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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1960 à 1964) PERSONNES ET BIENS (Suite) (1) ' ' PAR ÉDOUARD VIEU JEAN' CHARGÉ DE COURS ASSOCIÉ A LA FACULTÉ DE DROIT DE LIÈGE, DEUXIÈME PARTIE. BIENS. 1. Distinction des biens. 56. !MMEUBL:ES PAR NATUR:E. - BATIMENTS. - lNCORPORA- - L'incorporation au_ sol étant la c_ondition nécessaire et suffisante de l'immobilisation des bâtiments, ceux-ci sont immeubles lorsqu'ils sont « incorporés au sol après d'une en matériaux durs », même s'ils sont provisoires et démontables (Liège, 12 avril1962, 2e espèce;Rec. gén. et not., 1963, 20569, note G:ENIN; comp. D:E PAGE et D:EKKERS, t. V, 638, c). Sont également immeubles par nature ou, plus exacte- ment, par incorporation les câbles et les isolateurs d'une ligne de transport électrique. Ils font, dit le tribunal de Bruxelles, partie ensemble qui constitue une construction au sens de l'article 518 du Code civil. Le jugement ajoute que le matériel d'un poste de transformation et celui que le pro- priétaire affecte à l'exploitation de la ligne ne sont en revanche (1) Voy. cette Revue, 1965, p. 423 et suiv., et 1966, p. 181 et suiv.

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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1960 à 1964)

PERSONNES ET BIENS (Suite) (1)

' '

PAR

ÉDOUARD VIEU JEAN' CHARGÉ DE COURS ASSOCIÉ

A LA FACULTÉ DE DROIT DE LIÈGE,

DEUXIÈME PARTIE.

BIENS.

1. Distinction des biens.

56. !MMEUBL:ES PAR NATUR:E. - BATIMENTS. - lNCORPORA­T~ON. - L'incorporation au_ sol étant la c_ondition nécessaire et suffisante de l'immobilisation des bâtiments, ceux-ci sont immeubles lorsqu'ils sont « incorporés au sol après édi:ficatio~ d'une as~ise en matériaux durs », même s'ils sont provisoires et démontables (Liège, 12 avril1962, 2e espèce;Rec. gén. en~. et not., 1963, 20569, note G:ENIN; comp. D:E PAGE et D:EKKERS, t. V, n° 638, c). Sont également immeubles par nature ou, plus exacte­ment, par incorporation les câbles et les isolateurs d'une ligne de transport d'énergi~ électrique. Ils font, dit le tribunal de Bruxelles, partie d'~n ensemble qui constitue une construction au sens de l'article 518 du Code civil. Le jugement ajoute que le matériel d'un poste de transformation et celui que le pro­priétaire affecte à l'exploitation de la ligne ne sont en revanche

(1) Voy. cette Revue, 1965, p. 423 et suiv., et 1966, p. 181 et suiv.

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que des immeubles par destination (30 juin 1960, décision dont on s'est borné à publier un résumé, Rev. prat. not., 1961, 181, Rép. fisc., 1961; 217, Res et jura imm., 1961, 283). Mais on sait que cette distinction est parfois difficile à opérer et que la juris­prudence manque ici de fermeté. Ainsi les installations de chauffage central sont-elles tantôt réputées immeubles par incor­poration (cette Revue, 1962, p. 235, no lOO) et tantôt immeubles par destination (J. de P. Liège, 5 février 1959, suivant lequel les canalisations sont toutefois immeubles par incorporation, Jur. Liège, 1959-1960, 182).

57. lMi-t::EUBLES PAR DESTINATION. - «La disposition de l'article 524 doit être largement interprétée », dit le tribunal de commerce de Tournai (15 mai 1962, Journ. trib., 1962, 374, Res et jura imm., 1962, 377). Telle est la· tendance de la juris­prudence, ainsi que le montre encore un jugenîènt du tribunal de commerce d'Anvers, aux termes duquel sont immeubles par destination les objets simplement utiles à l'exploitation indus­trielle d'un fonds, tels « l'outillage utilisé par les ouvriers », «en raison de sa participation au processus de production», èt les « installations de bureau qui sont normalement utilisées par le personnel administratif et de direction nécessaire à l'in­dustrie» (6 avril 1960, cette Revue, 1961, 188, note FALLY,

Rec. gén. enr. et not., 1961, 20420, obs., R. W., 1960-1961, 196). Sont,· en d'autres mots, «immeubles par destination dans un bâtiment industrielles objetB mobiliers qui sont utilisés à l'ac­complissement du processus de production dans cette industrie soit au cours de la production elle-même soit au cours du traite­ment spécial qui fait l'objet d'une entreprise déterminée>> (comm. Anvers, 6 avrill960, précité; adde comm. Tournai, 15 mai 1962, précité); Mais si largement qu'on l'interprète, la loi ne permet pas de réputer immeubles les stocks, les rebuts et les machines qui sont définitivement hors d'usage (comm. Anvers, 6 avrill960, précité; FALLY, note précitée, spécialement p. 203 et 204).

Il faut également « écarter du domaine de l'immobilisation les objets qui, tout en étant destinés à une utilisation pro-

- ductive, ne sont pas affectés à l'utilisation même du bâtiment aménagé à cette fin>> et ceux dont la destination n'est pas rendue publique par un lien manifeste entre le fonds et eux (FALLY, note précitée, pj 202 et 203). Mais ici. encore les juges

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se gardent de tout excès de sévérité, et le tribunal de commerce d'Anvers estime· qu'il n'est pas requis que «la chose principale, immeuble par nature, soit ab initia spécialement construite, adaptée ou aménagée pour l'exploitation d'une industrie bien déterminée» : «il faut rechercher le caractère de l'immobilisa­tion par destination durant l'existence de l'industrie » (6 avril 1960, précité).

«Les immeubles par destination ne conservent ce caractère qu'aussi longtemps qu'ils continuent de rester attachés au fonds dont ils forment des accessoires, et, lorsqu'ils sont détachés de ce fonds pour être vendus séparément, ils perdent leur carac­tère immobilier pour reprendre leur qualité naturelle de meubles » (Bruxelles, 14 février 1961, Rec. gén. enr. et not., 1963, 20571). L'immobilisation cesse avec la cause qui l'a fait naître. On admet toutefois - tempérament utile et raisonnable sinon rigoureuse­ment logique - qu'elle subsiste au profit du créancier hypo­thécaire tant que l'acquéreur n'est pas en possession réelle des immeubles par destination aliénés séparément (Bruxelles, 14 fé­vrier 1961, précité; Rép. prat. dr. belge, vo Hypothèques et privi­lèges immobiliers,· n°8 1353 et suiv. et les références citées). Ainsi les créanciers d'une société ne peuvent-ils saisir au détri­ment du créancier hypothécaire de l'un des associés les machines . et le matériel apportés par ce dernier lorsque ces machines et ce matériel, précédemment affectés à l'exploitation du fonds de l'associé, n'ont pas encore été livrés à la société ou lorsque la possession de celle-ci est «pour le moins douteuse>) (Gand, 29 janvier 1959, Rev. prat. not., 1960, 17).

L'immobilisation ne cesse pas davantage au moment de la vente lorsque celle-ci porte à la fois sur le fonds et sur les immeu­bles par destination et que l'acheteur n'est obligé ni de désaffecter ceux-ci ni de modifier l'aménagement de celui-là (civ. Bruxelles, 30 juin 1960, rapporté partiellement supra, no 56).

58. DOMAIN:E PRIVÉ D:E L'ÉTAT. -- TRÉFONDS DES ROUT:ES,

CHEMINS DE F:ER ET CANAUX. - La Cour de Bruxelles juge par arrêt du 13 janvier 1961 qu' «en l'absence de destination publique du tréfonds des routes, voies, chemins de fer et canaux, celui-ci est étranger au domaine public et est, dès lors, propriété privée ; le principe de l'inaliénabilité du domaine public ne fait dès lors pas obstacle à l'octroi d'une concession minière portant

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sur le sous-sol de biens de cette nature ·appartenant à l'Etat » · (Pas., 1962, II, 31).

11. La ·propriété.

59. BoRNAG:E :ET R:EV:ENDICATION. _:... lMPosslBILITÉ D'ORDON­

NER L:E BORNAGÉ D:E BATIMENTS CONTIGUS.:-'- Le juge de· paix de Lierre rappelle que la distinction entre bornage et reven­dication ne fait pas obstacle à ce qu'une revendication se greffe sur une action èn bornage et soit tranchée, à titre d'incident,

· par le juge de paix ; celui-ci ne devrait se déclarer incompétent que · si l'action en : bornage déguisait une pure revendication (27 avril 1961, J. J. P., 1961, 241 ; adde : J. de P. Saint-Josse­ten-Noode, 12 j'uin 1964, J. J. P.,'1964, 335; cette Revue, 1957, p. l47, et 1962, p. 239). Le jugement ajoute qu'en cas de contra­diction entre· les mesures indiquées dans une vente et le plan annexé à l'acte, les éléments visibles· et concrets - telle la contiguïté d'un chemin - sont préférables aux données invi­sibles et abstraites que constituent les mesures.

On ne peut exiger le bornage de bâtiments appuyés l'un· sur l'autre; l'opération serait superflue, car la limite se trouve au milieu du mur mitoyen (Anvers, }er février .1960; R. W., 1960-1961, ·439; DE PAG:E et DEKK:ERS, t. V, n° 960).

60. FoNDS· ET TRÉFONDS. - CoNCESSION DE MINE. - « Il est reconnu . par tous », dit la Cour de Bruxelles, « que le proprié­taire de la surface est plein propriétaire d11 dessus et· du dessous (article 552 du Code civil), mais que, du moment où. une mine sera concédé~, même au propriétaire de la surface, cette propriété sera distinguée de celle de la slll,'face et désormais considérée comme propriété nouvelle » (13 janvier 1961, Pas., 1962, II, 31).

61. ACCESSION IMMOBILIÈRE ARTiiiCIELLE. - Alléguant que l'accession n'est pas d'ordre public et que l'article 555 est inapplicable à ceux qui ont - en vertu d'un contrat par exemple - le droit de bâtir sur le sol d' au,trui, le tribunal de commerce de Courtrai répute immeuble de communauté une maison con­struite pendant le mariage sur un fonds propre de l'épouse : celle-ci avait autorisé la construction soit en empruntant à la veille du mariage les .sommes destinées .à payer l'entreprise, ·soit par le concours qu'elle avait ensuite apporté à son mari (4 jan-

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vier 1962, R. W., 1963..;1964, 517). ·La conclusion· est. moins bonne que les prémisses. L'e~clusion de l'article 555 n'empêche pas nécessairement l'accession de se produire, et M. Ponsard relève judicieusement· que les raisonnements semblables à celui que tient le tribunal de commerce de Courtrai semb~ent procéder d'une confusion entre de~x problèmes distincts, envisagés .par ce texte, celui de l'accession en soi et celui des .indemnités aux­quelles ~Ile peut donner lieu. (( si . ces indemnités . sont déter­minées ici, à l'exclusion de l'article 555, par.les.règles du régime matrimonial,. comme ~Iles le .. seraient entre contractants par les dispositions contractuelles, . il n'en résulte pas que le principe même de l'accession S()it exclu par le jeu du régime» (note sous Besançon, 14. décembre 1955, arrêt qui adopte la même .solution que 1~ décision rapportée,. J. O. P., 1957, II, 9706). Doctrine et jurisprudence considèrent ~u contraire que les règles de la communauté sous-entendent ce principe et .que, << s'il avait p1,1 exister un doute à ce sujet, J'article 1437 le dissiperait», puisqu'il << donne seulement droit à une récompense. en faveur de la communauté pour les améliorations conférées aux immeu­bles propres» (BAUDRY-LACANTINERIE, LE CoUR1:0IS et SuR­VILLE, Traité théorique et pratique de droit civil, 3e éd., t. XVI, n° 347; adde notamment : RoDIÈRE ·et Po:NT, Traité du contrat de mariage, 2e éd.,· t. Ier, no 574; LAURENT, t. XXI, no 303; DE PAGE et DEKKERS, t. X, no 263 ; PLANIOL, RIPERT et Bou­LANGER, Traité pratique, 2e éd., t. VIII, no 219-2; PoNSARD, note précitée;· DELMAS-SAINT-HILAIRE, «De l'application de l'article 555 du Code civildans les rapports des personnes qu'unit un lien d'obligation », Rev. t1·im. civ., 1959, p .. 426, no 22; P. GoTHOT~ <<L'utilité dê la clause d'annexe de propre dans les contrats adoptant le régime de la communauté», Ann .. dr. Liège, 1960, p. 334; Courtrai, 14 novembre 1947, Journ. trib., 1948, 527, note RIGAUX; civ., 30 décembre 1959, Bull. civ., 1959, I,. n° 569). C'est donc le régime matrimonial lui-même qui imprime, par référence à l'accession, le caractère de propre au bâtiment incorporé à un fonds propre, de sorte que l'arti­cle 1395 interdit aux époux de décider le contraire pendant le mariage (Courtrai, 14 novembre 1947, précité; PoNSARD, note précitée) et que les articles 1394, 1396 et 1397 ne leur permettent de le faire auparavant que dans les formes qu'ils déterminent.

La thèse que l'article 555 est inapplicable à ceux qui ont

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le droit de bâtir sur le sol d'autrui incite, on le sait, beaucoup d'auteurs à réputer ce texte étranger aux rapports du bailleur et du preneur (cette Revue, 1962, p. 244 et 245}. Mais on sait aussi que les tribunaux ne sont pas toujours dociles à cet ensei­gnement et que ce désaccord n'empêche pas la doctrine et la jurisprudence belges de décider unanimement que l'accession ne peut opérer avant la fin du bail (voy. notamment: DE PAG:E, t. IV, nos 688, B, et 689, A ; DE BERSAQUES, note sous comm. Liège, 6 janvier 1950, cette Revue, 1951, p. 268 et suiv., spéciale­ment no 4; comp., pour la France : DELl\IAS-SAINT-HILAIRE, op. cit., spécialement nos 14 et suiv.; MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. II..:2, Paris, 1965, n° 130). Cette solution trouve une nouvelle confirmation dans un arrêt de cassation du 9 février 1956, suivant lequel le droit d'option du bailleur pour le main­tien ou la· suppression des ouvrages incorporés par le preneur et le droit éventuel de celui-ci à une indemnité ne naissent que quand l'obligation de restituer les lieux loués devient exi:­gible, soit à l'échéance du terme convenu ou à l'expiration du délai de grâce obtenu par le preneur (Pas., 1956, I, 599, Rea. gén. enr. et not., 1960, 20203; adde cass., 14 octobre 1954, Pas., 1955, 1, 119 et note; rappr. et comp. BR:EDIN', Chronique de jurisprudence, Rev. trim. civ., 1963, p. 377, no 1}.

On n'hésitera pas en revanche à se fonder sur l'article 555 pour trancher le cas du constructeur qui se trompe de parcelle et bâtit sa maison sur le fonds du voisin. Les terrains étant identiques, l'erreur est plausible et excusable, juge le tribunal de Nivelles, et le défendeur e·st possesseur de bonne foi au sens des articles 550 et 555, car la loi ne subordonne pas ce,tte qualité à l'existence d'un titre translatif de propriété dont 1~ construc­teur ignore les vices ; il s'agit d'une question de fait q.ue le juge apprécie souverainement d'après les circonstances d~ la cause (31 mai 1961, Ann. not. et enr., 1963, 49, Rec. Niv., 1962, 1; adde : RIPERT et BouLANGER, Traité élémentaire, 4e ~d., t. Ier, nos 2791 et 2964; DE PAGE et D:EKKERS, t. VI, no 170; Novelles, Droit civil, t. III, n° 262 ; LEVIE, Traité théorique et pratique des constructions érigées sur le terrain d'autrui, Louvain, 1951, no 9).

Le tribunal de Bruxelles rappelle à ce sujet que le juge doit se reporter à l'époque de la construction (27 mars -1963, R. W., 1962-1963, 2173). Un mari avait en l'espèce vendu un immeuble

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de la communauté à sa concubine, et celle-ci prétendait retenir les bâtiments qu'elle y avait érigés, bien que la vente eût été déclarée inopposable à l'épouse et à ses ayants cause. Le juge­ment décide; conformément à la thèse de l'accession« facultativé et différée», que les constructions appartiennent à la commu­nauté au moins depuis que l'héritière de l'épouse a affirmé son droit de propriété sur le sol et sur les bâtiments en demandant l'annulation de la vente. Complice de la fraude commiJ;;e par le mari, la concubine, ajoute le tribunal, est tiers de mauvaise foi au sens de l'article 555. L'absence de bonnefoiétaiteneffetmanifeste, encore qu'il soit peut-être souhaitable de distinguer à cet égard la croyance en la validitéet la croyance en la légitimité de l'acqui­sition, et la qualité de «tiers» n'était guère discutable, même au regard de la thèse la plus restrictive (voy. DELMAS-SAINT­HILAmE, op. cit.; n° 39, p. 438).

C'est au contraire l'acception la plus large du mot <<tiers » que l'on trouve dans un jugement du 27 février 1962 par lequel le tribunal de Bruxelles règle, sur le pied de l'article 555, le sort d'un hangar construit, avec l'assentiment du pr~priétaire, par une personne qui était autorisée à occuper gratuitement le fonds

·de son voisin (Ann. not. et enr., 1963, 254, Res et jura imm., 1964, 349). Ce dernier ayant, en reprenant son terrain, manifesté la volonté de conserver le bâtiment, la décision lui conteste le droit d'en exiger ensuite l'enlèvement et le déclare tenu de payer la valeur des matériaux et le prix de la main-d' œuvre ( comp : LEVIE, op cit., nos 98 à 101; DELMAS-SA:rNT-HILAIRE, op. cit., nos 5, 19, 47 et suiv.) .

. 62. ACCESSION ET SUPERFICIE. - Ayant rappelé que « le droit de superficie est un droit réel, qui consiste à avoir des bâtiments, ouvrages ou plantations en propre sur un fonds appartenant à autrui, par dérogation alix dispositions des articles 552 et 553 du Code civil sur le droit d'accession», le tribunal de Bruxelles décide qu'un propriétaire a conféré « directement et sans conteste possible» un droit de superficie à la personne en faveur de laquelle il a, par un acte authentique transcrit à la conservation des hypothèques, renoncé pour une période de deux ans « au droit d'accession que lui conféraient les articles 546 et 551 du Code civil, tel qu'il est au surplus réglé par les articles 552 et suivants dudit code» (7 avril1960, Pas., 1961, III, 7, Rec. gén.

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enr. et not., 1961,. p. 345 et obs,, Bull. jur. imm., 1962, 156; rappr. cette Revue, 1962, p. 245, no 107). Le jugement ajoute que «les dispositions de l'article 555 du Code civil ne sont pas · applicables en matière de droit de superficie », mais << qu'en vertu de l'article 6 de la loi du 10 janvier 1824 ... , à l'expiration . du droit de superficie la propriété des bâtiments, ouvrages et plantations dressés par le superficiaire passe d'office au tréfoncier, à charge par lui de payer au superficiaire ·la valeur de ces· objets tels qu'ils se trouvent au moment de ladite expi­ration».

63. CoNSTRUCTIONS :EMPIÉTANT SUR LÉ FONDS VOISIN. -LIMITATION DU DROIT D'E:XIGER LEtrR ENLÈVEl\fENT. -:- ABU~ DE DROIT.- On sait qu:e les tribunaux ont tendance à n'accorder qu'une indemnité aux propriétaires qui se ·plaignent d'un léger empiétement ·des constructions . de. leurs voisins, lorsque ces derniers ont ignoré l'atteinte qu'ils portaient au choit d'autrui : commet un abus de droit le propriétaire qui inflige ou prétend infliger un préjudice grave à autrui__:_ en l'espèce, la rectification ~es ·ouvrages ou bâtiments ..:._ pour se- procurer ou pour sauve.:. garder un mince profit (cette Revue, 1962, p~ 246, n° 108; rappr. infra, no 66; comp., sur la jurisprudence française, BREDIN, Chronique de jurispruq.ence, Rev. trim. Civ., 1965, p. 678, ri0 5). Ainsi jugé par les tribunaux de paix de Saint-Trond (12 no­v~mbre 1963, Jur. Liège, 1963-1964, 263, R. W., 1963-1964, 1564, décision dont les motifs laissent à désirer et dans laque~e le juge relève que le demandeur agit par malice, dalis le dessein 4e nuire) et d'Ath (5 mai 1964, Journ. trib., 1964, 511, Rev. adm., 1964, 278)_ à propos d'em.piéteménts de six centimètres et de soixante­cinq à cent dix millimètres.

Jugé en revanche qu'un propriétaire ne peut exciper de l'ab us. de droit pour refuser la réduction. d'un toit saillant de trente centimètres sur le fonds voisin : l~s intimés «ne défendent que leur propriété contre les actes illégaux des appelants, et, pour autant que ces derniers savent ou peuvent. se baser sur l'auto­ris~tion de . l'administration, contre. une décision illégale de !'.urbanisation (sic)» (civ. Bruxelles, 16 décembre 1960,Res et jura imm., 1960, no 3762, p. 445, espèce dans laquelle le permis de bâtir était subordonné à l'exécution de la saillie).

64. TROUBLES DE VOISINAGE. - THÉORIE ·DU CONFLIT DE

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DROITS. - Nombreux sont les échos des arrêts de rejet du 6 avril 1960 (sur ces arrêts, voy. cette Revue, 1962, p. 249, n° 109 et les références citées). Nombreux sinon rigoureusement fidèles. Ainsi le tribunal de Nivelles· juge-t-il à propos de repro­duire à la fois et indifféremment - en dépit de différences qui ne sont pas toutes spéculatives (voy. notamment DE PAGE et DEKKERS, t. V, n°8 931 à 935) - la doctrine de ces arrêts et les autres « explications données pour renoncer à toute· idée de faute» (6 décembre 1961, Pas., 1962, III, 3). Plus dangereuses peut-être sont les décisions où cette idée refleurit insidieusement de motifs destinés à expliquer ou à développer la pensée de la cour de· cassation et dans lesquels on lit, par ·exemple, que, les pro­priétaires voisins ayant un droit égal à la jouissance normale de leur propriété, chacun «doit user de son droit de façon à ne causer aucun inconvénient anormal au propriétaire voisin » (Gand, }er juin 1961, R.· W., l96t-l962, 743) ou encore que le droit reconnu par l'artiéle 544 à tout propriétaire de jouir normale­ment de son bien «implique pour les tiers l'obligation de le respecter» et qu' «un manquement à cette obligation oblige son auteur à en réparer les conséquences» (Bruxelles, 26 niai 1961, A.nn. not. et enr,, 1961, 239, note HAULOT, arrêt que cass., 21 février 1963, Pas., 1963, I, 687, refuse de casser, parce que les moyens du pourvoi manquaient en fait ou n'étaient pas recevables à défaut· d'intérêt). Que signifient ces formules, sinon que tout propriétaire a l'obligation de résultat - celle-là même que M. Dabin décelait dans l'ancienne doctrine de la cour de cassation (note sous cass., 7 avril i949, cetteRevue, 1949, p. 205 et suiv., spécialement p. 207 à 211; note sous cass., 6 avril 1960,. cette Revue, 1960, p. 286 et suiv., spéCialement p. 289 et 2'90)-'­de ne pas causer d'inconvénient· excessif aux voisins 1 Qu'en conclure sinon que tout acte ·de propriétaire dont résulte pareil inconvénient· constitue nécessairement une faute au sens des articles 1382 et 1383 - le « manquement » dont parle la cour dé Bruxelles -, qu'il y a faute, par exemple, à construire . un immeuble dont les fondations ne peuvent se faire· sans que la maison voisine soit dégradée 1 Aussi bien la cour de Gand ajoute­t-elle ·au motif que l'on vient de lire une affirmation dont la cour de cassation elle~même· s'était toujours gardée (voy. DAB.IN, loc.· cit.), à savoir que «le maître de l'ouvrage devait s'abstenir de faire exécuter les travaux s'il était impossible de construire

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l'immeuble à appartements sans causer par là un dommage au voisin». C'est pourtant au nom de la tradition et du principe général consacré par l'article 11 de la Constitution et après avoir contesté formellement qu'il y eût faute en l'espèce, qu'elle adjuge une « indemnité équitable », estimant sans doute que mieux vaut rompre avec la logique qu'avec les directives de la cour de cassation. Quant à la cout de Bruxelles, elle déclare que la victime n'a pas «la charge de prouver si l'origine ... (de l'inconvénient excessif) est une faute commise par son auteur, un vice de la chose qu'il a sous sa garde ou quelque autre raison» et qu'il est sans intérêt de vérifier s'il y a eu défaut de précaution, «l'obligation de restituer la victime dans ses droits étant fonction du préjudice que cette dernière a subi et non de la plus ou moins grande. négligence de l'auteur du dommage)); le fondement de la condamnation devait donc, ici comme dans le cas précédent, se trouver dans la tradition et le principe consacré notamment par l'article 11 de la Constitution.

Les contradictions que l'on vient de relever proviennent d'une analyse imprécise des arrêts de rejet du 6 avril 1960. Les cours de Bruxelles et de Gand n'ont pas donné à certains termes le sens que le contexte commandait de leur donner. C'était pourtant un danger que M. Dabin avait signalé ici même dès 1960 (note précitée sous cass., 6 avril 1960, p. 292 à 294). Certes, la cour de cassation a dit que « l'article 544 du code reconnaît à tout propriétaire le droit de jouir normalement de sa chose » et que, « les propriétaires voisins ayant ainsi un droit égal à la jouissance de leur propriété, il en résulte qu'une fois fixés les rapports entre leurs propriétés, compte tenu des charges normales résultant du voisi11age, l'équilibre ainsi établi doit être maintenu entre les droits respectifs des propriétaires» (6 avril

. 1960, précités). Mais la première phrase nevise pas à restreindre la liberté d'action du voisin en imposant à celui-ci une obligation que le contexte dénie,. puisqu'il y est question du « fait non fautif» qui <<porte atteinte au droit de propriété». Quant à la seconde phrase, M. Dabin souligne judicieusement qu'elle est _exacte« en ce sens (mais en ce sens seulement) qu'au cas de rupture un rétablissement de l'égalité s'impose» (note précitée, p. 294).

La résurgence de la faute n'a pas empêché la cour de Gand d'assigner en fin de compte un fondement convenable à sa décision. Elle incite en revanche le tribunal de commerce de

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Gand à admettre, très logiquement d'ailleurs, qu'un propriétaire est responsable sur le pied de l'article 1382, au motif que la faute consiste en l'espèce «à n'avoir pas pris de iprécaution pour épargner le dommage à l'héritage voisin et à avoir entrepris des travaux qui devaient nécessairement causer un dommage au, voisin » (8 février 1962, R. W., 1961-1962, 1360). On ne pouvait mieux évoquer l'ancienne jurisprudence de la cour de cassation et les équivoques dont elle enrobait faute; obligation de moyens et obligation de résultat (voy. à ce sujet DABIN'; note précitée sous cass., 7 avril 1949, p. 207 à 212, et note précitée sous cass., 6 avril 1960, p. 289 et 290). Aussi n'est-il pas surprenant que, citant une note écrite par Piret en 1949 (<<Les troubles de voisinage et l'arrêt de cassation du 7 avril 1949 », Rev. gén. ass. resp., 1949, 4432, p. 6), le jugem~nt ajoute que <<la faute est déjà prouvée par le fait et la natur~ du dommage», affirma­tion qui ne peut évidemment se concÜier avec l'enseignement des arrêts de rejet du 6 avril 1960. Et pourtant, le tribunal ne repousse pas cet enseignement. Il cherche au contraire à s'y conformer en déclarant qu'il y a (( rupture de l'équilibre des droits des voisins» et que le propriétaire est également respon­sable en vertu des articles 544 du Code civil et Il de la Consti­tution~ Mais c'est encore vouloir concilierl'inconciliable. Si une faute dommageable est commise, il faut appliquer l'article 1382 du Code civil et délaisser la doctrine· des arrêts de rejet du 6 avril 1960, laquelle suppose, aux termes mêmes desdits arrêts, que l'un des -voisins se plaint d'un« fait non fautif». C'est donc à juste titre - dans le fond sinon dans la forme- que le tribunal de commerce d'Ostende affirme ·: «Il est raisonnable de ne prêter qu'un caractère subsidiaire à l'application· de l'article 544 du Code civil et de recourir à la nouvelle théorie de la cour de cassation en cas d'absence de tout quasi-délit» (22 février 1962, R. W., 1962-1963, 228).

On hésitera dès lors à approuver la cour de Bruxelles lorsqu'elle dit dans l'arrêt précité du 26 mai 1961 qu'il est «sans intérêt» de vérifier l'efficacité des procédés de dépoussiérage d'une cimen­ter~e à laquelle un pépiniériste réohime une indemnité. L'assertion est exacte s'il faut entendre que la perfection de la technique de dépoussiérage employée ne dispensait pas la cimenterie de compenser par une indemnité le trouble excessif que les résidus de fumées et de poussières pouvaient néanmoins causer au

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voisin. Elle est au contraire critiquable si ses auteurs ont pensé. que le juge saisi de pareil litige n'a plus désormais à rechercher s'il y a eu faute, qu'il lui suffit en toute hypothèse de se fonder sur la nouvelle doctrine de la cour de cassation, que tout trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage justifie - sa ca11se fût-elle un délit ou .un quasi-délit ___,le recours à la <t théorie de l'équilibre », -c'est-à-dire en fin de compte que celle-ci est. une panacée • et qu'il est permis de la ·substituer au régime de la responsabilité aquilienne dans les cas où l' exis­tence .d'une .faute .commanderait pourtant l'application de l'artf­cle 1382. Encore une fois, le juge ne peut se fonder que sur ce texte quand le demandeur allègue - soit exclusivement soit · à_titre pdncipal seulement- et prou~e.qu'un délit ou quasi~délit du voisinlui cause. un dommage (lequel devrait d'ailleurs, suivant ce régime, être réparé même s'il n'était pas. assez grave pour être, en l'absence de faute, réputé « trouble excessif») ..

Le juge doit donc examiner la conduite du déf~ndeur et . rechercher si. celui-ci n'a cmnrriis aucune faute, lorsque l'action est - comme il: àrrive souvent ~ fondée sur les articles 1382 et suivants à titre principal et sur la «théorie· de l'équilibre » · à . titre subsidiaire. Mais cët examen, il .. convient- de le souligner, ne peut avoir d'autre but que d'apprécier le méritedu fondement principal, et ;le tribunal n'a plus à se soucier de la conduite du défendeur, -~ juger la façon dont celui-ci a usé de. son bien, dès lors que, le demandeur n'ayant pas allégué ou prouvé de faute, le débat est circonscrit à la <<théorie .de 'l'équilibre». La cour de G~nd se dem;;Lnde pourtant, dans un arrêt du 2l.fé­vriér-1963, siJes inconvénients causés par la restauration d'une églisè ·correspond~ient aux besoins de celle-ci, bien qu'elle ait auparavant nié qu'il y eût faute en l'espèce, et)es motifs relèvent, ·afin _de démontrer le caractère -normal du trouble, que, visant à restaurer et non à modifier l'édifice, les travaux commandés par le conseil de fabrique« ne sortent pas des limites de la stricte nécessité, ... sont conformes et proportionnés à la nature et à la destination concrète du bâtiment et relèvent par conséquent de la jouissance et de l'usage normaux et légitimes de celui-ci» (R. W., -1962-1963, 2060). Mais la cour ne transpose-t-elle pas ainsi dans la<< théorie de l'équilibre» - où la lésion d'un droit ne se conçoit que matériellemr:-nt ou objectivement parla,nt (DABIN, note pré_citée sous cass., 6 avril 1960, p. 249) - un jugement

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de valeur que seule la notion subjective de faute rend pertinent en matière aquilienne 1 Préférable à cet égard est l'arrêt précité de la cour de Bruxelles aux termes duquel « l'obligation de restituer la victime dans ses droits est fonction du préjudice que cette dernière a subi» (26 mai 1961).

On contesterait vainement l'utilité de ces remarques en allé­guant que le résultat pratique mérite seul considération et qu'il est identique dans la« théorie de l'équilibre» et dans le régime de la responsabilité. Car ce serait méconnaître la portée des arrêts de rejet du 6 avril 1960 et négliger des différences dont d'excellents auteurs ont de longue date souligné l'importance (voy. notamment et comp. : DlfPAG:E et DEKK:ERS, t. V, no 935.; DABIN, note précitée sous cass., 7 avril1949, spécialement p. 216 à 218). Ainsi l'entrepreneur ou l'homme de métier. qui a exécuté les travaux générateurs des inconvénients anormaux ne peut être déclaré responsable in solidum avec le maître de l'ouvrage que si l'on se place sur le terrain de la responsabilité aquilienne. On a prétendu, il est vrai, que 1~ « théorie. de l'équilibre » autorise aussi cette condamnation (DALCQ, note sous cass., 6.avril 1960, Rev. gén. ass. resp., 1960, 6.557, e~ note sous Bruxelles, ch. réun., 19 février 1963, Journ. trib., 1963, 265; comm. Gand; 8 février 1962, précité; comm. Ostende, 22 février 1962, précité). Mais cette opinion repose sur une erreur que nous avons signalé_è au début de cet exposé, à savoir l'idée quel'article 544 impose à quiconque l'obligation de ne . pas causer de trouble anormal au propriétaire (voy. la justification proposée par M. Dalcq, note sous cass., 6 avrill960, p. 10, verso), et ses partisans perdent de vue que, la réparation de l'inconvénient excessif étant désor­mais fondée sur la nécessité de maintenir l'équilibre entre les droits égaux des propriétaires voisins, . elle ne peut incomber à l'entrepreneur, « auteur matériel » mais non bénéficiaire de la rupture d'équilibre (DABIN, note précitée sous cass., 6 avril1960, p. 305). C'est donc à bon droit que, la cour de Bruxelles ayant par arrêt du 24 décembre 1962 condamné un entrepreneur au nom de la << théorie de l'équilibre », sa décision est cassée au motif que << cet équilibre supposant nécessairement l'existence de biens voisins et l'entrepreneur qui effectue des travaux pour compte d'autrui étant étranger aux liens de droit qui naissent de ce voisinage~ l'entrepreneur, dont les travaux ont créé un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du

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'\ voisinage, n'est pas tenu de rétablir l'égalité rompue» (cass., 28 janvier 1965; Pas., 1965, 1, 521, conclusions MAHAUX, Journ. trib., 1965, 259, note FLAMM:E, Rev. gén. ass. resp., 1965, 7420 et 7424, notes DALCQ; adde : DABIN, note précitée sous cass., 7 avril 1949, cette Revue, 1949, p. 216, et note précitée, sous cass., 6 avril 1960, cette Revue, 1960, p. 305; DE M:muLD:ER, note sous cass., 6. avril 1960, Journ. trib., 1960, 339; WESTHOF, «Les arrêts de la cour de cassation du 6 avrill960 et la <t respon­» sabilité » des entrepreneurs en matière de troubles du voisinage proprement dits », Rev .. gén. ass. resp., 1961, 6635; RENARD, GRAULICH et DAVID, Chronique de droit belge, Rev. trim. civ., 1961, p. 220, no 6; Gand, }er juin 1961, précité; Bruxelles, ch. réun., 19 février '1963, Journ. trib., 1963, 265, note DALCQ, Res et jura irnm., 1963, 107; Bruxelles, 24 février 1964, Ann. not. et enr., 1964, 241, note approbative MAHILLON) ..

Faut-il également approuver le « sommaire .>> que la Pasicrisie donne d'un.-arrêt de rejet du 21 décembre 1961, à savoir : <<Les droits que le propriétaire du sol tient des artic]es 544 ·et 552 du Code civil ne sont pas limités par ceux. du concessionnaire du sous-sol minier, dans la mesure où ils s'exercent à la surface et· conformément à la destina;tion naturelle de celle-ci» (Pas., 1962, 1,.480) 1 Non, car -lacour de cassation ne dit rien de_sem­blable ; elle se borne à déclarer que les moyens du. pourvoi manquent . en fait ou sont n'on recevables à défaut d'intérêt, et l'o!I ·ne peut reconnaître à.la décision d'autre portée que celle que lui donne le « sommaire » de la Revue générale des assurances et des responsabilités : « Lorsque le concessionnaire . d'une mine de houille soutient que la· construction, pour le service d'un canal; d'un ascenseur hydraulique constitue un obstacle à son exploitation minière, qu'il subit de ce chef un dommage excessif et réclame laréparation de ce dommage sur base des articles 1382 et suivants du Code civil, l'arrêt qui le déboute de son action en constatant que le concessionnaire de la mine n'allègue ni n'offre de prouver que le défendeur aurait commis urie faute dans la construction du canal et dans l'édification de l'ascenseur hydraulique, justifie suffisamment sa décision par la considéra­tion que le dommage allégué ne dépasse pas les obligations normales qui doivent ·être supportées par des propriétaires voisins» {1962, 6856). Il convient toutefois de noter que la cour d'appel avait en l'espèce contesté que la mine et la surface soient

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égales à l'instar de propriétés ordinaires (Bruxelles, 7 juin 1958, Pas., 1959, II; 139), que M. l'avocat général Mahaux l'en a approuvée en concluant au rejet du pourvoi (voy. Pas., 1962, I, 486 et 487, et Rev. gén. ass. resp., 1962, 6856, p. 3, verso) et que la cour de cassation l'aurait vraisemblablement suivie dans cette voie si elle avait dû se prononcer sur la question. Nous hésiterions néanmoins à dire que «l'égalité n'existe pas entre le titulaire de la propriété de la surface et le concessionnaire du sous-sol minier». Tous les droits réels ne sont-ils pas égaux entre eux 1 Ce qui est exact en revanche, c'est que ces droits égaux confèrent des prérogatives différentes à ceux qui en sont respectivement titulaires, de sorte que la cour d'appel était fondée à déclarer que « les rapports entre le ·concessionnaire de la mine et le propriétaire du sol sont essentiellement d·i fférents de ceux qui existent entre les propriétaires de deux héritages voisins». Mais cette différence, qui tient à la nature particulière de la concession minière (voy. à ce sujet MAHAUX, conclusions précitées), n'exclut pas, du moins en théorie, qu'il puisse exister un certain équilibre entre mine et surface, que cet équilibre soit susceptible de rupture et que les tribunaux doivent en ordonner au besoin le rétablissement. Au reste, le débat n'était porté sur ce terrain que par artifice :le charbonnage, en réalité, cherchait à faire retomber sur .l'Etat, maître du sol, la charge économique d'un devoir - l'obligation de réparer les dégâts miniers- qui n'avait juridiquement d'autre cause que sa propre activité et que la loi lui imposait d'une manière absolue et, précisément, envers le propriétaire de la surface et au profit de celui-ci. On se gardera par conséquent de conclure de l'arrêt de rejet du 21 décembre 1961 que la «théorie de l'équilibre» ne convient qu'aux conflits de propriétés voisines ordinaires (voy. et comp. sur le champ d'application de cette théorie : DABIN, note précitée sous cass., 6 avril 1960, p. 305 à 308; :MAHAUX, conclusions précédant cass., 28 janvier 1965, Pas., 1965, I, spécialement p. 523, pe col., et p. 524, 2e col.; DE PAGE et D:EKKERS, t. V, nos 935 et 940).

Quand un trouble excède-t-il la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage 1 C'est, répond la cour de cassation, un point de fait soumis· à l'appréciation souveraine du juge du fond (21 décembre 1961 précité, auquel il faudrait, suivant le «som­maire » de la Pasicrisie, ajouter cass.; 21 février 1963, Pas.,

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1963, I, 687, arrêt qui énonce pourtant, ni plus ni moins, que le juge du fond apprécie souverainement en fait la valeur probante d'un rapport· d'expertise). Appréciation qui ne suscite aucm1e difficulté lorsqu'il s'agit d'excès manifestes, tels les dégâts causés à des maisons par l'exploitation d'une carrière (Nivelles, 6 dé­cembre .1961, Pas., 1962, III, 3) ou par une construction voisine (Gand; 1er juin 1961, R. W., 1961-1962, 743; comm., Gand, 8 février 1962, R. W., 1961-1962, 1360). Encore faut-il s'assurer que le dommage n'a pas une· autre cause. Ainsi <<le propriétaire qui subit une lésion de ses droits ensuite des travaux exécutés

. sans faute par son voisin n'est pas fondé à demander réparation de so:h dommage à celui-ci s'il apparaît .;. que, les désordres survenus dans son immeuble à l'occasion de ces travaux, trouvent leur véritable cause dans le vice de ce .bâtiment, dont les fonda­tions,, niai conçues eu égard à la faible consistance du sol, sont nettement insuffisantes» (Bruxelles, 24 .février 1964, Ann. not. et enr., 1964, 241, note. MABILLON).

La tâche du juge est plus délicate quand l'un des voisins ·Se plaint· non de la perte ou de la détérioration de son immeuble, mais de la privation d'avantages ou d'agréments qu'il tirait de celui-ci. Un propriétaire allègue, par exemple, que le bâtiment construit par son voisin obscurcit sa maison. Ne peut-on lui rétorquer, comme un. plaideur le fit devant le tribunal de com­merce de Liège, que «la lumière, chose commune, rt'est pas susceptible d'appropriation, que son usage est une simple commo­dité et qu'il y a donc tout au plus un conflit entre un droit- celui du propriétaire- et une aisance»? Le jugement- qui déboute d'ailleurs le demandeur - écarte l'objection : «En présence d'une évolution qui est elle-même commandée par les change­ments de la vie sociale ·A.. il n'y a pas lieu de rejeter a priori et péremptoirement cette extension de responsabilité» (13 mars 1961, Jur. Liège, 1960-1961, 246; adde et comp; civ. Liège, 11 janvier 1960, Jur. Liège, 1959-1960, 206, Res et jura imm.:, 1960, 243, qui, antérieur aux arrêts de rejet du 6 avril 1960, se fonde sur l'article 1382). Mais le motif est peu convaincant, à .moins que Fon n'érige en principe que les «extensions de responsabilité» doivent être admises a priori, et la solution est contestée par des auteurs aux yeux desquels pareil trouble lèse l'intérêt et non le droit du propriétaire (voy. notamment : LAu­RENT, t. VI, n<:> 136; AuBRY, RAu et BARTIN, 6e éd., t. II, §_194,

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texte et note 17). Il est vrai que cette opinion est elle-mênie discutable et procède, semble-t-il, d'une confusion entre l'agré­ment de la vue (prospect) et la jouissance de la lumière (DABIN, «L'abus de droit et la responsabilité dans l'exercice des droits», Belg. jud., 1921, col. 304, note 39). Est-il interdit de croire que celle-ci se situe dans la sphère du droit et non dans celle de l'intérêt 1 Quelles sont d'ailleurs la portée et la valeur de cette distinction dans les troubles du voisinage 1· Les auteurs donnent plus volontiers des exemples que des définitions (voy~ notamment: LAURlnNT, loo. oit.; AuBRY; RAu et BARTIN, loo. oit.; BAUDRY-LACANTINERiln et ÜHAUVEAU, 3e éd., t. VI, nos 217 et suiv.). Mais les premiers se sont transmis de génération en génération depuis une époque où une doctrine individualiste répétait à l'envi qui sua jure utitur neminem laedit (voy; d'ailleurs, à propos des eaux souterraines, DE PAGln ét DEKKERS, t. V, et Oompl., no 989) et où l'article 1382 semblait fournir l'unique remède aux troubles du voisinage (voy. BAUDRY-LAC.A.NTINERIE et CHAUVlnAu; op. oit., n° 219), et il est malaisé d'y trouver un critère satisfaisant. Quant aux secondes, elles sont pour le moins imprécises. Dira-t-on avec MM. De Page et Dekkers que la lésion de droit consiste en la ·modification de situations que ]e propriétaire <<avait le droit de ne pas voir modifier», en la privation« d'avantages sur lesquels il était en droit de compter», mais non en désagréments que la loi l'oblige formellement à souffrir ni en obstacles à l'accomplissement d'aotes de pure faculté (t. V, no 920), c'est.:à-dire d'actes que le propriétaire «accomplit dans les limites de son propre droit et qui lui procurent certains avantages grâce au fait que le voisin ne profite pas du sien » (t. V, no 869) 1 Les deux premières formules sont répétitions et non définitions. La troisième est sans intérêt, car les· dispo­sitions formelles de la loi suffisent à repousser~ le cas échéant; la« théorie de l'équilibre», et la distinction du droit et de l'intérêt ne leur est d'aucun secours. Quant à la quatrième formule (actes de pure faculté), elle n'est guère conciliable avec cette «théorie de l'équilibre», laquelle vise précisément à réduire le trouble créé par un propriétaire qui exeroe son droit - c'est ce que l'on semble oublier - et subi par un propriétaire qui perd un avantage dont il bénéficiait auparavant dans les limites de son droit et grâoe au fait que son voisin ne profitait pas du sien (ou, plus exactement, n'en tirait pas tel profit). Que l'on songe

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au cas classique du propriétaire privé d'air pur à cause de l'usine du voisin (lequel ne fait qu'exercer son droit); On pourrait, il est vrai, objecter qu'il s'agit là d'un inconvénient et non de la perte d'un avantage. Mais la perte d'un avantage n'est-elle pas un inconvénient et vice versa? Répliquera-t-on que l'avantage place le propriétaire au-dessus et l'inconvénient au-dessous de la condition normale et que nul ne peut se plaindre tant qu'il jouit au moins de celle-ci? Mais il paraît incontestable que cette condition normale . est un critère relatif, varie· en fonction du temps et du lieu et correspond en fin de compte à ce que l'on nomme généralement « mesure des inconvénients ordinaires du voisinage », de sorte que la distinction . critiquée ne cesserait d'être inconciliable avec la «théorie de l'équilibre» que pour devenir inutile.

Le juge qui applique la ((théorie de l'équilibre» n'a donc à se soucier que de la (( mesure des inconvénients ordinaires du voisinage ». Mesure variable au. gré des situations concrètes, souligne la cour de Gand, de sorte qu'un propriétaire ne peut réclamer contre les incommodités (échafaudages, bruit, poils.­sières, gravats) causées par la réfection de l'église voisine : il n'a pu ignorer, en achetant son fonds, la portée concrète des droits que lui conférait l'article 544, à savoir què le voisinage d'un édifice très ancien lui occasionnerait ces désagréments tôt ou tard (21 février 1963, R. W., 1962-1963,. 2060). Mais si le critère de la ((pré-occupation» inspire ce motif (sur ce critère, voy. et comp.: DEMOLOMBE, t. XII, nos 659 et 659bis; PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, no 472; DE PAGE et DEKKERS, t. V, nos 925 à. 928; H. et L. MAZEAUD et TuNe, Responsabilité civile, 5e éd., t. Ier, nos 601 et 602), il s'en fa:ut qu'il soit toujours déterminant aux yeux des tribunaux. Parfois même, il semble que ceux-ci en prennent en quelque sorte le contre-pied en décidant par exemple que la construction d'un immeuble à appartements (qui prive les voisins de lumière) n'est pas extraordinaire dans un quartier (( en pleine transformation », qui « deviendra un site commercial important » et où l'on (( verra certainement des immeubles modernes élevés » (comm. Liège, 13 mars 1961, Jur. Liège, 1960-1961, 246; comp. civ. Liège, 11 janvier 1960, Jur. Liège, 1959-1960, 206, Res et jura imm., 1960, 243, qui prend notamment en considération l'existence de servitudes non altius tollendi dans le voisinage).

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Le critère de la« pré-occupation» n'est pas davantage retenu par la cour de Bruxelles lorsqu'elle répute inconvénient ordinaire une fumigation, au motif que celle-ci<< ne dépasse pas en tout cas les limites d'incommodité qui doivent être supportées (sic) en raison même du voisinage d'établissements industriels » et quoique la pépinière du plaignant fût plus ancienne que lesdits établisse­ments (26 mai 1961, .Ann. not. et enr., 1961; 239, note HAULOT). On notera d'autre part que cet arrêt conteste à une société, auteur d'inconvénients excessifs, le droit d'exciper que la pépi­nière avait été agrandie après l'installation de son usine et qu'el1e n'avait pas dès lors à compenser le surcroît de trouble cons'écutif à cette extension.

On notera enfin, quant à la distinction de la faute domma~ geable et du trouble causé par un acte illicite, que le constructeur d'un immeuble à appartements ne commet, suivant. la cour de Gand, ni délit ni quasi-délit s'il ne choisit pas un système de fondations inoffensif pour les voisins, mais dont l'emploi est exceptionnel et le coût démesuré (ler juin 1961, R. W., 1961-1962, 743).

65. COPROPRIÉTÉ.- IMMEUBLE A APPARTEMENTS.- USAGE DES PARTIES COMMUNES. - RAPPORTS ENTRE INDIVISAIRES ET TIERS. - Un propriétaire d'appartement installe une antenne de télévision sur le toit et le câble de descente dans le hall. Il use de ces choses communes conformément à leur destination et dans la mesme compatible avec le droit de ses consorts, dit le juge de paix de Molenbeek-Saint-Jean, et ceux-ci ne pourraient s'opposer à detels travaux qtl:e si le règlement de copropriété dérogeait à l'article 577bis, § 5 (29 novembre 1960, Journ. trib., 1961, 354, .Ann. not. et enr., 1961, 163, Res et jura imm., 1961, 289). Au reste, on se gardera d'étendre ces déroga­tions. Ainsi l'interdiction de toute publicité et de toute marque ou enseigne autre qu'une plaque d'un modèle déterminé ne contient pas défense de fixer au chambranle d'une porte palière un emblème religieux « dont les dimensions ne dépassent guère celles d'une cigarette » (étui contenant la « mezouza » israélite), fait qui ne constitue pas d'ailleurs un usage abusif de la chose commune, puisqu'il s'agit d'un objet «discret», «à peine per­ceptible » et qui « ne peut ni déparer l'immeuble, ni choquer

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la vue des habitants ou des visiteurs» (civ. Bruxelles, 11 février 1961, Journ. trib., 1961, 686, Res et jura imm., 1963, 53).

On sait que l'article 577bis, § 6, est étranger aux rapports des indivisaires avec les tiers (cette Revue, 1950, p. 262, 1953, p. 236 et 237, 1957, p. 146, et 1962, p. 251 à 255). Un coproprié­taire, agissant seul et en son nom personnel, est dès lors recevable, juge le tribunal de Nivelles, à poursuivre un tiers relativement à la chose indivise lorsque l'action n'est pas de nature à com­promettre les droits des autres copropriétaires ni à leur porter préjudice, lorsque la demande, par exemple,. a pour objet l'en­lèvement de co.mpteurs placés dans la cave commune d'un immeuble à appartements et appartenant au propriétaire . de la maison voisine (11 mars 1959, Rec. Niv., 1959, 84; comp. cette .Revue, 1957, p. 146, n° 51, c).

Enfin, c'est en qualité de mandataire, rappelle le tribunal de Bruges, que le syndic ou gérant traite avec les tiers et demande ou défend aux procès relatifs à la gestion des parties communes de l'immeuble à appartements (13 novembre 1961, R. W., 1961:-1962, 906).

66. CESSION ~ORCÉE :OE LA MITOYENNETÉ. -MuR CONSTRUIT A UNE DISTANCE MINIME DE LA LIMJTE DES FON·DS. ----.,. ABUS DE DROIT. ::-----: Assigné en cession de mitoyenneté, un proprié­taire excipe que son mur est légèrement en deçà - moins de dix à .moins de trente centimètres - de la limite de son héritage et que l'article 661 est dès lors sans objet (voy. notamment en faveur de cette opinion : BAUDRY-LACANTINERIE et CRAU­VEAU, Traité théoriqùe et pratique, 3e éd., t. VI, n° 950; BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et VoiRIN, Gours de droit civil, 2e éd., t. IV, n° 366; JosSERAND, Gours de droit civil, 3e éd., t. Ier, n° 1806; DE PAGE ·et DEKKERS, t.· V, no 1195, 2o; CoLIN et CAPITANT, Gours élémentaire, 7e éd., t. Ier, no 765, Jo; RIPERT et ·BouLANGER, Traité élémentaire de Planiol, 4e éd., no 3073; cass. fr., 26 mars 1862, D. P., 1862, I, 175, S.,· 1862, I, 474). Le juge de . paix et le tribunal de· Nivelles lui donnent tort : «Dans le cas où, comme en l'espèce, le premier bâtisseur a construit ... à une distance minime de la limite et· qu'il ne justifie d'aucun intérêt, la nuisance qu'il cause, de ce fait, à son voisin dans l'élévation de sa construction paralyse son droit et l'oblige à céder la mitoyenneté du pignon, outre la languette de terre

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qui serait incorporée dans la propriété du demandeur» (J. de P. Nivelles, 28 juillet 1955, et, sur appel, Nivelles, 16 décembre 1959, qui adopte les motifs du premier juge, Rec. Niv., 1961, 185; adde: DELVINCOURT, Cours de Code civil, Bruxelles, 1827, t. III, p. 41 ; TAULIER, Théorie raisonnée du Code civil, t. II, p. 392 ; DEMOLOMBE, Traité des servitudes, t. Ier, Paris, 1855, n° 354; MouRLON, Répétitions, t. Ier, n° 1716; LAURENT, t. VII, n° 507). Enfin, le pourvoi est rejeté, aux motifs que cc la mitoyenneté ... constitue entre voisins un état d'indivision forcée qui a sa source dans l'intérêt général», que cc l'article 544 du Code civil, qui ne peut être jsolé d'autres dispositions, tels les articles 552, 651

1 et 661, qui le complètent, ne reconnaît au propriétaire que .le

: droit de jouir et de disposer normalement de sa chose » et qu' cc entre .· di fJérentes façons d'exercer son droit; avec la même utilité, il n'est

\ pas permis de choisir celle qui est dommageable pour autrui ou \ qui méconnaît l'intérêt général» (cass., 16 novembre 1961, Pas.,

1962, I, 332, Rev. prat. not., 1964, 16, Res et jura imm., 1962, 399, R. W., 1962-1963, 1157).

Le troisième motif reproduit textuellement la formule d~un arrêt de rejet du 12 juillet 1917 (J>.as., 1918, I, 65, oonclusions JANSSENS). Il y ajoute toutefois que le propriétaire ne peut, dans l'exercice de son droit, méconnaître l'intérêt général. La cour ne relève plus en revanche, cdmme eUe. l'avait fait en 1917, que la conduite du demandeur en cassation cc implique un abus de droit et, par conséquent, un acte illicite». Mais à défaûrau .__ mot, l'iaée se trouve dans l'arrêt, lequel s'appuie dès lors sur un principe. fermement établi (voy. notamment sur l'abus de droit : DE BERSAQUES, note sous Gand, 20 novembre 1950, cette Revue, 195·3, p. 272 et suiv.). Faut-il approuver la conclu­sion que la cour en tire 1 On a écrit qu'elle est cc une brèche dans un système que le législateur a voulu- à tort ou à raison -rigoureux, voire arbitraire », que cc toute la partie du droit des biens qui régit les rapports entre propriétaires voisins a été en effet placée sous le signe du forfait», qu' cc il faut tarir le plus .possible les sources de heurts entre personnes nécessairement vouées à la coexistence pacifique » et que cc le Code a voulu des situations nettes, à preuve, par exemple, le soin avec lequel il précise - au centimètre près -les conditions requises pour le percement de jours et vues» {RENARD, Chronique de droit belge, Rev. trim. civ., 1963, p. 206). Mais les références données

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ci-dessus montrent que des auteurs particulièrement scrupuleux à respecter la volonté de la loi ne craignent pas d'approuver la solution consacrée par la cour de cassation. Quel1e est d'ailleurs la méthode la plus efficace contre la chicane des mauvais voisins: des prérogatives délimitées au centimètre près ou une jurispru­dence qui leur persuade que les tribunaux sont attentifs aux mobiles et impitoyables à la malicè ou à l'excès d'égoïsme 1 Au reste, s'il est malaisé de préciser d'une manière générale et dans l'abstrait l'espace propre à empêcher l'acquisition de la mitoyenneté, les circonstances et le «climat» de l'espèce permettent au juge de se prononcer aisément et aux justiciables de ne point redouter l'arbitraire. Ainsi le juge de paix de Nivelles relevait-il qu'il s'agissait d'un «mur aveugle» et que les parties étaient depuis longtemps déjà en procès au sujet d'un bornage que le défendeur retardait par sa «force d'inertie». «II se concevrait », ajoutait-il, « qu'une acquisition de mitoyenneté doit être repoussée quand le premier bâtisseur, voulant s'amé­nager un passage, aurait volontairement construit en retrait sur la limite ; il aurait fait là un usage normal de son droit de propriété et le désir qu'aurait eu le second bâtisseur de réaliser une économie dans sa construction ne peut prévaloir contre l'exercice légalement autorisé du droit de propriété».

II ne s'agit donc pas de méconnaître ]es intérêts du proprié­taire du mur. On objecte, il est vrai, qu'il ne pourra, dans le dessein de s'épargner les inconvénients de la copropriété, sauve­garder - quoi· qu'il lui en coûte - «une indépendance qu'il considère comme aussi· précieuse que son droit . de propriété lui-même» (RENARD, loc. cit.). Mais c'est perdre de vue que le voisin ·supportera pour moitié le prix de cette indépendance. Or on peut, sans pour autant sacrifier à l'idée de« droit-fonction sociale», juger qu'un propriétaire sort des limites d'un égoïsme de bon aloi lorsqu'il prétend imposer pareille charge à autrui. C'est ce que la cour de cassation entend souligner lorsqu'elle énonce que le propriétaire n'a que le droit de jouir et de disposer normalement de sa chose, sans nuire à autrui ni méconnaître l'intérêt général. Telle est au demeurant la conception qui gou­verne à maints égards l'évolution de la jurisprudence, ainsi que le montrent notamment les décisions qui refusent d'ordonner la démolition d'ouvrages qui empiètent légèrement sur l'héritage voisin (voy. supra, no 63, et cette Revue, 1962, p. 246, no 108).

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67. USURPATION D'UN MUR PRIVATIF ET<< ACQUISITION FORCÉE» DE LA MITOYENNETÉ. - << Hormis l'article 663 du Code civil ... aucune disposition légale ne permet de contraindre le proprié­taire du fonds joignant un mur à acquérir la mitoyenneté» (civ. Bruxelles, 27 février 1962, Ann. not. et enr., 1963, 254, Res et jura imm .. 1964, 349). Celle-ci << est un droit, non une obligation» (Namur, 24 décembre 1962, Ann. not. et enr., 1963, 250 et obs.), et le propriétaire dont le mur est usurpé ne peut .qu'exiger, par voie d'action possessoire ou pétitoire, la démo­lition des constructions ou l'enlèvement des travaux et, le cas échéant, des dommages-intérêts (J. de P. Mouscron, 11 avril1961, Res et jura imm., 1961, 149, Bull. ju,r. imm., 1962, 205, J. J. P., 1961, 288; civ. Bruxelles, 27 février 1962, et Namur, 24 dé­cembre 1962, précités).

De nombreuses décisions condamnent néanmoins l'usurpateur à payer le prix de la mitoyenneté (cette Revue, 1953, p. 237, no 50, 1957, p. 148, n° 53, et 1962, p. 256, no 111). << Jurispru­dence prétorienne» et qui<< doit être suivie avec circonspection», dit le juge de paix de Mouscron, car elle « va à l'encontre de l'article 661 du Code civil», et le propriétaire du mur n'arrive à l' <<achat forcé» que cc par un détour» : la menace de démo­lition incite le voisin à offrir ce prix. (11 avril 1961, précité). Mais la critique . est trop sévère, et l'interprétation inexacte. C'est la volonté d'acquérir la mitoyenneté - volonté manifestée par l'attitude de l'usurpateur - qui motive la condamnation de celui-ci à l'exécution de ses engagements, de sorte que cette condamnation <<donne son plein effet» à l'article 661 du Code civil (note F. D. sous cass., 26 avril 1957, Pas., 1957, 1, 1015).

· A fortiori. le propriétaire serait-il fondé à réclamer la moitié de la valeur du mur si son voisin avait expressément demandé la cession et s'il n'y avait désaccord que sur le prix (Namur, 24 décembre 1962, précité).

On se gardera toutefois de réputer manifestations de consente­ment des actes qui n'impliquent pas clairement la volonté de rendre le mur mitoyen (voy. cette Revue, 1962, p. 256 et 257). On se gardera surtout du <<mouvement d'équité» qui pousse certains juges à négliger toute recherche d'intention afin· de faire payer plus sûrement à l'un des voisins l'avantage que lui procure le mur de l'autre. Il en est ainsi notamment dans le cc cas du quatrième mur », lorsqu'un propriétaire enclôt son héri-

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tage et se trouve· dispensé d'achever sa clôture grâce à celle d'un voisin. C'esf à bon droit que le juge de paix de Mouscron observe à cet égard : « La volonté· de se clôturer n'implique pas la volonté tacite d'acquérir la mitoyenneté d'un mur priva­tif» (Il avrili96I, précité; comp. les décisions rapportées, cette Revue, I957, p. I48, no 53, et I962, p. 257, no III): Observation d'autant plus judicieuse qu'il s'agissait d'un mur de briques et que le défendeur avait employé des plaques de béton: et laissé un espace de deux centimètres entre sa clôture et celle du demandeur.

La jonct.ion. même des murs n'est, suivant le juge de paix de Herck-la-Ville, une prise de possession obligeant à payer la mitoyenneté que si la stabilité du nouveau mur nécessite l'appui de l'autre (22 novembre 1963, J. J. P., I964, 90). Mais ce juge­-ment est, comme beaucoup d'autres, inspiré de l'idée qu'il faut se soucier exclusivement de la gravité de l'emprise et, partant, doser objectivement les . empiétements plutôt que de pénétrer les intentions du défendeur. Or cette idée est, on le sait, criti­quable, puisque le système de la jurisprudence n'a d'autre fonde­ment que la volonté manifestée par l'usurpateur (cette Revue, 1962, p. 257 et 258). · .

C'est. donc à ·juste ·titre que le- tribunal de Bruxelles ·rejette une-demande-de paiement au motif que les actes aJiégués ---le crépissage d'~ri.e partie de mur dont l'appelant ne s'était pas servi dans sa construction. ~'ne . constituent pas urie (( mani­festation non équivoque » de la volonté d'acquérir la mitoyen­neté (30 novembre 196I, Journ. trib., I96I, 753, Bull. jur. imm., I963, 3).

Il convient enfin d'approùverun jugement aux termes duquel un propriétaire n'a pas manifesté sa volonté d'acheter la mitoyen­neté d'un tn.ur auquel son hangar- d'ailleurs construit par le propriétaire du mur - est appuyé, lorsqu'il a,. ni plus ni moins, toléré l'edification dudit hangar et puis acquis· celui-ci par accession (civ. Bruxelles, 27 février I962, précité).

68. CLAUSES DE RÉSERVE DE :MITOYENNETÉ. - Adoptant l'opinion que nous avons exposée dans un précédent examen de jurisprudence (cette Revue, I962, p. 259, n° II4; adde : RENARD, cette Revue, I953, p. 239; n° 54); le juge de paiX! de Bruxelles décide que, la mitoyenneté étant de son essence même

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une copropriété accessoire et forcée, la « rése~ve de mitoyen­neté » stipulée par un entrepreneur rend, ni plus ni moins, celui-ci créancier de la valeur de la mitoyenneté ( 4e 'canton, 27 mars 1963, Rec. gén. enr. et not., 1963, n° 20680, Res et jura imm., 1963, 125).

69. MITOYENNETÉ. - «LOCALISATION» DES DROITS DES COPROPRIÉTAIRES. - Un mur mitoyen « affieure » à la façade des maisons qu'il clôt ou supporte, et l'un des propriétaires le. garnit d'un revêtement. Celui-ci ne peut, dit la cour de Bruxelles, être étendu «au-delà de la ligne médiane de l'épais­sell.r du m11.r séparatif », car « chacun des copropriétaires d'un mur mitoyen peut s'en servir pour les usages auxquels il est destiné, mais sous la condition de respecter le droit de son copropriétaire, droit égal au sien » (22 décembre 1960, Res et jura imm., 1961, no 3802, p. 155). Cette· décision est conforme au principe de « localisation » que la cour de cassation a consacré dans un arrêt du 3 février 1944 relatif à l'usage publicitaire du mur mitoyen (voy. cette Revue, 1950, p. 264, n° 80; DABIN, «Mitoyenneté des murs et ·droit d'affichage», Rev. prat. not., 1945, p. 3 à 25).

70. MuR MITOYEN.- DROITS DES COPROPRIÉTAIRES SUR LES CHEMINÉES ENCASTRÉES .DANS LE MUR. - Le propriétaire qui acquiert la mitoyenneté d'un. in ur joignant son héritage peut faire supprimer les cheminées qui y sont encastrées ou, du moins, exiger que leur corps soit réduit jusqu'à la moitié du mur (cass., 18 octobre 1883, Pas., 1883, 1, 361, conclusions MESDACH DE TER KIELE; civ., 11 mai 1925, D. H., 1925, 449, Rev-. trim. civ., 1925, p. 908, no 2, obs. SoLtrS; civ., 28 juillet 1936, D. H., 1936, _492, Rev. trim. civ., 1937, p. 174, no 5, obs. SoLus; civ., 25 novembre 1940, D. A., 1941, 18, Rev. tr~m. civ., 1940-1941, p. 289, n° 3). Peut-il, au lieu d'exercer ce droit, demander à jouir en copropriétaire de la cheminée encastrée dans toute l'épaisseur du mur ~ Faut-il, plus généralement, autoriser tout coproprié­taire d'un mur mitoyen à considérer que pareil conduit, pratiqué au profit du ,fonds voisin, a qualité de chose commune et doit servir à l'utilité des deux immeubles? Se fondant sur le caractère exceptionnel. de la mitoyenneté, la cour de cassation répond négativement par arrêt du 15 mars 1962 (Pas.~ 1962, 1, 780, R. W., 1962-1963, 1575)~

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Ayant percé une ouverture dans la cheminée du voisin, cheminée dont le corps prenait, semble-t-il, toute l'épaisseur du mur, le demandeur en cassation plaidait que la mitoyenneté d'un mur implique normalement la copropriété de la cheminée qui y est ainsi encastrée et que cette copropriété doit même se présumer à défaut de titre contraire et des marques énumérées par l'article 654. Au reste, ajoutait-il, les deux fonds appar­tenaient jadis à un propriétaire unique et constituaient ensemble une seule habitation. Or l'acte de partage, passé en 1862, stipule sans réserve que le mur séparant les lots sera mitoyen. On en méconnaîtrait la force obligatoire si l'on contestait que la chè­minée encastrée dans ce mur est, elle aussi, mitoyenne et, partant, propriété indivise des parties.

Juge d'appel, le tribunal de Namur avait décidé que l'ouver­ture litigieuse avait été pratiquée sans titre ni droit, aux motifs: 1° que l'usage de la cheminée faisait l'objet d'une servitude greva.nt le mur .au bénéfice exclusif de l'immeuble voisin; 2° que la mitoyenneté est une forme exceptionnelle . de la copropriété et ne peut, par conséquent, produire d'autres effets que ceux que requiert la fin en vue de laquelle elle est établie.

Le premier motif était fragile, d'autant que le tribunal pré­tendait, semble-t.:.il, que la servitude était antérieure à l'établis­sement de la mitoyenneté. Or celle-ci remontait au partage des fonds, de sorte que l'allégation heurtait le principe nemini res sua servit. Il était au surplus douteux, vu l'absence de titre, que la servitude ait pu naître à cette date ou postérieurement (voy. à ce· sujet J. de P. Andenne, 13 avril 1963, Res et jura imm., 1964, n° 4092, p. 347, J. J. P., 1963, 297, décision relative à une espèée analogue, mais dans laquelle un seul des proprié­taires réclamait l'usage. de la cheminée dont· le conduit avait été obstrué par l'aùtre). La jurisprudence considère en effet que 'l'article 694 ne concerne que le retablissement des servi­tudes par la destination du père de famille (cass., 9 novembre 1905, 25 mai 1939 et 6 janvier 1944, Pas., 1906, I, 44, 1939, I, 264, et 1944, I, 134) et que les servitudes discontinues s'éta­blissent exclusivement par titre, même· si elles sont apparentes. Or les tribunaux ont, semble-t-il, tendance à analyser le «droit de cheminée » comme· celui d'utiliser -- et non d'avoir - un conduit dans le mur d'autrui (voy. Mons, 12 mai 1941, Pas., 1942, III, 21; d'autres décisions qualifient ce droit de servitude

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discontinue et non apparente : J. de P. Verviers, 13 mai 1952, Jur. Liège, 195L-1952, ·302; J; de ·P. Andenne, 13 avril 1963, précité).

Il n'importe d'ailletirs en l'espèce, puisque la cour de cassation juge le motif surabondant. Le caractère exceptionnel de la mitoyenneté suffit, dit-elle, à justifier la décision, car «il résulte des dispositions légales qui régissent la copropriété indivise des murs servant de séparation entre bâtiments que la destination de ceux -ci est de pourvoir à la clôture des fonds et de constituer le support des constructions qui y sont appuyées de la manière déterminée par la loi ». La mitoyenneté ne confère donc pas par elle-même à chacun des communistes « le droit d'user d'un conduit de cheminée établi dans le mur mitoyen, alors que cette situation n'est pas conforme à la destination normale d'un tel mur et est en opposition avec les dispositions de la loi qui régissent l'usage de la propriété commune».

Ces motifs, bientôt reproduits par le juge de paix d'Andenne (13 avril 1963, précité), diffèrent de ceux que l'on trouve dans l'arrêt· précité du 18 octobre 1883. La cour de cassation affirmait alors que «l'acquisition de la mitoyenneté a pour conséquence de constituer une copropriété entre les deux voisins et de les placer sur un pied d'égalité complète» (rappr. civ., 11 mai 1925, 28 juillet 1936 et 25 novembre 1940, précités). Or cette idée incite à· rechercher dans quelle mesure chacun peut user de la chose commune, tandis que la destination de celle-ci indique de quels usages èlle est susceptible (voy. DABIN, «Mitoyenneté des murs et droit d'affichage», Rev. prat. not., 1945, p. 3 à 25, spécialement n°8 22 à 27). Le souci de l'égalité conduit à affirmer, par exemple, que chacun des- copropriétaires peut exiger l'enlève­ment« des ouvrages qui impliquent l'exercice d'un droit exclusif de propriété» (civ., 25 novembre 1940, précité) ou« agir comme s'il était seul propriétaire de la moitié du mur en face de son héri­tage» (cass., 3 février 1944, Pas., 1944,I, 180).·C'est en revanche le respect dû à la destination du mur mitoyen qui inspire, suivant l'opinion dominante, la disposition de l'article 675 (voy. notam.,. ment : LAURENT, t. VII, n° 567, in fine; PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, n° 305; DE PAGE et DEKKERS, t. V, no 1225, Jo, et t. VI, n° 567, A; DABIN, op. cit., no 11 ; comp. MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. II-2, Paris, 1965, no 280, suivant lesquels jours et vues << excèdent ... le droit

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d'p.sage partiel découlant- de ~a mitoyenneté»}, et qui défend ~e diminuerl'éJ?aisseur où la hauteur du mur (voy. notamment DABIN, loc. cit.).

La différence relevée ci-dessus n'est donc pas une simple question de forme. La condamnation d'une. cheminée au nom de l'égalité des copropriétaires n'exclut pas que chacun de ceux_-ci puisse- compte tenu de la« localisation» des droits-=­pratiquer et employer un conduit dans « la moitié du mur en face de son héritage» (voy., par exemple, SoLus, Chronique précitée, Rev. trim. civ., 1925, p. 908, no 2). Aucun des voisins ne peut le faire sans l'autorisation de l'autre, au contraire, si l'on pose en principe que l'existence d'une cheminée dans le mur mitoye:p. «n'est pas conforme à la destination normale d'un tel mur». Car le droit reconnu à chacun d'« agir comme s'il était seul propriétaire de la moitié du mur en face de son héritage» n'a évidemment pour objet que les actes conformes à la desti­nation du mur (DABIN, op. cit., no 15).

Il sem.ble donc que l'arrêt rapporté contienne la règle qu'aucun des voisins ne peut, fût-ce dans «la moitié du mur en face de son hé~itage », ni pratiquer_ ni employer une cheminée sans l'autorisation de l'autre. Cette observation nous incite à ne plus trouver pertinente la critique que nous en faisions naguère et qui· était tout entière fondée sur l'idée que, dans des cas semblables à celui qui était soumis à la cour, l'utilisation de la cheminée par le second copropriétaire rétablirait l'équilibre aussi bien sinon mieux que ne pouvait le faire la condamnation prononcée en l'espèce (Chronique de droit belge, Rev. trim. civ., 1964, p. 428, n° 20; en ce sens également: RENARD, cette Revue, 1953, p. 238, no 53).

Notons enfin que, par le second de ses motifs - une référence à la coutume de Paris -l'arrêt de cassation précité du-18 octobre 1883 semblait déjà prohiber totalement l'établissement de chemi­nées dans les murs mitoyens (voy. MESDACH DE TER KrELE,

conclusions précédant cet arrêt), mais que la doctrine et la jurisprudence ont souvent reconnu aux indivisaires le droit de pratiquer ces condui~s et d'en user, au moins lorsqu'il n'en résulte - question de fait - aucune atteinte à la sûreté du mur ni à la faculté pour le voisin d'en faire autant de son côté (voy. notamment et comp. : LAURENT, t .. VII, n° 553; Pand. belges, v° Cheminée, nos 33 à 35; AUBRY~ RAu et BARTIN, 6e éd., t. II,

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§ 222, texte et note 33ter; PLANIOL, RIPERT et PICARD, op. cit~, no 304; DE PAGE et DEKKERS, t. V, n° 1225, 2°; HILBERT, Mitoyenneté, nos 384 et suiv.; SAINT-ALARY,- Rép. civ. Dalloz, v0 Mitoyenneté, no 139; ·req., 20 novembre 1876, D. P~, 1878, I, 416; J. de P. Liège, 26 octobre 1900, Pas., 1901, III, 132; Grenoble, 5 novembre 1912, S., 1913, II, 69), et que ces deux réserves tiennent d'ailleurs au principe de l'égalité des copro­priétaires et non à celui du respect de la destination de là chose commune (voy. DAinN, _op. cit., no 21).

71. HAIE MITOYENNE. -·Une haie n'est présumée mitoyenne, conformément à l'article 32 du Code rural, que s'il est prouvé qu'elle «a été établie sur la ligne séparative par les parties intéressées, c'est-à-dire les propriétaires contigus, ou en vertu d'une sentence judiciaire» (J. de P. Saint-Josse-ten-Noode, 12 j~in 1964, J. J. P., 1964, 335).

Jugé d'autre part que la faculté accordée à chacun des copro­priétaires, de détruire la haie jusqu'à la limite de sa propriété, à charge de construire un mur sur cette limite (C. rur., art. 34), autorise une destruction partielle aussi bien qu'une destruction totale (J. de P. Hannut, 27 novembre 1962, Jur. Liège, 1962-1963, 136).

72. CHARGES DE LA MiTOYENNETÉ. - FACULTÉ n'ABANDON; -:- Un propriétaire démolit sa maison et endommage le mur mitoyen sur lequel elle était appuyée. L'article 656 lui permet, dit le tribunal de Gand, d'abandonner le droit de mitoyenneté et de se libérer ainsi de l'obligation de contribuer-~ la réparation du mur en qualité de copropriétaire, mais non de celle de réparer le dommage causé par sa faute (13 juin 1963, R. W., 1963-.1964, 1173).'

Quant à la faculté d'abandonner la mitoyenneté des murs .régis par l'article 663 du Code civil, il en sera traité infra, n° 91.

73. UsucAPION. -PossESSION « coRPORE ALIENO ». -CoN­DITIONS ET PREUVE. - Le propriétaire d'une maison prétend avoir prescrit une partie du fonds voisin qu'il possède et que ses auteurs ont possédée avant lui. L'article 2234 du Code civil, dit la Cour de Gand, ne dispense pas le possesseur actuel de prouver que sa possession remonte à plus de trente ans (14 jan­vier 1960, R. W., 1959-1960, 1547). Il semble d'ailleurs que

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_l'intimé ·ne ·.le contestait pas.· Il se prévalait de témoignages dont il ressortait notamment que ses auteurs avàient à cette époque loué· leur bien à une société commerciale, que celle-ci avait occupé le terrain disputé; y érigeant même une baraque, et que les organes de cette société avaient affirmé. au gérant -de ·leur boutique que ledit terrain appartenait aux bailleurs. ·Mais l'arrêt répond que ·le preneur, détenteur et non possesseur, ne peut prescrire ni pour lui-'même ni pour le bailleur.

C'était trop dire. Il se pourrait tout d'abord que le locataire d'une maison, détenteur de celle-ci, soit en même temps, mais à un autre titre, possesseur de l'héritage contigu ; sa qualité

·de preneur ne l'empêcherait évidemment pas de prescrire cet héritage poùr _lui-même. Il est d'autre part indiscutable que l'on peut posséder animo suo et corpore alieno. « :r;>e même qu'on peut l'acquérir, on peut·», écrit Planiol, « conserver la possession par l'intermédiaire d'autrui. Ainsi celui qui donne sa maison ·ou son champ à bail cesse de posséder matériellement sa chose; mais comme le locataire ou le fermier la détient pour lui, il ne cesse pas pour cela d'en avoir la possession avec tous les avantages qui en découlent. Le propriétaire se borne à accomplir des actes juridiques qui ne sont pas constitutifs de la possession, il passe des baux, donne des quittances de loyers ; mais les faits matériels, qui font de lui un possesseur, sont l'œuvre d'autrui; il possède donc cor pore alieno » (Traité élémentaire, par RIPERT et BouLAN­GER, 4e éd., t. Jer, n° 2773).

Il est donc indiscutable que la détention du preneur conduit le bailleur à l'usucapion. Aussi la cour de Gand ne le discute-t-elle pas, quoi qu'il y paraisse. Sa phrase dépasse sa pensée, ainsi que le :r;évèle_ le contexte : il s'agissait de contester en fait que le bailleur eût possédé corpore alieno, par l'intermédiaire du preneur, e~ non de nier en droit qu'il pût le faire. Il n'était pas prouvé en effet, malgré les affirmations des organes de la société preneuse, que celle-ci avait occupé le terrain contigu pQur le bailleur, en exécution du bail· ou de quelque autre convention conclue entre eux. Il y avait même indice du contràire : l'acte mentionnait la maison, mais non le terrain contigu, et la locataire qui ·ava:lt succédé à la société n'avait jamais eu la jouissance de celui-ci.

74. PREUVE DU DON MANUEL PAR LA POSSESSION. --'- VICE D'ÉQUIVOQUE. _:_·une demoiselle est locataire d'un coffre-fort.

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Son fiancé en a l'unique clef. Les dépôts ont d'ailleurs été achetés par lui et de ses deniers. Il meurt, et ses héritiers réclament titres et valeurs. La demoiselle allègue le don manuel, mais elle ne peut se prévaloir de l'article 2279, car sa possession est équivoque (rappr. Bruxelles, 12 décembre 1962, Journ. trib., 1963, 320, et nos observations, Rev. trim. civ., 1965, p~ 481, no 26). En effet, «la possession est équivoque», dit la cour de Gand, « quand elle est in concreto susceptible d'interprétations diverses, de sorte que son origine ou son caractère exclusif demeurent douteux» (ch. réun., 18 novembre 1959, R. W., 1959-1960, 1022, conclusions MATTIDJS).

III. L'usufruit.

75. NATURE DU LEGS DE L'USUFRUIT DE TOUTE LA SUCCESSION. - La cour de Bruxelles rappelle que si le legs ou la donation de l'usufruit de tous les biens d'une succession ne figurent pas dans ·l'énumératioü des legs ou donations universels ou à titre universel des articles 1003 et lOlO du Code civil, il faut admettre que le caractère du legs ou de la donation universels ou à titre universel dépend de l'étendue des biens auxquels ils s'appliquent et non de la nature du droit qu'ils confèrent (3 octobre 1961, Pas., 1963, II, 165; adde: cass., 2 mai 1952, Pas., 1952, I, 542; PIRET et PIRSON, cette Revue, 1952, p. 328, n° 9). Est donc universel le legs de l'usufruit de toute la succession.

76. OBLIGATION DE FOURNIR UNE CAUTION ET DE DRESSER· UN INVENTAIRE DES MEUBLES ET UN ÉTAT DES IMMEUBLES. -DÉLIVRANCE. - Il a été jugé, conformément à l'article 602 du Code civil, que l'usufruitier d'une maison d'habitation, auquel il est impossible de fournir une caution, offre valablement de donner l'immeuble en location à une personne qui sera agréée par Je nu-propriétaire, qui aura une solvabilité analogue à celle que la loi exige de la caution, et qui sera chargée non seulement des réparations locatives, mais encore des réparations d'entretien. Le nu-propriétaire ne peut exiger en outre la mise en gage d'une somme léguée à l'usufruitier en même temps que l'usufruit (Nivelles, 29 mars 1961, Rec. Niv., 1962, 15).

On sait d'ailleurs que le défaut d'inventaire empêche l'usu­fruitier d'entrer en jouissance, mais ne le prive pas de son droit aux fruits, de sorte que le propriétaire doit, dès que 1 'inventaire

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a été dressé, restituer ceux qu'il a perçus auparavant (cette Revue, 1962, p. 264 à 267, nos 118 et 119). Ainsi jugé par la cour de Bruxelles (3 octobre 1961, Pas., 1963, II, 165).

77. USUFRUIT INDIVIS. -TROUBLE DE JOUISSANCE.- ACTION POSSESSOIRE ET DOMMAGES-INTÉRÊTS. ----.., Un père et sa fille ont indivisément l'usufruit d'un héritage et 4abitent ensemble une maison que le père y a construite. Survient up.e brouille. Le père condamne «sa» porte à sa fille. Mais celle-ci agit au possessoire pour se faire réintégrer dans une jouissance qu'ell~ avait depuis cinq ans. Celui qui possède à titre d'usufruitier mérite la pro­tection possessoire à l'égal de celui qui possède à titre de proprié­taire, dit le juge de paix de Beringen, et il n'importe que le défendeur ait .cqnstruit la maison de ses deniers, car le débat ne porte que sur ~a possession et la jouissance de deux usufrui­tiers; les droits du nu-propriétaire n'étant pas en cause, il n'y a pas lieu de :r;echercher si l'article 555 du Code civil est applicable, Conformément à l'article 578, chaque usufruitier a le droit de jouir de l'immeuble comme le propriétaire lui-même, de sorte _qu'il est fondé à réclamer la jouissance des bâtiments qui y sont incorporés au cours de l'usufruit. L'inimitié des plaideurs. leur interdisant de tenir encore ménage commun, le juge détermine toutefois les parties de la maison qui seront réservées à chacun (J. de P. Ber~ngen, 29 mars 1963, R. W., 1963-19_64, 19"87). La décision paraît ingénieuse sinon apaisante, mais peut-être les motifs n'évitent-ils pas toute· confusion entre le pétitoire et le possessoire (voy. à ce sujet : HAYOIT DE TERMICOURT, conclusions :précédant cass., }er mars 1962, .Pas., 1962, I, 737; comp. HEURTERRE, note sous.·cass., Jer mars 1962, cette Revue, 1965, p. 308 et suiv., nos 21 à 26). Ne convenait-il pas, s'agissant de celui-ci et puisque le fonds et les bâtiments peuvent être l'objet de droits et de possessions distiiwts, de s'interroger sur les faits de possession de la maison plutôt que sur les droits que la loi reconnaît à l'usufruitier 1

C'est par l'octroi de dommages et intérêts pour trouble de jouissance que le tribunal de Namur tranche un procès analogue entre un père et ses enfants, l'un usufruitier pour moitié et les autres propriétaires d'un immeuble. Le droit de jouissance de ceux-ci rendait, aux termes du jugement, leur expulsion impos­sible et, comme le demandeur répugnait à vivre sous Je même

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toit qu'eux, il ne restait, de l'aveu même des parties, qu'à com­penser en argent la jouissance dont il était privé (Namur, 29 octobre 1960, Ann. not. et enr., 1961, 56).

78. DIVIDENDES n'ACTIONS. - FRUITS CIVILS. - CoNsÉ­QUENCES NOTAMMENT· EN CAS DE CESSATION DE L'USUFRUIT AVANT L'ATTRIBUTION. - Petites causes, grands effets. Deux cent soixante-trois francs de droits de succession et cinquante­trois francs d'amende ont suffi à mobiliser la cour de cassation et l'ont obligée à trancher, chambres réunies, une question que l'on n'a guère discutée en France; mais qui a offert àla doctrine et aux juges belges quelque vingt ans de controverse.

Le second arrêt de cassation (ch. réun., 16 janvier 1964, Pas., 1964, I, 520, Rev. prat. not., 1964, 301, obs. J. B., Reè; gén. enr. et not., 1964, 265, R. W., 1964-1965, 473) confirme le premier : les dividendes sont fruits civils et appartiennent à l'usufruitier en proportion de la durée de son usufruit (cass., 9 mars 1961, Pa.s., ·1961, I, 745 et note, cette Revue, 1961, 297, note DABIN, Journ. trib., 1961, 500, Rev. prat. not., 19_61, 297, note F. L., Rec. gén. enr. et not., 1961, n° 20338 et obs.; adde : Bruxelles, 28 octobre 1958, Pas., 1960, II, 17, Rev. prat. not., 1962, 74, obs. J. B., Rec .. gén. ·enr. et not., 1960,. n° 20271, et, sur pourvoi, cass., 1er décembre 1960, Pas., 1961, I,. 335, et note, Rev. prat. not., 1962, 72, obs. J. B., Rec~ gén.· enr. et not., 1961, no 203·36 etobs.,Rev.prat.soc., 1961,.157etobs.,.R. W., 1960-1961, 1619).

C'est aussi l'avis de la doctrine et de la jurisprudencefrançaises auxquelles se joignent beaucoup d'auteurs belges (voy. notam­ment pour Ja France: Huc, Commentaire, t. IV, n° 181; BAUDRY­LACANTINERIE et ÜHAUVEAU, Traité théorique et pratiqüe, 3e éd., t. VI, no 518; CH. et R. BEUDANT; LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et VOIRIN, Cours de droit civil, ·2e éd.; t. IV, n° 448; Rép. civ. Dalloz, vo Usufruit, n°8 205 et 206 et références citées; BATIFFOL, note sous civ., 21 octobre 1931, S., 1933, I, 137; CoRDONNIER, note sous civ., 21 octobre 1931, D. P., 1933, I, 100; civ., 7 juil­Jet 1941, D. A., 1941, 370; contra : DEMOLOMBE, Gours de Code Napoléon, t. X,.n°8 280 et 281; voy. notamment pour ]a Belgique: RESTEAU, Traité des sociétés anonymes, t. ·III, n° 1573; FREDE· RICQ, Traité de droit commercial,. t. V, n° 546; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, et Compl., n° 303; Novelles, Droit civil, t. III, Usufruit, n° 427; DABIN, note précitée; RENARD, GRAULICH

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et DAVID, Chronique de droit belge, Rev. trim. civ.; 1962, p. 226, n° 13).

Le tribunal de paix de Bruxe1les, juridiction de renvoi, ne l'entendait pas de cette oreille. Ce serait, Jit-on dans son juge­ment, « ajouter au texte de l'article 584 » que d'y inclure les dividendes. Ceux-ci ne sont pas la contrepartie d'une jouissance fournie au jour le jour, et la créance de-l'actionnaire naît de la décision de l'assemblée générale et non du contrat de société. Au contraire, les loyers, intérêts et arrérages, contrepartie de pareille jouissance, sont engendrés par le contrat qui concède celle-ci au débiteur. Dès lors,« appliquer aux dividendes d'actions la fiction de la perception au jour le jour de l'ârticle 586 du Code civil, équivaut à attribuer un effet rétroactif à ]a décision de l'assemblée générale qui décrète ces dividendes », et « admettre cette rétroactivité est contraire à l'intention des rédacteurs du Code civil, lesquels l'admettent lorsqu'elle concerne une modalité de perception des fruits énumérés exemplativement (sic) au § 1er de l'article 584, mais non quant à leur existence ». Partant, son droit réel de petcevoir les fruits étant viager, l'usufruitier n'a pu acquérir une part des dividendes attribués après son décès (J. de P. Bruxelles, 2e canton, 14 septembre 1962, sur renvoi après cass., 9 mars 1961, précité, Rec. prat. not., 1964, 298; adde : civ. Bruxelles, 13 mai 1948, Rev. prat. not., 1948, 276; Bruxelles, 13 février 1952, Rec. gén. enr. et not., 1954, n° 19299; Gand, 30 juin 1961, Pas., 1962, II, 70; Tijds. not., 1962, 41; VAN RYN, Principes de droit commercial, t. rer, n° 783; POLET, «Des droits de l'usufruitier, du légataire particulier, de la communauté sur le dividende de l'action de société», Ann. not~ et enr., 1942; 88.; MouREAU, «Dividendes décrétés après l'extinc­tion de l'usufruit», .Ann. not. et enr., 1943, 190; HANOTIAU, «Des droits de l'usufruitier sur les dividendes d'actions de sociétés», Rev. prat. not., 1961, 265; LE HoN, « Dividendes décrétés après le décès de l'usufruitier», Ann.not. et enr., 1962, 5).

Le premier juge avait à peu près tenu le même raisonnement (J. de P. Saint-Josse-ten-Noode, 11 septembre 1959, Rec. gén. enr. et not., 1961, n° 20221, Rev. prat. soc., 1960, 250), et la cour de cassation l'avait, dans son arrêt du 9 mars' 1961, suivi sur ce terrain, affirmant que le droit de participer aux dividendes est antérieur à la créance de dividende et existe « en soi », en vertu du pacte social, avant même qu'aucune distribution n'ait

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été décidée. Mais on a contesté la pertinence de cette affirma­tion. «II n'en est pas moins vrai», écrit M. Dabin, «que le droit de participer à la distribution des dividendes au cas où il en serait distribué et le droit pour l'actionnaire de recueillir, après décision de distribution, sa part de dividende sont des droits distincts, le second impliquant évidemment le premier sans toute­fois se confondre avec lui, puisque le droit au dividende, plus exactement Ja créance du dividende, naît, comme droit existant et acquis, de cet acte juridique particulier, accompli en vertu du pacte social certes, mais ressortissant aux pouvoirs de l'assem­blée générale dans la direction des affaires sociales : la décision de distribution de dividendes». Au reste, «le juriste ne connaît que des droits doués de réalité existentielle», et« le droit« existant »en soi», sans détermination d'âge, de forme et de contenu, est; pour (lui) ... , une notion inconnue, en tout cas inefficace». De sorte que, «engagé sur ce terrain de la date de naissance du droit aux dividendes, l'effort de la cour pour justifier l'attri­bution à l'usufruitier de dividendes décrétés postérieurement à l'extinction de l'usufruit était voué à l'échec, par méconnais­sance de la doctrine indiscutable que la créance du dividende n'apparaît qu'à l'instant de la décision· de répartition» (note précitée, cette Revue, 1961, p. 309 et 310; comp. toutefois, sur le droit existant avant cette décision, VERDIER, Les droit8 éventuels, Paris, 1955, n°8 80 à 83).

Il semble que la cour ait été sensible à ces reproches, car les motifs de l'arrêt du 16 janvier 1964 ne reproduisent pas l'affirmation critiquée. On y lit que l'énumération contenue dans l'article 584 n'est pas limitative, que les fruits civils sont «les revenus périodiques en argent d'un bien » et que les dividendes ressortissent dès lors à cette catégorie «dans. la .mesure où ils sont, conformément aux statuts, périodiquement répartis entre les associés», puisqu'ils constituent la «contrepartie de la jouis­sance, par la société, des apports mis en commun par les associés et représentés par les actions» (comp., sur ce caractère de contrepartie, DABIN, note précitée, p. 308). Si, poursuit la cour, «la créance du dividende, relatif à un exercice social, de l'associé contre la société ne naît que Je jour où J'assemblée générale a décidé la distribution de ce dividende et si cette décision a pour conséquence que les bénéfices ainsi distribués sont des fruits des actions, il n'en résulte pas que ceux-ci ont été produits

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nori point pendant l'exercice social, mais seulement le jour de là décision de l'assemblée générale; les dividendes sont fixés et attribués par l'assemblée générale pour U:ne période déter­minée, l'exercice social; envisageant le cas où des fruits civils ont été produits ·pendant urie . période au cours de laquelle un usufruit sur le bien qui les produit a été constitué ou s'est éteint, l'article 586 du Code civil établit la règle suivant laquelle sont déterminés -les droits respectifs du propriétaire et de }'.usufruitier sur ces fruits; aucun obstacle de droit ou de fait n'empêche l'application de cette· règle aux· dividendes qui sont des fruits civils des actions d'une société commerciale et qui se rapportent à un exercice social au cours duquel-un usufruit sur ces actions a· été constitué ou s'est éteint».

Nul doute que ces motifs, en grande partie inspirés de l'argu­mentation_ de M. Dabin, ne fournissent une justification plus adéquate. Il est donc permis d'espérer qu'ils préludent à la paix judiciaire.

79. ACTIONS DE SOCIÉTÉ. - DISTRIBUTION DE RÉSERVES. -PRODUITS. -La cour de Bruxelles rappelle que« ce n'est ni le nu.:.propriétaire ni l'usufruitier mais la société qui décide dans l'intérêt de son exploitation, s'il y a lieu à distribution de bénéfice -ou mise à la réserve», ·de sorte que «l'usufruitier n'a pas de droit acquis sur les bénéfices du fait de leur réalisation par la société. Il n'a· aucune part dans les réserves; Il a unique­ment .le droit de percevoir les bén~fices distribués. Les ·bénéfices (mis en réserve-) ne sont certes-pas perçus par le nu-propriétaire, mais ils accroissent néanmoins sori capital. Son action ou sa part sociale augmente de valeur. En cas de partage de l'avoir social, c'est à lui qu'iront les réserves· accumulées ; l'usufruitier reste donc étranger aux bénéfices mis à la réserve. Un intérêt ne naîtra pour lui que lorsque ces réserves produiront des revenus distribués ou lorsque, éventuellement, ces reserves seront uti1isées à la suite d'une nouvelle décision, -à titre de dividendes ou d'autres attributions de revenus» (22 novembre 1961, Bull. contr., 1964, 59; adde notamment : PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, no 792; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, no 285, a).

80. GROSSES RÉPARATIONS. ,._NOTION. - DROIT.DE L'US"{[-

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FRUITIER D'AGIR CONTRE LE NU-PROPRIÉTAIRE E.N èOURS D'USU­FRUIT 1 -.«L'article· 606 est d'interprétation restrictive», dit la cour de Bruxelles;« on ne peut donc englober dans les grosses réparations des aménagements de cheminées, des revêtements, des modernisations d'installations de chauffage ou d'hygiène, des travaux qui n'intéressent pas la conservation de l'immeuble, des réparations de menu entretien aux gros murs ou toitures, l'établissement de clôtures en fil de fer, seul, en matière de clôtures, le rétablissement des murs étant défini par la loi comme une grosse réparation» (30 mai· 1961, Journ. trib., 1962, 116, note MAQUET, Rec. gén. enr. et not., 1964, no 20777, et. obs.).

On se souvient que la cour de Bruxelles a, par arrêt du 6 juil­let 1957, reconnu à l'usufruitier le droit de contraindre le nu­propriétaire à faire les grosses réparations (cette Revue, 1962, p. 267, n° 120). Mais on se souvient aussi que la décision était essentiellement fondée sur des motifs de· fait : l'usufruit avait été constitué par contrat de mariage et les circonstances condui­saient à admettre que le mari, nu-propriétaire, avait implicite .. ment assumé l'obligation d'effectuer les grosses réparations deve­nues nécessaires en cours d'usufruit. Or les auteurs qui refusent à l'usufruitier le droit de contraindre le nu-propriétaire aux grosses réparations acceptent assez volontiers· ce tempérament (voy. par exemple AuBRY, RAu et EsMEIN, 7e éd., t. II, § 233, n° 439, note 1). Il n'y a donc pas, du moins sur le plan du dispo­sitif, une contradiction irréductible entre 1 'arrêt précité et celui que la même cour a rendu le 29 septembre 1959 et aux termes duquel « l'établissement d'un usufruit ne peut engendrer à chargé du propriétaire - qui n'est en rien débiteur de l'usufruitier, simplement titulaire d'un droit réel - des obligations propre­nient dites;: ... en réalité, le propriétaire d'un immeuble donné en usufruit n'a, à l'égard de l'usufruitier ... qu'un rôle tout passif; ainsi, l'article 600 du Code civil dispose que l'usufruitier prend .·.. les choses « dans l'état où elles sont », ce qui signifie que si, au jour de l'ouverture de l'usufruit, des réparations, grosses ou petites, s'avéraient nécessaires~ il né pourrait, légale­ment, contraindre le propriétaire à en assumer la charge; dès lors, il se ·trouve sans titre pour imposer au propriétaire des grosses réparations qui deviendraient nécessaires ultérieurement, au cours de l'usufruit; il s'en déduit qu'en stipulant que «les >l grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire»,

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l'article 605 du Code civil a exclusivement entendu spécifier que l'usufruit ne change en rien la condition du propriétaire en ce· qui concerne les grosses réparations, c'est-à-dire que si, en cours d'usufruit, un propriétaire jugeait de son intérêt de faire à son immeuble de grosses réparations, celles-ci demeure­raient à son compte, tout comme si l'usufruit n'existait pas » (Bruxelles, 29 septembre 1959, Pas., 1961, II, 63, Rec. gén. enr. et not., 1963, n° 20588 et obs. dans lesquelles il est dit à tort que cette opinion est «minoritaire», Bull. jur. imm., 1964, 77; adde : AuBRY, RAu et EsMEIN, loc. cit.; CH. et R. BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et VoiRIN, Cours de droit civil, 2e éd., t. IV, no 469; PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, n° 857; MATY et RAYNAUD, Droit civil, t. II-2, Paris, 1965, no 79 et les références citées p. 102, note 7; les références citées par DE PAGE et DEKKERS, t. VI, n° 348, p. 281, note 1). Ainsi la cour de Bruxelles expose-t-elle très bien en 1959 une thèse dont elle· avait non moins bien développé la critique en 1957.

81. VENTE CONSENTIE CONJOINTEMENT PAR LE PROPRIÉTAIRE ET L'USUFRUITIER. - PERTE DU: BIEN GREVÉ DE L'USUFRUIT . .....__SORT DU PRIX ET DE L'INDEMNITÉ D'ASSURANCE. - Quelles sont les conséquences de la vente consentie conjointement par le nu-propriétaire et l'usufruitier~ La consolidation dans le chef de l'acquéreur dégrève évidemment la chose vendue de l'usu­fruit. Mais quels seront les droits de l'usufruitier~ Lui donnera­t-on l'usufruit du prix ou bien une portion de ce dernier en pleine propriété~ La question ne suscite pas de .difficulté lorsque les parties ont réglé leurs droits dans une convention, car celle-ci est leur loi, ainsi que l'admet la cour de Gand dans une espèce où l'on avait stipulé que l'usufruit serait reporté sur le prix; celui-ci ayant été encaissé et consigné, .J'arrêt ordonne, en vertu de l'article 587, qu'il soit remis à l'usufruitier, à la charge pour ce dernier d'en restituer le montant à la fin de l'usufruit (23 dé­cembre 1960, Pas., 1964, II, 8; adde sur ce dernier point : PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, n° 804 et les références citées; comp. DE PAGE et DEKKERS, t. VI, nos 321 à 323).

Parties n'en ayant pas convenu autrement, la cour de Bruxelles, dans une espèce analogue, répartit au contraire le prix en pro-

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portion de la valeur respective dela nue-propriété et del'usufruit, lequel est estimé d'après la nature du bien et la survie probable de l'usufruitier au temps de la vente (30 mai 1961, Journ. trib., 1962, 116, note MAQUET, Rec. gén. enr. et not., 1964, n° 20777 et obs.; adde : Gand, 23 décembre· 1960, précité, motifs; BEu­DANT, note sous req., 7 janvier 1878, D. P., 1878, I, 145). L'arrêt répartit de même une indemnité d'assurance que l'usufruitier s'était appropriée. On sait quelles difficultés suscite l'assurance de la pleine propriété prise par le nu-propriétaire ou par l'usu­fruitier seulement (voy., par exemple, PLANIOL, RIPERT et PICARD, op. cit., n° 853). L'espèce ne les comportait pas : pro­priétaire et usufruitier avaient agi conjointement. La cour condamne le second à restituer l'indemnité sous déduction de la valeur de l'usufruit, solution qui peut s'expliquer si l'on considère que les parties avaient en somme assuré chacune son droit ( comp. MA. QUET, note précitée et les références citées ; obs. du Rec. gén. enr; et not., loc. cit.).

82. DÉCHÉANCE DE L'USUFRUIT. - On sait qu'elle n'opère pas de plein droit. Ainsi jugé par la cour de Bruxelles, qui ajoute: la privation de l'usufruit est moins la sanction des fautes qu'une mesure «destinée .à conjurer le péril, pour Je nu-propriétaire, de perdre la substance de son bien ». Partant, ]a déchéance est refusée. Les manquements étaient graves, il est vrai. Mais le propriétaire y avait concouru, attitude que ne suffisait pas à expliquer la crainte respectueuse (il était le fils de l'usufruitier). Au reste, la mise sous conseil judiciaire de l'intimé et les précau­tions de ses créanciers avaient tari les abus et en prévenaient le retour. Enfin, dit la cour, «il faut avoir égard aux intérêts non seulement des créanciers, mais aussi du nu-propriétaire et de l'usufruitier lui-même, dont l'usufruit est peut.:être la principale, sinon l'unique ressource; en l'espèce, après avoir pesé les éléments de droit et de fait, auxquels ne sont pas étran­gères les considérations humaines, la déchéance, même partielle, apparaît comme contre-indiquée» (Bruxelles, 30 mai 1961, Journ. trib., 1962, 116, note MAQUET, Rec. gén. enr. et not., 1964, n° 20777 et obs.).

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IV. Les servitudes réelles.

83, C:E[ARGES SUSCEPTIBLES D'ÊTRE IMPOSÉES A TITRE DE SERVITUDE. _:_ Reproduisant ·à peu près les termes d'un arrêt de rejet du 16 m.ai i952 (Pas., 1952, 1, 597, noteR. H.), le juge de paix de Nivelles rappelle qu' «il y a servitude dès que la c~arge est en rapport direct et immédiat avec l'usage et l'exploi­tation d'un fonds, n'eût-elle d'autre .effet que d'accroître la commodité de l'usage ou de l'exploitation du fonds dominant>>

_ (16 janvier 1964, J. J. P., 1964, 142). ·. Les tribunaux admettent donc à juste titre que «la clause par laquelle le propriétaire·d'un domaine divisé en lots interdit certaines constructions aux acquéreurs et à leurs ayants droit est conforme aux exigences de l'article 686 du Code civil et constitue une servitude »·(:Nivelles, 24 juillet 1962, Rec. Niv., 1962, 97; adde : Furnes, 18 juin 1964; Journ. trib., 1964, 564).

Faut-il également réputer telle la charge «·de souffrir les conséquences dommageables de l'exploitation de la mine concé­dée, à moins qu'il ne soit démontré que le dommage est le résultat d'une exploitation contraire aux règles de l'art et constituant une faute du charbonnage»? L'opinion dominante est que cette .clause lie les ·ayants cause à titre particulier du propriétaire de la surface, et ]a cour de Bruxelles semble s'y rallier implicite­ment dans des affaires d'expropriation pour cause d'utilité publi­que (12 octobre 1959, Pas., 1961, II, 65; adde notamment : TrssrER, note sous civ., 12 décembre 1899, S.; 1901, 1, 497; PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd.; t. III, n° 542; N ovelles, Droit civil, t. III, no 650) .. MM. De Page et Dekkers la contestent au contraire, au motif que l'irresponsa­bilité du concessionnaire ·n'accroît ni le rendement ni la valeur dela mine (t. VI, n° 502, i), et le juge de paix de Seraing décide --- mais pour de tout autres raisons --'- que ]a reiwnciation du propriétaire de la surface est «un simple engagement à titre personnel, qui ne se transmet pas, et ne peut se transmettre .à raison de sa nature, à l'acquéreur à titre particulier» :le droit à la réparation des dégâts miniers est une créance ·J;iJlobilière qui naît «au moment où se produit le dommage et au profit de celui qui a, à ce moment, la propriété de la chose endomma­gée»; il n'est donc pas «un accessoire de la propriété (de la surface) se transférant nécessairement avec elle» (en ce sens

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cass;, 3 juillet 1941, Pas., 1941, I, 269), de sorte que« le proprié­taire à telle époque déterminée ne peut renoncer qu'à son droit persom1eJ, mobilier et. de créance, contre l'exploitant de la mine» et «n'a en conséquence pas le droit d'imposer à l'acquéreur du bien ]a renonciation à un droit qui ne sera plus le sien»; ledit propriétaire ne·peut,en d'autres termes,« céder (au conces­sionnaire de la mine) qu'un sini.ple droit de créance relatif aux dégradations causées par ]'exploitant de la mine et limité au temps où il est propriétaire lui-même; il ne peut dès lors s'agir d'une« servitude»- dont une des caractéristiques est de durer, attachée au fonds -mais d'un simple engagement à titre per­sonnel» (J. de P. Seraing, 8 avril1959, Bull.jur. imm.,-1960, 33).

84. IMPOSSIBILITÉ DE CRÉER UNE SERVITUDE PAR JUGEMENT. - La cour de Bruxelles rappelle que la servitude << ne dérive jamais d'une décision judiciaire, qui ne peut que constater son existence ou en assurer l'exercice sans pouvoir jamais la créer»; c'est donc en vain qu'un charbonnage, exproprié de fonds situés au-dessus de la mine, demande la ·constitution sur ces fonds d'une «charge d'exonération minière» au tribunal chargé de fixer l'indemnité d'expropriation _(Bruxelles, 12 octobre 1959, Pas., 1961, II, 65; sur la nature de cette charge, voy. supra, n° 83).

85. SERVITUDE ÉTABLIE PAR UN TITRE. - CONDITIONS. -INTENTION DE CONSTITUER UN DROIT RÉEL. - INTERPRÉTATION DU TITRE. - Un acte stipule que Primus aura «le droit de passage» sur rhéritage de Secundus. Les fonds de Primus et de Secundus sont vendus l'un et l'autre, et l'acquéreur du second prétend supprimer le passage auquel, dit-il, Primus n'avait droit qu'en qualité de créancier. Le juge de paix de Nivelles relève que «le passage litigieux accroît l'utilité et la commodité du fonds appartenant au défendeur » : les dépendances de la maison de celui-ci seraient d'accès malaisé, eu égard à leur destination, si l'on ne pouvait s'y rendre par la propriété du demandeur. Or, poursuit le jugement, «lorsque, par sa nature, un droit constitue une servitude - et telle est la nature du droit de passage - on doit supposer que l'intention des parties fut d'établir une servitude réelle» (en ce sens : LAURENT, t. VIII, n° 230.; CH. et R. BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et VoiRIN,

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Gours de droit civil, 2e éd., t. IV, no 583; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, n° 509), et la mention du nom- du bénéficiaire de la charge ne suffit pas· à démentir cette volonté (en ce sens : LAURENT, loc. cit.; DE PAGE et DEKKERS, loc. cit.), d'autant que la perpé­tuité est de la nature des servitudes et que l'acte stipule, en l'espèce, que le passage« ne pourra jamais être obstrué» (J. de P. Nivelles, 16 janvier 1964, J. J. P., 1964, 142) .

... Le demandeur au confessoire doit p~ouver non seulement que le bien du défendeur est grevé d'une servitude, mais encore que son propre héritage a la qualité de fonds· dominant, condition qui peut susciter quelque difficulté quant aux servitudes réci~ proques que l'on constitue dans les lotissements. Ainsi jugé, dans une espèce où il était établi que l'immeuble du défendeur était grevé d'une servitude non aedi ficandi, qu' « il importe, afin de ... déterminer si les fonds des parties ont bien les qualités respectives de fonds servant et de fonds dominant, d'inviter le demandeur à rapporter la preuve que son fonds faisait partie d'un même lotissement et bénéficiait de cette servitude» (Ni­velles, 24 juillet 1962, Rec. Niv., 1962, 97). On exagérerait toutefois la portée de cette condition si l'on contestait la qualité de· fonds dominant à 1 'héritage du demandeur sous prétexte qu'il n'appartenait plus au lotisseur lors de la vente du terrain du défendeur et que l'acte qui constate cette vente n'indique pas formellement que la servitude est constituée au profit dudit héritage. Quand les conventions révèlent incontestablement que le lotisseur entendait créer une servitude réelle «à charge de chaque acheteur d'un lot (fonds servant) au profit de tous les autres acheteurs des parcelles lOties (fonds dominant), tout pro­priétaire d'une· parcelle lotie et tous ses ayants droit ont », dit le· tribunal de Furnes, « le droit de faire valoir ladite servi­tude contre les autres propriétaires d'une parce1le, puisque tout intéressé puise ses droits quant à ce dans une servitude qui est indivisible à l'égard de toutes les parcelles loties et de chacune d'elles»; il était dès lors «inutile de préciser le fonds dominant dan's l'établissement des servitudes lors du lotissement et de la vente des fonds ... , puisque chaque parcelle était à la fois fonds dominant et fonds servant par rapport aux . autres » (Furnes, 18 juin 1964, Journ. trib., 1964, 564).

86. SERVITUDE ÉTABLIE PAR UN TITRE. - PREUVE . ._.. AVEU

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EXTRAJUDICIAIRE TACITE. ~ Une servitude de vue est contestée. Le propriétaire du fonds dominant produit un écrit non signé : ]e constituant, illettré, avait tracé une croix en guise de signature. Cé papier n'a même pas la valeur d~un commencement de preuve par écrit, dit ]a cour de Bruxel1es, mais le titre est établi par l'exécution qu'il a reçue, laquelle «résulte incontestablement des circonstances qui ont présidé à la construction et au maintien de la fenêtre litigieuse, à savoir : autorisation octroyée par la commune de Forest et subordonnée à l'accord préalable de feu J. J. F. (le constituant), souci des. contractants de recourir à un écrit qui, bien que juridiquement nul comme instrumen­tum, marque leur commune volonté de créer une servitude, acquiescement de feu J. J.F., de son vivant et pendant près de quinze ans, au placement et au maintien de la fenêtre dont s'agit, précaution prise par les ayants droit de feu J. J.F. de mentionner, même sous une forme dubitative, l'existence de la servitude querellée, dans l'acte d'adjudication du 20 février 1952 par lequel les intimés sont devenus propriétaires de l'im­meuble ayant appartenu à feu J. J.F. » (Bruxelles, 30 octobre 1964, Journ. trib., 1964, 705, Rev. prat. not., 1965, 54).

L'induction est très sûre. Suffisait-il qu'elle le soit pour franchir le barrage de l'article 13411 Non sans doute. Aussi la cour se garde-t-elle de prononcer le mot <<présomption». La preuve œun accord ou d'un contrat non écrit, dit-elle, (( peut consister en un aveu, lequel peut être tacite et, par exemple, se déduire de l'exécution qui est donnée à l'accord ou au contrat inter­venu»~

Telle est la jurisprudence, en France comme en Belgique (voy. notamment : civ., 18 décembre 1927, S., 1928, 1, 126; civ., 25 mars 1935, S., 1936, 1, 97, note EsMEIN; CoRNIL, conclu­sions précédant cass., 4 avril 1941, Pas., 1941, 1, 128 et 129; cass., 19 octobre 1944, Pas., 1945, 1, 14; Liège, 13 janvier 1954, Jur. Liège, 1953-1954, p. 305, n° 88), et d'excellents auteurs n'hésitent pas à l'approuver (voy. notamment : EsMEIN, note précitée; DE PAGE, t. III, et Oompl., no 1032; DABIN, note sous cass., 30 janvier 1947, cette Revue, 1947, p. 224, note 4; comp. AuBRY, RAu et BARTIN, 5e éd., t. XII, § 751, p. 109 et llO; PLANIOL, RIPERT, EsMEIN, RADOUANT et GABOLDE, Traité pratique, 2e éd., t. VII, no 1563; CH. et R. BEUDANT; LEREBOU~s-PIGEONNIÈRE, LAGARDE et PERROT, Gours de droil

RJ:v. CRIT., 1966. - 23

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civil, 2e éd.p t. IX, n° 1307; PERROT, Rép. civ.- Dalloz, voPreuve, nos 911 et 912). L'article 1361 du Code civil et l'article 330

. du: Code de. procédure civile indiquent, dit-on, que l'aveu peut être tacite, les articles 1325, alinéa 4, 1715 et· 1716 du Code civil démontrent que les actes d'exécution sont un aveu extrajudi­ciaire tacite, et le bon sens con:fir;m.e la démonstration : l'exécu­tion est un «aveu en action» (DE PAGE, loc. cit., qui donne peut-être à cette image une portée que LAURENT, t. XIX, n° 16, ne lui attribuait pas).

Il semble pourtant inutile de recourir à la notion d'aveu tacite pour expliquer les textes précités (voy., quant à l'arti­cle 1361 du Code civil, DE PAGE, op. cit., t. III, no 1009, note 1, p. 1029; comp. toutefois. n° 1063). L'article 330 du Code de procédure civile, notamment, énonce que «les faits pourront être tenus pour avérés » et non qu'ils pourront être tenus. pour avoués. Or le silence ou le défaut de l'assigné constitue un indice dont le juge induit l'exactitude d'un fait, bien plus qu'une

. «déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques » (AUBRY, RAu et BARTIN, op .. cit., p. 107). Sans doute pareil silence sera-t-il volontiers appelé «aveu» au .même titre que les faits dans lesquels on est porté à voir une exécution ou que tout indice particulièrement grave décelé dans la conduite ou dans l'attitude du défendeur. Sans doute cette appellation est­elle judicieuse sur le plan de la métaphore, lorsqu'on entend montrer qu'une induction est très sûre. Mais faut-ilia transposer sur le plan de la technique juridique et affirmer, à l'exemple de la cour de cassation, que, la Joi ne prescrivant aucune forme pour l'avèu extrajudiciaire, celui-ci ((peut même être tacite, et résulter de faits constants d'exécution, accomplis par la partie à laquelle on l'oppose et qui l'impJiquent nécessairement» (19 octobre 1944, précité) 1 Le bon sens conseille peut-être une réponse affirmative. Mais la nécessaire cohérence des insti­tutions n'autorise cel1e-ci que si l'on accepte de réviser la concep­tion que l'on se fait traditionnellement de l'aveu. Il faudra notamment cesser de définir ce dernier comme une déclaration (comp. PLANIOL, RIPERT, EsMEIN, RADOUANT et GABOLDE, loc. cit.) faite dans la pensée que l'adversaire y trouvera une preuve (PLANIOL, RIPERT, EsMEIN, RADOUANT et GABOLDE, op. cit.,

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no 1561; BARTIN sur AUBRY et RAu, op. cit., § 751, note Ibis; comp. LAROMBIÈRE, Théorie et pratique des obligations, Bruxelles, 1863, art. 1354, n° 3; PERROT, Rép. civ. Dalloz, vo Preuve, nos 904 et 911). A fortiori se gardera-t-on d'y voir une déclara­tion faite dans le dessein de reconnaître le fait allégué ( comp. pourtant DE PAGE, op. cit., n° 1009), comme on se gardera de dire que l'aveu est une dispense de preuve plus qu'une preuve (comp. pourtant DE PAGE, op. cit., n° 1007) et qu'il ne peut consister qu'en une déclaration relative à une « contestation née » (comp. pourtant DE PAGE, op. cit., n° 1009, B; comp. égale­ment Gand, 4 avril 1885, Belg. jud., 1888, 392).

Il convient de réfléchir à ces questions non seulement pour mieux définir le régime de la preuve, mais aussi pour gagner une vision plus nette de certains aspects pratitJ.ues du droit des servitudes~ On a noté à cet égard que le biais de l'aveu extra­judiciaire tacite «atténue quelque peu la rigueur apparente du Code qui exclut la prescription des servitudes discontinues» (EsMEIN, note précitée sous civ., 7 janvier 1936; voy. d'ailleurs civ., 5 janvier 1954, D., 1954, 184; comp. civ., 26 janvier 1965,

.D., 1965, 372). Il atténue aussi la portée de J'article 690 : le défendeur à l'action confessoire ne pourra exciper que la posses­sion a duré moins de trente ans s'il est permis· de lui répondre qu'il l'a favorisée par son silence et que cette attitude constitue un aveu et prouve que la servitude repose sur un titre.

87; SERVITUDE ÉTABLIE PAR LA DESTINATION DU PÈRE DE FAMILLE ET OONFIRMÉE PAR UN OONTRAT. - Les fenêtres de deux maisons se trouvent à moins de six ou de dix-neuf déci.­

. mètres de la limite des fonds .. Cette situation remonte au temps où les héritages étaient réunis dans une même main, et l'acte de séparation stipule : « Les ouvertures extérieures, donc celles

. donnant sur cour et jardin, peuvent subsister. En cas de recon­struction sur l'un des fonds il est permis au propriétaire intéressé de supprimer ses propres vues ou ouvertures; Il ne peut ce pen­dant porter atteinte au droit acquis du propriétaire voisin». Cette clause, affirme l'un des propriétaires, prohibe l'application des articles 692 à 694 du Code civil, car la destination du père de famille ne vaut titre que si l'acte de séparation ne contient aucune disposition conventionnelle concernant la servitude : si le contrat renferme pareille disposition, seules les clauses de la

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convention forment le titre. de ]a servitude. Or, en l'espèce,. Jes termes de la stipulation expriment la volonté de maintenir les ouvertures ·qui ne se trouvent pas à la distance légale, mais non celle de créer ou de confirmer une ·servitude de prise de jour et d'air qui empêcherait le voisin d'exhausser le mur séparatif des fonds. Mais le .tribunal de Maliües .décide au contraire que l'intention des parties a été de confirmer l'existence d'une servi­tude active de prise de jour ·et d'air établie par la destination du· père de famille, et le pourvoi· est. rejeté, aux motifs qu'une clause ~elative à l'asservissement respectif des parties d'un fonds divisé « ne fait. obstacle à l'établissement d'une servitude par destination du. père de famille que si elle y est contraire», et qu'en l'espèce., les·termes de la convention« ne s'opposent nulle­nient àl'établissement, par destination du père de-famille, d'une servitmle·de. prise de jour et d'air ayant pour effet d'empêcher l'exhaussement de la clôture séparant des fonds vendus, ·mais qu'au· contraire ils la confirment» (cass., 13 avril 1962, Pas.~ 1962, I; 907, où le·« sommaire» .mentionne l'article 694 du Code civil, bien que ce texte n'ait pas. dû être appliqué puisqu'il s'agissait d'urie servitude à la fois continue et apparente, Journ. trib;, 1962, 710; rappr. J. de P. Nandrin, 26 septembre 1961, Res et jura imm., 1961, no 3862, p. 373).

88. SERVITUDE D'ÉGOUT ÉTABLIE PAR -LA DESTINATION DU PÈRE DE FAMILLE. ·-'--:- La servitude d'égout est continue, juge le tribunal de Tongres ; elle peut donc être établie. par la desti­nation du père· de famille lorsqu'elle est en outre- comme en l'espèce - apparente (13 juin 1963, Pas., 1964, III, 81).

89. SERVITUDE «NON AEDIFICANDI » GREVANT LES FONDS D'UN LOTISSEMENT. - PRESORI:E>TION EXTINCTIVE ET MODIFI­CàTION DES CIRCONSTANCES QUI ONT JUSTIFIÉ LA CRÉATION DE LA SERVITUDE. - Les· parcelles d'un lotissement sont grevées d'une servitude non aedificandi réciproque. Un propriétaire exige l'enlèvement d'une construction irrêgulière, et le constructeur excipe et offre de prouver. que la· servitude est . éteinte par non­usage. ·La preuve offerte est « pertinente », juge le tribunal de Furnes, car <<il est de notoriété publique qu'à La Panne, de même qu'en d'autres localités balnéaires, un grand nombre d'avenues et de places ont connu une fluctuation considérable

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de leur valeur économique, que là où .en 1924· des villas avec jardin. étai~nt.prévues et construites, à l'heure actuelle un grand nombre d' éta,.blissements commerciaux, tels que magasins et hôtels, ont été érigés, qui occupent la zone non aedificandi pour des terrasses fermées et des vitrines; présentement, à la suite de la raréfaction et de la haute valeur des surfaces à bâtjr, on ne voit plus l'utilité de conserver des jardinets 'à des endroits commerciaux et passants>) (18 juin 1964, Journ. trib., 1964; 564).

Il est possible que la preuve offerte fût pertinente. Douteuse est en revanche la pertinence des motifs allégués par ·le tribunal, car il faudrait logiquement en conclure que les servitudes s'étei-

. gnent lorsqu'elles deviennent surannées ouinutiJes par la dispa­rition des circonstances qui en avaient justifié la création. Or ce n'est pas cette solution- peut-être souhaitable de lege ferenda, mais insoutenable de lege lata - que l'on trouve au dispositif, lequel. autorise l'intimé à prouver que·« la servitude non aedi­ficandi instituée . . . sur et aux environs des fonds des parties à La Panne; s'est éteinte par non-usage depuis plus de trente ans ». C'est donc bien de prescription extinctive · qu'il s'agit. Les motifs ne semblent pas néanmoins sans rapport a.vec le dispositif, car le tribunal précise que la preuve « doit porter sur les environs · (de 1 'endroit) où les fonds des deux parties sont situés ». L'intimé est donc invité à prouver non pas que son bâtiment existe depuis trente ans, mais bien qu'il y a; depuis trente ans au moins, des constructions irrégulières sur des fonds proches du sien. Voilà, on en conviendra, une conception insolite et qui implique· --'- contrairement à l'image classique de la juxtaposition de relations« bipolaires»~ une<< collectivisation» et une« institutionnalisation» des charges imposées aux parcelles des lotissements (sur cette tendance, voy. et ·comp. LELOUP, «Servitudes et urbanisme», in L'immeuble urbain à usage d'habi­tation, Paris, 1963, ·spécialement no 4, p. 145 et 146, et n° 40, p. 178).

/ 90. ÉCOULEMENT NATUREL DES EAUX. - AGGRAVATION DE LA SERVITUDE. - Le propriétaire du fonds supérieur aggrave la servitude et viole l'article 640, alinéa 2, lorsqu'il intensifie l'écoulement de l'eau sur certaines parties du fonds inférieur au point de créer un marécage dans celui-ci. Mais doit être cassé pour violation de l'article 640, alinéa 1er, le jugement qui con-

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damne sans réserve ce propriétaire à retenir les eaux de manière qu'elles ne s'écoulent plus sur le fonds inférieur (cass., 19 décem­bre 1963, Pas., 1964, 1, 418, Journ. trib., 1964, 331, R. W., 1964-1965, 97, Tijds. not., 1964, 216).

91. CLÔTURE FORCÉE. - FACULTÉ D'ABANDON DU MUR MI­

TOYEN. - L'abandon de la mitoyenneté dispense, suivant le tribunal de Gand, de contribuer à la réparation et à la recon­struction - mais non à la construction - des murs régis par l'article 663 (13 juin 1963, R. W., 1963-1964, 1173). On peut, renchérit le tribunal de Termonde, se libérer de l'obligation de construire ces murs, en abandonnant, conformément à l'arti­cle 656, la moitié du sol nécessaire à leur fondement (2 mars 1960, R, W., 1962~1963, 1407). Bref la loi dit que l'on peut être contraint à construire et à réparer, mais cela signifie exclusive­ment que l'on doit donner le terrain lorsqu'on est assez avisé pour abandonne'/' ... un droit qui n'existe pas encore! Nous avons longuement exposé dans notre précédente chronique les raisons qui nous incitent à contester cette opinion (cette Revue, 1962, p. 277 à 280, n° 128). Nous nous bornerons donc à ajouter que le tribunal de paix de Namur-Sud la condamne également aux motifs qu'elle est inconciliable, avec le texte de la loi, qu'elle ne s'autorise ni des travaux préparatoires ni de la tradition et qu'elle ((revient à réduire à néant la faculté de ((contrainte)) inscrite· à l'article 663 », lequel « doit être tenu pour une règle spéciale et impérative à l'égard du voisin sollicité» (5 septembre 1961, Jur. Liège, 1961-1962, 40, Res et jura imm., 1961, 351).

92. JOURS,· VUES ET PAROIS TRANSLUCIDES. - Que penser du « bloc Argus » 1 11 · est translucide, disent le tribunal de Tongres et le juge de paix de Hannut, mais ilne laisse passer ni air ni son et il empêche de voir silhouettes et couleurs, de sorte qu'il a, au regard des articles 676 à 680, les mêmes vertus que la pierre ou la brique et qu'il est permis d'en user sans égard aux conditions fixées par ces textes (J. de P. Hannut, 29 jan­vier 1963, Jur. Liège, 1962-1963, 200, Res etjura imm., 1963, 137, J. J. P., 1963, 300; Tongres, 26 novembre 1964, Jur. Liège, 1964-1965, 117). Il «ne supprime pas radicalement toute vue comme le ferait un mur ou un panneau en fer ou en bois», juge au contraire le tribunal de Bruxelles, car, «dans un sens

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comme dans l'autre », il permet- si l,.on est « dans des conditions voulues de distance et d'éclairement»- de voir« les silhouettes, les contours et même dans une certaine mesure les couleurs» (5 juin 1962, Journ. trib., 1962, 571, Bull. jur. imm., 1962, 219, confirmant Ixelles, 12 juillet 1961, Bu,ll. jur. imm., 1962, 217).

La discussion porte moins sur le principe de la paroi trans­lucide que sur les mérites du« b]oc Argus», question évidemment étrangère à notre propos et sur laquelle presbytes et myopes ont peu de chance de s'entendre jamais. Au reste, il y a peut-être « bloc Argus » et « bloc Argus » et certainement plusieurs manières d'œuvrer le matériau. Ainsi les deux premiers jugements relèvent que la paroi était hermétique; dans ]a troisième espèce, le «panneau» était au contraire «muni à sa partie supérieure d'un élément destiné à laisser passer l'air». Cette circonstance et la ]égère transparence des blocs - aggravée, il est vrai, par des joints de dilatation - incitent le tribunal de Bruxelles à décider que la paroi est un jour au sens de l'article 676. N'au'" raient-elles pas dû - si l'air passait vraiment (point douteux, car le jugement admet ailleurs que la paroi était hermétique) - l'inciter à parler de vue au sens de l'article 678 (sur cette notion, voy. RIPERT et BouLANGER, Traité élémentaire de Planiol, 4e éd., t. Ier, no 3687; DEKKERS, Précis, t. Ier, no 1370; No­VELLES, Droit civil, t. III, n°8 1149 et 1156)? Et le bon sens n'aurait-il pas dû le prévenir contre certaines arguties que l'on trouve dans le jugement sur le mot «châssis»?

Quoi qu'il en soit, le tribunal de Bruxel1es ne semble pas contester qu'une paroi translucide ne constitue ni jour ni vue lorsqu'elle ~st vraiment hermétique et opaque (comp. J. de P. Ixelles, 12 juillet 1961, précité, qui condamne à« une obturation complète en matériaux de même nature que la muraille») .. Ceci nous paraît d'ailleurs incontestable (voy. cette Revue, 1962, p. 283, no 130). Est-il, dans les articles 675 et suivants, un mot qui permette de condamner une technique à laquelle le législa­teur n'a pu penser et qui ne comporte aucun des inconvénients que la loi vise à épargner aux propriétaires voisins?

Enfin, le jugement précité du tribunal de Bruxelles rappel1e que «les dispositions des articles 676 et 677 du Code civil sont applicables aussi aux jours pratiqués à une distance inférieure à celle à laquelle des vues sur l'héritage d'autrui sont autorisées

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par les articles 678 et 679 du Code civil» (voy .. cass., 15 mai 1959 et nos observations, cette Revue, 1962, p. 281 à 283, no 130).

93. SERVITUDE POSITIVE DE JOUR OU DE. VUE ÉTABLIE PAR

LA DESTINATION DU PÈRE DE FAMILLE. - INUTILITÉ D'UN

EMPIÉTEMENT SU:R L'HÉRITAGE VOISIN. - «Lorsqu'il s'agit de ·servitude .(de vue ou de jour) établie par destination du père 4e famille», dit le juge de paix de Nandrin; «il ne s'agit pas, comme ce serait nécessaire ·en cas d'acquisition par prescription trentenaire, de rechercher si la servitude continue et apparente se marque par un ouvrage « mordant » sur Je fonds d'autrui, mais de déterminer quelle a été l'intention du propriétaire originaire du tout, lors de la création de l'état des lieux et lors de la séparation des fonds, et de déterminer si c'est dans tel ou tel sens que les propriétaires des fonds distincts créés par la division du fonds unique ont eu l'intention de prendre ceux-ci» (26 septembre 1961, Res et jura imm., 1961, n° 3862, p. 373; il semble qu'il n'y avait pas non plus d'empiétement dans l'espèce jugée par cass., 13 avril 1962, arrêt rapporté supra, n° 87).

Nous avons longuement montré dans notre précédente chro­nique~ que telle est la jurisprudence (cette Revue, 1962, p. 286 à 288, no 132).

Le jugement ajoute que la« servitude de prise de jour et d'air dans un mur privatif joignant ... (le fonds servant) entraîne nécessairement la servitude de ne pas bâtir jusqu'à la hauteur du niveau le plus bas des ... fenêtres ». C'est, <:>n le sait, une règle admise par la jurisprudence et qui peut s'appuyer sur "l'article 701 (cette Revue, 1962, p. 288, no 132).

Il est en revanche impossible d'approuver le jugement lorsqu'il affirme, à propos d'une «fenêtre s'ouvrant vers le haut en bascu­lant sur sa partie inférieure », qu' « il ne s'agit nullement de vue ou de servitude de vue, mais de servitude de prise de jour et de prise d'air». Nul ne conteste que «l'on appelle jour une fenêtre qui ne s'ouvre pas, ne laissant passer que la lumière; et vue une fenêtre ouvrante, laissant passer à la fois l'air et la lumière» (DEKKERS, Précis, t. Jer, n° 1370; adde: les références citées supra, n° 92). Au reste, la distinction importait peu en l'espèce : jours et vues sont également susceptibles d'établisse­ment par la destination du père de famille.

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94. SERVITUDE LÉGALE DE PASSAGE. - CONDITIONS D'EXIS­TENCE. -Le propriétaire d'un fonds enclavé acquiert l'usufruit d'un immeuble contigu ayant une issue sur la voie publique. Les voisins chez lesquels se prenait le passage prétendent que la jouissance de cette issue libère leur héritage. Le juge de paix de Hannut répond :. « La suppression postulée équivaudrait en fait à transporter la servitude querellée sur le bien d'un tiers», le nu-propriétaire; «si l'on admettait en effet le raisonnement des demandeurs, la servitude devrait être prise sur le bien appartenant en nue-propriété à J. B. et en usufruit seulement aux défendeurs; le nu-propriétaire, qui est un tiers en la présente cause, n'est nullement tenu d'accepter que son bien soit grevé d'une pareille servitude et les . demandeurs n'ont nullement le droit d'imposer ce démembrement à la nue-propriété de J. B.» (11 décembre 1962, Jur. Liège, 1962-1963, 207). C'était« répondre à côté de la question». Il ne s'agissait pas des droits du nu-pro­priétaire. Les demandeurs ne prétendaient ni modifier la situa­tion. de celui-ci ni déplacer la servitude. Ils soutenaient au contraire qu'elle était éteinte pour la durée de l'usufruit ._.;___ sauf à renaître ultérieurement -, parce que le défendeur avait en fait une issue grâce à cet usufruit. Or on sait qu'il n'y· a pas d'enclave au sens de l'article 682 si le propriétaire joüit, fût-ce par.tolérance, d'une issue suffisante (cette Revue, 1957, p. 160, et 1962, p. 288 et 289, n° 133). N'en est-il pas ainsi, a fortiori, quand cette jouissance est l'exercice d'un droit, tel l'usufruit?

Il est en tout cas certain que le passage conventionnel exclut la servitude légale. Une vente stipule que les acquéreurs d'une parcelle passeront« pour autant ,que de besoin» par un autre lot. Le tribunal de Bruxelles refuse effet à cette clause, parce qu'elle dispose pour le cas où il n'y aurait pas d'autre issue et que l'article 682 en fournit une, moins onéreuse, sur un troisième fonds. C'était méconnaître «l'existence de ladite clause» et violer ]e texte précité: il ressort des termes du contrat que celui-ci « accordait un droit de passage conventionnel indépendant de l'existence du droit conféré déjà ... par l'article 682 du Code civil » ; le juge ne peut d'ailleurs accorder un droit de passage légal« malgré l'existence ... d'un droit de passage conventionnel supprimant l'état d'enclave» (cass., 7 avril 1961, Pas., 1961, I, 842). Il y avait peut-être un troisième obstacle, auquel le demandeur en cassation n'a pas fait allusion : l'origine de l'en-

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clave. On sait en effet que l'enclave créée par un acte tel que vente ou partage n'engendre pas de servitude légale, le passage se prenant en pareil cas sur les autres parcelles du fonds divisé (civ. Gand, 28 février 1962, Pas., 1963, III, 62, R. W., 1963-1964, 105; adde : cette Revue, 1953, p. 251, 1957, p. 161 et 162, et 1962, p. 289, n° 133, b; comp. motifs J. de P. Saint-Josse­ten-Noode, 21 novembre 1962, R. W., 1962-1963, 1171).

~ L'article .682 est a fortiori étra. nger à la situation que le proprié ..

aire crée lui-même par un mauvais agencement de son bien, par exemple en pratiquant au premier étage et à l'arrière de

) sa maison -laquelle donne sur la route ~un garage qui ·n'a 1 d'accès carrossable que par le fonds voisin (J. de P. Rochefort, / 31 mai 1963, Jur. Liège, 1963-1964, 16). En revanche, le proprié­/ taire auquel on réclame le passage exciperait vainement. que le 1 \ demandeur pourrait acquérir une issue à travers un autre héri-\ tage (cass., 9 septembre 1~60; sol. i:rnpl., Pas., 1961, I, 33, \ Bull. jur. imm., 1962, 195).

La servitude légale s'éteint lorsque le propriétaire du fonds enclavé acquiert un immeuble contigu. ayant une issue, même incommode, sur. la voie publique (J. de P. Rochefort, 16 no­vembre 1962, Jur. Liège, 1962-1963, 230, Res et jura imm., 1963, 139). Aussi bien l'issue impraticable peut ·Seule être assi­milée au défaut d'issue (voy. Rép. prat. dr. belge, v 0 Servitudes, ;n° 112). Il en résulte encore que l'on ne répute pas enclavés les fonds dont l'issue se trouve à l'étranger, du moins lorsque des traités,. des lois ou des règlements permettent aux proprié­taires de ne payer aucun droit d'entrée pour leurs récoltes (J. de P. Poperinge, 26 juillet 1962, J. J. P., 1963, 49; adde et comp., Rép. prat. dr. belge, verbo cit., n° 113).

Que décider lorsque c'est la voie publique elle-même qui est impraticable ~ Le tribunal de Marche-en-Famenne répond que l'article 682 règle exclusivement le cas du fonds« séparé de la voie publique par des fonds appartenant à d'autres propriétaires»; il n'importe donc que la voie publique soit impraticable, car «s'il y a issue, il n'y a pas d'enclave et rien ne justifie par consé­quent une action contre un voisin. Le propriétaire qui ·ne peut; par ]a négligence des pouvoirs publics,. user efficacement de l'issue qu'il possède, n'a d'autre recours que contre l'admi­nistration responsable» (19 mars 1964, Jur. Liège, 1963-1964, 238). C'est l'opinion de MM. De Page et Dekkers (t. VI, n° 592).

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Mais elie est contestable, quoiqu'elle s'autorise des motifs -assez ambigus, il est vrai -d'un très ancien arrêt (cass., 2 août 1854, adoptant les motifs d'une requête en cassation dans l'intérêt de la loi, Pas., 1854, I, 413). Que veut la loi? Favoriser l'exploitation des fonds en fournissant un accès à ceux qui en sont privés par les hasards du morcellement des terres, par la nature ou par l'insuffisance de la voirie publique. Que dit-elle? L'article 682 énonce que le propriétaire qui n'a aucune issue sur la voie publique peut réclamer un passage sur les fonds de ses voisins. Peut-on raisonnablement appeler « issue » ce qui débouche sur le néant ? Un fonds a une issue très praticable sur un chemin public trop étroit pour son exploitation. Il n'est pas enclavé, suivant la thèse critiquée. Il l'est au contraire suivant les cours de cassation de Belgique et· de France, et il le serait a fortiori si la route était non pas trop étroite, mais impraticable (cass., 20 juin 1929, Pas., 1929, I, 250; req., 14 mai 1879, D. P., 1879, I, 459; req., 11 janvier 1927, D. H., 1927-, 49, Gaz. du pal. 1927, I, 594). Ainsi la définition sur laquelle repose le jugement rapporté n'est conforme ni au texte de l'article 682 - si l'on entend raisonnablement les mots -, ni à l'esprit de ]a loi, ni à la jurisprudence. L'enclave résulte non seulement du défaut ou de l'insuffisance de l'issue, mais encore de l'insuffi­sance de la voirie eUe-même (voy. req., 14 mai 1879 et Il jan­vier 1927, précités), de sorte qu'il faut, ainsi que le reconnaît la doctrine,« assimiler à l'hypothèse où le fonds n'a aucune issue sur la voie publique celle où la voie publique à laquelle accède le fonds est devenue impraticable » (PLANIOL, RrPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, n° 926; adde notamment: DALLOZ, Jur. gén., v 0 Servitude, n°8 820, 2o, et 823; LÂURENT, t. VIII, n° 78, qui distingue le cas du chemin totalement impraticable, à la suite par exemple d'une destruction ou d'une inondation, et celui du chemin simplement « en mauvais état », distinction qui a été mal comprise par MM. De Page et Dekkers, lesquels citent, t. VI, p. 483, note 6, cet auteur à l'appui de leur opinion; AUBRY, RAu et BARTIN, 6e éd., t. III, § 243, note 4, in fine ; CoLIN, CAPITANT et JULLIOT DE LA MoRANDIÈRE, Gours élémen­taire, 10e éd., t. Ier, n° 935; Rép. prat. dr. belge, v0 Servitudes, n° 109; FRIEDEL, Rép. civ. Dalloz, v0 Servitudes, n° 197, in fine). Et que l'on n'objecte pas qu'il y a exception si le chemin est impraticable à cause de la négligence d'une administration, sous

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prétexte que le propriétaire dispose alors d'un recours contre celle-ci (comp. LAURENT, loc. cit., quant au chemin absolument impraticable). Car ce recours ne peut aboutir qu'à l'octroid'une indemnité. Or c'est la jouissance et l'exploitation effectives des immeubles qui est la fin de l'article 682 du Code civil.

95. ·.SERVITUDE LÉGALE DE PASSAGE. - AssiETTE. - TRAJET LE PLUS COURT· ET LE MOINS DOMMAGEABLE. - La COUr de cassation rappelle, à propos de l'interprétation d'une citation, que le chemin le plus court et le moins dommageable, au sens des articles 683 et 684 du Code civil, est « celui qui réunit ces qualités à l'égard de l'ensemble des· fonds voisins» (12 janvier 1962, Pas., .1962, I, 559, R. W., 1962-1963, 1161). Elle eninfèr~ '-assez subtilement d'ailleurs - que l'on peut, sans se contre­dire, citer un de ses voisins pour lui réclamer le trajet le plus court et le moins dommageable, et conclure à la reconnaissance d'une assiette et de modalités prescrites : « En ~ssignant tel voisin déterminé pour lui réclamer même le trajet le plus court et le moins dommageable à travers son fonds, le propriétaire . . . (de l'héritage) enclavé peut avoir demandé une assiette d'une servi­tude de passage et un mode d'exercice qui sont la plus courte et le moins dommageable pour ce fonds uniquement, alors même qu'ils auraient fait l'objet de la prescription trentenaire». -L'arrêt contient d'autre part l'affirmation que «lorsque le propriétaire d'un fonds enclavé a dans son exploit introductif d'instance demandéla reconnaissance de son droit de passage légal, le juge peut, sans modifier l'objet de la demande, admettre le deman,. deur à prouver qu'il a acquis par prescription trentenaire son droit de passage sur telle · assiette et selon telles modalités d'exercice».

96. SERVITUDE DE PASSAGE ÉTABLIE PAR TITRE.- ÉTENDUE, ASSIETTE, MODE D'EXERCICE ET EXTINCTION.- Un acte stipule: « Les .frères K. auront le droit en tout temps .. , de passer ... sur le terrain ... cette servitude de passage ... doit permettre aux frères· K. d'avoir accès de la rue A. à la salle de cinéma qu'ils construiront sur leur terrain»~ Le propriétaire du fonds servant s'oppose au passage des spectateurs, et le tribunal de Verviers lui donne raison, au motif que la convention ne stipule pas que le passage doit servir à l'exploitation du cinéma, et que, partant,

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la «servitude» litigieuse «ne peut être utilisée que par le seul intimé ». Mais ce jugement « viole la notion légale de servitude de passage ».et est cassé : « Il résulte des articles 637, 682 et 687 du Code civil que la servitude de passage, fût-elle convention­nelle, est un droit réel immobilier établi au profit du fonds dominant pour l'usage et ]'exploitation de celui-ci» (cass., 30 no­vembre 1961, Pas., 1962, 1, 407, Rev. prat. not., 1964, 19, ·Res et jura imm., 1964, 69, R. W., 1962-1963, 1160; rappr. et comp. cass., 13 décembre 1957, Pas., 1958, 1, 401, note R. H.).

On se gardera toutefois de prétexter cette idée pour assigner au passage une assiette ou des modàlités plus onéreuses que ne le comporte le titre, œautant que, les servitudes étant de stricte interprétation, le doute ou le si1ence de la convention sont en principe favorables au fonds servant. Encore faut-il tenir compte du progrès et des besoins de l'époque, estime le juge de paix de Saint-Josse-ten-Noode, et s'attacher moins aux

, terhles précis des actes anciens qu'au dessein de leurs auteurs ·et à la façon dont il s'exprimerait aujourd'hui. Ainsi le proprié­taire d'un fonds servant ne peut-il s'opposer à l'installation d'égouts sous le passage en al1éguant que le titre mentionne exclusivement piétons et attelages,· alors que les auteurs des parties ont manifestement cherché, · en lotissant leur héritage,

· à établir les conditions nécessaires pour que chaque parcelle soit l'objet d'une jouissance normale, qu'ils ont même stipulé que leur puits serait commun et qu'ils n'auraient pas manqué, dans cet esprit, d'étendre formellement la servitude aux canalisations s'ils avaient pu prévoir que leur fonds, alors rural et desservi par un mauvais chemin de campagne, serait un jour au bord d'une -rue ·large et moderne en un quartier pourvu d'égouts publics (21 novembre 1962, R. W., 1962-1963, 1171; comp. civ. Liège, 22 novembre 1957, cette Revue, 1962, p. 290, n° 135). La décision paraît sage, d'autant que le fonds dominant était enclavé et n'avait d'issue que par le fonds servant. Serait-e11e, à défaut de cette circonstance, conforme au principe de la «convention-loi»~

On sait d'ailleurs que ce principe n'a pas la même rigueur pour le propriétaire du fonds dominant et pour le propriétaire du fonds servant, lequel peut faire modifier l'assiette s'il offre un endroit aussi commode que le lieu convenu et s'il justifie de raisons sérieuses, telle la nécessité d'agrandir sa maison sans

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en rompre l'harmonie. Pareil motif est légitime, juge le tribunal de paix de Saint-Josse-ten-Noode, car en ces conflits le proprié~ taire du fonds servant a l'avantage, et l'on doit considérer sa commodité, « la nature de son bien, le genre de son exploitation et, même, ses. convenances personnellès ou ·un ·intérêt sérieux d'agrément i>. Son adversaire ne peut en revanche se plaindre si le chemin subit un al1ongement insignifiant (quatre mètres sur un trajet qui en compte à peu près cinquante) et de légères courbures, au reste compensées par un élargissement de l'assiette. Il ne peut davantage a1léguer que la modification le prive d'une vue agréable et diminue ]a valeur de son bien, car « le droit de passage n~ comprend pas le droit de vue >>, et « la notion d'une telle dépréciation paraît étrangère à l'économie de l'arti­cle 701 du Code civil, dont les dispositions ne s'attachent qu'à la sauvegarde du droit de passage du propriétaire du fonds dominant, et négligent tous éléments intrinsèques à son immeuble >) (Saint-Josse-ten-Noode, 7 août 1963, J. J. P., 1964, 54).

L'article 1134 ·doit être au contraire appliqué à la lettre lors­qu'il s'agit de décider si la servitude s-urvit aux circonstances -telle une enclave -qui la rendaient nécessaire. Ainsi doit être cassé le jugement qui déclare un droit de passage conventionnel éteint au motif « que le fonds dominant n'est plus enc]avé et que, dans ces conditions, le chemin de desserte litigieux n'a plus de raison de subsister>>. Car «un droit de passage conventionnel ne disparaît pas - comme en matière de droit légal de passage -du seul fait de la disparition de l'état d'enclave; il participe de l'irrévocabilité des effets des conventions et, partant, sauf stipulations expresses, ... il subsiste même lorsqu'un état d'en­clave antérieur a cessé>> (cass., 15 janvier 1960, Pas., 1960, I, 546, Bull. j~tr. irnm., 1962, 134, R. W., 1960-1961, 885; adde: J. de P. Hannut, Il décembrè 1962, Jur. Liège, 1962-1963, 207). Mais il est peut-être excessif de n'accorder effet qu'aux« stipula..; tions expresses>>, ainsi que le montre d'ailleurs un arrêt de rejet du 14 décembre 1962, rendu, il est vrai, dans une affaire où la servitude avait été- constituée par une convention tacite. Le jugement constatait que l'intention des parties avait été de donner une issue au fonds dominant et qu'il était manifeste qu'il n'y avait pas eu d'autre raison pour consentir un droit de passage. Ce motif indique, dit la cour, que le juge «ne se

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fonde pas ... sur ce que l'établissement d'un droit de passage conventionnel trouve nécessairement sa cause dans le fait de l'enclave et ne peut avoir comme cause et fondement une autre utilité pour Je fonds dominant ». Au surplus, si ]a servitude de passage établie par convention est en principe perpétuelle, «aucune règle légale ne s'oppose cependant à ce que les parties dérogent à ce principe en affectant le droit du propriétaire du fonds dominant d'un terme ou d'une condition résolutoire et notamment en stipulant ... que le droit de passage prendra fin avec l'état d'enclave de ce fonds» (cass., 14 décembre 1962, Pas., 1963, I, 461, R. W., 1962-1963, 1534).

Enfin, le non-usage partiel n'éteint pas, fût-ce partiellement, le droit de passage conventionnel ni, plus généralement, les servitudes discontinues, pourvu que le propriétaire du fonds dominant ait agi conformément à son titre et au gré de ses besoins et convenances. II n'en serait autrement que si un obstacle matériel avait, pendant trente ans, restreint l'exercice du droit (J. de P. Neerpelt, 8 septembre 1960, Tijds. not., 1961, 47; adde notamment : AuBRY, RAu et BARTIN, 6e éd., t. III, § 255, texte et notes 25 à 26quater; PLANIOL, RIPERT et PICARD, Traité pratique, 2e éd., t. III, n° 995; DE PAGE et DEKKERS, t. VI, no 670).

97. SERVITUDE DE PASSAGE ET COPROPRIÉ'.['É INDIVISE DU PASSAGE. -CHEMINS DE DESSERTE OU D'EXPLOITATION. -Fût­elJe reprise à l'atlas des chemins vicinaux, dit le tribunal de Hasselt, une impasse qui se perd au milieu d'anciens jardins et dont le public n'use pas en permanence, ne peut être réputée chemin v~cinal (30 avril 1962, R. W., 1962-1963, 862; comp. J. de P. Neerpelt, 9 avril1959, Tijds. not., 1960, 56). Elle constitue un chemin de desserte ou d'exploitation et est à ce titre présumée appartenir indivisément aux propriétaires riverains, lesquels ne peuvent donc se plaindre de l'usage qu'en fait l'un d'eux, en alléguant qu'il aggrave une servitude de passage; les intéressés sont soumis au régime de la ,copropriété et peuvent user de la chose commune selon sa destination, sans que l'on puisse leur faire grief d'intensifier cet usage en modifiant ]'exploitation de leur fonds, en transformant par exemple un jardin en garage (Hasselt, 30 avril 1962, précité).

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98. COPROPRIÉTÉ, SERVITUDE ET CUMUL DU· POSSESSOIRE ET

DU PÉTITOIRE. - La différence entre servitude et copropriété est encore importante pour l'application du , principe qu'il est interdit de cumuler le possessoire et le pétitoire. Viole cette règle Je juge qui, dans le second cas, rejette une offre de preuve et déclare la. complainte ou la réintégrande ·irrecevable pour le seul motif que les faits cotés n'établiraient pas que le demandeur a un. droit de copropriété sur le chemin. La cour de cassation décide en ,revanche «qu'en cas d'action tendant au maintien de la possession d'une servitude de passage sur une assiette déterminée, d'une part, le · demandeur doit pouvoir .. invoquer un titre duquel il résulte qu'il a entendu exercer un droit et non profiter d'une simple tolérance, et, d'autre part, Je juge a l'obli"" gation d'examiner le titre invoqué par le demandeur pour véri­fier s'il peut servir de fondement à une action possessoire réunis­sant les conditions établies par la loi ». En. effet, la recevabilité des actions possessoires est sub<?rdonnée ~à la . condition « qu.'il s'agisse d'immeubles ou de droits immobiliers susceptibles d'être acquis par prescription» (Joi du 25 mars 1876, art. 4, 1o). Or, « si l'assiette ou le mode d.' exercice d'une servitude . de passage peuvent s'acquérir par prescription, la ~ervitude elle-même, étant une servitude discontinue, ne peut s'acquérir par ce mode» (cass., 1er mars 1962, Pas., 1962, I, 737, conclusions HAYOIT

DE TERMICOURT, cette Revue, 1965, 308, note HEURTERRE, Res etjura imm;; 1963, 57 et 59, Rev. adm., 1963, 125; comp., quant à l'affirmation que cette ·vérification n'aboutit pas à un cumul du possessoire et du pétitoire; HEURTERRE; op. cit., cette Revue, p. 326, spécialement n°8 21 à 26; voy. et comp~, quant à l'usuca­pion de l'assiette et des modalités du passage, infra, n° 99).

99. SERVITUDE LÉGALE DE PASSAGE ET SERVITUDE DE- PAS­

SAGE ÉTABLIE PAR LE FAIT DE L'HOMME. ----:-·ASSIETTE ET MODE

D'E:X::ERCICE. - USUCAPION ET PROTECTION POSSESSOIRE. -

L'assiette et les . modalités du passage sont-elles susceptibles d'usucapion et - on sait que les questions sont liées - de protection. possessoire ~ Certains arrêts semb]ent refléter une tendance à traiter .différemment ]a servitude d'enclave et le passage établi par le fait.de l'homme, et l'on a e~sayé de définir cette différence et de résumer]~ système de Ja cour de cassation par les trois propositions suivantes : 1° libre jeu de l'usucapion

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quant à l'assiette et au mode d'exercice de la servitude légalf!­de passage (le droit lui-même n'ayant pas, par hypothèse, ·à être acquis de cette manière) ; 2° exclusion de la prescription aëqui­sitive pour toute autre servitude -de passage, qu'il s'agisse du droit lui-même, .de l'assiette ou du mode d'exercice; 3° hors le cas de la servitude .légale de passage, la possession ne peut ·être prise en considération.que pour déterminer- par interprétation de la volonté des parties - l'assiette ou I.e mode d'ex_ercice de la servitude, lorsque le titre est à cet égard ambigu ou muet (cette Revue, 1962, p. 298, n° 138, b). Le corollaire .de ces propo­sitions quant à la protection possessoire est que la complainte et la réintégrande sont recevables dans le cas de la servitude légale, mais non dans celui du passage établi par le fait de 1'-homme (cette Revue, 1962, p. 297, n° 138, b).

La première proposition est confirmée par des arrêts du 17 no­vembre 1962 et du 3 mai 1963 (cass., 17 novembre 1962, Pas., 1963, I, 343, Res et jura imm., 1963, n° 3920, p. 63, rejetant le pourvoi formé contre Dinant, 15 juin 1960, Res et jura imm., 1963, n° 3919, p. 63, lequel confirme J. de P. Gedinne, 2 dé­cembre 1959, Res et jura imm., 1963, n° 3918, p. 61; cass., 3 mai 1963, Pas., 1963, I, 941, Journ. trib., 1963, 488,_ Rev. prat. not., 1963, 423, R. W., 1963-1964, 867; Res et jura imm., 1964, 71, Tijds. not., 1964, 39; adde : motifs, cass., 12 janvier 1962, rap­porté supra, no 95).

L'arrêt du 17 novembre 1962 décide que la protection posses-:­soire s'étend à la servitude d'enclave par le motif que, «dès lors que le droit à la servitude légale de passage est établi, son assiette ou son mode d'exercice peuvent faire l'objet d'une possession utile et, partant, s'acquérir par la prescription». Celui du 3 mai 1963 contient une formule analogue : « Le propriétaire dont le fonds ·est enclavé peut faire reconnaître en justice » - et est par conséquent recevable à prouver - « que l'assiette de la servitude de passage est celle qu'il a acquise par prescription trentenaire et non celle que déterminent les ·articles 683 et 684 du Code civil» (rappr. cass., 12 janvier 1962, précité).

Les deux autres propositions paraissent en revànche inconci­liables avec un arrêt de cassation du 1er mars 1962 et les conclu­sions qui le précèdent (Pas., 1962, I, 737, conclusions HAYOIT

DE TERMICOURT, cette Revue, 1965, 308, n~te HEURTERRE, Res et jura imm., 1963, 125; comp. toutefois note R. H. sous cass.,

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13 décembre 1957, Pas., 1958, 1, 401). La cour affirme en effet que l'assiette et le mode d'exercice d'une servitude de passage établie par une convention peuvent s'acquérir par prescription (voy. le motif reproduit supra, no 98), et on lit dans l'avis du ministère public : la jurisprudence « admet que, un titre, légal ou conventionnel, de servitude de passage existant, l'assiette et le mode d'exercice de la servitude s'acquièrent par la prescription » (Pas., 1962, 1, 743, 1re col.; adde: Dinant, 15 juin 1960, précité, motifs). ,

Il convient toutefois de rappeler que la cour de cassation jugeait par l'arrêt précité du 13 décembre 1957 : «Suivant l'article 691 du Code civil, une servitude discontinue établie par le fait de l'homme ne peut s'acquérir que par titre et non point par prescription; l'article 702 du Code civil précise que celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans. pouvoir aggraver ]a condition du fonds servant ; il résulte de ces articles que le titulaire d'une servitude de pas-' sage, servitude discontinue établie par le fait de l'homme, ne peut, par la prescription acquisitive, obtenir un droit de passage plus étendu que celui qui lui a . été concédé par le titre constitutif, ,pareille extension formant soit une servitude nouvelle, soit un :s'l(,pplément de servitude ».·Il convient· de rappeler également que, citant un arrêt de la cour de cassation de France, M.-le procureur Ilayoit de Termicourt annotait la décision du-13 décembre 1957 en ces termes : quant à la servitude de passage établie par le fait de,l'homme, .«la possession peut toutefois être prise en considé­ration, non pas comme mode d'acquisition d'un supplément de , servitude,· mais pour déterminer, en cas de silence ou d'ambiguïté -du titre sur ce point, l'assiette ou le mode .d'exercice de la servi-tude établie par le titre» (note précitée, Pas., 19.58, 1, 401). :Enfin, il n'est pas sans intérêt de signaler que l'arrêt cité par . l'éminent annotateur rejette un pourvoi aux motifs que : « D'une part, tout en reconnaissant que les servitudes discontinues ne peuvent être acquises que par titre et non par prescription, 1 'arrêt a décidé que la possession peut cependant être prise en considération lorsque la servitude résulte de titres formels et qu'il ne s'agit que de fixer les limites de son exercice, la possession constituant alors un moyen non d'acquérir mais d'assurer l'exécution exacte et régulière des conventions qui en sont la caùse; d'autre part, la cour d'appel a énoncé que la preuve de ]a servitude

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peut résulter de faits de passage dont la permanence n'a soulevé~ de la part du propriétaire qui les souffrit, aucune protestation ni réserve, à tel point qu'il est possible de voir dans ce silence moins le signe d'un esprit de.simple tolérance que l'aveu implicite de ce que la servitude devait être antérieurement établie par un titre» (civ., 5 janvier 1954, D., 1954, 184; voy. en outre et comp. : civ., 21 janvier 1947, J. O. P., 1947, II,· 3754, note BECQUÉ; SoLus, Chronique de jurisprudence, Rev. trim. âv., 1948, p. 84, n° 2; civ., 8 novembre 1961, Bull. civ., 1961, I, 405; civ., 17juin 1964, Gaz. pal., 1964, II, 245; MARTY-et RAYNAUD, Droit civil, t. II, vol. 2, Paris, 1965, n° 153, in fine).

Ces éléments ne permettent-ils pas de conclure qu'il ne s'agit plus d'usucapion, mais de l'interprétation d'un acte juridique, et qu'il faut s'attacher moins à la possession et à la façon dont on a possédé, au sens des articles 2228 et suivants, qu'à la manière dont les parties ont exécuté un contrat et aux indications qu'elle fournit pour l'interprétation dudit contrat (cette Revue, 1962, p. 297, n° 138, b) 1 Non, si l'on en croit l'arrêt du 1er mars 1962 et les conclusions qui le précèdent. Encore faut-il préciser la portée que cette réponse négative assigne à la réserve formulée dans les arrêts de cassation du Il juillet 1929 (Belg. jud., 1929, 540) et du 13 décembre 1957 (précité). Dira-t-on que «le droit d'interprétation d'un titre ne peut s'exercer ... à l'encontre de ses termes formels» (cass., Il juillet 1929, précité), que J'arti­cle 702 prohibe toute aggravation ·de la servitude (cass., Il juil­let 1929 et 13 décembre 1957, précités) et que l'usucapion peut dès lors, suppléant au silence ou à l'ambiguïté du titre, déter­miner l'assiette et les modalités du passage établi par celui-ci (note R. -H. précitée) - c'est-à-dire l'assiette et les modalités que ledit. titre comporte -, mais non fixer une assiette ou des modalités différentes ou - c'est tout un en pratique - plus onéreuses pour le fonds servant, parce que pareille extension serait soit une nouvelle servitude, soit un supplément de servi­tude (cass., 13 décembre 1957, précité) et ne pourrait, aux termes de l'article 691, reposer que sur un titre (voy. HEURTERRE, note précitée, cette Revue, 1965, p. 325, no 18) 1

On trouverait difficilement une autre explication. Il est néan­moins permis de se demander au nom de quel principe on apprécie ainsi selon le régime de la prescription- en considération notam­ment de la règle que ]a possession doit durer trente ans - des

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faits qui doivent exclusivement permettre d'interpréter un acte, de découvrir une volonté imparfaitement exprimée par des formules incomplètes ou ambiguës. Cette volonté ne peut-elle être, ici comme en d'autres domaines, révélée voire prouvée (voy. et comp. supra, n° 86) par des attitudes, par une exécution, par une possession de moindre durée~ Quelle est d'ailleurs cette prescription acquisitive qui ne fait << acquérir » que ce que l'on tient déjà d'un titre 1 L'assiette et les modalités que celui-ci comporte ne sont-elles pas pour le propriétaire du fonds dominant une faculté, c'est-à-dire une prérogative inhérente à un droit et, plus précisément, au droit constitué par le titre générateur de la servitude~ Et l'article 2232 ne dit-il pas que les actes de pure faculté ne peuvent fonder ni possession ni prescription~ On répondra peut-être que celle-ci joue un rôle plus important dans la preuve et dans l'interprétation des droits que dans leur acquisition. Mais. l'exactitude de l'objection sur le plan de ]a sociologie et de la ratio legis ne permet pas de contester que c'est par son aptitude à faire acquérir le droit que l'usucapion est, au regard de la technique juridique, propre à d'autres rôles, de sorte que sa fonction acquisitive est le principe et la mesure de ses autres fonctions et qu'elle ne peut produire quelque effet que ce soit lorsqu'eUe est impuissante à engendrer un droit.

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LÉON GRAULICH

M. Léon Graulich, recteur honoraire de l'Université de

Liège, professeur émérite de la Faculté de Droit, qui, de

1947 à 1964, représenta cette Faculté au sein du Comité

de direction de la Revue, s'est étei~~ dbucement, après

une longue épreuve, le 22 décembre 1966, à l'âge de

soixante-dix -neuf ans. ---"'

En cette heure de deuil pour les nombreux anciens

élèves, collègues et amis du défunt, qu'il soit permis à la

Revue de s'associer à la douleur commune, dans le souvenir

du patronage précieux qu'il voulut ·bien lui accorder lors

de sa fondation et au cours de ces vingt années écoulées.

A son fils, le doyen Paul Graulich, à son successeur

dans le Comité de direction de la Revue, notre collègue

Claude Renard, vont nos sentiments de sympathie attristée.

LE COMITÉ DE DIRECTION.

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