la toiture édentée. « Reste là, à l’abri ! M’ordonnait ma mère, lorsque le temps virait au crachin. Tu vas attraper une pneumonie, je vais continuer toute seule. » Et elle repartait, voilée de bruine et de brouillard, car on ne pouvait dire si l’humidité, tant elle était omniprésente, montait du sol ou descendait de ce qu’il fallait bien se résoudre à appeler ciel, faute d’autre mot. Quant à moi, enfoncé dans une botte de paille, réchauffé par ma propre chaleur, je rêvais. Quelques bottes bien disposées devant

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    la roue d’un outil agricole abandonné devenaient les sièges et le volant d’une automobile, symbole de la richesse de cette époque de l’après-guerre. Jamais, je n’ai rêvé d’un tracteur ou d’un camion. Avec ma voiture, je fuyais toujours loin en ville, la seule que je connaissais, Dinan, à moins de dix kilomètres. Interrompant mes rêveries, ma mère ne réapparaissait que bien plus tard, son sarrau luisant de pluie et tapissé de feuilles de pommier noircies, ses sabots alourdis par la glaise mêlée d’herbe gorgée d’eau.

    Des couilles de moine, c’est bien ainsi que l’on appelait ces prunes. Un nom paillard, truculent, un nom drôle, avec un côté gavroche qui évoque l’anticléricalisme des mômes instruits à l’école laïque, mais il m’avait refilé le cafard. Des couilles de moine, un nom triste au bout du compte...

    Le jour suivant, je pris bien soin de me stationner dans le même secteur. L’Homme au prunier et moi, nous échangions un même borborygme timide qui voulait dire, dans nos langues respectives, bonjour monsieur. Jamais nos deux langues ne furent aussi proches l’une de l’autre, quelques sons gutturaux, coincés dans la gorge, sans doute comme au début de l’humanité. Par la suite, mais cela prit du temps, chacun saluait l’autre dans sa langue, disait qu’il faisait beau ce matin, le tout accompagné de gestes évocateurs et de sourires. Nous faisions un lent et respectueux apprentissage l’un de l’autre.

    Je suis certain qu’il attendait mon arrivée chaque matin, tout comme je m’attendais à le voir dans son jardinet. Certains jours, parce que j’étais

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    un peu en retard ou en avance, il n’était pas au rendez-vous. J’en profitais pour écouter dans ma voiture les chroniques de Gilles Archambault à Radio-Canada, tout en lorgnant vers ce petit bout de terrain, de cinq ou six pieds par tout juste vingt, coincé entre le mur au crépi bleu et le trottoir de ciment. L’homme au prunier devait être un amant de la terre. On devinait chez lui un profond respect pour tout ce qui pousse, éclôt et fructifie. J’ai pu ainsi étudier son exploitation. La première chose qu’on y découvrait, je l’ai dit, c’était le prunier. Ensuite, c’étaient des fleurs en abondance, au premier plan. Suivaient des plants de tomates, des courgettes, des haricots qui grimpaient le long des montants du balcon supérieur. Il y avait même, encadrant la porte, deux lauriers-roses plantés dans de grands bacs en plastique blanc. À la fin de l’été, séchaient des tresses d’ail parfaitement cordées sur le ciment de son entrée chauffé par le soleil. Je n’avais jamais remarqué qu’il en avait planté. Fin septembre, les lauriers et leurs bacs disparaissaient, la terre apparaissait peu à peu alors que les récoltes se faisaient. Seules les fleurs annuelles demeuraient jusqu’aux premiers froids, mais jamais je ne les ai vues brûlées par le gel. Bien avant, la terre était retournée et propre.

    L’Homme au prunier, avec son visage cuivré par le soleil, avec ses mains déformées par le travail que j’apercevais quand il me saluait, l’index relevé repoussant imperceptiblement en arrière la visière de sa casquette, me semblait de jour en jour tellement plus proche de moi. Pourtant, je savais

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    que nous n’échangerions jamais que des salutations incompréhensibles pour l’un et pour l’autre. Lui qui aimait la terre, moi qui l’avais fuie, qu’avions-nous en commun ? L’abandon peut-être. Pourquoi avait-il tout laissé ? Quand était-il arrivé ici ? Sûrement à l’âge adulte. La terre d’Amérique ne pouvait modeler de tels corps. J’imaginais son enfance. Une enfance de terre aride, une ferme accrochée à une montagne calcaire, des oliviers nichés dans de minuscules cuvettes de terre fertile, comme j’en avais vu sur la côte dalmate. Je rêvais d’un gamin déjà trapu et plein de nœuds, sculpté trop jeune comme un plant qui aurait manqué d’eau. Une sorte d’enfant bonsaï à la croissance arrêtée par le travail. Pourtant, quelque chose n’avait jamais été dompté : c’était ce regard qu’il avait toujours. Me revenaient aussi en mémoire des femmes, assises sur des caquetoires aux dossiers aussi hauts que des prie-Dieu, enfilant des feuilles de tabac qui séchaient en immenses colliers le long des murs blanchis à la chaux. Pourquoi cet homme avait-il fui ?

    Et qu’avait-il fui ? Quels bruits de bottes, qui avaient ensanglanté l’Europe du vingtième siècle, l’avaient contraint à l’exil ? Le pas cadencé des nazis, ceux de Franco, de Salazar, des colonels grecs ? La chronologie des différents régimes totalitaires se brouillait dans ma tête. Tout ce qui défile, hurle, ordonne et obéit aveuglément déclenche chez moi une profonde aversion, une folle envie de résister, de m’insurger. Et bien que je n’aie pas connu la guerre, elle a imprégné toute mon enfance et mon adolescence. Au-dessus du lit de mon père,

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    était accrochée une plaque de cuivre émaillé en souvenir de Jean-Baptiste Pourcel, mon oncle, mort pour la France le 2 mai 1915, à l’âge de vingt et un ans. Mon père s’est enfui, du nord de la France en Bretagne chez sa mère, lors de la débâcle de Quarante. Quand les forces allemandes écrasèrent l’armée française, les pauvres bidasses jamais sortis de leur patelin furent abandonnés par leurs chefs militaires et obligés de se démerder tout seuls dans la tourmente. C’était encore ainsi, qu’il racontait sa glorieuse guerre, à quatre-vingt-treize ans.

    Quand il m’arrivait à l’occasion de prendre un autobus de la ligne 55 qui remonte le boulevard Saint-Laurent vers le nord, je ne pouvais m’empêcher de regarder cette foule bigarrée qui s’y entassait. Je tentais d’imaginer ce qui avait pu inciter chacun des êtres à fuir. L’Homme au prunier avait-il des enfants ? Des petits-enfants ? Je n’en ai jamais rien su. Par la porte entrouverte, j’ai, de temps à autre, surpris les pas furtifs d’une petite vieille toute de noir vêtue au fond du couloir. Savoir ce qui avait contraint l’Homme au prunier à l’exil finissait par m’obséder et, pourtant, je savais que ce n’était qu’anecdotique.

    Ce matin-là, le dernier, il neigeait en abondance. Une neige lourde. Nous n’étions pourtant qu’au début novembre. Ça faisait une semaine que le froid s’était installé. Mais ce matin-là, il faisait doux et le vent était tombé. Pas un seul souffle pour faire dévier les flocons de leur trajectoire aussi verticale qu’un fil à plomb. J’étais parti très tôt de chez moi. Je voulais profiter de près de deux heures de calme

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    pour travailler, sans avoir à répondre au téléphone. Dans ma rue, j’avais pratiquement été le premier à imprimer les sillons de mes pneus dans la neige. Rue Saint-Urbain, la circulation matinale commençait à peine. Les rares voitures donnaient l’impression de glisser comme dans un film dont on aurait coupé le son. En stationnant ma voiture, je me souvenais qu’au début de la semaine, j’avais croisé l’Homme au prunier sur le trottoir à quelques pieds de chez lui, mais je ne l’avais pas reconnu sur le coup. Il était tout emmitouflé. Comme ramassé sur lui-même. Il avançait à petits pas, sans réellement lever les pieds. Il m’avait semblé soudainement vieilli. Son sourire s’était illuminé lorsque nous nous étions croisés, mais j’avais cru déceler une certaine tristesse à la commissure de ses lèvres quand son visage avait repris son expression normale. Son prunier, sous le frimas, n’avait plus aucune prestance. Il s’était transformé en une sorte de rameau rachitique échappé de la taïga. Je devais donc me résoudre à une séparation momentanée. D’au moins quelques mois. C’était les années précédentes qui m’avaient enseigné cela. Pourtant, ce matin-là, d’une manière inexplicable, je désirais sa présence. Je ressentais comme une urgence que je ne pouvais définir. L’idée d’un autre hiver tient, pour moi, d’une sorte de répétition générale de la mort. Comme si cette saison était une endémie expiatoire dont seuls les plus forts ressortent vivants. J’ai attendu au volant, j’en ai profité pour écouter les nouvelles régionales de la demi-heure à Radio-Canada. Il a bien fallu que je me résolve à quitter ma voiture.

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    TABLE DES MATIÈRES

    L’Homme au prunier .............................................11

    Stéphane ............................................................... 23

    Le Thé à la menthe ..............................................33

    Le Préposé ............................................................39

    J’ai neuf ans, maman ............................................. 61

    La Dame aux oiseaux ........................................... 69

    Innu de passage .....................................................79

    Le crabe ................................................................87

    Los Cangrejos .......................................................101

    Le Naufragé de la nuit .........................................127

    Un bistec a la Texana .......................................... 139

    Remerciements ..................................................161

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  • L’édition électronique dechroniques d’une mémoire infidèle

    composé en Electra corps 11a été complété en février deux mille douze.

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    L’Homme au prunier