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Entre Yoruba et BantouStefania Capone
To cite this versionStefania Capone Entre Yoruba et Bantou Lrsquoinfluence des steacutereacuteotypes raciaux dans les eacutetudes afro-ameacutericaines Cahiers drsquoeacutetudes africaines Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales 2000 XL-I(157) pp55-77 lthalshs-00007675gt
Stefania Capone
Entre Yoruba et Bantou lrsquoinfluence des steacutereacuteotypes raciaux
dans les eacutetudes afro-ameacutericaines
Les cultes afro-breacutesiliens et notamment le candombleacute sont caracteacuteriseacutes de nos jours par un
mouvement geacuteneacuteral de retour aux racines africaines et de purification de toute influence
occidentale Ce mouvement prend de plus en plus les caracteacuteristiques dun processus de
reacuteafricanisation On essaie ainsi de revenir agrave une pureteacute originelle agrave une Afrique mythique et
leacutegitimatrice qui sinscrit dans un modegravele de tradition identifieacute agrave la culture des Yoruba du
Nigeria Ce modegravele yoruba est eacutegalement et cela depuis longtemps le modegravele dominant dans
dautres contextes religieux tels que Cuba et il est en train de simposer aux Eacutetats-Unis gracircce
agrave lessor actuel des cultes dorigine africaine dans ce pays (Capone 1999a)
La mise en valeur dune origine culturelle consideacutereacutee comme plus laquo pure raquo et le reacuteseau
international qui est agrave la base de ce mouvement de reacuteafricanisation ont institueacute depuis
quelques anneacutees des liens tregraves forts entre les initieacutes des cultes dorigine africaine au Breacutesil agrave
Cuba et aux Eacutetats-Unis et leurs homologues du Nigeria Mais cette mise en valeur du modegravele
yoruba par rapport aux autres contributions culturelles africaines ne constitue pas un
pheacutenomegravene reacutecent Dans les eacutetudes afro-breacutesiliennes cette identification dune origine
culturelle la culture yoruba consideacutereacutee comme la plus fidegravele agrave la laquo vraie tradition africaine raquo
est le reacutesultat dune alliance entre les discours indigegravenes et les eacutecrits des ethnologues qui ont
participeacute au Breacutesil plus quailleurs agrave linvention dune tradition (Capone 1999b) Nous
verrons donc comment cette opposition entre cultes laquo purs raquo et cultes laquo deacutegeacuteneacutereacutes raquo trouve ses
racines dans les steacutereacuteotypes raciaux qui structuraient les rapports entre maicirctres et esclaves
pendant leacutepoque coloniale selon une hieacuterarchie de cultures et de civilisations qui montrait
des peuples africains plus susceptibles de perfectionnement que dautres et dont les
laquo qualiteacutes raquo intrinsegraveques eacutetaient plus ou moins valoriseacutees
Des diffeacuterences entre les esclaves
Tous les premiers auteurs qui ont eacutecrit sur la preacutesence des esclaves noirs dans les colonies
ameacutericaines ont admis lexistence dune diffeacuterence intrinsegraveque entre les moeurs des diffeacuterents
peuples africains transporteacutes au Nouveau Monde Ces diffeacuterences sinscrivaient tout le long
dune eacutechelle eacutevolutive marqueacutee par les diffeacuterents degreacutes de deacuteveloppement de leur laquo culture
morale raquo (Dorsainvil 1931 29) Ces savants ne faisaient que reproduire les theacuteories de leur
eacutepoque qui suivant les lois de leacutevolutionnisme cherchaient agrave eacutetablir une hieacuterarchie entre les
diffeacuterents peuples dabord par leurs caractegraveres physiques et ensuite par lanalyse de leurs
laquo qualiteacutes morales raquo
M dAvezac qui eacutetait le vice-preacutesident de la Socieacuteteacute ethnologique de Paris et membre des
Socieacuteteacutes geacuteographiques de Paris Londres et Francfort nous offre un aperccedilu de ce queacutetaient
les ideacutees dominantes agrave cette eacutepoque au sujet des peuples africains Son Esquisse geacuteneacuterale de
lAfrique et lAfrique ancienne sinscrit dans le deacutebat fondamental du XIXe siegravecle sur la
laquo multipliciteacute des races humaines raquo Face aux deacutefenseurs de luniteacute de la race humaine
justifieacutee par les eacutecrits bibliques lauteur soutient la thegravese que dans la Bible on ne parle que de
trois grands rameaux de la race blanche individualiseacutes dans les trois types grec eacutegyptien et
syriaque laquo dont les traditions respectives ont conserveacute agrave travers les siegravecles comme un
teacutemoignage indeacuteleacutebile de la veacuteraciteacute de Moiumlse les noms de Japet de Hham et de Schecircm raquo
(dAvezac 1844 17)
Le but est alors dindiquer quelle place les diffeacuterents types africains occupent dans le vaste
tableau des populations du globe Pour cela M dAvezac choisit les trois divisions de
Swainson un zoologiste anglais qui avait eacutetabli dans toute section naturelle du regravegne animal
une subdivision tripartite preacutesentant un type un sous-type et un groupe laquo aberrant raquo ou moins
deacuteveloppeacute Il suppose donc que lespegravece blanche ou laquo caucasique raquo constitue le type
fondamental lespegravece jaune ou mongolique le sous-type et lespegravece eacutethiopienne le groupe
aberrant formeacute de trois sous-espegraveces negravegre ameacutericaine et laquo malaie raquo Il propose eacutegalement
dappliquer cette meacutethode danalyse agrave lespegravece blanche qui se divise ainsi en trois varieacuteteacutes
laquo japeacutetique raquo ou indo-germanique qui constitue le groupe normal laquo schecircmitique raquo ou syro-
arabe offrant le sous-type et laquo hhamitique raquo ou laquo pheacutenico-eacutegyptienne raquo formant le groupe
aberrant (ibid) En ce qui concerne lespegravece eacutethiopienne M dAvezac regrette la pauvreteacute de
donneacutees sur ce sujet mais laquo agrave titre dhypothegravese aventureacutee et conjucturale raquo il deacutesigne le
Negravegre africain proprement dit comme varieacuteteacute type le Papou de lOceacuteanie comme sous-type
et comme groupe aberrant laquo le Hottentot le Kafre et lAlfourous raquo (ibid 18) Les
diffeacuterences entre les races sont illustreacutees par les laquo diffeacuterences frappantes entre les belles races
du Nord et celles qui vers le Sud se rapprochent du Hottentot par les formes corporelles raquo
(ibid)
Dans leacutechelle de la civilisation humaine les Bantou (Cafres) et leurs groupes assimileacutes
comme les Hottentots semblent ainsi occuper les derniers degreacutes
laquo Dans la carriegravere ascendante que remonte peacuteniblement lhumaniteacute pour arriver de leacutetat
sauvage agrave leacutetat de civilisation perfectionneacutee dont nous nous proclamons orgueilleusement
le type il semble quarriveacutes au but et regardant en arriegravere nous voyions descendre du nord
au sud depuis les bords de la Meacutediterraneacutee jusquagrave la pointe australe du continent
africain cette longue eacutechelle dont le pied est occupeacute par le Bosjesman ou Hottentot des
taillis que les voyageurs nous repreacutesentent comme si voisin de la brute raquo (ibid 24)1
Pendant toute leacutepoque coloniale on retrouve le mecircme souci de classification des esclaves
africains dans les reacutecits de voyage au Breacutesil comme dans les eacutecrits des missionnaires
catholiques Ainsi au XVIIIe siegravecle le Pegravere Antonil (1976) eacutecrivait que laquo puisque les
esclaves appartiennent agrave des nations distinctes les unes plus sauvages des autres ils sont
aussi somatiquement diffeacuterents raquo il convient de les choisir avec soin Chacun avait sa
speacutecialisation les Arda et les Mina eacutetaient robustes ceux du Cap Vert plus faibles les Congo
bons pour les travaux des champs comme pour les travaux domestiques
Un siegravecle plus tard cette coutume de classifier les esclaves selon leurs qualiteacutes physiques et
morales navait guegravere eacuteteacute abandonneacutee C Lavolleacutee (1852) auteur du Voyage en Chine en
passant par Rio de Janeiro notait que dans cette ville les Noirs angolais eacutetaient les esclaves
preacutefeacutereacutes et ajoutait laquo Les Noirs comme les chevaux sont classifieacutes selon leur race car
chacune preacutesente ses qualiteacutes particuliegraveres et sa cotation sur le marcheacute raquo (citeacute dans Macedo
1944 78)
1 En 1815 lanthropologue franccedilais Cuvier voyait deacutejagrave dans les Hottentots le chaicircnon manquant entre le singe et
lhomme Agrave la mort de Saartjie Baartman une femme Quena ameneacutee de lAfrique du Sud en 1810 et exhibeacutee
comme une curiositeacute sur les places dAngleterre et de France sous le pseudonyme de la Veacutenus hottentote Cuvier
retira son cerveau et ses organes geacutenitaux et les conserva dans des bocaux exposeacutes au museacutee de lHomme jusque
il y a une dizaine danneacutees Cf F-X Fauvelle-Aymard laquo Des murs dAugsbourg aux vitrines du Cap Cinq
siegravecles dhistoire du regard sur le corps des Khoisan raquo Cahiers dEacutetudes africaines XXXIX (3-4) 155-156
1999 539-562
Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par
dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat
dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un
acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un
Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque
peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier
dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-
1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance
laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais
timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz
(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des
Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais
hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus
laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme
domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des
esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire
coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les
caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans
lensemble des nations
La poleacutemique sur la preacutedominance bantou
Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des
derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889
Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un
deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et
lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui
simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme
moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence
des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les
instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et
culture au Breacutesil
En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait
de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le
naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet
historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le
meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait
de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la
deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient
pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive
Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au
Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et
propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude
des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le
meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les
races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale
pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait
contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene
caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui
navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique
Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina
Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes
afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou
parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue
par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser
la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien
lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle
eacutevolutive des peuples africains
R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait
agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des
laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les
peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion
coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute
Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme
infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute
comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans
les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)
Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple
breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues
sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes
au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute
deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des
archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la
preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors
lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence
intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave
son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la
ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les
Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou
Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant
dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa
la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par
celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba
deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi
une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du
feacutetichisme au polytheacuteisme
laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase
curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave
franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa
repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre
indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru
chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)
Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement
religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis
2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des
proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret
ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves
exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage
(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources
principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther
(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba
Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave
cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina
Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale
laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout
inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au
mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures
africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute
les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation
supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure
comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque
Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute
avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants
humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo
Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que
par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour
contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz
laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo
repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses
parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)
La place du Breacutesil dans lensemble des nations
Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une
laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo
participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple
en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la
formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place
occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait
bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction
laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les
races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []
La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue
ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces
vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la
race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo
Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune
laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples
africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela
linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave
sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce
3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment
les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba
LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees
breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
Stefania Capone
Entre Yoruba et Bantou lrsquoinfluence des steacutereacuteotypes raciaux
dans les eacutetudes afro-ameacutericaines
Les cultes afro-breacutesiliens et notamment le candombleacute sont caracteacuteriseacutes de nos jours par un
mouvement geacuteneacuteral de retour aux racines africaines et de purification de toute influence
occidentale Ce mouvement prend de plus en plus les caracteacuteristiques dun processus de
reacuteafricanisation On essaie ainsi de revenir agrave une pureteacute originelle agrave une Afrique mythique et
leacutegitimatrice qui sinscrit dans un modegravele de tradition identifieacute agrave la culture des Yoruba du
Nigeria Ce modegravele yoruba est eacutegalement et cela depuis longtemps le modegravele dominant dans
dautres contextes religieux tels que Cuba et il est en train de simposer aux Eacutetats-Unis gracircce
agrave lessor actuel des cultes dorigine africaine dans ce pays (Capone 1999a)
La mise en valeur dune origine culturelle consideacutereacutee comme plus laquo pure raquo et le reacuteseau
international qui est agrave la base de ce mouvement de reacuteafricanisation ont institueacute depuis
quelques anneacutees des liens tregraves forts entre les initieacutes des cultes dorigine africaine au Breacutesil agrave
Cuba et aux Eacutetats-Unis et leurs homologues du Nigeria Mais cette mise en valeur du modegravele
yoruba par rapport aux autres contributions culturelles africaines ne constitue pas un
pheacutenomegravene reacutecent Dans les eacutetudes afro-breacutesiliennes cette identification dune origine
culturelle la culture yoruba consideacutereacutee comme la plus fidegravele agrave la laquo vraie tradition africaine raquo
est le reacutesultat dune alliance entre les discours indigegravenes et les eacutecrits des ethnologues qui ont
participeacute au Breacutesil plus quailleurs agrave linvention dune tradition (Capone 1999b) Nous
verrons donc comment cette opposition entre cultes laquo purs raquo et cultes laquo deacutegeacuteneacutereacutes raquo trouve ses
racines dans les steacutereacuteotypes raciaux qui structuraient les rapports entre maicirctres et esclaves
pendant leacutepoque coloniale selon une hieacuterarchie de cultures et de civilisations qui montrait
des peuples africains plus susceptibles de perfectionnement que dautres et dont les
laquo qualiteacutes raquo intrinsegraveques eacutetaient plus ou moins valoriseacutees
Des diffeacuterences entre les esclaves
Tous les premiers auteurs qui ont eacutecrit sur la preacutesence des esclaves noirs dans les colonies
ameacutericaines ont admis lexistence dune diffeacuterence intrinsegraveque entre les moeurs des diffeacuterents
peuples africains transporteacutes au Nouveau Monde Ces diffeacuterences sinscrivaient tout le long
dune eacutechelle eacutevolutive marqueacutee par les diffeacuterents degreacutes de deacuteveloppement de leur laquo culture
morale raquo (Dorsainvil 1931 29) Ces savants ne faisaient que reproduire les theacuteories de leur
eacutepoque qui suivant les lois de leacutevolutionnisme cherchaient agrave eacutetablir une hieacuterarchie entre les
diffeacuterents peuples dabord par leurs caractegraveres physiques et ensuite par lanalyse de leurs
laquo qualiteacutes morales raquo
M dAvezac qui eacutetait le vice-preacutesident de la Socieacuteteacute ethnologique de Paris et membre des
Socieacuteteacutes geacuteographiques de Paris Londres et Francfort nous offre un aperccedilu de ce queacutetaient
les ideacutees dominantes agrave cette eacutepoque au sujet des peuples africains Son Esquisse geacuteneacuterale de
lAfrique et lAfrique ancienne sinscrit dans le deacutebat fondamental du XIXe siegravecle sur la
laquo multipliciteacute des races humaines raquo Face aux deacutefenseurs de luniteacute de la race humaine
justifieacutee par les eacutecrits bibliques lauteur soutient la thegravese que dans la Bible on ne parle que de
trois grands rameaux de la race blanche individualiseacutes dans les trois types grec eacutegyptien et
syriaque laquo dont les traditions respectives ont conserveacute agrave travers les siegravecles comme un
teacutemoignage indeacuteleacutebile de la veacuteraciteacute de Moiumlse les noms de Japet de Hham et de Schecircm raquo
(dAvezac 1844 17)
Le but est alors dindiquer quelle place les diffeacuterents types africains occupent dans le vaste
tableau des populations du globe Pour cela M dAvezac choisit les trois divisions de
Swainson un zoologiste anglais qui avait eacutetabli dans toute section naturelle du regravegne animal
une subdivision tripartite preacutesentant un type un sous-type et un groupe laquo aberrant raquo ou moins
deacuteveloppeacute Il suppose donc que lespegravece blanche ou laquo caucasique raquo constitue le type
fondamental lespegravece jaune ou mongolique le sous-type et lespegravece eacutethiopienne le groupe
aberrant formeacute de trois sous-espegraveces negravegre ameacutericaine et laquo malaie raquo Il propose eacutegalement
dappliquer cette meacutethode danalyse agrave lespegravece blanche qui se divise ainsi en trois varieacuteteacutes
laquo japeacutetique raquo ou indo-germanique qui constitue le groupe normal laquo schecircmitique raquo ou syro-
arabe offrant le sous-type et laquo hhamitique raquo ou laquo pheacutenico-eacutegyptienne raquo formant le groupe
aberrant (ibid) En ce qui concerne lespegravece eacutethiopienne M dAvezac regrette la pauvreteacute de
donneacutees sur ce sujet mais laquo agrave titre dhypothegravese aventureacutee et conjucturale raquo il deacutesigne le
Negravegre africain proprement dit comme varieacuteteacute type le Papou de lOceacuteanie comme sous-type
et comme groupe aberrant laquo le Hottentot le Kafre et lAlfourous raquo (ibid 18) Les
diffeacuterences entre les races sont illustreacutees par les laquo diffeacuterences frappantes entre les belles races
du Nord et celles qui vers le Sud se rapprochent du Hottentot par les formes corporelles raquo
(ibid)
Dans leacutechelle de la civilisation humaine les Bantou (Cafres) et leurs groupes assimileacutes
comme les Hottentots semblent ainsi occuper les derniers degreacutes
laquo Dans la carriegravere ascendante que remonte peacuteniblement lhumaniteacute pour arriver de leacutetat
sauvage agrave leacutetat de civilisation perfectionneacutee dont nous nous proclamons orgueilleusement
le type il semble quarriveacutes au but et regardant en arriegravere nous voyions descendre du nord
au sud depuis les bords de la Meacutediterraneacutee jusquagrave la pointe australe du continent
africain cette longue eacutechelle dont le pied est occupeacute par le Bosjesman ou Hottentot des
taillis que les voyageurs nous repreacutesentent comme si voisin de la brute raquo (ibid 24)1
Pendant toute leacutepoque coloniale on retrouve le mecircme souci de classification des esclaves
africains dans les reacutecits de voyage au Breacutesil comme dans les eacutecrits des missionnaires
catholiques Ainsi au XVIIIe siegravecle le Pegravere Antonil (1976) eacutecrivait que laquo puisque les
esclaves appartiennent agrave des nations distinctes les unes plus sauvages des autres ils sont
aussi somatiquement diffeacuterents raquo il convient de les choisir avec soin Chacun avait sa
speacutecialisation les Arda et les Mina eacutetaient robustes ceux du Cap Vert plus faibles les Congo
bons pour les travaux des champs comme pour les travaux domestiques
Un siegravecle plus tard cette coutume de classifier les esclaves selon leurs qualiteacutes physiques et
morales navait guegravere eacuteteacute abandonneacutee C Lavolleacutee (1852) auteur du Voyage en Chine en
passant par Rio de Janeiro notait que dans cette ville les Noirs angolais eacutetaient les esclaves
preacutefeacutereacutes et ajoutait laquo Les Noirs comme les chevaux sont classifieacutes selon leur race car
chacune preacutesente ses qualiteacutes particuliegraveres et sa cotation sur le marcheacute raquo (citeacute dans Macedo
1944 78)
1 En 1815 lanthropologue franccedilais Cuvier voyait deacutejagrave dans les Hottentots le chaicircnon manquant entre le singe et
lhomme Agrave la mort de Saartjie Baartman une femme Quena ameneacutee de lAfrique du Sud en 1810 et exhibeacutee
comme une curiositeacute sur les places dAngleterre et de France sous le pseudonyme de la Veacutenus hottentote Cuvier
retira son cerveau et ses organes geacutenitaux et les conserva dans des bocaux exposeacutes au museacutee de lHomme jusque
il y a une dizaine danneacutees Cf F-X Fauvelle-Aymard laquo Des murs dAugsbourg aux vitrines du Cap Cinq
siegravecles dhistoire du regard sur le corps des Khoisan raquo Cahiers dEacutetudes africaines XXXIX (3-4) 155-156
1999 539-562
Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par
dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat
dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un
acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un
Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque
peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier
dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-
1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance
laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais
timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz
(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des
Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais
hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus
laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme
domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des
esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire
coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les
caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans
lensemble des nations
La poleacutemique sur la preacutedominance bantou
Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des
derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889
Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un
deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et
lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui
simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme
moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence
des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les
instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et
culture au Breacutesil
En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait
de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le
naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet
historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le
meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait
de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la
deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient
pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive
Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au
Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et
propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude
des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le
meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les
races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale
pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait
contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene
caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui
navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique
Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina
Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes
afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou
parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue
par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser
la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien
lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle
eacutevolutive des peuples africains
R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait
agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des
laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les
peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion
coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute
Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme
infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute
comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans
les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)
Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple
breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues
sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes
au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute
deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des
archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la
preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors
lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence
intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave
son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la
ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les
Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou
Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant
dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa
la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par
celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba
deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi
une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du
feacutetichisme au polytheacuteisme
laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase
curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave
franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa
repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre
indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru
chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)
Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement
religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis
2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des
proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret
ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves
exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage
(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources
principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther
(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba
Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave
cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina
Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale
laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout
inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au
mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures
africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute
les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation
supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure
comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque
Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute
avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants
humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo
Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que
par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour
contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz
laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo
repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses
parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)
La place du Breacutesil dans lensemble des nations
Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une
laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo
participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple
en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la
formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place
occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait
bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction
laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les
races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []
La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue
ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces
vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la
race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo
Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune
laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples
africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela
linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave
sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce
3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment
les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba
LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees
breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
syriaque laquo dont les traditions respectives ont conserveacute agrave travers les siegravecles comme un
teacutemoignage indeacuteleacutebile de la veacuteraciteacute de Moiumlse les noms de Japet de Hham et de Schecircm raquo
(dAvezac 1844 17)
Le but est alors dindiquer quelle place les diffeacuterents types africains occupent dans le vaste
tableau des populations du globe Pour cela M dAvezac choisit les trois divisions de
Swainson un zoologiste anglais qui avait eacutetabli dans toute section naturelle du regravegne animal
une subdivision tripartite preacutesentant un type un sous-type et un groupe laquo aberrant raquo ou moins
deacuteveloppeacute Il suppose donc que lespegravece blanche ou laquo caucasique raquo constitue le type
fondamental lespegravece jaune ou mongolique le sous-type et lespegravece eacutethiopienne le groupe
aberrant formeacute de trois sous-espegraveces negravegre ameacutericaine et laquo malaie raquo Il propose eacutegalement
dappliquer cette meacutethode danalyse agrave lespegravece blanche qui se divise ainsi en trois varieacuteteacutes
laquo japeacutetique raquo ou indo-germanique qui constitue le groupe normal laquo schecircmitique raquo ou syro-
arabe offrant le sous-type et laquo hhamitique raquo ou laquo pheacutenico-eacutegyptienne raquo formant le groupe
aberrant (ibid) En ce qui concerne lespegravece eacutethiopienne M dAvezac regrette la pauvreteacute de
donneacutees sur ce sujet mais laquo agrave titre dhypothegravese aventureacutee et conjucturale raquo il deacutesigne le
Negravegre africain proprement dit comme varieacuteteacute type le Papou de lOceacuteanie comme sous-type
et comme groupe aberrant laquo le Hottentot le Kafre et lAlfourous raquo (ibid 18) Les
diffeacuterences entre les races sont illustreacutees par les laquo diffeacuterences frappantes entre les belles races
du Nord et celles qui vers le Sud se rapprochent du Hottentot par les formes corporelles raquo
(ibid)
Dans leacutechelle de la civilisation humaine les Bantou (Cafres) et leurs groupes assimileacutes
comme les Hottentots semblent ainsi occuper les derniers degreacutes
laquo Dans la carriegravere ascendante que remonte peacuteniblement lhumaniteacute pour arriver de leacutetat
sauvage agrave leacutetat de civilisation perfectionneacutee dont nous nous proclamons orgueilleusement
le type il semble quarriveacutes au but et regardant en arriegravere nous voyions descendre du nord
au sud depuis les bords de la Meacutediterraneacutee jusquagrave la pointe australe du continent
africain cette longue eacutechelle dont le pied est occupeacute par le Bosjesman ou Hottentot des
taillis que les voyageurs nous repreacutesentent comme si voisin de la brute raquo (ibid 24)1
Pendant toute leacutepoque coloniale on retrouve le mecircme souci de classification des esclaves
africains dans les reacutecits de voyage au Breacutesil comme dans les eacutecrits des missionnaires
catholiques Ainsi au XVIIIe siegravecle le Pegravere Antonil (1976) eacutecrivait que laquo puisque les
esclaves appartiennent agrave des nations distinctes les unes plus sauvages des autres ils sont
aussi somatiquement diffeacuterents raquo il convient de les choisir avec soin Chacun avait sa
speacutecialisation les Arda et les Mina eacutetaient robustes ceux du Cap Vert plus faibles les Congo
bons pour les travaux des champs comme pour les travaux domestiques
Un siegravecle plus tard cette coutume de classifier les esclaves selon leurs qualiteacutes physiques et
morales navait guegravere eacuteteacute abandonneacutee C Lavolleacutee (1852) auteur du Voyage en Chine en
passant par Rio de Janeiro notait que dans cette ville les Noirs angolais eacutetaient les esclaves
preacutefeacutereacutes et ajoutait laquo Les Noirs comme les chevaux sont classifieacutes selon leur race car
chacune preacutesente ses qualiteacutes particuliegraveres et sa cotation sur le marcheacute raquo (citeacute dans Macedo
1944 78)
1 En 1815 lanthropologue franccedilais Cuvier voyait deacutejagrave dans les Hottentots le chaicircnon manquant entre le singe et
lhomme Agrave la mort de Saartjie Baartman une femme Quena ameneacutee de lAfrique du Sud en 1810 et exhibeacutee
comme une curiositeacute sur les places dAngleterre et de France sous le pseudonyme de la Veacutenus hottentote Cuvier
retira son cerveau et ses organes geacutenitaux et les conserva dans des bocaux exposeacutes au museacutee de lHomme jusque
il y a une dizaine danneacutees Cf F-X Fauvelle-Aymard laquo Des murs dAugsbourg aux vitrines du Cap Cinq
siegravecles dhistoire du regard sur le corps des Khoisan raquo Cahiers dEacutetudes africaines XXXIX (3-4) 155-156
1999 539-562
Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par
dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat
dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un
acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un
Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque
peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier
dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-
1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance
laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais
timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz
(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des
Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais
hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus
laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme
domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des
esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire
coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les
caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans
lensemble des nations
La poleacutemique sur la preacutedominance bantou
Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des
derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889
Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un
deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et
lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui
simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme
moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence
des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les
instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et
culture au Breacutesil
En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait
de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le
naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet
historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le
meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait
de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la
deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient
pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive
Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au
Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et
propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude
des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le
meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les
races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale
pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait
contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene
caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui
navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique
Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina
Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes
afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou
parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue
par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser
la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien
lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle
eacutevolutive des peuples africains
R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait
agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des
laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les
peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion
coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute
Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme
infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute
comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans
les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)
Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple
breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues
sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes
au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute
deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des
archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la
preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors
lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence
intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave
son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la
ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les
Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou
Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant
dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa
la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par
celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba
deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi
une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du
feacutetichisme au polytheacuteisme
laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase
curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave
franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa
repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre
indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru
chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)
Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement
religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis
2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des
proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret
ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves
exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage
(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources
principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther
(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba
Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave
cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina
Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale
laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout
inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au
mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures
africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute
les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation
supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure
comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque
Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute
avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants
humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo
Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que
par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour
contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz
laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo
repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses
parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)
La place du Breacutesil dans lensemble des nations
Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une
laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo
participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple
en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la
formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place
occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait
bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction
laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les
races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []
La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue
ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces
vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la
race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo
Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune
laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples
africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela
linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave
sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce
3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment
les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba
LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees
breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
Cet inteacuterecirct pour les particulariteacutes des esclaves africains semble avoir eacuteteacute partageacute par
dautres socieacuteteacutes coloniales Ainsi Fernando Ortiz (1975 71) nous rappelle quagrave Cuba lachat
dun esclave africain (negro de nacioacuten) eacutetait tregraves influenceacute par son origine laquo Pour un
acheteur ce neacutetait pas la mecircme chose au niveau psychologique un Lucumiacute (Yoruba) un
Congo ou un Mandinga raquo Mais les teacutemoignages au sujet des diffeacuterentes qualiteacutes de chaque
peuple africain eacutetaient parfois contradictoires Henri Dumont auteur agrave la fin du siegravecle dernier
dun article consacreacute agrave lanthropologie et agrave la pathologie compareacutee des noires esclaves (1915-
1916) agrave Cuba soulignait la laquo franche reacutesignation raquo des Lucumiacute (Yoruba) et leur obeacuteissance
laquo malgreacute une certaine inclinaison au suicide raquo alors que les Congo eacutetaient laquo forts mais
timides et extravagants porteacutes agrave linsubordination et au repos excessif raquo En revanche F Ortiz
(1975 74) citait Moreau de Saint-Meacutery (1784 36) pour deacutemontrer la supeacuterioriteacute des
Lucumiacute laquo les esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser mais
hautains et difficiles de se subjuguer raquo alors que les Congo eacutetaient agrave ses yeux beaucoup plus
laquo adaptables au travail colonial raquo et tregraves appreacutecieacutes par les maicirctres qui les choisissaient comme
domestiques Cette classification souvent contradictoire des diffeacuterentes caracteacuteristiques des
esclaves provenant dAfrique pourrait ne repreacutesenter quune page curieuse de lhistoire
coloniale si elle ne reacuteveacutelait toute une seacuterie denjeux nourrissant le deacutebat sur les
caracteacuteristiques nationales et sur le rocircle que chaque pays des Ameacuteriques doit jouer dans
lensemble des nations
La poleacutemique sur la preacutedominance bantou
Au Breacutesil labolition de lesclavage fut deacutecreacuteteacutee en mai 1888 avec la Lei Aurea un des
derniers actes de la Monarchie avant la promulgation de la Reacutepublique le 15 novembre 1889
Ces grands changements furent accompagneacutes dans le milieu des eacutelites intellectuelles par un
deacutebat passionneacute sur la reacutealiteacute breacutesilienne et ses composantes humaines le Blanc le Noir et
lindigegravene Ceacutetait leacutepoque de la diffusion des theacuteories sur les ineacutegaliteacutes raciales qui
simposaient au Breacutesil agrave cocircteacute des ideacutees positivistes et eacutevolutionnistes Depuis la deuxiegraveme
moitieacute du XIXe siegravecle la litteacuterature et la culture breacutesilienne ressentaient fortement linfluence
des modegraveles europeacuteens tels que ceux de lhistoire naturelle et lethnologie qui offraient les
instruments neacutecessaires agrave linterpreacutetation de la nature tropicale et des rapports entre race et
culture au Breacutesil
En 1838 lempereur D Pedro creacutea lInstitut historique et geacuteographique dont la mission eacutetait
de repenser lhistoire breacutesilienne afin de consolider lEacutetat national Deux ans plus tard le
naturaliste bavarois Carl Friederich von Martius gagna le concours du meilleur projet
historiographique consacreacute au Breacutesil Selon lui la mission du Breacutesil eacutetait de reacutealiser le
meacutelange des races sous la tutelle attentive de lEacutetat le mythe de la deacutemocratie raciale venait
de naicirctre Mais le deacutebat sur la neacutecessiteacute du meacutetissage entraicircnait aussi celui sur la
deacutegeacuteneacuterescence ineacutevitable du peuple breacutesilien obligeacute de meacutelanger des races qui noccupaient
pas le mecircme niveau dans leacutechelle eacutevolutive
Le comte J A de Gobineau (1884) dont louvrage avait fait lobjet de deacutebats animeacutes au
Breacutesil avait seacutejourneacute en qualiteacute de ministre de la France aupregraves de la Cour breacutesilienne et
propheacutetisait la deacutecadence de la civilisation comme reacutesultat du meacutelange des races Linaptitude
des races non blanches agrave la civilisation ne pouvait pas ecirctre corrigeacutee par leacuteducation seul le
meacutetissage aurait pu eacutelever les races infeacuterieures mais avec linconveacutenient de laquo rabaisser raquo les
races supeacuterieures qui participaient agrave ce meacutelange La question ethnique devenait donc centrale
pour la construction dune identiteacute nationale breacutesilienne Il fallait eacutetudier tout ce qui avait
contribueacute agrave la speacutecificiteacute nationale en laissant de cocircteacute la valorisation de lindigegravene
caracteacuteristique du mouvement romantique au profit de lanalyse de la culture noire qui
navait pas encore eacuteteacute eacutetudieacutee dune faccedilon scientifique
Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina
Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes
afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou
parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue
par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser
la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien
lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle
eacutevolutive des peuples africains
R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait
agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des
laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les
peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion
coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute
Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme
infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute
comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans
les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)
Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple
breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues
sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes
au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute
deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des
archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la
preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors
lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence
intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave
son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la
ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les
Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou
Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant
dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa
la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par
celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba
deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi
une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du
feacutetichisme au polytheacuteisme
laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase
curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave
franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa
repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre
indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru
chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)
Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement
religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis
2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des
proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret
ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves
exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage
(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources
principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther
(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba
Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave
cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina
Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale
laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout
inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au
mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures
africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute
les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation
supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure
comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque
Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute
avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants
humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo
Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que
par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour
contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz
laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo
repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses
parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)
La place du Breacutesil dans lensemble des nations
Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une
laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo
participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple
en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la
formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place
occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait
bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction
laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les
races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []
La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue
ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces
vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la
race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo
Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune
laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples
africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela
linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave
sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce
3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment
les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba
LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees
breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
Cest dans ce cadre que les premiegraveres eacutetudes sur les Noirs virent le jour au Breacutesil (Nina
Rodrigues 1900 1988) Raymundo Nina Rodrigues meacutedecin leacutegiste et preacutecurseur des eacutetudes
afro-breacutesiliennes critiquait lopinion preacutedominante agrave son eacutepoque dune supreacutematie bantou
parmi les Noirs breacutesiliens une supreacutematie deacutemontreacutee par les eacutetudes linguistiques et deacutefendue
par les eacutecrits de Martius et Spix (1824) Cette preacutedominance bantou ne faisait que deacutevaloriser
la contribution culturelle et anthropologique dune des trois composantes du peuple breacutesilien
lAfricain Les Bantou occupaient en fait nous lavons vu les derniers degreacutes de leacutechelle
eacutevolutive des peuples africains
R Nina Rodrigues substitua donc agrave la meacutethode fondeacutee sur lanalyse linguistique qui forccedilait
agrave admettre la preacutedominance de linfluence bantou une autre fondeacutee sur lobservation des
laquo faits religieux raquo en les comparant avec les donneacutees disponibles agrave cette eacutepoque sur les
peuples africains Or agrave la fin du siegravecle dernier on venait de deacutecouvrir gracircce agrave lexpansion
coloniale lorganisation sociale et religieuse des Yoruba qui eacutetait dune grande complexiteacute
Les Bantou eacutetaient en revanche caracteacuteriseacutes par une mythologie consideacutereacutee comme
infeacuterieure Ainsi bien que lorganisation sociale et politique du royaume du Congo ait eacuteteacute
comparable agrave celle des Yoruba linfeacuterioriteacute des Bantou eacutetait systeacutematiquement theacuteoriseacutee dans
les rares ouvrages disponibles sur ce sujet (Letourneau 1892)
Il fallait donc prouver la preacutedominance dans le processus de constitution du peuple
breacutesilien dautres peuples africains plus laquo susceptibles de civilisation raquo R Nina Rodrigues
sattacha alors agrave deacutemontrer la preacutesence dune veacuteritable laquo aristocratie raquo parmi les Noirs ameneacutes
au Breacutesil les Yoruba ou Nagocirc comme ils eacutetaient appeleacutes agrave Bahia Face agrave limpossibiliteacute
deacutetablir clairement les origines des descendants desclaves agrave cause de la destruction des
archives de lesclavage ordonneacutee par Rui Barbosa2 le seul moyen pour eacutetablir la
preacutedominance culturelle des Yoruba peuple africain laquo plus eacutevolueacute raquo restait alors
lobservation ethnologique Pour Nina Rodrigues (1988 37) agrave Bahia laquo la preacuteeacuteminence
intellectuelle et sociale est sans doute celle des Noirs soudanais raquo Et malgreacute lexistence agrave
son eacutepoque de plusieurs terreiros (maisons de culte) de candombleacute angola ou congo dans la
ville de Salvador (Vianna Filho 1988 209) il soutenait avoir inutilement chercheacute parmi les
Noirs de Bahia des ideacutees religieuses appartenant aux Bantou
Cette preacutedominance culturelle nexcluait pas la preacutesence agrave Bahia dAfricains provenant
dautres reacutegions Mais pour deacutemontrer la force de la culture yoruba R Nina Rodrigues utilisa
la laquo loi dEllis raquo sur la diffusion religieuse qui preacutevoyait labsorption des diviniteacutes locales par
celles des cultes plus reacutepandus telles que les diviniteacutes laquo presque internationales raquo des Yoruba
deacutejagrave connues de leurs voisins fon (jeje au Breacutesil) et tshi (Nina Rodrigues 1988 215) Ainsi
une religion laquo plus eacuteleveacutee raquo simposait sur des cultes laquo infeacuterieurs raquo marquant le passage du
feacutetichisme au polytheacuteisme
laquo La conception et la repreacutesentation mateacuterielle des Orisas yorubans marquent une phase
curieuse et importante de leacutevolution religieuse [] La conception des Orisas est deacutejagrave
franchement polytheacuteiste elle constitue une veacuteritable mythologie en mecircme temps que sa
repreacutesentation mateacuterielle reste encore entiegraverement feacutetichiste [] Ce fait montre
indiscutablement le chemin que la transformation du feacutetichisme en idolacirctrie a parcouru
chez les negravegres Yorubans raquo (Nina Rodrigues 1900 22-23)
Et pour montrer comment la mythologie yoruba eacutetait bien le signe dun perfectionnement
religieux il faisait appel aux travaux du missionnaire Bowen (1858) et du colonel Ellis
2 Rui Barbosa eacutetait le ministre de lEacuteconomie de la jeune Reacutepublique breacutesilienne Sous la pression des
proprieacutetaires desclaves qui demandaient avec insistance un deacutedommagement Rui Barbosa promulgua le deacutecret
ndeg 29 du 13 mai 1891 qui ordonna la destruction de tout document qui prouvait la proprieacuteteacute des esclaves
exactement trois ans apregraves labolition de lesclavage
(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources
principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther
(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba
Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave
cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina
Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale
laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout
inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au
mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures
africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute
les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation
supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure
comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque
Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute
avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants
humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo
Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que
par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour
contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz
laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo
repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses
parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)
La place du Breacutesil dans lensemble des nations
Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une
laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo
participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple
en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la
formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place
occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait
bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction
laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les
races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []
La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue
ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces
vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la
race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo
Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune
laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples
africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela
linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave
sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce
3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment
les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba
LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees
breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
(1894) citeacutes par Tylor (1876) Or Bowen et Ellis eacutetaient eacutegalement parmi les sources
principales de Fernando Ortiz3 qui citait aussi lAbbeacute Bouche (1880) et le Reacuteveacuterend Crowther
(1834) qui avaient tous eacutecrit sur les Yoruba
Cependant F Ortiz ne disposait pas dun nombre suffisant de donneacutees afro-cubaines agrave
cause de la laquo loi du secret des Afro-cubains raquo ce qui lamena agrave utiliser les donneacutees de Nina
Rodrigues reacutefeacuterant au Breacutesil chaque fois quil ne trouvait pas une explication locale
laquo Comme laffirme un auteur breacutesilien que je citerai de nombreuses fois les Noirs ont tout
inteacuterecirct agrave garder leurs pratiques en secret en raison de limportance quils accordent au
mystegravere raquo (Ortiz 1995 67)4 Il eacutetablit donc une distinction entre les diffeacuterentes cultures
africaines arriveacutees agrave Cuba les Bantou cest-agrave-dire les Congo et les Angola qui auraient eacuteteacute
les plus nombreux mais les Yoruba auraient eacuteteacute les seuls agrave apporter une civilisation
supeacuterieure Ils seraient donc les plus civiliseacutes des Africains doteacutes dune religion supeacuterieure
comme le deacutemontraient les eacutetudes des africanistes de leacutepoque
Au deacutebut du siegravecle les nationalismes dominaient lEurope et chaque peuple eacutetait censeacute
avoir un caractegravere distinctif Ainsi agrave travers leacutetude des Afro-cubains un des composants
humains du peuple cubain F Ortiz cherchait agrave contribuer agrave lanalyse de laquo lacircme cubaine raquo
Mais si la socieacuteteacute cubaine avait une laquo acircme raquo elle avait aussi un laquo corps raquo Ortiz pensait que
par leacutetude de ses membres malades il aurait pu proposer un diagnostic et des remegravedes pour
contribuer agrave lameacutelioration de lensemble du corps social Et pour reprendre les mots dOrtiz
laquo tout effort intellectuel vers la connaissance scientifique de la pegravegre afro-cubaine raquo
repreacutesentait laquo une collaboration agrave lhygieacutenisation de ses antres agrave la reacutegeacuteneacuteration de ses
parasites au progregraves moral de notre socieacuteteacute raquo (Ortiz 1995 5)
La place du Breacutesil dans lensemble des nations
Comme F Ortiz Nina Rodrigues (1900) publie un ouvrage qui voulait ecirctre une
laquo contribution agrave la solution du problegraveme de la race noire dans lAmeacuterique portugaise raquo
participant laquo agrave leacutelucidation des graves questions sociales relatives agrave notre destineacutee de peuple
en voie de formation raquo La compreacutehension des cultures africaines qui avaient contribueacute agrave la
formation de lidentiteacute nationale breacutesilienne eacutetait donc indispensable pour deacuteterminer la place
occupeacutee par le Breacutesil dans la communauteacute internationale La reacutefeacuterence aux Eacutetats-Unis eacutetait
bien eacutevidente et Nina Rodrigues (1900 VII) eacutecrivait dans son introduction
laquo Chez nous un petit noyau colonial de race blanche sest noyeacute par le croisement dans les
races negravegre et ameacutericaine dans lAmeacuterique du Nord on a eacuteviteacute tout meacutelange de race []
La division du degreacute de culture des peuples noirs qui ont coloniseacute le Breacutesil est devenue
ainsi une question capitale pour leacutetude de notre nationaliteacute dans ses bases et ses forces
vives Cela nest daucune utiliteacute aux Eacutetats- Unis ougrave on a toujours su ou pu conserver la
race noire dans sa totaliteacute agrave une distance respectable raquo
Lideacutee dun Noir laquo reacutefractaire agrave la civilisation raquo est atteacutenueacutee en 1906 par laffirmation dune
laquo eacutechelle hieacuterarchique de culture et de perfectionnement raquo entre les diffeacuterents peuples
africains qui avaient eacuteteacute transporteacutes au Breacutesil pendant leacutepoque coloniale Mais malgreacute cela
linfeacuterioriteacute sociale des Noirs nest guegravere remise en question car lincapaciteacute du Noir agrave
sadapter agrave la civilisation eacutetait selon Nina Rodrigues laquo organique et morphologique raquo Ce
3 De plus dans le premier volume de son oeuvre consacreacutee aux Noirs cubains Ortiz (1995) utilise abondamment
les donneacutees africaines offertes par les eacutetudes de Bowen et Ellis pour parler du culte lucumiacute (yoruba) agrave Cuba
LAfrique aide ainsi agrave penser lAmeacuterique 4 Cette pratique na pas eacuteteacute abandonneacutee de si tocirct R Bastide (1958 136) lorsquil navait pas de donneacutees
breacutesiliennes disponibles utilisait les mythes transcrits par Lydia Cabrera agrave Cuba
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
quil fallait deacuteterminer eacutetait donc le degreacute dinfeacuterioriteacute que la preacutesence des Africains apportait
au processus de formation du peuple breacutesilien agrave travers laction du meacutetissage
Pour cela il convenait de montrer que les esclaves noirs ameneacutes au Breacutesil nappartenaient
pas exclusivement aux peuples africains laquo les plus deacutegradeacutes brutaux ou sauvages raquo Le trafic
avait aussi introduit laquo quelques Noirs parmi les plus eacutevolueacutes et aussi des meacutetis hamites
convertis agrave lislam et provenant dEacutetats africains barbares bien sucircr mais parmi les plus
eacutevolueacutes raquo (Nina Rodrigues 1988 268-269) Ces Africains moins laquo barbares raquo que les autres
eacutetaient les Nagocirc concentreacutes dans la ville de Salvador de Bahia Le culte nagocirc (yoruba) eacutetait
supeacuterieur car il avait eacuteteacute une laquo veacuteritable religion dEacutetat raquo en Afrique comme le deacutemontraient
les recherches meneacutees au Nigeria au XIXe siegravecle
Mais parmi les esclaves noirs on trouvait eacutegalement un groupe dAfricains convertis agrave
lislam les Noirs malecirc5 Ils eacutetaient les prisonniers des guerres islamiques qui avaient seacutevi au
Nigeria au deacutebut du XIXe siegravecle provoquant la chute de lempire yoruba Parmi eux des Fula
(Peuls) des Haussa et des Yoruba6 Leur preacutesence agrave Bahia avait attireacute lattention lors des
reacutebellions desclaves qui avaient eacuteclateacute tout le long de la premiegravere moitieacute du XIXe siegravecle
Mais si dun cocircteacute les reacutebellions des Malecirc contribuegraverent profondeacutement agrave la naissance dun
sentiment de peur face agrave ce qui fut appeleacute le laquo danger noir raquo de lautre les Malecirc teacutemoignaient
de la preacutesence parmi les Noirs breacutesiliens dun type plus eacuteleveacute de religion le monotheacuteisme
En 1933 trente ans apregraves les ouvrages pionniers de Nina Rodrigues Gilberto Freyre le
premier theacuteoricien de la laquo breacutesilianiteacute raquo publiait un ouvrage proposant lanalyse du processus
civilisateur constitutif de la socieacuteteacute breacutesilienne dans lequel on retrouvait cette mecircme
valorisation dun groupe de Noirs laquo supeacuterieurs raquo car musulmans
laquo En ce qui concerne les Africains venus au Breacutesil agrave partir du XVIe siegravecle et jusque vers le
milieu du XIXe siegravecle il nous faut deacutecouvrir dans les principaux stocks dimmigrants le
degreacute et le stade de civilisation quils nous ont apporteacutes Stade qui a varieacute
consideacuterablement au cours de ces trois cents ans par suite des infiltrations mahomeacutetanes
au coeur de lAfrique noire Degreacute qui varie beaucoup aussi des Soudanais aux Bantous
[] La veacuteriteacute cest quon a importeacute au Breacutesil de laire la plus peacuteneacutetreacutee par lislamisme des
Noirs mahomeacutetans supeacuterieurs non seulement agrave nos indigegravenes mais encore agrave la grande
majoriteacute des colons blancs raquo (Freyre 1974 279)
Cette affirmation permet agrave G Freyre de nier la preacutedominance bantou affirmeacutee tout le long
du XIXe siegravecle comme lavait deacutejagrave fait Nina Rodrigues La preacutesence de Noirs de culture
laquo supeacuterieure raquo se meacutetamorphose alors dans un signe diacritique qui montre une laquo supeacuterioriteacute raquo
breacutesilienne face agrave son grand fregravere du Nord les Eacutetats-Unis
laquo Le Breacutesil a reccedilu un grand nombre desclaves dautres aires culturelles Supeacuterieures agrave
celles des Bantous Le Breacutesil beacuteneacuteficia de ce quil y avait de mieux dans la civilisation
africaine absorbant des eacuteleacutements deacutelite pour ainsi dire qui ont manqueacute dans la mecircme
proportion au sud des Eacutetats-Unis laquoJai souvent penseacute que les esclaves des Eacutetats-Unis ne
descendaient pas des stocks les plus nobles dAfriqueraquo remarque Fletcher dans sa
comparaison entre les esclaves de son pays et ceux du Breacutesil raquo (ibid 280)
La laquo supeacuterioriteacute raquo des Noirs islamiseacutes ne faisait aucun doute En parlant des Fula A
Hovelacque (1889 48) consideacuterait cette laquo race raquo comme eacutetant supeacuterieure aux autres negravegres
Ils eacutetaient de laquo couleur moins noire raquo laquo despegravece supeacuterieure en intelligence et en beauteacute
physique raquo (citeacute dans Ortiz 1975 71) Ils eacutetaient les Africains les plus eacuteloigneacutes des laquo races
5 Le terme malecirc deacuterive du yoruba igravemagravele (musulman) (Abraham 1958 307) et non de Mali comme laffirme R
Bastide (1996 111) reprenant lexplication proposeacutee par Nina Rodrigues (1988 68) 6 Lislam a commenceacute agrave se reacutepandre dans le pays yoruba agrave partir de 1820 mais il eacutetait deacutejagrave preacutesent au Nigeria
chez les Haussa depuis le XVe siegravecle
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
Bibliographie
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
noires raquo ils eacutetaient mecircme compteacutes parmi les laquo races blanches raquo agrave cause de leur sang hamite
(dAvezac 1844 19) Les Bantou eux eacutetaient en revanche les repreacutesentants de la veacuteritable
laquo race noire raquo qui occupait le fond de leacutechelle eacutevolutive La valorisation des apports des
Noirs laquo moins noirs raquo permettait ainsi de revendiquer pour le Breacutesil une place de choix
parmi les autres nations ameacutericaines
laquo Il reste bien clair pour la grande joie des aryanistes que le Breacutesil a eacuteteacute moins atteint
que les Eacutetats-Unis par le mal imaginaire de la laquorace infeacuterieureraquo Et cela agrave cause du plus
grand nombre de Peuls et demi-hamites -- de faux negravegres et partant pour tout bon
aryanistes de stock supeacuterieur aux noirs authentiques -- parmi les Africains eacutemigreacutes dans
les plantations et les mines du Breacutesil raquo (Freyre 1974 287)
G Freyre semble trouver dans un critegravere estheacutetique et sexuel les raisons de cette
particulariteacute breacutesilienne si dans les colonies anglaises lesclave avait eacuteteacute seacutelectionneacute en
fonction de sa force pour les travaux des champs la colonisation noire du Breacutesil avait eacuteteacute
influenceacutee par dautres neacutecessiteacutes telle que la peacutenurie de femmes blanches Les Noires mina7
et fula (peuls) laquo Africaines de peau plus claire et plus proches culturellement des Blancs raquo
ont eacuteteacute les maicirctresses les plus rechercheacutees par les colons portugais (ibid 288) Lapport
civilisateur de ces esclaves provenant daires de culture noire laquo plus avanceacutees raquo devient donc
un eacuteleacutement noble dans la colonisation du Breacutesil agrave la diffeacuterence des Eacutetats-Unis ougrave les
esclaves neacutetaient que des laquo animaux de traction et des ouvriers agricoles raquo au Breacutesil ces
Noirs laquo supeacuterieurs raquo ont exerceacute une veacuteritable fonction civilisatrice (ibid 289)
Mais si le Noir islamiseacute repreacutesente un eacuteleacutement civilisateur laquo noble raquo dans le processus de
formation du peuple breacutesilien cette mecircme laquo noblesse raquo a aussi eacuteteacute attribueacutee par contact agrave
dautres Noirs Tous les Noirs soudanais et notamment les Nagocirc participaient de cette
laquo supeacuterioriteacute raquo Navaient-ils pas collaboreacute activement agrave la reacutevolte des Malecirc de 1835 De
cette faccedilon G Freyre soulignait limportance tout comme Nina Rodrigues de linfluence
exerceacutee sur les Yoruba ou Nagocirc et sur les Ewe ou Jeje par les Fula et par les Haussa
musulmans (ibid 293)
Les Malecirc avaient eacuteteacute extermineacutes ou deacuteporteacutes en Afrique apregraves les reacutebellions desclaves du
deacutebut du siegravecle dernier Ce seront donc les yoruba qui heacuteriteront de leur laquo supeacuterioriteacute raquo G
Freyre sattache alors agrave retrouver les influences musulmanes sur les cultes dorigine africaine
ainsi que sur le catholicisme populaire (ibid 294-295) Si on ne pouvait pas affirmer la
preacutedominance des Yoruba au niveau quantitatif sur lensemble du territoire breacutesilien leur
supposeacutee preacutedominance culturelle permettait en revanche deacuteclipser le spectre dune origine
africaine (lorigine bantou) qui navait pas obtenu ses lettres de noblesse laquo Une
preacutedominance ne seacutevalue pas par le nombre dindividus introduits mais par lavancement de
leur culture [] Cest ce qui est arriveacute avec la culture yoruba la plus avanceacutee des cultures
noires introduites au Breacutesil raquo (Ramos 1979 201)
Ainsi pour pouvoir critiquer laffirmation dune preacutedominance bantou sur la base des
donneacutees linguistiques Arthur Ramos reconnaicirct que la culture bantou sest reacutepandue sur une
aire beaucoup plus eacutetendue que la culture soudanaise tout en affirmant quelle est resteacutee
laquo moins intense en valeur culturelle raquo laquo On peut affirmer que la culture soudanaise a eacuteteacute
importante dans un sens laquoverticalraquo et la bantou [plus] eacutetendue dans un sens laquohorizontalraquo raquo
(ibid 232) Les bases sont alors poseacutees pour que lon sattache agrave prouver la preacutedominance
numeacuterique au moins en ce qui concerne Bahia des Noirs yoruba consideacutereacutes comme
supeacuterieurs (Verger 1987)
Les reacutesistants et les soumis
7 Par Noir mina on entend tout esclave originaire de la cocircte africaine entre lactuel Togo et le Beacutenin
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
On pourrait eacutetendre cette mecircme analyse aux theacuteories de Melville Herskovits (1990) sur les
cultures noires aux Eacutetats-Unis Eacutelegraveve de Franz Boas comme lavait eacuteteacute eacutegalement Gilberto
Freyre il sattache agrave rechercher une culture africaine qui puisse fonctionner comme symbole
positif pour les Noirs ameacutericains Dans son cas il sagira des Akan de lancienne Cocircte-de-lOr
actuel Ghana En reacuteponse aux accusations de G Freyre qui deacutenigrait la laquo qualiteacute raquo des
Africains transporteacutes aux Eacutetats-Unis M Herskovits (ibid 37) affirmait que linfluence de la
culture congo avait eacuteteacute tregraves faible dans son pays tout en reconnaissant que en ce qui concerne
les Congo on ne disposait pas de donneacutees ethnographiques suffisantes8
En reacutealiteacute pour M Herskovits comme pour les auteurs breacutesiliens la preacutedominance des
Noirs aux Eacutetats-Unis provenant dAfrique occidentale ne fait aucun doute Ce qui change
selon les colonies ameacutericaines consideacutereacutees est alors lorigine ethnique du groupe dominant
Ashanti et Fanti appeleacutes aussi Akan pour les colonies anglaises Dahomey (Ewe ou Fon)
pour les franccedilaises Nagocirc (Yoruba) pour les espagnoles et les portugaises (ibid 50) Mais
comment une culture numeacuteriquement infeacuterieure tels que les Fon en Haiumlti (Dorsainvil 1931
166) arriverait-elle agrave marquer un peuple tout entier On fera alors appel agrave lesprit laquo guerrier raquo
des Dahomeacuteens agrave leurs qualiteacutes de leaders religieux et politiques agrave leur participation aux
reacutevoltes contre les Blancs si diffeacuterents de laquo lesprit domestique des Congo raquo (Ramos 1979
107) Il faut donc deacutemontrer comment les Bantou ont toujours eacuteteacute les plus laquo accommodants raquo
alors que les Noirs de culture supeacuterieure -- les Yoruba les Fon ou les Fanti-Ashanti -- ont
activement reacutesisteacute agrave lesclavage9
Au Breacutesil la participation de Noirs nagocirc aux reacutebellions de la premiegravere moitieacute du
XIXe siegravecle permettait lidentification des Yoruba avec leacuteleacutement reacutesistant Ainsi un auteur
comme Vianna Filho qui avait publieacute en 1944 un essai sur lesclavage devenu une oeuvre de
reacutefeacuterence se plie agrave cette laquo eacutevidence raquo malgreacute limportance quil accorde agrave la culture bantou
les Bantou eacutetaient plus laquo dociles raquo laquo plus porteacutes au contact et agrave lassimilation raquo alors que les
Soudanais eacutetaient caracteacuteriseacutes par une attitude de reacutebellion et disolement (Vianna Filho
1988 90)10
Dans la preacuteface agrave leacutedition de 1944 Gilberto Freyre reconnaicirct limportance laquo numeacuterique et
culturelle raquo des Bantou agrave Bahia gracircce aux eacutevidences apporteacutees par Vianna Filho qui laquo sont de
tel ordre que chacun parmi nous heacutesitera agrave preacutesent agrave parler dune preacutedominance soudanaise
dans la mecircme population raquo (ibid 7) Mais malgreacute cela il continue de deacutefendre la
preacutedominance soudanaise laquo dans au moins un des secteurs du passeacute et du caractegravere afro-
bahianais raquo celui quil appelle le laquo secteur reacutevolutionnaire raquo Au contraire du Bantou laquo plus
doux et accommodant raquo le Soudanais serait laquo conscient comme personne des valeurs de sa
culture et pour cela mecircme plus insoumis et animeacute par un sentiment de digniteacute africaine et
mecircme humaine qui fait de lui le Castillan ou le Catalan de lAfrique noire raquo (ibid 8) Le
8 Face agrave la laquo pauvreteacute raquo des donneacutees sur laire bantou M Herskovits considegravere que lon peut parler dune laquo West
African-Congo area raquo soulignant les points communs les ressemblances linguistiques et limportance accordeacutee
au culte des ancecirctres Les Bantou sont ainsi reacuteduits aux Soudanais (Herskovits 1990 81) 9 Plusieurs documents deacutemontrent que cette eacutequation ne correspond pas toujours agrave la veacuteriteacute En Caroline du Sud
par exemple reacutegion consideacutereacutee comme lun des berceaux des laquo africanismes raquo aux Eacutetats-Unis les colons blancs
preacutefeacuteraient les esclaves provenant de la Cocircte-de-lOr aux esclaves congo et angola car ils eacutetaient plus dociles Et
apregraves la Stono Rebellion en 1739 dirigeacutee par des esclaves angola ils signegraverent un acte interdisant limportation
de ce type desclaves pendant dix ans pour eacuteviter des nouvelles reacutebellions (Wood 1974) Les Bantou neacutetaient
donc pas toujours les plus laquo accommodants raquo 10
Il est inteacuteressant de noter que dans cette troisiegraveme eacutedition parue lors de la ceacuteleacutebration du centenaire de
labolition de lesclavage au Breacutesil lauteur deacuteclare prendre en compte la publication en 1987 de louvrage de
Pierre Verger sur la traite des esclaves agrave Bahia Il apporte ainsi des modifications agrave son texte original laquo acceptant
de cette faccedilon la preacutedominance soudanaise pour la derniegravere peacuteriode de la traite raquo (Vianna Filho 1988 39) Il
serait donc inteacuteressant de veacuterifier si cette ideacutee dune reacutesistance nagocirc eacutetait deacutejagrave preacutesente dans leacutedition de 1944
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
Bibliographie
ABRAHAM R C
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
Soudanais et donc le Nagocirc repreacutesenterait llaquo eacuteleacutement aristocratique raquo des esclaves de Bahia
exemple dinitiative et de reacutesistance pour tous les autres Noirs
Nous avons vu comment cette mise en valeur des Soudanais est inlassablement reacuteiteacutereacutee
depuis le deacutebut des eacutetudes afro-breacutesiliennes devenant une sorte de dogme dans ce domaine
En 1906 Nina Rodrigues eacutecrivait deacutejagrave que les Noirs soudanais eacutetaient les champions de la
reacutesistance noire agrave lesclavage et les fondateurs des reacutepubliques des Noirs marrons agrave linteacuterieur
du Breacutesil Seule exception pour cet auteur le quilombo des Palmares dont lorigine serait
bantou agrave cause de labsence laquo du culte aux animaux et aux autres diviniteacutes raquo fait qui serait
inexplicable sil sagissait de Soudanais (Nina Rodrigues 1988 89) La preacutesence des Bantou
nest donc reconnue que pour son infeacuterioriteacute (absence dun culte organiseacute) par rapport aux
Soudanais
Or ce mot quilombo qui deacutesignait les villages de Noirs marrons est un terme bantou Il
pourrait trouver son origine dans une association dinitiation militaire (kilombo)
caracteacuteristique de lEacutetat kulembe un des premiers Eacutetats ovimbundu (actuel Angola) du
XVIe siegravecle (Vansina 1985 621) De plus les reacutecentes recherches historiographiques sur les
quilombos au Breacutesil ne montrent aucune preuve dune concentration majeure desclaves
yoruba parmi les fugitifs les Noirs esclaves se sont toujours reacutevolteacutes contre leur condition
quelle que soit leur origine culturelle11
Par ailleurs la simple preacutesence pendant leacutepoque
coloniale de quinze quilombos aux alentours de la ville de Rio de Janeiro reacutegion consideacutereacutee
comme majoritairement bantou montre combien il est hasardeux de soutenir une telle
hypothegravese (Gomes 1996 264)
Ce mecircme imaginaire de reacutesistance du groupe consideacutereacute comme preacutedominant sur le plan
culturel peut ecirctre retrouveacute dans la litteacuterature anglo-saxonne Melville Herskovits (1990 69)
essaie de mettre en eacutevidence les traits communs entre la culture akan-ashanti et la culture
yoruba pour deacutemontrer le haut niveau de laquo teacutenaciteacute raquo preacutesent dans les cultures de lAfrique
occidentale Mais au lieu de souligner la reacutesistance il preacutefegravere mettre en eacutevidence la dociliteacute
(pliability) de lesclave noir aux Eacutetats-Unis Il insiste aussi sur sa tendance au syncreacutetisme et
sur son adaptabiliteacute qui seraient caracteacuteristiques de lAfrique de lOuest ougrave les vainqueurs
incorporaient avec faciliteacute les diviniteacutes des vaincus (ibid 141 et 220)
Cependant le choix de mettre en valeur les Fanti-Ashanti perccedilus comme symbole dun
passeacute glorieux pour les Noirs ameacutericains trouvait son origine dans cet imaginaire de
reacutesistance En 1760 linsurrection des esclaves africains en Jamaiumlque appeleacutee la Tacky
Rebellion avait reacuteveilleacute les peurs des colons blancs Les instigateurs de la reacutevolte eacutetaient des
obeah-men des sorciers qui fournissaient des protections magiques aux rebelles pour les
rendre invulneacuterables Les obeah-men eacutetaient des Coromantyns cest-agrave-dire des Fanti-Ashanti
(Richardson 1997 174-175) Cette association entre sorcellerie africaine et reacutebellion
politique nest pas sans rappeler la reacutevolution haiumltienne dont les chefs eacutetaient aussi des
laquo sorciers raquo Ainsi agrave la fin du XVIIIe siegravecle lobeah eacutetait devenu le symbole ambivalent des
rapports entre Noirs et Blancs dans la socieacuteteacute anglo-saxonne meacutelange de fascination exotique
et de terreur La repreacutesentation de lobeah dans plusieurs romans et piegraveces de theacuteacirctre au
tournant du siegravecle devint ainsi une variante de lexotisme romantique comme le fut la
litteacuterature de lorientalisme ou le mythe de lAmeacuterindien dans des ouvrages tels que lAtala de
Chateaubriand
De plus au XVIIIe siegravecle les Ashanti avaient deacutejagrave deacuteveloppeacute un systegraveme politique
fortement inteacutegreacute dont luniteacute politique et spirituelle eacutetait symboliseacutee par linstitution du
11
De nos jours les eacutetudes historiques sur lesclavage au Breacutesil sont caracteacuteriseacutees par labandon des
preacuteoccupations culturalistes toujours tregraves preacutesentes dans un certain courant des eacutetudes religieuses Aujourdhui
on ne se soucie plus des origines ethniques des esclaves car le Noir est eacutetudieacute en tant quindividu qui a ducirc se
confronter agrave une reacutealiteacute extrecircmement difficile mais dont les marges de neacutegociation avec la socieacuteteacute dominante ont
eacuteteacute parfois plus importantes que lon nimagine (Reis amp Silva 1989)
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
Tabouret dor (Arhin amp Ki-Zerbo 1997 341) Les groupes akan limitrophes vivaient agrave cette
eacutepoque comme des Ashanti En 1826 lempire ashanti fut vaincu par une coalition des Eacutetats
fanti formeacutee sous leacutegide des Anglais Tout le XIXe siegravecle fut donc marqueacute par les reacutebellions
sur la Cocircte-de-lOr dabord des Ashanti ensuite des Fanti Les Fanti- Ashanti ou Akan
deacutenominations qui salternaient pour deacutesigner une mecircme origine devinrent alors lincarnation
du Noir reacutesistant12
Ainsi lorsquun voyageur anglais George Gardner visita Bahia en 1836 il remarqua
linsubordination des esclaves dans cette ville juste un an apregraves la reacutevolte des Malecirc
laquo La cause en est claire Presque toute la population (il sagit de la population negravegre) de
cette province est originaire de la Cocircte-de-lOr Non seulement les hommes et les femmes
en sont plus grands et mieux constitueacutes que les Mozambiques les Bengala et les autres
Africains mais encore ils possegravedent une plus grande eacutenergie de caractegravere due peut-ecirctre agrave
leurs plus eacutetroites relations avec les Mores et les Arabes Il y a entre eux beaucoup
dindividus qui lisent et eacutecrivent larabe raquo (Gardner 1846 citeacute dans Freyre 1974 290)
Vianna Filho cite lui aussi ce passage de G Gardner auquel il ajoute par la suite laquo Eacutetant
plus unis ils se montrent plus porteacutes aux mouvements reacutevolutionnaires que les races
meacutelangeacutees des autres provinces raquo (Gardner 1846 citeacute dans Vianna Filho 1988 122) Or dans
louvrage de Pierre Verger sur la traite des esclaves publieacute au Breacutesil en 1987 ce mecircme
passage a souffert dune alteacuteration significative ougrave G Gardner eacutecrivait laquo Cocircte-delOr raquo
Verger traduit laquo Cocircte de Mina raquo (Verger 1987 14) Quelques pages plus loin il deacutefinit ce
quil entend par laquo Cocircte de Mina raquo la partie de la Baie du Beacutenin comprise entre le Volta et
Cotonou laquo qui ne doit pas ecirctre confondue avec la Cocircte-de-lOr raquo (ibid 19) Et il ajoute laquo Agrave
Bahia le terme laquoNoir de Minaraquo ne deacutesignait pas un Africain de la Cocircte-de-lOr mais un Noir
provenant de lactuel cocircte du Togo et de la Reacutepublique populaire du Beacutenin raquo (ibid) Un
imaginaire de reacutesistance est ainsi remplaceacute par un autre les Noirs reacutesistants de Bahia doivent
ecirctre des Yoruba13
Les precirctres et les sorciers
Lidentification du groupe noir reacutesistant avec les laquo sorciers raquo comme dans les cas haiumltien et
jamaiumlquain posait beaucoup de problegravemes dans un Eacutetat comme le Breacutesil qui reacuteprimait
activement la pratique de la sorcellerie En effet dans le code peacutenal de 1890 larticle 157
condamnait la pratique du spiritisme de la magie et de la sorcellerie agrave cocircteacute de la pratique
abusive de la meacutedecine (curandeirismo) et de la cartomancie cest-agrave-dire tout ce qui eacutetait
utiliseacute laquo pour fasciner et subjuguer la creacuteduliteacute publique raquo Cette reacuteglementation de la lutte
contre les laquo feacutetichistes raquo qui pratiquaient la magie et la sorcellerie neacutetait pas preacutesente dans le
code peacutenal de 1830 agrave leacutepoque ougrave lesclavage eacutetait encore en vigueur Linquieacutetude face au
Noir laquo sorcier raquo devint en fait eacutevidente lorsque celui-ci acceacuteda agrave leacutegaliteacute avec tous les autres
citoyens breacutesiliens14
12
Voir par exemple le cas des Boni des Guyanes hollandaise et franccedilaise et leurs Reacutepubliques marrons (Bastide
1996 57-67) 13
Il y a encore de nos jours un pourcentage important de Yoruba dans la population du Togo et du Beacutenin Les
Fon (jeje) sont au Breacutesil assimileacutes agrave leurs anciens ennemis yoruba (Nagocirc) On parle ainsi de candombleacute jeje-
nagocirc pour deacutesigner le culte africain laquo traditionnel raquo de Bahia 14
La Constitution de 1823 affirmait que la liberteacute religieuse au Breacutesil eacutetait restreinte aux communions
chreacutetiennes Seuls ceux qui professaient la religion chreacutetienne pouvaient jouir des droits politiques dans lEmpire
Larticle 16 affirmait que toutes les autres religions eacutetaient agrave peine toleacutereacutees et que leur pratique ne permettait pas
lexercice politique En 1889 avec la proclamation de la Reacutepublique au Breacutesil un deacutecret eacutetait promulgueacute
deacuteclarant la pleine liberteacute religieuse lEacutetat ne pouvait plus discriminer les citoyens selon leurs convictions
religieuses La religion chreacutetienne neacutetait plus la religion dEacutetat Ainsi si toutes les pratiques religieuses eacutetaient
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
Il fallait donc deacutemontrer que leacuteleacutement supeacuterieur aristocratique des Noirs breacutesiliens ne
pratiquait pas la sorcellerie mais une veacuteritable religion (Capone 1999b) Les steacutereacuteotypes
maintes fois reacutepeacuteteacutes dans la litteacuterature ethnologique qui font des Yoruba un peuple supeacuterieur
et attacheacute agrave ses traditions et des Bantou un peuple infeacuterieur laquo plus permeacuteable aux influences
externes raquo deviennent agrave preacutesent la preuve de la preacutedominance religieuse yoruba dans le
candombleacute
laquo Cest que les Bantous ont eacuteteacute surtout appreacutecieacutes pour leur force physique leur reacutesistance
au travail leurs qualiteacutes dagriculteurs Tandis que les Fon les Yoruba les Mina eacutetaient
choisis comme laquoesclaves de maisonraquo et se trouvaient relativement nombreux dans les
villes la grosse majoriteacute des Bantous appartenait aux laquoesclaves des champsraquo restant dans
les plantations ougrave comme nous lavons dit il eacutetait beaucoup plus difficile de reconstituer
des laquoNationsraquo que dans les zones urbaines Dun autre cocircteacute les Bantous (et ceacutetait aussi
une des raisons pour lesquelles ils eacutetaient appreacutecieacutes par les Blancs) se montraient plus
permeacuteables aux influences exteacuterieures ils comprenaient que leur christianisation ou leur
occidentalisation leur permettrait dans une socieacuteteacute ougrave les modegraveles europeacuteens eacutetaient le
critegravere des comportements une mobiliteacute verticale que leur reacutesistance culturelle aurait au
contraire compromise Il faut ajouter que cette christianisation eacutetait faciliteacutee par le fait
que les religions bantoues ne constituaient pas des laquosystegravemesraquo aussi bien organiseacutes que
ceux des religions soudanaises ou guineacuteennes La base en eacutetait le culte des Ancecirctres or
comme nous lavons dit bien souvent lesclavage brisait et dispersait les lignages rendant
impossible ce culte lignager raquo (Bastide 1996 113)
Or cette opposition entre les Bantou esclaves des champs et les Yoruba esclaves
domestiques est remise en question par plusieurs teacutemoignages de leacutepoque coloniale et
provoque quelques interrogations Pourquoi les maicirctres auraient-ils preacutefeacutereacute comme esclaves
de maison les Africains les moins laquo permeacuteables raquo agrave leur culture les plus laquo insoumis raquo cest-agrave-
dire les Fon les Yoruba ou les Mina De plus si les Bantou eacutetaient concentreacutes dans les
campagnes ougrave lon sait que leacutevangeacutelisation na jamais eacuteteacute tregraves active comment auraient-ils pu
comprendre que la christianisation eacutetait source dune laquo mobiliteacute verticale raquo En reacutealiteacute si les
confreacuteries religieuses des Noirs sont une creacuteation urbaine lieu de concentration des esclaves
yoruba cette laquo occidentalisation raquo par le biais de la christianisation devait alors ecirctre la leur et
non pas celle des Bantou15
Enfin les cultes dorigine africaine tendent tous agrave reacutecreacuteer le culte
aux ancecirctres quils soient bantou ou yoruba16
Pour R Bastide si les Bantou sont plus laquo permeacuteables aux influences externes raquo ils sont par
conseacutequent les plus attireacutes par le syncreacutetisme un syncreacutetisme qui est marqueacute par
laccumulation deacuteleacutements heacuteteacuteroclites Il sagit donc dun syncreacutetisme magique et pas
religieux caracteacuteriseacute dans la theacuteorie bastidienne par la loi des correspondances agrave la base de
la notion de coupure Comme lavaient deacutejagrave fait avant lui Nina Rodrigues et Edison Carneiro
R Bastide identifiera alors les Bantou agrave la magie et les Yoruba agrave la religion laquo Les Bantous
donnent plus de place agrave la magie que les Yorouba dans lactiviteacute de leurs candombleacutes raquo
(Bastide 1995 391) Bantou laquo sorciers raquo mais aussi laquo deacutesafricaniseacutes raquo car la perte de leurs
traditions eacutetait le seul moyen pour seacutelever dans une hieacuterarchie laquo de rangs ou de statuts raquo qui
eacutetait aussi une hieacuterarchie laquo ethnique raquo
permises au Breacutesil il fallait trouver dautres eacuteleacutements qui pouvaient marquer la diffeacuterence entre cultes religieux
leacutegitimes et illeacutegitimes lexercice de la meacutedecine et la pratique de la sorcellerie deviennent alors le preacutetexte agrave la
reacutepression des cultes afro-breacutesiliens 15
Ce seront justement ces confreacuteries religieuses reacuteunies par laquo nations raquo (nagocirc jeje mais aussi congo ou angola)
qui donneront naissance aux premiers terreiros de candombleacute 16
P Verger (1981) parle des orishas en tant quancecirctres diviniseacutes Aujourdhui limportance des cultes aux
ancecirctres dans le mouvement de reacuteafricanisation et notamment dans le mouvement de diffusion des cultes
dorigine africaine aux Eacutetats-Unis est devenue tregraves eacutevidente
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
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Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
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Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
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Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
laquo Les esclaves domestiques eacutetaient choisis dapregraves leur beauteacute leur intelligence leurs
habitudes de propreteacute ou dhygiegravene entre les Noirs creacuteoles ou les Africains laquoMinaraquo
laquoNagoraquo bref presque uniquement dans le groupe des Africains occidentaux Les esclaves
des champs enfin se recrutaient surtout parmi les Bantous ou semi-Bantous En somme
les distances sociales eacutetaient dautant plus grandes que lon seacuteloignait des modegraveles de
valeurs europeacuteens repreacutesenteacutes par le maicirctre et sa femme Ce qui fait que la
deacutesafricanisation eacutetait le seul moyen de monter dans leacutechelle sociale darriver aux postes
convoiteacutes ceux qui donnaient le plus de liberteacute de seacutecuriteacute et de prestige raquo (ibid 93-
94)
On peut aiseacutement imaginer que ce seront donc les laquo Africains occidentaux raquo qui profiteront
de cette proximiteacute des Blancs pour pouvoir monter dans leacutechelle sociale Mais la laquo teacutenaciteacute raquo
de la culture yoruba sa capaciteacute de reacutesistance postuleacutee depuis le deacutebut des eacutetudes afro-
breacutesiliennes leur permet la perpeacutetuation des traditions religieuses alors que les Bantou plus
eacuteloigneacutes du contact des maicirctres abandonnent leurs traditions et sadonnent au syncreacutetisme
magique Les cultes bantou deviennent donc les cultes les moins africains et les plus ouverts agrave
linfluence deacutegeacuteneacuteratrice des Blancs (ibid 187-188) De plus selon R Bastide les
candombleacutes yoruba laquo veacuteritables sectes africaines raquo nacceptaient pas les Blancs17
Et la
magie comme laffirmait Arthur Ramos eacutetait une pratique ougrave preacutedominaient les Blancs et les
meacutetis (ibid 419)
Le Bantou est donc sorcier car il est deacutepourvu dun systegraveme religieux structureacute il est plus
laquo syncreacutetique raquo et plus ouvert agrave linfluence des Blancs Le Yoruba en revanche sauvegarde
ses traditions et gracircce au mouvement de reacuteafricanisation opegravere un processus contre-
acculturatif qui lui permet de retrouver lAfrique en terre ameacutericaine (ibid 217) Il est donc
doublement reacutesistant leader des reacutevoltes desclaves il arrive aujourdhui agrave imposer lAfrique
au Blanc qui sapproche de sa religion Ainsi R Bastide pourra eacutecrire en parlant de son
appartenance agrave un des terreiros les plus traditionnels de Bahia laquo Africanus sum raquo (ibid 37)
Cette opposition entre la tradition religieuse des Yoruba et le syncreacutetisme magique des
Bantou constitue un eacuteleacutement commun agrave dautres socieacuteteacutes ameacutericaines Ainsi R Bastide eacutelargit
cette opposition agrave Cuba et agrave Haiumlti laquo Dans les Grandes Antilles les religions dites laquoCongoraquo se
maintiennent mais ont eacuteteacute relativement peu eacutetudieacutees car les Congos sont reacuteputeacutes des
magiciens puissants et dun autre cocircteacute comme au Breacutesil les Bantous ont subi linfluence de la
culture negravegre dominante yoruba ou fon suivant les icircles raquo (Bastide 1996 117) De mecircme agrave
Haiumlti laquo Comme on le voit la religion des Congos tend devant la domination des Vaudous
soit agrave se perdre dans leur sein soit agrave se transformer en pure sorcellerie raquo (ibid 118) Les
Bantou sont donc partout les maicirctres de la magie noire laquo Cest vers la sorcellerie que
soriente aussi leacutevolution des sectes bantou de Cuba [] teacutemoignage du processus que nous
avons deacutejagrave trouveacute agrave Haiumlti dune religion qui devient magie noire raquo (ibid 118-119)
Dans le contexte cubain on retrouve donc la mecircme opposition entre les cultes dorigine
yoruba (lucumiacute) consideacutereacutes comme laquo supeacuterieurs raquo et les cultes dorigine bantou (congo)
consideacutereacutes comme laquo infeacuterieurs raquo On retrouve eacutegalement une carence fondamentale deacutetudes
sur les cultes bantou face agrave la profusion deacutetudes sur les cultes dorigine yoruba et cela malgreacute
la coexistence agrave tous les niveaux de plusieurs modaliteacutes de culte dans la pratique rituelle En
effet lunivers des cultes afro-cubains est caracteacuteriseacute par linterpeacuteneacutetration de diffeacuterents
systegravemes de croyance (santerospaleros spirites) (Argyriadis 1999)
Malgreacute cette eacutevidence deacutejagrave souligneacutee par les travaux de Lydia Cabrera certains auteurs
continuent agrave reproduire la distinction entre une culture lucumiacute (yoruba) plus laquo eacutevolueacutee raquo et
17
Mais ce seront justement les candombleacutes nagocirc les plus traditionnels qui accepteront parmi eux les chercheurs
europeacuteens tels que P Verger ou R Bastide ou les intellectuels breacutesiliens blancs Ces Blancs selon R Bastide
safricanisaient au contact des laquo vraies traditions africaines raquo
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
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de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
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Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
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1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono
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RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
une culture congo (bantou) plus laquo arrieacutereacutee raquo Ainsi Miguel Barnet (1995 7) eacutecrit que la
culture yoruba serait tregraves riche laquo au niveau superstructural raquo alors que les Congo seraient
beaucoup plus laquo flexibles raquo et que leur laquo permeacuteabiliteacute raquo les aurait ameneacutes agrave ecirctre domineacutes par
llaquo influence yoruba preacutepondeacuterante raquo (ibid 85) Comme ailleurs cette valorisation des
Lucumiacute face aux Congo semble ecirctre deacutetermineacutee par la crainte engendreacutee par les pratiques
magiques de ces derniers et par leurs rituels avec les morts En fait le terme palo monte sil
fait reacutefeacuterence aux cultes congo agrave Cuba inclut eacutegalement tous les rituels de sorcellerie des
autres cultes (ibid 99) La preacuteparation des ngangas ou prendas18
avec les os dun mort ou la
terre des seacutepultures est caracteacuteristique du palero qui selon lexplication dun ancien esclave
marron (dorigine yoruba) travaille laquo pour le mal cest-agrave-dire quil est judio (juif) quil nest
pas chreacutetien raquo (Montejo 1968) La Regla Conga le rituel dorigine bantou est donc
deacutefinitivement identifieacutee agrave la sorcellerie et linfluence de la tradition congo dans la santeria
semble se reacuteduire agrave lassimilation dun savoir rituel lieacute agrave la magie
Cependant la laquo sorcellerie raquo congo malgreacute son utilisation par les santeros continue agrave
fonctionner comme une reacuteelle cateacutegorie daccusation dans lunivers religieux afro-cubain
reproduisant le mecircme discours que lon retrouve dans les cultes afro-breacutesiliens (Capone
1999b) De cette faccedilon le modegravele de culte dorigine yoruba devient central dans la
constitution dun continuum culturel ougrave les contributions bantou sont reacuteorganiseacutees sous le
signe de llaquo africaniteacute raquo incarneacutee par les Yoruba laquo Of all the tributaries only the Yoruba
tended to be remembered as ancestral all innovation and change were fitted into it raquo
(Brandon 1993 162)
Cette mise en valeur de la culture yoruba est devenue aujourdhui un des traits
fondamentaux du mouvement de reacuteafricanisation tregraves fort au Breacutesil et aux Eacutetats-Unis Ce
mouvement reacuteinterpregravete lhistoire des esclaves noirs en terme de reacutesistance incarneacutee par les
Yoruba devenus les laquo heacuteros dans la grande lutte pour la liberteacute raquo laquo To keep such a tradition
alive shows a heroic resistance to the spirit-crushing forces of racism and poverty raquo (Murphy
1988 116) Mais cette reacutesistance ne peut pas ecirctre mise en oeuvre sans une adaptation
parallegravele laquo This experience with urbanism pluralism and theological flexibility gave the
Yoruba unique resources for regaining their spiritual equilibrium amid the culture shocks of
the New World raquo (ibid 106) Cet imaginaire de laquo reacutesistance-adaptation raquo est commun aux
mouvements de reacuteafricanisation ameacutericain et breacutesilien La mecircme laquo flexibiliteacute raquo qui
auparavant eacutetait une des causes de la perte des traditions des Bantou se meacutetamorphose agrave
preacutesent en une des caracteacuteristiques principales du traditionalisme yoruba
Nous avons vu comment lopposition entre cultes bantou et cultes yoruba devenue
aujourdhui une sorte de dogme dans les eacutetudes afro-ameacutericaines trouve ses origines dans les
theacuteories eacutevolutionnistes du siegravecle dernier et dans les steacutereacuteotypes raciaux qui leur sont lieacutes Au
Breacutesil la mise en valeur du candombleacute nagocirc (yoruba) est aussi lieacutee agrave un engagement toujours
plus fort de certains ethnologues avec leur objet deacutetude (Capone 1996 1999b) Dans un
processus dinvention dun passeacute qui effacerait la marque infamante de lesclavage les Yoruba
heacuteritent de lesprit guerrier musulman et deviennent lincarnation de la reacutesistance noire
On passe ainsi dune preacutedominance baseacutee sur des caracteacuteristiques physiques (la beauteacute des
Soudanais) agrave une preacutedominance qui trouve sa principale justification dans de supposeacutees
caracteacuteristiques morales (lesprit reacutesistant des Yoruba) Dans le discours sur le Noir on
18
Une nganga est un chaudron rituel ougrave sont fixeacutees les puissances surnaturelles veacuteneacutereacutees par les paleros Le
terme prenda (garantie seacutecuriteacute) indique en revanche laquo une chose non mateacuterielle qui sert agrave donner seacutecuriteacute et
fermeteacute agrave un objet raquo Elle peut laquo vivre raquo dans nimporte quel objet (pierre ou coquillage) et son utilisation semble
ecirctre proche de celle des points du vaudou haiumltien
retrouve les notions fondamentales gracircce auxquelles on a penseacute la question de lidentiteacute
nationale agrave la fin du siegravecle dernier les caracteacuteristiques de llaquo acircme raquo dun peuple et
linterpreacutetation de la socieacuteteacute en tant que laquo corps social raquo Les notions de pureteacute et de
deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
comme non-negravegre (les peuples hamites tels que les Fula) agrave une mise en valeur du caractegravere
insoumis des musulmans et des Noirs qui les ont cocirctoyeacutes (les Yoruba) On passe ainsi dune
supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
reacutesistance noire
Ce mecircme imaginaire a faciliteacute la diffusion des cultes dorigine africaine aux Eacutetats-Unis
notamment parmi les Noirs ameacutericains (African-Americans) Un grand nombre de Noirs
proches de la Nation of Islam (Black Muslims) ont trouveacute dans la religion yoruba un moyen
de renouer avec leur heacuteritage africain soulignant linsoumission des Yoruba19
Ainsi en 1985
deux anciens musulmans noirs Sekou Ali et Imodoye Shabazz fondaient un temple yoruba agrave
Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
ceacutereacutemonies pendant les fins de semaine et des seacuteances de divination laquo agrave la faccedilon africaine raquo
Et bien quaujourdhui certains historiens et ethnologues nord-ameacutericains essaient de
deacutemontrer la forte influence bantou sur la culture et la langue des African-Americans
(Holloway 1990) la tendance dominante dans la pratique religieuse reste celle qui perccediloit les
Yoruba comme les seuls deacutefenseurs de la tradition africaine
Dans le cas nord-ameacutericain les laquo Yoruba raquo cest-agrave-dire les Noirs ameacutericains initieacutes en
Afrique ou par dautres precirctres African-Americans ont remplaceacute dans limaginaire noir
ameacutericain le mythe de la reacutesistance des Akan Aujourdhui les chefs du culte akan tels que
Nana Okomfo Korantemaa Ayeboafo de Philadelphie ou Nana Yaa Nkromah Densua du
Maryland reconnaissent la supreacutematie du laquo roi des Yoruba dAmeacuterique raquo Adefunmi I qui
regravegne sur Oyotunji Village un village africain bacircti dans le milieu de la Caroline du Sud
(Capone 1999a)
De mecircme Nana Korantemaa chef du Asona Aberade Shrine lun des premiers centres de
culte akan agrave ecirctre fondeacute aux Eacutetats-Unis garantit les liens avec lAfrique et ses repreacutesentants
dans la diaspora Elle a passeacute en fait sept ans -- numeacutero symbolique par excellence -- au
Ghana dans lAkonnedi Shrine ougrave elle a appris de 1976 agrave 1983 le langage les traditions et
laquo le protocole des rois et des reines akan raquo sous la tutelle dOkomfohene Akua Oparebea
consideacutereacutee comme la megravere de la spiritualiteacute akan aux Eacutetats-Unis Mais elle est aussi lun des
plus jeunes membres de la plus ancienne confreacuterie noire des Ameacuteriques lIrmandade da Boa
Morte de Bahia dorigine jeje-nagocirc (fon et yoruba) Cette confreacuterie constitue le symbole de la
lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
Nana
Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
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Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
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semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
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deacutegeacuteneacuterescence longuement utiliseacutees dans les eacutetudes afroameacutericaines semblent reproduire ce
souci eugeacuteniste dune socieacuteteacute neacutee du meacutetissage ethnique et culturel Nous avons aussi vu
comment le discours sur le Noir passe de la mise en valeur dun peuple africain consideacutereacute
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supeacuterioriteacute anthropologique agrave une supeacuterioriteacute culturelle qui sinscrit dans un imaginaire de
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Los Angeles dans lequel on offrait des cours de danse et de percussions on organisait des
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lutte des descendants dAfricains pour la preacuteservation de leurs traditions les fondatrices du
premier terreiro de candombleacute du Breacutesil le terreiro de lEngenho Velho de nation ketu
(yoruba) auraient eacuteteacute en fait issues de ce mecircme groupe au deacutebut du siegravecle dernier20
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Korantemaa en saffiliant agrave ce groupe prestigieux sest placeacutee ainsi agrave la source des religions
dorigine africaine en terre ameacutericaine
La religion dAfrique occidentale quelle soit akan fon ou yoruba constitue un lien
puissant entre les descendants dAfricains au sein de la diaspora Cest pourquoi lobservation
comparative des domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis) se reacutevegravele
agrave preacutesent particuliegraverement feacuteconde La mise en valeur de lorigine yoruba par rapport aux
autres reacuteaffirmeacutee tout au long des eacutetudes afro-ameacutericaines a conduit les Noirs ameacutericains agrave
19
E U Essien-Udom (1962 116-18) dans son eacutetude de la Nation de lislam remarque quune des raisons qui
ont ameneacute les Noirs ameacutericains agrave se convertir agrave lislam a eacuteteacute le respect que les Blancs avaient agrave leacutegard de cette
religion 20
Sur les mythes fondateurs dans le candombleacute voir Capone (1998)
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
Bibliographie
ABRAHAM R C
1958 Dictionary of Modern Yoruba London University of London Press
ANTONIL A J
1976 [1711] Cuacuteltura e Opulecircncia do Brasil por suas Drogas e Minas Satildeo Paulo Ediccedilotildees
Milhoramentos
ARGYRIADIS K
1999 laquo Une religion laquovivanteraquo continuiteacute et compleacutementariteacute des pratiques cultuelles
havanaises raquo LHomme 151 21-46
ARHIN K amp KI-ZERBO J
1997 laquo Eacutetats et peuples de la boucle du Niger et de la Volta raquo in J-F Ade Ajayi eacuted
Histoire geacuteneacuterale de lAfrique VI LAfrique au XIXe siegravecle jusque vers les anneacutees
1880 Paris Preacutesence africaineEdicefUnesco 340-358
AVEZAC M d
1844 Esquisse geacuteneacuterale de lAfrique et Afrique ancienne Paris Firmin Didot Fregraveres
BARNET M
1968 Autobiography of a Runaway Slave Esteban Montejo New York Pantheon Books
1995 Cultos afrocubanos la Regla de Ocha la Regla de Palo Monte La Habana
Ediciones UniogravenArtex
BASTIDE R
1958 Le candombleacute de Bahia (rite nagocirc) Paris Mouton amp Co
1995 [1960] Les religions africaines au Breacutesil vers une sociologie des interpeacuteneacutetrations
de civilisations Paris PUF
1996 [1967] Les Ameacuteriques noires Paris LHarmattan
BOUCHE Abbeacute P
1880 Eacutetude sur la langue Nago Bar-le-Duc
BOWEN T J
1858 Grammar and Dictionary of the Yoruba Language Washington Smithsonian
BRANDON G
1993 Santeria from Africa to the New World the Dead Sell Memories Bloomington
Indian University Press
CABRERA L
1975 [1954] El Monte Miami Ediciones Universales
CAPONE S
1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions
revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292
1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo
Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156
1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo
LHomme 151 47-74
1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris
Karthala
CROWTHER S A
1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys
DORSAINVIL D J
1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne
DUMONT H
1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita
referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana
ELLIS A B
1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London
Chapman Hall
ESSIEN-UDOm E U
1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press
FREYRE G
1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard
GARDNER G
1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the
Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers
GOBINEAU J A de
1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot
GOMES F dos Santos
1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes
eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia
das Letras
HERSKOVITS M J
1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon
HOLLOWAY J E
1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University
Press
HOVELACQUE A
1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil
Paris Lecrosnier amp Babeacute
KIDDER D P amp FLETCHER J-C
1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston
Philadelphia Childs amp Peterson
LETOURNEAU C
1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot
MACEDO S
1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro
MARTIUS C F P von amp SPIX J B von
1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst
MOREAU DE SAINT-MERY L E
1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez
lauteur
MURPHY JM
1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press
NINA RODRIGUES R
1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co
1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional
ORTIZ F
1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales
1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales
RAMOS A
1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional
REIS J-J amp SILVA E
1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo
Companhia das etras
RICHARDSON A
1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez
Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and
the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press
TYLOR E B
1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald
VANSINA J
1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers
Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au
XVIe siegravecle Paris UnescoNEA
VERGER P
1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio
1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de
todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio
VIANNA FILHO L
1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro
Nova Fronteira
WOOD P H
1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono
Rebellion New York Knopf
RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
sidentifier aujourdhui avec la culture et la religion yoruba Une mise en valeur qui trouve ses
origines dans un heacuteritage eacutevolutionniste qui est consideacutereacutee de nos jours comme un fait acquis
incontestable et dont il convient de souligner le caractegravere de construction culturelle
Bibliographie
ABRAHAM R C
1958 Dictionary of Modern Yoruba London University of London Press
ANTONIL A J
1976 [1711] Cuacuteltura e Opulecircncia do Brasil por suas Drogas e Minas Satildeo Paulo Ediccedilotildees
Milhoramentos
ARGYRIADIS K
1999 laquo Une religion laquovivanteraquo continuiteacute et compleacutementariteacute des pratiques cultuelles
havanaises raquo LHomme 151 21-46
ARHIN K amp KI-ZERBO J
1997 laquo Eacutetats et peuples de la boucle du Niger et de la Volta raquo in J-F Ade Ajayi eacuted
Histoire geacuteneacuterale de lAfrique VI LAfrique au XIXe siegravecle jusque vers les anneacutees
1880 Paris Preacutesence africaineEdicefUnesco 340-358
AVEZAC M d
1844 Esquisse geacuteneacuterale de lAfrique et Afrique ancienne Paris Firmin Didot Fregraveres
BARNET M
1968 Autobiography of a Runaway Slave Esteban Montejo New York Pantheon Books
1995 Cultos afrocubanos la Regla de Ocha la Regla de Palo Monte La Habana
Ediciones UniogravenArtex
BASTIDE R
1958 Le candombleacute de Bahia (rite nagocirc) Paris Mouton amp Co
1995 [1960] Les religions africaines au Breacutesil vers une sociologie des interpeacuteneacutetrations
de civilisations Paris PUF
1996 [1967] Les Ameacuteriques noires Paris LHarmattan
BOUCHE Abbeacute P
1880 Eacutetude sur la langue Nago Bar-le-Duc
BOWEN T J
1858 Grammar and Dictionary of the Yoruba Language Washington Smithsonian
BRANDON G
1993 Santeria from Africa to the New World the Dead Sell Memories Bloomington
Indian University Press
CABRERA L
1975 [1954] El Monte Miami Ediciones Universales
CAPONE S
1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions
revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292
1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo
Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156
1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo
LHomme 151 47-74
1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris
Karthala
CROWTHER S A
1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys
DORSAINVIL D J
1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne
DUMONT H
1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita
referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana
ELLIS A B
1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London
Chapman Hall
ESSIEN-UDOm E U
1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press
FREYRE G
1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard
GARDNER G
1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the
Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers
GOBINEAU J A de
1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot
GOMES F dos Santos
1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes
eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia
das Letras
HERSKOVITS M J
1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon
HOLLOWAY J E
1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University
Press
HOVELACQUE A
1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil
Paris Lecrosnier amp Babeacute
KIDDER D P amp FLETCHER J-C
1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston
Philadelphia Childs amp Peterson
LETOURNEAU C
1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot
MACEDO S
1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro
MARTIUS C F P von amp SPIX J B von
1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst
MOREAU DE SAINT-MERY L E
1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez
lauteur
MURPHY JM
1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press
NINA RODRIGUES R
1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co
1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional
ORTIZ F
1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales
1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales
RAMOS A
1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional
REIS J-J amp SILVA E
1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo
Companhia das etras
RICHARDSON A
1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez
Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and
the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press
TYLOR E B
1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald
VANSINA J
1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers
Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au
XVIe siegravecle Paris UnescoNEA
VERGER P
1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio
1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de
todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio
VIANNA FILHO L
1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro
Nova Fronteira
WOOD P H
1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono
Rebellion New York Knopf
RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
CAPONE S
1996 laquo Le pur et le deacutegeacuteneacutereacute le candombleacute de Rio de Janeiro ou les oppositions
revisiteacutees raquo Journal de la Socieacuteteacute des Ameacutericanistes 82 259-292
1998 laquo Le voyage laquoinitiatiqueraquo deacuteplacement spatial et accumulation de prestige raquo
Cahiers du Breacutesil contemporain 3536 137-156
1999a laquo Les dieux sur le Net lessor des religions dorigine africaine aux Eacutetats-Unis raquo
LHomme 151 47-74
1999b La quecircte de lAfrique dans le candombleacute pouvoir et tradition au Breacutesil Paris
Karthala
CROWTHER S A
1834 Vocabulary of the Yoruba Language London Seeleys
DORSAINVIL D J
1931 Voudou et neacutevroses Port-au-Prince Bibliothegraveque haiumltienne
DUMONT H
1915-1916 laquo Antropologia y patologia comparada de los negros esclavos Meacutemoria ineacutedita
referente a Cuba raquo Revista bimestre cubana
ELLIS A B
1894 The Yoruba-Speaking Peoples of the Slave Coast of the West Africa London
Chapman Hall
ESSIEN-UDOm E U
1962 Black Nationalism Chicago University of Chicago Press
FREYRE G
1974 [1933] Maicirctres et esclaves la formation de la socieacuteteacute breacutesilienne Paris Gallimard
GARDNER G
1846 Travels in the Interior of Brazil Principally Trough the Northern Provinces and the
Gold and Diamond Distrocts during the Years 1836-1841 London Reeve brothers
GOBINEAU J A de
1884 [1854] Essai sur lineacutegaliteacute des races humaines Paris Firmin Didot
GOMES F dos Santos
1996 laquo Quilombos do Rio de Janeiro no seacuteculo XIX raquo in J-J Reis amp F dos Santos Gomes
eds Liberdade por um fio Histoacuteria dos quilombos no Brasil Satildeo Paulo Companhia
das Letras
HERSKOVITS M J
1990 [1941] The Mith of the Negro Past Boston Beacon
HOLLOWAY J E
1990 Africanisms in American Culture Bloomington-Indianapolis Indiana University
Press
HOVELACQUE A
1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil
Paris Lecrosnier amp Babeacute
KIDDER D P amp FLETCHER J-C
1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston
Philadelphia Childs amp Peterson
LETOURNEAU C
1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot
MACEDO S
1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro
MARTIUS C F P von amp SPIX J B von
1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst
MOREAU DE SAINT-MERY L E
1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez
lauteur
MURPHY JM
1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press
NINA RODRIGUES R
1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co
1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional
ORTIZ F
1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales
1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales
RAMOS A
1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional
REIS J-J amp SILVA E
1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo
Companhia das etras
RICHARDSON A
1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez
Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and
the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press
TYLOR E B
1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald
VANSINA J
1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers
Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au
XVIe siegravecle Paris UnescoNEA
VERGER P
1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio
1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de
todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio
VIANNA FILHO L
1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro
Nova Fronteira
WOOD P H
1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono
Rebellion New York Knopf
RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
HOVELACQUE A
1889 Les negravegres de lAfrique sus-eacutequatoriale Seacuteneacutegambie Guineacutee Soudan Haut-Nil
Paris Lecrosnier amp Babeacute
KIDDER D P amp FLETCHER J-C
1857 Brazil and the Brazilians Portrayed in Historical and Descriptive Sketches Boston
Philadelphia Childs amp Peterson
LETOURNEAU C
1892 Leacutevolution religieuse dans les diverses races humaines Paris Vigot
MACEDO S
1944 No Tempo das Sinhaacutezinhas Rio de Janeiro
MARTIUS C F P von amp SPIX J B von
1824 Travels in Brazil London Longman amp Hurst
MOREAU DE SAINT-MERY L E
1784 Lois et constitutions des colonies franccedilaises de lAmeacuterique sous le vent Paris chez
lauteur
MURPHY JM
1988 Santeria An African Religion in America Boston Beacon Press
NINA RODRIGUES R
1900 Lanimisme feacutetichiste des negravegres de Bahia Salvador Reis amp Co
1988 [1932] Os Africanos no Brasil Satildeo Paulo Editora Nacional
ORTIZ F
1975 [1916] Los Negros Esclavos La Habana Editorial de ciencias sociales
1995 [1906] Los Negros Brujos La Habana Editorial de ciencias sociales
RAMOS A
1979 [1937] As culturas negras no Novo Mundo Satildeo Paulo Editora Nacional
REIS J-J amp SILVA E
1989 Negociaccedilatildeo e conflito A resistecircncia negra no Brasil escravista Satildeo Paulo
Companhia das etras
RICHARDSON A
1997 laquo Romantic Voodoo Obeah and British Culture 1797-1807 raquo in M Fernandez
Olmos amp L Paravisini-Gebert eds Sacred Possessions Vodou Santeria Obeah and
the Caribbean New Brunswick-New Jersey Rutgers University Press
TYLOR E B
1876 [1873] La civilisation primitive Paris C Reinwald
VANSINA J
1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers
Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au
XVIe siegravecle Paris UnescoNEA
VERGER P
1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio
1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de
todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio
VIANNA FILHO L
1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro
Nova Fronteira
WOOD P H
1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono
Rebellion New York Knopf
RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
VANSINA J
1985 laquo LAfrique eacutequatoriale et lAngola Les migrations et lapparition des premiers
Eacutetats raquo in D T Niame ed Histoire geacuteneacuterale de lAfrique IV LAfrique du XIIe au
XVIe siegravecle Paris UnescoNEA
VERGER P
1981 Orixaacutes Satildeo Paulo Corrupio
1987 [1968] Fluxo e Refluxo do traacutefico de escravos entre o Golfo do Benin e a Bahia de
todos os Santos dos seacuteculos XVII a XIX Satildeo Paulo Corrupio
VIANNA FILHO L
1988 [1944] O Negro na Bahia un ensaio claacutessico sobre a escravidatildeo Rio de Janeiro
Nova Fronteira
WOOD P H
1974 Black Majority Negroes in Colonial South Carolina from 1670 through the Stono
Rebellion New York Knopf
RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition
RESUME
Cet article vise agrave analyser une des oppositions constitutives du discours scientifique sur les
cultes afro-ameacutericains lopposition entre les cultes consideacutereacutes comme plus traditionnels (les
yoruba) et ceux consideacutereacutes comme plus syncreacutetiques (les bantou) agrave la lumiegravere des steacutereacuteotypes
raciaux en vigueur agrave la fin du XIXe siegravecle eacutepoque qui a marqueacute la naissance des eacutetudes afro-
breacutesiliennes et afro-cubaines Limaginaire lieacute aux diffeacuterents peuples africains apporteacutes en
Ameacuterique a contribueacute agrave la formation dune identiteacute nationale dans les pays issus de
lexpeacuterience esclavagiste La rareteacute des eacutetudes sur les modaliteacutes de culte dorigine bantou
eacuteleacutement commun aux domaines afro-breacutesilien afro-cubain et afro-ameacutericain (Eacutetats-Unis)
semble encore souffrir de nos jours de cette opposition heacuteritage eacutevolutionniste entre des
objets deacutetudes consideacutereacutes comme plus laquo purs raquo et dautres qui narrivent pas agrave obtenir leurs
lettres de noblesse
MOTS-CLES Akan Bantou Yoruba candombleacute cultes afro-ameacutericains eacutetudes afro-
ameacutericaines marronage reacutebellions drsquoesclaves santeriacutea tradition