Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295 http://slidepdf.com/reader/full/etudes-traditionnelles-numero-special-consacre-a-rene-guenon-nos 1/87 52 e  Année 1951 N os  293-294-295 i  JL  UA/JIJ^ TRADITIONNELLES Numéro spécial consacré  à RENÉ  GUENON PAUL CHACORNAC  |  Présentation. JEAN REYOR  J A.  K.  COOMARASWAMY  Sagesse orientale  et  savoir occidental. LEOPOLD  ZIEGLER  René Guenon  et le  dépassement  du monde moderne. M.  VALSAN  La  fonction  de  René Guenon  et le  sort de l'Occident. FRITUOF SCHUON  L œuvre. LUCBENOIST  Perspectives générales.

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5 2

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  A n n é e

1 9 5 1

N

o s

  2 9 3 - 2 9 4 - 2 9 5

i JL

  U A / J I J ^

TRADITIONNELLES

N u m é r o s p é c i a l

consacré à

R E N É  GUENON

P A U L C H A C O R N A C

  |

  Présentation.

J E A N R E Y O R

  J

A .  K.  COOMARASWAMY  Sagesse orientale  et  savoir occidental.

LEOPOLD

  ZIEGLER  René  Guenon  et le  dépassement  du

monde moderne.

M .

  VA LSA N  La

  fonction

  de

  René

  Guenon  et le

  sort

de l'Occident.

F R I T U O F S C H U O N   L œuvre.

L U C B E N O I S T

  Perspec tives générales.

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5 2

e

  A n n é e   1951  N

o s

  2 9 3 - 2 9 4 - 2 9 5

ÉTUDES

J L  JL m.

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  m  i  m  i  m  i  m  i ^J

Numéro spéc ia l

c o n s a c r é à

R E N É

  GUENON

P A U L C H A C O R N A C  I  Présentation.

J E A N R E Y O R

  J

A .

  K.

  COOMAHASWAMY  Sagesse orientale

  et

  savoir occidental.

LEOPOLDZIECLER  René

  Guenon

  et le  dépassement  du

monde moderne.

M .  VALSAN  La  fonction  de  René

  Guenon

  et le  sort

de l'Occident.

F R I T U O F S C H U O N

  L oeuvre.

Luc  BENOIST  Perspectives générales.

A N D R é P R é A U  René

  Guenon

  et  l'idée métap hysique.

J E A N T H A M A R

  Com ment situer René Guenon.

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ETUDES TRADITIONNELLES

Julllet-ac

S a * A n n é e

s p te m b r e , o c t o br e - n o v e m b r e   1051

N

03

  203-304-305

PRÉSENTATION

U S S I T ô T  que fut connue la nouvelle de la mort de René

Guenon, de nombreux admirateurs de notre regretté

collaborateur exprimèrent le désir que nous consacrions à

sa personne et à son œuvre un numéro spécial des

  E t u d e s

T r a d i t i o n n e l l e s .  Nos collaborateurs habituels et d'autres

écrivains se montrèrent heureux de trouver là une occasion

de témoigner de leur estime et de leur reconnaissance pour

celui qui fut incontestablement à notre époque l'interprète

autorisé de la doctrine traditionnelle.

Nous tenons à remercier tous ceux qui ont bien vo ulu

contribuer au présent num éro et tout spécialement les écri

vains qui ne font p as partie de notre rédaction et que nous

sommes

  heureux d'accueillir :

M.  Léopold  Ziegler, docteur

  ho no r i s c a us a

  de l'Univer

sité de  Marburg,  membre de

  VAcadémie

  des sciences et

lettres de Mayence, auteur d'ouvrages importants d'inspi

ration traditionnelle :  G e s t al tw a n d e l d e r  Gôtter  (Transfor

mation des dieux), qui a valu à son auteur le prix  Gœthe  ;

D e r  ewige  B u d d h a  (Le Bouddha éternel) ;  U be r l i e f e rung -

(Tradition);  Menschwerdungf  (Devenir homm e) que l'histo

rien bien connu Reinhold Schneider a désigné comme étant

le livre allemand le plus important paru au cours des cent

dernières années.

M. Marco Pallis, dont le récit de voyage au Tibet : P e a k s

a n d

  Lamas  a connu plusieurs éditions en Angleterre et en

Amérique, et qui a bien voulu nous auto riser à publier dans

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ÉTUDES TRADITIONNELLES

P R E S E N T A T I O N

195

les

  E t u d e s T r a d i t i o n n e l l e s

  un chapitre important de cet

ouvrage.

M. F. Vreede, liant fonctionnaire au Ministère  d Educa-

tion de la République Indonésienne et chargé de l'ensei

gnement de la philosophie hindoue à l'Académie nationale

de Djakarta.

M. Mario Meunier, le savant helléniste traducteur de Pla

ton,  de Plutarque, de Salluste, de Synésius, etc..

M. Gonzague Truc, le critique et historien dont l'ouvrage

N o t r e T e m p s  rejoint dans ses conclusions  Orient  e t Oc c i

d e n t  et  L a C ri s e d u M o n d e M o d e r n e .

M. Luc Benoist bien connu pour ses travaux sur  l his

toire de  l Art  et dont les livres

  L a c u i s i n e d e s A n g e s

  et

  Ar t

d u M o n d e

  sont fortement marqués par la pensée tradition

nelle, et qui a bien voulu nous promettre une série d'études

pour notre revue.

Nous désirons aussi exprimer notre gratitude aux au

teurs et  à  la direction des périodiques qui ont rendu hom

mage à René Guenon. Nous retiendrons tout particulière

ment les études de M. Paul Sérant parues dans  Combat  du

10 janvier et dans

  R i v a r o l

  du

  2$

  janvier

  ;

  de M. François

Bruel,  publiée dans

  C a r r e f o u r

  du 16 janvier ; de M. Olivier

de Carfort dans  R é f o r m e ;  de M. André  Rousseaux  dans le

F i g a r o L i t t é r a i r e

  du

  j

  février;  de M. Jacques Masui dans

L e s C a h i e r s d u S u d

  de juin et de M.

  G

  de Saint-Jean dans

L e S y m b o l i s m e   de juin-juillet-août. No-us  remercions  égale

ment la direction de la revue anglaise

  T h e  spéculative  M a -

so n  qui a reproduit intégralement  l excellente  étude  de

M. François Bruel.

Il ne nous reste qu'un

  mot

  à dire sur le contenu du pré

sent numéro. Il n'est pas   l expression  de la pensée d'une

organisation ou d'un groupe quelconque. Les auteurs dont

on va lire les textes viennent des horizons spirituels les plus

différents et n'ont  en  commun qu'un égal respect pour la

Tradition.

  Nécessairement, l œuvre

  de René

  Guenon

  devait

retentir sur chacun d'eux d'une façon différente et, d'accord

sur les principes, ils peuvent différer sur des questions,

même importantes, qui ne sont pas de l'ordre doctrinal,

mais c'est la raison d'être de notre revue que de laisser

s'exprimer tous les points de vue dans le cadre des principes

traditionnels.

PAUL

  CHACOKNAC

  e t JEAN

  REYOR.

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SAGESSE ORIENTALE

ET SAVOIR OCCIDENTAL

jRIENT

  et Occident e t  La Crise du M onde m oderne  sont ,

à l ' exception de   L'Homme et son Devenir  qui parut

sous d'autres auspices (Londres , Rider ,

  1928),

  les premiers

volumes d'une série dans laquelle tous les ouvrages de

M . René  Guénôn  déjà publiés en français paraîtront en

langue anglaise. M . Re né

  Guenon

  n'es t pas un «

  orienta

l is te », mais ce que les Hindous nommeraient un

  Guru.

  Il

résida tout d 'abord à Paris , maintenant , depuis bien des

années , en Egypte , où ses relations sont is lamiques .

S on

  Introduction

  générale

 à l'étude des doctrines hindoues

parut en  1921. Comme préliminaires à ses travau x ultérieurs

sur la philosophie tradit ionnelle quelquefois nommée   philo-

sophia perennis

  (et l 'on doit sous-entendre  universalis,  car

ce tte « philosophie » a été l 'héritage commun de tou te l 'hu

manité sans exception) ,

 Guenon

  a déblayé le terrain de toute

fausse conception en deux volumes importants , d 'une lecture

parfois pénible, mais en aucune façon inutile :  L'Erreur

Sfirite,  un ouvrage auquel la

  Bkagavad-Gîtâ

  XV I I , 4 « c e

sont des hommes des ténèbres ceux qui rendent un culte

aux mo rts et aux e sprits » aurait pu se rvir d 'épigraphe

(Paris, 1923), et  Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-

religion   (Paris, 1921). Ils ont été suivis par  L'Homme et son

Devenir selon le Vêdânta   e t  L'Esotérisme de Dante  (Paris,

1925),   Le Roi du Monde  (Paris, 1927),  Saint-Bernard  (M ar

seille, 1929),  Autorité spirituelle et pouvoir temporel (Paris ,

1 . T r a d u c t i o n d e l ' a r t i c l e p u b l i é e n  Î943 p a r n o t r e r e g r e t t é c o l l a b o r a t e u r

sons

  l e t i t r e

  Bastern wisdom

  an d western

  knowledge,

  dans / si s ,  Internatio

nal Revient Devoted to  the history of  Science and C ivilization,  p r i n t e m p s

1943,

  N«

 96 , vo l . XXXIV .

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E T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

192 9) ,

  Le symbolisme de la Croix

  ( P a r i s ,  1931) ,

  Les Etats

multiples de l'Etre

  ( P a r i s ,

  1932)

  e t

  La

  Métaphysique

  Orien

tale

  ( P a r i s ,  1939) ,  u n e

  conférence

  donnée à l a So rbonne e n

192 5 .

E n t r e t e m p s , d ' i m p o r t a n t s a r t i c l e s d e R e n é   Guenon  p a

r u r e n t m e n s u e l l e m e n t d a n s

  le Voile d'Isis,

  p lu s t a rd

  Eludes

Traditionnelles,

  r e vu e qu i f u t , à b i e n d e s éga rds , u n iqu e ,

m a i s don t l e d e s t i n e s t i nconnu i c i d e pu i s l e nu m éro pa ru e n

m a i  1940.  Ce t t e r e vu e é t a i t consac ré e à l a « t rad i t i on p e r pé

t u e l l e e t  unanime  révé l é e t an t pa r l e s dogm e s e t l e s r i t e s d e s

r e l i g i ons o r t hodoxe s qu e pa r l a l angu e u n iv e r s e l l e d e s sym

boles in i t ia t iques » .

P a rm i l e s a r t i c l e s qu i on t pa ru a i l l e u rs , nou s a t t i r e rons

l ' a t t e n t i o n s u r  L'ésotérisme islamique  pu b l i é dans  les Cahiers

•du Sud  de  l ' année

  1935 .

  D e s e x t r a i t s d e l ' œ u v r e d e   Guenon

a v e c q u e l q u e s c o m m e n t a i r e s o n t p a r u d a n s

  Triveni

  (1935)

•et  dans l e  Visabharati quarterly  (1935-1938).

La l angu e d e   Guenon  es t à la fois précise e t c lai re e t pe rd

inév i t ab l e m e n t à ê t r e t radu i t e ; l a m a t i è r e t r a i t é e e s t d ' u n

in t é rê t cap t i van t , du m oins pou r qu i conqu e t i e n t à c e qu e

P l a ton nom m e l e s chos e s ré e l l e m e n t s é r i e u s e s . Ce p e ndan t ,

e l l e a é t é sou ve n t t rou vée p e u ag réab l e , e n pa r t i e pou r l e s

ra i sons dé j à donnée s a s s e z pa radoxa l e m e n t pa r u n c r i t i qu e

d u

  Maître  Eckharl

  d e B l a k n e y d a n s le

  Harward Divinity

School

  Bulletin

  ( X X X I X ,  1942 ,  p .  107) ,  qui d i t qu '

  «

 à u n e

époqu e où l ' on c ro i t à l a p e r sonna l i t é e t au p e r sonna l i sm e ,

l ' im pe rso nna l i t é du m ys t i c i sm e e s t déconce r t an t e ; e t à u n e

époqu e qu i s ' e f f o rc e d e p longe r u n r e ga rd p lu s a igu dans

l ' h i s t o i r e , l 'i nd if f ér e nce d e s m ys t i qu e s su r l e s événe m e n t s du

t e m p s  est  déconce r t an t e » .

Qu an t à l ' h i s t o i r e , l e s l i gn e s su ivan t e s d e   Guenon  : « Ce lui

qu i n e p e u t so r t i r du po in t d e vu e d e l a su cce s s i on t e m po

r e l l e e t e nv i s age r t ou t e s chos e s e n m ode s im u l t ané e s t i nca

pab l e d e l a m oind re conce p t i on d e l ' o rd r e m é taphys iqu e »

(La Métaphysique Orientale,

  p .

  17)

  c o m p l è t e n t d ' u n e m a n i è r e

adéqu a t e l a dé f i n i t i on pa r J acob   Boehme  de « l 'h is toi re qui

S A G E S S E O R I E N T A L E E T S A V O I R O C C I D E N T A L

199

v in t u n e f o i s à pas s e r  »  c o m m e « p u r e m e n t e t s i m p l e m e n t

l a f o rm e ( e x t é r i e u r e ) du Chr i s t i an i sm e »  (Sig. Rerum,  X V ,

2 4 ) .

  P o u r l e s H i n d o u s , le s é v é n e m e n t s d u R i g - V ê d a s o n t

4  m a i n t e n a n t - t o u j o u r s » e t s a n s d a t e e t l a  Lîlâ  d e K r i s h n a

4  n ' e s t pas u n évé ne m e n t h i s t o r i qu e » ; l a con f i ance du

Chr i s t i an i sm e e n d e s « f a i t s » su pposés h i s t o r i qu e s s e m b l e

ê t r e s a g rande f a ib l e s s e . La va l e u r d e l ' h i s t o i r e l i t t é ra i r e e s t

t rè s m in im e pou r l a doxograph i e e t c ' e s t pou r c e t t e ra i son

q u e t a n t d ' H i n d o u s o r t h o d o x e s o n t p e n s é q u e l e s é t u d e s

occ id e n t a l e s é t a i e n t u n « c r im e » : l e u r i n t é rê t n ' e s t pas dan s

4 c e q u e l e s h o m m e s o n t c r u  »  m a i s dans l a V é r i t é .

Une au t r e d i f f i cu l t é ré s id e dans l e s t y l e i n t rans ig e an t d e

Guenon  : « La c iv i l i s a t ion o cc id e n t a l e e s t u n e anom al i e , pou r

n e   pa s  d i r e u n e m ons t ru os i t é » . A c e p ropos , u n c r i t i qu e

( B e t t y H e i m a n n i n  BSOAS,  X ,

  1 9 4 2 ,

  p .  1048)  a di t que « d e s

v u e s a u s s i r a d i c a l e s n e p e u v e n t ê t r e p a r t a g é e s m ê m e p a r l e s

c r i t i qu e s d e s e n t r e p r i s e s occ id e n t a l e s » . No u s au r i ons c ru

q u e m a i n t e n a n t q u e l e u r a b o u t i s s e m e n t e s t d e v a n t n o s y e u x ,

l a vé r i t é du j u ge m e n t d e

  Guenon

  a u r a i t p u ê t r e r e c o n n u e

pa r t ou s l e s Eu ropée ns s ans p ré ju gés ; e n t ou t cas , l e p ro

f e s s e u r La P i ana a d i t qu e « c e qu e nou s appe lons no t r e c i v i

l i s a t i on n ' e s t qu ' u n e m ach in e m e u r t r i è r e s ans consc i e nce e t

sans idéal »  (Harward Divinity school bulletin,  X X V I I , 2 7 )

e t i l aurai t auss i b i en  pu  di re  «  su i c idan t e  »  q u e m e u r t r i è r e . I l

s e ra i t b i e n f ac i l e d e c i t e r l e s i nnom brab l e s c r i t i qu e s du m êm e

g e n r e ; S i r S . R a d h a k r i s h n a n s o u t i e n t , p a r e x e m p l e , q u e

« l a c i v il i s a t ion n e va u t p as l a p e i n e d ' ê t r e s au vée s i e l l e con

t i nu e su r l e s m êm e s bas e s »   (Eastern Religions and Western

tkought,  p . 257) e t ceci se rai t d i f f ic i l e à n ie r ; l e professeur

A. N.  White  He ad a pa r l é t ou t au s s i v igou re u s e m e n t :  «  Il

r e s t e l a pa r ad e d e l a c i v i l i s a ti on s ans au c u ne d e s e s réa l i t é s »

(Advenlurcs  0/ ideas,

  1933,  p .  1358) .

En tout cas , s i nous voulons l i re

  G u e n o n ,

  n o u s d e v o n s

nou s dé f a i r e d e c e t t e p e r sp e c t i v e t e m pore l l e e t na ïv e qu i a

s i l ong t e m ps e t s i

  complaisamment

  e nv i s agé u n p rogrès con

t i nu d e l ' hu m an i t é cu lm inan t au XX

e

  s i èc l e , e t cons e n t i r au

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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2 0 0

ÉTUDES

  TRADITIONNELLES

mains  à nous demander s ' i l n 'y a pas eu une chute continue

«  de l 'âge de pierre à maintenant », comme l 'un des hommes

les plus érudits des Etats-Unis me le disait  lin  jour. Ce n'es t

pas par la « science » que nous pouvons être sauvés. « La pos

sess ion des sciences , s i el le n 'englobe pas la meil leure , ne

sera uti le que dans quelques rares cas , mais le plus souvent

sera nuis ible à son possesseur » (Platon,

  Alcibiade

  I I ,  144

 b.}.

« Nous sommes obligés de re connaître que notre culture

européenne es t uniquement une cu l tur e de la ra i son e t des

s ens

 »

 (W orrington,  Form

  in Gothic,

  p. 75) ;

 «

  la prostitution

de la science peut conduire à une catastrophe mondiale »

(Leroy W aterman in

  JAOS,

  L V I I I ,

  410)

  ;

 «

  notre dignité et

notre intérêt exigent que nous soyons les dir igeants et non

les victimes du progrès technique et scientifique » (Herbert

M orison in  the British Association rep ort, science and  world

order; janvier 1942 , p . 33) ; « peu de gens nie ront que le

XX

e

  siècle nous ait jusqu'ici apporté Une amère  déception »

(professeur J. M . M ecklin in  Passing  of  the Sain,  p .  197)  ;

« nous devons mainte nant faire face à  Une complè t e banque

route dans tous les domaines de la vie » (Lionel   Giles  in

Luzac's  oriental

  list).

  Eric

  Gill

  parle de la « monstrueuse

inhumanité » de l ' industrialisme et de la façon de vivre

moderne comme n ' é tant

  «

 ni humaine ni normale ni chré

tienne. . . , c ' es t notre façon de penser qui es t bizarre et déna

turée »

 (Aulobiography,

  pp. 145-174-279).

Notre sentiment d 'une frustration es t peut-être le s igne

le plus encourageant de notre temps. Nous avons insis té

sur ces choses parce que c ' es t seulement à ceux qui sentent

c e t t e

  frustration

  et non à ceux qui croient encore au progrès

que

  Guenon

  s 'adresse ; â ceux qui sont satisfaits , tout ce

qu' i l a à dire paraîtra absurde.

Les réactions des Catholiques romains sont très instruc

tives . L'un d'eux a fait remarquer que   Guenon  e st un « sé

rieux métaphysicien  »  convaincu de la vérité qu' i l expose et

ardent à démontrer l 'unanimité des tradit ions orientales et

scolastiques , et cet auteur fait remarquer que  «  en semblables

S GESSE ORIENT LE ET S VOIR OCCIDENT L

2 T

matières , foi et compréhe nsion doivent aller de pair » (W al te r

S hewr ing in the   Weekly review, janvier 1939). Crede  ut intel-

ligas  es t un conseil dont les étudiants modernes feraient

b i en de t en i r compte ; c ' e s t peu t -ê t r e jus t ement parce que

nous n'avons pas cru que nous n'avons pas encore compris

l'Orient.

  Le même aut eur écr i t

 d Orient

 et Occident : « René

Guenon  es t un des rares écrivains de notre temps dont

l 'œuvre so i t vra iment impor tant e . . . I l  défend  la primauté

de la métaphysique pure sur toutes les autres formes de

connaissance, et se présente comme l ' interprète d 'une tra

dit ion supérieure de la pensée, à prédominance orientale ,

mais partagée au moyen âge par les scolastiques de l 'Occi

dent. . . I l es t clair que la posit ion de  Guenon  n'es t pas celle

de "l 'orthodoxie chrétienne , mais be aucoup, pe ut-être la

plupart de ses thèses , sont , en fait , plus en accord avec la

doctrine thomiste authentique que ne le sont bien des opi

nions  de Chrétiens pieux, mais mal informés »

  {Weekly

review,  28 août

  1941).

  Nous ferions bien de nous souvenir

que même saint Thomas d'Aquin ne dédaignait pas de faire

usage de « preuve s intr insèques e t probables » ve nant des

philosophes « païens ».

G érald V ann, par ail leurs , commet l ' erreu r  qu'annonce

le titre de son article

  L'Orientalisme

 de René  Guenon (in  New

English Weekly,  s ep t em br e  1941)  car il ne  s'agit  pas d'un

nouvel  « isme »  ni d 'une anti thèse géographique, mais d'une

antithèse de la théorie tradit ionnelle et de l ' empirisme mo

derne . Vann s 'élance à la défense de ce même Chris tianisme

dans lequel

  Guenon

  voit presque la seule possibilité de salut

de  l'Occident

  ;

 seule possibil ité , non pas qu' il n 'y ait d 'autre s

corps de vérité , mais parce que la mentali té de l 'Occident

es t adaptée à une rel igion exactement de cette sorte et qu' i l

en a besoin. M ais si le Christianisme d e vait faillir, c'est tout

s implement parce que ses perspectives intel lectuelles ont été

submergées et qu' i l es t devenu un code de morale plutôt

qu'une doctrine de laquelle toutes les applications peuvent

et doivent être dérivées . C'es t à peine s i deux phrases consé-

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2 0 2

ÉTUDES TRADITIONNELLES

cutives  de ce r ta ins s e rmons de Maî t re Eckhar t s e ra i en t

compréhensibles dans une congrégation moderne ordinaire

qui n ' a t t end pas de doct r ine mais a t t end s eu l ement qu 'on

lui dise comment se conduire. Si Guenon vêtit  que l 'Occident

s e met t e à l ' é tude de la métaphys ique o r i en ta l e , c e n ' es t

pas parce qu'el le es t orientale , mais parce que c ' es t la méta

physique. Si la métaphysique orientale différait de la méta

physique occidentale — comme la vraie philosophie diffère

de ce qu i es t souve nt appelé ainsi dans nos mode rnes unive r

s i tés — l 'une ou l 'autre ne serait pas la métaphysique. C'es t

de la métaphysique que l 'Occident  s'est  détourné dans son

ent r epr i s e dés espérée pour v ivr e de pa in s eu l ement , une

entreprise dont les fruits  de * M er mor t e sont devant nos

yeux. C ' es t s eu l ement parce que ce t t e métaphys ique sub

sis te encore comme   Une  puissance de vie dans les sociétés

orientales — dans la mesure où el les n 'ont pas été corrom

pues par le contact desséchant de la civil isation occidentale

ou plutôt de la civilisation moderne (car l 'opposition n'est

pas entre Orient et Occident comme tels , mais

  entre

  « ces

voies que le res te de l 'humanité suit tout naturel lement »

et ces chemins d'après la Renaissance qui nous ont amenés

dans la présente impasse) — et non pas pour orientaliser

l 'Occident mais pour le ramener à la conscience des racines

de sa propre vie et des valeurs qui ont été dévalorisées dans

le sens le plus s inis tre , que   Guenon  nous demande de nous

tourner ver s

 l'Orient.

  Il ne veut pas dire , et i l montre clai

rement qu' i l ne veut pas dire , que les Européens devraient

devenir Hindous ou Bouddhistes , mais bien plutôt qu'eux,

qui n 'aboutissent à rien par l 'étude de « la Bible en tant

que l i tté ra tur e » ou par l 'é tude de D ante « en tant que

poète » dev raient redécouvrir leur Chris tianisme ou, ce

qui revie nt au

  m êm e ,

  Platon (« Ce G rand-Prêtre »

comme l 'appelle M aître Eckha rt) . Nous somme s souvent

étonnés de l ' immunité des hommes à l 'égard de   Y Apologie

ou septième chapitre de la  République  ; nous supposons

que c ' es t parce qu' i ls ne veulent pas   entendre  la parole

SAGESSE ORIENTALE ET SAVOIR OCCIDENTAL

203

« Quoique i l y en e ût un qui ressuscitât d 'entre les morts ».

La publication d Orient

  et

 Occident  ne pos e pas s eu l ement

un problème théorique (nous devons rappeler au lecteur

moderne que, du point de vue de la philosophie tradit ion

nelle , « théorique » n'es t r ien m oins qu'un te rme de m épris)

mais aussi un problème pratique urgent.   Pearl  B u ck d e

mande  : « Pourq uoi les préjugés sont-ils si forts actue lle

ment ? La réponse, me semble-t-i l , es t facile. Les moyens

de transports et d 'autres circonstances ont forcé des parties

du monde autrefois éloignées les unes des autres à entrer

actuellement en un contact étroit auquel les peuples ne sont

ni psychiquement ni spiri tuellement préparés . . . I l n ' es t pas

nécessaire  de croire que cette phase init iale doive continuer.

Si ceux qui sont préparés à agir comme interprètes veulent

bien faire leur propre travail , nous trouverons peut-être

d' ici une génération ou deux, ou même plus tô t , que l 'aver

s ion et le parti-pris auront disparu. Ceci n 'es t possible que

si de fortes et promptes mesures sont prises par les peuples

pour res ter mentalement à la hauteur du problème posé par

la proximité croissante à laquelle la guerre nous oblige »

(Asia,

  mars

  1942).

  M ais s i ceci doit arriver , l 'Occident de vra

abandonner ce que

  Guenon

  nomme « sa fureur de prosély

tisme », express ion qu'on ne doit pas rapporter seulement à

l 'activité des missionnaires chrétiens , aussi regret table

qu'elle soit parfois, mais à l 'activité de tous les distributeurs

de « civil isation » mode rne et à cel le de presque tous les

«  éducateurs  »  qui pensent avoir plus à donner qu'à recevoir

de ceux qui sont souve nt appe lés les peuples « arriérés » ou

« qui ne progresse nt pas

  »

  ; à l 'activité de tous ceux à qui il

ne vient pas à l 'esprit qu'on pe ut ne pas souhaiter le progrès

OU  ne pas en avoir besoin lorsqu'on a atteint un état d 'équi

libre qui contribue déjà à la réalisation de ce que l'on consi

dère comme les plus grands buts de la vie.

C'es t en tant que manifes tation de bonne volonté et des

meilleures intentions que cette fureur de prosélytisme prend

les plus dangereux aspects . Cette année même, le Vice-Pré-

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2QÔ

ÉTUDES TRADITIONNELLES

SAGESSE ORIENTALE ET SAVOIR OCCIDENTAL

207

culturels , i l n ' es t pas important que la masse soit let trée ;

i l n ' es t pas nécessaire que quiconque soit  lettré  ; il est seu

leme nt nécessaire qu ' i l y ait parmi le pe uple de s philosophes

(dans le sens tradit ionnel , non dans le sens moderne du mo t)

et que le profane conserve un profond respect pour la véri

table connaissance, ce qui es t à l 'opposé de l 'at t i tude amé

ricaine vis-à-vis d'un  «  Professeur ». Sous ce rapport

 l'Orient

tout entier es t encore de lo in en avance sur l 'Occident , et

en conséquence la culture de l 'él i te exerce sur la société en

général une influence bien plus profonde que celle que le

« pense ur » spécialisé d'Occident pourrait jamais espérer

exercer .

Cependant , ce qui intéresse surtout

  Gu eno n ,

  ce n 'es t pas

la protection de

  l'Orient

  contre les incursions subvers ives

de la « culture » occidentale , mais plutô t ce t te que stion :

quelle possibil i té de quelque régénération, peut être envisa

gée pour

 l'Occident

 ?  La possibil i té n 'exis te que dans le cas

d'un retour aux premiers principes et aux façons de vivre

normales qui procèdent de l 'application des premiers prin

cipes aux circonstances contingentes ; et comme ce n'es t

qu'en Orient que les choses sont encore vivantes , c ' es t vers

l'Orient

  qu e  l'Occident  doit se tourner . . . « C'es t l 'Occident

qui doit prendre l ' init iative , mais pour aller vraiment vers

l 'Orient , non pour essayer de t irer l 'Orient à lui comme il

l 'a fait jusqu'ici. Cette initiative,  l'Orient  n'a aucune raison

de la prendre , même s i les conditions du monde occidental

n'étaient pas tel les qu'el les rendent inuti le tout effort dans

ce sens . . . I l nous res te maintenant à indiquer comment une

tel le tentative peut être envisagée »   (Orient et Occident,

pp .  145-146).

Il se met en devoir de démontrer que le travail doit être

fait dans les deux domaines de la métaphysique et de la

rel igion et ne peut être entrepris qu'au niveau intel lectuel

le plus élevé, où

  Un

  accord sur les principes premiers peut

être atteint , lo in de toute propagande ou même de toute

apologie de la « civilisation occiden tale ».

Le travail doit être entrepris , par conséquent , par une

« élite ». Or, comme ce que Guenon veu t dire es t ici , plus que

partout ail leurs , susceptible d 'être volontairement mal

interprété, nous devons comprendre clairement ce qu' i l

entend par une tel le él i te . L'opposit ion entre Orient et Occi

de nt étant seule me nt « accidentel le » le rapprocheme nt de

ces deux portions de l 'humanité et le retour de l 'Occident à

une civil isation normale sont une seule et même chose.

L'éli te travail lera d'abord pour el le-même, puisque, natu

rellement,  ses membres recueil leront de leur propre dévelop

p em en t

 Un

  bénéfice immédiat et qui ne saurait faire défaut

 »

(Orient et Occident,  p .  184).  Un résultat indirect ,  «  indirect »

parce que, à ce niveau intel lectuel on ne pense pas à « faire

du bien »  aux autres ou à « servir  » mais on cherche la vérité

parce qu'on e n a besoin soi-même — pourrait , dans des con

dit ions favorables , ame ner un « retou r de l 'Occident à une

civilisation

  traditioruieËe »

  c'est-à-dire à une civilisation

dans  laquelle.* tout apparaît comme l 'application et le pro

longement d'une doctrine purement intel lectuelle ou méta

physique en son essence  » (Orient et Occident,  p. 215-216).

René  Guenon  insis te encore et encore sur le fait que par

cette   éli te i l n ' entend pas un corps de spécialis tes ou d'éru-

dits qui absorberait et imposerait à l 'Occident les formes

d une   culture étrangère ni même qui persuaderait l 'Occident

de retourner à une civil isation tradit ionnelle tel le que celle

qui exis tait au moyen âge. La culture tradit ionnelle se déve

loppe par l 'application des principes aux contingences ; les

principes , en effet , sont inchangeables et universels , mais de

même

  que r i en  ne  peut être connu sauf dans le mode du

connaissant , de même rien de valable ne peut être accompli

socialement

  sans tenir compte des caractéris t iques des inté

ressés et en particulier des circonstances du temps où i ls

vivent. Il n 'y a pas de « fusion » des cultures à espérer ; ce

ne  serait r ien de semblable à un  «  éclectisme  »  ou à un « syn

crétisme » qu'une éli te aurait en vue . D e même , jamais une

•••il-,

  élite ne  serait  non. plus organisée de manière â exe rcer

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208

ÉTUDES TRADITIONNELLES

une influence aussi directe que celle , par exemple, que les

t echnocra t es a imera i en t exercer pour l e b i en de l ' humani té .

Si une tel le él i te voyait jamais le jour , la vaste majorité des

Occidentaux n'en saurait r ien ; el le agirait seulement comme

une so r t e de l eva in , e t ce r ta inement en faveur de , e t non

•contre ce qui peut survivre d 'essence tradit ionnelle dans les

domaines de l 'Orthodoxie grecque et du Catholicisme ro

main, par exemple. C'es t , en effet , un fait curieux que cer

tains des plus puissants défenseurs du dogme chrétien se

trouvent parmi des Orientaux qui ne sont pas eux-mêmes

•chrétiens  ou susceptibles de jamais devenir chrétiens , mais

reconnaissent dans  la  tradit ion chrétienne une incarnation

de la vérité universel le que D ieu n'a jam ais , ni nulle part ,

laissée sans témoignage.

En a t t endan t , René

  Guenon

  demande : « . . . serait-ce

vraime nt le « comme nceme nt de la fin » pour la civil isation

mode rne ? .. . tout au moins, bien de s indices doivent donne r

à réfléchir à ceux qui en sont encore capables  ,* l 'Occident

parviendra-t-il

  à se ressais ir à tem ps ? ». Peu nieront que

nous

  ne soyons placés en face de la possibilité d'une désin

tégration totale de la culture. Nous sommes en guerre avec

nous-mêmes , et par conséquent en guerre les uns contre les

au t r e s .  L'Occidental  es t mal équilibré et la question :

peut-i l se ressais ir ? es t d 'une très réelle urgence. Aucun

de ceux à qui la ques t ion s e prés ent e ne peu t s e permet t r e

d' ignorer les écrits du meilleur interprète contemporain de

la Sagesse tradit ionnelle qui

  n'est

  pas plus essentiel lement

orientale qu'el le n 'es t occidentale , quoique ce ne soit peut-

être que dans les parties les plus éloignées de la terre que

l 'on se souvienne encore d 'el le et qu'el le doive être recher

chée.

A N A N D A K .  COOM ARASW AMY.

RENE   GUENON

ET LE D ÉPA S S EM ENT

DU MONDE MODERNE

VEC

  René

  G ue n o n ,

  en l evé au monde s i prématurément ,

nous perdons l 'un de ces rares hommes qui ont établi

e t f ixé dans l eur o euvre même la mesure permet tant d ' en

déterminer l ' importance. Fondateur ou rénovateur de la

doctrine de la tradit ion intégrale , de ce que nous avons

appelé la « tradit ion saine »

 (heile  Ueberlieferung), G ue n o n ,

en face du processus de déclin qui entraîne irrésis t iblement

notre génération, fait appel à la seule force contraire d 'où

puisse encore ven ir le salut . M éprisant les nombreux pro je ts

de transformations économiques et sociales , qui presque

tous ne font que prolonger la série des révolutions échelon

nées depuis la fin du moyen âge,   G ue n o n ,  dès le début de

son œuvre, va droit à la solution qui concerne l 'homme tout

entier : i l nous impose, comme une tâche impérieuse , le

retour au bien commun et héréditaire de l 'humanité — à

cette tradit ion intégrale , précisément , que nous pourrions

appeler aussi le

 «

  savoir primordial  », celui qui élève l 'homme

au-dessus de l 'animalité , ou encore la « révélation primor

diale », à vrai dire perdue, mais non définit ivement dis

parue .

En effet , bien que, nous inviter ainsi à nous remémorer

la tradit ion saine, ce soit

  reconnaître

  qu'el le a été oubliée ,

c ' es t aussi , d 'un autre côté, admettre qu'el le puisse être

retrouvée et vivifiée. M ais comme nt y parvenir ? Pour

G ue n o n ,

  comme pour nous-même, i l va de soi qu' i l faut

renoncer à appliquer les méthodes scientifiques , les mé

thodes rationnelles héritées des Grecs , et qui ne peuvent

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210 ETUDES TRADITIONNELLES

LE DÉPASSEMENT DU MONDE MODERNE

2 11

ici qu'échouer.

 Il

  faut donc revenir

 à des

  modes

 de

 connais

sance pré- et e xtrascientifiques  ; et, ce qui donne à nouveau

à  Guenon une position unique , c ' es t  le  moyen qu' i l met en

œuvre dans  son grand e ffort pour surm onte r  la « crise du

monde moderne   » — s'il n ' es t pas déjà trop ta rd pour ce la.

Ce moyen  se  présente sous  un  double aspect .  En  pr emier

l ieu,  Guenon

 se

 rend en '

 un

 pays

 où

 des par t i es impor tant es

de   la  tradit ion saine  se  t ransmet t e n t e ncore o ra leme nt de

génération en  génération, dans les organisations, confréries,

ordres plus ou  moins secrets  de

 l'Orient.

  C'est  de ce  point

de

 vue que

 doivent êtte compris

  et

  appréciés,

 et son

  r a t

t a ch em en t

  à

  l ' Is lam,

  et son

  en t rée dans

  la

  branche égyp

tienne

 d'un

 ordre soufi.

  Il

  trouve ainsi

 la

  possibilité, dont

 il

sait si bien se servir , de  pénétrer pour ainsi dire organique

m en t  dans  les  deux immenses domaines  des  tradit ions

arabo-musulmane et  indo-brahmanique et de  devenir ainsi

lui-même

 l'un de

  ces médiateurs entre

 l'Orient

 et

  l'Occident

qu'on  ne  peut désormais négliger.

Tout ceci , néanmoins ,  ne  r eprés ent e  que les  conditions

extér i eur es  d'un  processus interne  de  transformation,  par

lequel l 'homme qualifié, suivant  une  voie méditative , puis

contemplative,  est initié de degré en degré aux mystères de

la tradit ion saine. Pour qui unit  ainsi dans  une  même vue

l 'Etre   et le  Non-Etr e ,  en  mode init iatique  et « opératif »,

la connaissance coïncide avec  la  réalisation,  de même que

pour lui  s'identifient,  en  leur fond, ontologie , métaphysique

et théologie.

 L'avenir

  seul pourra porter

 un

  jugement défi

nitif

  sur

  cette irruption

  d'un

  mode

  de

  connaissance

 pré,

ex t r a

  et

  suprascientifique dans notre présent perplexe

  et

troublé,

 ne

  connaissant que des sciences spécialisées

 et

 indé

pendantes . Il  faut aussi laisser à  l'avenir le soin de comparer

ce t t e t en ta t ive  à  des efforts analogues de  notre époque, ten

dant  à  r eveni r à une connaissance  qui soit e ssentiel lement

une réalisation. Sous ce rapport , je me bornerai ici à  m en

tionner  la  façon  dont ,  au coûts des dernières années , He i

degger , se ra t tachant  aux présocratiques , a  fait appel à une

connaissance

  pré- et

  suprascientifique

  et — l'on

  peut bien

«lire  — à partir du langage et de la manifes tation immédiate

qu' i l donne  de l 'Et r e . Il faudrait de même examine r soigneu

s em en t  les  points  de  contact , inévitables  en  no t r e t emps ,

en t r e   Guenon et l'anthroposophie, et  aussi, là  même où ils

s e rapprochent

 l'un de

  l 'autre , leurs divergences

 sur ce qui

es t t radi t ion au thent ique

  et

  fausse tradition. Enfin, pour

ceux qui,  res tant fidèles au  Chris t ianisme, cherchent ce qui

es t au-dessus  des  opposit ions dogm atiques et des scissions

entre Eglises , pour ceux-là  il

 s'agit

  de  définir  le  rapport

exact

  à

  établir entre

  la

  tradition intégrale

 et la

  tradit ion

proprement chrétienne, soit évangélique, catholique   ou

orthodoxe.

Lorsqu'en  1934 il m'a été donné de  prés ent e r Re né  G u e

no n  au  public allemand  (1) — personne  ne  l 'avait encore

fait —, j 'ai cru pouvoir parler de  lui comme du r e prés entant

autorisé d'une « France secrète ». J 'étais alors parfaiteme nt

conscient de ce que cette express ion avait d 'osé. Car, alors

qu'au moins depuis l 'époque romantique,  il y a toujours eu

Une « Allemagne secrète  »,  l'idée d'une  « France secrète »

paraît inconciliable avec ce  fait, ancien et  important , que la

France ,

 ici

  aussi plus favorisée

  que

 nous , accorde naturelle

m e n t  à  tout écrivain  une audience  que l'écrivain allem and

connaît

 à

  pe ine dans

 son

  pays. Ceci reste vrai

 de la

  France

de V aléry , de G i de et de Claude l . G uenon , à cet égard aussi,

apportera-t-il que lque chose de nouveau, qui serait en même

temps quelque chose

 de

  très ancien

 ?

Bien des indices en  attendant laissent supposer qu'à ce t t e

France secrète répondent

  Une

  Autriche secrète ,

  une

  Italie

secrète  et à  nouveau  une  Allemagne secrète , lesquelles , au

fur  et à  mesure  de  leur maturation,  se  rapprochent sans

bruit  les unes des autre s . C'es t ainsi que l'école  de V i enne ,

fondée   par ce  même Othmar Spann  qui a  précédé  Guenon

I.   ÎDaas  la  Deutsche Rundschau,  GO* a n n é e , a"  de s e p t e m b r e .  Une traduc

t i o n f r a n ç a i s e

  de cet

  a r t i c l e

  est

  p a r u e d a n s

  les

  Cahiers  du Sud,

  2 2 '

  a n r . e e , 

n* de

  j u i l l e t

  18S5.

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212

l'.TUDKS

  T R A D I T I O N N E L L E S

dans la mort , a mentionné récemment le groupe de ceux

qu'el le appel le les t radit ionalistes

  (Guenon, Evola,

  Ziegler)

et qu ' e l le a établi un rapprochement t rès étroi t entre eux

et la « doctrine de la totalité »

 (Ganzheilslehre),

 aujourd 'hui

prédominante en Autr iche. A supposer qu ' i l soi t l ic i te de

parler d 'un parei l groupe , on pourrai t peut-être t rouver

dans son existence un dernier e t faible rayon d ' espoir poux

l 'Occident , dans la lut te qu ' i l soutient pour ne pas mourir .

Trop longtemps l 'Europe a bu l 'oubli aux eaux infernales

du Léthé, ainsi  a-t-elle  oublié toujours davantage ce qui

n 'aurai t jamais dû l 'ê tre . Le remède naturel à cet te per te

de mémoire , si l e t e mps déjà ne fai t pas défaut , c ' est  l'anam-

nêsis.  Au  premier  rang de ceux qui y ont eu recours

combat ta i t René

  Gu eno n .

  Aujourd 'hui ,

  devajit

  sa dépouille

mortel le , ceux qui lut tent pour la même cause incl inent

r e spec tu eusemen t l e s é t endards communs.

LEOPOLD   ZIEGLEK.

<A FONCTION D E  RENÉ  GUENON

ET  LO  S OR T  DE  L'OCCIDENT

w  Les

  insensés

  parmi les

  hommes

  diront :

«  Qu'est-ce qui les a détournés de leur qitalah  an-

térieure

  ?  —  Dis :  «

  C est  à Alttih  l Ortenl

  et

l Occident

  1

 II

  guide qui

  II

  veut dans une rote

droite  ».

C est  ainsi que

  Nous

  vous tirons établis coinniu-

nauté médiatrice afin que vous soyez témoins au

près des homm es et que

 l Envoyé  soit

  témoin auprès

de vous  ».

C o r a n ,

  II ,

  142-143 .

L

A

  dispari tion de l 'homme pe rme t de considérer l ' en

semble de l 'œuvre dans de s pe rspect ives différentes

de cel les que l 'on pouvait avoir de son v ivant . Tant qu ' i l

exerçai t son act ivi té e t qu 'on ne pouvait donc assigner un

terme à sa fonction, ni une forme définitive à son travail qui,

comme on le sait , ne se limitait pas à la rédaction

 de ses

 l ivres ,

mais s'exprimait encore par sa multiple collaboration régu

lière aux

  Etudes Traditionnelles

  (pour ne pas parler des re

vues auxquel les i l avai t col laboré antér ieurement) ainsi que

par son abondante correspondance d 'ordre t radit ionnel ,

«on

  œuvre se t rouvait dans une cer taine mesure sol idaire

de sa présence incommensurable , discrète e t impersonnel le ,

hiérat ique e t inaffectée , mais sensible e t agissante . M ainte

nant,  tout cet ensemble arrêté peut être regardé en quelque

sorte en simultanéité : la coupure même qui marque la f in

•Celle  sa portée d 'une nouvel le significat ion générale . De

l.iil'la pe rspect ive ainsi ouver te a déjà occasionné la manifes

tat ion de réact ions qui ne s 'é taient pas produite s jusqu ' ici .

Une nouvel le notor iété vint même pour marquer la

  fin

  de

l 'homme . Quelques-uns ont cru voir en cer tains cas la

« lipture

  d 'une sor te de

  «

  conspiration du silence

  »

 qui , dans

cer tains mil ieux, paraissai t empêcher l 'actual isat ion de vir-

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214

E T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

tuali tés réelles de participation à l ' esprit de son enseigne

me nt. Quoi qu' i l en soit , nous sommes obligés de constater

que, s i l 'on se décide ainsi à prendre acte de l ' importance de

l 'œuvre de Re né G uenon, la façon dont on l 'a fait n 'a pas

révélé le progrès de compréhension qu'on pouvait espérer .

Il apparaît même, dans ces cas , que l ' intérêt qu'on lui por

tait procédait plutôt d 'un souci de prévenir avec opportu

nité un développement réel de cette compréhension et de

limiter les conséquences qui pourraient en être t irées . C'es t

pourquoi ces réactions sont maintenant importantes surtout

à un point de vue cyclique. Et s i nous ne voulons pas rele

ver ici des erreurs nouvelles ou déjà connues , ainsi que des

inexacti tudes matériel les patentes , qu'el les soient dues à

l ' incapacité de leurs aute urs ou tout s impleme nt à leur mau

vaise  foi au  moment où, pourtant , l 'oeuvre de René  Guenon

es t présente dans toute son ampleur et fixée de la façon la

plus explicite, il nous paraît nécessaire de préciser la signi

fication qu'el le s acquièrent en ce mom ent. On pe ut , en

effet, y trouver l ' indication plus précise que certaines

limites ont été atteintes et qu'une sorte de   «  j u g em en t  » s'y

trouve impliqué.

Telle e s t précisément l 'impression qui se dégage de la lec

ture des art icles et des études parus cette année dans les

publications

  catholiques

 et maçonnique s . Nous savons pour

tant que, fort heureusement , dans ces deux milieux ne

manque nt pas l es cas de mei l leur e , e t même d 'exce l l en t e

compréhension, mais une certaine réserve, disciplinaire

dirons-nous , empêche que ces exceptions changent , du côté

catholique surtout , le ton général . Pourtant cet te sorte de

censure ne pourrait que décourager encore les derniers

espoirs d 'un élargissement de l 'horizon spiri tuel de ces

même s milieux ; et les limites qui se font jour ainsi n'échap

pent pas à ceux qui savent quelles sont les conditions d'une

revivification  de   l'inteîlectualité  occidentale en général et

d 'une issue de la profonde crise du monde moderne.

M ais , heureuse me nt , i l y a encore d 'autre s milieux intei-

LE   S O R T D E  L  O C C I D E N T

215

lectuels

  où l 'œuvre de René

  Gu eno n ,

  d'une façon imprévue,

pénètre   .maintenant,  et ceci ouvre même des perspectives

nouvelles sur l 'étendue de

  l'influence

  qu ' e l l e peu t exercer

à l'avenir.

L'occasion récapitulative dans laquelle nous faisons  c es .

constatations , nous permet d 'évoquer ici les perspectives

générales formulées par René  Guenon  depuis le début de la

série cohérente et graduée d'express ions doctrinales dont i l

venait marquer la posit ion  dei  l'Occident, ses possibilités

d'avenir et les successives manifes tations de facteurs et de

circonstances qui ouvraient des possibilités positives ou les

annulaient. Tout en supposant connu de nos lecteurs l ' en

semble des idées qui dominent la question occidentale , nous

<:n rappellerons ici, en quelque s traits , les points ca rdinaux

nécessaires  à l 'orientation de notre examen.

La suprême conditon de l 'être   humain  e s t la connaissance

métaphysique qui es t cel le de s vérités éternelles e t unive r

sel les .

 La  valeur d 'une civil isation réside dans le degré d' in

tégration en el le de cette connaissance et dans les consé

quences qu'el le en t ire pour l 'application dans les différents

domaines

  de sa consti tution; une tel le intégration e t irradia

tion intérieure n 'es t possible que dans les civil isations dites

traditionnelles  qui sont cel les qui procèdent de principes

non-humains et supra-individuels , e t reposent sur des formes

<l'organisation  qui sont el les-mêmes l ' express ion prévenante

des vérités , auxquelles el les doivent faire participer . Le rôle

de toute forme tradit ionnelle es t e n effet d 'offrir à l 'hum anité

qu 'e l l e o rdonne , l ' ens e igneme nt e t l e s moyens perm et tant de

néaliser  cette connaissance ou de  participer à el le de près ou

de loin, en conformité avec les diverses possibilités des indi-

valus et des natures spécifiques .

  La

  mesure

  clans

  laquelle

une forme tradit ionnelle , qu'eEe soit de mode purement in

tel lectuel ou de mode rel igieux, détient ces éléments doctri

naux et les méthodes correspondantes , es t dès lors le cri tère

Miflisant

  et décisif

  de

;

  sa vérité actue lle , de

  même

  que la

mesure  dans laquelle ses membres  auront réalisé leurs possi-

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2l6

ETUDES TRADITIONNELLES

LE SORT D E L OCCIDENT

2 I

7

bili tés propres dans cet ordre sera le seul t i tre que la géné

ration spiri tuelle de cette forme tradit ionnelle pourrait pré

senter dans un  «  juge me nt » qui affecterait celle-ci e t l 'e n

semble de son humanité.

L'Occident moderne, avec sa civil isation individualis te et

matérialis te , es t par lui-même la négation de toute vérité

intel lectuelle proprement dite , comme de tout ordre tradi

t ionnel normal , et comme tel i l présente l 'état le plus patent

d' ignorance spiri tuelle que l 'humanité ait jamais atteint

jusqu' ici tant dans son ensemble que dans l 'une quelconque

de ses parties . Ce tte s i tuation s ' explique par l 'abandon de s

principes non-humains et universels sur [lesquels repose

l 'ordre humain e t cosmique, et se caractérise d 'une façon

spéciale par la rupture des rapports normaux avec l 'Orient

traditionnel et son imprescriptible sagesse.

Le processus selon lequel s 'accomplit la déchéance de

l'Occident

  à l 'époque moderne, doit finir normalement , en

conformité, tan t ave c la nature des choses qu'avec les don

nées tradit ionnelle s unanimes , par l 'at teinte d 'une certaine

limite , marquée vraisem blableme nt par une   catastrophe  de

civil isation. A partir de ce moment un changement de direc

t ion apparaît comme inévitable , et les données tradit ion

nelles tant d 'Orient que d'Occident , indiquent qu' i l se pro

duira alors un rétablissement de toutes les possibilités tra

dit ionnelles que comporte encore l 'actuelle humanité, ce qui

co ïncidera avec une re manifes tation de la spiri tuali té pri

mordiale , et , en même temps , les possibil i tés anti-tradit ion

nelles et les éléments humains qui les incarne nt seront

re je tés hors de cet ordre et définitivem ent dégradés. M ais

si

  1

 a forme générale de ces événem ents à venir ap paraît

comme certaine, le sort qui serait réservé au monde occiden

tal dans ce   «  j u g em en t  »  et la pa rt qu' i l pourrait avoir

dans la res tauration finale , dépendra de l 'état mental que

l 'humanité occidentale aura au moment où ce changement

se produira, et i l es t compréhensible que c ' es t seulement

dans la mesure  où l'Occident aura repris conscience des véri

tés fondamentales communes à toute civil isation tradit ion

nelle qu' i l pourra être compris dans cette res tauration.

La s ituation actuelle de l 'humanité considérée dans son

ensemble, impose la conviction que le réveil des possibilités

intellectuelles  de  l'Occident  ne peut se réaliser que sous l'in

fluence de l ' enseignement de

  l'Orient

  tradit ionnel qui con

serve toujours intact le dépô t des vérités sacrées . Cet e nsei

gnement fut formulé en notre temps à l ' intention de la cons

cience occidentale par l 'œuvre providentiel le de René Gué-

non qui fut l ' instrument chois i d 'un rappel suprême et d 'un

appui extrême de la spiri tuali té orientale. Il apparaît ainsi

que c ' es t en rapport avec cette présence de vérité que devra

se définir la posit ion exacte de l 'Occident en général et du

Catholicisme en particulier , en tant que base tradit ionnelle

possible pour une civilisation entière. C'est dans la

  mesure

où ce témoignage de l 'Orient aura été compris et retenu

pour le propre bénéfice de l 'Occident , que celui-ci aura

répondu à cette   «  convocation  »  qui contient en même temps

une promesse et un avert issement.

Il convient de préciser en l 'occurrence que le privilège

spécial qu'a cette œuvre de jouer le rô le de cri tère  de  vérité ,

de régularité et de plénitude tradit ionnelle devant la civil i

sation occidentale dérive du caractère sacré et non-individuel

qu'a revêtu la fonction de Re né Gue non. L'homm e qui de vait

accomplir ce tte fonction fut certain em e nt prép aré de loin, e t

non pas improvisé. Les matrices de la Sagesse avaient pré

disposé e t formé son e ntité selon une économie précise, e t sa

carrière s 'accomplit dans le te mps pa r une corrélation cons

tante e ntre ses possibil i tés et les conditions cycliques e xté

rieures .

C'es t ainsi que, sur un être d 'une haute ur et d 'une puis

sance intel lectuelle tout à fait exceptionnelles , puisant ses

cert i tudes fondame ntales dire ctem ent à la source princi-

piel le , doué d'une sensibil i té spiri tuelle prodigieuse qui de

vait servir pour un rôle de reconnaissance e t d ' identification

universel le de la m ulti tude des symboles e t des s ignifications.

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ETUDES TRADITIONNELLES

caractérisé  par  -une forme de pensée et une maîtr ise d 'ex

press ion qui apparaisse nt comm e la traduction directe- , sur

leur plan, de la sainteté et de l 'harmonie des vérités univer

sel les réalisées en soi-même, sur un tel être donc, unique,

•comme  l ' es t dans un autre sens  le- monde même auque l i l

'devait  s 'adresser ainsi que le moment cyclique qui lui cor

resp ondait , le s fonctions doctrinales et spiri tuelles de

l'Orient

  tradit ionnel se concentrèrent en quelque sorte pour

une express ion suprême. L'Hindouisme, le Taoïsme et l ' Is

lam, ces trois formes principales du monde tradit ionnel

ac tue l , r eprés e ntant r espec t iveme nt l e M oyen-Ori en t, l 'Ex

trême-Orient  et le Proche-Orient , qui sont ,dans leur ordre et

sous un certain rapport , comme les reflets des trois aspects

de ce mys tér ieux Ro i du Monde dont jus t eme nt René G ué-

non devait , le premier , donner la définit ion révélatr ice , pro

jetèrent les feux convergents d 'une lumière unique et indi

vis ible que jamais œuvre de docteur n 'eut à manifes ter aussi

intégralement et amplement sur un plan dominant l ' ensemble

des formes e t de s idées tradit ionnelles . En de hors de sa véri-

dicité intr insèque, la be auté, la majes té e t la perfection de ce

monument de l ' In t e l l ec t Univers e l qu ' es t son œuvre a t t es -

•  tent le don le plus généreux dans son ordre et consti tuent le

miracle intel lectuel le plus éblouissant produit devant la

conscience moderne. Le  témoignage de

 l'Orient

 a ainsi revêtu

la forme la plus pres tigieuse et en même temps la plus adé

quate , ce qui était d 'ai l leurs la  .condition  de son efficacité

majeure. C'es t ' dans la considération de cette présence trans

c endan t e e t e n  même  temps proche que doit se reconnaître

l ' esprit de l 'homme   d'Occident, et.prendre conscience de s es

possibil i tés de vérité par rapport à un ordre humain total .

Les idées fondamenta l es de ce témoignage   sont, les sui

vantes  : tout d 'abord, dans l 'ordre  purement.  intel lectuel

e t  spirituel

1

,-la suprématie-de -la connaissance m étaphysique

- sur-tous ies-autres ordres'de  connaissance, de la contempla-

't»B-sur  l'action, de-la D élivrance suc le S alut ; de. làidis t inc-

tàon

 ,

emtare

,

'?oie- ùutHtttque-'et inteliectuellet  d 'une par t ,  jet

LE S ORT DE  L  OCCIDENT

219

voie exotérique, d 'autre part , cel le-ci avec son corollaire

«  mystique  » dans la de rnière phase tradit ionnelle de l 'Occi

dent. Sur le plan d'ensemble du monde tradit ionnel : l ' iden

tité essentiel le de toute s le s doctrines sacrées , l 'universali té

intelligible

  du symbolisme init iatique et rel igieux, et l 'unité

fondamentale de toutes les formes tradit ionnelles .

Cette unanimité tradit ionnelle n 'exclut pas l ' exis tence de

degrés différents de participation à l'esprit commun : celui-ci

est  mieux représenté, et aussi mieux conservé, par les tra

dit ions dans lesquelles prédomine le point de vue purement

intel lectuel et métaphysique : de là , prééminence normale

de

 l'Orient

 dans l 'ordre spiri tuel . S ous ce rapport i l y a donc

normalement , à certains

  égards.

  Une  hiérarchie et des rap

ports subséquents entre les différentes tradit ions , comme

entre les civilisations qui leur corre spondent. Le monde occi

dental , depuis des temps qui remontent encore plus loin que

le début de l 'époque dite his torique, et quelles qu'aient été

les formes tradit ionnelles qui l 'organisaient , avait d 'une

façon générale toujours entretenu avec

 l'Orient

  des rapports

normaux, proprement tradit ionnels , reposant sur un accord

fondamental de principes de civilisation. Tel a été le cas de

la civil isation chrétienne du moyen âge. Ces rapports ont

été rompus par  l'Occident  à l 'époque moderne dont René

< ïuénon  s i tue le début beaucoup plus tô t qu'on ne le fait

d'ordinaire, à savoir au XIV

e

  s iècle , lorsque, entre autres

faits caractérist iques de ce change me nt de direction,

 l'Ordre

du Temple, qui était l ' ins trument principal de ce contact

au moyen âge chrétien, fut détruit : e t i l es t intére ssant de

noter qu'un des griefs qu'on a fait à cet ordre était précisé

ment

  d'avoir entre ten u de s relations secrètes avec l ' Is lam,

relations de la nature desquelles on se faisait d 'ai l leurs une

idée  inexacte , car el les étaient essentiel lement init iatiques

et intel lectuelles . Cet état de choses e s t al lé toujours e n s 'ag-

gTavant  à mesure que la civil isation occidentale perdait ses

caractères tradit ionnels jusqu'à devenir , ce qu'el le es t à

l 'époque présente , une civil isation complètement anormale

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220

ÉTUDES TRADITIONNELLES

dams  tous les domaines , agnostique et matérialis te quant

aux principes , négatrice et des tructrice quant aux insti tu

t ions tradit ionnelles , anarchique et chaotique quant à sa

consti tution propre , envahissante et dissolvante quant à

son rôle e nve rs l' ensemble de l 'human ité : le monde occiden

ta l ,

  après avoir détruit sa propre civil isation tradit ionnelle ,

s'est

  tourné  «  tantô t bru ta lem ent tantô t insid ieus eme nt »

contre tout

  F

 ordre~ tradit ionnel ex is tant , et spécialeme nt

contre les civil isations orientales . C'es t ainsi que l 'enseigne

ment purement in t e l l ec tue l exposé par René

  Guenon

  se

complète par une cri t ique de tous les aspects de l 'actuel

Occident. Nous n'aurons pas à rappeler ici en quoi consis te

cette cri t ique à la fois profonde et étendue, puisqu'el le inté

resse m oins notre

 propos,et

  d'ail leurs cette partie de l 'œuvre

d e René  Guenon  a rencontré généralement un accueil plus

facile , bien des occidentaux étant revenus d'eux-mêmes des

illusions habituelles sur la valeur de la civilisation moderne.

Nous voulons préciser maintenant que, en raison de la

fonction cyclique de R ené G uenon, les diverses s i tuations

envisagées par lui quant à l 'état de l 'Occident au moment

où sa civil isation aura atteint le point d 'arrêt , peuvent être

légit imement rattachées à la réaction que l ' intel lectuali té

occidentale aura devant son œuvre. C'es t en effet par le côté

intel lectuel que le redressement de la mentali té générale

pouvait se réaliser , et l 'œuvre de René   Guenon  s'adresse

exclusivement à ceux qui sont capables tout d 'abord  de com

prendre les vérités principiel les , ensuite d 'en t irer les consé

quences qui s ' imposent. L' intel lectuali té occidentale con

temp oraine assume ainsi en. mode logique une dignité e t une

responsabili té re présentatives . A ce propos il nous faut rappe

ler que, dès son premier l ivre , paru en   1921,  l Introduction

générale à l'étude des doctrines hindoues  (Conclusion), René

Guenon

  avait formulé trois hypothèses principales quant au

sort de   l'Occident.  La première  4  la plus défavorable est

celle où rien ne viendrait remplacer cet te civil isation, et où

celle-ci disparaissant, l 'Occident, livré d'ailleurs à lui-même.

LE S ORT DE L  OCCIDENT 22 1

ne trouverait plongé dans la pire barbarie ». Après en avoir

souligné la possibilité, il concluait qu'« il n'est pas utile d'y

insister  plus longuement pour qu'on se rende compte de tout

ce qu'a d' inquiétant cet te première hypothèse ». La seconde

serait celle où «  les rep résentants d 'autres civil isations, c ' es t-

à dire les peuples orientaux, pour sauver le monde occiden-

tal de ce tte déchéance irrémédiable , se l 'ass imileraient de gré

ou

  de force, à supposer que la chose fût possible et que d'ail

leurs l'Orient  y consentî t , dans sa totali té ou dans quelques-

unes de ses parties composantes . Nous espérons — disait-i l

- que nul ne se ra assez aveuglé par les préjugés  occidentaux

pour ne pas reconnaître combien cette hypothèse serait pré-

férable à la précédente : i l y aurait assurément , dans de tel les

<

  i iconstances , une période transitoire occupée par des révo

lutions ethnique s fort  pénibles,dont  il est difficile de se faire

une

  idée, mais le résultat final serait de na ture à compe nser

les dommages causés fatalement par une semblable catas-

I l 'ophe ; se uleme nt , l'Occident  devrait renoncer à ses

  carac-

léris t iques propres et se trouverait absorbé purement et

.mtplement  ». «  C'es t pourquoi , disait ensuite René Guenon,

il  convient d 'envisager un trois ième cas comme bien plus

favorable au point de vue occidental , quoique équ ivalent , à

vrai dire , au point de vue de l ' ensemble de l 'humanité ter-

restre, puisque s'il venait à se réaliser, l 'effet en serait de

faire disparaître l 'anomalie occidentale, non par suppression

Comme  dans la première hypothèse, mais , comme dans la

leconde, par retour à l ' intel lectuali té vraie et normale ; mais

C6  retour , au l ieu d'être imposé et contraint , ou tout au plus

accepté et subi du dehors, serait effectué alors volontaire

ment e t comme spontanéme nt ». D ans la suite de son exposé,

René

  Guenon

  revenait sur ces trois hypothèses

  «

  pour mar

quer plus précisément les conditions qui détermineraient la

réalisation de l'une ou de l'autre d'entre elles ».

 «

  Tout dé

pend évidemment à cet égard, précisait-i l , de l 'état mental

dans

  lequel se trouverait le monde occidental au moment où

il  atteindrait le point d 'arrêt de sa civil isation actuelle. Si

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ÉTUDES TRADITIONNELLES

cet état mental était alors tel qu' i l es t

  aujourd'hui ,

 c ' es t

  la-

première hyp othèse qui dev rait nécessaireme nt se réaliser ,

puisqu' i l n 'y  aurait r ien qui puisse rem placer ce à quoi l 'on

renoncerait , e t que, d 'autre part , l 'assimilation par d'autre s

civilisations serait impossible, la différence des mentalités

allant jusqu'à l 'opposit ion. Cette ass imilation, qui répond

à notre seconde hypothèse, supposerait , comme minimum

de conditions , l ' exis tence en Occident d 'un noyau intel lec

tuel , même formé seule me nt d 'une éli te peu nombreuse ,

mais assez fortement consti tué pour fournir l ' intermédiaire

indispensable pour ramene r la mentali té générale , en lui

imprimant une direction qui n 'aurait d 'ai l leurs nullement

besoin d'être consciente pour la masse, vers les sources de

l ' intel lectuali té véritables . Dès que l 'on considère comme

possible la supposition d'un arrêt de civilisation, la constitu

t ion préalable de cette éli te apparaît donc comme seule ca

pable de sauver l 'Occident , au moment voulu, du chaos et

de la dissolution ; et , du res te , pour intéresser au sort de

l 'Occident les détenteurs des tradit ions orientales , i l serait

essentiel de leur montrer que, s i leurs appréciations les plus

sévères ne sont pas injustes envers l ' intel lectuali té occiden

tale prise dans son ensemble, i l peut y avoir du moins d'ho

norables exceptions , indiquant que la déchéance de cette

intel lectuali té n 'es t pas absolument  irrémédiable.Nous  avons

dit que la réalisation de la seconde hypothèse ne serait pas

exe mpte , transitoireme nt tout au moins , de certains côtés

fâcheux, dès lors que le rôle de l 'élite s 'y réduirait à servir de

point d'appui à une action dont l 'Occident n'aurait pas l'ini

t iative , mais ce rôle serait tout autre s i les événements lui

laissaient le temps d'exercer une tel le action directement et

par elle-même, ce qui correspondrait à la possibilité de la

troisième hypothèse. On peut en effet concevoir que l'élite

intel lectuelle , une fois consti tuée, agisse en quelque sorte

à la façon d'un  «  ferment » dans le monde occidental , pour

préparer la transformation

  qui ,

  en devenant effective, lui

permettrait de traiter , s inon d'égal à égal , du moins comme

LE S ORT D E L 'OCCIDENT

223

une puissance autonome, avec les représentants autorisés

des civilisations orientales ».

Quant à la façon dont on peut entendre l ' influence exer

cée  par l 'élite, Guenon  donnait plus tard dans Orient et Occi

dent

  quelques précis ions qu' i l es t bon de rappeler ici afin

d'empêcher qu'on s 'arrête à des représentations trop gros

s ières . L'éli te tout e n travail lant pour el le-même, « travail

lera aussi nécessaireme nt pour l 'Occident en

 général.car

 il est

impossible  qu'une élaboration comme celle dont i l

 s'agit

s 'effectue dans un milieu que lconque sans y produire tô t ou

lard des modifications considérables . De plus , les courant

mentaux sont soumis à des lo is parfaitement   défmies.et  la

connaissance de ces lo is permet une action bien autrement

efficace que l'usage de moy en s tout e mpirique s ; mais ici

pour en venir à l 'application et la réaliser dans toute son

ampleur , i l faut pouvoir s 'appuyer sur une organisation fol

lement consti tuée, ce qui ne veut pas dire que des résultats

partiels , déjà appréciables , ne puissent être obtenus avant

qu'on en soit arrivé à ce point. Si défectueux et incomplets

que  soient les moye ns dont on dispose, i l faut pour tant com

mencer  par l es me t t r e e n œ uvre t e l s que l s , s ans  quoi  l'on ne

parviendra jamais à en acquérir de plus parfaits ; et nous

ajouterons que la moindre chose accomplie en conformité

harmonique avec l 'ordre des principes porte vir tuellement en

loi des possibili tés dont l ' express ion es t capable de détermi

ner les plus prodigieuses conséquences , et  cela dans tous les

domaines , à mesure que ses répercussions s 'y étendent  selon

leur réparti t ion hiérarchique et par voie de progression

indéfinie  »  (op. cit.,  p. 184-185).

Nous sommes  obligé de l imiter à l ' essentiel nos citations ,

et i l faudra se re porter au te xte intégral des chapitres qu e

nous rappelons ici, ainsi qu'à  La Crise du Monde moderne

et au  Règne de la Quantité,  pour avoir les autres aspects que

comporte encore la réalisation de l 'une ou de l 'autre de ces

trois hypothèses . Ge  qu' i l y a à en re tenir po ur notre propos-,

c ' es t que c ' es t autour de l ' idée d'une éli te intel lectuelle que

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£fJm i

ÉTUDES TRADITIONNELLES

toute la quest ion du sort futur de l 'Occident se t rouve

ramenée . C ' e s t à

  une

  te l le ent i té spir i tuel le e t humaine

qu ' incombe de réal iser le re tour

 de

  l 'Occident à la Tradition

dans une mesure ou dans une autre ainsi que d 'établir

l 'accord sur les pr incipes avec

  l'Orient

  tradit ionnel . C'est

cela même,

 dirons-nous.qui

  re l ie les perspect ives spir i tuel les ,

e t en général t raditionnel le s , de l 'Occident à l ' ense igneme nt

d e R e n é Guenon  car en fai t c ' est en son œuvre que se t rouve

le point de départ d 'un révei l intel lectuel e t l ' inspirat ion de

tout le t ravail à accomplir par la sui te . L ' exposi t ion de cer

taines conceptions doit permettre tout d 'abord, aux élé

me nts possibles de l 'é l i te de prendre conscience d ' eux-mêmes

et de ce

  qui

 leur étai t nécessaire . La formation me ntale pro

prem ent di te doit commence r par l 'acquisi t ion d 'une connais

sance théorique des pr incipes métaphysique s : c ' est l 'é tude

des doc t r in es or i en ta l e s qu i d eva i t p e rme t t r e c e la , e t René

Guenon

  venait , avec toute la sér ie de ses exposés, pr inci

palement des doctr ines hindoues, susci ter e t . éclairer cet te

étude dont pouvait résulter l 'assimilation par l 'élite en for

mation des modes essent ie ls de la pensée or ientale . Nous

rappel lerons aussi que l 'é l i te occidentale , pour être te l le ,

devait rester at tachée aux formes tradit ionnel les occiden

tales : c ' est ainsi qu 'e l le ne po uvait faire que ce qu ' i l

appe la i t  «  une assimilat ion au second degré »  de l ' enseigne

men t or i en ta l

  ( i ) .

  C'est ainsi que se manifestai t l e premier

mode de l ' appu i que   l'Orient  offrait à

  l'Occident

  ; c'est la

période que René

  Guenon

  désignait comme étant cel le de

l '« aide indirecte

  »

 ou des

 «

 inspirat ions

  »

 :

 «

 Ces inspirat ions,

disai t- i l , ne peuvent être t ransmises que par des influences

individuel les servant d ' intermédiaires , non par une act ion

1.

  Ce u x d ' e n t r e l e s O c c i d e n t a u x q u i a u r o n t a d h é r é d i r e c t e me n t à d e s f o r me s

t r a d i t i o n n e l l e s d e  l'Orient,  n ' e n t r e n t d o n c p a s d a n s c e t t e n o t i o n " d ' é l i t e

o c c i d e n t a l e „  même  s'ils  v i v e n t e n O c c i d e n t ; c e u x - c i , d e p a r l e u r r a t t a

c h e me n t t r a d i t i o n n e l , d e v a n t s ' a s s i mi l e r d i r e c t e m e n t à l ' O r i e n t so u s l e r a p p o r t

i n t e l l e c t u e l , f o n t p r o p r e me n t u n e " a s s i mi l a t i o n a u p r e mi e r d e g r é „ d e c e t

e n s e i g n e m e n t . N o u s a u r o n s à r e v e n i r p l u s l o in s u r l e rô l e q u e p e u v e n t j o u e r

c e u x - c i d a n s l e d é v e l o p p e m e n t d e s re l a t i o n s e n t r e l ' é li t e o c c i d e n t a l e e t l e s

é l i t e s o r i e n t a l e s .

LE SORT DE L'OCCIDENT

225

directe d 'organisat ions qui , à moins de bouleversements

imprévus, n ' e ngageron t jamais leur responsabil ité dans les

affaires du monde occidental»

  (Orient et Occident,

 p .

  179).

Et il ajoutait ceci qui le concernait lui-même avant tout

autre : « Ceux qui se sont assimilé directeme nt

  l'intellectua-

lité

  or ientale ne peuvent prétendre qu 'à jouer ce rô le d ' in

termédiaires dont nous parlions tout à l 'heure ; ils sont du

fait de cette assimilation, trop près de l 'Orient pour faire

plus ;  ils peuve nt suggérer des idées, expose r des conceptions,

indiquer ce qu ' i l conviendrai t de faire , mais non pas pre ndre

par eux-mêmes l ' ini t iat ive d 'une organisat ion qui , venant

d ' eux, ne serai t pas vraiment occidentale »

  (ibid.).

  Nous

soulignerons à l 'occasion cet aspect caractéristique de la

fonction de René  Gu eno n ,  car cer tains pourraient être ten

tés de ne voir en lui qu 'un simple aute ur de l ivres théoriques :

tout d 'abord, le fai t que ses écr i ts correspondent précisé

men t , à

  Un

  degré quelconque, à des « inspirations

  »

  éma

nant

  des forces spirituelles de

  l'Orient

  et s ' exprimant à

travers ses possibilités et son influence personnelle, mon

tre que ceux-ci ont , non seulement dans leur substance

doctr inale , mais encore dans leur intent ion première , un

point de départ qui n'est pas situé dans la simple compré

hension intellectuelle et dans le désir individuel de faire

part iciper les au tres à ce t te compréhension, ni dans les seules

sollicitations du milieu et la pression des circonstance s ;

ensuite , son rô le n 'étai t pas seulem ent de faire de s exposés

doctr inaux, mais aussi , comme i l l e disai t lui-même,

  «

  de

suggérer de s idées » e t « d ' indiquer ce qu ' i l convie ndrai t de

faire », et nous savons très bien que, de fait , il a exercé en ce

sens une act ivi té t rès étendue qui n ' est révélée qu ' indirec

tement e t par t ie l lement par ses l ivres quand i l y notai t l es

éléments qui pouvaient intéresser se s lecteurs en général .

Pour en revenir à ce qui concerne les rapports de l 'é l i te

avec

  l'Orient,

  la deuxième période de l 'appui qu 'e l le devait

en

  recevoir est appelée par René

  Guenon

  celle de

 «

  l 'appui

•direct » : e lle suppose l 'é l i te déjà const i tuée en une organisa-

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Âa £i\J

ETUDES TRADITIONNELLES

LE SORT D E L OCCIDENT

227

tion

  «

  capable d 'e ntrer en re lation ave c les organisations

orientales qui travail lent dans l 'ordre intel lectuel pur , et de

recevoir de celles-ci, pour son action, l 'aide que pe uven t pro

curer des forces accumulées depuis un tem ps immémorial »

(op. cit.,  p. 201).  «  Quand un premier travail d 'ass imilation

aura été ainsi accompli, rien ne s 'opposerait à ce que l'élite

el le-même (puisque c ' es t d ' el le que devait venir l ' init iative)

fî t appel , d 'une façon plus immédiate , aux représentants des

tradit ions orientales ; et ceux-ci , se trouvant intéressés au

sort de l 'Occident par la présence de cette éli te , ne manque

raient pas de répondre à cet appel , car la seule condition

qu'ils  exigent,  c'est la compréhension... C'est dans la se

conde période que l 'appui des Orien taux pourrait se m anifes

ter effectivement »

 (op. cit.,

  p. 203). D ans cette période qui

est celle de l '« action e ffective

  »,

 l 'él i te doit réaliser des ad ap

tations à la condition occidentale

 ;

  il n ' es t pas que stion d'en

visager  ainsi la substi tution d'une tradit ion à une autre , et

pour ce qui es t de la tradit ion rel igieuse de l 'Occident , il

s'agit  seulement de l '« adjonction de l 'élément intérieur qui

lui fait actuellement défaut, mais qui peut fort bien s'y

superposer sans que r ien soit changé extérieurement   » (op.

cit., p .

  195).

  «  Ce n'est que si l 'Occident se montrait défini

t ivem en t impuissant à revenir à une civilisation normale

qu'une tradit ion étrangère pou rrait lui être imposée ; mais

alors il n'y aurait pas fusion, puisque rien de spécifiquement

occidental ne subsis terait  plus;et  i l n 'y aurait pas substi tu

t ion non plus , car , pour en arrive r à une tel le e xtrémité, i l

faudrait que

  l'Occident

  eût perdu jusqu'aux derniers ves

t iges de l ' esprit tradit ionnel , à l ' exception d'une peti te él i te

sans laquelle , ne pouvant même recevoir cet te tradit ion

étrangère , i l s ' enfoncerait inévitableme nt dans la pire bar

barie » (op. cit.,  p .

  199).

En résumant les rapports possibles ainsi dans la meil leure

hypo thès e e n t r e  Orient  et Occident , René  Guenon  précisait

encore : « Il s'agit  donc, non d' imposer à l 'Occident une tra

dit ion orientale , dont les formes ne corresponde nt pas à sa

me ntali té , mais de res taurer une tradit ion occidentale ave c

l'aide de  l'Orient,  aide indirecte d 'abord, directe ensuite

;

  ou,

s i l 'on veut , inspiration dans la première période, appui

effectif dans la seconde... Lorsque l'Occident sera de nou

veau en possession d'une civilisation régulière et tradition

nelle, le  rôle de l 'éli te d ev ra se poursuivre : el le sera alors ce

par quoi la civilisation occidentale communiquera d'une

façon permanente avec les autres civil isations , car une tel le

communication ne peut s 'établir et se maintenir que par ce

qu' i l y a de plus élevé en chacune d'el les . . . En d'autres

lermes,il  faudrait que l'Occident parvint finalement à avoir

• les  représentants dans ce qui es t désigné symboliquement

comme le

 «

  centre du monde

  »

  ou par toute autre express ion

équivalente (ce qui ne doit pas être entendu l i t téralement

comme indiquant un l ieu déte rminé, quel qu' i l puisse être) ;

mais,

  ici, il  s'agit  de choses trop lointaines , trop inacces

s ibles présente me nt e t sans doute pour bien longtemps

encore , pour qu' i l puisse être vraime nt uti le d 'y insis ter »

(op. cit.,  p. 202).

Certainement cette hypothèse, la plus favorable pour

l'Occident, celle d'une restauration intégrale de la civilisa

tion occidentale sur des bases et dans des formes tradition

nelles propres , était la moins probable , et René  Guenon  ne

a'est

  jam ais fait tro p d'illusions à cet égard, e t s 'il e nvisa

geait  une tel le hypothèse , c 'était en quelque sorte par prin-

1  ipe, pour ne limiter aucun e possibilité e t ne décourager

.uicun  espoir, tout effort dans ce sens ay ant de tou te façon,

des

 résultats dans un autre ordre , et tou t d 'abord pour l 'él ite

elle-même . M ais à la réédition en

  1948

 d Orient

  et Occident,

faisant état , dans un Adde ndum, de l 'aggravation du désor

dre  général et après avoir re dit que « le seul re mède con

sis te dans une res tauration », i l constatait que   « malheureu

seme nt , de ce point de vuejes  chances d'une réaction v ena nt

de l 'Occident lui-même se mblent diminuer chaque jour

davantage , car ce  qui subsis te comme tradit ion en Occident

est  de plus en plus affecté p ar la me ntali té moderne , et , par

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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2 2 8

ÉTUDES TRADITIONNELLES

LE S ORT DE L 'OCCIDENT

2 2 g

c o n s é q u e n t , d ' a u t a n t m o i n s c a p a b l e d e s e r v i r d e b a s e s o l i d e

à u n e t e l l e r e s t a u r a t i o n , s i b i e n q u e s a n s é c a r t e r a u c u n e d e s

p o s s i b i l i t é s q u i p e u v e n t e n c o r e e x i s t e r , i l p a r a î t p l u s v r a i

s e m b l a b l e q u e j a m a i s q u e   l'Orient  a i t à i n t e r v e n i r p l u s o u

m o i n s d i r e c t e m e n t , d e l a fa ç o n q u e n o u s a v o n s e x p l i q u é e , si

c e t t e r e s t a u r a t i o n d o i t s e r é a l i s e r q u e l q u e j o u r . . . S i l ' O c c i

d e n t p o s s è d e e n c o r e e n l u i - m ê m e l e s m o y e n s d e

  revenir

  à sa

t r a d i t i o n e t d e l a r e s t a u r e r p l e i n e m e n t c ' e s t à l u i q u ' i l a p p a r

t i e n t d e l e p r o u v e r . E n a t t e n d a n t , n o u s s o m m e s b i e n o b l i g é

d e d é c l a r e r q u e j u s q u ' i c i n o u s n ' a v o n s a p e r ç u l e m o i n d r e

ind ic e qu i no us au to r i s e r a i t à suppo s e r qu e l ' O cc id en t , l i v r é

à l u i - m ê m e , s o i t r é e l l e m e n t c a p a b l e d ' a c c o m p l i r c e t t e t â c h e ,

av ec qu e lqu e fo r c e qu e s ' impo se à lu i l ' i dé e d e sa néce s s i t é » .

P ar c e s co nc lu s io ns éno nçan t l a p r o bab i l i t é qu e   l'Orient

i n t e r v i e n n e « p l u s o u m o i n s d i r e c t e m e n t

  •>

 d a n s l a r e s t a u r a

t i o n o c c i d e n t a l e ,

  Guenon

  é v o q u a i t é v i d e m m e n t l a d e u x i è m e

h y p o t h è s e f o r m u lé e p a r l u i , ce l l e o ù « l e s p e u p l e s o r i e n t a u x

p o u r s a u v e r l e m o n d e o c c i d e n t a l d e c e t t e d é c h é a n c e i r r é m é

d iab l e , s e l ' a s s imi l e r a i en t d e g r é o u d e fo r c e , à suppo s e r qu e

la cho s e fû t po ss ib l e , e t qu e d ' a i l l e u r s l ' O r i en t y co ns en t e

d a n s s a t o t a l i t é o u d a n s q u e l q u e s - u n e s d e s e s p a r t i e s c o m p o

san t e s », e t c e c i , r appe lo ns - l e , imp l iqua i t « l a r en o nc ia t io n

de   l'Occident  à s e s c a r a c t è r e s

  propres».Le

  m i n i m u m d e c o n

d i t i o n s d e c e t t e h y p o t h è s e é t a i t t o u t e f o i s l ' e x i s t e n c e e n

O c c i d e n t d ' u n n o y a u i n t e l l e c t u e l , m ê m e f o r m é s e u l e m e n t

d ' u n e é l i t e p e u n o m b r e u s e , m a i s a s s e z f o r t e m e n t c o n s t i t u é e

p o u r f o r m e r l ' i n t e r m é d i a i r e i n d i s p e n s a b l e p o u r r a m e n e r l a

me n ta l i t é g énér a l e ». M a i s dan s c e cas « l e r ô l e d e l ' é l i t e s ' y

r édu i r a i t à s r v i r d e po in t d ' appu i à un e ac t io n do n t l ' O cc i

d e n t n ' au r a i t p as l ' i n i t i a t iv e » . A c e p r o po s , no us po u r r io n s

f a i r e r e m a r q u e r q u e p l u s i e u r s é v e n t u a l i t é s p e u v e n t ê t r e

e n v i s a g é e s à l ' i n t é r i e u r d e l a d e u x i è m e h y p o t h è s e e n

  fonction

de s f ac t eu r s qu i do iv e n t y in t e r v e n i r : d ' un cô té , l ' impo r

t a n c e o u  réflectivité  d e l ' é l i t e o c c i d e n t a l e , d e l ' a u t r e , l e s

p e u p l e s o r i e n t a u x e t l e s o r g a n i s a t i o n s q u i p o u r r a i e n t t r o u

v e r u n i n t é r ê t à u n e r e s t a u r a t i o n o c c i d e n t a l e . C e s é v e n t u a

l i té s s o n t e x p r i m é e s , d a n s u n c e r t a i n s e n s , p a r l e s m o d a l i t é s

d e c e t t e a s s imi la t io n qu i s e r a i t f a i t e so i t «d e g r é» , c e qu i im

p l i qu e u n c o n s e n t e m e n t o c c i d e n t a l , d u m o i n s d a n s s e s é l é

ments

  e thn iq u e s l e s p lu s im po r tan t s , so i t « d e fo r c e » , c e qu i

s u p p o s e u n e r é s i s t a n c e p l u s o u m o i n s g é n é r a l i s é e . D ' a i l l e u r s ,

e t s u r t o u t d a n s c e d e r n i e r c a s , i l y a e n c o r e à e n v i s a g e r l a

po ss ib i l i t é qu e l ' a s s imi la t io n a f f e c t e l ' e n s e mb l e o cc id e n ta l

o u s e u l e m e n t u n e p a r t i e , l e s p e u p l e s o r i e n t a u x e n c a u s e

p o u v a n t l ' e n t r e p r e n d r e s e u l e m e n t d a n s l a m e s u r e o ù i l s e s t i

m e r o n t q u e c e l a c o r r e s p o n d à l e u r p r o p r e i n t é r ê t , p o u r l e

r e s t e s e c o n t e n t a n t p e u t - ê t r e d e p r e n d r e c e r t a i n e s m e s u r e s

d e sécu r i t é d e l ' o r d r e é t ab l i , c e qu i v eu t d i r e au s s i qu e , dans

c e c a s , d e s p a r t i e s d e l ' O c c i d e n t p o u r r a i e n t t o m b e r d a n s

u n e s i t u a t i o n c o r r e s p o n d a n t à l a p r e m i è r e h y p o t h è s e , c e l l e

q u i é n o n ç a i t u n é t a t d e p u r e e t s im p l e b a r b a r i e . S i n o u s

e n v i s a g e o n s c e s di f fé r e n t e s é v e n t u a l i t é s s e c o n d a i r e s , c 'e s t

p o u r f a i r e c o m p r e n d r e q u e

  renonciation

  d ' u n e p r o b a b i l i t é

d e l a s e c o n d e h y p o t h è s e n ' i m p l i q u e p a s f o r c é m e n t l a r é a l i

s a t i o n d e s m e i l l e u r s a s p e c t s d e c e l l e - ci , e t q u e m ê m e e l l e

n ' e x c l u t p a s d e s p o s s i b i l i té s d e la p r e m i è r e , l e t o u t d é p e n d a n t

d ' a b o r d d e la c a p a c i t é q u ' a u r a i t c e t t e é l i t e d e s e r v i r d e

p o i n t d ' a p p u i à l ' a c t i o n o r i e n t a l e .

J u s q u ' i c i n o u s n o u s s o m m e s t e n u d a n s l e s t e r m e s  les p lu s

g é n é r a u x e n p a r l a n t d e s p o s s ib i l i té s de r e d r e s s e m e n t t r a d i

t i o n n e l d e l ' O c c i d e n t . I l n o u s f a u t c o n s i d é r e r m a i n t e n a n t c e s

po ss ib i l i t é s s e lo n l e s po in t s d ' appu i qu e l e s é l émen t s o cc i

d e n t a u x q u i a u r a i e n t à a c c o m p l i r c e t r a v a i l d e r e s t a u r a t i o n

à l ' a i d e d e l a c o n n a i s s a n c e d e s d o c t r i n e s o r i e n t a l e s , p o u r

r a i e n t t r o u v e r d a n s l e m o n d e o c c i d e n t a l m ê m e .

I l f au t d i r e t o u t d ' abo r d qu e s ' i l y ava i t e u en O cc id en t au

m o i n s u n p o i n t o ù s e s e r a i t c o n s e r v é i n t é g r a l e m e n t l ' e s p r i t

t r ad i t io nne l , o n au r a i t pu vo i r l à un mo t i f d ' e spé r e r qu e

l'Occident  a c c o m p l i s s e u n r e t o u r à

  l état

  t r a d i t i o n n e l  « pa r

u n e s o r t e d e r é v e i l s p o n t a n é d e p o s s i b i l i t é s l a t e n t e s » ; c ' e s t

l e f a i t qu ' un e t e l l e p e r s i s t ance lu i s emb la i t , e n dép i t d e c e r

t a i n e s p r é t e n t i o n s , « e x t r ê m e m e n t d o u t e u s e ». q u i a u t o r i s a i t

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230

ETUDES TRADITIONNELLES

LE SORT D E L OCCIDENT

231

René

  Guenon

  d'envisager un mode nouveau de consti tution

d'une éli te intel lectuelle , et en fait r ien n'es t venu

  jusqu'à

présent infirmer sa supposition initiale. Pour se constituer,

l 'élite en formation avait tout intérêt à prendre un point

d'appui dans une organisation ayant une exis tence effective.

En fait d 'organisations à caractère tradit ionnel , tout ce que

l'Occident

  garde encore sont , dans l 'ordre rel igieux l 'Eglise

catholique, e t dans l 'ordre init iatique quelques organisa

tions dans un état avancé de déchéance. Pourtant sous le

rapport doctrinal , seule la première pouvait être envisa

gée comme une base possible de redresse me nt d 'ensem ble

pour le 'monde occidental , et  Guenon  disait donc dans

La Crise du Monde moderne :

 « Il semble bien qu'il n'y

ait plus en Occident qu'une seule organisation qui possède

un   caractère  tradit ionnel et qui conserve une doctrine sus

ceptible de fournir au travail dont il

 s'agit

  une base appro

priée : c'est l 'Eglise catholique . Il suffirait de re stitue r à la

doctrine de celle-ci, sans rien changer à la forme religieuse

sous laquelle el le se présente au

  dehors,le

  sens profond

qu'el le a réellement en el le-même, mais dont ses représen

tants actuels paraissent n'avoir plus conscience, non plus

que de son unité e ssentiel le avec les autre s formes tradition

nelles ; les deux choses, d'ailleurs, sont inséparables l 'une de

l'autre. Ce serait la réalisation du Catholicisme au vrai sens

du mot, qui , étymologiquement , exprime l ' idée d'« univer

salité », ce qu'oublient un peu trop ceux qui voudraient n 'e n

faire que la dénomination exclusive d'une forme spéciale

pure me nt occidentale , sans aucun lien effectif ave c les autre s

traditions » (op. cit.,  pp .

  128-129).

Quant à cette question doctrinale qui es t évidemment

primordiale, puisque l'accord cherché sur les principes avec

l'Orient la pose av ant toute autre , il disait déjà dans Orient et

Occident : « L'accord, portant esse ntiel lement sur les prin

cipes,

 ne peut être vraime nt conscient que pour les doctrines

qui renferment au moins une part de métaphysique ou d' in-

tellectualité pure ; il ne l 'est pas pour celles qui sont limitées

s tr ictement à une forme particulière , par exemple à la forme

religieuse. Cepe ndant , cet accord n'en e xis te pas m oins réelle

ment en pareil cas , en ce sens que les vérités théologiques

peuvent être regardées comme une traduction, à un point de

vue spécial , de certaines vérités métaphysiques ; mais pour

faire apparaître cet accord, il faut alors effectuer la transpo

sition qui re s t i tue à ces vérités leur se ns profond, et le méta

physicien seul peut le faire, parce qu'il se place au delà de

toutes les formes particulières et de tous les points de vue

spéciaux. M étaphysique e t rel igion ne sont et ne seront

jamais sur le m ême plan ; il résulte de là , d 'ai lleurs qu'une

doctrine purem ent m étaphysique e t une doctrine rel igieuse

ne peuvent ni se faire concurrence ni entrer en confli t , puis

que leurs domaines sont nettem e nt différents . M ais, d 'autre

part,il  en résulte aussi que l ' exis tence d'une doctrine un ique

ment rel igieuse es t insuffisante pour permettre d 'établir

une entente profonde comme celle que nous avons en vue

quand nous parlons du  rapprochement  intel lectuel de

l'Orient  et de  l'Occident  ; c'est pourq uoi nous avons insisté

sur la nécessité d'accomplir en premier lieu un travail

d'ordre  métaphysique,et  ce n 'es t qu'ensuite que la tradit ion

religieuse de l 'Occident, revivifiée et restaurée dans sa plé

nitude, pourrait devenir uti l isable à cette fin, grâce à   l'ad

jonction de l'élément intérieur qui lui fait actuellement

défaut, mais qui peut fort bien venir s 'y superposer sans

que r ien soit changé extérieurement »  (op. cit., pp .

  194-195).

Ici une remarque s ' impose.  Guenon  envisageait dans ses

écrits surtout les possibilités traditionnelles du monde que

couvrait autrefois la forme catholique du Christianisme ou,

en  tout état de cause, celui où elle-existe actuellement,c'est-

à-dire les possibilités d'un Occident au sens restreint. Il

avait moins en vue le monde orthodoxe et , d 'une façon

générale , tout ce qui res tait en dehors du milieu de l 'Eglise

latine ; et nous savons personnelleme nt q u' i l avait de ce

<:Até des impressions sensiblement différentes de celles qu'il

i'

  1  oui" le

  Catholicisme. C'est ainsi du reste que dan;

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234

ÉTUDES TRADITIONNELLES

da t e , en 1927 , c ec i :

 «

  I l y a dès maintenant , dans le monde

occidental , des indices cer tains d 'un mouvement qui de

meur e encor e

  imprécis,mais

 qu i p eu t e t do i t même normal e

me nt abo utir à la recons t i tut ion d 'une él ite intel lectue l le , à

moins qu 'un cataclysme ne survienne t rop rapidement pour

lu i p e rme t t r e d e s e déve lopper ju squ ' au bou t . I l e s t à p e ine

besoin de dire que l 'Eglise aurai t to ut intérêt , quant à son

rô le futur , à devancer en quelque sor te un te l mouvement

plutô t que de le laisser s 'accomplir sans e l le e t d 'être con

trainte de le suivre tardivement pour maintenir une in

fluence qui menacerai t de lui échapper . . .

  » (op. cit.,p.

  131).

Avant de signaler un point par t icul ier qui concerne cer

taines néce ssi tés dans lesquel les pourrai t se t rouve r bie ntô t

l 'Eglise Catholique , e t que René

  Guenon

  a formulé d'une

façon toute spéciale , on peut se demander quel a été jus

qu ' ici l' effe t de son e nseigneme nt e t de la connaissance des

doctr ines or ie ntales sur l ' inte l lectual i té catholique . Nous ne

pourrons pas faire ici un examen proprement di t de cet te

que st ion, car nous voulons seule me nt f ixer ce r taines cons

tatat ions qui ont leur intérêt en ce moment.

Tout d 'abord, si bien des Catholiques qui ont connu les

écrits de

  Guenon

  ont acquis ainsi une véri table compréhen

sion de ce qu 'est l ' espr i t or iental e t en générai t radit ionnel ,

i l ne semble vraime nt pas qu ' i l y ai t un changeme nt quel

conque du cô té

  «

  représentat if

  »

  de l 'Eg l ise même . De c e

cô té-là , e t plus précisément dans cer tains mil ieux qui exer

cent une influence intel lectuel le notable sur les dir igeants ,

on a vu se const i tuer t rès tô t , e t assez

  solidement,une

  posi

t ion doc t r ina l e n e t t emen t

  «

  anti-or ientale » qui n 'a même

pas les caractères naturels de l 'habituel le incompréhension

exotér iste , puisqu 'e l le se fai t remarquer en même temps par

les t rai ts d 'un modernisme

  accentué.Ce

  sont les milieux où la

spéculat ion philosophique t ient l ieu d ' intel lectual i té propre

ment di te , où la science profane e t ses méthodes exercent

une a utor i té incontestée , e t pour lesque ls l 'Eglise se doit

d ' intégrer tous les aspects de la civi l isat ion moderne

 :

  c ' est

LE SORT DE L'OCCIDENT

235

ainsi, entre au tres , qu 'on s 'y efforce d e s 'annex er le pre st ige

de toute conception nouveEe, depuis les théories philoso

phiques comme l ' intui t ionnisme

  bergsonien,

  ou comme un

< ertain «

 existe nt ial isme » qu 'on ve ut prése nter comme une

ressource doctr inale chrét ienne , jusqu 'aux méthode s les plus

subversives e t propre me nt infernales comme la psychana

lyse. Ce travail d 'assimilation de to ute s les productions de

l ' individualisme mode rne est même considéré comme déri

vant de l 'actual i té pe rmane nte e t de l 'universal i té

 de

 l 'Eglise

.dors

  qu'il s'exp lique préciséme nt par l 'oubli de ce qui fait

réel lement ces caractères : car l 'actual i té permanente , qui

est intemporal i té e t act ivi té immuable de la vér i té révélée

n 'a r ien à voir avec une at t i tude qui s 'accommode de

  l'évo-

lutionnisme

  e t du relat ivisme de la pensée moderne , qu ' e l le

soi t rat ionaliste ou intui t ionniste , ou tout autre , e t l 'uni

versal ité , qui est i l l imitat ion e t synthèse spir i tuel le , n 'a r ien

de commun avec l ' empir isme et l e matér ial isme

 de

  la science

non-tradit ionnelle ,  ni avec une indifférence à tout ce qui

'.épare

  le sacré du profane. Par contre , à l 'œuvre t radit ion

nelle

  e t an t imoderne d e René

 Guenon,on

  fit un accueil mar

qué tout d'abord de  suspicion,ensuite d 'host i l i té ; on chercha

même

  l 'a l l iance , toute naturel le d 'ai l leurs dans ces condi-

I ions,des

  or iental istes dont la compétence devait avoir pour

1 Aie  de conte ster tout caractère non- humain a ux doctr ines

spirituelles de

 l'Orient,

 e t tou t e concordance r ée l l e en t r e l e s

doctrines t radit ionnel les en général. On reco nnaîtra à la

 dif

férence de réact ion devant les théories modernes d 'un cô té ,

e t l ' enseignement t radit ionnel de

  Guenon

  de

 I'autre.la

  signi

f ication exacte de ce t te posi t ion intel lectue l le qu 'on ve ut

donner comme

  «

  catholique ». La synthèse spir i tuel le for

mulée

  par

  Guenon

  fut ainsi traitée de

  «

  syncrét isme »et le

sens universel de son intel lectual i té déclaré incompatible

avec l ' enseignem ent chrét ien. M ais avec le déve loppem ent

implacable  de la fonction du témoin de  l'Orient,  l 'autor i té

de ses écr i ts

  comme

  des idées qu ' i l r eprésentai t , s ' imposa,

l en t emen t mais

  fermement

  : il de vint do nc évide nt q u'il

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236

ÉTUDES TRADITIONNELLES

était plus prude nt de l ' ignorer . Et m ainte nant que , malgré

tout , bon nombre de Catholiques comme d'Occidentaux en

général , doivent la quali té actuelle de leur conscience tra

dit ionnelle à l 'étude de ses

  l ivres ,

 et que son pres tige paraît

vra iment

  indéniable,si

  l 'on se résout à prendre acte de cette

présence intel lectuelle ,ce n 'es t pas à la vérité des idées qu' i l

a enseignées ni à l 'esprit qu'il illustrait qu'on ferait un hom

m age ,  mais,  tout a u plus, e t cela même fut au fond assez

r a r e ,  au cas individuel d'un écrivain très  « original

  ^ i m p r e s

sionnant aussi par la s tabil i té et la cohérence inhabituelles

de son idéologie  ;  pourtant son  « originalité  »  es t avant tout

l'effet étrange que fait la vérité au milieu de l' ignorance , e t

quant à la s tabil i té de ses idées , el le es t la conséquence de

leur inspiration non-humaine et supra-individuelle.

Si l 'on considère m ainte nant de plus près la compréhen

sion que l'on a, du même  côté,pour  les doctrines spiri tuelles

de

 l'Orient,on

  se trouve en présence d'une « contre-doctrine »

dont la fonction es t de troubler toute étude intel l igente , et

de décourager tout espoir d 'un rapprochement réel entre

l 'Eglise Catholique et les tradit ions orientales . Ainsi , s i

d 'une façon générale , on attache une certaine importance

au côté doctrinal des autres

  civilisations,cela

  est conçu

  dans

un sens qui visera toujours à la négation de toute s imili tude

ou identi té essentiel le avec les doctrines

 chrétiennes,et

  donc

de toute unité entre les différentes formes tradit ionnelles :

les concordances doctrinales et les analogies symboliques ,

quand on es t obligé de les recon naître , on les attr ibue tout

simplement  à une certaine unité naturelle de la pensée hu

maine  ; aussi le caractère intel lectue l inconte s table des doc

tr ines non-chrétienne s , plus spécialeme nt celles de l 'Hin

douisme e t de l 'Is lam, sont l ' express ion d'une « mystique

naturelle   » à laquelle on oppose une  « mystique surnature lle»

du Chris t ianisme, el le-même conçue d'ail leurs

  dans

  un sens

individualis te e t se ntime ntal ; la réalisation métaphysique ,

qu'on n 'arrive pas non plus à voir dans l'aspect le plus haut

du Chris t ianisme même, es t traitée de   «  panthéisme », et ,

LE  SORT  DE LOCCIDENT  ÎSf

en même t em ps , l e s données purem ent in te l l ec tue l les qui

peuvent r es s embler que lque peu dans l eur expres s ion aux

conceptions du mysticisme m oderne , sont réduites aux caté

gories  spéciales de celui-ci , par u ne sorte de procédé que

• .uénon

  a qualifié à ju ste t i tre d '« anne xionisme

  »

  et qui

do i t permet t r e de subordonner e t rabais s e r l e pr es t ige de

tout ce qui es t non-chrétien.

De plus , en ce qui concerne la tradit ion catholique el le-

même,on  ne voit vraiment pas qu'on ait compris que l 'ordre

religieux  ex is tant es t purement exo tér ique e t comme t e l

Insuffisant  pour avoir une tradit ion complète et normale.

Quand il s'agit  du domaine init iatique et métaphysique, on

ne conçoit r ien d'autre que le  «  mysticisme »,et quand on ne

peut plus nier toujours , contre tou te évidence , qu' i l y a eu

un ésotérisme chrétien, on le considère soit comme s 'appli-

<

 l iant à des réali tés qui n 'on t r ien de

 profond,soit

  comme un

simple prolongem ent des possibil i tés normales de l 'ordre

rel igieux commun, c ' es t-à-dire de l ' exotérisme

  (1).

  M ais

c'est lorsqu'il

 s'agit

  de l ' interprétation des doctrines et des

méthodes  hésychiastes que l ' incompréhension et l 'hosti l i té

atteint les formes les plus inattendues , qui confinent à l ' im

piété même ; ce la ce r ta ineme nt , en t r e au t r es , parce qu ' i l

s'agit  de quelque chose qui appartient à l 'Orthodoxie  et dont

le Catholicisme moderne a perdu depuis îongtempsl 'équiva-

1 . A c e p r o p o s , u n e d e s

  incompréhensions

  l e s p l u s s i g n i f i c a t i v e s , ma i s

  qui

A v r a i d i r e , n ' e s t p a s p a r t i c u l i è r e à c e t t e

  ra

  c o n t r e - d o c t r i n e » , p u i sq u ' o n l a

retrouve  m ê m e c h e z c e r t a i n s q u i a d m e t t e n t p a r a i l l e u r s l a  notion  d ' u n e

I n i t ia t i o n c o mm e c o n d i t i o n p r é a l a b l e à u n e v o i e d e r é a l i s a t i o n , e s t c e l l e

concernant  la  nalure  e t le s mo y e n s d e l ' i n i ti a t i o n c h r é t i e n n e . L ' o n c o n s i d è r e

a i n s i q u e c e l l e - c i e s t c o n f é r é e p a r l e s s a c r e me n t s o r d i n a i r e s d e l ' Eg l i s e , e n

• Bi son d 'un  privilène  sp é c i a l q u ' a u r a i t l e Ch r i s t i a n i sme d ' ê t r e u n e " i n i t i a t i o n

of f e r t e à tout l e  monde „  Ceci e st a f f i rmé à l a faveur d 'une ce r t a ine d i f f i cul t é

q u e l' o n a r e n c o n t r é e à d é m o n t r e r l ' e x i s te n c e d ' a u t r e s r i t e s p u r e m e n t é s o -

t é r l q u e s p o u r

  l'initiation

  c h r é t i e n n e . N o u s n e p o u r r i o n s t r a i t e r i c i d e c e t t e

q u e s t i o n , m a i s p u i s q u e b e a u c o u p d e c e u x q u i p r o f e s s e n t c e t t e o p i n i o n

« M o r d e n t , p a r a i l l e u r s , q u e

  l'héBychasme

e u t u n e v o i e i n i t i a t i q u e , q u ' i l s

nuchent  q u e c e l u i - ci a , d e n o s j o u r s m ê m e , c o m m e m o y e n d e  ra ttachement

u n r i t e sp é c i a l e t r é s e r v é , a n a l o g u e à c e q u e l ' o n sa i t d u r i t e d e r a t t a c h e me n t

il a n s l e s i n i t ia t i o n s i s l a mi q u e s ; ma i s p o u r sa v o i r c e q u ' i l e n e s t e x a c t e me n t ,

t< \ n'est

  p a s a u x t h é o l o g i e n s o u a u x p r ê t r e s , n i mê m e à t o u t mo i n e , q u ' o n

p o u r r a i t l e

 demander;

  e n c e t t e m a t i è r e il  fsut  d ' a i l l e u r s s a v o i r q u e  là  r é p o n s e

dépendra  é m i n e m m e n t d e l a d r o i t e i n t e n t i o n d u c h e r c h e u r , e t d e s a b o n n e

volonté.

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238

ÉTUDES TRADITIONNELLES

l ent . Pourtant quand i l

 s'agit

  de déve loppeme n t in te l l ec tu e l

on aurai t pu croire que la compréhension do it

 être'plus

  facile

pour d es choses qu i n e me t t en t aucunemen t en cause d es

dogmes re l igieux. Que peut-on espére r , dans ces condit ions,

quant à la t ransposi t ion intel lectuel le e t métaphysique des

dogmes et de l ' enseignement théologique en vue d 'at te indre

à l 'universal i té du point de vue doctr inal , e t d 'aboutir à un

accord de pr incipes avec

 l'Orient

  ?

M ais on pourra nous faire ici quelques object ions de m é

thode qui , d 'ai l leurs , vise raient la thèse de

 Guenon lui-même.

On nous dira ainsi que ce n ' est pas aux autor i tés re l igieuses, .

exotér iques par défini t ion, ni aux théologiens ou autres in

te l lectue ls ordinaires , qu ' i l incombe de réal iser cet te com

préhension do ctr inale e t l 'accord sur les pr incipes dont i l e st

quest ion, e t que , du reste , aux meil leurs temps du moyen

âge ,

  quand cet accord existai t , ce n ' est pas l 'autor i té re l i

gieuse , ni les théologiens ordinaires , qui y part icipaient di

r ec t emen t e t qu i

 devaient

  l e p rof esse r ouve r t eme n t . Ces r e

marques sont justes , mais e l les ne correspondent pas à la

si tuat ion que nous avons en

  v u e ,

 e t cela pour plusieurs rai

sons.

  Tout d 'abord, la posit ion doctr inale moderniste e t

ant i-or ientale dont nous parlons, joue tout de même, dans

une cer taine

  mesure,sur

  le plan contingent des études théo

r iques où apparaî t en premie r l ieu l 'œ uvre de   Guenon  e l l e -

même, e t de ce fai t cet te posi t ion influe sur la mental i té

catholique en général ; beaucoup de ceux qui seraient dispo

sés autrement â aborder un enseignement t radit ionnel d ' ins

pirat ion or ientale ,

  s'en,

  trouvent t roublés e t détournés.

D 'autre par t , lorsque l 'on voit avec quel le hâte e t faci li té

on accuei l le , a insi que nous le disions, toute s sor tes de co n

ceptions mode rnes que r ien ne just ifie , ni au point de vue

intel lectuel , ni à un point de vue

  «

  catholique » même res

tre int , e t que po ur cela , évidemm ent non plus on ne pe ut

invoquer un argume nt d 'analogie avec ce qui se passai t à

l 'époque de s me il leures condit ions tradit ionnel les , on e st

tout de même assez just if ié d ' enregistrer cer taines réact ions

LE SORT DE L'OCCIDENT

239

n t i t re de tendance significat ive d 'ordre général , d 'autant

plus que les manifestat ions catholiques de sens contraire

sont à peu près inexistantes. Enfin, il n'est pas difficile

 d'ad

mettre

  que les condit ions dans lesquel les sont posées actuel

lement ce r taines quest ions, n 'ont r ien de commun avec une

si tuat ion normale , e t qu ' i l n ' est pas possible de ne pas en

tenir compte dans une cer taine mesure ; de nos jours, on dis

cute de tout e t de tous les cô tés, l ' indifférence à peu près

générale quant au fond des que st ions, e t la l iber té d 'opinion

courante

  que nous voyons, d 'ai l leurs , s ' exerce r dans le mo

dernisme catholique lui-même , font que des que st ions qui ,

normalement,ne  pouvaient être abordées que dans des con

dit ions str ictement déterminées, e t par ceux-là seulement qui

avaient les qualités requises pour le faire, sont en fait à la

portée e t dans la discussion des mil ieux et des catégories

les plus diverses : c ' est ainsi que de s notions qui étaient at ta

chées autrefois , dans le C hristianisme pré-mod erne , à un e n

seignement

  secret de caractère str ictement ini t iat ique ,

comme cel les , par exemple , qui ont t rai t à la réal isat ion su-

prême

  et à l 'uni té fondamentale des formes tradit ionnel les

sont tout de même en circulation sous des formes souve nt

incorrectes (puisqu 'e l les n 'ont pas été toujours énoncées par

des personnes réel leme nt compéte ntes) , à cô té de toutes les

aberrat ions intel lectuel les du m onde actue l , e t c ' est d 'ai l

leurs

  cet te confusion et cet te indifférence réel le de la menta

l i té générale qui permettent e t just if ient la

  publication.de 

nos jours, des doctr ines vraies e l les-mêmes, car autre me nt

i l n 'y aurai t peut-être aucune possibi l i té d 'at te indre ceux

qui ont de réel les possibil i tés spir i tuel les , mais qui manq ue nt

de l'or ientat ion nécessaire . D u reste , nous reco nnaîtrons

volontiers , qu ' i l ne faut pas accorder une importance exa

gérée  aux réact ions de ceux qui ne sauraient représenter ,

8n tout état de cause , que le point de vue le plus extér ieur

et

  les possibi li tés intel lectue l les les plus comm unes, e t que

c ' est à l 'a t t i tude des éléments d 'él i te qu ' i l faut at t r ibuer

une importance réel le . M ais ceux-ci , ont-i ls vraime nt une

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240

ÉTUDES TRADITIONNELLES

réalité suffisante pour qu'on se désintéresse complètement

de ce qui se passe sur le plan général ? Nous pensons que de ce

cô té-là i l ne doit y avoir pour le momentque des vir tual i tés

et des espoirs , car une const i tut ion effect ive d 'une él i te

intel lectuel le se t raduirai t nécessairement dans une cer taine

mesure à l ' extér ieur par des tendances différentes de cel les

de la men tal i té générale , e t nous n ' e n voyons guère j usqu 'à

présent . I l suffi t de regarder le domaine des études t radi

t ionnel les du Christ ianisme pour voir combien les manifes

tat ions d 'une compréhension réel le des vér i tés métaphy

siques e t ini t iat iques sont rares e t bien

  discrètes .D 'ail leurs ,

i l y aurai t mêm e à faire quelque s constatat ion s d 'un o rdre

plus spécial qui ne sont pas e ncourage antes non plus. Cer

taines possibi l i tés ini t iat iques latente s du Catholicisme d ont

on pouvait e spérer le révei l , n 'ont pas e u de sui te : i l

 s'agit

de ce que

  Gu eno n ,

  qui en avait connaissance depuis long

temps, désignait plus tard dans ses

  Aperçus sur l'Initiation

par l ' expression de   «  survivance possible de quelques grou

p e m e n t s

  d'hermétisme

  chrét ien

  du

  moye n âge »

  (op. cit.,

p .

  40, note

  1).

  Or tan t que les choses re steront ainsi, aussi

bien dans l 'ordre doctr inal que dans l 'ordre

  effectif.et

  qu 'un

espoi r d e r ed r e ssemen t subs i s t e r a i t ,

 il

 sera légit ime d 'accor

der une importance aux condit ions générales intel lectuel les

dont dépend dans quelque mesure la réal isat ion

 de ce

  r ed r e s

sem ent . Pa r contre , si cet espoir n ' existai t plus, ou s 'i l se

trouvait réduit à peu de  chose,et si l es perspe ct ives les moins

favorables de la

  «

  seconde hypothèse

  »

 que nous avons e xa

minée précédemment semblent devoir être considérées

comme probables pour l ' ensem ble occidental , i l y au rai t ,

d 'autant plus, intérêt à souligner le caractère représentat if

général de ces manifestat ions spéciales de l ' espr i t moderne

et an t i- t radit ionne l , pour qu 'une ce r taine clar té en résulte .

Une te l le clar té produira vraisemblablement beaucoup de

dési l lusion d 'un cô té , mais e l le permettra aussi de simplif ier

les

 efforts e t l 'or ientat ion possible . D 'autre par t , on ne de

mande rai t pas tant aux re prése ntants de l 'Eglise de se pro-

LE S ORT D E L OCCIDENT   341

noncer sur des quest ions qui sont en dehors de leur at t r ibut

normal ; ce serai t déjà be aucoup, dans les co ndit ions ac

tuel les ,

 s'ils

  exerçaient ces at t r ibuts à l 'égard de la mental i té

moderniste dont les méfai ts sont d 'ordre général e t vont

ainsi contre les intérêts même d 'ordre purement re l igieux

de l 'Eglise . S i , à par t ce la , parmi les me mbre s de la hiérar

chie catholique , i l s ' en t rouva it do nt les capacités e t l es con

vict ions dépassent l 'ordre re l igieux, e t nous ne voyons pas

pourquoi i l n ' en serai t pas quelquefois ainsi , nous croyons

qu' i ls sauraient bien affirmer leur présence e t l eur point de

vue quant à l 'or ientat ion spir i tuel le nécessaire , car une ré

serve excessive de leur par t se tournerai t contre le droi t e t

même le devoir qu ' i ls ont de vivre dans une comm unauté

spir i tuel le où la direct ion appart ienne , non pas à la   m en t a

l i té moderne la plus désolante , ni aux superst i t ions les

plus grossières , m ais à l 'Espri t de V éri té e t à la s ainteté

intel lectuel le .

Ma i s René

  Guenon

  a aver t i que , malgré tout , cer tains

événemen ts pour ra i en t amener b i en t ô t l 'Eg l i se ca thol ique

(et nous a joutons également les autres églises) , à considérer

d 'une façon très spéciale ce t te quest ion de posi tion tradi

t ionnel le de la Chrét ienté e t aussi le s rappo rts ave c les

forces spirituelles de

  l'Orient

  dans lesquel les e l le pourra

même

  voir, à un cer tain mo me nt , un dernier app ui pour son

existence

  mise en danger . C'est là le point par t icul ier que

nous avions réservé précédemment e t qu 'on comprendra

mieux main t enan t après l ' examen sommai r e que nous ve

nons de faire. C'est en

  1927,

 dans

  La Crise du Monde mo

derne,

  qu'il fut formulé. Parla nt de l ' intér êt q ue l 'Eglise

aurai t à devancer le mouvement qui normalement devrai t

aboutir à la reconst i tut ion d 'une él i te intel lectuel le ,

 «

 p lu t ô t

que de le laisser s 'accomplir sans e l le e t d 'être contrainte

de l e su iv r e t a rd ivemen t pour

  maintenir

  une influence qui

menacerait

  de lui échapper », Re né

  Guenon

  aj outait : « Il

n ' est pas nécessaire de se placer à un point de vue t rès élevé

e t

  diff ici lement accessible pour comprendre que , en somme

LE S ORT DE L OCCIDENT

243

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242 ETUDES   TRADITIONNELLES

c'est elle (l 'Eglise) qui aurait les plus

  grands

  avan tages à

ret i rer d 'une at t i tude qui , d 'ai l leurs , bien loin d ' exiger  de s a

part la moindre compromission d 'ordre doctr inal , aurai t

au contraire po ur résultat de se débarrasser de tou te infi l

t rat ion de l ' espr i t m oderne , e t pa r laquel le , au surplus, r ien

ne serai t modifié extér ieurement . I l serai t quelque peu

parado xal de voir le Catholicisme intégral se réaliser sans le

concours de l 'Eglise catholique , qui se t rouverai t peut-être

alors dans la singulière obligation d'accepter d'être défendue

contre des assauts plus terr ibles que ceux qu 'e l le a j amais

subis , par des hommes que ses dir igeants , ou du moins ceux

qu'ils laissent parler

 en

  leur nom, auraient d 'abord cherché à

déconsidérer en je tant sur eux la suspicion la plus mal fon

dée ; e t , pour notre par t , nous regre t ter ions qu ' i l en fût ainsi ;

mais si l'on ne ve ut pas que les choses en vie nnent à ce point, ,

il est grand temps, pour ceux à qui leur situation confère les

plus graves responsabilités, d'agir en pleine connaissance

de cause e t d e n e p lus p e rme t t r e que d es t en ta t iv es qu i

peuvent avoir des conséquences de la plus haute importance

r isquent de se t rouve r arrêtées par l ' incompréhension ou la

malvei llance de quelques individuali tés plus ou moins subal

ternes, ce qui

 s'est

  vu déjà , e t ce qui montre encore une fois

de plus à quel point le désordre règne partout au jourd 'hui .

Nous prévoyons bien qu 'on ne nous saura nul gré de ces

aver t issements, que nous donnons en toute indépendance

et d 'une façon ent ièreme nt désintéressée . . . Ce que nous

disons présente me nt n ' est que le résumé des conclusions aux

quel les nous avons été conduit par cer taines

 «

  expériences »

toutes récentes , entrepr ises , cela va sans dire sur un terrain

pureme nt intel lectue l ; nous n 'avons p as, pour le mome nt

tout au moins, à entrer à ce propos dans des détai ls qui , du

reste , seraie nt peu intére ssants en e ux-mêmes ; mais nous

pouvons affirmer qu'il n'est pa s, dan s ce qui précède, un

seul mot que nous ayons écr i t sans y avoir mûrement réflé

ch i

 » {op.

 cit.,  pp. 131-132).

I l apparaî t maintenan t que ces aver t isseme nts n 'ont servi

à

  r ien , car les choses ont continué dans le même espri t , e t

d 'ai l leurs , c ' est sur tout après cet te date que se consolida

et s 'é tendit cet te posi t ion

  «

 anti-or ientale » e t bien mode r

niste dont nous parlions.Le déve loppe me nt des affaires occi

dentales a aggravé encore la position de l 'Eglise

  ;

 l ' inquié

tude des dange rs prochains grandit . En principe , il lui étai t

offert le secours d'une s olidarité spirituelle avec tout ce qui

est t radit ionnel dans le monde, avec

  l'Orient

  véri table , car

la menace prése nte pèse sur tout ce qui reste at taché aux

véri tés saintes e t à un ordre normal , bien qu 'e l le pès i plus

part icul ièrem ent sur ce qui subsiste encore de la forme tra

di t ionnel le de l 'Occident .

L 'Eglise aurai t pu avoir entre e l le e t  l'Orient  le t rai t

d 'union de ce t te él i te intel lectuel le propre do nt e l le aurai t dû

favoriser la formation si ses dirigeants avaient bien compris

quel étai t l e vrai intérêt de l 'Eglise . Elle n 'a , entre e l le e t

l 'Orient , que ce baixage d ' incompréhension et d 'host i l i té

tantô t ouver te tantô t dissimulée , que const i tue cet te posi

t ion anti-or ientale qui l 'isole avec ses propres dangers , e t qui

est l 'œuvre d 'une sor te de

  «

 contre -élite ». Elle aurait dis

posé , pour se faire comprendre , du langage approprié d 'un

intermédiaire intel lectuel consacré , dans lequel les vér i tables

él ites t radit ionnel les e t les forces spir ituel les seraient recon

nues

 sans contradiction et se seraie nt conciliées sans abdica

t ion, car l' enseignem ent exprimé par René

 Guenon

 e st

 en

 m ê m e

temps  une lumière intel lectuel le e t  Une  force coordinatrice.

Elle n 'a mainte nant que de s interprète s ignorants e t incer

tains, dans la parole desquels les vér i tables Orientaux n 'au

ront aucune confiance e t qui ne sauraient exprimer aucune

véri té reconnaissable ; de toute s façons, ceux-là n 'at te in

dront jamais les vér i tables représentants de

  l'Orient

  t r ad i

t ionnel qui resteront hors de leurs démarches ; de te ls inter

prètes s ' ente ndraient plus facilement avec ceux qui leur

ressem blent dans le monde or iental actuel , c ' est-à-dire avec

les Orientaux occidentalisés e t mo dernistes qui sont , contre

leur propre civilisation, des alliés de

  l'Occident

  moderne ;

ETUDES TRADITIONNELLES

LE SOR T

  DE   t'OCCÏBKNT

245

Page 30: Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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244

mais ces derniers n 'auront aucune quali té pour intervenir

dans l 'ordre profond des choses qui nous intéresse ici, car ils

se ront eux-même s exclus de tout rô le représentat if , même

pas dans l 'ordre le plus extér ieur , quand s ' effectuera le

rétablisseme nt des civi l isat ions or ientales e l les-mêmes sur

leurs propres bases t radit ionnel les. Et lorsqu 'on s 'ape rcevra

ainsi de l ' inanité de la poli tique suivie

 jusque-là,il

  se ra p eu t -

être

  trop tard pour

  «

 en venir à ce par quoi on aurai t dû

normale me nt commence r , c ' est-à-dire à envisager l 'accord

sur les principes ». Cet accord-là pourrait se faire du côté de

l'Occident

  par une élite qui aura été obligée de se consti

tuer en dehors du cadre de l 'Eglise .

En effet , René

  Guenon

  a envisagé dès le

  début,ainsi

  que

nous le rappel ions plus haut , l 'éventual i té que ce t te const i

tut ion se fî t en dehors de tout suppo rt offert par une orga

nisat ion existante , e t en dehors de tout mil ieu défini .

Ava nt d ' examine r ce point , i l nous faut considérer , à t i t re

méthodique , bien que secondairement , une autre possibi l i té

qui est celle offerte par les organisations initiatique s occi

den tales , e xistant en dehors de la forme catholique. D ans

ce t ordre , i l ne subsiste à vrai dire que fort peu de chose ,

malgré la pullulation actuel le de toute s sor tes

  d'organisa

t ions à prétent ions

 initiatiques.A

 ce propos ci tons encore les

précisions autorisées de René

  Guenon

  qui se rapporte ainsi

à l ' ensemble des vest iges ini t iat iques de

  l'Occident

  :

  «

 D e s

invest igat ions que nous avons dû faire à ce su je t , e n un te mps

déjà

  lointain, nous ont conduit à une conclusion formelle et

indubitable que nous devons exprimer ici net tement , sans

nous préoccuper des fureurs qu 'e l le peut r isquer de susci ter

de divers cô tés ; si l 'on met à par t le cas de la survivance

possible de quelques groupements d 'hermétisme chrét ien du

moyen âge , d 'ai l leurs extrêmement restre ints en tout état de

cause , c ' est un fai t que de toutes les organisat ions à préten

t ions ini t iat iques qui sont répandues actuel lement dans le

monde occidental , il n ' en est que deux qui , si déchues qu 'e l les

soient l 'une e t l 'autre par sui te de l ' ignorance de leurs

membres, peuv ent reve ndiquer une or igine t radit ionnel le au-

flientique

  e t une t ransmission ini t iat ique réel le ; ces deux

organisations, qui d'ailleurs à vrai dire, n'e n furent prim i

t ivement qu 'une se ule , bien qu 'à branches mult iples , sont

le Compagnonnage e t la M açonner ie . Tout le reste n ' es t que

fantaisie ou charlatanisme, même quand i l ne ser t pas à

dissimuler quelque chose de pire . . . »  (Aperçus sur l'Initia

tion, p. 40, note

  1).

  M ais, du cô té de ces deux organisat ions

les  possibilités d'établir un point d'appui pour un véritable

redressement intel le ctuel apparaissent bien l imitées. En

dehors même du fait que la M açonner ie , plus part icul ière

ment , est infestée par la me ntal i té moderne la plus lame n

table e t par toutes sor tes de préoccupations poli t iques e t

sociales qui l 'ont ame née à jouer t rop souve nt , sur tout pa r

ses branches l a t in es , un r ô l e d ' ins t rumen t n e t t e me n t

  an t i

t radit ionnel dans les

  even.em.ents

  des époques d i t e s

  «

  m o

derne

 »

 e t

  «

  contemporaine », ces deux organisations const i

tuent normaleme nt des ini t iat ions de métier (exclusivem ent

masculines

  du reste) e t comme te l les e l les ont un caractère-

essent ie l lement cosmologique ; par conséquent , e l les ne sau

raient offr ir une base appropriée pour un travail intel lectuel

qui devrai t être avant tout d 'ordre métaphysique pour cor

respondre au but d 'un redressement par les pr incipes

 les

 plus

universe ls. C'est là d'ailleurs la raison pour laquelle   Guenon

ne pouvait envisager en Occident comme organisation suscep

tible d'offrir le point de dépar t voulu, une autre que l 'Eglise

catholique ,

  car

  la doctr ine théologique dans sa forme sco-

lastiquea

  en propre , au m oins part ie l lem en t , un point de

  vue

métaphysique qui , tout en n 'étant pas le plus élevé possible

en est toutefois un. On pourrai t dire , néanmoins, que , de

même que la cosmologie peut f inalement avoir un point de

contact avec le domaine métaphysique , i l ne serai t pas im

possible que, dans un milieu

  maçonnique

  const i tué sur des.

bases str icteme nt intel lectue l les l 'on f î t l 'ad jonction d 'un

point de

 vue

 métaphysique

 ;

 mais si une te l le adjonction étai t

possible , cela const i tuerai t ,

 à

 vrai dire , une superposi t ion par

Z ftl E T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

L E S O R T D E I . O C C I D E N T

24/

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r a p p o r t à ce q u i fa i t p r o p r e m e n t l e p o i n t d e v u e m a ç o n n i q u e

e t n o n p a s u n d é v e l o p p e m e n t n o r m a l d e s p o s s i b i l i t é s d e

c e lu i - c i . A par t c e l a , un e au t r e d i f f i cu l t é r é s id e dans l e f a i t

qu e d epu i s sa mo de r n i sa t io n q u i co ï nc id e av e c sa « so r t i e »

sur le p lan vis ible de

 l'histoire,c'est-à-dire

 d e p u i s l e x v m

e

  s iè

c l e ,

  l a M aço nne r i e a p e r du so n ca r ac tè r e « o pér a t i f  »  a t t a c h é

à l ' e x e r c ic e e f f e c t i f du mét i e r , po u r n ' avo i r qu ' un po in t d e

v u e

  «

 spécu la t i f » : au s s i t o u t c e . qu i co nce r n e l a do c t r in e e t

l e s mo ye ns d e r éa l i s a t io n in i t i a t iqu e e s t à r e t r o uve r o u à

r e co ns t i tu e r , e t c ' e s t l à un e d i f f i cu l t é d e p r emi e r o r d r e ; ma i s

du mo ins l a p r éo ccupa t io n d e c e t t e r e co ns t i tu t io n e s t so u s -

e n t e n d u e d a n s l ' i d é e d ' u n   réveil  i n t e l l e c t u e l , d e s o r t e q u e l e

po in t d ' appu i maço nn iqu e av ec l e s r e s t r i c t io ns s igna lé e s e t

s ans su f f i r e po u r l e t o u t , po u r r a i t ê t r e un d e s f ac t eu r s du

r ed r e s s emen t t r ad i t io nne l . En f a i t , c e s d e r n iè r e s année s , i l y

a e u d e c e c ô t é u n c o m m e n c e m e n t d a n s c e s e n s , p a r l a c o n s

t i t u t i o n  d'un  mi l i eu r e s t r e in t basé su r l ' e n s e ign emen t d e

R e n é  G u e n o n .  O n po u r r a i t e nv i sage r do nc là un c e r t a in

déve lo ppe me n t , s i l 'o n a r r iva i t au s s i à iso l e r l e t r ava i l co m

mencé d e to u t e immix t io n e t in f lu ence du mi l i eu génér a l ,

ca r dans l ' e n s e mb l e l a s i tua t io n d e l a M aço nne r i e e s t p i r e

qu e j am ai s , l e manq ue d e co nsc i ence t r ad i t io nne l l e e t i n i

t i a t iqu e , o u p lu t ô t l ' e sp r i t p r o fan e , dépassan t d e lo in c e qu e

l ' o n vo i t du cô té d e l ' Eg l i s e ca tho l iqu e e l l e -même   (i) .

M ais en f in , po u r un e é l i t e au p le in s en s d e c e t t e no t io n ,

R e n é  Guenon  ava i t e nv i sagé co mme po ss ib l e , à dé fau t d e l a

bas e ca tho l iqu e l a

  constitution

 e n

 dehors de

 to ut mil ieu déf ini ,

ca r i l d i sa i t qu e l e po in t d ' appu i , dans un e o r gan i sa t io n ex i s

t an t e , n ' é t a i t pas d ' un e néce s s i t é abso lu e . M a i s  fdans  c e cas ,

I U n e di f fi c u lt é d ' u n o r d r e p a r t i c u l i e r s u b s i s t e d a n s u n e c e r t a i n e m e s u r e

d a n s l e f a it q u e l e s M a to n s , p o u r a v o i r u n e c o n d i t i o n   intégralement  t r a d i

t i o n n e l l e , d e v r a i e n t p a r t i c i p e r à u n o r d r e e x o t é r i q u e q u i p o u r

  l'Occident,

s e r a i t n o r m a l e m e n t c e l u i d u  Catholicisme  or s i du cô té  maçonnique  la

q u e s t i o n d e l ' a p p a r t e n a n c e e t d e l a p r a t i q u e r e l i g i e u s e p o u r r a i t ê t r e u n e

affaire   individi  e l l e i l n ' en es t pas d e même quan t à l e u r admiss ion aux

s a c r e m e n t s c a th o l i q u e s , de s o r t e q u e , t a n t q u e l e s r a p p o r t s e n t r e ( t o m e e t la

Maçonnerie  s e r o n t c e q u ' i ls s o n t l e s M a ç o n s d 'O c c id e n t n a u r a i e n t d ' a u t r e

r e s s o u r c e q u e c e l l e d ' un r a t t a c h e m e n t   à l'O rthodoxie ou à l' Islam . mais du

m o in s ,

  il n 'y  a  pas là une d if f icu l té insu rm ont ab le .

l ' él i t e ayan t à co mpt e r s eu l e me n t « su r l 'e f fo rt d e c eu x qu i

s e r a i e n t qua li f i és pa r l eu r capac i t é in t e l l e c tu e l l e , e t au s s i b i en

en t e ndu , su r l ' appu i d e

  l'Orient,

  so n t r ava i l e n s e r a i t r end u

p lu s d i f f i c i l e e t so n ac t io n n e po u r r a i t s ' e x e r c e r qu ' à p lu s

lo ngue échéance pu i squ ' e l l e a u r a i t à c r é e r e l l e -mêm e to u s l e s

i n s t r u m e n t s . . .

 »

  (La Crise du

  Monde

  moderne,

 p p. 130-131). Sur

l a f aço n do n t po uva i t s e f a i r e un e t e l l e co ns t i tu t io n , Guenon

n ' a j a m a i s d o n n é b e a u c o u p de p r é c is i o n s . P o u r c o m p r e n d r e

so n

  attitude

  e t s a métho de dans c e t o r d r e d e cho s e s , i l f au t

rappeler ce  qu'il d i sa i t dé j à da ns

  Orient et Occident,

  do nc avan t

même qu ' i l n ' a i t e nv i sagé d ' un e f aço n spéc ia l e l a po ss ib i l i t é

c a t h o l i q u e : « Si  t r o p d e p o i n t s r e s t e n t  imprécis,c'est  qu ' i l n e

no us e s t pas po ss ib l e d e f a i r e au t r e me n t , e t qu e l e s c i r co ns -

t a n c e s s e u l e s p e r m e t t r o n t p a r l a s u i t e d e l e s é lu c i d e r p e u à p e u .

D a n s t o u t c e qu i n 'e s t p a s p u r e m e n t e t s t r i c t e m e n t d o c t r i

n a l , l e s c o n t i n g e n c e s i n t e r v i e n n e n t  forcément,et  c ' e s t d ' e l l e s

q u e p e u v e n t ê t r e t i r é s l e s m o y e n s s e c o n d a i r e s d e t o u t e

r éa l i sa tio n qu i suppo s e un e adap ta t io n p r éa la b l e . . . S i no us

avo ns dans d e s qu e s t io ns co mm e c e l l e - l à , l e so uc i d e n ' en

d i r e t r o p , n i t r o p p eu , c ' e s t qu e , d ' un e pa r t , no us t eno ns à

no us f a i r e co mpr end r e au s s i c l a i r emen t qu e po ss ib l e , e t qu e

c e p e n d a n t , d a u t r e p a r t , n o u s d e v o n s t o u j o u r s r é se r v e r d e s

po ss ib i l i t é s , ac tu e l l emen t impr évue s , qu e l e s c i r co ns tance s

p e u v e n t f a i r e a p p a r a î t r e u l t é r i e u r e m e n t . . . »  (op. cit.,  p.

  181).

En  fait,depuis  qu e l e p r inc ipa l d e l ' œ uv r e do c t r ina l d e

  G u e

no n e s t pa r u , p lu s i eu r s o r i e n ta t io ns s e so n t p r éc i sé e s suc

c e s s iv emen t , ma i s au s s i pa r a l l è l emen t , pa r mi c eux qu i o n t

c o m p r i s s o n e n s e i g n e m e n t e t o n t c h e r c h é à l e m e t t r e e n a p

p l i ca t io n .

C e s d i v e r s e s o r i e n t a t i o n s o n t é t é e n c o u r a g é e s e t a i d é e s

pa r  Guenon  dans l a mesu r e o ù l e s in té r e s sés s e so n t ad r e s sés

à

  lu i , e t , en

  même

  t em ps , il e n p r e na i t o ccas io n po u r do nne r

u n e n s e i g n e m e n t s p é c i a l e m e n t i n i t i a t i q u e , b i e n q u e d ' o r d r e

génér a l enco r e ,  dans  un e impo r tan t e s é r i e d ' a r t i c l e s au

Voile  d Jsis  d e v e n u p l u s t a r d  Etudes Traditionnelles.  Il faut

so u l ign e r c e t au t r e cô t é d e so n en s e ign emen t , ca r lu i au s s i

•3

  0

É T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

LE S OR T DE L OC C ID ENT

249

Page 32: Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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sort du cadre des études simpleme nt théoriques , e t e ntre

précisément dans un domaine te chnique : nous dirons même ,

que s'il y a, maintenant  un l ivre qui est absolument unique

e t i r remplaçabl e dans son œ uvr e , e t  dans  le domaine initia

tique en général, c'est celui intitulé  Aperçus sur l'Initiation

qui est justement la synthèse de la première sér ie de ces

ar t icles de caractère technique ; la de uxième sér ie fera l 'ob

je t d 'un volume posthum e. Nous ferons remarquer aussi

qu 'un te l t ravail n 'a d 'équivalent dans aucun autre écr i t

t radit ionnel , e t ceci dans quelque t radit ion que ce soi t .

Sans pouvoir entrer dans des détai ls , nous dirons que

parmi ces orientations.l'une  s 'a t tachait à l ' espoir d 'une revi-

vification de   Fésotérisme catholique , une autre à la reconst i

tut ion maçonnique dont nous avons parlé . D 'autres élé

ments ont pr is le par t i de chercher une ini t iat ion or ientale ,

ce qui aboutissai t à la const i tution de «prolongeme nts de s

él ites or ientales

  »

 en Occident, non pas à la formation d'une

él i te occidentale proprement di te .

M ais la notion de const i tution d 'une él ite occidentale en

dehors de tout point d'appui, et de tout milieu défini impli

que la possibilité qu'une élite se constitue avec de s éléme nts

n 'ayant aucun rat tachement à quelque organisat ion que ce

soit. Sous ce rapport, il apparaît que la. question de la cons

t i tut ion d 'une él i te occidentale est restée sans réponse

  j u s

qu'ici. M ais, on peut  se demander , que peut signifier exacte

ment une te l le const i tut ion ? Cet te quest ion se pose même

sous la forme d'une certaine difficulté : étant donné, d'une

part, que, selon les précisions de   G u e n o n , p ar  « co nst i tut ion

de l 'élite

  »

  il faut comprendre, non pas une simple formation

doctrinale,

 mais

  une réalisation effective dans l 'ordre de la

connaissance ini t iat ique e t métaphysique , e t é tant entendu,

d 'autre par t , que toute réal isat ion de ce genre implique une

initiation et la pratique de certains moyens qui doivent avoir

une or igine t radit ionnel le , comment peut-on concevoir

qu 'une él i te se const i tue effect ivement , sous tous les rap

ports , sans qu 'e l le prenne son point d 'appui dans nne or-

ganisat ion existante ? Pour répondre à cet te quest ion nous

dirons, tout d 'abord, que pour nous, indubitablement , tout

le travail effectif devait commencer par une initiation et

par des moyens appropriés. M ais y  a-t-il  vraiment quelque

.mitre

  possibi l i té ini t iat ique en dehors des deux précédem

ment  mentionnées ? Nous répondrons: oui.Il  reste encore la

possibi l i té qu 'une ini t iat ion proprement occidentale , mais

n'existant  plus en Occident , se réactual ise dans un mil ieu

intel lectuel propice , avec des moyens appropriés. Quel le

serai t cet te ini t iat ion, e t où se t rouverai t-e l le ? Ce ne pour

rait être que l 'ancienne initiation régulière et effective de

l 'Occident t radit ionnel re t i rée depuis longtemps, là où se

ret i re to ute ini t iat ion qui n 'a plus la possibil i té de se mainte

nir

  dans son

  milieu

  normal , lorsque les condit ions cycliques

lui sont défavorables. Ajoutons encore , pour mieux rendre

compte de l 'é tat spécial de l 'Occident , qu 'une te l le re t rai te ,

quand el le concerne la forme ini t iat ique fondamentale d 'une

tradition, coïncide avec la retraite  du c en t r e sp i r itu e l d e c e t t e

t radit ion, e t se fai t vers le point d 'or igine de tout centre

d'une  tradit ion part icul ière , c ' est-à-dire , vers le centre

spir i tuel suprême, où el le reste alors à l 'é tat latent e t d 'où

el le peut se remanifester quelquefois quand les condit ions

cycliques le lui permettent . Ces remanifestat ions sont faci

l i tées , dans une cer taine mesure , par la présence , dans le

mil ieu tradit ionnel abandonné d 'organisat ions ini t iat iques

«l'importance  secondaire qui ont sur tout le rô le de maintenir

une continuité de la t ransmission ini t iat ique , e t r e l ier , de

loin, l eurs membre s, sans même qu ' i ls en aie nt conscience , à

l ' influence du centre retiré. C'est pour cela, d'ailleurs, que

la première méthode à envisager pour la const i tut ion de

l'élite occidentale, était celle qui prenait un point d'appui

dans une organisat ion e xistante . M ais quand, pour diverses

raisons, une réactualisation n'est plus possible dans le cadre

des organisat ions existantes , a lors que des condit ions essen

tielles se trouvent remplies dans un milieu non défini, une

remanifestat ion peut se produire , à l 'égard de ce dernier

.j&StJ

ÉTUDES TRADITIONNELLES

LE S ORT D E L OCCIDENT

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ou de certaines individuali tés

  «

  qualifiées », et alors l ' initia

t ion nécessaire et les moyens correspondants peuvent réap

paraître. Toutefois , dans ce cas , l ' initiation e t les moyens du

travail de réalisation présenteraient des modalités relative

ment nouvelles, liées plus spécialement aux qualifications

du milieu de réactualisation ; c ' es t d 'ai l leurs , à travers ces

qualifications , et à leur mesure , que seraient élaborés les

instruments de travail qui apparaîtraient ainsi successive

ment , comme une sorte de création due à l 'él i te el le-même,

selon les opportunités du développement effectif de celle-ci.

Cette possibilité, si difficilement réalisable, nous semble

devoir être incluse dans ce que   Guenon  avait en vue par

l ' idée d'une consti tution de l 'él i te occidentale en dehors du

point d 'appui dans une organisation exis tante et de tout

milieu défini. Nous avons d'ailleurs certaines raisons de

pens er que   Guenon  savait par lui-même quelque chose sui

des possibil i tés de ce genre , car , à ses débuts , certaines ten

tatives se sont  produites.à  partir d ' interventions de l 'ancien

-centre re t iré de la tradit ion occidentale. Pour auta nt que les

événements

  que nous avons en vue ici ont touché

  Guenon

lui-même, nous ajouterons que cela ne contredit nullement

la.  «  génération orientale » personnelle de Guenon, car une

coordination d'influences est possible avec l'action de centres

tradit ionnels non-chrétiens , dans des buts d 'un ordre plus

général . A ce propos nous rappellerons que, «  après la des

truction de

  l'Ordre

  du Temple, les initiés à l 'ésotérisme

chrétien se réorganisèrent, d'accord avec les initiés à l 'éso

térisme is lamique, pour maintenir , dans la mesure du pos

sible,

  le l ien qui avait été apparemment rompu par cette des

traction» e t que cette collaboration entre des init iés aux de ux

ésotérismes me ntionnés «  dut aussi se continuer par la suite,

puisqu' il s 'agissait précisément de mainte nir le l ien entre le s

initiations  d'Orient  e t  d'Occident  » (Aperçus sur

  l Initiation,

pp .  249-252) . Le réveil de l ' init iation occidentale pouvait

donc en principe être tenté par une tel le conjonction d' in

fluences et interventions , les difficultés ultérieures seules

ayant pu déterminer dans un sens plus « oriental  » l'appui

qui pouvait encore être offert à l 'Occident. Nous ne voulons

pas insister ici davantage sur ce point, mais nous dirons que

cela doit être mis en relation avec les orientations spirituelles

plus adéquates aux perspectives de la

  «

 seconde hypothèse »

quant au sort de l 'Occident.

Il nous faut dire maintenant qu'il y a eu aussi quelquefois

des solutions d'un caractère moins régulier, ce qui   s'ex

plique par le fait qu'el les ne procédaient pas  des indications

doctrinales et autre s , données par l 'ense igneme nt de G ué-

non. Tel es t le cas de ceux qui , parfois en dehors même de

1  oute connaissance de cet enseignement , se sont rattachés à

des organisations ayant leur point de départ dans  l'Orient

niais que René

  Guenon

  déclarait dépourvue s de s conditions

de  régularité tradit ionnelle , et qui se montraient , du res te ,

entachées de modernisme. Nous n'entrerons pas dans le

procès de ces organisations, mais nous ferons seulement

quelques remarques d'ensemble qui dépassent d 'ail leurs ce

cas spécial , puisqu'el les correspondent à des constatations

que l'on a pu faire même dans certains cas où il n'y avait

aucune difficulté sous le rapport de la régularité essentielle

du rattachement. Deux sortes de déviations de perspective

tradit ionnelle s 'accusent généralement chez ceux qui n 'ont

pas connu ou ne se sont pas assimilé suffisamment l'ensei

gnement  de Re né G uenon, et n 'ont pas compris par consé

quent dans quelles conditions une réalisation véritable pou

vait être entreprise par des Occidentaux, qu'il s 'agisse d'ail

leurs  de ce ux qui se sont ratta ché s, d'une façon illusoire ou

régulière,

  à des organisations orientales , ou encore de ceux

qui sont res tés sans aucun rattache me nt : nous les appel

lerons la déviation  «  absolutiste  »  et la déviation  « universa-

liste

 ».

La première se définit par la volonté d'atteindre à une réa

lisation, et même à la Connaissance Suprême, en dehors des

conditions normales d 'une méthode et de tel le forme tradi-

l tonnelle , par une s imple participation à la technique s tr ie-

252

ÈT0BES

  TR ADITIONNELLES

LE SOR T DE L 'OC C IDENT

253

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t ement intel lectuel le de la voie respect ive. La deuxième se

définit  par la négligence de la règle d'homogénéité spiri

tuel le entre la modali té ini t iat ique d ' ensemble à laquel le on

ve ut par t iciper , e t la forme tradit ionne l le prat iquée , ou

encore par l ' illusion d'une méthode •unique applicable  indif

féremment à des formes tradit ionnel les diverses , e t même

en dehor s d e l ' ex i s t ence d 'un ra t t achemen t in i t i a t ique .

 Les

diverses formes de ces déviat ions, qui quelquefois se com

binent entre e l les d 'étrange façon, procèdent toutes d 'une

ignorance de la re lat ion qui doit exister entre la nature des

influence s spirituelles agissant dans l ' initiation, les moye ns

de réal isat ion correspondants, e t l es qualif icat ions des êtres

humains. Ce t te ignorance e st presque toujours al l iée ave c

l'orgueil et la suffisance caractéristiques de l ' individualisme

moderne , e t auss i avec l a p ré t en t ion d ' adap t e r l 'ense igne

ment e t la technique t radit ionnel le aux exigences des nou

ve aux te mps Pour les intel le ctuels affligés de ces défauts

spir i tuels , l ' enseignement e t la discipl ine ini t iat iques d 'une

forme tradit ionne l le sont de s choses inactuel les , soi t parce

qu ' i ls les t rouve nt gênante s pour la vie ordinaire , soi t parce

que , tout simplement , i ls les ignorent . Ceux-ci t rai teront

donc volontiers de « r itual isme » la prat ique de s moyens

sacrés d ' ense mble , soi t en

  considérant

  qu 'e l le n ' est pas néces

saire dans leur cas personnel (e t a lors on est étonné de

voir combien se croient dans le même cas) soi t en pré

férant en cet ordre des combinaisons artificielles de leur

propre cru , qui re lèvent du   « syncrét isme » ou du  « mélange

des formes tradit ionnel les ». En reprenant dans un sens plus

général cer tains jugem ents de G uenon, nous dirons donc

que ces choses, qu 'on constate de   différents  côtés, sont plus

graves quand el les se produisent dans des organisat ions

initiatiques régulières que lorsqu'elles spnt le fait de gens

qui , en somme, n 'agissent que pour leur propre compte e t

n 'ont r ien d 'authentique à t ransmettre . Enfin un trai t ca

ractéristique et significatif de ces écoles est leur hostilité,

soit déclarée soit dissimulée, à la fonction et à l 'enseignement

île  G uenon. I l est à craindre mainte nant qu 'ave c sa dispari-

l ion, ces diverse s i r régular i tés ne s 'accentue nt encore , car sa

présence exe rçai t un cer tain effet de censure même chez ceux

<[ui  n 'étaient pas en accord avec l ' ensemble de son ense i

gnemen t .

Cela nous amène à dire un mot sur la signification générale

que pe ut avoir la cessat ion de sa fonction personnel le . On se

rappel lera ici que , en parlant de l ' espoir d'une  e n t e n t e e n t r e

<

 )r ient e t Occident , e t du rô le de s

 «

  intermédiaires », il disait

au su je t de ces derniers que

  «

  leur présence prouve que tout

espoir  d ' en t en t e n ' e s t pas  irrémédiablement  pe rdu  »

  (La

Crise du Monde moderne,

  p .

  181).

  Sa brusque dispari t ion

serai t-e l le à interpréter comme la per te ou la diminution de

cet  espoir d ' entente ? I l n ' est pas douteux que sous ce rap

port , i l y a dans cet événement inat tendu   un  cer tain sens

négatif,

  et les différentes difficultés ou limitations de possi

bi l i tés qu 'avait rencontrées sa fonction, e t dont nous avons

fait me ntion, ne feraient d 'ail leurs qu 'app uye r ce t te signi

f icat ion. M ais nous devons déte rminer les l imites e ntre les

quel les une te l le interprétat ion est possible . Tout d 'abord,

sa fonction devait avoir à quelque moment , avec l 'âge , une

l imite naturel le . D 'autre par t , même si rien ne prévenait

d 'une f in pour le moment , son act ivi té

 s'est

  de toute façon

étendue , sur une durée appréciable : une t re ntaine d 'années

sépare sa mort de la publicat ion de son prem ier l ivre ; sa

production intel lectuel le fut exceptionnel le me nt r iche :

17 l ivres , plus la m atière des ar t icles à republier en volume s

total isant au moins 8 ouvrages ; l 'influence de cet te oe uvre

devra se développer encore plus à l 'avenir . Etant donné

l ' importance que nous avons nous-même at tr ibuée à lafonc-

I

 ion de

 Guénon.son œuvre

  ne pourrai t pas rester sans quel

que conséquence posi t ive en ce qui concerne les rapports

avec

 l'Orient.

  D 'autre par t , la fin de son act ivi té n ' est pas

une raison suffisante pour conclure à la cessation même de

l'appui de

  l'Orient,

  ca r  Guenon  même n 'a jamais l ié cet

appui à sa seule présence , e t t extuel lement , i l a par lé tou-

254

E T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

LE SOR T DE L 'OC C IDENT

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jours au plur ie l d '  «  intermédiaires », ce qui pe ut bien ne

pas être une simple formule de style impersonnel ,  d'autant

plus qu ' i l ne pou vait pré juger de ce qui se passerai t après

  lui .

Ce qui est ce r tain , c ' est que la ressource intel lectuel le que

l'Orient  a utilisée par lui a cessé, car elle était liée à des

  qua

l i tés personnel les providentie l leme nt disposées. Ce qui e st

cer tain aussi c 'est que , la par t ie doctr inale générale de son

message apparaissant comme largement réal isée pour rendre

possible le révei l intel lectuel voulu en Occident , ce n ' est pas

dans  le même ordre que l 'on po urrai t envisage r comme pro

bable une continuation de l 'appui que

  l'Orient

  offrait. C'est

plutô t quant à des formes doctr inales plus circonstanciées

et aux applicat ions contingentes de toutes sor tes , que le

besoin d 'une continuation de ce t appui se fai t sen t ir . Cela

pe ut être lié d'ailleurs d'une façon spéciale à de nouve lles

nécessi tés cycliques de l 'or ientat ion traditionnel le e t , sous ce

rapport , on pourrai t pe nser précisément à un développeme nt

plus particulier en relation avec les circonstances et les moda

lités propres à la

  «

  seconde hypothèse », ce qui d 'ai lleurs

nous semble exiger tant un cô té doctr inal qu 'un cô té

d 'or ientat ion prat ique , plus déterminés dans leur forme. On

reprochera à nos réflexions un caractère t rop hypothétique

et abstrai t , e t nous le reconnaîtrons volontiers , mais i l ne

nous est  pais  possible d 'évi ter cela , d 'autant plus que nous

ne cherchons ici qu'à circonscrire d'une façon très générale

la signification que pe ut avoir la cessation, à. ce mom ent de

la fonction pe rsonnel le de G uenon.

M ais l 'œuvre intel lectuel le laissée par Guenon  maintiendra

sa présence , de même que to ut ce qui a été conçu sous son

inspiration po ursuivra l 'orie ntation initiale don née par lui.

Son œ uvre commence même à être connue et

  comprise

  dans

cer tains mil ieux

 d'Orient,

  là où les  intellectuels  qui ont fait

l 'expérience de l 'actuel le civil isat ion occidentale e t des doc

tr ines profanes, e t e n ont éprouvé  toutes les conséquences,

e n  eux-mêmes  et autour  d'eux,n'ont  pas d 'autre moyen de

reprendre contact avec l ' espr i t t radit ionnel qu 'à t ravers u n

enseignement qui constitue à la fois une critique

 efficace

  de

l'esprit moderne et une formulation intelligible des vérités

immuables de la t radit ion. D 'autre par t , ceux qui , en Occi

dent , const i tuent , par leur rat tachement or iental , ce que

Guenon  appelai t «un prolongement des él i tes or ientales qui

pourrai t deve nir un trai t d 'union en tre cel les-ci e t l 'él i te

occidentale le jour où cet te dernière serai t arr ivée à se cons

t i tuer », sont d 'une façon naturel le une raison de ne pas

abandonner l ' espoir d 'une entente de l 'Occident avec les

forces salutaires de  l'Orient  tradit ionnel . M ais dans les con

ditions d 'existence d 'une épo que ple ine de toute s sor tes

d'illusions et de dange rs, cet e spoir re ste fondé sur la fidé

lité parfaite de tous les côtés à l 'enseignement de celui qui fut

et sera la « B oussole infaillible  » et la « Cuirasse impén étrable ».

Tous ceux qui par t icipent de la sagesse t radit ionnel le e t de

l ' espr i t de vér i table réconcil iation divine du monde , ren

contreront cer tainement la même incompréhension que leur

grand prédécesseur , e t seront aussi l 'obje t de la même

host il i té , ou d 'une plus grande e ncore , que cel le qu 'a éprou

vée le Témoin de la V éri té Unique e t Universel le , mais

c ' est à eux que , dans l 'ordre des implications humaines, on

recourra finalement pour trouver une intercession qui, par

delà les erreurs e t l es iniquités d 'un monde qui s ' engouffre

dans son propre chaos, doit ouvrir les portes de la Lumière

et de la Paix.

M . V A L S A N .

L ' œ U V R E 2 5 7

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L'CEUVRI

L

A  déf ini t ion de l 'œuvre de René  Guenon  t i en t en qua t re

mots : inte l l ec tual i té , universa l i té , t radi t ion, théorie .

L'œ uvre est « inte l lec tue l l e », car e l le concerne la connais

sance , — au sens profond e t intégral de ce t e rme , — et e l l e

l 'envisage en conformité de sa nature, c 'est-à-dire à la lu

mière de l ' inte l l ec t qui est essent i e l l ement supra-ra t ionnel ;

elle est « universe lle », car elle considère tou te s les formes

tradi tionnel l es e n fonction de la V éri té une , tout en adop

tant , suivant l 'opportuni té , l e langage de t e l l e forme.

D 'autre part , l 'œ uvre guénonienne est « t radi tionnel l e », en

ce sens que l es données fondamenta les qu' e l l e t ransmet sont

st ric tement conformes à l ' ense ignement des grandes t radi

t ions , ou de l 'une d' e l l es quand i l

 s'agit

  d'une forme part i

cul ière ; enf in, ce t t e œuvre est

  «

  théorique », car elle n'a pas

direc tement en vue la réa l isa t ion spiri tue l l e ; e l l e se défend

même d'assumer ce rôle d 'un ense ignement pra t ique , de se

placer , par exemple , sur l e t e rra in des ense ignements d'un

Râmakri shna  (i).

Et ceci nous amène à la question du contenu : celui-ci

converge essent i e l l ement sur la doctrine métaphysique ,

1 . Ma ie   elle  c o n t i e n t p a r l a f o r ce d e s c h o s e s d e s  éléments  de   ce  g e n r e ,pour  l a s im p l e r a i s o n q u e l a d i s t i n c t i o n e n t r e l a d o c t r i n e e t l a m é th o d e , o u

p l u s g é n é r a l e m e n t e n t r e

  la

  t h é o r i e e t l a

  r é a l i s a t i o n ,

  n e s a u r a i t ê t r e a b s o

lu e ; a i n s i .

  L'homme et son devenir selon le Vêdânta

  d o n n e , c o m m e e n p a s

s a n t , c e s i n d i c a t i o n » f o n d a m e n ta l e s : " P a r c e m o t d ' "  incantation  . . . .  il  faut

entendre  e s s e n t i e l l e m e n t u n e a s p i r a t io n d e l ' ê t r e v e r s  l'Universel,  a y a n t

p o u r b u t d ' o b t e n i r u n e i l l u m in a t i o n i n t é r i e u r e , q u e l s q u e s o i e n t   d'aillerari»

l e s m o y e n s e x t é r i e u r e . . . q u i p e u v e n t  être.employés accessoirement  c o m m e

s u p p o r t d e l ' a c t e   Intérieur,  e t d o n t l ' e f fe t e s t d e d é t e r m in e r d e s v ib r a t i o n »

r y t h m i q u e s q u i o n t u n e r é p e r c u s s i o n à t r a v e r s  la  s é r i e i n d é f in i e d e s é t a t s

de l ' ê t re „ (Note 4 , p . 2U5) .. . E t l ' on  trouve  en ef f e t dans le  Vida  b e a u c o u p

d ' e x e m p l e s d e p e r s o n n e s q u i o n t  négligé  d ' a c c o m p l i r d e t e l s r i t e s . . . o u  qui

on t  é t é e m p ê c h é e s d e l e f a i r e , e t q u i c e p e n d a n t , à c a u s e d e l e u r a t t e n t i o n

p e r p é t u e l l e m e n t c o n c e n t r é e e t f i x é e s u r l e S u p r ê m e   Brahma  ( c e q u i c o n s

t i t u e l a s e u l e p r é p a r a t i o n r é e l l e m e n t i n d i s p e n s a b l e ) , o n t a c q u i s la v r a i e

Connaissance qui  L e c o n c e r n e . . . „  (p. 230).

— non sur ce qu'on peut appeler la  « vie sp irituelle », — et

se subdivise en quatre grands suje ts : doctrine métaphy

sique , principes t radi t ionnels , symbolisme , cri t ique du

monde mode rne .

4t

Parlons d'abord de la doctrine métaphysique . Ic i , l e

mérite  de   Guenon  est , non seulement de l ' avoir exposée ,

mais

  surtout d' en avoir expl iqué la vra ie nature , en la dis

t i nguant ne t t ement de s  «  phi losophies » au sens courant de

ce mot ; ce sens n'est sans doute pas exclusif, mais i l marque

en tout cas une forte prédominance de la ra t iocinat ion sur

l'intuition'  inte l l ec tue l le , au point de réduire ce l le -c i à une

sorte d'  «  accident »  plus ou moins inconscient. C'est là qu'est

l e grand méri t e de la thèse guénonienne : d 'avoir rappelé

ce que la pensée m oderne , à l ' instar de la pensée  « classique »,

a oublié ou voulu oublier, à savoir la distinction essentielle

entre l ' intui t ion inte l l ec tue l l e e t l 'opéra t ion menta le ou, en

d'autres t e rmes , entre l ' inte l l ec t , qui est universe l , e t la

ra ison, qui est individuel l e e t même spécif iqueme nt humaine .

Et ce la coupe court à toutes l es spécula t ions dépourvues de

caractère t ranscendant ; en effe t , pour a t t e indre la véri té , i l

faut réveiller en soi — si c 'est possible — la faculté intellec-

t ive ,

  et non s'efforcer à « e xpl ique r »  par la raison des réalités

qu'on ne  « voit  »  pas ; or, la. plup art de s philosophies par te nt

d'une sorte de céci té axionia t ique , d 'où l eurs hypothèses ,

l eurs ca lculs , l eurs conclusions , toutes choses inconnues en

métaphysique  pure, la dialectique de celle-ci étant fondée

sur l ' analogie e t l e symbolisme.

• La doctrine métaphysique n' est autre , au fond, que la

science de la Réalité et de l ' i l lusion, et elle se présente, à

part i r de l ' é ta t t e rrest re , — donc avec son extension cosmo

logique , — comme la sc ience des de grés existent i e ls ou prin-

c ipie ls , suivant l es cas : e l l e dist ingue d'une part entre l e

.Principe  e t la M anifesta t ion — ou «  D i e u »  et le «  M onde » —

2

5

8

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

L ŒUVRE

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e t d ' a u t r e p a r t , d a n s l e P r i n c i p e m ê m e , e n t r e l ' E t r e e t l e

N o n - E t r e , o u e n d ' a u t r e s t e r m e s , e n t r e l e D i e u p e r s o n n e l

e t l a D i v i n i t é i m p e r s o n n e l l e ; d a n s l a m a n i f e s t a t i o n , l a

m é t a p h y s i q u e — d e v e n u e a l o r s c o s m o l o g i e — d i s t i n g u e r a

en t r e l ' i n fo r me l e t l e f o r me l , c e d e r n i e r s e d iv i san t à so n

to u r en d eux é ta t s , sub t i l o u  animique  l ' un e t g r o s s i e r o u

c o r p o r e l

  l'antre.

L e s e c o n d g r a n d s u j e t t r a i t é p a r  Guenon  e s t l a t r ad i t io n ,

o u p lu s p r éc i sémen t l ' e n s emb l e d e s p r inc ip e s qu i l a co ns t i

tu e n t , qu e l l e qu ' en so i t l a fo r me ; o n p eu t d i r e qu e l a t r ad i

t i o n e s t c e q u i r a t t a c h e t o u t e c h o s e h u m a i n e à l a V é r i t é

D i v i n e .  Guenon  s o u l i g n e , n o n s e u l e m e n t l a d i s t i n c t i o n e n t r e

c e qu i e s t t r ad i t io nne l e t c e qu i n e l ' e s t pas , ma i s au s s i , su r

l e p lan même d e l a t r ad i t io n , l a d i s t inc t io n en t r e l e s d eux

a s p e c t s f o n d a m e n t a u x d e c e l l e - c i , à s a v o i r l ' e x o t é r i s m e e t

l ' é so té r i sme , e t c e d e r n i e r r e j o in t d ' un e man iè r e d i r e c t e l a

d o c t r i n e m é t a p h y s i q u e .

Q u a n t a u t r o i s i è m e g r a n d s u j e t d e l ' œ u v r e g u é n o n i e n n e ,

l e symbo l i sme , il s ' impo se pa r c e qu e l ' e xp r e s s io n na tu r e l l e

e t u n i v e r s e l l e d e l a m é t a p h y s i q u e e s t l e s ym b o l e : e x p r e s s i o n

na tu r e l l e pa r c e qu e r é s idan t dans l a na tu r e d e s cho s e s , e t

un iv e r s e l l e pa r c e qu e su scep t ib l e d ' app l i ca t io ns i l l imi té e s

dans to u s l e s o r d r e s du Rée l . Le symbo l i sme a d eux avan

tage s su r l a r a t io c ina t io n : p r e miè r e me n t , l o in d e s ' o ppo s e r

a r t i f ic i e l l em en t à c e qu ' i l e x p r ime , il e n e s t , au co n t r a i r e un

asp ec t o u un e   «  inca r na t io n » ;

 deuxièmement,

  au l ieu de ne

suggér e r qu ' un  soûl  a sp ec t d e t e l l e r éa l i t é , i l e n man i f e s t e

p lu s i eu r s à l a fo i s e t p r és en t e l e s vé r i t é s dans l eu r s d iv e r s e s

co nnex io ns métaphys iqu e s e t sp i r i tu e l l e s , o uv r an t a in s i à

la   contemplation  d e s « d i m e n s i o n s » i n c o m m e n s u r a b l e s .

E n f i n , l ' œ u v r e g u é n o n i e n n e c o m p o r t e , c o m m e q u a t r i è m e

gr and su j e t , l a c r i t iqu e du mo n de mo de r n e ; e l l e n e p e u t

pas  n e pas l a co mpo r t e r , é t an t do nné , d ' un e pa r t s a na tu r e

qu i e s t in t e l l e c tu e l l e e t t r ad i t io nne l l e , e t d ' au t r e pa r t s a

s p h è r e d ' a c t i o n q u i e s t p r é c i s é m e n t c e m o n d e d é p o u r v u

d ' in t e l l e c tuah té e t d e t r ad i t io n en t an t qu e f ac t eu r s dé t e r -

m i n a n t s . C e t t e c r i t i q u e d u m o d e r n i s m e s e p r é s e n t e s o u s

d e ux asp e c t s , l ' un génér a l e t l ' au t r e dé ta i l l é ; c ' e s t - à d i r e

q u e l ' a u t e u r c r i t i q u e , d ' u n c ô t é l e s t e n d a n c e s s p é c i f i q u e s

d e l a c iv i l i s a t io n dans l aqu e l l e no us v ivo ns , e t d ' un au t r e

cô té t e l l e s exp r e s s io ns d e c e t t e c iv i l i s a t io n , pa r ex empl e l e s

d i f f ér en t e s fo r mes du « néo - sp i r i tua l i sm e ».

* *

C o m m e t o u t e œ u v r e d ' u n e e n v e r g u r e e x c e p t i o n n e l l e ,

c e l l e d e R e n é  Guenon  p e u t d o n n e r l i e u à d e s i n t e r p r é t a t i o n s

d iv e r s e s , no n quan t à sa vé r i t é g lo ba l e , ma i s quan t à so n

c a r a c t è r e e t s a p o r t é e ; i l e s t c e p e n d a n t d e s p o i n t s s u r l e s

qu e l s to u s c eux qu i o n t su iv i c e t t e c euv r e av ec in té r ê t

do iv en t ê t r e d ' acco r d , e t c e so n t c e s po in t s qu i s eu l s dé f i

n i s s e n t , à n o t r e a v i s , l ' œ u v r e g u é n o n i e n n e .

L e r ô l e d e   Guenon  é t a i t d e p o s e r d e s p r i n c i p e s p l u t ô t q u e

d ' e n m o n t r e r l 'a p p l i c a t i o n : c ' e s t d a n s  renonciation  d e s

p r inc ip e s qu e so n gén i e in t e l l e c tu e l  (1)  s ' e x e r c e a v e c u n e

m a î t r i se i n c o n t e s t a b l e ; m a i s q u ' o n a d m e t t e s a n s r é s e r v e s

t o u s l e s e x e m p l e s e t t o u t e s l e s d é d u c t i o n s q u e l ' a u t e u r n o u s

p r o po s e au co u r s d e s e s no mbr eux éc r i t s , c e l a no us pa r a î t

ê t r e un e qu e s t io n d ' o p in io n ( 2 ) , vo i r e d e foi , d ' au tan t p lu s

qu e l a co nna i s sance d e s f a i t s dép end d e co n t ingence s qu i n e

sau r a i en t in t e r v en i r dans l a co nna i s sance p r inc ip i e l l e ( 3 ) .

1. N o u s s a v o n s f o r t b i e n q u e l e " g é n i e „ n ' e s t r i e n p a r l u i -m ê m e , m a i s

cela  n e s a u r a i t  empêcher  q u e l e s g r a n d s e s p r i t s o n ; f o r c é m e n t d u g é n ie ,

q u ' i l s l e v e u i l l e n t o u n o n .

2 .

  O n p e u t s ' é t o n n e r , a v e c

  Coomaraswamy

  de

  l'exclusivisme

p a r f o i s e x c e s

s i f d e la t e r m in o lo g i e g u é n o n i e n n e ; c e t r a i t n ' e s t s a n s d o u t e p a s s a n s a n a

l o g i e a v e c u n c e r t a i n c a r a c t è r e " m a th é m a t iq u e   „ — e t n o n  "  v isu e l „ — de  ia

p e n s é e d e G u e n o n , e n c e q u i c o n c e r n e , n o n l e c o n t e n u i n t e l l e c t u e l , m a i s l e

m o d e d ' o p é r a t i o n .

3.   S i l ' i n t e l l e c t e s t p o u r a in s i d i r e s o u v e r a in e t i n f a il l i b le s u r s o n p r o p r e

t e r r a i n , i l n e p e u t e x e r c e r

  60n

  d i s c e r n e m e n t s u r l e p l a n d e s f a i t s q u e d u n e

m a n iè r e c o n d i t i o n n e l l e ; d e p lu s , D i e u p e u t i n t e r v e n i r s u r c e p l a n a v e c d e s

v o lo n t é s p a r t i c u l i è r e s e t p a r f o i s im p r é v i s i b l e s , c e d o n t l a c o n n a i s s a n c e p r i n

c ip i e l l e n e s a u r a i t r e n d r e c o m p t e q u ' a

  posteriori.

  V o i c i u n e x e m p l e p a r m i

b e a u c o u p d ' a u t r e s : l e s A p ô t r e s d e v a i e n t , c o n f o r m é m e n t a u p r i n c ip e d u

r a y o n n e m e n t é v a n j j é l i q u e ,  * prêchera  t o u t e s l e s n a t i o n s  „  ; ma is en f a i t , i ls

ûrent * e m p ê c h é s p a r l e   Saint-Fspri t  d ' a n n o n c e r l a p a r o l e e n A s i e „ e t ,

a r r i v é s à

  M ' . SK-

  e t  voulant  s e r e n d r e e n B i t h y a ie , " l ' e s p r i t d e J é s u s ne le

2Ô0

E T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

L  ŒUVRE

2 f ) I

l 'œuvre ; cer tains ont été « conver t is » à part i r des erreurs

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Le plan des faits est à certains égards à l ' inverse de celui

des pr incipes, en ce sens qu ' i l comporte des modali tés e t

des impondérables qui se trouvent à l 'extrême opposé de la

r igueur toute « mathématique

  »

  des lois universelles ; du

moins en est-il  ainsi en apparence, car il va sans dire que les

principes universels ne se contredisent point ; même sous

le voile de l ' inépuisable diversité du possible, leur immu

tabilité est toujours discernable, pourvu que l ' intelligence

se trouve dans les conditions voulues pour pouvoir la dis

cerner.

M aintenant, si l'œu vre guénonienne a, sur le plan doctri

nal,   un caractère d'unicité, il n'est peut-être pas inutile de

spécifier que cela ne tient pas à une nature plus ou moins

« prophétique », — supposition exclue que

  Guenon

  lui-

même a déjà re je tée par avance , — mais à une conjoncture

cyclique exceptionnelle   (1)  dont l 'aspect temporel est cet te

« fin d'un monde

  »

  que nous vivons, et dont l 'aspect spatial

est — en fonction d'ailleurs du premier — le rapprochement

forcé des civilisations ; on peut donc dire que pour l 'Occi

den t ,  Guenon  est l ' interprète providentie l de cet te conjonc

t u re ,

  du moins sur le plan doctrinal. Pour les hommes du

moyen âge , une te l le œ uvre eût été sans objet , premièrement

parce que la « fin d'un monde » était e ncore tro p éloignée

et que la sagesse n'était pas encore méconnue comme elle

l ' est du fai t des tendances modernes, e t deuxièmement

parce que l ' Inde étai t prat iquement inexistante pour l 'Oc

cident (2).

Les modes de part icipat ion à l 'œuvre guénonienne sont

forcément divers : certains lecte urs s'en sont inspirés d'une

manière plus ou moins partielle ou superficielle, tandis que

d'autres se sont laissés convaincre par le fond même de

l e u r p e r m i t p a s „ : o r , a u c u n e c o n s id é r a t i o n   de  "  régularité traditionnelle »

n e s a u r a i t r e n d r e c o m p t e   a  priori  d e c e t t e d é r o g at i o n  isur le  plan de© faits

a u p r i n c ip e é v a n t ' é l i q u e .

1.  On  p o u r r a i t f a i r e r e m a r q u e r q u e t e l e s t p r é c i s é m e n t l e  caa  d e s P r o

phè tes , ma is i l y a   '.à  un e  différence

  a

  éminente  „ d e d e g r é .

2 .

  I l d e v a i t n é a n m o in s y

  avoir,

  à t o u t e é p o q u e , d e a f o n c t i o n i n t e l l e c -

nelles  a n a l o g u e s ,  mutaiiw  wwtcmdi®.

courantes de notre époque ; d 'autres encore , sans avoir eu

besoin d'une « conversion », ont trouvé chez

  Guenon

  ce

qu'ils pensaie nt eux même s, sauf pour la métaphysique

que nul ne saurait tirer de soi, et qu'ils ont reçue de  Guenon

— à part d 'autres sources possibles , mais prat iquement

trop peu explici tes — comme   Guenon  l 'a reçue de l 'Orient ,

e t comme tou t  Oriental  la reçoit d'un autre Oriental. En

tout état de cause , l e rô le de  Guenon consiste e ssent ie l leme nt

en une fonction de transmission et de commentaire et non

de réadaptat ion  (1)  : « Je n 'ai pas d 'autre méri te — nous

a-t-il  di t dans une le t t re — que d 'avoir exprimé de mon

mieux quelques idées traditionnelles ». Si cette définition

est cer tes , t rop modeste en ce qu 'e l le passe sous si lence l 'élé

ment spéculatif de l 'œuvre guénonienne, et aussi le caractère

fondamental des idées exposées, e l le en indique cependant

l ' intent ion et la nature .

Le théoricien en tant que tel s'efface, par définition, der

rière la doctrine ; rien ne serait plus injuste que de la lui

reprocher , e t d 'at tendre de lui un autre argument que la

vérité doctrinale. Il nous paraît sans objet, par conséquent,

de par ler de la personne de G uenon, e t nous nous bornerons

à relever l ' impression d'effacement et de simplicité qu'il

nous f i t lors de toutes nos rencontres. L 'homme semblai t

ignorer son génie, comme celui-ci, inversement, semblait

ignorer l 'homme.

FR ITHJOF SC HUON.

1 . C e d e r n i e r t r a i t e û t é t é c o n t r a i r e à l a r a i s o n s u f f i s a n t e d e l ' œ u v r e .

s a n s p a r l e r d e c e q u ' u n e r é a d a p t a t i o n , d o n c u n e s y n th è s e o r i g in a l e , e x ig e

u n t e r r a i n t r a d i t io n n e l d é t e r m i n é ; c e p e n d a n t , t o u t e o e u v r e de t r a n s m i s s i o n

c o m p o r t e

  évidemment

  u n a s p e c t s e c o n d a i r e d e r é a d a p t a t i o n , e t i n v e r s e

m e n t .

PERSPECTIVES  G ENER ALES

263

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P E R S P E C T IV E S   GÉNÉRALES

R

E N é G U E N O N  est mort à soixante-quatre ans, après

avoir écrit depuis l 'âge de 23 ans une   quinzaine  de

livres et plus de trois cents articles, en différentes langues.

Toute « l ' intelligence

  »

  française e t étrangère connaissait

son œuvre, dont l 'action invisible a été profonde. Notre

revue   les Etudes Traditionnelles  s'employait  à faire con

naître ses idées. De tous les coins du monde, des continents

les plus anciens et les plus nouveaux, de l 'Inde aussi bien

que de l 'Amérique , des hommes soucieux des plus hautes

questions sollicitaient de sa part un avis ou un éclaircisse

ment.

  Et cependant son nom demeure quasi inconnu de la

foule et sa notoriété, il l 'avait atteinte sans aucune interven

t ion de cet te moderne Renommée qu 'est la presse . De son

vivant deux seuls articles lui avaient été consacrés en fran

çais et ceci dans d'obscures revues.

Personne ne s 'é tonnera d 'une si banale aventure , cel le

d 'un des plus puissants espri ts de notre temps méconnu

dans le pays qui fut sien, personne sinon les naïfs qui croient

à la spontanéité des modes e t à la gratui té des réputat ions,

même quand il s'agit  de modes de l ' espr i t e t de réputat ion

intel lectuel le . A des yeux aver t is le monde qui est nô tre ne

paraît pas moins camouflé ou truqué que la Suisse de Tar-

tarin. Et s' il existe à cet égard des différences entre les

peuples, il  s'agit  seulement de degrés dans la suggestion

subie.

M aintenant qu'il n'est plus, il y a lieu de jete r sur son

œuvre un regard d ' ensemble qui permette d ' en si tuer l ' im

portance e t d ' en connaître mieux la nature . On peut dire

tout d 'abord que le point de vue central e t synthétique ,

celui qui comprend tout sans rien supprimer, qui permet

  l'é-

•conomie de

  la,

 mémoire e t de l'effort, qui aide l ' inven tion e t

la découverte, qui facilite la liaison entre les disciplines

les plus étrangères , l e point de vue des  principes  qui unissent

les idées e t l es hommes, nul plus que René   Guenon  n ' en a

fai t l e thème de ses écr i ts. A cet te idée de centre est int ime

ment l ié l ' idée de germe. Le germe est le centre eff icace par

excel lence , celui qui contient déjà dans sa mystér ieuse com

plexi té tous ses développements ul tér ieurs. L ' idée de germe

emporte

  avec elle l ' idée de liaison avec son origine, donc

•celle de tradition.

L'homme moderne doit comprendre qu ' i l incarne son

propre passé et qu ' i l ne pe ut durer e n contradict ion avec lui .

I l ne guérira qu 'en se replaçant au point de vue des pr in

cipes,  le seul qui lui permette d 'échapper aux incer t i tudes

•qui l 'oppresse nt e t aux catastrophe s qui le m enace nt .

La   connaissance  tradit ionnel le des pr incipes est  un bien

•commun  de l 'humanité , dépôt bien antér ieur à l 'histoire ,

puisqu ' i l est contemporain de

  l'homme

  lui-même. Il

  s'est

•ensuite épanoui dans les formes les

  plus

  hau t e s e t l e s  plus,

parfaites de la. période historiqu e . On compre nd po urquoi

René  Guenon  s'est  trouvé obligatoirement orienté vers la,

pensée asiat ique. Même si , en part ie , e l le semble  s'être  occi

dental isée , ce fut beaucoup plus pour nous répondre e t se

défendre , que pour nous imiter . D ans cet te « or ientat ion »

de la pensée de Re né G uenon, i l n 'y a là aucune querel le de

« points cardinau x ». La vérité ne comm ence p as d'être ,

  ati

moment où el le passe sous te l ou te l méridien. M ais de même

que pour éclairer un fait historique, on recueille le témoi

gnage de ceux qui l 'ont vu ou qui t ransmettent le réci t de

ceux qui l 'ont vu, on doit s' initier à la connaissance auprès

de ceux qui l 'ont conservée comme le plus précieux des

héritages.

Cette connaissance des principes l 'Occident l 'a possédée

jadis .  Elle s'appelait la métaphysique d'un mot qui signifie

«  au delà de la physique » c'est-à-dire  « au delà de la nature ».

Cet te connaissance est en effet l e domaine du surnaturel ;

264

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

PER SPEC TIV ES G ÉNÉR ALES

265

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on ne peut l 'a t te indre que par l ' intui t ion immédiate de

l ' inte l lect t ranscendant , qui n ' est pas une faculté indivi

duel le , mais universel le , comme l 'obje t même qu 'e l le pré

tend saisir .

L ' idée de t radit ion, nous dira-t-on, est une viei l le lune.

Sans doute e t l e souci de nouveauté est le dernier qui aurai t

pu effleurer l ' e spr i t de Re né G uenon. I l ne se souciait que

de véri té .  Il'ne  faudrait d'ailleurs pas confondre  la tradition

vraie avec ses car icatures humaines, qui servent te l lement

bien à camoufler les ignorances et les convoitises. Il   s'agit

exclusivement ici de la t radit ion intégrale e t pr imordiale

qu e

  tons

  les hommes à leur appari t ion

  sur]

 la terre ont reçue

en dépôt avec la vie même, puisque] la vie est l 'une des mani

festat ions de cet te vér i té .

Le caractère capital qui dist ingue René  Guenon  de tous

le s « prophète s du passé » , en dehors de l ' impeccabil i té de sa

doctr ine , c ' est sa méthode. Un des écr ivains qui ont le plus

fai t pour répandre sa pensée , Léopold Ziegler , l 'a   exprimé

avec beaucoup de force : «  Chez Re né Gue non, c ' est une con

viction  inébranlable que la  tradition  intégrale ne se ra jamais

saisie par les instruments habituels de la science. I l n 'y a

aucun résultat décisif à attendre ni de la  bêche  de l 'archéo

logue , ni des documents de l 'histor ien , ni des symboles du

mythographe , ni des manuscri ts du philologue , ni des en

quêtes de l ' e thnographe , ni de la   «  réminiscence ancestrale »

du philosophe. Sans doute on ne peut se passer tout à fai t

d 'un apparei l scient if ique de ce genre ou de tout autre ana

logue. M ais celui-là seul avancera ave c sûreté qui aura  pu

obtenir un rat tachement direct à la t radit ion intégrale , là

où el le est encore vivante». I l ne  s'agit

  pas,en

  effet, d'une

connaissance théorique e t abstrai te qui est toujours indi

recte e t symbolique , mais d 'une réal isat ion effect ive , d 'une

prise de   contact  réelle, d'une identification par la connais

sance.

En e xposant dans ses ouvrages e t ses ar t icles la nature e t la

portée de cet te connaissance , René  Guenon  a illuminé

comme on ne l 'avai t pas fai t auparavant les problèmes

capitaux qui se posent à notre époque et i l permet de les

résoudre de la façon la plus claire. Les plus e xige ants de

ses lecteurs ont l'agréable e t re posante cer t i tude de « sur

voler » les différents antagonisme s qui déch irent les

espri ts d 'au jourd 'hui . Pour beaucoup d 'hommes ses l ivres

furent les messagers du bonheur , du moins ceux pour

qui le bonheur commence au moment où i ls ont pu com

pr endr e .

L 'œuvr e d e René  Guenon  se divise naturel lement en

quatre par t ies pr incipales. La première pourrai t comporter

Le Théosophisme, L'Erreur Spirite  et ses divers ar t icles sur

le néo-spir i tual isme moderne. Car avant d ' exposer les

authentiques formes de la t radit ion, i l convenait d 'accom

plir la nécessaire e t déplaisante besogne d ' exécuter leurs

modernes  contrefaçons.  Guenon  l 'a fait et d'une manière

te l le que personne n 'a valablement répondu à ses réquisi

toires.

I l a notamment montré dans   Le Théosophisme,  que la

place très relative qu'il consentait généralement à la mé

thode « di te histor ique » ne correspondait nulleme nt à une

incapacité

  de s'en servir lui-même, le cas échéant, mais

à une juste appréciat ion de ses l imites.

Par un reste de poli tesse à l 'égard des mil ieux occult istes

qu ' i l avai t , au moment de sa jeunesse , t raversés, i l n 'avait

pas donné sui te à son proje t d 'écr ire une Erreur Occult iste ,

mais de nombreux ar t icles sur la quest ion, e t qui pourront

être réunis en volume, témoignent de sa vigilance inlassable

à signaler les fausses vérités qui pourraient aveugler les

espri ts non prévenus.

En dehors de leurs valeurs négatives, ces ouvrages con

t iennent en contre-part ie des enseignements t rès posi t i fs.

L'Erreur Spirite

  surtout possède des chapitres e t des pages

sur les états posthumes, l es différences existant entre réin

carnation, t ransmigrat ion et m étempsychose , des défini tions

capitales , qu ' i l serai t impossible de t rouve r ai l leurs. D éjà

2Ô6

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

PER SPEC TIV ES G ÉNÉR ALES

267

Page 41: Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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apparaissai t dans ses premie rs l ivres un des pr incipaux carac

tères de son apport que l 'on peut bien appeler personnel . I l

s'agit  d 'un élargissement des horizons mentaux. Ce méta

physicien, qui ne

 s'est

  jamais préoccupé que de l ' invisible,

se montre le géographe des terres inconnues. Pour un

homme moyen d 'au jourd 'hui , tout ce qui dépasse l ' expéri

mentat ion et l es phénomènes mesurables reste dans le cadre

de l ' imagination, de la sensibilité, de l ' intuition, de la spiri

tual i té re l igieuse , tout cela vaguement mêlé dans un  magma

indéfinissable, où l ' incertitude des faits et le vague du voca

bulaire n 'apportent à un cerveau exigeant qu 'une pâture

décevante . Avant René Guenon, on peut dire que , comme

pour les photographes, l ' infini commençait à cinq mètres.

Sa tâche à cet égard a été immense.  ïl  nous a fait toucher en

espri t l es «  limites de l 'histoire et de la géographie » ; il nous

a fai t sent ir toutes nos autres l imites. Et en même temps, i l

nous a révélé à nous-mêmes la, hiérarchie des mondes invi

sibles,

  des enfers e t des cieux, qui ne sont pas des « aille urs »

mais d e s « ici », qui ne sont pas de s «  lieux » mais d e s « états ».

Appliquant à chaque nive au de la connaissance , son mode

de compréhension part icul ier , i l a montré dans notre psy

chisme et notre intui t ion intel lectuel le , l es antennes hyper

sensibles du monde informel e t i l nous a rest i tué , dans le

détail de ses modalités qualitatives, la hiérarchie, à la fois

très précise e t nulleme nt dél imitée , de ces  « multiples états ».

Bien plus. Renversant le point de vue habituel à la science

moderne , e t se plaçant à un point de vue net tement anti-

an th ropomorph ique , René

  Guenon

  a dessiné d'un trait iné

luctable  les l imites de l ' expérimentat ion quanti tat ive , en

même temps qu ' i l montrai t l es connexions correspondantes

qui existent entre les différents « mondes  », connexions qui

rendent les résultats de notre expérimentat ion phénoménale

à la fois moins importa nts e n .eux-même s, et plus révéla

teurs au delà .

Ce résultat , René  Guenon  l 'a d'abord fait comprendre

par sa cr i t ique de l ' individualisme, en rest i tuant à la per-

sonnali té e t au  Soi,  comme disent les Hindous, l e rô le que

l individu  ava i t

  idéologiquement

  usurpé.

D ans ses l ivres cr i t iques , on pourrai t faire également

entrer

  se s

 Principes

 du calcul infinitésimal,  puisqu 'on somme,

l e po in t d e vue y r e s t e l e même . L ' e r r eu r

 spirite

  et l e pseudo

infini mathématique dérivent l 'une e t l 'autre de la même

incapacité de conception à l 'égard du véritable infini et de

la possibilité universelle.

D ans ce l ivre que chacun peut comprendre sans prépara

t ion mathématique préalable , i l a mervei l leusement prouvé

que l ' infini des mathématiciens n'était en réalité,   qu'un

indéfini et il a restitué, à l ' intérieur si l 'on peut dire de cet

« indéfini », la multiplicité de se s différents ordre s, e t effacé

la confusion entre la continuité quantitative et la discon

t inuité quali tat ive des ordres e t des états.

A l' inverse des philosophes, qui n 'ayant r ien de nouveau à

dire le disent en habil lant leur répéti t ion d 'un nouveau vo

cabulaire , René  Guenon  a réduit , en apparence , au mini

mum la nouveauté de son apport . I l n 'a pas eu besoin de

répéter la pensée de P ascal au su je t de « la vér i té qui ne

commence pas d 'être au moment où el le commence d 'être

connue », pour manifester une naturel le mode st ie . M ais

pour être plus subtil et difficile à déceler aux yeux des pro

fanes son rô le n 'a pas été moins éminent . Et la rest i tut ion

des vrais pr incipes a été de pair chez lui avec un redresse

ment  du vocabulaire. Il serait trop long

  d'énumérer

  les

leçons de sémantique e t en même temps de logique qu ' i l

donnait  à ses lecteurs , ses défini t ions r igoureuses de termes,

d'autant plus nécessaires que les réalités qu'ils qualifiaient

étaient par nature plus vagues à saisir. Qui ne songe à ces

couples : espr i t e t âme , individu et personne , infini e t indé

fini,  dualisme  et duali té , mental e t intel lect , salut e t dél i

vrance , e t tant d 'autres dont i l a su si précisément f ixer les

rapports intangibles e t qu 'on ne peut éviter d ' employer

ensuite commue lui, tant la vérité qu'il transmet paraît

dénuée d 'accent individuel pour rester pleine d 'une réal i té

2Ô8 É T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

P E R S P E C T I V E S G É N É R A L E S

269

car , comme dit Léon B loy, « tout ce qui arr ive e st admi

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qui le dépasse.

 Aucun

  écrivain n'a su assurer la survie de sa

pensée d'une façon aussi peu singulière en attachant son

dire à la vérité complice.

La seconde part ie des ouvrages de René

 Guenon

  compren

drait la. part la plus accessible de son œuvre, celle où il

expose les raisons du désordre actuel e t l es condit ions pure

ment spir i tuel les d 'un redressement .

Ce sont  Orient et Occident, La

  Crise

  du monde moderne,

Autorité spirituelle et Pouvoir temporel  et enfin  Le Règne de

la quantité et les Signes des Temps.  Le plus important au

point de vue théorique celui qui donne en partie la clef des

au t r e s e s t  Autorité spirituelle et Pouvoir temporel.  René

Guenon  y ramène les rapports entre ces deux puissances à

ceux qui existent entre la contemplat ion et l 'act ion. Toutes

les t radit ions authentiques enseignent la subordination de

l'action à l 'égard de la contemplation et ceci aussi bien au

point de vue social qu'au point de vue individuel. Egale

ment,

  bien entendu, au point de vue histor ique , e t  Guenon

montre que toutes les pér iodes de t roubles sociaux sont

contemporaines d 'une remise en quest ion de cet te hiérarchie

des pouvoirs. Il

 s'agit,

  en somme, dans ce l ivre d 'une philo

sophie de l 'histoire , vue du cô té métaphysique.

Le Règne de la Quantité,

  écr i t pendant la guerre , est l 'ou

vrage

  le plus important que René

  Guenon

  ait écrit dans le

domaine des applicat ions histor iques. Ses dons de mathéma

ticien et le goût qu'il avait pour le symbolisme géométrique,

lui permettent de donner un raccourci symbolique saisissant

de l 'histoire , dans le passage de la sphère au cube , dans une

progression continue vers

  une

  solidification du monde, dans

l'apparition finale de la

 «

  Jérusalem céleste ». C'est d'ailleurs

ici qu'il a répondu, sans qu'il s'en soit peut-être effective

ment soucié , à cer tains de ses cr i t iques. Puisque , disaient

ceux-ci, la Tradition prévoit l 'évolution du monde dans un

déterminisme intangible , tout ce que nous ferons pour y

échapper sera vain. La solidification progressive du monde

est voulue par la Providence et il serait impie de s'y  opposer*

rable ».

C'est là le type même de l 'object ion ignorante , cel le qui

ne considère chaque quest ion que sous un seul point de vue.

La sol idificat ion du monde se présente , nous di t René G ué-

non, sous un double se ns : considérée e n e l le-même, dans un

fragment de cycle, elle a évidemment une signification

«

 défavorable

  »

  e t même

 «

  sinistre », opposée à la spiritualité.

M ais d 'un autre cô té e l le n ' e n est pas moins nécessaire pour

préparer les résultats du cycle sous la forme de la « Jérusa

lem céleste » , où ces résultats deviendront les germes du

cycle futur . Seulement pour que cet te f ixat ion devienne

une re stauration de « l 'état primordial », il faut l ' inte rve n

t ion d 'un pr incipe t ranscendant . Cet te intervention produit

le re tournement f inal e t amène la réappari t ion du « Paradis

terrestre ».

Ainsi comprend-on mieux la. démarche de cet esprit

devant qui tout su je t de sa méditat ion pose tout pô le anta

goniste comme complémentaire e t qui résoud tout problème

par l 'accomplissement d 'un cycle complet . Et comme tout

complémentaire à un élément du monde manifesté est for

cément de l 'ordre spir i tuel , on comprend que pour lui l ' es

sent ie l résidai t dans une « or ientat ion » perm anente de l ' es

prit. C'est l 'esprit qui qualifie le monde. C'est pourquoi,

pour l ' initié,

 «

  même le Paradis est une pr ison

 »

  et c ' est pour

quoi , pour la Providence , même la sol idif icat ion est une

purification. C'est une autre forme de sacrifice, le sacrifice

de l a

 «

  matière ».

La seconde moit ié du l ivre est presque tout ent ière con

sacrée à l 'aspect satanique de la dissolut ion, notamment à

la déviation des

 symboles

  et à la grande parodie de la fausse

spir i tual i té .

La troisième part ie des t ravaux de René   Guenon  com

pre ndrait mo ins de livres que d'articles . C'est celle, où il

montre que l 'Occident a jadis possédé une t radit ion authen

t ique , d 'ai l leurs cachée , e t analogue à cel le qui subsiste en

270

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

Orient . Les l ivres qui en parlent ce sont

  L'ésotérisme de

P E R S P E CT I V E S G É N É R A L E S 2 7 I

tianisme romain et le Christianisme orthodo xe . Or il y a là , tout

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Dante, Le roi du Monde

  et beaucoup d 'ar t icles , tous ceux

par exe mple qu ' i l a jadis consacrés à la M açonner ie e t qui

const i tuent les meil leures études  parues  sur le su je t .

Cet te quest ion de la Tradit ion en Occident étai t l 'une de

cel le , e t peut-être même la seule sur laquel le René

  Guenon

n'aimait pas se prononcer , e t l 'on comprend faci lement

pourquoi . I l avai t t rop gêné de gens, dans tous les mondes,

pour se hasarder encore à froisser des   amours-propres  trop

sensibles. Et pourtant , pour nous Occidentaux, la quest ion

est d ' importance. Nous n 'avons pas la prétent ion de la

résoudre ici en deux pages, mais de la poser . René G uenon,

dans sa jeunesse , avai t t raversé tous les mil ieux occidentaux

où des prétentions à l 'ésotérisme s'étaient manifestées à tort

ou à raison. I l en avait jus tem ent conclu que seule la M açon

ner ie e t l e Compagnonnage , possédaient le caractère d 'une

tradit ion authentique , c ' est-à-dire qu ' i l n ' existai t plus en

Occident que des ini t iat ions de métier .

Cependant les fidèles lecteurs de ses articles ont certaine

ment encore en mémoire son étude sur

  Christianisme et

Initiation  où il affirmait que «  le Christianisme, à ses origines,

avait tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère

essent ie l lement ésotér ique e t par conséquent

  initiatique

  ».

M ais ce caractère , par sui te de son tr iomphe social , au tem ps

de Constantin, et sa nécessaire adaptation au plus grand

nombre , i l l 'a t rès tô t perdu et la permanence des r i tes ne

permet pas de conclure à la permanence de l 'ésotér isme,

puisque tout r i te est du domaine de l 'act ion par nature e t

qu'il ne joue à l 'égard de la connaissance qu'un rôle de sup

port e t de sym bole. En vérité, il n'y a pas de rites « ésoté-

r iques » en soi , mais seulement dans la mesure où le carac

tère initiatique de la tradition envisagée, sa compréhension

et sa perspect ive ont été maintenus. Tel ne paraî t pas être

le cas du Christ ianisme occidental .

M a lheu r eusemen t , René G uenon , t r a it an t d e c es ques t ions ,

n'a peut être pas assez insisté sur la différence entre le Chris-

au contraire , une dist inct ion de première importance. D éjà ,

dans un article des

  Etudes Traditionnelles

 d 'avri l  1935, nous

disions que les grecs hésychastes const i tuaient  «  la dernière

école de réal isat ion métaphysique histor iquement consta

tée dans une église chrét ienne ». Les études récentes de

M. F. Schuon ont pu montrer à nos lecteurs comment on

pouvait , en e ffet , t rouve r dans la t radition patr ist ique or tho

doxe des indices e t même des prescr ipt ions permettant de

prétendre   que  le caractère ini t iat ique de la dévotion monas

t ique s 'y est mieux maintenu que dans l 'égl ise romaine.

D 'ail leurs l 'histoire secrète de l 'ésotérisme occidental abonde

en traces d 'un courant ini t iat ique subsistant e t méconnu.

Dans de mult iples t ravaux, René

  Guenon

  l 'a montrée : soit

qu'il évoque le Saint  Graal  et la t radit ion druidique , D ante

et les Fidèles d 'Amour , l es Rose-Croix et l es Templiers , ou

M artinès de Pasqually e t Fabre d 'Olivet . Lui-même, si l 'on

ose dire, constitue le   « sceau » prest igieux de ce t te obscure

lignée. Il est comme la fleur de ces ébauches et s' il doit certes

son caractère e xceptionnel à un rat tacheme nt réel à plusieurs

tradit ions authentiques qui ne sont pas occidentales , ses

moyens d ' expression, i l l es a en part ie empruntés aux mani

festations de l 'ésotérisme d'Occident.

La quatr ième part ie des ouvrages de René  Guenon  com

prendrait en somme ceux qui ont fait sa  réputation  et l 'ont

consacré, vis-à-vis du grand public, comme indianiste et

orientaliste. C'est la partie la plus positive et la plus riche,

qui expose avec une clar té inat tendue la vér i table métaphy

sique or ientale :

  Introduction générale à

 l étude  des

  doctrines

hindoues, L'homm e et son deve nir selon le

  Vêdânla,

  Le sym

bolisme de la Croix, Les

  Etals

  multiples de

 l Etre  e t son der

nier livre   La Grande

  Triade.

  Dans une vue d ' ensemble qui

embrasse avec une science égale les livres sacrés de la Chine

et de l ' Inde , de l 'Egypte e t du moyen âge , de l ' Islam et

d ' Israël , René  Guenon  nous fait pénétrer avec une profon

deur, une précision et une facilité (relative) également éton-

272

ÉTUDES

  TR ADITIONNELLES

nan t es , au  cœur  des plus hautes quest ions qui se soient

PER SPEC TIV ES G ÉNÉR ALES

273

e t d e l ' Id en t i t é Suprême .

  Le symbolisme de la Croix

  géné

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posées aux plus grands espri ts de tous les temps, e t i l l es

résoud, grâce aux tradit ions qu ' i l expose , avec une parfai te

aisance. Ces problèmes et ces espri ts ne paraissent plus

comme de mystér ieux arcanes réservés à des spécialistes plus

érudits que compréhensifs , mais i ls vivent d 'une vie actuel le

e t é t e rne l l e .

Car le domaine surnaturel qui est l e sien peut s 'ouvrir à

l ' espr i t d 'un mendiant i l le t t ré plus faci lement peut-être

qu 'à celui d 'un membre de l ' Inst i tut . La valeur suréminente

de l 'œuvre dont je par le vient sur tout de ce fai t qu ' e l le est

absolument e t totalement indépendante de l ' individuali té

de son au t eu r . D ans c e t te œ uvr e , c e n 'e s t pas  Un  individu,

de quelque niveau qu ' i l soi t qui nous parle , mais c ' est l 'hu

manité qui nous instrui t , grâce au dépôt surnaturel qu 'e l le

nous a conservé sur des réal i tés plus anciennes que toute

l 'histoire connue. Elle nous apporte sur e l le-même son

propre témoignage.

S i René  Guenon s'est  plus généralement servi de l 'a lpha

bet de la tradition hindoue, ce fut par des raisons d'oppor

tunité . M ais tous ses l ivres , quel que soi t le point de vue

provisoire où i ls se placent , j e t tent des lumières sur tous les

au t r e s .  La Grande Triade  se réfère plus particulièrement à

la tradition chinoise,   Le  symbolisme  de la Croix  à la tradi

t ion chrét ienne e t musulmane. Aucun n ' est exclusif des

autres e t l 'on peut dire au contraire que chacun complète

•ce

  qui dans les autres reste à l 'état d'indications.

Le plus original de ces livres et celui qui se place davan

tage au-dessus de toutes les t radit ions c ' est cer tainement :

Les états multiples de l'Etre.

'L'Introduction  replaçai t l e pet i t Occident à Une  place très

relat ive e t diminuée , en montrant les méfai ts du « pré jugé

classique ».

L'Homme

  et

 so n

 devenir élargissait la, condition de l 'homm e,

le montrai t en re lat ion avec les états infér ieure , aussi bien

qu 'avec les supérieurs , indiquait les moyens de

 la

  dél ivrance

ral isai t cet te première vue de la hiérarchie des états , grâce

au symbolisme géométr ique e t aux diverses correspondances

des t rois gûnas hindous.

La Grande Triade,

  reprenant la même division ternaire à

tm  point de vue plus cosmique , élucidai t en même temps le

symbolisme alchimique.

Les Etats multiples,

  dépassant toutes les t radit ions e t

toutes les formes, const i tuent la pièce maîtresse , la clef de

voûte de l 'œuvre guénonienne , cel le dont aucune autre ne-

peut donner l 'équivalent , e t qui au contraire est nécessaire

à la parfai te compréhension de tous les autres. I l  s'agit  de

l'élucidation la plus complète qui ait jamais été donnée de la

géographie de l ' invisible , de l ' Infini , du Non-Etre e t du

Possible , de toute la complexité des hiérarchies spir i tuel les.

Entre l ' Infini e t la Liber té , René  Guenon  montre la cons

cience e t l e mental humains suspendus et er rants dans un

devenir sans f in à t ravers des états t rès dist incts e t parfai

tement qualifiés.

Ajoutons pour f inir une remarque technique essent ie l le .

La lecture , la compréhension et l 'é tude de ses l ivres ne

sont possibles e t ut i les  qu'à  ceux qui sont familiers avec le

véritable symbolisme. Il ne  s'agit pas ici de la vague imagerie

l i t téraire du siècle dernier , qui a introduit plus d ' erreurs

idéologiques qu'elle n'a créé

  i

de  chefs-d 'œuvre , mais du

symbole en tant que loi naturel le e t surnaturel le , dont le

rapport mathématique n ' est qu 'un cas part icul ier e t dont , à

l ' extrême des possibles ,

 l'unioû

  suprême const i tue un autre

cas.

  Les lois naturel les ne sont que des cas part icul iers des

lois surnaturel les , ou pour parler le langage quotidien ,

l 'axiome est un cas très

 particulier

  du miracle.

Aucune autre pensée n 'a réussi à nous donner une te l le

total i té harmonieuse. Quel le est donc l 'u l t ime et i r réduc

tible différence qui sépare René   Guenon  des penseurs méta

physiciens e t or iental istes occidentaux ? C'est que ses for

mulat ions se réfèrent toujours à une e xpérience intér ieure

274

ÉTUDES TRADITIONNELLES

des réalités de l 'ésotérisme. C'est en cela

 que

  réside , en der

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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nière  analyse , la compréhension d 'un ancien  texte.  Com

prendre c'est réaliser dans la conscience de l ' individu et à

tous les degrés des états de l 'ê tre . C'est cet te   perpétuelle

référence qui permet de choisir entre la vér i té e t l ' er reur ,

qui interprète correctement les symboles , qui rect if ie les

défauts de l 'expression, qui supplée aux manque s, qui écarte

les détails secondaires ou superflus.

Le moyen de cet te pr ise de possession est le symbole e t

si nous croyons nécessaire de terminer cet te étude t rop

sommaire en insistant sur cet intermédiaire en apparence

secondaire, c'est qu'il constitue en fait la base même de

l'édifice. Le symbolisme est le fil continu qui relie les diffé

rentes réal i tés , c ' est par lui que nous raisonnons, que nous

pensons, que nous rêvons, que nous sommes. L 'hérédité à

tous les degrés est un cas de symbolisme et l 'analogie des

lois physiques e t psychiques en est un autre . Toute mani

festat ion est un symbole de son auteur e t de sa cause. C'est

à cet te cime de la pensée que René G uenon, si peu ar t iste

e t poète en apparence , re joint t rès faci lement les poètes e t

les artistes. Car l ' intuition de ces derniers, si incomplète et

inconsciente   soit-elle  quelquefois, n'en possède pas moins à

l'état de germe les mêmes dons qui chez les plus accomplis

des ini t iés marquent le degré supérieur qu ' i ls ont at te int .

Sans doute est-il difficile de dire quel sera le destin histo

r ique de Re né G uenon. I l suivra sans doute dans son aspect

formel le dest in de la langue et de la culture dont cet te

langue fut l 'expre ssion. M ais ce qui es t certain, c'est que

nulle   œuvre  humaine ne  s'est  assurée en el le-même une

garantie plus sûre de survie , par son at tachement intégral

à ce qui es t la V érité.

L u c B E N O I S T .

ET

RENÉ GUENON

'IDÉE  MÉTAPHYSIQUE

Q

UELLES

  que soient les conséquences prat iques qui ont

été e t pourront être t i rées de l 'œuvre de René

  Guenon

et quel les que puissent être les appréciat ions auxquel les

el le donne ra l ieu , i l est un point sur lequel se s lecteurs f idèles

se sont toujours accordés : l eur at tachem en t à cet te œ uvre

provient d 'abord de ce qu 'e l le leur a permis de « compre ndre ».

Pour eux, d 'un seul coup, le chaos intel lectuel où vi t l 'homme

moderne s'est  ordo nné : ils ont eu l ' impression très forte de

avoir» et ,

 s'ils

 ne   «  voyaient  »  pas  tout,  du moins avaient-ils

la , conscience de posséder , pour étudier toute quest ion, une

posi t ion nouvel le e t , à leur avis , supérieure . Analyser cet te

impression, cet te « sensat ion » de clar té que donne l 'œuvre

de René

  Guenon

  est une tâche plus complexe qu ' i l ne le

paraî t à première vue ; e t nous nous bornerons à dégager

l 'é lément central , essent ie l , de la lucidi té guénonienne e t

qui est , croyons-nous, l ' idée métaphysique.

Cet te idée que , comme chacun sai t ,   Guenon  a présentée

surtout sous sa forme hindoue , se résume en quelques mots :

identi té du Soi e t de B rahma, Infini e t manifestat ion, Etre

et Non-Etre , é tats mult iples. Cet te idée est « métaphysique »

en ta nt qu'e lle est « dernière », c'est-à-dire qu'elle fournit à

l 'esprit la plus grande possibilité : or l ' idée de l 'Infini ouvre

à l ' intelligence   un  champ illimité  où  tou t e chose , tou t e vue

de l ' espr i t , toute erreur même, peuvent t rouver leur place.

Elle permet ainsi de tout envelopper e t de tout ramener à

l 'unité , ce qui est la condition première de toute compréhen

sion. Et, l 'Infini  étant  à la fois Etre e t Non-Etre , lumière

et ténèbres, affirmation et négation, il peut être la source

de toutes les posi t ions  comme  de toutes les exclusions, i l

276

ETUDES TR ADITIONNELLES

rapproche e t i l t i ent à distance , i l ident if ie e t i l dist ingue , i l

R ENÉ  GUENON  ET L ' ID ÉE M ÉTAPHYSIQUE

277

opposi tion aussi vive e t aussi étendue , si l' expérience n 'avait

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fait briller et il éteint. Par là il est principe d'union et de

séparat ion et , par les rapports innombrables e t parfois

étrangement opposés qu ' i l implique entre toutes les formes

et toutes les idées, il est source à la fois de discorde et d'har

monie , de lut te e t de concil iat ion, c ' est-à-dire de vie intel

lectue lle au sens le plus élevé du mo t, vie « intelligible » à

laquel le nous part icipons faiblement e t qui est en défini t ive

celle de la stabilité principielle. Unité, non-limitation, dua

l i té du oui e t du non, hiérarchie : dans cet te idée complexe ,

l ' inte l l igence t rouve tous les éléments d 'un ordre universel

c ' est-à-dire qu 'e l le se re trouve e l le-même et , avec el le , tous

les modes, formes et  «  intent ions  » de la, pensée , tous les j e ux

possibles de connaissance et d'ignorance.

Cet te idée , comme  Guenon  l 'a bien vu , n ' est pas purement

e t  simplement  tradit ionnel le , en ce sens qu ' i l y a des t radi

t ions qui ne sont pas métaphysiques. La doctr ine de l ' iden

t i té du Soi e t de Brahm a, qui en e st un aspect essent ie l , est

ignorée du Bouddhisme et e l le n ' est reconnue par aucune

des t rois t radit ions monothéistes. Elle est avant tout une

doctr ine du Brahmanisme, mais aussi du Taoïsme et du

« platonisme   »  ; en fai t , dans l 'é tat présent des documents

accessibles , t e l les sont bien les t rois grandes   sources  méta

physiques de l 'humanité. Encore faut- i l a jouter que ,   même

en laissant de cô té la négation bouddhique , la doctr ine de

l ' identité n'a été nulle part critiquée plus

  âprement

  que dans

l'Inde, là même où elle s'était affirmée le plus fortement et

où el le pouvait se réclamer de textes nombreux des

  Upa-

nishads  ; e t ce t te cr i t ique n ' e st pas venue seuleme nt du

vishnouïsme, mais aussi du shivaïsme, notamment de cet te

branche importante que const i tue le   Shaiva-Siddhânta.

Cette at t i tude de nombreux maîtres hindous est sans doute ,

en dernière analyse, imputable à un affaiblissement de

l 'esprit métaphysique ; mais, la doctrine de   Yâtmâ  étant

appuyée sur des textes formels de la  Shruti,  il est raison

nable de supposer qu 'e l le n 'aurai t jamais rencontré une

montré que son enseignement n 'al lai t pas sans danger e t

que son vrai sens était plus subtil qu'il ne le paraissait à

première vue . L 'hindou, qui se sai t ident ique à B rahma, e st

ten té de considérer Brahm a, qui réside dans le lotus de son

cœur , comme une sor te de joyau caché qui serai t son bien

et dont i l n 'aurai t qu 'à prendre possession. La  « réalisation »

spir i tuel le , par laquel le i l devient ce qu ' i l est , est alors com

prise comme une sor te d '  « affaire personnelle », pour laquelle

les moyens tradit ionnels ne sont que des procédés d 'évei l e t

des adjuvants : l ' essent ie l est pour l 'homme de faire péné

trer la pointe de sa conscience à t ravers toutes les enve

loppes qui lui voilent le Soi . Cet te réal isat ion, en d 'autres

termes, r isque for t d 'être conçue simplement  comme  la

saisie et l 'assimilation du Soi par le moi, alors qu'elle aussi,

e t plus encore , l e don du Soi au moi e t l 'évincement du moi

par le Soi . Le Soi universel n ' est pas une possession du moi

individuel, il est son être caché, c'est-à-dire qu'il se révèle à

lui quand i l plaî t . D'où l ' insistance des maîtres sur les a t t i

tudes d 'amour et de soumission et sur l ' importance de la

grâce

  [{p rasâda, anugraha ,

  shaktipâta),  laquel le n 'avait

d'ailleurs pas été oubliée par les écoles restées attachées à

la pure doctr ine de l ' ident i té , t e l les que le vêdânta shan-

karien  et l e shivaïsme du Kashmir.

D 'une façon générale,   Une  doctr ine spir i tuel le est , en tant

que te l le , une anthropologie , c ' est-à-dire qu 'e l le est d 'ordre

cosmologique. Elle est une doctrine de la dualité, puisqu'elle

enseigne une voie, une direction, définie à la fois par son

point de dép art e t son point d'arrivée : elle est m édiatrice

en t r e   jîvâtmâ  e t  Paramâtmâ.  La métaphysique est pour

elle une implication, non son corps même ; et les difficultés

intellectuelles qu'elle offrira proviendront souvent de la

nécessité d'accorder les formules, souvent contradictoires,

de la métaphysique e t de la cosmologie . Une métaphysique

légèreme nt raidie me nace la spiritualité ; et celle-ci, pour se

défendre ,

  s'est

  fréquemment réfugiée dans des doctrines

278

ETUDES TRADITIONNELLES

RENÉ

  GUENON

  ET

  L'îDÉE

  M ÉTAPHYS IQUE

279

dualistes e t plural istes qui , à leur tour ,

  compromettaient

même cel le de la puissance , correspondant à l 'é tat   « an té

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son inspirat ion fondamentale en lui dormant un caractère

plus ou moins arbi traire .

Cet te dernière solut ion cependant

  n'a

  pas été celle du

Bouddhisme, comme s ' i l obéissai t malgré lui à quelque

arr ière-pensée métaphysique. Partant , comme l 'Hindouisme,

de la dualité du

  samsara

  et de la dél ivrance , i l détrui t l e pre

mier terme par l ' idée d ' i l lusion, de vide ; e t , pour le second,

i l l e voile dans une apophase absolue. I l réal ise l 'uni té en

mode

 négatif,

  c ' est l 'uni té du Vide.

  Enfin,

  pour achever de

ne laisser à l 'homme aucune perspect ive d 'avenir , qui

deviendrait vite pour lui l 'occasion d'un désir, il brise le

sûtrâlmâ,  qui réunit entre eux les divers états de l 'ê tre , e t i l

ne laisse plus en face de

 l'ascète

  qu 'une tâche à accomplir .

A la longue , comme on le sai t , cet te doctr ine n 'a pu main

tenir la rigueur de sa négation originelle (r).

D ans les t radit ions monothéistes , au contraire , on est en

plein « réalisme » e t la notion scriptu raire de création a été

interprétée dogmatiquement dans le sens d 'une duali té

irréductible du Créateur e t de la créature . Sans doute pour

rai t-on faire observer que cet te duali té , é tant d 'ordre cos

mologique e t correspondant à une perspect ive temporel le ,

ne contredi t pas la non-duali té métaphysique. On peut

considérer la création comme comprise dans l 'Acte éternel

e t infini — Dieu étant e t rayonnant par un seul e t même

acte — ; mais, dès lors qu 'on ne le fai t pas, on transpose

cet te idée sur un plan purement rat ionnel , t emporel , on la

« pense » au moyen de schèmes dont la re lat ivi té e st évi

dente e t qui impliquent de quelque manière une duali té :

soit, par rapport à Dieu, celle d'un intérieur (le Créateur)

et d 'un extér ieur vide qu ' i l

  s'agit

  de remplir, soit:

 en

  D i e u

1. Par son   esprit  e t  ses  conclu sions , ce t t e r tgt ieo r  peut  ê tre comparé© &

c e l l e d e S i m o n e  Weil  é c r i v a n t q u ' i l imp o r t e p e u d e   savoir si  l e B i e n

  existe

o u n o n .  puisque  d e t o u t e f a ç o n  "  ce   qui

  n'est

  pas Irai 'n'est pae bien  „.  on

e n c o r e q u e l a q u e s t i o n d e s r é c o m p e n s e s n e d o i t  pa s  ê t r e p o s é e , puisqu'elle

i mp l i q u e u n r e t o u r d e   l'âme  s u r e l l e - m ê m e , u n e d é t e n t e d e s o n

  ef fort

  rers

le  Bi en (Cf .  ïM

  cormamaanse  turnaturtllty

  pp .

 284

  e t  su i T .  e t p . 321).

r ieur » à la créat ion, e t de l 'acte , co rrespondant à l 'é tat

« postér ieur

  »

  ou, si l 'on préfère, au

  Fiat

  créateur lui-même.

Les Hindous ont un Dieu créateur , qui est  B r a hm â ,  mais

son acte rentre dans le domaine de la Shakti , non dans celui

de Parama-Shiva. Sans doute la différence e t la distance

ont-el les leurs analogues dans ce que nous avons appelé

l 'Acte éternel e t infini , l equel est l 'union, non la confusion,

de S hiva et de la S hakti : e l les en représe ntent des « mo

me nts » qu 'une doctr ine m oniste r isquerai t d 'oublier . M ais

l e s « moments  » de l 'uni té e t de l ' iden t i té sont à leur tour ,

du point de vue où nous nous plaçons, un peu trop négligés

dans les théologies monothéistes , où l 'uni té divine s 'oppose

purement e t simplement à la diversi té créée. L 'expérience

des spir i tuels , qui a fai t craindre que le Soi , r econnu

  comme

divin , ne vienne gonfler le moi au l ieu de le réduire e t de

l 'épuiser , a sans doute joué un rô le important dans l 'aff ir

mation constante du dualisme ; à quoi est venue s 'a jouter ,

chez les théologiens de l 'Eglise latine, l ' influence décisive,

bien connue, de l 'ar istotél isme.

Si donc la doctr ine de l ' ident i té n ' est pas acceptée par les

tradit ions monothéistes , l e moins cependant qu 'on en puisse

affirmer , c ' est qu ' e l le hante toute la pensée

 «

  platonicienne »,

y compris le « platonisme chrét ien », e t pour ne r ien dire

des soufi-s, soumis d'ailleurs à la double influence de l 'Inde

et du néoplatonisme. Elle

  s'est

  exprimée, d 'une façon par

fois t rès claire , soi t dans les écr i ts d 'hommes naturel lement

métaphysiciens — par exemple chez Plot in e t Nicolas de

Cuse —, soi t dans ceux de spir i tuels essayant de   traduire

l eurs i l luminations. M ais, foncièrement étrangère à l 'ar is

totél isme , e l le est de ve nue , depuis, la fin de la Renaissance ,

qui a été aussi celle du platonisme, et malgré certains efforts

des car tésiens, e t sur tout des philosophes romantiques

al lemands, presque aussi étrangère à la pensée moderne.

L'avis de D escartes , que l ' idée de l ' Infini étai t la première

de tou t e s , e s t r e s té pour b eaucoup l e t t r e mor t e e t , d ' une

280

tiTUDES  TR ADITIONNELLES

façon générale, la philosophie des derniers siècles a manqué

R ENÉ  GUENON  ET L 'ID ÉE M ÉTAPHYSIQUE  glfc

e t la plus caractérist ique ; mais e l le se com pren drai t m al

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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du champ nécessaire à sa spéculation. Si elle réagit

  aujour

d'hui assez vivement contre l e ra t ional isme e t l e matéria

l isme , e l l e n ' en reste pas moins l e miroir de son t emps, à

savoir d'une époque qui t i re des sciences posit ives la majeure

part i e de sa nourri ture inte l l ec tue l l e ; e t l e dési r , assez natu

re l , de rester toujours en ple ine cont inui té avec la sc ience ,

de n'abandonner aucun point de contact avec e l l e , la ra t

tache en fa i t aux modes proprement humains , ra t ionnels ,

de pensée e t de connaissance . Nous dirions presque , s i

l ' expression n'é ta i t pas aussi i rrévérencieuse , que la phi lo

sophie m oderne a un f i l à la pat t e : l e f il de la « pensée sc ien

t i f ique », re la t ive par déf ini t ion. Quelques heureuses excep

t ions mises à part , l ' é ta t de la phi losophie contemporaine

— pour reprendre une comparaison qui a beaucoup servi —

est encore à beaucoup d'égards semblable à ce lui de l ' ast ro

nomie avant Copernic : on accumule l es construct ions l es

plus ingénieuses autour d'un postula t auquel on ne veut pas

renoncer e t qui est ic i la suprématie de l 'homme   (i).  Si l 'on

désigne comme « t e rre

  »

  la demeure de l 'homme, son mil i eu

nature l , comme

 «

  soleil

  »

  la vérité qui attire les intelligences,

on pourra i t di re que la s i tuat ion inte l l ec tue l l e présente ap

pel l e une révolut ion qui fasse passer d'un système géocen-

t rique à un système hél iocentrique , qui fasse préférer la

vérité à l 'homme, ou plus précisément la vérité tout court

à la véri té humaine .

Cet t e révolut ion,  Guenon  l ' a accomplie pour beaucoup

de ses l ec teurs. I l l eur a rendu les régions   hypercosmiques

e t supra-humaines de la réa l i té , ce que la pensée moderne a

cru  devoir négliger et ce qu'elle  s'est  montrée incapable de

remplacer.  Sans dout e peu t -on jug e r  que  l 'opposi t ion que

Guenon  a établie entre les civilisations traditionnelles et le

monde moderne est la part i e de son œuvre la plus visible

1. Chez le» thomistes, le postulat qui ne «aurait être   mis  e n  di3cutsion

est l e "réal isme „ dérivé de 1» concept ion aristotél icienne de 1'" être „ et

qui lai t considérer l e platonisme, e t toute forme d' " idéalisme . , comme

une toxine Intel lectuel le .

sans son arrière-plan métaphysique . C' est pourquoi ce que

nous avons appelé l ' idée métaphysique , avec ses différents

aspects e t ses points de départ cosmologiques , nous para î t

représenter la part i e centra le de son message , la véri té la

plus « vivante  »  e t la plus importante qu' i l nous a i t apportée

ou rappelée. Siegfried Lang a assez bien caractérisé son

œuvre comme un  «  refuge de la métaphy sique ».  H  est à

peine ut i l e d 'a jouter que l es véri tés l es plus hautes sont , par

leur nature , du domaine de l ' inexprimable e t qu' e l l es ne se

l ivrent pas en-quelques  formules , s i heureuses e t opportunes

qu'elles  puissent ê t re . El les s 'accommoderaient mal de pro

cédés hât i fs , qui se contentera ient d'opposer un  dogmatisme

à un autre dogmatisme. Comme la glace dont parle l e   Yi-

king  (« On marche sur la glace. G rande circonspection »), nos

concepts ne nous portent jamais que jusqu'à un

  certain

point ; e t la doctrine la plus c la i re repose à notre insu sur

un fond

  yin,

  sur un mystère , de même que derrière l e

  Deus

revelatus,

 e t voi lé par son écla t , se t rouve encore l e

  Deus

absconditus qui l ' a e ngendré  (i).  Il s'agirait donc,  moins  de

« t ransme t t r e  »  une idée t e l l e par exemple que ce l l e de l ' iden

t i t é (on n ' en peu t t ransme t t r e que l e vê t ement ) que d ' en

étudier l es diverses expressions , de la médi ter e t de la ,  com

prendre , s i possible , dan s ses nuances l es plus Util es . I l n ' e st

pas quest ion, bien entendu, de sa isi r l ' espri t insa isissable

dans aucun f i l e t conceptuel , mais seulement d' en aff iner e t

orienter la concept ion, de façon qu' e l l e puisse rayonner plus

l ibrement dans un mil i eu menta l donné e t , tout d'abord, en

nous-mêmes.

A N D R é P R é A U .

1. Les formules et définitions dogmatiques, écrit  Simone  W el l , doivent

être acceptées , " non pas

 comme

  étant la véri té , mais comme étant quelque

chose derrière quoi on trouve la véri té „

 (Lettré

  à un religieux,  p .

  41).

C O M M E N T S I T U E R L ' Œ U V R E D E R E N É

  GUENON 28 3

non-humaine e t au caractère universel que   Guenon  assigne

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CQMMBMT

  S I T U E R

  L'ŒUV1 ?R

D E   RENÉ  GUENON

A

V A N T

  que n e pa rû t l 'œuvr e d e René  G u e n o n ,  un auteur

d 'ouvrages de nature spir i tuel le , quelqu 'obscure que

pût être sa pensée, était en général facile à classer. S'il s'en

tenai t à la théorie , i l devait être théologien , philosophe ou

historien, et s' il traitait de la réalisation, il devait   s'agir

d'un guide spir i tuel ou d 'un contemplat if re latant ses expé

r iences intér ieures. Or ,

  l'éminent

  écrivain dont nous déplo

rons la mort n'était pas théologien, car il ne parlait pas au

nom d'une t radit ion déterminée , ni philosophe , puisqu ' i l

n ' exposai t pas un système, mais des données t radit ionnel les ,

ni pour autant un histor ien des doctr ines métaphysiques e t

re l igieuses, ses ouvrages étant une synthèse au sens propre

du mot , e t r ef létant une perspect ive que leur auteur avait

fai te sienne. I l ne rentre pas davantage dans la seconde

catégorie ; ses l ivres , en effet, ne contienne nt pas la moindre

allusion à sa vie intérieure, et il a d'ailleurs toujours décliné

catégoriquement le t i t re de maître spir i tuel .

Ainsi , l 'un des caractères propres de cet te œuvre est pré

cisément d 'être inclassable . Elle ne rentre pas dans les

perspect ives classiques, mais e l le inclut ces dernières pour

tant  plus encore peut-être qu 'e l le ne les exclut . Retenant

ce que chacune a de plus central e t de plus métaphysique ,

e l le commence en quelque sor te là où el les s 'achèvent e t se

re joignent . Ainsi , pour prendre un exemple , ce que René

Guenon  e n t e n d  par  connaissance ne correspond pas à ce

que ce mot désigne dans lesdites  perspect ives, même pas  au

sens que lui donnait la scolast ique , mais plutô t à ce que le

moyen  âge chrét ien appelai t l e « don de sagesse » , l e m ot

<don », qui se réfère au Saint-Esprit , répondant à l 'origine

à la connaissance , e t le mot de « sagesse », qui consiste à

juge r pa r

  «

 les plus hautes causes » en v e r tu d 'une cer taine

«

 connatural i té » avec e l les (S. Thomas) , t raduisa nt le fai t

que la connaissance métaphysique est inséparable d 'une

cer taine réal isat ion correspondante .  Un  au t r e ex emple e s t

l'idée   même  de t radit ion, par quoi R.  Guenon  en t end , non

pas les t radit ions comme te l les , mais   un  corps de véri tés

principiel les dont les t radit ions dérivent comme d 'une racine

commune et dont la forme primordiale échappe à toute

investigation  histor ique.

Si aucune épithète ordinaire ne convient aux ouvrages

dont il  s'agit,  trouve-t-on du moins dans le passé quelque

chose

  qui

  leur ressemble à cer tains égards ? On est tenté de

pense r en premier l ieu aux « tradit ionalistes » du début du

x i x

e

  siècle , notamment Lamennais , de Bonald , Joseph de

M aistre , auxquels nous pourr ions a jouter Fabre d 'Olivet ,

Maxtinez  de Pasqually , Louis-Claude de S aint-M art in

  (i),

Jose ph de M aistre sur tout , catholique e t maçon, pour qui

i l n 'y a po int de dogme « qui n 'ai t sa racine dans la nature

int ime et dans une Tradit ion aussi ancienne que le genre

humain » , a par lé des pr incipes métaphysiques, de l 'ésoté-

r isme et de l 'analogie universel le d 'une   manière  qui rappel le

Re né G uenon, e t i l se rat tachait d 'ai l leurs à un courant

ini t iat ique auquel l 'auteur des  Aperçus sur

  l Initiation

accordait

  une at tent ion part icul ière . Toutefois , tandis que

le t radit ionalisme étai t exclusivement or ienté , quant à

l 'avenir , vers un « christianisme transcendan t », c' est la

dest inée de

 l'Orient

 aussi bien que de

 l'Occident

  qu ' embrasse

l 'œuvre de G uenon, où la perspect ive cyclique est t rai tée

avec une ampleur unique e t où la notion d ' « or thodoxie »

e st  appliquée pour la, première fois aux traditions de   l hu-

manité  envisagées dans leur ensemble ; e t si l es   derniers

1. Parmi le»

 penieun

  de l 'Allemagne "

 r o m a n t i q u e . ,

  Schel l int j , Flehte ,

Sehlegel

  e t

  Novalia

  méri tent d'être ci tés dans cet ordre

  d ' idées .

  Cf. à ce

propos l e s

  dernière» page» de  Myttlqiu  d Orimt  H MgBtiqm  d Occident

dont  It traduction  française vient de paraî t re  chez Payot.

284

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

mots de Joseph de M a is t re ont é t é : « J e m eurs avec l 'Eu

C OMM ENT SITUER L 'ŒUV R E D E R ENÉ G UENON  285

médiéval , es t parfa i t ement réduct ible au point de vue t ra

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rope », l ' auteur du

  Règn e de la quantité et les Signes des

Temps,  130  ans plus tard,  s'est  peu t - ê t r e é t e in t en pensant

qu' i l mourai t avec l e inonde t radi t ionnel tout ent i e r. Le t ra

ditionalisme  é ta i t surtout une réact ion contre l e ra t iona

l isme e t le natura l isme de s

 x v n

6

  e t

  x v m

e

 siècles ; R.

  Guenon

avai t derrière lui l ' ext raordinaire accéléra t ion de la chute

qui s'est  produi te au cours du xix

e

 sièc le , s iècle m onstrue ux

e t  «  stupide  » (surtout d ans sa seconde moitié), mais qui fut

en m ême te mps l ' époque de la « réhabi l i ta tion » du moye n

âge ,

  des grandes synthèses historiques e t de l ' interpénétra

tion de  l'Orient  e t de l'Occident  sur tous l es plans ; ce mé

lange sans précédent du pire e t du mei l l eur forme un chaos

qu e

  Guenon

  a réussi à

  «

 hiérarchiser » grâce à une largeur

de vue qui , e l l e aussi , devai t ê t re sans  précédent

  (1).

Ce n' est guère qu'aux époques où la st ructure d'une c ivi

l isa t ion menace de se rompre que l 'on éprouve l e besoin de

chercher en dehors de ses l imites l es é léments d'une syn

thèse e t d 'un renouvel l ement . La crise spiri tue l l e que fut la

Renaissance   offre-t-elle  des écrits plus ou moins compa

rables à ceux dont nous parlons ? I l ne faut pas oubl ier que

l 'élargissement de   l'horizon,  matérie l (notamment ast rono

mique et géographique) qui caractérise la Renaissance   s'est

t radui t par deux courants divergents , d 'une part , la t en

dance natura l is t e , sc ient i f ique , moral ist e e t profane , de

l 'autre un re tour éminem me nt « t radi t ionne l » au pla to

nisme , un intérê t croissant pour

  l'Orient

  e t . un ensemble

d'   «  essais  »  visant à intégrer la vision de l 'univers , devenue

hél iocentrique , dans  Une  hiérarchie cosmologique dont

D ieu es t le Ce ntre métaphysique . Nicolas de Cuse , M arsi le

Fic in, Pic de la M irandole , G iordano B runo e t   Campanella

montrent  comm ent l e monde « naissant », que l es nouvel l es

concept ions semblent soustra i re à jamais au théocentrisme

1. Ou pourra  mesurer'l'ampleur  de vue de R .  Onénon  en comparant  se»

écrit» à l 'ouvrage précité de l ' indianiste et théologien allemand R. Otto, ou

vrage qui parut environ en même tempe que   La Crise da  Monde moderne.

di t ionnel , à condi t ion de lui appl iquer convenablement l es

principes des correspondances , de l ' ident i f ica t ion par la

connaissance, de l 'Unité e t de l'Infini , et de s'affranchir du

rat ional isme qui

 Vêtait

  emparé de la scolast ique ; e t ce la

re s s embl e ,

  mutatis mutandis,

  à ce que fera

  G u e n o n .

  Le car

dinal de Cuse oppose à la connaissance ra t ionnel l e , dominée

par l e principe de contradic t ion, la connaissance inte l l ec

tue l l e ou intui t ion, que régi t le principe de la « co ïncidence

des opposés  » ; sa «  mathématiqu e inte l lec tue l l e » ou art des

« t ransm utat ions géométriques » e t sa not ion du passage à

la l imite — qui pre ndra tant d' importance chez R. G ué-

non — sont plus proches que l es écri ts médiévaux du

  Sym

bolisme de la Croix

  e t d e s

  Principes du Calcul infinitésimal.

G. Bruno a spi re à une «  phi losophie tota le » qu' i l ra t tache à

la « re l igion égypt ienne » e t où l 'homme connaî t que D ieu

e st   «  plus intérieur à lui que lui -même ne pe ut l ' ê t re ». Nous

re t rouvons donc , du  x iv

6

  au  x v i

e

  sièc le , ce contraste du

tradi t ionnel e t de l ' ant i t radi t ionnel qui marque la période

romantique , mais tandis que l es t radi t ional ist es cherchaient

l e principe de l eur synthèse dans un re tour  «  en profondeur »

au x  vérités originelles, les platoniciens de la Renaissance

—•  semblables en ce la aux inte l l ec tue ls dont s ' entourai t  dans

l ' Inde, à. la  même  époque , l 'empe reur Akba r — l e che rchent

pe ut-ê t re d avantage dans l e sens de 1' « ampleur », e t l 'on

pourra i t di re que l 'œuvre de   Guenon  fond en une seule ces

deux perspect ives complémenta ires .

Quant au moyen âge , i l sera i t vain d'y chercher une for

mulat ion didact ique des véri tés spiri tue l l es comparables  à

c e l l e de René  G u e n on ,  c ' est -à-dire indépendante de la pers

pect ive monothéiste . A que l besoin ce la aura i t- i l pu répondre

à

  une

  époque où les révélations à forme religieuse offraient

aux aspira t ions métaphysiques l es plus é levées de quoi se

réaliser intégraleme nt ? C' est d 'a i ll eurs préciséme nt par ce t t e

autonomie t radi t ionnel l e , par ce t t e co ïncidence de fa i t

• entre la Tradi t ion primordia le e t chacun de ses t rois aspects

286

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

monothéistes , que l e visage intérieur de   l'Occident  é ta i t

C OMMENT SITUER L 'ŒUV R E DE

  RENÉ GUENON

  2 8 7

Le point principal où les deux maîtres paraissent différer

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alors pius proche que jamais de ce lui de  l'Orient,  si proche

que tou t contact « horizonta l  » en tre l 'un e t l ' autre e ût é té

superflu  e t  même  nui s ib l e , à moins de demeure r purement

ésotérique e t caché. I l est bien vra i que toutes l es formes.

t radi t ionnel l es de l 'humanité convergent dans l e même

Principe , mais il n ' est pas nécessa ire d' e n pre ndre conscience

pour accéder aux é ta ts supra- individuels de l ' ê t re .

Aussi faut- i l remonter jusqu'à la précédente grande crise

de la civilisation occidentale, jusqu'à ce troisième siècle

  où

l e christianisme s 'apprêta i t à s 'é tabl i r sur l es ruines de l ' em

pire romain, pour rencontrer des exposés métaphysiques

détachés d'une voie de réa l isa t ion part icul ière . Nous pen

sons en effet que c 'est dans les

  Ennéades

  de Plot in,  plus

encore que chez l es auteurs c i tés précédemment , que règne

le climat intellectuel le plus voisin de celui de l 'oeuvre gué-

nonienne . On t rouve la plupart des idées centra les de ce t t e

dernière chez l e maî t re du néopla tonisme , qui é ta i t de   .filia

t ion pythagoricienne e t n ' ignorait pas l es doctrines hindoues ,

mais sut s'affranchir du syncrétisme alexandrin : une pers

pect ive métaphysique dépassant l 'ontologie ; l' idée de la

réalisation par la connaissance ; les états de l 'être conçus

comme simultanés e t para l lè les aux degrés de l 'Existence

Universelle  ; la correspondance const i tut ive du microcosme

et du macrocosme ; la. doctrine de la  transmigration  et celle

des

  cycles cosmiques ; la critique du rationalisme, du mora

l isme e t des rêveries doctrinales des

 «

 occultistes

  »

 d'alors :

les gnostiques, les astrologues et les magiciens. Plotin a fait

pour le platonisme, à certains égards, ce qu'a fait pour l 'hin

douisme  Fauteur  de   L'Hom me et son devenir selon le Vê-

iânta,  e t l 'on a d'a i l l eurs re l evé à juste t i t re la ressemblance

des  hypostases  plotiniennes  avec l es degrés de l 'Existence

dans  l es doctrines de FIn.de   (i).

1. Emile   Bréhler  pense que la source de ce qu' i l appel le " l 'oriental isme

ie Plotin  » doi t être cherchée " plus loin  que

  l'Orient

  proche de la Grèce ,

jusque

  dans les spéculat ions re l ig ieuses de l ' Inde. . . „  {La  Philotophit  de

Plotin,  p .

  IIS).

est ce lui du rôle des ri t es . Ceux-ci n'ont pour Plot in qu'une

fonction négative : ils nous

 «

 désensorce l l ent

  »

  des influences

maléfiques qui

  «

  ha n t e n t

  »

  l e monde en t i e r , ma i s deme urent

sans effe t dans l e domaine de la pure contemplat ion. La

notion de rites initiatiques au sens d'élément positif de la

réalisation spirituelle semble dès lors lui être étrangère.

Toutefois , ce t t e divergence se révèle moins profonde si l 'on

tien t comp te de l 'affinité e ntre les « sortilèges  »  plot iniens

e t la  Mâyâ  hindoue e t du fa i t que R.  Guenon  a faite sienne

l ' idée shankarienne qu'aucun ri t e ne condui t à la connais

sance , s i bien qu' i l s 'accorde avec Plot in pour reconnaî t re

que l ' e f fe t d 'un ri t e , consistant à écarter un obstacle , es t

essent i e l l ement   négatif.  D 'autre part , sans vouloir aucune

ment diminuer l 'œuvre t rès grande e t admirable de Plot in,

qui vivai t à une époque ne disposant pas de nos moyens

d' information, on peut reconnaî t re à R.  Guenon  l e méri t e

d'avoir ramen é toutes l es t radi t ions de l 'human ité à un point

de vue qui l es rassemble sans l es amoindri r parce qu' i l l es

écla i re de l ' intérieur. Sans son œuvre , la rencontre spiri

tue l l e de

 l'Orient

  e t de l 'Occident n'aura i t pas encore t rouvé

le niveau inte l l ec tue l qui lui correspond.

L'énorme inf luence de l 'œuvre de Plot in, véri table t es

tament de l ' ant iqui té , a é té plus rée l l e qu'apparente e t

demeura longtemps indirec te . Ce n' est guère qu'aujourd'hui

que l 'on mesure ce que lui doivent l es pères grecs e t l es

maîtres soufis, les scolastiques et les « dionysiens » •— no tam

me nt M aî tre Eckhar t —, l 'hermét isme e t d 'une façon géné

ra le tous l es représentants de la

  philosophia perennis.

  Ce

rôle , nous l ' a t t ribuons n otamm en t au fa i t que ce « vision

naire » dépourvu d'orgue i l messianique a su exprime r une

doctrine essent i e l l ement

  «

  platonicienne

  »

  avec une précision

et une objec t ivi té d'a l lure

  1

 aristotélicien ne », ce qui ren d

son style à la fois impersonnel e t intense , t ransparent e t

pénétrant , e t s i tue son ense ignement sur un plan où la

«  théorie » métaphysique re joint e n quelque sorte di rec te-

288

ÉTUDES TRADITIONNELLES

me nt la « conte mplation », conformément d'ailleurs au sens

originel du mot théorie. Ce trait nous paraît être aussi celui

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des écr i ts de R. G uenon. Leur le cture aboli t l es cloisons

étanches que cer taines méthodes d ' instruct ion occidentales

ér igent entre le  « su rna tu r e l »  et le « nature l ». L'action fécon

dante e t vivif iante des enseignements de celui qui  « ne r ec e

vai t que de s int imes » deme urera

  sans

  doute , e l le aussi ,

plus cachée que visible , mais e l le n ' en sera que plus pro

fonde. Nombreux sont les théologiens, l es philosophes e t

les hommes de le t t res qui s ' en inspirent sans les ci ter . Et i l

y a , en dehors de ceux qui acceptent toute son œuvre sans

réserve , l e nombre beaucoup plus considérable des intel lec

tuels qui , déroutés par le monde mode rne où i ls ne croyaient

plus

  possible d' « aime r D ieu ave c l 'intelligence », ébranlés

dans leur foi par la coexistence de révélations également

authentiques e t qui leur semblaient s ' exclure ou se contre

di re ,   doivent à René  Guenon  d'avoir compris une fois pour

toutes que ce qu ' i ls appelaient  «  D i e u  » a de s dimensions  ea

profondeur , une r ichesse , une réal i té e t une « valeur » uni

versel les dont i ls ne se faisaient aucune idée.

J e a n  THAMAR .

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QUEfi m  JES  REM ARQUES»

A PROPOS

DE L ŒUVRE

  DE RENÉ GUENON

(1)

A v a n t - p r o p o s

L

A Crise mondiale actuel le , e nvisagée au point de vue

des énergies cosmiques qui y manifestent leur act ion,

comporte , entre autres caractér ist iques, un déploiement

croissant  de ce Pouvoir de suggestion et d'illusion que les

théologiens catholiques appel lent « le D iable » (2) .

D'ai l leurs ,

  il

  n ' est pas surprenant pour nous que ce Pou

voir exe rce son act ion, même dans les domaines d 'où i l sem

blerai t qu ' i l dût être le mieux exclu , puisque nous savons

depuis des siècles , e t même l i t téralement depuis des mil lé

naires que la pér iode précédant le t jugement dernier  » doit

voir le t r iomphe extér ieur apparent de ce Pouvoir , qui

d'ailleurs aura par là-même réalisé les conditions de sa

propre ruine.

Nous n 'avons pas l ' intent ion de nous occuper de toutes

les manife stations de ce tte activité, à laquelle il es t déjà

suffisamment difficile de résister afin de ne pas recevoir sa

marque et son. signe sur le front  ou  sur la  main  (3), mais il

1. Cotte   étude nom a é t é adr e ssé e  en 1844 par on  l ec t eur

  de * Etuttes

  Tra

ditionnelles  qui a eu l 'occasion de

 contacts

 directs avec diverses écoles orien

tale* . A cet te époque  — où nous n'avions pas de communicat ions avec Re né

Guenon —

  ce* cri t iques de certains points importants de l 'œuvre de René

Ouénon s'étaient  manifestées  de la part de ce rtains Hindous plus ou moins

occidentalisés et  de   leira  disciples européens, notamment  en ce qui con

cerne la * réincarnat ion ». Les circonstances n'ont pas permis alors la

publicat ion d« cet te étude, mais el le   noms  paraî t ne r ien avoir  pertfu de

»oa intérêt ave c

  le

 t emps  (Note de Jean Reuor).

2 .  Nous visons  ici  tout ce  q«e  R ené  Gûénon  a eu en vu® dans la rédac

tion du Chapitre X et de la conclusion de   L'Errtur Spirite,  t ex t e s  atisquefa

nous prions de se reporter .

9.   Apocalypse,  XIII, 18 et

  17 ;

 XIV, 9 à  13.

2 9 0

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

est certa ins domaines où nous ne pouvons nous abstenir

d' intervenir ,   non  pas mû par un désir personnel d'action

R EMAR QUES SUR   L'f£UVRE  D E R E N É

  GUENON 20,1

i l é ta i t nécessa ire , e t par conséquent inévi table , qu e fussent

exprimées en Occident (où siège extérieure me nt la puissance

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extérieure , mais par souci de véri té .

C' est a insi que ce rta ins fa its récents , qui me t tent en cause

e t en quest ion l 'œuvre e t la personnal i té de René   Guenon ,

nous font une obl igat ion de préciser certa ins points de doc

t rine ou de fa i t , puisque l es c i rconstances extérieures ex

c luent une intervent ion matérie l l e de l ' intéressé .

P o r t é e e t  caractère  d e l ' œ u v r e d e R e n é  Guenon

1.

  — Tout exposé inte l l ec tue l , dans quelque domaine que

ce soi t , const i tue , puisqu' i l es t manifesté au dehors , une

véritable « action », qui s'encadre dans le deve nir cosm ique;

engendrant dans l e développement de l ' espèce humaine des

séries indéfinies de conséquences, d' importance d'ailleurs

fort inégales suivant les cas.

Cet t e « ac t ion », comme te l l e , s ' exe rce donc évidemm ent

en accord avec les conditions logiques e t ontologiques de ce

deve nir , e t par sui te , un t e l exposé cont ient ple ineme nt , e t

cont ient seulem ent , ce qui correspond à la place cosmolo

gique où se situe l ' individualité dont l 'organe me ntal assume

la tâche d' exprimer extérieurement ce qui fa i t l 'obje t de

l ' exposé . C' est là un des aspects de ce que l 'on peut  nommer

la fonction cosmique de l ' individu envisagé dan s la M ani

festa t ion Universe l l e .

2 .  — L 'œ u vr e d e R e né  G u e n o n ,  examinée de ce point de

vue ,

  est essent i e l l ement consacrée à une exposi t ion correc te

de la M étaphysique pure , e t l es aspects cosmologiques , bio

logiques e t pra t iques de la Doctrine , n 'y sont envisagés

qu'accessoirem ent , e t dans la s t ricte l imite où i l é ta i t néces

sa ire d' en esquisser l e ra t tachement normal aux principes

métaphysiques dont ces aspects subordonnés re lèvent .

C' est qu' en l ' é ta t ac tue l du devenir de l ' espèce humaine .

matérie l l e ) d 'une manière précise e t ne la issant pas de place

à des erreurs plus ou moins volonta ires , l es données fonda

me nta les de la Connaissance M étaphysique pure , de t e l l e

sorte que dans la crise présente e t ce l l es qui vont suivre , i l

soi t possible à tous l es homme s disposant d'un « inte l l ec t

sain » e t d 'une véri table  «  bonne volonté  »  de vérifier si telle

ou t e l l e ac t ivi té extérieure é ta i t , ou n'é ta i t pas , en accord

avec ces données.

La place cosmologique occupée par René

  Guenon

  corres

pondait précisément à cette fonction.

3.  •—

  I l résul te d 'a i l l eurs de la nature comme de la forme

des exposés de René

  G u e n o n ,

  que ceux-ci ne peuvent ê t re

détournés de l eur véri table sens par l es esc laves de l 'Anté

christ , et utilisés ainsi par la Contre-Initiation, car, comme

l 'écrivai t justement René

  Guenon

  lui-même en parlant du

Diable

  (i),

 « il n'y

  a

  qu'un domaine qui lui soi t rigoureuse

ment

  interdi t , e t c ' es t ce lui de la métaphysique pure ».

Tout au contra i re , i l es t toujours possible d'ut i l i ser une

doctrine cosmologique pour des f ins quelconques , e t même

opposées , e t c ' es t a insi que , par exemple , des groupes

d'homme s « plus ou moins bien ou  mal  inspirés », ont pu se

servir e t se réc lamer des écri ts de Sa int-Yves  d'Alveydre,

tandis que dans l e cas de René   Guenon ,  ceux, qui sont  « mal

inspirés  »  se trouvent forcés de s' inscrire en faux contre son

œuvre e t de se met t re en opposi t ion avec e l l e .

II

R e n é  Guenon  e t l e s  Or i entaux  o c c i d e n t a l i s é s

1. —  La  fonction cosmique qui  s'est  a insi exprimée au

moyen d e R e né Guenon e t que nous pouvons désigner comme

1 .  L Errtur

  «j iM i ,

  p. S14.

2 9 2

.ÉTUDES  TR ADITIONNELLES

étant

  1' « Initiation » (précisément au sens

  oosmologique

  de

ce dernier mot) ,

  a

  de ce t t e manière assuré

  un contre-poids

R EMAR QUES SUR L 'ŒUV R E DE  SÉNÉ GUENON  2 9 3

Ainsi, il est nécessaire d'affirmer, si désagréable que cela

puisse ê t re à certa ins , que l es Orientaux qui ont pré tendu

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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efficace aux conséquences de l 'action  poursuivie  e n  sens

inverse pour détruire partout ( e t spécia lement en Orient

où e l l e subsista i t encore) , la s t ructure   «  régulière  » des socié

tés humaines , en fa isant perdre de vue l es concept ions méta

physiques sur l esquel l es repose ce t t e s t ructure régul ière ,

ou en altérant la compréhension de ces conceptions.

2 .  — En effe t , depuis l ' insta l la t ion des Européens en

Orient , un effort immense e t t enace  s'est  exercé sans t rêve ,

sous l ' influence des dirigeants secrets du monde occidental ,

pour obtenir que la menta l i té des peuples  d'Orient  soit ,

— autan t qu' i l se pourra i t — détachée de s formes t radi t ion

nel l es légi t imes dont i l s re l evaient , a f in que l e renversement

des valeurs réelles, qui caractérise la mentalité occidentale

moderne , puisse ê t re é tendu à l ' ensemble de l 'humanité

terrest re , ce qui est une des marques e t des condi t ions qui

doivent être réalisées vers la fin du cycle actuel.

Nous avons ici l 'occasion d'insister sur le fait , que l 'exten

sion à toute l 'humanité de ce processus, différencie profon

dément la crise actuelle de toutes les autres crises analogues

déjà trave rsées au cours des âges dits « historiques », et

qu'a insi se t rouve mis , en valeur son caractère spécia l de

préparat ion immédiate au  « Jugem ent dernier », pour em

ployer le langage du Christianisme.

3.

  — Quoi qu'il en soit de ce dernier point, il est de fait

que presque tout — nous disons bien presque tout — ce qui

a  été fait  en  Orient  (1)  pour rapprocher  l'Orient  et l'Occi

dent , a eu en réal i té pour obje t de subst i tuer aux concep

t ions propres des doctrines orienta les , l es « concept ions

inte l lec tue l l es » du monde occidenta l mode rne , e n rev êtant

ces dernières d'un voi le ou d'une t e rminologie propres à en

masque r  la  véri table nature .

1.

  Qu'il s'agisse de l 'Inde, de la Chine ou même de  l'IsMm.

mettre l es doctrines orienta les à la portée des Occidentaux,

n'ont en fa i t , é té que l es missionnaires de l 'Occident . Ces

gens, Orientaux occidentalisés en fait , n'ont.pu  e t ne peuvent

qu'abuser ceux qui l eur  accordent  une confiance qu'ils ne

méri t ent en aucune façon, e t la supposi t ion la plus favo

rable   qu'on  puisse fa i re en l eur faveur, est qu' imprégnés à

leur insu des influences occidentales qu'ils ont subies incons

ciemment,  i l s s 'abusent eux-mêmes en abusant l es autres .

I l est , à ce t égard, certa ins cri tères qui ne t rompent pas ,

comme par e xemple l ' emploi du substant i f « t e D ivin  »  qui ,

inconnu de

  l'Orient

  e t emprunté au

  piétisme

  pro t e s t ant -

anglo-saxon  (i),  const i tue l 'une de ces marque s d'ant i t ra-

di t ional isme e t de fa iblesse inte l l ec tue l l e que nous ayons en

vue. Nous visons ic i en part icul i er certa ins t extes publ iés

sous l e patronyme de

 Shrî

  Aurobindo, sans vouloir d'ailleurs,

faute de documentat ion suff isante , porter un  jugement

quelconque sur ce t t e personnal i té e l l e -même, e t sur son

act ion, ce qui exigera i t de nombreuses précisions e t dis

t inct ions , e t en somme   Un  t ravai l que nous ne pouvons

ac tue l l ement en t r eprendre . Nous aur ions de s r emarques

analogues à présenter à propos de certa ines t raduct ions

commentées de t extes thibéta ins , d 'une lamentable médio

cri té inte l l ec tue l l e .

4.   — Plus précisément , nous devons a joute r encore que

le

  processus

  par l equel des Hindous, se réc lamant

  de -

 S r i

Ramâkrishna , vienne nt en. Occident exposer un V êdânta

très ne t t e me nt occidenta l isé , re lève en- fa it de s manœ uvres

par l esquel l es en s ' e fforce de donne r  aux  Occidentaux l ' i llu

sion qu' i l s pénètre nt dans , l e domaine de l ' Ini t ia t ion, e t aussi

qu ' i l s en t r en t dans l e champ de s  coiœaaiissances  conservées

1.

  Nous tenons a  préciser que noua constatons un fait, et que si ce fait

concern*   l e » *  Angio-sasona, ,  oeta

 » **etat

  pua  di*  tout  qa»

  l'action,

  te La

contre-ini t iat ion  prenne  appui , suivant les circonstances, sur tout autre

peuple de la Tarre. Nous ne pouvons développer ici l es  considérations qui

ae rattach«a4 à-eet#rdr&  te question©..

294

ÉTUDES TRADITIONNELLES

en Orient , a lors qu' e n réali té i l s deme urent , malgré l es appa

rences , dans l e domaine menta l contrôlé é t roi t ement par

REMARQUES SUR L ŒUVRE DE RENÉ

  GUENON 29 5

de   l'Orient,  ou du moins l es approches de ces chemins.

Il

 s'agit

  là

 d'un

  processus analogue , à ce lui par l equel , en

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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l es véri tables di rigeants des peuples occidentaux qui domi

n e n t  extériettrement,  par force ou par ruse , l es peuples

d'Orient.

Bien plus , en Orient même, l es di rigeants des entreprises

pseudo-orienta les que nous avons en vue ont pour tâche

rée l l e , quel l es que soient l eurs pré tent ions e t l eurs i l lusions ,

de répandre parmi l es Orientaux  mêmej dans toute la mesure

où cela est possible, la

  mentalïtéanti-traditionnelle

 à laque lle

nous avons fait allusion plus haut. Qu'on le veuille ou non,

tout ceci se s i tue dans l e cadre des ac t ivi tés que nous avons

visées  en 2 , c i -dessus.

5 .  — Par contre , i l existe en Occident des t races notables

d'un effort proprement dirigé en vue de rendre possible une

préparation intellectuelle à la connaissance effective des

•doctrines

  traditionnelles, et nous visons ici spécialement

d'une part l es t raduct ions de M ohyiddin-Ibn-Arabi , parues

dans la revue

 «

  La Gnose

 » (1),

  e t d 'autre part certa ines t ra

duct ions de t extes orientaux publ iées par l ' école be lge ; la

formation inte l l ec tue l l e ca thol ique des auteu rs de ces der

nières traductions les ayant préservés (malgré les limita

tions auxquelles ils étaient intellectuellement sujets) de

prendre une direc t ion ant i - t radi t ionnel l e .

6. — Il serait  cependant  erroné de ne pas a jouter aux

affirmations  qui précèdent une contre-part i e indispensable ,

en notant que l ' ac t ivi té ant i - t radi t ionnel l e , qui s ' exerce

dans l es. entreprises pseudo-orienta les , que nous avons

visées, a par contre pour effet de préparer l 'unification spi

ri tue l l e de l 'humanité , en habi tuant des ca tégories nom

breuses d'ê t res humains aux formes de langage e t aux sym

boles que revêtent les doctrines orie ntales, et aussi en ou

vrant à

 leur

 sensibilité (à défaut de le ur intellect) les chemins

1. Et réimprimas  dsns le   Voile d hit. — Btudt* TraditionntUti:

Occident, les activités pseudo-traditionnelles (donc en réalité

anti-traditionnelles)  des mil i eux  néo-spiritualistes  (occul-

t is t es en tê te) about issent à conduire certa ins vers des voies

intellectuelles  dont sans cela ils n'auraient pas songé à

rechercher l ' ent rée .

Le danger que nous signalons sera i t donc de s 'a t tarder

dans ces direc t ions défec tueuses ou de l eur a t t ribuer une

por t é e e t

  une

  signification qu'elles n'ont pas.

Pour adopter un langage employé quelquefois , on peut

dire que l es diverses écoles ou groupes que nous cri t iquons

durement , re lèvent , à certa ins

 points

  de vue , de ce processus

qui , dans l ' Ini t ia t ion, est appelé  «  descente aux enfers », de

sorte qu' envisagés d'un point de vue beaucoup plus général ,

i ls s 'encadre nt d ans l 'harmonie tota le de la M anifesta t ion

Universe l l e e t jouent , à l eur place , l e rôl e qui convient , en

vue de la réalisation des conditions qui marqueront la fin

du Kali-Ytiga.

y. — Ce que nous t enions donc essent i e l l ement à préciser

ici,  c ' est avant tout la place rée l l e de toutes ces manifesta

tions par lesqu elles on « occidentalise

 l'Orient

  », e t par l es

quel l es on i l lusionne l es Occidentaux qui recherchent l es

*

 Clefs de

 l'Orient

 ».

Nous voul ions aussi préciser que chacun peut se s i tuer

lui-même par rapport aux diverses voies possibles , d 'après

le choix qu'il fait entre

  un

  Occidental orientalisé comme

René G uenon, e t un Orienta i occidenta l isé , [comme ceux

que nous visons.

III

R e n é

  Guenon

  e t l a réa l i sa t ion métaphys ique

1.

  — Il est assez f rappant de consta ter que la plupart des

Occidentaux qui ont é té a t t i rés par l 'œuvre de René Gué-

2 9

6

ÉTUDES TRADITIONNELLES

non, e t qui se croient s incèrement «  gtiénoniens  », mani

festent une t rès vive  impatience d'être nais  en possession d e

«  procédés de réalisation, », et qu'ils manifestent  une c e r t a ine

REMARQUES SUR L'ŒUVRE DE

  RENÉ GUENON 297

l 'on peut trouver un accès à la Connaissance effective com

portant la réa l isa t ion des é ta ts d' existence dans l es deux

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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déception,  du  fa i t que René  Guenon a  sys t éma t iquement

la issé de cô té ce point  dont  l ' importance est évidente .

Or, c ' es t e n ra ison de condi t ions t rès générales , auxquel l es

i l n ' est au pouvoir de personne de se dérober , que René

Guenon

 s'est

  tu sur ce point . Nous ne pouvons t ra i t e r , même

sticcintenient,  une t e l l e quest ion, qui exigera i t une mise   au

point excédant de beaucoup les

  limites

  d'une courte note ;

mais il es t cepe ndant possible d' e n cherche r certa ins aspects ,

plus part icul ièrement en rapport avec l es c i rconstances qui

nous ont amené à écri re ces quelques pages.

2 .  — Tout d'abord, i l es t nécessa ire de soul igner que l 'on

ne

 pa.it

  échapper à l ' impression, que , lorsque des Occiden

taux parlent de  « procédés de réalisation », i l s ont en vue une

so r t e de « r e cue i l de r e c e t t e s » t e l le s qu ' en l e s me t t ant  en

œuvre d'une manière régul ière , systématique e t progres

sive, sous la conduite d'un bon professeur, il s'en suivrait

un avancement régul ier dans l e chemin qui condui t de

l 'é ta t de profane à ce lui de D él ivré . D ans ce t t e conce pt ion,

la « t ransmission ini t ia t ique » sera i t une sorte de ri t e p ré l i

minaire , moyennant l equel se produira i t

  Une transformation

de la biologie du récipiendaire, assurant le

  déroutement

  du

processus dont nous parlons.

3.

 — Sans doute , ce t t e manière de se représente r l es choses

n' est pas formulée d'une manière aussi schématique , qui

apparaî t ra i t à certa ins égards un peu t rop na ïve ; mai»

cependant , inconsciemment , la plupart des Occidentaux se

représente l e processus ini t ia t ique d'une manière assez ana

logue à ce ll e que nous ve nons de décri re .

Or, il faut bien dire que cette description très générale

ment répandue no correspond pas , s i on la  schématise  ainsi ,

à la réa l i té e t ce n' est point par une t e l l e représenta t ion que

sens de l ' ampleur e t de l ' exal ta t ion, puis de Ce qui est

m  de là des é ta ts d' existence .

La  description

  — (et non la définition) — correcte de ce

processus exige des développements assez é tendus pour ê t re

inte l l ig ibles , e t nous ne pouvons songer à présenter ac tue l

l ement ces développements. Aussi nous bornerons-nous à

présenter une analogie e mprun tée à un processus assez com

parable , bien que re l evant d'un domaine différent , nous

voulons dire l e domaine re l ig ieux, qui , malgré l es caracté

r i s t i que s du t emps pré s ent , demeure encore r e l a t ivement

assez familier à beaucoup  d'Occidentaux.

4.  — D ans l'ordre d' idées e t de réa l ités auquel correspond

la «  re l ig ion », l e but proposé à l 'individu se présente comme

«  le salut », la « vie éterne lle », la « sainte té », chacune de

ces désignat ions correspondant d'a i l l eurs à des aspects

différents de la réalité dont il

 s'agit.

Or, l e « sacreme nt du baptême », par l equel on de vient

chrét i en est bien une condi t ion nécessa ire   (1)  pour appa r t e

nir au Corps de l 'Eglise, et par suite pour bénéficier en prin

c ipe de s possibil i tés inhérentes à l ' é ta t de Chrét i en.

M a is ,

  d'une part , i l peut ê t re suppléé au baptême pour

tous ceux qui dans la pléni tude de l eur vouloir , dési rent

parfa i t ement , sans aucun mélange de f raude interne , accom

pl ir ce qui est ou ce qu' i l s croient ê t re la volonté de D ieu.

D 'autre p art , la possession d'un bon ense ignem ent con

cernant la doctrine chré ti enne , e t la soumission aux direc

t ions d'un prê tre par l equel on a é té bapt isé ,

  ou

  de l 'un de

ses confrères ne peuvent à aucun degré garant i r la conquête

de  ra « sainteté ».

1.

 Il est di t " nécessaire de  nécessité die moyen relat ive , c ' est -à-dire qu' i l

est nécessaire dans la

  court ordiaaira

  de s

  cJboaes

  mai» qu' i l peut y être

suppléé par d'autres moyens quand

  certaines

 condit ions part icul ière * sont

,s

.

  É T U D E S  TRADITIONNELLES

5 .  — D e m ême , il faut affirmer :

a)

  Que la possession d'un corps de doctrines théoriques

REMARQUES

  S U R L ' Œ U V R E D E R E N É

  GUENON 29 9

groupes énergét iques e t de modal i tés biologiques , dans

l 'ordre des réalisations cosmologiques dont il

 s'agit

  ici.

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«t  pra t iques (ou t echniques) comportant des méthodes

efficaces (en principe) pour la conquête des états d'existence

supérieurs , ne const i tue pas par e l l e -même une condi t ion

suffisante pour réaliser la possession effective de ces états,

e t encore bien moins pour a t t e indre Ce qui est au de là de

tous l es é ta ts d' existence .

b)   Qu' i l faut, outre ce t t e possession, en que lque sorte

•extérieure, un ensemble de qualifications internes, que l 'on

apporte avec soi en ve nant dans ce monde , mais qui ne déve

loppent effec t ivement l eurs effe ts que dans la mesure où l es

ensembles de causal i tés internes inhérentes à la série de

l ' individualité envisagée, e t de causalités cosmiques ou e x.

ternes qui se déploient de façon concomitante et rigoureuse

ment corré la t ive , permet tent la manifesta t ion effec t ive de

ces possibilités au cours de l 'existence humaine considérée.

c) Parmi ces ensembles de conditions causales, la récep

tion de certains rites spéciaux, constitue une nécessité habi

tuelle , en ce sens que ces rites amènent la participation (au

moins en principe e t vi rtue l l ement) à certa ins groupes

d'énergies subt i l es e t spiritue l l es en rapp ort avec ce rta ines de s

modalités (en nombre d'ailleurs indéfiniment indéfini) dont

est suscept ible la biologie de l ' espèce humaine prise dans

toute son extension.

Par ce t t e récept ion est donc ouverte en principe une voie

permettant

  une extension individuel l e en rapport avec

toute l ' extension dont sont suscept ibles l es formes , énergies ,

ou modalités biologiques  dont  il

 s'agit.

Prise dans toute la généralité dont elle est susceptible,

ce t t e not ion conduit à l ' Ini t ia t ion aux Pe t i ts M ystères

about issant à la « rest i tut ion de l 'Eta t Primordia l

  »

 (la

  cîef

d ' a rg ent de Dant e ,  Purgatoire, Paradis).

i)

  I l y a nature l l ement ic i plura l i té de ri t es , e t même

indéfinie pluralité,  coinme  il  y  a pluralité de formes, de

Aussi  existe-t-il  de nombreuses lignées initiatiques diffé

rentes l es unes des autres , avec des ri t es qui correspondent

à ces différences. C'est seulement à la pleine réalisation de

l 'Eta t Primordia l , c ' es t -à-dire de la pléni tude de toute

l ' extension de s possibi l ités incluses dans l 'Eta t humain, que

ces différences cessent d'exister.

D 'ailleurs, si l 'on considère le processus initiatique dans

son ense mble , ju squ 'à la re stitution do nt nous parlons, il

faut di re , adoptant l e symbolisme de D ante , que la clef

avec laquel l e a é té ouverte la Porte Sa inte est détenue par

un « Ange » quels que soient d'a i l leurs l e s homme s par l es

que ls ,  s'est

  exprimée l 'action qui a amené la réalisation de

ce processus.

D 'autr e pa rt , ni la réception d'un rite , ni la possession

d'une t echnique (dans son expression par des mots qui par

défini tion ne peu ven t excéder l es l imites du me nta l) ne garan

t issent un acheminement régul ier dans la voie de   fia  réa

lisation effective de la Connaissance. En fait , comme le

disa i t un ri tue l mart iniste (que sans doute nous interpré tons

dans un sens plus plein que celui-là même qui l 'écrivit) :

« C' est de toi -même, dans tout ton isoleme nt , que tu dois

tirer le principe de ton avancement ». C'est-à-dire que la

réalisation, étant œuvre interne, qui s'accomplit dans [et

par l 'Unité, ne peut être effectuée que par cet effort intérieur

où l ' approfondissement de l 'Uni té interne s 'accompagne de

l 'expansion indéfinie dans son ordre, des possibilités de l 'être

humain.

e)

  Au delà de la. restitution de l 'État Primordial et de

l 'ouverture des G rands M ystères ave c la clef d'or (D ante) ,

il n'est plus question des distinctions qui précèdent, pas plus

d'a i l l eurs

 que des rites au sens que nous voulons seul envisager ici.

f)  Ainsi que l ' indique expl ic i t ement René  Guenon dans

  < x >

ETUDES TR ADITIONNELLES

divers passages  (i),  l es ri t es const i tuent une a ide e t un point,

d'appui normal , mais non pas une condi t ion   strictement

indispensable . D 'a i ll eurs comme l 'affi rme de son côté l e

R EMAR QUES SUR L 'ŒUV R E D E R ENÉ  GUENON 30 I

«jsrtre  autres champs de manifesta t ion, des ac t ivi tés dans l es

domaines inte l l ec tue ls , pol i t iques , re l ig ieux, économiques ,

e t c . , e t c . .

  (1)

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t ra i té de M ohyiddîn  Ibn AraM  sur l es

  Cctfégwies

 de

  l Ini-

tiaUon,  i l a existé , i l existe , i l existera des Sol i ta i res qui ne

re lèvent pas de la hiérarchie qui about i t à  «  l 'Apogée Spiri

tue l l e », mais direc tement de ce t espri t , dont

  El-Khidr

  est

l 'expression dans la formulation musulmane de la Tradi t ion,

e t dont l es équivalents , quoique moins connus, sont égale

ment ment ionnés dans l es autres formes t radi t ionnel l es .

g) Enfin, pour en t e rminer avec ce qui a t ra i t à ce t ordre

de quest ions , i l convient de soul igner que la rencontre de

détente urs de l' ense ignem ent t radi t ionne l , c' es t -à-dire d' in

dividualités rattachées sous une forme ou sous une autre- à

une organisation gardant un contact effectif avec le Centre

du M onde const i tue pour ce lui auquel pare i l le chose arrive

le témoignage qu'il parvient à l 'entrée du Chemin, alors-

même que des condi t ions diverses s 'opposent à   Une  réalisa

tion effective de s possibilités correspo ndante s. D 'ailleurs

si dans ce domaine toute impat ience sera i t un obstacle à

l'avancement

  spiri tue l , par contre l es e fforts internes

  même

s'ils  ne produisent pas d' e ffe t extérieur engendrent cepen

dant l es germes , ou l es possibi l i tés , qui se développeront

tout nature l l ement au

  moment

  opportun.

6. — Nous a jouterons encore  vm  r emarque qui ,  sajos

doute , agréera peu

  à

  certa ins , mais , qui ,

  précisément»

  est

opportune en ra ison même de ce t e f fe t .

Les débuts du processus initiatique, ont en réalité polir

résultat d'ouvrir dans l ' individu humain des voies par les

quel l es i l entre en rapport conscient ou noa. avec   ka  puis

sances cosmologiques que nous venons d'envisager au cours

du paragraphe 5. Ces  puissances  pré s ent ent  évidemment,

1.

  Pa r  exemple  dans l Introduction  générale  à  Vltude  des doctrines hin

dou»,p.

  159

 e t  Orient et Occident, P. 229 et 230 de la

 l

r

*

  édition, le» restric

tion»

 formulée»

  dan» I»

 d e r n i e r

 passage

  visent

  BOB

 M *

 le»

  rite*,mai* I'En-

•etgaement

  t radi t ionnel lement

 organisé •

I l y a donc dans ce domaine , comme dans ce lui des « pou

voirs » deu x dangers à évi ter. Le prem ier sera i t de mécon

naî t re la réa l i té de ces l iens , e t , sous pré texte d' indifférence

pou r « l e point de vue cosmologique », de de venir l ' esc lave

inconscient  du système complexe d'ac t ions e t de réact ions

auquel nous fa isons a l lusion ic i , e t dans l equel l e ra t tache

ment à une organisa t ion quel l e qu' e l l e soi t comporte inévi

tablement une part ic ipat ion.

Nous voulons dire t rès expl ic i t ement que la forme même

d'une organisat ion : juda ïq ue , maçonnique , chré t i enne ,

musulmane , hindoue , lamaïste , tao ïst e , e tc . , ent ra îne pour

celui qui s 'y t rouve des l ia isons avec l e rôl e inte l l ec tue l ,

pol i t ique , économique , e tc . , de la Forme dont i l  s'agit,  dans

la biologie générale de l 'espèce humaine.

Le second danger sera i t au contra i re d'accepter la servi

tude inhérente à ces l i ens , avec l es l imita t ions qu' e l l e

  com

po r t e ,  ce '  qui entra înera i t des dangers aussi graves , bien

que d'une nature différente , que ceux a t tachés à la recherche

des « pouvoirs » pour e ux-mêmes. Le processus ini t ia t ique

comporte en effet la reconnaissance effective des liens dont

il s'agit,  a insi que la déterm inat ion des fonctions respe ct ives

des diverses formes , e t l 'ouverture du chemin par l equel

en se l ibérant des servi tudes par l esquel l es on est re t enu à

distance du  Lieu  Central où ces formes s'unifient dans leur

Principe commun.

IV

Rente Guenon  e t l a r é i nc a rna t i o n

i °  Aucune quest ion ne para î t avoir donné l i eu à plus de

malentendus e t de controverses que ce l l es de la ré incarna-

1.

  Matgioi  indique, pour le cas du Taoïsme  ver»  1900 les corre sponda nce »

à»

 t-ê

 genr»,

 dan» son ouvrais La Voi* Rationnel ;  chapitre V II.

302

ÉTUDES TRADITIONNELLES

t ion (Si ce n' est ce l l e de   l Atman  e t de  l'Iswara),  non pa s

qu'elle présente des difficultés exceptionnelles, mais plutôt

parce que pour l ' exposer correc tement

  sous

  ses divers as

REMARQUES SUR L ŒUVRE DE RENÉ   GUENON 30 3

physiquement exact des doctrines t radi t ionnel l es , e t i l n 'a

abordé que dans la mesure s t ric tement indispensable à ce t t e

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pects ,

  i l faudrai t entrer dans des développements assez

é t endus , po r t ant  sur  des notions qui paraissent tout à fait

é t rangères aux Occidentaux.

Nous ne pouvons songer à fa i re présentement   un  t e l

exposé e t des expl ica t ions inévi tablement t rès succinctes

risquent d'a jouter encore à la confusion qui règne dans ce

domaine . I l nous semble pourtant que malgré ces inconvé

nients que nous ne méconnaissons pas , nous ne pouvons

nous dispenser de présenter au moins quelques considéra

t ions fondamenta les sur ce rta ins points e ssent i e ls .

2° Avant tout, il faut bien constater ce fait   (dont  la si

gnification exigerait une étude spéciale), qu'alors que les

religions occidentales nient la réincarnation, par contre les

foules orienta les , part icul ièrement ce l l es qui se ra t tachent

à la civilisation indienne, croient à une suite d'existences

sous forme humaine , animale , e tc . . ( les c inq dest inées).

Cet t e opposi t ion est du même ordre que ce l l e qui  semble

exi s t e r  entre  l es t radi t ions appare mme nt « créationnistes »

e t c e ll e s apparemme nt

  «

  émanat ionnistes », ou entre l es t ra

ditions qui font état de 1' « Attr act Originel » (Nahash)

comme origine de l ' existence séparée , e t ce l l es qui  font  état

de

  VAvidyâ,  l'ignorance

  ou l'illusion.

En fait , comme toujours, en pareil cas, il s'agit  de  « points

de vue

  »

  différents sur la « Réalité to tale » qui en comp orte

un e   « indéfinie  indéfinité  », et aucune contradiction réelle

n' existe ni ne peut exister entre eux. Par contre , i l y a risque

d' erreur grave , s i l 'on ne précise pas à quoi correspond

chaque point de vue spécial , c 'est-à-dire si l 'on ne fixe pas

ses limitations (ou ses limites) et ses relations avec les autres

points de vue .

3° Ainsi que nous l ' exposions en commençant ce t t e note ,

R e né  Guenon  a eu pour tâche fondamenta le l ' exposé  meta?

se l l e dans ses rapports avec l e devenir humain.

C'est a insi , que dans son ouvrage fondamental ,   L'Homme

si son devenir selon le Vêdânta,

  i l a exposé  complètement

(bien qu' en abrégé), l es diverses é tapes que parcourt ce qui

e st présente me nt l 'homme , lorsque ce lui-c i sui t une des   voies-

qui conduisent de l ' é ta t humain à la Libéra t ion ; par contre ,

il n'a pas ab ordé, sinon par une allusion à la théorie

  des

cycles , l ' exposé du deve nir de l 'Etre dans l e passage d'un

éta t individuel humain à un autre é ta t individuel .

40  D ès lors , il a métaphysiquement  démontré (chapi tre V I

de   L'Erreur  Spirite)  le caractère  erroné de ce que l es Occi

de ntaux e nten de nt p ar la « ré incarnation », c 'est -à-dire :

l e passage d'une même substance séparée , de nature spi

ri tue l l e , ou âme (formant une sorte de monade ), par une

suite d'états corporels successifs  (1).

Nous devons d'a i l l eurs a jouter tout de sui t e que nous ne

connaissons aucun texte canonique, soit oriental , soit occi

denta l , où la ré incarnat ion, entendue de ce t t e façon, se

t rouve ment ionnée , e t ce la simplement pour la ra ison suff i

sante  que nous n' en connaissons aucun où la not ion  d âme,

t e l l e que croient l ' envisager l es Occidentaux modernes

(substance + uni ta i re   -f  spirituelle  +  individuelle) (2), se

t rouve associée soi t à l ' idée de re tour à un même é ta t , soi t

même à l ' idée d'une survivance après la mort .

Tout ce qui a é té di t de contra i re à ce t t e aff irmation rep ose

sur des erreurs d' interpré ta t ion ou de t raduct ion, e t résul te-

de ce t t e inf i rmité des hommes du  Kâli-Yuga  qui l eur r end

1. Nous employons

  Ici

  à desse in, une formule aussi descriptive que pos-

sible du processus

  enlisante

  (car on est ici

  dan»

  le devenir temporel) mais

nous ajoutons immédiatement que les mots ainsi assem blés sont logique me nt

incompatibles, donc la  formule  absurde. Au surplus il en est généralement

ainsi pour la plupart des formules philosophiques de l Occident dont le con-

tenu est effectivement  * impensable . donc absurde ou illusoire.

S. Exemple de mots incompatibles.

304

É T U DE S T RADIT ION N E L L E S

si difficile de concevoir des existences sans forme ou des

existences qui ne soient pas supportées par des substances

séparées et irréductibles.

R E M A R Q U ES S U R L ' Œ U V R E D E R E N É  GUENON 30 5

dont nous voudrions essayer de donner au moins une légère

idée .

6° L'état humain, caractérisé par la possession du

  Manas

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Or, ni dans l e Juda ïsme (où ni  Nephesh,

  Ruach

  e t  Nes-

chamah

  ne correspondent à ce que l es modernes appel l ent

âme e t espri t ) , ni dans l e Christ ianisme (où sa int Paul s'est

nature l l ement borné à t ransposer ces t e rmes hébra ïques) ;

ni dans , l e Brahm anisme (ou

  Attnan

  n'a ri en de commun

avec l ' âme des modernes) ni dans la

  Bhâgâvad-Gîta

  (où la

formule employée au Chapi t re I I , 22 désigne la série causale

individuel l e qui engendre une cont inuat ion de vies sur vies

à t ravers l e courant des formes), ni encore bien moins dans

le Bouddhisme ou l e Lamaïsme (où

 l Alaya  Vîjnana

  corres

pond à la formule de la  Bhagavad- Gîta),  ni dans l 'Islamisme

ésotérique  ; en un mot dans aucune des formes orthodoxes ,

ri en de t e l n 'a jamais existé , e t la concept ion moderne occi

denta le est aux concept ions métaphysique ; de   l'Orient  ce

que la dévotion viscérale au Sacré-Cœur est à l ' a rde ur de

l 'amour informel du véri table chré ti en pou r l e Ve rbe su

prême, incarné (donc manifesté) dans Jésus-Christ , Celui

qui est pour l e Chrét i en la source par qui se produi t dans

l 'homme tout ce qui est  AmoUr e t p ar qui subsistent e t se

meuvent dans l e Cosmos, l e Sole i l e t l es autres Etoi l es .

5° M ais , préciséme nt , les que st ions proprem ent méta

physiques é tant t ra i tées d'abord à l eur rang primordia l

(qu'il s'agisse de la

 Mahâftrajnâ parâmita

  dans l e Lamaïsme ,

de s

  Brahma Sûtras

  dans l e Brahmanisme, e tc .) une sec t ion

importante de l ' ense ignement sacré de

 l'Orient

  porte sur la

description   cosmologique  de la M anifestation  universele

dans ses rapports avec l 'Eta t humain

  [Abidharma

  dans l e

Lama ï sme ,  etc..)  a insi que sur l es rapports individuels e t

sur  l es t echniques  correspondantes (Tantras  ou

  Rgyud).

Or, ce t t e descript ion  purement  phénoménique me t en j eu

tous l es processus englobés fort sommairement dans ce que

le s

  anciens

  Pythagoric iens appela ient la métempsychose e t

(organe mental) (simple participation d'ailleurs au   Manu

cosmique) comporte un certa in nombre de caractérist iques

psychologiques  (i) ,  parmi l esquel l es la mémoire .

D 'une part , la série inte rne des é ta ts que parcourt un

homme au cours de son existence individuel l e engendre la

déterminat ion de l ' é ta t d ' existence qui succédera à ce t é ta t

huma in .

D 'autre part , la série e xterne (correspondant à la précé

dente) de ses ac tes au cours de son existence présente a en

gendré dans l e monde grossier comme dans l e monde subt i l ,

des séries de causal i tés , parmi l esquel l es un grand nombre

appart i ennent à ces complexes psycho-mentaux que nous

avons l 'habi tude métaphysique me nt erronée de considérer

comme

  constituant

  l ' ê t re individuel humain que , nous con

naissons (alors qu'ils n'en sont que des éléments formant

aggrégat , comme les é léments physiques qui entrent dans la

composi t ion du corps grossier puis en ressortent , au cours

de l ' ex i s t enc e ) .

Ces séries de causalités se

 déployemt  après

  la mort , engen

dren t des sui t es d'é ta ts psycho -men taux, ce ntra lisés (ou agré

gés) sur

  Une

 ou plusieurs e xistence s individuel l es , qui seront

à ce t égard, dans ce t t e l imite e t sous ce t t e forme , la cont i

nuat ion dans l e domaine psycho-menta l de l ' existence psy

chologique du disparu.

Ainsi se const i tuent l es « ré incarnations » du m ort , qui

n'on t en véri té ri en de commun avec la ré incarnat ion, puis

qu' i l

 s'agit  exclusivement

  d'une

  métempsychose .

7

0

  C'est ici le lieu d'ajouter que dans certains cas la con

centra t ion unif iante de la vie psychologique au cours d'une

existence humaine peut ê t re t e l l e , que presque tous l es

  éié-

1.

  Nous employons c» mot faute de mieux. I l

  s'agit

  de ce que

  VAbidharma

appel l e

  Caittas  "

 le »

 chose»

 ,

  (dharmca) associée»

  à la pensée .

3o6

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

ments  psychologiques qui é ta ient l iés à ce t t e existence

soient amenés à se regrouper dans une même nouvel l e exis

t ence humaine , de t e l l e sorte que la cont inui té séria le a insi

R EMAR QUES SUR L 'ŒUV R E D E R ENÉ  GUENON 30 7

consciemment des images ta i l lées ou peintes , ou bien des

images psycho-menta les , de même en Orient  la  foule peu

douée au point de vue métaphysique ou peu inst rui t e voi t

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créée donne l ' i llusion d'une transmission substantielle.

D e m ê m e , da ns  l'arc-en-ciel,  de s gout t e s d ' e au ent r en t

dans la zone où l ' i llusion colorée semble localisée pour un

observateur, puis , en ressortent , sans qu' en réal i té i l y a i t

aucune couleur qui subsiste au point où on la voi t , suppor

tée par aucune substance colorée .

8° D 'ailleurs, dan s certains cas, la réalisation d'un éta t

où des é léments non- individuels , non-humains , se mani

festent à travers la forme humaine (voir ci-dessus ce qui a

été dit à propos de la réalisation métaphysique) s'accom

pagne justement de la réa l isa t ion de ce t t e   concentration

uni ta i re q ue nous visions c i -dessus. D ans ces cas , la cont i

nui té séria le envisagée s 'accompagne d'une cont inui té ana

logue de la manifestation de l 'élément non-individuel non

humain, e t l es cas que nous envisageons présentement cor

respondant à ce que l e Lamaïsme désigne comme   Tûlkous

(Ex. le   D a laï -Lama ,  Tûlkou  part i e l de  Soubhouti  e n m ê m e

t emps que   d Avalokitêswara  qui cont inue par a i l l eurs son

existence sous l es diverses formes e t condi t ions qui corres

pondent à sa définition et à ses fonctions).

D 'autre part , une t e l l e t ransmission dem eure , il faut le

dire , suje t t e à bien des a léas , car e l l e est subordonnée aux

conditions cosmiques générales, et les aggrégats d'éléments

qui se succèdent ainsi en  séries  peuvent subi r de s change

ments par addi t ions , soustract ions , ou même modif ica t ions

corrélatives aux modifications de la biologie

  humaine

  sur

l ' ensemble de la Terre au cours de la durée .

9° Enfin, pour en t e rminer avec ce t ordre de quest ions

nous devons a jout e r que de même que dans no t re monde

occidenta l , beaucoup de f idèles parfa i t ement incapables de

toute ac t ivi té proprement inte l l ec tue l l e prennent à la l e t t re

la t e rminologie re l ig ieuse , e t , en fa i t , adorent plus ou moins

faci l ement dans l es phénomènes de cont inuat ion séria le

que nous venons de décri re ce que l es occul t is t es e t néo-

spiri tual ist es de tout genre entendent par ré incarnat ion.

D 'ailleurs l 'effort puissan t d'occide ntalisation de l'Orient,

auquel nous nous référons au début de ce t t e é tude , s ' exerce

nature l l ement sur ce point comme sur tous l es autres dans

le sens l e plus propre à détruire tout ce qui const i tue l ' es

pri t t radi t ionnel , de manière à rendre possible là comme

partout la conquête du pouvoir t e rrest re par tout ce qu' i l y

a de   plus'bas  e t de plus opposé à l 'ordre hiérarchique des

valeurs  rée l l es .

V

Conc lus ion

En manière de conclusion, nous insistons encore sur

l ' ext raordinaire puissance de suggest ion, sans cesse crois

sante , du pouvoir de mensonge qui dominera ent ièrement

le monde extérieur avant la f in du cycle . Nous savons qu' i l

y aura un

  moment

  où chacun, seul , privé de tout contact

matérie l qui puisse l ' a ider dans sa résistance intérieure ,

devra t rouver en lui-même, e t en lui seul , l e moyen d'adhé

re r f e rmement , pa r l e c ent r e même de son exi s t enc e , au

Se igneur de toute V éri té. Ce n' est pas là une image l i t téra i re

mais

  la descript ion d'un é ta t de choses qui n' est peut-ê t re

plus t rès é loigné. Puisse chacun s 'y préparer e t s 'a rmer

d'une t e l l e rec t i tude intérieure que toutes l es puissances

d'illusion et de corruption soient sans force pour l 'en faire

dévier. Rien ne saurai t mieux   que  l 'œuvre de René  Guenon

faci l i t e r aux Occidentaux ce t t e préparat ion.

J.

  C.

RE N É G U E N ON E T L E BOU DD HISM E

309

que ces traduct ions anglaises sera ient lues par des O rientaux

de   tradition  bouddhiste rendai t une mise au point assez

Urgente.

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RENÉ GUENON

ET

  LE

  B OUD D H IS M E

S

i  certa ins l ec teurs , se souvenant des premières édi t ions

des ouvrages du grand  jnânin  défunt , notamment

de

  Y Introduction  générale à l'étude des doctrines hindoues,

  e t

de   L'Hom me et son devenir selon le Vêdânta,  si certains lec

teurs , disons-nous, s 'é tonnent quelque peu du t i t re qui a

é té choisi pour ce t t e é tude , nous répondrons qu' i l ne   s'agit

point de soumet t re à un examen cri t ique quelconque l es

vu e s d e R e né

  G u e no n,

  tant antérieures que récentes , sur l e

B ouddhisme , ma i s bi en  de démontrer qu' en dépi t de certa ines

difficultés d'interprétation qui avaient surgi dans le passé,

l e point de vue   « guénonien  »  ne se révèle pas moins valable

en ce qui concerne la forme bouddhiste de la Tradi t ion Uni

verse l l e que dans l e cas des autres formes dont René  Guenon

a spécifiquement traité.

Quant aux ouvrages préci tés , tout ce qu' i l importe de dire

af in d'écarter tous malentendus à ce suje t , c ' es t que , quand

la quest ion du Bouddhisme a enf in é té soumise à René

Guenon, i l y a quelques années dé jà ,   accompagnée  de réfé

rences doctrinales e t t extue l l es (dont une part i e nous a é té

fournie par Ananda  K.  Coomaraswamy), René  Guenon  a

aussitôt décidé que les passages mis en cause   concernant

l e caractère originel du Bouddhisme, sera ient  ou  modifiés

ou supprimés, tout en y a joutant d'autres modif ica t ions

portant sur des points qui , é tant moins importants , ne lui

avaient pas é té expressément signalés.

Ce qui a fourni l 'occasion de soulever cette question, fut

la traduction anglaise de

 l Introduction  générale  à l étude  des

doctrines  hindoues

  e t  Une  nouvelle édition anglaise de

L'Homm e et son devenir selon le Vêdânta

  ; la probabilité

I l importe de dire d'a i l l eurs que , s i René  Guenon  a voulu

se placer , au début , au point de vue du grand maî t re du

jnâna-yoga  sous sa forme hindoue , Shankarâchârya , l ' a t t i

tude de ce lui-c i envers l e Bouddhisme de son époque n' est

ple inement compréhensible que si l 'on t i ent compte des

nécessi tés extérieures l iées â la déterminat ion exacte des

domaines de deux t radi t ions différentes dont la coexistence

dans la même civilisation gênerait l 'économie de chacune.

Pour Shankarâ , i l s 'agissa i t avant tout de sauvegarder  l'orr

thodoxie hindoue contre toute t enta t ive , fût-e l l e la plus

just i f iée dans son ordre , qui aura i t pu mener, même indi

r ec t ement , à une rupture i n t e rne de sa fo rme . En poursui

vant ce but , devenu pour lui capi ta l , Shankarâ n'avai t

aucune ra ison de ménager un mouvement t endant à échapper

au cadre provident ie l l ement é tabl i pour l 'Hindouisme.

D ans un cas semblable l ' a t taque se déclanche en fa isant

état du côté négatif de la doctrine soi-disant opposée, voire

même

  des abus auxquels ce côté négatif serait susceptible

de fournir l 'occasion. B ans le cas particulier, il es t signifi

catif que

  Shankarâ

  a été lui-même l 'objet de critiques de la

part d 'autres Hindous, l esquels l ' accusaient de propager

un e

  doctrine

  qui n'é ta i t que du Bouddhisme déguisé . La

concomittance  entre l ' a t t i tude de Shankarâ à l ' égard du

Bouddhisme e t ce l l e de certa ins Hindous vis-à-vis de Shan

karâ lui-même est d 'a i l l eurs bien caractérist ique e t , à vra i

dire , c ' es t la seconde a t t i tude qui représente l e point de vue

Je plus profond, car, en dépit d'une différence très accentuée

quant à l 'expression et à la méthode, la position spirituelle

de S hankarâ , donc du V êdânta e t ce ll e du B ouddhisme

M ahâyânique s 'apparente nt au point qu'on peut parler d 'un e

quasi ident i té .

Ceci di t , i l nous reste à préciser ce que l es œuvre s de René

Guenon

  cont iennent de posi t i f

  relativement

  à la tradition

3io

É T U DE S T RADIT ION N E L L E S

RE N É

  GUENON

  E T L E B O U D D H I S M E

3 "

bouddhi s t e . Le premi e r exempl e que nous donne rons e s t

d'une portée tout à fait générale et consiste dans le fait ,

dont nous avons nous-mêmes eu l ' expérience à maintes

composer une adapta t ion spécia le de

  La Crise du Monde

moderne

  à l 'usage des Tibéta ins. On avai t parlé à plusieurs

reprises de t raduct ions de ce l ivre en langues orienta les ,

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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reprises , que l ' expression  guénonienne  des principes méta

physiques s'accorde   pleinement,  e t parfois même textuel l e

ment , avec ces mêmes principes t e ls qu'on l es expose au

Tibet aujourd'hui . En effe t , i l nous est arrivé plus d'une

fois de c i t e r quelque phrase de   Guenon  — mais toutefois

sans ment ionner l e nom de l ' auteur — afin d' i l lust rer un

point de doctrine quelconque , e t de consta ter que la phrase

en que st ion é ta it aussi tôt approuvée , voire même « recon

nue » par nos interlocuteurs t ibéta ins , y compris des Lamas

éminents , sans qu' i l s soupçonnent qu' e l l e provenai t d 'une

autori té é t rangère quant à la race e t au   rattachement  t ra

di t ionnel . Le fa i t que René  Guenon  n'a, pas traité spécifi

quement du Bouddhisme e t qu' i l a même, jusqu'à un cer

tain point, méconnu cette forme, renforce en réalité la thèse

de l 'universa l i té e t de l 'orthodoxie int rinsèques de la doc

t rine t e l l e que l ' a exposée ce lui dont nous honorons la mé

moire . Le Tibet l ' a reconnu sans l e connaî t re e t ce la , on ne

saurai t t rop y insister , const i tue en faveur de l 'œuvre de

R e né  Guenon  un témoignage aussi puissant qu'impartial.

I l ne faut d'a i ll eurs pas oubl ier que René G uenon, de son

côté , a toujours reconnu, sans la moindre réserve , la valeur

et l 'orthodoxie de la tradition tibétaine et , de ce fait , i l avait

reconnu implic i t ement l ' authent ic i té du t ronc dont ce t t e

t radi t ion n' est qu'une branche parmi l es autres (bien qu'une

des plus remarquables) ce qui neutra l ise en grande part i e

les doutes qu'il éprouvait il y a une dizaine d'années encore

au suje t du B ouddhisme originel . En effe t, l e point de vue de

René Guenon sur l 'origine e t la nature de s t radi tions au then

t iques exclut

  a

  priori  la possibilité qu'un mouvement hété

rodoxe e n lui-même puisse const i tuer l e point de départ

d'une t radi t ion dans l e sens vra i de ce mot .

R e né

  Guenon

  a exercé au Tibet une inf luence quelque

peu inat t endue ; en ce sens que nous avons é té poussé à

clans l ' espoir que de t e l l es t raduct ions fournira ient aux A sia

t iques p lus ou moins désaxés un  moyen de s ' inst ruire quant

au véri table caractère des manifesta tions du monde m oderne ,

e t , par là , de contribuer à consol ider chez eux l ' espri t t ra

di t ionnel « repl ié sur lui -même », comme l 'a di t G uenon.

M ais plus on é tudia i t ce t t e que st ion, plus on se per

suadai t qu'une t raduct ion proprement di t e ne conviendrai t

pas e t que , pour rendre l ' exposé ple inement compréhen

sible à des individual i tés aux habi tudes menta les s i di ffé

rentes des nôt res , i l fa l la i t une large adapta t ion quant à

l ' expression, aux exemples , e t même à la  forme  de l 'ouvrage .

Nous nous somme s consacré à ce t t e tâche dès la fin de

  1947,

après notre  retour  du Tibet , e t l 'ouvrage a paru en t ibéta in

à l ' automne de   1950  sous l e t i t re :

 L e- Kâli-Yuga  et ses dan

gers,

  un peu tardivement , en égard à la s i tuat ion actuel l e de

l 'Asie Centrale, mais il a été impossible de le faire paraître

plus tôt .

Afin d'assurer à l 'ouvrage une autori té t radi t ionnel l e

incontestable , i l a é té présenté sous la forme d'un commen

ta i re sur l e « t estam en t • du  treizième  B ala i-Lama publ ié

peu avant sa mort , document ex t rêmement impor t ant

qui t ra i t e du même suje t mais d'une façon t rès condensée .

Sur c e t t e ba se , l ' a rgument  s'est  déployé en t re ize chapi t res

•dont  chacun est consacré à. un  aspect part icul i er de la crise

moderne , en partant des principes , l e tout é tant appuyé

par de nombreuses c i ta t ions des écri tures bouddhiques e t

i l lust ré d' exemples famil i ers aux t ibéta ins , l eur permet tant

ainsi de  « si tuer  »  chaque quest ion par rapport à l eur propre

expérience . La mat ière de l 'ouvrage t ibéta in englobe à peu

près  La Crise du Monde moderne  e t  Le Règne de la qua ntité

et les Signes des Temps.

Les c i ta t ions de   Guenon  lui-même e t des autres autori tés

non bouddhistes sont présentées sous la forme suivante :

312

E T U DE S T RADIT ION N E L L E S

« Un Lam a éminent de l 'Occident a ense igné », e t , sous ce t t e

forme , les Tibéta ins , qui ne souffrent aucuneme nt des pré

jugés associés en Occident à l 'exotérisme religieux, n'ont

R E N Ê G U E NO N E T L E B O U D D H I S M E

3Î3

t i tue pas une t raduct ion l i t téra le du mot sanscri t corres

pondant , mais qui semble plutôt en t i re r ses implicat ions

ul térieures , es t rendu d'autant plus f rappant par l e rappro

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éprouvé aucune difficulté à les accepter au même titre que

les ense ignements provenant d'autori tés plus famil ières .

I l est donc permis de dire que , par l ' ent remise de ce l ivre ,

l ' inf luence de René Guenon

 s'est

  exercée d'une façon direc te

sur l e monde t ibéta in.

Les lois cycliques et leurs applications constituent  Un lien

étroi t entre l es t radi t ions hindoue e t bouddhiste d'un côté

e t  l'enseignement  dont René  Guenon  a été le  formulateur

l e plus récent d'un autre côté . Les Orientaux sont , en géné

ral ,

  restés très conscients de l 'existence de ces lois, de sorte

qu'on n'a pas à l es convaincre quand i l

  s'agit

  d' en t i re r

quelque conséquence d'appl ica t ion immédiate , par exemple

quand on fa.it allusion au fait que le monde se trouve actuel

l ement dans  tm  stade avancé de ce t âge sombre dont René

Guenon  a décri t l es causes e t l es t endances avec une si mer

vei l l euse c larté . Tsong-Khapa , l e Sage fondateur des  Gé-

lougpas

 (connus égaleme nt sous le nom de  « Bonne t s Jaunes »),

Ordre qui compte parmi ses membres l e   Dalaï  Lama, avai t

distingué, au sein même du

  Kâli-Yuga,

  une c inquième é tape

cyclique à laquelle il donne le nom d'

  «

  Age où la

 corruption

va de pire e n pire » (littéralem en t : de plus en plus), période

qui correspond évidem me nt à la « phase » avancée du

  Kâli-

Yuga

  dont parle René

  Gu e no n ,

  donc à l ' époque contempo

raine. Sous ce rapport , il y a un point intéressant à signaler :

en t ibéta in, l e nom du   Kâli-Yuga  se t radui t par

  Nyigmai

Tû ,

  dont la racine

  nyig (snyigs)

  a pour première significa

tion  «  sédiment (ou résidu) impur », ce qui rappellera immé

dia teme nt ce qu'a souvent répété G uenon, à savoir que la

fin du cycle est caractérisée surtout par l 'exploitation de

tout ce que l es périodes antérieures avaient re j e té , dont l es

sc iences m odernes , i ssues de s résidus des anciennes sc iences ,

ne fournissent qu'un exemple parmi bien d'autres . Ce

t e rme

  nyigmai

  qui , contra i reme nt à l 'usage t ibéta in, ne cons-

chement

  avec les formulations de

  Guenon

  que nous venons

de ment ionne r .

Un autre point de contact t rès important entre René

Guenon  e t la doctrine M ahâyânique e st formé par son

article sur

  Réalisation ascendante et descendante,

  l equel

pourra i t bien servir d' int roduct ion à la doctrine , centra le

pour l e Bouddhisme quand on l ' envisage dans son intégra

l i té ,

  du

  Bodhisattwa.

  Cet art ic le représente d'a i l l eurs une des

rares occasions où Guenon

 s'est

  référé directement aux doc

t rines bouddhistes .

Nous voudrions enf in dire quelques mots du

  *

  roi du

monde  »  dont l e royaume mystérieux porte dans la t radi t ion

t ibéta ine e t mongol ique , l e nom sanscri t de

  Shâmbala

  du

Nord, peut-être par allusion à la localisation symbolique

ment  hyperboréenne de la Tradi t ion primordia le . Quant au

nom

  A'Agarttha,

  i l semble tota lement inconnu des peuples

dont il

 s'agit.

  Le nom de

  Shâmbala,

  aux Indes , désigne une

région du Nord-Oue st , près de la ville de M uzâffirpur e t ce

qu'il y a de bien significatif est le fait que cet endroit est

indiqué par la tradition comme lieu de naissance du futur

Kalki-Avatâra.

  L'opinion de

  Gu e no n ,

  selon laquelle

  Ossen-

dowski  aurai t appris l e nom  A'Agarttha  ou plutôt

  Agharti

qui,

  dans  Bêtes, Hommes et Dieux  remplace celui de  Shâm

bala,  autrem ent que p ar l' ent remise de S a int-Yves  d'Al-

ve ydre , cette opinion nous paraît aujou rd'hui difficileme nt

soutenable car , comme nous l ' a expl iqué récemment l e pro

fesseur russe Georges Roerich, l es l ivres à nuance plus ou

moins occul t is t e , notamment ceux de Sa int-Yves , ont eu

grand succès en Russie pe ndant l es années qui ont immédia

teme nt précédé la première gue rre mondiale , de sorte q u' i l es t

très probable qu'un homme comme Ossendowski les ait con

nus ,

 ou du moins en a i t ente ndu parler. On pe ut s e demande r

quelle raison aura poussé Ossendowski à préférer ce nom

314

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

à Agharti  à  Shâmhala,  qui est ce lui  qu'il  aura sûrement

e nte ndu en M ongol ie , mais i l nous semble que ce la pe ut

s ' expl iquer s implement par un désir d 'évoquer un  «  souvenir

R ENÉ

  GUENON

  E T L E B O U D D H I S M E

315

aussi connues sous l e nom de « sc ience de s Bodhisattwa »,

ce l l e dont l ' é tude approfondie permet t ra d'a t t e indre la

D él ivrance au cours d'une se ule vie . I l es t di t que l es  Doub-

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sym pathique » chez ses l ec teurs russes , en l eur prése ntant

un  nom qu' i l s connaissa ient dé jà par la l ec ture de Sa int-

Yves. I l ne s 'agira i t donc aucunement d'un plagia t ,

  mais

plutôt d 'un pet i t subterfuge d'auteur en vue de son publ ic

e t , ce la mis à part , l es déta i ls du réci t d 'Ossendowski , comme

d'a i l l eurs  l'a,  b i en vu René  G u e n o n ,  sont tout-à-fait vrai

semblables , du moins tant qu' i l s'agit  de choses qu' i l

  a

  vue s

lui-même ou de personnes qu' i l a rencontrées. Le même Pro

fesseur Roe rich, qui a parcouru la Mongolie peu de t em ps

après ces événeme nts , e t qui , de plus , a une parfa i te maî t rise

de la langue , a confi rmé nombre de déta i ls ment ionnés par

Ossendowski .

M . G eorges Roerich nous a di t égaleme nt que la plupart

des aute ls dans les t emple s de M ongolie sont orientés vers

le Nord, par allusion à SMmbala  e t que l eurs vest ibules sont

t rès f réquemment ornés de f resques représentant la  « gue rre

de   SMmbala  » c'est-à-dire le combat qui aura lieu à la fin

du cycle quand les infidèles seront détruits et la tradition

rétabl ie . La représenta t ion t radi t ionnel l e du roi de

  SMm

bala,

  présidant à la di t e guerre sa inte , se re t rouve également

sur un certa in nombre de   thankas  ou bannières t ibéta ines

dont nous avons vu un spécimen tout récemment . Nous

devons encore à M. Roerich un rense ignement quelque peu

étonnant  : il nous a dit qu'en  1928  des ri t es spéciaux ont

é té accomplis dans nombre de lamaseries du Tibet e t de la

M ongolie afin de cé lébrer le sacre d'un nouve au roi de

SMmbala

  ; ces ri tes ont e u l ieu, di t - i l, partout où se t rouvai t

un Collège monastique consacré à l 'étude de la doctrine

tantrique qui porte l e nom de   Kala-CMkra  ou « roue du

t e m p s

 »

  dont la première prédicat ion est a t t ribuée au Boud

dha S akya-M uni lui -même. La di te doctrine e t l es

 méthodes

de médi ta t ion correspondantes sont comprises d'a i l l eurs

da ns l AnuUara Yoga,  le « Yoga  sans supérieur  » e t e l l es sont

iops (siddhas),

  détenteurs des pouvoirs que confère ce t t e

doc t r ine , en qui t t ant c e t t e t e r r e , s e r e t i r en t à  SMmbala,

e t c ' est aussi pour ce t t e ra ison que l e roi de

  SMmbala

  e s t

représe nté avec une roue dans la main. Les supports de m édi

ta t ion employés dans l e

  Kala-CMkra

  sont en grande part i e

t i rés de l ' ast rologie , ce qui d'a i l l eurs en expl ique l e nom, e t

chaque ast re va de pair avec la visual isa t ion d'un aspect

divin qui deviendra successivement l 'obje t de la médi ta t ion

de ce lui qui s 'e f force à suivre ce t t e voie .

I l existe au Tibet un bon nombre de l ivres t ra i tant du

royaume de

  SMmbala,

  e t l 'un d' eux a é té publ ié en Europe

accompagné d'une t raduct ion a l l emande. Ce l ivre , qui porte

l e t i t re de

  Livre de route pour SMmbala,

  a pour auteur un

Panchhen-Lama  du  x v m

e

  sièc le e t comprend un t ra i té sur

la géographie sacrée , en partant des principaux royaumes

connus à ce t t e époque , au nombre de quatre , à savoir : l es

empires de la Chine , de l ' Inde , de la Russie e t de   Roûm

( l 'empire ot toman), après quoi il passe à la descript ion de la

route symbolique menant au Centre spiri tue l dont i l s'agit.

Apparentée à la t radi t ion concernant

  SMmbala

  est celle

du roi héros G uésar de Ling dont l 'épopée a é té adaptée e n

français par M

m e

  D avid-Nee l . Dans ce poème, i l n 'y a. pas ,

sauf erreur, de ment ion spécif ique de

  SMmbala,

  et la con

nexion entre l es deux t radi t ions ne ressort qu'à part i r du

moment où l e héros , champion lui aussi , de la guerre sa inte

contre l es impies ,

 s'est

  re t i ré avec ses compagnons du monde

visible où il  reparaîtra,  pourtant à la fin du cycle afin de

reprendre   le  combat interrompu dans la bata i l l e de

  SMm

bala, événeme nt qui doi t précéder l 'avènem ent du B ouddha

futur, C hamba ou M aitreya (« le Com patissant ») par leque l

l ' âge d'or sera enf in rest i tué .

Les déta i ls que nous venons de ment ionner rappel l e ront

forcément l es descript ions analogues qu'on rencontre dans

3i6

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

l es t radi t ions chrét i enne , i s lamique e t autres , mais peut-

ê t re l e rapprochement l e plus f rappant de tous est - i l   celui

qu'on peut fa i re entre l es t radi t ions larna ïques e t la légende

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du roi Arthur e t de ses cheval iers , l esquels ont également

disparu à  tin  moment donné mais sont dest inés à se mani

fester de nouveau»  au  coup de t rompe t t e qui l e s  réveillera

de l eur long sommeil , a f in de chasser de la Terre Sacrée l es

envahisseurs saxons représenta t i fs des inf idèles dans la

t radi t ion ce l t ique . I l nous est arrivé , durant notre sé jour à .

Shigatsé en 1947, d'ê t re quest ionné sur l e sens véri table de

ce t t e légende par des Tibéta ins qui , sachant l i re un peu

d'angla is , avaient rencontré quelque part Une a l lusion à

l 'histoi re d'Arthu r, e t nous n'avons pas hési té à leur répondre

que l e roi Arthur n'é ta i t autre que l e Guésar

  occidental ,

tout comme Guésar est l 'Arthur t ibéta in, l es deux é tant

identiques par leur fonction. Cette réponse a été accueillie

comme tout à fait satisfaisante.

Nous n'avons cru pouvoir rendre un mei l l eur hommage

à la mémoire de René  Guenon  qu' en apportant quelques.

confirmations à son livre su r Le Roi du Monde qui n 'e s t q u ' un

exemple entre bien d'autres de l ' ampleur de ses vues aussi

bien que de son é tonnante pénétra t ion inte l l ec tue l l e

  (1).

Kalimpong,

  mai  1951,

M A R C O

  P A L L I S .

t.  Mous

  dûvoas.

  pour  1© l ec t eur  français  a jouter quelques explicat ion*

relat ives au premier

  paragraphe

  de l 'article de M. Marco Pal lia.

  L'Intro

duction générale à  rétude  des doctrines hindoues n'ayant  pa»  été réimpri

mée en France depuis  J939, lei  lecteurs de langue française

  n'ont

  pas eu

l'occasion de connaître   entièrement  les modifications apportées par René

Ouénon à son point de rue concernant le rôle du B ouddha et le B ouddhisme-

original. D ans le de rnier état de sa pensée à ce sujet , l e Bouddhisme orig inel

e st   considéré comme pleinement orthodoxe et c ' est seulement d ins des bran

ches du Bouddhisme  hlnayâna  que des doctrines hétérodoxes se sont intro

duites plus ou moins tardivement  ; c ' est d 'ai l leurs ce Bouddhisme hétéro

doxe que les oriental istes de l 'époque présentaient comme le   Bouddhism»

originel , ce qui explique, dans une certaine mesure , l 'opportunité de l 'a t t i

tude de Ouénon. (N D . L- R ).

LA VIE SIMPLE DE RENE GUENON

L

ES   l e c t eurs de René  Guenon  vont s ' é tonne r de t rouve r

ic i, non pas cert es une biographie de notre regre t té

•col laborateur, mais du moins quelques rense ignements con

cernant  son individual i té e t , par sui t e , nous devons

  tout

-d'abord justifier la publication de la présente étude.

R e né  Guenon a  di t e t redi t que , dans l e domaine t radi

t ionnel , l es  individualités  ne compt ent pa s , ma i s nous ne

pouvons pas fa i re que l e monde où nous vivons ne s ' inté

resse pas aux individual ités e t , à défaut de pouvoir en écrire

l 'histoi re , ne construise  sur elles des légendes dans d e s  inten-

tions qui peuvent être,

  d'ailleurs, fort différentes et même

•opposées.

Att

  mat in du 9 janvier

  1951

  nous parvenai t l e té légramme

du

  médecin qui avai t soigné René  Guenon  e t nous appre

nant  la  mort de ce  dernier. Dans la  soirée, la radiodiffusion

française,  à notre grande surprise , annonçai t la  nouvelle

qui é ta i t reprise par plusieurs journaux le l endemain mat in.

D epuis lors , l es art ic les e t not ices nécrologiques se sont

multipliés dans la presse

  quotidienne

  e t hebdomadaire a insi

qu e   dans l es revues. Beaucoup de ces art ic les sont excel l ents

e t cornpréhensifs , mais bien des erreurs ont aussi é té di t es

e t  imprimées  depuis six mois. Nous ne saurions l es  relever

toutes ic i , mais i l en est quelques-unes auxquel l es nous pou

vons dès maintenant opposer  Un  dément i ca tégorique :

R e né

  Guenon

  n'a jamais é té professeur à l 'universi té

  d El-

Azhar ni dans  aucune universi té  musulmane   ; i l n 'a jamais

été question  pour lui d'une chaire au Col lège de France en

remplac ement de Sylva in

  Lévi

  ou de qui que ce soi t ; i l

n ' est jamais a l lé aux Indes e t n 'a  pa.s  davantage sé journé

pendant

 -sa

  j eune ss e dans un  monastère  t ibéta in : comme

3i8

ÉTUD ES TR ADITIONNELLES LA V IE S IM PLE D E R ENÉ

  GUENON

319

on le ve rra plus loin, ses contacts avec des re prése ntants de s

t radi t ions orienta les ont eu l i eu en Europe e t en Afrique du

Nord. Pour met t re f in à ces légendes , l e plus simple est de

comme un suje t part icul ièrement bien doué , mais sa santé

toujours chancelante l ' empêcha bien souvent de suivre l es

cours du col lège régul ièrement . L'année suivante , en  1903,

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suivre René  Guenon  dans l e s d ive rs e s é t ape s de son exi s

t enc e .

* *

C'est à Blois , rue Croix-Boissée , dans l e faubourg de

V ienne , sur la rive gauche de la Loire , que naqu i t l e

  15

 n o

vembre 1886 , René J e an M ari e Joseph

  G u e n o n ,

  d'une t rès

bonne famil l e de la bourgeoisie ca thol ique . Son père , Jean-

Bapt i s t e   G u e n o n ,  archi tec te , e t sa mère , née  Jol ly ,  étaient

tous deux d'origine blésoise . Le j eune René fut ondoyé le

4 j anvi e r  1887  e t bapt isé l e  15  novembre de l a même année

en l ' égl ise paroissia le de S a int-Saturnin.

Quelques années plus tard, vers 1894, son père , a lors

archi tec te-expe rt de la Socié té d'Assurances « La M utuel le

de Loir-e t -Cher  » acqui t , au 74 de la rue du Foix, dans l e

faubourg du même nom, sur la rive droi t e de la Loire ,   une

maison avec jardin qui devint pour René  Guenon  la vra ie

maison famil ia le où i l re tournera presque chaque année jus

qu'à son départ de France .

La santé

  délicate

  d e R e né

  G u e n o n ,

  pendant son enfance ,

donna bien des soucis à ses parents qui l ' entourèrent de

soins d'autant plus a t t ent i fs que l eur autre enfant , une f i l l e ,

mouru t à l 'âge de quatre ans. La  première  instruction fut

donnée au j e une René pa r sa t ant e m a t e rne l l e , M™  D u r u ,

puis ,  après sa première  communion,  qui eut l i eu l e 7 juin

1897  en l ' égl ise de Sa int-Nicolas , ses parents l e f i rent ad

me t t r e à l ' éco le de N o t re -Dame-de s -Aydes , s i tué e   rue  Fran-J

ciade,  dont l es cours é ta ient communs avec ceux du pet i t

séminaire . I l resta dans ce t t e école , où i l fut bri l lant é lève ,

d'octobre  1897  à juillet  1901  e t l a qui t t a , é t ant en s econde ,

pour entrer au col lège August in-Thierry, en janvier

  1902.

René Guenon,  en t ré en  rhétorique,  fut considéré là aussi

é tant en phi losophie , René  Guenon  pri t part au concours

général où il obtint un accessit en physique et il reçut égale

ment

  un prix de la , Socié té des Sc iences e t Let t res de Blois .

Ayant obtenu, l e 2 août 1902, son baccalauréat  i

re

  part i e , i l

devint , l e   15 jui l l e t

  1903,

  bachel i e r  ès-lettres  e t phi losophie .

Entré en mathématiques é lémenta ires en 1904, i l reçut la

plus haute récompense du collège, la médaille offerte par

l 'associa t ion des anciens é lèves. A ce moment , ses profes

seurs l ' engagèrent à poursuivre ses é tudes de mathéma

t iques à Paris où René  Guenon  arriva en octobre  1904 pour

se fa i re adme t t re en qu al i té de « taupin », c ' es t -à-dire é lève

de  mathématiques spéciales, au collège  Roîlin.  Son in t en

t ion é ta i t a lors de préparer la l icence de mathématiques.

Là encore, sa santé toujours précaire, fut Un obstacle à ses

progrès e t , en

  1905,

  il se fit inscrire pour suivre des cours

•supplémentaires à l 'Association des candidats à l 'école

Polytechnique e t à l ' école Normale , e t , en  1906  i l semble

bien qu' i l abandonna ses é tudes Universi ta i res .

Les rense ignements t rès précis que nous venons de donner

<;t qui nous ont é té fournis p ar M . l e Curé de S a int-S aturnin, .

par M . l e Proviseur d u Col lège R ol lin (aujourd'hui Lycée

Jacques Decour) que nous r eme rc ions pour l eur ex t rême

obligeance, par l 'Office du B accalauréat à Paris et enfin

par l e l ivre t scola i re de René Guenon .au  Collège Augustin-

Thi e r ry , t ous c e s r ense ignement s , d i sons-nous , pe rme t t en t

de su ivre Re né  Guenon jusqu'à  sa vingt ième année e t prou

vent surabondamment qu ' aucun sé jour en Orient ne saura i t

se placer dans ce t t e période .

R e né  Guenon  en é ta i t a rrivé à ce t t e période de la vie où,

t rès f réquemment , l ' espri t ne se sa t isfa i t plus des seules-

é tudes c lassiques. I l c rut — comme bien d'autres , avant e t

après lui — trouve r un é largissem ent d e son horizon inte l l ec

tue l en se tournant vers l es doctrines

  néo-spiritualistes

  e n

320

ÉTUDES TRADITIONNELLES

vogue à cette époque et , amené par un de ses amis , i l suivit

les cours de l 'Ecole supérieure l ibre des sciences her

métique s , dir igée par le D

r

  G érard Encausse qui , sous le

pseudo nyme de Papus , fut le chef inconte s té du mouve me nt

LA   VIE   S I M P L E D E R E N É  GUENON

321

t emps . René Guenon  ne deva i t pas en perd r e b eaucoup car ,

dès décembre

  1909,

  il écrivait :

« Il e s t impossible d 'associer des doctrines aussi discu

tables que le sont toutes celles que l 'on range sous le nom

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occultis te . Apportant à sa recherche le sérieux et le soin

méticuleux qu ' i l met ta i t à tou tes chos es , René Guenon se fit

admettre

 dans la plupart de s organisations qui se groupaient

au tour de c e . mouveme nt : Ordre M ar tin ist e , R i t e d e M em-

phis , Rite espagnol, Eglise gnostique. Aujourd 'hui qu 'on

sait , e t surtout grâce à lui , à quoi s 'en tenir sur le caractère

fantais is te ou irrégulier de ces organisations , le lecteur peut

éprouver que lque su rpr is e en apprenan t que René

  Guenon

y a appartenu. C'es t là une ques tion qu 'i l faut aborder fran

chement

  et qui ne diminue en r ien la pénétration et la pers

picacité de notre regretté collaborateur. Il n 'y avait , en

effet , r ien d ' invraisemblable ,  a priori, à ce que l 'ancien Ordre

des Elus Coëns fondé au xvm

e

  s iècle par M artines de Pas-

qually ait survécu jusqu 'à la fin du xix

e

  s iècle et qu 'une

transmission régulière ait ainsi donné naissance à

  l'Ordre

M artinis te ; i l n 'était p as absolument e xclu non plus qu 'un

courant gnostique se fût perpétué à travers

 l'aibigéisme

 e t s e

fût maintenu d 'une façon souterraine jusqu 'à nos jours .

E n

  1938

 encore ,

 Charbonneau-Lassay

 ne disait-il pas à notre

collaborateur Jean Reyor que des personnes dignes de foi

lui  avaient affirmé  la  survivance de r i tes cathares au sein de

certaines familles du sud-ouest de la France ? Nous savons

main ten ant qu ' i l n 'y avait r ien de tel dans l 'Ordre M arti

nis te ni dans l 'Eglise gnostique, mais i l n 'y avait alors pas

d 'autres moyens de le savoir que d 'entrer dans ces organi

sations , car celles-ci se présentant avec un caractère plus

ou moins secret , i l était normal qu 'elles ne fournissent pas

au public les preuves de leur fi l iation. L 'atti tude de René

•Gaénon, en cette période

  1906-1909

  était donc parfaitement

normale et devait , dans l 'avenir , se révéler «providentielle »

puisqu 'elle a permis que d 'autres après lui évitent de

 s'en

gager dans des voies sans issue et d 'y perdre au moins leur

de spiritualisme ; de tels éléments ne pourront jamais cons

ti tue r un édifice s table . Le tort de la plupart de ces doctrines

soi-disant spiritualis tes , c 'es t de n 'être que du matérialisme

transposé sur

  Un

  autre plan, et de vouloir appliquer au do

maine de l ' esprit les méthodes que la science ordinaire em

ploie pour étudier le monde hylique. Ces méthodes expéri

mentales ne feront jamais connaître autre chose que de

simples phénomènes, sur lesquels il est impossible d'édifier

une théorie métaphysique quelconque, car un principe uni

versel ne pe ut pas s 'inférer de faits particuliers . D 'ailleurs ,

la prétention d 'acquérir la connaissance du monde spirituel

par d es moyens maté r i e l s e s t év idemment absurde ; c e t t e

connaissance, c 'es t en nous-même  s eu l emen t que nous pour

rons en trouver les principes , et non pas dans les objets

ex té r i eu rs »

 (1).

Convaincu que les organisations occultis tes ne détenaient

aucun enseignement sérieux et dir igeaient leurs membres

vers un faux spiritualisme incohérent et dépourvu de base

traditionnelle , René

  Guenon

  songea à grouper les éléments

les plus intéressants de ces organisations dans un

  «

  Ordre du

Temple » qui , bien que dépo urvu d 'une transmission initia

tique régulière , aurait pu constituer un groupe d 'études du

genre de ceux dont l 'auteur

  d Orient

  et Occident devait plus

tard e nvisager la possibili té . M ais ce groupe n 'e ut qu 'une

exis tence éphémère et les

  dirigeants

  du mouvement occul

tis te n 'eurent aucune peine à reprendre en mains la plupart

des éléments qui avaient un moment échappé à

  leur

  in

fluence.

Après sa rupture avec les organisations occultis tes , René

Guenon

  fut admis à la Loge  Thébah  r e l evan t d e la Grande

1. Cf.  La Gnose, d écem bre 1909, p. 20.

3^2

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

Loge de France , Ri te Ecossais Ancien e t Accepté . I l devai t

rester en act ivi té dans ce t t e Obédience jusqu'à la guerre de

1914  qui mit l es Loges en sommeil . Après la guerre , ent iè

rement absorbé par son oeuvre publ ique , i l ne repri t pas

LA   VIE  S I M P L E D E R E N É  GUENON

323

i l avai t t ravai l lé presque constamment avec ce dernier pen

dant plusieurs années. Toutefois , Champrenaud ne publ ia

personne l l ement ri en dans ce t t e revue e t M atgioi n'y d onn a

qu'un seul art ic le . Le principal rédacteur fut

  Guenon

  lui-

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d'act ivi té , sans cesser pour ce la de s ' intéresser à la M açon

ne r i e e t d ' en t r e t en i r de s r e l a t i ons avec de s membre s de s

différentes Obédiences.

M ais revenons à l ' année

  1909.

  D ans les mil ieux m art i -

nistes e t gnost iques René  Guenon  avai t rencontré deux

hommes qui y avaient é té amenés , l 'un par curiosi té inte l

l ec tue l l e , l ' autre par amit ié pour l 'un des plus remarquables

représentants du mouvement occul t is t e : Léon Champre

naud e t Albert de Pouvourvi l l e , ami de j eunesse de S tanislas

de   G ua i ta .

Léon  Champrenaud (1870-1925)  avai t é té mêlé tout j eune

au  mouvement lancé par Papus, presque depuis ses débuts.

V e r s  1904  il commença à s'en désintéresser et il se tourna

vers l ' é tude des doctrines orienta les . A une époque que nous

n'avons p u préciser , i l adhéra à l ' Is lam sous l e nom d'Abdul

Haqq . M ais l e début de son orienta t ion fut probableme nt dû

à Albert de Pouvourvi l l e   (1862-1939)  qui, au cours d'un

séjour au Tonkin où il remplit des fonctions militaires et

administ ra t ives , avai t reçu un ense ignement e t une ini t ia

t ion tao ïst es sous le nom de M atgioi . M atgioi e t Léon C ham

prenaud fondèrent en avri l  1904  la revue  La Voie  qui dura

jusqu ' en mars

  1907

  et dans laquelle furent publiées pour la

première fois l es deux œ uvres capi ta les de M atgioi

  La Voie

Métaphysique   e t  La Voie Rationnelle  a insi qu'un ouvrage en

collaboration intitulé

  L'es enseignements secrets de la G nose

sous la signature S imon-Théophane (Simon é tant Pouvour

vi l l e e t Théophane , Champrenaud).

En novembre 1909, René  Guenon  fondait la revue

  La

Gnose

 qui se présenta i t comme une reprise de

  La Voie

  e t

qu' i l di rigea sous l e nom de Pal ingenius jusqu' en février

1912, date du dernier numéro. Il a déclaré lui-même, dans

une not ice nécrologique sur Champrenaud, qu'à ce t t e époque

même   qui  y publ ia la première rédact ion de  L'Homme et

son devenir selon le  Vêdânta  e t du  Symbolisme de la Croix.

E n  1911  vint s'y ajouter la collaboration d'Abdul Hâdi avec

ses é tudes sur l ' ésotérisme islamique e t ses t raduct ions de

Mohyiddin  ibn Arabi  (1).  Dès c e t t e époque  G uénon-Pa l in -

genius s 'a ff irme comme le grand métaphysicien que conn ais

sent l es l ec teurs des l ivres parus sous son patronyme depuis

1921.  C'est donc entre 23 e t 26 ans qu'on doi t placer l ' é labo

ra t ion de de ux de ses l ivres e ssent i e ls a insi que l e

  projet

d'écri re un ouvrage sur l es condi t ions de l ' existence corpo

relle (2). Que s'était-il donc passé ?

Plus tard René  Guenon  affirmera avoir connu les doc

t rines hindoues , chinoises e t i s lamiques par contact di rec t

avec des représentants autorisés de ces t radi t ions. Nous

savons qu' i l a reçu l ' ini t ia t ion islamique , avec l e nom d'Ab

del W ahed Yahia sous leque l il a passé les vingt de rnières

années de sa vie , en 1912. Son l ivre

  Le Symbolisme de la

Croix est dédié « A la mémoire vénérée de Esh-S heikh A bde r-

Rahman Elish el-Kebir el-Alim el-Malki el-Maghribi  » qui

fut son ini t ia teur, e t la, première de s deux date s m en t ion

nées sous la dédicace,   1329  H. c 'est-à-dire  19x2  est la date

de son initiation, ainsi qu'il l 'a écrit  lui-même  à notre colla

borateur Jean Reyor. Nous avons moins de précisions en ce

qui concerne ses contacts hindous e t tao ïst es , mais l es t ra

vaux publ iés dans

  La Gnose

  a t t e s t en t que , du moins en c e

qui concerne la t radi t ion hindoue , l e contact ne peut pas

1.

 Abdul HadI

  était le nom musulman d'Ivan Gustave

 Afuili

  (ou Aquili) ; il

était d'origine flnlando-tartare et était né en 1863. C'était un ancien officier

de marine qui avai t qui t té le service pour se  consacre r à la l i ttérature e t à

la peinture . Il était aussi t rès versé en philologie. V ers

  1890.

  il alla aux

Indes. On le ret rouve ensui te au Caire  e n 1908  et à Paris entre 1.910 et  191t.

Il mourut à Barcelone en  1917.

2 . Le début de cet o uvrage a été publié dans  t a G nose . V u l 'ex t rême ra r e t é

«le cet te revue et l ' intérêt de ce t ravai l , bien qu' i l «oi t Inachevé, nous pen

sons l e r eprodui r e en  1952 dans les  Etudes Traditionnelle®.

324

É T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

L A V I E S I M P L E D E R E N É

  GUENON

325

avoir é té postérieur à  1910  e t nous ne pensons pas non plus

qu'il ait été antérieur à 1909. Cette période

  1909-1910

 r epré

sente donc l e moment capi ta l de la vie inte l l ec tue l l e e t spi

ri tue l l e de René

  Guenon .

part , l e ri tue l hindou ne se prê te en aucune manière à la vie

occidenta le , tandis que l e ri tue l i s lamique , quel l es que

soient l es diff icul tés pra t iques qu' i l présente , n ' est tout de

même pas incompat ible avec la vie de l 'Occident moderne .

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D éjà , au cours des vingt armées antérieure s , des Hindo us

éta ient entrés en contact , en France , avec au moins deux

Occidentaux d'orienta t ion plus ou moins ne t t ement t radi

t ionnel l e : Sa int-Yves d'Alveydre d'abord (e t nous ne pen

sons pas ici à l'Afghan  Hardjij  Scharipf) , Paul Sédir ensui te .

I l semble que l es informateurs hindous du premier furent

découragés par ses préoccupations sociales et par son obsti

nat ion à considérer l es ense ignements qu'on lui t ransmet

ta i t , non pas comme un ense ignement t radi t ionnel qu'on

doit recevoir et assimiler, mais comme des éléments destinés

à s' intégrer dans un système personnel. Quant à Sédir il

semble bien que le principal obstacle fut le goût qu'il avait

alors pour les «  phénomènes  »  e t don t , malgré les apparence s ,

i l ne réussi t peu t-ê tre jamais à se débarrasser complèteme nt .

On est donc amené à penser que l 'œuvre de René  Guenon

représente l ' about issement de t enta t ives fa i t es pendant plu

sieurs lustres par des Hindous, pour provoque r un réveil t ra

ditionnel en Occident.

On   s'est  souvent demandé pourquoi René

  Guenon

  avait

choisi l ' Islam pour sa voie personnelle alors que son œuvre

fait  préférablement  appel à la tradition hindoue. A vrai dire,

il s'agit  là  d'une quest ion qui ne regarde véri tablement per

sonne e t à laquel l e , sans doute , personne ne saurai t répondre

avec cert i tude . Toutefois i l es t permis de ment ionner â ce

propos des considérations d'ordre tout à fait général. Tout

d'abord, les modalités d'initiation hindoue étant liées à l ' ins

t i tut ion des castes , on ne voi t pas comment

  Un

  occidental ,

par définition hors castes, pourrait y accéder (r) ; d'autre

4.

  M . J e a n H e r b e r t , d a n s

  «n e

  r é c e n t e p l a q u e t t e ,

  Yoaas,  Chrintianînme  et

Civilisation,

  é c r i t t r è s

  justement "

  R e l e v o n s d ' a b o rd

  qu'on

  n e r i s q u e p a s

d ' ê t r e u n j o u r a p p e l é à s e " c o n v e r t i r " ( à l ' h i n d o u i s m e ) c o m m e o n p e u t

l ' ê t r e s i l 'o n s e s e n t v iv e m e n t a t t i r é p a r l ' I s l a m o u l e B o u d d h i s m e p a r

e x e m p l e . E n e f f e t , o n p e u t  naître  H in d o u , e t l 'o n p e u t a u s s i p e r d r e c e t t e

L'année   1912  devai t également marquer un changement

dans la vie privée de René   G u e n o n .  Chaque année , à

l ' époque des vacances , il se rendai t à Blois  pour y r e t rouve r

s e s pa rent s e t sa t ant e , M

m e

  D uru . Ce t te de rni è re , de venue

inst i tut rice l ibre à M ont l ivaul t , pe t i t vi l lage à dix ki lomètres

de Blois , avai t pour adjointe une j eune f i l l e , originaire de

B al lan, non loin de To urs , ,M

ll e

  Be r the Loury. Le

  17

  juillet

1912,

  R e né  Guenon  épousai t ce t t e j eune f i l l e à Blois . Quel

ques mois après , l es deux époux vinrent s ' insta l l e r à Paris ,

dans l e pe t i t appa r t ement que René  Guenon  occupait

depui s  1904  au  51  de la rue Saint-Louis-en-1'île.

Pour des ra isons qui nous sont inconnues , e t qui sont

peut-ê t re de l 'ordre

  le

  plus humblement matérie l (une revue

qui a  150  abonnés ne peut pas vivre sans que chaque année

se solde par un déficit) la revue   La  Gnose  s 'é ta i t a rrê tée en

février  1912  (1).  Peut-ê t re aussi ce t arrê t correspondai t - i l

à  Un  changement , non pas dans l 'ordre doctrinal , mais dans

l ' a t t i t ude de René Guenon  à l 'égard des religions en général

e t du Christ ianisme , plus précisément encore du Cathol i

c isme , en part icul i er. I l ne semble pas que Léon Champre-

naud ni M atgioi a ient eu une idée exacte des rappo rts de

l ' exotérisme e t de

  l'ésotérisme

  ou, si on préfère, de la reli

gion et de l 'Initiation.  ïl  y a incontestablem ent chez M atgioi

une a t t i tude ant i re l ig ieuse assez surprenante e t , en tout cas ,

q u a l i t é ,  main  o n n e p e u t n i  devenir  H in d o u n i m ê m e l e r e d e v e n i r s i o n a

i e s sé  d e l ' ê t r e — p a s p lu s  qu'on  n e p e u t d e v e n i r n è g r e . I l e s t e x a c t  q u e

d e p u i s q u e l q u e s a n n é e s c e r t a i n s m o i n e s h i n d o u s m o d e r n i s t e s o n t v o u l u

i m i t e r l e s p r a t i q u e s d e c o n v e r s i o n s c h r é t i e n n e s e t  m u su l m a n e s  e t f a b r iq u e r

u n e s o r t e d e b a p t ê m e , q u i c o m p r e n d , j e c r o i s ,   un  b a in d a n s le G a n g e e t la

r é c i t a ti o n d e q u e l q u e s f o r m u le s s a c r é e s , m a i s c ' e s t u n i q u e m e n t p o u r p e r

m e t t r e à d e s e x - H i n do u s e n t r a î n é s , p a r d e s m o y e n s s o u v e n t d i s c u t a b l e s .

d a n s d ' a u t r e s g r o u p e s r e l i g i e u x , d e r e v e n i r a u b e r c a i l . E t n u l n e s e d i s s i

m u l e q u e c e s u b t e r f u g e e s t l u i -m ê m e a s s e z f a l l a c i e u x " .

i O u t r e l e s r é d a c t e u r s d é j à m e n t i o n n é s ,

  La  Onose

  a v a i t p o u r c o l l a b o r a

t e u r s  . T h o m a s

  (Marnés)

  e t

  l auteur qu i s igna it Mercuranus.

326

ÉTUDES TR ADITIONNELLES

LA V IE S IM PLE DE R ENÉ

  GUENON

327

chez tous ceux qui entouraient René   Guenon  à l ' époque de

La Gnose,

 une position « anticléricale » très m arquée . N ous

pensons que c ' est à l ' époque de son ra t tachement is lamique

que se précisèrent dans l ' espri t de   Guenon  les notions si

sa t ions ini t ia t iques du monde occidenta l . I l avai t pu se

rendre compte aussi , grâce à ses contacts orientaux, de tout

ce qui séparait la M açonnerie mode rne d'une organisat ion

ini t ia t ique complète sous l e double rapport de la doctrine

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importantes de religion et d' initiation, la délimitation de

leurs domaines, la distinction de leurs buts respectifs et enfin

leurs rapports normaux.

D ès 1909, à l 'époque de ses démêlés avec les organisations

occultistes,   Guenon  était en relations avec un publiciste

cathol ique , A. Clarin de la Rive qui di rigea i t une revue ant i

maçonnique qui porta successivement comme t i t res

  La

France Chrétienne puis  La France Anti-Maçonnique.  M . d e

la Rive avait été mêlé de très près à la fameuse mystification

de Léo Taxil  en laquelle Guenon  devai t voir par la sui t e une

des plus sinistres manifestations de la contre-initiation à

l 'époque contemporaine . M. de la Rive avai t même joué un

rôle important dans les circonstances qui obligèrent Léo

Taxil à faire l 'aveu de ses mensonges. Par lui

  Guenon

  put

ê tre documenté sur ce t t e affa i re e t en mesurer la gravi té .

G ravi té , l e mot n' est pas t rop fort puisque par ses « forge-

ries  »  Léo Taxil avait réussi du même coup à jeter le discré

dit sur la M açonnerie et à ridiculiser, sinon l 'Eglise, d u

moins nombre d' ecc lésiast iques e t même de hauts digni

taires romains. Il ne saurait être question de refaire ici l 'his

toire de l 'affaire Taxil et nous rappellerons seulement que

celui-ci avait réussi à convaincre d'importantes fractions

du publ ic ca thol ique de l ' existence , derrière la M açonnerie

habi tue l l ement connue , d 'une « haute M açonnerie lucifé-

rienne » à laquelle il attrib uait e t de multiples crimes e t

l 'habi tude de se l ivrer à des évocat ions diaboliques. M ême

après le discours d'avril  1897  où Taxil avoua avoir fabriqué

le

 «

  pal ladisme », de nombre ux catholiques resta ient persua

dés du caractère luciférien de la M açonnerie.

R e né  Guenon  avai t pu se rendre compte direc tement e t

personnel l eme nt du véri table caractère de la M açonnerie

qui est la plus

 importante

  survivance des anciennes organi

e t de la méthode ; i l avai t pu se rendre compte des ravages

exercés par l es préoccupat ions e t l ' ac t ivi té pol i t iques d'un

grand nombre de M açons, ce qui expl iquai t e t just i f ia i t

j usqu ' à

  Un

 certa in point , mais jusq u'à un ce rta in point seu

leme nt , l ' existence d'un « ant i-M açonnisme ». A cause de

son caractère ini t ia t ique , i l convenai t de re ndre à la M açon

nerie son vrai visage défiguré par la mystification taxilienne ;

à cause de l eur pol i t ique e t de l eur modernisme , i l fa l la i t

comb at t re l es M açons contemporains infidèles à la vocat ion

ini t ia tique p our que la M açonnerie puisse rede venir e ffec

t ivement ce qu' e l l e n 'a jamais cessé d'ê t re vi rtue l l ement .

C' est ce t ravai l qu' entrepri t René  Guenon  dans  La France

Anti-Maçonnique

  au cours des années  1913-1914  et qui fut

interrompu par la première guerre mondiale . Anonymement ,

pui«  sous l e pseudonyme « Le S phinx » il  publ ia une série

d'importants articles sur le Régime Ecossais Rectifié, sur le

pouvoir occul te , sur la S t ric te Observance e t l es Supérieurs

Inconnus, sur l es Elus Coëns, t ravaux remplis d'aperçus

inat t endus e t qui révèlent une connaissance approfondie de

l 'histoire de l 'Ordre   maçonnique  (1).

*

Lorsque survint la guerre de 1914, René

  Gu e no n ,

  qui

avait été réformé lors de son conseil de révision en 1906,

fut maintenu dans la même si tuat ion. Pet i t rent i e r ayant vu

fondre ses revenus, il fut obligé, pour faire face aux néces

si tés matérie l l es , d ' entrer dans l ' ense ignement l ibre , e t c ' es t

ainsi qu'il professa la philosophie dans divers pensionnats.

D urant l ' année scolai re 1916-1917, i l exe rça comme sup-

1. Nous aroni  l 'intention de republier le» plus importants de ce s travaux.

328

E T U DE S T RADIT ION N E L L E S

L A V IE S IM PL E D E RE N É GU E N ON

329

pléant à Sa int-Germain-en-Laye. A ce t t e époque , l e

  8

  mars

1917,

 survint la mort de sa mère e t , comme sa tante M

me

Duru

se trou vait se ule à B lois, il la fit venir à Paris. M ais, six mois

après , l e 27 septembre

  1917,

  R e né

 Guenon

  était nommé pro

temps après que nous devions fa i re la connaissance de René

Guenon.

Un jour de j anvi e r

  1922 ,

  entra dans notre magasin du

quai Sa int-M ichel un homme d'une t re nta ine d'années , t rès

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fesseur en Algérie, à  Sétif.  I l part i t re jo indre son poste ,

accompagné de sa femme e t de sa tante . I l s arrivèrent l e

20 octobre, après un voyage long et fatigant et s' installèrent

près du collège, dans la rue de Constantine. Par suite du

manque de professeurs ,

  Guenon

  dut faire, en plus de la

classe de philosophie, le français en première et le latin en

première e t en seconde.

Par une curieuse co ïncidence , un ami de Blois , l e   D

r

  Le -

sueur, avait été nommé médecin-chef à l 'hôpital civil

d'Hammam-Rhira , à une centa ine de ki lomètres à l ' es t

d'Alger. Le   D

r

  Lesueur avai t épousé une é lève de M

m e

  D u ru

lorsque celle-ci était institutrice à M ontlivaut, et avait bien

connu son adjointe , devenue M

mB

  G uenon. D e s l iens d ' ami

tié s'étaient noués entre les deux couples, aussi lorsque le

D

r

  Lesueur  apprit  que René  Guenon  e t sa femme se t rou

vaient à  Sétif,  le s  invita-t-il  à venir passer les vacances à

Hammam-Rhi ra .

  Cette ville est Une station thermale d'été

e t d 'hiver , mais aussi un important centre de pèlerinage .

En octobre   1918,  R e né  Guenon  rentra en France e t a l la

avec sa femme s' installer à Blois dans la demeure de la rue

du Foix ; quelque te mps après, il fut nomm é professeur

de philosophie au collège de cette ville , tandis que le   D

r

  Le

sueur, revenu lui aussi d'Afrique du  Nord,  était nommé

conservateur du château.

L'année suivante ,  Guenon  qui t ta l ' ense ignement pour se

consacrer ent ièrement à la préparat ion de ses premiers

livres. Sa femme partageait son travail , relisant les manus

crits avan t qu 'ils soient soumis au x édite urs. Comme ils

n'avaient pas d'enfants, ils prirent auprès d'eux une nièce

alors âgée de 4 ans et s'occupèrent entièrement de son édu

cation. Ils retournèrent à Paris fin   1921,  habi ter l e pe t i t

appartement de la rue Saint-Louis-en-1'île , et c 'est peu de

grand, t rès mince , brun, vêtu de noir , ayant l ' aspect c las

sique de l 'universitaire français, son visage allongé était

éclairé par des yeux  é t rangement c la i rs e t perçants qui don

naient,

  l ' impression de voir au de là des apparences. A vec

une affabi l i té parfa i t e , i l nous demanda de venir prendre

chez lui des livres et des brochures néo-spiritualistes dont il

désirait se défaire. Comme nous acceptions sa proposition,

i l nous donna son nom e t son adres se : Re né G uenon,

  5 1,

  ru e

Saint-Louis-en-1'île. La maison où il habitait était un ancien

hô t e l du xvi i i

8

  sièc le qui fut un moment , aux environs de

1840,

  la résidence des archevêques de Paris . Guenon  y occu

pai t un pet i t appartement au fond de la grande cour pavée ,

au 3

e

  é tage . L' intérieur é ta i t d 'une extrême simplic i té qui

s'accordait parfaitement avec la simplicité de l 'homme lui-

même. De ce moment datent nos re la t ions qui devaient

devenir très suivies à partir de   1929,  comme nous l e verrons

plus loin.

Nous avons di t que René  Guenon  n'avai t pas de fortune

e t ce n'é ta ient pas l es droi ts d'auteur de ses premiers ou

vrages qui pouvaient lui permet t re de vivre . A part i r de

1924, il donna des leçons particulières et des leçons de phi

losophie au Cours

 Saint-Louis

  où sa nièce faisait ses études.

C' est à ce t t e époque , en 1924, que Frédéric Lefèvre ,

rédacteur en chef des  Nouvelles Littéraires,  a l la interviewer

Ferdinand Ossendowski a lors de passage à Paris , en com

pagni e de René G uenon , René G rousse t e t J acques M a ri -

ta in. L' interview qui parut dans l es

 Nouvelles Littéraires

  du

2 5 m a i  1924  présente un raccourci saisissant des positions

respect ives des quatre écrivains.

Nous ne savons exactement à quel l e date René

  Guenon

fit la connaissance de Louis Charbonneau-Lassay, archéo

logue e t symboliste chré t i en qui poursuivai t dans sa dem eure

330

ÉTUDES TRADITIONNELLES

familiale de  Loudtin  le véritable travail de bénédictin qui a

donné naissance au

  Bestiaire du  Christ

  dont la plupart des

•chapitres  on t  paru  dans la revue  Regnabit,  dirigée par le

R. P. Anizan. Charbonneau-Lassay introduisi t René

  G u e

LA VIE SIMPLE DE RENÉ  GUENON

331

régulièrement sa collaboration. A Guenon  et à Argos se joi

gnirent dans ce t t e première période Patrice G enty, G aston

D e m e ng e l ,

  Probst-Biraben, M arcel Clavel le , puis , dans

l 'ordre chronologique , André Préau, René  Allar,  Frithjof

Schuon. A part i r de   1935,  la revue , pour mieux répondre à

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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non dans ce mil i eu e t , pendant l es années  1925 à

  1927,

 G u é-

non publ ia dans ce t t e revue de nom breux art ic les sur l e sym

bol isme chréti en qui , dans son espri t , devai t a ider l es Catho

l iques à prendre conscience du sens profond de l eur t radi

tion. Il avait écrit pour cette revue l 'article intitulé

  Le grain

•de  sénevé

 que l e s

 Etudes Traditionnelles

  ont publié dans

  leur

numéro de janvier- février

  1949.

  D ans la note l iminaire de

ce t art ic le , René  Guenon'écrivait  : «Ce t article , qui av ait

été écrit autrefois pour la revue

  Regnabit,

  mais qui ne put

y paraître , l 'hostilité de certains milieux  néo-scolastiques

nous ayant obligé alors à cesser notre collaboration, se place

plus spécia lement dans la perspect ive de la t radi t ion chré

t i enne , avec l ' intent ion d' en montrer l e parfa i t accord avec

les autres formes de la t radi t ion universe l l e ». Cet t e rupture ,

jo inte au résul ta t de certa ines expériences fa i t es dans des

cerc les d'é tudes thom istes , dev ai t ébranler chez René G ué-

non l ' espoir d'un redressement t radi t ionnel de l 'Occident

prenant appui sur l 'Eglise catholique.

D ès   1925 ,  R e né  Guenon  avait accordé quelques articles

à notre revue

  Le Voile d'Isis.

  A la fin de

  1928

  nous déci

dâmes de changer le caractère de ce t t e publ ication. Quelque

temps auparavant , nous avions mis en re la t ion avec René

Guenon

  notre ami Jean Reyor qui é ta i t dé jà ent ièrement

acquis aux doctrines t radi tionnel l es . Nous dem andâmes à ce

dernier d' envisager avec  Guenon  une transformation com

plè te du

  Voile d'Isis.

  R e né

  Guenon

  accepta d'accorder sa

collaboration régulière sous la condition de n'occuper aucune

fonct ion dan s la revue e t d 'ê t re considéré simplement comme

un de s rédacteu rs. D 'un commun accord nous choisîmes

notre vieil ami Argos  comme  rédacteur en

  chef,

  fonction

qu' i l occupa de janvier  1929  à fin  1931,  époque où des c i r

constances cont ingentes l ' empêchèrent de nous cont inuer

son contenu, pri t l e t i t re

  d Etudes  Traditionnelles

  qu' e l l e

porte ac tue l l ement , avec tous l es col laborateurs que nos

lec teurs d'aujourd'hui connaissent . René  Guenon  avai t

«nfin  t rouvé un organe dans l equel i l pouvai t s ' exprimer en

toute l iberté e t mener pendant 20 ans un combat incessant

contre toutes l es idées ant i - t radi t ionnel l es , en même temps

qu' i l poursuivai t son œuvre doctrinale .

Au début de   1928,  R e né  Guenon  avai t eu la douleur de

perdre sa femme e t , neuf mois après , sa tante M

m e

  D u ra .

Leurs corps furent ramenés dans l e caveau de famil l e , au

cimet ière de Sa int-Florent in, dans l e Faubourg de Vienne ,

à Blois . Resté seul a lors , René

  Guenon

  qui t ta Paris pour

l 'Egypte l e 20 février 1930. I l parta i t pour quelques mois

dans l e but de rechercher , fa i re copier e t t raduire pour l e

compte d'une nouvel l e maison d'édi t ion, des t extes ésoté-

riques de l ' Is lam. Ces t ravaux le re t inrent plus longtemps

qu'il n'avait pensé, puis la maison d'édition abandonna son

pro j e t . René

 Guenon

  se fixa alors au Caire, dans le quartier

de la mosquée  d'El-Azhar où i l vécut , discrè teme nt e t modes

tement,

  ayant peu de re la t ions avec l e mil i eu européen. Le

publ ic de ses l ivres e t de ses art ic les s 'é t endai t de plus en

plus e t i l recevai t une correspondance qui devenai t chaque

jour plus considérable. Il s'astreignait à répondre à tous

ceux qui lui écrivaient , avec une bienvei l lance jamais dé

ment ie . Son t emps e t sa santé furent dévorés par ce t ravai l .

En 1934, René

  G u e n o n ,

  ou plu t ô t Abde l W ahed Yahia

se remaria avec la f il le a înée du She ikh M ohammed Ibrahim.

Aussi tôt après i l envisagea , de fa i re un voyage en France

afin d'arranger les affaires qu'il avait laissées en l 'état au

moment de son départ en 1930, mais finalement ne partit

pas .  E n  1935,  il se fit expédier les livres et les papiers qui se

332

ETUDES TRADITIONNELLES

t rouvaient encore dans son appartement de la rue Sa int-

Louis-en-1'île. Il alla alors s'établir hors du Caire, dans le

quart i e r de D oki , un en droi t , nous écrivai t -i l , « où on n' en

tend aucun brui t e t où on ne risque pas d'ê t re dérangé sans

cesse par l es uns e t l es autres ». I l devai t vivre là , sans

LA V IE S IM PLE D E RENE GUENON

333

l e corps , porté de nouveau à bras , fut condui t au c imet ière

de

  Dar rassa ,

  dans la coll ine de M okat tam, e t là , repose

mainte nant dans l e caveau de la famill e M ohammed

Ibrahim.

Ainsi se t e rmina ce t t e vie s imple e t modeste , dégagée de

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presque jamais sort i r , jusqu'à ses derniers moments. La

seconde guerre mondiale interrompit nos re la t ions e t la

publication des  Etudes Traditionnelles.  Dès que l es re la t ions

repr i r en t avec l 'Egypt e , René  Guenon  nous demanda d ' en

visager la reprise de la revue , ce qui eut l i eu en octobre  1945.

Pendant la guerre , prof i tant d'une diminut ion appréciable

de sa correspondance , i l avai t pu met t re au point plusieurs

ouvrages capi taux : Le règne de la quantité et les Signes des

temps, Les Aperçus sur l'Initiation

  e t

  La Grande Triade.

Et la correspondance repri t , e t l es art ic les e t l es comptes-

rendus. Une de ses dernières jo ies fut la naissance de son

fi ls Ahmed, l e 5 septembre 194g. I l n 'avai t eu jusqu'a lors

que deux f i l l es , Khadidja e t  Lei la .  Nous avons app ris

depuis la naissance d'un f i ls posthume, survenue l e   17 mai

1951  e t auquel on a donné le nom de son père , Abdel W ahed.

A pa r t i r du 25 novembre

  1950,

  toute ac t ivi té lui devint

impossible e t ses mei l l eurs amis ne reçurent plus de l e t t res

de lui après ce t t e date . I l souffrai t d 'un em poisonneme nt

du sang ave c manifesta t ions diverses ; i l eut une jambe

affreuse me nt infectée q u'on s auv a à force de vigilance. Il

fut soigné avec un d évouem ent admirable par sa femme e t

pa r un de s e s admi ra t eurs , l e D

r

  Katz . D ans les premie rs

jours de

  1951,

  il accusa une nouvelle faiblesse, puis il fut

pris d'une st rict ion laryngée qui l ' empêchai t de parler e t de

s 'a l imenter , e t bientôt la mort vint l e surprendre en ple ine

lucidité . C'é ta it l e dimanche 7 janvier , à 2 3 he ures.

Les funérailles, nous écrit le D

r

  Katz, furent très simples

e t se sont déroulées l e l endem ain lundi entre   10 e t  14 heure s .

Le corps du Sheikh Abdel W ahed Y ahia , t ransporté pen

dant que lques centa ines de mètres à bout de bras , fut e nsui te

conduit à la mosquée  d'El-Azhar.  Après la prière de s

 mo rt s .

toutes l es ambit ions que sol l ic i t ent habi tue l l ement l es

hommes. La vie se confond ic i avec l 'œuvre . Quel plus be l

•éloge  pourra i t -on en fa i re ?

R e né  Guenon  n'a pas laissé d'ouvrages inédits, mais il a

exprimé le  vœu  que soient réunis en volumes l es nombreux

art ic les parus dans diverses publ icat ions e t qu' i l n 'avai t pas

intégrés dans ses ouvrages dé jà composés. Un premier

volume est dé jà préparé ,  Initiation et Réalisation spirituelle,

qui forme une sui t e aux

  Aperçus sur l Initiation.

  Il a laissé

la mat ière de plusieurs autres volumes, d ' importance iné

gale ,

  sur l e symbolisme universe l e t l e symbolisme maçon

nique , sur l e symbolisme chrét i en e t l es doctrines ini t ia

t iques chrét i ennes , sur la cosmologie sacrée , sur divers as

pects de l 'hindouisme, sur l ' ésotérisme islamique e t sur la

M açonnerie . La mise au point de ces ouvrages est une de s

tâches longues et délicates que lègue à ses amis celui qu'on

a appelé avec ra ison l e plus grand des maî t res inte l l ec tue ls

que  l'Occident  ait connu depuis la fin du moyen âge.

PAUL CHACORNAC

SOUVENIRS

  ET

  IPiERSPÎECI

SUR RENÉ GUENON

it^J

SOU VE N IRS E T PE RSPE CT IVE S SU R RE N E GU E N ON

  335

c'est qu'il était d'humeur égale et bienveillante et incapable

de fa i re aucun mal . Ce n' est pas peu. Cet homme qui a eu

des adversaires passionnés, des ennemis qu'il connaissait

e t dont i l savai t qu' i l pouvai t a t t endre l e pi re , n 'a é té l ' en

nemi de personne e t n 'a songé à répondre à la violence e t

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E

  toutes les figures qu'il m'a été donné d'observer au

long d'une carrière, d'ailleurs plus soucieuse des

œuvres  que des personnes , voic i  une  des plus curieuses e t

des plus a t tachantes dans son mystère . J 'a i connu René

Guenon  au t emps de notre âge mûr. I l venai t de publ ier

so n  Introduc tion générale à l'élude des

  doctrines

  hindoues

e t des rapports d'auteur à cri t ique , a insi que des vues con

cordantes sur l ' é ta t ou la nature du monde présent , nous

l ièrent d'abord. Je l e vois encore , dans mon cabinet de la

ru e

  Guy-de-la-Brosse

  — assis sur un pouf devant la che

minée, et ceci , joint à sa longue taille et à son long visage

lui donnait un air oriental parfaitement approprié à sa phi

losophie, mais bien étrange chez un tour ange au. J 'allai

aussi chez lui dans une de ces vieilles maisons seigneuriales

ou cléricales de l 'Ile Saint-Louis aménagées en appartements

et dont l 'escalier étroit et sombre, bizarrement contourné,

garde le parfum un peu poussiéreux des méditations d'un

autre âge. Il vivait là dans un logis d'ailleurs commode et

sans ri en d' extraordinaire entre sa femme e t sa nièce e t

l 'on avait l ' impression que tout, dans cet endroit paisible

et solitaire, n'était ordonné que pour la méditation.

J 'a i rarement rencontré une physionomie aussi pure que

celle-ci. Qu'on ne se méprenne pas là-dessus. Quand je parle

a insi de pure té , j ' entends la parfa i t e intégri té de l ' espri t

et l 'absence de toute compromission. Quel fut  l'homme

intime, sinon l 'homme intérieur, chez René

  Guenon

  ? Cela

n'a regardé que lui , et il n'en a rien laissé passer. Il a été,

dans l 'espèce douée de la parole,  Un  de ces êtres infiniment

rares qui ne disent jamais

  je .

  Tout ce qu'on peut avancer ,

aux violences que par la raison. Et il se pourrait même

qu'il ait préféré la fuite à une autre sorte, plus directe, de

défense.

Non qu' i l a i t manqué de sensibi l i té , e t on eut pu même

parier pour l e contra i re . Tout droi t e t sans dévier de sa

ligne, sans rien perdre de sa lucidité ou de sa force, et les

accroissant plutôt à la contradiction, il ressentait les oppo

si t ions hargneuses , l es e ffe ts des sourdes manœuvres e t gar

dait mille inquiétudes sur l 'œuvre qu'il poursuivait et la

façon de la poursuivre, redoublant de scrupule dans la

recherche ou la documentat ion, se débat tant parmi l es

difficultés matérielles de l 'édition. Il était atteint dans son

domest ique , perdant sa femme, séparé de sa nièce . La pro

fondeur du coup put se mesurer à ses sui t es . La blessure

le poussait à quelque retraite lointaine, et ce furent là   les

causes déterminantes de son départ .

Ce qui le laissa le plus indifférent — et à son seul hon

neur — c ' est la réserve hauta ine où se t enai t à son égard

l 'enseignement officiel , attitude dont le scandale finissait

par éclater à la longue. Pendant que ces adversaires qu'il

blessait à mort en les frappant au cœur, c 'est-à-dire au

principe même de leur doctrine, se déchaînaient contre lui ,

l es docteurs patentés se ta isa ient , e t nous avons vu des

«  spécialistes  »  de la philosophie hindoue ne pas le citer dans

leurs ouvrages. Ce que nous en disons n' est pas pour t i re r

vengeance ,

  manifester

  de l ' indignat ion, ou exhaler une

vaine pla inte . M ais considérant ic i l ' a t t i tude de Re né G ué-

non e t l ' ensemble de son caractère , peut-ê t re touchons-

nous à l 'essentiel de lui-même.

C'est un homme qui a vécu en fonction de son œuvre

e t de la doctrine exprimée par ce t t e œuvre , e t tout est là .

336

É T U DE S T RADIT ION N E L L E S

Il a tout effacé, et il

 s'est

  effacé devant ce souci premier.

Il y a tourné ses disciplines individuelles. Il y a subordonné

son action et il y a conformé l 'économie de sa vie publique

ou privée . Rien ne l ' a entamé à ce t égard, aucune considé

ra t ion d'opportuni té ou de compagnonnage , aucune préoc

S O U V E N I R S E T

  PERSPECTIVES

  S U R R E N É

  GUENON 33 7

Il fit cet ouvrage, d' inspiration et très vite. Il était là dans

son sens e t dans l e sens d'un mouvement qui s 'accroissa i t

e t où i l doi t ê t re t enu à une des premières places. On sa i t

qu' i l rep renai t l e suje t , l' approfondissant encore , avec

  Le

Règne de la quantité.

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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cupat ion excessive de son t empore l qu' i l devai t pourtant

soume t t r e à  Une  st ric te survei l lance , nul le ambit ion propre

et pas même un excessif souci des nécessités de l 'ordre maté

ri e l .  Aucune quest ion de part i ou de pol i t ique ne se posai t

naturellement pour lui , et il ignorait les pouvoirs

  publics

comme il en était ignoré. Et certainement l ' idée d'aller dans

« l e monde » lui eut paru une pla isanteri e . Sa conversa t ion

resta i t sérieuse , sans ê t re jamais ennuyeuse , passionnante ,

au contra i re , autant que nourrissante dans sa lucidi té ,

écartant sans effort toute futilité et marquant parfois la

nuance d'une i ronie grave ou d'un enthousiasme contenu.

Insensiblement , avec lui , on qui t ta i t l e monde pour entrer

dans l e véri table m onde e t passer de la « représe nta t ion »

au principe. Son discours, enfin, tout amène et toujours

familier malgré sa densité, n'était que son œuvre parlée...

Peut-ê t re comprend-on maintenant pourquoi nous avons

parlé de « pure té ». Nous la re t rouverons , ce t t e pure té , sur

Un

  autre plan.

J 'é ta is , a lors que j e rencontra is René Guenon, di rec teur

littéraire aux éditions Bossard. A cette circonstance est due

la publication, par cette maison, de

  la Crise du monde mo

derne

 e t de

 L'Hom me et son devenir selon le Védânta.

  Je puis

revendiquer , à propos de ce premier l ivre ,  La Crise...,  une

sorte de paternité tout occasionnelle. L'idée en naissait au

cours de mes e ntre t i ens avec l ' auteur. N ous nous accordions

tous deux, moi peut-ê t re plus indiscrè tement , lui avec Une

justesse ou une just ice plus profonde e t plus impitoyable

dans l 'exécration de ce

 «

  monde moderne  »  qui, avec un stu-

pide orguei l , chaque jour avançai t son ensevel issement , e t

où l 'esprit semblait s'abîmer à jamais sous la matière et le

nombre. Je lui disais :  «  Faites quelque chose là-dessus ».

I l n ' entre pas dans mon desse in de reve nir sur sa doctrine .

I l convient pourtant d' en rappeler l ' essent i e l pour mieux

saisir le caractère ou la nature de ce t t e pe nsée , pour t rouver

aussi quelque écla i rc issement à  un  problème qu'a semblé

pose r  une  sorte d'évolut ion ou de mutat ion dont certa ins

ont paru surpris .

Cet t e doctrine est une

  métaphysique

  e t i l faut prendre l e

mot  dans l e sens absolu que lui donnai t  Guenon  lui-même.

La métaphysique pose

  une

  réalité spirituelle — intelli

gible — qui serait , au fond, la seule réalité, alors que la

réalité courante et accessible — la réalité sensible — n'est

qu'appare nce e t « manifesta t ion ». C' est Pla ton, c ' est aussi

la phi losophie hindoue , e t c ' es t toute phi losophie spiri tua-

liste  ou purement idéal ist e tant qu' e l l e n ' est pas re l ig ion.

M ais c ' est ici qu' i l faut prendre garde e t obse rver de t rès

près l ' a t t i tude de René Guenon. Parmi ces formes diverses

que prend l a  métaphysique  au cours des âges et selon les

génies, les confessions, les peuples et les lieux où elle

  s'ex

pl ique e t s ' expl ic i t e ,

  a-t-il

  jamais choisi , ou

 a-t-il

 s eu l ement

voulu découvrir, sous diverses figures, la figure initiale et

invisible ? Nous p ouvon s suppose r —• e t ce rtains po ints

restés un peu obscurs de sa biographie nous y autorisent —

qu' i l a d'abord cherché la  vérité là où elle se flattait de pa

raître , et nous savons le résultat : la lutte précis*; et terrible

qu' i l a menée   contre  les pseudo-vérités qu'il dénonçait dans

Le Théosophisme  e t l es diverses formes du spiri ti sme.

M ais après le négatif v en ait le  positif,  après l 'élimi

nat ion du faux, la découverte du vra i . I l semblai t t rouver

dans l es doctrines hindoues l e point où la

  tradition

  méta

physique — car i l s 'agissa i t bien pour lui d'une t radi t ion —

apparaissa i t avec l e plus de t ransparence e t de cert i tude .

338  ÉTUDES TRADITIONNELLES

Pourquoi ne s'y est-il pas tenu, et est-il mort dans

l'Islam ?

C'est qu'il faisait à sa manière des distinctions que nous

faisons abusivement e t voyait dans l 'histoire des hommes

une présence e t une continuité qui se dérobe à une pensée

SOUVENIRS ET  PERSPECTIVES  SUR RENE GUENON  339

demander même ce qu 'e l le peut avoir de commun avec ces

manifestations.

Une te l le conception trouve bien son i l lustrat ion  la plus

parfaite dans la philosophie hindoue et on voit du même

coup le contraste qu 'e l le fai t avec la re l igion d 'un D ieu pe r

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superficielle.

Les systèmes, l es re l igions et même les inst i tut ions sont

des cadres façonnés par une réalité spirituelle initiale et où

cette réalité s' inscrit avec plus ou moins d'évidence ou

d'efficience, et plus ou moins enveloppée. C'est ainsi qu'il y

a une véri té ou une part de vér i té cachée sous les mythes,

dans les mystères des divers cultes, et qu'il faut savoir dis

cerner l isant les Livres sacrés des peuples. En cer tains

lieux, dans ce rtains cas, l'affleureme nt es t plus marqué ;

Dieu , car c ' est bien de Dieu qu ' i l  s'agit,  surgit dans une

lumière plus rayonnante . M ais jusque dans l 'humble t r ibu

qui vénère son fétiche il reste un contact avec le sacré.

Pourquoi René  Guenon  ne s'est-il pas tenu au Christia

nisme qui était sa religion natale et où cette réalité de l 'es

pr i t , cet te présence de D ieu , se manifeste avec le plus de

force, de profondeur et de magnificence ? Nous voici peut-

être au seuil du secret de l 'ami disparu. Je n'ai pas manqué

de lui poser la question. Il m'a toujours répondu que ce qui

le gênait dans cette religion c'était son caractère   sentimental.

A quoi il convient d'ajouter les difficultés issues d'une dog

matique ajfant

  acquis, dans sa richesse incomparable, et

malgré sa souplesse, une rigidité qui la dérobe aux hardiesses

et aux hasards de l ' interprétat ion.

Aveu, en tout cas, infiniment précieux et combien révé

lateur de la nature de la doctr ine e t de ce t espr i t par t icul ier .

Il devient trop évident ici que la réalité spirituelle reçue,

défendue   pair  René  Guenon  est d'ordre

  intellectuel,

  que son

D i e u  —-  si nous parlons encore, pour plus de commodité de

D ieu — est un D ieu de l ' inte l l igence , si ce n ' est l 'Intel ligence

el le-même, pure , absolue , ne laissant plus rien au dehors dès

qu 'e l le re t i re e n soi ses «  manifestations », et dont on peut se

sonnel et d'une création fondée sur l 'amour : c'est la distance

de la, B hâgàvad-G itâ à l 'Evangile selon saint Jean . N 'y

a-t-il

  pas cependant,  et à l 'approfondir dans cet te métaphy

sique or ientale , que lque chose d ' inhumain, e t l e « sein » de

Brahma, n'est-il pas trop loin de la, Croix du Christ ?

Oserons-nous hasarder une hypothèse ? René

  G u e n o n ,

à la longue, n'aurait-il pas été un peu frappé ou lassé de ces

hauteurs ou de ces profondeurs ver t igineuses ? N'aurai t- i l

pas cherché un

  aspect

  de la vér i té se prêtant davantage aux

mouvements du cœur ; ne l 'aurai t- i l pas aperçu dans l ' Is

lam ? Il trouvait là une dogmatique assez large pour se

prêter sans t rop de gêne aux commentaires histor iques ou

philosophiques, une mystique ardente e t imagée , e t toute

fois n'allant pas jusqu'à la sorte d'ardeur ou d'images de

sainte Thérèse ou de saint Je an de la Croix. La même réal i té ,

la même véri té intér ieure deme urai t ; l es dehors, si l 'on pe ut

di re ,  de cette vérité, apparaissaient moins désertiques, à la,

fois,

  et moins marqués de la passion du cœur.  Alors ? Encore

une fois, ce n'est là qu'une opinion, pas même une supposi

t ion.. .

Nous n 'aurions pas re ndu pleine just ice à l 'homme si nous

ne disions deux mots de l 'œuvre , de la forme même de

l'œuvre. Nous avons indiqué ce   qu'était  la conversation de

René  Guenon  : sér ieuse avec agrément , sobre , e t toute

substantie l le . Les mêmes quali tés se re trouvent dans sa

prose, avec d'autres, et il convient d'y insister. On a tort de

passer sur le style des philosophes sous prétexte qu'ils sont

philosophes. B ergson fut un excellent écrivain. René G ué-

non n'a pas l ' imagination ou les images de Bergson : il est

écrivain aussi. Son style, qui enseigne si bien, n'est nulle

ment un style de professeur ; c ' est un style qui analyse ,

340

ÉTUDES TRADITIONNELLES

coupe , déta i l l e , c larine , tout en poursuivant , impertur

bable , une marche où l 'on se sent toujours dans son chemin.

I l sa i t toutefois varier ce chemin e t y ouvri r des perspe ct ives

orientées vers ce t horizon  mystérieux  qui recèle les vérités

dernières . I l analyse ou i l dogmatise , mais avec une t e l l e

AN MBMORIAM  RENÉ  GUENON

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clarté une t e l l e mesure , un si sûr  e t s i régul ier mouvement ,

dans une dia lec t ique subt i l e qu' i l a rrive à une espèce d'é lo

quence . Et s ' i l doi t

  entrer dans

  la polémique , — ce n' est

jamais une polémique dirigée contre l es personnes , — i l

a un t ranchant e t des arguments dont i l

 n'est

  pas extraor

dinaire que l es adversa ires se soient ressent is . On aurai t

donc tort , admirant chez René  Guenon  le fond  même  e t  lai

substance , de passer t rop vi t e sur l ' expression.

L'act ion de ce penseur secre t e t discre t , malgré la cons

pira t ion du si l ence , se marquai t avec une force croissante

au

 cours des années , e t s i on ne lui rendai t pas e ncore ple ine

just ice , s ' i l n 'a t t e ignai t  pas  des portions assez larges de

public, on prenait garde à lui et on le suivait dans son

double souci de dénoncer un monde qui allait chaque jour

s 'avi l issant e t de re t rouver une voie qui l e ramenât , s ' i l se

pouvai t , dans l e sens

  d'une.

 vie authent ique . I l n ' eut pas

souha ité davantage , e t il continue ra de fructifier. M ais ce

ne sera pas l e moindre de ses ense ignements que l ' exemple

qu'il a

  donné

  d'une œuvre e t d 'une existence qui se sont

poursuivies sans défaillir au service d'une seule pensée.

G O N Z A G U E

  T RU C.

R

E N é G U E N O N

  é ta i t Français de naissance . D ans l e mil ieu

orienta l où i l a passé l es vingt dernières années de sa

vie i l es t re sté Français — du m oins aux yeu x de ses l ec teurs

étrangers—par

 la logique i rrésist ible de l ' expression ve rbale .

Cet t e t raduct ion logique d'une pensée t radi t ionnel l e

n'é ta i t cependant à ses propres yeux qu'une seule modal i té

d ' expre ss ion ent r e beaucoup d ' au t r e s éga leme nt ve rbal e s

qui lui é ta ie nt moins famil ières : a rt is t ique , poét ique ,

pragma t ique . . .

R e n é

  Guenon

  n'é ta i t , en effe t , guère

  «

 génial

 »

  dans l e

sens .qu'on a t t ribue de nos jours à ce t e rme ; son original ité

consistai t au contra i re e n ce que , dans un monde infa tué

d'un modernisme superf ic ie l l ement internat ional , i l

  s'est

efforcé de rester strictement fidèle à la tradition ancienne

d'une universa l i té d' espri t authent ique .

Son a t tachement inf lexible aux principes , dont i l avai t

reconnu une fois pour toutes l ' immutabi l i té , fa isa i t de lui

un guide sûr e t imperturbable à t ravers l e dédale des mou

vements d' idées e t de théories contemporaines aux déno

minat ions souvent fa l lac ieuses.

I l faut di re que l es juge me nts précis e t int ransige ants ,

qu e

  ne

  t roubla i t pourtant aucune prévent ion e t qui é ta ient

p lu t ô t de na ture à éc l a i r e r l ' en t endement de c eux qui en

éta ient l 'obje t , ne t e naien t pas compte des réact ions à

prévoir de la part des personnes qui pouvaient se sent i r

visées.

S i la chari té proprement chré t i enne semblai t lui fa i re

défaut , son inte l l igence qui ne connaissa i t que la passion

de la véri té ne manquai t cert es pas de la chaleur lumineuse

qui se dégage de toute supériori té véri tablement humaine .

34 ÉTUDES  TRADITIONNELLES

Qu'il me soit permis défaire ic i é ta t de que lques souve nirs

personnels :

Au cours de s année s déjà lointaines o ù, à

 Paris ,

 j e l e voyais

à peu près tous les jours, j 'ai assisté maintes fois chez lui à

des entre t i ens prolongés fort avant dans la nui t , pendant

RENÉ

  GUENON

  PRECURSEUR

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l esquels , malgré la fa t igue , i l répondai t avec une pat i ence

inlassable e t lucide aux quest ions inte l l igentes ou saugrenue s

posées par des visi t eurs de passage  :  Hindous, M usulmans,

Chrétiens...

Plus tard, au Caire, où j 'ai passé deux hivers consécutifs

avec lui , cette facilité d'accueil clairvoyant semblait avoir

re t rouvé son cadre nature l dans l ' ambiance favorable de

l 'hospitalité orientale et traditionnelle.

Quelques mois avant sa mort , j e reçus de ce t t e largeur

d' espri t une f rappante confi rmat ion que j e ne savais pas

alors devoir rester pour moi l e dernier s igne de vie de ce t t e

inte l l igence except ionnel l ement ouverte :

Ayant écri t  A Brief introduction to Hindu  Philosophy,

dest inée à mes é tudiants , j e lui en communiquai le t ex te

avant même d'avoir envoyé le manuscri t à l ' édi t eur.

Quand on se rappel l e sa condamnat ion sans appel de la

«philosophie» moderne,on sera  peut-ê t re surpris d'apprendre

que, après quelques réserves initiales, il avait fini par

admettre sans aucune difficulté qu'en anglais ce terme

«phi losophy» pouvai t ê t re accepté pour rendre ce qu' en ses

propres ouvrages écrits en français, il avait constamment

essayé de suggérer par l e t e rme  « métaphysique ».

L'universalité de ses vues dépassait en effet de tous côtés

les l imites de son t empérament individuel e t rest era , pour

ceux qui ont eu l e privi lège de l ' approcher , un souvenir

précieux e t inspira teur, qui complète heureusement l ' image

donnée  par ses livres, image fidèle de son intelligence quoique

partielle de sa personnalité.

Et, c 'est bien pour cela que la disparit ion de Re né Guenon

est , pour ses amis personnels , une pert e i rréparable .

F . V R E E D E .

T

ous ceux qui ont connu René  Guenon  e t qui , par l eur

compréhension a t t ent ive e t f e rvente , ont gagné de

l ' entendre converser e t parler , tous ceux- là possèdent mieux

que l es autres , l e rare e t précieux privi lège de pouvoir re t rou

ver , en re l isant son œuvre , tous l es aspects d'une pensée qui

fut e t qui demeure constamment ra t tachée à l ' essence inal

térable de ces principes suprêmes immuablement contenus ,

comme il l 'écrit lui-même, «  dans la permanente ac tual i té de

l ' intellect divin ». Il suffit , en effet , d'ouvrir un de ses livres

e t d 'y l i re au hasard, pour se rendre compte à quel point

René  Guenon  avai t l e sens de l 'harmonie universe l l e e t

tota le , de ce t t e harmonie qui ref lè te dans la mult iple diver

si té du monde e t de la vie , l 'é t e rne l l e présence de l ' immobile

unité. Ainsi placé au vrai  <t  Centre du

  Monde

  », au cœur

vivant de toute ini t ia t ion valable , Ren é G uenon, avec une

fermeté de pensée , une sol idi té de doctrine , une c larté d' ex

pression e t une rare puissance de logique e t de pénétra t ion,

a  consacré  sa vie à nous faciliter  l'accès  de tous l es t emples

où se conserve encore dans l 'univers ent i e r , la lumière de

l 'Esprit et de la Connaissance.

Or, pour accéder à ce t t e Connaissance t ranscendante e t

divine , René  Guenon  ne cesse de répéter , e t c ' es t là un des

points essentiels qui donnent à son message sa valeur effec

t ive , qu' e l l e ne peut ê t re obtenue que par un effort s t ric te

ment personnel . Les inst ructeurs , l es mots e t l es écri ts

peuvent nous guider sans doute , nous servir de  «  supports »,

mais, rigoureusement incommunicable, la Connaissance

ini t ia t ique e t suprême ne peut ê t re a t t e inte seulement que

par soi-même. Pour le parfait initié, la véritable sagesse ne

consiste donc pas à cultiver l ' i l lusoire vanité du savoir pro-

344

É T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

fane ,  d'encombrer sa mémoire d'idées plus ou moins fausses

cuei l l ies au champ d 'autrui , mais à développer cet te puis

sance de connaissance intérieure contre laquelle nulle force

brutale ne saurai t prévaloir . Cet te puissance est supérieure

à l 'act ion et à tout ce qui se passe. Etrangère au temps, e l le

LA DERNIÈRE VEILLE

DE LA NUIT

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est la conscience vivante de l ' infrangible e t sereine unité e t

le garant de notre éterni té .

Aussi, faut-il saluer en René  Guenon  un précurseur , dans

le monde occidental , de cet te renaissance des forces spir i

tuel les dont i l a tant besoin pour se régénérer , pour se puri

f ier de toutes les erreurs qu 'accumule dans les âmes, cet

infernal ar t isan de désordre , de nausée e t de désespérance

qui est l e matér ial isme de la pensée moderne.

Nous savons toute l 'énorme influence qu 'a l 'œuvre gué-

nonienne pour contr ibuer à former cet te él i te intel lectuel le

nouvel le dont l 'act ion peut e ncore assurer le salut de l 'homme

et la libération du monde menacé.

« I l n 'y a donc pas l ieu de désespérer , écr it Re né G uenon.

Et , n 'y eût- i l même aucun espoir d 'aboutir à un résultat

sensible avant que le monde moderne ne sombre dans

quelque catastrophe , ce ne serai t pas encore une raison

valable pour ne pas entreprendre une   œuvre  dont la portée

réelle s'étend bien au delà de l 'époque actuelle. Ceux qui

seraient tentés de céder au découragement doivent penser

que r ien de ce qui est accompli dans cet ordre ne pe ut jam ais

être perdu, que le désordre , l ' e r reur e t l 'obscuri té ne peuvent

l ' emporter qu 'en apparence e t d 'une façon toute momenta

née ,

 que tous les déséquilibres par t ie ls e t t ransi toires doivent

nécessairement concourir au grand équilibre total, et que

rien ne saurait prévaloir finalement contre la puissance de la

véri té ; l eur devise doit être cel le qu 'avait ado ptée autrefois

certaines organisations initiatiques de  l'Occident  :

«

  Vincit

  omnia

  Veritas

  ».

M A R IO M E U N I E R .

E

T maintenant ?

Tel le est la quest ion que ne p euv ent pas ne pas se

poser tous ceux pour qui l 'œuvre de René   Guenon  fut l'évé

nemen t ma j eu r d e l eu r ex i s t ence .

M aintenant que l 'œuvre « personnel le  » de René  Guenon

est accomplie , quel les sont ses chances d 'aboutissement

effectif ? Aucun signe précurseur d'une

  reviviûcation

  tra

ditionnelle en Occident ne   s'est  manifesté . Le messager ,

ayant dél ivré son message , a disparu de notre horizon et

n'est pas destiné à être remplacé. La fonction de René

Guenon  — que nous ne nous hasarderons pas à définir, mais

que quelques-uns peuvent entrevoir — n'étai t pas de cel les

qui impliquent une succession ininterrompue de représen

tants humains.

M aintenant , le message est devant nous, te l un témoin,

te l un juge.

Aucun signe précurseur . . . Pourtant , d 'un océan à l 'autre ,

d es hommes e t d es f emmes  d'Occident  ont aperçu une « lu

mière dans le ciel ». Combien ? M ille ? D eu x mille ? p e ut-

ê t re .

  Cinq mille ? sûrement pas. Et sur ces pauvres milliers,

combien ont décidé de tout sacrifier pour la quête de vérité,

combien , pour parler le jargon moderne , se sont  «  engagés »

totalement ? Plusieurs centaines ? ce serai t une conjecture

optimiste . M ais le nombre , au départ sur tout , importe pe u ,

nous dit-on. Soit. En effet, ce n'est pas là le plus grave.

Le plus grave , c ' est ceci : ni l 'une ni l 'autre des deux

grandes organisat ions tradit ionnel les du monde occidental ,

l 'Eglise catholique e t la M açonner ie , n 'ont donné un signe

de « bonne volonté ». L 'appel de   Guenon  les « invitait »

346

É T U D E S   T R A D IT IO N N E L L E S

expressément , nommément , surtout la première . René

Guenon  a a t t endu t rente ans. I l est mort sans avoir reçu

de réponse . I l a reçu, à t i t re individuel e t privé , des «  adhé

sions » de Cathol iques — d'autres Chrét iens aussi — e t de

M açons. Publ iquem ent , de son

  vivant

  et après sa mort, il

L A D E R N I È R E V E I L L E D E L A N U I T

347

sur d'authe nt ique s f il s de l 'Egl ise . M anquera i t -on de cha

ri té autant que de compréhension ? Quant aux é loges fur-

tifs,

  dont nous sommes touché assurément , ont- i ls aujour

d'hui exactement la même portée que  s'ils  avaient é té pro

noncés avant l e y janvier

  1951

 ? D es f l eurs sur une tombe .

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n'a guère reçu que des refus, parfois des injures . Oh on

peut di re que cri t iques e t injures é ta ient aussi de s imples

réact ions individuel l es n' engageant que l eurs auteurs. Bien

sûr.

  M ais comm ent se fait-il que seule s ou à peu près les

réact ions host i l es soient apparues au grand jour ? Curieux.

Cela doit tout de même bien signifier quelque chose.

Soyons exact . D epuis la dispari t ion de Re né G uenon,

un théologien réputé a fait , nous dit-on, sur son œuvre, une

conférence élogieuse , tout au mo ins dans sa partie initiale qui

porta i t sur la cri t ique du monde moderne , pour l e rest e ,

c ' es t -à-dire l e fond doctrinal même e t sa valeur du point de

vue chrét i en, l e conférencier s 'é tant re t ranché malheureuse

me nt de rrière la posi tion théologique ordinaire . D 'a il l eurs ,

un article sur  Guenon  publ ié  ultérieurement  par l e même

ne réussi t aucunement à donner une idée tant soi t peu

exacte de la profondeur e t de l ' inte l l ec tual i té véri tables de

l 'oeuvre de G uenon, de sorte que l 'on ne voi t vra iment pas

en quoi , pour l ' aute ur, ce t t e  œuvre  dépasse le cas d'un

quelconque pe nseur profane . M ieux encore , un re l igieux de

la même

  «

  famille

  »

  a écrit dans une grande re vue catholique

un article qui est une prise de position négative et hostile ,

tandis que le plus grand journal catholique français ne

montra i t pour l ' auteur de la  Crise

 du m onde moderne

 qu'un

mépris api toyé , en recom mandant , comme « ant idote ». ..

la lec ture de B ergson.

A-t-on oublié que   Guenon  a « fait des conve rsions » e t

provoqué de nombreux re tours à la foi e t à la pra t ique

cathol iques

  (i)

  ? — Le mépris qu'on lui voue rejaillit ainsi

1 . N o u s n e l a i s s e r o n s  pan  o b j e c t e r q u e  Guenon  a f a i t d e s • c o n v e r s i o n s  '•

*n   s e n s i n v e r s e , d u f a i t q u e q u e lq u e s u n s p a r m i s e s l e c t e u r s o n t a d h é r é  a

de s  f o r m e s  traditionnelle»  o r i e n t a l e s . T o u t d ' a b o r d  ceux-là inêires  é'aient

Du côté maçonnique , i l y a eu un signe publ ic — oh

n' engageant aucune Obédience — qui peut para î t re plus

net dans l e sens de l ' adhésion, mais qui perd t e rriblement

de sa valeur quand on sa i t que ce t t e adhésion comporte des

réserves ne t endant à ri en moins qu'à  ruiner  un des fonde

ments de l 'œuvre guénonienne , à savoir la nécessi té de

l ' exotérisme. Les Catholiques re j e t t ent l ' ésotérisme ; l es

M açons l 'exotérisme. Y aurai t - i l décidément , se lon l ' expre s

sion de M at ila

  G fayka,

  un inévitable

 «

 due l des magiciens

  »

  ?

Guenon  ne l e croyai t pas. Son œuvre doctrinale , qui dépasse

les opposi t ions t empore l l es , s 'accepte ou se re j e t t e en bloc .

Et c ' est un point de doctrine que tout homme ai t   une  reli

gion. C'en e st un autre qu' i l doive y avoir , à cô té de croyants ,

des « connaissants ». L'œ uvre doctrinale de   Guenon  refuse

les t ièdes : ceux qui sont

  à peu près

  d'accord, ceux qui en

prennent e t qui en la issent , ceux qui conservent  Un  préjugé

ou une exclusive dans un coin de l eur tê te , ceux qui ont des

opinions.

Alors ?

Alors le cas était prévu, où

  <«

  l ' é l i t e , pour se const i tuer ,

n 'aura i t plus à compter que sur l ' e f fort de ceux qui sera ient

qualifiés par leurs capacités intellectuelles, en dehors de

tout mil i eu déf ini , e t aussi , bien entendu, sur l ' appui de

l'Orient

  ; son travail en serait rendu plus difficile et son

act ion ne pourra i t s ' exercer qu'à plus longue échéance ,

puisqu' e l l e aura i t à en créer tous l es inst ruments , au l i eu

s o u v e n t d e s i n c r o y a n t s o u d u  moins  d e s n o n - p r a t i q u a n t s  ayant  de r e n c o n

t r e r l ' œ u v r e d e

  G u e n o n ,

  e t e n t o u t c a s n o u s n e c r o y o n s

  paa

  qu ' i l y en eû t

b e a u c o u p

  psrmi

  e u x q u i f u s s e n t d e s C a th o l i q u e s f e r v e n t s . D ' a u t r e p a r t , c e s

ca s

 d'Occidentaux  orientasses

  s o n t s u s c e p t i b l e s d ' e n t r e r d a n s l a p e r s p e c t i v e

«l'une revlvincation

  t r a d i t i o n n e l l e o c c i d e n t a l e e n c e s e n s qu e t e l s d ' e n t r e

e u x p o u r r a i e n t p e u t - ê t r e , l e c a s é c h é a nt , r e p r é s e n t e r c e s " i n t e r m é d i a i r e s "

a u x q u e l s

  Guenon  fait  a l l u s i o n ,

  c o m m e n o u s l e v e r r o n s p lu s l o in .

348

ETUDES TR ADITIONNELLES

LA DER NIÈR E V EILLE DE LA NUIT

349

de l es t rouver préparés comme   dans  l ' autre cas , mais nous

ne pensons

  mollement

  que ces difficultés, si grandes qu'elles,

puissent ê t re , soient de nature à empêcher ce qui doi t ê t re

accompli d'une façon ou d'une autre   » (i) .

La fin de la, phrase es t « optimiste ». Ceux qui se décou

coup plus , même en privé . Nous ne croyons pas non plus

qu'avant lui on a i t ment ionné publ iquement

  l'Estoile inter

nelle.  Comment croire que c ' est « par hasard  »  qu'il en a été

fa i t ment ion pour la première fois au moment du dévelop

pement de l 'œuvre guénonienne , deux ans après la publ i

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ragent pourront la re l i re .

Il est fait allusion à l 'appui de

 l'Orient.

  C'est un

  leit-motiv

de R e né

  Guenon

  quand i l envisage l e redressement t radi

t ionnel de l 'Occident . I l ment ionne pourtant , sans t rop y

croire , on l e vo i t bien,  «  un re tour direc t (de l'Occident)  à  sa

propre t radi t ion, re tour qui sera i t comme   Un  réveil spon

tané de possibilités laten tes », ce qui « implique l 'existe nce

en Occident d'un point au moins où l ' espri t t radi t ionnel se

sera i t conservé intégralement » (2).

I l existe ce rta ineme nt , en deho rs de la M açonnerie e t du

Compagnonnage dont i l n ' est vra iment pas possible de

croire qu' i l s a ient conservé la tota l i té de l eur dépôt , des

filiations initiatiques occidentales et spécifiquement chré

t i ennes , mais ri en ne permet de penser qu' e l l es a ient con

servé davantage . Pourtant , l 'une d' e l l es , t rès fermée , fa i t

pense r à un « Centre spiri tue l ». En janvie r

  1929,

  dans la

revue  Regnabit,  L. Chajbonneau-Lassay  écrivait : « ... Cer

ta ins , parmi ces groupements , é ta ient en parfa i t accord avec

la plus st ric te orthodoxie , tout en détenant parfois pour

eux des secre ts sécula ires é t rangement t roublants , c ' es t l e

cas de

  l Estoile

  internelle  qui n'a jamais compté plus de

douze membres e t qui existe encore avec l es manuscri ts

originaux du xv

e

  siècle de ses écrits constitutifs et de doc

t rine myst ique ». Plus tard, dans l e

  Rayonnement intellec

tuel,

  l e même auteur précisa i t que l e symbole principal de

cette organisation était un ciboire dans lequel doit être

placée une pierre rouge , un « Saint  Graal  ». . . Nous ne pen

sons pas que Charbonneau-Lassay en a i t jamais di t beau-

1.

 La C rise du  Mondt  moderne,  pp .  130-131. Cette citation  «t  cel les qu'on

trouvera   piusloin aoat  prise» dans l 'édition de 1846.

2 .  /*.,

 p. 1*28.

cat ion de la

  Crise du monde moderne

 ? Eta i t -ce une « ré

ponse »? I l ne s embl e pa s que René

 Guenon

 s 'y soi t arrê té . . .

La seconde éventual i té re la t ivement favorable sera i t ce l l e

où « certa ins é léments o ccidentaux accompliront ce t ravai l

de restaura t ion à l ' a ide d'une certa ine connaissance des

doctrines orienta les , connaissance qui cependant ne pourra

être absolument immédiate pour eux, puisqu' i l s doivent

demeurer Occidentaux, mais qui pourra ê t re obtenue par

une  sorte d' inf luence au second degré , s ' exerçant à t ravers

des intermédiaires . . . dans ce cas , i l y aura i t avantage , bien

que ce la ne soi t pas d'une nécessi té absolue , à ce que l ' é l i t e

en format ion pût prendre un point

  d'appui

  dans une orga

nisa t ion occidenta le ayant dé jà une existence effec t ive ; or ,

i l semble bien qu' i l n 'y a i t plus en Occident qu'une seule

organisation qui possède   Un  caractère t radi t ionnel e t qui

conserve une doctrine suscept ible de fournir au t ravai l dont

il s'agit  une base appropriée : c ' es t l 'Egl ise Cathol ique » (1).

I l y a bien une autre « organisa tion occidenta le a yant

dé jà une existence effec t ive   »  e t possédant un caractère t ra

di t ionnel , mais e l l e ne conserve plus de doctrine :

  cele-ci

sera i t à rest i tuer ent ièrement à part i r des ri t es e t des sym

boles.

  Difficulté supplémentaire qui serait sans doute   « com

pensée   » par l e fa i t que ce t t e organisa tion, la M açonnerie ,

a conservé une t ransmission ini t ia t ique re l evant de l ' a t t ri

but divin de « puissance » e t suscept ible d'ê t re revivifiée ,

a insi que nous l ' avons longuement expl iqué dans nos pré

cédents art ic les de

  1950.

Seulement , nous l ' avons vu tout à l 'heure , ni l 'Egl ise

Cathol ique ni la M açonnerie — ou, plus exacte me nt , l es

1. Id„

 p .

  12».

350

E T U D E S T R A D I T I O N N E L L E S

L A D E R N I È R E V E I L L E D E L A N U I T

351

corps constitués et les organismes administratifs qui les

représe ntent — ne se mblent disposées , pour l e présent , à

fournir le « point d'app ui ».

Nous n'oubl ions pas que certa ines possibi l i tés ment ion

nées par René  Guenon  e n  1924  e t  1927  é ta ient envisagées

par lui pou r un « ave nir lointain ».  Qu'entendait-il  au juste

Le s

  Etudes Traditionnelles

  qui , pendant vingt ans , ont

re t enu l e plus c la i r de l ' ac t ivi té de René

  Gu e no n ,

  pourra ient

sans doute const i tuer un premier l i en — d'autres doivent

ê t re possibles — entre l es hommes auxquels nous fa isions

al lusion plus haut , e t c ' es t pou rquoi Re né  Guenon  souhai

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par là ? Si , comme il le pensait , différentes données tradi

t ionnel l es semblent converger pour placer la f in du cycle

actuel ve rs la fin de ce s iècle ou un pe u avan t , un « avenir

lointain » en   1951  ne pe ut ê t re que re la t iveme nt proche

puisque, ainsi , nous serions à la dernière veille de la nuit.

Ne faut-il pas, alors, faire ce qu'on peut avec ce qu'on a ?

Ne nous donnons pas l e ridicule de pré tendre « const i tuer

l 'élite » e t de nous y classer nous-même s. Parlons simple

me nt de rapprocher l es « hommes de bonne volonté ». On

en re vien t à la solution « en de hors de to ut m ilieu défini ».

Et ici , ce qui est grave, c 'est que les individualités « tou

chées » par l 'œuvre de Re né  Guenon  sont , pour la plupart ,

isolées et s' ignorent. Ce danger aussi a été indiqué :  «  Il n'est

pas douteux que l ' espri t moderne , qui est véri tablement

diabolique dans tous les sens de ce mot, s'efforce par tous les

moyens d' empêcher que ces é léments , aujourd'hui isolés e t

dispersés, parviennent à acquérir la cohésion nécessaire

pour exercer une action réelle sur la mentalité générale  (1) ;

c 'est donc à ceux qui ont déjà, plus ou moins complètement,

pris conscience du but vers l equel doivent t endre l eurs

efforts, de ne pas s'en laisser détourner par les difficultés

quel les qu' e l l es soient , qui se dresseront de vant e ux » (2).

1. Et  pour  la  réalisation de conditionai  pins  f a v o r a b l e s p o u r l e t r a v a i l

s p i r i t u e l d e c h a c u n (N o t e  de  J .  R.).

3.

  W.,

  p . 13 2 . — Il d o i t ê t r e b i e n e n t e n d u q u e l e " b u t  »  a u q u e l R e n é G u é -

non f a i t a l lu s i on ic i es t   le  bu t d ' o r d r e g é n é r a l e t c o s m o lo g iq u e v e r s l e q u e l

t e n d  «on  œ u v r e , l e " b u t » p o u r c h a c u n e n s o n p a r t i c u l i e r , n e p o u v a n t ê t r e

q u e s a p r o p r e r é a l i s a t i o n s pi r i t u e l l e , e n v i s a g é e i n d é p e n d a m m e n t  de»  c o n s é

q u e n c e s  qui  p e u v e n t e n r é s u l t e r p o u r l e m i l i e u .  Mali  l e s d e u x c h o s e s n e

s ' e x c lu e n t p a s , e n c e s e n s q u e la p a r t i c i p a t i o n a u t r a v a i l t e n d a n t a u b u t

g é n é r a l p e u t d e v e n i r p o u r c e u x q u i s ' y l i v r e n t , u n " m o y e n „ p ar m i d ' a u t r e s

p o u r l ' a t t e i n t e d u b u t a p i r i t u e l , t o u t e a c t i o n c o n f o r m e à l a V o lo n t é d u C i e l

p o u v a n t s ' i n t é g r e r d a n s l e

  karma-yoga

  q u e c o m p o r t e i né v i t a b l e m e n t t o u t e

r é a l i s a t i o n i n i t i a t i q u e .

ta i t qu' e l l es poursuivent l eur carrière . Dans l es dernie rs

mois de sa, vie, comme il avait fait allusion à l 'éventualité

de sa dispari t ion, nous nous sommes permis de lui demander

s' il considérait qu'après lui nous devrions nous efforcer de

cont inuer la . revue . Et l e 30 août   1950  il nous répondait :

« Pour ce qui est de la revue , j e pense qu' i l sera i t bon de la

continue r si c 'était possible ». Pou r qu e ce soit « possible »

il

 faut,

  entre autres condi t ions , que persist ent la foi e t l ' es

pérance chez ceux q ui la li sent e t ceux qui la font . M ais l e

fa i t même que René  Guenon  t enai t pour souhai table la

cont inuat ion de ce t e f fort , n ' est - i l pas en lui-même une

ra ison de croire e t d ' espérer , puisqu' i l suppose que la mois

son pourra l ever après la mort du semeur ?

*

o  0

En écrivant ces l ignes dans l esquel l es certa ins regre t t e

ront peut-ê t re de ne pas t rouver ce t t e impassibi l i té chère

aux métaphysic iens théoric iens — mais pouvons-nous rester

de glace quan d i l

 s'agit

  de ce lui à qui nous devons tant ? —,

en écrivant ces l ignes , nous revivons ce t t e soirée de   1928  où

René  Guenon  nous accueillit . Les années, l 'éloignement

n'ont pu affaiblir le souvenir de sa bonté, de sa bienveillance,

de sa délicatesse , du soin qu'il me ttait à. effacer les d istance s

entre l ' auteur de

 L'Homme et son devenir

 e t du

 Roi du Monde

e t l e tout j eune chercheur que nous é t ions à ce t t e époque.

D epuis lors , combien de fois

  rt'avons-nous

  pa s en t endu

répéter que   Guenon  était  €  froid », qu'il « m anq uait

d'amour ». Ceux qui parla ient a insi ne l ' avaient jam ais appro

ché, mais son

 œuvre

 seule

 n' implique-t-dle

 pa s une immense

352

ÉTUDES TRADITIONNELLES

charité qui est la forme la plus haute de l'amour  ? Selon la

formule de Léonard de Vinci, « l'amour  est fils de la con

naissance. L'amour e st d'autant plus fervent que la connais

sance est plus certaine ».

René

 Guenon

  avait la connaissance la plus certaine.

É t u d e s T r a d i t i o n n e l l e » -  Supplément  au* n»»

 2 93-494-295.

Il

  'ŒUVKE

D E

R E N É  GUENON

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JEAN  REYOR.

Le

 Gérant

 :  PAUL

  CHACORNAC.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues

( 1 9 2 1 ; 2 » é d i t i o n , 1 9 3 2 ; 3» é d i t i o n ,

  1939) -

Le ThéosopM sme, histoire d'une pseudo-religion

( 1921 ;  2

e

  é d i t i o n, r e v u e e t a u g m e n t é e ,  1 9 2 8 ) .

L'Erreur

  spirite

( ï 9 2 3 ) -

Orient et Occident

( 1924 ; 2

9

  é d i t i o n ,

  1928) .

L'Homme et son devenir selon le Vêdânta

( 1925 ; 2® éd i t ion , 1941 ; 3

e

  é d i t i o n ,

  1947) .

L'ésotérisme de Dante

( 1 9 2 5 ; 2

e

  é d i t i o n , 1 9 3 9 ;  3*  é d i t i o n ,

  1949) .

Le Roi du Monde

( 1927 ;  2 "  é d i t i o n , 1 9 3 9 ;  3

0

  é d i t i o n ,

  1 9 5 0 ) .

La Crise du Monde moderne

( 1927 ; 2

e

  é d i t i o n ,  1946) .

Autorité spirituelle et pouvoir temporel

( 1929 ; 2

e

  é d i t i o n ,

  1947) .

Saint Bernard

( 1929 ; 2 "  é d i t i o n ,

  1 9 5 1 ) .

Le Symbolisme de la Croix

(1931 ; 2

e

  é d i t i o n ,

  1950) .

Les Etats multiples de l'être

( 1932 ;  2

S

  é d i t i o n ,  1947) .

La Métaphysique orientale

(1939 ; 2

e

  é d i t i o n , 1 9 4 5 ; 3 » é d i t i o n ,

  1951) .

Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps

( 1945 ; 2

e

  éd i t ion , 1946) .

Les Principes du Calcul infinitésimal

(1946) .

Aperçus sur l'Initiation

(1946) .

La Grande Triade

(1946) .

E N P R é P A R A T I O N :

Initiation et réalisation spirituelle.

TRADUCTIONS

E N A N G L A I S

  :

Man

  and his becoming according to the  Vêdânta

(Translatée by CHARLES W HITBY,  1928 ; ?.

8

 édi t ion , t rans

latée  by

  R I C H A R D NI C H O LSO N,

  1945).

East  and West

LISTE ACTUELLE

 DES

OUVRAGES   DE  RENÉ  GUENON

L'Erreur  Spirite

Aperçus  sur l'Initiation

Aperçus  sur

 l'ésotérisme

  chrétien

L'Homme et son devenir selon le Vêdânta

La   métaphysique  orientale

Saint-Bernard

Initiation  et  Réalisation Spirituelle

e r

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8/18/2019 Études Traditionnelles - Numéro Spécial Consacré à René Guénon, Nos 293-294-295

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(Translatée  by

  W I L L I A M M A S S E Y ,

  1941).

Th e

  Crisis

  of

 the

 Modem

  world

(Translatée  by

  A R TH UR O SBO R NE,

  1942).

Introduction

  to

 the

 study

  of

 the

 Hindu

  doctrines

(Translated  by

  M A R C O PA LLI S ,

  1946).

E N

  I T A L I E N

  ;

Il

  Re del Mondo

(Traduction

  pa r  â R T U R O R E G H I N I ,  1927).

La Crisis

  del

 Mondo Moderno

(1937)-

L'Uerno  e il

 suo

  divenire seconda il  vêdânta

(Traduction

 pa r

  CORRADO 'ROCCO,

  1937).

Considerazioni sulla

  Via

  inimatico

(Traduction

  pa r

  CORRADO ROCCO,

  1949).

L'Esoterismo  di Dante

(Traduction

 pa r CORRADO ROCCO,  1951).

La

  Metafisica

  Orientale

(Traduction par  G I O V A N N I

  F R I G I E R I ) .

Introduzione

  générale allô

  studio

  délie dottrine

  indu

(Traduction par

  G I O V A N N I F R I G I E R I ) .

La Grande Triade

(Traduction par

  C O R R A D O R O C C O ) .

E N A L LE M A N D  ;

Krisis

  der

  Neureit

(Traduction

 par

  M A R TI N O TTO ,

 1950).

E N E S P A G N O L  ;

Introduccion

  gênerai

 al

 esludio de

 las doctrinas Hindues

(1945).

E N

  P O R T U G A I S  :

A crise

 do

 Mundo moderno

(Traduction par F. G. GALVAO,  1948).

Etudes sur la Franc-M açonnerie

  (1

  volume)

Etudes sur la Franc-M açonnerie

  (2*

  volume)

Le Théosophisme

Etudes  sur l 'Hindouisme

Comptes Rendus

Introduction générale  à  l'étude  des  doctrines hindoues

Les Etats multiples  de l 'Etre

Le symbolisme  de la Croix

Autorité Spirituelle  et Pouvoir Tem porel

Orient  et  Occident

Le Règne   de la  Quantité et les Signes  des Temps

La Crise  du  M o nde M o de rn e

La Grande Tr iade

L'ésotérisme  de Dan t e

Le  Roi du M o nde

Les principes  du calcul infinitésimal

Symboles fondamentaux

  de

 la

 Science sacrée

Formes Traditionnelles et Cycles Cosmiques

Symbolisme  de la  Croix (en 10 x  18)

Aperçus sur  l'ésotérisme islamique et le Tao ï sme

M élanges

A Y A N T

  VliMI A

  lUJMk GUÉNOW

Le   N°  spécial  des  Etudes Traditionnelles paru en 1951 à  l'occasion

de  la mort de René Guenon  réédité en  fac-similé (1982).

D e P au l

  CHACORNAC

 :

La Vie simple de René  Guenon

De Eddy BATACHE

 :

Surréalisme   et Tradition

La Pensée d'André Breton jugée   selon  l'oeuvre  de  René Guenon

De J e an  TOURNIAC :

Propos sur René  Guenon

De Jean-Pier r e LAURANT :

Le sens caché dans l'œuvre  de René

 Guenon

Un dossier  "H" et un cahier  de

 l'Herne

  consacrés à R. Guenon

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