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EXAMEN DE (1956 à 1960) LES CONTRATS SPÉCIAUX PAR MADELEINE GEVERS PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE BRUXELLES CHAPITRE PREMIER. - LA VENTE. SECTION Ire.- CONDITIONS DE VALIDITÉ. 1. CoNTRAT DIT DE « LOCATION-VENTE ». - On sait que les parties au contrat de vente ont parfois tendance à dissimuler ce contràt sous l'apparence d'un louage, dans le but de tourner certaines dispositions légales d'ordre public telles que la loi du 16 décembre 1851 (articles 20, 27 et 28) ou la loi sur les faillites (article 546). A cet égard, l'un des moyens employés est de qualifier le contrat de «location-vente», et de lui faire produire les effets successifs d'un .louage, puis d'une vente, afin de pallier les inconvénients de l'inopposabilité aux tiers de la clause de réserve de propriété, telle qu'elle a été établie en 1933 par la Cour de· cassation (9 février, Pas., 1933, I, 103, avec les conclusions du procureur général Paul Leclercq). En effet, si le contrat est réellement un louage, et ne devient une vente qu'à la suite d'une manifestation de volonté du preneur, il est certain que Ja propriété de la chose reste au bailleur jusqu'à cette transformation. Mais il y a lieu, pour le juge du fond, de ne pas s'arrêter à la qualification que les parties ont donnée au contrat, et de rechercher, à la lumière des circonstances, de quel contrat il s'agit réellement {DE PAGE, t. IV, Oompl., no 278). REV. ORIT., 1961. - 15

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EXAMEN DE JUR~SPRUDENCE (1956 à 1960)

LES CONTRATS SPÉCIAUX

PAR

MADELEINE GEVERS PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE BRUXELLES

CHAPITRE PREMIER. - LA VENTE.

SECTION Ire.- CONDITIONS DE VALIDITÉ.

1. CoNTRAT DIT DE « LOCATION-VENTE ». - On sait que les parties au contrat de vente ont parfois tendance à dissimuler ce contràt sous l'apparence d'un louage, dans le but de tourner certaines dispositions légales d'ordre public telles que la loi du 16 décembre 1851 (articles 20, 27 et 28) ou la loi sur les faillites (article 546).

A cet égard, l'un des moyens employés est de qualifier le contrat de «location-vente», et de lui faire produire les effets successifs d'un .louage, puis d'une vente, afin de pallier les inconvénients de l'inopposabilité aux tiers de la clause de réserve de propriété, telle qu'elle a été établie en 1933 par la Cour de· cassation (9 février, Pas., 1933, I, 103, avec les conclusions du procureur général Paul Leclercq).

En effet, si le contrat est réellement un louage, et ne devient une vente qu'à la suite d'une manifestation de volonté du preneur, il est certain que Ja propriété de la chose reste au bailleur jusqu'à cette transformation. Mais il y a lieu, pour le juge du fond, de ne pas s'arrêter à la qualification que les parties ont donnée au contrat, et de rechercher, à la lumière des circonstances, de quel contrat il s'agit réellement {DE PAGE, t. IV, Oompl., no 278).

REV. ORIT., 1961. - 15

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C'est ce qu'a fait très soigneusement un jugement du tribunal de commerce de Tournai (12 février 1957, Pas., 1958, III, 70), pour en conclure à l'e~istence d'une vente de chose mobilière, avec terme quant au pàiement et au transfert de propriété. A cet égard, le caractère automatique du transfert de propriété par le paiement complet du prix, sans qu'aucune manifestation de volonté du prétendu locataire (telle qu'une levée d'option) doive intervenir pour transformer le louage en vente, constitue l'un des critères les plus sûrs de l'existence d'.une véritable vente (dans le même sens que la présente décision: cass., 23 mai 1946, Pas., 1946, I, 204, avec les conclusions du procureur général Léon Cornil, cassant ·un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 8 mars 1941, Pas., 1941, II, 70, lequel avait considéré qu'il s'agissait d'une vente se greffant· sur un contrat de location). Outre les nombreuses autorités citéès par M. DE PAGE (t. IV, Compl., n° 278), voyez Bruxelles, 5 av-ril 1930, Jur. Anv., 1930, p. 224, qui admet que le contrat participe à la fois de la vente et du louage; civ. Charleroi, 13 juin 1933, Pas., 1934, III, 68, et comm. Liège, 19 octobre 1929, Jur. Liège, 1929, p. 315, qui ont analysé comme un louage le contrat litigieux. Adde : note MADRAY soùs cass. fr., 28 juin 1932, D., 1933, I, 43, sur les effets de la dissimulation d'une vente à tempérament sous l'apparence d'un bail avec promesse de vente; M. HAMEL, «Ventes à tempérament et locations-ventes », D. H., _ 1930, 41.

2. VENTE IMMOBILIÈRE. - CoNDITIONS ENTRE PARTIES. -A propos de la vente d'un bois, qui soulevait une question de compétence, la Cour d'appel de Bruxelles (16 décembre 1958, ·Pas., 1960, II, 45) a rappelé quelques principes solidement établis. Il s'agissait de la vente d'un bois de 25 hectares à un négociant dont l'activité commerciale avait pour objet la four­niture industrielle de bois et charbon. L'acheteur prétendait que les engagements qu'il avait pris étaient souscrits en vue de son commerce. La Cour constate qu'il en eût été ainsi si la vente avait porté sur la superficie, c'est-à-dire sur les arbres croissant sur le fonds, mais que, portant sur un bois, c'est-à-dire sur un immeuble non bâti, elle n'est pas en relation dirècte avec l'activité commerciale de l'acheteur.

Examinant la question au fond, la Cour rappelle que les parties ayant, par un acte sous seing privé, manifesté leur accord

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sur la chose et sur le prix, la vente est parfaite et produit entre elles tous les effets de droit. L'absence d'acte authentique est à cet égard sans relevance, pareil acte n'étant nécessaire que pour rendre la vente opposable aux tiers par la formalité de la transcription (DE PAGE, t. IV, n° 11).

3. PACTE DE PRÉFÉRENCE. - ÜBLIGATION DU PROMETTANT. :--- Analysant l'obligation qu'impose au promettant le pacte de préférence, le tribunal civil de Courtrai (14 juillet 1955, Pas., 1957, III, 51) l'a considérée à nouveau comme une obli­gation de ne pas faire · (dans le même sens : ci v. Courtrai, 16 fé­vrier 1950, J. T., 1952, p. 557, Rev. crit. jur. belge, «Examen de jurisprudence », 1953, p. 303, no 2).

S'il p~raît· plus conforme à la réalité d'y voir, comme dans la promesse de vente proprement dite, une obligation de faire, mais assortie, par la présence même du pacte de préférence, d'une condition simplement potestative, les conséquences en se­raient les mêmes dans le litige que le tribunal de Courtrai a tranché en 1955 : le bénéficiaire prétendait que 1~ vente s'était réalisée par le fait de l'offre de vente à des tiers de la parcelle sur laquelle existait son dr~it et par la notification aux vendeurs de sa volonté de lever l'option. Il perdait de vue que le seul fait de mettre en vente le bien en question ne constituait pas la réalisation de la condition mise à l'exercice de son droit d'option. En quoi consiste exactement en effet.le droit de pré-. férence 1 C'est dans l'obligation, pour le propriétaire du bien, de donner la préférence au bénéficiaire s'il se décide à vendre. Or le fait d'annoncer, par voie d'affiches ou autrement, que le bien est à vendre n'implique nullement que son propriétaire est décidé à le ven~re : il peut avoir pour but simplement de se rendre compte du prix qu'il y aurait moyen d'obtenir de ce bien. Ce n'est même pas une offre, et elle ne lie en rien le propriétaire à l'égard des amateurs, puisqu'il n'y est fait aucune mention de prix. Dès lors, la condition inhérente au pacte de préférence est toujours pendante, et son bénéficiaire n'a aucun droit à faire valoir. (Sur la notion de pacte de préférence, outre les références citées par le jugenÎent mentionné à la pré­sente chronique et éelles indiquées à la chronique de 1953, voyez J. de P. Waremme, 10 novembre 1956, J. T., 1957, p. 302, qui l'analyse en une promesse de vente affectée d'une condition

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simplement potestative et le déclare inopposable aux tiers par _application de l'article 1165 du Codeeivil. Consultez également : ;P .. VüiRIN, «Le pacte de préférence», Sem. jur., 1954, D., 1192.)

4. BUT ET FORMES DE LA VENTE AVEO RÉSERVE DE LA FACULTÉ n'ÉLIRE COMMAND. -Un jugement du tribunal civil de Bruges (.22 janvier 1957, Rechtsk. Weekbl., 1958-1959, col. 1713) rappelle le but de cette très ancienne institution : c'est de permettre àl'acheteur, le commandé, de se substituer un tiers, le command, ~ans devoir l'indiquer au mobent de la vente, mais avec cet effet que la vente sera cen~ée faite directement du vendeur primitif au command ; celui-ci prend la place du commandé, lequel devient totalement étranger à la vente (voy. précédentes chroniques, 1953, p. 305, n° 4, et 1956, p. 289, no 2).

Si cet effet est le même que celui du mandat, la vente avec pareille réserve en diffère cependant à plusieurs égards, et notamment eri ce que le nom du mandant doit être indiqué immédiatement, tandis que celui du command peut ne l'être que plus tard, pour autant que les délais prévus soient respectés; en ce que le command peut même ne pas encore être déterminé au moment de la vente; et en ce que le commandé peut demeurer acquéreur en ne faisant pas la déclaration-prévue (voy. DE PAGE, t .. IV, Compl., no 284, qui indique aussi les différences entre cette institution et la convention de prête-nom ou celle de porte-fort).

Le jugement du tribunal de Bruges précise d'autre part que les stipulations essentielles de la vente ne peuvent être modifiées à l'occasion dé l'élection de command : le mécanisme même de l'institution, tel' qu'il vient d'être rappelé, s'y oppose évi­demment.

Enfin, en ce qui concerne les formes de cette vente spéciale, le tribunal de Bruges rappelle que l'insertion de cette réserve ne nécessite nullement une vente publique, ni une vente par acte authentique. Mais il faut que la déclaration de command soit faite par acte authentique (DE PAGE, t. IV, Compl., n° 282), sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire que le notaire qui reçoit cette déclaration soit le même que celui qui a éventuellement conféré l'authenticité à l'acte de vente (HAUCHAMPS et GoTHOT, Code des droits d;enregistrement, p. 224, no 6).

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5. DÉLAI D'INTENTEMENT DE L'ACTION EN RESCISION POUR CAUSE DE LÉSION, EN CAS DÈ VENTE ·SUR VOIE PARÉE. - Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (20 décembre 1955, Pas., 1957, II, 166) a appliqué le principe posé par la Cour de cassation (13 octobre 1938, Pas., 1938, I, 313) et d'après lequel, la rescision étant une forme d'annulation, le délai d'intentement de l'action, en cas de vente sur voie parée, n'est pas de deux ans comme dans les ventes ordinaires, mais de quinze jours à dater de la significatjon au débjteur du procès-verbal de l'adjudication défi­nitive (voy. précédente chronique, 1956, p. 290, n° 4).

6. PRIX SANS RAPPORT AVEC LA VALEUR DE LA CHOSE.__; La Cour de cassation (22 juin 1959, Pas., 1959, I, 1089), dans une affaire où il s'agissait de déterminer si un vendeur s'était rendu coupable d'infraction à la réglementation relative à l'appro­visionnement du pays (en fait, une tenancière de taverne avait affiché et vendu du vin à des prix très supérieurs aux prix normaux), a posé le principe que le paiement par l'acquéreur d'une somme d'argent représentant une valeur très supérieure à celle de la chose acquise n'exclut pas nécessairement l'existence d'une vente.

En effet, le déséquilibre entre le prix et la valeur de la chose, c'est-à-dire la lésion, laisse subsister au contrat son caractère de vente, à moins que l'intention libérale soit établie dans le chef d'une des parties, ce qui peut, selon l'importance du déséquilibre, entraîner soit une donation indirecte, soit une donation déguisée; (Remarquons que la donation indirecte rend en général mieux compte en pareil cas de la volonté réelle des parties que ne le fait la donation· déguisée : voyez à cet égard les observations de R; SAVATIER dans Rev. trim. dr. civ., 1960, p. 146, n°. 7, et la noteR. SAVATIER sous cass. fr., 16 juillet 1959, D., 1960, J., 185).

Dans l'affaire en question, il est évident que l'intention libérale n'existait pas : boire du vin que l'on paie trop cher, ce n'est certes pas vouloir faire une libéralité à l' «,exploitant >) de l'établissement. L'arrêt soumis à 'la censure de la Cour de cassa­tion ayant constaté que l'acquéreur·avait àgi «sans but de lucre))' la Cou.r relève très exactement que l'absence de but de lucre n'entraîne pas par elle-même l'existence d'une donation déguisée: absence de but de lucre n'est évidemment pas synonyme d'in~ tention libérale.

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. Si donc cette intention libérale n'existe pas, le contrat lésion­naire demeure une vente, et cette lésion est, en règle générale, sans influence sur sa validité. On sait, en effet, qu'en matière de vente la lésion n'est admise comme cause de rescision du contrat que dans la vente d'immeuble, si le prix est inférieur aux cinq douzièmes de la valeur de la chose (Code civ., art. 1674 et sui v.), et, comme cause de réduction du prix, que dans la vente de semences, plants, engrais .et substances destinées à l'alimentation des animaux, si le prix est supérieur à la valeur des choses au point qu'il y ait lésion de plus du quart (arr. roy. n° 89 du 30 novembre 1939, art. 2, al. 5) (DE PAGE, t. IV et Compl., nos 38 et 38bis).

7. FIXATION DU PRIX PAR .EXPERTS. -REFUS DE DÉSIGNA­TION. - La Cour d'appel de Gand (29 septembre 1959, J. T., 1959, p. 688) a été appelée à se prononcer sur les effets du refus par une des parties de désigner lesexperts prévus par elles pour fixer le prix (remarquons qu'il s'agissait, en l'espèce, non d'une vente, mais d'une promesse de vente, la Cour de Gand estimant, à juste titre, que cette variété de contrat doit réunir tous les éléments essentiels de la vente, notamment en ce qui concerne la détermination du prix. Voy., sur la définition et les éléments essentiels de la promesse de contrat, DE PAGE, t. II, no 505).

Il avait été convenu que le prix serait fixé par deux experts à désigner de commun accord par les parties, selon la faculté que leur donne l'article 1592 du Code civil (sur la nature et les effets de pareille convention, voy. précédente chronique, 1956, p. 292, . no 6). Le même texte précise qu'il n'y a point de vente «si le tiers ne veut ou ne peut .faire l'estimation». . Dans la présente affaire, il en allait un peu différemment : ce n'était pas l'expert qui se refusait à accomplir sa mission, mais bien l'une des parties qui se refusait à désigner l'expert. :Fallait-il en conclure à l'absence de vente (ou de promesse de vente), ou, au contraire, fallait-il admettre que le tribunal saisi du litige pouvait soit fixer le. prix lui-même, soit désigner l.'expert chargé de cette fixation 1 \

La Cour de Gand répond à cette q1estion. que le juge ne peut se substituer à une partie pour accomplir un acte que la loi attribue exclusivement à sa libre volonté, en tant qu'élément essentiel requis pour la naissance du contrat. Cette manière

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de décider est très généralement admise par la jurisprudence et la doctrine (voy. notamment cass. fr., 25 avril 1952, D., 1952, J., 635, Sem. jur.; 1952, J., 7181, note E. BECQUÉ, Gaz. Pal., 1952, 2, 71, Rev. trim. dr. civ., 1952, p. 515, no 1, avec les obser­vations de J. CARBONNIER).

Elle paraît la seule conforme aux principes régissant la forma­tion des contrats, la seule qui respecte l'autonomie de la volonté. Il n'en serait autrement que si les parties avaient prévu dans le contrat la possibilité de faire nommer l'arbitre par les tribu­naux, stipulation qui, ainsi que le remarque M. CARBONNIER (Rev. trim. dr. civ., 1952, p. 515, n° 1, cité supra), pourrait même être tacite. Il semble bien que tel n'était pas le cas dans la présente affaire, les parties ayant décidé que les deux experts devaient être désignés « de commun accord » par elles - ce qui paraît bien vouloir écarter toute autre intervention si cet accord n'a pu se réaliser.

SECTION IL- EFFETS DE LA VENTE.

§ 1er. - V ente d'une chose corporelle.

8. VENTE AU COMPTE, AU POIDS OU A LA MESURE. - VENTE EN BLOC.- EFFETS. -On sait que, lorsque des marchandises sont vendues au compte, au poids ou à la mesure, l'article 1585 du Code civil laisse ces marchandises aux risques du vendeur jusqu'à ce qu'elles soient pesées, comptées ou mesurées (sur la portée de cette disposition, et son champ d'application qui concerne, non la vente de c4oses de genre en général, mais celle d'un genus limitatum, voy. chronique de 1953, p. 308, no 8).

Si, au contraire, elles sont vendues en bloc, l'article ~ 15fJ' déclare la vente parfaite, quoique les marchandises n'aient pas encore été pesées, comptées ou mesurées.

Ces deux textes s'expliquent parfaitement en ce qui concerne la détermination de la chose vendue : selon que cette détermina­tion est complète ou non, les risques, et également, bien que la loi n'en parle pas, la propriété passent à l'acheteur dès la conclusion du contrat ou restent au vendeur jusqu'à l'opération qui complète cette détermination.

Mais il est à remarquer qu'aucun de ces deux textes ne parle

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de la détermination du prix, ce qui ne va pas sans susciter de nombreuses discussions, tant en doctrine qu'en jurisprudence (DE PAGE, t. IV, no 263).

Ce prix peut être complètement déterminé dès la conclusion du co:q.trat, soit qu'il ait été fixé à une somme globale, soit qu'il ait été fixé unitairement pour des choses dont le nombre est déterminé, même si elles ne sont pas elles-mêmes )individualisées èomplètement (par exemple vente de cinquante arbres à choisir dans tel bois, à x francs par arbre).

Dans ces deux cas, seule la détermination de la chose, et non celle du prix, pose le problème des bsques. Mais il peut aussi se faire que la chose est complètemént déterminée au moment de la formation du contrat, tandis que le prix ne l'est pas, sa détermination devant résulter du pesage, du mesurage ou du dénombrement. C'est le cas où la chose est vendue en bloc, mais pour un prix unitaire (par exemple vente de tous les arbres d'un bois, a x francs par arbre ou à x francs le mètre cupe).

En pareil cas, le transfert de la proprié"té et des risques s'opère­t-il immédiatement, ou faut-il attendre la détermination du prix 1 A cette question, le code ne donne pas de réponse directe. Il faut donc s'en référer aux principes pour tenter de la découvrir.

Une grande partie de la doctrine et de la jurisprudence estime en pareil cas la vente «parfaite», parce que le contrat contient, outre l'indication d'une chose déterminée, les éléments néces­saires au calcul du prix; elle en conclut au transfert immédiat de la propriété et des risques. C'est ce que fait notamment un . arrêt de la Cour de cassation, du 17 octobre 1958 (Pas., 1~59,

I, 167), qui semble décider· qu'en pareil cas, et comme il s'agit d'une vente ·en bloc, l'article 1586 met immédiatement la chose vendue aux risques de l'acheteur. Mais il est à remarquer que l'arrêt n'est pas absolument limpide et s'applique à un cas assez particulier ; les principes qu'il semble vouloir poser ne le sont pas d'une manière aussi formelle que le sommaire à la Pasicrisie pourrait le faire croire. Remarquons également à cet égard que les deux références indiquées à la note 2 de la Pasicrisie visent des cas très peu convaincants quant au problème que la Cour de cassation avait à trancher : ils concernent, en effet, l'un une vente dans laquelle le prix devait être· fixé par experts

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(pareil contrat ne constituant unè vente que lorsqu'il contient les éléments nécessaires à la fixation ultérieure du prix, mais le transfert de la propriété et des ris·ques ne pouvant en tout cas se réaliser qu'au moment où le prix sera réellement fixé : voyez précédente chronique, 1956, p. 292, no 6), -l'autre, un contrat de louage, sans intérêt pour le problème du transfert de propriété et des risques, puisque ceux-ci restent toujours au bailleur (dans le même sens que l'arrêt, voy. notamment civ. Namur, 17 septembre 1940, Pas., 1941, III, 87; cass. fr., 19 mars 1929, S., 1929, I, 245; PLANIOL et RIPERT, t. X, no 299; CoLIN et CAPITANT, t. II, p. 431 ; AUBRY et RAu, t. V, § 349, note 39ter).

En réalité, il semble que cette manière de voir repose sur une certaine équivoque : le sens que l'on donne au qualificatif «parfaite» accolé au mot vente, et les conditions que l'on met à cette perfection.

Qu'est-ce exactement qu'une vente parfaite? Au sens du Code civil, et notamment de l'article 1583, c'est une vente qui entraîne immédiatement tous ses effets, et notamment le transfert de la propriété et des risques.

Ce texte lui donne comme condition que les parties aient «convenu de la chose et du prix». Si l'on veut lui laisser ce même sens dans l'article 1586, il faut .supposer que la vente est faite en bloc et pour un prix global (DE PAGE, t. IV, no 263; cass. fr., 17 mars, 17 et 30 juin 1925, D. P.; 1927, I, 29).

Mais d'autres auteurs estiment que la vente est parfa~te quand la chose est déterminée, et que le contrat contient les éléments nécessaires à la fixation ultérieure du prix. Ils en déduisent que cette vente « parfaite » entraîne, comme il se doit, transfert immédiat de la propriété et des risques (tel ~st notamment l'avis de PLANIOL et RIPERT, t. X, n° 299, ainsi que de la Cour de cassation dans l'arrêt analysé ici);

En réalité, cette opinion semble confondre perfection du contrat et conclusion du contrat.

Que le contrat soit « conclu » quand il contient les éléments nécessaires à la détermination de la chose et du prix, c'est évident, du moment que les parties se sont obligées· l'une à vendre et l'autre à acheter. Mais pour que la vente soit« parfaite», c'est­à-dire pour qu'elle entraîne transfert immédiat de propriété, il faut que la chose et le prix soient actuellement déterminés.

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Tel n'est pas le cas dans la vente en bloc, mais pour un prix unitaire.

Au surplus, le bon sens même commande cette solution (et l'on peut s'étonner que la Cour de cassation n'ait pas cru devoir rencontrer cet argument, qui appuyait un dès moyens) ; en effet, si le prix ne peut être déterminé que par une opération ultérieure, et si l'on admet cependant que les risques passent immédiate­ment à l'acheteur,· comment calculer le prix qu'il doit payer au vendeur en cas de perte de la chose par cas fortuit;· puisque l'objet même de ce calcul a péri? (Vby. dans ce sens : DE PAGE, t. XV, no 263; PLANIOL, t. II, n° 13631; JossERAND, t. II, no 1066; BAUDRY-LACANTINERIE et SAIGNAT, n° 148; Liège, 6 mars 1923, Pas., 1923, II, 115.)

Un jugement du tribunal de commerce de Tournai (7 décem­bre "1954, Pas., 1956, III, 14) semble faire la même erreur de terminologie, sans en tirer d'ailleurs de conséquences criti­quables : s'agissant de la vente d'animaux bien déterminés, dont le prix était fixé au kilogramme, il déclare la vente «par­faite» avant le pesage, mais pour en déduire seulement, semble­t-il (le jugement n'étant pas publié en entier), l'obligation de l'acheteur de prendre livraison et de faire procéder au pesage. En réalité cette obligation ne découlait pas de ce que la vente était «parfaite », mais de ce qu'elle était c< conclue>).

9. TRANSCRIPTION. -NoTION DE TIERS. -BoNNE FOI. -La formalité de la transcription, en matière de vente d'immeuble, a pour but de protéger les tiers de bonne foi.

A cet égard, la question de savoir qui doit être considéré comme tiers, et quand le tiers est censé de bonne foi, a donné lieu, dans les dernières années, à plusieurs décisions de la Cour de cassation.

Deux arrêts (8 avril1957, Pas., 1957, I, 970, J. T., 1958, p. 110, Rev. crit. jur. belge, 1958, p. 95; 30 octobre 1958,Pas., 1959,!,216) ont décidé que le preneur, en cas d'aliénation du bien loué par le bailleur, ne dev;;tit pas être considéré comme un tiers au sens de l'article 1er de la loi hypothécaire. Le premier de ces arrêts ayant fait l'objet d'une note de références à la Pasicrisie, et d'une note critique de M. Dabin à la Revue critique de jurisprudence belge, je prie le lecteur de bien vouloir s'y référer.

En ce qui concerne l.a bonne foi qui doit caractériser le tiers

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pour qu'il puisse se prévaloir du défaut de transcription, la Cour de cassation a précisé que l'acte non transcrit n'était inopposable qu'aux tiers qui ont contracté sans fraude, c'est­à-dire qui n'ont pas connu l'acte non transcrit (3 mai 1956, Pas., 1956, I, 928, J. T., 1956, p. 545). Doit être considéré comme se trouvant dans cette situation le tiers qui, sans con­naître l'acte translatif de propriété lui-même, sait seulement qu'une personne, autre que celle qui est mentionnée aux registres de la conservation des hypothèques comme propriétaire du bien, a des prétentions sur ce bien (voy. notamment DE PAGE, t. VII et Oompl., nos 1078 et suiv.).

10. ABSENCE DE TRANSCRIPTION. - EFFETS A L'ÉGARD DU VENDEUR. -Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (16 jan­vier 1959, Pas., 1960, II, Ill) a rappelé que l'inopposabilité de l'acte de vente non transcrit avait pour but de protéger non seulement les tiers de bonne foi, mais également le vendeur non payé. Celui-ci conserve en effet une propriété «apparente», en l'espèce un droit à la mitoyenneté, tant à l'égard des tiers en général qu'à l'égard des ayants cause particuliers de l'acheteur, et notamment du sous-acquéreur du bien (voy. précédente chro­nique, 1956, p. 296, no 10).

11. OBLIGATION DE DÉLIVRANCE. - PORTÉE. - SANCTION. -On sait que le vendeur a l'obligation de livrer la chose vendue, avec ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel (Code civ., art. 1615). Lorsqu'il s'agit d'un immeuble, les immeubles par destination qui y sont incorporés entrent évidemment dans le cadre de ce texte. Un jugement du tribunal civil de Bruxelles (8 décembre 1959, J. T., 1960, p. 172) a décidé que tel était le cas d'un évier et d'un meuble encastré dans le mur, mais qu'il en était autrement d'un tapis plain ou d'un linoléum, à moins que l'intention ne fût établie de leur incorpora­tion définitive, et qu'ils aient été placés de telle sorte que leur enlèvement dût provoquer une certaine détérioration du fonds (voy. sur cette question DE PAGE, t. V, nos 678 et suiv., et spécialement no 681, où le linoléum, découpé d'après la pièce qu'il recouvre, semble être considéré comme immeuble par desti­nation, sans autre condition).

Quant à la sanction de l'obligation de délivrance, la Cour

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de cassation (4 juillet 1957, Pas., 1957, I, 1318), à l'occasion d'une violation de l'article 97 de la Constitution, rappelle qu'aux ternies- de l'article 1610 du Code civil, cette sanction - si le retard n{:} vient que du fait du vendeur- consiste dans le droit, pour l'acquéreur, de demander, à son choix, la résolution de la vente ou sa mise en possession.

Le jugement du tribunal civil de Bruxelles (8 décembre 1959, cité supra), relatif aux accessoires de l'immeuble vendu, déclare que la sanction de la non-délivrance est soit la résolution de la vente, soit l'exécution forcée, en 1nature ou en équivalent (voy. J. LIMPENS, «Examen de jurisp1~udence. Les obligations», Rev. crit. jur. belge, 1953, p. 68, n° 3~), mais sans que le juge puisse accorder une résolution partielle du contrat, mesure que le Code civil ne connaît pas.

12. GARANTIE D'ÉVICTION. OBLIGATION DE L'ACHETEUR DE TENTER D'EMPÊCHER L'ÉVICTION. - Statuant dans une affaire passablement compliquée de vente d'une auto volée alors qu'elle était réquisitionnée, et finalement restituée à son véri­table propriétaire, la Cour d'appel de Bruxelles (24 décembre 1954, Pas., 1956, II, 86), sur la demande en garantie d'éviction intentée par l'acheteur de bonne foi contre son vendeur, a précisé le sens de l'article 1640 du Code civil. On sait que ce texte refuse le droit d'agir en garantie à l'acheteur qui a laissé se réaliser l'éviction sans appeler son vendeur en cause, si celui-ci prouve qu'il existait des moyens suffisants polir faire rejeter la demande de l'évinçant. La Cour rappelle très exactement qu'à la base de ce texte -se trouve le principe qu'une action en garantie d'éviction n'est fondée que si l'évincé a usé de tous les moyens qui eussent pu éviter l'éviction.

C'est donc à juste titre que la Cour a repoussé la demande de l'évincé, celui-ci ayant eu la possibilité de s'opposer à la restitution de la voiture à son véritable propriétaire et ne l'ayant

_pas fait (cons. DE PAGE, t. IV, n° 142; cass., 12 novembre 1925, Pas., 1926, I, 56).

13. GARANTIE D'ÉVICTION. - VENTE DE FONDS DE COM­MERCE. - On sait que le vendeur doit s'abstenir de tout acte constitutif d'éviction ou de trouble à l'égard de son acheteur, et que, lorsque la vente a porté sur un fonds de commerce,

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cette obligation légale du vendeur entraîne pour lui l'abstention de tout acte pouvant enlever à l'acheteur une partie de sa clientèle (voy. Chronique !j).Q3. p. 311, no 10).

A propos d'une question de taxe professionnelle, due sur le prix de cession d'un fonds de commerce dans la mesure où s'y révélait une plus-value de ce fonds, la Cour de cassation tt! en a conclu, par deux fois (7 juillet 1956, Pas.,. 1956, 1, 1254, ·lf~:.: et 2 juin 1959, Pas., 1959, 1, 1004), qu'un engagement de non- V\ concurrence souscrit par le vendeur n'ajoutait en principe rien à son obligation légale de non-concurrence, laquelle constitue un élément de la valeur du fonds; un pareil engagement n'est donc pas suffisant par lui-même pour justifier la plus-value du fonds et écarter la perception de la taxe.

D'autre part, un jugement du tribunal de commerce de Liège (12 février 1960, J. T., 1960, p. 508) a tracé certaines limites à l'obligation de garantie du vendeur d'un fonds de commerce : d'une part, en ce qui concerne la non-concurrence, il précise que le cédan:t s'engage de droit à ne plus prospecter son ancienne clientèle, mais n'est pas responsable si elle est prospectée par un tiers. Cela semble évident (à moins qu'il s'agisse d'inter­position de personne, ce que l'acheteur devrait établir), cette manière d'agir du tiers ne constituant pas un trouble de droit, puisqu'elle ne suppose aucune prétention à un droit sur la chose vendue. Dès lors, il s'agit d'un simple trouble de fait, qu'il appar­tient à l'acheteur de faire cesser lui-même dans la mesure où il constitue un acte illicite (voy. DE PAGE, t. IV et Oompl~, no 138).

Enfin, ce jugement écarte la garantie du vendeur dans le cas où la cession du fonds de commerce comportait celle du droit au bail, et où le bail (et le fonds de commerce dont il est le support) vient à se terminer par application des règles légales sur les baux commerciaux, auxquelles les parties savaient que ce bail était soumis. Cette manière de décider est conforme aux principes, si le cédant a mis lui-même le cessionnaire au courant de cette situation : la déclaration de la cause d'éviction est en effet exclusive de la garantie (voy. précédente chronique, 1956, p. 296, no 11).

Mais la solution est plus douteuse si l'acheteur connaissait cette situation de science personnelle, sans déclaration à ce

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sujet de la part du vendeur ·: en effet, la jurisprudence belge maintient en pareil cas la garantie du vendeur, celle-ci étant alors généralement limitée à la restitution du prix, sans débition de-dommages-intérêts (voy. sur cette question DE PAGE, t. IV et Compl., n° 143, qui critique cette discrimination entre la restitution du prix et la débition de dommages-intérêts).

. .

14. GARANTIE DES VICES. - CoNDITIONS. - La Cour de cas~ation (6 novembre 1959, Pas., 1960, I, · 277) s'est prononcée dans une affaire où le demandeu~ prétendait exclure la possi~ bilité de l'existence. d'un vice caché, du fait que la chose vendue était conforme aux normes établies par l'Institut belge de norma­lisation, créé en vertu de l'article 2 de l'arrêté-loi du 20 sep­tembre 1945. Il s'agissait de dalles_ de pavement.

Rejètant le pourvoi, qui était dirigé contre un jugement du tribunal de commerce de Courtrài, la Cour déclare, comme le jugement, que les normes établies par cet institut « ne peuvent en aucun cas modifier les règles légales relatives à la garantie en matière d'achat-vente» (peu importe que ces normes aient été ou non approuvées par le Roi), et que, d'ailleurs, la circon­stance qu'une marchandise est conforme aux normes en question n'exclut point qu'elle puisse, «indépendamment de ces normes»., être affectée d'un vice caché. Cette dernière phrase semble destinée à répondre à un argument du pourvoi, d'après lequel le· vice inhérent à une matière normalisée ne peut, en raison de la publication de la norme, être considéré comme un vice caché. En réalité, le vice ne sera donc considéré comme caché, lorsqu'il s'agit d'une matière <c normalisée », que s'il existe indé­pendamment des normes, ce qui demeure évidemment possible et semblait bien être le cas dans l'espèce.

Pour donner lieu à garantie, le vice doit être non seulement caché, mais important (DE PAGE, t. IV, n° 177 ; adde précédente chronique, 1956, p. 301, n° 14). Dans une affaire dP.jà signalée à la présente chronique (n° 2), la Cour d'appel de Bruxelles (16 décembre 1958, Pas., 1960, II, 45) a estimé que n'était ni l'un ni l'autre le vice résultant de ce que quelques arbres seulement, dans un bois de plus de 25 hectares, avaient reçu des éclats de mitraille, ce que l'acheteur avait parfaitement pu constater lui-même (voy., sur l'application de la notion de vice caché à la présence de termites dans un immeuble : cass. fr.,

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31 mars 1954, D., 1954, J., 417, Rev. trim. dr. civ., 1954, p. 509, avec les observations de J. CARBONNIER).

15. GARANTIE DES VICES. - BONNE OU MAUVAISE FOI DU VENDEUR .. - PREUVE.- EFFETS.- CLAUSE DE NON-GARANTIE. -On sait qu'aux termes des articles 1645 et 1646 du Code civil, le. vendeur de mauvaise foi doit, outre la restitution du prix, « tous les dommages et intérêts », tandis que le vendeur de bonne foi ne doit, outre cette même restitution, que « les frais occasionnés par la vente».

En règle générale, et conformément aux principes, la preuve de la mauvaise foi du vendeur incombe à l'acheteur. Cependant la jurisprudence admet une présomption de mauvaise foi à l'égard du marchand vendant des choses pareilles à celle qui fait l'objet du litige, et à l'égard du fabricant-vendeur (voy. Chronique 1953, p. 313, no 13).

Cette présomption est-elle irréfragable, ou peut-elle être ren­versée par la preuve contraire? Si une opinion la considère comme iuris et de iure {PLANIOL et RIPERT, t. X, n° 134), la jurisprudence belge s'arrête à une manière de voir plus nuancée : sans doute ne suffirait-il pas au marchand ou au fabricant d'établir qu'il n'a pas connu le vice. Normalement, il doit le connaître s'il possède les aptitudes que le client est en droit d'exig~r de lui en tant que professionnel. S'il ne l'a pas connu, c'est qu'il est négligent ou ignorant au delà de ce qu'il lui est permis d'être : il n'est pas un «bon père de famille», c'est-à-dire un «bon négociant» ou un «bon fabricant», et sa .responsabilité totale (dommages-intérêts compris) est engagée, non plus sur le fonde- · ment de la garantie contractuelle des vices - puisque sa bonne foi, supposée établie, écarte la débition de· dommages-intérêts -mais sur base de.~ ;cet:!po:n~~lülité_ ~.9,l,lj~j~,:ç,)l~ {DE PAGE, t. IV et Oompl., nos 185 et 191).

Dès lors, l'existence de cette faute devra être écartée, et la bonne foi devra produire ses effets restrictifs sur la garantie, lorsque le vendeur professionnel aura établi que; quelle qu'ait été sa diligence, il n'eût pas pu avoir connaissance du vice. C'est en appliquant ces principes que se sont prononcées, d'une part, la Cour de cassation (13 novembre 1959, Pas., 1960, I, 313, J. T., 1960, p. 59) rejetant le pourvoi dans une affaire où le cadre d'un vélomoteur s'était rompu, et où l'arrêt attaqué avait

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constaté que le vice, cause de cette rupture, n'apparaissait pas comme de nature telle qu'il eût été impossible au vendeur de s'en rendre compte, - et, d'autre part, la Cour d'appel de Liège (8 mai 1956, J. T., 1957, p. 7), dans une affaire de vente de pommes de terre impropres à la consommation, mais dont le vice n'apparaissait qu'à la cuisson, ce qui rendait, d'après la Cour de Liège, ce vice indécelable pour le vendeur par les moyens d'investigation normalement compatibles avec l'exercice de sa profession.

Cependant, une nouvelle difficulté se présente, lorsqu'il s'agit, dans le cas du vendeur de bonne foi, d'apprécier le sens des mots frais. occàsionnés. par la. .vente qu'emploie l'article 1646 du Code civil.

Ces mots peuvent en effet se restreindre aux frais de l'acte de vente, ou s'appliquer aux frais que l'acheteur a dû débourser pour exécuter ses obligations envers le vendeur (prise de livraison, réexpédition des vidanges, etc.), ou encore s'étendre à tous les frais que le vice de la chose lui a occasionnés, tels que des dommages-intérêts auxquels il a été condamné lui-même à l'égard de tiers, ou l'altération d'autres marchandises étrangères à la vente et que le vice des marchandises achetées a ·contaminées.

La thèse la plus extensive a été consacrée p~r-~Il-al'rê.~,Ae la Cour ~~_g!J§_~,:~&i.Q!l.J:l~tlfrJt,I1Ce (25 octobre 1925, D. P., 1926, I, 9, note JossERAND), dans le cas d'un accident causé à un tiers par l'automobile affectée d'un vice : les dommages-intérêts auxquels l'acheteur a été condamné envers le tiers ont été considérés comme (( frais occasionnés par la vente )), et le vendeur de bonne foi a dû les rembourser à l'acheteur. On voit que, dans un système aussi extensif, le vendeur de bonne foi est en réalité tenu de véritables dommages-intérêts, qui représentent tout le damnum emergens· subi par l'acheteur, seul le lucrum cessans étant en outre à charge du vendeur de mauvaise foi. Ce système est vivement critiqué parlla doctrine, tout au moins de lege lata (DE PAGE, t. IV, n° 1~5). .

Celle-ci semble s'arrêter en général au moyen terme : frais d' ac,t,a,.,plus Je.§.--f':ç~is_ d' ~.xéc:q.tio;n ,d,e.Ja, vente. ( J ossERAND, , t~:'ïf, n° 1121). C'est dans ce sens que s'est prononcé l'arrêt de la Cour d'appel de Liège, précité (8 mai 1956, J. T., 1957, p. 7. Voyez aussi, dans un sens plus restrictif que celui de l'arrêt de 1925,

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cass. fr., 10 février 1959, Sem. jur., 1959, 11063, note EsMEIN, .S., 1959, J., 45, conclusions BLANCHET, D., 1959, J. 117, Rev. trim. dr. civ., 1959, p. 338, n° 3, avec les observations de J. CAR­BONNIER, et p. 541, n° 21; avec les observations de H. et L. MAZEAUD).

Enfin, les principes relatifs à la bonne et à la mauvaise foi du vendeur doivent intervènir aussi lorsqu'il s'agit d'apprécier la validité des clauses par lesquelles il s' eXC?_"!_M:e: des,_ conséq1,tences des vices de la chose vendue. Pareilles clauses sont sans valeur lorsque le vend~-u~ a ~onnu le vice (Code civ., art. 1643; DE PAGE, t. IV et Oompl., n° 179). _ La Cour de cassation l'a rappelé, dans un cas où le vendeur,

ayant fabriqué et placé un revêtement en ciment atteint d'un vice, devait nécessairement le connaître (3 avril1959, Pas., 1959, I, 773, Rev. crit. jur. belge, 1960, p. 207, note VAN H:B:CKE).

Le tribunal civil de Liège (12 mai 1958, Pas., 1959, III, 26) a fait application des mêmes principes, dans une affaire où r origine du dommage causé à l'acheteur par la chose vendue demeurait obscure -: il a ordonné une expertise, seule capable de déterminer si ce dommage était causé par un vice, et, dans l'affirmative, si ce vice était tel que le fabricant et le commerçant auraient dû normalement le déceler, auquel cas la clause restrei­-gnant leur responsabilité devait être sans effet.

16. GARANTIE DES VICES. -BREF DÉLAI. -Conformément aux principes rappelés dans une précédente chronique (1953, p. 312, no 12), en ce qui concerne le «bref délai» imposé par l'article 1648 pour l'action en garantie des vices, il a été jugé (réf. comm. Bruxelles, 31 octobre 1956, J. T., 1956, p. 733) que le juge des référés, auquel une expertise est demandée, préjugerait du fond en déclarant expiré le bref délai imposé par la loi, lorsque six mois se sont écoulés depuis la livraison, mais qu'il s'agit d'une énorme quantité de marchandises : 50.000 mètres de toile destinée à faire des sacs à pommes de terre, et dont le vice ne peut apparaître que peu à peu et au cours de la fabrication des sacs. _Le tribunal de commerce de Liège (4 octobre 1958, J.-T~,

.1959, ·p. 211, notes de jurisprudence) a décidé dans le même esprit que -le délai ne courait pas nécessairement à partîr de la livraison, tout dépendant de. la nature ~u vice, qui peut être

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telle qu'il n'apparaîtra que des années plus tard (cons. également sur la question les très intéressants commentaires de J. CAR­BONNIER à propos de cass. fr., 10 juillet 1956 et 3 octobre 1956, Rev. trim. dr. civ., 1957, p. 141, no 1).

17. GARANTIE DES VICES. - ACTION RÉDHIBITOIRE ET ACTION

ESTIMATOIRE.- La Cour d'appel de Bruxelles (20 décembre 1957, Pas., 1959, II, 26) a décidé que, s'il est admis que l'on peut se désister de l'action rédhibitoire pour intenter l'action esti­matoire, ce changement, en vertu de l'autorité de la chose jugée, n'est plus possible après l'échec de l'action rédhibitoire. Mais la Cour fait immédiatement une réserve sur ce dernier point : l'irrecevabilité de l'action estimatoire ne pourrait être opposée que pour autant que l'existence des vices ait été examinée et la demande jugée au fond (ce qui n'était pas le cas en l'espèce, l'action en rédhibition ayant été rejetée en raison de l'impossi­bilité où se trouvait l'acheteur de restituer la chose viciée).

D.ans la pensée de la Cour, il semble donc bien que, s'il avait été statué, dans la première action, sur l'existence des vices, et si la résolution. de la vente avait été rejetée, l'action esti­matoire ne serait plus recevable. Il va de soi que cette opinion est inattaquable si le jugement sur la première action a constaté que la chose n'était pas affectée d'un vice pouvant donner lieu à garantie. Mais en serait-il de même si le jugement rendu sur l'action rédhibitoire, tout en constatant l'existence d'un vice, ne l'avait pas considéré comme suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat~ C'est là une question qui permet la discussion. L'ayant examinée dans une précédente chronique {1956, p. 299, no 13), je prie le lècteur de bien vouloir s'y -référer.

18. ÜBLIGATION DE PAYER LE PRIX. - PACTE COMMISSOIRE

EXPRÈS. - On sait que l'obligation de l'acheteur de payer le prix est sanctionnée par la résolution de la vente. Cette résolution peut n'être pas prévue par les parties. C'est ce qu'on appelle le pacte commissoire tacite, la résolution devant être prononcée ,par le. juge, par application de l'article 1184 du Code civil.

S'il y a pacte commissoire exprès, c'est-à-dire si les parties prévoient elles-mêmes dans le contrat les conséquences du défaut de paiement du prix par l'acheteur, elles le font normalement

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sous l'une· des trois formes suivantes : ou bien, en déclarant en pareil cas la vente résolue, ce qui est considéré comme une simple référence au droit commun, et équivaut au pacte com­missoire tacite;- ou bien en stipulant que la vente sera résolue de plein droit, ce qui écarte · l'intervention du juge dans le mécanisme même de la résolution, mais maintient l'obligation d'une mise en demeure préalable;- ou bien encore en stipulant que la vente sera résolue de plein droit et sans sommation.

La Cour de cassation a décidé, dans ce dernier cas (31 mai 1956, Pas., 1956, I, 1051, note R. H., Rev. crit. jur. belge, 1956, p. 241, note KLUYSKENS, J. T., 1956, p. 697), que la vente était résolue par la notification par le vendeur à l'acheteur de son droit de résolution ; en effet, même en présence d'une pareille clause, le vendeur conserve son option entre la résolution et l'exécution du contrat. Une manifestation de sa volonté est donc nécessaire pour que l'acheteur sache à quelle branche de l'alternative il s'arrête (DE PAGE, t. II, n°8 898, 0, et 899). La Cour en déduit qu'une saisie opérée sur la chose vendue pa:r un créancier de l'acheteur, après que la résolution de la vente s'est réalisée par cette manifestation de volonté du vendeur, demeure sans effet et ne saurait former obstacle à la revendica­tion par le .vendeur de la chose qui était redevenue sa propriété (voy. sur ce problème la note KLUYSKENS, précitée, où ce système, pour exact qu'il soit juridiquement, est assorti d'une réserve au cas où serait établie une collusion entre le vendeur et l'acheteur, en vue de soustraire la chose aux créanciers de l'acheteur).

Le tribunal de commerce de Courtrai (12 février 1957, Pas., 1958, III, 70), dans un jugement déjà cité à la présente chronique (no 1), décide, dans le même sens, que la clause résolutoire expresse est opposable aux tiers, lorsque, au moment où elle opère, le vendeur n'est pas en concours avec eux. Il précise que ce concours du vendeur avec les créanciers de l'acheteur ne se produit, en cas de faillite de l'acheteur, qu'à dater du prononcé du jugement déclaratif de faillite, sans rétroactivité au jour de la cessation des paiements (cass., 23 mai 1946, J. T., 1946, p. 420, note R. PIRET).

19. OBLIGATION DE PAYER LES ·FRAIS. - On sait que,· si l'acheteur doit en principe supporter les' frais de la vente (Code

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civ.,,art. 1593; DE PAGE, 't. IV, nos 88 et 89), les parties peuvent mettre cette obligation à charge du vendeur : c'est ce qu'on appelle la vente «contrat en main>> (DE PAGE, t. IV, no 90). Le tribunal civil de Gand (26 novembre 1959, J. T., 1960, p. 651) a décidé qu'en pareil cas les frais de mutation supplé­mentaires et l'amende fiscale devaient également être supportés par le vendeur.

20. ÛBLIGATION DE PRENDRE LIVRAISON. - SANCTION. -L'obligation de l'acheteur de prendre livraison de la chose est corrélative à celle qu'a le vendeur de la livrer. L'étendue de l'une et de l'autre dépend notamment de l'endroit où la chose a été stipulée livrable. En principe, on le sait, elle est quérable (Code civ., art. 1609), mais peut être stipulée portable, ce qui augmente évidemment l'étendue de l'obligation du vendeur. Peut-on en conclure qu'en pareil cas l'acheteur peut se confiner dans une attitude passive, et se borner à introduire une réclamation après coup, pour autant que son comportement ne puisse être consi­déré comme constitutif d'agréation ~ (Sur l'agréation de la chose par l'acheteur, voy. DE PAGE, t. IV, n°8 106 et suiv.) Le tribunal de commerce de Courtrai (8 janvier 1957, Bull. ass., 1957, p. 755) s'est prononcé sur cette question dans un cas qui devient de plus en plus fréquent à l'heure actuelle, celui de la livraison de mazout à introduire par le vendeur dans un réservoir appar­tenant à l'acheteur. Il a estimé que, si le transport est sous la responsabilité du vendeur (si donc la chose est stipulée livrable chez l'acheteur), cette responsabilité cesse au moment où le liquide est introduit dans la conduite, et ne s'étend ni au défaut éventuel du tuyau d'amenée au réservoir, ni au défaut du réservoir lui-même, dont le propriétaire est responsable. Il a estimé _également que l'acJJ.eteur devait, lors de la livraison, ~xaminer la qualité, la quantité, le poids des marchandises, et dès lors, dans le cas de livraison de mazout, devait s'informer auprès du convoyeur et exercer u1 contrôle sur la livraison, sachant mieux que quiconque ce dopt il a besoin et quelle est la capacité de son réservoir. En fait, le préposé du vendeur avait transvasé trop de mazout et causé ainsi de sérieux dom­mages à la propriété· de l'acheteur, et l'on peut vraiment se demander qui était enfau.te, et .si le tribunal ne s'est pas montré exagérément indulgent · pour le . vendeur, à qui, semble-t-il,

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l'acheteur doit pouvoir se fier lorsqu'il s'agit d'opérations de ce genre.

Lorsque l'acheteur ne prend pas livraison au terme convenu, on sait que l'article 1657 du Code civil, dérogeant au droit commun, décide que, si la vente porte sur des denrées ou effets mobiliers, la résolution de la vente s'opérera au profit du ven­deur, de plein droit et sans sommation, à l'expiration du terme convenu pour le retirement. Cette disposition suppose qu'un terme a été fixé par les parties pour le retirement. C'est ce qu'a rappelé la Cour d'appel de Bruxelles (17 juin 1958, Pas., 1959, II, 109). Mais il est admis que ce terme ne doit pas nécessai­rement être exprès: il pourrait être tacite, et résulter notamment d'usages bien établis (DE PAGE, t. IV, n° 202bis; Gand, 23 décem­bre 1913, Pas., 1914, II, 75; cass. fr., 21 avril 1950, S., 1951, I, 47, Rev. trim. dr. civ., 1951, p. 262, avec les observations de J. CARBONNIER). D'autre part, encore faut-il que ce terme n'ait pas été fixé dans l'intérêt exclusif du vendeur, par exemple pour lui donner le temps de se procurer lui-même la chose: s'il en était ainsi, l'article 1657 devrait être écarté (PLANIOL et RIPERT, t. X, n° 288).

§ 2.- Vente d'une chose incorporelle.

21 .. CESSION DE CRÉANCE FUTURE. - La Cour· de cassation (9 avrill959, Pas., 1959, I, 793, avec les conclusions du procurerir général Hayoit de Termicourt) s'est prononcée dans une affaire de cession de créance future, dont la validité est très générale­ment admise, bien que cette validité soit rarement précisée dans ses conditions. Encore faut-il, pour que la cession en soit valable, que la créance future soit déterminée ou déterminable lors. de cette cession, ce qui n'était pas le cas en l'espèce : le cédant avait en effet cédé toutes sommes généralement quelconques qui lui étaient dues ou pourraient lui être dues par des tiers pour quelque cause que ce soit (le lecteur trouvera toutes les références sur la question dans les remarquables conclusions de M. Hayoit de Termicourt).

22. CESSION DE CRÉANCE . .:____ ÛPPOSABILITÉ AUX TIERS. -La Cour de cassation (3 septembre 1959, Pas., 1960, I, 1) a réaffirmé le principe posé par elle en 1952, d'après lequel le d~faut d'accomplissement de la notification prescrite par l'ar-

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ti(}le 1690 du Code civil ne peut être opposé par le débiteur cédé ni par tout autre tiers qui aurait -reconnu l'existence de la cession àe créance, même d'une manière implicite, pourvu qu'elle soit certaine (voy. Chronique 1953, p. 314, no 15).

CHAPITRE II. - LE LOUAGE DE CHOSES.

SECTION pe,- CoNDITIONS DE VALIDITÉ ET PREUVE.

_: 23. BAIL D'UNE CHOSE INDIVISE.- A l'occasion de la rédaction <;lu cahier des charges de la vente d'une chose indivise, laquelle avait été donnée à bail par un seul des indivisaires, le tribunal civil de Tournai (15 mai 1957, Pas., 1958, III, 69) rappelle un principe bien établi : le bail. d'une chose indivise, consenti par un des indivisaires, a les mêmes effets qu'un bail de chose d'autrui : il est valable entre les cocontractants, mais inopposable aux autres indivisaires (voy. Chronique 1953, p. 315, n° 16).

24. FERMAGE. - LIMITATION. - CARACTÈRE. - Un arrêt de la Cour de cassation du 25 mai 1956 (Pas., 1956, I, 1023) décide que les dispositions limitant le fermage des biens ruraux (loi du 26 juillet 1952, art. 1er et 3) sont des dispositions impé­ratives, auxquelles il ne peut valablement être renoncé par anticipation, peu importe que le bien loué appartienne à un particulier ou à une personne de droit public (sur le caractère impératif des dispositions régissant le bail à ferme, qui cependant . .

ne sont pas d'ordre public, et sur les conséquences qu'il faut en tirer, voy. DE PAGE, Oompi. t. IV, p. 438, no 802; sur l'appli­cabilité· de ces dispositions aux personnes de droit public, voy. DE PAGE. ibid., p. 422, no 799, note 3, et p. 506, nos 817 et 819).

25. BAIL VERBAL. - CoMMENCEMENT D'EXÉCUTION. - L'ar­ticle 1715 du Code civil écarte, on le sait, la preuve testimoniale quel que soit le montant du litige, lorsqu'il n'existe ni écrit ni commencement d'exécution du bail (sur la portée exacte de l'article 1715, qui est certainement mal rédigé, voy. DE PAGE, ~· IV, no 529). _ 1 .

L'une des questions que ce texte su~cite dans son application pratique est celle du sens qu'il faut attacher à l'expression

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«commencement d'exécution». Notre Cour de cassation a refusé de le trouver dans une occupation, même prolongée, mais­gratuite, et qui n'est donc pas à titre de locataire, quand même les parties auraient eu des pourparlers, n'ayant d'ailleurs pas abouti, au sujet de l'établissement d'un éventuel loyer (cass., 25 octobre 1945, Pas., 1945, I, 256; P. DEMEUR, «Examen de jurisprudence», Rev. crit. jur. belge, 1950, p. 75, no 19).

La Cour de cassation de France, appelée à se prononcer à deux reprises sur le sens d'une occupation, l'a considérée, dans un cas, comme précaire et non constitutive de commence­ment d'exécution, parce que faite, en quelque sorte, alieni juris (2 décembre 1954, D., 1955, J., 24), -et, dans l'autre cas, comme étant un commencement d'exécution, nonobstant l'absence de quittance, à cause des habitudes du bailleur et de la situation respective des parties (8 décembre 1955, D., 1956, J., 175. Adde les observations de J. CARBONNIER, à propos de ces deux arrêts, dans Rev. trim. dr. civ., 1956, p. 365, no 4; voy. également, dans un cas plus particulier, celui de la participation du soi­disant preneur à la mise en état d'un chemin destiné à desservir la ferme prétendument louée, cass. fr., 20 avril 1956, Sem. jur., 1956, J., 9437, Rev. trim. dr. civ., 1956, p. 741, no 2, avec les observations de J. CARBONNIER; cons. aussi- sur la question la note deR. MEuRISSE sous cass. fr., 24 octobre 1958, S., 1959, J., 1).

Le tribunal civil d'Anvers s'est, pendant la période sous rubrique (25 mars 1958, J. T., 1958, p. 551), prononcé sur le cas où une quittance constatait qu'un acompte avait été donné sur des loyers concernant un bail à prendre cours ultérieurement, alors que rien n'établissait qu'il eût été versé à titre de dédit. Le tribunal a vu dans cette quittance tant un commencement d'exécution du bail qu'une reconnaissance écrite de l'existence de la convention, ce qui témoignait à un double titre du respect de l'article 1715.

SECTION Il. - EFFETS DU LOUAGE DE CHOSES.

§ 1er.- -Effets communs à tous louages.

26. GARANTIE DES VICES. -CoNDITIONS. ~Bien que la loi ne le dise pas, il est unanimement admis que le bailleur ne doit

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la garantie que des vices cachés, c'est-à-dire de ceux que le preneur n'a pas connus et n'aurait pas normalement dû connaître au moment de la conclusion du contrat (DE PAGE, t. IV, n° 625).

La Cour de cassation (4 février 1960, Pas., 1960, I, 631) a rappelé ce principe dans une affaire où le juge du fond semblait l'avoir quelque peu perdu de vue. Il s'agissait de la location d'une salle de spectacle, que l'autorité compétente avait ensuite fait fermer, les locaux n'étant pas aménagés conformément à la réglementation en vigueur. Le locataire demandait au bailleur la réparation du vice, c'est-à-dire l'exécution des travaux néces­saires, plus des dommages-intérêts~ Le ,juge du fond avait déféré à cette demande, tout en constatant ~"?-e le preneur aurait pu ou dû normalement se rendre compte des défectuosités en question. La Cour casse pour violation de l'article 1721 du Code civil.

La Cour d'appel de Bruxelles (24 mars 1956, J. T., 1956, p. 277) a, au contraire, constaté très exactement l'existence d'un vice caché· dans -la défectuosité d'une installation électrique, laquelle avait entraîné la mort d'un des locataires. Pour échapper­à sa responsabilité, l~ bailleur opposait une série de moyens que la Cour a écartés à bon droit, bien que les arguments juri­diques sur lesquels elle se fonde ne paraissent pas tous à l'abri de la critique.

27. ÛBLIGATJON DU PRENEUR DE SUPPORTER CERTAINS IMPÔTS. ~TAXE DE CRISE.- Il arrive fréquemment que la convention mette à charge du preneur des impôts qui incombent normale­ment au propriétaire du bien. Pareille clause est licite, cette

·charge constituant un élément du prix du bail (DE PAGE, t. IV, no 678). Mais il en est autrement pour la contribution nationale de crise, par application de l'article 4, § 1er, de l'arrêté du Régent du 16 janvier 1948.

La Cour de cassation (6 décembre 1956, Pas., 1957, I, 361, avec les conclusions du procureur général Hayoit de Termicourt) a estimé que ce texte, bien qu'inséré dans une loi d'impôt, ne réglait qu'une des conditions des baux d'immeubles. Elle en a déduit que cette disposition, bien qu'impérative, n'était pas d'ordre public (sur cette distinction, voy. supra, n° 24) : comme elle n'a pour objet que de protéger des intérêts privés, ceux du preneur, celui-ci peut renoncer à se prévaloir de la nullité

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de l'obligation qu'il a contractée, pourvu que cette renonciation ne soit pas antérieure à l'exécution de cette obligation.

- 28. OBLIGATION DE GARNIR. - PRIVILÈGE DU BAILLEUR. On sait que le preneur doit, sous peine d'expulsion, garnir la maison louée de «meubles suffisants» (Code civ., art. 1752. Sur le fondement de cette obligation, et ses rapports avec le privilège du bailleur, voy. les développements très intéressants de M .. DE PAGE, t. IV, no 644).

L'étendue de cette obligation est évidemment en rapport avec la destination du bien loué (DE PAGE, t. IV, n° 645). C'est le principe qu'a appliqué la Cour de cassation (18 octobre 1957, Pas., 1958, I, 149) en décidant que, lorsqu'il s'agit d'un garage, les éléments mobiliers composant l'outillage et les marchandises qui servent à l'exploitation du garage répondent à la notion de «mobilier» tel que le prévoit une clause du bail posant comme condition que le garage doit être garni d'un «mobilier suffisant » pour garantir le paiement du loyer.

D'autre part, en ce qui concerne le privilège du bailleur, le tribunal civil de Bruxelles (14 décembre 1959, J. T., 1960, p. 29) a décidé qu'il portait sur tout ce qui garnit le bien loué, même ce qui appartient à un tiers, celui-ci ne pouvant revendiquer son bien que s'il prouve que le bailleur savait que certains meubles appartenaient à autrui au moment de leur introduction dans le bien loué (dans un sens analogue, à propos de bétail confié à un fermier par un tiers en vertu d'une convention de cession de droit de pâturage, et faisant normalement partie du gage du bailleur : Liège, 10 décembre 1957, J. T., 1959, p. 132, note V. RENIER). Le jugement décide aussi que le bailleur peut faire valoir son droit aussi bien par la saisie-exécution que par la saisie-gagerie; en effet celle-ci n'est qu'une mesure conser­vatoire, tandis que la première est une saisie exécutoire (sur la distinction entre saisies conservatoires et saisies exécutoires, voy. DE PAGE, t. VI, no 744) .

. 29. OBLIGATION DU PRENEUR EN CAS D'INCENDIE. -On sait que l'article 1733 du Code civil oblige le preneur à réparer les ·conséquences de l'incendie de la chose louée.

Pour échapper à cette responsabilité, il lui faudra établir la cause ,étrangère; d'après un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles

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(27 novembre 1957, Pas., 1958, II, 278), il pourrait le faire d'une manière négative, en établissant que la cause lui est nécessairement étrangère, même si elle est demeurée inconnue.' Mais l'arrêt précise qu'à cet égard, le seul fait que le bailleur ou son représentant occupait une partie de l'immeuble incendié est sans incidence sur la responsabilité du preneur.

Un autre arrêt de la même cour, du 1er mars 1958 (Pas., 1

1958, II, 283), rappelle la règle ad~ise par la jurisprudence belge, d'après laquelle la responsabili~é du preneur en cas d'in­cendie n'est pas une responsabilité aquilienne présumée, mais une responsabilité contractuelle fondée sur l'obligation du preneur de restituer la chose ·louée (sur les diverses questions de droit soulevées par ces deux arrêts, voy. précédente chronique, 1953, p. 320, no 21).

Ce dernier arrêt se prononce également sur l'étendue de la responsabilité des locataires, lorsqu'ils sont plusieurs à occuper l'immeuble. En pareil cas, l'article 1734 du Code civil les déclare tous solidairement responsables de l'incendie. Cette solidarité que rien ne justifie (voy. DE PAGE, t. IV~ Oompl., nos 703, 704, 704bis et 705, lequel estime même qu'il s'agit, nonobstant les termes de la loi, d'une responsabilité divise, et non solidaire) est cependant établie d'une manière formelle par le Code civil. Mais la Cour de cassation (16 novembre 1944, Pas., 1945, I, 34), inter­prétant ce texte dérogatoire au droit commun d'une manière aussi restrictive que possible, en écarte l'application lorsque le bailleur occupe une partie de l'immeuble loué (voy. aussi les remarquables conclusions du·· procureur général Léon Cornil, précédant cet arrêt, dans 1esquelles, poussant: le raisonnement jusqu'à ses conséquences extrêmes, mais parfaitement justifiées, il écarte la solidarité des locataires dès que le bailleur a la maîtrise d'une partie, même vacante, du bâtiment, soit qu'il y ait mis un concierge pour des services communs, soit qu'un appartement soit sans locataire). C'est ce principe qu'applique la Cour de Bruxelles, en rappelant que le mot·« solidairement>> est employé par l'article 1734 dans son sens juridique, et que ce texte régit le cas où deux locataires se partagent l'immeuble, sans qu'il soit établi qu'aucune partie en était restée à la disposition du bailleur.

· 30. RESPONSABILITÉ DU PRENEUR DU FAIT DE SES. SOUS­

LOCATAIRES. -La Cour de cassation (2 avril 1959, Pas., 1959,

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I, 765) a fait application du principe posé par l'article 1735 du Code civil, qui rend le locataire responsabie du fait de ses sous-locataires, pour casser deux jugements émanant du tribunal civil de Liège, siégeant en degré d'appel, lesquels avaient exigé, pour justifier la responsabilité du locataire primitif, la preuve d'une faute dans son chef. La Cour suprême rappelle que, par application du principe général posé par ce texte, la faute des sous-locataires doit être considérée comme celle du preneur principal (DE PAGE, t. IV et Compt., no 730).

31. CoNSTRUCTIONS ÉRIGÉES PAR LE PRENEUR. - DROITS DES PARTJES. - La Cour de cassation (9 février 1956, Pas., 1956, I, 599) s'est prononcée dans le même sens qu'en 1954 (voir précédente chronique, 1956, p. 306, n° 21), lorsque .le preneur a obtenu du juge un délai de grace pour déguerpir des lieux loués : en pareil cas, le droit d' option du bailleur, quant aux constructions ou améliorations apportées par le pre­neur au bien loué, ne naît qu'à l'expiration du délai de grace.

D'autre part, un jugement du juge depaix de Namur (29 mai 1959, Ann. not., 1960, p. 141) a statué sur le cas ou des cortstruc­tions avaient été faites en commun par le locataire principal et par le sous-l9cataire, une clause du bail principal réglant la question entre bailleur et preneur principal, maïs aucune clause du « sous-bail >> ne réglant la question entre preneur principal et sous-locataire.

Le jugement se prononce pour la théorie de l' accession a vee application de l'article 555 du Code civil, mais lui donne, à juste titre, un caractère supplétif de la volonté des parties, et l'écarte donc lorsqu'elles ont manifesté leur volonté à eet égard. Voyez notamment sur cette question DE PAGE, t. IV, n° 689, qui estime que l'article 555 ne peut être appliqué que d'une manière purement analogique, et qu'il ne saurait régler la situation des parties lorsque le bailleur choisit de conserver les constructions ; en pareil cas, la solution doit être trouvée dans le droit commun de l' enrichissement sans cause, et consister dans le rembourse­ment par le bailleur, non du prix des matériaux et de la main­d'oouvre, mais de la plus-value, sans pouyoir dépasser le montant de l'appauvrissement réel du preneur. Il y a lieu de remarquer que ce système · n'est pas celui qu'a consacré la législation sur les baux à ferme, l'article 1778, §Ier, alinéa 7, fixant l'indemnité

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due par le bailleur - à défaut de convention sur ce point - à la valeur des ouvrages à la fin de l'occupation, compte tenu de la vétusté. En ce qui concerne la jurisprudence française, elle semble demeurer fermement attachée à l'application stricte de l'article 555 (cass. fr., 7 mars 1955, D. S., 1955, J., 590, note R. SAINT-ALARY, Sem. jur., 1956, J., 9053, note A. WEILL, Rev. trim. dr. civ., 1956, p. 371, avec les observations de H. SoLUS. Adde : R. SAINT-ALARY, «Les constructions, plantations et ouvrages faits par le preneur sur les lieux loués», Rev. trim. dr. civ., 1947, p. 263 et suiv.; J.-P. DELMAS-SAINT-HILAIRE, «De l'application de l'article 555 du Code civil dans les rapports des personnes qu'unit un lien d'obligation», Rev. trim. dr. civ., 1959, p. 411 et suiv.).

D'autre part, ce même jugement avait décidé que, faute de convention entre locataire principal et sous-locataire, les con­structions érigées par eux à frais communs faisaient l'objet d'un droit de superficie indivis, ne devenant un droit de propriété immobilière intégrale (de superficie) qu'à l'expiration de la. convention de sous-location.

Le jugement a été réformé sur ce point par une décision du tribunal civil de Namur (17 novembre 1959, signalée, sans autre référence, dans la note sous le jugement a quo, .Ann. not., 1960, p. 146), lequel constate que le droit de superficie ne peut se réaliser · que si son titulaire possède le droit de construire sur le sol d'autrui (DE PAGE, t. VI et Gompl., n° 684), et que dès lors, ce droit n'appartenant qu'au locataire principal, il ne pouvait être question de « cosuperficiaires indivis».

32. RÉSILIATION PAR LA FAUTE DU PRENEUR. - DOMMAGES­INTÉRÊTS.- Un jugement du tribunal civil de Bruxelles (10 mai 1958, Pas., 1959, III, 12) estime qu'il y a lieu de distinguer nettement deux sortes d'indemnités qu~ peuvent être dues au bailleur, en cas de résiliation du bail au~ torts du preneur avant l'expiration normale du contrat : d'une part l'indemnité de relocation, à caractère forfaitaire, et destinée à réparer la perte de loyers (art. 1760), et d'autre part, l'indemnité d'indisponibilité, destinée à réparer également une perte de loyers, non plus « pendant le temps nécessaire à la relocation », mais pendant la période où le bien a été . indisponible parce qu'il a dû subir des travaux de remise en état, à la suite des dégâts locatifs

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causés par le preneur. Ces deux indemnités, dit le jugement, dérivent de causes différentes.

L'indemnité dite « de relocation » est-elle véritablement· for­faitaire? C'est une question qui demeure fort discutée (voy. en sens divers : Rép. prat. droit belge, v 0 Bail (en général), Bail à loyer, n° 288 ; PLANIOL et RIPERT, t. X, no 635). A-t.,.elle une autre cause que l'indemnité dite « d'indisponibilité » 1 Il est également permis d'en douter, toutes deux semblant bien être la simple application du droit commun de l'article 1184 du Code civil (voy. DE PAGE, t. IV, n° 748). Mais ce qui semble exact, et justifie la solution apportée par le tribunal de Bruxelles, c'est que, les possibilités de relocation n'existant guère tant que le bien est l'objet de travaux de réfection, les dommages­intérêts que doit le preneur du chef de perte de loyers s'éten;. dront sur une double période : celle pendant laquelle le bien est indisponible, et celle qui, les travaux terminés, paraîtra nécessaire au juge pour permettre au propriétaire de trouver un nouveau preneur. Il faut d'ailleurs reconnaître que l'arti­cle 1760 du Code civil·n'est pas rédigé en termes particulièrement clairs, et que la manière dont il prévoit deux sortes de dommages­intérêts est à tout le moins équivoque.

33. ALIÉNATION DU BIEN LOUÉ. - DROIT D;EXPULSER LE PRENEUR.- On sait qu'en cas d'aliénation du bien loué, le bail n'est opposable à l'acquéreur que moyennant certaines forma­lités, et que, même lorsque ces formalités ont été accomplies, l'expulsion du preneur peut avoir été prévue dans le bail. On distingue donc deux sortes d'expulsions en pareil cas : une expul­sion conventionnelle, prévue par le contrat nonobstant l'accom­plissement des formalités rendant en principe le bail opposable à l'acquéreur; une expulsion légale, au cas où ces formalités n'ont pas été accomplies.

En ce qui concerne la faculté d'expulsion conventionnelle, la Cour de cassation (7 juin 1956, Pas., 1956, I, 1072, J. T., 1956, p. 696) a été appelée à préciser le sens de l'article 1743 du Code civil, dont la rédaction est loin d'être parfaite. Le « il n

qui s'y trouve à la dernière phrase semble, grammaticalement, s'appliquer à l'acquéreur, mais le contexte écarte cette inter­prétation, un acquéreur futur et inconnu n'ayant pu se réserver aucun droit par le contrat de bail. Faut-il en conclure qu'en

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pareil cas seul le bailleur, qui s'est réservé ce droit, pourrait, s'il aliène le bien, expulser le preneur 1 Le tribunal civil de Tournai i'avait cru. La Cour suprême a cassé son jugement, estimant que l'article 1743 donne le droit à l'acquéreur d'expulser le preneur lorsque le bailleur s'est rése~vé ce droit dans le contrat de bail. Si cette interprétation ne résulte pas des termes du texte,

1

elle en applique certainement l'esprit, une stipulation pour autrui y étant évidemment impliquée (PLANIOL et RIPERT, t. X, no 651).

D'autre part, dans un cas d'expulsion légale, due à ce qu'un .bail de dix-huit ans n'avait pas été transcrit, les parties. l'ayant conclu par acte sous. seing privé enregistré, et était dès lors inopposable à l'acquéreur au -delà de la période de neuf ans en cours (loi du 16 décembre 1851, art. 1er), la Cour de cassation s'est prononcée (17 avril 1959, Pas., 1959, I, 826) sur le point de savoir si le bailleur était ou non responsable;· à l'égard du preneur, des conséquences de cette expulsion.

La Cour a décidé que, à supposer même que le preneur eût commis une négligence en n'exigeant pas l'acte authentique qui eût permis la transcription, il n'en résulterait pas que le bailleur n'avait pas manqué à ses obligations contractuelles, soit en ne faisant plus jouir paisiblement le preneur du bien loué, soit en n'imposant pas à l'acquéreur le respect du bail. Elle souligne également que le défaut de 'transcription entraîne des effets à l'égard des tiers, mais- ne décharge pas le bailleur de ses obli~ gations contractuelles (voy. dans ce sens DE PAGE, t. VII, nos 1058 et 1067).

La question est un peu plus délicate lorsqu'il s'agit de l'inoppo­sabilité du bail à l'acquéreur, non par défaut de transcription lorsqu'il a une durée de plus de neuf ans, mais par défaut de date certaine lorsque sa durée ne dépasse pas neuf ans (Code civ., art. 1743). En pareil cas, ce n'est plus l'intérêt des tiers qui est la justification du texte, c'est l'intérêt des parties ou d'une des parties au contrat de bail. Mais laquèlle 1 Il semble bien que ce soit l'intérêt du bailleur : le maintien de principe du bail moyennant la date certaine a en effet pour but d'éviter -au b~illeur le recours en dommages-intérêts du preneur expulsé par l'acquéreur (voy. DE PAGE, t. IV, no 763). Dès lors, et bien que la question soit très controversée, il semble qu'il faille en conclure que ce texte n'impose aucune obligation au preneur,

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que, dès lors, l'absence de date certaine ne peut lui être imputée à faute, et que l'expulsion qui en est la conséquence doit lui permettre d'agir en garantie contre son bailleur {DE PAGE, t. IV, n° 768, 0; .4dde ;. R. DALLANT, «Les positions actuelles de l'article 1743 du Code civil», Sem. jur., 1958, D., 1431).

§ 2.- Effets spéciaux aux baux commerciaux.

34. MÉTHODE EMPLOYÉE. - L'énorme quantité de décisions intervenues en cette matière dépassant le cadre de cette chro­nique, je me bornerai à indiquer succinctement quelques prin­cipes consacrés par la Cour de cassation, e:n renvoyant le lecteur, pour le surplus, à l'excellente Chronique. de jurisprudence de MM. LA HAYE et VANKERCKHOVE, J. T., 1956, p. 661 et suiv., 1957, p. 693 et suiv., 1958, p. 342 et suiv., 1959, p. 42 et suiv. et 341 et suiv., et 1960, p. 422 et suiv.

35. NoTION DU. BAIL COMMERCIAL. '-La loi du 29 juin 1955 a modifié l'article 1er de la loi du 30 avril 1951 dans le but d'élargir le champ d'application de cette dernière loi, en la ren­dant applicable au cas où le commerce de détail n'est pas exercé par le preneur lui-même, mais par un sous-locataire (voy. Chro­nique 1956, p. 308, n° 24). Cette loi de 1955 n'est pas interpréta­tive, mais modificative d'une loi antérieure. Bien qu'applicable aux baux commerciaux en cours et aux affaires pendantes, elle n'à cependant pas d'effet rétroactif proprement dit, en ce sens qu'elle n'a pu faire qu'avant son entrée en vigueur, un sous­locataire ait pu valablement demander le renouvellement du bail commercial (cass., 22 mai 1959, Pas., 1959, I, 963).

36. CESSION DU BAIL PAR LE PRENElJR. - La cession et la sous-location sont· permises au ,preneur, même si le bail lui interdit ces opérations, du moment qu'elles se font en même temps que la cession ou la location du fonds de commerce et portent s11r l'intégralité des droits du locataire principal (art. 10, al. 1er).

Le preneur. qui veut user de ce droit doit signifier au baillem le projet d'acte de cession ou de sous-location, le bailleur ayant trente jours à dater de cette significatiqn pour faire opposition à l'opération projetée (art. 1_0, al. 3).

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Si le preneur assigne le bailleur en validation de la cession projetée, avant l'expiration de ce délai de trente jours, mais pour une date postérieure à cette expiration, le bailleur ne voit en rien porter atteinte à l'intégralité de son délai d'opposition, et s'il n'a pas fait cette opposition avant l'expiration dudit délai, il est réputé avoir donné son agrément à la cession (cass., 14 février 1958, Pas., 1~58, I, 645, et la note).

37. DEMANDE DE RENOUVELLEMENT DU BAIL. - Lorsque le preneur a demandé le renouvellement de son bail, dans la forme et le délai prévus par l'article 14, alinéa 1er, et alors même qu'il n'avait pas le droit d'obtenir ce renouvellement, le fait pour le bailleur de ne pas s'opposer au renouvellement dans le délai fixé par la loi entraîne la conséquence que le bail est renouvelé (cass., 27 octobre 1955, Pas., 1956, I, 184, ·J. T., 1956, p. 68).

La demande de renouvellement doit indiquer les conditions auxquelles le preneur est disposé à conclure le nouveau bail. Si elle comprend seulement l'indication du loyer offert, le juge du fond qui, par une appréciation souveraine en fait, considère que le preneur n'a pas manifesté l'intention de maintenir les autres conditions du bail en cours, et, de ce fait, n'a pas permis au bailleur de sauvegarder utilement ses intérêts, décide légale­ment que la demande de renouvellement est nulle ( cass., 19 no­vembre 1959, Pas., 1960, I, 339).

Si le preneur est forclos de son droit de renouvellement, mais a été laissé en possession du bien loué, il s'est formé un bail à durée indéterminée; si le bailleur veut y mettre fin, il doit donner un congé de dix-huit mois au moins. Un congé plus court n'est pas nul, mais le preneur ne doit quitter les lieux qu'après dix-huit mois, et sauf son d·roit de demander le renou­vellement du bail (art. 14, al. 3; cass., 8 janvier 1960, Pas., 1960·, I, 510)".

S'il y a deux bailleurs, copropriétaires du bien, la demande de renouvellement est valablement !adressée à celui des deux qui, en vertu d'un accord existant entre lui et l'autre coproprié­taire, assume seul la gestion de l'immeuble (cass., 8 novembre 1956, Pas., J.957, I, 244, J. T., 1956, p. 727. Voy. aussiprécé­dente chronique, 1956,. p. 309, no 26).

La Cour de cassation. (3 janvier 1958, Pas., 1958, I, 456,

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_J. T., 1958, p. 382) a précisé la nature du droit du preneur . en cette matière, ainsi que les effets du renouvellement : le droit du preneur n'est pas d'obtenir le renouvelleme_nt du bail; c'est seulement le droit éventuel au paiement d'une indemnité d'évic­tion (dans le même sens : Liège, 24 octobre 1960, J. T., 1961, p. 118).

Quant au renouvellement, les conséquences de ce que le pre­neur n'y a pas droit sont, d'une part, que si le bailleur y consent, il se forme un nouveau bail dont les conditions resteront à préciser par les parties ou par le juge; d'autre part, que le renouvelle­ment suppose nécessairement l'intervention de la volonté des parties, et ne résulte pas de l'autorité seule de la loi.

38. REFUS DE RENOUVELLEMENT. - L'article 16 permet au bailleur de refuser le renouvellement pour divers motifs.

Il en est ainsi notamment de sa volonté d'occuper personnelle­ment l'immeuble loué (art. 16, I, 1°). Il ne réalise pas ce motif, et doit une indemnité d'éviction au preneur (voy. infra, no 39), si, dans le délai légal et sans justifier d'un motif grave, il n'occupe qu'une partie du bien et donne le surplus en location à un tiers

- (cass., 15 mars 1956, Pas., 1956, I, 755, J. T., 1956, p. 491; 14 novembre 1957, Pas., 1958, I, 261). Ille réalise au contraire, même s'il aliène le bien dans les deux ans de la reprise, dès lors qu'il continue à l'occuper effectivement (cass., 12 juillet 1956, Pas~~ 1956, I, 1284, J. T., 1956, p. 696).

Un autre motif est la volonté du bailleur de reconstr·uire l'immeuble (art. 16, I, 3°). Encore faut-il qu'il le reconstruise

'lui-même. S'H aliène le bien en imposant à l'acquéreur de le faire, l'indemnité d'éviction, qui était normalement d'un an, est

-portée à trois ans, à moins qu'il justifie d'un motif grave (cass., 15 février 1957, Pas., 1957, I, 716, J. T., 1957, p. 586).

Si le bailleur ne réalise pas, dans les six mois et pendant deux ans au moins, l'intention pour laquelle il a refusé le renou­vellement au preneur, il doit à ce dernier une indemnité d'éviction de trois ans, augmentée éventuellement de la réparation intégrale

-du préjudice causé au preneur, à moins qu'il puisse établir un motif grave justifiant cette non-réalisation (art. 25, 3°).

L'existence et la gravité de ce motif sont appréciées souveraine­ment par le juge du fond. Il ne doit pas consister dans un càs fortuit ou de force majeure (cass., 17 novembre 1955, Pas., 1956,

REV. ORIT., 1961. - 17

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I, .256, J. T., 1956, p. 53), niais il ne suffit pas que le bailleur n'ait eu aucune volonté de fraude (cass., 15 février 1957, Pas., 1957, I, 716, J. T., 1957, p. 586).

Dans cette appréciation souveraine du motif, le juge du fond ne sort pas de son pouvoir en décidant que l'aliénation du bien, réalisée par le bailleur en vue d'opérer lui-même une acquisition avantageuse, ne constitue pas un jhste motif (même décision).

. 1

39. INDEMNITÉ n'ÉVlCTION. - 1° Cas où aucune indemnité n'est due : L'indemnité d'éviction, prévue par l'article 25, n'est pas due lorsque le refus de renouvellement du bail par le bailleur est justifié par des manquements graves du preneur à ses obli­gations (art. 16, I, 4°). Il en est ainsi même si le refus de renou­vellement est aussi justifié par un autre motif (cass., 2 mai 1958, Pas., 1958, I, 963, J. T., 1958, p. 360).

2o Réparation intégrale du préjudice causé : En dehors de · l'indemnité de trois ans de loyer due par le bailleur et le tiers nouvel occupant, lorsque le bailleur ou le nouveau preneur ouvre, avant l'expiration d'un délai de deux ans, un commerce similaire sans en avoir donné connaissance au preneur sortant lors de son éviction, celui-ci a droit également à la réparation intégrale du préjudice qui lui a été causé (art. 25, 6°). La somme destinée à assurer cette réparation intégrale peut être fixée par le juge ex aequo et bono, s'il fait apparaître le caractère déter­minant des éléments d'appréciation sur lesquels il fonde son évaluation, et constate que la diversité de ces éléments fait obstacle à un calcul précis et rigoureux (cass., 29 novembre 1957, Pas., 1958, I, 337).

30 Condition d'obtention de l'indemnité : En règle générale, et notamment dans le cas de l'indemnité de deux ans du loyer stipulé dans le nouveau bail, due lorsque le nouveau preneur, qui a fait une offre supérieure conformément à l'article 23, exerce dans l'immeuble un commerce similaire à celui du preneur sortant (art. 25, 40 et 5o), l'indemnité n'est due que si le preneur a régulièrement manifesté la volonté d'obtenir le renouvelle­ment du bail, et s'est vu refuser ce renouvellement (art. 25, al. J_er; cass., 25 avril 1958, Pas., 1958, I, 946, J. T., 1958, p. 399).

4° Possibilité de modification conventionnelle ou judiciaire de

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l'indemnité : L'article 25, alinéa 1er, admet que les parties conviennent d'une indemnité différente de l'indemnité forfaitaire prévue par les alinéas suivants du même texte, pourvu que leur accord sur ce point soit postérieur à l'ouverture du droit à indemnité (cass., 5 octobre 1956, Pas., 1957, I, 93, J. T., 1956, p. 635).

D'autre part, l'article 25, alinéa antépénultième, prévoit que, dans le cas d'exercice d'un commerce similaire dans l'immeuble, le preneur peut se pourvoir devant le juge si l'indemnité forfai­taire apparaît manifestement insuffisante. Il en est ainsi quand le bailleur retire de l'éviction un profit présentant une impor­tante disproportion avec le montant de l'indemnité forfaitaire (cass., 1er décembre 1955, Pas., 1956, I, 313).

5° Action en paiement de l'indemnité : Le délai d'intentement de l'action en inde~nité est d'un an à dater du fait donnant ouverture à l'action (art. 28), tandis que le délai d'intentement de l'action en contestation du refus de. renouvellement est de trente jours à dater de la réponse du bailleur (art. 16, I, 4o, alinéa final).

L'article 16, IV, décide qu'en dehors des cas prévus par la loi où le bailleur peut se refuser au renouvellement (l'article 16, I, permettant ce refus soit sans indemnité, soit moyennant une indemnité qui est au maximum de deux ans de loyer), il peut également opposer le même refus, sans autre condition cette fois que le paiement d'une indemnité de trois ans de loyer, ~ajorée éventuellement des sommes suffisantes pour assurer une répa­ration intégrale du préjudice causé au preneur. L'action en paie­ment de l'indemnité d'éviction, ouverte au preneur en pareil cas, n'est pas une action en contestation du refus de renouvellement du bail, et doit donc être intentée, non dans le délai de trois mois, mais dans celui d'un an (cass., 8 novembre 1956, Pas., 1957, I, 244, J. T., 1956, p. 727).

D'autre part, si le droit à indemnité naît, dans le chef du preneur, dès le moment où le refus de renouvellement du bailleur est exprimé dans les formes légales, le preneur ne peut demander en justice le paiement de cette indemnité avant que soit con­sommé le fait de l'éviction, point de départ de la prescription d'un an (cass., 22 février 1957, Pas., 1957, I, 750, J. T., 1957, p. 588).

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26.4 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

§ 3. - Effets spéciaux aux baux à ferme .

. 40. MÉTHODE EMPLOYÉE.- Pour les motifs énoncés au no 34, la même méthode que pour les baux commerciaux sera employée pour les baux à ferme. Pour le surplus, voy. LA HAYE èt V AN­KERCKHOVE, Chronique de jurisprudence, J. T., 1959, p. 44 et suiv. et 345 et suiv.

4L INEXÉCUTION DE SES OBLIGAJIONS PAR LE FERMIER. -L'article 1766 du Code civil permet lau bailleur de faire résilier judiciairement le bail pour une série de motifs qui constituent tous des· manquements du ·fermier à ses obligations. Encore le juge du fond, qui constate ces· manquements, ne doit-il pas employer les termes mêmes de la loi pour les qualifier, du moment que les causes de résolution qu'il admet constituent des applications de ces manquements (cass., 9 mars 1956, Pas., 1956, I, 726).

42. EXCEPTIONS OU. DÉROGATIONS A LA DURÉE MINIMUM DU BAiL. - L'article 1774, § ~' du Code civil admet notamment 'comme excepti·on à la durée du bail à ferme, telle qu'elle résulte du § 2 du même article, le mis· où le bail porte sur des terrains ·qui, vu leur situation, doivent êtrè considérés comme terrains à bâtir ou à destination industrielle. Le texte est applicable à la location du terrain qui présente ce caractère, même s'il ne constitue pas l'élément principal des biens loués (cass., 20 sep­tembre 1957, Pas., 1958, I, 13, J. T., 1957, p. 620).

D'autre part, l'article 1774, § 2, II, autorise les parties à convenir dans le bail que le bailleur pourra, dans le, but d'exp~0iter le bien lui-mêrriè ou d'en céder l'exploitation à certaines per­sonnes, mettre fin au bail soit pendant la première occupation de neuf ans, soit pendant la période de prorogation légale, c'est-à-dire la seconde pérjode d'occupation de neuf ans. Ce texte

·permet donc une dérogation conventionnelle à la durée obligatoire de neuf ans, et autorise la résHiation avant l'arrivée du terme, moyennant un congé de deux ans (~ass., 4 mars 1960, Pas., 1960, I, 775).

43. CoNGÉ. --,-- MoTIFS. - MENTIONS. - On sait que, même lorsque le terme du bail à ferme est arrivé, ce bail ne peut

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prendre fin que par un congé, fondé sur un motif sérieux ( arti­cle 1775).

Parmi les motifs cités en exemple par la loi se trouve l'inten­tion du bailleur d'exploiter lui-même le bien loué ou d'en céder l'exploitation à certaines personnes. L'exploitation par le pro­priétaire lui-même s'entend non seulement du cas où il réalise matériellement cette exploitation lui-même, mais aussi de celui où il l'exerce par l'intermédiaire d'un tiers, mais à son compte exclusif et à ses risques (cass., 20 mars 1959, Pas., 1959, I, 742, J. T., 1959, p. 332; 30 janvier 1959; Pas., 1959, I, 550; 5 juil­let 1957, Pas., 1957, I, 1327, J. T., 1957, p. 755).

D'autre part, le même article 1775. (al. 3) impose au bailleur, à peine de nullité du congé, d'indiquer clairement les motifs pour lesquels il est donné, et d'informer le preneur qu'il peut y faire opposition dans les délais et les formes prescrits aux deux alinéas suivants. Les dispositions de ces deux alinéas ne doivent pas être rejJrises dans le congé : il suffit que le congé informe le preneur qu'il peut y faire opposition dans les délais et formes prescrits par l'article 1775 du Gode civil (cass., 20 mars 1959, Pas., 1959, I, 742, J. T., 1959, p. 332).

44. CoNGÉs succESSIFS. - L'article 1776, alinéa 3, du Code civil interdit, lorsqu'un congé n'a pas été validé par le juge, d'en donner un nouveau moins de trois ~ns après la notification du congé non validé. Cette interdiction.~'applique sans distinguer selon que l'invalidation résulted'une raison de fond ou d'un vice de forme (cass.,.ao·septembre 1959_, Pas., 1960, I, 30}.

Ce texte a une portée générale et s'applique même au congé donné au cours de la première occupation du bien (cass., 20 juin 1958, Pas., 1958, I, 1175}.

Il s'applique aussi au cas où le bailleur, après avoir donné congé à l'un des preneurs, donne un second congé, notifié aux deux preneurs. Ce second congé doit être considéré comme un nouveau congé (càss., 30 mai 1958, Pas., 1958, I, 1081}.

Enfin, il s'applique non seulement quand a été rendu, un jugement r'efusant de valide~ le premier congé, mais aussi lorsqur· r

le bailleur a renoncé à demander au juge cette validation ( cass. 6 juillet 1956, Pas., 1956, I, 1250,· J. T., 1956, p. 597}.

Mais il en estautrement quand il n'a pas été rendu de jugement invalidant le congé, mais que le bailleur n'a pas renoncé à en

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poursuivre en justice la validation : dans ce cas, il ne doit pas exister entre les deux congés un intervalle de trois ans (cass., 7 novembre 1958, Pas., 1959, I, 249).

45. CONGÉ EN CAS D'ALIÉNATION DU BIEN LOUÉ. - En cas d'aliénation du bien loué, l'acquéreur ne profite pas du congé donné au fermier par le bailleur primitif, en vue d'exploiter lui-même le bien ou de céder cette exploitation à l'un de ses proches. Si l'acquéreur entend en faire autant, il doit donner lui-même le congé prévu par l'article 1748 du Code civil (cass., 24 avril 1959, Pas., 1959, I, 861).

Si l'acquéreur du bien a donné congé au fermier, celui-ci est déchu du droit d'invoquer la nullité de ce congé, s'il n'y a pas fait opposition (art. 1775, al. 4; cass., 12 décembre 1957, Pas;, 1958, I, 389).

46. CoNSTRUCTIONS ÉRIGÉES PAR LE FERMIER.- Si le fermier a élevé des constructions sur le bien loué, avec l'autorisation du bailleur, celui-ci ne peut en exiger l'enlèvement à la fin de l'occupation. Il doit payer au fermier l'indenmité convenue, ou, à défaut, la valeur des ouvrages à la fin de l'occupation, eu égard à la destination du bien loué et compte tenu de la vétusté (Code civ., art. 1778, § 1er). Le paiement de cette indenmité n'inèombe, en principe, qu'à la personne qui avait la qualité de bailleur au rnoment où les constructions furent érigées. Mais si le bien a été vendu entretemps, l'acquéreur a valablement pu s'engager à supporter la charge de l'indemnité due au fermier; en pareil cas, le fermier peut réclamer cette indenmité soit au bailleur vendeur, soit à l'acquéreur (cass., 2 mai 1959, Pas., 1959, I, 886, J. T., 1959, p. 580).

CHAPITRE III. - LE LOUAGE D'OUVRAGE.

47. COMPARAISON AVEC LE LOUAGE DE SERVICES. - On sait que le critère servant essentiellement à distinguer le louage d'ouvrage du louage de services est l'absence de lien de subordi­nation de l'entrepreneur à l'égard du maître de l'ouvrage, alors que le locateur de services (employé, ouvrier, domestique) se trouve placé, pour l'exécution de son travail, sous l'autorité

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de son employeur (cass., 23 janvier 1959, Pas., 1959, I, 524; 3 octobre 1957, Pas., 1958, I, 86).

Plutôt que de constater cette absence de subordination, la Cour d'appel de Bruxelles (10 mai 1955, Pas., 1952, II, 172) a préféré, pour en conclure à l'existence d'un louage d'ouvrage ou d'industrie, constater qu'il s'agissait de l'engagement d'exé­cuter un travail déterminé, moyennant une rémunération propor­tionnelle au résultat du travail. La Cour de cassation (24 mai 1956, Pas., 1956, I, 1020) a rejeté le pourvoi dirigé contre cet arrêt, estimant que le louage d'industrie pouvait être défini soit par son objet (l'exécution d'un travail déterminé), soit par la manière dont le travail est exécuté (en constatant l'autonomie du locateur dans ses relations avec le maître), et qu'en choisissant la première de ces définitions, l'arrêt. attaqué n'avait pas ~xclu la seconde. La Cour de cassation constate également qu'ayant ainsi fixé exactement la notion du louage d'industrie, l'arrêt attaqué en a ensuite limité trop étroitement le domaine en spécifiant inexacte­ment que ce travail déterminé dev:ait s'exécuter «moyennant une rémunération proportionnelle au résultat du travail»; mais, cette limitation ne modifiant pas la décision du juge du fond, la demanderesse en cassation n'avait pas intérêt à la critiquer.

Si c'est à juste titre que la Cour de cassation a condàmné le principe du mode de rémunération en .tant que critère de la distinction entre louage d'ouvrage et louage de services (voy. DE PAGE, t. IV, n° 845), il paraît plus discutable de s'arrêter, comme elle l'a fait, au critère de l'exécution d'un travail déterminé. On peut fort bien concevoir en effet un travail de ce genre s'exécutant sous l'autorité d'un employeur, auquel cas il ne s'agira pas d'un louage d'ouvrage ou d'industrie, mais d'un louage de services. Sans doute sera-ce assez rare en pratique - bien que cela puisse se rencontrer dans la variété de louage de services dite « pour une entreprise déterminée -, l'exécution d'un travail déterminé excluant le plus souvent en fait l'autorité du maître. Il n'en reste pas moins que le travail déterminé et l'absence de lien de subordination sont des notions qui ne se recouvrent pas toujours, et que seule la seconde constitue le véritable critère pour distinguer le louage d'ouvrage du louage de services (voy. notamment sur cette question les travaux de la Journée d'études du Centre interuniversitaire belge de droit

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social .de mai 1960, Rev. dr. soc. et trib. du trav., 1960, p. 153 et suiv.).

48. CoMPARAISON AVEC LE MANDAT.- Le cas du représentant autonome est de ceux pour lesquels la qualification du contrat est particulièrement malaisée. Etant autonome, partant sans subordination à l'égard de celui pour qui il travaille, le contrat qu'il fait avec ce dernier n'est pas un louage de services (cass., 3 octobre 1957, Pas., 1958, I, 86, avec les références indiquées en note, J. T., 1958, p. 109; DE PAGE, t. IV, n° 847). Est-ce dès lors un louage d'ouvrage, ou un mandat? Tout dépend évi­demment de la mission qui lui est confiée. Doit-il accomplir des actes juridiques, c'est-à-dire conclure des contrats pour celui ou ceux pour lesquels il travaille? Doit-il se borner à leur apporter' des commandes, sans pouvoir les lier? Entre ces deux situations, il en existe d'ailleurs d'intermédiaires, ce qui n'est pas pour sim­plifier la solution du problème.

La Cour d'appel de Bruxelles (3 février 1960, J. T., 1960, p. 506, et la note d'observations) a décidé que pareil contrat était un mélange de louage d'ouvrage et de mandat, pour en conclure que, contrairement au commis-voyageur, employé (lois coord. relatives au contrat d'emploi, art. 29), le représentant autonome n'avait pas droit à ses commissions indirectes, et que son contrat pouvait, en principe, être rompu sans préavis. (Voy. aussi infra, no 55. Sur la situation du représentant de commerce, voy. également Rép. prat. droit belge, v° Commission, nos 49 à 53.)

49. CoMPARAISON AVEC LA VENTE. - Dans le cas spécial où un commerçant, agissant pour son compte personnel, avait obtenu ~a vente en gros et en exclusivité de certaines marchandises qui lui étaient préalablement facturées, la Cour d'appel de Gand (16 janvier 1956, Pas., 1957, II, 33) a estimé que les relations entre parties étaient principalement des relations de vendeur à acheteur, et non de preneur à bailleur d'industrie.

·-50. NATURE DU CONTRAT LORSQUE L'ENTREPRENEUR FOURNIT LA MATIÈRE.- On sait qu'en pareil cÏs il existe une importante controverse, _les uns estimant que le c1ntrat demeure en tout cas ùn louage, d'autres y voyant un louage ou une vente, selon que l'emporte l'importance du travail ou celle de la matière, d'autres encore l'analysant en un contrat mixte, les règles du louage

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s'appliquant au travail et les règles de la vente à la matière (voy. notamment DE PAGE, t. IV, nos 870 et suiv., qui s'arrête à la première solution. Adde précédentes chroniques, 1956, p. 314, no 35, où la dernière phrase doit se lire : «sans intervention de la notion de vente », et 1953, p. 324, n° 26}.

La Cour d'appel de Bruxelles (20 mars 1959, Pas., 1960, II, 133} a fait application de la deuxième de ces théories au cas de la fabrication de canons,· analysant en un louage d'ouvrage le contrat, dans lequel la matière à utiliser n'était qu'un acces­soire d'importance fort secondaire, eu égard aux études et à l'usinage particulièrement complexe que nécessitait cette fabri­cation .

. /51. RESPONSABILITÉ DE L'ENTREPRENEUR. -L'entrepreneur .ret l'architecte sont soumis à une responsabilité spéciale, dite

responsabilité décennale (Code civ., art. 1792 et 2270), qui sup­pose un vice important, mettant en péril la construction. Ils sont également soumis à une responsabilité plus générale, couvrant des vices moins graves.

1° Responsabilité du chef de vices n'a fjectant pas la solidité de l'ouvrage. Plusieurs décisions se sont prononcées, pendant la période sous rubrique, pour l'inapplicabilité de la responsabilité décennale à des vices ne mettant pas en péri~ la solidité de l'ouvrage tout entier. Le tribunal civil de Liège (10 décembre 1956, Bull. ass., 1958, p. 38, Jur. Liège, 1956-1957, p. 293) en a décidé ainsi dans le cas d'un carreau qui s'était détaché d'une marche d'escalier, -la Cour d'appel de Bruxelles (19 mars 1958, J. T., 1958; p. 252) dans le cas d'enfoncement et de bris de pavements, ainsi que de décollement de lambris de faïence \décide au contraire qu'il y a lieu à application de l'article 1792 Wans le cas de boiseries attaquées par.les vers : cass. fr., 18 juil­let 1955, D., 1955, J., 735, Rev. trim. dr. civ., 1956, p. 150, avec les observations de J. ÜARBONNIER).

En pareil cas, l'entrepreneur est-il déchargé de sa responsa­bilité par l'agréation des travaux, ou demeure-t-il tenu des vices cachés au delà de cette agréation? La réponse à cette question est souvent liée à la nature que l'on reconnaît au contrat : louage d'ouvrage ou vente (voy. supra, no 50). S'il s'agit d'un louage d'ouvrage, on en déduit généralement que la respon­sabilité de l'entrepreneur est éteinte par l'agréation (DE PAGE,

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t. IV et Compl., nos 882 et 883, qui regrette d'ailleurs cette situation et souha.ite la voir modifier par le législateur ; contra ;" DEKKERS, t. II, n° 1124, et la note 2, qui, tout en conservant au contrat son caractère de louage, n'admet pas que l'agréation puisse couvrir les vices cachés - ce qui paraît en effet contraire au bon sens). S'il s'agit, en ce qui concerne la matière, d'une vente, la responsabilité des vices cachés survit à l'agréation, pourvu que l'action soit intentée à bref délai (Code civ., art. 1648; voy. supra, n° 16. Adde sur l'ensemblr de la question, mon étude dans Bull. ass., 1958, p. 141 et suiv.).

Le tribunal civil de Liège, dans son jugement du· 10 décem­bre 1956, indiqué ci-dessus, décide que la réception des travaux couvre même les vices cachés. Le tribunal de commerce de Tournai (19 avril 1956, Pas., 1957, III, 1, J. T., 1956, p. 603) a statué dans le même sens, en cas de paiement complet et sans réserve, impliquant agréation. La Cour d'appel de Bruxelles au contraire, dans son arrêt du 19 mars 1958, également indiqué ci-dessus, décide, sans s'expliquer sur la nature du contrat, que, s'agissant de vices cachés, ils ne sont pas couvérts par la récep­tion, pour autant que leur cause puisse être imputée à l'entre­preneur. La jurisprudence française récente admet généralement aussi que l'entrepreneur répond des vices cachés des menus ouvrages même après la réception, à condition que le maître intente son action à bref délai après la découverte du vice (cass. fr., 4 janvier 1958, D., 1958, J., 457, note Ro:inÈRE, Sem. jur., 1958, J., 10808, note STARCK [1er arrêt]; 19 mai 1958, Sem. jur., 1958, J., 10808, note STARCK [2e arrêt]; Paris, 20 no­vembre 1959, D., 1960, J., 198. Adde les observations très intéressantes de J. CARBONNIER dans Rev. trim. dr. civ., 1958, p. 272, no 6, et p. 630, no 6).

D'autre part, notre Cour de cassation a décidé, le 3 avril 1959 (Pas., 1959, I, 773, Rev. crit. jur. belge, 1960, p. 207, note G. VAN HECKE, Rev. trim. dr. civ., 1960, p. 210, no 17, avec les observa­tions de CL. RENARD, P. GRAULICH et Mme S.· DAVID), que l'entrepreneur est toujours tenu des vices cachés lorsqu'il est de mauvaise foi. Si cet arrêt ne met pas fin à la controverse, en ce sens qu'il ne se prononce pas sur la possibilité ou l'impos-

. sibilité pour le maître d'effacer par son agréation la responsabilité de vices qu'il ignore par définition, puisqu'ils sont cachés, il place le problème sur un autre plan, .celui de la connaissance

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du vice par l'entrepreneur. Si celui-ci l'a connu (ou même, pour­rait-on en conclure, devrait l'avoir connu selon ce qu'on peut normalement exiger de lui, en tant que professionnel), il ne peut en être déchargé ni par l'agréation, ni par une clause d'exoné­ration .

...;.._ · 2° Responsabilité décennale. Cette responsabilité pèse sur l'architecte et l'entrepreneur, et l'action qui en résulte contre eux, et qui appartient originairement au maître de l'ouvrage, passe à l'acquéreur de l'immeuble construit par eux, nonobstant la convention intervenue entre cet acquéreur et 'son vendeur, maître de l'ouvrage, et déchargeant ce dernier de toute respon­sabilité pour vice de construction du bien vendu (Bruxelles, 7 décembre 1955, Pas., 1957, II, 73; DE PAGE, t. IV, n° 902).

Dans le cas d'une maison construite sur le lit corn blé d'un ruisseau, et s'étant partiellement effondrée, l'architecte, seul assigné par le maître de l'ouvrage, est responsable à son égard de la totalité du dommage, sans qu'il puisse alléguer, pour s'en décharger, une convention intervenue entre lui et l'entrepreneur. Mais, celui-ci étant également en faute, le recours de l'architecte contre lui donne lieu à un partage par moitiés de leur respon­sabilité (civ. Courtrai, 13 mars 1958, Bull. ass., 1959, p. 763. Cons. sur l'obligation et la contribution de l'architecte et de l'entrepreneur à la réparation du dommage subi par le maître de l'ouvrage : DE PAGE, t. IV, Oompl., n° 901; M. NoËL, «Prétendue solidarité de l'architecte et de l'entrepreneur à l'égard du maître de l'ouvrage», Sem. jur., 1949, I, 744. Sur l'effet des clauses modifiant la responsabilité de l'architecte et de l'entrepreneur, voy. Y. HANNECART, «Les clauses d'irres­ponsabilité dans les contrats d'entreprise et la sécurité du tra­vail», Ann. Fac. Droit Liège, 1959, I, 141 ; E. FISCHER, «Les modifications conventionnelles de la responsabilité dans ·les contrats de vente et d'entreprise», Ann. Fac. Droit Liège, 1~59, I, 125).

52. RISQUES DE LA MATIÈRE. - L'article 1788 du Code civH met les risques à charge de l'entrepreneur lorsqu'il fournit la matière. Ce texte est-il applicable aux immeubles, c'est-à-dire au cas où l'entrepreneur fournit la matière et exécute ses travaux sur le sol appartenant au maître~ M. DE PAGE répond négative­ment à cette question, en raison de l'interférence des règles

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de l'accession (t. IV, nos 874 et suiv.). La Cour d'appel de Bruxelles, au contraire, y a répondu affirmativement, d'abord en matière de travaux privés (26 juin 1958, Pas., 1959, II, 134), ensuite en matière de travaux publics (13 février 1959, confir­mant civ. Bruxelles, 24 décembre 1957, Bull. ass., 1960, p. 291, et ma note d'observations).

Dans ce dernier cas, les stipulations des deux. cahiers des charges (le cahier général des charges de 1933 et le cahier des charges-type de 1952) ne faisaient que confirmer le principe posé par l'article 1788 (voy. sur cette question M.-A. FLAMME, Les marchés de l'administration, nos 379 et suiv., qui préfère le système français, moins lourd pour l'entrepreneur). Mais l'entrepreneur tentait d'écarter sa responsabilité en prétendant démontrer une faute lourde du maître, notamment parce que celui-ci aurait imposé à l'entrepreneur l'emploi d'un materiau prétendument inflammable. On sait que l'article 1790 du Code civil rend le maître responsable des vices de la matière qu'il fournit, à moins que l'entrepreneur soit lui-même en faute, ce qui serait le cas s'il avait accepté de travailler une matière dont il devait déceler le vice d'après les connaissances qu'on est normalement en droit d'exiger de lui. C'est ce principe qu'a appliqué le tribunal civil de Bruxelles dans cette affaire, les matériaux étant fournis non par le maître, mais par l'entre­preneur, mais le maître décidant quels matériaux il faut employer : s'ils présentent un dang~r anormal, l'entrepreneur est en faute s'il ne !efuse pas leur misj en œuvre.

53. OBLIGATIONS DU MAÎTRE. - SANCTION. - Le maître a notamment l'obligation de payer le prix convenu pour l'entre­prise. A cet égard, le tribunal de commerce de Tournai (5 mai 1955, Pas., 1956, III, 19) a décidé que le taux des honoraires de l'architecte, pour le premier stade de sa mission (avant­projet, projet définitif, plans, cahier des charges, bordereau indicatif et devis descriptif et estimatif) était de 3 p. c., à calculer sur le ·coût estimatif de la construction.

Si le maître ne remplit pas ses obligations, et que cette inexé­cution est fautive, l'entrepreneur a droit, par application du droit commun, à la résiliation du contrat avec dommages-intérêts. Il en. est ainsi dans le cas d'une commune, qui a retardé de quatre ans le commencement des travaux, en. invoquant pour sa dé-

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charge le manque de subsides de l'Etat, alors que la convention n'a,vait nullement subordonné l'engagement de la commune à l'octroi de pareils subsides, et qu'elle n'avait d'ailleurs fait aucune diligence pour les obtenir (Bruxelles, 5 juin 1958, Pas.,-1959, II, 104).

Il en est autrement dans le cas de refus par une administration communale de l'autorisation de bâtir, lorsque ce refus n'est en rien la conséquence d'une faute du maître (Bruxelles, 6 décembre 1958, Pas., 1960, II, 40).

54. MARCHÉ A FORFAIT. - MoDIFICATIONS. - En cas de marché à forfait pour la construction d'un bâtiment, l'article 1793 ne permet en principe pas à l'entrepreneur de demander d'aug­mentation de prix. Il est en effet de droit commun dans un marché à forfait que les augmentations de prix des matériaux soient- supportées par l'entrepreneur, les parties pouvant évi­demment en décider autrement dans le contrat. Si elles ont admis des décomptes en plus ou en. moins pour les matériaux dont les prix sont :fixés par arrêté ou homologation, mais les ont écartés pour les matériaux placés sous le régime du prix normal, cette clause, qui déroge à l'article 1793, est de stricte interprétation, et ne permet pas de décompte si l'Etat a libéré le marché du ciment', non encore stabilisé, quand bien même l'Etat était le maître de l'ouvrage (Bruxelles, 1er décembre 1956, J. T., 1957, p. 338).

D'autre part, ce même article 1793 ne permet de justifier une demande d'augmentation de prix par des changements ou augmentations au plan que s'ils ont été autorisés par écrit par le maître et si le prix en a été convenu entre les parties (sur la portée de l'article 1793 et son caractère dérogatoire ou non au droit commun, voy. Chronique 1953, p. 325, no 28).

La Cour de cassation (22 mars 1957, Pas., 1957, I, 887, J. T., 1957, p. 44-3) a constaté que ces conditions n'étaient pas remplies lorsqu'une tierce personne, chargée par le maître de surveiller les travaux, n'avait pas élevé d'objection contre les travaux supplémentaires et que ·le maître, à qui la nécessité de ces travaux avait été signalée, n'avait fait ni observations ni réserve. Mais la Cour ajoute qu'il en serait autrement si les parties avaient, dans la convention, décidé ~e déroger à l'article 1793 en ce qu'il exige une autorisation écrite (dans ce sens : DE PAGE,

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t. IV, no 909), ou encore si le maître, postérieurement à l'exécution des travaux supplémentaires, avait pris l'engagement d'en payer le prix (dans ce sens : cass. fr., 26 janvier 1937, D. H., 1937, p. 186).

Enfin, l'article 1793 cesse également d'être applicable si, dans l'exécution des travaux, l'entrepreneur rencontre des difficultés trouvant leur origine dans des aléas extraordinaires et impré­visibles. En pareil cas, le marché à forfait doit être considéré comme annulé pour cause d'erreur, et, si le maître entend néan­moins maintenir l'entreprise, considéré comme remplacé par un marché sur devis (DE PAGE, t. IV, n°8 909, in fine, et 910). La Cour d'appel de Bruxelles (31 janvier 1958, réformant civ. Bruxelles, 5 mars 1957, J. T., 1958, p. 632, not~ M.-A. FLAMME) a décidé que l'aléa extraordinaire (démolition de maçonneries enchevêtrées, vestiges de l'ancien couvent des Annonciades, descendant jusqu'à onze mètres de profondeur) modifiait la nature même du travail convenu, et, partant, l'objet de l'entreprise, ce qui permettait de demander une augmentation de prix. Il paraît certain que l'intention commune des parties ne portait pas sur ce travail imprévisible, lequel, n'étant pas compris dans l'objet du contrat, devait donner lieu, s'il avait été effectué de commun accord, à un prix supplémentaire. Plutôt que de considérer qu'un second contrat était venu se substituer au premier, annulé pour cause d'erreur, il me paraît qu'ici, la nullité du premier contrat n'ayant pas été demandée, il s'agissait plutôt d'un second contrat venant s'ajouter au premier.

Enfin, lorsqu'il s'agit, non de travaux de construction d'un bâtiment, mais de travaux d'aménagement ou de transformation, la jurisprudence belge admet que la nécessité d'un écrit n'existe pas pour que l'entrepreneur puisse obtenir une augmentation

·de prix en cas de modification de plan (voy. Chronique 1953, p. 325, no 28). L~ Cour d'appel de Bruxelles (14 février 1959, Pas., 1959, II, 229) en a décidé ainsi dans le cas de l'installation d'énergie électrique dans un immeuble (contra, dans le cas de travaux très importants d'équipement électrique d'un groupe de bâtiments, et bien que la jurisprudence française antérieure fût dans le même sens que la nôtre : cass. fr., 23 mai 1959, D., 1959, J., 489, Rev. trim. dr. civ., 1960, p. 131, no 6, avec les observations de J. CARBONNIER).

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55. MARCHÉ A FORFAIT.- RÉSILIATION.- J'ai signalé dans ma précédente Chronique (1956, p. 315, n° 37) une décision qui appliquait l'article 1794 du Code civil à un contrat de repré­sentation. Tout en approuvant l'interprétation extensive de ce texte, j'en critiquais l'application à un contrat à durée indéter­minée. La Cour d'appel de Gand (16 janvier 1956, Pas., 1957, II, 33} a estimé également ce texte inapplicable à un contrat sans terme.

La Cour d'appel de Bruxelles (9 juin 1959, J. T., 1959, p. 528) a examiné le cas d'un louage d'industrie auquel était venu s'ajouter, beaucoup plus tard, un mandat, à caractère d'ailleurs nettement accessoire. Elle en déduit que la convention ne peut pas être révoquée ad nutum, mais moyennant une indemnité représentant le prix des travaux déjà exécutés et de tout ce qui aurait pu être gagné dans l'entreprise.

Enfin, la Cour de cassation (8 octobre 1959, Pas., 1960, I, 164, J. T., 1960, p. 25) a décidé que l'obligation du maître d'indem­niser l'entrepreneur, par application de l'article 1794, ne s'éten­dait pas au dommage moral, s'il n'y avait ni convention déro­geant au droit de résiliation prévu par ce texte, ni faute aqui­lienne du maître.

56. MoRT DE L'ENTREPRENEUR.- En cas de mort de l'entre­preneur, le contrat est dissous (Code civ., art. 1795). Mais le maître est tenu de payer à la succession de l'entrepreneur la valeur des ouvrages déjà effectués et celle des matériaux pré­parés, à la seule condition que ces travaux ou matériaux puissent lui être utiles (Code civ., art. 1796}. La Cour de cassation (17 mai 1956, Pas., 1956, I, 994, J. T., 1956, p. 544, Rev. trim . . dr. civ., 1957, p. 212, n° 12, avec les observations de CL. RENARD et P. GRAULICH}, rejetant le pourvoi dirigé contre un arrêt

·de la Cour d'appel de Liège (24 mai 1955, Pas., 1956, II, 109, J. T., 1956, p. 11, note A. D.), a précisé très clairement le sens de cet article : 1° le maître doit payer la valeur des maté­riaux préparés, sous la seule condition qu'ils puissent lui être ~tiles, et sans qu'il faille en outre que l'ouvrage fût commencé; 2° l'utilité ne doit pas s'apprécier à l'égard du maître person­nellement : il ne faut pas que les matériaux puissent être employés par lui-même. Il suffit qu'il puisse les faire employer à l'ouvrage par le nouvel entrepreneur, l'utilité étant une question de fait

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appréciée souverainement- par le juge du fond; 3o le fait que les matériaux doivent être préparés ne nécessite pas qu'ils aient subi des modifications de la part de l'entrepreneur; leur prépa­ration peut consister en la réunion des matériaux spéciaux nécessaires, question de fait relevant de l'appréciation souveraine du juge du fond. (En fait, il s'agissait de plaques de zinc parti­culièrement épaisses, achetées par l'entrepreneur avant sa mort, pour effectuer le travail commandé par le maître, et qui, ulté­rieurement, avaient considérablement baissé de prix. La Cour de Liège a décidé que ·c'était le prix coûtant qui devait être pris en considération, l'article 1796 étant fondé sur la notion de l'enrichissement sans cause, lequel se produirait en pareil cas dans le chef du maître s'il pouvait profiter de cette baisse ultérieure de prix. Sur le fondement de l'article 1796, qui est bien en effet l'enrichissement sans cause, voy. DE PAGE, t. IV, no 913).

CHAPITRE IV.- LA SOCIÉTÉ.

57. ÉLÉMENTS ESSENTIELS. - Bien que la participation aux pertes soit un élément essentiel du contrat de société (DE PAGE, t. V, n° 46), l'article 1832 du Code civil, qui définit ce contrat, n'y fait pas allusion. La Cour de cassation (13 mars 1959, Pas., 1959, I, 712) en a conclu que le juge du fond déduisait légale­ment l'existence d'un contrat de société du fait que les contrac­tants avaient mis quelque chose en commun dans la vue de partager le bénéfice qui pourrait en résulter. Elle estime que le mode de répartition des bénéfices et l'obligation de participer aux pertes ne doivent pas avoir été prévus par les parties, puisqu'ils se trouvent déterminés par les articles 1853 et 1855 du Code civil en l'absence de stipulation sur ces points (dans le même sens : cass., 9 novembre 11954, Pas., 1955, I, 218).

Un autre élément essentiel est le groupement de deux ou plusieurs personnes (Code civ., art. 832). La Cour de cassation (5 décembre 1958, Pas., 1959, I, 342) en a déduit à juste titre que la société est dissoute de plein droit lorsque les parts viennent à être réunies dans les mains d'un seul associé.

58. ÛBJET DE LA SOCIÉTÉ. - La société n'existe que pour la réalisation de son objet, lequel est déterminé par ses statuts.

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Il en ·résulte·: qu'une modification· des statuts, entraînant -la modification de l'objet même de-la société, ne peut être décidée à la. majorité : il faut l'unanimité des associés (DE PAGE, t. V, n° 80, in fine, et la note 1, p. 95).

Il en résulte également qu'est nul l'acte accompli, au nom de la société, par les organes, en dehors du cadre tracé par le pacte social; pareil acte ne peut être invoqué ni contre les tiers (cass., 31 mai 1957, Pas., 1957, I, 1176, avec les conclusions du procureur général Hayoit de Termicourt), ni contre la société (Bruxelles, 2 juin 1958, Pas., 1959, II, 9~).

59. PERTE DE LA CHOSE. - La perte totale du fonds social entraîne l'extinction du contrat (Code civ., art. 1865, 2°; DE

PAGE, t. V, n° lOO; Rép. prat. droit belge, v0 Société, n° 518). La Cour d'appel de Bruxelles (13 mai 1957, J. T., 1957, p. 418, avec les références indiquées en note) a jugé qu'il en était ainsi alors que la société avait été déclarée en faillite, que celle-ci avait été clôturée pour insuffisance d'actif, et que les seuls biens existants avaient été entièrement absorbés par les frais de faillite et les honoraires du curateur. La Cour estime en effet qu'en pareil cas la société n'a pas pris fin par sa mise en faillite, mais par l'extinction de la chose, c'est-à-dire par la perte totale du fondg ou du capital social.

CHAPITRE V.~ LE PR~T.

60. PRÊT .A USAGE. - DÉPENSES F.A.ITES PAR L'EMPRUNTEUR.

~ On sait qu'aux termes de l'article 1886 du Code civil, l'em­pruriteur qui fait des dépenses pour l'usage de la chose ne peut les réclamer au prêteur. Il n'en serait autrement que si ces dépenses étaient à la fois extraordinaires, nécessaires, et tellement urgentes que l'en1prunteur n'a pas pu en avertir le prêteur. Il s'agit alors d'une véritable gestion d'affaires (Code civ., art. 1890; DE PAGE,. t~ V, nos 12.7 et 135).

Le tribunal civil de Nivelles (27 février 1956, Pas., 1957, III, 21) a fait une juste application de ces principes à. un alTange­ment .de· famille, par lequel un père avait concédé ·gratuitement un moulin à ·sa fille et son gendre, pour l'habiter et l'exploiter·; ceux-ci prétendaient réclamer au père le remboursement d'im­penses ayant. le ca;ractère de dépenses d'usage (renouvellement

R.Ev. CRI'f., 1961. - 18

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du matériel du moulin, eri vue de pouvoir en user). C'est d'une manière surabondante que le. tribunat const~te ensuite. l'absence de caractère d'urgence de ces impenses ; cette considération n'eût eu de l'importance que s'il s'était agi de-dépenses extraordi­~aires, ce que le tribunal semble bien avoir écarté de prime abord.

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"' 61. PRÊT DE CONSOMMATION. -TRADITION. --:-Le prêt, étant Un contrat réel, ne se forme que par la remise de la chose à l'emprunteur ou à son mandataire. Le tribunal civil de Bruxelles (12 mars 1956, J. T., 1956, p. 357) a admis que cette tradition pouvait se réaliser par la remise de la somme prêtée à zà personne désignée par l'empr'unteur, et qui était en réalité son ·créancier, et cela sans que cette opération entraîne nécessairement novation. Il semble bien en effet -que,- dans une pareille opération, l'intmi­tion de nover soit absente; il n'y a pas eu, dans le but ·de nover, intervention de toutes les parties intéressées (voy. DE PAGE, t. III, n° 581 ).

62. PRÊT HYPOTHÉOAIRK - Le tribunal de com1nerce de Liège (20 janvier 1959, Rev. crit. jur. belge, 1960, 41) a décidé que, lorsque l'autorisation conférée a:u créancier de réclamer hypothèque et le prêt résultent de deux actes distincts,-. port~nt des dates différentes, ces actes peuvent néanmoins présenter une si étroite connexité que le juge les considère comme formant une opération unique, c'est-à-dire le prêt hypothécaire régi par l'arrêté royal du 7 janvier 1936. Dès lors, le ta'ux d'intérêt de pareil prêt peut être t·éduit par application _des articles 1907 et 1907ter dt1 Code civil. Cette décision ayant fait dans la Revue c'ritique de j~tr·isprudence belge l'objet d'une note de M. Y. Hanne­quart sur la protection· des· emprunteurs en dehors de la loi sur les ventes à tempérament, je prie le lecteur de bien vouloir s'y reporter.

CHAPITRE VI. - LE DÉPÔT ET LE SÉQUESTRE.~.

63. GARAGE ET PARCAGE D'AUTO. - Il y a dépôt salarié si un propriétaire d'auto obtient de la garer, moyennant rému­nération, soit dans un garage où il ne dispose ni d'un box ni d'un enclos privé (Bruxelles, 7 février 1956, Ju'r. Anv., 1956,

- p. 396, Ann. -not., 1958, p. 143, Summ. de ju1-isprudence, avec

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références), soit dans un parking gardé (J. de P. Bruxelles, 26 janvier 1956, J. T., 1956, p. 428, Bull. ass., 1956, p. 773, et ma note d'observations, à laquelle je prie le lecteur de bien vouloir se référer, ainsi qu'à mes précédentes chroniques, 1956, p. 317, no 40, et 1953, p. 329, nos 33 et 34, et à ma note sur la nature du contrat de garage, Bull. ass., 1950, p. 621 à 628).

64. ÛBLIGATION DE RESTITUER. - FARDEAU DE LA PREUVE. -L'obligation de restituer, qui pèse sur le dépositaire, est une obligation de résultat. Dès lors, le fardeau de la preuve lui incombe (c'est ce principe qu'appliquent les deux décisions rapportées au numéro précédent). S'il ne restitue pas la chose, il doit établir la cause étrangère, ou, en d'autres termes, l'absence de faute dans son chef, puisque le cas fortuit se ramène finale­ment à l'absence de faute dans le chef du débiteur de l'obligation, c'est-à-dire à la preuve qu'il s'est conduit conformément à l'obli­gation qu'il a assumée.

A cet égard, il est donc très important de déterminer de quelle faute répond le dépositaire. La solution de cette question dépend essentiellement du caractère du dépôt : Est-il gratuit? Le dépo­sitaire ne répond que de sa culpa levis in concreto, c'est-à-dire des soins qu'il apporte à ses propres affaires (Code civ., art. 1927). Eot-ilsalarié? Le dépositaire répond de sa culpa levis in abstracto, c'est-à-dire de la faute que ne commettrait pas un bon père de famille, ou, plus exactement, un bon dépositaire.

Dès lors, si le dépôt, au lieu d'être salarié, comm~ dans les cas rapportés ci-dessus (n° 63), est gratuit, le dépositaire est déchargé de toute responsabilité pour la perte de la chose, sauf mise en demeure, s'il prouve qu'il a . apporté à la garde de la chose perdue les mêmes soins qu'à ses propres a tf aires (Gand, 4 février 1959, Bull. ass., 1960, p. 698; sur les difficultés de preuve qui peuvent résulter des deux sortes d'obligations qui pèsent sur le dépositaire : obligation de moyen quand il s'agit de la garde, et obligation de résultat quand il s'agit de la resti­tution, voy. DE PAGE, t. V, nos 205 et 207; adde : cass. fr., 23 décembre 1958, D., 1959, J., 53, Rev. trim. dr. civ., 1959, p. 322, n° 14, avec les observations de H. et L. MAZEAUD, et p. 343, n° 4, avec les observations de J. CARBONNIER).

65. SÉQUESTRE JUDICIAIRE . ...,.._ Bien que l'article 1961 du 18.

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Code civil ne soit pas limitatif {voy. Chronique 1953, p. 330, no 35), encore la mise sous séquestre j' onstitue-t-elle une mesure grave et exceptionnelle. Le tribunal ivil de Bruxelles (21 no­vembre 1957, Ann. not., 1958, p. 54)

1

estime qu'il n'y a pas lieu de l'appliquer dans un litige relatif au partage d'une commu-_ nauté d'acquêts où. les deux parties ont simplement des intérêts opposés. Il échet de désigner, à leur demande d'ailleurs, un notaire pour chacune d'elles.

De même, la Cour d'appel de Bruxelles (24 juin 1959, J. T., 1959, p. 581} a décidé que ne suffisait pas à justifier le séquestre judiciaire le fait qu'il existe entre des héritiers une contestation sérieuse' au sujet de la propriété de titres d'une société, et que le retour de ces titres à la masse à partager aurait pour effet de faire perdre à l'une des parties le contrôle· de la société, ce dont il pourrait résulter un changement de direction et de conseil d'administration.

Au contraire, le président du tribunal civil d'Anvers, siégeant en référé (13 décembre 1957, J. T., 1958, p. 255), a estimé que, dans le cas où il y avait litige sur l'étendue des droits d'une personne dans une succession, une autre personne prétendant restreindre ces droits aux biens réservés, en ce compris un fonds de commerce, il y avait lieu de mettre ce fonds de commerce sous séquestre, le séquestre étant un comptable qui se borne à vérifier l'utilisation des fonds, et le fonds de commerce conti· nuant à être géré par son titulaire.

CHAPITRE VII. - LES CONTRATS ALÉATOIRES.

SECTION Jre. - LE JEU ET LE PARI.

66. CONDITIONS D'APPLICATION DE L'EXCEPTION AU REFUS

D'ACTION EN JUSTICE LORSQU'IL s'AGIT D'EXERCICES DU CORPS.

-'---- On sait que les articles 1965 et 1967 du Code civil refusent en principe d'accueillir tant l'action en paiement que l'action · en répétition relatives à une dette résultant d'un jeu ou d'un pari. La raison en est le caractère économiquement inutile de ce genre d'activité d'une part, et d'autre part le fait que, encoura­geant les passions, favorisant. l'oisiveté et détournant du travail, le jeu et le pari sont contraires aux bonnes mœurs. Il en est

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àinsi peu importe que le hasard ou l'adresse soit prépondérant, la distinction entre jeu de hasard ou jeu d'adresse n'intéressant que la loi pénale et non la loi civile· (voy. sur cette question les développements particulièrement intéressants de M. DE PAGE, t. V, nos 295 à 302, les nos 297 et 300 devant être lus dans les Compléments).

Le législateur a admis une exception au refus "d'action dans l'article 1966 du Code civil : sont licites et permettent l'action {m justice, les jeux et paris propres à favoriser l'exercice du corps, mais pour autant que la somme soit modérée, faute de quoi les contractants retomberaient dans l'illicéité de principe, et leur demande devrait être rejetée.

La portée de cette exception au refus d'action a été fort discutée, tant en doctrine qu'en jurisprudence. M. DE PAGE attribue ces discussions principalement au fait que l'on confond en cette matière les principes du droit civil et ceux du droit pénal : ce dernier se fonde essentiellement sur le critère du hasard, ou de l'absence de hasard, tandis que le droit civil laisse ce critère totalement de côté pour ne s'arrêter qu'à ce qui encourage ou non l'exercice du corps, .avec la réserve du caractère modéré des enjeux (t. V, Oompl., no 303. Remarquons que les jeux qui ne favorisent que l'agilité de l'esprit, tels que les échecs, le bridge, etc.·, ne sont pas compris dans l'exception de l'arti­cle 1966 : DE PAGE, t. V, Oompl., no 303, B, 1o).

Très caractéristiques sont à cet égard deux jugements discor­dants du tribunal civil de Bruxelles, le second rendu sur tierce opposition (26 novembre 1954, J. T., 1956, p. 440, et 10 dé­cembre 1955, J. T., 1956, p. 441, note R. PHILIPS). Il s'agissait de déterminer si des jeux de billard électrique, comportant des enjeux d'ailleurs minimes, entraient dans le cadre de l'arti­cle 1966, ou, en d'autres termes, étaient civilement licites. Le premier de ces jugements, appliquant l'enseignement de M. De Page, constate que ces jeux ne sont pas de nature à favoriser l'adresse corporelle ou la santé physique, et, dès lors, ne tombent pas sous l'application de l'article 1966. Il en conclut que leur exploitation est contraire à, la moralité publique, ce qui entraîne la nullité du bail du local où cette · exploitation a lieu, pour autant que le bailleur ait eu connaissance de ce but illicite (dans le même sens, voy. DE PAGE, t. V, Oompl., no 300, B, a,

. et les décisions indiquées à la note 2. Adde: J. de P. Spa, 14 :mars

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1958, J. T., 1958, p. 278, qui déduit de la nullité du contrat par application de l'article 1965, et bien qu'il s'agît de jeux autorisés au Casino de Spa, l'absence d'action de l'Office national de sécurité sociale en paiement des cotisations légales pour son personnel par le tenancier de l'établissement. Cons. DE PAGE, t. V, Oompl., n° 300, B, jet 20). Le second jugement, au contraire, écartant délibérément l'opinion de M. De Page, affirme l'identité des principes qui inspirent en cette matière le droit civil (arti­cle 1966) et le droit pénal (loi du 24 octobre 1902, art. 7), et en déduit que l'acquittement de la prévention d'avoir exploité des jeux de hasard, fondé sur ce que ces jeux n'ont d'autre effet que de procurer aux joueurs un certain délassement et un divertissement inoffensif, entraîne la validité du bail, celui-ci n'étant contraire ni à l'ordre public, ni aux bonnes mœurs.

Le mécanisme des articles 1965 et suivants entraîne également .cette conséquence, souvent perdue de vue par la jurisprudence, que non seulement le jeu qui tient à l'exercice du corps, mais aussi le pari en cette matière est licite, du moment que les enjeux ne sont pas excessifs (DE PAGE, t. V, Oompl., n° 303, B, 2°).

A cet égard, la question s'est posée tant pour les pronostics de football que pour les courses de chevaux. Signalons que, pour les uns comme pour les autres, M. DE PAGE estime que, tels qu'ils sont organisés et pratiqués actuel~ement, ils ne favorisent pas l'exercice du corps, et doivent être exclus de l'article 1966 (t. V, Oompl., no 303, B, 40).

En ce qui concerne les pronostics de football, la Cour d'appel de Bruxelles {19 janvier 1956, Pas., 1957, II, 201, J. T., 1956, p. 407), confirmant un jugement du tribunal civil de Tournai {26 janvier 1954, Pas., 1955, III, 30), a statué sur une demande en dommages-intérêts qui ne pouvait se justifier que si le concours de pronostics de football était considéré comme licite parce que tombant dans le champ d'application de l'article 1966. Le juge­ment et l'arrêt ne l'ont pas cru, mais ils se sont fondés sur des motifs peu convaincants si l'on s'en réfère au système de M. De Page : le tribunal estime que le jeu et le pari, c'est-à-dire le contrat entre participants au sport d'une part, et entre non­participants d'autre part, ne suive~t pas les mêmes règles, le sécond ne pouvant jamais profiter d?Jl'exception de l'article 1966 (en sens contraire : cass., 11 juillet 1957, commenté infra à propos des courses de chevaux). La Cour d'appel, de son côté,

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écarte ce texte parce qu'il s'agit d'un pari dans lequel le hasard joue une part prépondérante. Enfin, tous deux mettent en avant un argument surabondant, et qui ne serait pertinent que si l'opération tombait, en principe, dans le champ d'application de l'article 1966, c'est qu'il s'agissait de gains excessifs. A cet égard, l'alinéa 2 de l'article 1966 emploie l'expression : somme excessive, ce qui vise aussi bien la mise que le gain obtenu (DE PAGE, .t. V, Oompl., n° 303, A, 2°; voy. également, en ce qui concerne les pronostics de football, les décisions indiquées par M. De Page, loc. cit., B, 4°, note 2).

Quant aux courses. de chevaux, la Cour d'appel de Bruxelles (18 février 1955, Pas., 1956, II, 161, J. T., 1955, p. 636), dans un arrêt très longuement motivé, s'est ralliée au système de M. De Page, tout en s'écartant de lui sur le caractère actuel des courses de chevaux : elle estime qu'elles apparaissent tou­jours, comme au temps du Code civil, des jeux favorisant l'exer­cice du corps. Pès lors, les paris à leur sujet sont également régis par l'article 1966, à moins que leur organisation propre ne les rende contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs, ce qu'une longue analyse de la législation, particulièrement au point de vue fiscal, permet à la Cour d'écarter.

Ayant admis l'application de l'article 1966 aux paris sur courses de chevaux, l'arrêt examine ensuite si l'alinéa 2 de ce texte ne doit pas faire rejeter l'action. Il estime que non, le caractère modéré ou excessif des sommes devant s'apprécier compte tenu de la. situation sociale et des moyens financiers des ·parties.

La Cour de cassation (11 juillet 1957, Pas., 1957, I, 1360, J. T., 1957, p. 641, Rev. trim. dr. civ., 1959; p. 207, avec les observations de CL. RENARD, P. GRAULICH et M:me S. DAVID) a rejeté le pourvoi cont:re cette décision. Elle consacre expres­sément ·le principe. admis par M. De Page, et qui assimile le pari au jeu, pour lui donner pleine validité lorsqu'il s'agit de jeux propres à l'exercice du corps (ce qui n'était pas dénié par le pourvoi en matière de courses de chevaux) même si ce pari a lieu entre non-participants au jeu.

67. MARCHÉS A TERME. - Le problème de l'applicabilité de la notion de jeu, ou plutôt de pari, aux marchés à terme soit de titres cotés en bourse, soit de marchandises, est actuellement

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réglé par les arrêtés royaux des 15 octobre 1934 et 30 novembre 1939, lesquels prescrivent le versement d'une couverture de la part des donneurs d'ordres non professionnels, et ne permettent plus l'exception de jeu que de la part d'un non-professionnel et pour autant que la couverture n'ait pas été fournie {DE P .AGE, t. V, nos 311 et suiv. Cons. aussi M. RoTONDI, «Marchés diffé­rentiels et marchés à terme dans les Bourses. de valeur», Rev. trim. dr. comm., 1959, p. 19 et suiv.). · Le tribunal civil de Bruxelles (25 juin 1958, J. T., 1959, p. 6) a décidé qu'en matière de marchés à tertb.e de titres cotés en bourse, les prescriptions de l'arrêté royal du 1~ octobre 1934 ne s'appli­quent que lorsque l'opération est traitée par un intermédiaire, et non lorsqu'elle intervient directement entre le vendeur et Facheteur.

SECTION II. - LA RENTE VIAGÈRE.

,· 68. FoRMES. - La constitution d'une rente viagère à titre :gratuit par . donation entre -vifs est soumise aux mêmes règles de forme que les donations· (Code civ., art. 1969 et 931). Ce ·principe est rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mai 1959 (Pas., 1959, I~ 937). Mais il n'en est ainsi que 'J>our autant qu'il s'agisse· d'une libéralité directe du débirentier 'au crédirentier. Si la libéralité est indirecte, la rente étant consti­:tuée au profit. d'un tiers (art. 1973), c'est le mécanisme de la stipulation pour autrui qui joue, les règles de fond des libéralités 'étant applicables, mais non les règles de forme (DE PAGE, t. V, Oompl., no 329). ··La Cour d'appel de Bruxelles (9 décembre 1959, J. T., 1960,

:p. 192) a décidé que n'est pas à titre gratuit -la constitution ·de rente viagère qui procède d'une obligation naturelle. Si le principe est exact, on peut se demander si son application l'était : s'agissant d'enfants et de beaux-enfants à l'égard de leurs parents et beaux.:parents, la constitution de rente ne ·consacrait pas une obligation naturelle, mais une obligation civile 'si les conditions de l'obligation alimentaire étaient réunies~ et l'absence de toute obligation., donc une intention libérale, dans le cas contraire.

69. SANCTION DU DÉFAUT DE PAIEMENT DES ARRÉRAGES. ,L'article 1978 du Code civil établit une règle dérogatoirè au

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droit coinmun, en décidant que le seul défaut de paiement des arrérages de la rente n'autorise pas le crédirentier à demander la résolution du contrat, mais lui permet seulement d'exiger la constitution d'un capital suffisant pour assurer le service de la rente (DE PAGE, t. V, Oompl., n° 345).

Cette disposition, étant exceptionnelle, est de stricte interpré­tation, et ne s'étend pas au bail à nourriture, convention par laquelle une personne s'engage, non à payer une rente à une autre personne, mais à la nourrir, la loger et la soigner (cass., 16 janvier 1959, Pas., 1959, I, 487; contra : DE PAGE, t. V et Oompl., n° 353).

D'autre part, un jugement du tribunal civil de ·Bruxelles {14 février 1959, Ann. not., 1959, p. 114) a précisé ce qu'il fallait ·entendre par « somme suffisante pour le service des arrérages »,

termes employés par l'article 1978. Il décide que le maintien ·du contrat, et par conséquent de son caractère aléatoire, exige la consignation d'un capital suffisant pour assurer le service de la rente sans entamer ce capital; et non d'un capital à fonds perdu.

CHAPITRE VIII.- LE MANDAT.

70. NoTION.- VoYAGEUR DE coMMERCE.- REPRÉSENTANT AUTONOME. - CoMMISSIONNAIRE. -AvocAT. - On sait que le mandat suppose que le mandataire agit au nom du mandant et accomplit pour lui des actes juridiques (voy. Chronique 1956, p. 317, no 41).

Lorsque le mandataire agit en son propre nom, mais le fait en réalité dans le cadre du mandat qu'il a reçu, il conserve

1 sa qualité de mandataire à l'égard du mandant, et doit notamment lui céder les droits et actions qu'il a acquis en vertu de ce mandat (Bruxelles, 10 décembre 1958, J. T., 1959, p. 225. Voy. dans le même sens Rép. prat. droit belge, v0 Mandat, n° 394,et ce qui

. est dit infra, même numéro, à propos du contrat de commission). Quant à la nature des actes à accomplir par le mandataire,

le tribunal civil de Bruxelles (22 mars 1956, Pas., 1957, III, 40) a estimé qu'un voyageur de commerce, s'engageant à consacrer toute son activité à son employeur, et n'ayant le droit de conclure aucune convention au nom de ce dernier, avait conclu avec lui un louage de services, et non un mandat, et que, dès lors, c'était le

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conseil de prud'hommes qui était compétent pour connaître du litige qui l'opposait à' son employeur.

D'autre part, le représentant autonome, dont la situation est parfois très difficile à détermine~ exactement (voy. notamment

1

cass., 3 octobre 1957, Pas., 1958, r, 86, et les références indiquées en note, J. T., 1958, p. 109), a été considéré par la Cour d'appel de Bruxelles (3 février 19.60, J. T., 1960, p. 506) comme faisant un contrat qui est un mélange de louage d'ouvrage et de mandat. La Cour eh conclut qu~ le contrat peut, en principe, être rompu sans préavis, des dommages-intérêts ne pouvant être alloués au représentant que si la rupture est intempestive. On ne voit pas très bien si la Cour a voulu faire prédominer ici le mandat (révocable ad nutum et sans indemnité, sauf si des circonstances extrinsèques rendent cette révocation préjudiciable au manda­taire : DE PAGE, t. V) ou le louage d'ouvrage (dont la rupture ne suppose en principe pas de préavis, mais, pour être permise unilatéralement, implique soit un contrat à durée indéterminée, -soit, s'il est à durée déterminée, l'indemnisation prévue par l'article 1794 du Code civil : voy. supra, n° 55).

En ce qui concerne le contrat de commission, la Cour de cassation (6 novembre 1958, Pas., 1959, I, 244) l'a assimilé au contrat de mandat (voy. Chronique 1956, p. 317, n° 41; DE PAGE, t. V, Oompl., no 366). C'est eri effet un mandat entre les parties, mais non à l'égard des tiers avec lesquels le commis­sionnaire contracte, et cela parce qu'il ne contracte pas au nom du mandant, mais en son nom personnel.

Quant à l'avocat, il n'est qu'exceptionnellement le mandataire de son client (voy. Chronique 1956, p. -317 et suiv., no 41, et spécialement p. 318 et 319). Le tribunal civil de Charleroi (2 janvier 1956, Pas., 1956, III, 89, J. T., 1956, p. 255, note E. REUMONT) en a déduit que le client n'était en principe pas lié par l'aveu fait par l'avocat dans une lettre, celle-ci ne consti­tuant pas non plus un commencement de preuve par écrit contre le client. Il en serait autrement si l'avocat avait reçu un mandat de son client, lequel mandat pourrait même être tacite.

71. FoRMES DU MANDAT. - MANDAT TACITE. - On sait que le mandat est en principe un contrat non solennel, pour lequel aucune forme particulière n'est requise. Dans certains cas

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seulement, une procuration authentique est imposée par la loi (DE PAGE, t. V, Oompl., n° 376). Il en est ainsi pour les actes soumis àla transcription (loi du 16 décembre 1951, art. 2, al. 1er, in fine). Mais la transcription n'est pas nécessaire à la validité de l'acte : elle n'a d'autre but que de le rendre opposable aux tiers. Dès lors, s'il ne s'agit pas de pareille opposabilité, mais de la validité d'une vente d'immeuble, la Cour de cassation en a conclu (30 octobre 1958, Pas., 1959, I, 216) que la procura­tion donnée par le vendeur à un mandataire de comparaître à l'acte notarié ne devait pas être authentique, dès lors que le mandat était certain et valable, et qu'au surplus le vendeur avait ratifié l'opération.

D'autre part, il est très généralement admis que le mandat peut être conclu tacitement, non seulement de la par.t du manda­taire, ce que la loi prévoit expressément (Code civ., art. 1985, al. 2), mais aussi de la part du mandant (DE PAGE, t. V, n° 374).

Dans ce dernier cas, deux hypothèses sont possibles : soit celle du mandat tacite quelconque, qui n'est que l'application du droit commun des contrats consensuels, soit celle du mandat tacite fondé sur les usages, et dont le plus répandu est celui de la fèmme mariée (DE PAGE, t. V, n° 379).

La Cour de cassation (8 novembre 1956, Pas., 1957, I, 244, ·J. T., 1956, p. 727) a posé le principe de la validité d'un mandat tacite du premier type dans le cas. de gestion d'un immeuble, confiée à l'un des copropriétaires par les autres. A cette occasion, elle a rappelé la différence entre le mandat, qui suppose un accord de volontés, et la gestion d'affaires, qui se caractérise par l'ab­sence de convention préalable à la gestion.

Bien qu'il s'agît d'un mandat du mari à son épouse, c'était également d'un mandat tacite de droit commun (et non du mandat tacite dit « de la femme mariée » qui, on le sait, concerne les achats pour les besoins du ménage largement entendus) qu'a eu à connaître le tribunal civil de Bruxelles (17 juillet 1956, Pas., 1957, III, 73) : il a décidé qu'était valable le rembourse­ment d'un prêt et de ses intérêts à l'épouse du prêteur, si celui-ci avait tacitement donné mandat à son épouse de recevoir ces sommes, la révocation de ce mandat n'ayant été portée à la connaissance de l'emprunteur que postérieurement à ce rem­boursement.

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72. INTERDICTION POUR LE MANDATAIRE DE SE PORTER CONTRE-PARTIE. - Un jugement du tribunal civil de Tournai (21 décembre 1956,. Pas., 1958, III, 26, J. T., 1957, p. 94) a fait application du principe selon lequel le mandataire ne peut pas se porter contre-partie, à moins que le mandant l'y ait autorisé (voy. sur cette question DE PAGE, t. V, nos 384, 411 et 412).

73. PREUVE DU MANDAT. -Il est généralement admis que, lorsque la preuve du mandat doit être administrée par un tiers (en ce compris celui qui a traité avec le mandataire agissant pour le mandant), l'impossibilité pour lui de se procurer la preuve écrite du mandat lui permet de le prouver par toutes voies de droit (voy. Chronique 1956, p. 319, n° 43; DE PAGE, t. V, Compl., n° 399, B).

La Cour d'appel de Gand (23 février 1956, Pas., 1957, II, 53) et la Cour d'appel de Bruxelles (13 octobre 1956, Pas., 1958, II, 34) ont appliqué ce principe au cas de mandat entre un prêteur hypothécaire et son notaire, en ce qui concerne la preuve de ce mandat par l'emprunteur.

. Le tribunal civil de Charleroi (2 janvier 1956, Pas., 1956, III, 89, J. T., 1956, p. 255, note E. REUMONT, supra, n° 70) en a décidé de même au profit d'une des parties à un procès, à l'égard du mandat intervenu entre l'autre partie et son conseil.

Au contraire, un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (16 dé­cembre 1958, Pas., 1960., II, 43, J.I.., 1959, p. 718), préférant l'enseignement de LAURENT (t. Xf VII, no 453) à celui de M. De Page, a décidé que les règles sur les preuves sont générales, et applicables non sf;}ulement entre le mandant et le manda­taire, mais aussi à l'encontre de celui qui a traité avec le prétendu mandataire.

Quant à la preuve du mandat à administrer par les parties, elle répond aux règles du droit commun. Mais il a . été jugé qu'un- mandat verbal spécial (celui de demander le bénéfice de l'assistance judiciaire) se prouve par le fait que l'avocat d'une des parties est porteur des pièces requises ( civ. Arlon, 5 no­vembre 1954, J. T., 1956, p. 94).

74. EXÉCUTION DU MANDAT.- FAUTE DU MANDANT ET DU MANDATAIRE. --:-DoL DU MANDATAIRE. -Lorsque le mandataire, en exécutant son mandat; a commis certaines fautes, il. y a lieu

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de se demander si c'est lui-même ou le mandant qui est tenu de leurs conséquences envers les victimes. A cet égard, il faut distinguer nettement les fautes commises dans l'exercice du mandat, et qui, contractuelles ou aquiliennes, se rattachent à cet exercice, et les fautes commises en dehors de l'exercice du mandat, et qui, de ce fait même, ne sont jamais contractuelles. Pour les premières, la représentation joue, et le mandant est seul respon­sable à l'égard des tiers, quitte à se retourner contre son manda­'taire à raison des soins que ce dernier aurait dû apporter à l'exercice de son mandat. Rappelons à cet égard qu'il faut distinguer selon que le mandat est ou non salarié, le mandataire salarié répondant de sa faute la plus légère (Gand, 24 janvier 1959, Pas., 1959, II, 277).

Pour les secondes (qui comprennent normalement les délits et quasi-délits du mandataire, presque toujours commis en dehors des limites du mandat), le mandataire en est seul et personnellement responsable à. l'égard des tiers (DE PAGE, t. V, no 410) .

. Le tribunal civil de Bruxelles (4 décembre 1958, J. T., 1959, p. 476) s'est prononcé dans le cas de dol du m~ndataire dans la conclusion du contrat qu'il faisait avec un tiers pour le man­dant : ce dernier en subit toutes les conséquences, le dol du mandataire devant être considéré comme le dol du mandant lui-même (dans le même sens: DE PAGE, t. Ier et Oompl., n° 52).

Le même tribunal (16 février 1956, Pas., 1957, III, 58), appelé ·à statuer sur le recours du mandant contre le mandataire qui avait commis une faute contractuelle dans l'exercice de son mandat (l'Office des chèques postaux, ayant accepté de faire un virement, alors que le numéro du compte à créditer ne correspondàit pas au nom du titulaire indiqué sur le bulletin de virement), a estimé que ce recours ne devait être accueilli que pour partie, le mandant ayant lui-même commis une faute en envoyant un ordre de virement entaché d'erreur.

75. MANDAT SALARIÉ. -RÉDUCTION. -J'ai examiné dans . mes précédentes chroniques (1956, p. 320, n° 47, et 1953, p. 331, no 36) la question de la réductibilité du salaire· du mandataire par les tribunaux, lorsqu'ils estiment ce salaire exagéré. Le tribunal civil de Liège (27 janvier 1958, J. T., 1958, p. 190) a décidé de le réduire en fondant sa manière de voir sur le prin-

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cipe ancien du caractère désintéressé du mandat. (Adde sur la question: J. LIMPENS et J. VAN DAMME,« Examen de jurispru­dence. Les obligations », Rev. crit. jur. belge, 1956, p. 200, et 1960, p. 338.)

76. MoRT DU MANDANT.- On sait que la mort du mandant met fin au mandat (Code civ., art. 2003 ; DE PAGE, t. V, no 460).

Mais cette règle n'est pas d'ordr4 public : les parties peuvent y déroger, et cette dérogation peut être tacite, et résulte soit de l'objet du mandat, soit du but que le mandant a eu en vue. Tel est le cas si le mandat porte sur deux actes indissociables, dont l'un doit être accompli avant la mort du mandant, et l'autre après (cass., 17 juin 1957, Pas., 1957, I, 1234; voy., sur les conventions contraires au principe de l'article 2003, DE PAGE, t. V et Oompl., no 462).

CHAPITRE IX.- LE CAUTIONNEMENT.

77. FORMATION ET PREUVE. - On sait que le cautionnement est un contrat consensuel, qui ne nécessite aucune formalité particulière; la seule dérogation au droit commun en cette matière est que le consentement de la caution doit être exprès (Code civ., art. 2015). Encore peut-on se demander si le législa­teur· n'a pas désiré que ce consentement fût certain plutôt qu'exprès (voy. sur cette question DE PAGE~ t. VI, no 842, B). Quant au consentement du créancier, il est évident qu'il peut être tacite.

Le tribunal civil de Bruxelles (10 mai 1958, Pas., 1959, III, 12), faisant application de ces principes, a admis un cautionnement donné par simple lettre, la preuve de l'acceptation du créancier résultant de ce que cette lettre lui avait été remise, qu'ill'avait conservée, et qu'H avait poursuivi l'exécution de la convention.

En ce qui concerne la preuve du cautionnement, ·elle est régie en principe par les règles du droit commun. Néanmoins, le même jugement décide que l'article 1326 du Code civil, applicable aux engagements unilatéraux de sommes d'argent, donc au cautionnement, ne peut l'être dans le cas où cette somme est indéterminable au moment de la formation du contrat (il en était. ainsi dans l'espèce, s'agissant du cautionnement des obli­gations découlant d'un bail).

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D'autre part, la Cour d'appel de Bruxelles (19 février 1959, Pas., 1959, II, 234) a estimé qu'un cautionnement commercial, couvrant une somme de plus de 40.000 francs, devait être prouvé par écrit, ne présentant pas le caractère d'opération journalière urgente qui justifie, en matière commerciale, l'admis­sion de la preuve testimoniale quel que soit le montant du litige.

78. CAUTIONNEMENT SOLIDAffiE. - La Cour d'appel de Bruxelles (30 novembre 1957, Pas., 1959, II, 15) rappelle, pour écarter le grief formulé par les cautions de ne pas avoir été mises en cause, que lorsque la caution s'engage solidairement avec le débiteur principal, le créancier peut poursuivre indiffé­remment, pour la totalité de la dette, soit le débiteur, soit la caution (Code civ., art. 2021).

79. BÉNÉFICE DE DISCUSSION.- Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (20 mars 1959, Pas., 1960, II, 137) écarte le bénéfice de discussion opposé par la caution, pour le motif qu'elle a omis de le faire in limine litis (Code civ., art. 2022).

CHAPITRE X. - LA TRANSACTION.

80. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS. - On sait que les éléments constitutifs particuliers à la transaction sont : un litige né ou à naître; l'intention d'y mettre fin; des sacrifices réciproques, ce dernier élément étant malheureusement oublié dans la défi­nition de la transaction donnée par l'article 2044 du Code civil (DE PAGE, t. V, n° 483)."

Le tribunal civil de Liège (21 novembre 1956, Bull. ass., 1957, p. 741) et' la Cour d'appel de Liège (30 o"ctobre 1959, J.· T., 1959, p. 704) ont estimé qu'il y avait à la fois transaction et compromis dans la convention par laquelle la victime d'un accident et le prévenu (ou l'assureur du prévenu) soumettent à la décision d'experts médicaux la détermination des incapa­cités causées par l'accident, en stipulant que cette décision sera sans recours, sous la seule· réserve de la question des respon­sabilités.

On peut se demander s'il s'agit bien ici d'une transaction, aucune concession n'étant, à proprement parler, faite par les

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parties au moment où elles conviennent de se soumettre à la décision des experts, puisqu'elles ignorent quelle sera cette décision. Cependant, la Cour de Liège a vu ces concessions réciproques dans le fait que les parties abandonnent le droit de désigner d'autres experts, de discuter les conclusions de ceux qu'elles ont nommés, et donc de vanter ou de dénier l'existence et l'importance des incapacités (voy. dans le même sens, au cas où les parties avaient confié l'examen de leurs comptes respectifs à un expert, avec engagement de se conformer à sa décision : Liège, 2 mai 1903, P. P., 1903, 1090; adde DE PAGE, t. V, n° 487, petit texte, qui estime qu'une pareille convention s'appa­rente plus au compromis qu'à la transaction).

Le tribunal civil de Bruxelles (22 avril 1958, J. T., 1958, p. 691) a considéré également comme une transaction l'accepta­tion par la victime d'un accident d'avion de l'indemnité forfài­taire prévue par l'article 22 de la Convention de Varsovie. Il a trouvé les concessions réciproques, de la part du transporteur, dans la renonciation à prouver la cause exonératoire (art. 20), et, de la part de la victime, dans la renonciation à établir le dol ou la faute équipollente (art. 2?), qui permettent de réclamer la réparation totale du dommage.

81. FoRME ET PREUVE. - L'article 2044, alinéa 2, du Code civil déclare que la transaction doit' être rédigée par écrit. Il est admis qu'il ne s'agit pas là d'une formalité substantielle, mais seulement d'une règle spéciale en matière de preuve (DE PAGE, t. V, nos 498 et 499).

La Cour d'appel de Bruxelles (24 mai 1960, Ann. not., 1960, p. 209) a rappelé ce principe et en a déduit que la transaction pouvait être valablement greffée sur un autre contrat.

Dans un autre arrêt (15 avril 1959, Pas., 1960, II, 65), elle a admis que la transaction pouvait résulter implicitement d'un acte dans lequel les parties ne mentionnaient pas l'existence d'un litige entre elles,, du moment que ce litige existait réelle­ment, et que leur intention de transiger était certaine.

82. ÛBJET. - On sait que les articles du Code civil relatifs à la transaction sont particulièr~ment mal rédigés, et que, notamment, les articles 2053 à 20f8 règlent d'une manière obscure et incohérente les nullités Sljtnctionnant les eonditions de validité de ce contrat (voy. DE PAGE, t. V, n° 481 ).

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L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 15 avril 1959 (cité au n° 81) fait application de l'article 2054, aux termes duquel la transaction doit être rescindée lorsqu'elle a été faite en exécution d'un titre nul (en l'espèce, un testament olographe irrégulièrement signé). Une des parties tentait de faire échec à cette rescision en prétendant qu'il s'agissait d'une erreur de droit, laquelle ne permet pas d'attaquer la transaction (Code civ., art. 2052 al. 2. Voy. l'application de ce principe dans Bruxelles, 24 mai 1960, également cité au n° 81). Mais la Cour rappelle que la rescision (qui est plutôt une nullité) prévue par l'arti­cle 2054 vise l'absence d'objet ou de cause, tandis que l'arti­cle 2052, alinéa 2, concerne des vices de consentement. Il n'y a donc pas lieu de confondre ces deux ordres d'idées (voy. DE PAGE, t. V, n° 518, qui signale que cette confusion est faite par presque tous les auteurs, à l'exception cependant de Laurent).

C'est également l'absence d'objet qui est sanctionnée par l'article 2057, le deuxième alinéa de ce texte établissant le principe de la nullité, tandis que le premier. alinéa y admet une exception fondée sur la volonté présumée des parties (DE PAGE, t. V et Oompl., .n° 521). La Cour d'appel de Bruxelles (24 mai 1960, arrêt également cité au n° 81), confirmant un jugement du tribunal civil de Bruxelles (8 octobre 1957, Ann. not., 1959, p. 276), a écarté, par application de cette exception, la rescision (qui, répétons-le, est plutôt une nullité), lorsqu'il y a eu découverte de titres postérieurement à la transaction, alors que celle-ci a un caractère général (règlement d'un litige portant sur une liquidation .de communauté).

D'autre part, le tribunal civil de Bruxelles (22 février 1956, Pas., 1957, III, 14) a écarté l'application de l'article 2057 à une transaction intervenue préalablement à un divorce par consente­ment mutuel, parce que celle-ci ne présentait pas un caractère général.

83. CoNSENTEMENT. - Le tribunal civil de Bruxelles (9 dé­cembre 1954, Pas., 1956, III, 50), statuant sur une transaction conclue entre un particulier et l'administration des douanes et accises, écarte une série de moyens invoqués par ce particulier~ c'est-à-dire la violence (qui, pour être une cause de nullité, doit être injuste; ce qui n'est pas le cas de la menace de déférer le contrevenant aux tribunaux, même en présentant la contra-

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vention comme pouvant avoir des conséquences plus graves que celles qu'elle pouvait réellement entraîner : voy. sur ce point J. LIMPENS et J. VAN DAMME, Examen de jurisprudence, Rev. crit. jur. belge, 1956, p. 208, no 17; Chambéry, 15 mai 1944, Rev. trim. dr. civ., 1945, p. 30, n° 1, avec les observations de M. BoiT.A.RD), ainsi que l'erreur de droit et la lésion, qui, aux termes de l'article 2052, ne permettent pas d'attaquer la trans­action (tel était le cas, puisqu'il existait une contravention, dont l'auteur ignorait seulement Il sanction qu'elle pouvait entraîner. Mais il en eût été autreJ.ent si cette contravention, à laquelle les parties croyaient, n'avait pas existé du tout : en pareil cas, la transaction eût été nulle, faute d'objet).

Très délicate, eu égard à la notion de consentem:ent, est la question de la validité des transactions conclues entre les victimes d'accident et leurs auteurs responsables (ou leur assureur), immé­diatement après la survenance de l'accident, et dans l'ignorance des conséquences qu'il aura dans l'avenir (voy. les très intéres­sants développements consacrés à cette question par M. DE PAGE, t. V, Compl., n° 524). Quelle que soit la sévérité avec laquelle il faut tenter de réprimer l'exploitation de l'ignorance ou - qui pis est- de la détresse humaines (DE PAGE, loc. cit.), la trans-\ action couvre toutes les conséquences connues ou inconnues du ·• sinistre si elle comporte un forfait absolu, et elle ·ne pourrait être rescindée que pour cause de dol, ou d'erreur sur la personne ou sur l'objet (corr. Marche-en-Famenne, 24 octobre 1956, Jur. Liège, 1956-1957, p. 98).

84. INEXÉCUTION. -RÉSOLUTION. -La question de savoir si la transaction qui n'est pas exécutée par l'une des parties ne peut donner lieu qu'à l'exécution forcée, ou si la résolution de cette transaction peut aussi être deman,dée, est une des plus controversées qui soient (voy. l'examen ~pprofondi de cette question par M. DE PAGE, t. V, n°8 525 et suiv.). La Cour d'appel de Léopoldville (27 octobre 1953, Pas., 1956, II, 32), dans un arrêt très sérieusement motivé, a admis la possibilité de la réso­lution.

85. INTERPRÉTATION DES TRANSACTIONS. -Les articles 2048 et 2049 du Code civil reproduisent les règles d'interprétation du droit commun, ce qui les rend parfaitement inutiles (DE

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PAGE, t. V, n° 500). Le tribunal civil de Bruxelles (9 juillet 1957, J. T., 1957, p. 624}, faisant application du principe d'interpréta­tion restrictive qui résulte de ces textes, a décidé que si les parties, à. la _suite d'un accide1J-t, ont transigé uniquement sur le domm~ge subi par un véhicule, cette transaction ne fait pas , obstacle. à l'action en réparation de lésions corporelles consécutives à cet accident.

·. · 86. EFFETS DEl LA •rRANSAC'l'ION. - La trànsaction entraîne évidemment l'obligation pour les parties de respecter l'arrange­:rn.ent intervenu entre elles~ C'est ce que l'article 2052 énonce, d'une manière d'ailleurs imparfaite, eù déclarant que les trans­actions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée èri

dernier ressort (sur cette question, voy. DE PAGE, t. V,· nos 508 ~t 511).

La Cour d'appel de Bruxelles (12 janvier 1957, Pas.,·, 1958, II, 162) en a conclu que si les parties ont transigé sur une créance dont le titre stipulait la débition d'intérêts, cette transaction portant reconnaissance de la débition d'une somme fixée à x francs pour solde de tout compte en principal et en intbêts, celui qui réclame paiement de cette somme ne peut, à défaut de sommation antérieure à l'exploit introductif d'instance, de­mander d'autres intérêts que les intérêts judiciaires.

D'autre part, le tribunal civil d'Anvers (10 juin 1959, J. T., 1959, p. 655) a décidé que si l'auteur d'un accident avait transigé avec la victime, dans l'espoir d'éviter des poursuites pénales, mais que celles-ci s'étaient néanmoins produites et avaient abouti à une condamnation en simple police et à un acquittement en appel, il ne pouvait pas ensuite venir réclamer à sa victime l'indemnisation de son propre dommage, la transaction l'empê­chant de contester sa responsabilité, nonobstant l'acquitten1ent intervenu.

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PRIX FERNAND COLLIN.

Deux Prix Fernand Collin; d'un montant de 60.000 francs, sont institués en vue de promouv:oir :

a) L'étude du droit financier et économique;

b) L'étude du droit pénal financier (au sens large du mot)~

Ne sont pris en considération que. les travaux originaux rédigés en néerlandais et présentés, avant le 31 décembre 1961, par des auteurs de nationalité belge qui ~ depuis moins de vingt ans- ont obtenu leur diplôme final délivré par une uni­versité ~elge.

Le règlement régissant l'octroi de ces prix peut être obtenu en formulant une demande écrite au Secrétariat de la Fondation Universitaire, 11, rue d'Egmont, à Bruxelles 5.