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    Terrain46 (2006)

    Effets spéciaux et artifices

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    Martine Gross

    Désir d’enfant chez les gays et leslesbiennes

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    Avertissement

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    Référence électronique

    Martine Gross, « Désir d’enfant chez les gays et les lesbiennes »,Terrain

     [En ligne], 46 | 2006, mis en ligne le 15mars 2010, 14 octobre 2012. URL : http://terrain.revues.org/4055 ; DOI : 10.4000/terrain.4055

    Éditeur : Ministère de la culture / Maison des sciences de l’hommehttp://terrain.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://terrain.revues.org/4055Ce document est le fac-similé de l'édition papier.Propriété intellectuelle

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    L ’ÉTUDE DES PROJETS PARENTAUX DESgays et des lesbiennes1, comme minilaboratoire social, permet d’éclairer points communs et différences dansl’expression du désir d’enfant chez leshommes et chez les femmes. Dans le projet homoparental, le désir d’enfantest détaché, isolé du désir hétérosexuel

     pour le parent de l’autre sexe. Qu’enest-il alors de l’articulation entre laconjugalité et le désir d’enfant ? Désire-t-on un enfant comme avenir de l’amourdu couple (ici de personnes de mêmesexe), fruit symbolique du couple, oubien désire-t-on individuellement unenfant indépendamment de la vie de

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    TERRAIN 46, mars 2006, pp. 151-16

    Désir d’enfant chez les gays

    et les lesbiennes Martine Gross CNRS, Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux, Paris

    [email protected]

    Zoé, 9 ans : « Ma

    mère, je l’appelle

    Maman, et Isa je l’appelle Isa ou

    Zouzou. Isa, c’est à

    la fois ma mère, mais

    pas vraiment ma

    mère. C’est ma mère

    parce qu’elle a

    toujours été là. Et puis

    c’est pas ma mère

    parce que c’est pas

    elle qui m’a mise au

    monde» (extrait deTêtu, n° 96, janvier 2005).

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    1. Je préfère les termes gays

    et lesbiennes, utilisés par les

    acteurs sociaux pour se

    désigner, plutôt qu’homo-

    sexuel(le)s. Le terme homo-

    sexualité d’origine médicale a

    davantage été utilisé dans un

    contexte de stigmatisation et

    de pathologisation.

    couple? Ou encore une combinaison desdeux, désir du couple et désir individuel ?

    Dans l’hétéroparentalité, lorsque lecouple ne souffre pas d’infertilité, ceséléments sont, dans la plupart des cas,

    imbriqués : l’enfant n’est pas un objetsymbolique, il est le fruit de la sexualité procréatrice du couple de sorte que,même si chacun porte un désir indivi-duel de transmission, le désir d’enfant peut être vécu par les deux parents ou par un seul des deux comme un projetcommun : le projet parental du couple.

    Les modalités choisies par les mèreslesbiennes et les pères gays pour deve-nir parents illustrent plusieurs questionsqui se posent à eux :

    • l’articulation entre conjugalité et

     parentalité ;• l’articulation entre parenté biolo-gique et parenté sociale ;

    • la tension entre deux tendances :d’une part, la persistance d’une idéolo-gie essentialiste qui hiérarchise parentsbiologiques et parents qui ne le sont pas,les mères et les pères ; et d’autre partune innovation fondamentale, à savoirun rôle social équivalent, de mêmeordre pour chaque sexe, auprès desenfants.

    Mon propos s’appuie sur deux en-

    quêtes:• une enquête par questionnairesréalisée en 2001 auprès de 285 membresde l’APGL (Association des parents etfuturs parents gays et lesbiens) ;

    • une enquête qualitative menée en2002-2003 au moyen d’entretiens semi-directifs auprès d’une soixantaine de personnes : pères gays, mères les-biennes ou homosexuel(le)s souhaitantdevenir parents.

    Deux asymétries

    Avant d’étudier plus précisément les projets parentaux des gays et des les-biennes et les discours qu’ils et ellestiennent à propos de la manière de fon-der une famille homoparentale, remar-quons que les hommes et les femmes enFrance ne sont pas égaux lorsqu’ils veu-lent devenir parents, que ce soit en don-nant la vie ou en adoptant. Après dessiècles pendant lesquels les femmes

    n’eurent aucune maîtrise sur leur corps,elles ont obtenu aujourd’hui le droit dedisposer de leur ventre, d’avoir « unenfant quand je veux, si je veux ». Ellessont libres d’avorter ou de procréer.

    Porter un enfant puis accoucher leurdonne immédiatement le statut de mèrelégale (Iacub 2004). Elles peuventrenoncer à la maternité, mais il fautalors que l’accouchement lui-même soiteffacé, qu’il n’ait pas eu lieu, c’est l’ac-couchement sous X. Autrement dit, lamaternité rime avec naturalité. Unhomme pour être père devra savoirquelle femme a accouché de son enfant pour déclarer sa volonté d’être père. La paternité, détachée de la maternité,aurait quelque chose de contre-nature.

    Les gays et les lesbiennes se trou-vent confrontés à cette asymétrie. Pourconcevoir, les femmes peuvent se tour-ner vers des pays voisins tels que la Bel-gique, l’Espagne pour recourir à uneIAD (Insémination artificielle par don-neur) avec un donneur inconnu ou lesPays-Bas pour une IAD avec possibilité pour l’enfant de connaître à 16 ansl’identité de son géniteur. Elles peuventdemander à un ami de les aider à don-ner la vie, sans qu’il s’implique ensuitedans l’éducation de l’enfant, c’est ce

    qu’on appelle avoir recours à un don-neur connu. Elles peuvent faire unedemande pour adopter. Elles peuventaussi choisir la coparentalité, c’est-à-dire se rapprocher d’un homme gay etde son compagnon ou d’un homme nongay, pour « coparenter » avec lui l’enfantqu’ils auront conçu ensemble.

    Force est de constater que les choixne sont pas aussi nombreux pour leshommes. Ils ne peuvent se faire insémi-ner ni porter un enfant. Pour devenir père, il leur faudra impérativement pas-

    ser par une femme ou adopter. L’adop-tion n’est pas impossible mais difficilede manière générale pour les céliba-taires auxquels les couples sont préfé-rés, et sans doute plus difficile encore pour les hommes. Ont-ils intégré cettedifficulté, comme certains pères sépa-rés qui, ayant assimilé la difficulté àobtenir la résidence principale de leursenfants (Neyrand 2001), ne font pas la

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    démarche de la demander, persuadés dene pas obtenir satisfaction ?

    Les lois de bioéthique de juillet 1994rendent impossible le recours à unematernité de substitution en France. La

    démarche est de ce fait rendue très com- plexe et explique sans doute le petitnombre d’hommes qui se tournent verscette solution.

    La très grande majorité des hommes(85 %) de l’APGL qui souhaitent devenir parents se tournent ainsi vers la copa-rentalité, alors que seules 40 % desfemmes choisissent cette configurationfamiliale.

    A cette asymétrie s’en ajoute uneautre. Il s’agit de l’asymétrie au regardde la loi en ce qui concerne les positions

     parentales des différents acteurs quifondent une famille selon qu’ils peuventou non entrer dans le cadre du modèlede filiation exclusif «un père, une mère, pas un de plus » du droit de la famille enFrance. Ceux qui n’entrent pas dans cecadre légal n’ont aucun statut de parentau regard de la loi. Par exemple, la com- pagne d’une mère ou le compagnond’un père, s’ils se conduisent commedes parents, se qualifient eux-mêmes de« parent social ». «Etre un parent social »désigne la situation d’une personne qui

    se conduit comme un parent mais n’aaucun des droits et devoirs prévus par laloi pour les relations entre parents etenfants. Soit parce que c’est une per-sonne du même sexe que le parent légal,soit parce qu’il y a déjà un père et unemère et qu’il ne peut y avoir de parenten plus.

    L’articulationentre conjugalitéet parentalitéLes projets parentaux sont-ils des pro-

     jets de couples ou des projets indivi-duels ? • L’enquête par questionnairesde 2001 auprès des adhérent(e)s del’APGL montre que 82 % des femmes et67 % des hommes vivent en couple. Lesfemmes sont aussi beaucoup plus nom-breuses à être en couple depuis plus decinq ans (69 % des femmes vivent encouple pour 41 % des hommes). Cela està rapprocher des enquêtes (Spira, Bajos

    & Groupe ACSF 1993 ; Bozon, Leridon,Riandez & Groupe ACSF 1993 ; Jaspard1997 ; Bajos, Bozon & al., 1998 ; Simon& al. 1972) sur la sexualité des Français.

    Les études sur la « première fois »

    montrent que les filles sont plus nom-breuses à associer la sexualité à l’amourvoire au couple (Bozon 2001) tandis que, pour les garçons, il s’agit d’une étapedans l’apprentissage de la sexualité. Parla suite, ce malentendu des premiersrapports, note Michèle Ferrand (2004),se rejoue au fil des rencontres ulté-rieures : généralement, les hommesrecherchent d’abord une partenairesexuelle tandis que les femmes conti-nuent à chercher plutôt une relationaffective stable. A propos de la manière

    de vivre son homosexualité, MichèleFerrand (2004) note qu’elle diffère selonqu’il s’agit de gays ou de lesbiennes. Laconjugalité, comme forme de gestion dela vie amoureuse et sexuelle, sembledavantage préférée par les femmes. Cesdernières privilégient le statut de rela-tion durable fondée sur un soutien psy-chologique et affectif qui l’emporte surle rapport érotique, alors que le couplemasculin reste plus propice à une valo-risation de la dimension érotique de larelation (Schiltz 1998).

    Tendance confirmée par l’enquêteAPGL de 2001.

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     sexe x durée couple 

    hommes  

    20

    %11

    39

    % 21

    41

     

    22

    54  

    femmes  

    14

    24

    % 51

    69

     %

      144

    209  

    %

    moins de 2 ans

    plus de 5 ans

    de 2 à 5 ans

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    Parmi les hommes qui souhaitentdevenir parents ou qui le sont déjà, nom-breux (67 %) sont ceux qui vivent encouple même s’ils sont proportionnelle-ment moins nombreux que les femmes

    (81 %). En 1995, plus de la moitié desrépondants des enquêtes sur les modesde vie gays déclaraient une relationstable avec un homme (Schiltz 1999). La population masculine de l’APGL vitdonc plus souvent en couple que leshommes gays en général. Dans cetteétude, je me suis penchée sur la dimen-sion conjugale ou individuelle du projet parental chez les gays et les lesbiennesqui vivent en couple. Etre en couple aumoment de l’élaboration ou de la réali-sation du projet apparaît comme une

    condition nécessaire à la dimensionconjugale du projet, mais cela ne consti-tue pas une condition suffisante. On peut en effet vivre en couple mais éla-borer un projet parental individuel.

    Les indicateurs de la dimensionconjugale du projet sont :

    – des énoncés particuliers situant par exemple « l’enfant comme prolonge-ment du couple » ou le couple comme préalable indispensable à la réalisationd’un désir qui peut être antérieur à laconstitution du couple ;

    – le positionnement du compagnonou de la compagne comme « parent ».

    Les hommes • En ce qui concerne leurs projets parentaux, qu’il s’agisse d’adop-tion, de maternité pour autrui, ou decoparentalité, le projet est plus souventcelui d’un seul des deux membres ducouple. Parfois, il existe deux projetsindividuels.

    • Alain (projet d’adoption) : « C’estun projet que j’avais avant de leconnaître, qui n’a fait que se développer

    quand je l’ai rencontré il y a quatre ans parce qu’il est très proche des enfants.[…] Récemment, il a déposé un dossierd’agrément. Pour l’instant c’est pas dit,mais ce que j’ai en tête, moi, c’est qu’onmène chacun nos histoires jusqu’à, si çase passe bien, jusqu’à l’adoption plé-nière. En plus, lui, il ne rêve que d’unechose, c’est d’une petite fille, donc ceserait parfait et qu’après, on fusionne. »

    • Fabien (projet de coparentalité) :« Depuis toujours j’ai souhaité avoir unenfant ou des enfants. Ce désir étaitdéjà là avant la découverte, si je peuxemployer ce mot-là, de mon homo-

    sexualité. […] Ce n’était pas un projet decouple, ce n’était clairement pas un pro- jet de couple. »

    L’enquête quantitative vient confir-mer cette tendance. A la question : « Sivous êtes le compagnon d’un père ou lacompagne d’une mère et que le projetd’enfant a été élaboré dans un contextehomoparental, comment vous êtes-voussitué par rapport à ce projet ? » la moitiédes hommes ont répondu qu’ils accom- pagnaient le projet mais ne se considé-raient pas comme un parent.

    En revanche, à la question : « Entant que compagnon ou compagne d’unfutur parent gay ou lesbien, commentvous situez-vous par rapport au projetd’enfant ? » davantage d’hommes com- pagnon d’un futur père (59 % pour 43 % pour les compagnons des déjà pères) sesituent comme un futur parent, ce quisigne peut-être un assouplissement desreprésentations. Les assignations de rôlefont que les gays et les lesbiennes qui nesont pas des parents légaux ne s’autori-sent pas à se considérer comme parents.

    Il faut cependant préciser que sedéfinir comme un parent ou un futur parent dans l’énoncé d’un discours à propos du projet parental ne dit rien surla réalité concrète de la vie quotidienneavec l’enfant. Car le terme « parent »recouvre des significations multiples : lestatut légal, le lien du sang et le lienaffectif au travers des fonctions paren-tales exercées au quotidien. Le fait que

    le projet soit énoncé comme celui d’unseul membre du couple ne dit rien desrelations parent-enfant qui se nouentune fois que l’enfant est là.

    Lorsque l’enfant est là, sa présencequotidienne situe les deux hommes d’uncouple dans l’exercice des fonctions parentales. Emmanuel Gratton (2005)note qu’il arrive même souvent quel’implication du compagnon finit parégaler, voire dépasser l’implication del’initiateur du projet.

    Les femmes • Le désir d’enfant est sou-vent clairement énoncé comme projetdu couple : c’est l’aboutissement ducouple, c’est l’enfant fruit de l’amour.Cet énoncé du projet conjugal estd’ailleurs encouragé par les cliniquesbelges (Baetens, Ponjaert, Van Sterte-ghem & Devroey 1996).

    • Nathalie et Antoinette (Antoinettea adopté)

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      hommes  

    6

    43%

    50%

    7%

    14  

    femmes  

    46

    79%

    9 16%

    4%

    68  

    Comme un futur parent moi-même  

     j'étais réticent/e ou opposé/e  

    Si vous êtes le compagnon d'un père ou la compagne

    d'une mère, comment vous êtes-vous situé/e

    par rapport au projet ?

    comme associé/e au projet du couple mais sans être parent moi-même

     

    hommes  

    59%

    35%

    6%

    17  

    femmes  

    85%

    13%

    3%

    111  

    Comme un futur parent moi-même  

     je suis ou étais réticent/e ou opposé/e  

    comme associé/e au projet du couple mais sans être parent moi-même

    En tant que compagnon ou compagne d'un futur 

    parent gay ou lesbien, comment vous situez-vous

    par rapport au projet d'enfant ?

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    Nathalie : « C’est injuste, c’est frus-trant. L’enfant c’est l’aboutissement denotre amour. Et nous ne pouvons pas.D’ailleurs c’est injuste quand on ne peut pas avoir d’enfant, que ce soit dans le

    cas d’un couple homosexuel ou hétéro-sexuel. »• Jeanne et Clothilde (projet de

    coparentalité)Q : C’était le projet de votre couple?

    Ou celui de Clothilde? Jeanne : « C’était toutes les deux.

    C’était le couple. Le désir est né ducouple. Avant on n’avait aucun désird’enfant.»

    Comme l’indiquent les graphiques précédents, les compagnes des mèreslégales sont significativement plus nom-

    breuses que les hommes à se situercomme un second parent, et à se définircomme mère d’un enfant qui ne leur estrelié ni légalement ni biologiquement.

    • Brigitte et Clarisse (IAD de Bri-gitte)

    Clarisse : « Nous, on était pour qu’il yait deux mamans. » En parlant des filmstournés à la naissance de leur enfant :« Quand on me voit, c’est vraiment la

    maman ; et puis évidemment on la voitallaiter.»

    Carla et Marie-Laure ont illustrédans les médias cette position. Lesenfants nés de Marie-Laure par une IAD

    ont porté les noms des deux femmes dèsleur naissance. Elles ont fait desdémarches pour obtenir que Carlaadopte les enfants de Marie-Laure. Puis,dans une deuxième étape, que soientrestitués à Marie-Laure ses droits paren-taux transférés à Carla du fait des dis- positions légales de l’adoption simplequi dépouillait Marie-Laure de son auto-rité parentale au profit de Carla. Lesenfants de Carla et Marie-Laure se trou-vent avoir deux mères non seulement àla maison mais aussi au regard de la loi,

    tant au niveau de la filiation que del’exercice de l’autorité parentale.On peut dire, pour résumer, que les

    hommes élaborent plus souvent des pro- jets individuels. Leurs compagnonss’investissent dans des fonctions paren-tales lorsque l’enfant est là, mais ne sesituent pas dans la position d’un second père. Les femmes élaborent plus sou-vent des projets de couples. L’enfant

    M. vit en couple avec

    son compagnon L.

    M. est le papa

    d’une petite fille

    conçue et élevée en

    coparentalité avec

    une amie lesbienne.

    Son compagnon est

    également papa

    dans le cadre d’une

    coparentalité. Leurs

    enfants se rencontren

    régulièrement quand

    ils sont chez leurs

    pères (photo A. Rastoin

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    n’est pas le produit naturel du couplemais il en est l’aboutissement. Les com- pagnes de mères se situent assez sou-vent comme second parent.

    On peut s’interroger sur le poids des

    représentations dans cette différenced’articulation de la conjugalité et de la parentalité. Etre mère réintroduit unelesbienne dans la féminité, elle redevientune « femme comme les autres » (Hayden1995). Par ailleurs, on l’a vu, les femmes privilégient souvent les relations decouple, ce qui leur permet peut-être plusfacilement de combiner attitudes paren-tales et conjugales. La paternité non seu-lement ne remplit pas cette fonction pourles gays, de les faire redevenir « unhomme comme les autres », mais peut

    même au contraire les désigner comme« monstrueux », en les rendant suspectsde pédophilie. Par ailleurs, les hommes privilégient la sexualité à la conjugalité.D’où peut-être une plus grande difficulté pour eux à combiner attitudes parentaleset conjugales.

    Etre deux, comme dans le cas d’uncouple de lesbiennes qui a recours àune IAD ou à une adoption, ou être plusde deux, comme dans le cas de la copa-rentalité où il peut y avoir jusqu’àquatre adultes concernés par le projet

     parental, est un paramètre important à prendre en compte si l’on veut étudierla position des parents sociaux ainsi quel’articulation entre la conjugalité et la parentalité. Je distingue donc les confi-gurations biparentales des configura-tions multiparentales. Dans les configu-rations biparentales, deux personnesseulement élèvent des enfants au seinde leur couple.

    Les configurations multiparentalessont des situations dans lesquelles plus de deux personnes se conduisent

    comme des parents, c’est entre autres lecas de la coparentalité entre un gay etune lesbienne lorsque leur compagnonet leur compagne s’impliquent comme parents sociaux.

    Voyons maintenant comment l’arti-culation conjugalité/parentalité s’associeou non aux discours énoncés autour dela décision de fonder une configurationfamiliale biparentale ou multiparentale.

    Biparentalité,multiparentalité :les discoursLorsqu’on interroge les parents gays etlesbiens sur ce qui a motivé le choix de

    l’adoption, d’une IAD, d’une gestation pour autrui ou de la coparentalité, ilsévoquent tous le fait qu’ils ont examinéchacune des possibilités et ont écartécelles qui ne leur convenaient pas, tantdu point de vue de leur représentationde ce qu’exige l’intérêt de l’enfant quede leur représentation de la parentalitéou de la famille. Choisir la biparentalité pour les hommes, c’est concrétiser unecertaine représentation de la paternité,où prime la relation à l’enfant, sa priseen charge quotidienne et matérielle à

    temps plein. Pour les femmes, choisir labiparentalité, c’est concrétiser une cer-taine représentation non de la mater-nité, mais de la famille comme prolon-gement du couple. En revanche, lorsquele choix se porte sur la coparentalité, lesdiscours se ressemblent : hommes etfemmes veulent donner « un père et unemère » à leur enfant. On verra qu’au-delà de ce discours à l’unisson, la copa-rentalité est le nid de tensions, condui-sant parfois à des conflits majeurs, entreles représentations que se font les

    hommes et les femmes du concept de père ou de mère.

    Discours surla biparentalité ?Pour les hommes : il s’agit d’être père à

     plein temps • La spécificité de l’identité paternelle est plus floue que par le passé. On ne sait plus très bien ce qu’estun père ni quelle est exactement la fonc-tion d’un parent masculin, disent parexemple Françoise Hurstel (1996) ouGeneviève Delaisi (1981). Etre géniteur

    ne suffit pas à fonder l’identité pater-nelle. Dans les années 1960, on repro-chait aux pères leur absence auprès deleurs enfants, leur surinvestissement professionnel. On a ensuite dénoncél’autorité et la contrainte commeméthodes éducatives. La loi du 4 juin1970, en remplaçant la puissance pater-nelle par l’autorité parentale, également partagée entre le père et la mère, a

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    contribué à rapprocher les fonctions paternelles et maternelles et à favoriserla représentation du « bon parent »comme étant celui qui, loin de repré-senter l’autorité, s’implique dans la rela-

    tion parentale (Ferrand 2004). ChristineCastelain-Meunier (2002) note à proposdes pères d’aujourd’hui que c’est « l’im- portance du lien affectif à l’enfant quicaractérise, à leurs yeux, la paternitécontemporaine ».

    Une des motivations régulièremententendue chez les gays qui choisissentd’être pères en adoptant ou ayantrecours à une gestation pour autrui,c’est-à-dire sans avoir à partager lesfonctions parentales avec une mère, estde pouvoir vivre leur paternité sans

    contrainte. Ils sont résolument des« nouveaux pères », de ceux qui définis-sent leur rôle d’abord dans une pater-nité relationnelle avec l’enfant et qui se perçoivent aussi aptes que les femmes às’occuper des enfants.

    Ils ont d’abord pensé à la coparenta-lité et l’ont écartée comme incompatibleavec le lien qu’ils souhaitent développeravec leur enfant. Ils peuvent aller jus-qu’à exprimer très clairement ne pasvouloir dépendre du bon vouloir d’unefemme pour accéder à celui-ci. Ils ne

    veulent pas être des pères d’un week-end sur deux et des petites vacances. Ilssouhaitent être pères à temps plein etassumer totalement leur paternité.

    Ce désir ne signifie pas que lesfemmes seront évincées de l’environne-ment de l’enfant car les hommes quisont pères sans mère s’entourent régu-lièrement de figures maternelles etgrand-maternelles qu’ils vont chercherau sein de leur famille, de leur réseauamical ou à défaut dans le milieu pro-fessionnel de la petite enfance.

    Pour les femmes : c’est le projet d’unenfant du couple • Les femmes del’APGL qui ont choisi d’adopter, derecourir à une IAD ou à un donneurconnu qui ne s’impliquera pas au quoti-dien ont toutes pensé aussi à la copa-rentalité. Contrairement aux hommes,elles n’évoquent pas de crainte particu-lière d’être limitées dans leurs relations

    avec l’enfant, comme si ces dernièresleur étaient « naturellement » assurées.On verra par la suite que cet aspectocculté de la coparentalité peut engen-drer des conflits inextricables. Elles ontécarté la coparentalité à cause du risquede fragilisation du couple face à l’intro-duction d’un tiers dans la relation. Ellesdisent : « C’est bien assez compliquécomme ça. Nous sommes une famille

    hors norme, être plus de deux rajouterades difficultés. » Elles ne souhaitent pasdissocier le parental du conjugal.

    Elles ne sont pas insensibles audiscours social selon lequel l’intérêt del’enfant commande qu’il ait un père etune mère. Pour résoudre cette tensionentre « ne pas complexifier la situa-tion » et « l’exigence d’un référent pa-ternel dans l’intérêt de l’enfant », elles

    Louis, 11 ans:

    « Mes parents, c’est

    papa Paul et papa

     Julien. Pour certains,

     j’ai une maman ; pour

    d’autres non. Pour 

    moi, non je n’ai pas

    de maman. C’est just

    une personne qui m’a

    porté pour rendre

    service à mes

    parents…» (extrait deTêtu, n° 96, janvier 2005)

    DÉSIR D’ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES 15

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    choisissent parfois la solution du « don-neur connu ». Opter pour un donneurconnu est risqué puisque les conven-tions portant sur un enfant à naître nesont pas légales. Un donneur connu

     peut exiger d’exercer ses droits paren-taux s’il reconnaît son enfant.Nathalie, citée par Anne Cadoret

    (2002) : « Déjà, construire une relationde couple avec quelqu’un, pour long-temps, ce n’est pas évident. Alors parta-ger l’éducation d’un enfant pendant lesvingt ans à venir avec un ami dans unerelation d’amitié et non de couple, ilfaudrait trouver la bonne personne… »Nathalie et sa compagne se sont tour-nées vers l’adoption.

    Marie-Laure et Carla, citées par Eric

    Dubreuil (1998). Marie-Laure : « On en-visageait un enfant avec un père. Ontrouvait normal que le père étant connu,il soit présent dans la vie de l’enfant. Onétait ouvertes à une discussion avec luisur le rôle qu’il aurait joué… Pendanttoutes ces démarches, on s’est posé laquestion de savoir ce qu’était notredésir d’enfant et on s’est rendu compteque c’était un désir de couple et ensuiteon s’est situées davantage comme uncouple qui a des difficultés pour avoirdes enfants, et qui fait appel à la tech-

    nique pour remédier à ce problème. »Carla : « Après réflexion, on réalisaitqu’on n’aurait pas tellement su com-ment intégrer quelqu’un de l’extérieur,et toute la difficulté que cela aurait étéd’élever un enfant à trois. »

    Choisir la coparentalité :« Donner un père et unemère à son enfant ! »Hommes et femmes semblent a prioriénoncer des discours semblables à pro- pos de la coparentalité. La coparentalité

    donne un père et une mère à un enfant,un modèle de l’altérité sexuelle. Ce dis-cours, en accord avec les représenta-tions véhiculées par les médias, les psyset tout le discours social, est déculpabi-lisant par rapport à la transgression desnormes sociales. Il répond en partie auxquestions concernant ce qui sera ren-voyé à l’enfant à l’école, et en généralà l’extérieur de la famille. Pourtant,

    au-delà du thème « généreux » ou debonne conscience, selon le point de vueoù l’on se place, il faut garder à l’espritd’une part qu’hommes et femmes nesont pas égaux devant ce choix et que,

    d’autre part, ils et elles sont traversés par des représentations de la paternitéet de la maternité qui entrent aujour-d’hui en tension, y compris dans lesfamilles hétéroparentales.

    Les hommes • Comme on l’a souligné, lacoparentalité s’impose souvent commel’unique possibilité envisageable pourdevenir père. En effet, le recours à unemère pour autrui est exceptionnel. Ilapparaît à la très grande majorité deshommes interrogés comme inimagi-

    nable. Les représentations d’un enfantque l’on prive d’une mère, celles d’unemère qui choisit de donner l’enfantqu’elle a porté, sont très culpabilisantes.Par ailleurs peu d’hommes se tournentvers l’adoption, la démarche est diffi-cile. Il faut dissimuler l’homosexualitédans la plupart des départements pourobtenir un agrément. Rares sont ensuiteles pays qui confient un enfant à unhomme célibataire. La coparentalité a pour elle deux avantages. Le premier estqu’elle n’est soumise à aucun contrôle

    social, du fait de sa « naturalité ». Unhomme et une femme peuvent procréercomme ils l’entendent, ils deviennent parents sans avoir à demander à lasociété une autorisation. Le secondavantage est qu’elle apaise chez leshommes, comme chez les femmes, laculpabilité à mettre un enfant au mondedans des conditions inhabituelles.

    Reste que la représentation de la« bonne paternité » comme étant cellequi privilégie le temps passé avec lesenfants n’est pas absente, même si elle

    n’est pas explicite au moment de l’éla-boration du projet.

    Les femmes • Le choix de la coparenta-lité chez les femmes ne peut êtreimputé à la difficulté de devenir mèreautrement qu’en partageant la parenta-lité avec un père. Elles peuvent setourner vers l’IAD ou l’adoption. Cer-taines écartent l’adoption parce qu’elles

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    souhaitent vivre la grossesse. Lors-qu’elles écartent l’IAD, c’est parcequ’elles disent vouloir donner un père àleurs enfants.

    Si le bon père aujourd’hui est celuiqui est proche de ses enfants, la mau-vaise mère est encore celle qui les aimetrop, elle est alors fusionnelle, ou pasassez, elle est alors abandonnante. Si la présence nécessaire d’une mère n’est pas évoquée par le discours social, c’est parce qu’elle est une évidence qui ne selaisse même pas nommer, encore moins

    déconstruire. En revanche, l’absence de père a été montrée et est toujours mon-trée du doigt comme la cause de biendes maux, dont la délinquance juvénile.La négation du père menacerait de psy-chose l’enfant qui serait alors pris dansune fusion mortifère avec sa mère. Cesdiscours excessifs mettent en évidenceles représentations à l’œuvre aujour-d’hui dans le prêt à penser psy véhiculé

    un peu partout : le père serait celui quivient séparer la mère de son enfant(Naouri 2004) ; la mère serait nécessai-rement fusionnelle, et pathogène si lafusion qu’elle entretient avec son enfantn’est pas interrompue par le père ; enfinles maux de notre société seraient dus àla maternisation des pères (Schneider2004) et au trop grand pouvoir desmères maintenant que les pères n’exer-cent plus la puissance paternelle 2.Même si les pères et mères concrets nese retrouvent pas dans ces images qui

    ne sont qu’une manière de concevoir lesfonctions paternelle et maternelle,qu’une construction sociale à un mo-ment donné, comment peuvent-ils leuréchapper ? Comment ne pas être sen-sible à ces discours ? Accordant ellesaussi une valeur à ces représentationsd’une mère fusionnelle et du père sépa-rateur, énonciateur de la loi… lesfemmes choisissent la coparentalité en

    2. La loi du 4 juin 1970 a

    remplacé la puissance pater-

    nelle par l’autorité parentale,

    également partagée entre le

    père et la mère.

    Astrid et Myriamavec leurs deux

    filles conçues par 

    insémination

    en Belgique

    (photo P. Ksiazek/AFP).

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    étant déjà toutes prêtes à mettre enscène la mère fusionnelle qui justementaura beaucoup de mal à se séparer deson nourrisson.

     Janine : « Franchement, les quatre

     premiers mois, oui je peux le dire, j’étaisfusionnelle avec elle. Donc l’adaptationà la crèche, le fait de recommencer àtravailler quand Zoé a eu trois mois,trois mois et demi, ça a été très dur. Jevoulais faire une adaptation chez son père aussi, l’amener quelques heures,etc., et il me disait : “Mais je suis son père, elle n’a pas besoin d’être adaptée.”Peut-être aussi que c’était moi qui avaisbesoin de m’adapter à cela. Mais il n’a pas du tout compris ça. Je ne pouvais pas, c’était au-dessus de mes forces. En

     plus, franchement, il me disait : “Maistu n’as qu’à tirer son lait et l’amener pour la nuit”, mais pour moi c’était horsde question, vraiment ça me faisait tropmal. J’aime pas les tire-lait, et le soir Zoététait toutes les deux heures, la nuitaussi je me réveillais et j’avais les seins pleins de lait avant même qu’elle seréveille (on était tout à fait synchroni-sées là-dessus). Et c’est vrai que si je ne pouvais pas l’allaiter je ne savais pascomment faire et c’était très, très dou-loureux. Et ça il ne pouvait pas le com-

     prendre. Quand on allaite son enfant ona besoin de l’avoir à proximité, parceque ça devient vraiment une souf-france!»

    Rares sont celles qui ont réalisé quedonner un père à un enfant c’est aussilâcher un peu ce rôle, changer de regis-tre et accepter de « donner » de temps àautre l’enfant à son père.

    Claudine : « On a des idées géné-reuses au départ, on veut donner un père à son enfant. Mais après, on réalisequ’il faut donner son enfant au père et

    là, c’est autre chose. Ça fait mal… »Un homme sur la mailing liste del’APGL : « J’ai le sentiment, de plus en plus net, que le principal obstacle àl’aboutissement ou à la pérennité d’un projet de coparentalité se trouve danscet instinct maternel qui fait que lamère rechigne à laisser l’enfant en basâge au père, et craint d’avoir un jour àlui en laisser la garde. Plus simplement,

     j’ai tendance à penser que les mèresconsidèrent que les pères ne sont pas“tout à fait” capables d’assurer la sécu-rité et l’éducation de leurs enfants. »

    Nouveaux pèreset mères« traditionnelles » :les tensionsde la coparentalitéL’évolution des représentations de la paternité trouve sans doute son apogéechez les pères gays. En effet, le parcoursentre le moment où ils prennentconscience de l’homosexualité et celuioù, malgré les difficultés, ils deviennent pères les amènent, peut-être plus qued’autres hommes, à se représenter la

     paternité comme essentiellement rela-tionnelle.Un homme sur la mailing liste de

    l’APGL : « Un gay qui veut des enfantsne veut pas a priori d’une situation où ilserait la troisième roue du carrosse. Sic’est le cas, il faut qu’il s’interroge surson désir d’enfant (il y a des loisirs [!]moins compliqués et qui entraînentmoins de souffrances). On ne les entend jamais ces hommes (s’ils existent). Je ne peux pas m’empêcher de les considérercomme des arriérés (oups, excusez le

    non-non-jugement) ou des inconscientsqui ne font pas la différence entre unanimal de compagnie et un enfant. Sic’est juste pour le sortir toutes les deuxsemaines pour le montrer à sa propremère ou à qui que ce soit, et se sentirgonflé d’importance à l’idée d’Etre Père, je trouve ça un peu ridicule. »

    Claudine : « On peut parler du projet pendant des mois, mais la réalité estautre. Après, il y a des tensions, deslimites… Par exemple, on était d’accord pour la garde alternée avec une période

    de progressivité. Moi, cette progressi-vité, je la voyais sur cinq ans, Marc surcinq semaines ! Le fait est qu’on n’avait pas précisé par écrit… Je pense quenous ne voulions pas arrêter le projet pour ça. De toute manière, quel que soitle temps de garde de chaque parent, lamère trouvera toujours qu’elle n’a pasassez, et le père qu’elle a toujours trop !On a essayé dix rythmes différents (sur

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    deux ans) et, à chaque fois, je trouvequ’il l’a trop, et lui pas assez ! »

    Ces exemples illustrent les tensionsinévitables entre ces pères qui placentleur paternité dans une relation qui ne peut se construire que dans un tempsréel passé avec l’enfant, et des mères pour lesquelles les représentations de la

    maternité se situent sur le même ter-rain : temps passé avec l’enfant, vécurelationnel et corporel. Si les pères sont« nouveaux », les mères, elles, sontencore assez « traditionnelles ». Hom-mes et femmes ne mettent pas la mêmechose derrière le mot « père ». Quandelles veulent donner un père à leurenfant, les femmes semblent vouloirdonner davantage une idée de père que

    des conditions pour que se nouent unerelation père-enfant qui pourrait êtreune relation rivale de la leur. Ellesdisent : « Je veux que mon enfant sachequi est son père », « Il faut qu’il ait uneréférence paternelle ». Cette référence paternelle est non exempte des repré-sentations véhiculées par les médias, du

     père comme étant celui qui fait autorité,qui fait loi.Elles sont alors critiques devant des

     pères maternants. Déçues qu’ils nesoient pas plus dans une position detiers qui dit la loi, elles ne voulaient pasd’un « papa poule » mais d’un père quidit la loi. Christine Castelain-Meunier(2002) décrit cette situation pour lesfamilles hétéroparentales : « L’homme

    Dans le monde

    entier, des familles

    homoparentales

    luttent pour la

    reconnaissance

    de leurs droits.

    Manifestation à Taipe

    Taiwan, 1er novembre

    2003 (photo AFP).

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    est souvent sollicité de manière contra-dictoire, d’une part autour de l’exercicede son rôle que la femme attend etconteste, d’autre part autour de l’expé-rience d’un nouveau rôle, qu’elle

    redoute de crainte de perdre ses anciens privilèges dans ses rapports spécifiquesà l’enfant. » Elle note « qu’une imaged’usurpateur est véhiculée par un cou-rant de la pédiatrie (Aldo Naouri), pardes représentations psychanalytiquesconcernant le rôle du père – par réfé-rence à la loi (Freud) et en fonction dumode d’introduction du père par lamère (Lacan) –, qui obturent ou limitent pour le père les modes d’habituer sa paternité. Il se trouve enfermé dans desstéréotypes qui le réduisent à une

    “mère” bis ou qui le rendent dépendantde la place que lui fait la mère».Lorsque paternité et maternité s’au-

    tonomisent de l’interaction homme-femme au sein du conjugal se pose laquestion d’une redéfinition des fonc-tions et des rôles non assignés sexuelle-ment. Les fonctions paternelles etmaternelles deviennent des fonctionsfamiliales et ne se confondent pas avecles personnes concrètes.

    Un autre élément rend ces tensions plus aiguës encore. Il s’agit de la concur-

    rence entre la parentalité conjugale etl’hétéroparentalité. On l’a vu, les les-biennes ont souvent élaboré un projet parental de couple. Or, dans la coparen-talité, l’absence de statut légal de lacompagne est d’autant plus douloureuxqu’elle ne peut se situer en tant que« second » parent, mais seulement entant que troisième. Dans les premiersmois après la naissance, la mère vaessayer de rassurer la compagne sur sa place auprès de l’enfant, d’autant qu’auquotidien, c’est bien le couple de

    femmes qui s’occupe de lui. Le père,déjà impatient pendant la grossesse, res-sent cette situation comme une mise àl’écart.

    Il peut arriver que, lorsqu’uneentente est enfin trouvée entre le père etla mère, le couple formé par la mère etsa compagne se défasse.

    Ce tableau assez sombre de la copa-rentalité des premiers mois, parfois des

     premières années, finit par s’éclairciravec le temps. Des ajustements, desaccommodements sont trouvés. Il n’em- pêche que ceux-ci illustrent une tensionentre d’une part la persistance d’une

    conception essentialiste du rôle deshommes et des femmes dans la familleet d’autre part une innovation dans lesrapports sociaux de sexe, vers plusd’égalité pour chaque sexe au sein desrôles parentaux. La représentationessentialiste à l’œuvre dans la coparen-talité fait perdurer une hiérarchisationinversée des rôles au sein de laquelle lesmères parce qu’elles ont donné la vieont le pouvoir de désigner quel autre parent elles souhaitent à leurs côtés :leur compagne ou bien le père. Deux

    hiérarchies sont possibles : la mère, lacompagne, le père, son compagnon oubien la mère, le père, la compagne de lamère, le compagnon du père. La maî-trise de leur maternité par les femmesles place, comme le dit Marcela Iacub(2002), en tant que « protagonistes prin-cipales du nouvel ordre sexué de lareproduction ». Le domaine de la pro-création a placé historiquement lesfemmes sous la domination masculine.Elles ont conquis dorénavant cedomaine, mais si elles écartent les

    hommes du lien avec l’enfant, elles ris-quent de reconduire les inégalités en semaintenant seules dépositaires descharges parentales.

    A côté de cette hiérarchisationinversée des sexes s’instaurent progres-sivement des valeurs égalitaires quantaux rôles de chaque sexe dans la copa-rentalité. Ces valeurs égalitaires se tra-duisent par exemple par la mise en place de plus en plus fréquente d’unerésidence alternée.

    Une femme sur la mailing liste de

    l’APGL : « S’agissant de l’instinct mater-nel et de la capacité des pères à éleverdes enfants, il convient d’éviter de géné-raliser, il est des femmes (nous ensommes) qui ne se sentent pas investiesde compétences supérieures auxhommes dans ce domaine. De notrecôté nous avons évoqué le sujet avec lesgarçons, nous envisageons de commen-cer la garde alternée dès les premières

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    semaines (avant la fin du premiermois).»

    On entend des femmes dire qu’ellesse forceront à laisser la juste place du père à l’homme, on entend des hommesdire qu’ils font confiance à la mère ou

    au couple de lesbiennes pour partageréquitablement la parentalité. Deschartes s’efforçant à l’équité sont rédi-gées et signées entre les père et mère dela coparentalité.

    ConclusionLes données de l’enquête auprès desadhérents de l’APGL en 2001 et lesentretiens montrent qu’hommes etfemmes n’articulent pas de la mêmemanière leurs projets parentaux à laconjugalité. Pour les femmes, il s’agit un

     peu plus souvent d’un projet de couple.Du fait de l’importance accordée au bio-logique dans notre droit de la famillemais aussi dans nos représentations seconfrontent deux tendances dans lesrapports de genre entre les parents : unetendance à rendre les pères dépendantsdes mères pour accéder à la paternité,une tendance à l’égalité des rôles et desfonctions.

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    A la Marche des

    fiertés, le ballon de

    l’Association des

    parents et futurs

    parents gays et

    lesbiens. L’association

    milite pour l’inscription

    des familleshomoparentales

    dans la réalité

     juridique et sociale

    (photo M. Gross).

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