En Auvergne, les legendes du lac Pavin

4
Destination MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/ - 29 28 - MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/ U n mercredi d’avril. La neige s’offre un dernier baroud d’honneur sur les sommets du Sancy. Les eaux du Pavin reflètent le sombre plafond nuageux qui n’en finit pas de s’abaisser au-des- sus du cratère. La température, froide pour la saison, a confirmé Joël Collado sur France Info, se hisse péniblement vers le positif. À la rame, lentement mais sûrement, les doigts gelés d’avoir trop tôt rangé les gants, nous rejoi- gnons Vincent Busigny, Éric Viollier et leurs étudiants, déjà postés sur leur barque au beau milieu du rond d’eau. Tous deux sont enseignants chercheurs à Paris et géochimistes. Vincent Busi- gny est rattaché au Laboratoire de géo- chimie des isotopes stables (Institut de physique du globe de Paris [IPGP], Paris VII). Il travaille sur les océans précambriens qui ont précédé, il y a trois milliards d’années, l’arrivée de toute vie sur terre. « J’ai trouvé ici, explique-t-il, un environnement ana- logue à celui qui prévalait à l’époque, et c’est unique en France métropoli- taine. » Membre du Laboratoire de géochimie des eaux (université Paris Diderot et IPGP), Éric Viollier se penche sur le cas du Pavin depuis presque vingt ans. « Notre labo a été appelé pour participer aux études sur les risques de dégazage, et on y revient régulièrement pour observer le cycle des éléments sensibles aux transforma- tions électrochimiques. » Deux exemples parmi tant d’autres. De tous les lacs volcaniques du globe, le Pavin est sans doute l’un plus étudiés. Sa réputation dépasse les frontières européennes. Il est l’objet de plusieurs dizaines de thèses, de centaines d’arti- cles dans des revues internationales. Et aussi des légendes les plus folles, dont on retrouve la trace dès le XV e siècle : des bouillonnements en surface, des eaux qui ne portent pas les bateaux, des pierres qu’on jette qui déclenchent des tempêtes, des oiseaux qui tombent en le survolant, des eaux qui se parent d’une nappe orangée… On a même parlé d’une ville engloutie. Étranges similitudes Un chercheur du CNRS, Michel Mey- beck, a osé prêté du crédit à ce que la communauté scientifique considère, au mieux, comme des croyances, au pire, comme des élucubrations extirpées de la tradition orale. Et il a trouvé d’étranges similitudes entre les descrip- tions qu’elles portent et les phéno- mènes observés en 1986 lors de l’érup- tion gazeuse du frère jumeau du Pavin, le lac Nyos (Cameroun), qui a fait 1 700 victimes. Après trois ans de recherches, il vient de publier ses conclusions dans la Revue des sciences naturelles d’Auvergne et prépare un ouvrage. Elles sont étonnantes. Michel Meybeck jette un pavé dans les eaux du Pavin. Chercheur au CNRS, ce géochimiste met en parallèle les légendes qui agitent l’histoire du plus célèbre lac volcanique auvergnat et les phénomènes observés en 1986, lors de l’éruption gazeuse d’un lac similaire au Cameroun qui a causé la mort de 1700 villageois. La démarche, iconoclaste, n’est pas sans déranger la communauté scientifique. Légendes Et si c’était vrai ? du Pavin Depuis des siècles, on raconte les pires choses sur ce lac, issu de la dernière grande éruption des volcans d’Auvergne. Son nom, Pavin, proviendrait du latin Pavens qui signifie « épouvantable ».

Transcript of En Auvergne, les legendes du lac Pavin

Page 1: En Auvergne, les legendes du lac Pavin

Destination

MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/ - 2928 - MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/

Un mercredi d’avril. Laneige s’offre un dernierbaroud d’honneur surles sommets du Sancy.Les eaux du Pavin

reflètent le sombre plafond nuageuxqui n’en finit pas de s’abaisser au-des-sus du cratère. La température, froidepour la saison, a confirmé Joël Colladosur France Info, se hisse péniblementvers le positif. À la rame, lentementmais sûrement, les doigts gelés d’avoirtrop tôt rangé les gants, nous rejoi-gnons Vincent Busigny, Éric Viollier etleurs étudiants, déjà postés sur leurbarque au beau milieu du rond d’eau.Tous deux sont enseignants chercheursà Paris et géochimistes. Vincent Busi-gny est rattaché au Laboratoire de géo-chimie des isotopes stables (Institut dephysique du globe de Paris [IPGP],Paris VII). Il travaille sur les océansprécambriens qui ont précédé, il y atrois milliards d’années, l’arrivée detoute vie sur terre. « J’ai trouvé ici,explique-t-il, un environnement ana-logue à celui qui prévalait à l’époque,et c’est unique en France métropoli-taine. » Membre du Laboratoire degéochimie des eaux (université ParisDiderot et IPGP), Éric Viollier sepenche sur le cas du Pavin depuispresque vingt ans. « Notre labo a étéappelé pour participer aux études surles risques de dégazage, et on y revientrégulièrement pour observer le cycle

des éléments sensibles aux transforma-tions électrochimiques. » Deux exemples parmi tant d’autres. Detous les lacs volcaniques du globe, lePavin est sans doute l’un plus étudiés.Sa réputation dépasse les frontièreseuropéennes. Il est l’objet de plusieursdizaines de thèses, de centaines d’arti-cles dans des revues internationales. Etaussi des légendes les plus folles, donton retrouve la trace dès le XVe siècle :des bouillonnements en surface, deseaux qui ne portent pas les bateaux, despierres qu’on jette qui déclenchent destempêtes, des oiseaux qui tombent en lesurvolant, des eaux qui se parent d’unenappe orangée… On a même parléd’une ville engloutie.

Étranges similitudesUn chercheur du CNRS, Michel Mey-beck, a osé prêté du crédit à ce que lacommunauté scientifique considère, aumieux, comme des croyances, au pire,comme des élucubrations extirpées dela tradition orale. Et il a trouvéd’étranges similitudes entre les descrip-tions qu’elles portent et les phéno-mènes observés en 1986 lors de l’érup-tion gazeuse du frère jumeau du Pavin,le lac Nyos (Cameroun), qui a fait1 700 victimes. Après trois ans derecherches, il vient de publier sesconclusions dans la Revue des sciencesnaturelles d’Auvergne et prépare unouvrage. Elles sont étonnantes.

Michel Meybeck jette un pavé dans les eaux du Pavin. Chercheurau CNRS, ce géochimiste met en parallèle les légendes qui agitentl’histoire du plus célèbre lac volcanique auvergnat et les phénomènesobservés en 1986, lors de l’éruption gazeuse d’un lac similaireau Cameroun qui a causé la mort de 1700 villageois. La démarche,iconoclaste, n’est pas sans déranger la communauté scientifique.

Légendes

Et si c’était vrai ?duPavin

❚ Depuis des siècles, on raconte les pires choses sur ce lac, issu de la dernière grande éruption des volcansd’Auvergne. Son nom, Pavin, proviendrait du latinPavens qui signifie « épouvantable ».

Page 2: En Auvergne, les legendes du lac Pavin

MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/ - 31

Destination

30 - MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/

Le lac Pavin est né il y a 6900 ans. C’est leplus jeune de tous les volcans d’Auvergne.Issu de la rencontre entre une nappe phréa-tique et une remontée de lave, il est, avec sarondeur parfaite et ses falaises abruptes, unprototype de maar1, en termes de morpholo-gie. C’est le plus profond d’Auvergne(92 mètres). Mais sa caractéristique essen-tielle est que ses eaux ne se mélangent quesur les 60 premiers mètres, les 30 derniersmètres étant de manière permanente dépour-vus d’oxygène 2. Ce type de lacs, appelé« méromictique », est rare sur la planète. Etc’est cette couche au-dessous des 60 mètresde profondeur, dite « anoxique », qui attise lacuriosité des chercheurs en chimie des eaux,microbiologie, sédimentologie, paléolimno-logie, géochimie… « Sur le fond du lac, onest au tout début de nos recherches, toutreste à découvrir », témoigne Gérard Fonty.« On ne connaît pas 5 % des espèces demicroorganismes présents au Pavin3 »,ajoute Christian Amblard. Tous deux sontchercheurs au CNRS, membres du Labora-toire « Microorganismes : génomes et environnement » (LMGE).

Laboratoire naturelLe Pavin est un lac dit « pluviomètre ». Indé-pendant de son bassin versant, il est directe-ment alimenté par la pluie et la neige et trèssensible aux apports atmosphériques. Cespropriétés se rencontrent, à la surface duglobe, sur moins d’un lac sur mille. Les eauxdu Pavin ont ainsi permis à Catherine Jean-del, océanographe au CNRS, de mettre enévidence une pollution toxique de l’atmo-sphère au plutonium émise par l’industrienucléaire de la vallée du Rhône. Bref, lePavin est un laboratoire naturel, étudiédepuis le milieu du XIXe siècle4 par des spé-cialistes du monde entier. Tous bénéficient,comme base avancée, de la station biolo-gique construite à Besse, dans lesannées 1890, par deux professeurs de l’université Blaise-Pascal.

1. Cratère volcanique d’explosion.2. Les facteurs extérieurs (vent, absence

d’alimentation en surface) et l’arrivée d’eauxsouterraines minéralisées directement au fondexpliquent le caractère stagnant des eaux profondes et la méromicticité du lac.

3. Cf. Le Lac Pavin, court métrage documentaireréalisé par Volcan Terre d’éveil et visible enligne sur le site de l’association :www.volterev.fr/

4. Le premier article du naturaliste clermontoisHenri Lecoq date de 1852.

❚ Le lac Pavin est splendide en été, avec ses eaux turquoises et sa promenade ombragée. C’est un des lacs les plus visitésd’Auvergne.

Page 3: En Auvergne, les legendes du lac Pavin

MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/ - 3332 - MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/

Pour Michel Meybeck, c’est un peu plusque ça. Géochimiste au CNRS, l’hommeest d’origine auvergnate, du tout prochevillage d’Égliseneuve-d’Entraigue. Il aété bercé par les légendes qui se racon-taient sur ce lac dont le nom (du latinPavens, épouvantable) n’inspire rien debon. Une de ses tantes, bonne nageuse,s’est amusée à traverser tous les lacsd’Auvergne. Sauf un : le Pavin. En 2009,lors d’un colloque pluridisciplinaire qui aréuni 120 scientifiques autour du Pavin,Thierry del Rosso, ingénieur hydrogéo-logue-géotechnicien, exprima devant unparterre de cartésiens l’intérêt que lacommunauté scientifique pourrait tirer del’étude de ces croyances. L’accueil pourle moins glacial réservé à cette interven-tion, à laquelle il souscrivait pleinement,a convaincu Michel Meybeck de se plonger dans les archives.

« Jusqu’au XVIIe siècle, raconte-t-il, lePavin est un lieu sans accès et évité parles populations locales 5. » La premièredescription qu’il retrouve date de 1564.Abel Jouan, officier de bouche deCharles IX, chronique la visite du roi àtravers ses provinces et parle de ce laccomme d’un « grand gouffre, duquel ilsort ordinairement une grande foudre degrêle et tonnerre, qui gâte les blés desvallées ». La deuxième fut faite peu detemps après, en 1575, par François deBelleforest dans sa traduction augmentéede la Cosmographia de Sebastian Müns-ter (1489-1552). Sans citer le Pavin maisen le localisant clairement, il décrit « unlac de grande étendue, et presque ausommet d’une montagne, lequel est sansfond […]. […] si on jette quelque pierrededans, on se peut tenir pour assuréd’avoir bientôt du tonnerre, des éclairs,

pluies, et grêle ». La présence du lacauvergnat dans cet ouvrage, aussi lu quela bible de 1554 à 1628, « atteste déjà larenommée extraordinaire du lac Pavinchez les érudits de cette époque, souligneMichel Meybeck. Et cette description aété reprise par Larousse lui-mêmejusqu’au XIXe siècle. » Au XVIIe siècle, unefamille de lettrés de Besse, les Godivel,rédigent un manuscrit repris mot à motpar Élie Jaloustre 6 dans une publicationintitulée « Remarques touchant la ville deBesse ». Le Pavin occupe deux pages etdemie : « Il s’élève de ce lac pendantl’été plusieurs exhalaisons et vapeurs quipeu de temps après dégénèrent en nues etfinalement en tempêtes […]. L’eau sentce que sentent ces eaux que lavent lesrochers dont on tire le fer dans les montsPyrénées. Les oiseaux, ces hôtes des bois,sont rares dans ceux qui environnent lelac et la raison en est parce que les

fréquents brouillards que l’on voit sortirde ce lac […] les en chassent leur en rendant ce lieu inhabitable. »

« Contes de bonne femme »

Dès le XVIIIe siècle, on cherche à sonder lePavin. L’ingénieur Chevalier, inspecteurdes Ponts et Chaussées du roi, est le pre-mier à déterminer, en 1770, la profondeurde ce lac qu’on croyait sans fond : sonrésultat (96 mètres) est tout proche de laréalité. Les scientifiques d’alors, qui, eux,ne remarquent rien d’anormal, ont vitefait de discréditer les écrits d’antan, qua-lifiés de « sottises absurdes » (l’historienet naturaliste Legrand d’Aussy), de« contes de bonnes femmes » (l’abbéAntoine Delarbre, 1724-1807, directeurdu jardin botanique de Clermont), ouencore de « légendes inventées par la

peur et transmises par la crédulité »(Henri Lecoq, 1802-1871, dans sa mono-graphie sur les eaux du Massif central). Jusqu’à aujourd’hui où, « prises une parune, ces légendes sont toujours considé-rées comme toutes plus extravagantes lesunes que les autres », concède MichelMeybeck. Curieux et ouvert, le chercheurqui, rappelons-le, n’est pas historien maisgéochimiste, s’est également interrogésur les origines du pèlerinage de Vassi-vière, à deux pas du Pavin, et sur

5. Le sentier qui fait le tour du lac n’est tracépar la commune de Besse qu’en 1909. Lelac, originellement pauvre en poissons, estempoissonné massivement, mais pas avantle milieu du XIXe siècle.

6. Élie Jaloustre était membre de l’académiede Clermont et de la Société française d’ar-chéologie.

Destination

❚ Vincent Busigny, en avril dernier, sur la berge du Pavin.Le géochimiste prépare un instrument de carottageafin d’extraire des prélèvements des profondeursanoxiques du lac, là où l’eau est dépourvue d’oxygène.Le Pavin reçoit chaque année des chercheursdu monde entier. C’est l’un des lacs les plus étudiésde la planète.

Page 4: En Auvergne, les legendes du lac Pavin

MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/ - 35

Destination

34 - MASSIF CENTRAL MAGAZINE - www.massif-central.fr/

l’édification d’un oratoire marial( X V e s i è c l e ) e t d ’ u n e c h a p e l l e(XVIe siècle), « le tout dans un endroit onne peut plus inhospitalier ». Il a remis lamain sur les descriptions des miracles, aucours de l’histoire de ce pèlerinage qui,dès le début du XVIIe, attire près de6000 croyants. Certains font état que « lemalin esprit est exorcisé dans une tem-pête de tonnerre » ; d’autres que « lapuanteur de l’air demeura prou au nez deplusieurs personnes ».

Grondements de tonnerre

Nyos. Cameroun. Nous sommes le21 juin 1986. Une vague soudaine balaiela surface du lac. Les eaux de profondeur,chargées de dioxyde de carbone (CO2) etsubitement brassées, remontent à la sur-face. Plus lourd que l’air, le dioxyde decarbone s’échappe et se disperse dans lesvallées environnantes. Les sauveteurs,bouleversés, recensent 1 746 victimes. Etla communauté scienti-fique découvre avec effroice qu’elle qualifierad’« éruption limnique »,avec les phénomènes quien découlent : la surfacedu lac bouillonne, avecdes jets montant à80 mètres ; les oiseaux,troupeaux et humainsmeurent au passage de lanappe de CO2 ; l’eaudevient couleur rouille du fait de sateneur élevée en hydroxyde ferrique ; uneforte odeur de souffre se répand dans l’airambiant. Rose-Marie Veyrer, professeurde chimie des eaux au Conservatoirenational des arts et métiers (Cnam),observe « des grondements de tonnerre »,« un éclair bref accompagné d’un jetlumineux blanc » ; des témoins camerou-nais parlent de coups de fusil. La flottabi-lité est réduite en raison de la faible den-sité de l’eau dans la colonne de bulles,des inflammations oculaires, allantjusqu’à une perte provisoire de la vue,sont constatées chez les survivants. D’au-tres éruptions de ce genre, mais à unniveau de dégazage moins violent, ont étédécrites au XIXe siècle en Italie du Sud,sur les deux lacs volcaniques de Montic-chio, situés dans le cratère du mont Vul-ture. En 1838, le directeur du Jardin bota-nique de Naples dresse un inventaire du

volcan, retranscrit et annoté en 1995 :« L’énorme source jaillit depuis le fonddu lac à tel point qu’un bouillonnementincessant agite et mélange toute la massede la surface de l’eau […]. Des natura-listes romains avaient vu l’air s’enflam-mer et senti l’odeur pénétrante dusoufre. »

« Une activité dedégazage récurrente »

Michel Meybeck s’interroge : « Commentne pas être frappé par la concordancetrès forte entre les caractéristiques del’éruption de Nyos, les textes italiens surMonticchio, les légendes du Pavin etmême la transcription des miracles deVassivière : fontaines d’eau et tempêtes,tonnerre et éclairs, absence d’oiseaux,eau riche en fer, absence ou mortalité despoissons, absence de flottabilité desbateaux, forte odeur de souffre? » Il citeencore le témoignage d’un pharmacienclermontois qui, interviewé par Le Répu-

blicain lorrain peu après lacatastrophe de Nyos,exhume un souvenir d’en-fance ; c’était en 1936, iln’avait que 15 ans : deretour au Pavin au lende-main d’une pêche auxécrevisses, il découvre« un lac tout coloré, dujaune à l’orange, avec destraînées de bleu ». Qu’enconclure ? « Je pense que

le Pavin a eu une activité de dégazagerécurrente, plus ou moins forte, rapportéepar des témoignages précis puis trans-mise de génération en génération »,défend Michel Meybeck, qui poursuit :« Ces dégazages n’auraient pas été denature explosive comme à Nyos, n’au-raient pas forcément provoqué de geyserscomme à Monticchio, mais montreraientque le Pavin n’est pas d’une nature aussistable qu’on le prétend depuis le début desa surveillance régulière. »

Des hypothèsesbattues en brèche

La thèse de Michel Meybeck divise.« Lors du colloque de 2009, j’étais, com-ment dire… un peu isolé. » Car aucunedécouverte scientifique n’a pour l’heurecorroboré son « intime conviction ». Lesvolcanologues Pierre Lavina et Thierry

del Rosso ont, certes, découvert dans lavallée de la Couze-Pavin une coulée qui,estiment-ils, date de l’an 1300 et seraitconstituée de sédiments subaquatiques dulac Pavin. Leurs conclusions ont été infir-mées par des études ultérieures (Chapronet autres, 2010, 2011, 2012). Les mêmesauteurs ont mis en évidence des glisse-ments de terrain survenus dans les pro-fondeurs du lac, datés de l’an 610 et l’an1200, mais sans démontrer leurs consé-quences en surface (vagues, dégazages?).Pierre Boivin, géologue, chercheur auCNRS, au laboratoire Magma et Volcansde Clermont-Ferrand, estime que l’utili-sation des légendes pour identifier unphénomène passé « est une approche trèsrisquée ». S’il reconnaît à la démarche deMichel Meybeck une utilité « pour poserdes questions », il n’en rejette pas moins

en bloc tant la méthodologie que lesconclusions. « Les légendes, dit-il, sontd’abord liées à la tradition orale doncsujettes à déformation, et elles avaientdes fonctions précises (morales, reli-gieuses, sociales). Il faudrait s’assurerque les citations multiples ne sont pasune simple reprise du même texte. » Ils’élève en faux contre le caractère isolé,vide et maudit du lieu : « La zone était aucontraire un lieu prisé d’estives, lestraces de centaines de tras, ces buronsprovisoires, sont facilement visibles surles images Google. Et un sondage dansles sédiments du lac (M. Stebich, 2005) arévélé que, pendant les derniers 700 ans,les environs immédiats du lac ont étémarqués par l’activité humaine. » Il rap-pelle enfin que la catastrophe de Nyoss’est produite la nuit, hors de présence detout témoin, et que la nature du phéno-mène déclencheur de la vague (fortespluies, glissement de terrains?) est encoredébattue à ce jour.

Toujours sous surveillance

Suite aux événements de Nyos, le gou-vernement français commanda dès 1987une étude pluridisciplinaire sur le risqued’éruption gazeuse au lac Pavin. Ce

risque, qui continue d’être étudié par lesspécialistes de la géochimie, a été consi-déré, suite au colloque de 2009, commenul « en conditions normales ». « On saitque le gaz carbonique est en quantitéinsuffisante pour dégazer et que leméthane, plus léger que l’air, n’auraitaucune conséquence létale », affirmePierre Boivin. Principe de précautionoblige, la municipalité de Besse a, malgrétout, consolidé les berges du lac en 2007,et le site est toujours sous haute surveil-lance. « Ce qui se passerait dans le casd’une vague similaire à Nyos ou d’undébordement massif du lac est encoredans le domaine de la recherche », notele géologue. Sur le lac Nyos, unerecherche approfondie sur les légendeslocales a été menée après l’éruption parune anthropologue américaine. « Person-nellement, n’étant ni anthropologue nihistorien, je me garderai bien d’aller surce terrain », répond Pierre Boivin.Michel Meybeck, quant à lui, ne demandepas mieux que les sciences humainess’investissent aussi dans les recherchesautour du lac auvergnat. Et accompagnentchimistes, physiciens, microbiologistes etautres géologues sur les barques (et dansles bibliothèques) pour percer, enfin, lesmystères du Pavin. ■

Lac Pavin

Lac Pavin (Puy-de-Dôme)

• Pour se promener. Le meilleur moyen de découvrir le Pavin… est d’en faire le tour. Un sentier, long d’un peu plus de un kilomètre, est tracé à l’intérieur mêmedu cratère. Un espace d’exposition gratuitvient d’être aménagé sur les rives par la municipalité de Besse-en-Chandessepour présenter et vulgariser le travail des scientifiques et permettre aux visiteursde prendre conscience du caractèreexceptionnel et unique de ce site.

• Pour manger. L’hôtel-restaurant Le LacPavin est l’adresse incontournable. FrançoisJoubert, pêcheur d’ombles chevaliers, etson épouse Hélène proposent un menu dujour et les spécialités locales. Lors des fortes chaleurs, la terrasse ombragéeest des plus agréables.Le Lac Pavin, 63610 Besse-et-Saint-Anastaise. Tél. : 04.73.79.62.79.Site : www.lac-pavin.com/

• Pour compléter. La Revue des sciencesnaturelles d’Auvergne a sorti, au moisd’avril, un numéro spécial sur le lac Pavin.Ce recueil, qui reflète la diversité destravaux menés sur le site, intègrenotamment un article de Michel Meybeckdans lequel il développe et argumente sathèse.Revue des sciences naturelles d’Auvergne,numéro spécial « Le Lac Pavin »,vol. 74-75, 2010-2011, éd. Sociétéd’histoire naturelle d’Auvergne. Disponiblesur commande auprès de la Société au prixde 30 euros. Courriel :[email protected]/

Pour le découvrir

Nyos. Cameroun.Nous sommes

le 21 juin 1986.Une vague

soudaine balaiela surface du lac…

Selon Pierre Boivin, géologue,

directeur de recherche au CNRS,

« l’utilisation des légendes

pour identifier un phénomène passé

reste une approche très risquée ».