Exposition Jacques Charlier Peintures pour tous · 2016-02-10 · Exposition Jacques Charlier:...

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Exposition Jacques Charlier : Peintures pour tous du 28.02 au 22.05.16 MAC’s Musée des Arts Contemporains au Grand-Hornu MAC’s Rue Sainte-Louise, 82-7301 Hornu (près de Mons en Belgique) Gratuit le 1 er dimanche du mois www.mac-s.be Jacques Charlier, Liège 2015_Photo Fabrice Mariscotti

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Exposition

Jacques Charlier : Peintures pour tousdu 28.02 au 22.05.16

MAC’sMusée des Arts Contemporains au Grand-Hornu

MAC’sRue Sainte-Louise, 82-7301 Hornu(près de Mons en Belgique)

Gratuit le 1er dimanche du mois

www.mac-s.be

Jacques Charlier, Liège 2015_Photo Fabrice Mariscotti

Table des matières

Introduction

L’ exposition au MAC’s.........................................................................................................................4 Jacques Charlier, artiste historique.....................................................................................................5 Expositions individuelles (sélection).................................................................................6 Expositions collectives (sélection depuis 1975)...............................................................7 Interview de l’artiste...........................................................................................................................10 Le catalogue.........................................................................................................................................15 Activités autour de l’ exposition........................................................................................................16 Annexe.................................................................................................................................................17

À l’invitation du MAC’s de lui consacrer une importante exposition, Jacques Charlier répond ironiquement par ce slogan publicitaire : peintures pour tous ! Peintures italiennes, peintures fractales, peintures inqualifiables sont les titres phares de cette exposition en forme de juke-box. Le but ? En faire voir de toutes les couleurs à la peinture, et échapper par cet « éclectisme radical » au marché qui réclame aux artistes toujours les mêmes « tubes ». Une méthode ? La caricature et le pastiche qu’il administre de main de maître au monde de l’art, comme une fessée. Sa devise ? Qui aime bien châtie bien ; car la peinture passionne Charlier autant qu’elle le désenchante.

Denis Gielen

L’exposition au MAC’s

Cette exposition est donc un bel hommage monographique à un des grands artistes belges contemporains. Elle réunit une cinquantaine de peintures récentes, quelques caricatures et une vidéo des années 1970 ainsi qu’une installation inédite produite par le MAC’s à découvrir dans la salle carrée. Il s’agit d’une chambre d’illusion d’optique, inspirée de celle qu’inventa l’ophtalmologue américain Adelbert Ames en 1946, que Jacques Charlier a fait produire par le Musée pour y exposer des tableaux.

Avec cette installation qui tient de l’attraction foraine, Jacques Charlier émet l’hypothèse que l’histoire de l’art reposerait sur un système d’illusion. Pour lui, le monde de l’art nous forcerait à observer l’actualité artistique selon une perspective forcée qui déformerait la réalité et donc l’art véritable. De son point de vue critique, un artiste ne serait pas nécessairement « grand » parce que sa cote est haute sur le marché ou sa popularité élevée dans les médias. C’est ce mirage, cette manipulation, voire ce « complot » disent certains détracteurs de l’art contemporain, que le peintre-truqueur s’applique avec sa chambre d’Ames à déconstruire pour rééduquer notre regard.

Jacques Charlier, road-art, 2010

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Jacques Charlier, artiste historique

Jacques Charlier commence sa carrière à l’aube des sixties en s’inscrivant d’emblée dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec son comparse Marcel Broodthaers, héritier du surréalisme, de 15 ans son aîné, il pratique l’avant-garde américaine déferlant dans les galeries parisiennes en l’adaptant à l’identité belge. Jacques Charlier y réagit de manière conceptuelle et analytique. Avec Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Il y croise Kosuth, Toroni et Buren, avec qui il se lie d’amitié. Dès 1975, Charlier continue sa carrière en cavalier seul. Il rencontre le jeune commissaire d’exposition Jan Hoet avec qui il collabore durant toute sa carrière. Charlier participe en 1986 à la légendaire exposition Chambre d’amis à Gant, où sa « Chambre d’ennemis » est une des installations les plus remarquées. Les œuvres de Charlier sont présentes dans les musées d’Ostende, au S.M.A.K. ou au MUHKA, ainsi qu’en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Luxembourg. Il comptera également parmi les artistes belges invités à Herford dans le musée dirigé par ce célèbre curateur flamand et sera présent dans sa dernière exposition présentée à Geel peu avant sa mort.

Le parcours de Charlier revisite l’histoire de l’art en étant en permanence à la pointe de toutes formes d’émergence de la création actuelle, tous médias confondus. Rapidement, Charlier se positionne comme un artiste de la critique institutionnelle, interrogeant avec humour noir et maints détournements le système de l’art. Boulimique, il s’approprie tous les médias : la peinture, la caricature, la photographie, l’écriture, la BD, la sculpture, la chanson, la vidéo, l’installation... Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. Fan de Warhol, il réalise, « à la manière de », le portrait sérigraphié de Plastic Bertrand à qui la star américaine avait promis de réaliser son portrait. Jacques Charlier est à la fois un artiste belge par excellence et un inclassable expérimentateur, toujours à l’avant-garde, sans temps ni frontières.

Portrait Broodthaers-Charlier©Photo Maria Gilissen

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Expositions individuelles (sélection)

2016 Peintures pour tous, MAC’s, Hornu.2014 Mise en abîme, Salle Cornette de Saint Cyr, Bruxelles. 2012 Photographs of Openings 1974-75, Exhibition Research Center, Liverpool. The End of the World, Galerie Fortlaan, Bruxelles. Offices Paintings, Galerie Fortlaan, Gand. 2009 100 sexes d’artistes, 53e Exposition internationale d’art, Biennale de Venise. Libérer Lamartine, Galerie Art Attitude Hervé Bize, Nancy2008 Jacques Charlier. Vernissages (de 1974 à 1975), Galerie Nadja Vilenne, Liège.2004 Documents professionnels, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles Déballage/Uitpakken (exposition inaugurale), Musée juif de Belgique, Bruxelles.2003 Thank You For Coming/Belgique éternelle, Galerie Nadja Vilenne, Liège.2000 Art For Life, Ikob, Eupen. Sainte Rita, priez pour l’art, Chapelle de Boendael, Bruxelles.1999 Art Forever, Casino Luxembourg.1997 La Surface de l’art, Casino Luxembourg.1994 L’Art à l’envers, FRAC Nord- Pas-de-Calais, Dunkerque. Jacques Charlier s’explique, Musée de Louvain-la-Neuve.1990 La Photographie au service de l’idée, Musée de la Photographie, Charleroi. Peintures en tous genres, Fondation Mona Bismarck, Paris.1989 Peinture mystique, de genre, de guerre, Musée d’Art moderne, Villeneuve-d’Ascq.1988 Peintures/Schilderijen, Galerie des Beaux-Arts, Bruxelles. Schilderijen, Joost Declercq, Knokke-Heist.1983 Dans les règles de l’art, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.1975 Photos Biennale de Venise, Galerie MTL, Bruxelles. H’Art Music, Galerie Vega, Liège.1976 Dessins humoristiques, Galerie Françoise Lambert, Milan.

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Expositions collectives (sélection depuis 1975)

2014 HalfenHallf. Jacques Charlier-Vaast Colson, Paardenstellen Broelmuseum, Courtrai. The See, Musée d’art Moderne, Ostende. The Ever Changing Body, Cultuurcentrum, Strombeek. Concept Art, Lynda Morris Herbert Foundation, Gand. Glorious Bodies 3 parts, Jacques Charlier et Sophie Langohr, Ikob, Eupen. Roots and Freedom, Galerie NN70, Bruxelles. Sensus, Triangle Bleu, Stavelot. Bazaar-België, Centrale électrique, Bruxelles. 80s Art/kunst BXL, Ancienne Quincaillerie Vandereycken, Ixelles.2013 Remake, Musée de Mariemont. De autodidact, NICC Extra City, Anvers. Around Andy Warhol, Musée de Mons. Middle Gate Geel ‘13, Geel. L’Origine de l’œuvre, Lieux communs, Namur. Images et Mots : depuis Magritte, NAMOC, Pékin. Le Portrait revisité, Galerie la poussière dans l’œil, Villeneuve-d’Ascq. Teken/ Contemporary Drawing, Entrepôt fictif, Gand. Accrochage, Palais des académies, Bruxelles. Hybride, Ancien Hôpital Général, Douai. Cadavre exquis, a Figure of Painting. LLS 387, Ruimte voor actuele kunst, Anvers. Photos de vernissages 74-75, Exhibition Research Center, Liverpool.2012 Bates Motel, Space, Liège.2012 S.F. [Art, science & fiction], MAC’s, Hornu2012 Gold und Asche, MARTa, Herford.2010 Aux Arts, etc., 16 communes, 16 artistes, Liège (commissaire : Jacques Charlier).2008 Loss of Control. Grenzgänge zur Kunst von Félicien Rops bis heute, MARTa, Herford.2005 La Belgique visionnaire, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.2004 The Uncanny, Tate Gallery, Liverpool.2000 Mo(u)vements, MUKHA, Anvers.1994 Outremer, Palais Montcalm, Québec ; Centre Strahaern, Montréal. The Belgian Accident, Museum of Art, Tampa, Floride ; Orlando Museum of Art, Orlando. ART BELGE. Charlier, Gilles, Lambotte, Mahieu, Ransonnet, Galerie Art Wall + B, New York.1991 Signes de Belgique, Musée d’Art moderne, Taipei, Taiwan ; Musée d’Art moderne, Séoul.1990 L’Art en Flandre et en Wallonie, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.1989 Le Surréalisme belge, galerie d’Eendt, Amsterdam.1986 Chambres d’amis, SMAK, Gand. Participation belge à la Biennale de São Paulo 85, Museo de Arte Moderne, Buenos Aires.1981 Belgique-Pays-Bas. Convergences et parallèles dans l’art depuis 1945, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.1977 La Boutique aberrante, Centre Georges Pompidou, Paris.1976 Pan Conceptuals, Galerie Maki, Tokyo.1975 Charlier-On Kawara, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.

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Jacques Charlier, Peinture indéchiffrable, acrylique sur toile, 100 x 140 cm, 2014.

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Jacques Charlier, Peinture fractale, photo : Laurence Charlier.

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Interview de l’artiste

Entretien avec Jacques CharlierPar Julien Foucart

Quel est votre premier souvenir en matière artistique ?

C’était à l’école gardienne. Je devais avoir quatre ans. On m’avait mis sur une chaise et j’ai dessiné, sur le grand tableau noir, une maison dans la neige avec un arbre, des flocons, etc. Je la vois encore. La maîtresse n’a pas effacé le tableau pendant une semaine. Ma mère était fière. Visiblement, j’étais doué pour le dessin.

En tant qu’artiste, vous revendiquez aujourd’hui votre ‘éclectisme radical’, ce qui est une formule contradictoire, non ?

Adolescent, je m’étais promis d’être un artiste qui toucherait à tout et ne renoncerait à rien. Je me voyais acteur, peintre, dessinateur de BD, musicien… Je voulais essayer tous les moyens d’expression. Mais pour mes parents, il n’était pas question que je m’inscrive à l’académie, ni même d’ailleurs que je suive les humanités. Dans ce carcan, il fallait donc que je me trouve un travail alimentaire afin de gagner ma liberté et d’être en mesure de réaliser par la suite mes rêves. Pour éviter l’usine, à dix-sept ans, je passe un examen pour devenir dessinateur en travaux publics à la province de Liège. Je le réussis et suis engagé au S.T.P. Pendant mes congés, j’en profite alors pour étudier la peinture et l’art moderne en autodidacte. Voyant que cela m’intéresse, ma tante qui était la seule personne un peu cultivée de la famille me paye des bouquins : Le Dictionnaire de la peinture abstraite, Le Dictionnaire de l’art moderne, Le Dictionnaire de l’architecture… Et moi j’avale tout cela ! Et puis je fais surtout cette grande découverte : l’exposition 50 ans d’art moderne à l’Exposition Universelle à Bruxelles en 1958. J’y vois enfin des œuvres que je vénère depuis des années : le Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp, un immense tableau de Jackson Pollock…

Ce caractère autodidacte de votre apprentissage a-t-il été prédominant ?

L’avantage d’un autodidacte est qu’il ne va pas subir l’enseignement d’un ou de plusieurs professeurs, mais se diriger directement vers les maîtres. C’est eux que je commence à copier ; c’est les reproductions de leurs œuvres qui recouvrent les murs de ma chambre : impressionnistes, cubistes, abstraits,… Comme un cannibale, j’emmagasine rapidement les informations sur les artistes, leur vie, leur œuvre. À dix-sept ans, j’ai dans ma tête comme un juke-box de l’art moderne ! Ce qui me permettra par la suite de peindre dans des styles très différents. Lors de mon service militaire, je trouve le moyen de poursuivre cet apprentissage en travaillant le matin et en peignant l’après-midi et le soir. À mon retour, je reprendrai mon travail au S.T.P. durant vingt ans. Ensuite, j’enseignerai durant vingt-deux années la publicité, l’illustration, la BD et l’analyse des médias (un cours que j’ai créé moi-même) à l’Académie des beaux-arts de Liège. Grâce à cette activité professionnelle, je ne serai jamais sous la pression d’un quelconque marché, mais libre au contraire de réaliser mes rêves de jeunesse.

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Au cours de ces années, vous avez en effet réalisé de nombreux projets à partir de différents médias : photographie, films, dessin, bande dessinée, sculpture ou encore musique. En peinture, vous abordez également tous les styles…

J’aime passer librement d’un medium à un autre. Dans les années 1970, j’avais envie de chanter et d’écrire des chansons, j’ai acheté une guitare. La musique m’a occupé pendant plusieurs années, avant de passer à autre chose. Pour chaque série de peintures, j’invente un nouveau scénario et je repense librement ma manière de peindre. Je cite volontiers cette phrase d’Andy Warhol pour illustrer ma façon d’agir : « Comment peut-on dire qu’un style est meilleur qu’un autre ? On devrait pouvoir être un expressionniste abstrait quand ça nous chante, ou pop, ou réaliste, sans avoir l’impression d’abandonner quelque chose » . Je veux surfer sur tous les styles. Dans les années 1960-1970, je faisais partie des artistes conceptuels et maintenant je fais de la peinture ! C’est déstabilisant pour les personnes qui s’intéressent à mon travail. À chaque nouvelle entreprise, il y a des critiques pour me reprocher de ne plus être l’artiste que j’ai été.

Est-ce une façon pour vous de ne pas céder à la pression du monde de l’art, en particulier de son marché ?

Oui, car l’artiste a une responsabilité. Lorsque l’argent commence à rentrer, il est tenté de refaire les mêmes œuvres, de les décliner en variantes. Il imagine même pouvoir se distinguer de la masse par cette répétition. C’est peut-être confortable, mais en arrosant de la sorte le marché le contenu finit par en pâtir. Damien Hirst et Jeff Koons sont de magnifiques entrepreneurs, mais que restera-t-il de leurs œuvres?

Votre exposition au Grand-Hornu regroupe essentiellement des peintures récentes, excepté l’installation Peintures-Schilderijen qui consiste en un ensemble d’une quinzaine de tableaux de styles différents. Ces toiles qui ont toutes été peintes par vous sont attribuées à des artistes que vous avez ima-ginés. Quelle est l’idée à l’origine de cette pièce ?

Cette installation, la plus ancienne pièce de l’exposition, a été réalisée en 1988 à partir d’encadrements provenant de la collection de Fernand Graindorge2 , un important collectionneur liégeois, dont les œuvres ont été dispersées. Lorsque je découvre ces cadres, je décide de créer à partir d’eux une collection fictive en imaginant une époque, un style, une manière qui correspondent à chacun d’eux. Pour chaque tableau, j’invente le nom et la biographie d’un artiste, ainsi qu’un texte critique qui le valorise et que je signe Sergio Bonati. Cet ensemble de tableaux a été exposé à la galerie de Marie-Puck Broodthaers, située alors en face du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Les réactions des visiteurs furent assez comiques. Certains, de bonne foi, crurent reconnaître des œuvres d’artistes pourtant totalement inventés, d’autres demandèrent s’ils pouvaient en acheter. Mais c’est un ensemble indissociable, une installation composée d’une quizaine de tableaux originaux et non de simples copies. C’était l’ensemble qui était à vendre.

1. G.R. Swenson, « What is Pop Art ? Answers from 8 painters. Part 1 » in: Artnews, n° 62, novembre 1963. p. 26.

2. Homme d’affaires très actif sur la scène publique, mécène et grand collectionneur liégeois, Fernand Graindorge (1903-1985) contribua dans les années 1950 à faire de Liège un pôle de l’art contemporain en Belgique. Freiné dans son souhait de léguer sa collection d’art moderne à sa ville, il finira par vendre des toiles de Miro, Ernst, Kandinsky, Monet … à des musées étrangers. À la fin de sa vie, il fit don d’une autre partie de sa collection à la Communauté française de Belgique.

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Abstraites, cubistes, futuristes, expressionnistes ou matiéristes, ces toiles ré-vèlent aussi votre connaissance de l’histoire de l’art du 20e siècle. Peut-on y voir une forme d’hommage aux grands maîtres de l’art moderne ?

Je vénère les maîtres. En les imitant, je les reconnais. Je suis l‘antidote parfait de l’après mai 1968 ; quand on a voulu nous faire croire qu’il n’était plus nécessaire d’apprendre l’art pour être artiste, qu’il suffisait de se libérer et de s’exprimer. Depuis, l’apprentissage de l’art est devenu accessoire ; plus besoin de discipline, plus besoin de maître, c’est nous qui allons au contraire dire aux maîtres ce qu’il faut faire !

Vous regrettez qu’il n’y ait plus d’enseignement technique dans les écoles d’art ?

C’est aussi le point de vue de l’artiste italien Gilberto Zorio qui, au lieu d’encourager ses étudiants à l’imiter, les initiait aux figures classiques. Il me semble que savoir dessiner une pyramide, un nu ce n’est pas rétrograde ou ringard. L’année dernière, un réalisateur qui tournait un film sur moi m’a filmé dans l’atelier de dessin de l’académie où j’étais professeur. Extraordinaire ! Se trouvait là le modèle vivant, magnifique. Tous les étudiants peignaient des choses abstraites à grands coups de pinceaux inspirés, mais aucun ne regardait le modèle !

Dans quel sens doit-on interpréter le titre de l’exposition au Grand-Hornu, Peintures pour tous ?

J’ai d’abord songé à ce titre car il est dans l’air du temps. Qu’on se souvienne des réactions suscitées en France avec « Le mariage pour tous »…

C’est aussi une façon d’insister sur votre esthétique de l’éclectisme…

Oui, et en même temps, il y a quand même une unité au-delà des goûts de chacun, car ces peintures sont uniformément ringardes et démodées. Prenons par exemple la Peinture indéchiffrable de la série des Peintures italiennes ; le chaos apparent des figures et la facture dans le style de Prampolini3sont très éloignés de la jeune peinture actuelle. « Ah c’est 2016 ! C’est incroyable ! Je pensais que c’était une vieille toile !», pourront s’étonner les visiteurs en découvrant le cartel. C’est décalé dans le temps et j’adore ce déséquilibre parce qu’il interroge la manière dont on ressent la peinture et même l’art en général.

Pour chaque série présentée dans l’exposition, vous avez rédigé un texte de présentation aussi efficace que drôle. Ils sont signés par de faux critiques d’art : Stan Olmedo, Sheila Sturgess, Louis Carabini mais aussi Sergio Bona-ti, auteur du texte d’introduction à l’exposition...

Je fais cela depuis longtemps. Le leurre fonctionne, car peu de gens devinent que ce sont des noms d’emprunt. Sergio Bonati est d’ailleurs recensé dans plusieurs bibliographies comme critique !

3. Peintre, sculpteur et designer italien, Enrico Prampolini (1894- 1956) est un des principaux représentants du futurisme italien. Dans les années 1930 et 1940, il produit des oeuvres où des visions cosmiques et oniriques organisent l’espace de la toile.

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Vous recherchez l’effet comique ?

C’est une comédie à laquelle chacun de nous participe quotidiennement, en fabriquant des signaux pour communiquer, qu’ils soient vestimentaires, gestuels ou langagiers. Et si on rit, ce n’est pas de la même façon qu’avec des œuvres cyniques comme Cloaca, la machine à caca de Wim Delvoye. « Le rire élargit la vision », disait Claes Oldenburg ! C’est vrai que lorsque vous êtes en face de quelque chose qui vous fait sourire, votre esprit s’ouvre. Rien de tel que l’approche de l’art par le rire mais à mon sens, il ne faut pas que le rire soit gras. Je veux un humour qui reste interne et désarmant. Ici, on rit, mais c’est de la peinture tout de même et bien faite ; et ça désarçonne…

L’exposition au Grand-Hornu se clôture avec l’expérience de la chambre d’Ames, du nom de l’ophtalmologiste américain Adelbert Ames4 . Cette expé-rience scientifique permettant de visualiser une illusion d’optique met le visi-teur face à une divergence de point de fuite, un changement de perspective…

En regardant à l’intérieur de cette chambre, on a l’impression que les personnes qui s’y trouvent grandissent ou rétrécissent en fonction de leur position dans la pièce. J’espère que tous les visiteurs, de 7 à 77 ans, comprendront que ce dispositif est une métaphore du pouvoir que l’art a de nous détourner de la réalité. En fin de compte, de l’installation Peintures-schilderijen jusqu’à la chambre d’Ames, l’exposition au Grand-Hornu rappelle que toute chose est une mise en perspective et que la politique, les modes, les médias mais aussi l’art peuvent faire dévier notre vision. Aux visiteurs des musées, on impose une bible pour leur faire croire que l’art suit une évolution constante et linéaire dans le sens du bien. Ils sont devenus les nouvelles cathédrales de notre époque ; mais des cathédrales où il n’est même plus nécessaire de prier, car on y prie pour vous ! Mais pour moi, l’art est, et doit demeurer, énigmatique. L’art nous nourrit mystérieusement, sans qu’on sache réellement pourquoi ; car il doit toujours, selon moi, apparaître au moment où l’on s’y attend le moins.

4. Scientifique américain Adelbert Ames Jr (1880-1955) fut un pionnier dans le domaine de “l’optique physiologique” étudiant les limites de la vision. Directeur de recherche au Dartmouth Eye Institute, il développa une série d’illusions optiques de laboratoire conçues pour déformer la perspective, dont “la chambre d’Ames” (1946) de Hanover aux États-Unis (New Hamphire)

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Jacques Charlier, Peintures sous hypnose, acrylique, 2015

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Catalogue

Catalogue de l’exposition Jacques Charlier, Peintures pour tous.Textes de Denis Gielen, Laurent Busine et Sergio Bonati, entretien avec l’artiste.Couverture cartonnée, format 27 x 21 cm, 96 pages, 60 illustrations.Date de parution : 28 février 2016.ISBN 978-2-930368-65-8

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Activités autour de l’exposition

Nocturnes : vendredi 04 mars vendredi 1er avril vendredi 13 mai

Chaque premier vendredi du mois, le Grand-Hornu ouvre ses portes en soirée.De 18H30 à 21H, les visiteurs peuvent découvrir l’exposition en cours, accompagnés par un guide de l’équipe culturelle.Ces soirées dédiées à l’art sont à l’occasion agrémentées de rendez-vous particuliers tels que des conférences ou des rencontres avec les artistes et les designers.Réservation souhaitée au +32(0)65/613 881 ou [email protected]

Journée des familles : le dimanche 06 mars de 10 à 18hEnvie d’aventures qui sortent de l’ordinaire? Venez découvrir l’offre culturelle jeune public au Grand-Hornu lors de la première édition de notre grande Fête des familles !Réservation souhaitée au +32(0)65/613 881 ou [email protected]

Retrouvez notre programme complet sur www.mac-s.be

©Benoît Watteyne

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Annexe : Extrait du Catalogue

Vanishing Point

« Ce qui passe de mode entre dans les mœurs. Ce qui disparaît des mœurs ressuscite dans la mode. » Jean Baudrillard, Cool Memories, 1980-1985

L’œuvre de Jacques Charlier tient de la science-fiction. Au monde de l’art qu’il caricature depuis les années 1970, il applique la même perspective forcée1 que les auteurs de S.F. au monde technoscientifique. Avec ses effets vertigineux et expressionnistes de plongée et de contre-plongée, cette optique, qualifiée aussi de maximaliste2 , produit un tableau inquiétant du décor où l’humanité, ou plutôt l’espèce humaine, est désormais condamnée à vivre. De cette manière, Charlier saisit tous les excès – les Anciens Grecs disaient l’hubris3 – d’une planète de l’art qui, à force de transgressions, de spéculations et de mégalomanie, a dévié de sa trajectoire, transformant son utopie moderniste en une dystopie4 postmoderne.

Au milieu des années 1970, une critique radicale de cette dérive émane du camp de l’art conceptuel auquel appartiennent des artistes aussi différents en apparence que Marcel Broodthaers, Daniel Buren ou Art & Language. C’est à cette même période que Charlier prend pour cible le rituel mondain des vernissages d’exposition à travers plusieurs séries de reportages photographiques qu’il expose dans une sorte de mise en abyme, de vertige critique. C’est à cette même période que Charlier prend pour cible le rituel mondain des vernissages d’exposition à travers plusieurs séries de reportages photographiques qu’il expose dans une sorte de mise en abyme, de vertige critique5.

1. La perspective forcée est une technique qui emploie l’illusion optique pour faire apparaître un objet plus loin, plus proche, plus grand ou plus petit qu’il ne l’est réellement. Cette technique est principalement utilisée dans la photographie, le cinéma et l’architecture. Elle manipule la perception visuelle humaine grâce à l’utilisation d’objets à une certaine échelle, la corrélation entre ces objets et l’emplacement de la caméra.

2. Dans un article publié dans Le Monde diplomatique en 2000 et intitulé La science-fiction en prise avec le réel, l’écrivain italien de science-fiction Valerio Evangelisti qualifiait la littérature S.F. de maximaliste, par opposition à la dimension intimiste et minimaliste du roman bourgeois qu’il juge indifférent aux grands enjeux de la société contemporaine (écologie, génétique, informatique, etc.)

3. Chez les Grecs anciens, l’hubris désigne tout ce qui, dans la conduite de l’homme, est considéré par les dieux comme démesure et orgueil. C’est la faute la plus lourde dans la civilisation grecque. Le châtiment de l’hubris est la némésis, le châtiment des dieux qui fait se rétracter l’individu à l’intérieur des limites qu’il a franchies. Si l’hubris est le mouvement fautif de dépassement de la limite, la némésis désigne le mouvement inverse de la rétractation vengeresse.

4. La dystopie, également appelée contre-utopie, est un récit de fiction qui dépeint une société imaginaire où le projet de bonheur est empêché. C’est en quelque sorte une utopie qui tourne au cauchemar.

5. Charlier expose pour la première fois ses «photographies de vernissage» en 1975 à Bruxelles, à la galerie MTL ainsi qu’au Palais des Beaux-Arts (en même temps qu’une exposition d’On Kawara). «En 75… l’art que je fréquentais se refermait de plus en plus sur lui-même… le même petit monde de l’art se déplaçait au fil des vernissages… comme il n’y avait presque rien sur les murs…ça devenait le rite à l’état pur. » (Jacques Charlier, Dans les règles de l’art, Bruxelles, Edts. Lebber Hossmann, 1983, p. 71.)

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C’est aussi l’époque où Hans Haacke s’attache à montrer les connivences entre le monde de l’art et la sphère des affaires. En somme, les artistes les plus engagés politiquement commencent à dénoncer la récupération de la contre-culture des sixties par les institutions. Le critique anglais Michael Archer observe en ce sens : « La prise de conscience, dans le domaine des idées, que la recherche, loin d’être une investigation désintéressée, était presque totalement dictée par des enjeux économiques et politiques extérieurs à son objet, venait contredire l’idée que le développement du savoir allait dans le sens d’une connaissance éclairée.

Enfin, l’art contemporain a depuis longtemps cessé de penser la nouveauté comme une arme potentielle, si jamais il le fit. La diversité de l’art, même radicale et politique, devint désormais la norme académique et institutionnelle. Le soutien à l’art public, à certains artistes et à la performance par les collectivités étatiques et locales trouvait un écho dans l’enseignement où les universités élargissaient leur champ disciplinaire pour offrir des cours non seulement sur la peinture et la sculpture, mais aussi sur la peinture murale et les disciplines en techniques mixtes. Le modernisme, du moins tel qu’il avait été compris, était, pensait-on, arrivé à son terme ; le monde devait désormais être considéré comme postmoderne. L’utopie sera alors remplacée par la dystopie. »6

Exposé à la récupération commerciale et médiatique, ce nouveau monde de l’art correspond exactement au paysage artistique que Charlier dépeint avec humour noir dans La Route de l’art7 . Réalisée en 1978, cette bédé narre l’histoire tragique d’un artiste conceptuel qui, poussé par la radicalité de sa posture antimatérialiste (la grève), commet un suicide artistique pour éviter sa récupération par le ‘système’.

6. Michael Archer, L’Art depuis 1960, Art politique et Art social, 1960-1980. Idéologie, identité, différence, Londres, Edts. Thames & Hudson, 2002.

7. Jacques Charlier réalise La Route de l’art en 1978. L’album sera édité en 1982 aux éditions Moretti.

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Accentuée à coups de contre-plongées oppressantes et de contraste noir & blanc, cette perspective cynique désigne aussi le point de fuite (vanishing point) au-delà duquel le sens de l’art, hier ésotérique, se serait inversé pour prendre une valeur définitivement exotérique8. Interrogé au début des années 1960 sur les raisons qui l’auraient poussé à cesser de peindre, Marcel Duchamp – premier gréviste de l’art, premier restaurateur ironique aussi de la perspective forcée9 – déplorait déjà ce basculement de la peinture pour initiés, mystérieuse et spirituelle, vers la peinture pour tous : « Les ésotériques ont laissé le public se faire soi-disant initier. Or, il n’est pas du tout initié. Cet ésotérisme est devenu un exotérisme. Quand vous parlez peinture aujourd’hui, quand vous parlez art en général aujourd’hui, le grand public a son mot à dire, et il le dit. Ajoutez à cela le fait qu’il a apporté son argent et que le commercialisme en art, aujourd’hui, a fait passer la question de l’ésotérisme à l’exotérisme. Alors, l’art est un produit, comme les haricots. On achète de l’art comme on achète du spaghetti. »10

Atteint le jour – mais cette date est-elle repérable ? – où l’art passa du côté des profanes, ce point de fuite, largement dépassé aujourd’hui, par où s’est engouffrée l’histoire moderne marquerait désormais l’an 01 de l’ère dite post-moderne ; non pas l’an 01 de la bédé post-soixante-huitarde de Gébé11 qui imagina l’utopie d’une grève générale où tout s’arrête, mais celui de la récupération, forcément réactionnaire, de cette contre-culture.

Le scénario de La Route de l’art se termine par un désenchantement semblable, son point de fuite désignant sa principale idée noire : la première « grève sauvage » de l’histoire de l’art finira inévitablement, avec des « rétrospectives bidons », une « vente aux enchères » et une publicité « bien lancée », par réintégrer le système productif.

8. Une doctrine philosophique ou religieuse qui est enseignée publiquement est dite exotérique, par opposition à ésotérique. L’art exotérique désigne un art dont l’esthétique est accessible au grand public. Il relève du mondain et du profane, car son accès ne nécessite plus aucune initiation.

9. Dans la partie inférieure du Grand Verre, œuvre intitulée à l’origine La Mariée mise à nu par ses célibataires, même et sur laquelle il a travaillé de manière intermittente de 1915 à 1923, Marcel Duchamp a recouru à la perspective forcée pour réaliser deux éléments importants : La Broyeuse de Chocolat et la Glissière, deux machines à connotation onanique.

10. Georges Charbonnier, Entretiens avec Marcel Duchamp, 1961, Marseille, André Dimanche Editeur, 1994, p. 15.

11. L’An 01 est une bande dessinée créée par Gébé et publiée de 1970 à 1974 sous forme de série dans Politique hebdo, puis dans Charlie Mensuel et Charlie Hebdo. Sous-titrée On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste, elle relate l’abandon utopique, consensuel et festif, de l’économie de marché et du productivisme. La première résolution de cette grève générale est : « on arrête tout » et la deuxième : « Après un temps d’arrêt total, ne seront ranimés – avec réticence – que les services et les productions dont le manque se révélera intolérable. Probablement : l’eau pour boire, l’électricité pour lire le soir, la T.S.F. pour dire : « Ce n’est pas la fin du monde, c’est l’An 01, et maintenant une page de ‘Mécanique céleste’ ». L’An 01 a été adapté au cinéma en 1973 par Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch.

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Ce détournement des faits historiques par les médias et le business n’est évidemment pas propre au monde de l’art. Comme Jean Baudrillard l’affirme, au-delà du point de fuite c’est toute l’histoire qui se libère du réel et de la vérité, comme si, passé ce seuil où l’on devient capable de faire dire aux morts ce qu’on veut12 , elle subissait une inversion de sens, une régression.

Filant lui aussi la métaphore optique du vanishing point, dans L’illusion de la fin ou la grève des événements, le sociologue développe moins l’idée de la disparition – illusoire – de l’histoire que celle de sa paradoxale réversion : « Segalen dit que la Terre devenue sphère, chaque mouvement qui nous éloigne d’un point commence par là même à nous en rapprocher. Ceci est vrai du temps aussi, ajoute-t-il. Chaque mouvement apparent de l’histoire nous rapproche imperceptiblement de son point antipodique, voire de son point de départ. C’est la fin de la linéarité. Dans cette perspective, le futur n’existe plus.

Mais s’il n’y a plus de futur, il n’y a plus de fin non plus. Ce n’est donc même pas la fin de l’histoire. Nous avons affaire à un processus paradoxal de réversion, à un effet réversif de la modernité qui, ayant atteint sa limite spéculative et extrapolée tous ses développements virtuels, se désintègre en ses éléments simples selon un processus catastrophique de récurrence et de turbulence. »13

12. À l’occasion de l’attentat pâtissier sur BHL à l’église Saint-Loup à Namur (entartage perpétré par Noël Godin dans le cadre d’un dialogue croisé avec Jan Fabre à l’occasion de l’exposition Facing Time. Rops-Fabre (Musée Félicien Rops, Maison de la Culture de Namur, 2015), Charlier ne manqua pas de dénoncer l’instrumentation posthume dont venait de faire l’objet Félicien Rops, cet « immense génie sulfureux qui, nous rappelle-t-il, fut inhumé de force dans le cimetière de cette ville qu’il détestait par-dessus tout. » Dans une lettre ouverte postée avec l’intention de condamner cette récupération médiatique, il écrit : « Comme d’habitude, les morts ont le dos large, et les plus ambitieux vont y planter sans vergogne leurs pitons d’escalade. C’est sur leurs dos qui ont tant souffert, qu’ils revisitent l’histoire, à leur avantage et à leurs dépens ».

13. Jean Baudrillard, L’illusion de la fin ou La grève des événements, Paris, Éditions Galilée, 1992, p. 24.

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Dans le même temps qu’il dessine La Route de l’art sur le scénario noir que l’on sait (la récupération de l’art), Charlier fournit également avec Desperados Music14 le clip musical de cette régression de la modernité par-delà son point de fuite. Tournée sur un plateau télé, la vidéo est l’enregistrement d’un solo lancinant de guitare électrique, disons noisy (façon Glenn Branca15), joué par l’artiste lui-même. Les coups de pédale de réverbération ainsi que les mouvements planants de la caméra autour du musicien produisent une impression d’élasticité voire d’évanouissement temporel composée de moments de dilatation et de contraction, de stagnation aussi.

Comme son titre l’indique, cette musique – qualifiée par Charlier de « régressive » – est imprégnée d’une « mélancolie rétrospective »16 qui correspond typiquement à l’affect dominant de la post-modernité : « Nous sommes tellement habitués, note encore Baudrillard, à nous repasser tous les films, ceux de fiction comme ceux de notre vie, tellement contaminés par la technique rétrospective que nous sommes bien capables, sous le coup du vertige contemporain, de faire redéfiler l’histoire comme un film à l’envers. »17

Le monde de la publicité ‒ qui intéresse Charlier pour ses paradoxes ‒ a compris tôt le potentiel commercial de la nostalgie ainsi que de ses techniques rétrospectives. Dans un passage désormais culte de Mad Men, série télé que Charlier apprécie pour sa reconstitution méticuleuse du cynisme régnant au cœur d’une agence publicitaire typique du New York des sixties18, le directeur artistique de la boîte, Don Draper, produit d’ailleurs une belle métaphore de ce pouvoir séductif de la nostalgie.

14. Desperados Music a été joué pour la première fois en 1977 au Cirque Divers (Liège) ainsi qu’au Musée de Bologne. En 1979, il a fait l’objet d’un clip vidéo tourné sur un plateau de la RTBF-Liège, et récemment d’une réédition en DVD. 15. Glenn Branca est un compositeur et guitariste américain d’avant-garde. Il est considéré, avec Rhys Chatham, comme une icône du No Wave, un courant influencé par le rock punk des Ramones et le minimalisme de Tony Conrad. À partir de la fin des années 1970, le Glenn Branca Ensemble, formé de plusieurs guitaristes, commence à influencer la nouvelle scène punk rock des années 1980, notamment les membres de Sonic Youth, groupe noise rock new-yorkais. C’est à cette époque également que Dan Graham lui a demandé de créer la bande-son de sa vidéo The Drive Through Suburbia, un morceau finalement intégré à Rock My Religion.

16. Jean Baudrillard, op.cit., p. 25.

17. Ibid., p. 24.

18. Mad Men est une série télévisée américaine (92 épisodes, diffusés entre 2007 et 2015 sur la chaîne AMC) qui décrit le changement de mœurs et de modes autour des sixties à travers le prisme d’une agence de publicité basée à New York. Son créateur, Matthew Weiner, la qualifie lui-même de « série de science-fiction dans le passé », ajoutant qu’elle utilise le passé pour discuter des problèmes qui nous concernent aujourd’hui mais que nous n’évoquons pas ouvertement. (in: Bernie Heidkamp, New ‘Mad Men’ TV Show Uses the Past to Reveal Racism and Sexism of Today’ , source Alternet,‎ 24 août 2007). Son générique comprend une citation de Vertigo d’Alfred Hitchcock, la silhouette d’un homme d’affaires chutant du haut d’une tour de verre. Visiblement en phase avec la critique développée par Mad Men à l’endroit du cynisme naissant des années 1960, Charlier reprendra dans plusieurs toiles récentes cette image emblématique de la chute et d’une certaine décadence post-moderne.

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Le monde de la publicité ‒ qui intéresse Charlier pour ses paradoxes ‒ a compris tôt le potentiel commercial de la nostalgie ainsi que de ses techniques rétrospectives. Dans un passage désormais culte de Mad Men, série télé que Charlier apprécie pour sa reconstitution méticuleuse du cynisme régnant au cœur d’une agence publicitaire typique du New York des sixties18 , le directeur artistique de la boîte, Don Draper, produit d’ailleurs une belle métaphore de ce pouvoir séductif de la nostalgie. Lors d’une réunion où il doit convaincre les responsables de Kodak de rebaptiser « Carrousel » leur nouveau modèle de projecteur de diapositives, le publicitaire vise juste : « La nostalgie.C’est subtil, mais très puissant…Teddy m’a appris qu’en grec, nostalgie signifiait littéralement une blessure ancienne qui fait toujours mal.C’est un pincement au cœur, teinté de regrets, et bien plus puissant qu’un simple souvenir.Grâce à cette machine, on ne vole pas dans l’espace. On remonte le temps.D’une pression on recule, on avance.Elle nous ouvre les portes d’une époque perdue que l’on rêve de retrouver.Cette chose n’est pas une roue.C’est un carrousel.Grâce à lui on voyage comme un enfant sur un manège.On tourne, et on tourne, et on retourne au point de départ, ce lieu magique où on se sait aimé. » 19

19. Mad Men, « The Wheel », épisode 13, saison 1, 2007.

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Toute la peinture de Charlier rend compte de ce goût mélancolique de notre époque pour le déjà-vu, car tous ses tableaux sont des reprises de vieux tubes de l’histoire de l’art, et tout son œuvre peint, une sorte de juke-box grâce auquel nous sautons d’un morceau choisi à l’autre, entraînés dans la ronde nostalgique de son « éclectisme radical ». Peinture pour tous, au Grand-Hornu, n’échappe pas à ce principe de carrousel temporel qui revisite les styles de l’art moderne le long de plusieurs ensembles de pastiches : expressionnisme abstrait (« Peintures volcans »), futurisme italie (Peintures italiennes20), post-impressionnisme (Les quatre saisons), abstraction géométrique (Peintures fractales).

En faussaire et caricaturiste, Charlier s’amuse avec une exposition où la production virtuose de faux vieux côtoie l’imitation potache de vrais gimmicks ; du toc et des tics, quoi ! Avec sa chambre d’Ames21 ou sa galerie colorée de Fontana, c’est encore son insistance à démontrer que l’histoire de l’art repose sur une illusion d’optique, de l’ordre de la perspective forcée ; façon de nous faire comprendre, par exemple, qu’un artiste n’est pas grand parce que sa cote est haute sur le marché ou sa popularité élevée dans les médias. C’est ce mirage, cette manipulation, voire ce complot diront certains détracteurs de l’art contemporain22, que Charlier s’applique, par l’image et la parole, tel Platon avec le mythe de la caverne, à déconstruire pour (le bien de) tous.

Denis Gielen

20. La série Peintures italiennes emprunte notamment son esthétique futuriste aux oeuvres d’Enrico Prampolini. Cependant, il semble possible d’y voir également une référence, fût-elle inconsciente, au dernier tableau, Tu m’, que Marcel Duchamp réalise en 1918. Flottant dans l’espace du tableau, Duchamp y reprend l’essentiel de sa « boîte à outils » de peintre d’avant-garde, faisant ainsi l’inventaire de sa pratique avant son départ à Buenos Aires et le long silence qui en suivit. Tu m’emmerdes … est peut-être le sous-entendu que comprend le titre de cette peinture, résultat de la commande insistante de Katherine Dreier, collectionneuse et mécène, à l’adresse de son poulain récalcitrant.

21. La chambre d’Ames est une illusion d’optique grandeur nature mise au point en 1946 par l’ophtalmologiste américain Adelbert Ames. Il s’agit d’une pièce grandeur nature dans laquelle la taille de ses occupants change aux yeux d’un observateur extérieur. Comme toute illusion d’optique, cette construction piège le cerveau à l’aide de faux points de repère, car l’espace d’apparence rectangulaire est en réalité trapézoïdal. Son principe est tellement efficace qu’il est encore utilisé au cinéma ; notamment pour des séquences du Seigneur des Anneaux.

22. « Si dans la pornographie ambiante s’est perdue l’illusion du désir, dans l’art contemporain s’est perdu le désir de l’illusion», ainsi Jean Baudrillard entamait-il son célèbre article, Le Complot de l’art, que le journal Libération publia en 1996. Si cet article fit grand bruit, de par la notoriété de son auteur, il intervint dans le sillage d’une « crise de l’art contemporain », déjà bien tracée en France notamment au sein de la revue Esprit par nombre d’intellectuels à l’aube des années 1990. C’est ainsi qu’on citera en guise de bibliographie sélective les articles ou livres suivants : Marcel Duchamp ou ses ‘célibataires même’ (1992) de Marc Le Bot, Artistes sans art ? (1994) de Jean-Philippe Domecq, Art contemporain : le grand bazar ? (1992) d’Olivier Céna, ou La crise de l’art contemporain (1997) d’Yves Michaud. Ensuite, les ouvrages n’ont cessé d’allonger l’interminable bibliographie de ce que Christine Sourgins nomma précisément les Mirages de l’Art contemporain (2005).

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