Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou :...

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Entre Yoruba et BantouStefania Capone

To cite this versionStefania Capone Entre Yoruba et Bantou Lrsquoinfluence des steacutereacuteotypes raciaux dans les eacutetudes afro-ameacutericaines Cahiers drsquoeacutetudes africaines Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales 2000 XL-I(157) pp55-77 lthalshs-00007675gt

Stefania Capone

Entre Yoruba et Bantou lrsquoinfluence des steacutereacuteotypes raciaux

dans les eacutetudes afro-ameacutericaines

Les cultes afro-breacutesiliens et notamment le candombleacute sont caracteacuteriseacutes de nos jours par un

mouvement geacuteneacuteral de retour aux racines africaines et de purification de toute influence

occidentale Ce mouvement prend de plus en plus les caracteacuteristiques dun processus de

reacuteafricanisation On essaie ainsi de revenir agrave une pureteacute originelle agrave une Afrique mythique et

leacutegitimatrice qui sinscrit dans un modegravele de tradition identifieacute agrave la culture des Yoruba du

Nigeria Ce modegravele yoruba est eacutegalement et cela depuis longtemps le modegravele dominant dans

dautres contextes religieux tels que Cuba et il est en train de simposer aux Eacutetats-Unis gracircce

agrave lessor actuel des cultes dorigine africaine dans ce pays (Capone 1999a)

La mise en valeur dune origine culturelle consideacutereacutee comme plus laquo pure raquo et le reacuteseau

international qui est agrave la base de ce mouvement de reacuteafricanisation ont institueacute depuis

quelques anneacutees des liens tregraves forts entre les initieacutes des cultes dorigine africaine au Breacutesil agrave

Cuba et aux Eacutetats-Unis et leurs homologues du Nigeria Mais cette mise en valeur du modegravele

yoruba par rapport aux autres contributions culturelles africaines ne constitue pas un

pheacutenomegravene reacutecent Dans les eacutetudes afro-breacutesiliennes cette identification dune origine

culturelle la culture yoruba consideacutereacutee comme la plus fidegravele agrave la laquo vraie tradition africaine raquo

est le reacutesultat dune alliance entre les discours indigegravenes et les eacutecrits des ethnologues qui ont

participeacute au Breacutesil plus quailleurs agrave linvention dune tradition (Capone 1999b) Nous

verrons donc comment cette opposition entre cultes laquo purs raquo et cultes laquo deacutegeacuteneacutereacutes raquo trouve ses

racines dans les steacutereacuteotypes raciaux qui structuraient les rapports entre maicirctres et esclaves

pendant leacutepoque coloniale selon une hieacuterarchie de cultures et de civilisations qui montrait

des peuples africains plus susceptibles de perfectionnement que dautres et dont les

laquo qualiteacutes raquo intrinsegraveques eacutetaient plus ou moins valoriseacutees

Des diffeacuterences entre les esclaves

Tous les premiers auteurs qui ont eacutecrit sur la preacutesence des esclaves noirs dans les colonies

ameacutericaines ont admis lexistence dune diffeacuterence intrinsegraveque entre les moeurs des diffeacuterents

peuples africains transporteacutes au Nouveau Monde Ces diffeacuterences sinscrivaient tout le long

dune eacutechelle eacutevolutive marqueacutee par les diffeacuterents degreacutes de deacuteveloppement de leur laquo culture

morale raquo (Dorsainvil 1931 29) Ces savants ne faisaient que reproduire les theacuteories de leur

eacutepoque qui suivant les lois de leacutevolutionnisme cherchaient agrave eacutetablir une hieacuterarchie entre les

diffeacuterents peuples dabord par leurs caractegraveres physiques et ensuite par lanalyse de leurs

laquo qualiteacutes morales raquo

M dAvezac qui eacutetait le vice-preacutesident de la Socieacuteteacute ethnologique de Paris et membre des

Socieacuteteacutes geacuteographiques de Paris Londres et Francfort nous offre un aperccedilu de ce queacutetaient

les ideacutees dominantes agrave cette eacutepoque au sujet des peuples africains Son Esquisse geacuteneacuterale de

lAfrique et lAfrique ancienne sinscrit dans le deacutebat fondamental du XIXe siegravecle sur la

laquo multipliciteacute des races humaines raquo Face aux deacutefenseurs de luniteacute de la race humaine

justifieacutee par les eacutecrits bibliques lauteur soutient la thegravese que dans la Bible on ne parle que de

trois grands rameaux de la race blanche individualiseacutes dans les trois types grec eacutegyptien et

syriaque laquo dont les traditions respectives ont conserveacute agrave travers les siegravecles comme un

teacutemoignage indeacuteleacutebile de la veacuteraciteacute de Moiumlse les noms de Japet de Hham et de Schecircm raquo

(dAvezac 1844 17)

Le but est alors dindiquer quelle place les diffeacuterents types africains occupent dans le vaste

tableau des populations du globe Pour cela M dAvezac choisit les trois divisions de

Swainson un zoologiste anglais qui avait eacutetabli dans toute section naturelle du regravegne animal

une subdivision tripartite preacutesentant un type un sous-type et un groupe laquo aberrant raquo ou moins

deacuteveloppeacute Il suppose donc que lespegravece blanche ou laquo caucasique raquo constitue le type

fondamental lespegravece jaune ou mongolique le sous-type et lespegravece eacutethiopienne le groupe

aberrant formeacute de trois sous-espegraveces negravegre ameacutericaine et laquo malaie raquo Il propose eacutegalement

dappliquer cette meacutethode danalyse agrave lespegravece blanche qui se divise ainsi en trois varieacuteteacutes

laquo japeacutetique raquo ou indo-germanique qui constitue le groupe normal laquo schecircmitique raquo ou syro-

arabe offrant le sous-type et laquo hhamitique raquo ou laquo pheacutenico-eacutegyptienne raquo formant le groupe

aberrant (ibid) En ce qui concerne lespegravece eacutethiopienne M dAvezac regrette la pauvreteacute de

donneacutees sur ce sujet mais laquo agrave titre dhypothegravese aventureacutee et conjucturale raquo il deacutesigne le

Negravegre africain proprement dit comme varieacuteteacute type le Papou de lOceacuteanie comme sous-type

et comme groupe aberrant laquo le Hottentot le Kafre et lAlfourous raquo (ibid 18) Les

diffeacuterences entre les races sont illustreacutees par les laquo diffeacuterences frappantes entre les belles races

du Nord et celles qui vers le Sud se rapprochent du Hottentot par les formes corporelles raquo

(ibid)

Dans leacutechelle de la civilisation humaine les Bantou (Cafres) et leurs groupes assimileacutes

comme les Hottentots semblent ainsi occuper les derniers degreacutes

laquo Dans la carriegravere ascendante que remonte peacuteniblement lhumaniteacute pour arriver de leacutetat

sauvage agrave leacutetat de civilisation perfectionneacutee dont nous nous proclamons orgueilleusement

le type il semble quarriveacutes au but et regardant en arriegravere nous voyions descendre du nord

au sud depuis les bords de la Meacutediterraneacutee jusquagrave la pointe australe du continent

africain cette longue eacutechelle dont le pied est occupeacute par le Bosjesman ou Hottentot des

taillis que les voyageurs nous repreacutesentent comme si voisin de la brute raquo (ibid 24)1

Pendant toute leacutepoque coloniale on retrouve le mecircme souci de classification des esclaves

africains dans les reacutecits de voyage au Breacutesil comme dans les eacutecrits des missionnaires

catholiques Ainsi au XVIIIe siegravecle le Pegravere Antonil (1976) eacutecrivait que laquo puisque les

esclaves appartiennent agrave des nations distinctes les unes plus sauvages des autres ils sont

aussi somatiquement diffeacuterents raquo il convient de les choisir avec soin Chacun avait sa

speacutecialisation les Arda et les Mina eacutetaient robustes ceux du Cap Vert plus faibles les Congo

bons pour les travaux des champs comme pour les travaux domestiques

Un siegravecle plus tard cette coutume de classifier les esclaves selon leurs qualiteacutes physiques et

morales navait guegravere eacuteteacute abandonneacutee C Lavolleacutee (1852) auteur du Voyage en Chine en

passant par Rio de Janeiro notait que dans cette ville les Noirs angolais eacutetaient les esclaves

preacutefeacutereacutes et ajoutait laquo Les Noirs comme les chevaux sont classifieacutes selon leur race car

chacune preacutesente ses qualiteacutes particuliegraveres et sa cotation sur le marcheacute raquo (citeacute dans Macedo

1944 78)

1 En 1815 lanthropologue franccedilais Cuvier voyait deacutejagrave dans les Hottentots le chaicircnon manquant entre le singe et

lhomme Agrave la mort de Saartjie Baartman une femme Quena ameneacutee de lAfrique du Sud en 1810 et exhibeacutee

comme une curiositeacute sur les places dAngleterre et de France sous le pseudonyme de la Veacutenus hottentote Cuvier

retira son cerveau et ses organes geacutenitaux et les conserva dans des bocaux exposeacutes au museacutee de lHomme jusque

il y a une dizaine danneacutees Cf F-X Fauvelle-Aymard laquo Des murs dAugsbourg aux vitrines du Cap Cinq

siegravecles dhistoire du regard sur le corps des Khoisan raquo Cahiers dEacutetudes africaines XXXIX (3-4) 155-156

1999 539-562

Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par

dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat

dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un

acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un

Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque

peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier

dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-

1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance

laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais

timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz

(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des

Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais

hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus

laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme

domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des

esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire

coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les

caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans

lensemble des nations

La poleacutemique sur la preacutedominance bantou

Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des

derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889

Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un

deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et

lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui

simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme

moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence

des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les

instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et

culture au Breacutesil

En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait

de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le

naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet

historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le

meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait

de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la

deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient

pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive

Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au

Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et

propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude

des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le

meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les

races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale

pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait

contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene

caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui

navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique

Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina

Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes

afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou

parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue

par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser

la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien

lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle

eacutevolutive des peuples africains

R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait

agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des

laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les

peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion

coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute

Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme

infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute

comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans

les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)

Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple

breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues

sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes

au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute

deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des

archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la

preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors

lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence

intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave

son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la

ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les

Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou

Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant

dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa

la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par

celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba

deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi

une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du

feacutetichisme au polytheacuteisme

laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase

curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave

franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa

repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre

indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru

chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)

Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement

religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis

2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des

proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret

ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves

exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage

(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources

principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther

(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba

Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave

cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina

Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale

laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout

inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au

mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures

africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute

les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation

supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure

comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque

Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute

avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants

humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo

Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que

par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour

contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz

laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo

repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses

parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)

La place du Breacutesil dans lensemble des nations

Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une

laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo

participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple

en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la

formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place

occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait

bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction

laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les

races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []

La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue

ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces

vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la

race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo

Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune

laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples

africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela

linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave

sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce

3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment

les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba

LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees

breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 2: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

Stefania Capone

Entre Yoruba et Bantou lrsquoinfluence des steacutereacuteotypes raciaux

dans les eacutetudes afro-ameacutericaines

Les cultes afro-breacutesiliens et notamment le candombleacute sont caracteacuteriseacutes de nos jours par un

mouvement geacuteneacuteral de retour aux racines africaines et de purification de toute influence

occidentale Ce mouvement prend de plus en plus les caracteacuteristiques dun processus de

reacuteafricanisation On essaie ainsi de revenir agrave une pureteacute originelle agrave une Afrique mythique et

leacutegitimatrice qui sinscrit dans un modegravele de tradition identifieacute agrave la culture des Yoruba du

Nigeria Ce modegravele yoruba est eacutegalement et cela depuis longtemps le modegravele dominant dans

dautres contextes religieux tels que Cuba et il est en train de simposer aux Eacutetats-Unis gracircce

agrave lessor actuel des cultes dorigine africaine dans ce pays (Capone 1999a)

La mise en valeur dune origine culturelle consideacutereacutee comme plus laquo pure raquo et le reacuteseau

international qui est agrave la base de ce mouvement de reacuteafricanisation ont institueacute depuis

quelques anneacutees des liens tregraves forts entre les initieacutes des cultes dorigine africaine au Breacutesil agrave

Cuba et aux Eacutetats-Unis et leurs homologues du Nigeria Mais cette mise en valeur du modegravele

yoruba par rapport aux autres contributions culturelles africaines ne constitue pas un

pheacutenomegravene reacutecent Dans les eacutetudes afro-breacutesiliennes cette identification dune origine

culturelle la culture yoruba consideacutereacutee comme la plus fidegravele agrave la laquo vraie tradition africaine raquo

est le reacutesultat dune alliance entre les discours indigegravenes et les eacutecrits des ethnologues qui ont

participeacute au Breacutesil plus quailleurs agrave linvention dune tradition (Capone 1999b) Nous

verrons donc comment cette opposition entre cultes laquo purs raquo et cultes laquo deacutegeacuteneacutereacutes raquo trouve ses

racines dans les steacutereacuteotypes raciaux qui structuraient les rapports entre maicirctres et esclaves

pendant leacutepoque coloniale selon une hieacuterarchie de cultures et de civilisations qui montrait

des peuples africains plus susceptibles de perfectionnement que dautres et dont les

laquo qualiteacutes raquo intrinsegraveques eacutetaient plus ou moins valoriseacutees

Des diffeacuterences entre les esclaves

Tous les premiers auteurs qui ont eacutecrit sur la preacutesence des esclaves noirs dans les colonies

ameacutericaines ont admis lexistence dune diffeacuterence intrinsegraveque entre les moeurs des diffeacuterents

peuples africains transporteacutes au Nouveau Monde Ces diffeacuterences sinscrivaient tout le long

dune eacutechelle eacutevolutive marqueacutee par les diffeacuterents degreacutes de deacuteveloppement de leur laquo culture

morale raquo (Dorsainvil 1931 29) Ces savants ne faisaient que reproduire les theacuteories de leur

eacutepoque qui suivant les lois de leacutevolutionnisme cherchaient agrave eacutetablir une hieacuterarchie entre les

diffeacuterents peuples dabord par leurs caractegraveres physiques et ensuite par lanalyse de leurs

laquo qualiteacutes morales raquo

M dAvezac qui eacutetait le vice-preacutesident de la Socieacuteteacute ethnologique de Paris et membre des

Socieacuteteacutes geacuteographiques de Paris Londres et Francfort nous offre un aperccedilu de ce queacutetaient

les ideacutees dominantes agrave cette eacutepoque au sujet des peuples africains Son Esquisse geacuteneacuterale de

lAfrique et lAfrique ancienne sinscrit dans le deacutebat fondamental du XIXe siegravecle sur la

laquo multipliciteacute des races humaines raquo Face aux deacutefenseurs de luniteacute de la race humaine

justifieacutee par les eacutecrits bibliques lauteur soutient la thegravese que dans la Bible on ne parle que de

trois grands rameaux de la race blanche individualiseacutes dans les trois types grec eacutegyptien et

syriaque laquo dont les traditions respectives ont conserveacute agrave travers les siegravecles comme un

teacutemoignage indeacuteleacutebile de la veacuteraciteacute de Moiumlse les noms de Japet de Hham et de Schecircm raquo

(dAvezac 1844 17)

Le but est alors dindiquer quelle place les diffeacuterents types africains occupent dans le vaste

tableau des populations du globe Pour cela M dAvezac choisit les trois divisions de

Swainson un zoologiste anglais qui avait eacutetabli dans toute section naturelle du regravegne animal

une subdivision tripartite preacutesentant un type un sous-type et un groupe laquo aberrant raquo ou moins

deacuteveloppeacute Il suppose donc que lespegravece blanche ou laquo caucasique raquo constitue le type

fondamental lespegravece jaune ou mongolique le sous-type et lespegravece eacutethiopienne le groupe

aberrant formeacute de trois sous-espegraveces negravegre ameacutericaine et laquo malaie raquo Il propose eacutegalement

dappliquer cette meacutethode danalyse agrave lespegravece blanche qui se divise ainsi en trois varieacuteteacutes

laquo japeacutetique raquo ou indo-germanique qui constitue le groupe normal laquo schecircmitique raquo ou syro-

arabe offrant le sous-type et laquo hhamitique raquo ou laquo pheacutenico-eacutegyptienne raquo formant le groupe

aberrant (ibid) En ce qui concerne lespegravece eacutethiopienne M dAvezac regrette la pauvreteacute de

donneacutees sur ce sujet mais laquo agrave titre dhypothegravese aventureacutee et conjucturale raquo il deacutesigne le

Negravegre africain proprement dit comme varieacuteteacute type le Papou de lOceacuteanie comme sous-type

et comme groupe aberrant laquo le Hottentot le Kafre et lAlfourous raquo (ibid 18) Les

diffeacuterences entre les races sont illustreacutees par les laquo diffeacuterences frappantes entre les belles races

du Nord et celles qui vers le Sud se rapprochent du Hottentot par les formes corporelles raquo

(ibid)

Dans leacutechelle de la civilisation humaine les Bantou (Cafres) et leurs groupes assimileacutes

comme les Hottentots semblent ainsi occuper les derniers degreacutes

laquo Dans la carriegravere ascendante que remonte peacuteniblement lhumaniteacute pour arriver de leacutetat

sauvage agrave leacutetat de civilisation perfectionneacutee dont nous nous proclamons orgueilleusement

le type il semble quarriveacutes au but et regardant en arriegravere nous voyions descendre du nord

au sud depuis les bords de la Meacutediterraneacutee jusquagrave la pointe australe du continent

africain cette longue eacutechelle dont le pied est occupeacute par le Bosjesman ou Hottentot des

taillis que les voyageurs nous repreacutesentent comme si voisin de la brute raquo (ibid 24)1

Pendant toute leacutepoque coloniale on retrouve le mecircme souci de classification des esclaves

africains dans les reacutecits de voyage au Breacutesil comme dans les eacutecrits des missionnaires

catholiques Ainsi au XVIIIe siegravecle le Pegravere Antonil (1976) eacutecrivait que laquo puisque les

esclaves appartiennent agrave des nations distinctes les unes plus sauvages des autres ils sont

aussi somatiquement diffeacuterents raquo il convient de les choisir avec soin Chacun avait sa

speacutecialisation les Arda et les Mina eacutetaient robustes ceux du Cap Vert plus faibles les Congo

bons pour les travaux des champs comme pour les travaux domestiques

Un siegravecle plus tard cette coutume de classifier les esclaves selon leurs qualiteacutes physiques et

morales navait guegravere eacuteteacute abandonneacutee C Lavolleacutee (1852) auteur du Voyage en Chine en

passant par Rio de Janeiro notait que dans cette ville les Noirs angolais eacutetaient les esclaves

preacutefeacutereacutes et ajoutait laquo Les Noirs comme les chevaux sont classifieacutes selon leur race car

chacune preacutesente ses qualiteacutes particuliegraveres et sa cotation sur le marcheacute raquo (citeacute dans Macedo

1944 78)

1 En 1815 lanthropologue franccedilais Cuvier voyait deacutejagrave dans les Hottentots le chaicircnon manquant entre le singe et

lhomme Agrave la mort de Saartjie Baartman une femme Quena ameneacutee de lAfrique du Sud en 1810 et exhibeacutee

comme une curiositeacute sur les places dAngleterre et de France sous le pseudonyme de la Veacutenus hottentote Cuvier

retira son cerveau et ses organes geacutenitaux et les conserva dans des bocaux exposeacutes au museacutee de lHomme jusque

il y a une dizaine danneacutees Cf F-X Fauvelle-Aymard laquo Des murs dAugsbourg aux vitrines du Cap Cinq

siegravecles dhistoire du regard sur le corps des Khoisan raquo Cahiers dEacutetudes africaines XXXIX (3-4) 155-156

1999 539-562

Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par

dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat

dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un

acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un

Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque

peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier

dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-

1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance

laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais

timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz

(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des

Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais

hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus

laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme

domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des

esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire

coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les

caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans

lensemble des nations

La poleacutemique sur la preacutedominance bantou

Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des

derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889

Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un

deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et

lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui

simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme

moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence

des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les

instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et

culture au Breacutesil

En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait

de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le

naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet

historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le

meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait

de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la

deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient

pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive

Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au

Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et

propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude

des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le

meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les

races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale

pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait

contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene

caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui

navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique

Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina

Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes

afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou

parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue

par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser

la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien

lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle

eacutevolutive des peuples africains

R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait

agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des

laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les

peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion

coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute

Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme

infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute

comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans

les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)

Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple

breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues

sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes

au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute

deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des

archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la

preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors

lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence

intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave

son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la

ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les

Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou

Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant

dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa

la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par

celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba

deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi

une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du

feacutetichisme au polytheacuteisme

laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase

curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave

franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa

repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre

indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru

chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)

Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement

religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis

2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des

proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret

ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves

exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage

(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources

principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther

(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba

Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave

cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina

Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale

laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout

inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au

mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures

africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute

les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation

supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure

comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque

Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute

avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants

humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo

Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que

par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour

contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz

laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo

repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses

parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)

La place du Breacutesil dans lensemble des nations

Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une

laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo

participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple

en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la

formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place

occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait

bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction

laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les

races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []

La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue

ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces

vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la

race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo

Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune

laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples

africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela

linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave

sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce

3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment

les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba

LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees

breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 3: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

syriaque laquo dont les traditions respectives ont conserveacute agrave travers les siegravecles comme un

teacutemoignage indeacuteleacutebile de la veacuteraciteacute de Moiumlse les noms de Japet de Hham et de Schecircm raquo

(dAvezac 1844 17)

Le but est alors dindiquer quelle place les diffeacuterents types africains occupent dans le vaste

tableau des populations du globe Pour cela M dAvezac choisit les trois divisions de

Swainson un zoologiste anglais qui avait eacutetabli dans toute section naturelle du regravegne animal

une subdivision tripartite preacutesentant un type un sous-type et un groupe laquo aberrant raquo ou moins

deacuteveloppeacute Il suppose donc que lespegravece blanche ou laquo caucasique raquo constitue le type

fondamental lespegravece jaune ou mongolique le sous-type et lespegravece eacutethiopienne le groupe

aberrant formeacute de trois sous-espegraveces negravegre ameacutericaine et laquo malaie raquo Il propose eacutegalement

dappliquer cette meacutethode danalyse agrave lespegravece blanche qui se divise ainsi en trois varieacuteteacutes

laquo japeacutetique raquo ou indo-germanique qui constitue le groupe normal laquo schecircmitique raquo ou syro-

arabe offrant le sous-type et laquo hhamitique raquo ou laquo pheacutenico-eacutegyptienne raquo formant le groupe

aberrant (ibid) En ce qui concerne lespegravece eacutethiopienne M dAvezac regrette la pauvreteacute de

donneacutees sur ce sujet mais laquo agrave titre dhypothegravese aventureacutee et conjucturale raquo il deacutesigne le

Negravegre africain proprement dit comme varieacuteteacute type le Papou de lOceacuteanie comme sous-type

et comme groupe aberrant laquo le Hottentot le Kafre et lAlfourous raquo (ibid 18) Les

diffeacuterences entre les races sont illustreacutees par les laquo diffeacuterences frappantes entre les belles races

du Nord et celles qui vers le Sud se rapprochent du Hottentot par les formes corporelles raquo

(ibid)

Dans leacutechelle de la civilisation humaine les Bantou (Cafres) et leurs groupes assimileacutes

comme les Hottentots semblent ainsi occuper les derniers degreacutes

laquo Dans la carriegravere ascendante que remonte peacuteniblement lhumaniteacute pour arriver de leacutetat

sauvage agrave leacutetat de civilisation perfectionneacutee dont nous nous proclamons orgueilleusement

le type il semble quarriveacutes au but et regardant en arriegravere nous voyions descendre du nord

au sud depuis les bords de la Meacutediterraneacutee jusquagrave la pointe australe du continent

africain cette longue eacutechelle dont le pied est occupeacute par le Bosjesman ou Hottentot des

taillis que les voyageurs nous repreacutesentent comme si voisin de la brute raquo (ibid 24)1

Pendant toute leacutepoque coloniale on retrouve le mecircme souci de classification des esclaves

africains dans les reacutecits de voyage au Breacutesil comme dans les eacutecrits des missionnaires

catholiques Ainsi au XVIIIe siegravecle le Pegravere Antonil (1976) eacutecrivait que laquo puisque les

esclaves appartiennent agrave des nations distinctes les unes plus sauvages des autres ils sont

aussi somatiquement diffeacuterents raquo il convient de les choisir avec soin Chacun avait sa

speacutecialisation les Arda et les Mina eacutetaient robustes ceux du Cap Vert plus faibles les Congo

bons pour les travaux des champs comme pour les travaux domestiques

Un siegravecle plus tard cette coutume de classifier les esclaves selon leurs qualiteacutes physiques et

morales navait guegravere eacuteteacute abandonneacutee C Lavolleacutee (1852) auteur du Voyage en Chine en

passant par Rio de Janeiro notait que dans cette ville les Noirs angolais eacutetaient les esclaves

preacutefeacutereacutes et ajoutait laquo Les Noirs comme les chevaux sont classifieacutes selon leur race car

chacune preacutesente ses qualiteacutes particuliegraveres et sa cotation sur le marcheacute raquo (citeacute dans Macedo

1944 78)

1 En 1815 lanthropologue franccedilais Cuvier voyait deacutejagrave dans les Hottentots le chaicircnon manquant entre le singe et

lhomme Agrave la mort de Saartjie Baartman une femme Quena ameneacutee de lAfrique du Sud en 1810 et exhibeacutee

comme une curiositeacute sur les places dAngleterre et de France sous le pseudonyme de la Veacutenus hottentote Cuvier

retira son cerveau et ses organes geacutenitaux et les conserva dans des bocaux exposeacutes au museacutee de lHomme jusque

il y a une dizaine danneacutees Cf F-X Fauvelle-Aymard laquo Des murs dAugsbourg aux vitrines du Cap Cinq

siegravecles dhistoire du regard sur le corps des Khoisan raquo Cahiers dEacutetudes africaines XXXIX (3-4) 155-156

1999 539-562

Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par

dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat

dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un

acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un

Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque

peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier

dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-

1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance

laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais

timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz

(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des

Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais

hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus

laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme

domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des

esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire

coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les

caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans

lensemble des nations

La poleacutemique sur la preacutedominance bantou

Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des

derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889

Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un

deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et

lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui

simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme

moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence

des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les

instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et

culture au Breacutesil

En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait

de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le

naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet

historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le

meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait

de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la

deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient

pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive

Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au

Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et

propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude

des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le

meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les

races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale

pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait

contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene

caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui

navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique

Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina

Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes

afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou

parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue

par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser

la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien

lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle

eacutevolutive des peuples africains

R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait

agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des

laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les

peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion

coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute

Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme

infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute

comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans

les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)

Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple

breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues

sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes

au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute

deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des

archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la

preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors

lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence

intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave

son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la

ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les

Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou

Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant

dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa

la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par

celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba

deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi

une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du

feacutetichisme au polytheacuteisme

laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase

curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave

franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa

repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre

indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru

chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)

Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement

religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis

2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des

proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret

ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves

exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage

(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources

principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther

(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba

Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave

cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina

Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale

laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout

inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au

mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures

africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute

les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation

supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure

comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque

Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute

avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants

humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo

Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que

par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour

contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz

laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo

repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses

parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)

La place du Breacutesil dans lensemble des nations

Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une

laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo

participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple

en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la

formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place

occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait

bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction

laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les

races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []

La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue

ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces

vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la

race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo

Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune

laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples

africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela

linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave

sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce

3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment

les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba

LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees

breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 4: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par

dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat

dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un

acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un

Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque

peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier

dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-

1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance

laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais

timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz

(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des

Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais

hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus

laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme

domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des

esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire

coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les

caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans

lensemble des nations

La poleacutemique sur la preacutedominance bantou

Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des

derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889

Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un

deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et

lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui

simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme

moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence

des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les

instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et

culture au Breacutesil

En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait

de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le

naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet

historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le

meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait

de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la

deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient

pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive

Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au

Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et

propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude

des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le

meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les

races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale

pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait

contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene

caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui

navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique

Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina

Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes

afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou

parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue

par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser

la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien

lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle

eacutevolutive des peuples africains

R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait

agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des

laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les

peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion

coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute

Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme

infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute

comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans

les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)

Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple

breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues

sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes

au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute

deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des

archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la

preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors

lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence

intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave

son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la

ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les

Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou

Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant

dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa

la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par

celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba

deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi

une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du

feacutetichisme au polytheacuteisme

laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase

curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave

franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa

repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre

indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru

chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)

Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement

religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis

2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des

proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret

ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves

exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage

(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources

principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther

(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba

Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave

cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina

Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale

laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout

inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au

mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures

africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute

les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation

supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure

comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque

Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute

avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants

humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo

Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que

par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour

contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz

laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo

repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses

parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)

La place du Breacutesil dans lensemble des nations

Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une

laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo

participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple

en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la

formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place

occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait

bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction

laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les

races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []

La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue

ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces

vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la

race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo

Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune

laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples

africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela

linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave

sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce

3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment

les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba

LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees

breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 5: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina

Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes

afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou

parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue

par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser

la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien

lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle

eacutevolutive des peuples africains

R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait

agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des

laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les

peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion

coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute

Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme

infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute

comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans

les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)

Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple

breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues

sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes

au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute

deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des

archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la

preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors

lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence

intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave

son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la

ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les

Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou

Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant

dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa

la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par

celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba

deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi

une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du

feacutetichisme au polytheacuteisme

laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase

curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave

franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa

repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre

indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru

chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)

Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement

religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis

2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des

proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret

ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves

exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage

(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources

principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther

(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba

Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave

cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina

Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale

laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout

inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au

mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures

africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute

les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation

supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure

comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque

Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute

avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants

humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo

Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que

par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour

contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz

laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo

repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses

parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)

La place du Breacutesil dans lensemble des nations

Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une

laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo

participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple

en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la

formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place

occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait

bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction

laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les

races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []

La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue

ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces

vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la

race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo

Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune

laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples

africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela

linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave

sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce

3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment

les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba

LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees

breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 6: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources

principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther

(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba

Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave

cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina

Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale

laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout

inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au

mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures

africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute

les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation

supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure

comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque

Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute

avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants

humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo

Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que

par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour

contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz

laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo

repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses

parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)

La place du Breacutesil dans lensemble des nations

Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une

laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo

participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple

en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la

formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place

occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait

bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction

laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les

races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []

La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue

ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces

vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la

race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo

Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune

laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples

africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela

linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave

sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce

3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment

les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba

LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees

breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 7: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait

au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage

Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient

pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic

avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites

convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus

eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres

eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait

supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient

les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle

Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave

lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au

Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula

(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des

reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle

Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun

sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient

de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme

En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le

premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus

civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme

valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans

laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le

milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le

degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute

consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes

au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous

[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des

Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande

majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)

Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long

du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture

laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo

breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis

laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave

celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation

africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme

proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne

descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa

comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)

La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A

Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres

Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute

physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races

5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R

Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria

chez les Haussa depuis le XVe siegravecle

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 8: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite

(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable

laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des

Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix

parmi les autres nations ameacutericaines

laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint

que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus

grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon

aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans

les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)

G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette

particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en

fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute

influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7

et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo

ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport

civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc

un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les

esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces

Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)

Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de

formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave

dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette

laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De

cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence

exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa

musulmans (ibid 293)

Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du

deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G

Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine

ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la

preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur

supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine

africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une

preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de

leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures

noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)

Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des

donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une

aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee

laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute

importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo

(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance

numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme

supeacuterieurs (Verger 1987)

Les reacutesistants et les soumis

7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 9: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les

cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto

Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole

positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr

actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des

Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la

culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne

les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8

En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des

Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change

selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant

Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)

pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais

comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931

166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo

des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux

reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979

107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo

alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont

activement reacutesisteacute agrave lesclavage9

Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du

XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur

comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de

reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou

les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les

Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho

1988 90)10

Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et

culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de

tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise

dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la

preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-

bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus

doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa

culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et

mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le

8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West

African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee

au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud

par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs

preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et

apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation

de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient

donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10

Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de

labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de

Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant

de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il

serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 10: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia

exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs

Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee

depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine

En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la

reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur

du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait

bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait

inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou

nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux

Soudanais

Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il

pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)

caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du

XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les

quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves

yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition

quelle que soit leur origine culturelle11

Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque

coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee

comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle

hypothegravese (Gomes 1996 264)

Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan

culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)

essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture

yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique

occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute

(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et

sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs

incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)

Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun

passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de

reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky

Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des

obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les

rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti

(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion

politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des

laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des

rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique

et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au

tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la

litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de

Chateaubriand

De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique

fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du

11

De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des

preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui

on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se

confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont

eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 11: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette

eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats

fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions

sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan

deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation

du Noir reacutesistant12

Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua

linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc

laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de

cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes

en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres

Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave

leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup

dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)

Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant

plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races

meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans

louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme

passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo

Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce

quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et

Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave

Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir

provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un

imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent

ecirctre des Yoruba13

Les precirctres et les sorciers

Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et

jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait

activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157

condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique

abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait

utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte

contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le

code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au

Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres

citoyens breacutesiliens14

12

Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide

1996 57-67) 13

Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les

Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-

nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14

La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions

chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire

Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas

lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute

deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions

religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 12: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne

pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes

maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur

et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences

externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le

candombleacute

laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance

au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient

choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les

villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans

les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer

des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi

une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus

permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur

occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le

critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au

contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait

que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que

ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or

comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant

impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)

Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves

domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et

provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves

de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-

dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les

campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu

comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les

confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves

yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et

non pas celle des Bantou15

Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte

aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16

Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par

conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par

laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas

religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de

la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro

R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous

donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo

(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs

traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui

eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo

permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux

leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la

reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15

Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)

qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16

P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux

ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes

dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

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RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 13: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs

habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo

laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves

des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme

les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de

valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la

deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes

convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-

94)

On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront

de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo

de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-

breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus

eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme

magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave

linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les

candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17

Et la

magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les

meacutetis (ibid 419)

Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus

laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde

ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-

acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc

doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique

au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son

appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)

Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des

Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit

cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se

maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des

magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la

culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave

Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous

soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les

Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que

soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous

avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)

Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine

yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)

consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes

sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute

la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En

effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents

systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)

Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs

continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et

17

Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs

europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide

safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

Bibliographie

ABRAHAM R C

1958 Dictionary of Modern Yoruba London University of London Press

ANTONIL A J

1976 [1711] Cuacuteltura e Opulecircncia do Brasil por suas Drogas e Minas Satildeo Paulo Ediccedilotildees

Milhoramentos

ARGYRIADIS K

1999 laquo Une religion laquovivanteraquo continuiteacute et compleacutementariteacute des pratiques cultuelles

havanaises raquo LHomme 151 21-46

ARHIN K amp KI-ZERBO J

1997 laquo Eacutetats et peuples de la boucle du Niger et de la Volta raquo in J-F Ade Ajayi eacuted

Histoire geacuteneacuterale de lAfrique VI LAfrique au XIXe siegravecle jusque vers les anneacutees

1880 Paris Preacutesence africaineEdicefUnesco 340-358

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1844 Esquisse geacuteneacuterale de lAfrique et Afrique ancienne Paris Firmin Didot Fregraveres

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1968 Autobiography of a Runaway Slave Esteban Montejo New York Pantheon Books

1995 Cultos afrocubanos la Regla de Ocha la Regla de Palo Monte La Habana

Ediciones UniogravenArtex

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1958 Le candombleacute de Bahia (rite nagocirc) Paris Mouton amp Co

1995 [1960] Les religions africaines au Breacutesil vers une sociologie des interpeacuteneacutetrations

de civilisations Paris PUF

1996 [1967] Les Ameacuteriques noires Paris LHarmattan

BOUCHE Abbeacute P

1880 Eacutetude sur la langue Nago Bar-le-Duc

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1858 Grammar and Dictionary of the Yoruba Language Washington Smithsonian

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1993 Santeria from Africa to the New World the Dead Sell Memories Bloomington

Indian University Press

CABRERA L

1975 [1954] El Monte Miami Ediciones Universales

CAPONE S

1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions

revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292

1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo

Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156

1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo

LHomme 151 47-74

1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris

Karthala

CROWTHER S A

1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys

DORSAINVIL D J

1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne

DUMONT H

1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita

referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana

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1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London

Chapman Hall

ESSIEN-UDOm E U

1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press

FREYRE G

1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard

GARDNER G

1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the

Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers

GOBINEAU J A de

1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot

GOMES F dos Santos

1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes

eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia

das Letras

HERSKOVITS M J

1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon

HOLLOWAY J E

1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University

Press

HOVELACQUE A

1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil

Paris Lecrosnier amp Babeacute

KIDDER D P amp FLETCHER J-C

1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston

Philadelphia Childs amp Peterson

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1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot

MACEDO S

1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro

MARTIUS C F P von amp SPIX J B von

1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst

MOREAU DE SAINT-MERY L E

1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez

lauteur

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1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press

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1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co

1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional

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1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales

1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales

RAMOS A

1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional

REIS J-J amp SILVA E

1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo

Companhia das etras

RICHARDSON A

1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez

Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and

the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press

TYLOR E B

1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald

VANSINA J

1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au

XVIe siegravecle Paris UnescoNEA

VERGER P

1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

VIANNA FILHO L

1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 14: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la

culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient

beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par

llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des

Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques

magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil

fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des

autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18

avec les os dun mort ou la

terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave

marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest

pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc

deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria

semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie

Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave

fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain

reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone

1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la

constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le

signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba

tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo

(Brandon 1993 162)

Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits

fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce

mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les

Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition

alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy

1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation

parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the

Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of

the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux

mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui

auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave

preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba

Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue

aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les

theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au

Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours

plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un

processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba

heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire

On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des

Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees

caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on

18

Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le

terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et

fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble

ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

Bibliographie

ABRAHAM R C

1958 Dictionary of Modern Yoruba London University of London Press

ANTONIL A J

1976 [1711] Cuacuteltura e Opulecircncia do Brasil por suas Drogas e Minas Satildeo Paulo Ediccedilotildees

Milhoramentos

ARGYRIADIS K

1999 laquo Une religion laquovivanteraquo continuiteacute et compleacutementariteacute des pratiques cultuelles

havanaises raquo LHomme 151 21-46

ARHIN K amp KI-ZERBO J

1997 laquo Eacutetats et peuples de la boucle du Niger et de la Volta raquo in J-F Ade Ajayi eacuted

Histoire geacuteneacuterale de lAfrique VI LAfrique au XIXe siegravecle jusque vers les anneacutees

1880 Paris Preacutesence africaineEdicefUnesco 340-358

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1995 Cultos afrocubanos la Regla de Ocha la Regla de Palo Monte La Habana

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1958 Le candombleacute de Bahia (rite nagocirc) Paris Mouton amp Co

1995 [1960] Les religions africaines au Breacutesil vers une sociologie des interpeacuteneacutetrations

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1996 [1967] Les Ameacuteriques noires Paris LHarmattan

BOUCHE Abbeacute P

1880 Eacutetude sur la langue Nago Bar-le-Duc

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1858 Grammar and Dictionary of the Yoruba Language Washington Smithsonian

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1993 Santeria from Africa to the New World the Dead Sell Memories Bloomington

Indian University Press

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1975 [1954] El Monte Miami Ediciones Universales

CAPONE S

1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions

revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292

1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo

Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156

1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo

LHomme 151 47-74

1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris

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1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne

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1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita

referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana

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1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London

Chapman Hall

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1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press

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1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard

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1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the

Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers

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1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot

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1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes

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1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston

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1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro

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1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst

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1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez

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1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales

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1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional

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1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo

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1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez

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1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald

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1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

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1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

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1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 15: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute

nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et

linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de

deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce

souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu

comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute

comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere

insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune

supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de

reacutesistance noire

Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis

notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs

proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen

de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19

Ainsi en 1985

deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave

Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des

ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo

Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de

deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans

(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les

Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine

Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en

Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir

ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que

Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du

Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui

regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud

(Capone 1999a)

De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de

culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants

dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au

Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et

laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea

consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des

plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa

Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la

lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du

premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu

(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20

Nana

Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions

dorigine africaine en terre ameacutericaine

La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien

puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation

comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele

agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux

autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave

19

E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui

ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette

religion 20

Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

Bibliographie

ABRAHAM R C

1958 Dictionary of Modern Yoruba London University of London Press

ANTONIL A J

1976 [1711] Cuacuteltura e Opulecircncia do Brasil por suas Drogas e Minas Satildeo Paulo Ediccedilotildees

Milhoramentos

ARGYRIADIS K

1999 laquo Une religion laquovivanteraquo continuiteacute et compleacutementariteacute des pratiques cultuelles

havanaises raquo LHomme 151 21-46

ARHIN K amp KI-ZERBO J

1997 laquo Eacutetats et peuples de la boucle du Niger et de la Volta raquo in J-F Ade Ajayi eacuted

Histoire geacuteneacuterale de lAfrique VI LAfrique au XIXe siegravecle jusque vers les anneacutees

1880 Paris Preacutesence africaineEdicefUnesco 340-358

AVEZAC M d

1844 Esquisse geacuteneacuterale de lAfrique et Afrique ancienne Paris Firmin Didot Fregraveres

BARNET M

1968 Autobiography of a Runaway Slave Esteban Montejo New York Pantheon Books

1995 Cultos afrocubanos la Regla de Ocha la Regla de Palo Monte La Habana

Ediciones UniogravenArtex

BASTIDE R

1958 Le candombleacute de Bahia (rite nagocirc) Paris Mouton amp Co

1995 [1960] Les religions africaines au Breacutesil vers une sociologie des interpeacuteneacutetrations

de civilisations Paris PUF

1996 [1967] Les Ameacuteriques noires Paris LHarmattan

BOUCHE Abbeacute P

1880 Eacutetude sur la langue Nago Bar-le-Duc

BOWEN T J

1858 Grammar and Dictionary of the Yoruba Language Washington Smithsonian

BRANDON G

1993 Santeria from Africa to the New World the Dead Sell Memories Bloomington

Indian University Press

CABRERA L

1975 [1954] El Monte Miami Ediciones Universales

CAPONE S

1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions

revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292

1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo

Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156

1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo

LHomme 151 47-74

1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris

Karthala

CROWTHER S A

1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys

DORSAINVIL D J

1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne

DUMONT H

1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita

referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana

ELLIS A B

1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London

Chapman Hall

ESSIEN-UDOm E U

1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press

FREYRE G

1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard

GARDNER G

1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the

Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers

GOBINEAU J A de

1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot

GOMES F dos Santos

1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes

eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia

das Letras

HERSKOVITS M J

1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon

HOLLOWAY J E

1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University

Press

HOVELACQUE A

1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil

Paris Lecrosnier amp Babeacute

KIDDER D P amp FLETCHER J-C

1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston

Philadelphia Childs amp Peterson

LETOURNEAU C

1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot

MACEDO S

1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro

MARTIUS C F P von amp SPIX J B von

1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst

MOREAU DE SAINT-MERY L E

1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez

lauteur

MURPHY JM

1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press

NINA RODRIGUES R

1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co

1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional

ORTIZ F

1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales

1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales

RAMOS A

1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional

REIS J-J amp SILVA E

1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo

Companhia das etras

RICHARDSON A

1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez

Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and

the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press

TYLOR E B

1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald

VANSINA J

1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au

XVIe siegravecle Paris UnescoNEA

VERGER P

1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

VIANNA FILHO L

1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 16: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses

origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis

incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle

Bibliographie

ABRAHAM R C

1958 Dictionary of Modern Yoruba London University of London Press

ANTONIL A J

1976 [1711] Cuacuteltura e Opulecircncia do Brasil por suas Drogas e Minas Satildeo Paulo Ediccedilotildees

Milhoramentos

ARGYRIADIS K

1999 laquo Une religion laquovivanteraquo continuiteacute et compleacutementariteacute des pratiques cultuelles

havanaises raquo LHomme 151 21-46

ARHIN K amp KI-ZERBO J

1997 laquo Eacutetats et peuples de la boucle du Niger et de la Volta raquo in J-F Ade Ajayi eacuted

Histoire geacuteneacuterale de lAfrique VI LAfrique au XIXe siegravecle jusque vers les anneacutees

1880 Paris Preacutesence africaineEdicefUnesco 340-358

AVEZAC M d

1844 Esquisse geacuteneacuterale de lAfrique et Afrique ancienne Paris Firmin Didot Fregraveres

BARNET M

1968 Autobiography of a Runaway Slave Esteban Montejo New York Pantheon Books

1995 Cultos afrocubanos la Regla de Ocha la Regla de Palo Monte La Habana

Ediciones UniogravenArtex

BASTIDE R

1958 Le candombleacute de Bahia (rite nagocirc) Paris Mouton amp Co

1995 [1960] Les religions africaines au Breacutesil vers une sociologie des interpeacuteneacutetrations

de civilisations Paris PUF

1996 [1967] Les Ameacuteriques noires Paris LHarmattan

BOUCHE Abbeacute P

1880 Eacutetude sur la langue Nago Bar-le-Duc

BOWEN T J

1858 Grammar and Dictionary of the Yoruba Language Washington Smithsonian

BRANDON G

1993 Santeria from Africa to the New World the Dead Sell Memories Bloomington

Indian University Press

CABRERA L

1975 [1954] El Monte Miami Ediciones Universales

CAPONE S

1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions

revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292

1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo

Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156

1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo

LHomme 151 47-74

1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris

Karthala

CROWTHER S A

1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys

DORSAINVIL D J

1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne

DUMONT H

1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita

referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana

ELLIS A B

1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London

Chapman Hall

ESSIEN-UDOm E U

1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press

FREYRE G

1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard

GARDNER G

1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the

Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers

GOBINEAU J A de

1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot

GOMES F dos Santos

1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes

eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia

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HERSKOVITS M J

1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon

HOLLOWAY J E

1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University

Press

HOVELACQUE A

1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil

Paris Lecrosnier amp Babeacute

KIDDER D P amp FLETCHER J-C

1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston

Philadelphia Childs amp Peterson

LETOURNEAU C

1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot

MACEDO S

1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro

MARTIUS C F P von amp SPIX J B von

1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst

MOREAU DE SAINT-MERY L E

1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez

lauteur

MURPHY JM

1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press

NINA RODRIGUES R

1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co

1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional

ORTIZ F

1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales

1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales

RAMOS A

1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional

REIS J-J amp SILVA E

1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo

Companhia das etras

RICHARDSON A

1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez

Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and

the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press

TYLOR E B

1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald

VANSINA J

1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au

XVIe siegravecle Paris UnescoNEA

VERGER P

1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

VIANNA FILHO L

1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 17: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

CAPONE S

1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions

revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292

1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo

Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156

1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo

LHomme 151 47-74

1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris

Karthala

CROWTHER S A

1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys

DORSAINVIL D J

1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne

DUMONT H

1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita

referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana

ELLIS A B

1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London

Chapman Hall

ESSIEN-UDOm E U

1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press

FREYRE G

1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard

GARDNER G

1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the

Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers

GOBINEAU J A de

1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot

GOMES F dos Santos

1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes

eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia

das Letras

HERSKOVITS M J

1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon

HOLLOWAY J E

1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University

Press

HOVELACQUE A

1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil

Paris Lecrosnier amp Babeacute

KIDDER D P amp FLETCHER J-C

1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston

Philadelphia Childs amp Peterson

LETOURNEAU C

1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot

MACEDO S

1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro

MARTIUS C F P von amp SPIX J B von

1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst

MOREAU DE SAINT-MERY L E

1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez

lauteur

MURPHY JM

1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press

NINA RODRIGUES R

1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co

1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional

ORTIZ F

1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales

1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales

RAMOS A

1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional

REIS J-J amp SILVA E

1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo

Companhia das etras

RICHARDSON A

1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez

Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and

the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press

TYLOR E B

1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald

VANSINA J

1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au

XVIe siegravecle Paris UnescoNEA

VERGER P

1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

VIANNA FILHO L

1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 18: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

HOVELACQUE A

1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil

Paris Lecrosnier amp Babeacute

KIDDER D P amp FLETCHER J-C

1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston

Philadelphia Childs amp Peterson

LETOURNEAU C

1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot

MACEDO S

1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro

MARTIUS C F P von amp SPIX J B von

1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst

MOREAU DE SAINT-MERY L E

1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez

lauteur

MURPHY JM

1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press

NINA RODRIGUES R

1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co

1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional

ORTIZ F

1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales

1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales

RAMOS A

1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional

REIS J-J amp SILVA E

1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo

Companhia das etras

RICHARDSON A

1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez

Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and

the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press

TYLOR E B

1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald

VANSINA J

1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au

XVIe siegravecle Paris UnescoNEA

VERGER P

1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

VIANNA FILHO L

1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 19: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

VANSINA J

1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers

Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au

XVIe siegravecle Paris UnescoNEA

VERGER P

1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio

1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de

todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio

VIANNA FILHO L

1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro

Nova Fronteira

WOOD P H

1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono

Rebellion New York Knopf

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition

Page 20: Entre Yoruba et Bantou - halshs.archives-ouvertes.fr · Stefania Capone Entre Yoruba et Bantou : l’influence des stéréotypes raciaux dans les études afro-américaines Les cultes

RESUME

Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les

cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les

yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes

raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-

breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en

Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de

lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou

eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)

semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des

objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs

lettres de noblesse

MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-

ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition