Extrait de la publication...À pas feutrés, je suis entré dans le monde de mes personnages...

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collection« PLUME »

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du même auteur

Cœur atout, nouvelles, Montréal, La Pleine Lune, 2006.

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LA TERRE PROMISE

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Éditions de la Pleine Lune223, 34e AvenueMontréal (Québec)H8T 1Z4

www.pleinelune.qc.ca

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Diffusion pour le Québec et le CanadaDiffusion Dimedia539, boulevard LebeauMontréal (Québec)H4N 1S2

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Distribution pour la FranceDistribution du Nouveau-Monde30, rue Gay-Lussac75006 Paris

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Georges Guy

LA TERRE PROMISEnouvelles

Pleine lune

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ISBN 978-2-89024-184-8 (papier)ISBN 978-2-89024-274-6 (pdf)ISBN 978-2-89024-365-1 (epub)

© 2008, éditions de la Pleine Lune

Dépôt légal – premier trimestre 2008Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

La Pleine Lune remercie le Conseil des Arts du Canada ainsi que la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), pour leur soutien financier, et reconnaît l’aide financière du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition.

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Note de l’auteur

Pendant six décennies, j’ai écrit plus de cent nouvelles publiées dans des magazines ou dif-fusées sur les ondes de Radio-Canada. Ce long cheminement fut-il marqué par des variations de style et un regard changeant sur le quotidien ?

Lecteurs et lectrices sont invités à passer en revue ces échos des années 1960 (« Le Mur »), 1970 (« Donate, contre l’amour »), 1980 (« Le Largo de Gérard-Alphonse »), 1990 (« La Terre promise ») et 2000 (« Cet Inca que j’aimais »). Cinq autres nouvelles complètent le panorama.

À pas feutrés, je suis entré dans le monde de mes personnages fictifs, et j’ai partagé joies et chagrins.

Aujourd’hui, le sentier vous attend.

Bonne lecture !

Georges Guy5 février 2008

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Toi, l’amour

Nouvelle parue dans Le Bulletin des agriculteurs

en février 1960.

Ozias Lafleur ne voulait pas penser à Fernande. Il chassait le visage mutin, le visage souriant, le visage tendre, et les traits un peu tristes de la jeune fille. « J’ai assez souffert, répétait-il. Il faut que je l’oublie. » Mais il était faible ; il aimait... Et il acceptait le visage mutin, puis le visage souriant de Fernande pour retrouver inévitablement le visage compatissant de mercredi dernier.

« Je regrette ce qui arrive, disait Fernande. Mais je ne t’aime pas. Il y a longtemps que je pense à te le dire. »

Ozias rassembla dans sa main gauche quelques tiges de merisier et de bouleau puis, adroitement, d’un seul coup de hache, il les coupa près du sol. Il s’était levé à six heures, ce matin de la fête du Travail. À d’autres, les congés ! Les « repousses » attaquaient sans relâche, se servant des clôtures comme retranchement, puis progressant jusqu’à diminuer de moitié la superficie des pâturages. « Parasites ! », grogna-t-il, à l’adresse des pousses rebelles.

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Depuis qu’une santé chancelante l’avait contraint à quitter la station radiophonique CKBL de Matane, Ozias employait rarement des mots de ce calibre. Son vocabulaire ne compre-nait guère plus de cinquante mots. Il commença de les compter : amour, chagrin, terre, récoltes, engrais, repousses, Sainte-Danielle, pêche, papa, maman, mariage...

« Je suis un raté, pensait-il. J’étais parvenu à sortir de mon milieu, mais le milieu m’a repris. Faut-il s’étonner que Fernande m’ait préféré Jérôme Deschênes ? »

Et puis non. Ce n’était pas la vraie raison. Le livreur Jérôme ne surpassait point le cultivateur Ozias dans l’échelle sociale. Un cultivateur règne sur son domaine tandis que le livreur obéit au patron de l’entreprise de nettoyage... Des clichés tout cela ! Mais il en aurait le cœur net. Bientôt, demain peut-être, il parlerait à Fernande. Pourquoi l’avait-elle abandonné après trois ans de fréquentations ? Pourquoi ?

Sa raison protestait. On ne gagne rien à re-muer des cendres. À chercher des raisons à tout et à rien, il éloignait l’oubli réparateur. Mais oui, il pouvait oublier ! Le travail prêtait son concours, la terre, la famille. Il était moins seul que le pré-tendait son chagrin.

« Le travail, songea-t-il. Je vais penser seulement au travail. Je coupe une tige de framboisier... maintenant ce petit bouleau, puis un roseau, un autre bouleau... Si tout va bien, je devrais pouvoir nettoyer le champ jusqu’à la rivière, avant le dîner. La rivière ne chante plus aussi bien depuis le mois de juin. Le ciel est moins

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bleu et l’air moins pur depuis dix jours. C’est à cause de la sécheresse, pour la rivière, et à cause de la fumée, pour le ciel, mais je me demande si ce n’est pas aussi à cause de moi. Mon malheur obscurcit tout. J’ai perdu Fernande et plus rien ne m’intéresse. Fernande, Fernande, si tu savais ! Non, pas à elle ! Il faut que je pense au travail. Je coupe un petit bouleau, un framboisier, une branche de merisier... »

Courbaturé, Ozias s’assit sur une pierre géante près de la clôture. D’épais nuages de fumée noire voilaient l’horizon du côté sud et le vent continuait de s’élever. « Le feu pourrait faire des ravages », pensa Ozias.

Il vit deux camions chargés de meubles passer sur la route. Les Boucher et les Saint-Gelais du rang Bastien quittaient leurs maisons. Ozias comprenait l’angoisse de ces pauvres gens. Il n’avait que six ans lors de la fondation de Sainte-Danielle, mais il se rappelait les terribles feux de forêt. Les hommes brûlaient des abattis et le feu semblait sous contrôle puis, il suffisait d’un vent mal intentionné pour faire de ce feu un ogre furieux. Et l’ogre dévorait les camps de bois rond, les étables, les clôtures, tout. On se défendait bien, et l’envahisseur gagnait chère-ment chaque pouce de terrain. Ozias courait, pieds nus sur la tourbe, et il éteignait les fumées sournoises qui montaient çà et là. Ses parents et l’aîné Samuel, armés de pelles, érigeaient des monticules de terre jaune pour couper l’avance du feu. Puis, c’était la retraite générale. On at-telait Pit, le petit cheval, et on entassait dans la wagon les vêtements de la famille. À toute vitesse,

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on descendait du côté de Sainte-Anne-des-Monts pendant que maman récitait le chapelet...

« Si le vent continue, ça pourrait même être dangereux pour le rang double », dit Ozias, soucieux. Il se leva, les poings sur les hanches, comme pour toiser le vieil ennemi de son en-fance et mesurer ses intentions. Et l’envie lui vint de le combattre, de remporter la victoire. Il regarda sa montre : neuf heures cinq. « J’y vais », murmura-t-il.

Dans le sentier, il rencontra son père. « Ça regarde mal pour la paroisse, dit le vieux. Le feu vient de sauter sur le moulin à Charles Gagnon.

— Des étincelles ?— Oui. Les hommes ont pas eu le temps

d’éteindre. C’est sec sans bon sens... comme de la poudre.

— J’y vais.— Pas la peine, dit le vieux. Aide-nous plutôt

à faire les bagages. On s’en va. »Incrédule, Ozias regardait son père. « Mais,

papa, on peut encore arrêter le feu.— Fais-moé pas rire. Y’a cent mille pieds de

bois dans la cour du moulin, et il vente, une bourrasque terrible. Dans une heure, peut-être ben moins, le village va être une fournaise. »

Les deux hommes marchaient au pas de course, tout en parlant. « Écoute », dit M. Lafleur. Le feu maintenant imitait le roulement du ton-nerre. Des cendres voltigeaient. « Tantôt, ça va être de vraies étincelles. On n’a pas une minute à perdre, mon garçon. Va aider les femmes, pendant que j’recule le camion. »

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Déjà la maison était sens dessus dessous. Des ballots de linge s’entassaient au centre de la cuisine. Jeanne et Marie-Reine transportaient le téléviseur près de la porte et André descendait de sa chambre une brassée de vêtements. La mère semblait perdue dans ce remue-ménage. Elle allait dans sa chambre, en revenait avec une babiole ; elle ouvrait l’armoire et la refermait sans rien prendre. « Ozias, dit-elle, penses-tu qu’il va y avoir de la place pour mes géraniums ?

— Vous savez bien que oui, maman. Et d’abord, y’a pas de danger que la maison brûle.

— Ton père dit que oui.— Ça dépend du vent.— En tout cas, c’est plus prudent de partir.— Oui, dit Ozias. »Il déposa les géraniums de sa mère sur un

ballot de couvertures. Puis, il monta à sa chambre pour y prendre quelques complets, un paletot, son portefeuille, un album de photos. Il laissa tout le reste : les disques, les livres, les autres vêtements, mille et un souvenirs.

« Ozias ! » Le père était revenu et réclamait de l’aide pour sortir le poêle, le réfrigérateur, des matelas... On entassait tout pêle-mêle. Un miroir fut cassé, le dossier d’une chaise. Impossible d’emporter le mobilier des chambres du haut.

« Dépêchons-nous, dit le père. Autrement, le feu va nous couper la route.

— Les chats ! s’exclama Marie-Reine. Elle descendit dans la cave et ramena deux

chatons. « Allons-y », ordonna le père.

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Sur la route, d’autres camions, des voitures et même des wagons à traction animale fuyaient à toute allure.

« Comment ça va par en haut ? demanda Ozias au garde-feu qui s’arrêtait.

— Le moulin brûle et la maison à Jos Laflamme. Y’a plus personne.

Du geste, il désigna la maison de Fernande : « Les Marin ?

— Partis depuis ce matin, répondit M. Lafleur.

— Bonne chance, dit le garde-feu.La mère et les filles étaient montées dans

la cabine du camion. On jucha André sur les bagages. « Et le bétail ? » demanda Ozias à son père.

Ce dernier baissa la tête. « J’ai ouvert la barrière. I va tenter sa chance. S’i pouvait donc suivre la rivière !

— Je reste, dit Ozias.— Es-tu fou ? Y’a personne qui reste. Tout le

monde s’en va.— Es-tu certain que les Marin sont partis ?— Oui. À matin de bonne heure.— Avec leurs bagages ?— Non. I doivent être ben assurés. Assez

parlé. Viens-t-en, Ozias. Y’est grand temps.— Je reste, dit le fils d’un ton qui ne souffrait

point de réplique. Je descendrai par la rivière, si ça tourne mal.

— Fais pas ça, Ozias. Viens-t-en avec nous autres, supplia la mère.

— Occupez-vous pas, maman. Y’a pas de danger. »

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Pendant quelques minutes, il regarda le ca-mion s’éloigner sur la route. « Au travail », dit-il.

Ozias voulait sauver la maison. Le toit bien arrosé résisterait mieux aux étincelles. Il alla jusqu’au hangar chercher une échelle. Il pensait que, de toute façon, la journée avait mal com-mencé. À six heures, il avait trouvé son père, l’air morose, buvant du café dans la cuisine. Le vieux n’avait enfilé que son pantalon et ses bas. « Qu’est-ce qui se passe ? avait demandé Ozias. Vous avez l’air tout drôle, papa.

— Monsieur Duplessis est mort.— Il fallait s’y attendre depuis quelques

jours.— Le chef est mort, répétait M. Lafleur. Il

est mort, le jour de la fête du Travail, dans le Nouveau-Québec qu’y avait fondé. Il est mort premier ministre.

— Le genre de mort qu’il souhaitait, j’ima-gine.

— C’est ça que j’me dis, mais j’peux pas m’faire à l’idée qu’il est parti. »

Des doigts de la main gauche, le vieux four-rageait ses cheveux blancs. La mort du premier ministre était pour lui un deuil personnel.

Ozias avait déjeuné hâtivement, puis il avait travaillé jusqu’à neuf heures dans le champ près de la rivière. Et, ce matin, il y avait le vent, l’atmosphère saupoudrée de fumée, et son cœur ulcéré par l’amour. À cette heure-ci, où était Fernande ? À Cap-Chat ou à Sainte-Anne-des-Monts avec ses parents. Elle était en sécurité. Pourquoi s’inquiéter ?

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Ozias appuya l’échelle contre le toit. Il entra pour pomper de l’eau puis, une chaudière à la main, il grimpa sur le toit et lança l’eau sur les bar-deaux secs. « Ce n’est pas une mince besogne », pensait-il. De son poste d’observation, il constata que le feu avait bondi du moulin à la maison de Jos Laflamme et, de la maison de Laflamme, à celle d’Ernest Lemieux. Des étincelles tour-billonnaient. « Tant qu’elles ne seront pas plus nombreuses, on a des chances », pensait Ozias. Il venait d’apercevoir le deuxième voisin du nord, Roger Drouin, monté lui aussi sur le toit de sa maison. Il se sentit moins seul. À trois reprises, Ozias arrosa le toit, puis il entendit quelqu’un crier son nom.

« Ozias ! » Fernande Marin était là, en pyjama, sur la ga-

lerie de sa demeure. « C’est une vision », pensa Ozias. Il bredouilla : « C’est... c’est toi ?

— Ozias, qu’est-ce qui se passe ? Il y a du danger ?

— Fernande ! Tu devrais être loin d’ici.— Je dormais. Je viens de m’éveiller.— Mais tes parents ?— Partis à Rimouski de bonne heure ce matin.

Je leur avais dit, hier soir, que je n’y allais pas. Ils m’ont laissée dormir.

— C’est terrible ! Va vite t’habiller. Il faut que je te sorte de cet enfer.

— Mais toi ? Qu’est-ce que tu attendais ?— Oh, moi... Je peux toujours m’en tirer

d’une façon ou d’une autre. Ne perds pas de temps. Va t’habiller. »

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Il rentra chez lui pour téléphoner, mais il ne put obtenir la communication. Il attendit une minute, fit une nouvelle tentative. Rien. « Un arbre sera tombé sur la ligne », pensa-t-il. Que faire alors ? Arrêter le prochain véhicule ? Mais s’il n’en passait plus ? « Je vais voir Roger. »

Il y courut, mais le deuxième voisin n’était plus là. « Ohé, ohé ! » cria-t-il, les mains en porte-voix. Pas de réponse. Le village semblait désert.

Et maintenant une colonne de fumée noire, avec des flammes à la base, s’élevait du côté nord. Ce n’était plus qu’une question de mi-nutes : l’incendie fermerait la route conduisant à Sainte-Anne-des-Monts. « Prisonniers », pensa Ozias. Prisonniers tous les deux de ce brasier. Il repoussa l’idée d’atteler le cheval gris et de lutter de vitesse contre les forces combinées du vent et de la flamme. Une chance sur cent. Le risque était trop grand pour Fernande. Restait la rivière. Il revint sur ses pas.

« Tu as déjeuné ? demanda-t-il à Fernande qui l’attendait.

— Penses-tu ! Je n’ai pas faim. Et, d’ailleurs, on n’a pas le temps.

— La route est fermée, dit-il sans lever la tête. Il va falloir se sauver par la rivière. Si on passe par la rivière, on a le temps.

— Par la rivière ? Comment ça ?— J’ai ma barque. Aie pas peur, Fernande.

Compte sur moi.— Je n’ai pas peur, dit-elle.— Entrons chez toi. Tu vas faire du café. Nous

en aurons besoin. »

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Ozias la regardait s’affairer dans la cuisine et, malgré l’incendie tout près, il ne pouvait s’empê-cher de songer que cette jeune fille avait failli être sa femme. Il aimait la voir ainsi habillée d’une blouse, d’une jupe de lainage et de mocassins, les cheveux en queue de percheronne et, sur son visage, la peur qu’elle voulait dissimuler. Elle était jolie, trop jolie... Le soleil des vacances avait bruni son visage, ses bras, ses jambes. Elle avait les che-veux châtains, des mèches d’or près des tempes, un teint velouté, des pommettes proéminentes, quelques rousseurs, le regard taquin, et ce sourire découvrant une dentition inégale.

Son timbre de voix était quelque peu autoritaire. Elle enseignait au couvent de Sainte-Danielle et, pour obtenir l’obéissance des élèves, elle devait souvent élever le ton. « Ce n’est pas im-portant, pensait Ozias. Je n’aurais pas demandé mieux que de lui obéir toute ma vie. »

« Assieds-toi, dit Fernande. L’eau va bouillir. Ça va prendre quelques minutes. » Devant la glace, elle disciplina de la main les mèches re-belles de sa chevelure. Elle regarda par la fenêtre : « Le temps est sombre, c’est effrayant. »

Le feu venait de sombrer au second plan des préoccupations d’Ozias. Il songeait à reconquérir Fernande et cherchait le plan subtil qui triomphe-rait des obstacles. Mais il ne savait même pas pour quelle raison Fernande avait cessé de l’aimer... si vraiment elle l’avait aimé. Doute cruel.

Il n’avait jamais eu de chance dans la vie. Déjà, à l’époque du baptême, on l’avait affublé d’un

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Table des matières

Note de l’auteur 9

Toi, l’amour 11

Le Temps d’aimer 39

Le Mur 59

Partout, c’est Noël 77

La Guerre avec l’ange 93

Donate, contre l’amour 107

Le Largo de Gérard-Alphonse 117

Cet Inca que j’aimais 129

Temps perdu, j’arrive ! 139

La Terre promise 149

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L’édition électronique deTerre promise

composé en New Baskerville corps 11a été complété en février 2012.

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