Ecrivains, muses, maisons,un inventaire

par Blanche Grinbaum-SalgasConservateur du patrimoineConseiller pour les muses la DRAC d'Ile-de-France

En 1992, la Direction des Muses de

France (DMF) avait souhait s'asso-c i e r La fureur de lire Conserva-teur du muse Bossuet de Meaux,ville-vch de Seine-et-Marne situe cinquante kilomtres l'est de Paris,j'avais t sollicite par le service com-munication de la DMF pour raliser unecarte des muses et maisons d'crivains.Ayant la charge d'un muse associ lalittrature, j'avais accept d'imaginerconjuguer tentative d'inventaire et cra-

tion graphique afin d'aboutir l'ditiond'un objet nouveau.

Arme du Cabanne1e t du Poisson 2installe au cur des archives de l'Ins-pection Gnrale des Muse, je dus, entrois semaines, avec l'aide des conserva-

1. Guide des Muses de France/Pierre Cabanne.-Bordas, 1990.2. Guide des maisons d'hommes clbreSiGeorgesPoisson. -Paris, Pierre Horay, 1991.

teurs de ce service, rassembler, ordonneret classer des donnes qu'il tait indis-pensable de confirmer.

Il m'tait apparu en effet que les guidesqui dcrivaient muses et maisons se limi-taient trs souvent transcrire des infor-mations devenues parfois obsoltes. Envisiteur potentiel que j'tais, j'interrogeaitlphoniquement et anonymement deprfrence le personnel d'accueil et

obtins des rponses non destines lapromotion touristique.

Ce travail m'a permis de constater quel'vocation d'un crivain et de son uvretait servie par une simple vitrine avecquelques objets, qu'il tait voqu dansune ou plusieurs salles, que nous tionsface une maison natale ou un lieu desjour ne conservant aucune trace du lit-trateur. J'avais galement tent de distin-guer les muses contrls par la DMF caractre strictement monographique, lesmuses contrls dont une partie signifi-cative des collections tait en rapportavec un crivain ou un mouvement litt-raire, les muses non contrls propritsde l'tat, de collectivits locales ou d'as-sociations, les maisons prives ouvertesau public.

La tche tait complexe car l'ordonnancedu 13 juillet 1945 qui rgit encore aujour-d'hui la vie des muses franais (dansl'attente d'une loi sur les muses.) pr-voit une procdure d'agrment parsimple dclaration (Titre II, Art. 6). LaDMF n'ayant pas toujours t en mesure,nous le savons aujourd'hui, d'instruirevritablement les demandes des munici-palits ou des associations on recense1 070 muses contrls dont certains ne conservent q u e fort peu d'objets.

Depuis 1982, le conseil artistique desmuses de France examine les fondsconstitutifs des muses qui souhaitentobtenir le statut de muse contrl. Cetteinstance se runit chaque mois (11 san-ces par an) pour valider les projets d'ac-quisition titre onreux ou gratuit desmuses classs et contrls. Elle met unavis sur la qualit et le cot des acquisi-tions projetes. L'avis favorable de ceconseil est indispensable pour accderaux subventions des Fonds Rgionauxd'Acquisition pour les Muses.

Ainsi depuis le dbut des annes quatre-vingt, le conseil artistique des muses deFrance a instruit favorablement les dos-siers des muses Svign Grignan(1990), Colette Saint-Sauveur-en-Puisaye(1990), Saint-John Perse Pointe--Pitre(1988), Mallarm Vulaines (1987).59 muses classs ou contrls sontconcerns par la littrature (musesmonographiques ou muses conservantdes fonds littraires). Depuis 1982, 17 deces muses ont soumis des projets d'ac-quisitions au conseil artistique (dont11 muses monographiques). Nous savons

que parfois les dbats y furent vifs, car sile monde des muses ne rechigne pas accumuler des reliques ftichistes liesaux grands personnages de notre histoire(tabatire ayant appartenu au Duc deMaine, carrosses et souliers divers...), unftichisme identique li la littraturen'est pas encore vritablement admis.Cependant les Fonds Rgionaux d'Acqui-sition pour les Muses (FRAM) ont permisdes acquisitions prestigieuses (manuscritdu Sonnet des voyelles Charleville-Mzires, cadavres exquis Saint-Denis[Paul luard], ditions rares de Rousseau Montmorency...) forant ainsi la tradi-tion des muses de France.

Toutefois, rares sont les muses qui, sou-haitant chapper au seul ftichisme del'objet ou du manuscrit, lient leurs activi-ts la recherche universitaire en colla-borant avec des thoriciens de lalittrature.

Je voudrais maintenant revenir Meauxet l'imposture que constitue la dnomi-nation Muse Bossuet . Que trouve aupalais piscopal le visiteur qui souhaiteretrouver les traces de l'vque-crivain ?Un muse des Beaux-Arts enrichi rguli-rement grce aux dons d'Annie et deJean-Pierre Changeux. Il y trouve gale-ment une petite salle, simple salle demuse donnant sur un jardin dans ce quift la bibliothque de Bossuet o sontrassembls une copie (d'atelier) du por-trait du prlat par Rigaud, une chemineorne d'un portrait en pied d'Henrietted'Angleterre, ainsi que deux autres por-traits de Bossuet par Rigaud et Mignard.

L e Muse Bossuet e s t donc tout simple-ment un muse municipal o sont vo-ques, fort succinctement, les seizeannes o Bossuet vcut Meaux. Lesmanuscrits et les livres sont conservs labibliothque municipale. Courteline,ancien lve du collge de Meaux, avaitun temps laiss la trace de son passagegrce une table de malade d'hpital enformica (marron) et un buste en terrecuite. Avaient t oublis Girodias quiavait si bien voqu les maisons de tol-rance de cette cit et Genet qui avaitsjourn la maison d'arrt.

L'vocation au muse de Saint-Malo, deChateaubriand, pourrait tre dcrite d'unemanire presque identique et tout aussidcevante.

Aujourd'hui, je voudrais marquer nou-veau le manque cruel d'une vritablerflexion sur l'crivain dans l'univers desmuses littraires. Manque non pas li aupoids, dans les annes soixante-soixante-dix, du structuralisme, de Blanchot ou deTel Quel imposant l a mort de l'auteur,mais la tradition associative qui a sou-vent t l'origine de la cration de cesmuses et l'absence, en France, d'unepratique musale de la littrature telle quenous la connaissons en Pologne ou enRussie, pays o identit nationale et litt-rature sont intimement lies.

Pour terminer, je voudrais vous faire par-tager la lecture d'un extrait du Sade, Four-rier, Loyola de Barthes (1971) : Le plaisir du texte comporte aussi unretour amical de l'auteur. L'auteur quirevient n'est certes pas celui qui a tidentifi par nos institutions (histoire etenseignement de la littrature, de laphilosophie, discours de l'glise) ; ce n'estmme pas le hros d'une biographie. L'au-teur qui vient de son texte et va dans notrevie n'a pas d'unit; il est un simple plurielde charmes, le lieu de quelques dtailstnus, source cependant de vives lueursromanesques, un chant discontinud'amabilits, en quoi nous lisons la mortplus srement que dans l'pope d'un des-t in; ce n'est pas une personne (civile,morale), c'est un corps L..]

Car s'il faut que par une dialectiqueretorse il y ait dans le Texte, destructeur detout sujet, un sujet aimer, ce sujet est dis-pers, un peu comme les cendres que l'onjette au vent aprs la mort [...] si j'taiscrivain et mort, comme j'aimerais quema vie se rduisit, par les soins d'un bio-graphe amical et dsinvolte, quelquesdtails, quelques gots, quelquesinflexions, disons: des biographmes,dont la distinction et la mobilit pour-raient voyager hors de tout destin et venirtoucher la faon des atomes picuriens,quelque corps futur, promis la mmedispersion. Et conseiller tous la lecture des Rglesde l'art de Pierre Bourdieu.

Je voudrais enfin remercier l'ABF pourcette journe qui permet pour la premirefois aux professionnels des bibliothqueset des muses en charge des collectionspubliques de dialoguer et surtout d'envi-sager une collaboration rgulire et fruc-tueuse.

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