Elasto Plasticité Cours

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Rupture et Plasticit´ e Pierre Suquet

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  • Rupture et Plasticite

    Pierre Suquet

  • Table des matie`res

    1 Comportements non lineaires des materiaux solides 11.1 Variete des comportements macroscopiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11.2 Diversite des mecanismes microscopiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.3 Crite`res . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131.4 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

    2 Singularites de contrainte et tenacite des materiaux 292.1 Concentration de contrainte au voisinage dun defaut de forme elliptique . 302.2 Singularite de contrainte en fond dentaille . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312.3 Singularite de contrainte a` la pointe dune fissure plane. . . . . . . . . . . . 352.4 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482.5 Annexe : eprouvettes normalisees . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

    3 Analyse energetique de la propagation dune fissure 533.1 Analyse energetique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543.2 Taux de restitution de lenergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 613.3 Lien entre singularite des contraintes et taux de restitution de lenergie . . 643.4 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

    4 Analyse energetique de la propagation dune fissure II.Fissuration par fatigue 714.1 Taux de restitution de lenergie : integrales invariantes . . . . . . . . . . . 724.2 Proble`mes tridimensionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 814.3 Fissuration par fatigue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

    5 Loi de comportement elasto-plastique 955.1 Surface seuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 965.2 Deformation plastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1045.3 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1215.4 Principe de la dissipation maximale et convexite du domaine de plasticite . 123

    6 Structures elasto-plastiques standards 1256.1 Formulation du proble`me . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1266.2 Etude dun cas particulier : Torsion dun arbre cylindrique elasto-plastique 1276.3 Resultats generaux sur levolution des syste`mes elasto-plastiques . . . . . . 1366.4 Incompatibilite de la deformation plastique et contraintes residuelles . . . . 1416.5 Ecrouissage apparent en variables generalisees . . . . . . . . . . . . . . . . 142

  • 6.6 Integration numerique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1436.7 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1476.8 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

    7 Thermodynamique des Processus Irreversibles 1557.1 Les principes de la Thermodynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1557.2 Thermodynamique et lois de comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . 1617.3 Equation de la chaleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1787.4 Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

    8 Charges limites 1858.1 Chargements potentiellement supportables. Approche statique . . . . . . . 1868.2 Approche cinematique par lexterieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1928.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197

    9 Bibliographie 199

    A Rappels delasticite lineaire 203A.1 Tenseur delasticite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203A.2 Proble`me dequilibre en elasticite lineaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206A.3 Proble`mes plans et anti-plans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207A.4 Proble`mes classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208

    B Coordonnees curvilignes. Formulaire 214B.1 Coordonnees cylindriques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214B.2 Coordonnees spheriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

  • Chapitre 1Comportements non lineaires desmateriaux solides

    Introduction et cadre de travail...

    Les materiaux presentent une etonnante diversite de comportement. Lorsquon leurapplique des efforts, certains materiaux secoulent a` la manie`re de fluides, dautres resistentcomme des solides. Dautres enfin commencent par resister mais, si lon augmente leffort,finissent par ceder et secoulent. Parmi ces materiaux dits solides certains sont fragiles etcassent sans deformation apparente importante, dautres se deforment notablement avantrupture (on les dit ductiles). Neanmoins ces classifications sont toujours relatives (unmetal est fragile a` froid mais ductile a` chaud) et parfois ambigues (un milieu granulairesecoule comme un fluide, mais, une fois compacte, presente la cohesion dun solide).

    Ce chapitre presente dans un premier temps les comportements des materiaux so-lides les plus couramment rencontres a` lechelle de lingenieur. A plus petite echelle, cesmateriaux presentent des mecanismes de deformation encore plus varies quil est utile deconnatre pour mieux comprendre leur comportement macroscopique. Nous nous limite-rons aux mecanismes observes dans les materiaux cristallins (metaux, roches, certainspolyme`res). Enfin, ayant mis en evidence differents regimes dans le comportement desmateriaux, nous aborderons la question des crite`res, essentiels pour traduire la transitiondun regime a` lautre.

    1.1 Variete des comportements macroscopiques

    La facon la plus elementaire dapprehender la variete des comportements des mate-riaux est de les tester au moyen dessais uniaxiaux.

    1.1.1 Essais uniaxiaux classiques

    Un essai est dit uniaxial lorsque le tenseur de contrainte est porte par une directionfixe u :

    (x) = (x) uu.Letat de contrainte est caracterise par le seul champ scalaire . Pour etre directe-

    ment exploitable dans lecriture de la loi de comportement du materiau homoge`ne que lon

    1

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    teste, il est preferable que lessai soit homoge`ne1 (au moins dans une certaine region delechantillon teste), ce qui signifie que letat de contrainte est uniforme dans cette region(il ne depend pas de la position x). En vertu de lhomogeneite du materiau, le champde deformation est egalement uniforme dans cette region, au moins tant quil ny a pasapparition dinstabilite (il peut y avoir alors plusieurs valeurs de la deformation associee a`une meme valeur de la contrainte ce qui conduit a` un champ de deformation non uniformeet se traduit sur le plan physique par une striction de leprouvette).

    Lessai uniaxial le plus classique est lessai de traction simple. On soumet uneeprouvette de traction a` une force dans une direction fixe. Leprouvette, le plus souventplane ou cylindrique de section circulaire, est typiquement constituee de deux zones : lestetes deprouvette servent a` acccrocher leprouvette et a` lui transmettre leffort exterieur,tandis que la partie centrale, dite partie utile , est la zone ou` lon peut raisonnablementconsiderer que letat de deformation est homoge`ne et sert aux mesures de deformations.On mesure cette deformation par differents moyens (jauges de deformation, extensome`tre,correlations dimage...). La contrainte = F/S se deduit de la mesure de la force appliqueeet de la mesure de la section S de la partie utile de leprouvette. Nous nous limiteronsaux (relativement) petites deformations et nous placerons dans le cadre de lhypothe`sedes petites perturbations (H.P.P.). En consequence, la section S est la section initiale deleprouvette et les differentes mesures de la contrainte (contrainte nominale, contrainte deCauchy) et de la deformation (Green-Lagrange, deformations logarithmiques) concident.

    Lessai peut etre pilote en contrainte (on impose une valeur a` la force F donc a`la contrainte ) ou en deformation (on applique un deplacement aux tetes deprouvettede facon a` atteindre une deformation prescrite dans la zone utile de leprouvette). Unehistoire de chargement (en contrainte ou en deformation) est appliquee a` leprouvetteet les resultats des mesures sont portes dans un diagramme (, ). Differents types dechargement permettent de mettre en evidence differents aspects du comportement desmateriaux testes.

    En simplifiant, les trois grands types de comportement quun materiau est suscep-tible dexhiber (en fonction de la temperature, de la vitesse de deformation et du niveaudes contraintes) sont le comportement elastique, le comportement plastique et le compor-tement visqueux.

    Charge monotone. On augmente progressivement la contrainte (ou la deformation si lessai est pilote en deformation) et on mesure la deformation qui en resulte (ou lacontrainte). Cet essai permet de mettre en evidence plus precisement les phenome`nessuivants (cf figure 1.1) :

    a) La non linearite eventuelle de la loi : lessai met en evidence un domaine (encontrainte ou en deformation) a` linterieur duquel le comportement (cest a` direla relation , ) est lineaire et a` lexterieur duquel il devient non lineaire.

    b) Le durcissement ou ladoucissement du materiau. Le durcissement correspond aucas dune courbe (, ) croissante (toute augmentation de deformation requiert une

    1Des essais non homoge`nes, comme lessai de flexion, peuvent egalement etre utilises, mais ilsnecessitent une modelisation des champs de contrainte et de deformation pour etre correctement tra-duits en lois de comportement.

    2

  • 1.1. VARIETE DES COMPORTEMENTS MACROSCOPIQUES

    E

    (MPa)

    domaine de

    0.001

    linaritdomaine non linaire

    (a)

    durcissant adoucissant

    (b)

    (c)

    Traction

    Compression

    (d)

    (e)

    (f)Fig. 1.1: Differents types de comportement observables lors dun essai de traction

    simple monotone. (a) : mise en evidence de la perte de linearite dansle comportement. (b) : caracte`re durcissant ou adoucissant du compor-tement. (c) : materiau elastique-fragile. (d) : materiau endommageable.(e) : courbe de traction reelle dun acier doux, mettant en evidenceun plateau plastique. (f) : idealisation de la courbe precedente par uncomportement elastique parfaitement plastique.

    3

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    augmentation de contrainte), tandis que ladoucissement correspond a` une courbe(, ) decroissante (la contrainte diminue alors que la deformation augmente).Pour detecter correctement ladoucissement il est necessaire de controler lessaien deformation (le pilotage en contrainte ne peut se poursuivre au dela` de lacontrainte maximale et provoque une instabilite de lessai).

    c) La plus ou moins grande ductilite du materiau : certains materiaux se rompenttre`s rapidement apre`s avoir depasse leur domaine de linearite. Lorsque la ruptureintervient en meme temps que la perte de linearite, le materiau est dit elastique-fragile. A linverse certains materiaux se deforment beaucoup avant de se rompre(caoutchoucs, polyme`res, certains metaux a` chaud). Ils sont dits ductiles et ladeformation a` rupture est une mesure de la ductilite du materiau. La figure 1.1epresente la courbe de traction typique dun acier doux. On note que sitot apre`sla perte de linearite cette courbe presente un plateau avant de se redresser pourdes deformations plus importantes. On represente souvent ce type de comporte-ment par un mode`le de plasticite parfaite (figure 1.1f) qui consiste en une monteeelastique lineaire suivi dun plateau a` contrainte constante.

    d) La viscosite du materiau : lessai est controle en deformation et effectue a` differen-tes vitesses de deformation . Si lon obtient des courbes (, ) differentes, lemateriau teste presente une viscosite, cest a` dire une sensibilite a` la vitesse de sol-licitation. Cest typiquement le cas des polyme`res ou des metaux a` chaud (et memedes ceramiques a` haute temperature). En revanche les metaux a` temperature am-biante ne presentent pas en general de sensibilite a` la vitesse de deformation. Silon sinteresse aux tre`s grandes vitesses de deformation (comportement dyna-mique des materiaux pour des proble`mes dexplosion ou de crash) les machinesdessais classiques ne permettent plus dimposer des vitesses de deformation suffi-samment elevees et il faut alors avoir recours a` dautres essais (barres de Hopkin-son par exemple) dans lesquels lhypothe`se dhomogeneite des contraintes et desdeformations nest plus valide ce qui complique notablement le depouillement.

    Charge-decharge. On augmente la force F puis on la rame`ne a` 0. Cet essai permet demettre en particulier en evidence (figure 1.2) :

    a) Lanelasticite : si les courbes de charge-decharge concident, le milieu est elastique(eventuellement non lineaire). Dans le cas contraire il est anelastique. Apre`sdecharge comple`te, il subsiste une deformation residuelle. Cette deformation resi-duelle peut seffacer avec le temps, signe dune viscosite du materiau. Dans lesmateriaux insensibles a` la vitesse de chargement (metaux a` froid par exemple),cette deformation residuelle est permanente, tant que lapplication dune contraintene vient pas la perturber. La deformation au point A se decompose donc en (fi-gure 1.2b) une partie el recuperable par decharge (dou` le nom de partie elastiquede la deformation) et une partie P qui subsiste apre`s decharge (cest la partieplastique, ou plus generalement anelastique, de la deformation) :

    = el + P.

    b) Lanelasticite ne se manifeste que lorsque la force atteint un certain seuil, qui estla limite delasticite du materiau. Initialement ce seuil est 0 (voir figure 1.2b).

    4

  • 1.1. VARIETE DES COMPORTEMENTS MACROSCOPIQUES

    On effectue une decharge de A a` B puis on recharge en B. Dans la plupart desmetaux la charge se fait a` nouveau le long du trajet AB et de facon elastique(le trajet AB est reversible). La limite delasticite pour une charge a` partir de Best donc A. Si la limite delasticite est fixe (A = 0 pour tout A), le milieu estparfaitement plastique. Si la limite delasticite varie (A 6= 0), le materiau estecrouissable. Lecrouissage est positif sil y a durcissement (le seuil augmente avecla deformation), il est negatif sil y a adoucissement.

    (a)

    A

    B

    A

    0

    p el

    O

    (b)

    A

    C

    A

    C

    0

    0

    (c)

    (d)

    Fig. 1.2: Essai de charge-decharge. (a) : comportement elastique (eventuellementnon lineaire). (b) : comportement anelastique. (c) : effet Bauschinger.(d) : endommagement couple a` la plasticite.

    c) Quand on effectue un essai de compression a` partir de letat naturel sans contrain-te (a` partir du point O), on observe en general un seuil 0 identique en traction eten compression. En revanche si lon deforme le materiau plastiquement puis quonle decharge (a` partir du point A) et que lon prolonge la decharge par applicationdune contrainte negative (compression), on observe souvent une dissymetrie duseuil delasticite en compression par rapport a` sa valeur en traction : cest leffetBauschinger (C 6= A).

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  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    d) Dans le domaine elastique et dans la plage des petites deformations, la charge etla decharge seffectuent le plus souvent suivant une droite. La plupart du tempsla pente de cette droite est la pente initiale de la courbe contrainte deformation,Il arrive cependant que le module delasticite diminue lors dune serie dessais decharge-decharge, il y a alors endommagement.

    Essai cyclique. On fait decrire au parame`tre de chargement un trajet periodiquecomme represente sur la figure 1.3 d. Cet essai permet de mettre en evidence (cf fi-gure 1.3) :

    a) ladaptation. Le comportement est alors celui dun solide elastique a` une deforma-tion residuelle pre`s. Le cycle decrit par le point (, ) se reduit a` une portion decourbe sans epaisseur.

    b) Laccommodation. Le trajet parcouru a` chaque cycle par le point (, ) se stabilisesur une courbe fermee mais la boucle ainsi formee a une aire non nulle.

    c) le rochet. Augmentation de la deformation residuelle a` chaque cycle jusqua` laruine.

    (a)

    (b)

    (c)

    t

    (d)

    Fig. 1.3: Essai cyclique : (a) : adaptation. (b) : accommodation. (c) : rochet. (d) : char-gement applique.

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  • 1.1. VARIETE DES COMPORTEMENTS MACROSCOPIQUES

    Sensibilite a` la vitesse de deformation. La sensibilite des materiaux a` la vitesse dedeformation a deux consequences pour la tenue de ces materiaux dans le temps qui sontle fluage et la relaxation (cf figure 1.4).

    (a) Relaxation des contraintes. La relaxation des contraintes est mise en evidence par letest suivant : on impose en t = 0 une deformation que lon maintient constantedans le temps. La contrainte prend tout dabord une valeur donnee par lelasticitedu materiau = E, puis on constate generalement quelle se relache au cours dutemps : cest la relaxation. Si la relaxation est totale, on a coutume de dire que lemateriau etudie a un comportement de type fluide : au bout dun temps (qui peutetre long), le materiau oublie la deformation qui lui a ete imposee en effacanttoutes les contraintes creees. La relaxation des contraintes pose des proble`mes serieuxdans le beton precontraint dont le principe est le suivant. Le beton a une bonne

    .

    = 10.

    .

    .

    = 10

    .

    = 103

    2

    = 104

    1

    (a)

    t

    t

    (b)

    t

    t

    (c)

    Fig. 1.4: Materiaux sensibles a` la vitesse de chargement. (a) : mise en evidence de lin-fluence de la vitesse de chargement. (b) : Relaxation des contraintes (pointilles :materiau de type fluide) . (c) : Fluage (traits pleins : materiau de type solide).

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  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    tenue en compression mais se comporte comme un materiau fragile en traction. Pourle faire travailler en compression on applique une precontrainte de compression parlintermediaire de cables (dits de precontrainte). Si la precontrainte se relaxe au coursdu temps, certaines zones de louvrage peuvent se trouver en traction ce qui les meten danger de fissuration.

    (b) Fluage. Cest le phenome`ne dual du precedent. On impose brusquement une contrainte quon maintient constante au cours du temps. Il en resulte une deformation initialeelastique = /E puis generalement la deformation augmente avec le temps : cest lefluage. Cest une experience que lon fait souvent (par exemple en sortant du super-marche !) lorsquon transporte un poids important dans un sac en plastique : on sentcelui-ci sallonger, parfois jusqua` se dechirer ! Si la deformation de fluage reste limiteelorsque t + on a coutume de dire que le milieu etudie a un comportement detype solide.

    1.2 Diversite des mecanismes microscopiques

    Si la variete des comportements macroscopiques des materiaux est grande, celledes mecanismes microscopiques de deformation lest plus encore. Les milieux granulairesont un comportement de type plastique et le mecanisme principal est le glissement re-latif (avec frottement) des grains les uns par rapport aux autres. Les polyme`res ontegalement un comportement plastique dans une certaine gamme de temperature et lesmecanismes principaux de deformation sont alors le deploiement et les mouvements re-latifs des chaines de monome`res. Nous concentrerons notre attention sur les materiauxcristallins qui presentent une structure tre`s ordonnee de reseau a` lechelle atomique. Laplupart des metaux et des roches sont cristallins2.

    (a) (b) (c)

    e

    e

    2

    3

    Rotation

    e 1

    Fig. 1.5: Differentes echelles dans un polycristal : (a) : Monocristal dans ses axes desymetrie. (b) : Grain (noter la rotation des axes de symetrie). (c) Polycristal(noter que chaque grain a son orientation propre).

    1.2.1 Materiaux cristallins

    A lechelle macroscopique de lingenieur (longueur caracteristique, le centime`tre), unmetal parat homoge`ne. Si lon observe un echantillon de ce metal a` lechelle de la centaine

    2Tous les materiaux ne sont pas cristallins, loin sen faut. Les materiaux amorphes (sans structuremicroscopique ordonnee) sont egalement tre`s courants (verres, polyme`res ...).

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  • 1.2. DIVERSITE DES MECANISMES MICROSCOPIQUES

    de microns3, on sapercoit tout dabord que lechantillon qui paraissait homoge`ne est enfait forme de grains elementaires, dont on distingue assez nettement les joints : il sagit enfait dun polycristal, cest a` dire dun assemblage de cristaux4. Lorsquon observe ces grainsindividuels ou a` plus petite echelle (nanome`tre ou angstrom), le reseau atomique regulier

    3Il sagit dune indication, la taille de grains pouvant varier de quelques millime`tres a` quelques dixie`mesde microns, selon les materiaux et leur mode delaboration.

    4On arrive a` produire des monocristaux formes dun unique grain par des processus delaboration tre`scontroles.

    b

    0a

    Position initialea

    Position dforme

    a)

    0a

    Position initiale

    x

    b

    Position dforme

    d)

    U

    aa0 a max

    b)

    U

    b

    maxx

    x

    e)

    a

    a0

    amax

    c)

    b

    max

    max

    x

    x

    f)

    Fig. 1.6: Deformation dun reseau atomique regulier sous leffet dune contrainte. Agauche : traction simple ; a` droite : cisaillement. (a) : traction simple, deformationdu reseau, (b), traction simple, potentiel, (c) traction simple, contrainte. (d) :cisaillement, deformation du reseau, (e), cisaillement, potentiel, (c) cisaillement,contrainte.

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  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    qui les forme peut etre distingue5. Dans les metaux non allies (cuivre pur, zinc etc...), lereseau atomique est identique dun grain a` lautre a` une rotation pre`s. Le reseau de baseest en effet oriente et posse`de un certain nombre de symetries qui dependent du metalconsidere (la structure cristallographique du zinc est cubique centree, celles du cuivre etde laluminium sont cubiques a` faces centrees, celle du zirconium est hexagonale compacteetc.....). Lorientation du reseau varie dun grain a` lautre. La deformation macroscopiquedu metal que lon mesure dans un essai de traction simple se traduit a` petite echelle parune deformation des grains. Chacun des grains se deforme en fonction de son orientationpropre tout en maintenant la compatibilite de la deformation entre grains adjacents. Aune echelle plus fine, la deformation de chaque grain resulte de la deformation du reseauatomique qui le constitue. Nous allons en donner une premie`re description elementairequi sera precisee au paragraphe 1.2.2

    Aux tre`s faibles deformations, le reseau se deforme par eloignement des plans ato-miques par rapport a` leur position dequilibre sans perturbation profonde du reseau. Enterme de potentiel dinteraction inter-atomique, le deplacement du reseau par rapport a`sa position dequilibre est suffisamment petit pour rester dans la partie convexe du po-tentiel (figure 1.6b et 1.6e). Dans le cas de lextension dans une direction (figure 1.6a),la deformation reste elastique tant que la contrainte appliquee nexce`de pas max, maisau dela` de cette valeur, les plans atomiques seloignent a` contrainte decroissante. Lacontrainte max est donc la contrainte de separation du reseau atomique (contrainte declivage). Le clivage est le mecanisme dominant de la rupture fragile.

    La situation est lege`rement differente dans le cas du cisaillement. Dans ce cas unetranslation dun pas du reseau atomique le laisse globalement inchange (a` ceci pre`s queles atomes en visa`vis avant deformation et apre`s deformation ne sont pas les memes).Ceci se traduit par la periodicite du potentiel dinteraction inter-atomique qui peut etreschematiquement represente par une sinusode de periode b. Tant que le glissement xnexce`de pas xmax ( reste inferieur a` max), le reseau revient a` sa position initiale lorsquonrame`ne le cisaillement a` 0. En revanche cette position devient instable lorsque atteintmax et le plan atomique superieur retrouve une position dequilibre stable en se deplacantdun pas (figure 1.7). La contrainte max est la contrainte critique de cisaillement du cristal.Le glissement est le mecanisme dominant de la plasticite. Les glissements successifs sur lesdifferents plans, meme de tre`s faible amplitude lorsquils sont consideres separement, secumulent pour former une deformation plastique macroscopique significative. Leurs tracessont visibles a` lechelle des grains et meme a` lechelle du polycristal (figure 1.8).

    Fig. 1.7: Creation dune deformation par glissement.

    Cette representation bidimensionnelle se complique lege`rement dans le cas tridimen-

    5Il existe des echelles intermediaires que nous sautons par simplicite.

    10

  • 1.2. DIVERSITE DES MECANISMES MICROSCOPIQUES

    sionnel. Les plans le long desquels se produisent le clivage ou le glissement dependent de lastructure cristallographique du materiau considere. Pour les materiaux a` structure CFC(cubique faces centrees) ces plans sont les plans atomiques denses. Puis, dans le cas duglissement, seules des translations dans des directions particulie`res des plans de glissementlaissent le reseau globalement invariant. Dans le cas de la structure CFC representee sur lafigure 1.8a, il existe quatre plans de densite maximale analogues a` celui qui est representesur la figure (les autres sen deduisent par permutation des sommets) et, dans chaqueplan il y a trois directions de glissement laissant le reseau invariant. Il y a donc douzesyste`mes de glissement, i.e. couples (n,m) possibles pour le monocristal. Pour un mono-cristal, seules les deformations correspondant a` des combinaisons de glissements le longde ces syste`mes sont possibles. Pour un polycristal forme de grains dorientation aleatoire,il existe evidemment plus de possibilites. On remarque neanmoins que la deformation parglissement ne saccompagne daucune variation de volume que ce soit au niveau du mo-nocristal ou du polycristal. Il faudra sassurer, lors de la modelisation du comportementplastique, que les lois retenues tiennent compte de cette invariance du volume.

    m

    nm

    m

    Joints de grain

    Grain

    Trace de plansde glissement

    Fig. 1.8: Monocristal et polycristal de Cuivre. (a) Reseau cubique et trois de ses syste`mesde glissement. (b) : Traces de glissement. Noter que dans des grains dorientationdifferentes les glissements seffectuent dans des directions differentes.

    1.2.2 De la necessite des defauts....

    Que ce soit dans le cas de la rupture par clivage ou du glissement par cisaillement, leschema presente precedemment est largement idealise. En effet, il suppose que la rupturepar clivage ou le glissement plastique se produisent simultanement en tous les points dunplan atomique. Sous cette hypothe`se des estimations simples de la contrainte de clivageet de la contrainte critique de cisaillement peuvent etre obtenues. Examinons le cas ducisaillement. La contrainte de cisaillement est, en premie`re appoximation, une fonctionsinusoidale du deplacement x par rapport a` la position dequilibre (figure 1.6f) :

    ' max sin 2pixb.

    11

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    Pour x petit, la distorsion (variation dangle) entre les directions horizontale et verticaleest donnee (au premier ordre) par = x/a0. Le module de cisaillement en transformationinfinitesimale (x b) nest autre que la tangente a` la courbe (, ) a` lorigine :

    =

    =

    2pia0b

    max,

    et dans le cas dun reseau cubique (ou` a0 ' b) la contrainte critique de cisaillement et lemodule de cisaillement devraient, selon ce mode`le, etre lies par

    max ' 2pi

    .

    Or lordre de grandeur des valeurs observees experimentalement pour max est generale-ment nettement inferieur a` cette valeur, de lordre de /1000. Cest donc que lhypothe`sedu glissement en mouvement de corps rigide dun bloc sur lautre est a` remettre en ques-tion.

    Un calcul de la contrainte de clivage en tous points analogue a` celui qui vient detrefait pour la contrainte critique de cisaillement, donne une estimation de cette contraintede lordre du dixie`me du module dYoung du materiau, valeur tre`s largement superieureaux valeurs observees experimentalement. Il ny a que dans les echantillons de tre`s petitetaille que lon retrouve ces ordres de grandeur. A nouveau lhypothe`se dune separationen bloc le long dun plan atomique nest pas realiste.

    Dislocation Plan de glissement

    Fig. 1.9: Mouvement dune dislocation le long dun plan de glissement.

    Les faibles valeurs des resistances observees dans les materiaux courants comparati-vement a` ces valeurs theoriques sexpliquent par la presence de defauts. Dans les materiauxfragiles, ces defauts sont des microfissures. Dans les materiaux ductiles, ce sont des dislo-cations, cest a` dire des lacunes du reseau atomique de base (figure 1.9). Pour en revenir a`lexemple du glissement plastique sous cisaillement, le defaut (la dislocation) se propagede proche en proche jusqua` deboucher, provoquant ainsi une marche analogue a` celleque provoquerait un glissement en bloc. Mais la contrainte necessaire pour faire se propa-ger ce defaut est bien inferieure a` la contrainte quil faut pour effectuer le mouvement enbloc. Le calcul de cette nouvelle contrainte nest pas de notre propos mais on peut avoirune perception intuitive du phenome`ne par lanalogie du pli dans le tapis (figure 1.10).Deplacer un lourd tapis en bloc est difficile car il faut vaincre le frottement sur toute la

    12

  • 1.3. CRITE`RES

    base du tapis. Tandis quen creant un pli dans le tapis, puis en deplacant le pli, on met enjeu des forces nettement moins importantes puisquil suffit de vaincre le frottement sousune partie du tapis. Leffet final est le meme lorsque le pli atteint lextremite du tapis.

    Fig. 1.10: Lanalogie du pli dans le tapis explique la faible valeur de la contraintepermettant de propager une dislocation.

    Les contraintes theoriques sont observables dans des echantillons tre`s purs, en generalde tre`s petite taille, car la probabilite de trouver un defaut dans un element de volumecrot avec la taille de cet element. On observe effectivement des contraintes a` ruptureproches des valeurs theoriques dans les whiskers, qui sont des fibres de tre`s petite taille(quelques microns). Cet effet de taille explique en partie linteret croissant pour les microet nano-renforts.

    1.3 Crite`res

    Comme cela a ete vu au paragraphe precedent, le comportement des materiauxpresente plusieurs regimes (elastique, non elastique, rupture brutale...). Pour exprimerla transition dun regime a` lautre, il nous faut disposer de crite`res. Dans le cas ducomportement elastique-fragile, ce crite`re peut sexprimer aussi bien en contrainte quendeformation (ces deux grandeurs etant proportionnelles jusqua` la rupture brutale). Maisdans le cas de la plasticite, cest sur les contraintes que le crite`re doit porter.

    Le proble`me serait simple sil ne sagissait que de traiter les cas ou` letat de contrainteest uniaxial : le crite`re sexprimerait a` laide de la seule composante non nulle de . Maisen general letat de contrainte dans une structure est multiaxial, cest a` dire que les troiscontraintes principales sont non nulles (ou plus simplement, la matrice representant letenseur des contraintes dans une base fixe est pleine). Le passage dessais uniaxiaux a`des crite`res multiaxiaux ne peut se faire sans une modelisation permettant de mesurerlintensite dun etat triaxial par une quantite scalaire. Dans bien des cas cette modelisationnest pas unique et il faut avoir recours a` des essais multiaxiaux (biaxiaux ou triaxiaux)pour determiner quelle modelisation et quel crite`re conviennent le mieux pour un materiaudonne. Nous allons passer en revue quelques unes de ces modelisations, renvoyant auchapitre 4 pour une analyse plus approfondie des essais multiaxiaux.

    1.3.1 Etude locale des contraintes

    Nous supposerons le lecteur familier avec la notion de contrainte dont nous ne rap-pelons que quelques proprietes utiles.

    1.3.1.1 Vecteur contrainte

    Considerons en un point x fixe du materiau une partition du corps en 12. Levecteur contrainte T en x est la densite surfacique des efforts exerces en x par 1 sur 2.

    13

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    Le plan tangent en x a` linterface entre 2 et 1, oriente par la normale n exterieure a` 2est appele facette de normale n, et subit une densite de forces representee par le vecteurcontrainte T (mode`le de Cauchy).

    1

    2

    T

    n

    x

    T(n)

    T(n)n

    n

    n

    n

    (n)(n)

    Fig. 1.11: Vecteur contrainte

    Contrainte normale, contrainte de cisaillement. Le vecteur contrainte peut etredecompose en sa composante normale et sa composante tangentielle :

    = T .n = Tini (contrainte normale),

    = T n (contrainte tangentielle ou de cisaillement).

    est un scalaire, tandis que est un vecteur de composantes i = Ti ni.

    On obtient une interpretation parlante des efforts auxquels est soumis le plantangent en x a` linterface entre 2 et 1 en considerant simultanement les deux facettesportees par ce plan, de normales opposees (cf figure 1.11). La facette de normale n(egalement en x) subit laction de 2 sur 1, qui par le principe de laction et de lareaction, est egale a` T . On note que

    (n) = (T ).(n) = (n), (n) = (n).La contrainte normale est independante de lorientation de la normale a` la facette, tandisque la contrainte tangentielle change de signe lorsque la normale change de signe. De pluslorsque 0 la facette subit une traction, tandis que lorsque 0 la facette subit unecompression.

    1.3.1.2 Tenseur des contraintes

    En labsence de couple localise, le vecteur contrainte sur une facette de normale ndepend lineairement de cette normale par lintermediaire du tenseur des contraintes deCauchy, , tenseur symetrique dordre 2 :

    T = .n. (1.1)

    Contraintes principales. Le tenseur est symetrique. Il est donc diagonalisable dansune base orthonormee appropriee (e1, e2, e3), dite base principale de contrainte, et ses

    14

  • 1.3. CRITE`RES

    valeurs propres i sont les contraintes principales. Il est immediat de verifier que (ei)est une base principale de contrainte si et seulement si les cisaillements sur les facettesde normale ei sont nuls. Une facette principale nest donc soumise qua` une contraintepurement normale. Insistons sur le fait que le vecteur contrainte depend de la facetteconsideree et quen un meme point certaines facettes peuvent etre en traction, dautrespeuvent etre en compression, tandis que dautres peuvent etre soumises a` un cisaillement.

    Partie spherique et deviateur des contraintes. Comme tout tenseur dordre 2, letenseur des contraintes peut etre decompose en partie spherique et deviateur (cf annexe A,relation (A.5)) :

    = mi+ s, m =1

    3tr(). (1.2)

    Linterpretation de cette decomposition est simple : dans un fluide parfait le tenseur descontraintes se reduit a` sa partie hydrostatique mi. Dans un milieu continu general, lacontribution supplementaire s mesure la deviation par rapport a` cet etat hydrostatique(dou` son nom).

    Cisaillement et deviateur des contraintes. Comparons les vecteurs contraintesT (n) et T (n) associe a` un etat de contrainte et a` son deviateur s. On obtient :

    T (n) = s.n = .n mi.n = T (n) mn.Les deux vecteurs contraintes ne diffe`rent que par leur contrainte normale :

    (n) = (n) m, (n) = (n).Les cisaillements associes aux deux etats de contrainte et s sont identiques. Plus genera-lement si lon ajoute un terme de pression hydrostatique pi a` un etat de contrainte lescisaillements associes aux deux etats de contraintes sont identiques. Dit autrement, toutelinformation sur le cisaillement sur toutes les facettes de lespace est entie`rement contenuedans le deviateur des contraintes.

    1.3.2 Crite`res portant sur le vecteur contrainte

    1.3.2.1 Interface

    Considerons pour commencer le cas dun interface I de normale nI entre deuxcorps 1 et 2. Cet interface represente par exemple un collage ou une soudure. Il a une

    Interface 2

    1

    n_ I

    Fig. 1.12: Interface entre deux solides.

    15

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    resistance limitee vis a` vis de la traction ou du cisaillement (ou des deux sollicitations).Les crite`res exprimant ces limites secrivent respectivement :

    (nI) c, |(nI)| c,ou` c et c designent la resistance a` la traction et au cisaillement de linterface.

    1.3.2.2 Monocristal.

    Le cas dun monocristal avec ses plans de clivage (ou de glissement) de normale n(p),p = 1, .., P et ses syste`mes de glissement (n(k),m(k)), k = 1, ..., N , est une generalisationdu cas de linterface. La question posee est la suivante : comment exprimer dans le casdun materiau fragile la separation sur un plan de clivage, ou, dans le cas dun materiauductile, le glissement plastique le long dune direction de glissement ?

    Clivage. Le clivage se produira lorsque la traction (cest-a`-dire la contrainte normale)sur lun des plans de clivage atteindra une valeur critique (nettement inferieure a` lavaleur theorique comme cela a deja` ete remarque). Aucun etat de contrainte physiquementadmissible ne pourra donner lieu a` des contraintes normales superieures a` cette valeurcritique. En termes plus mathematiques, le crite`re de clivage secrit :

    Dans tous les cas : Supp = 1, .., P

    (n(p)) c, (1.3)

    etsi Sup

    p = 1, .., P(n(p)) < c : pas de clivage

    si p tel que (n(p)) = c : clivage sur le(s) plan(s) ou` lacontrainte critique est atteinte.

    (1.4)Glissement. Dans les materiaux ductiles, le glissement se produira lorsque la contraintede cisaillement dans une des directions de glissement possibles atteindra une valeur critique(a` nouveau nettement inferieure a` la valeur theorique). Cette contrainte de cisaillementest la projection du vecteur contrainte sur le plan de normale n(k) sur la direction m(k) :

    (k) = (.n(k)).m(k) = m(k)..n(k).

    Rappelons que n(k) et m(k) sont des vecteurs orthogonaux de sorte que (k) est bien uncisaillement. On lappelle cission reduite sur le syste`me k.

    Aucun etat de contrainte physiquement admissible ne pourra donner lieu a` descontraintes de cisaillement dans ces directions superieures a` la valeur critique du cisaille-ment. En termes plus mathematiques, le crite`re dapparition dun glissement plastiquesecrit6 :

    Dans tous les cas : Supk = 1, .., N

    (k) c, (1.5)et

    si Supp = 1, .., P

    (k) < c : pas de glissement,si k tel que (k) = c : glissement sur le plan de normale n(k)

    et dans la direction m(k) ou` lecisaillement critique est atteint.

    (1.6)6Loi de Schmid et Boas.

    16

  • 1.3. CRITE`RES

    1.3.2.3 Materiau isotrope

    Le monocristal est anisotrope en raison du role particulier joue par certains plans oucertaines directions de lespace. Les materiaux de lingenieur sont le plus souvent isotropes,cest-a`-dire quaucune direction de lespace nest privilegiee, comme dans les polycristaux(non textures) ou` les differents grains peuvent etre orientes selon toutes les directions delespace de facon equiprobable. La generalisation la plus simple des crite`res de clivageet de glissement plastique au polycristal consiste donc a` faire jouer un role equivalent a`toutes les facettes.

    Crite`re de la contrainte normale maximale. Dans le cas des materiaux fragilessujets au clivage (quils soient polycristallins ou non), le crite`re de la contrainte normalemaximale exprime que la rupture se produit lorsque la traction sur une facette depasseune valeur critique 0 independante de lorientation de la facette. La facette qui se romptest donc celle qui est soumise a` la plus grande traction, toutes facettes confondues. Lecrite`re secrit :

    Dans tous les cas : Sup|n| = 1

    (n) 0, (1.7)

    et

    si Sup|n| = 1

    (n) < 0 : pas de clivage

    si n tel que (n) = 0 : clivage sur le(s) plan(s) de normale nou` la contrainte critique est atteinte.

    (1.8)Pour un etat de contrainte donne, le crite`re ne precise pas explicitement sur quelle(s)

    facette(s) la contrainte normale est maximale.

    Pour determiner cette facette, placons nous dans la base principale de contrainte (ei)et ordonnons les contraintes principales de facon croissante 1 2 3. Les composantesde la normale n a` la facette dans la base principale de contrainte sont notees ni. Lacontrainte normale sur la facette de normale n secrit donc :

    (n) = 1n21 + 2n

    22 + 3n

    23, ou` n

    21 + n

    22 + n

    23 = 1. (1.9)

    On remarque quen general (n) 3. Mais = 3 lorsque n1 = n2 = 0, n3 = 1, de sorteque la plus grande contrainte normale est = 3.

    La contrainte normale maximale est egale a` la plus grande contrainte principale.Elle est atteinte sur la facette principale correspondante de normale e3.

    En dautres termes le crite`re de la contrainte normale maximale secrit egalement :

    3 = Sup1 i 3

    i 0.

    0 peut etre identifie sur un essai de traction simple ou` les contraintes principales sont1 = 2 = 0, 3 = . 0 est la contrainte de rupture en traction simple du materiau. Onremarque que le crite`re est necessairement atteint sur une facette principale de contrainte.

    Remarque : Il est egalement clair dapre`s (1.9) que 1 et que la valeur 1 esteffectivement atteinte lorsque n = e1. Quelle que soit la facette consideree, la contraintenormale sur cette facette reste dans lintervalle [1, 3].

    17

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    Crite`re du cisaillement maximal. Le meme raisonnement permet de proposer uncrite`re simple de glissement plastique dans les materiaux ductiles isotropes (polycristallinsou non) : il suffit de modifier le crite`re (1.6) en ne privilegiant aucune direction particulie`re.Le crite`re du cisaillement maximal, ou crite`re de Tresca, secrit :

    Dans tous les cas : Sup|n| = 1

    |(n)| k, (1.10)

    et

    si Sup|n| = 1

    |(n)| < k : pas de glissement,

    si n tel que |(n)| = k : glissement sur le plan de normale nou` le cisaillement critique est atteint.

    (1.11)Pour un etat de contrainte donne, le crite`re ne precise pas explicitement sur quelle(s)facette(s) le cisaillement maximal est atteint.

    Pour determiner cette facette, placons nous dans la base principale de contrainte(ei), les contraintes principales etant ordonnees comme precedemment selon 1 2 3.Lamplitude du cisaillement et la contrainte normale sur une facette de normale n sontlies par

    |T (n)|2 = |(n)|2 + (n)2 = 21n21 + 22n22 + 23n23.On peut re-arranger cette expression par un petit calcul algebrique qui conduit a` :

    |(n)|2 =(3 1

    2

    )2((n) 1 + 3

    2

    )2+ (2 1)(2 3)n22. (1.12)

    Les deux derniers termes du membre de droite de cette relation sont negatifs : cest evidentpour le second terme et le troisie`me terme est negatif en vertu de lordre des contraintesprincipales 1 2 3. Il en resulte que

    |(n)| 3 12

    n.

    Legalite peut etre atteinte dans cette relation a` condition dannuler les deux dernierstermes negatifs de (1.12) par un choix convenable des composantes de la normale n. Ledernier terme sannule pour n2 = 0. Quant au premier terme, compte tenu de lexpres-sion (1.9), il sannule pour :

    n1 = 2

    2, n2 = 0, n3 =

    2

    2.

    Ces choix correspondent a` deux facettes distinctes dont les normales sont les bissectricesdes angles formes par les directions e1 et e3 et le cisaillement maximal correspondantverifie |(n)| 31

    2.

    Le cisaillement maximal est egal a` la moitie de la plus grande difference entrecontraintes principales. Il est atteint sur les facettes qui ont pour normale lune des bis-sectrices des directions e1 et e3.

    18

  • 1.3. CRITE`RES

    En dautres termes le crite`re du cisaillement maximal secrit egalement :

    Sup|n| = 1

    |(n)| = 3 12

    =1

    2Sup

    1 i, j 3i j k.

    Le cisaillement critique k peut etre determine par un essai de traction simple ou` lescontraintes principales sont 1 = 2 = 0, 3 = . Le cisaillement maximal etant egal a` lamoitie du diame`tre du grand cercle de Mohr (voir section 1.3.2.4) vaut /2 dans un essaide traction simple dintensite . Le cisaillement critique est donc lie a` la limite delasticite

    0 en traction simple par : k =02.

    1.3.2.4 Representation de Mohr du vecteur contrainte

    La representation de Mohr offre une visualisation commode du vecteur contrainteagissant sur chaque facette dun element de volume.

    A letat de contrainte de chaque facette est associe un vecteur (, | |), mesurant la contrain-te normale a` la facette et lintensite du cisaillement. Le plan (, | |) est dit plan de Mohr, et cetterepresentation est appelee representation de Mohr. Lorsque la facette varie (n varie), on obtientun ensemble de points dans ce plan de Mohr decrivant lensemble des vecteurs contraintes sur lesdifferentes facettes. Les trois points representatifs des facettes principales sont necessairementsur laxe des contraintes normales , puisque le cisaillement est nul sur ces facettes et le vecteurcontrainte y est purement normal. On convient dordonner les contraintes principales par ordrecroissant : 1 2 3.

    Pour determiner les points representatifs des facettes non principales nous allons considererle cas dune facette dont la normale n est dans un plan principal, par exemple le plan (e1, e2) :

    n = cos e1 + sin e2.

    On note que le vecteur T est dans le plan (e1, e2) et peut donc se decomposer sur la base n, mou` m = sin e1 + cos e2. Les composantes et de T dans cette base sont donc

    = T .n = 1 cos2 + 2 sin2 =1 + 2

    2 2 1

    2cos(2),

    = m ou` = (2 1) sin cos = 2 12 sin(2).

    (1.13)Lexpression precedente montre que le point (, ) se trouve sur le cercle de centre

    ((1+2)/2, 0

    )et de rayon (12)/2 avec pour angle polaire pi 2 (figure 1.13). On montre ainsi que lesvecteurs contrainte correspondant a` des normales n dans les plans principaux de contraintedecrivent 3 cercles (dits cercles de Mohr). On montre par ailleurs [2] que les vecteurs contraintecorrespondant a` des normales n quelconques sont situes a` linterieur du plus grand cercle deMohr et a` lexterieur des deux autres cercles.

    Les relations (1.13) permettent detablir une propriete geometrique tre`s utile en pratique :puisque lon passe de e1 a` la normale n a` la facette par une rotation dangle dans le planphysique, la traduction geometrique de (1.13) est donc :

    Une rotation dangle de la normale dans le plan physique se traduit par une rotationdangle 2 dans le plan de Mohr7.

    7Cette rotation peut donc amener le point representatif du vecteur contrainte T (n) dans le demi-planinferieur ce qui est incompatible avec la positivite de | |, il suffit alors den prendre le symetrique parrapport a` laxe horizontal.

    19

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    e_1

    e 2

    _

    n

    m

    1 2+

    2

    2 31

    max

    Cisaillementmaximal

    max

    Contrainte normale maximale

    2

    Etat de contrainte sur lafacette de normale n

    _

    Fig. 1.13: Cercles de Mohr

    Exemple. Pour un etat de contrainte hydrostatique ( = pi), les 3 contraintes principalessont egales et les cercles representatifs de Mohr se reduisent a` un simple point situe sur laxedes contrainte normales en = p.

    Dans le plan de Mohr, la partie spherique du tenseur des contraintes est donc representeepar un point. Toute linformation sur le cisaillement est donc contenue dans le deviateur descontraintes. Les cercles de Mohr de s sont identiques a` ceux de a` une translation pre`s de mle long de laxe des contraintes normales.

    Le plan de Mohr et la propriete geometrique reliant rotation dans le plan physique etrotation dans le plan de Mohr sont utiles pour reperer rapidement des facettes particulie`res.Ainsi la facette sur laquelle la contrainte normale est maximale est la facette de normale e3.Le point representatif de la facette soumise au cisaillement maximal se trouve, dans le plan deMohr sur le cercle principal de diame`tre (1, 3) a` pi/2 de (1, 0). Dans le plan physique lanormale a` la facette en question est donc dans le plan (e1, e3) et fait un angle de pi/4 avec e1. Lafacette faisant un angle de pi/4 avec e1 est egalement soumis a` un cisaillement egal en valeurabsolue au cisaillement maximal : le point representatif de letat de contrainte sur cette facettesobtient par rotation de +pi/2 par rapport a` (1, 0), mais le module du cisaillement etant positif,se retrouve apre`s symetrie par rapport a` laxe des contraintes normales au point de cisaillementmaximal.

    On peut egalement donner une interpretation graphique simple des crite`res portant sur levecteur contrainte precedemment enonces.

    Contrainte normale maximale. Les etats de contrainte autorises par le crite`re sontrepresentes par des cercles de Mohr situes a` gauche de la droite (verticale dans le plan deMohr) dequation = 0. Tout etat de contrainte conduisant a` des cercles de Mohr coupantcette droite ne respecte pas le crite`re.

    Cisaillement maximal. Les etats de contrainte autorises par le crite`re sont representes pardes cercles de Mohr situes sous la droite (horizontale dans le plan de Mohr) = k. Tout etat decontrainte conduisant a` des cercles de Mohr coupant cette droite ne respecte pas le crite`re.

    Courbes intrinse`ques. On appelle courbe intrinse`que dun materiau isotrope, lenve-loppe des cercles de Mohr obtenus pour les etats de contrainte physiquement admissibles par lemateriau vis a` vis du phenome`ne dont on cherche a` decrire le seuil (plasticite, rupture, compor-tement visqueux....). Une courbe intrinse`que se caracterise par sa forme dans le plan de Mohr

    20

  • 1.3. CRITE`RES

    a) b) c)

    zone interdite zone interditezone interdite

    Critere atteinto

    Fig. 1.14: Representation du crite`re de la contrainte normale maximale dans le plan deMohr. Letat de contrainte est represente par les cercles de Mohr. a) : Etatde contrainte physiquement admissible, le crite`re nest pas atteint. b) Etat decontrainte non physiquement admissible. c) Etat limite : crite`re atteint.

    a) b) c)Critere atteint

    zone interdite

    zone interdite

    zone interdite

    k

    Fig. 1.15: Representation du crite`re du cisaillement maximal dans le plan de Mohr. a) :Etat de contrainte physiquement admissible. b) Etat de contrainte non physi-quement admissible. c) Etat limite : crite`re atteint.

    et par une equation :f(, ) = 0.

    Les cercles de Mohr des etats de contrainte physiquement admissibles doivent se trouver a`linterieur de la courbe intrinse`que du materiau. Les etats de contrainte physiquement admissiblesdoivent donc verifier linegalite

    Sup|n| = 1

    f((n), |(n)|) 0.

    Tous ces crite`res sont independants de la contrainte principale intermediaire 2, puisque lecontact entre les cercles de Mohr et la courbe intrinse`que se fait necessairement sur le cercle deMohr le plus exterieur comple`tement determine par 1 et 3.

    Le crite`re de la contrainte normale maximale et le crite`re du cisaillement maximal sontdeux courbes intrinse`ques particulie`res qui sont des droites respectivement verticale et horizon-tale (voir figures 1.14 et 1.15) correspondant aux fonctions f suivantes :

    Contrainte normale maximale : f(, ) = 0,

    Cisaillement maximal : f(, ) = | | k.

    Dautres courbes intrinse`ques sont dun usage courant. En mecanique des sols, le crite`re deCoulomb permet de decrire la resistance de milieux granulaires ou poreux, dont la resistanceau cisaillement augmente lorsquon augmente la pression appliquee (cest tout linteret de lacompaction). Graphiquement la courbe intrinse`que correspondante est une droite faisant un

    21

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    angle avec lhorizontale et plus ouverte du cote des compressions < 0 (figure 1.16 a` droite).Analytiquement ce crite`re sexprime par :

    | |+ tan C 0.

    C est la cohesion du materiau (resistance au cisaillement en labsence de pression), est sonangle de frottement.

    C

    Fig. 1.16: Courbe intrinse`que. Les etats de contrainte non physiquement admissibles sonthachures. A gauche : courbe intrinse`que generale. A droite : crite`re de Coulomb.

    1.3.3 Crite`res portant sur le tenseur des contraintes

    Les crite`res portant sur le vecteur contrainte necessitent le calcul de ce vecteurpour chaque facette et sont parfois un peu lourds a` mettre en oeuvre. Il est souvent pluscommode dexprimer les seuils directement en fonction du tenseur de contrainte sous laforme

    f() 0,ou` f est une fonction des composantes de dans une base prealablement choisie.

    1.3.3.1 Crite`re de von Mises

    La plupart des metaux sont essentiellement sensibles au cisaillement. Comme il a eteremarque plus haut, toute linformation sur le cisaillement est contenue dans le deviateurdes contraintes s. Il est ainsi naturel de mesurer lintensite du cisaillement pour un etattriaxial de contrainte et pour un materiau isotrope (pas de direction privilegiee) par lanorme du deviateur des contraintes. Pour des raisons pratiques la norme retenue est cellede la contrainte equivalente ou contrainte de von Mises qui sexprime par

    eq =

    (3

    2s : s

    )1/2=

    (3

    2sijsij

    )1/2. (1.14)

    Le facteur 3/2 (plutot que 1/2 retenu par certaines normes) tient au fait quen tractionsimple le tenseur des contraintes et son deviateur secrivent

    = ex ex, s = (2

    3ex ex

    1

    3ey ey

    1

    3ez ez

    ).

    La contrainte equivalente definie par (1.14) vaut || (grace au facteur de normalisation3/2). Cette contrainte equivalente permet donc de ramener un etat de contrainte

    22

  • 1.3. CRITE`RES

    triaxial a` un etat de contrainte de traction equivalent (dou` le nom) et donc recipro-quement de transformer une courbe de traction uniaxiale en loi de comportement triaxiale,moyennant une modelisation appropriee que nous aborderons au chapitre 4.

    Le crite`re de von Mises, dun usage tre`s courant pour les metaux mais egalementutilise pour quantite dautres materiaux, sexprime par

    f() = eq 0 0. (1.15)

    0 est la limite delasticite en traction simple du materiau.

    Remarques : 1. Les crite`res de Tresca et de von Mises sont tous deux insensibles a`la pression. En dautres termes, si verifie le crite`re, + pi verifie le crite`re pour toutp. En effet, pour le crite`re de Tresca on remarque que lajout dune pression ne faitque deplacer les trois cercles de Mohr le long de laxe horizontal (les trois contraintesprincipales 1, 2, 3 devenant 1 + p, 2 + p, 3 + p) ce qui naffecte pas le cisaillementmaximal (3 1)/2. En ce qui concerne le crite`re de von Mises, il suffit de remarquerque et + pi ont meme deviateur et donc meme contrainte equivalente.

    2. Les crite`res de Tresca et de von Mises sappliquent tous deux a` des materiauxisotropes, ne privilegiant aucune direction physique de lespace. En dautres termes leurexpression mathematique est invariante par changement de repe`re. Ce point est clairpour le crite`re de Tresca puisque le cisaillement maximal (3 1)/2 est defini de faconintrinse`que, independamment de tout repe`re. Pour le crite`re de von Mises on remarqueque

    : = s : s+ 32m.

    Mais m = tr()/3 et : = tr(.) sont des invariants de . Il en est donc de meme des : s et par suite de eq :

    La contrainte equivalente eq est un invariant du tenseur de contrainte .

    3. Les crite`res de Tresca et de von Mises se ressemblent (outre les points ci-dessus,ils reposent tous deux sur une mesure du cisaillement) mais leurs predictions pour desetats de contrainte triaxiaux sont differentes, comme nous lanalyserons plus en details auchapitre 5.

    1.3.3.2 Materiaux isotropes

    Beaucoup dautres crite`res exprimant la transition dun comportement a` un autre ont eteproposes pour couvrir la diversite des materiaux et de leurs comportements. Les materiaux po-reux ou les polyme`res sont par exemple sensibles a` la pression et les transitions de comportementdans ces materiaux ne peuvent sexprimer par un simple crite`re de von Mises.

    Lorsquon se limite aux materiaux isotropes, la fonction f ne depend que des 3 invariantsprincipaux de

    f(m, eq,det) 0,ou`, rappelons le :

    m =13tr(), eq =

    (32sijsij

    )1/2, det() = ijjkki.

    23

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    Par exemple, un crite`re tre`s repandu pour modeliser le comportement de metaux poreux (rendussensibles a` la pression a` cause de leur porosite) est le crite`re de Gurson

    f() =2eq20

    + 2p ch(3m20

    ) 1 p2, (1.16)

    ou` p designe ici la porosite du materiau. Pour p = 0, on retrouve le crite`re de von Mises.

    1.3.3.3 Materiaux anisotropes

    Beaucoup de materiaux sont egalement anisotropes (roches, composites, toles laminees) etdes crite`res anisotropes doivent etre utilises pour modeliser leur comportement.

    yz

    x

    Fig. 1.17: Anisotropie induite par le laminage : changement de forme des grains.

    Pour les materiaux orthotropes, cest a` dire possedant 3 plans de symetrie orthogonaux,le crite`re le plus simple est le crite`re de Hill, initialement propose pour decrire la plasticite destoles laminees. Le laminage, qui consiste a` faire passer un lopin metallique entre deux rouleaux,induit une forte anisotropie du materiau apre`s traitement : les grains sallongent dans le senslong (x), un peu moins dans le sens travers long (y), et sont raccourcis dans le sens travers court(z).

    Le crite`re de Hill secrit :

    f() =(F (yy zz)2 + G(zz xx)2 +H(xx yy)2

    )+ 2L2yz + 2M

    2zx + 2N

    2xy 1.

    (1.17)

    Les quantites 1/G+H, 1/

    F +H et 1/

    F +G sont les limites delasticite dans les direc-

    tions x (sens long ), y (sens travers long ) et z (sens travers court ) de la tole, tandisque 1/

    2L, 1/

    2M et 1/

    2N sont les limites delasticite en cisaillement entre ces differentes

    directions. Leur identification necessite des essais de traction dans les trois directions (delicatpour le sens travers court, on proce`de autrement) ainsi que des essais de cisaillement entre lesdifferentes directions.

    Nous nous sommes limites ici a` un crite`re polynomial de degre deux. Il existe bien dautrescrite`res anisotropes de degres plus eleves.

    24

  • 1.3. CRITE`RES

    Formules et resultats essentiels

    Tenseur de contrainte. Tenseur du second ordre symetrique : = T.. Diagonalisable :

    = 1e1 + 2e2 + 3e3.

    i : contraintes principales. ei directions principales de contrainte.. Decomposition en partie spherique et deviateur :

    = mi+ s, m = (1/3)Tr, Trs = 0.

    s deviateur des contraintes.

    Vecteur contrainte. Sur une facette de normale n : T (n) = .n = (n)n+ (n).. (n) : contrainte normale. (n) : cisaillement.

    Crite`re de la contrainte normale maximale (materiaux fragiles). Expression du crite`re :

    Sup|n| = 1

    (n) = Sup1 i, j 3

    i 0.

    . Crite`re atteint sur la facette principale correspondant a` la plus grande contrainteprincipale.

    Crite`re de Tresca (materiaux ductiles). Crite`re du cisaillement maximal.. Expression du crite`re :

    2 Sup|n| = 1

    |(n)| = Sup1 i, j 3

    (i j) 0.

    . Crite`re atteint sur les facettes ayant pour normales les bissectrices des directions e1et e3.

    Crite`re de von Mises (materiaux ductiles). Contrainte equivalente de von Mises (norme quadratique du cisaillement) :

    eq =

    (3

    2sijsij

    )1/2.

    . Expression du crite`re :eq 0 0.

    25

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    1.4 Exercices

    Exercice 1. Rupture dune craie en torsion. Le crite`re de la contrainte normalemaximale permet dinterpreter une petite experience de mecanique elementaire. On soumetun baton de craie a` une torsion jusqua` rupture. Si tout se passe bien, celle-ci se produitselon une helice orientee a` 450 du plan de la section droite. En se basant sur la solution duproble`me de la torsion en elasticite lineaire traite en annexe (section A.4.1), on admettraque letat de contrainte dans la craie est un etat de cisaillement entre les directions (e, ez)de la forme :

    = (r) (e ez + ez e) , (1.18)Expliquer lallure de la rupture. Sagit-il dune rupture en traction ou en cisaillement (endautres termes le materiau obeit-il en premie`re approximation au crite`re de la contraintenormale maximale ou au crite`re du cisaillement maximal ?)

    M

    o45

    Fig. 1.18: Rupture helicodale dune craie en torsion.

    Elements de reponse

    Il est facile de verifier que letat de contrainte (1.18) est statiquement admissible avec lesdonnees du proble`me (equations, dequilibre dans , bord lateral libre de contrainte, composanteaxiale de leffort nul sur les bases inferieure et superieure). En suivant lenonce, nous admettronsdonc que letat de contrainte est de la forme (1.18). Un calcul simple montre que cet etat decontrainte peut etre diagonalise dans la base u = (e + ez)/

    2, v = (e ez)/

    2 :

    = (uu vv) .

    +ez

    _

    _e

    Fig. 1.19: Etat de contrainte en torsion. A gauche : representation du vecteur contraintedans les directions e et ez. A droite : representation du vecteur contrainte dansles directions principales de contrainte.

    26

  • 1.4. EXERCICES

    Les directions principales et les contraintes principales associees sont er, associe a` la contrainteprincipale 0, et les deux directions u et v, bissectrices des directions e et ez, associees auxcontraintes principales + et . La facette le long de laquelle se produit la rupture, premie`rebissectrice des directions e et ez, est celle qui correspond a` la plus grande contrainte principale+ . Cest donc elle qui est soumise a` la traction maximale. Contrairement a` ce que laisseraitpenser une analyse hative, la rupture se produit en traction, et non en cisaillement, sur la facettesoumise a` la plus grande contrainte de traction. Le materiau constituant la craie est donc plutotde type fragile (ce qui nest pas vraiment une surprise).

    Exercice 2. Lien entre le crite`re de von Mises et le crite`re de Tresca. Le crite`rede Tresca est un crite`re de cisaillement maximal,

    sup|n|=1

    |(n)| 02, (1.19)

    et sexprime donc a` laide de la norme du Sup sur toutes les facettes (repe`rees parleur normale n).

    On se propose de montrer que le crite`re de von Mises sexprime a` laide dune norme quadratique de la contrainte de cisaillement sur les facettes en etablissant larelation suivante :

    1

    4pi

    |n|=1

    |(n)|2 ds(n) = 2152eq. (1.20)

    Lintegrale qui figure a` gauche de (1.20) est la moyenne sur toutes les facettes possibles ducarre de la contrainte de cisaillement (n). La normale n varie alors sur la sphe`re unitedont la surface est 4pi. Pour une fonction f(n) dependant de lorientation, on notera

    f = 14pi

    |n|=1

    f(n) ds(n).

    Pour etablir (1.20) on pourra proceder de la facon suivante :a) Exprimer (n) en fonction de et n. Montrer que (n) ne depend pas de m etpeut sexprimer uniquement en fonction de s et n.

    b) Etablir (1.20) en utilisant les relations suivantes

    nn = 13i, nnnn = 1

    3J +

    2

    15K, (1.21)

    ou` J et K sont les projecteurs sur, respectivement, les tenseurs dordre 2 pu-

    rement spheriques et les tenseurs symetriques dordre 2 purement deviatoriques(voir annexe A) :

    J =1

    3i i, K = I J, (1.22)

    ou` I est le tenseur dordre 4 representant lidentite entre tenseurs symetriques

    dordre 2.c) Pour etablir les relations (1.21) (sans calcul pesant) on rappelle quun tenseurisotrope dordre 2 est purement spherique, tandis quun tenseur isotrope dordre4 possedant toutes les symetries dun tenseur delasticite est de la forme =

    J + K ou` et se calculent simplement en fonction de iijj et ijij (voir

    annexe A, relations (A.8)).

    27

  • CHAPITRE 1. COMPORTEMENTS NON LINEAIRES DES MATERIAUX SOLIDES

    Elements de reponse

    a) On note tout dabord que :

    (n) = .n (n..n)n = s.n+ mn (n.s.n)n mn = s.n (n.s.n)n.Le vecteur cisaillement ne depend donc pas de la contrainte moyenne m et son calcul peut doncseffectuer sur le deviateur des contraintes. Par suite8 :

    |(n)|2 = s.n2 n.s.n2 = sijnjsiknk (nisijnj)(nkskhnh)= tr(s.(nn).s) s : (nnnn) : s.

    b) Compte tenu des relations de moyennes tensorielles et du fait que s ne depend pas de lavariable n sur laquelle lintegration est faite, on obtient :

    |(n)|2=

    13tr(s.i.s) s :

    (13J +

    215K

    ): s.

    Maistr(s.i.s) = s : s, s : J : s = 0, s : K : s = s : s,

    les deux dernie`res egalites etant obtenues grace aux definitions de J (J : s est la partie spherique

    de s qui est nulle) et K (K : s est la projection de s sur les deviateurs donc egale a` s). En

    conclusion |(n)|2

    =

    15s : s =

    215

    (eq)2.

    Le crite`re de von Mises porte sur le second moment du cisaillement|(n)|2

    1/2 2150, (1.23)

    tandis que le crite`re de Tresca porte sur le moment dordre infini du cisaillement (valeur maxi-male).

    (n) = sup|n|=1|(n)| 0

    2. (1.24)

    On peut par analogie introduire des crite`res portant sur des moments dordre quelconque ducisaillement :

    (n) p = |(n)|p1/p.

    c) Etablissement des relations de moyennes tensorielles. La moyenne nn se fait sur toutesles directions de lespace (avec le meme poids sur chacune) et donne donc un resultat isotropede la forme i. Il suffit didentifier les traces des deux tenseurs et on obtient = 1/3 (comptetenu de legalite nini = 1).

    De la meme facon, le tenseur dordre 4 nnnn est isotrope (aucune direction nestprivilegiee) et posse`de les symetries mineures et majeures des tenseurs delasticite. Il peut doncsecrire sous la forme :

    nnnn = J + K,avec (annexe A relation (A.8))

    =13nininjnj = 13 , =

    15

    (ninjninj 13nininjnj

    )=

    215.

    8Une demonstration intrinse`que est possible, mais nous avons choisi de presenter un calcul avec indices,plus sur pour ceux qui ne sont pas familiers avec les tenseurs.

    28

  • Chapitre 2Singularites de contrainte et tenacitedes materiaux

    Introduction et cadre de travail...

    Nous avons souligne dans le chapitre precedent la presence inevitable de defautsau sein de tout element de volume de matie`re etudie. Ces defauts sont essentiels pourcomprendre lordre de grandeur des limites delasticite des materiaux courants. Lorsquele materiau considere est fragile, les deformations plastiques y sont suffisamment localiseespour ne pas etre significatives a` lechelle macroscopique.

    La Mecanique lineaire de la Rupture (ou Mecanique de la Rupture Fragile) a pourobjet letude, dans le cadre de lelasticite linearisee, de leffet dun defaut de forme surles champs mecaniques regnant au voisinage de ce defaut et sur lextension eventuelle dece defaut. Plus precisement le cadre est le suivant :

    . les deformations sont suffisamment petites pour que lhypothe`se des petites per-turbations soit legitime,

    . les materiaux etudies ont un comportement elastique et lineaire (et ils seront leplus souvent homoge`nes et isotropes),

    . les transformations sont suffisamment lentes pour pouvoir se placer dans lapproxi-mation dune evolution1 quasi-statique (les termes dacceleration sont negliges).

    Dans le cadre de ces hypothe`ses, on montre que le champ de contrainte est singulier(cest a` dire infini) en pointe de fissure. Cette singularite se mesure a` laide de facteursdintensite des contraintes, permettant de definir la tenacite dun materiau, proprietematerielle mesurant laptitude dun materiau a` supporter un fort gradient de contrainte.De la notion de tenacite dun materiau decoule celle de taille critique des defauts dansune structure.

    La Mecanique lineaire de la Rupture sest beaucoup developpee dans la secondemoitie du vingtie`me sie`cle, motivee par une serie daccidents sur des structures diverses etcauses par des defauts non detectes lors de la construction : bateaux (les Liberty ships2),

    1Le terme evolution designe de facon generale tout etat physique dependant du temps.2Cargos construits par les USA entre 1939 et 1945 pour le ravitaillement des troupes alliees, construit

    en tre`s grande serie. Rupture par fatigue des premiers exemplaires fabriques, mise sur le compte dune

    29

  • CHAPITRE 2. SINGULARITES DE CONTRAINTE ET TENACITE DES MATERIAUX

    avions (notamment le Comet3), reservoirs de propulseurs (notamment les propulseurs a`poudre de la NASA) et reservoirs sous pression (de gaz notamment). Mais le domainedapplication de cette theorie ne se limite pas aux structures metalliques. Elle sappliqueegalement aux roches, aux ceramiques et aux polyme`res (dans une certaine gamme detemperature). Les echelles dapplication sont egalement tre`s diverses puisquelles vont desmicrosyste`mes (Silicium) a` la geomecanique de lecorce terrestre (creation et propagationde failles).

    2.1 Concentration de contrainte au voisinage dun defaut deforme elliptique

    Un defaut de forme dans une structure provoque une concentration de contrainte auvoisinage de ce defaut. Considerons par exemple une eprouvette plane de traction simple.En labsence de defaut, letat de contrainte au centre de leprouvette est uniaxial :

    = ey ey.

    ab

    yymaxz

    y

    x

    F

    x

    Fig. 2.1: Eprouvette trouee

    Si lon introduit en son centre un trou elliptique, de grand axe a et petit axe b, tra-versant toute leprouvette, le champ de contrainte precedent est modifie pour satisfaire lacondition de bord libre sur le bord du trou. Une constatation immediate est que la sectionde leprouvette est reduite a` lendroit du trou. La force a` transmettre dune extremite a`lautre de leprouvette etant constante, la composante de la contrainte perpendiculaire-ment a` la direction de traction va etre superieure dans la section reduite par le defaut4.On doit donc sattendre a` des contraintes locales plus elevees au voisinage du trou. Maislamplification des contraintes est en fait un phenome`ne encore plus local, non uniformedans la section droite contenant le trou.

    Dans le cadre de travail rappele en introduction (elasticite lineaire), le champ decontrainte qui re`gne dans leprouvette peut etre calcule, numeriquement en general, etanalytiquement pour un defaut de petite taille par rapport aux dimensions de leprouvette.

    fragilisation induite par le soudage.3Premier avion a` reaction destine au transport commercial de passagers, construit par De Havilland

    (Grande-Bretagne). Premier vol en 1949. Rupture par fatigue du fuselage a` proximite des hublots, en vola` haute altitude, provoquant un crash.

    4 = F/S, donc augmente si S diminue.

    30

  • 2.2. SINGULARITE DE CONTRAINTE EN FOND DENTAILLE

    Les calculs sont longs pour une cavite elliptique et nous ne les developperons pas5. Nousretiendrons du resultat de ce calcul les informations suivantes :

    Aux extremites du grand axe de leprouvette, la composante yy du tenseur descontraintes est superieure a` :

    yy(a, 0) = (1 + 2

    a

    b). (2.1)

    On montre par ailleurs que cette valeur de yy est la plus grande contrainte nor-male (n, x), parmi tous les points x de leprouvette et toutes les orientationspossibles de la normale n. Le facteur de concentration de contraintes

    R = 1 + 2(a/b),

    exprime donc la plus grande contrainte locale, qui est atteinte au voisinage dudefaut, en fonction de la contrainte qui re`gnerait dans leprouvette sans defaut.

    Pour b = a, cavite circulaire, le facteur de concentration de contrainte est egala` 3, facteur bien connu des riveteurs du sie`cle dernier. Le rivetage des struc-tures, mode dassemblage courant des structures metalliques avant linvention dela soudure6, presente en effet linconvenient dintroduire des concentrations decontrainte dont il faut tenir compte dans le dimensionnement.

    Le champ de contrainte dans leprouvette perforee nest plus uniaxial, comme lechamp a` linfini, mais multiaxial. Pour une eprouvette mince letat de contrainteest plan et les composantes xx, yy, xy sont non nulles. Dans une eprouvetteepaisse, ou pour un defaut non traversant, letat de contrainte est triaxial.

    Le facteur de concentration de contrainte est dautant plus grand que la courbureest faible. En dautres termes, a` surface egale, un defaut elliptique aplati (ellipseayant un grand axe et un petit axe tre`s differents) sera plus nocif quun troucirculaire.

    Lorsque b tend vers 0 (lellipse saplatit pour devenir une fissure), le facteur deconcentration de contrainte tend vers + ce qui traduit une singularite du champde contrainte et non plus une simple amplification de ce champ. Lanalyse de cettesingularite de contrainte fait lobjet du paragraphe suivant.

    2.2 Singularite de contrainte en fond dentaille

    Nous nous interessons maintenant au champ de contrainte au voisinage dune entailledans un corps constitue dun materiau elastique, lineaire, homoge`ne, isotrope. La forme dudomaine occupe par le corps est quelconque, mais regulie`re, a` lexception dune entaille.Ce corps est soumis a` des efforts imposes sur une partie de son bord, a` des deplacementsimposes sur la partie complementaire. Pour simplifier, les forces de volume sont supposeesnulles et le proble`me est pose en deformations planes. Lorigine des coordonnees est choisieen fond dentaille. Lentaille est symetrique par rapport a`Ox et son demi-angle douverture est compris entre pi/2 et pi (cf figure 2.2).

    5La section 2.4 propose cependant de traiter a` titre dexercice le cas dun trou de section circulaire(a = b). Le lecteur interesse par le cas general pourra consulter Maugis [15].

    6Le rivetage est toujours en usage dans certaines structures composites dont le collage est parfois tre`sdelicat.

    31

  • CHAPITRE 2. SINGULARITES DE CONTRAINTE ET TENACITE DES MATERIAUX

    On sinteresse au comportement asymptotique du champ de contrainte en fond den-taille, lorsque r tend vers 0. Le resultat principal de cette section est le suivant :

    Quel que soit le corps considere et le chargement applique, le champ de contraintesolution du proble`me delasticite lineaire pose sur un corps contenant une entaille estsingulier en fond dentaille :

    ij rfij() au voisinage de r = 0, avec < 0. (2.2)

    ne depend que de la geometrie de lentaille (il est en particulier independant de lageometrie du corps et du chargement). En revanche les fonctions fij dependent de lageometrie du corps et du chargement applique.

    r

    O

    Fig. 2.2: Eprouvette entaillee.

    Commentaires

    1. Il y a donc une difference fondamentale entre un defaut de forme regulie`re, aubord duquel les contraintes sont amplifiees mais restent finies, et une entaille anguleuseau fond de laquelle les contraintes sont infinies. On peut evidemment discuter la validitede cette singularite, puisque des contraintes infinies entranent des deformations infiniesen fond dentaille (par la loi de comportement), alors quune hypothe`se de base de notrecalcul est que les deformations sont infinitesimales. Il est vraisemblable que la prise encompte de grandes deformations et dun comportement plus realiste du materiau pourramodifier cette conclusion. En depit de cette (petite) contradiction, le resultat ci-dessussave`re en pratique fort utile comme nous le verrons dans la suite de ce chapitre.

    2. La difference de severite entre un defaut anguleux (rayon de courbure nul) etun defaut regulier (rayon de courbure fini) est illustre sur la figure 2.3. Une eprouvettecontenant deux entailles, lune semi-circulaire (a` gauche), lautre anguleuse (a` droite) estsoumise a` une traction simple.

    3. La difference entre concentration et singularite de contrainte peut etre utiliseepour supprimer la singularite de contrainte au bord dun defaut anguleux et en stopperlavancement : il suffit souvent den arrondir la pointe en y percant des trous circu-laires7. Les conges en fabrication mecanique ont egalement pour but deviter les zones a`forte courbure qui sont des lieux de concentration de contrainte.

    7Procede connu sous le nom de methode SNCF !

    32

  • 2.2. SINGULARITE DE CONTRAINTE EN FOND DENTAILLE

    Fig. 2.3: Nocivite des defauts. La pie`ce ci-dessus, contenant une entaille circulaire (a`gauche) et une entaille en V (a` droite) a ete soumise a` une traction dans ladirection horizontale. La fissure sinitie sur lentaille en V au bord de laquelle lescontraintes sont singulie`res.

    Fig. 2.4: Reduction du facteur de concentration de contrainte a` la pointe dun defaut. Adroite : defaut initial. A gauche : defaut emousse.

    Preuve de (2.2) : La demonstration qui suit repose sur le calcul de la fonction dAiry du proble`me(on trouvera a` lannexe A quelques rappels delasticite lineaire, notamment sur la resolution de proble`mesplans a` laide de la fonction dAiry).

    Afin de determiner le comportement asymptotique des contraintes au voisinage de la pointe delentaille, on cherche le developpement de la fonction dAiry du proble`me delasticite sous la forme

    (r, ) = r+2g() au voisinage de O.

    La fonction dAiry est une fonction biharmonique : = 0. Le Laplacien sexprime en coordonneespolaires par :

    =2r2

    +1r

    r

    +1r222

    . (2.3)

    En cherchant le developpement de au voisinage de r = 0 sous la forme indiquee r+2g() on obtient

    = [(+ 2)2g() + g()]r = h()r,

    puis, en posant = + 2

    () =[2h() + h()

    ]r2 =

    [g(4)() + (2 + 2)g() + 22g()

    ]r2.

    g est donc solution de lequation differentielle a` coefficients constants :

    g(4)() + (2 + 2)g() + 22g() = 0. (2.4)

    33

  • CHAPITRE 2. SINGULARITES DE CONTRAINTE ET TENACITE DES MATERIAUX

    Les solutions de (2.4) sont de la forme Aep, ou` p verifie

    p4 + (2 + 2)p2 + 22 = 0. (2.5)

    Les solutions de (2.5) sont p2 = 2 et p2 = 2, et les solutions de (2.4) secrivent doncg() = Acos() +Bsin() + Ccos() +Dsin().

    Les conditions aux limites du proble`me sont :

    r = = 0 pour = .Compte tenu des relations (A.14) entre et ,

    r = r

    (1r

    ), =

    2r2

    ,

    les conditions aux limites secrivent

    g() = g() = 0 pour = ,i.e

    cos() sin() cos() sin()

    cos() sin() cos() sin()sin() cos() sin() cos()sin() cos() sin() cos()

    A

    B

    C

    D

    =

    0

    0

    0

    0

    .En faisant la somme et la difference des lignes 1 et 2 dune part, 3 et 4 dautre part, ce syste`me 4 4peut etre reduit a` deux syste`mes 2 2 :(

    cos() cos()

    sin() sin()

    )(A

    C

    )=

    (0

    0

    ),

    (sin() sin()

    cos() cos()

    )(B

    D

    )=

    (0

    0

    ). (2.6)

    Lexistence dune solution non nulle a` lun de ces syste`mes lineaires nest possible que si le determinantdu syste`me considere est nul. Lannulation du determinant du premier syste`me secrit8 :

    0 = cos()sin() sin()cos()

    =(+ )

    2[cos()sin() sin()cos()]

    +( )

    2[sin()cos() + cos()sin()]

    = (+ 1)sin(2) sin(2(+ 1))Lexposant est donc solution de :

    sin(2(+ 1)) = (+ 1)sin(2),ou encore

    sin(2(+ 1))2(+ 1)

    = sin(2)2

    . (2.7)

    Lexistence dune solution non nulle pour le second syste`me de (2.6) conduit a` lequation suivante :

    sin(2(+ 1))2(+ 1)

    =sin(2)2

    . (2.8)

    Compte tenu des relations entre les composantes du tenseur des contraintes et la fonction dAiry , lescontraintes varient comme r au voisinage de r = 0. Le champ de contrainte sera donc singulier en fonddentaille si < 0. Dautre part, lenergie elastique du syste`me doit rester finie : 2 r2 quinest integrable dans R2 que lorsque > 1. En resume, on recherche solution de (2.7) et/ou (2.8)

    34

  • 2.3. SINGULARITE DE CONTRAINTE A` LA POINTE DUNE FISSURE PLANE.

    sin(22

    )

    x

    sin(x)x

    pi pi x

    sin(x)x

    2)sin(2

    Fig. 2.5: Resolution graphique des equations (2.7) (a` gauche) et (2.8) (a` droite).

    en se limitant aux valeurs superieures a` 1. La plus petite solution donnera le terme dominant dans ledeveloppement et seules les solutions negatives donneront lieu a` des contraintes singulie`res. La resolutiondes equations (2.7) (2.8) se fait graphiquement (cf figure 2.5) en posant x = 2( + 1). On cherche laplus petite racine positive des equations sin(x)/x = sin(2)/2.

    Pour pi2 < pi (correspondant a` une entaille), sin(2) est negatif et la premie`re solution positivex = 2(+ 1) de lequation (2.7) est inferieure a` pi ce qui correspond a` une valeur de dans lintervalle] 1, 0[, donc a` une singularite des contraintes. Nous pouvons deja` affirmer que :

    les contraintes au voisinage de la pointe de lentaille sont singulie`res.

    La solution de lequation (2.8) est superieure a` pi, ce qui correspond a` une valeur positive de qui nentrane pas de singularite, sauf lorsque = pi. Ce cas necessite une etude particulie`re menee auparagraphe suivant.

    Les constantes A,B,C,D ne sont pas determinees par cette analyse. Elles sont determinees par lecomportement de la fonction dAiry en dehors du voisinage du fond dentaille. Elles dependent donc dela geometrie du corps et du chargement applique.

    Le raisonnement ci-dessus montre quen cherchant des singularites algebriques aux equations delelasticite dans les domaines polygonaux, on en trouve effectivement. En revanche il netablit pas queles seules singularites sont algebriques (elles pourraient etre logarithmiques ou dune autre nature). Ceresultat est neanmoins exact, mais plus difficile a` demontrer. On en trouvera la preuve dans Grisvard [13]ainsi quune etude comple`te du comportement des solutions de lelasticite dans les domaines polygonaux.

    2.3 Singularite de contrainte a` la pointe dune fissure plane.

    2.3.1 Modes plans

    Une fissure plane est un cas particulier dentaille correspondant a` un demi-angledouverture = pi. Dans ce cas sin(2) = 0 et les deux equations (2.7) et (2.8) ont lememe ensemble de solutions. La plus petite solution > 1 est alors

    = 1/2.Nous avons donc etabli le resultat suivant :

    Le champ de contrainte est singulier en fond de fissure (au voisinage du point O) :

    ij fij()r

    au voisinage de r = 0. (2.9)

    8le calcul qui suit tient compte de legalite = + 2

    35

  • CHAPITRE 2. SINGULARITES DE CONTRAINTE ET TENACITE DES MATERIAUX

    ou` les fonctions fij dependent de la geometrie du corps considere et du chargement ap-plique.

    r

    ij

    y

    x

    r

    Fig. 2.6: Singularites des contraintes en pointe de fissure.

    Preuve de (2.9) : = 1/2 est solution des equations (2.7) et (2.8). En revenant alors ausyste`me (2.6), on verifie sans difficulte que les coefficients A,B,C et D sont lies par C = 3Aet B = D. Le developpement asymptotique au voisinage de r = 0 de la fonction dAiry duproble`me delasticite pose sur un corps contenant une fissure secrit alors, independamment dela forme du reste du corps et du chargement applique :

    (r, ) = r3/2[Acos

    (32

    )+ 3Acos

    (

    2

    )+Bsin

    (32

    )+Bsin

    (

    2

    )].

    On en deduit par les relations (A.14) les expressions asymptotiques des differentes composantesdes contraintes :

    rr KI42pir

    [5cos

    (

    2

    ) cos

    (32

    )]+

    KII

    42pir

    [5sin

    (

    2

    )+ 3sin

    (32

    )],

    KI42pir

    [3cos

    (

    2

    )+ cos

    (32

    )]+

    KII

    42pir

    [3sin

    (

    2

    ) 3sin

    (32

    )],

    r KI42pir

    [sin(

    2

    )+ sin

    (32

    )]+

    KII

    42pir

    [cos(

    2

    )+ 3cos

    (32

    )],

    (2.10)

    ou` on a pose KI = 3A2pi et KII = B

    2pi. Par application de la loi de comportement on en

    deduit les composantes de puis par integration les composantes de . Le resultat final secrit :

    r KI4

    r

    2pi

    [(5 8)cos

    (

    2

    ) cos

    (32

    )]+KII4

    r

    2pi

    [(5 + 8)sin

    (

    2

    )+ 3sin

    (32

    )],

    KI4

    r

    2pi

    [(7 + 8)sin

    (

    2

    )+ sin

    (32

    )]+KII4

    r

    2pi

    [(7 + 8)cos

    (

    2

    )+ 3cos

    (32

    )].

    (2.11)

    Commentaires.

    1. Les expressions (2.10) montrent que les contraintes en pointe de fissure sont desmultiples de fonction universelles multipliees par des coefficients KI et KII. Ces coeffi-cients, et eux seuls, dependent de la geometrie de la pie`ce et du chargement applique.

    36

  • 2.3. SINGULARITE DE CONTRAINTE A` LA POINTE DUNE FISSURE PLANE.

    2. KI et KII mesurent la severite de la singularite en pointe de fissure. On les appellefacteurs dintensite des contraintes en mode I et mode II respectivement.

    3. La discontinuite de deplacement sur les le`vres de la fissure se deduit de (2.11) :

    [[]] = (r,+pi) (r,pi) 4(1 )KII

    r

    2piex +

    4(1 )KI

    r

    2piey. (2.12)

    En mode I pur (KI 6= 0, KII = 0), la discontinuite de deplacement portee par ey estpurement normale au plan de la fissure. Le mode I est le mode douverture de la fissure.

    En mode II pur (KI = 0, KII 6= 0), la discontinuite de deplacement portee par exest paralle`le a` la fissure dans son plan. Le mode II est le mode de cisaillement plan de lafissure. Ces deux modes sont representes sur la figure 2.7.

    Mode I Mode II Mode III

    x

    y

    z

    Fig. 2.7: Les trois modes de rupture

    2.3.2 Mode anti-plan

    Le calcul ci-dessus mene en elasticite plane peut egalement etre mene en elasticiteanti-plane (voir lannexe A pour des rappels sur lelasticite anti-plane et lexercice 2 de lasection 2.4 pour letablissement detaille de la solution). Le resultat est alors de la memeteneur que pour les modes I et II (singularite des contraintes en r1/2) et le comportementasymptotique des champs de contrainte et de deplacement est :

    rz KIII2pir

    sin

    (

    2

    ),

    z KIII2pir

    cos

    (

    2

    ),

    z 2KIII

    r

    2pisin

    (

    2

    ).

    (2.13)

    Commentaire : La discontinuite du deplacement est paralle`le au plan de la fissure,mais hors du plan du domaine etudie. Le mode III est le mode de cisaillement anti-plande la fissure (cf figure 2.7).

    37

  • CHAPITRE 2. SINGULARITES DE CONTRAINTE ET TENACITE DES MATERIAUX

    2.3.3 Fissures tridimensionnelles

    Une fissure tridimensionnelle est une coupure F de forme quelconque au sein dumilieu deformable. Cette coupure posse`de en realite deux faces physiques bien distinctesF+ et F, appelees le`vres de la fissure, qui se confondent avec F lorsque la fissure estfermee mais qui sen distinguent de`s que la fissure souvre (cf figure 2.8).

    n n n

    F

    F

    F

    F

    +

    +

    F+

    F

    Fig. 2.8: Geometrie dune fissure tridimensionnelle. Avant ouverture (en haut a` gauche)et apre`s ouverture (en haut a` droite). Zoom local permettant de redresser lefront de fissure (en bas).

    Puisque nous travaillons dans la configuration initiale (H.P.P.), louverture de lafissure se traduit par une discontinuite du champ de deplacements a` la traversee de F ,notee

    [[(x)]] = +(x) (x).La composante normale de cette discontinuite [[]].n est louverture de la fissure, exprimantla separation des le`vres F+ et F (la normale n choisie ici est la normale sortante surF : n = n = n+). Une condition unilaterale portant sur cette composante exprimeque les le`vres de la fissure ne peuvent que secarter (et non sinterpenetrer). De plus,leffort exerce par une le`vre de la fissure sur lautre ne peut etre quune compression et,localement, la fissure est libre de contrainte lorsquelle est ouverte :

    en tout point x de F : [[(x)]].n(x) 0, (x) = ij(x)nj(x)ni(x) 0,avec de plus :

    T (x) = (x).n(x) = 0 si [[(x)]].n(x) > 0 (ouverture de la fissure).

    (2.14)Si o