DOSSIER PEDAGOGIQUE L’EFFRAYANTE FORET...

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- 1 - DOSSIER PEDAGOGIQUE L’EFFRAYANTE FORET JUSTE DEVANT NOUS De Cendre Chassanne & Jérémie Fabre Par la Compagnie Barbès35

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DOSSIER PEDAGOGIQUE

L’EFFRAYANTE FORET

JUSTE DEVANT NOUS

De Cendre Chassanne & Jérémie Fabre

Par la Compagnie Barbès35

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« Savoir qui on est dans la vie ça prend un temps fou. »

Quel spectacle pour quel public ?

Entrer dans le spectacle par le titre

Se souvenir du Conte de Perrault : « Le Petit Poucet »

Entrer dans le spectacle par le jeu

A) Improviser des situations clefs: B) Improviser sur le théâtre social C) Jouer la mise en abyme Sur le sens de la pièce

A) Réfléchir à la violence du conte B) Interroger notre société moderne C) Réfléchir aux inégalités sociales

Explorer la réécriture

A) Réécriture fantaisiste du cannibalisme du Petit Poucet B) Corpus

Après le spectacle

En guise de conclusion

Bibliographie

Interview de Cendre Chassane

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QUEL SPECTACLE POUR QUEL PUBLIC ?

Bien qu’elle soit une réécriture du Petit Poucet, la pièce que propose la Compagnie Barbès

35 n’a rien d’un spectacle pour enfants, et le professeur ne pourra en proposer le spectacle qu’à

des adolescents – à partir de la fin du collège donc.

Les lycéens de la voie générale et technologique abordent en Première la mise en scène,

le texte en représentation : le texte de Cendre Chassanne & Jérémie Fabre a été pensé comme un

matériau pour la scène ; qui évolue lors des répétitions, jusqu’à la création. L’objet d’étude

« Réécritures » en Première littéraire semble également tout indiqué : en partant des contes de

Perrault, reflets de la société du XVIIème, du style et des goûts de l’époque, on aboutit

facilement à leur universalité. L’étude de L’effrayante forêt Juste devant nous illustre toutes les formes de

réécriture : adaptation, pastiche, modernisation, parodie, … On peut élargir l’étude et adopter

une approche comparatiste en y associant, au XVIIIème siècle, les Mille et une nuits traduites à par

Antoine Galland, et au XIXème, les Contes de Grimm, qui collectent les traditions orales de l’Europe

du Nord. Au lycée professionnel, la classe de Seconde s’intéresse aux « Parcours de

personnages ». La Terminale s’interroge sur « l’homme et son rapport au monde à travers la

littérature et les autres arts au XXème siècle », et travaille plus généralement sur « la parole en

spectacle ». Autant d’entrées possibles pour L’effrayante forêt. Enfin, le professeur qui a en

charge des élèves de 3ème peut intégrer cette pièce dans le thème du programme : « Théâtre :

continuité et renouvellement », puisque le texte de Cendre Chassanne & Jérémie Fabre permet

d’aborder la notion de « tragique contemporain », et répond à l’invitation à travailler « en

tenant compte de la collaboration entre les auteurs dramatiques et les metteurs en scène ».

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ENTRER DANS LE SPECTACLE PAR LE TITRE

L’effrayante forêt Juste devant nous est un titre à la fois mystérieux et explicite.

On peut lister avec les élèves toutes les images et connotations qui leur viennent à

l’esprit.

Le lecteur/spectateur est associé au personnage par le truchement du pronom « nous ». Ce qui

est « effrayant » pour le héros le devient pour le spectateur, mais aussi pour le citoyen, le sujet,

selon qu’on se place d’un point de vue social, politique, philosophique, ou simplement

humain... Ce qui fait peur est « devant nous » : la menace est-elle en train de s’approcher, de

gagner de l’espace, de contaminer le lieu protecteur ? Pouvons-nous la faire reculer, la

dominer ? « Devant nous » suggère aussi que nous en sommes spectateurs, mais pas acteurs :

elle est dangereuse pour les autres, ceux qui sont concernés. La thématique de l’exclusion

apparaît donc implicitement.

La « forêt » est le lieu de toutes les rencontres et expériences, mais aussi celui de tous les

dangers. Avec le château, elle est le topos des contes – le héros étant souvent chassé du château

pour se retrouver dans la forêt. Le cocon protecteur, le foyer, la chaleur et la sécurité de la

maison de l’enfance trouvent leur exacte antithèse dans le lieu appelé forêt, forcément effrayant.

On peut demander aux élèves de répertorier toutes les histoires et les contes qui se

déroulent dans la forêt : on voit très vite qu’elle est le passage obligé de la quête, de l’épreuve

dont le héros sort vainqueur. Poucet, Peau-d’Ane, Blanche-Neige, Robin des Bois… Mais c’est

aussi le lieu de l’errance, de l’échec, car c’est un lieu de non droit. Le Chaperon rouge n’en sort

que pour mieux être croqué, à l’image de l’agneau chez La Fontaine, que le loup emporte « au

fond des forêts » pour cacher la honte de son forfait. On peut aborder aussi la lecture

psychanalytique des contes de fée proposée par Bruno Bettelheim (1976) : la forêt représentant

les pulsions, les aspects inquiétants de notre âme, l’inconscient.

L’importance de la forêt dans le titre peut nous amener à réfléchir en classe au décor

possible pour la rendre présente sur scène. On peut faire dessiner, créer des maquettes, mais

aussi chercher ce qui peut symboliquement, métaphoriquement « faire » forêt dans le monde

d’aujourd’hui.

On peut aussi réfléchir au sens du titre du conte originel. Puisque « poucet » est déjà en

soi un diminutif, formant donc pléonasme, on peut se demander quelles autres significations ce

titre peut apporter au conte. On pourrait le comprendre aussi comme le petit poussait : le conte

se lit alors comme l’histoire d’un enfant, le dernier, le plus jeune et le plus vulnérable, qui

grandit et cherche à trouver sa place en écartant les forces qui le destinent à une mort horrible,

le condamnent à la faim, l’obligent à subir la cruauté de parents indignes. Il est celui qui

repousse les limites et les obstacles, celui qui grandit en force et en sagesse. C’est bien ce que

donne à voir le spectacle de L’effrayante forêt.

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SE SOUVENIR DU CONTE DE PERRAULT : « LE PETIT POUCET »

Partir de ce que les élèves savent du conte :

leur demander cinq mots caractéristiques de

cette histoire. Devraient immanquablement

apparaître : la faim, l’abandon, la forêt, la

terreur, les petits cailloux, l’ogre, les bottes

de sept lieues… Leur soumettre ensuite ces

deux citations de Poucet tirées de la pièce et

leur proposer de réagir :

Poucet. C’est des conneries tout ça. Je ne

suis jamais retourné chez mes parents, je

n’ai jamais semé le moindre petit caillou. Il

n’y a pas de Petit Poucet ! […]

Papa, maman, vous n’existez pas, vous

n’avez jamais existé ! Je me casse. Je vais

semer des pavés sur les pares- brise. Je

marquerai mon chemin en brûlant des

bagnoles.

Les élèves sont alors confrontés aux particularités du spectacle : une réécriture moderne,

certes, mais surtout une interrogation systématique des éléments du conte. Qui serait le Petit

Poucet aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait son identité ? Et cette interrogation va jusqu’à l’identité

de genre, puisque le héros du conte se revendique libre de pouvoir être une héroïne en

s’exclamant : « ne vous inquiétez pas, je vais très bien, c’est formidable de pouvoir choisir ! » !

Autre marque de l’écriture de Cendre Chassanne & Jérémie Fabre : une écriture kaléidoscopique,

puisque, à la manière d’un jeu vidéo, le petit Poucet a plusieurs vies, et nous cheminons avec ses

différents avatars, ainsi que ceux de sa famille.

Après cette découverte, ou après le spectacle, on peut proposer aux élèves de formuler,

pour chaque conte connu de tous, le nœud, ce qui fait la célébrité du conte. Faire écrire ensuite

un paragraphe commençant par « C’est des conneries tout ça. » Introduire obligatoirement « je

n’ai jamais… » et la variante : ce que le héros a fait à la place, qui s’inscrit dans une thématique

d’aujourd’hui.

Les textes produits pourront être lus ou joués devant la classe.

ENTRER DANS LE SPECTACLE PAR LE JEU

Improviser des situations avant d’être confrontés au texte permet aux élèves d’entrer

dans la pièce en gardant ouvertes de nombreuses perspectives. Après avoir regardé plusieurs

propositions, on donne le texte de la pièce, on le commente ou on le joue en essayant de

réutiliser des émotions, des intonations, des gestes et déplacements qui ont été trouvés

naturellement dans l’improvisation.

On peut également faire jouer les situations, mais ne pas donner le texte après, et

annoncer aux élèves que cette situation se trouve dans la pièce. Le défi consiste alors à

reconnaître cette situation qui aura été explorée sous plusieurs angles, et à en commenter après

coup les choix de mise en scène faits par la Compagnie.

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A) IMPROVISER DES SITUATIONS-CLEFS

Situation 1

AAAA est très occupé. BBBB vient lui annoncer une nouvelle d’importance. Variante : CCCC demande à AAAA et à BBBB de jouer la situation précédente, telle qu’ils l’ont vécue autrefois, à savoir : AAAA est très occupé. BBBB vient lui annoncer une nouvelle d’importance. L’annonce de la grossesseL’annonce de la grossesseL’annonce de la grossesseL’annonce de la grossesse :::: Poucet. Le soleil froid du mois d’octobre lardait ses derniers rayons du matin, ton estomac gargouillait violemment, tu avais l’haleine métallique, tu n’étais pas vraiment satisfait des performances de la MS 261. Maman tu arrives du fond et tu t’exclames. Maman. « Je suis enceinte ! » Papa. J’arrête de tronçonner, je remonte mon pantalon trop grand en toussant ma nicotine. Poucet. Tu regardes à peine maman et tu lui dis « Pousse-toi ! ». Papa. « Pousse-toi ! ». Maman. Quand il est énervé, il me parle comme il parle à son chien. Papa. « Je t’avais bien dit, je te l’avais dit ! Quand on veut n’en faire qu’à sa tête, ça finit par arriver ! »

Poucet. Comme d’habitude dans ce genre de moments-là, il ne te regarde pas dans les yeux, et quelque chose en lui s’arrache à la normalité pour se jeter dans la violence et l’hystérie. Maman. Au travail, tu subissais une pression considérable, et l’achat de la tronçonneuse t’avait occasionné de nouveaux frais. Arbre après arbre, tu dégageais un passage à ta soif de reconnaissance, tu ouvrais une clairière pour ta colère. Je t’ai retenu par la taille, par les jambes, je rampais à tes pieds, je te parlais de notre amour, de notre beau projet d’amour. Je t’ai dit « remplis-moi la bouche de tes baisers ! », et toi, tu remplissais le réservoir de ta tronçonneuse avec du gazole trafiqué.

Ballade en forêt/Tentative de reconstitution (scène 8)

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Situation 2

AAAA cherche désespérément qqch. BBBB lui rappelle que d’un commun accord, ils se sont

séparés de cette chose. Papa. Qu’est-ce que tu fais, là ? Maman. Je cherche les clés de cette foutue bagnole ; où sont ces foutues clés putain ? Je dois aller chercher les enfants, j’ai perdu les enfants tu ne sais pas où ils sont ? Je suis très inquiète, je les ai perdus à 13h 30, j’étais à la plage. Ecoute, passe-moi les clés du Toyota, il faut que j’aille les chercher. Il faisait très chaud ce midi, c’est bête, je m’étais assoupie, un léger mal de tête, dû à la chaleur me tenait assoupie, c’était bon, je me sentais indolente, c’est tellement rare les moments où on peut se laisser aller à cette indolence quand on est mère de famille, et je ne comprends pas, mais vraiment pas comment c’est possible, ils ont disparu, je suis désolée chéri, je n’ai pas fait attention à eux quelques minutes, et ils ont disparu. Papa. Chérie, tu sais bien, on était d’accord, tu ne te souviens pas ? On en a discuté toute la nuit, on s’est mis d’accord pour les abandonner dans la forêt, tu le sais bien. C’était tôt le matin, on a pris la camionnette et on les a déposés sur le bord de la route. Et c’est là qu’on a récupéré mamie, avec ses pantoufles. Allez, rentre à la maison. Calme-toi. Maman. Non, laisse-moi je vais retrouver mes enfants. Laisse-moi je mets mon manteau. Je vais retrouver mes enfants dans la nuit, les flics sont des cons, toi tu es un incapable, je ne comprends pas comment tu fais pour te résigner à ce point ? Ne rien faire. Attendre. Tu attends quoi ? Arrête avec la tronçonneuse ! Où sont passés mes enfants, où sont passés mes enfants ?

Maman cherche les clés/insomnie (Scène 1)

B) IMPROVISER SUR LE THEATRE SOCIAL

Une des scènes les plus drôles de la pièce est la belle déclaration du frère de Poucet, devenu Ministre, révélant comiquement la force du théâtre social. On peut proposer aux élèves de jouer au contre-emploi : se costumer ou apporter des accessoires qui permettent au spectateur de reconnaître immédiatement un type de personnage. Pour corser un peu, on peut demander qu’ils choisissent un type de personnage inclus ou exclus de la société. Le discours prononcé (improvisé ou écrit à l’avance) doit être en totale contradiction avec l’apparence du personnage (exemple : une jeune fille sage qui débite des horreurs, un ivrogne qui déclame des vers…) On pense au sketch de Jean Yanne et Paul Mercey, Les Routiers. Ainsi dans la pièce : la grand-mère indigne, ou la fille à la langue,- superbe mais enragée et qui enchaîne les « fuck » à tout bout de champ -, et surtout, le frère ministre, parfaitement policé et haut placé, qui fait l’éloge du mouvement punk dont il se revendique :

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Le ministre (frère de Poucet ). Oui mes frères et moi nous avions entre 13 et 20 ans, ainsi que

ma sœur, qui était alors la plus jeune. Ma sœur, oui, car c’est un peu difficile à admettre, mais

Poucet a toujours éprouvé une difficulté à se positionner sur la question du genre. Mes parents

et nous autres les garçons l’avions toujours associée au cercle masculin, et Poucet- Poucette a

pour ainsi dire renié, dissimulé son autre genre durant toute son enfance et son adolescence.

Cette ambiguïté qui la caractérise lui confère en même temps toute sa force. C’est sous son

impulsion, son sens de l’analyse, et sa capacité à inventer sa propre destinée, que nous avons

commencé à nous intéresser à la politique, et je dirais à l’anarchisme. Et également au

mouvement Punk.

Je pense que dans un sens, n’est-ce pas, c’est ce qui a fait de moi ce que je suis devenu, c’est ce qui m’a poussé à regarder le monde fonctionner ou dysfonctionner et à m’intéresser à la question de sa représentation et donc à l’Art. L’existence est une solitude, une difficulté de tous les instants, vous voyez, ce n’est pas parce qu’on vit sur l’île Saint Louis qu’on ne sait pas ça. Punk je disais. Punk. Ma sœur- frère a été mon Pygmalion malgré elle, en s’extrayant de l’ensemble des déterminismes qui semblaient la constituer. C’est sans doute pour toutes ces raisons que j’occupe aujourd’hui la fonction de ministre de la Culture, comme vous le savez. Punk is not Dead, n’est-ce pas, pourrait-on dire, ha ha.

Comment ça s’est vraiment passé/Interview du frère de Poucet devenu, minsitre de la culture (scène 11)

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Sur la question des apparences contraires à la réalité profonde, la déclaration de Poucet peut

aussi donner lieu à une improvisation qui aurait pour consigne : un personnage très

reconnaissable vient sur scène expliquer qu’il n’est pas du tout celui qu’on croit.

L’extrait suivant une fois distribué, on peut alors engager un débat sur les questions

concernant l’identité fille/garçon, les préjugés, les carcans idéologiques, etc.

Poucet. Mais ce que ne disent pas mes ridicules géniteurs, ce qu’oublient d’avouer mes infâmes

concepteurs, ce qu’ils omettent de proclamer, c’est ce que je vais prononcer aujourd’hui devant

vous, car voici venu le moment du grand déballage.

Voilà. Il est important à ce stade de mon récit de savoir que je ne suis pas un garçon, mais que je suis une fille. Celui qui est entré dans leurs vies minables ce jour ensoleillé de la tronçonneuse défaillante, celui-là vous l’avez élevé bêtement comme un petit garçon : pyjamas bleus, salopettes bleues, camions de pompiers bleus, soldats de plombs. Culturellement, je suis un mec. Ça tient à peu de choses en fin de compte, être un homme, ça tient à quelques poncifs d’apparence anodine, ça dénote finalement un manque formidable de complexité. Etre une fille c’est beaucoup plus dense, il me semble. On peut compléter cette séquence par quelques extraits des films récents : Tom Boy, Les

garçons et Guillaume à table, ou la constitution d’une revue de presse sur les débats récents autour de

la question du genre.

C) JOUER LA MISE EN ABYME Question de mise en scène : comment jouer une scène racontée ?

Comme bien souvent au théâtre, nous avons affaire à des mises en abyme qui posent

toujours un problème de mise en scène : comment faire pour que le spectateur en jouisse

pleinement, la reconnaisse et lui trouve sens ? Poucet s’avère très souvent un metteur en scène

et un spectateur de sa propre vie. On peut demander aux élèves de faire des propositions pour

cet extrait, dans lequel Poucet raconte une scène qui est en train de se jouer sous nos yeux,

mettant la grand-mère aux prises avec la jeune femme qui lui sert de garde-malade. La vieille

femme déteste cette étrangère qui veut la mettre au régime végétarien.

Poucet. Elles luttent et poussent des petits cris. Prise de panique mais aussi d’un regain de forme subit, mamie la culotte sur les chevilles s’extirpe du bidet comme une furie, elle s’agrippe au masque de toutes ses griffes, la fille, s’empêtre les pieds dans son sac de sport, mamie hilare arrache le masque et le balance dans la cuvette. Soliloques inaudibles de la fille secouée de tic et de toc : fucking old granny could you please stop eating meat, could you please stop your fucking murder you don’t know the danger of your act oh please don’t get me your fucking disease I could get down you know I’m I’m a fucking addict you know I’m a….

L’effrayante forêt, Le masque (aveux) sc 5

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On peut demander aux élèves de chercher des procédés variés, (le mime, la danse, le

grommelot, les ombres chinoises, les marionnettes…)d’intégrer de la musique, de la video, etc.

SUR LE SENS DE LA PIECE

A) REFLECHIR A LA VIOLENCE DU CONTE

La violence du conte est inconcevable – comme l’est celle des mythes antiques, Médée, Œdipe… - pour un esprit rationnel et éduqué : elle est l’émergence incontrôlable de l’instinct, du ça de Freud, que chacun se doit de refouler s’il veut mener une vie normale, c’est-à-dire, acceptable socialement. Dans Le Petit Poucet, ce qui heurte l’esprit, ce sont ces parents, et surtout cette mère, qui abandonnent leurs enfants. C’est si difficile à concevoir que le projet de Cendre Chassanne semble apporter une réponse acceptable : une mère au bord de la folie qui ne se conduit plus comme une mère. Mais cette folie est-elle la conséquence ou l’élément déclencheur de cet abandon ? La scène des clefs de voiture est pour le moins troublante à cet égard, puisque le père se désolidarise de sa femme. La monstruosité pourrait être expliquée par la folie de la mère, mais le discours du père nous renvoie au point de départ : ils ont pris la décision ensemble. On peut rattacher cette scène au tableau de Goya : Saturne dévorant un de ses fils et l’étudier dans le cadre de l’ HDA, puisqu’il en est question dans la pièce. C’est le frère de Poucet, devenu ministre de la Culture, qui s’exprime : Le ministre. Tu sais le Rubens – le tableau avec Saturne, Saturne dévorant l’un de ses fils, Saturne soulève son fils dans sa

grosse main et lui arrache la poitrine à pleines dents. Comme ça. Tu vois ? Oh qu’est-ce que je l’aime ce

tableau. Je sais pas pourquoi, je l’aime. On pourrait y aller un jour ensemble. Au Prado.

L’effrayante forêt 13

Rubens Saturne dévorant l'un de ses enfants(1636) - Musée du Prado

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B) INTERROGER NOTRE SOCIETE MODERNE Le texte de Cendre Chassanne & Jérémie Fabre saisit l’occasion d’interroger, non seulement la

maternité, mais toute la structure familiale et la place dévolue à chacun selon son âge. Ainsi, se

rapprochant de l’incipit du roman du Suédois Jonas Jonasson Le vieux qui ne voulait pas fêter son

anniversaire (Pocket 2011), la grand-mère cherche à échapper à une destinée qu’on a choisi pour

elle :

Mamie. Demain, je m’échappe. Je disparais définitivement. Hop. Une fois, à la maison de retraite, j’ai essayé de m’enfuir : c’était le petit matin, le moment où les infirmières attendent la relève, elles boivent le café et s’esclaffent comme des idiotes dans la salle de pause. Je ne supporte pas les infirmières. Poucet. Qu’est-ce que tu supportes, mamie ? Est-ce qu’il y a quelque chose que tu supportes ? Mamie. Les After Eight. Et les gaufrettes. Mais laisse-moi finir. Donc, j’ai couru dans le couloir sans faire de bruit, et je me suis retrouvée dans la campagne, avec mes pantoufles. J’ai marché d’une traite jusqu’au bois, sans croiser une seule bagnole. Et c’est là qu’ils m’ont ramassée : je ne sais pas ce qu’ils foutaient là tes parents, à six heures du matin avec leur camionnette, mais je suis tombée sur eux et ils m’ont ramassée. (Et ça me fait bien chier). On peut interroger les élèves sur ce qui fait le lien entre l’histoire de Poucet et celle de la

grand-mère, en dehors du fait que dans les contes, une place est souvent accordée à la grand-

mère de l’enfant (voir Le petit Chaperon rouge)

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Au commencement et à la fin de la vie, l’autonomie est réduite, et ce sont les autres qui

choisissent pour nous. Mais plus largement se pose la question sociale : que faire de ceux qui

ne produisent rien – les enfants, les vieillards, mais aussi les chômeurs, les clandestins, les

clochards ? (voir la chanson-prologue de la pièce) Quand gagne la misère, qui sont les premiers

sacrifiés ? C’et une réflexion sur la société capitaliste qui s’engage ici.

Autre caractéristique de la famille moderne : la maternité choisie et contrôlée. Une

scène particulièrement troublante est celle de l’annonce de la venue du dernier enfant de la

fratrie. Poucet comprend qu’il n’est pas désiré, et le met en scène dans une reconstitution où

les parents jouent leur propre rôle. En voici un bref extrait :

Papa. Je comprenais seulement que je ne voulais pas de cet enfant. Poucet. Tu ne voulais pas de moi, tu regrettais que cette nuit ou ce matin-là vous ne vous soyez

pas « protégés » avec maman, comme on dit. Quelle horrible expression, tu ne trouves pas ?, se

protéger d’avoir un enfant, se protéger d’un enfant !

C) REFLECHIR AUX INEGALITES SOCIALES On peut intégrer les deux textes suivants dans une séquence sur l’argumentation.

Commenter l’Avertissement et l’Intermède comme un exemple d’argumentation indirecte . Faire

repérer ce qui est dénoncé - revendiqué - interrogé.

Adresse au public

Avertissement

La forêt Autrefois, on pourrait dire il y a très longtemps, - on pourrait dire au temps des grandes pestes et des grandes guerres - beaucoup de monde vivait dans les forêts, un peu comme aujourd’hui. On trouvait des gueux, des hordes de gueux, qui vivaient dans des cabanes de bois et de feuilles mêlées à la tourbe. On trouvait aussi beaucoup d’enfants, des hordes d‘enfants abandonnés ou perdus et des femmes dans les forêts, du genre de celles qui connaissent les plantes, les essences, les onguents, les poisons ou les philtres. Au bout d’un moment, on disait qu’elles étaient des sorcières et on les brûlait. Et souvent les gens aimaient ça. C’était comme ça, avant. Et aussi longtemps qu’on s’en souvienne, on y a toujours vu, dans les forêts, des sorcières des sorcières et des gueux, et des hordes d’enfants, comme des plaies purulentes dans l’écorce des grands chênes. Mais toi, qui n’es ni un gueux ni une sorcière, ni un enfant perdu,

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peux-tu t’imaginer un seul instant vivre et dormir dans une forêt ? Qui a passé une nuit en forêt ici ? Personne ? Une personne ? Alors je t’aime toi, sinon personne, ça ne m’étonne pas, aujourd’hui ceux qui sont dans les forêts ne vont pas dans les théâtres ou dans les musées ou encore à l’école, ils sont dans les forêts, ils se serrent dans les forêts, ils plantent leur tente, ils dressent des bâches bleues qui font des taches bleues au bord des chemins et des ruisseaux. Dans les forêts. Tu n’y penses pas parce que tu habites dans une maison ou un appartement. Tu as une douche, un grille-pain, Tu as une couette, Alors, penses-y vraiment, approche-toi, pense toi forêt. Le vent siffle entre les cimes des hauts sapins. Jusqu’à maintenant tu n’avais jamais imaginé cela : être seul dans la forêt. Nous y voilà.

Intermède

La Forêt Autrefois la forêt entourait Paris. Autrefois - c’est à dire maintenant - - car les histoires se répètent à l’infini - les gens abandonnaient leurs enfants dans les forêts, les gens ils faisaient ça, aux lisières et dans les villes aussi, Sous les porches par exemple, sous les porches ils les déposaient Dans des paniers en osier Souvent on les découvrait le matin A la lumière blafarde des lampadaires Ou à la lumière des phares des voitures de police, Sur les boulevards, on les voit les gosses On les voit là, titubant et rigolant -ben oui, les gosses ça rigole- sur le bitume luisant et graisseux On les voit, tous les matins endormis dans le métro, sur un quai, Ou dans la rame, écrasés par le sommeil, - parce qu’ils ne dorment pas la nuit les gosses - Ils se réchauffent au brasero et à la bière Ils sont heureux la nuit, de faire partie de la jungle des villes, Parce qu’ils se serrent ensemble, C’est comme ça Paris - la jungle - Les tentes sur les talus du périphérique, sur le bord du canal, Les tentes qui font comme des lampions pour éclairer la république

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La république elle les regarde du haut de sa grandeur de pierre, elle les regarde se frayer un chemin, de tente en tente, de foyer en foyer, de carton en carton. La république elle accueille. C’est chouette Paris.

On peut également demander aux élèves de dire ce texte à haute voix en le travaillant

dans plusieurs registres, hauteurs, intentions, en choisissant une approche chorale. Les faire

réfléchir à l’effet produit sur un spectateur tout frais arrivé au théâtre par cet avertissement à

prendre au pied de la lettre : nous sommes avertis d’un danger, le danger de la misère, des

inégalités inacceptables. Nous sommes avertis que le spectacle ne sera pas de tout repos pour

nos consciences ni nos esprits.

Sur la misère et les inégalités sociales, ces deux extraits font penser à

Montaigne, écrivant déjà en son temps à la fin des Cannibales , lorsqu’il donnait la

parole aux « sauvages » du Nouveau Monde en visite en France:

« Ils avaient remarqué qu’il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de

toutes sortes de privilèges, et que leurs moitiés mendiaient à leurs portes,

décharnés de faim et de pauvreté ; et ils trouvaient étrange la façon dont ces moitiés

nécessiteuses pouvaient supporter une telle injustice, sans prendre les autres à la

gorge ou mettre le feu à leurs maisons ».

Essais , Livre I, chapitre 31, traduction Michel Tarpinian (Ellipses)

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EXPLORER LA REECRITURE

A) EXPLORER LA REECRITURE FANTAISISTE DU CANNIBALISME DU CONTE DU

PETIT POUCET Parmi les horreurs envisagées par le conte de Perrault se trouve le cannibalisme, cet

inceste alimentaire ainsi nommé par Claude Lévi-Strauss. Traditionnellement, l’ogre dévore les

enfants, mais celui du conte va ajouter une brique de plus à la monstruosité, puisque ; à cause

de la ruse de Poucet, il dévore ses propres filles.

La pièce de Cendre Chassanne & Jérémie Fabre explore avec jubilation le mélange de

l’appétit sexuel avec l’appétit alimentaire, dans une scène où Poucet, qui a pour amoureux un

ogre, se prépare comme une femme qui veut plaire à son amant.

Poucet. Cinq minutes passent. Je suis traversée par une soudaine pulsion : je me précipite dans la salle de bain, je me fais couler un bain très chaud. Dans la cuisine, j’attrape du gros sel et des herbes de Provence bio. Toute nue, je me rase les poils des pattes - mes tout premiers poils que j’avais eus quand j’étais un garçon. Je me badigeonne généreusement d’huile d’olive. Je plonge dans la baignoire, je me maintiens la tête sous l’eau, je retiens mon souffle. Je suis prête, je compte jusqu’à cent. Dans la salle à manger, il y a le grand couteau, bien en évidence sur la planche à pain. L’escalier ne grince pas, il a pris l’ascenseur. L’ogre. C’est moi ! J’ai pris du tarama et des olives ! Tu avais laissé la porte ouverte ? Poucet. Sous l’eau, j’en suis à 144, je vais bientôt devoir respirer. L’ogre. Qu’est-ce que tu fais, tu prends un bain ? Poucet, prestissimo. D’un coup, je sors la tête de l’eau, j’inspire bruyamment, au bord de l’asphyxie. En poussant la porte, cet abruti prend peur, glisse sur une savonnette, tombe sur le dos, sa tête cogne contre le dessus de la table de la salle à manger, la table se renverse, le couteau à pain est projeté en l’air, il semble faire trois tours sur lui- même, tout semble se passer comme au ralenti et avec une effroyable grâce. Il me semble entendre le commentaire de Nelson Montfort qui accompagne la chute vertigineuse de la lame qui vient se planter exactement dans la plèvre de l’ogre et lui transpercer les poumons d’un seul coup d’un seul. Les yeux révulsés, il crève, la bave aux lèvres, tendant sa grosse main vers moi. A demi couché sur le ventre, le couteau à pain toujours enfoncé dans la poitrine, son haut de pyjama remonte légèrement, laissant apparaître de belles poignées d’amour. Moi, les cheveux mouillés, recouverte d’huile et d’herbes de Provence, je regarde depuis la salle de bain la mort pathétique de mon ex- futur bourreau. Cette scène fait penser, malgré les différences et notamment celles du registre, au conte

des Mille et une nuits d’Antoine Galland, « Histoire du troisième calender ». Un jeune prince,

terrifié par une prédiction, se terre en attendant que la date prévue pour sa mort soit passée. Il

cherche à échapper au prince Agib, son présumé meurtrier. Hélas, ce qui aurait dû être évité

arrive de la manière la plus incroyable qui soit, comme bien souvent dans les contes : c’est Agib

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qui raconte comment il a fait connaissance du jeune homme, et s’est lié d’amitié avec lui,

croyant déjouer la prédiction. Tous deux attendent tranquillement dans une grotte de pouvoir

réapparaître à une date jugée sans danger pour le jeune homme.

« De plusieurs melons qui nous restaient, je choisis le meilleur, et le mis dans

un plat ; et comme je ne trouvais pas de couteau pour le couper, je demandai au

jeune homme s’il ne savait pas où il y en avait. « Il y en a un, me répondit-il, sur cette

corniche au-dessus de ma tête.» Effectivement, j’en aperçus un, mais je me pressai

si fort pour le prendre, et dans le temps que je l’avais à la main, mon pied

s’embarrassa de sorte dans la couverture, que je glissai, et tombai si

malencontreusement sur le jeune homme que je lui enfonçai le couteau dans le

cœur. Il expira dans le moment. »

Point de hasard donc dans l’univers des contes, et ce qu’on souhaite ou redoute arrive

précisément alors qu’on s’y attend le moins. Ces textes interrogent donc la force de nos désirs,

mais aussi le destin, le hasard, en somme, l’ordre du monde.

B) CORPUS

On peut placer le spectacle de L’effrayante forêt dans un corpus dédié à la réécriture des

contes, et l’intégrer au programme spécifique des Premières littéraires. La pièce de Joël

Pommerat, Cendrillon, propose une parodie qui est aussi une réinterprétation moderne sur le

thème de la famille recomposée. Le travail sur le passage du conte narratif à l’écriture

dramatique peut donc être mené conjointement pour ces deux pièces.

Sur la question du genre, le passage au contraire du théâtre au genre narratif peut être

illustré par la nouvelle de Mérimée, Les Ames du Purgatoire, dans laquelle est racontée la jeunesse et

l’initiation de Don Juan, jusqu’à son repentir final.

Enfin, à propos du registre, les réécritures des grands mythes antiques par les auteurs du

XXème apportent leur lot d’anachronismes et d’ajouts iconoclastes qui ont de quoi réjouir les

élèves. Giraudoux, Anouilh, Cocteau, Sartre… ont chacun proposé leur lecture des grandes

figures d’Œdipe, d’Electre, de Médée, etc.

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APRES LE SPECTACLE

On peut revenir sur le spectacle en travaillant par petits groupes afin de favoriser les

échanges. Par exemple :

Lister les moments drôles et les analyser : nature du comique ? gestuel ? verbal ? de

situation ? registre de la satire ? ironie ? humour noir ? farce ? ce moment amusant amène-t-il à

la réflexion ? à quel propos ? Quel enseignement peut-on en tirer ?

Lister les moments musicaux : mélodie ? avec quels instruments ? quel genre, quel

rythme ? chanson ? en quelle langue ? musique enregistrée ? interprétée sur scène ? par quel

personnage ? ce qu’elle apporte, l’effet produit : illustration, mise à distance, dramatisation,

humour, pause, poésie, agrément ?

Lister les scènes de vidéo : ce qu’elles représentent (= ce qui est filmé), intégrées ou

non dans le jeu des acteurs ? effet produit ? illustration, distance, mise en abyme, décalage

comique, dramatique ?…

Faire ainsi le bilan de tout ce qui compose le spectacle et mesurer sa richesse et sa

complexité.

Pour prendre la mesure de tout ce qui peut se faire comprendre de manière non

verbale, on peut demander aux élèves d’interpréter une courte situation du spectacle qui aura

été tirée au sort. La contrainte sera de proposer cette interprétation en « grommelot », langue

inventée qui sera inintelligible pour les spectateurs. On peut imaginer également que les élèves

maîtrisant une autre langue que le français pourront jouer leur passage en l’employant. Il faut

donc faire comprendre la situation par d’autres vecteurs que le texte, ce qui est à la fois une

gageure et l’occasion de tester à quel point le théâtre, « ce n’est pas de la littérature en

costumes » (Ariane Mnouchkine) Le reste de la classe devient spectateur et essaie de

comprendre la situation qui se joue.

Les souvenirs de scènes peuvent être réactivés par l’évocation de partenaires de jeu :

Poucet et ses parents, sa grand-mère, l’ogre, son frère ; la fille à la langue avec la grand-mère

ou avec les parents, … ou par les objets : le bidet, les sacs de viande congelée, la caméra vidéo,

la tronçonneuse, etc.

Ces scènes rejouées peuvent aussi donner lieu à une critique construite de la pièce, et

éviter ainsi l’écueil tant redouté du professeur : c’était nul/c’était génial sans argumentation ni

justification. En partant d’un questionnement sans jugement de valeur : pourquoi avoir rejoué

cet épisode ? choisi ce personnage ? s’être souvenu de cet objet ? on amène les élèves à étayer

leur jugement critique, et on fixe en leur mémoire des moments du spectacle dont ils pourront

se servir à d’autres occasions (épreuves écrites et orales notamment)

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EN GUISE DE CONCLUSION

Le texte de Cendre Chassanne et Jérémie Fabre suscitera, on n’en doute pas, des

réactions vives et sans doute contrastées de la part de nos élèves. Le spectacle est riche,

protéiforme, énergique voire turbulent ; il offre des ramifications et des pistes de réflexion

nombreuses, parfois des moments embarrassants ou énigmatiques. On n’hésitera pas à laisser

aux élèves une part d’incertitude quant à l’interprétation de certaines scènes, gage d’une œuvre

durable, qui ne se laisse pas apprivoiser ni décoder en une seule fois. L’important reste le

dialogue ouvert, l’échange et le questionnement, qu’on ait apprécié ou non l’œuvre, du

moment que celle-ci a été écrite avec sincérité et qu’elle donne à voir les préoccupations du

monde d’aujourd’hui.

BIBLIOGRAPHIE :

On pourra choisir selon l’âge des élèves, parmi la liste suivante, des contes s’étalant de

l’Antiquité au XXème siècle ( la liste n’est pas exhaustive) :

- Conte égyptien des Deux Frères

- Ovide, Les Métamorphoses.

- Le Roman de Renart

- Boccace, Le Décaméron

- Charles Perrault, Contes de ma mère l’Oye

- Madame d’Aulnoy, L’Oiseau bleu ;

- Fénelon, Les Aventures de Télémaque.

- Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête

- Les Mille et Une Nuits Traduction d’Antoine Galland, notamment Ali Baba et les Quarante Voleurs,

Sindbad le marin

- Diderot, Ceci n’est pas un conte

- Voltaire, Candide, Zadig

- Montesquieu, Lettres persanes

Hans-Christian Andersen, La Petite Sirène, Le Petit Soldat de plomb, La Petite Fille aux allumettes

- Les frères Grimm, Dame Hiver, L’Oiseau d’Ourdi, Le Pêcheur et sa femme

- E. T. A. Hoffman, Casse-Noisette

- Alphonse Daudet, Les Lettres de mon moulin ;

- Lewis Carrol, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles

- Pierre Gripari, Les Contes de la Folie Méricourt, Les Contes de la rue Broca

- Muriel Bloch, Le Poil de la moustache du tigre

- Marie NDiaye, La Diablesse et son enfant

- Amadou Hampâté Bâ, Petit Bodiel et Autres Contes de la savane, Il n’y a pas de petite querelle

- Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince ;

- Léopold Sédar Senghor, La Belle Histoire de Leuk-le-lièvre

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Plus spécifiquement, quelques réécritures :

Pierrette Fleutiaux, Métamorphoses de la reine

Anouilh, Fables, « Le carrosse inutile »

Réécritures pour le théâtre :

Cami, Le Petit chaperon vert

Joël Pommerat, Le Petit chaperon rouge, Pinocchio, Cendrillon

Olivier Py , La jeune fille, le diable et le moulin

Essai : Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées

Parcours de lecture , »Contes de Perrault » par Marie Hélène Roques (Bertrand-Lacoste)N°43

Deux expositions virtuelles à explorer sur le site de la BNF

http://expositions.bnf.fr/contes/

http://expositions.bnf.fr/1001nuits/

Des films ( sur l’identité sexuelle)

Tomboy, de Céline Sciamma (2011)

Les garçons et Guillaume à table ! de Guillaume Gallienne (2013)

Revue Sciences humaines Devenir garçon, devenir fille Numéro 261 Juillet 2014

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INTERVIEW DE CENDRE CHASSANNE

CO-AUTEUR ET METTEURE EN SCENE DU SPECTACLE

« L’EFFRAYANTE FORET JUSTE DEVANT NOUS » (CREATION 2014)

Florence Monvaillier : D’où est parti le projet de réécrire le conte du Petit Poucet pour le

théâtre ?

Cendre Chassanne : Les projets empruntent

parfois de curieux chemins pour arriver à leur

terme ... Le point de départ a été la lecture d’un

récit d’un jeune migrant afghan qui est remis

par sa mère à des passeurs et qui traverse des

pays clandestinement pendant 5 années, avant

de retrouver une famille adoptive en Italie. Ce

livre m’a frappée (j’en ferai autre chose plus

tard.) et m’a sans doute amenée à me poser des

questions sur l’abandon, la famille, la quête de

nouvelles identités.... Parallèlement, je

découvrais l’écriture de Jérémie Fabre et j’ai été

très attirée par son immense liberté, la qualité

de sa langue, son insolence et surtout sa

manière de ré-envisager l’écriture dramaturgique. Je lui ai proposé d’écrire ensemble, à partir

du personnage emblématique du petit poucet, enfant abandonné, malmené, et héros malgré

lui.

FM : Pour quelles raisons avez-vous choisi d’écrire ce texte à quatre mains ? Quel bénéfice en

avez-vous tiré, l’un et l’autre ?

CC : Les raisons nous échappent ; c’est la curiosité, le désir qui nous a donné cette audace ; puis

nous nous sommes fixé un cadre : écrire pendant une semaine sur tout ce qui nous passait par

la tête à partir de la situation de cet enfant, de sa famille, de nos visions sur l’émancipation, la

transgression. Deux des comédiens étaient avec nous et nous lisions chaque jour nos

productions. Très vite on a vu que nos deux façons d’écrire, nos deux visions du monde se

répondaient. C’était très intéressant de s’enrichir l’un l’autre et de rebondir perpétuellement.

Très souvent nous nous sommes dit que nous écrivions ensemble comme deux scénaristes sur

un film. Le dialogue faisait partie du travail.

FM : Quel lien faites-vous entre votre précédent spectacle (Les Sept jours de Simon Labrosse) et celui

que vous montez actuellement ?

CC : Il y a un dénominateur commun : nous y parlons de la précarité. Simon et ses acolytes

sont précaires et le temps de la représentation, l’invention est leur seule issue de secours. La

famille de Poucet, engluée dans le drame, l’abandon et la perte des enfants, ne se sortira de

l’ignorance que parce que Poucet ré-invente perpétuellement sa propre vie et la leur. Il y a

œuvre de consolation. Ça fait du bien.

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FM : Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

CC : Des évidences. Poucet c’était Agnès, qui travaille avec moi depuis Phocion (Le triomphe de

l’amour/Marivaux), Rosalinde (As you like it/Shakespeare), deux parcours qui creusent la

question du travestissement, le code par excellence du jeu au théâtre. Et là encore, nous avons

décidé avec Jérémie que ce serait un code dont s’emparerait Poucet, pour nous dire que tout est

possible au théâtre à partir du moment où l’acteur le déclare. Cela va évidemment bien au-delà,

car déclarer que le choix d’être un garçon ou une fille nous appartient tient du débat moral,

indispensable et très excitant, et que ce débat est en cours… Jean-Baptiste serait Papa et l’ogre-

c’était une autre évidence -, ainsi que Isabelle pour maman. Ensuite est venu le personnage de La

fille à la langue et nous avons pensé à Carole très spontanément. Puis j’ai pensé à Thomas pour

Mamie et le ministre, une autre évidence.

FM : Au fur et à mesure que se déroulent les répétitions, le projet initial a-t-il évolué ?

CC : Oh que oui ! Nous avons écrit, Jérémie et moi, ensemble dans le cadre de résidences, puis

à distance, l’un habitant à Paris, l’autre à Vire, puis le texte a été lu en public par notre équipe,

ainsi que par le collectif A Mots Découverts, qui a beaucoup débattu sur le texte. Toutes ces

étapes ont produit du nouveau, puis les premiers chantiers au plateau ont donné lieu à d’autres

restructurations du texte. Nous voici engagés maintenant dans les répétitions. Jérémie et moi

avons décidé que, le projet m’appartenant, je puise et structure la matière en fonction des

questions que le plateau poserait. Cela m’engage aussi à écrire de nouvelles pièces pour le

puzzle, et à en compléter certaines.

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FM : Qu’apporte à vos yeux la vidéo dans un spectacle de théâtre ?

CC : Un contre-champ, une profondeur de sens, un onirisme, selon le traitement de l’image ; la

vidéo peut aussi apporter de l’info, cela dépend de ce que nous voulons lui faire dire. Dans

L’effrayante forêt elle joue tous ces rôles selon le lieu de projection. A jardin nous la traitons

comme du cinéma, à cour elle est informative, médiatique, avec un traitement esthétique qui

répond à l ‘ensemble du plateau.

FM : La musique, les chansons ont-elles été écrites spécifiquement pour ce spectacle ? ou bien

sont-elles des reprises ?

CC : Des reprises, oui, pour certaines. Les chansons, je les ai écrites récemment et c’est Laurent

Etienne qui compose, ou nous faisons des emprunts à des groupes actuels…Ce qui compte

beaucoup c’est l’univers sonore dans son ensemble qui est rassemblé par Laurent.

FM : Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous heurtez en tant que metteur en scène ?

CC : La singularité de ce projet nous a fait passer par énormément de questionnements ; ce qui

est difficile, car on voudrait toujours trouver avant de chercher. C’est un projet qui force à

l’humilité et à la ténacité, c’est donc constructif et très gratifiant pour tous. Les difficultés sont

nombreuses pour un metteur en scène. Penser à tout, envisager la place de chacun,

l’épanouissement de chacun, ce sont mes soucis, mais c’est normal, ce n’est pas si

insurmontable. Finalement, ce qui est de plus en plus difficile c’est de se retrouver dans le

temps de la création, tant les temps de production sont longs, voire interminables.

FM : De quoi êtes-vous particulièrement satisfaite dans ce spectacle ?

CC : Le spectacle va finalement parler de nous tous assez mystérieusement. En creux. Je suis

contente que nous ayons pu tenir cela. Et aussi de l’invention et de la grande cohésion qui a

éclos au plateau en août alors que nous répétions à L’Aquarium à Paris. Chacun est arrivé avec ses

outils, les acteurs : leur texte, le scénographe : la scénographie et ses lumières, les techniciens

vidéo et son : leur matériel, le dj : ses sons….. Tout a été réuni, quelque chose s’est produit et

je suis fière de cette cohésion.

FM : Quel intérêt cette pièce présente-t-elle à la simple lecture, alors qu’elle a visiblement été

écrite « pour le plateau » ? Qu’en reste-t-il selon vous d’essentiel ?

CC : Je pense qu’elle est assez ardue à lire seule, à moins de s’accrocher et d’en accepter la

singularité kaléidoscopique. L’écriture est insolente, très inventive, les images qu’elle produit

ne sont jamais là où on les attend. Je pense qu’on traite de la grande violence du monde avec

une joie insolente ; je crois que c’est ça la qualité du texte ; en tout cas c’est ce que je souhaite

tenir et c’est ce que je suscitais au fond dans la rencontre avec Jérémie.

FM : Quels arguments donneriez-vous à un professeur qui hésiterait à amener sa classe voir

L’Effrayante forêt Juste devant nous ?

CC : N’hésitez pas. Le théâtre est un miroir, déformant certes, mais miroir du monde. Poucet

joue de son adolescence, de la quête d’identité, de ses fantasmes, et dans son œuvre de

déconstruction, il invente et emmène les membres de sa famille à s’émanciper eux aussi. C’est

une fable sur la consolation, insolente et tendre. C’est un théâtre qui joue avec les codes du

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cinéma, je pense que c’est juste de montrer aussi cela aux jeunes, afin de les amener à aller au-

delà des clichés, de ce qu’ils pensent être le théâtre.

FM : Quels arguments fourniriez-vous à un adolescent qui pense que le théâtre n’est pas fait

pour lui (c’est vieux/scolaire/ennuyeux…) ?

CC : Alors, le théâtre ennuyeux, cela existe et il faut le discerner. Pour le discerner il faut y aller,

c’est indispensable d’aiguiser son sens critique dans la vie, et l’art permet d’aiguiser cela, son

sens critique. Deuxièmement, il faut dire et redire que le théâtre, aussi vieux qu’il soit, résiste et

résistera toujours, car nous aurons toujours besoin de nous regarder dans le miroir pour mieux

nous comprendre et mieux rire de nous même ; un one man show c’est bien, mais une pièce,

une histoire, un texte peut nous emmener dans des mondes que nous ne soupçonnions même

pas. A 14 ans, à 16 ans, j’ai vu des pièces qui m’ont révélé des pans de moi-même. Sans ces

rencontres abstraites, je ne serais sans doute pas la même ; c’est très intéressant d’aller vers

l’inconnu. En outre le théâtre est un endroit public, qui appartient à la collectivité, c’est de

l’argent public, les jeunes peuvent et doivent ré-investir ces lieux, ils peuvent et doivent y

apporter leur pensée, leur énergie, leurs idées, on les y attend, sans eux on est mort.

FM : Qu’aimeriez-vous entendre de la part d’un spectateur au sortir de la pièce ?

CC : Qu’il a été bouleversé. Qu’il a ri. Qu’il a halluciné. Qu’il est égaré. (étonné en langage

jeune)

LA COMPAGNIE BARBES 35

Le public auxerrois a découvert la compagnie avec As You like it en janvier 2013 et Les sept jours de Simon Labrosse en avril 2014. La compagnie entame sa deuxième année de résidence en vous ouvrant les portes du Théâtre ! Barbès 35 crée L’Effrayante forêt Juste devant nous au mois de novembre et vous propose de venir à leur rencontre, tous les après-midi pendant une semaine du 20 au 24 octobre 2014. L’équipe artistique mène également des ateliers d’écriture et de jeu théâtral auprès du lycée Jacques Amyot et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. On retrouve Cendre Chassanne pour l’opus 2 de son stage Théâtre nouvelle génération, et une lecture autour des textes de la poétesse Sylvia Plath. La compagnie œuvre dans une dimension collective, et vous invite à y prendre part.

Compagnie Barbès 35 – Cendre Chassanne www.compagniebarbes35.com

Dossier réalisé par Florence Monvaillier,

professeur missionné au service éducatif du Théâtre - scène conventionnée d’Auxerre Septembre 2014

Le Théâtre --- Scène conventionnée d’Auxerre

54 rue Joubert --- 89000 Auxerre téléphone 03 86 72 24 24

[email protected] www.auxerreletheatre.com