Dr. Ralf Bockmann, Institut Archéologique Allemand...
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Dr. Ralf Bockmann, Institut Archéologique Allemand, Division de Rome, Italie
Eurolog Symposium à Tunis 2012
Les Vandales et la culture de l'Afrique - Emprises mutuelles, développements
indépendants et conséquences universelles1.
Les années 429 et 439 marquaient le début d’une nouvelle époque dans l’Afrique du Nord de
l’Antiquité tardive. En 429, les Vandales débarquèrent en Afrique, en 439 ils conquirent
Carthage, la principale ville d’Afrique du Nord et une des plus grandes métropoles du monde
méditerranéen antique. Carthage devient la capitale d’un nouveau royaume indépendant.
La majeure partie des provinces romaines en Afrique passe pendant près de 100 ans sous
domination vandale jusqu’à ce qu’une invasion byzantine sonne le glas du royaume vandale
en 533 et que Gélimer, le dernier roi vandale, capitule en 534 et défile parmi les prisonniers
dans le cortège triomphal à travers Byzance.
Dans ma communication je souhaite traiter une série de questions ayant trait à cette époque.
Dans le titre je fais référence à un ouvrage fondamental de la recherche sur l’Afrique du Nord
à l’époque vandale. En 1955, Christian Courtois a publié « Les Vandales et l’Afrique », un
livre dans lequel il a mis en question certaines idées antérieurement admises sur le caractère
du royaume vandale en Afrique du Nord et où il a surtout relevé les continuités entre l’époque
romaine tardive et l’époque vandale2. Pendant longtemps, l’époque du règne vandale en
Afrique du Nord a été jugée de façon particulièrement partiale. Les travaux se fondaient
essentiellement sur des sources historiques provenant des adversaires des Vandales. Il n’est
donc guère étonnant que l’époque vandale ait été considérée au mieux comme une période de
stagnation et de déclin et au pire comme une période cruelle de persécution des catholiques.
L’Historia persecutionis Africanae provonciae sub Geiserico et Hunerico regibus
vandalorum de Victor de Vita est la principale source qui a largement conditionné la façon de
considérer cette époque3. Victor de Vita, clerc et auteur, écrivait à Carthage vers la fin ou peu
après le règne du roi vandale Hunéric (477 – 484) dont il critiquait sévèrement la politique
1 Ce texte est une version abrégée de ma communication présentée à Tunis dans le cadre du colloque Eurolog. Je
remercie les organisateurs, notamment les collègues du Badische Landesmuseum de Karlsruhe de m’avoir invité
à présenter cette communication et de m’avoir donné la possibilité de la publier ici. Je tiens à remercier
particulièrement les traducteurs pour leur travail au cours du colloque et pour la traduction de la présente
publication. 2 Christian Courtois, Les Vandales et l'Afrique (Paris: Arts et Métiers Graphiques, 1955)
3 Edition actuelle comprenant un commentaire détaillé: Victor de Vita, Histoire de la persécution vandale en
Afrique. La passion des sept martyrs. Registre des provinces et cités d'Afrique. Textes établis, traduits et
commentés par Serge Lancel (Paris: Les Belles Lettres, 2002)
2
anticatholique. Victor de Vita a joué un rôle déterminant dans l’apparition du terme
« vandalisme » dans le contexte de la révolution française. En France, son œuvre Historia
persecutionis était déjà lue au moyen âge. Il y avait en outre un nombre important de légendes
de martyrs provenant de monastères ou d’évêchés qui mentionnaient une razzia menée en 406
par les Vandales et qui ont été rééditées avec d’autres textes religieux notamment au 17ème
et
18ème
siècle. Dans ce climat, la première utilisation connue du terme « vandalisme » apparaît
en 1794 dans un rapport de l’évêque de Blois qui utilise ce mot pour décrire les destructions
visant l’idéal de la révolution bourgeoise qui étaient selon lui l’œuvre de groupes manipulés
par des forces extérieures4.
Depuis cette époque, l’image qu’on avait de l’Afrique vandale a profondément changé et il
s’est avéré clairement que l’époque vandale n’a rien à voir avec l’acception moderne du
terme « vandalisme ». Au cours des dernières décennies, de nouvelles fouilles et datations
mais également le changement de paradigme préparé par Courtois ont permis d’examiner
l’époque vandale sous un angle nouveau5. L’exposition « Le royaume vandale en Afrique du
Nord », organisée par le Badische Landesmuseum à Karlsruhe, en est un témoignage
impressionnant. Elle a présenté un éventail très vaste de la culture matérielle d’Afrique du
Nord au 5ème
et 6ème
siècle. Cette prise en compte de domaines très divers a permis de mettre
clairement en évidence une grande continuité6.
Comme l’indique déjà le titre de ma communication, la question du développement culturel
de l’Afrique du Nord à l’époque vandale peut, à mon avis, être examinée sous trois angles
différents : celui de l’emprise mutuelle, celui du développement indépendant et celui de la
question des conséquences. En l’occurrence, il faut tenir compte de deux points essentiels.
D’une part, il faudrait éviter, le plus possible, de penser en dichotomies trop tranchées. Les
recherches menées au cours des dernières années ont montré clairement que la société en
Afrique du Nord à l’époque vandale n’était pas divisée, selon un schéma noir/ blanc, en
Romains d’un côté et Vandales de l’autre. Dans la pratique, il n’aurait presque jamais été
possible d’opérer une séparation nette entre ces groupes. D’autre part, il faut tenir compte de
4 Roland Steinacher, 'Slawen, die Vandalen heißen. Der Vandalenname im Mittelalter und früher Neuzeit',
Vernissage, 11.9 (2003), 60-66 (p. 63) 5 L’état actuel de la recherche est présenté en détail par Andrew H. Merrills et Richard Miles, The Vandals
(Chichester: Wiley-Blackwell, 2010; voir aussi Ralf Bockmann, Capital continuous. A Study of Governance and
Society in Vandal Carthage and Central North Africa from an Archaeological Perspective (Wiesbaden:
Reichert, en préparation) 6 Das Königreich der Vandalen, Badisches Landesmuseum Karlsruhe, Catalogue de l’exposition (Mainz: Philipp
von Zabern, 2009)
3
la composante temporelle. L’époque vandale en Afrique du Nord n’est nullement un bloc
statique et immuable au cours duquel aucune évolution n’a eu lieu, bien au contraire. Le
royaume vandale et ses élites ont connu de profondes mutations entre l’établissement du
royaume et sa fin et ils étaient étroitement impliqués dans la vie économique et la politique
de l’ensemble du bassin méditerranéen. Ensuite il faut souligner que lorsque nous essayons de
dégager les différences et les points communs nous le faisons dans le contexte plus large
d’une culture romaine tardive – ce qui ressortait de façon impressionnante dans l’exposition
de Karlsruhe et ce qui sera également mis en évidence dans le présent texte.
Ce constat revêt une importance capitale compte tenu du fait qu’il semblait admis, pendant
des décennies, qu’il devait être possible de reconnaître sans équivoque les « Vandales » dans
un contexte archéologique. Aujourd’hui nous pouvons affirmer avec certitude que cette
hypothèse est infondée. La question de « l’origine germanique » de certaines trouvailles a
surtout été discutée en rapport avec des objets provenant de sépultures. La plus célèbre des
trouvailles funéraires est sans doute celle de Carthage Koudiat-Zâteur. Découverte en 1915,
elle a récemment encore été, à nouveau, l’objet de discussions intenses7. Il est évident que les
objets découverts dans cette sépulture, entre autres deux grandes fibules à arc à décor
cloisonné, une petite fibule en or, une boucle de ceinture richement décorée et des bijoux, ne
peuvent être attribués à une culture vandale « originelle » existant en dehors de l’Afrique du
Nord mais qu’ils sont de toute évidence des produits méditerranéens8. La datation des objets
vers le milieu du 5ème
siècle et le fait que l’inhumation des morts parés de vêtements
somptueux n’était pas courante en Afrique du Nord permettent toutefois d’établir un lien avec
un nouveau groupe social, « les Vandales ». Les trouvailles de ce type sont à placer dans le
contexte d’une société en pleine mutation dans laquelle les nouveaux membres de la classe
dirigeante exhibent leur statut social9. Etant donné le nombre limité de sépultures de ce type –
on en dénombre huit au total – on ne peut pas vraiment parler d’une influence « vandale »
mais plutôt de cas isolés de sépultures atypiques qui remontent surtout au début du règne
vandale. Nous savons très peu sur les origines des « Vandales »10
. Il semble aujourd’hui
7 Christoph Eger, 'Vandalische Grabfunde aus Karthago', Germania, 79 (2001), 347-390 (p. 349-370), Philipp
von Rummel, Habitus barbarus (Ergänzungsband 55 zum Lexikon der Germanischen Altertumskunde,
Berlin/New York: De Gruyter, 2007), p. 270-323 8 Fig.: Das Königreich der Vandalen, p. 350; Christoph Eger, ' Vandalisches Trachtzubehör? Zu Herkunft,
Verbreitung und Kontext ausgewählter Fibeltypen in Nordafrika', in Das Reich der Vandalen und seine (Vor-
)Geschichten, édité par Guido M. Berndt et Roland Steinacher (Wien: Verlag der Österreichischen Akademie der
Wissenschaften, 2008), 183-195 (p. 191); von Rummel, Habitus barbarus, p. 305 9 von Rummel, Habitus barbarus, p. 383-385
10 Voir Walter Pohl, 'The Vandals: Fragments of a Narrative', in Vandals, Romans and Berbers. New
perspectives on late antique North Africa, édité par Andrew H. Merrills (Aldershot: Ashgate, 2004), 31-47
4
établi qu’une identité en tant que groupe ne se soit construite que relativement tard,
probablement même après leur arrivée en Afrique du Nord alors que nous pouvons retracer
l’histoire des dirigeants politiques du royaume vandale en Afrique du Nord, la famille royale
des Hasding, jusqu’en Espagne où celle-ci occupait déjà la même fonction et d’où les
« Vandales » se sont embarqués en tant que groupe hétéroclite pour l’Afrique du Nord11
.
Nous sommes de toute évidence face à un groupe qui s’est imposé, dans des constellations
diverses, comme puissance militaire avec à sa tête une famille régnante qui avait fait ses
preuves en prenant le commandement lors de conflits armés. En d’autres termes : il s’agit
d’un des nombreux groupes qui s’étaient régulièrement aussi mis au service de Rome et qui
connaissaient, depuis des générations, parfaitement bien la culture romaine. Les commandants
de ces groupes ne se distinguaient guère des magistri militum du 4ème
et 5ème
siècle qui
occupaient la fonction officielle de commandants des armées impériales composées en grande
partie de troupes de mercenaires spécialisées. On peut donc affirmer que ces groupes faisaient
partie de l’empire et du monde romains longtemps avant d’établir leur souveraineté sur les
territoires conquis.
Il n’est donc guère surprenant que la culture matérielle de cette époque soit également une
culture matérielle universelle que nous retrouvons sous une forme similaire dans tout le bassin
méditerranéen. C’est ce que confirment également de nombreuses mosaïques datant de cette
époque12
. Auparavant on voulait voir dans certaines de ces représentations du 5ème
et 6ème
siècle la représentation de Vandales. L’exemple le plus célèbre est certainement la mosaïque
de Carthage Borj Jedid représentant une scène de chasse conservée aujourd’hui au British
Museum à Londres13
. La coiffure du chevalier qui portait les cheveux plus longs et ses
vêtements, notamment le pantalon, étaient considérés comme pouvant être des attributs
« vandales ». Ils correspondent toutefois aux modèles répandus dans l’Antiquité tardive dans
des scènes représentant la chasse et l’armée bien qu’ayant initialement été attribués aux
« barbares ». La mosaïque de chasse illustre à quel point les idéaux de l’aristocratie romaine
ont également marqué la culture de la représentation en Afrique du Nord à l’époque vandale.
11
Sur le thème de la formation d’une identité de groupe au cours de l’histoire des Vandales voir : Guido M.
Berndt, Konflikt und Anpassung. Studien zu Migration und Ethnogenese der Vandalen (Husum: Matthiesen
Verlag, Historische Studien 489, 2007) 12
Résumé entre autres sur des datations plus récentes Aicha Ben Abed, 'L'Afrique au Ve siècle à l'époque
vandale : nouvelles données de l'archéologie', in Carthage, l'histoire, sa trace et son écho (Catalogue de
l’exposition à Paris, 1995), 308-315 et spécialement sur Carthage Aicha Ben Abed et Noël Duval, 'Carthage, la
capitale du royaume et les villes de Tunisie à l'époque vandale', in Sedes regiae (ann. 400-800), édité par Gisela
Ripoll et Josep M. Gurt (Barcelona: Reail Acadèmia de Bones Lletres, 2000), 163-218 (p. 178-9) 13
Fig. dans Das Königreich der Vandalen, p. 237
5
Les deux exemples cités montrent que toute tentative de chercher une culture matérielle
authentiquement « vandale » en Afrique du Nord est vouée à l’échec – à ce niveau il ne faut
donc pas s’attendre à de quelconques influences. Mais qu’en est-il à d’autres niveaux ?
L’établissement du règne vandale à Carthage s’est traduit par une transformation des rapports
de propriété dans les provinces centrales d’Afrique du Nord. Nous savons par Victor de Vita
et Procope que de nombreux domaines ruraux ont été expropriés et attribués, sous forme de
domaines héréditaires exempts d’impôts, aux membres de l’armée vandale, alors que la
famille royale s’est réservée des propriétés foncières dans les provinces voisines de Numidie
et de Byzacène14
. Ces mesures ont, semble-t-il, servi à rétribuer les troupes et à assurer la
subsistance de la cour. On parle de nombreux réfugiés nord-africains arrivés vers le milieu du
5ème
siècle en Méditerranée orientale et nous avons en outre les lois du Code théodosien qui
tentent de dédommager les personnes des provinces de l’Afrique proconsulaire, de Numidie et
de Byzacène, qui ont été expropriées, par des propriétés en Mauritanie15
. Le début du règne
vandale fut donc marqué par une importante redistribution des propriétés foncières en Afrique
du Nord qui ne peut toutefois pas être saisie archéologiquement. Pour d’autres activités
royales nous disposons cependant aussi de traces matérielles. Peu de temps après
l’établissement du pouvoir vandale, on commençait à frapper des monnaies et à introduire un
nouveau système de datation basé sur les années de règne des rois respectifs qui est attesté
jusqu’à nous jours dans une série d’inscriptions16
.
Les pièces de monnaie vandales et les inscriptions portant des datations par années de règne
constituent des influences manifestes nées de l’établissement de la cour royale vandale.
14
Victor de Vita, Histoire de la persécution, I, 13 ; Procopius with an English Translation by H. B. Dewing.
History of the Wars: Books III and IV: The Vandalic War I and II (London: Heinemann, 1916), I, V, 11-14 15
Yves Modéran, 'L‘établissement territorial des Vandales en Afrique', Antiquité Tardive 10 (2002), 87-122 (p.
100-108) 16
Résumé sur le système monétaire vandale : Guido M. Berndt et Roland Steinacher, 'Die Münzprägung im
vandalenzeitlichen Nordafrika - Ein Sonderweg?', dans Altertum und Mittelmeerraum: Die antike Welt diesseits
und jenseits der Levante. Festschrift für Peter W. Haider zum 60. Geburtstag, édité par R. Rollinger et B.
Truschnegg (Stuttgart: Franz Steiner Verlag, 2006), 599-622; une série d’inscriptions funéraires avec datation
par année de règne vandale est discutée par Courtois, Les Vandales et l'Afrique, app. II, n° 54, 96, 98, 103, 104,
106; voir aussi les datations sur la base d’inscriptions de l’église de Henchir el-Gousset, F. Béjaoui, 'Une église
d`époque vandale à Henchir el-Gousset (Région de Thelepte, Tunisie)', Africa 13 (1995), 101-122 (Inscription
planche VII); deux groupes de documents provenant d’Algérie qui se situent dans le contexte des domaines
ruraux sont également datés par année de règne vandale, à savoir les « Tablettes Albertini » et les « ostraka de
Bir Trouch », cf. Christian Courtois et al., Tablettes Albertini: Actes Privé de l`époque vandale (fin du Ve siècle)
(Paris: Arts et Métiers Graphiques, 1952); Jonathan P. Conant, 'Literacy and Private Documentation in Vandal
North Africa: The Case of the Albertini Tablets', dans Vandals, Romans and Berbers. New perspectives on Late
Antique North Africa, édité par A. H. Merrills (Aldershot: Ashgate, 2004), 199-224; J.-P. Bonnal et P.-A.
Février, 'Ostraka de la région de Bir Trouch', Bulletin de l'Archéologie Algérienne 2 (1966-67), 239-249
6
Essayons, à partir de l’exemple de Carthage, de déterminer les contextes archéologiques,
notamment les vestiges de constructions, pouvant être datés au 5ème
et 6ème
siècle et de les
comparer aux informations provenant des sources écrites. Carthage avait été le siège de
l’administration provinciale romaine avec 400 fonctionnaires impériaux, d’importantes
archives et un appareil juridique jouissant d’une grande notoriété. Le proconsul d’Afrique
résidait dans un somptueux palais à Carthage, protégé par une cohorte urbaine. Etant les
nouveaux maîtres de l’Afrique du Nord, les rois vandales avaient eux aussi besoin de locaux
luxueux pour promulguer les lois, accueillir des messagers et se mettre en scène. Certains
textes recueillis dans l’Anthologie latine en témoignent. L’Anthologie latine est un recueil de
textes littéraires compilé vers la fin du règne vandale à Carthage qui comprend, à part une
vaste collection de textes classiques, les œuvres d’un certain nombre d’auteurs ayant écrit
pendant le règne vandale, notamment au début du 6ème
siècle17
. Deux poèmes de l’Anthologie
latine décrivent les salles d’audience, notamment celles du roi Hildéric, qui recevait ses
invités et ses visiteurs à Anclas, un faubourg de Carthage, dans une salle décorée de fresques
et au sol dallé de marbre18
. Thrasamund a lui aussi implanté son centre de représentation dans
un faubourg, à Alianas, où il a fait édifier une église mais surtout des thermes décrits dans
cinq poèmes de l’Anthologie latine19
. Malheureusement ni Alianas ni Anclas n’ont pu être
identifiés à ce jour. Il semble toutefois que ces deux localités se situaient en dehors du centre
de la ville antique ce qui montre que les rois vandales sont à l’origine d’un changement
important en déplaçant leurs résidences et leurs projets de construction du centre vers la
périphérie de la ville. A Carthage même on a tenté d’identifier des constructions de l’antiquité
tardive, situées sur la colline de Byrsa, avec une partie du palais royal vandale, plus
exactement la basilique du palais20
. Il s’agit d’un édifice de forme rectangulaire divisé en trois
nefs avec une abside qui comprend d’autres pièces d’apparat attenantes. Bien que le plan
laisse supposer une vocation religieuse de l’édifice, il est tout aussi possible qu’il s’agissait
d’une salle de réception séculière qui de plus n’avait peut-être pas obligatoirement un rapport
avec la maison royale vandale. L’identification sûre de tels contextes archéologiques avec
des édifices connus à travers des sources écrites est difficile en l’absence d’inscriptions ou
d’autres découvertes évidentes au niveau de l’édifice.
17
Anthologia Latina sive Poesis Latinae, édité par A. Riese, 2 vol. (Leipzig: Teubner, 1894); M. Chalon et al.,
'Memorabile factum: Une célébration de l’évergétisme des rois vandales dans l’Anthologie Latine', Antiquités
africaines 21 (1985), 207-262; Richard Miles, 'The Anthologia Latina and the creation of secular space in
Vandal Carthage', Antiquité Tardive 13 (2005), 305-320 18
Anthologia Latina (ed. Riese, 1894), n° 203 et 215 19
Anthologia Latina (ed. Riese, 1894), n° 210-214, voir aussi n° 376 20
Liliane Ennabli, Carthage, une métropole chrétienne du IVe à la fin du VIIe siècle (Paris: CNRS, 1997), p. 40
et p. 87
7
Les contextes archéologiques démontrent, sans conteste, l’existence d’un fort besoin de
prestige à Carthage au 5ème
et 6ème
siècle (l’exemple de la colline de Byrsa en fait partie),
surtout au niveau des demeures citadines appartenant à des particuliers. Au cours de l’époque
vandale certaines résidences privées à Carthage ont connu d’importants travaux d’extension.
Le « Parc des villas romaines » abrite les exemples les plus impressionnants. La « Maison de
la rotonde », dotée à la fin du 5ème
siècle d’une plus grande salle de réception, d’un péristyle et
d’une rotonde avec abside, et la « Maison du cryptoportique » dont les salles de réception ont
également été considérablement agrandies à la fin du 5ème
siècle méritent surtout d’être
mentionnées21
.
Vue sur la « maison de la rotonde » avec au premier
plan la rotonde restaurée datant du 5ème
siècle
(Cliché : auteur)
« Maison du Cryptoportique » et vue sur le « Parc des
villas romaines » à Carthage (Cliché : auteur)
Le « Parc des Thermes d'Antonin », un site voisin, a connu des évolutions similaires. Vers le
milieu du 5ème
siècle la « Maison du triconque », située dans ce parc archéologique, a été
dotée d’une salle de forme triconque décorée de mosaïques qui font allusion au luxe des
festins offerts par le propriétaire de la maison22
.
Le renforcement des structures de représentation est une caractéristique typique de la cour
vandale à Carthage. Ceci n’est d’ailleurs guère étonnant puisque Carthage n’était plus la
21
C. Balmelle et al., 'Recherches franco-tunisiennes sur la colline de l’Odéon à Carthage en 1991-1993', dans
L’Afrique du Nord antique et médiévale (VIe Colloque, Pau 1993), II: Productions et exportations africaines.
Actualités archéologiques, édité par P. Trousset (Éditions du CTHS, 1994), 421-439 (p. 433-35); CTEMA
(Tunis) & CNRS (Paris), 'Recherches sur les pavements de la "Maison du Cryptoportique" à Carthage', dans
Actes du IVe colloque international sur l’histoire et l’archéologie de l’Afrique du Nord, Strasbourg 1988, I:
Carthage et son territoire (Paris: CTHS, 1990), 157-173 (p. 160-161) 22
A. Ben Abed et al., Corpus des mosaïques de Tunisie IV, Karthago (Carthage) I. Les mosaïques du Parc
Archéologique des Thermes d’Antonin (Tunis: Institut National du Patrimoine, 1999), p. 60 (Cliché Mosaïque n°
101, Pl. LXXIX)
8
simple capitale administrative d’une province, si importante fut-elle, mais la capitale d’un
royaume souverain. A part les rois eux-mêmes, les membres de la famille royale faisaient eux
aussi construire des édifices ce dont témoigne la découverte d’une inscription de dédicace qui
commémore la construction de thermes par Gebamund, « regalo origo » (de sang royal)23
. En
même temps de nombreux édifices publics de la Carthage classique, construits et entretenus
entre le 2ème
et le 4ème
siècle, étaient déjà tombés en délabrement et ne furent plus entretenus
au 5ème
siècle. Pourtant des louanges sont adressées aux rois vandales célébrés comme
bienfaiteurs de Carthage, une ville associée très clairement à la famille royale au début du 6ème
siècle24
.
Même en dehors de Carthage nous trouvons des traces de la présence des membres de l’élite
vandale d’Afrique du Nord. Le temple-église de Thuburbo Majus abrite la sépulture d’un
certain Arifridos. Il était inhumé dans la nef latérale et son tombeau était recouvert d’une
épitaphe en mosaïque qui mentionne son nom25
. A l’instar de la sépulture découverte à
Carthage Koudiat-Zâteur, Arifridos avait été inhumé vêtu d’habits somptueux dont les fibules
et les boucles de chaussures ont permis d’indiquer une datation au 5ème
siècle26
. Dans le
narthex de cette église une deuxième sépulture fastueuse renfermant un corps inhumé avec
des vêtements non moins luxueux a été mise à jour27
. Dans les deux cas, cette forme de
sépulture n’est pas typique pour l’Afrique du Nord. Elle se trouve toutefois assez
fréquemment au Nord-Est du bassin méditerranéen et dans le Sud de l’Europe dans le
contexte de la représentation militaire dans la région frontalière entre l’empire romain et le
monde barbare ce qui permet de présumer que ces sépultures sont à classer dans le contexte
vandale, qu’elles représentent des membres de la classe aisée du royaume vandale. Cette
hypothèse est étayée par le nom d’« Arifridos » dont tout porte à croire qu’il est d’origine
vandale ou du moins qu’il n’est pas d’origine romano-africaine. Thuburbo Majus est située
dans la province d’Afrique proconsulaire à proximité de Carthage et fait de ce fait partie du
territoire des sortes Wandalorum qui fut réservé, peu de temps après l’établissement du
royaume vandale, pour les membres de l’armée vandale. On peut donc supposer qu’Arifridos
23
Fig.: Das Königreich der Vandalen, p. 227 24
Anthologia Latina (ed. Riese, 1894), n° 376; pour plus de détails sur Carthage à l’époque vandale, les activités
des rois et les rapports qu’ils entretiennent voir Bockmann, Capital continuous, chap. 2 25
Clichés de la mosaïque et des objets dans Das Königreich der Vandalen, p. 363 26
La sépulture et les objets trouvés sont discutés en détail par von Rummel, Habitus barbarus, p. 337-342 27
La trouvaille est décrite par A. Merlin, 'Découvertes à Thuburbo Majus', Comptes rendu de l'Académie des
Inscriptions et Belles Lettres (1912), 347-360
9
avait été un officier vandale qui s’est fait inhumer à l’église de Thuburbo Majus, une des
principales cités de la région.
La classe aisée d’Haïdra, l’antique Ammaedara, présente une mixité similaire. Cette ville se
situait également en Afrique proconsulaire à quelques miles du point final du grand axe
routier traversant toute la province pour relier Carthage à Théveste, une cité située à
l’intérieur du pays, à proximité des frontières avec les provinces de Numidie et de Byzacène.
Cette route assurait le transport d’une importante partie des matières premières provenant des
grands domaines ruraux de l’intérieur de l’Afrique du Nord et constituait une voie de
communication majeure. L’importance stratégique particulière d’Ammaedara s’illustre non
seulement par le fait que la troisième légion y fut stationnée au 1er
siècle ap. J.-C. mais
également par la citadelle byzantine qui est de nos jours encore le monument le plus imposant
de la ville antique. Un certain nombre d’églises a été identifié à Ammaedara. Les inscriptions
découvertes dans une de ces églises témoignent
de l’existence de sépultures de plusieurs
membres de la même famille, les Astii, dont les
inscriptions funéraires étaient datées en années
de règne vandale ce qui a valu le nom de
« chapelle vandale » à cet édifice religieux28
.
Les Astii ont, semble-t-il, été enterrés pendant
au moins deux générations dans cette église.
Les épitaphes funéraires mentionnant les titres
« flamen perpetuus » et « sacerdotalis », initialement utilisés pour le culte impérial, attestent
qu’il s’agissait de membres honorables et illustres de la communauté locale.
Restons à Ammaedara pour étudier un autre domaine dans lequel le règne vandale avait
exercé une influence ou apporté un changement : la religion. La dynastie vandale a favorisé,
dès le début, la confession arienne – l’aristocratie vandale était apparemment déjà adepte de
l’arianisme à son arrivée en Afrique où elle est venue accompagnée de son clergé arien29
. Il
faut noter que le choix du terme « arien » est regrettable car cette appellation a été utilisée par
28
N. Duval, 'Les églises d'Haïdra (églises dites de Melléus et de Candidus et "chapelle Vandale"), Recherches
franco-tunisiennes de 1969', Comptes rendu de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres (1969), 409-436; N.
Duval, 'Les inscriptions de la "chapelle vandale" à Haïdra d'après l'abbé Delapard', Bulletin de la Société
Nationale des Antiquaires de France (1969), 99-120; N. Duval et F. Prévot, Les inscriptions chrétiennes.
Recherches archéologiques à Haïdra I (Rome: Collection de l'École Française de Rome 18 (2), 1975), 243-48 29
Au sujet du conflit au sein de l’église voir : Yves Modéran, 'Une guerre de religion: les deux églises d'Afrique
à l'époque vandale', Antiquité Tardive 11 (2003), 21-44
La « chapelle vandale », basilique IV à Haïdra
(Cliché : Auteur)
10
les détracteurs de cette confession et fait allusion à Arius qui avait été à l’origine du conflit au
sein de l’Eglise mais dont la position doctrinale n’était plus considérée comme importante au
5ème
siècle par aucun des partis. Dès les premiers temps de leur règne, les rois vandales ont
édicté une série de lois garantissant un statut propre et fort à l’église vandale en Afrique en lui
attribuant un grand nombre d’églises du courant catholique-nicéen – y compris leurs biens –
par voie de confiscation et en accordant une priorité exclusive à l’église vandale arienne
notamment en rapport avec la cour royale30
. Dans la pratique et au fil du temps les
communautés se sont mélangées et les textes de cette époque attestent aussi bien l’existence
de Vandales « catholiques » que celle de Romano-africains « ariens »31
. Le gouvernement
royal a toutefois tenté d’évincer l’église catholique par des lois et en exerçant l’autorité de
l’Etat notamment en Afrique proconsulaire où se trouvaient les domaines ruraux de l’armée
vandale32
.
A la lumière de cet arrière-plan historique, le contexte archéologique qu’offre la basilique I
d’Haïdra est particulièrement intéressant. Nous y trouvons le nom d’un évêque vandale dans
une inscription funéraire. Le mot « vandalorum » a été rajouté ultérieurement au formulaire
initial « Victorinus episcopus in pace » identifiant de ce fait Victorinus incontestablement
comme étant un évêque arien. Cet ajout devait probablement permettre d’éviter toute
confusion avec l’évêque « catholique » Melleus qui fut enterré ultérieurement dans un autre
endroit de la même église. La basilique I d’Haïdra, située au cœur de la ville, avait trois nefs
et une longueur totale d’un peu plus de 40 mètres. Elle était dotée d’un atrium. Au 5ème
et 6ème
siècle elle comptait sans conteste parmi les principaux édifices publics de la ville. Il semble
que la grande basilique d’Haïdra avait servi pendant un certain temps à l’église vandale.
L’évêque Victorinus qui porte un nom latin a été enterré dans un emplacement honorable à
l’entrée de l’église dans un enclos réservé. L’évêque Melleus qui officiait à l’époque
byzantine à Haïdra et qui, semble-t-il, dirigeait à cette époque à nouveau une communauté
catholique nicéenne a procédé au transfert de reliques de Saint Cyprien dans la ville et à leur
30
Victor de Vita, Histoire de la persécution, I, 9, 15, 23-24, 29 et II, 23 31
Cette problématique est par ex. discutée par A. Schwarcz, 'Religion und ethnische Identität im Vandalenreich.
Überlegungen zur Religionspolitik der vandalischen Könige', dans Das Reich der Vandalen und seine (Vor-
)Geschichten, édité par G. M. Berndt et R. Steinacher (Wien: Verlag der Österreichischen Akademie der
Wissenschaften, 2008), 227-231 et D. Shanzer, 'Intentions and Audiences: History, Hagiography, Martyrdom,
and Confession in Victor of Vita's Historia Persecutionis', dans Vandals, Romans and Berbers. New perspectives
on Late Antique North Africa, édité par A. M. Merrills (Aldershot: Ashgate, 2004) 271-290, voir aussi J. H. W.
G. Liebeschuetz, 'Gens into Regnum: The Vandals', dans Regna and Gentes. The Relationship between Late
Antique and Early Medieval Peoples and Kingdoms in the Transformation of the Roman World, édité par H. W.
Goetz, J. Jarnut et W. Pohl (The Transformation of the Roman World 13, Boston/Leiden: Brill, 2003) 55-83 (p.
82-83) 32
Victor de Vita, Histoire de la persécution, II, 39 et III, 8-9
11
déposition sous l’autel et du côté de l’entrée33
. La sépulture de Victorinus qui s’y trouvait était
restée intacte mais l’emplacement fut protégé par une nouvelle enceinte au centre de laquelle
se trouvaient les reliques. En dépit du respect témoigné à l’évêque vandale, on a voulu
souligner, par l’adjonction des attributs « vandalorum » et « unitatis » sur les inscriptions
funéraires des deux évêques, qu’ils avaient servi des églises différentes mais dans le même
édifice.
Haïdra, basilique I, vue de l’abside vers l’entrée ; à
l’avant-plan les restes de la base de l’autel, en arrière-
plan les piliers de l’atrium (Cliché : auteur)
L’inscription funéraire de Victorinus à l’entrée de la
basilique I difficilement lisible aujourd’hui (Cliché :
auteur)
Quelles conclusions pouvons-nous tirer des exemples mentionnés sur l’Afrique du Nord
vandale en ce qui concerne les emprises mutuelles, les différences et leurs conséquences ?
Premièrement, il est impossible d’identifier les « Vandales » au moyen de vestiges matériels,
tels que des éléments vestimentaires particuliers dans les trouvailles funéraires. Nous avons
vu qu’une telle identification n’est possible que si nous disposons du contexte qui nous est
fourni par des sources écrites ou par les inscriptions mêmes. Les évêques vandales pouvaient
manifestement porter des noms latins, à l’instar de Victorinus. Il se peut même que Victorinus
n’ait eu aucun ancêtre parmi les Vandales « authentiques » arrivés en Afrique du Nord après
429. Les Vandales possédaient des domaines ruraux lorsqu’ils servaient dans l’armée, peut-
être comme Arifridos que nous avons rencontré à Thuburbo Majus. Ce statut social signifiait
que leurs revenus et parfois aussi les privilèges dont ils bénéficiaient s’ils appartenaient en
même temps à l’église vandale permettaient de les identifier comme membres des classes
aisées. La culture de ces élites mélangées restait toutefois toujours la culture de l’aristocratie
romaine tardive ce qu’attestent les résidences avec leurs mosaïques et les poèmes de
l’Anthologie latine.
Les conséquences universelles de l’établissement du règne vandale en Afrique du Nord qui se
sont répercutées au-delà des frontières de l’Afrique du Nord sont nées du bouleversement de
33
Duval et Prévot, Les inscriptions chrétiennes, p. 20-24
12
la situation politique survenu suite à la constitution d’un royaume autonome. Nous avons vu
au début de cet article que les activités des rois vandales ont considérablement modifié les
rapports de propriété en Afrique du Nord en ce qui concerne les biens de l’Etat, les biens
privés et ceux de l’église. Pour l’Empire romain occidental la perte du contrôle de l’Afrique
du Nord signifiait en même temps la douloureuse perte des livraisons subventionnées de
céréales et d’huile destinées surtout à l’Italie dans le cadre du système annonaire et par
conséquent des problèmes au niveau du budget de l’Etat et de l’approvisionnement en
produits alimentaires34
.
Un sujet fondamental aux conséquences majeures mais qui est loin d’avoir été traité de façon
exhaustive est celui des rapports entre l’Etat vandale et les groupes ou Etats autochtones en
Afrique du Nord, auxquels les Romains donnaient le nom de « Maures »35
. Je pense que ces
rapports sont une de clés qui permettent de comprendre l’évolution qu’ont connue les époques
postérieures. Tandis que l’Afrique du Nord à l’époque romaine tardive avait été défendue
comme étant une partie de l’ensemble de l’espace méditerranéen avec des troupes stationnées
le long des frontières et une armée mobile quoique peu nombreuse, la conception de
l’intégrité de l’Afrique du Nord romaine avait changée à l’époque vandale. La concentration
des Vandales dans le centre de l’Afrique du Nord romaine et dans un certain nombre de villes
ayant une importance stratégique majeure avait ouvert des espaces qui ont pu être investis par
les Etats autochtones en gestation. En dépit de la continuité culturelle observée en Afrique du
Nord à l’époque vandale, les évolutions majeures intervenues au niveau politique ont eu un
impact déterminant sur les siècles à venir36
.
Traduction : Susanne Friedrich
34
Merrills & Miles, The Vandals, p. 148-49 35
Yves Modéran, Les Maures et l`Afrique Romaine (IV-VIe siècle) (Rome: École Française de Rome, 2003) a
présenté une œuvre fondamentale sur ce thème, de nombreux aspects méritent toutefois une attention accrue
notamment dans la discussion ayant trait à l’époque vandale 36
Ce point et d’autres qui n’ont pu être abordés que très brièvement dans cette communication sont discutés en
détail dans Bockmann, Capital continuous